Gramsci, Sorel, Croce : de la « passion » au « mythe »
p. 175-198
Texte intégral
« Un ami désintéressé du prolétariat »
1De quelle façon Gramsci a-t-il lu Sorel et qu’a-t-il pu voir chez lui ? Le jeune étudiant sarde arrive à Turin à la fin de l’année 1911. Même si l’on tient compte du fait que ses années de lycée passées à Cagliari (de 1908 à l’été 1911) ont été marquées par une grande croissance culturelle et qu’elles ont été extrêmement importantes pour sa formation, il peut en tout cas commencer à s’intéresser à la conjoncture française au moment où les dreyfusards sont déjà dispersés, où Sorel a dévié à droite alors que Péguy, en 1910 – comme Sorel le fit remarquer à son disciple Édouard Berth le 24 mai, au moment où il apprit la prochaine publication de Notre jeunesse – veut se dégager « des alliances antirépublicaines que lui a values la Jeanne d’Arc »1. En effet, avec la publication de Notre jeunesse, le 17 juillet 1910, Péguy opposa un non très clair aux flatteries et aux offres de collaboration reçues quelques mois auparavant des milieux monarchistes et nationalistes, au cours d’une opération d’approche à laquelle Sorel avait lui-même participé, lorsqu’il publia, dans L’Action française du 14 avril, une recension du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc dans laquelle il célébrait ce patriotisme que, présumait-il, le dreyfusard avait rejoint2. Notons que, comme cela était annoncé dans la présentation de cet article3, celui-ci fut également publié le même jour par La Voce de Prezzolini4. Cette revue, et tout particulièrement les numéros de cette année-là, Gramsci les eut probablement auprès de lui à Cagliari ou à Turin, puisqu’il utilisera en 1915 deux fascicules plus anciens, ceux de février et de mars 1910, pour rassembler des informations sur Achille Loria5.
2Il est donc d’autant plus significatif que le Péguy célébré par Gramsci ne soit pas le néo-converti au catholicisme, mais l’intellectuel revendiquant courageusement l’ensemble de l’héritage de la révolution dreyfusarde, en termes socialistes, contre toute tentative de l’assimiler au « syndicalisme national » préconisé par Sorel à cette époque-là. Le « sens mystique et religieux du socialisme, de la justice, qui imprègne entièrement »6 Notre jeunesse, et que Gramsci rappelle en 1916, est une référence au lien entre « mystique » et « politique », entre élan et organisation, entre force et forme, ainsi qu’à la nécessité de maintenir vivante la tension entre ces deux moments, l’un et l’autre restant nécessaires. L’année suivante, en décembre 1917, Gramsci écrit : « Le socialisme est une vision intégrale de la vie : il a une philosophie, une mystique, une morale »7.
3Cette présence d’un moment « religieux » en politique – largement repris par Gramsci dans les Cahiers de prison – était aussi centrale dans la pensée de Sorel, du moins dans les années qui suivirent immédiatement son époque « révisionniste ». Entre 1903 et 1907, alors qu’il travaille aux Réflexions sur la violence, qui seront réunies en volume en 1908, Sorel publie plus de 180 recensions d’ouvrages de théologie et d’exégèse biblique8 dans la Revue générale de critique et de bibliographie, ainsi que l’ouvrage Le système historique de Renan en 1906, qui laisse apparaître un lien extrêmement étroit entre historiographie politique et histoire religieuse. C’est au sein de ce laboratoire que prennent forme le concept de « mythe » et l’idée connexe selon laquelle le christianisme a triomphé en raison de sa capacité à instituer une altérité absolue entre l’ancien monde et le nouveau qui croissait en son sein. Mais ce lien ne peut être dissocié, chez Sorel, du rôle assigné au syndicat en tant que préfiguration de la société socialiste : détachement « religieux » par rapport à l’ancien monde et construction « juridique » de l’ordre nouveau sont deux aspects de la même réalité. En ce sens, les thèses énoncées dans L’avenir socialiste des syndicats, publié en 1898, et celles qu’il livre aux Réflexions sont étroitement liées et s’intègrent réciproquement.
4Revenons alors à Gramsci et au Sorel qu’il connaît et discute durant les années qu’il passe à Turin. En octobre 1919, dans les pages de L’Ordine Nuovo, Gramsci fait une déclaration très importante qui a également une signification rétrospective. L’occasion – et cette précision est fondamentale – lui en est donnée par une circonstance précise : la publication d’un article de Sorel dans Il Resto del Carlino, dans lequel on peut lire – Gramsci le cite – que « La législation bolchévique nous offre une traduction pragmatique du communisme ; elle a institué des Conseils de contrôle des usines désignés par les ouvriers », et que « L’expérience qui se déroule dans les ateliers Fiat est plus importante que tous les écrits publiés sous les auspices de la Neue Zeit »9. De là ce commentaire :
Le jugement de Sorel concorde avec celui donné par Lénine sur l’importance des Conseils des commissaires de section, ajoutant que les théoriciens de la IIIe Internationale n’ont fait que mettre sur le papier ce qui était déjà acquis dans la conscience des masses. Au fond, nous trouvons donc dans ces jugements une reconnaissance de la maturité du prolétariat turinois qui s’est engagé dans cette voie.10
5Le rapprochement du syndicalisme et du communisme soviétique – bien qu’il soit forcé et bientôt abandonné par Gramsci – sert à fonder ce que l’on pourrait appeler la « fonction historique » du mouvement des conseils d’usine, un thème qui ne disparaîtra pas de sa réflexion, comme en témoignent certains passages clés des Cahiers11. Mais ce rapprochement peut donner lieu à de graves malentendus, que Gramsci est soucieux de dissiper lorsqu’il ajoute, tout de suite après : « nous sommes loin d’accepter tout » ce que Sorel a écrit. En premier lieu, « nous n’acceptons pas la théorie syndicaliste, telle que voulurent la présenter élèves et exécutants et qui n’était peut-être pas telle dès le début dans l’esprit du maître, lequel parut cependant y consentir par la suite »12. Cette référence à une divergence possible entre l’auteur des Réflexions et les représentants du syndicalisme reflète une préoccupation réelle, à laquelle Gramsci donnera voix dans les Cahiers, lorsqu’il notera :
