Ferdinand de Saussure aux portes de l’inconscient
p. 113-145
Texte intégral
« La notion de conscience est éminemment relative. » Saussure, Deuxième conférence à l’université de Genève, novembre 1891, Écrits de linguistique générale
1Il est devenu nécessaire aujourd’hui d’aborder l’œuvre de Ferdinand de Saussure non seulement à partir de ses écrits publiés, mais aussi à partir de ses notes manuscrites et de celles de ses étudiants1. La découverte des manuscrits de Saussure s’est échelonnée tout au long du xxe siècle et de nouveaux manuscrits continuent de réapparaître.
2Les auteurs du Cours de linguistique générale indiquent, dans la préface de la première édition, qu’ils espéraient en s’engageant dans cette aventure « trouver dans ses manuscrits […] l’image fidèle ou du moins suffisante de ces géniales leçons ; nous entrevoyions la possibilité d’une publication fondée sur une simple mise au point des notes personnelles de Ferdinand de Saussure, combinées avec les notes d’étudiants ». Ces mêmes auteurs notent dans le même temps leur surprise :
Grande fut notre déception ; nous ne trouvâmes rien ou presque rien qui correspondît aux cahiers de ses disciples ; F. de Saussure détruisait à mesure les brouillons hâtifs où il traçait au jour le jour l’esquisse de son exposé ! Les tiroirs de son secrétaire ne nous livrèrent que des ébauches assez anciennes, non certes sans valeur, mais impossibles à utiliser et à combiner avec la matière des trois cours. (Saussure 1916, p. 7-8)
3On l’aura compris : le Cours de linguistique générale, publié trois ans après la mort de Saussure, n’a pas été rédigé par Saussure. D’où la nécessité d’aborder Saussure avec et dans ses manuscrits. C’est sans doute là une contrainte, mais aussi une voie de recherche féconde : on ne mesure pas encore le profit qu’il y a à approfondir à partir des manuscrits les concepts fondamentaux de la linguistique, encore opératoires aujourd’hui. Cet apport se découvre en de multiples occasions, dont celles qui se dessinent lorsque Saussure s’avance au seuil de l’inconscient. Dans l’un de ses plus anciens manuscrits, Saussure écrit, à l’occasion de l’inauguration de sa chaire à l’université de Genève « Histoire et comparaison de langues indo-européennes » : il est possible, en abordant « la langue », d’examiner « tout ce que la psychologie est probablement appelée à recueillir prochainement de l’étude du langage » (Première conférence à l’université de Genève, novembre 1891, ELG, p. 144).
1. « Volonté consciente ou inconsciente »…
4Saussure pose à cet endroit la question de savoir si la science du langage peut revendiquer le titre de science historique (ibid., p. 150). Sans doute, car toute langue a une histoire, faite au moins « d’une succession de faits linguistiques ». Mais la langue est-elle régie, comme tout objet qui fait la matière de l’histoire − l’art, la religion, le costume, etc. −, « par la volonté et l’intelligence humaine » ? Autrement dit : « Les faits linguistiques peuvent-ils passer pour être le résultat d’actes de notre volonté ? Telle est donc la question ». Saussure indique que « la science du langage, actuelle, y répond affirmativement ». Le rôle de la volonté dans l’évolution des langues est en effet une thématique de l’époque, qui se retrouve chez plusieurs grands linguistes, notamment William D. Whitney (1875a).
5Saussure ajoute aussitôt : « il y a beaucoup de degrés connus, comme nous le savons, dans la volonté consciente ou inconsciente ». Indication fondamentale, qui dessine l’une des trames de la réflexion de Saussure sur la langue, notamment sur les causes de ses évolutions :
De tous les actes qu’on pourrait mettre en parallèle, l’acte linguistique, si je puis le nommer ainsi, a ce caractère [d’être] le moins réfléchi, le moins prémédité, en même temps que le plus impersonnel de tous. Il y a là une différence de degré, qui va si loin qu’elle a longtemps donné l’illusion d’une différence essentielle, mais qui n’est en réalité qu’une différence de degré. (Première conférence à l’université de Genève, novembre 1891, ELG, p. 150)
6Se profilent ici plusieurs thématiques sur lesquelles Saussure reviendra, notamment le caractère a priori indiscernable de ce qui fait évoluer la langue. Ce qu’il indique en parlant de l’« acte linguistique ». Formule importante, car il ne s’agit plus simplement des « faits linguistiques ». « Acte linguistique », pour lequel il convient de s’interroger sur la part qu’y joue la volonté. Saussure avance ici que l’acte linguistique a la particularité d’être « le moins réfléchi », « le moins prémédité » ; et finalement « le plus impersonnel de tous » : hors de l’emprise de la volonté et échappant en quelque sorte à chacun.
7C’est l’une des interrogations initiales de Saussure sur l’évolution des langues, thématique sur laquelle il ne cessera de revenir. Dans cette évolution des langues en effet, quelle est l’action de la volonté ? Peut-on d’ailleurs la situer, les langues ayant des principes de transformation qui leur sont propres ?
8Dans l’immédiat, Saussure se tourne vers l’analyse des causes les mieux établies dans la linguistique de son époque. Dans sa deuxième conférence à l’université de Genève, il pose cette question : « en quoi consistent les changements qui se produisent avec une nécessité si constante en toutes les langues » ? (novembre 1891, ELG, p. 159). Il indique qu’ils relèvent de « deux causes ou groupes de causes distinctes, et indépendantes ». D’une part, « le changement phonétique », qu’il est possible de réduire à des lois, comme s’y efforcent les linguistes de son temps. D’autre part, « le changement analogique », tel venir/venirai, formulation enfantine inspirée par des correspondances de type punir/punirai (ibid., p. 160). Processus analogiques dans lesquels Saussure voit la dimension de la « volonté consciente ou inconsciente ».
9Ces deux « grands facteurs de renouvellement linguistique » peuvent être abordés de différents points de vue. Ainsi, le « changement phonétique » « représente le côté physiologique et physique de la parole ». Le « changement analogique » répondant quant à lui « au côté psychologique et mental du même acte » (p. 159). Saussure ajoute : « Le premier est inconscient, tandis que le second est conscient » (ibid.). Réaffirmant au passage la prudence nécessaire pour évaluer conscience et inconscience : « toujours en se rappelant que la notion de conscience est éminemment relative, de sorte qu’il ne s’agit que de deux degrés de conscience dont le plus élevé est encore de l’inconscience pure comparé au degré de réflexion qui accompagne la plupart de nos actes ». L’un et l’autre changements dans les langues se trouvant ici rapportés à « de l’inconscience pure » par rapport au « degré de réflexion » qui préside à la plupart de nos actes. Cela, en pensant que les débats de l’époque, particulièrement chez les psychologues, ne reconnaissaient guère de statut aux actes inconscients et a fortiori à l’inconscient (notamment Flournoy 1890).
10Saussure fait donc la part entre « le changement phonétique », qui « attaque la forme par le côté du son » ; et « le changement analogique », qui « attaque la forme […] par le côté de l’idée » (Deuxième conférence à l’université de Genève, novembre 1891, ELG, p. 159). Répartition fondamentale, car elle permet de dessiner le périmètre de chacun des deux grands facteurs de changement linguistique retenus par Saussure, en les opposant par l’« intention » et par le « but » poursuivi dans l’acte de parole :
On peut dire en outre que l’une représente des opérations purement mécaniques, c’est-à-dire où on ne peut découvrir ni but ni intention, et l’autre des opérations intelligentes, où il est possible de découvrir un but et un sens. (ibid., p. 160)
11Les mécanismes phonétiques se rapportent donc pour Saussure à des changements qui ne livrent ni but ni intention, dont la réalisation échappe à la volonté de chacun et de tous. « L’opération d’analogie » mettant en œuvre, quant à elle, des « opérations intelligentes », dans lesquelles il est possible de découvrir « un but et un sens ». Un « sens » − Saussure reste prudent −, non une « intention ». « Phénomène », en tout cas, qui « représente une association de formes dans l’esprit, qui est dictée par l’association des idées représentées » (p. 161).
12Ainsi, les « opérations purement mécaniques » se trouvent renvoyées du côté de la phonétique ; les « opérations intelligentes », du côté de l’analogie. « Opération d’analogie, faits d’analogie », que Saussure qualifie d’« opérations psychologiques » (ibid.). Saussure fait une répartition très nette entre phonétique et analogie du point de vue de la conscience qu’on peut avoir de ces phénomènes. Ainsi : « l’autre cause des transformations linguistiques, la cause phonétique […] échappe à notre regard et à notre conscience » (p. 162). Saussure va plus loin : il écrit à propos du « mouvement phonétique » dans les langues : « Caractère capital : frappe aveuglément toutes les formes de la langue où se trouve le son en question et par conséquent offre un caractère de régularité mathématique » (p. 163). Voie de recherche développée à partir des années 1860 par les néo-grammairiens allemands, qu’ils illustrent par un ensemble de lois de transformation phonétique. Les transformations phonétiques sont ainsi considérées comme opérant de façon aveugle, avec une régularité quasi mathématique. Ce qui vient renforcer encore l’hypothèse du caractère mécanique des changements phonétiques et de leur réalisation hors de notre « conscience ».
13La problématique revient fugitivement dans la conférence suivante à propos de « la continuelle transformation de la langue dans le temps ». Transformation due à « deux agents distincts, l’un psychologique se concentrant sur l’“opération d’analogie”, l’autre mécanique, physiologique, ayant son expression dans les changements phonétiques » (Troisième conférence à l’université de Genève, novembre 1891, ELG, p. 166). À quoi il faut ajouter un facteur de différenciation déterminant, celui « de la distance géographique », qui vient « se combiner avec la distance chronologique » (ibid.).
14À parcourir les manuscrits du jeune Saussure, une évidence saute aux yeux : il aborde la question de l’évolution des langues en posant la question du rôle de la volonté dans la langue, thématique qui est l’un des fils conducteurs des trois conférences qu’il fait pour l’inauguration de sa chaire à l’université de Genève. On voit s’y dessiner une idée sous-jacente à la psychologie de l’époque : la volonté relève du conscient. Il est facile d’inférer de là que l’évolution des langues, ne serait-ce que dans leur dimension phonétique, échappe largement à la conscience. Mais aussi, que les opérations analogiques participent à des degrés divers de la conscience…
2. Signe et conscience du sujet parlant
15Les manuscrits autographes des années 1890 mettent en valeur une autre thématique importante : les manifestations de la pensée dans la langue. La « pensée », à laquelle l’« esprit » se substitue souvent sous la plume de Saussure. Ainsi y a-t-il un « contrat fondamental entre l’esprit et le signe » (Notes pour un article sur Whitney, novembre 1894, ELG, p. 206). L’esprit a en effet la propriété de s’attacher de lui-même à des objets qu’il reconnaît comme signes, même en l’absence de signification particulière, voire de signification tout court :
En me promenant, je fais sans rien dire une encoche sur un arbre, comme par plaisir. La personne qui m’accompagne garde l’idée de cette encoche et il est incontestable qu’elle associe deux ou trois idées à cette encoche dès ce moment alors que je n’avais pas moi-même d’autre idée que de la mystifier ou de m’amuser. (ELG, Item 3320.4, p. 115)
16L’esprit ayant cette faculté de chercher un signe en toute chose, c’est lui qui est naturellement amené à lui associer des « idées ». Et par là, à faire exister le signe : « L’existence qu’on peut accorder au signe n’est pas ailleurs, en principe, que dans l’association qui en est faite par l’esprit avec une idée » (Science du langage, 31.3.97-98, p. 78-79 ; ELG, p. 54). Faisant exister le signe, l’« esprit » fait exister le mot : « Ainsi le lieu du mot, la sphère où il acquiert sa réalité, est purement l’ESPRIT, qui est aussi le seul lieu où il ait son sens » (Science du langage, 52.5.174, p. 112 ; autre lecture, ELG, p. 83).
