Chapitre 6
Auteur et individualisation
p. 187-212
Texte intégral
L’individualisation en langage
1Les spécificités auctoriales peuvent être de plusieurs types, et peuvent se situer à différents niveaux, du microstructural au macrostructural, les répétitions comme celles de L. C. s’inscrivant à l’intérieur de ce continuum de la singularité. La question des spécificités cependant, dès lors qu’elle est liée à celle de l’auctorialité, entraîne une interrogation sur la notion d’individualisation évoquée par Jacques-Philippe Saint-Gérand à propos du style d’auteur :
Au regard d’une théorie du style, je poserai donc la distinction de l’individuation et de l’individualisation en langage :
1) L’individuation en langage renvoie à une conception de l’individu, insécable, indivis historique d’une société et d’une culture, spécimen langagier en soi d’une collectivité plurielle, comme Molière appartient au XVIIe siècle ou Barthes à une portion spécifique du XXe siècle français. L’objet du style y paraît comme une donnée du langage résultant de la capacité de l’individu à s’inscrire dans l’univers du monde par la langue. Sa langue : la langue à laquelle renvoie son ipséité, et qui le constitue en sujet régi par la parole collective. Qui lui assigne une place et lui donne une voix au sein du chœur.
2) L’individualisation renvoie, quant à elle, à la perspective oblique ouverte par l’individuel, sujet sécant, historicisé par le système des formes sémiologiques d’une société et des valeurs de sa culture, qui tend à se faire reconnaître d’autrui comme être unique, idiosyncratique, instance singulière aux marges de la collectivité « espèce » comme on l’aurait péjorativement dénommé encore à l’époque de Diderot. Elle envisage un nouveau sujet surgissant de la voix anonyme de son siècle, qu’il module avec un ton singulier, en agent responsable de sa propre représentation. Celle qui le détache en soliste. La langue de Lamennais, Vigny, Nerval.1
2Si l’individuation (en langage) désigne le résultat nécessairement et irréductiblement singulier de la manifestation du langage à travers sa mobilisation individuelle, elle intervient par là même antérieurement à l’individualisation qui suppose la constitution de l’individu en sujet, c’est-à-dire en « agent responsable de sa propre représentation ».
3Ce qui relève de l’individu peut être simplement le fait de l’utilisation du langage par une instance qui a pour première caractéristique, négative, d’être elle-même et non un autre. Cela ressortit avant tout à un questionnement philosophique dans lequel l’œuvre individuée est le produit d’un individu situé dans le monde et l’histoire et dont l’ipséité peut être pensée indépendamment de ses caractéristiques empiriques et d’une conscience réflexive : en tant que tel, le problème de l’individuation se trouve d’une certaine manière en deçà de la construction discursive, et il ne peut être traité dans ses manifestations langagières qu’à titre d’illustration d’un fait théorique général qui est celui de la pluralité des individus. Pour cette raison même, l’individuation en langage n’est pas l’objet des pages qui suivent. En revanche, ce qui relève de l’individuel, ou du sujet, a trait à l’agentivité, et donc à la prise de décision : c’est la manifestation dans le langage d’une singularité consciente d’elle-même (ce qui ne veut pas dire pour autant que les voies de cette manifestation sont, elles, nécessairement conscientes ou volontaires2). L’individuel est lié à la constitution d’un discours singulier et conscient de l’être3, et ce sont les marques de cette constitution que l’on peut tenter de chercher dans les textes, de manière à observer comment, au-delà de la prise de parole individuante, le discours d’un auteur peut se constituer en tant que discours singulier à travers ses différentes œuvres.
4Il y a sans doute lieu de préciser que l’individualisation dans le langage n’est pas dépendante a priori de l’individu extralangagier ou d’un je unifiant : le discours peut se constituer dans sa singularité sans référence à une continuité existentielle extralangagière, et il peut tout aussi bien le faire sans se présenter comme étant le produit d’un je originel. Si l’énonciation est nécessairement portée par un énonciateur, et si l’on a vu que ce dernier pouvait se situer à plusieurs niveaux, il n’a pas besoin de se désigner comme tel, et les marques de l’énonciation peuvent être diffuses ou indirectes4.
5Par ailleurs, bien que cette idée soit absente du développement de Jacques-Philippe Saint-Gérand dans la mesure où il se situe dans une réflexion sur le style d’auteur, il paraît possible d’envisager une individualisation multiple : dans la mesure où l’individuel ne dépend pas de l’individu, mais du sujet, et dans la mesure où ce dernier, bien que continu au niveau auctorial, peut être complexe et par conséquent énonciateur de plusieurs discours différents, il semble difficile (si ce n’est impossible) de chercher dans les textes des marques d’individualisation qui soient systématiques et qui permettent de présenter une unité absolue de l’œuvre intégrante. En modifiant la définition de Saint-Gérand, on considérera que l’individualisation dans la langue est liée à la coïncidence entre un sujet conscient de lui-même, qui se manifeste dans le langage, et des objets ou des motifs qui structurent cette manifestation.
6L’étude de la ou des singularités auctoriales est ainsi une tentative pour décrire l’individualisation dans le langage, cette individualisation étant un processus de production et/ou de réception dans lequel les phénomènes sont plus ou moins intégrés en fonction de l’œuvre ou de l’analyse. Certains traits peuvent en effet être intégrés de manière très claire à l’intérieur d’une caractérisation plus large, comme par exemple l’ironie d’un auteur peut être intégrée à la description du désenchantement ou de la contestation présents dans le discours de cet auteur, tandis que d’autres traits peuvent rester étrangers à cette intégration, soit parce qu’ils sont véritablement hétérogènes, soit parce que le champ d’intégration n’a pas été dégagé5.
L’individualisation dans l’œuvre : Gustave Leroy
7On peut également lier l’étude de l’individualisation à la notion d’auteur : si l’individualisation est un processus de production perçu et/ou interprété lors de la réception (critique ou non), alors c’est probablement en fonction de cette individualisation que l’œuvre peut être reçue dans sa singularité, et que se constitue en retour une autorité d’auteur : le détachement « en soliste » (pour reprendre l’analogie de Jacques-Philippe Saint-Gérand) intervient ainsi autant dans la constitution d’une cohérence discursive que dans celle d’une distinction à l’intérieur du champ socio-poétique. L’analyse de l’œuvre dans cette perspective peut par conséquent permettre d’entrevoir la mutation virtuelle de l’œuvre comme agrégat en œuvre comme valeur, le passage de l’une à l’autre se retrouvant dans les différentes acceptions possibles du terme auteur. On trouve une explicitation de ce phénomène dans l’étude des différentes « dimensions » de la notion d’auteur que présente Dominique Maingueneau, la première étant celle d’« auteur-répondant » (« l’instance qui répond d’un texte », instance que l’on peut confondre avec l’acception d’auteur que l’on a vue jusqu’ici), et la dernière étant celle d’« auteur-auctor » :
Si tout texte implique par nature un « auteur-répondant », seul un nombre très restreint d’individus accède à ce statut d’« auctor », d’instance douée d’autorité. Il suffit pour cela qu’on puisse circonscrire un Opus, et non une suite contingente de textes dispersés. L’Opus peut parfois être constitué d’un texte unique, pour peu que son auteur n’ait pu en produire qu’un seul, ou que seul un texte de lui ait retenu l’attention.6
8L’individualisation serait ainsi le processus qui pourrait permettre à l’auteur-répondant de devenir auteur-auctor, le premier, individué, étant en puissance le second, individuel. L’auteur-auctor serait dépositaire d’une valeur reconnue par son public/lectorat. On tentera d’observer ce processus d’individualisation dans l’œuvre de Gustave Leroy.