Lui-même était un « pur » intellectuel et il faudrait donc séparer, au moyen d’une analyse attentive, ce qu’il y a dans ses œuvres de superficiel, de brillant, d’accessoire, lié aux contingences de la controverse occasionnelle, et ce qui en fait la « chair » et la substance, pour le faire entrer, une fois défini de la sorte, dans le cercle de la culture moderne.13
6Séparer Sorel du sorélisme est le seul moyen d’extraire le noyau permanent de sa pensée, que Gramsci résume en 1919 par « le besoin affirmé que le mouvement prolétarien s’exprime sous ses propres formes, donne vie à ses propres institutions »14, ce qui est bien le cœur de ce que Sorel défendait dans L’avenir socialiste des syndicats. Cependant, cette même année 1919, le petit livre est réédité et refondu dans les Matériaux d’une théorie du prolétariat, et il est significatif que Gramsci fasse précisément référence à ce livre en concluant son article :
Nous sentons que Georges Sorel est vraiment resté tel que Proudhon l’avait fait, c’est-à-dire un ami désintéressé du prolétariat. Sa parole ne peut donc laisser les ouvriers de Turin indifférents, ces ouvriers qui ont si bien compris que les institutions prolétariennes doivent être créées « de longue main, si l’on ne veut pas que la prochaine révolution ne soit qu’une colossale tromperie ».15
7Cesare Luporini16 a fait remarquer qu’est ici reprise la dédicace ouvrant les Matériaux, avec une double variante, puisque l’originale est ainsi formulée : « écrit par un vieillard qui s’obstine | à demeurer | comme l’avait fait Proudhon | un serviteur désintéressé | du prolétariat »17. Les modifications sont l’une et l’autre significatives : un serviteur devient un ami et « comme l’avait fait Proudhon » devient « tel que Proudhon l’avait fait ». Je ne parlerais pas d’une double inexactitude, puisque nous ne sommes pas en présence d’une citation, mais d’un texte substantiellement nouveau et indépendant. Affirmer une filiation entre Sorel et Proudhon signifie, comme l’explique Gramsci dans le texte, renforcer « l’éloquence émue et plébéienne » qui lie Proudhon, et avec lui Sorel, à la vie prolétarienne, de façon sentimentale, intime, « nationale-populaire ». D’où l’autre variante : l’amitié désintéressée, qui libère en même temps le prolétariat de la tutelle doctrinale de Sorel et exalte la capacité de ce dernier à stimuler une pensée autonome, plutôt qu’une répétition doctrinaire de la théorie syndicaliste.
Le mythe dissipé
8Au cours des dix premières années du siècle, Sorel était entré en Italie en grande partie grâce à ce syndicalisme révolutionnaire dont Gramsci, comme nous l’avons vu, aspirait à le détacher. L’auteur français, cependant, avait aussi bénéficié d’une autre référence dont l’autorité était bien plus grande, y compris aux yeux de Gramsci, et avec qui la fréquentation et le respect mutuel remontaient aux années de la révision du marxisme. Il s’agit évidemment de Benedetto Croce, qui était probablement, avec le groupe de La Rivoluzione liberale18, celui qui avait le plus insisté sur l’importance de la dimension religieuse dans la pensée du Français, plutôt que sur son syndicalisme, contrairement à Pareto, Prezzolini et Missiroli. Il le fit d’abord dans une importante discussion du Système historique de Renan, publiée en 1907 dans La Critica19, qui devint en 1908 l’introduction – portant le titre exigeant de « La pensée de Georges Sorel » – à la traduction italienne des Réflexions sur la violence20.
9Croce accorde ici, dans l’économie de la pensée de Sorel, une importance extraordinaire au concept de « scission »21 : il le présente comme le point en vertu duquel l’analogie entre histoire du christianisme et histoire du socialisme est la plus évidente et la plus immédiate22. Mais à peine quatre ans plus tard, en 1911, le même Croce écrit qu’« une scission théorisée est une scission dépassée ; et [que] le “mythe” ne l’échauffait pas suffisamment, peut-être parce que Sorel, dans le fait même de le créer, l’avait dissipé, en en donnant l’explication doctrinale »23. Dans ce texte, Croce entérinait – comme d’autres le firent au cours des mêmes mois – la crise du socialisme et du syndicalisme qui avait suivi l’échec de la grève générale de 190824. L’année suivante – en pleine guerre de Libye –, il envoya à L’Unità de Salvemini un article sur l’inutilité de la « démocratie » en tant que système de partis, article qui suscita une vive discussion25.
10Il est cependant important de retenir, au-delà de cette modification du jugement politique, la cohérence fondamentale de la pensée de Croce qui, en 1911, faisait du marxisme « une prévision, grandiose sans aucun doute, mais semblable, en substance, aux nombreuses prévisions analogiques que nous faisons continuellement devant les faits qui frappent notre esprit et mettent notre créativité [fantasia] en mouvement », « un fantasme de songe et de poésie » qui inventait son propre acteur, le prolétariat,
avec tant de vivacité […] qu’on finit par croire qu’il existait réellement en quelque partie de notre monde, de même qu’il nous semble qu’ont dû exister dans la réalité Othello et Don Quichotte, Achille et don Abbondio. Et cette poésie exprimait et produisait tout à la fois une ferveur et un enthousiasme qui ont ébranlé et enivré bien des cœurs, et moi-même (pourquoi devrais-je le taire ?) j’en ai été épris pendant un certain temps.26
11Cette double réduction du marxisme à une prévision, et de cette prévision à l’expression d’une créativité (fantasia) artistique utilisée hors de propos, renvoie – avec toutefois un approfondissement critique non négligeable – à la précédente liquidation crocienne de la prévision27. C’est donc sur ce nœud que Gramsci devait intervenir, pour avoir raison de l’entrelacement nécessaire entre mythe et dissipation établi par Croce. Au lieu de cela, dans le célèbre numéro unique de La Città futura paru en février 1917, il évite d’une part la double critique du marxisme et de Sorel en acceptant l’idée que le marxisme n’appartient pas à la science (théorie) mais à la politique (pratique)28, et il accepte d’autre part la liquidation du mythe, en soutenant cependant que le mythe ici en jeu serait celui qui naît de la « superstition scientifique » nourrie de positivisme, de la prétention de déterminer le futur au moyen d’une transposition acritique des méthodes des sciences naturelles sur le terrain de la société29.