17Même si Saussure a régulièrement recours à l’« esprit » pour situer, par exemple, le lieu des associations d’idées, la « conscience » est souvent citée, au point parfois de s’y substituer : « il n’EXISTE linguistiquement que ce qui est aperçu par la conscience, c.à.d. ce qui est ou devient signe » (Bibliothèque publique de Genève [BPG], carton 17, VII, 1c ; ELG, p. 45). Sans la conscience, un objet extérieur, une encoche, la lettre b, ne sont rien : ils ne forment pas signe. C’est la conscience qui fait qu’on y reconnaît des signes et c’est par elle qu’une langue est langue en tant qu’ensemble de signes. Conscience qui intervient peu à peu dans les manuscrits comme « conscience du sujet parlant » et surtout, dans les leçons des dernières années, « conscience des sujets parlants ». Le balancement entre singulier et pluriel n’est pas sans signification : la « conscience du sujet parlant » offre une description au plus près de la psychologie du sujet parlant. La « conscience des sujets parlants » visant davantage la dimension sociale du sujet parlant, considéré dans une « collectivité », thématique sur laquelle Saussure insistera dans ses cours des dernières années.
18Si cette conscience a tendance à reconnaître des signes, le processus qui y conduit est complexe. Saussure en fait une description très élaborée. En-deçà du signe en effet, ce que reconnaissent les sujets parlants est la figure vocale : « On appelle forme une figure vocale qui est déterminée <pour la Conscience> des sujets parlants » (BPG, carton 17, IX ; ELG, p. 49). De fait, les sujets parlants appréhendent au moins des formes : « Une forme est une figure vocale qui est pour la conscience des sujets parlants déterminée, c’est-à-dire à la fois existante et délimitée » (Science du langage, 64.2.51, p. 131 ; ELG, p. 37). « Figure vocale », à savoir « son » ou « suite de sons » particuliers à une langue, à quoi peuvent s’attacher les sujets parlants. Cette figure vocale n’a pas besoin pour cela d’avoir « “un sens” précis ; mais elle est ressentie comme quelque chose qui est » (ibid.).
19Ce n’est que progressivement qu’on est amené à associer un sens à une figure vocale, selon une gradation qui va jusqu’à la « corrélation » de sons et de suites de sons associés à des « significations » (BPG, carton 17, IIIc ; ELG, p. 25). Là aussi la conscience intervient : « notre point de vue constant sera de dire que non seulement la signification mais aussi le signe est un fait de conscience pur » (BPG, carton 17, IIa, f. 4 ; Science du langage, 53.2.5, p. 116 ; ELG, p. 19). La conscience est ainsi l’élément clé qui fait que le sujet parlant reconnaît des signes et donne sens à la langue. « Fait de conscience pur », à interpréter ici comme « pur fait de conscience » : porté par l’« intention », le « sens » que la conscience y trouve dans l’instant.
20Analysés sous l’angle de la conscience, se découvrent d’autres processus à l’œuvre pour la reconnaissance et la délimitation des unités linguistiques. Dont, surprise : la transformation des « différences » en « unités positives ».
Comme il n’y a aucune unité (de quelque ordre et de quelque nature qu’on l’imagine) qui repose sur autre chose que des différences, en réalité l’unité est toujours imaginaire, la différence seule existe. Nous sommes forcés de procéder néanmoins à l’aide d’unités positives, sous peine d’être dès le début incapables de maîtriser la masse des faits. (Science du langage, 87.4.119, p. 163 ; ELG, p. 83)
21Développement étonnant, qui conduit à penser que le sens serait à la fois négatif et positif…
22Balancement en tout cas entre conscience et esprit, entre lesquels se dessine çà et là une différence : « le lieu du mot, la sphère où il acquiert sa réalité, est purement l’ESPRIT, qui est aussi le seul lieu où il ait son sens » (Science du langage, 52.5.174, p. 112 ; autre lecture, ELG, p. 83). « L’esprit » tend à apparaître ici comme le lieu − l’instance − où se forme l’appréhension du mot : « l’existence qu’on peut accorder au signe n’est pas ailleurs, en principe, que dans l’association qui en est faite par l’esprit avec une idée » (Science du langage, 31.3.97-98, p. 79 ; voir aussi p. 112 ; ELG, p. 54). « La conscience » jouant davantage comme un principe dynamique, propre à lui faire reconnaître des sens :
On peut après cela discuter pour savoir si la conscience que nous avons du mot diffère de la conscience que nous avons de son sens ; nous sommes tenté de croire que la question est presque insoluble, et parfaitement semblable à la question de savoir si la conscience que nous avons d’une couleur dans un tableau diffère de la conscience que nous avons de sa valeur dans l’ensemble du tableau : on appellera peut-être dans ce cas la couleur un ton, et le mot une expression de l’idée, un terme significatif, ou simplement encore un mot, car tout paraît être réuni dans le mot mot ; mais il n’y a pas de dissociation positive entre l’idée du mot et l’idée de l’idée qui est dans le mot. (Science du langage, 52.5.174, p. 112 ; ELG, p. 83)
23Renvoyant à l’idée qu’il désigne, un mot se confond pour la conscience en un tout. Saussure dit ailleurs : en un signe.
24On observe progressivement dans les manuscrits des années 1890 que le « signe », comme forme, ne peut apparaître comme séparé de l’« idée », du sens que le sujet parlant donne aux éléments d’une langue. Forme et sens ne font qu’un à la conscience du sujet parlant. Ce qui peut donner l’impression contraire est d’une part l’exercice de la morphologie, qui consiste à analyser, souvent séparément, le mot comme une « forme » à laquelle correspond une « signification ». D’autre part, et corrélativement, l’observation de l’évolution d’un signe dans le temps, qui « ne saurait être soutenue qu’en isolant le signe de sa signification » (ELG, p. 54). Ce que Saussure nomme « l’existence deuxième du signe ». « Existence deuxième » à distinguer de « l’existence » tout court, qui est celle qu’on attribue sur l’instant à un signe et qui le fait exister comme signe (Science du langage, 31.3.97-98, p. 79 ; ELG, p. 54). La description du signe rejoint ici une autre constante de la pensée de Saussure : celle de l’évolution du signe dans le temps. Pour les sujets parlants, une langue ne se comprend que dans l’instant, indépendamment de la suite des temps. D’où la « nécessité de respecter complètement l’instant, et uniquement l’instant » (Science du langage, 31.3.97, p. 78 ; ELG, p. 54). Cela, au moins pour deux raisons : pour analyser et comprendre une langue à partir de son lieu véritable : celui du sujet parlant ; et pour en faire l’analyse dans un « état de langue » donné. Car « l’instant » est « le domaine de la morphologie, de la syntaxe, de la synonymie, etc. » (ibid.). Pourquoi ici la « morphologie » ? Parce qu’il faut, pour comprendre une langue, pouvoir associer forme et sens. Il faut pouvoir en comprendre sur l’instant mots et suite de mots, leur ordonnancement dans la « syntaxe », en saisir la « synonymie » sur le vif : dans l’instant, et non sur plusieurs siècles. Saussure écrit ailleurs : dans l’« état conscient » ; et non dans l’« état historique »…
25La meilleure manière de se représenter le mot est ainsi « de comprendre que le mot pas plus que son sens n’existe hors de la conscience que nous en avons ou que nous voulons bien en prendre à chaque moment » (Science du langage, 52.5.172-174, p. 111 ; ELG, p. 83). Par ironie et sans doute pour se prémunir de certaines critiques de l’époque qui reprochent à la linguistique et à la psychologie de sombrer parfois dans la métaphysique, Saussure ajoute en marge : « Nous sommes très éloignés de vouloir faire ici de la métaphysique » (ibid.).
3. « À la conscience du sujet parlant, tout est concret »…
26L’appréhension du mot en une forme et un sens étroitement associés est une des constantes de la réflexion de Saussure. Constatation qu’il tire de l’exercice de la comparaison des langues, qui force à distinguer forme et sens et à en reconstituer l’association sur des années, voire des siècles. Saussure éprouve à mesure la nécessité d’entrer dans la description du signe, en raison de la symétrie qu’il voit entre ses deux « composants » ; indiquant « qu’il y a une chose matérielle, physique, qui est le mot ; et une chose immatérielle, spirituelle qui est son sens » (Science du langage, 52.5.172-174, p. 111 ; ELG, p. 83).
27Sans doute, la réflexion sur les rapports entre signe et pensée et la pratique de la morphologie (qui tend à dissocier forme et sens) ont conduit Saussure à examiner un troisième rapport : le rapport entre forme et idée dans le signe, c’est-à-dire réunis en un tout. Cela, en abordant plus spécialement « la relation intérieure du signe avec l’idée » (Notes pour un article sur Whitney, novembre 1894, ELG, p. 208).
28Saussure décrit dans plusieurs de ses manuscrits comment nous appréhendons le signe. D’abord à partir d’une forme : « Une forme est une figure vocale qui est pour la conscience des sujets parlants déterminée, c’est-à-dire à la fois existante et délimitée » (Science du langage, 64.2.51, p. 131 ; ELG, p. 35). Ce n’est que progressivement – par la répétition – qu’elle est reconnue comme douée de sens, selon une gradation qui va de la « corrélation » de sons et de suites de sons associés à des « significations » (BPG, carton 17, IIIc ; ELG, p. 25). Conviction qui s’affirme progressivement dans les manuscrits : le signe linguistique ne se résume pas à un son matériel ou à un élément graphique. Il ne forme pas non plus, à lui tout seul, une idée. Il est tout à la fois l’un et l’autre. C’est cette « relation intérieure » que Saussure s’efforce d’élucider (ELG, p. 238).
29La conviction qu’on ne peut valablement analyser un fait linguistique si on ne saisit conjointement forme et sens dans un état de langue donné a conduit Saussure à entrer dans l’analyse du signe. La pratique de la morphologie et la réflexion sur ses méthodes ont été pour cela déterminantes. Il indique très tôt : « La morphologie est la science qui traite des unités de sons correspondant à une partie de l’idée et du groupement de ces unités » (Note sur la morphologie, 1891-1894, ELG, p. 182 ; Godel 1957, p. 41). Pour lui, on ne peut traiter des sons comme des unités que par rapport au sens qu’on leur reconnaît, c’est-à-dire selon le point de vue « morphologique ». Son et sens étroitement associés forment ainsi véritablement signe : « la langue n’a conscience du son que comme signe » (ibid.). « La langue » : à savoir ici le ou les sujets parlants. « Signe » : ce que Saussure conçoit peu à peu comme un tout constitué d’une forme et d’un sens indissociables et qu’il théorisera dans l’association d’un signifiant et d’un signifié (leçon du 19 mai 1911).
30Au fil des développements, le signe se retrouve peu à peu au centre de l’analyse, au point de fonder ce que Saussure nomme et définit comme une « sémiologie », entendue comme « science des signes ». Sémiologie, propre à donner à la langue son véritable « horizon ». Pour Saussure en effet, ce qui est pertinent dans la langue se définit dans la perspective de la sémiologie, science des signes, qui saisit forme et sens : « point de vue sémiologique (ou du signe-idée) » (ELG, p. 21). Au point qu’un fait linguistique ne vaut que s’il est sémiologique, fondé sur l’association étroite d’une forme et d’un sens. La sémiologie rejoint ici la morphologie, jusqu’à coïncider avec elle : « un fait sémiologique (ou si l’on préfère morphologique) » (Science du langage, 116.3.77, p. 212 ; ELG, p. 47).