Points de vue critiques sur Leroy
9Gustave Leroy7 est l’un des chansonniers les plus prolifiques du corpus : entre 1848 et 1851, sur l’ensemble des textes imprimés consultés et retranscrits, il est l’auteur de soixante-deux chansons8, ce qui le place d’un point de vue quantitatif juste après L. C. pour qui on a pu en retrouver plus de quatre-vingts. Comme le rappellent nombre d’auteurs, il a eu une grande renommée9, mais tous ne s’accordent pas sur les qualités d’auteur que l’on peut lui attribuer. Pour Avenel, ses chansons « avaient toutes le succès qu’elles méritaient »10, mais chez Baillet, le jugement est beaucoup plus nuancé. Il écrit à propos des premières œuvres du chansonnier :
Les chansons de ce poète-ouvrier étaient déjà ce qu’elles ont presque toujours été depuis : beaucoup de vers très-prosaïques, des idées communes, mais tout-à-coup un trait flamboyant, un trait de génie sort de ce fatras, vous empoigne et révèle le poète.11
10Si le substantif poète vient, comme autrefois à propos de Béranger, donner une légitimité littéraire in extremis à Leroy dans ce passage, celui de poète-ouvrier relève d’abord d’une classification socio-historique, et l’ensemble de l’œuvre est avant tout dévalorisé et qualifié de « fatras ». La dévalorisation passe, chez Baillet, par la négation de l’originalité, et par la non-reconnaissance de la singularité, comme le montre la mention des « idées communes ». Les « vers très-prosaïques », eux, sont en opposition avec la valorisation finale, l’aspect prosaïque des vers s’opposant à l’écriture poétique qui doit se distinguer aussi radicalement que possible de l’écriture en prose. Le vers n’est pour Baillet qu’un moyen de l’expression poétique, et l’on voit dans ce passage que Leroy n’est censé atteindre la pureté poétique qu’à de rares occasions qui font sa valeur toute relative. Plus loin, Baillet qualifie la chanson L’Ouvrier de « bien mauvaise chose qui n’en montait pas moins les têtes », et il commente une citation de Les Soldats du désespoir en ces termes : « Tout cela est écrit comme ça peut, mais il y a là la note particulière de l’auteur »12.
11Dans ces deux derniers passages, le jugement négatif est à nouveau contrebalancé par un élément positif : l’écriture aurait peu de valeur, mais elle aurait de l’intérêt pour son efficacité en termes de réception (« n’en montait pas moins les têtes ») et pour la singularité auctoriale (« la note particulière de l’auteur »). Ces éléments positifs sont probablement liés à la popularité historique de Leroy, et l’on peut distinguer dans cette évaluation critique un double mouvement de rejet stylistique et d’appréciation générique. Si l’écriture de Leroy n’a pas grande valeur pour Baillet, il faut pourtant reconnaître qu’elle a atteint son objectif dans la mesure où elle a rencontré le public qu’elle cherchait. À propos de la goguette, il affirme ainsi :
Gustave Leroy était le dieu le plus fêté de ces temples de la chanson. Pourquoi ? C’est que cet homme avait touché juste la note qu’il fallait faire entendre à son entourage. Son public, c’était l’ouvrier, mais il faut bien remarquer que l’ouvrier qui préférait la goguette, c’est-à-dire le cabaret où l’on chante au simple cabaret où l’on ne fait que boire, celui-là était déjà l’ouvrier intelligent et penseur.13
12Le terme de note est à nouveau présent dans ce développement, et les deux appréciations positives sont donc liées : malgré le manque d’originalité dans les idées et la faiblesse du style allégués par le critique, l’œuvre de Leroy est remarquable en vertu de cette « note », qui est à la fois celle de la singularité et de la communication avec le public recherché.
13L’évaluation de Bachimont, probablement influencée par celle de Baillet, va dans le même sens :
Il connut la vogue de Gille, de Colmance, d’Alexis Dalès sans posséder leur valeur littéraire. Sa forme est incorrecte, la rime est pauvre, mais il a l’idée, il trouve le mot juste, l’image nette, et c’est ce qui porte sur les masses.14
14La « valeur littéraire », qui est celle de la « forme » des chansons de Leroy, est dépréciée, mais l’influence de la portée de ses textes « sur les masses » justifie la valorisation d’autres éléments que sont « l’idée, le mot juste et l’image nette », éléments qui sont absents chez Baillet et qui, comme le « trait de génie » évoqué par ce dernier, permettent de nuancer la dévalorisation posée initialement. Quoi qu’il en soit, les points stylistiques négatifs sont assez clairement désignés comme étant des problèmes de forme versifiée pour les deux biographes, tandis que les points positifs restent très vagues, dans la mesure où l’expansion caractérisante ne renseigne pas sur les critères d’évaluation (chez Baillet : « flamboyant », « de génie ») et où l’article défini présuppose un partage de référence problématique (chez Bachimont : « l’idée », « le mot », « l’image »). L’évaluation ne rend donc compte dans aucun des deux cas de la singularité auctoriale qui aurait permis à Leroy d’acquérir sa renommée.
15Autre point important dans ces jugements a posteriori : la comparaison de Leroy avec Charles Gille. Si elle est explicite chez Bachimont, elle est probablement présente, quoique de manière détournée, chez Baillet. En effet, dans sa « Préface ou extraits de l’histoire de la goguette », Baillet fait la part belle à Charles Gille, et l’établit très clairement comme figure de proue de l’ensemble des chansonniers populaires de la monarchie de Juillet et de la IIe République. En revanche, il ne mentionne que rarement Gustave Leroy. Cette prédominance de Gille s’est traduite par un regain d’intérêt de la part des chercheurs du xxe siècle15, qui ont affermi sa position, probablement à cause de l’accentuation par Baillet de son statut de chansonnier maudit (emprisonné, obligé de vendre ses chansons dans la rue), engagé politiquement, pauvre, et désespéré, son suicide à l’âge de trente-six ans en 185616 étant probablement l’un des événements ayant le plus joué dans sa réception17. Sans chercher à remettre en question l’importance de Charles Gille, que tous les témoins attestent, et dont rend compte aussi sa présence dans le Panthéon Nadar, il y a lieu de penser que l’insistance à son endroit a empêché un travail plus approfondi sur d’autres auteurs, dont Gustave Leroy18.
Image 4. Gustave Leroy, Archives nationales, collection Bachimont, AN AB XIX (721).

Image 5. Portrait de Gustave Leroy, dans La muse de l’atelier. Recueil de chansons nouvelles des meilleurs auteurs, Paris, Roger, 1860 (non paginé).