12C’est une défense temporaire et insuffisante, puisqu’elle adopte le présupposé de la position qu’elle prétend combattre et qu’elle élude la question principale, comme Gramsci le reconnaîtra implicitement dans les Cahiers, en parlant, en référence à 1917, d’une compréhension encore insuffisante de l’unité de la théorie et de la pratique30. Le chemin permettant d’avoir raison de l’objection de Croce passait par un autre côté, c’est-à-dire par un examen du mythe dans son acception sorélienne, et par la démonstration du caractère arbitraire du lien – établi par Croce comme inévitable et universel – entre la nécessité de la scission et celle de sa dissipation ou, en d’autres termes, entre le mythe et son caractère momentané, non traduisible en termes politiques, en une organisation, en un droit, en un État. On peut dire que, de façon générale, ce problème est absolument central dans les Cahiers. Qu’il suffise de se référer aux nombreux couples dichotomiques qui les traversent : romantisme/classique, passion aveugle/philistinisme, sentir/savoir, foi/critique, etc. La thèse que je voudrais soutenir est que la dissolution de ces dichotomies se fait grâce à deux mouvements complémentaires. Le premier est l’élaboration de la philosophie de la praxis, en particulier le fait de poser « historiquement » la question de « l’unité de la théorie et de la pratique » comme un aspect de la « question politique des intellectuels »31. Le second est l’émancipation du mythe du lien entre scission et dissipation, auquel Croce l’avait contraint.
13Si l’on considère la façon dont les noms de Croce et de Sorel interviennent dans les Cahiers à la lumière du lien entre mythe (idéologie) et politique (État), de nombreuses notes apparemment dispersées peuvent être assemblées en un tableau cohérent. On peut dire que la stratégie critique ici déployée est composée de deux moments convergents, tous deux compréhensibles à la lumière de la « traductibilité des langages ». D’une part, la « religion » au sens crocien est « réduite » à la politique, à l’idéologie, et de nouveau liée à la furie passionnée des « intérêts » matériels dont Croce l’avait séparée ; d’autre part, la réduction crocienne de l’idéologie à une simple immédiateté irrationnelle est critiquée. L’intérêt de Gramsci pour la « religion », comprise comme l’unité d’une conception du monde et d’une éthique conforme, acquiert ainsi un sens précis. En discutant l’Histoire de l’Europe de 1932, il souligne l’origine ancienne de ce concept (« ce n’est pas une trouvaille de ces dernières années, c’est le résumé en une formule drastique de sa pensée de tous temps », comme il l’écrit dans sa lettre à Tatiana du 6 juin 193232). Mais cette observation acquiert son sens véritable lorsqu’on la relie à la critique de l’appropriation du concept marxiste d’idéologie par Croce, une appropriation qui s’est faite en coupant cette notion en deux, et en isolant ainsi son aspect constructif et rationnel de conception du monde – utilisé pour fonder l’« éthico-politique » et la « religion de liberté » – de sa fonction critique et destructrice – confinée dans l’irrationnel de la « foi », du « préjugé », du « mythe », et enfin, comme nous allons le voir, de la « passion ».
La politique-passion
14Gramsci insiste considérablement sur ce concept, en se référant à plusieurs reprises à la théorie crocienne dite de la politique-passion, qui n’est cependant pas formulée en ces termes par le philosophe. On trouve en revanche chez Croce l’idée – éparse et diversement déclinée – que l’acte éthique surgit sur la base des passions, de leur contrôle et de leur domination, et que, par ailleurs, l’idéologie politique, en tant qu’acte éminemment pratique, est intrinsèquement passionnelle, de même que toute politique est toujours passionnée33. Cependant, tout cela n’aboutit pas à l’articulation d’une véritable théorie. L’origine de cette interprétation forcée peut être trouvée dans une recension que Croce consacre au petit volume de Giovanni Malagodi, Le ideologie politiche34, auquel Gramsci fait référence dans le cahier 4, lorsqu’il observe que « la théorie de Croce sur les idéologies, répétée récemment dans sa recension du petit livre de Malagodi parue dans la Critica, a une origine marxiste évidente : les idéologies sont des constructions pratiques, ce sont des instruments de direction politique, même si elle ne reproduit de la doctrine marxiste qu’une seule partie, sa partie critico-destructrice ». Et un peu plus loin : « Cet argument de la valeur concrète des superstructures chez Marx devrait être bien étudié. Rappeler le concept de “bloc historique” de Sorel »35. Le bloc historique non plus n’apparaît pas en toutes lettres chez Sorel, et il est très probable que Gramsci l’ait extrait d’une formulation de Malagodi, qui résume la conception sorélienne du mythe en notant qu’« il ne faut pas essayer d’analyser ces “systèmes d’images” comme on analyse une théorie scientifique, en la décomposant en ses éléments. Il faut “les prendre en bloc” comme des forces historiques »36. Gramsci l’oppose ici, en général, à la réduction crocienne, et cela doit être fixé comme un point de départ de son raisonnement.
15Mais ce qui importe le plus est que Croce, dans sa recension, rejette la définition que l’auteur donne des idéologies comme intermédiaires entre la théorie et la pratique37. Ce « sont, dans les faits, des actions déjà en cours […]. Comment pourrait-il s’agir d’affirmations théoriques si l’on reconnaît qu’il s’agit de “vérités de partis singuliers” ou “partielles” ? Les affirmations théoriques sont toujours impartiales et totales, et embrassent les choses sous tous leurs aspects, c’est-à-dire qu’elles outrepassent tous les partis »38. Et Croce conclut :
Il ne faut pas non plus se méprendre sur ce que j’ai illustré ailleurs39 concernant l’aspect avocassier des défenses des idéologies politiques quand on s’efforce de les faire coïncider avec une philosophie ou une histoire ; comme si en relevant cet aspect avocassier on voulait exclure la réalité de la passion qui les anime. Si l’amour passionnel recourt aux artifices rhétoriques (comme le savent ceux qui étudient les correspondances amoureuses) sans pour autant cesser d’être un amour passionnel, il est naturel que la passion politique y ait aussi recours.40
16De là Gramsci tire l’idée que pour Croce la politique coïncide avec la passion entendue comme une impulsion immédiate. À partir de ce moment (nous sommes au printemps-été 1930), il reviendra plus d’une fois (dans les cahiers 7 et 8) sur la « politique-passion », presque toujours dans une relation de comparaison puis d’opposition avec le mythe sorélien. Ce sont des textes importants, car en leur sein Gramsci se place à la fois dans mais aussi contre la théorie des « distincts ». Il faut cependant dire que sur le plan du mythe, ils ne donnent pas lieu à beaucoup d’avancées explicites : identifié à la passion sur le terrain de l’immédiateté, le mythe peut être théorisé mais, en tant que tel, il tend inévitablement à se dissiper. Implicitement, du moins, il y a bien un changement, et il consiste dans le fait que Gramsci en vient à identifier la « passion » avec le lien entre économie et politique ; par conséquent, elle ne peut plus être pensée comme quelque chose d’immédiat et d’irrationnel. Comme Gramsci l’écrira de façon synthétique dans le cahier 10, Croce réduit la politique à la passion dans la mesure où il entend rendre impensable que les classes subalternes, dont l’action est « passionnelle », parce que de caractère « défensif », puissent jamais sortir de cet état : « On peut donc dire que chez Croce le terme “passion” est un pseudonyme de lutte sociale »41. Mais, précisément, dans l’action de résistance aussi un moment constructif et rationnel est présent, ne serait-ce qu’à l’état embryonnaire.