31La conscience que le sujet parlant se fait des formes, des mots, des signes et la description qu’on peut en faire conduisent à une autre question, que les manuscrits ne cessent de retravailler : dans les faits linguistiques, que considérer comme réel ? Tout dans la langue formant différences et oppositions, il ne semble en émerger que de fugitives valeurs relatives et négatives. Mais la perspective change si l’on pose la question autrement, en s’interrogeant par exemple sur un point de morphologie. Ainsi : « Y a-t-il des préfixes en français ? Cela ne signifie pas : y en a-t-il eu, ou bien les grammairiens en distinguent-ils, mais y a-t-il des préfixes présents à la conscience de ceux qui s’en servent ? Certainement » (Cours I, notes de Riedlinger, début 1907, Saussure 1993, p. 99). La preuve que des préfixes sont réels, présents à la conscience du sujet parlant, c’est qu’ils sont à disposition, créateurs, vivants :
Quelle est la preuve absolue, péremptoire que des préfixes sont vivants ? Ce ne sera que la création analogique ; c’est parce que je puis former : redémissionner, recontempler, sans les avoir jamais entendus […]. Et cela n’aura lieu qu’à propos de la parole sans que je réfléchisse, sans que je veuille dire recontempler, etc., donc ces préfixes sont bien vivants. (ibid.)
32Ainsi, à l’occasion de la parole, suis-je amené à dire des choses « sans que je réfléchisse »…
33Le sujet parlant se révèle ainsi créateur, car rapprochant et associant les formes entre elles, il est libre de faire acte de création sur les ailes de l’analogie. Cela, même sans y prendre garde. Fait remarquable chez Saussure : la grande liberté attribuée au sujet parlant dans sa parole, qu’illustrent certaines recompositions populaires, du type surdité → sourdité…
34De là, plusieurs conséquences. Ainsi, le « côté statique » devient moins figé : c’est « le côté de la langue où chacun est chez lui, dont il a le sens immédiat, le contrôle ». Belle manière de se sentir chez soi, dans sa langue ! Le « côté statique » s’oppose au « côté historique », qui échappe « à notre sens linguistique immédiat » et qui est affaire de grammairien (ibid., p. 44). Ou encore, si l’on s’interroge sur la façon dont un phénomène comme la langue, quoique fondé sur l’arbitraire, peut exister : le recours ultime, dans la mesure où il n’y a pas de rapport entre signe et objet à désigner, entre mot et signification, entre son et sens, réside dans les « sujets parlants ». Ce sont eux en effet qui confèrent valeur aux signes, par la conscience qui leur prête sens. De fait, la conscience est dépositaire du réel, du concret, de ce qui est « réalisé » et finalement vivant dans la langue.
35Fait déterminant : le recours à la « conscience » se trouve çà et là relayé dans les manuscrits par le « sentiment de la langue » (Note sur la morphologie, 1891-1894, ELG, p. 195 ; datation, Godel 1957, p. 27). « Sentiment de la langue », qui rend compte de la façon dont les sujets parlants perçoivent la langue, mais aussi de la manière dont ils la créent. Au point que la conscience des sujets parlants se confond avec la « réalité » en linguistique : « Je rappelle : Réalité = fait présent à la conscience des sujets parlants » (ELG, p. 186-187).
36La « conscience », concept psychologique, a ainsi tendance à basculer en un concept linguistique : le « sentiment de la langue »…
37Point essentiel : le recours au « sentiment de la langue » n’est pas simple affaire de psychologie. C’est l’un des critères auxquels le linguiste doit avoir recours dans l’élaboration de ses méthodes. Son travail doit se guider sur le sentiment du sujet parlant, et plus largement, « des sujets parlants », sous peine de se perdre en abstractions ou en considérations historiques. L’analyse doit en effet procéder par « états de langue ». Et cela, dans un état de langue donné, aussi bien présent que passé. Ainsi des mots comme infans et integer : « au premier siècle infans et integer comportent une analyse au sentiment de la langue in-fans, in-teger ». Alors que ce n’est plus le cas à l’époque moderne, où « enfant, entier ne comportent au xixe siècle et depuis longtemps aucune analyse au sentiment de la langue, parce qu’il n’y a pas de point de comparaison » (Note sur la morphologie, 1891-1894, ELG, p. 195). « Sentiment de la langue » entendu ici comme l’intuition que peuvent avoir les sujets parlants de la composition des mots…
38En tout état de cause, même pour les langues anciennes, il apparaît vain, le plus souvent, de s’ingénier à manier des formes qui n’ont parfois jamais existé : « Avant tout, et avant de venir nous parler d’abstractions, il faut avoir un critérium fixe touchant ce qu’on peut appeler réel en morphologie. Criterium : Ce qui est réel, c’est ce dont les sujets parlants ont conscience à un degré quelconque » (ibid., p. 183). Prendre garde, ici, à la nuance : « à un degré quelconque » rejoint l’une des thématiques des conférences de 1891, celle du rôle de la volonté dans la langue, mesuré à l’aune de la conscience. Ainsi : « il y a beaucoup de degrés connus, comme nous le savons, dans la volonté consciente ou inconsciente » (Première conférence à l’université de Genève, novembre 1891, ELG, p. 150). Ou bien encore, à propos du « changement analogique », qu’on doit aborder « toujours en se rappelant que la notion de conscience est éminemment relative » (Deuxième conférence à l’université de Genève, novembre 1891, ELG, p. 159). Le « sentiment de la langue » rend donc non seulement compte de la façon dont formes et significations viennent à des degrés divers à la conscience des sujets parlants. Mais il se mue aussi en un principe méthodologique, grand inspirateur et fil conducteur de la méthode en linguistique.
39Situer le « réel » en linguistique en rendant dépositaire de ce « réel » la conscience du ou des sujets parlants permet aussi de mieux cerner l’apport d’autres disciplines à la linguistique : « philologie, psychologie, physiologie, anthropologie, etc. ». Car si on voulait en saisir ce qui peut contribuer à la linguistique, il faudrait, pour leur assigner leur « véritable place dans la langue », « prendre ce qui apparaît essentiel au sentiment » (Cours II R12, notes de Riedlinger, 12 novembre 1908, Saussure 1957, p. 14).
40Ainsi, « conscience du sujet parlant », « conscience des sujets parlants », « sentiment de la langue », « réalité » concourent à situer ce qui est « concret » et tendent à construire ce qui peut être considéré comme « réel » dans la langue. De fait, sur ce réel s’élabore ce qui est concret : « à la conscience du sujet parlant, tout est concret » (Notes pour le Cours III, printemps 1911, ELG, p. 327). Cela, répercuté dans les notes de l’étudiant Constantin : « dans la langue est concret tout ce qui est présent à la conscience des sujets parlants » (Saussure 1993, p. 229).
41« Sujets parlants » acquiert un statut particulier. Ce n’est pas la volonté en tant que telle, mais davantage la conscience, avec ses « degrés », qui permet, pour Saussure, de dessiner un sentiment de la langue. Les grands mouvements de la langue, leur évolution, particulièrement en matière phonétique, ayant tendance à être rejetés à l’époque hors de la portée des sujets parlants.
42D’autres conséquences de l’importance accordée par Saussure à la conscience se dessinent dans les manuscrits, notamment dans le statut qu’il donne au « fait acoustique » (ELG, p. 238, 249). À savoir au son entendu, plutôt qu’au son prononcé. Prééminence est donnée à l’aspect acoustique, car c’est lui qu’interprète en priorité le sujet parlant :
Autant que nous entendons, nous parlons. Oui, Messieurs, sans doute, mais jamais autrement que d’après l’impression acoustique non seulement reçue, mais reçue dans notre esprit, et qui est souveraine seule pour décider de ce que nous exécutons. C’est elle qui dirige tout, c’est elle qu’il suffit de considérer pour savoir qu’elle sera exécutée. (Notes de phonologie, 1897 ?, ELG, p. 247)
43Ce qui n’empêche pas cette autre constatation, faite à propos de l’écriture et de l’image que les mots peuvent laisser, qui transporte un peu plus loin vers les mécanismes à l’œuvre chez les sujets parlants : « pour la majorité des individus, il y a une préférence donnée aux impressions visuelles sur les impressions acoustiques » (Cours III, notes de Constantin, début 1911, Saussure 1993, p. 143).
44Au fil de ces développements, on est amené à s’interroger sur le balancement, dans les manuscrits, entre « conscience du sujet parlant » et « conscience des sujets parlants ». De fait, une continuité se dessine de l’une à l’autre. La « conscience du sujet parlant » émane – surtout dans les derniers cours – de l’analyse que fait Saussure des « opérations » à l’œuvre chez un même individu, au plus près du « cerveau » (ELG, p. 212). C’est là aussi une façon d’approcher l’analyse du signe : « On est porté, quand on veut approfondir le signe, à étudier son mécanisme chez l’individu, à analyser les opérations mentales et physiques qu’on peut saisir chez l’individu », soit, comme l’étudiant Gautier le note ici, « le processus psychologique » (Cours II R19, notes de Riedlinger et de Gautier, 16 novembre 1908, Saussure 1957, p. 21). Cette approche permet aussi d’élargir l’observation aux mécanismes intervenant entre deux sujets parlants, telle qu’elle est développée dans les cours de linguistique générale de 1907-1909 (Cours I et II).
45La « conscience des sujets parlants », quant à elle, élargit l’analyse, inscrivant la langue non seulement dans sa dimension psychologique, mais aussi dans sa dimension sociale, au sein d’une « collectivité ». De l’individu à la collectivité : c’est là une des voies qui a conduit Saussure à affirmer la dimension sociale de la langue et à ouvrir l’analyse linguistique vers une « science des signes », à laquelle il donne nom de « sémiologie ».
46L’attention portée à la description, au plus près du « cerveau », à la « conscience » du ou des sujets parlants, a plusieurs conséquences. Notamment, elle permet d’expliquer en quoi le système d’une langue tient, malgré les évolutions qui tendent à la transformer. En face des « changements phonétiques », que Saussure renvoie à une évolution « aveugle », comme les néo-grammairiens, les « sujets parlants » ne cessent d’attribuer sens et valeur aux unités de la langue. Processus de compensation qu’illustrent notamment les associations analogiques qui, si elles contribuent elles aussi à l’évolution de la langue, ne cessent à leur tour d’en compenser la dérive.
4. Le « classement intérieur »
47Les cours de linguistique générale de 1907 font état d’un développement essentiel pour approcher les mécanismes en jeu chez le sujet parlant : le « classement intérieur ». De fait, c’est le « sujet parlant » qui attribue à un « élément linguistique » « une valeur », un « sens net » (Cours I, notes de Riedlinger, début 1907, Saussure 1996, p. 98 ; Godel 1957, p. 231). C’est lui qui associe les éléments et leur donne sens, par ce que Saussure appelle le « classement intérieur » :
La nécessité d’un classement, d’un ordre quelconque est une nécessité a priori, même sans mettre en avant la psychologie. Comme premier élément de cet ordre nous devons poser : l’association primordiale entre forme et idée et groupe d’idées : puis une autre association, sans laquelle la première ne pourrait pas exister : l’association de forme à forme, des formes entre elles. (Cours I, notes de Riedlinger, début 1907, Saussure 1996, p. 93)
48Ainsi, le sujet parlant associe primordialement des formes assorties de leurs idées. Il associe également les formes entre elles. Les idées s’associant par ailleurs entre elles. Ces associations se révèlent inséparables les unes des autres, particulièrement entre formes et idées. Qui ne font qu’une dans la présentation suivante :
forme | forme | – | forme | – | forme | ||
idée | = | (forme) | – | (forme) | – | (forme) | |
(idée) | (idée) | (idée) |
49Saussure précise : « les deux tableaux se ramènent à un seul : dans toute association de formes le sens y joue son rôle » (ibid., p. 92-93). Il indique un peu plus loin qu’il s’agit finalement là de l’association de « signes » entre eux (forme-idée).