Le chansonnier et l’ouvrier : énonciation et politique
16En reprenant donc les propos de Baillet et Bachimont, on remarque une coïncidence dans l’évaluation du succès de Leroy. Les deux assertions concernant la réception de son œuvre concordent : « son public, c’était l’ouvrier » et « c’est ce qui porte sur les masses » font toutes deux du chansonnier un auteur qui parvient à toucher le public populaire, au sens social et culturel du terme. Le public « ouvrier » et les « masses » renvoient à la frange laborieuse, mais aussi indifférenciée, de la population. En effet, chez Bescherelle comme chez Larousse, la masse au sens politique se définit comme le « commun », c’est un ensemble qui est fondamentalement homogène, dans lequel les individus ne se distinguent pas, ce qui explique qu’on oppose les masses aux individus en général. Mais les masses, en tant que « commun des hommes »19, renvoient également à l’absence de distinction culturelle, et plusieurs citations dans la définition de Larousse permettent de l’observer, notamment celles de La Rochefoucauld-Doudeauville (« On entraîne les masses, et l’on raisonne les individus »), de Martin (« L’ignorance des masses est la condition nécessaire des gouvernements despotiques »), Peyrat (« L’emportement des masses est toujours proportionné à l’ignorance où elles sont plongées »). Dans les trois cas, les masses sont désignées comme constitutivement liées à l’ignorance et à l’incapacité à raisonner.
17Le terme ouvrier, lui, sans entraîner nécessairement un constat d’ignorance, désigne les individus qui « travaille[nt] habituellement de la main, qui [font] quelque ouvrage pour gagner un salaire »20. L’ouvrier en tant que type social n’est donc pas pensé comme un être de culture, mais comme un être de travail, les deux s’opposant souvent dans une tradition héritée de l’Antiquité où l’otium était le pendant negotium, et une marque de ce phénomène est visible dans la précision de Baillet à propos de l’ouvrier (« était déjà l’ouvrier intelligent et penseur ») : en opposant avec l’article défini un type d’ouvrier à un autre, Baillet fait référence à une représentation commune de la classe ouvrière rejetée pour son ignorance, ce qui ramène à l’une des caractéristiques négatives du terme masses.
18Un des premiers moyens pour sonder la spécificité de Leroy vis-à-vis de la classe ouvrière est d’analyser la présence du mot ouvrier à l’intérieur de son œuvre. Lorsqu’on regarde la distribution de ce substantif et des formes afférentes – ouvriers, ouvrière, ouvrières, ouvrier/ère(s) [adjectif] – dans l’ensemble du corpus, on constate que la mobilisation de ce désignateur social est nettement plus importante chez Leroy que chez les autres chansonniers. En ne tenant compte que des textes des chansons (en excluant les signatures), on atteint un total de 82 occurrences. Sur ces 82 occurrences, 26 appartiennent aux chansons de Gustave Leroy, alors que la moyenne des occurrences par auteur, une fois faits tous les relevés correspondants, est d’environ 2,521. Le deuxième auteur en termes d’occurrences d’ouvrier est L. C., chez qui on en compte 9. On tombe ensuite à 6 avec Demanet, et dix auteurs n’emploient aucune des formes du mot22.
19Non seulement l’œuvre de Leroy comprend donc plus d’un quart des occurrences, mais elle contient en outre près de trois fois le nombre d’occurrences le plus élevé après le sien. Par ailleurs, Leroy est le seul auteur à faire figurer à trois reprises le substantif dans un titre de chanson : on le trouve dans Aux citoyens Dupin et consorts. Les Ouvriers des Ateliers nationaux, dans L’Ouvrier et dans Aux ouvriers démocrates. Élections de 1850. Il est le seul avec Demanet (dans L’Ouvrière) à consacrer une chanson entière au type de l’ouvrier, et il associe clairement dans le refrain de cette chanson la notion de peuple et celle d’ouvrier23. C’est ainsi chez lui que l’acception du mot peuple est la plus nettement tirée du côté de la « classe ouvrière » (expression employée dans Napoléon député), les deux notions se rejoignant dans une représentation politique qui fait du peuple et de l’ouvrier le corps des électeurs républicains défendu par Leroy :
[Au peuple :]
Non, non, ce n’est plus une balle
Qui doit frapper tes oppresseurs,
Et c’est de l’urne électorale
Que sortiront tes défenseurs […].
(La Carte d’électeur)
Voici venir la guerre électorale,
Aux ouvriers j’adresse ma chanson :
Ne pas voter serait chose immorale,
Dans le passé puisons une leçon.
(Aux ouvriers démocrates)
20Le peuple et l’ouvrier sont ainsi deux éléments interdépendants, deux forces qui peuvent entraîner une amélioration des conditions de vie de tous, et le peuple forme probablement cette « classe où l’ouvrier végète » dont il est question dans L’Ouvrier (v. 3), et qui est un synonyme de la « classe ouvrière ».
21Les vers tirés de Aux ouvriers démocrates. Élections de 1850 montrent également un double mouvement de politisation et de socialisation de l’emploi du mot ouvrier, qui renvoie à la fois à une force politique et à un groupe social qui est l’interlocuteur privilégié. Le syntagme prépositionnel « Aux ouvriers » est placé en tête de vers au moyen de la métaposition, et le destinataire précède par là même l’expression du je de l’auteur-chansonnier (qui coïncide ici avec le canteur). Les deux instances sont mises en regard dans la bipartition syntaxique et métrique du vers, le je et la chanson qui en émane étant réunis dans le second hémistiche. À travers la manifestation d’une énonciation qui est destinée aux individus désignés comme ouvriers, plus nettement que chez n’importe quel autre chansonnier du corpus, Leroy thématise de manière réflexive, dans les premiers vers de ce texte, la visée même de son énonciation, en la mettant en lien avec son contexte électoral.
22L’écriture de Leroy est républicaine et se présente explicitement comme telle :
Salut, salut, auguste République,
Viens nous donner le règne de la loi,
Dans mes chansons, guérillas politique,
Pendant dix ans, j’ai combattu pour toi.
(La République française)
23La métaphore in praesentia des « guérillas politique » signale le contraste entre le passé d’opposition républicaine de l’œuvre et son présent d’adhésion au régime. Le mot guérillas (qui porte l’s au singulier) est rare encore à l’époque (il est absent du Grand dictionnaire universel de Larousse et du Dictionnaire universel de la langue française de Boiste) et désigne alors des partisans servant « dans une guérilla, c’est-à-dire dans un corps de troupe légère et qui va à la découverte et combat par escarmouche »24. C’est donc une ici métonymie de la lutte armée non institutionnelle et militaire, et il est probable que l’expression soit à mettre en rapport avec le motif du soldat ouvrier que Leroy travaille dans Les Soldats du désespoir (« Or, ces soldats que je cite / Étaient tous des ouvriers », v. 10-11). L’œuvre chansonnière de Leroy se donne ainsi comme une lutte politique destinée aux ouvriers pour la victoire de la République.
24À travers un discours chansonnier qui prend explicitement et de manière récurrente pour énonciataires les ouvriers, Leroy ne se fait pas radicalement différent de ses homologues, mais il tend à rendre l’interprétation de ses textes, et de ses adresses au peuple notamment, moins ouverte. Il se distingue ainsi par la mise en système de certains éléments et par un commentaire sur sa propre pratique qui participe d’une représentation de soi et de son œuvre comme singuliers. Mais si l’on voit dans ce schéma énonciatif un élément de singularisation, et donc d’individualisation, dans l’œuvre, le choix des ouvriers comme objets et destinataires de la chanson est également le signe d’un autre trait majeur de l’écriture de Leroy, en lien avec la dimension constitutivement non intellectuelle des « ouvriers » et des « masses » évoquée par Baillet et Bachimont25.