17Ce changement d’approche, par rapport au mythe, se reflète dans une variante apportée à la seconde rédaction d’un texte du cahier 7 (§ 39) dans lequel il est dit de la « “théorie des mythes” » qu’« elle n’est rien de plus que la “théorie des passions” avec un langage moins précis et formellement moins cohérent »42. À la place de ce passage, Gramsci écrit dans le cahier 10 : « La théorie des mythes […] est la “passion” de Croce étudiée de façon plus concrète, c’est ce que Croce appelle “religion”, c’est-à-dire une conception du monde avec une éthique conforme, une tentative de réduire en un langage scientifique la conception des idéologies de la philosophie de la praxis vue précisément à travers le révisionnisme crocien »43. Étonnamment, le mythe est maintenant enrichi de multiples significations : il étudie de façon concrète ce que la catégorie de passion vise d’une façon qui n’est que logiquement rigoureuse ; ainsi, de la décomposition crocienne de l’idéologie – séparation de la partie constructive-gnoséologique de la partie critico-destructrice – naît une nouvelle tentative de formalisation scientifique, qui rend cette notion utilisable sur le terrain de la science politique ; enfin, loin d’être immédiat et irrationnel, le mythe inclut en son sein l’unité entre conception du monde et éthique, théorie et pratique, que Croce n’attribue qu’aux religions (et certainement pas à la passion).
Le Prince moderne comme « mythe »
18Pour identifier les raisons de la variante discutée dans les pages précédentes, il faut se référer au § 21 du cahier 8, écrit entre janvier et février 1932, c’est-à-dire à une période intermédiaire entre la première et la seconde rédaction du texte sur théorie du mythe et théorie des passions. Il s’agit du premier texte consacré au « Prince moderne », qui marque une véritable refondation de l’interprétation de Machiavel44, une refondation qui se consolide dans la structure du cahier 13, ouverte précisément par la transcription de cette note fondamentale :
Le Prince de Machiavel pourrait être étudié comme une exemplification historique du « mythe » sorélien, c’est-à-dire de l’idéologie politique qui se présente non pas comme une froide utopie ni comme un raisonnement doctrinal, mais comme « création de l’imagination » (fantasia) concrète opérant sur un peuple dispersé et pulvérisé afin d’en susciter et d’en organiser la volonté collective.45
19Que veulent dire ces mots ? Dans quel sens l’opuscule du Secrétaire florentin pourrait-il « être étudié comme une exemplification historique du “mythe” sorélien » ? Le mythe – au sens sorélien – est présenté ici comme une idéologie qui ne se limite pas à enchaîner « froidement » et « logiquement » des notions, mais qui les fond en une création imaginaire unitaire, une image qui pour cette raison est efficace, « prend », pénètre la vie d’un peuple, en organisant sa volonté collective, ou plutôt en le constituant en volonté collective.
20Tout d’abord, voyons comment ce concept peut être relié à ce que Sorel en dit. Dans les Réflexions, les mythes sont présentés comme des blocs d’images tournées vers l’avenir, qui ne peuvent être décomposées en parties et qui ont la capacité de consolider leur propre front contre un adversaire46. L’apocalypse chrétienne, l’« exaltation religieuse » de l’Europe luthérienne et calviniste, les espoirs de renouveau suscités par la Révolution française et la pensée de Mazzini sont autant d’exemples de mythes47. Comme on le voit, ce qui définit le mythe n’est pas l’origine religieuse des représentations qui l’habitent, mais la façon dont ces représentations fonctionnent dans la relation entre le moi et le monde. À ce propos, Sorel utilise la distinction bergsonienne entre temps et durée, entre moi social et moi profond, entre l’être agi et la libre action créatrice48 :
Quand nous agissons, c’est que nous avons créé un monde tout artificiel [un mondo fantastico], placé en avant du présent, formé de mouvements qui dépendent de nous. Ainsi, notre liberté devient parfaitement intelligible. […] Ces mondes artificiels [mondi fantastici] disparaissent généralement de notre esprit sans laisser de souvenirs ; mais quand des masses se passionnent, alors on peut décrire un tableau [quadro], qui constitue [rappresenti] un mythe social.49
21La traduction italienne s’éloigne ici considérablement du texte français dans la mesure où elle assigne au domaine de l’imagination créatrice (fantasia) ce que Sorel présente comme un produit de l’activité libre et constructive du moi dans la durée. Cette infidélité peut avoir été à l’origine du fait que Gramsci écrive, en prison, que le « “mythe” sorélien » se présente comme une « “création de l’imagination” concrète » (« “fantasia” concreta »). Nous y reviendrons tout de suite après avoir exposé plus en détail le concept de mythe.
22Selon Sorel, le moi libre se projette dans la dimension de la durée, d’une façon qui n’est pas analytique, mais d’un seul bloc, produisant ainsi un moi et un monde entièrement nouveaux et différents. À la différence de Bergson, Sorel tente de penser ce qui se passe lorsque cette structure de la créativité du moi est multipliée par tous les membres d’une masse en action : dans ce cas, le « monde artificiel » (ou « imaginé », fantastico selon la traduction italienne) qui anticipe sur l’action ne s’y dilue pas, mais prend la consistance d’un récit, d’un mythe, précisément, qui représente le lien de cette masse même, revenant sur l’action de chacun comme une sorte de « multiplicateur ». La dimension collective de la passion articule le moi profond en un langage, l’objective en quelque chose qui stabilise et donne depuis l’extérieur une continuité au lien entre passion et action.