50Ainsi, plusieurs types d’association sont à l’œuvre chez le sujet parlant : entre forme et idée ; entre groupes d’idées ; entre formes. Finalement entre signes. Comment se font ces associations ? « Prenons l’association de forme à forme : Deux mots comme chapeau, hôtel sont dans deux cases séparées ; avec chapeau, chapelier nous n’en dirons pas autant, de même pour hôtel, hôtelier » (p. 93 ; Godel 1957, p. 58). Les mots se trouvent ainsi regroupés dans des « cases » différentes, plus ou moins voisines. Et si les deux « tableaux » se ramènent à un seul
(forme – forme - forme… et | forme) | – | (forme) | – | (forme) |
(idée) | (idée) | (idée), |
51c’est qu’il faut là aussi considérer chaque forme accompagnée de l’idée qui lui est associée : c’est-à-dire chaque signe avec les formes et les idées qui lui sont associées.
52Le travail d’« association » et de « classement » chez le sujet parlant concourt donc à créer un ordre dans ce qui ne serait autrement qu’un vaste chaos. De fait : « Si la masse de formes qui composent la langue pour chaque individu ne restait qu’un chaos dans chaque tête, <la parole et le langage seraient inconcevables> ». Chaos, d’ailleurs, au principe même du langage. Car « il n’y a de donné que la diversité des signes combinée indissolublement et d’une façon infiniment complexe avec la diversité des idées » (Science du langage, 3.87, p. 143).
53Fait important : la répartition des mots dans des cases différentes met en lumière deux « ordonnances ». Saussure indique : « Seulement il y a deux ordonnances très diverses pour ce classement interne et l’usage qui en sera fait dans la parole ; nous aurons à opposer 1° l’ordonnance que prennent les unités du langage dans la parole et après cela 2° les principaux groupements existant dans la sphère de la langue elle-même » (Science du langage, p. 93-94). De cette façon se forment dans l’esprit des « séries » différentes. C’est par un faisceau de rapprochements avec d’autres signes que se mettent en place unités et « sous-unités » : « Le sens du mot est fixé parce qu’il est entouré d’analogues qui font voir le sens partiel en fournissant une série de nouvelles unités inférieures au mot » (p. 95).
54Démonstration magistrale, qui engage sur la voie de la méthodologie en linguistique : le classement intérieur que fait le sujet parlant se révèle analogue à celui que fait consciemment le grammairien. Sauf que ce dernier tient compte de l’histoire. La démarche du grammairien doit donc s’appuyer en priorité sur la reconstitution consciente de l’activité du sujet parlant. Cette dernière est souvent remplacée chez Saussure par « la langue », conçue comme une sorte d’entité plus ou moins consciente et perceptive. Il parle ainsi de « la conscience de la langue », voire indique que « la langue perçoit » (p. 96, 97 et passim). C’est sur cette « conscience de la langue », à savoir la façon dont le sujet parlant perçoit la langue, que doit s’appuyer le grammairien. Phénomènes non pris en compte par les lois phonétiques et échappant largement à la volonté du sujet parlant. Une porte s’ouvre ici largement sur l’inconscient…
55Saussure articule à ce moment deux types de relations qui s’établissent dans la « sphère de la parole » et dans la « sphère de la langue ». Dans la parole, les unités se déploient de façon linéaire sur la chaîne parlée. Dans la langue, les relations s’établissent entre séries de formes, que l’esprit associe largement :
Je vois que dans les deux sphères il y a deux ordonnances correspondant à deux sortes de relations : d’une part il y a un ordre discursif, qui est <forcément> celui de chaque unité <dans la phrase ou dans le mot (signi-fer)>, puis un autre, l’ordre intuitif qui est celui des associations (comme signifer, fero, etc.) qui ne sont pas <dans le système linéaire, mais que l’esprit embrasse d’un seul coup>. (p. 97)
56Distinction fondamentale que les linguistes reprendront par la suite sous la forme d’« axe syntagmatique » (formule qui figure dans les manuscrits autographes de Saussure) ; et d’« axe paradigmatique », expression absente des manuscrits, même s’il arrive à Saussure d’utiliser le terme de « paradigme » à propos de l’ensemble des unités que forme une conjugaison.
57À propos de l’ordre discursif, qui permet d’envisager l’enchaînement des éléments dans la phrase, Saussure indique :
De ce principe dépend tout un ordre de relations dont un bon nombre seront de syntaxe. Cet ordre, la langue l’abstrait par l’analyse aussi bien que les unités elles-mêmes ; pas un instant la forme n’est appréciée en dehors de son sens. Cette question d’un ordre inévitable est liée intimement à l’appréciation de choses comme radicaux, suffixes, etc. (p. 98)
58Cela, perçu par le sujet parlant, même s’il n’est pas grammairien : chacun d’entre nous étant en effet, à sa façon, grammairien de sa propre langue.
59L’« ordre discursif », ordre du discours sur lequel se déploient les unités linguistiques auxquelles a recours le sujet parlant, entraîne tout un ensemble de conséquences. Dont celles de la délimitation des unités, de leur organisation syntaxique, de leur compréhension par le sujet parlant. Ainsi que de leur sélection dans la parole, puisque les unités utilisées par le sujet parlant dépendent des unités présentes dans l’« ordre intuitif », à disposition du sujet parlant et auxquelles il décide d’avoir recours.
5. La valeur comme effet de la conscience dans la langue
60L’analyse s’approfondit lors de la deuxième session de cours de linguistique générale (1908-1909). Après un développement sur la question de l’arbitraire, de la valeur, de la « nature du signe », Saussure aborde « la langue considérée en nous-mêmes », mais aussi entre « au moins deux individus ; à un seul, la langue ne servirait de rien. La langue est faite pour communiquer avec ses semblables. Enfin, ce n’est que par la vie sociale que la langue reçoit sa consécration » (Cours II R4, notes de Riedlinger, début novembre 1908, Saussure 1957, p. 8).
61La langue est donc « une chose éminemment sociale », qui s’exprime dans la « parole » : « l’acte de l’individu réalisant sa faculté au moyen de la convention sociale, qui est la langue » (ibid). « Parole » conçue ici non plus seulement dans sa dimension psychologique, mais dans sa dimension sociale. De l’individuel au social, et l’inverse : pour assigner à chaque fait sa « véritable place dans la langue », « il faut prendre ce qui apparaît essentiel au sentiment » (Cours II R12, notes de Riedlinger, 12 novembre 1908, Saussure 1957, p. 14). C’est à partir de là qu’il est possible d’envisager l’étude des signes, mais dans une perspective élargie, qui déborde le seul sujet parlant : dans un système et dans une science des signes. « N’est-il pas évident qu’avant tout la langue est un système de signes, et qu’il faut recourir à la science des signes, qui nous fait connaître en quoi peuvent consister les signes, leurs lois, etc. » (ibid., p. 14-15). La « sémiologie » se trouve ici appréhendée dans l’horizon de la langue : « Ce serait une sémiologie » (ibid.). C’est l’une des grandes voies ouvertes par Saussure, à savoir l’affirmation de la dimension sociale de la langue, envisagée notamment au sein d’une science des signes, dans laquelle la linguistique est incluse. De fait, la valeur que les sujets parlants confèrent aux signes se révèle comme intrinsèquement sociale. Ainsi : « la valeur n’est décernée que par la force sociale qui la sanctionne » (Cours II R25R, notes de Bouchardy, fere Riedlinger, 23 novembre 1908, Saussure 1957, p. 27).
62Dans cette perspective, il est nécessaire d’approfondir ce qu’il en est du signe en lui-même. Intégrant forme et idée en un tout, le signe est partie prenante d’un système : « Un signe appelle l’idée, dépend d’un système de signes (voilà ce qui est négligé), tous les signes sont solidaires » (Cours II R18, notes de Gautier, 16 novembre 1908, Saussure 1957, p. 20). Et « ce système, en se transmettant, s’altère dans son matériel, ce qui altère le rapport du signe à la pensée » (Cours II R21, notes de Riedlinger, 16 novembre 1908, Saussure 1957, p. 23). Du fait qu’une langue se transmet, il y a insensiblement disjonction des signes à la pensée, à ce qu’ils expriment : conséquence de l’évolution historique. De fait, le signe est double et a rapport à la pensée : « Ce rapport du signe à la pensée est précisément ce qu’est le signe : non pas la suite des syllabes, mais un être double constitué par une suite de syllabes dans la mesure où on y attache une signification déterminée » (ibid., p. 24). L’image de la feuille de papier vient appuyer la démonstration : « On pourrait représenter cette correspondance par la comparaison que voici : on ne peut découper le recto d’une feuille <de papier> sans le verso. On ne peut prendre l’un des deux que par abstraction » (ibid.). Limite de l’image cependant : si on ne peut disjoindre un recto de son verso, il est cependant possible de disjoindre une suite de syllabes de sa signification…
63La fin de cette session de cours porte essentiellement sur la notion de valeur et de système, tant il apparaît que « dans tout système comme la langue il n’y a rien d’autre que des valeurs » (Cours II R50, notes de Riedlinger, 7 décembre 1908, Saussure 1957, p. 48). Pour pouvoir situer les valeurs dans la « sphère systématique » qu’est la langue, il faut cependant fixer au moins deux éléments de méthode.
64Le premier impose de revenir aux « deux grandes balances » : la « balance synchronique » et la « balance diachronique » (ibid.). De fait, « ordre diachronique équivaut à déplacement des valeurs » dans le temps, « c’est-à-dire déplacement des unités significatives » (Cours II R59, notes de Riedlinger, 10 décembre 1908, Saussure 1957, p. 56). Alors que l’« ordre » « synchronique », ou plus précisément « idiosynchronique » (propre à une langue) « est un équilibre déterminé des valeurs tel qu’il s’établit de moment en moment » (ibid.). C’est donc selon l’un ou l’autre ordre − dans le temps ou à un moment du temps − qu’il est possible de délimiter des unités, en fonction des valeurs qu’en interprètent les sujets parlants. Ainsi, « au point de vue diachronique », chose s’oppose au latin causa : « rapport diachronique » (Cours II R64, notes de Riedlinger, 14 décembre 1908, Saussure 1957, p. 59). Mais « au point de vue synchronique », on ne peut délimiter chose dans la chaîne parlée que si on a conscience que chose forme une unité, un mot, à part entière : que si on lui attribue une valeur. Affirmation fondamentale : on ne délimite une unité dans la chaîne parlée que par la conscience qu’on peut avoir de sa valeur. Sinon, « ce n’est pas une valeur, parce que cela n’a pas de sens » (ibid., p. 58). Ainsi, délimiter une unité revient à avoir conscience qu’elle forme une valeur, et qu’elle est de ce fait porteuse de sens…
65Mais la valeur ne se détermine pas par le simple « jeu réciproque » de la diachronie et de la synchronie (Cours II R60, notes de Riedlinger, 10 décembre 1908, Saussure 1957, p. 61). Second élément de méthode après la « balance synchronique » et la « balance diachronique » : il est nécessaire de se tourner vers « la perspective des sujets parlants » (Cours II R85, notes de Riedlinger, 21 décembre 1908, Saussure 1957, p. 75). De fait, « il n’y a pas d’autre méthode que de se demander quelle est l’impression des sujets parlants. Pour savoir dans quelle mesure une chose est, il faudra rechercher dans quelle mesure elle est dans la conscience des sujets parlants, elle signifie. Donc, une seule perspective, méthode : observer ce qui est ressenti par les sujets parlants » (ibid.). « Impression », « ressenti », « conscience des sujets parlants » : toutes formulations qui concourent à situer l’analyse et à éviter de traiter d’abstractions. Pour Saussure, c’est à partir du « sentiment » des sujets parlants qu’il est possible d’avancer dans la méthode. Et c’est à partir de ce que les sujets parlants considèrent comme ayant un sens, par « rapprochements », « différences », « associations », qu’il est possible de conduire l’analyse linguistique. Ainsi des « divisions qu’on peut être conduit à faire dans le champ synchronique ». Le champ synchronique est en effet « composé de l’ensemble des différences significatives ». La « linguistique synchronique s’occup[ant] du jeu de ces différences significatives. Il est identique, en réalité, de parler de choses synchroniques ou de parler de choses significatives » (ibid.). Voilà donc le programme pour le linguiste qui travaille en synchronie, dans un état de langue donné : dégager les unités ayant un sens pour les sujets parlants.