La valorisation du savoir
25C’est encore une fois à travers les substantifs que le phénomène se manifeste à première vue : enseignement26, éducation27, raison28 intelligence29, école30 sont ou bien des hapax dans le corpus général, ou bien des termes employés à plusieurs reprises et avec plus de régularité que chez les autres auteurs. La récurrence inhabituelle de ces substantifs et leur appartenance à un même champ sémantique leur donnent une valeur structurante. C’est un paradigme de la connaissance et de l’apprentissage31 qui se développe d’une chanson à l’autre, et la connaissance est souvent envisagée sous l’angle de l’instruction, comme le montre l’emploi du terme, à trois reprises (les italiques sont toutes absentes du texte original) :
Mais, dites-vous, les pauvres sont stupides ;
Eh bien ! donnez à tous l’instruction.
(La Constitution républicaine de 1848, str. 5)
Enfants du pauvre, accourez aux écoles
Où vous pouvez puiser l’instruction,
Abandonnez quelques plaisirs frivoles
Qui font en vous naître la passion […].
(Les Enfans du pauvre, v. 1-2)
Élus du peuple, occupez la Montagne,
Faites valoir nos droits de Février,
Que les proscrits quittent enfin le bagne,
Que le travail échoie à l’ouvrier :
Instruction pour tous, gratuite, égale,
Du pain, du feu pour nos pauvres vieillards,
Inaugurez la France sociale […].
(Aux représentants de l’armée. Les Députés montagnards de 1849, str. 2)
26Ces trois occurrences montrent l’importance de la notion chez Leroy, importance encore accrue quand l’on remarque que chez les autres auteurs le terme n’est employé qu’à deux endroits, une fois chez Constant Arnould32 et une autre chez Charles Gille33. Dans les deux premiers exemples, le syntagme nominal défini singulier désigne une entité dont l’existence est présupposée et la référence est présentée comme partagée, l’instruction est une valeur34 primordiale pour le chansonnier. Le verbe puiser est en emploi métaphorique dans le vers des Enfans du pauvre :
L’emploi tropique d’un verbe est inséparable d’une connexion contradictoire avec les partenaires nominaux. Un verbe métaphorique est un verbe construit avec un ou plusieurs arguments non solidaires n’admettant pas de leur côté une interprétation figurée ponctuelle indépendante.35
27Le substantif instruction n’a pas d’interprétation figurée indépendante : il ne dénote que son signifié commun, et c’est le verbe qui introduit un conflit conceptuel en étant incompatible avec les signifiés de enfants du pauvre et instruction. Le rétablissement d’une continuité entre le verbe et son complément fait de l’instruction un liquide à travers le procès de puisage, et tend à en faire un élément de désaltèrement nécessaire à la survie humaine. L’injonction adressée par le canteur aux « enfants du pauvre » inscrit ainsi le puisage dans une logique de la nécessité, opposée à la superficialité des « plaisirs frivoles ».
28C’est surtout dans le dernier extrait que la notion d’instruction est emphatisée : le substantif n’est précédé d’aucun déterminant, et il est le thème d’une phrase averbale. À la répétition anaphorique des impératifs (« occupez », « faites ») et des constructions exclamatives (que conjonctif ou adverbial + proposition au subjonctif) dans les quatre premiers vers de la strophe, succède celle des phrases averbales scindées en thème + prédicat (« Instruction / pour tous, gratuite, égale » et « Du pain, du feu / pour nous pauvres vieillards ») dans les deux vers suivants, ce mouvement averbal étant introduit par le substantif instruction qui, tout en occupant à lui seul un hémistiche entier, est le seul thème explicite à être employé sans déterminant à l’intérieur de la strophe (dans la seconde phrase averbale, les syntagmes « du pain » et « du feu » comprennent tous deux un article partitif). L’absence de déterminant, à laquelle peut éventuellement s’ajouter un détachement dû à l’hémistiche, entraîne virtuellement une forme de sous-prédication réduite au premier substantif, qui serait équivalente à une exclamation vindicative : « Instruction ! »
29Le prédicat averbal qui suit le thème (« pour tous, gratuite, égale ») lui assigne trois éléments détachés, et le cinquième vers de la strophe prend ainsi une allure de revendication concernant l’instruction, son énoncé étant comparable aux constructions que l’on peut rencontrer en contexte de lutte sociale, par exemple dans des manifestations ou sur des tracts36. Le vers sur l’instruction mobilise ainsi le support (le texte imprimé sur une feuille volante) et le contexte politique (élection des « députés montagnards de 1849 ») qui conditionnent l’énonciation de la chanson, tout en faisant de l’instruction, à nouveau, un enjeu primordial.
30Le substantif instruction et ceux qui, structurant l’œuvre de Leroy, l’accompagnent sont relayés sémantiquement dans les textes par de nombreux verbes, au premier rang desquels se trouvent les verbes instruire (8 occurrences, dont une en refrain), connaître (8 occurrences), comprendre et ses dérivés (7 occurrences) et évidemment savoir. Ce dernier verbe est présent à près de trente reprises dans les chansons de Leroy, et sa portée est immédiatement visible dans les deux passages où il est employé seul, à l’infinitif :
Il faut enfin, que celui que l’on nomme,
De son mandat sache la sainteté ;
Il ne faut plus qu’il vote, homme futile
Sans le savoir, pour Jésus ou Judas.
(À l’Assemblée nationale. Les Députés de 1848)
Croyez-le bien, j’ suis plus heureux qu’un roi
Qui vit et meurt sans trop savoir pourquoi.
(Les Aristos)
31Dans les deux cas, l’infinitif est précédé d’une négation véhiculée par le morphème sans. Dans le premier, la négation est totale, tandis que dans le second, elle est restreinte par l’adverbe trop qui, dans ce contexte syntaxique, prend un sens qualitatif : « sans trop savoir » désigne moins une absence de savoir qu’une connaissance intuitive et partant incomplète ou imprécise. Or cette connaissance incomplète est dévalorisée dans la comparaison entre le je et le « roi » : la relative explicative qui caractérise le roi (« qui vit et meurt sans trop savoir pourquoi ») est d’un point de vue logique la seule caractéristique qui permette de justifier l’avantage du je, et dès lors le bonheur du je provient de son savoir. Dans À l’Assemblée nationale. Les Députés de 1848, le verbe savoir est repris en polyptote, d’abord sous sa forme conjuguée au subjonctif présent (« sache »), ensuite sous sa forme infinitive. Le polyptote permet d’observer la récurrence du verbe par-delà son changement d’objet, et les deux modalisations déontiques opposées en début de vers (« il faut enfin » / « il ne faut plus ») portent avant tout sur le savoir lui-même : l’important n’est pas le résultat du vote, mais bien le savoir qui oriente le vote, et son absence explique le groupe nominal caractérisant apposé au sujet (« homme futile »). Par la double négation (« il ne faut plus […] sans le savoir »), l’absence de savoir est présentée comme le corollaire de la futilité, et le savoir est valorisé par contraste : comme « l’instruction » de Les Enfans du pauvre s’opposait à la frivolité, le « savoir » s’oppose dans ce texte à la futilité.
32Lorsqu’il est conjugué, le verbe savoir est tout aussi central dans l’écriture de Leroy. Il contribue par ses emplois à la singularisation de l’œuvre au sein de la production chansonnière en assurant une structuration notionnelle et idéologique qui entraîne la cohésion des textes les uns avec les autres. Deux vers commencent ainsi par la même séquence, « Le peuple sait » : « Le peuple sait comment on brise un trône » dans Napoléon député et « Le peuple sait fort bien que ces salles sont pleines / De tous ces intrigants vêtus de sa toison » dans Prisonniers de Vincennes, ou l’Affaire du 15 mai 1848. La complémentation du verbe par une proposition adverbiale lui donne un sémantisme proche de l’auxiliaire modal suivi d’un infinitif, construction que l’on retrouve par ailleurs dans l’œuvre37, et savoir dénote alors, en concurrence avec pouvoir sur l’axe paradigmatique, la capacité à faire quelque chose. L’auxiliaire modal est employé dans ce sens à plusieurs formes du passé dans de nombreuses chansons38.