23Nous nous trouvons ainsi au cœur de la question de l’idéologie comme moteur de l’action collective. Sur ce plan, Sorel s’oppose cependant à Engels, c’est-à-dire à celui qui, depuis l’intérieur du marxisme, avait fait les plus grands efforts pour attribuer une fonction historique aux idéologies. Dans un texte repris dans les Matériaux et intitulé Le caractère religieux du socialisme, dont la première version remonte à 1906, Sorel rappelle un passage du Ludwig Feuerbach dans lequel il est observé qu’avec le progrès de l’histoire, les mouvements révolutionnaires se passent toujours plus résolument des mythes religieux, pour se fonder sur une idéologie laïque50. Ainsi posée, la question est erronée, dit Sorel, car « il s’agit de savoir quels mythes ont, aux diverses époques, poussé au renversement des situations existantes ; les idéologies n’ont été que des traductions de ces mythes sous des formes abstraites »51. Cette traduction se renouvelle constamment, quelle que soit la matrice, religieuse ou non, des matériaux de départ : l’eschatologie des premiers chrétiens ; les hérésies du Moyen Âge par la suite, quand les hommes qui tentaient de soulever la plèbe trouvaient aux confins de l’orthodoxie quantité d’éléments propres à entrer dans leurs convictions politiques52 ; puis le prophétisme du xvie siècle et, d’autre part, la Réforme ; enfin, la Révolution française – où le mythe est constitué par les « images romaines » – et même l’antichristianisme qui a renversé l’Ancien Régime53.
24L’idéologie n’est donc pas un noyau mystique originaire, qui se laïciserait (et se rationaliserait) progressivement avec l’avancée de l’histoire et de la lutte des classes. Le point de départ est même indifférent : un simple matériau qui, dans une conjoncture donnée, se regroupe en un système d’images, lequel, s’il embrasse une masse, est le reflet concret de la liberté polémique de cette masse en tant que groupe engagé dans une bataille. Ce « monde imaginé » (mondo fantastico) se trouve affaibli s’il est transformé en un discours idéologique qui tente de le soumettre à la cohérence logique (en traduisant le langage du mythe dans celui de la rationalité). La seule chose qui compte, dans cette dynamique, est l’intensité et le caractère concret des images, une intensité concrète que l’on peut retrouver dans les images apocalyptiques aussi bien que dans la férocité rationaliste des déchristianisateurs.
25Le caractère « religieux » du mythe réside dans son irréductibilité à la critique, c’est-à-dire dans le fait qu’il se présente toujours extérieurement comme une « foi » aveuglément embrassée et vécue comme action, praxis transformatrice. Cette imperméabilité n’est toutefois pas le signe de sa matrice religieuse, mais au contraire la manifestation de la libre créativité des individualités fondues dans la masse en action, dont le mythe est, comme on l’a dit, une transcription (le « tableau ») qui reste créative (« fantastica », propre à l’imagination créatrice), c’est-à-dire qui ne refroidit pas la liberté de la praxis. Cette caractéristique profonde du mythe est le propre des fois religieuses comme des idéologies laïques : cependant, c’est elle qui les définit, et ce n’est pas à l’inverse la foi qui, en vertu d’une de ses caractéristiques intrinsèques, expliquerait le mythe et les idéologies non religieuses.
Le mythe comme « création de l’imagination concrète » (« fantasia concreta »)
26Cette reconstruction du concept de mythe dans les Réflexions – texte que Gramsci n’avait pas avec lui à Turi (mais il pouvait lire un résumé des pages sur le mythe dans le livre de Malagodi) – ne se justifie pas seulement par l’adoption spectaculaire et exigeante du concept de « “mythe” sorélien » dans le but de penser la nature profonde de l’opuscule machiavélien du point de vue de la « philosophie de la praxis ». Comme il résulte de la précédente explication, il y a d’autres raisons à cela ; à commencer par le lien – grâce à la liberté que le traducteur italien avait prise – entre mythe et imagination créatrice (fantasia), et donc l’idée que cette dernière est une faculté au sein de laquelle la praxis révolutionnaire se transmet et se consolide. Au § 21 du cahier 8, la « création de l’imagination concrète » (nous soulignons) est présentée comme un équivalent du mythe, c’est-à-dire d’une idéologie entendue comme capacité d’unifier la théorie et la pratique dans l’organisation d’une « volonté collective ». Mais le caractère « imaginé » (fantastico) et « poétique » de la « prévision » marxiste était aussi au centre, comme nous l’avons montré (au point 2), de la liquidation du mythe, effectuée par Croce en 1907-1911 au moyen précisément d’une lecture de Sorel, dans des écrits déjà médités par Gramsci à Turin mais qu’il avait presque tous à Turi aussi, réédités en volumes dans la première série des Conversazioni critiche et dans Cultura e vita morale. En outre, dans les notes sur le mythe et l’idéologie rédigées en 1930-1932 (analysées au point 3), Gramsci oppose le lien mythe-politique au lien politique-passion, précisément en relation avec certains des écrits de Croce, notamment « La morte del socialismo ».
27Enfin, un dernier élément doit être pris en considération : le livre de Luigi Russo Prolegomeni à Machiavelli, publié en 1931, demandé par Gramsci dans la lettre du 23 novembre de la même année54 et explicitement mentionné en février 193255. De bonnes raisons nous incitent cependant à croire que le § 21 est déjà affecté par la lecture de ce livre56, et même que ce dernier a été l’un des stimuli pour l’adoption du mythe comme clé de lecture du Prince. Au § 1 du cahier 13 – qui est, nous l’avons dit, la seconde rédaction de ce paragraphe – on lit en effet : « Dans les Prolegomeni de Russo, Machiavel est appelé l’artiste de la politique et on y trouve même une fois l’expression “mythe”, mais pas précisément dans le sens indiqué ci-dessus »57. La position de Russo, bien qu’elle relève du libéralisme, présente des éléments d’originalité. En effet, dans son « approche du problème critico-esthétique », Russo tente d’enraciner l’éthico-politique crocien dans un contexte populaire, et même, comme le reconnaît Gramsci, « national-populaire », et représente en ce sens (avec une référence implicite au punto di approdo,« point d’arrivée », du titre du petit livre d’Engels en traduction italienne58) « un retour à l’expérience de De Sanctis après le point d’arrivée du crocisme »59. Avec les Prolegomeni, le critique sicilien relie l’auteur du Prince à la nécessité de joindre art politique et religion, « État-Œuvre d’Art » et « Etat-Civilisation »60, analyse et prophétie. En vertu de cette conjonction, Le Prince est défini comme un livre de « politique militante »61, visant à comprendre mais aussi à transformer, orienté vers la connexion présent-futur et non pas présent-passé. Chez Machiavel, cette synthèse était cependant possible non pas sur le plan de la pensée, mais sur celui de son « animus artistique » : ici seulement trouvent leur composition « les nombreuses apories et antinomies » de sa théorie politique62. Russo, comme Croce, recourt aussi à l’art comme lieu dans lequel la politique se réalise en une dimension visionnaire, réussissant, à cette condition seulement, à surmonter ses propres apories.