66La valeur apparaît ainsi, dans l’analyse qu’en fait Saussure à cet endroit, non pas seulement comme la résultante du jeu des éléments du système. Mais comme effet de la conscience dans la langue : « valeur » étant plus apte à représenter le sens variable que prennent les unités en contexte dans la mise en œuvre du système de la langue. Prend-on le mot comme unité : la négation pas est historiquement identique au substantif pas ; mais synchroniquement, l’identité a disparu, ce sont deux mots différents : « Nous sommes devant deux valeurs. Il n’y a pas identité » (Cours II R55, notes de Riedlinger, 7 décembre 1908, Saussure 1957, p. 51-52). Le sens est donc lui aussi déterminé par la valeur, qui détermine tout le reste : « La valeur, ce n’est pas la signification. La valeur est donnée par d’autres données ; elle est donnée, en plus de la signification, par le rapport (avec d’autres idées G), par la situation réciproque des pièces de la langue » (Cours II R52, notes de Riedlinger, 7 décembre 1908, Saussure 1957, p. 49).
67Cette valeur ne se réduit donc pas à une simple algèbre ou à un système figé, comme pourrait le donner à penser l’image du jeu d’échecs, qui a cependant le mérite d’exemplifier la démonstration : « La comparaison du jeu d’échecs n’est pas sans intérêt : la valeur de chaque pièce ressort d’un système (ensemble) complexe de conditions, plutôt que de la valeur propre à chaque pièce » (ibid., p. 47).
68Mais dans la langue, la valeur de chaque pièce, de chaque unité linguistique, est double, prise entre pensée et son : « le rôle caractéristique du langage vis-à-vis de la pensée, ce n’est pas d’être un moyen phonique, matériel ; mais c’est de créer un milieu intermédiaire entre la pensée et le son (G), de telle nature que le compromis entre la pensée et le son aboutit d’une façon inévitable à des unités particulières » (Cours II R37, notes de Riedlinger et de Gautier, 30 novembre 1908, Saussure 1957, p. 37). Aussi, ne pas considérer pensée et son séparés, mais au contraire « combinés », réalisant ce « fait, en quelque sorte mystérieux, que le son-pensée (G) ou pensée-son implique des divisions qui sont les unités finales de la linguistique » (ibid., p. 38). Voilà où situer les unités finales : dans cet ensemble constitué d’un son et d’une pensée, d’une pensée et d’un son, réunis en un signe.
69Saussure développe à cet endroit ce qu’il entend par « linguistique statique » (c’est-à-dire « synchronique »). Illustrant pleinement la dualité du signe entre son et sens : « Si on veut donner du phénomène synchronique une formule adéquate : opposition de son utilisée pour une opposition de sens » (Cours II R74, notes de Riedlinger, 17 décembre 1908, Saussure 1957, p. 67). Chaque unité constituant des rapports, car « tout est rapport » (ibid., p. 68). Et pour Saussure, « il n’y a que le synchronique qui forme le système, qui puisse le former » (p. 69). Système particulier, serré, interdépendant, en équilibre permanent : « aucun système n’est serré comme la langue : serré implique précision des valeurs (la moindre nuance change les mots) ; multiplicité des genres de valeurs ; multiplicité immense des termes, des unités en jeu dans le système ; réciproque et stricte dépendance des unités entre elles ». Ainsi, dans la langue « tout est un système » (ibid.). Dans le système de la langue tout est multiple : termes, unités, valeurs… De fait, « valeur » doit se comprendre de plusieurs façons : résultante du jeu des éléments (« termes ») entre eux, des relations entre les unités, des significations que leur donnent le sujet parlant et au-delà, les sujets parlants, ouvrant à la dimension sociale de la langue.
70Ce travail du sens étant à appréhender et à interpréter également dans le champ de… ce qui est ressenti. Ainsi : « Dans le champ synchronique, il ne peut exister que des choses significatives : ce qui existe, c’est ce qui est ressenti. Ce qui n’est pas ressenti n’est qu’une invention de grammairien. N’est significatif, d’autre part, que ce qui a une différence (ou les faits synchroniques) pour s’exprimer » (Cours II R85, notes de Riedlinger, 21 décembre 1908, Saussure 1957, p. 75-76). On arrive là au cœur de la théorie de Saussure, à l’objet de la linguistique selon lui : « le jeu des différences significatives comme exprimant l’objet de la linguistique » (ibid., p. 76). Cela, du point de vue du système ; mais aussi du point de vue des sujets parlants, qui ne cessent d’interpréter des valeurs. La valeur se retrouve ici à l’intersection des opérations mises en œuvre par les sujets parlants. De fait, ceux-ci associent mots et unités sous forme de « groupe » (groupes de mots) et de « groupements » (Cours II R89, notes de Riedlinger, 11 janvier 1909, Saussure 1957, p. 79). Termes relativement généraux et neutres qui n’impliquent pas nécessairement d’arrière-plan psychologique.
71Dans l’ordre intuitif, à savoir des mots et unités qui peuvent se présenter à la pensée, les sujets parlants opèrent par « groupes au sens de familles », mobilisant les unités utilisables sur un « axe mentalement existant comme dans un nuage, pensé dans une conscience latente » (ibid., p. 85). « Dans l’ordre intuitif », les sujets parlants ont ainsi en tête, « comme dans un nuage », des unités qu’ils peuvent utiliser. L’image du nuage se trouve spécifiée par une formule qui la précise : les unités de la langue se présentent chez les sujets parlants comme « dans une conscience latente » (Cours II R96, notes de Riedlinger, 14 janvier 1909, Saussure 1957, p. 84). Revoilà la conscience, mais dans un état de latence qui ne lui est guère reconnue à l’époque dans les milieux de la psychologie. Ainsi par Théodore Flournoy, en guerre contre l’idée d’une « activité psychique inconsciente », qui conduit à « dire par exemple qu’entre les phénomènes exclusivement physiques et les phénomènes de conscience, il y a des phénomènes turlututus qui ne sont ni l’un ni l’autre » (1890, p. 90).
72Quoi qu’il en soit, le sujet parlant est amené à mobiliser les unités présentes dans l’ordre intuitif. Cela, en les associant, « dans l’ordre discursif », par « groupes au sens de syntagmes » résultant du groupement effectif des unités sur la « ligne parlée ». À savoir sur l’« axe syntagmatique » (Cours II R96, notes de Riedlinger, 14 janvier 1909, Saussure 1957, p. 85 ; ibid, p. 94). De fait : « Nous parlons uniquement par syntagmes, et le mécanisme probable est que nous avons ces types de syntagmes dans la tête, et qu’au moment de les employer, nous faisons intervenir les groupes d’association » (Cours II R93, notes de Gautier, 11 janvier 1909, Saussure 1957, p. 82). Affirmation fondamentale sur la manière dont nous parlons et pensons les langues. Voire, les rêvons : il suffit de penser aux phrases et bribes de phrases que nous entendons ou formulons dans nos rêves ! Autre voie ouverte vers l’inconscient…
73La démonstration conduit progressivement à mieux situer la valeur : « la valeur résultera toujours à la fois du groupement par familles et du groupement syntagmatique » (Cours II R95, notes de Riedlinger et de Gautier, 11 janvier 1909, Saussure 1957, p. 83). Ainsi, de
lui
me
que vous dit-il ?
nous. (Cours II R94, notes de Gautier, 11 janvier 1909, Saussure 1957, p. 83)
74Saussure résume ici le mécanisme formé par ces deux ordres, ordre discursif et ordre intuitif : « Ce sont ces deux oppositions perpétuelles : par syntagmes, et par tout ce qui diffère, ce que nous n’amenons pas, mais que nous pourrions amener dans le discours − c’est sur ces deux oppositions − façons d’être voisin ou différent d’autre chose – que repose le mécanisme d’un état de langue » (Cours II R95, notes de Riedlinger, 11 janvier 1909, Saussure 1957, p. 84). L’un et l’autre ordres pouvant faire chacun l’objet d’une théorie propre : « Il faudra à la fois la théorie des syntagmes et <la théorie> des associations pour expliquer les faits qui se présentent dans un état de langue » (Cours II R99, notes de Riedlinger, 14 janvier 1909, Saussure 1957, p. 87). La question de la « création analogique » revient ici, l’« immense phénomène de l’analogie », d’où Saussure était parti dans sa précédente session de cours pour aborder les processus psychologiques des sujets parlants (Cours II R100, notes de Riedlinger, 14 janvier 1909, Saussure 1957, p. 88). Le synchronique se trouve ici clairement situé : « Le synchronique comprend la théorie des syntagmes et la théorie des associations. Il y a des groupements de différences syntagmatiques et des groupements de différences associatives, mentales » (Cours II R99, notes de Riedlinger, 18 janvier 1909, Saussure 1957, p. 93). Ce qui aboutit à définir la base de l’étude : « la conscience intérieure, le sentiment de la langue » (Cours II R104, notes de Riedlinger, 18 janvier 1909, Saussure 1957, p. 91). De même de la méthode : « La méthode est simplement d’observer, de considérer comme réel ce que la conscience de la langue reconnaît, ratifie, et comme irréel ce qu’elle ne reconnaît pas. Cela met la méthode à la portée de tous : elle consiste dans l’observation intérieure, rectifiée par l’observation de tous » (Cours II R108-109, notes de Riedlinger, 18 janvier 1909, Saussure 1957, p. 94). Voilà déterminé et distingué ce qui est « réel » et ce qui est « irréel ». La méthode en linguistique est ainsi à la portée de tous, car elle est guidée par « l’observation intérieure », complétée de ce que nous pouvons tous observer, qui peut se résumer dans « le sentiment de la langue ». Nous voilà ainsi chacun et tous, grammairiens de notre langue…
75On l’observe ici : « le réel » relève de la conscience de la langue, à savoir du ou des sujets parlants. Ce qui est irréel, de ce que la conscience de la langue ne reconnaît pas : « reconnaître », au sens d’appréhender, identifier, comprendre, associer un son ou une suite de sons à une idée et à un sens, en y portant l’attention nécessaire. Interpréter et parler restent donc, pour Saussure, des actes marqués par la conscience. Voire, par une certaine conscience…
6. « L’activité de classement », « activité inconsciente »…
76Le « sentiment de la langue » en tout cas force à se situer au plus près du sujet parlant, où l’on ne peut une fois encore que buter sur la conscience. Saussure affirme dès ses premiers cours de linguistique générale la distinction entre « ces deux sphères : langue et parole » (Cours I, notes de Riedlinger, début 1907, Saussure 1993, p. 92). Ainsi, « tout ce qui est amené sur les lèvres par les besoins du discours et par une opération particulière : c’est la parole. Tout ce qui est contenu dans le cerveau de l’individu, le dépôt des formes entendues et pratiquées et de leur sens, c’est la langue » (ibid.). « La langue » étant à situer du côté du cerveau ; « la parole » du côté de ce qui est amené sur les lèvres. La question étant de savoir comment la parole vient jusque là…
77Dans ces « deux sphères » se joue une activité plus ou moins consciente : « Du côté interne (sphère langue) il n’y a jamais préméditation ni même de méditation, de réflexion sur les formes, en dehors de l’acte de l’occasion de la parole, sauf une activité inconsciente, presque passive, en tout cas non créatrice : l’activité de classement » (ibid.). Ainsi, « la langue » classe, activité inconsciente, littéralement ici : « qui n’est pas consciente » ; d’où sa qualification de « presque passive ». La création restant le fait de l’individu, activité située du côté de la conscience.