33En revanche, la complémentation du verbe par une complétive, comme dans Prisonniers de Vincennes, lui donne une valeur différente. Avec cette construction, savoir est le vecteur d’une forte modalisation de l’énoncé39. Comme l’affirme Sorin Alexandrescu dans une étude sur les modalités croire et savoir :
le choix d’une modalité, par un locuteur, pour exprimer son attitude envers l’énoncé et/ou envers le récepteur de celui-ci, est déterminé par au moins deux (groupes de) critères : 1) ses informations concernant p ; 2) son engagement envers p (intérêt, préférence, normes sociales, actions précédentes, intentions d’avenir, etc.).40
34Le verbe savoir se caractérise, en ce qui concerne les informations de l’énonciateur, par un constat et une affirmation de véracité de la proposition énoncée, et par un engagement positif à son égard. L’information véhiculée par l’élément qu’introduit le verbe est donc présentée comme vraie, et l’attitude de l’énonciateur par rapport à cette information est une attitude de valorisation41. Dans l’exemple qui précède, le jugement négatif porté par le sujet (« le peuple ») sur le public des réceptions (« ces salles sont pleines / De tous ces intrigants vêtus de sa toison ») est ainsi validé. Le fonctionnement est le même, avec des constructions différentes, dans les vers suivants :
Ledru-Rollin on te propose
Aux démocrates-sociaux,
Sape en défendant notre cause
Un principe que tu sais faux.
(La Course à la présidence)
Nous le savons, vous avez la puissance,
Et vous armant du droit de député,
Nous le savons, vous rêvez la Régence,
Vous ne vivez que pour la Royauté […].
(Aux citoyens Dupin et consorts. Les Ouvriers des Ateliers nationaux)
Je sais par cœur les hontes de l’empire […].
(Aux ouvriers démocrates. Élections de 1850)
35L’emploi du verbe savoir entraîne donc la valorisation de certaines propositions par l’énonciateur, mais également celle du sujet du verbe, porteur de la proposition, et celle de l’énonciateur qui est présenté comme une instance de validation des informations et construit par là même son autorité.
36La présence du substantif science va également dans ce sens, comme l’illustre l’injonction faite à Louis-Napoléon Bonaparte dans Napoléon député : « Apporte-nous le fruit de la science / Qui, tu l’as dit, affluait dans tes goûts », et l’autorité culturelle et intellectuelle du chansonnier est également construite à plusieurs reprises dans la confrontation avec la figure du futur prince-président. En effet, la référence au « livre heureux, traitant du Paupérisme » de Bonaparte, et celle à l’Histoire de la Révolution française de Thiers42 (« Dans votre livre, ô mon bon Monsieur Thiers, / Je vais puiser la revue à Boulogne ») attribuent à l’auteur-chansonnier des connaissances et une honnêteté intellectuelle permises par l’étude. C’est probablement pour cette raison qu’en plus des nombreuses injonctions en rapport avec la pensée ou la connaissance43, certaines injonctions sont renforcées par l’adverbe modalisateur bien qui place l’énonciateur dans une position de supériorité : « souviens-toi bien » (Napoléon député), « songeons bien » (La Course aux élections), « remarquez bien » (Élections de 1850).
L’argumentation didactique
37Le savoir est donc à la fois valorisé et valorisant chez Leroy, mais il est, comme le montre l’adresse à Ledru-Rollin dans La Course à la présidence, également lié au vote et à la politique. Les chansons de Leroy prennent ainsi une dimension profondément républicaine (explicitée entre autres dans les vers qui saluent l’« auguste République » vus plus haut), et l’exercice intellectuel est interdépendant d’un exercice de la citoyenneté qui passe par la réflexion et la connaissance. L’importance dans les textes des structures de réfutation et d’opposition dialectique s’inscrit par conséquent dans une poétique argumentative (indissociable de la portée politique de la grande majorité des chansons de l’auteur) qui met en scène un exercice intellectuel de situation et de confrontation. Cela est visible de manière particulièrement prégnante dans deux chansons où le je situe son énonciation en passant par une opposition :
Je ne suis pas un ardent communiste,
Je ne veux point ce qui n’est pas à moi ;
Je fais la guerre au gros capitaliste,
Qui, sur nos bras spécule sans émoi.
(À l’Assemblée nationale. Les Députés de 1848)
Je n’ les aim’ pas, non point parc’ qu’ils sont riches
Mais parc’ que l’or rend un homme immoral […].
(Les Aristos)
38Les deux textes font succéder un élément asserté positivement (« je fais » / « parce que ») à un ou plusieurs éléments écartés par la négation (« je ne suis pas », « je ne veux point » / « non point parce que »). Dans les deux cas, l’élément réfuté est inutile à l’assertion et il est employé, d’un point de vue argumentatif, comme une précaution prise par le je pour situer son action (faire la guerre au gros capitaliste ou ne pas aimer les aristos). Le fonctionnement binaire de réfutation/assertion permet à l’énonciateur d’expliciter une interprétation possible de sa prise de parole de manière à entraîner, par la négation de cette interprétation, une réévaluation de l’action qu’il revendique, et à présenter cette action comme nuancée. Le discours procède donc par une forme d’antéoccupation, pour pousser le destinataire à envisager la spécificité de la position adoptée.
39Si la binarité du fonctionnement argumentatif passe dans ces deux extraits par un parallélisme qui oppose les arguments autour d’une parataxe asyndétique (un point-virgule dans Les Députés de 1848) ou d’un système composé d’une double négation suivie d’une conjonction adversative (« non point […] mais » dans Les Aristos), c’est dans de nombreuses chansons un adverbe qui porte la réfutation. Ainsi, dans plusieurs cas, l’adverbe non, équivalent à une phrase, récuse ce qui précède ou y répond négativement. Le plus souvent détaché syntaxiquement, il est alors employé seul, en interjection, et le fonctionnement argumentatif se fait en plusieurs temps ; l’objet de la réfutation précède la négation, qui est elle-même suivie d’une confirmation ou d’un dépassement, comme le montrent les exemples suivants :
Ils ont de l’or, ces fiers capitalistes,
Mais, qu’en font-ils ? Donnent-ils le bonheur ?
Non… loin de là, ces méchants égoïstes,
Avec de l’or sèment le déshonneur !
(Les Députés montagnards de 1849)
Pens’nt-ils qu’ l’esprit s’ vend avec les pal’tots,
Non, c’est du cœur que jaillit la pensée […].
(Les Aristos)
40À de nombreuses reprises, les connecteurs pourtant44 et cependant marquent aussi le mouvement de l’argumentation. Gustave Leroy est ainsi l’auteur du corpus qui utilise le plus l’adverbe cependant, marqueur de concession :
On peut fort bien être très-honnête homme,
Sans, cependant, être bon député.
(À l’Assemblée nationale. Les Députés de 1848)
On nous promet des fêtes populaires,
Et cependant les pauvres ouvriers
Manquent encor des choses nécessaires […].
(La Constitution républicaine de 1848)
Nous succombons martyrs de l’industrie,
Et cependant l’or brille en des salons.