28Dans le texte sur le Prince moderne, la définition du livre de Machiavel comme « un livre “vivant”, dans lequel l’idéologie devient “mythe”, c’est-à-dire “image” artistique et de création » (« “immagine” fantastica e artistica »)63 semble donc être, au moins dans un premier temps, une allusion à Russo. Il y a de bonnes raisons de penser que Gramsci a vu dans ce livre et dans d’autres livres du critique sicilien une tentative de transformer le libéralisme pour le mettre en mesure de défier le fascisme sur son propre terrain64 : celui de la « démagogie » et de la « politique totalitaire ». De cette façon, la confrontation avec Croce acquiert un caractère encore plus dramatique, et on peut comprendre le tournant que Gramsci donne, au moyen de Machiavel, à son élaboration.
29Le § 21 du cahier 8 représente donc un tournant à plusieurs égards : dans la lecture que Gramsci fait de Machiavel, du fait qu’il lie pour la première fois Le Prince au mythe et, à travers lui, à la création de l’imagination (fantasia) ; par rapport à la tentative insistante de penser le mythe d’une façon non réductible à la politique-passion, du fait qu’à présent l’« “imagination” concrète » cesse d’être une marque du caractère onirique et poétique de la « prévision » marxiste (au sens de Croce), pour devenir la capacité d’une idéologie à adhérer de manière concrète à la vie d’une masse dispersée, et pour l’articuler de l’intérieur, grâce à cette relation de proximité, en une volonté collective ; enfin, en ce qui concerne le concept même d’idéologie, en tant qu’elle est le lieu où la vérité et la politique se conjuguent en une unité qui, comme nous l’avons vu, était dès le début au cœur de la reformulation du matérialisme historique entreprise dans les Cahiers.
30En adoptant l’équivalence entre mythe sorélien et « “imagination” concrète », et entre mythe et idéologie, et en liant enfin ces deux équivalences à la tradition jacobine du « national-populaire », Gramsci accentue, dans la notion d’idéologie, la nécessité qu’elle soit placée en contact direct avec les masses qu’elle entend unifier. De l’opuscule est mis en évidence le fait qu’il est
un livre « vivant », dans lequel l’idéologie devient « mythe », c’est-à-dire « image » artistique et de création [fantastica e artistica] entre l’utopie et le traité scolastique, où l’élément doctrinal et rationnel est incarné par un « condottière » qui présente de façon plastique et « anthropomorphique » le symbole de la « volonté collective ». Le processus de formation de la « volonté collective » est présenté non pas au moyen d’une disquisition pédante sur les principes et les critères d’une méthode d’action, mais comme les « qualités et devoirs » d’une personnalité concrète, qui met à l’œuvre l’imagination artistique [fantasia artistica] et suscite la passion.65
31C’est grâce à cette caractéristique formelle particulière que, comme l’ajoute Gramsci dans la seconde rédaction,
dans la conclusion, Machiavel lui-même se fait peuple, se confond avec le peuple, mais non pas avec un peuple entendu « génériquement », mais avec le peuple que Machiavel a convaincu grâce à l’exposé qui précède, dont il devient et se sent la conscience et l’expression, auquel il s’identifie : il semble que tout le travail « logique » ne soit qu’une réflexion du peuple sur lui-même, un raisonnement intérieur, qui se fait dans la conscience populaire et qui trouve sa conclusion dans un cri passionné, immédiat. La passion, de raisonnement sur elle-même, redevient « affect », fièvre, fanatisme d’action.66
32Le traité se transforme en un récit, en un « mythe », dans lequel l’« imagination » (fantasia) de l’écrivain et des lecteurs fait revivre de façon dramatique les concepts de l’analyse, tout à la fois comme les moments d’une histoire individuelle – celle du prince lui-même – et comme une « autoréflexion du peuple sur lui-même ». L’imagination créatrice (fantasia) est un tissu qui unit l’écrivain, le prince et le peuple, rendant possible cette chaîne d’identifications. Mais le caractère non charismatique du prince, c’est-à-dire le fait qu’il soit un organisme réel, permet que ces identifications successives – celle de l’auteur avec le public qu’il entend convaincre, celle de l’analyse du corps du livre avec le fanatisme passionné de l’Exhortatio conclusive, celle du prince avec « son » peuple – n’annulent pas les éléments en jeu, mais les unissent dialectiquement, annulant uniquement leur séparation et leur irrélation initiales.
33Ce n’est pas un hasard, en effet, si dans le texte du cahier 8 sur le prince moderne – immédiatement après l’observation initiale sur le « “mythe” sorélien » – est introduite l’alternative entre la formation charismatique de la volonté collective et sa constitution dans et par le parti politique67. Le chef charismatique, individuel, n’est possible dans le monde moderne que dans des cas exceptionnels, lorsqu’un « danger » immédiat « crée un embrasement fulgurant des passions et du fanatisme et annule le sens critique et l’ironie qui peuvent détruire le caractère “charismatique” du condottière (exemple de Boulanger) »68. Comme cela avait été noté dans un texte précédent, « si le chef est d’origine “charismatique”, il doit renier son origine et travailler à rendre organique la fonction de direction, organique et avec les caractéristiques de la permanence et de la continuité »69. De même que, chez Machiavel, le nouveau prince qui a conquis le pouvoir grâce à la fortune et aux armes des autres, ou grâce à l’appui de ses concitoyens, doit mettre toute son énergie à le fonder sur des bases qui lui soient propres, c’est-à-dire en conquérant l’« amitié » du peuple, de même le chef charismatique qui vise « la fondation de nouveaux États et de nouvelles structures nationales et sociales » doit se libérer du charisme et canaliser sa personnalité dans le parti politique. Le pouvoir charismatique « ne peut pas être de grande envergure ni avoir un caractère organique : il sera presque toujours du type restauration et réorganisation et non du type propre à la fondation de nouveaux États et de nouvelles structures nationales et sociales »70 (notons ici la reprise de l’argument utilisé en 1924 contre Mussolini)71.