78On perçoit l’audace, notamment par rapport aux théories de l’époque en psychologie, pour lesquelles les processus « qui ont lieu au-dessous du niveau de [la] conscience ordinaire [du] sujet » restent généralement du domaine de la conscience (ainsi Flournoy 1900). L’inconscient n’a pas à l’époque le statut que Freud lui donnera. Il n’est pas non plus considéré comme une instance qui jouerait un rôle particulier dans les faits linguistiques. Même si on note ici une certaine prudence à considérer la langue comme participant d’une activité inconsciente, Saussure évoque à plusieurs reprises dans ses cours la dimension « inconsciente » des « mécanismes » mis en œuvre chez le sujet parlant. Au fil de ce développement, « la langue » se présente, du côté de l’individu, comme le « réservoir individuel », la résultante des paroles échangées avec d’autres. Une image revient souvent à cette occasion : celle du trésor. Saussure utilise plusieurs formules pour situer ce « trésor » chez l’individu : tels « trésor intérieur » ou « trésor intime » (note Item, ELG, p. 95). Image qui met en valeur l’appropriation particulière que chacun fait des signes de la langue et leur expression dans la parole. La résultante des échanges avec d’autres formant le « trésor mental de la langue » que chacun acquiert et porte en soi.
79Autre image encore, celle de « réservoir ». C’est dans ce réservoir, réceptacle des formes échangées avec d’autres sujets parlants, que le sujet parlant puise pour parler. « Réservoir » également qualifié de « dépôt » : « le dépôt des formes entendues et pratiquées et de leur sens » (ibid, p. 92). Voire de « magasin », où s’exerce la mémoire : « D’une part, il existe le trésor intérieur, qui équivaut au casier de la mémoire ; c’est là ce qu’on peut appeler le magasin ; c’est un des deux lieux, une des deux sphères. C’est dans ce trésor qu’est rangé tout ce qui peut entrer en activité dans le second lieu. Et le second lieu, c’est le discours, c’est la chaîne de la parole » (Cours II R90, notes de Riedlinger, 11 janvier 1909, Saussure 1957, p. 79). Le sujet parlant va ainsi au magasin prendre de quoi organiser son discours… Sous-jacente ici : la problématique des « groupements », qui situe les éléments mis en rapport chez le sujet parlant. Groupements de formes par « famille », qui forment le « trésor » ; et groupements de formes réalisés en « syntagmes » sur la chaîne de la parole. Le trésor intérieur est ainsi constitué des formes, mais aussi de leurs groupements et de leurs associations, contenus dans ce que Saussure nomme également, dans les cours de cette période, la « langue individuelle ».
80La démonstration est d’abord centrée sur l’individu, sur le sentiment du sujet parlant, pour s’élargir ensuite aux individus. Le soulignent des expressions comme « la langue a le sentiment » ou « la langue a la conscience ». « La langue », à considérer ici comme le ou les « sujets parlants » dans leur rôle d’interprétants (Cours I, notes de Riedlinger, 1907, Saussure 1993, p. 130 et passim). De fait, c’est à partir de l’individu qu’il est possible d’appréhender le langage, car il est au croisement de la parole et de la langue :
Cette opposition de langue et de parole qui nous est mise ici dans la main, cette opposition est très importante par la clarté qu’elle jette dans l’étude du langage. Un moyen de rendre particulièrement sensible et observable cette opposition, c’est d’opposer langue et parole dans l’individu (le langage est social, il est vrai, mais pour nombre de faits il est commode de le concentrer dans l’individu). (ibid., p. 91)
81Voilà la méthode d’approche du fait social qu’est le langage : le langage est social, mais pour l’étudier, il faut l’observer dans l’utilisation qu’en fait « l’individu ».
82Si l’on regarde du côté de la collectivité, « la langue » s’établit alors comme la somme des trésors contenus dans chacun des individus. Définition de la langue non pas dans l’absolu, mais au plus près des sujets parlants. Ainsi : « il suffira de prendre la somme des trésors individuels pour avoir la langue. Tout ce que l’on considère en effet dans la sphère intérieure de l’individu est toujours social parce que rien n’y a pénétré qui ne soit d’abord consacré par l’usage de tous dans la sphère extérieure de la parole » (ibid.). Le sujet parlant se trouve ainsi au croisement de la langue, en tant qu’elle lui parvient par l’échange avec d’autres ; et de la parole, qui relève de sa propre compétence.
83À mesure que Saussure entre dans la description des mécanismes à l’œuvre chez le sujet parlant, la terminologie se diversifie, témoignage de la détermination à situer la description au plus près des phénomènes. Les deux « sphères », « langue » et « parole», ont été précédemment définies comme deux « ordonnances », correspondant à deux types d’« ordre » : l’« ordre discursif », enchaînement des unités et des mots dans la phrase, formant « discours » ; l’« ordre intuitif », formé des associations entre unités et mots entre eux, « que l’esprit embrasse d’un seul coup » (Cours I, début 1907, p. 97).
84Saussure développe l’explication de ces deux ordres lors des leçons de l’année suivante (Cours II, 1908-1909). L’« ordre discursif » du Cours de 1907, sur lequel se déploient les syntagmes mis en forme par la « parole », se ramifie dans le Cours II (1908-1909) en « groupement syntagmatique » ; « l’ordre intuitif », ensemble des formes à la disposition du sujet parlant, se ramifiant quant à lui en « groupement par familles ». L’un et l’autre représentés respectivement sur un « axe » horizontal et sur un « axe » vertical.
85Saussure fait au passage cette remarque : « Entre parenthèses (G), on peut faire rejoindre, en jouant un peu sur les mots, discursif, qui équivaut à disposé dans le discours (G), et intuitif ; ces termes s’opposent comme syntagmatique et associatif si intuitif correspond à [latin] intueri “contempler platoniquement” sans faire usage dans le discours » (Cours II, R96, notes de Riedlinger, 14 janvier 1909, Saussure 1957, p. 84). Ainsi, si discursif correspond bien à « disposé dans le discours », intuitif peut être interprété au moins de deux façons : en tant que « guidé par l’intuition » ; et comme renvoyant au tableau des mots et des unités que le sujet parlant contemplerait avec les yeux de l’esprit…
86Saussure ajoute : « On pourrait représenter ces deux principes, ces deux activités qui se manifestent synchroniquement par deux axes : l’axe syntagmatique » d’une part. Ainsi « dé-faire », illustrant la concaténation de deux unités sur l’axe du discours. Et :
simultanément et sur un autre axe mentalement existant comme dans un nuage, pensé dans une conscience latente, toutes les autres possibilités qui peuvent être unies par association : l’axe associatif :
refaire
parfaire
faire.
(ibid., p. 84-85)
87Sur l’axe horizontal se déroulent les « syntagmes », terme essentiel qui prend toute sa portée pour expliquer les mécanismes à l’œuvre chez le sujet parlant et que ce dernier rend effectifs dans la parole. Les éléments s’y combinent de façon linéaire pour former des ensembles qui vont du mot et des unités dans le mot jusqu’à la phrase. Ce que Saussure nomme la « théorie des syntagmes » (p. 84).
88À la « théorie des syntagmes » correspond d’autre part la « théorie des associations ». Sur un axe complémentaire de l’« axe syntagmatique » se réalisent en effet des groupements par famille. Axe que Saussure nomme ici « axe associatif » (p. 85). C’est l’axe où s’effectuent des associations entre mots chez le sujet parlant. N’apparaît cependant pas chez Saussure la terminologie moderne, complémentaire de l’« axe syntagmatique », celle d’« axe paradigmatique » : axe représenté verticalement, sur lequel s’effectuent chez le sujet parlant les « groupements par famille ».
89Les derniers cours explicitent cela plus précisément encore. Ainsi des relations qui s’établissent entre les éléments de la langue : « Il y a premièrement la coordination syntagmatique et la sphère de rapports syntagmatiques » (Cours III, notes de Constantin, 27 juin 1911, Saussure 1993, p. 277). « Coordination syntagmatique » à laquelle est liée « deuxièmement la coordination associative. Par association psychique avec d’autres termes existant dans la langue » (ibid., p. 278).
90On l’observe à ces différents développements, association est l’un des termes majeurs − d’ordre essentiellement psychologique −, qui accompagnent la démonstration. Ces associations se présentent de différentes façons, tels enseignement et sa famille : « un mot comme enseignement appellera d’une façon inconsciente pour l’esprit en particulier l’idée d’une foule d’autres mots qui par un côté ou par un autre ont quelque chose de commun avec lui » (ibid.).Voilà un mot qui en appelle d’autres « d’une façon inconsciente ». Les rapprochements possibles se présentent de façon diverse :
Ce peut être par des côtés très différents. Par exemple enseignement se trouvera compris dans une série associative où on verra
enseignement
enseigner
enseigne, etc.
Il y a quelque chose de commun dans l’idée représentée et quelque chose de commun dans l’image acoustique. Le signifiant et le signifié forment à la fois cette série associative. (ibid.)
91Ici, signifiants et signifiés se trouvent étroitement associés. Et enseignement n’est pas forcément le premier mot de la série : il apparaît ici « comme partie d’une constellation », suggérant par là des groupements entre mots. De fait, l’une des unités peut provoquer d’autres rapprochements, comme celle des substantifs, qui forment une autre série :
enseignement
armement
rendement. (ibid.)
92Ou bien encore, le rapprochement se fait à partir d’une « série associative reposant sur le signifié » :
enseignement
instruction
apprentissage
éducation. (ibid.)
93Le rapprochement peut même se faire sur une « simple communauté dans les images auditives » : allemand « blau » (« bleu ») pouvant être rapproché de durchbläuen, durchbleuen (« rosser ») (ibid.). Saussure a cette conclusion déterminante : « Ainsi série d’associations inévitables tantôt au nom de la communauté double du sens et de la forme, tantôt uniquement à cause de la forme <ou sens>. Ces coordinations peuvent être considérées comme existant dans le cerveau aussi bien que les mots eux-mêmes ». Le cerveau identifie donc les mots, mais aussi, conçoit toutes sortes de rapports. D’où la tâche du linguiste :
Ce qu’un mot a autour de lui sera discuté par le linguiste tantôt dans la sphère syntagmatique, tantôt dans la sphère associative. Ce qu’il y a autour de lui syntagmatiquement, c’est ce qui vient avant ou après, c’est le contexte, tandis que ce qui va autour de lui associativement, cela n’est dans aucun contexte, vient de la conscience <uni par lien de la conscience, pas idée d’espace>. (Saussure 1993, p. 278)
94Ainsi, les unités reliées par associations chez le sujet parlant viennent « de la conscience », notamment parce que ce sont elles qu’il mobilise lorsqu’il prend la parole. De là cette constatation : « L’entourage d’un mot peut être distingué syntagmatiquement et associativement » (ibid.). Adverbes qui affirment et situent les processus à l’œuvre. Saussure poursuit : « <Placé dans le syntagme, le mot agit en vertu de ce qu’il a un commencement et une fin, et de ce que les autres mots doivent être avant ou après>. Placé dans la série associative, le commencement et la fin n’interviennent pas. On pourrait dire : l’assemblage in præsentia et l’assemblage in absentia » (p. 279). Ainsi, d’un côté, assemblage des unités in præsentia (dans la parole effectivement prononcée) ; de l’autre, assemblage des unités in absentia, dans la pensée, et mobilisables dans la parole. Nouveau balancement – entre présence et absence des unités –, qui offre une autre manière de désigner les processus à l’œuvre chez le sujet parlant. C’est l’une des toutes dernières formulations de Saussure sur ce point.
95On l’observe ici : la démonstration s’effectue au plus près des phénomènes, avec une étonnante précision, absolument innovante pour l’époque. Elle contribue par là à poser les fondements de la linguistique moderne.