(Les Colons de l’Algérie)
41Comme le rappelle Christiane Marchello-Nizia, le connecteur cependant introduit en français une concession, celle-ci étant généralement définie par « la notion de “cause inefficiente, ou non efficace”, qui est une forme d’implicature : “si q, nég. p” (q étant la protase, et p l’apodose) : le contraire de la cause. La proposition introduite par cependant correspond à celle qui exprimerait la cause, mais niée, ou inversée »45. Ce fonctionnement est à l’œuvre dans chacun des trois passages cités. Si l’on prend par exemple les vers de La Constitution républicaine de 1848, la proposition introduite par « et cependant » vient s’opposer à la conclusion supposément liée à la proposition qui précède selon le schéma suivant :
q : On nous promet des fêtes populaires.
→ conclusion attendue (p) : on a assez d’argent pour payer les choses superflues que sont les fêtes populaires.
et cependant (nég. p) les pauvres ouvriers manquent encore des choses nécessaires.
42L’écriture de Leroy procède donc souvent par réfutation et le discours du chansonnier semble s’articuler le plus souvent de manière binaire, en opposant clairement deux éléments dont le second permet d’envisager le discrédit jeté sur le premier. Ce fonctionnement, visible au niveau microtextuel, est visible également à un niveau plus élevé dans des chansons comme Le Bal et la guillotine, Je ne veux plus chanter, Les Hommes de la veille et ceux du lendemain, ou encore Peuple et bourgeoisie, qui reposent entièrement sur un système d’oppositions binaires.
43À travers cette binarité généralisée, l’écriture de Leroy se présente comme fondamentalement argumentative. C’est aussi pour cette raison que plusieurs chansons, à l’instar de Les Aristos (par exemple Aux citoyens Dupin et consorts. Les Ouvriers des Ateliers nationaux ou La Constitution républicaine de 1848), laissent place à une discussion de propos tenus par ceux qui sont considérés comme des adversaires :
Les ARISTOS, dans leur humeur jalouse,
Ont fait surgir un mot peu délicat,
Aux sots l’habit sert de certificat,
Ils s’croient d’ l’esprit si leur mise est aisée,
S’ils ont toujours des bijoux, des chapeaux,
Pens’nt-ils qu’ l’esprit s’ vend avec les pal’tots,
Non, c’est du cœur que jaillit la pensée […]. (str. 6)
44La chanson reprend les propos adverses au discours direct (« Aux sots l’habit sert de certificat ») et les fait suivre d’une déconstruction polémique (portée notamment par la modalisation épistémique « Ils s’ croient »), avant de les dénoncer pour leur absurdité en une interrogation rhétorique (« Pens’nt-ils qu’ l’esprit s’ vend avec les pal’tots »), pour finalement proposer une assertion donnée comme supérieure : « C’est du cœur que jaillit la pensée ». Le fonctionnement de la strophe est dialectique et passe par la citation et sa contestation avant de constituer l’avant-dernier vers en épiphonème avec les deux groupes nominaux définis et le pseudo-clivage syntaxique.
45En intégrant à la visée argumentative des chansons de Leroy l’énonciation dirigée vers les ouvriers, la dimension politique, et la question du savoir et de l’instruction, on peut probablement aborder le processus d’individualisation de cet auteur dans le langage. L’œuvre de Leroy fait de la chanson le lieu d’une argumentation didactique, où l’exercice intellectuel est lié à l’exercice de la citoyenneté, ce qui explique sans doute que cet auteur soit le seul du corpus pour lequel le texte comme le paratexte présentent autant d’indications explicites de vote46.
46Pour toutes ces raisons sans doute, Leroy est, pendant la IIe République, un des chansonniers les plus connus et les plus reconnus. Son œuvre était magnifiée par Durand, qui faisait afficher ses chansons en grands formats dans les rues de Paris47, et Hippolyte Demanet rend hommage à sa supériorité dans Les Héros de la chanson48, à la troisième strophe, entre Pierre Dupont et Charles Gille :
Dans les grands mots où l’écrivain s’engage,
Le travailleur est mis en désarroi,
Il faut savoir emprunter son langage :
Qui le sait mieux ?… C’est GUSTAVE LEROY49.
À contrôler, sa lyre, toujours prête,
Proclame haut un abus de pouvoir :
Réunissant la science au devoir,
De l’ouvrier sa plume est l’interprète.
47L’individualisation à l’œuvre dans les chansons de Leroy rend ainsi possible pour le public la perception de son œuvre comme distincte, à la fois du point de vue de la cohésion et du point de vue de la valeur, à l’intérieur de la production chansonnière générale. Les chansons de Leroy sont pensées dans une continuité qui les unit les unes aux autres, et le nom d’auteur fonctionne ainsi comme signal d’une valeur construite individuellement par une certaine pratique d’écriture. Il y a bien, et les témoignages comme ceux de Demanet en sont la preuve, une existence singulière des différentes œuvres et de leurs auteurs dans les représentations collectives de l’époque. Or l’individualisation passe dans les textes par la construction de certaines figures auctoriales qu’il s’agit alors d’étudier.
Image 6. Gustave Leroy, Les Soldats du désespoir, Paris, Imprimerie de Beaulé et Maignand, 1848, BnF Ye 7185 (302). Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

Notes de bas de page
1 Jacques-Philippe Saint-Gérand, « Entre nébulosité et évidence, le style d’auteur », Style d’auteur, É. Bordas éd., no 148 de Romantisme, 2010, p. 34 – italiques dans l’original.
2 Contrairement à certains stylisticiens, et notamment à la démarche exposée par Michael Riffaterre en vue d’une « méthode stylistique », il ne sera pas considéré ici que les traits à analyser sont ceux qui relèvent du « choix » du sujet écrivant (Le style des Pléiades de Gobineau. Essai d’application d’une méthode stylistique, Genève-Paris, Droz-Minard, 1957).
3 De ce point de vue, l’individualisation dans le langage suppose un fonctionnement parallèle à celui de l’individualisation existentielle qui concerne l’individu en tant qu’être du monde : « L’auto-différenciation des personnes est […] une sorte de sur-individuation, d’individuation redoublée par son caractère conscient : pour cette raison, on peut donner un nom spécial à l’individuation des personnes et l’appeler “individualisation”, parce qu’il s’agit clairement non d’une individuation constitutive, mais d’un processus de différenciation. L’individualisation représente donc le degré le plus fort de différenciation, précisément parce qu’il s’agit d’une différenciation à la fois interne et, potentiellement au moins, continuée. Mais parce que l’individualisation est un mode conscient de différenciation, il peut ne pas être conduit ou ne pas être efficacement conduit : il n’est pas contradictoire de dire de ces individus que sont les personnes qu’ils manquent d’individualité, voire même qu’ils prennent goût à leur indifférenciation » (Stéphane Chauvier, « Particuliers, individus et individuation », L’individu. Perspectives contemporaines, P. Ludwig et T. Pradeu éd., Paris, Vrin, 2008, p. 33-34 – italiques dans l’original).
4 Ainsi, comme le rappelle Catherine Kerbrat-Orecchioni dans une discussion autour de la « non-personne » de Benveniste, le pronom personnel de troisième personne est toujours une sorte de déictique négatif, le il supposant un je qui s’en distingue : « “il(s)” et “elle(s)” sont à la fois déictiques (négativement : ils indiquent simplement que l’individu qu’ils dénotent ne fonctionne ni comme locuteur, ni comme allocutaire) et représentants (ils exigent un antécédent linguistique) » (L’énonciation de la subjectivité dans le langage, Paris, A. Colin, 1980, p. 40).