La « “création de l’imagination” concrète »
34Le fil rouge qui relie l’attaque de Croce contre le marxisme et le socialisme à la réponse de Gramsci dans les Cahiers est, singulièrement, le couple formé par le mythe et l’imagination (fantasia). Ces deux concepts fonctionnent de façon ambivalente ; signe qu’il s’agit de notions controversées et que la façon de les interpréter est décisive pour la confrontation entre les deux parties. Pour Croce, parler de fantasia équivaut à assimiler le mythe marxiste à la création artistique et au « songe » : un songe poétique qui, paradoxalement, se déploie dans la pratique et non dans la théorie, et qui ne stimule que pour un bref laps de temps les énergies de ceux qui y participent. Pour le Gramsci des Cahiers, au contraire, la fantasia est la dimension qui donne au mythe une dimension concrète, qui fait adhérer une idéologie (entendue à la fois comme production pratique et approche cognitive du futur) à la vie des masses et la rend partie prenante de cette vie. La fantasia est, en somme, la garantie de l’efficacité, de l’enracinement du mythe dans la vie réelle, et non le signe de son extemporanéité.
35Le recours à la fantasia ne peut cependant pas être entièrement expliqué par les seules références évoquées jusqu’ici. Cette notion s’inscrit dans un contexte qui est beaucoup plus large des discussions que Croce développe dans le cadre de sa critique du marxisme. C’est aussi ce philosophe qui, dans son Esthétique, fait un point d’histoire sur la façon dont Francesco De Sanctis transforme profondément la distinction hégélienne entre créativité (fantasia) et imagination :
Il est vrai qu’il faisait une distinction entre imagination créatrice [fantasia] et imagination [immaginazione], mais pour lui la fantasia n’était pas la faculté mystique de l’aperception transcendantale, l’intuition intellectuelle des métaphysiciens allemands, mais simplement la faculté de synthèse et de création du poète, par opposition à l’imagination, qui rassemble les détails et les matériaux et qui a toujours quelque chose de mécanique.72
36En effet, De Sanctis a presque systématiquement recours à cette opposition, à la façon dont Croce la résume. Dans la Storia della letteratura italiana, l’imagination est définie comme une « faculté très inférieure » à la fantasia :
L’imagination vous donne l’ornement et la couleur, lisse la surface, son plus grand effort consiste à vous offrir un simulacre de vie dans l’allégorie et dans la personnification. La fantasia est faculté créatrice, intuitive et spontanée, c’est la véritable Muse, le « deus in nobis », qui possède le secret de la vie et la cueille au vol même dans ses apparitions les plus fugaces, et qui vous en donne l’impression et le sentiment.73
37Tandis que l’imagination tourne autour de l’objet et le restitue sous sa forme plastique visible, la fantasia l’anime de l’intérieur, lui donne véritablement vie. En ce sens, la fantasia n’est pas une faculté inférieure, mais plutôt une faculté ultérieure par rapport à l’intelligence74. De plus, l’imagination créatrice (fantasia) se sert des autres facultés pour atteindre son propre but, à savoir la création poétique comme manière de « rendre vivante » la réalité :
La faculté poétique par excellence est l’imagination créatrice [fantasia] ; mais le poète ne travaille pas seulement avec les facultés esthétiques, toutes les facultés coopèrent : le poète n’est pas seulement un poète ; tandis que la fantasia forme le fantasme, l’intellect et les sens ne restent pas inertes. […] un poète qui possède à un degré élevé ces autres facultés, dont le dessin est beau et l’exécution mécanique parfaite, mais dont l’imagination créatrice [fantasia] est faible, ne saura pas rendre vivant ce qu’il voit : le manque de fantasia est la mort du poète.75
38Le poète n’est donc pas seulement un poète, il est aussi un homme qui sent et un philosophe qui pense et connaît le monde. Grâce à ce statut particulier, la fantasia est capable de donner à l’idée son individualité concrète et, par ce moyen, son universalité ; elle l’incorpore dans un organisme qui acquiert une vie autonome face au public et qui libère de lui-même toute une série de caractéristiques qui ne sont pas gratuites, mais essentielles et nécessaires.
Le « drame historique en acte »
39La première fois qu’est mentionnée, dans les Cahiers, l’idée d’écrire un nouveau Prince, il est dit de lui qu’il ne sera pas un « répertoire organique de maximes politiques, mais […] un livre “dramatique” en un certain sens, un drame historique en acte, où les maximes politiques seraient présentées comme une nécessité individualisée et non comme des principes scientifiques »76. Et dans le texte sur le prince moderne, on peut lire : « Les points concrets d’un programme d’action doivent […] résulter “dramatiquement” du discours, et non pas être une froide exposition de raisonnements »77.
40Or, cette terminologie – « imagination créatrice » (fantasia), « drame », « imagination dramatique » – est déjà présente dans les textes de la période turinoise78. Un article, en particulier, est important : « Una verità che sembra un paradosso » (« Une vérité qui paraît être un paradoxe »), publié en avril 1917, quelques semaines après La Città futura. Ici, après avoir observé que « L’activité scientifique est en très grande partie constituée par l’effort créatif [sforzo fantastico] » et que « celui qui est incapable de construire des hypothèses ne sera jamais un homme de science », Gramsci déplace son regard vers la fonction de l’imagination créatrice en politique :
Pour pourvoir adéquatement aux besoins des hommes d’une ville, d’une région, d’une nation, il est nécessaire de ressentir ces besoins ; il est nécessaire de pouvoir concrètement se représenter ces hommes dans sa propre imagination créatrice [fantasia], dans leurs vies, dans leurs travaux quotidiens, se représenter leurs souffrances, leurs douleurs, les peines de cette vie qu’ils sont contraints de vivre. Si l’on ne possède pas cette force de dramatisation de la vie, on ne peut avoir l’intuition des mesures générales et particulières qui harmoniseraient les nécessités de la vie avec les possibilités de l’État. On déclenche une action dans le cours de la vie : il faut savoir prévoir la réaction qu’elle éveillera, les répercussions qu’elle aura. La grandeur d’un homme politique dépend de sa capacité de prévoir ; la force d’un parti politique dépend du nombre d’hommes ayant cette capacité qu’il a à sa disposition. […] L’un des caractères des Italiens, et peut-être celui qui est le plus nuisible à l’efficacité de la vie publique dans notre pays, est le manque d’imagination dramatique [fantasia drammatica]. […] Ceux qui ne savent pas se représenter la douleur des autres sont de ce fait inutilement cruels.79
41Ici se retrouvent, comme concentrés, tous les éléments que nous avons développés dans ces pages : l’imagination dramatique, la prévision, le chef, le parti politique. Manque le mythe, liquidé par Gramsci un peu plus tôt. Par ailleurs, l’article ne parle pas de la politique socialiste, mais de celle de la classe dirigeante italienne, manquant cruellement de capacité de projets. Cependant, dans cette allusion au parti politique, il y a au moins implicitement une référence à une prévision réalisée depuis le cœur de la lutte, et non depuis les sommets de la classe gouvernementale. Cet aspect est accentué dans un texte de mai 1918, « I giorni » (« Les jours »), dans lequel Gramsci note que « le prolétariat anticipe les moments historiques par lesquels la société bourgeoise doit passer. La souffrance aiguise l’imagination créatrice (fantasia) et provoque une vision dramatique du monde futur »80. Mais dès « La Révolution contre Le Capital », en décembre 1917, il est dit de la « prédication socialiste » qu’elle « fait vivre dramatiquement en un instant l’histoire du prolétariat, ses luttes contre le capitalisme »81.