7. Relations à l’œuvre chez le sujet parlant : ordres, ordonnances, groupements, associations
96Dans sa réflexion sur la manière dont les éléments de la langue sont mis en œuvre par le sujet parlant, Saussure utilise nombre de formules selon la perspective adoptée et les relations qu’il y trouve associées.
97Langue et parole sont ainsi évoquées comme deux « sphères », dans lesquelles se situent les principales relations entre éléments : « Il s’agit de deux sphères ou de deux façons de coordonner les mots entre eux » (Cours III, notes de Constantin, 27 juin 1911, Saussure 1993, p. 277).
98Saussure distingue dans ces deux sphères deux grands types d’organisation des unités, qu’il nomme « ordres », au sens, généralement, d’« ordre de faits, de jugements, de rapports ». « Ordre » peut aussi désigner chez lui un ensemble d’éléments considérés du point de vue de leur nature : phonétique, acoustique, syntaxique, voire psychique, etc.
99Il parle également d’« ordonnance ». Ordonnance : à savoir un type de relations qui s’établit selon un ordre particulier, telle la succession des unités dans le mot ou la phrase (syntagmes) ; ou bien type de relations entre unités, telles qu’elles peuvent se présenter dans la pensée. Il y a ainsi : « 1° l’ordonnance que prennent les unités du langage dans la paroleet après cela 2° les principaux groupements existant dans la sphère de la langue elle-même » (Cours I, notes de Riedlinger, début 1907, Saussure 1996, p. 93-94).
100Saussure a aussi pensé à utiliser, à la place d’« ordonnance », le terme de « régime », pour désigner les axes selon lesquels ces ensembles d’unités s’organisent : « Toute espèce d’élément vocal (et comme nous le verrons toute espèce d’élément morphologique) est soumis de sa nature à exister sous deux régimes : celui où il devient définissable par rapport à ce qui suit et précède, - celui ou il est définissable par rapport à […] » (Science du langage, 84.176., p. 160 ; ELG, p. 62). La rupture dans le manuscrit semble indiquer que Saussure n’avait alors pas encore fixé le terme propre à désigner les groupements d’éléments dans l’esprit. Dans un passage des années 1890 cependant, Saussure oppose déjà au « régime » des éléments qui se succèdent dans la phrase ce qu’il nomme la « parallélie » : « la parallélie ou parole potentielle, ou collectivité d’éléments conçus et associés par l’esprit, ou régime dans lequel un élément mène une vie abstraite au milieu d’autres éléments possibles » (Science du langage, 83.5.176, p. 160 ; ELG, p. 61). C’est cette « vie abstraite » que Saussure s’efforcera de décrire dans ses cours de linguistique des années 1907-1911, en s’avançant, comme on l’a vu, au-dessous du niveau de la conscience. Il se représente déjà bien avant les éléments conçus et associés par l’esprit sous forme de parallélismes, susceptibles d’être actualisés dans la parole, qualifiée ici de « parole potentielle ». « Parole potentielle » : parole possible, en devenir, en puissance dira Gustave Guillaume.
101L’analyse de Saussure ne cesse de se préciser : d’un côté des « axes » sur lesquels sont représentés les éléments linguistiques ; de l’autre des « associations » entre éléments, à partir desquelles on observe des axes s’organiser. Ainsi, les relations entre éléments dans le discours forment l’« axe syntagmatique » (Cours II R96, notes de Riedlinger, 14 janvier 1909, Saussure 1957, p. 85). Axe si évident, si puissant, que Saussure en tire même une vue plus générale, qu’il définit comme « la syntagmatique », processus permanent de construction de syntagmes dans la phrase… (ibid., p. 86).
102Saussure bute cependant sur la dénomination de l’axe des éléments à la disposition du sujet parlant, qui se présentent « comme dans un nuage », qu’il représente généralement disposés sur un axe vertical. Il en fait en tout cas la description à partir des ensembles que constituent ces éléments, oscillant entre « groupements » qui se forment entre eux : « groupement syntagmatique », versus « groupement par familles » (1908). Ou bien, dans les derniers cours, à partir d’« assemblages » : « assemblage in praesentia », dans la parole, versus « assemblage in absentia » (1911).
103Ou bien encore à partir des relations qui lient les éléments : « coordination syntagmatique », versus « coordination associative ». « Coordination associative », formée par « association psychique avec d’autres termes existant dans la langue » (Cours III, notes de Constantin, 27 juin 1911, Saussure 1993, p. 278). Mots et unités sont donc reliés entre eux par ce qu’ils peuvent avoir de commun dans « l’idée représentée » et par l’image acoustique, à savoir par le « signifié » et le « signifiant ». Et cela, par association psychique.
104Saussure poursuit la description, en partant cette fois des relations qui se font chez le sujet parlant, « hors de la parole » : « association qui se fait dans la mémoire entre mots offrant quelque chose de commun crée différents groupes, séries, familles au sein desquelles règnent rapports très divers <mais rentrant dans une seule catégorie> ; ce sont les rapports associatifs » (ibid., p. 280 ; Godel 1957, p. 172). De l’autre, association « dans la parole » : où « les mots sont soumis à un genre de rapports indépendant du premier, et dépendant de leur enchaînement, ce sont les rapports syntagmatiques » (Cours III, notes de Constantin, 27 juin 1911, Saussure 1993, p. 280).
105On l’observe dans ces différents développements : Saussure est allé très loin dans la description des relations entre éléments linguistiques chez le sujet parlant. Aussi bien sur l’axe horizontal – « axe syntagmatique » – que sur l’axe vertical, « axe par famille » qui, malgré la nébuleuse d’éléments qui interviennent à son niveau, offre ordonnances, séries et parallélismes. C’est ainsi qu’enseignement fait partie d’une « constellation » de mots proches de lui par la forme, le sens, voire la sonorité. Saussure résume superbement : « Un mot quelconque évoque tout de suite <par association> tout ce qui peut lui ressembler » (ibid., p. 279).
106On pourrait penser qu’il suffirait de s’en tenir là et de considérer que Saussure s’est efforcé d’identifier et de situer les relations entre les unités ou les mots susceptibles de créer des rapprochements chez les sujets parlants. Coup de théâtre cependant…
107Saussure a en effet aussi expérimenté l’hypothèse de relations entre mots qui ne présentent entre eux aucune relation. Ainsi de ce qu’il nomme « les parasèmes » :
Pour un mot quelconque faisant partie de la langue, un second mot, même n’ayant avec le premier aucune « parenté », est un parasème. La seule et simple qualité du parasème est de faire partie du même système psychologique de signes. (note Item, 3313.1.2, ELG, p. 106-107)
108Outre les relations des unités linguistiques dans la pensée, c’est là une des intuitions majeures de Saussure : les signes entrent dans des « systèmes psychologiques de signes » ; et cette propriété mérite d’être nommée par un terme propre, tel « parasème », qu’il propose dans ses manuscrits. « Parasème », en tant que mot associé à un autre et organisé selon des associations et des systèmes particuliers. De fait, les signes proprement linguistiques − « les sèmes » dans la terminologie saussurienne − peuvent entrer en résonance et analogie les uns avec les autres, pour des raisons de parenté de formes, de sens, de sonorités, de construction. Voire, important, par une simple association psychologique propre à tel ou tel sujet parlant… Encore une porte ouverte sur l’inconscient !
Conclusion
109Au fil des analyses sur l’implication de la volonté et de la conscience dans la langue, Saussure s’avance jusqu’aux portes de l’inconscient. Cheminement long, sinueux et peu apparent, fait de méandres souvent difficiles à suivre.
110Il définit au début des années 1880 les principes d’une méthodologie générale qu’il juge, contre la plupart des idées de son temps, seule opératoire en linguistique : il est nécessaire de distinguer, d’une part, le point de vue de l’évolution des unités linguistiques dans le temps (point de vue de la grammaire historique) ; d’autre part, le point de vue des unités linguistiques à un moment du temps, dans un « état de langue » défini. Distinction essentielle pour édifier ce que Saussure nommera une « linguistique statique », apte à décrire, à un moment du temps, les « mécanismes » à l’œuvre chez le « sujet parlant », et au-delà, chez les « sujets parlants ». C’est ainsi qu’il opposera « état historique » et « état conscient ». État conscient : à savoir état de langue dans lequel il est possible d’analyser la conscience que le sujet parlant peut avoir de la langue à une période déterminée (Item 3322.2, ELG, p. 117).
111Abordant dans ses conférences à l’université de Genève de novembre 1891 les grands principes d’évolution des langues, il en situe les changements par rapport à la volonté de l’individu. Si les changements phonétiques échappent à la conscience de l’individu, les transformations analogiques manifestent quant à elles « des opérations intelligentes, où il est possible de découvrir un but et un sens ». Dichotomie parlante, mais trop simple, issue du courant néo-grammairien, qui laisse à l’évidence de côté bien des explications. Plusieurs grands noms de la linguistique allemande de l’époque, tels Hermann Paul (1880) et Georg Curtius (1885), exprimaient leurs doutes sur ce point. Saussure reprend la question en abordant le rôle de la volonté dans l’évolution des langues. Cela, en le comparant à celui que la volonté peut avoir dans d’autres disciplines et dans la plupart de nos actes. Le rôle de la volonté dans la langue y transparaît en creux, changement phonétique et changement analogique étant renvoyés, par rapport au degré de réflexion qui accompagne chacun de nos actes, à de l’« inconscience pure ». Ce n’est plus véritablement ici la volonté en tant que telle qui est en jeu, car son rôle ne peut apparaître qu’en arrière-plan ; mais la conscience…
112Saussure engage l’analyse dans la description des mécanismes linguistiques à l’œuvre, non pas d’emblée chez les sujets parlants, mais d’abord chez le sujet parlant. C’est à partir de lui que l’analyse s’établit dans les leçons des années 1907-1911. Le constat est radical : la conscience joue, dans la langue, un rôle essentiel. De fait, le sujet parlant a besoin, pour délimiter une unité linguistique, de l’identifier et d’associer sa forme à une signification. Pour Saussure, cette opération requiert l’intervention de la volonté et donc de la conscience.
113En approfondissant la question de la méthode en linguistique, Saussure en arrive à cette conviction : on ne peut appréhender valablement un fait linguistique que si on se situe dans un état de langue donné et si l’on considère forme et signification comme étroitement associées. C’est cette étroite association qui forme le signe, que Saussure fixera dans le couple « signifiant » / « signifié » dans sa leçon du 19 mai 1911.
114Au fil des développements, l’analyse se trouve progressivement centrée autour du signe linguistique, considéré comme indépendant de la volonté du sujet parlant : il le dépasse, au moins en ce qu’il est le fait d’une « collectivité », qui le ratifie par l’usage qu’elle en fait. Cela ne veut pas dire pour autant qu’un signe soit sans résonance. Au contraire, le moindre signe, une « encoche sur un arbre », met en mouvement tout un ensemble d’associations d’idées. Description que Saussure élabore lors des trois semestres de cours qu’il donne sur la linguistique générale (1907-1911). Il en vient ainsi à entrer, l’un des tout premiers, dans une description fine des mécanismes linguistiques à l’œuvre chez le « sujet parlant », abordant dans ce parcours nombre de problématiques : celles de l’évolution phonétique, de l’analogie, de la langue comme système, de l’analyse des constituants du signe, de la valeur, de la dimension sociale de la langue, de la sémiologie, etc.