5 Ce genre de problèmes est visible dans le questionnement d’Anne Herschberg Pierrot à propos du syntagme flaubertien (voir chapitre 5, section « Récurrences »).
6 Dominique Maingueneau, Le discours littéraire, ouvr. cité, p. 5-6.
7 La biographie de Gustave Leroy (6 octobre 1816 - 14 avril 1860) est assez mal connue. Parmi tous les récits dans lesquels son nom apparaît (par exemple dans la revue La Chanson du 19 juin 1880, p. 42, ou la « Préface ou extraits de l’histoire de la goguette » d’Eugène Baillet, art. cité, pour le xixe siècle), on trouve néanmoins plusieurs textes qui l’évoquent plus spécifiquement : la « Notice autobiographique » insérée dans La Muse de l’atelier en 1860 et reprise dans La goguette et les goguettiers d’Eugène Imbert (ouvr. cité), la notice biographique rédigée par Baillet dans La Chanson du 1er mars 1879 (p. 144-147), la notice biographique donnée par Bachimont (AN ABXIX 721), et quelques pages de Chansons et chansonniers d’Henri Avenel (ouvr. cité). Toutes ces données ou presque sont reprises dans La muse du peuple de Philippe Darriulat (ouvr. cité), qui donne la biographie la plus complète de Gustave Leroy à ce jour. On pourrait simplement discuter un point de cette notice. Darriulat affirme à propos de Leroy : « ses productions sont imprimées sur de petites brochures vendues dans les rues pour dix centimes, mais il ne fit jamais paraître de recueil de ses œuvres pourtant très abondantes : Bachimont parle de 400 titres. En 1844, cependant, le libraire Eyssautier propose La Voix du peuple, œuvres complètes de chansons populaires de Gustave Leroy, mais il s’agit en fait d’une tentative de proposer une publication régulière des chansons présentées en goguette, Gustave Leroy n’est donc pas le seul auteur présent dans les deux livraisons conservées à la Bibliothèque nationale de France » (p. 675). En fait, Leroy a bien fait paraître en plusieurs livraisons chez Durand un recueil de ses chansons, intitulé Les Filles du peuple. Recueil de chansons anciennes et nouvelles de Gustave Leroy en 1851, augmenté d’une préface de l’auteur en date du 12 février 1851.
8 Leroy a commencé à écrire vers 1835 (voir Philippe Darriulat, La muse du peuple, ouvr. cité, p. 674), et nombre des chansons qui sont imprimées sous son nom pendant la IIe République ont été écrites et publiées antérieurement.
9 « Ce chansonnier fut incontestablement un des plus populaires de notre temps » (Eugène Baillet, « Gustave Leroy », La Chanson, 1er mars 1879, p. 145), « Gustave Leroy fut un des chansonniers les plus populaires du xixe siècle ; un de ceux qui ont été célèbres dans les mansardes et dans l’atelier, qui eurent la joie d’entendre leurs chansons interprétées par les chanteurs des rues et moulues par les orgues de Barbarie » (Bachimont, AN AB XIX 721). Charles Nisard place Leroy parmi « les plus fameux » dans les années 1850 (Des chansons populaires chez les Anciens et chez les Français, ouvr. cité, t. 2, p. 166).
10 Henri Avenel, Chansons et chansonniers, ouvr. cité, p. 173.
11 Eugène Baillet, « Gustave Leroy », art. cité, p. 145.
12 Ibid., p. 146.
13 Ibid.
14 AN ABXIX 721.
15 Voir par exemple Pierre Brochon, La chanson française, t. 2, ouvr. cité ; Dietmar Rieger éd., La chanson française et son histoire, ouvr. cité ; Herbert Schneider, La République clandestine : 1840-1856. Les chansons de Charles Gille, Hildesheim, G. Olms, 2002.
16 Voir par exemple Eugène Baillet, « Gustave Leroy », art. cité, et « Charles Gille, préface-notice », Le Témoin, repris dans Chansons de Charles Gille, réunies pour la première fois, Paris, Labbé, 1893.
17 Voir les hommages en vers publiés par Eugène Imbert dans La goguette et les goguettiers, ouvr. cité, et Marius Boisson, Charles Gille ou le chansonnier pendu, 1820-1856. Histoire de la goguette, Paris, J. Peyronnet, 1925.
18 Gille et Leroy étaient d’ailleurs très proches, et sans même reprendre ce que disent les différents historiens de leurs liens de sociabilité étroits, on remarque que les œuvres elles-mêmes portent la trace d’un dialogue auctorial, notamment avec la chanson de Charles Gille intitulée À mon ami G… L…, que l’on peut interpréter avec Pierre Brochon comme un hommage à Gustave Leroy.
19 Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel, ouvr. cité, t. 10, p. 1310.
20 Louis-Nicolas Bescherelle, Dictionnaire national, ouvr. cité, t. 2, p. 731.
21 La médiane se situe à 1.
22 Il est important de noter que la plupart des auteurs qui font suivre leur signature d’une qualification ouvrière (par exemple « Apollinaire Catala, ouvrier menuisier ») n’utilisent pas le mot dans leurs textes, comme si leur qualité affichée d’ouvrier, en caractérisant l’énonciation de l’auteur-chansonnier, rendait inutile la thématisation des problématiques ouvrières.
23 « L’honneur du peuple est encor quelque chose / Pour le chanter, moi, je reste ouvrier !!! » (voir chapitre 3, section « La chanson et le peuple ») ; on trouve une autre assimilation du même genre dans Peuple et bourgeoisie.
24 Louis-Nicolas Bescherelle, Dictionnaire national, ouvr. cité, t. 2, p. 80.
25 L’absence de travail intellectuel des ouvriers est évidemment une représentation fantasmée, les chansons en sont une preuve parmi beaucoup d’autres étudiées notamment par Jacques Rancière, La nuit des prolétaires, ouvr. cité, et Hélène Millot et al. éd., La poésie populaire en France au xixe siècle, ouvr. cité.
26 « L’Enseignement qu’avec joie ils détruisent, / Doit enrichir prêtres et capucins […] » (Aux ouvriers démocrates. Élections de 1850). Ce vers comporte, avec une majuscule emphatique à enseignement, la seule occurrence du mot dans un texte de chanson sur l’ensemble du corpus.
27 « Notre éducation se fait pour l’avenir » (Prisonniers de Vincennes ou l’Affaire du 15 mai 1848) – seule occurrence du mot éducation dans l’ensemble du corpus.
28 Le substantif raison se rencontre douze fois dans l’œuvre de Leroy. On le trouve quatre fois dans un syntagme nominal défini avec son sens subjectif de « mode de pensée » ou de « faculté de penser » : « Que la raison sauve la nation » (La Constitution républicaine de 1848), « On prend en main l’arme de la Raison » (Les Enfans du pauvre), « Mais la raison détruisant le prestige » (Les Élections républicaines de 1849), « Aux canons des tyrans opposons la raison » (Prisonniers de Vincennes ou l’Affaire du 15 mai 1848).
29 « Son sabre est son intelligence ! » (La Course à la présidence), « On s’assassine avec l’intelligence » (Les Enfans du pauvre), « Émancipez toujours l’intelligence » (Le Prisonnier).
30 « C’est à l’école du malheur / Qu’il faut t’instruire » (La Carte d’électeur), « Enfants du pauvre, accourez aux écoles » (Les Enfans du pauvre), « Que nos enfants aux écoles s’instruisent » (La République française).
31 « Tu vas enfin apprendre à lire / Avec ta carte d’électeur » (La Carte d’électeur), « Apprenez bien ses droits à l’ouvrier » (Le Prisonnier).
32 « L’instruction chasse la servitude » (La Vile Multitude).
33 « On voit dans chaque nation / Des écoles et des collèges / Où l’on vend de l’instruction » (Les Mineurs d’Utzel). On notera chez Gille l’emploi du substantif comme noyau d’un syntagme nominal partitif, qui désigne une quantité prélevée sur un ensemble et non un référent unique et indivisible.
34 D’un point de vue moral, une valeur est l’une des composantes d’un système axiologique bipolaire orienté d’un côté vers le bien et de l’autre vers le mal. Une valeur peut être positive ou négative, ce qui importe étant la fonction de repère qu’elle assure dans le discours et les représentations du sujet. Ainsi, le meurtre et la justice sont deux valeurs qui peuvent coexister dans un système donné, le premier étant une valeur négative, et la seconde une valeur positive. La mobilisation des valeurs dans le discours peut être implicite ou explicite. Si elle est implicite, le décodage du discours permet de déceler les valeurs qui le sous-tendent, ou, à l’inverse, la connaissance des valeurs qui sous-tendent l’énoncé permet de le décoder. S’il est explicite, la présence dans l’énoncé d’une valeur désignée généralement par un substantif sert de catalyseur axiologique : le substantif en question s’adjoint ou s’oppose les éléments se trouvant dans son cotexte, ou dans le contexte.
35 Michele Prandi, Grammaire philosophique des tropes. Mise en forme linguistique et interprétation discursive des conflits conceptuels, Paris, Minuit, 1992, p. 81.
36 Cette construction, liée à une énonciation politique revendicatrice ou suppliante, est visible également dans le titre d’Auguste Loynel Amnistie ! Prière de la femme d’un transporté, ou encore dans celui de Louis Festeau Réforme ! Réforme !!!
37 « Aujourd’hui qu’en ce cœur couramment je sais lire » (Je ne veux plus chanter), « Je sais conduire et marteaux et compas » (La Tourterelle du pauvre), « Qui sait punir bien aisément pardonne » (À Dieu. Les Déportés).
38 « Déjà dans Rouen ils ont su triompher » (Les Ouvriers des Ateliers nationaux), « Vous souvient-il, lorsque la France en larmes / Sut ébranler le trône des Bourbons » (L’Ouvrier), « Quoique Lisette ait su m’en dégoûter » (Je ne veux plus chanter), « La tyrannie a su les illustrer » (Les Gravures), « J’ai bien souvent, pour quelques malheureux, / Su de vos cœurs faire mouvoir la fibre » (Le Prisonnier), « Nous avons su conquérir l’avenir » (Les Députés montagnards de 1849), « Gai savetier, j’ai su m’en créer un » (Le Bonheur du savetier), « C’est Albion, ses trahisons sans nombre / Ont su froisser les plis de tes drapeaux » (La Lionne), « Ils ont vécu… mais ils ont su mourir ! » (France et Pologne).
39 À la suite d’André Meunier, on distingue traditionnellement modalité d’énonciation et modalité d’énoncé : « Il est possible d’opposer deux types de modalités définies comme suit[.] (M1) – Modalité d’énonciation : se rapporte au sujet parlant (ou écrivant). Elle intervient obligatoirement et donne une fois pour toutes à une phrase sa forme déclarative, interrogative ou impérative. (M1) caractérise la forme de communication entre Locuteur et Auditeur. (M2) – Modalité d’énoncé : se rapporte au sujet de l’énoncé, éventuellement confondu avec le sujet de l’énonciation. […] (M2) caractérise la manière dont le sujet de l’énoncé situe la proposition de base par rapport à la vérité, la nécessité […], par rapport aussi à des jugements d’ordre appréciatif » (André Meunier, « Modalités et communication », Communication et analyse syntaxique, J. Perrot éd., no 21 de Langue française, 1974, p. 13-14).
40 Sorin Alexandrescu, « Sur les modalités croire et savoir », Langages, no 43, 1976, p. 20.
41 Voir à ce sujet Oswald Ducrot, « La description sémantique des énoncés français et la notion de présupposition », L’Homme, vol. 8, no 1, 1968, p. 46, et Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique, Paris, Hermann, 1972, p. 268-269.
42 Première tentative d’un « récit d’ensemble » de l’épisode révolutionnaire (d’après André Jardin et Jean Tudesq, La France des notables : 1815-1848, Paris, Seuil, 1973, p. 95-96), publiée de 1823 à 1827.
43 « Ne l’oubliez pas » (Les Députés de 1848), « N’oubliez pas » (Les Députés montagnards de 1849 et Les Vainqueurs et les vaincus, ou Républicains et royalistes), « réfléchissez » (Les Ouvriers des Ateliers nationaux et Élections de 1850), « réfléchis » (Les Ouvriers des Ateliers nationaux et Le Duel), « pensons » (La Course à la présidence), « pense » (Napoléon député et Les Vainqueurs et les vaincus, ou Républicains et royalistes), « pensez » (La Petite Colombe et Le Prisonnier), « songez » (Les Soldats du désespoir, Les Ouvriers des Ateliers nationaux, Les Brebis, Les Enfans du pauvre, La République française, Élections de 1850, Les Vésuviennes), etc. La prédominance du verbe songer est probablement due à une représentation de l’exercice intellectuel, le fait de songer supposant une durée qui peut être absente du sémantisme des autres verbes. On peut ajouter à ces injonctions l’assertion « vous ignorez », adressée à André Dupin (Les Ouvriers des Ateliers nationaux).
44 Voir par exemple Napoléon-le-Grand, La Carte d’électeur, La Course aux élections, Aux ouvriers démocrates, Élections de 1850, etc.
45 Christiane Marchello-Nizia, « Le principe de surprise annoncée. Grammaticalisation et pragmaticalisation de cependant », Discours. Revue de linguistique, psycholinguistique et informatique, no 1, § 11. En ligne : [http://discours.revues.org/68].
46 Ainsi, La Course aux élections, dont certaines strophes présentent la singularité de mettre en vers de longues listes de noms d’hommes politiques (procédé qui fait penser au Hugo de Les Châtiments – le nom de Hugo apparaissant d’ailleurs dans ces listes), est encadrée par deux « Bulletins de vote » qui comprennent les noms des personnalités à élire (voir BnF, Fol LB55 645), et La Course à la présidence distingue les candidats jugés mauvais de Ledru-Rollin qui est, lui, recommandé. Ces exemples distinguent très nettement la pratique de Leroy de celle de L. C., comme le montre immédiatement la comparaison entre La Course aux élections et Les Papillons de la présidence.
47 Voir Les Hommes de la veille et ceux du lendemain, BnF Ye 784, et Eugène Baillet, « Gustave Leroy », art. cité, p. 146.
48 La chanson ouvre la deuxième livraison des Récréations de l’atelier, 1851, p. 13-14. Une note manuscrite sur l’exemplaire BnF – Ye 55472 (1795) – suppose que cette seconde livraison est « unique », mais c’est compter sans les Récréations de l’atelier. Romances et chansonnettes nouvelles publiées par Hippolyte Demanet, enregistrées en 1850 – BnF Ye 55472 (3812) –, et dont les pages sont bien numérotées de 1 à 12, permettant d’attribuer Les Héros de la chanson à Demanet.
49 En capitales dans le texte.
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