115L’une des grandes innovations de Saussure est de proposer une description du signe linguistique et des mécanismes à l’œuvre chez le « sujet parlant », et au-delà, chez les « sujets parlants ». On est peut-être surpris par ce qui peut apparaître aujourd’hui, aux yeux de certains linguistes, comme une particularité, voire une bizarrerie : l’approche psychologique que Saussure a de la langue. Il ne s’en détachera jamais et y reviendra toujours, rejoignant en cela plusieurs courants de pensée de son temps, en France, en Allemagne ou en Suisse, où il échange avec certains psychologues en vue, tel Théodore Flournoy. Il correspond aussi sur cette question avec les grands linguistes de l’époque. Ainsi avec Charles Bally : « Sans doute nous sommes d’accord pour savoir que toute linguistique est psychologique à un degré quelconque » (Lettre à Charles Bally, septembre 1912, Saussure 1994, p. 132). Ce degré quelconque est à considérer, car il justifie d’intégrer dans l’analyse linguistique la dimension psychologique de la langue. C’est précisément ce que fait Saussure en abordant dans ses dernières leçons les relations entre formes et significations et les rapprochements auxquels elles donnent lieu chez le sujet parlant. De fait, les « coordinations » que le sujet parlant fait entre unités de la langue « font partie de ce trésor intérieur qui constitue la langue dans chaque individu ».
116Dans cette démarche, la décomposition que fait Saussure des mécanismes à l’œuvre chez le sujet parlant, notamment le « classement intérieur » des unités, est à bien des égards saisissant. Il est également novateur, car l’analyse est conduite du point de vue du linguiste. Même si l’approche psychologique est constamment présente, Saussure n’oublie jamais l’objectif qui est le sien, qui est de s’efforcer de se tenir dans le périmètre de la linguistique. Il pose d’ailleurs clairement la limite entre psychologie et linguistique, la linguistique ayant naturellement vocation à centrer sa démarche sur les unités linguistiques, particulièrement dans leur dimension matérielle : « si nous essayons de prendre les significations en elles-mêmes en les détachant radicalement du support sonore, du support matériel, on n’est plus dans la linguistique, mais dans la psychologie » (Cours III, notes de Constantin [297], 9 mai 1911, Saussure 1993, p. 229). On aperçoit ici pourquoi la démarche reste de nature psychologique : parce que tout un pan de la langue est de nature psychologique, ne serait-ce que par les associations que fait en permanence le sujet parlant entre forme et signification dans le signe, mais aussi entre les signes d’une même langue. Saussure note : « La réalité de l’existence des fils qui relient entre eux les éléments d’une langue, bien que fait psychologique immense, n’a pour ainsi dire pas besoin d’être démontrée. C’est cela même qui fait la langue » (ELG, p. 103).
117L’interrogation sur le rôle de la volonté dans la langue, qui surgit à l’occasion de l’analyse des évolutions analogiques qui parcourent la langue, met Saussure sur la voie de la conscience, autre fil conducteur de sa démarche. Il est bien clair pour lui qu’il y a, certes, la « conscience », mais surtout des degrés de conscience. Une « demi-conscience » par exemple, observable dans l’évolution analogique en ancien français, de je treuve à je trouve. Voire des « associations, conscientes ou non », une « opération subconsciente », qui font par exemple évoluer je treuve en je trouve / nous trouvons, sur le modèle de je pousse / nous poussons. Degrés de conscience évoqués essentiellement à propos des processus analogiques, courants dans les langues. L’analogie est ainsi caractérisée comme un phénomène psychologique, mais qui échappe à une « intention des sujets parlants » (Cours I, notes de Riedlinger, 1907, Saussure 1993, p. 89). On perçoit ici qu’entre l’intention et les changements phonétiques s’ouvre un immense champ de possibilités, qui va au-delà de la conscience…
118Face au « caractère aveugle du principe phonétique », sur lequel le sujet parlant n’a pas de prise, Saussure s’attache donc à observer la portée de la conscience dans la langue, mettant en lumière l’importance de la « conscience » dans la compréhension de la langue par le sujet parlant. Conscience associée à la valeur conférée aux unités linguistiques, c’est-à-dire au sens interprété par le sujet parlant. Plusieurs passages, notamment dans les cours des années 1907-1911, laissent entrevoir des échappées de ce côté. Ainsi d’actes de compréhension réalisés hors d’une pleine conscience, dans une sorte de préconscient, certains événements arrivant à la conscience sans que le sujet parlant y prête véritablement attention. Je peux ainsi créer redémissionner, recomtempler, sans les avoir jamais entendus, ni prêter garde à l’acte de création dont ils relèvent…
119À cet endroit, Saussure indique que « créations » et « innovations » ne sortent pas du « néant » (ibid., p. 88). Mais des « formes évocatrices » présentes dans la langue, qui ont contribué à les susciter. C’est précisément ce « néant » que découvre Freud à la même époque. De fait, le rapport à la volonté ou à la conscience, tel que le décrit Saussure, ne représente pas d’emblée une porte ouverte sur l’inconscient. Inconscient : le terme n’est nulle part chez Saussure, sauf à titre d’adjectif. Ainsi dans « activité inconsciente » ou dans « volonté consciente ou inconsciente ». Mais Saussure évoque l’« inconscience », comme chez certains psychologues de son temps. « Conscience », « demi-conscience », « inconscience » forment une gradation dont il s’efforce de rendre compte. Mais Saussure n’entrera jamais dans l’analyse de l’inconscient (« das Unbewußte »), que Freud théorise à la même époque. Il aurait fallu pour cela la pratique de l’hypnose, la clinique, l’attention portée aux symptômes, la découverte du transfert, l’interprétation des rêves, etc. Toutes expériences qui n’entrent à aucun moment dans le champ d’action de Saussure.
120Si l’on peut s’étonner aujourd’hui des hésitations de Saussure à propos de la question de la conscience dans la langue, il est nécessaire de garder à l’esprit que les théories de Freud, qui prennent leur essor dans les années 1900 (particulièrement avec la Traumdeutung) sont encore très peu connues. Même si le psychologue Théodore Flournoy (1900), proche de Saussure, cite l’ouvrage si important des Studien über Hysterie de Breuer et Freud paru à Vienne en 1895.
121De plus, Saussure n’a laissé aucun témoignage de ce que la conscience, et a fortiori, l’« inconscience », puissent faire l’objet d’une science. Quant à la théorie de l’inconscient, concept intrinsèquement freudien, Saussure n’en a vraisemblablement jamais pris connaissance.
122Il n’en reste pas moins remarquable qu’il ne perd jamais de vue la dimension psychologique de la langue. Dans cette direction, plusieurs passages ont de quoi retenir l’attention. Ainsi ce manuscrit dans lequel Saussure commente l’ouvrage qui vient de paraître de son collègue Paul Oltramare sur l’Inde ancienne. Il écrit :
Les textes abondamment réunis par M. Oltramare ne laissent aucun doute que dans toutes les écoles, et même avant qu’on puisse parler d’écoles, la préoccupation des trois états psychologiques : 1. la veille, 2. sommeil avec rêve (svapna), 3. sommeil sans rêve (nidrâ) forment une de ces distinctions matérielles fondamentales conçues comme primordiales d’où peut s’expliquer, comme d’où peut surgir, une évolution incalculable de doct[rines]. (bms fr 266 [6], Notes on linguistics, Manuscrits de Harvard, 1906-1907)
123Saussure note la netteté de ce classement : « En voyant l’importance donnée au svapna (sommeil avec rêve) dès la couche d’écrits qui porte le nom de Brâmaņa, il me semble probable que la [attention ?] – dès l’abord portée à partir du moi intérieur – a catégorisé ce moi sous 3 espèces : sommeil, rêve, veille » (ibid.). Ainsi, le « moi intérieur » se trouve au moins catégorisé sous « 3 espèces : sommeil, rêve, veille », porte d’entrée de plus vers l’inconscient. Il faut noter aussi que Saussure s’intéressait aux expériences de « médiumité » et de rêve éveillé, illustrées par ses tentatives de déchiffrement de la langue utilisée par la médium Hélène Smith (1897), lors de séances de spiritisme organisés dans certains cercles de Genève où l’entraînait Théodore Flournoy.
124D’autres passages indiquent que Saussure effleure à plusieurs reprises la question de l’inconscient. Mais en tout état de cause, il n’en franchira pas le seuil. Cela ne doit cependant pas faire oublier tout ce que la démarche de Saussure apporte à la méthode psychanalytique. Ainsi, la distinction entre « signifiant » et « signifié » a été largement reprise par des analystes comme Jacques Lacan, qui en a fait un des cœurs de sa théorie, même si l’usage qu’il en fait outrepasse largement la description qu’en donne Saussure. De même de la notion de « syntagme », qui induit qu’on pense par syntagmes, et sans doute aussi qu’on rêve par syntagmes. Également, la mise en évidence des deux axes, « axe syntagmatique » et « axe par famille » met en valeur les mécanismes de substitution et de condensation largement présents dans l’inconscient. Enfin, toute la description des mécanismes d’association chez le sujet parlant ne laisse pas d’être inspirante.
125Saussure est l’un des tout premiers linguistes à aborder la langue à partir des mécanismes de la parole chez le sujet parlant. Il a mené très loin cette recherche, jusque dans l’étude du fonctionnement psychologique de la langue dans la pensée, consciente et inconsciente, du sujet parlant. Prémices inédites, en quelque sorte, d’une psychanalyse fondée sur les mécanismes mêmes de la langue chez le sujet parlant. On aperçoit l’importance qu’il a pu avoir sur un analyste comme Jacques Lacan, qui a fait de l’analyse du langage, inspirée de l’expérience freudienne, le cœur de sa méthode.
126L’un des apports essentiels de Saussure, qu’on lui dénie parfois, est d’avoir su aborder en profondeur les « mécanismes » linguistiques à l’œuvre chez le sujet parlant. Situant les deux sphères de la parole et de la langue, il décrit avec précision, dans une démarche quasi phénoménologique, l’organisation des unités linguistiques chez le sujet parlant. Le « classement intérieur » que fait le sujet parlant des unités linguistiques révèle l’organisation de groupements d’unités selon au moins deux grands « axes » : « groupements par famille » des unités linguistiques dans la pensée ; versus « groupements syntagmatiques » des unités linguistiques dans la succession de la parole.
127Au long de ces développements émerge et se construit un concept fondamental : celui de « sentiment de la langue ». « Sentiment de la langue », expression employée par Saussure pour indiquer le sentiment qu’ont de la langue le et les sujets parlants. Concept de nature psychologique, dont Saussure fait progressivement un concept méthodologique en linguistique. Il faut en effet au grammairien reconstituer le sentiment qu’ont ou ont pu avoir de leur langue les sujets parlants pour véritablement comprendre les langues et reconstruire les langues du passé. « Sentiment de la langue », que Saussure synthétise au détour d’une phrase en « sentiment linguistique ».
128Un dernier point, essentiel, doit ici retenir l’attention. Outre la description minutieuse que fait Saussure des phénomènes d’association des unités linguistiques, une notation, à première vue anodine, est à méditer. Saussure indique, dans une note manuscrite, qu’un mot peut n’avoir aucune parenté avec un autre, mais faire néanmoins « partie du même système psychologique de signes » (note Item, 3313.1.2, ELG, p. 106-107). Système : le mot est fort chez Saussure. Les signes se présentent dans la pensée sous forme de systèmes psychologiques et s’organisent en différents ensembles. Dans la pensée ou « sous » la pensée ? Ainsi des mots entre lesquels le sujet parlant voit et multiplie les analogies, de façon plus ou moins consciente. Vaste perspective, que Saussure n’a pu qu’esquisser dans ses derniers cours.
129Formulation lumineuse en tout cas, dont Jacques Lacan aurait sans doute fait ses délices.
Notes de bas de page
1 Les écrits de la main même de Saussure figurent entre guillemets et en italiques. À des fins de commodité pour le lecteur, ils sont pour la plupart extraits de Science du langage. De la double essence du langage (Saussure 2011 [désormais Science du langage]) ; et des Écrits de linguistique générale par Ferdinand de Saussure (Saussure 2002 [désormais ELG]). Certains manuscrits non publiés ont été retranscrits par l’auteur de la présente contribution.
Auteur
Université Sorbonne Nouvelle
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