42La puissance de création concrète de la fantasia, associée au dynamisme vital et donc à l’empathie présente dans son caractère « dramatique », rend pensable, dans ces passages, le futur comme une « prévision » non conçue par un individu, mais réalisée par une masse. En outre, la caractérisation de la « propagande socialiste » dans les termes d’un récit – un mythe, précisément, mais le terme est absent (de toute évidence Gramsci préfère ne pas soulever une question aussi épineuse) – conduit à penser que le terme caché de la confrontation est toujours l’interdiction imposée par Croce, et que les références de Gramsci au drame et à l’imagination créatrice traduisent son insatisfaction quant à la solution trouvée dans La Città futura.
43Dans les Cahiers de prison, Gramsci aura recours à De Sanctis, en le distinguant et parfois en l’opposant à Croce, comme porteur d’une critique qui est une forme de « lutte pour une nouvelle culture », une critique « militante, qui n’est pas […] froidement esthétique »82. Il n’est pas surprenant de trouver des traces de cette opposition dès les écrits de Turin, car l’idée, d’origine hégélienne, d’un caractère dramatique de l’art moderne, arrive jusqu’à Gramsci par le truchement de De Sanctis. Elle parcourt toute la reconstruction que l’auteur de la Storia della letteratura italiana propose de la naissance du monde moderne, qui pour lui est essentiellement « dramatique », puisqu’il naît de l’affirmation de la personnalité de l’individu, c’est-à-dire de la genèse d’une conception différente et nouvelle de l’humanité, non plus submergée dans la communauté mais capable de s’affirmer dans l’action83. Mais cette idée n’apparaît nulle part aussi clairement que dans l’essai sur « Il Farinata di Dante », c’est-à-dire dans des pages bien présentes à l’esprit de Gramsci en prison et, très probablement, à Turin déjà. Ici, en introduisant le nouveau monde du Dante partisan, « totalement humain et charnel », De Sanctis observe :
Certes, ce monde qui comporte tant d’éléments variés, placés extérieurement les uns par rapport aux autres, manque de fusion et de concorde, et il y reste un fond abstrait et pédant qui résiste à tous les efforts de l’imagination créatrice [fantasia]. Deux mondes irréconciliables sont en présence, un monde théocratique et féodal, qui a pour dogme l’annulation de la personnalité, et le monde de la commune libre, où la personnalité est tout. Là, un monde lyrico-didactique, où l’homme est le saint qui prie et contemple ; ici, un monde épique et dramatique, où l’homme est le héros qui œuvre et qui lutte ; dans l’un, l’homme est encore enveloppé dans la nuit noire du mythe, et il s’y trouve en tant que genre, et non en tant qu’individu parfait ; dans l’autre, l’homme apparaît comme ayant une pleine possession, une pleine conscience de soi ; l’un est le reflet philosophico-artistique du passé, l’autre est le prélude à la vie et à l’art moderne.84
44Le champ lexical qui tourne autour du drame et de la fantasia témoigne d’une tension et d’un choix : une tension présente dans la formation de Gramsci, entre Croce et De Sanctis ; et un choix, au moment où, sans plus attendre, il apparaît nécessaire – les Cahiers étant bien avancés – de revenir de manière critique sur la façon dont Croce avait réalisé son long et subtil travail de révision du marxisme et, par ce moyen, de démonter tout l’appareil de la philosophie de l’esprit. Lorsqu’on tient compte de tout cet arrière-plan, la décision prise au § 21 du cahier 8 acquiert tout son sens. Recommencer à parler de « mythe » signifiait abandonner la tutelle de la philosophie crocienne et naviguer en haute mer. Cela revenait à essayer de combiner De Sanctis et Sorel, la modernité de la « créativité », héritant de la dialectique hégélienne, et la revendication anti-dialectique de l’autonomie de la politique prolétarienne. Surtout, avec le « Prince moderne » Gramsci pouvait assembler des « pièces » d’élaboration théorique qui, dans ses écrits de Turin, étaient restées séparées et indépendantes. L’« Anticroce » annoncé pour la première fois quelques mois après la rédaction de ce paragraphe, en avril 193285, trouve ici, dans l’équation entre idéologie, mythe, imagination concrète et drame, l’un de ses points de départ les plus importants et les plus méconnus.
Notes de bas de page
1 H. Guillemain, « IV. Malheureux Péguy », Europe, no 425, 1964, p. 76-97, ici p. 86. Voir aussi G. Rodano, « Introduzione » dans C. Péguy, La nostra giovinezza, Rome, Editori Riuniti, 1993, p. XXIV et note.
2 G. Sorel, « Le réveil de l’âme française », L’Action française. Organe du nationalisme intégral, III, no 104, 1910, p. 1-2.
3 « Une page de M. Georges Sorel sur un livre de M. C. Péguy », L’Action française. Organe du nationalisme intégral, III, no 104, 14 avril 1910, p. 1.
4 G. Sorel, « Il risveglio dell’anima francese », La Voce, II, no 18, 1910, p. 303.
5 Voir CT, p. 35, note 3, et QM 1, p. 178, note 83. Dans le Fonds Gramsci de la Fondazione Gramsci sont conservées les années 1911-1913 de La Voce ; pour 1911 et une partie de 1912, plusieurs fascicules sont affranchis et adressés à Ghilarza ou Oristano (voir « Il Fondo librario Antonio Gramsci », I quaderni e i libri del carcere, F. Giasi éd., Cagliari, Arkadia, 2017, p. 188). Selon des recherches très récentes menées par Luca Paulesu (et qu’il m’a aimablement communiquées, ce dont je le remercie) sur les livres et les revues conservés à Ghilarza et non encore catalogués, il s’avère que Gramsci possédait la collection presque complète de La Voce de 1910 à 1914.
6 « I moventi e il Coppoletto », Avanti!, 19 avril 1916, CT, p. 265.
7 « Per un’Associazione di coltura », Avanti!, 18 décembre 1917, S 2, p. 661.
8 Voir V. Petrucci, « L’héritage de Renan », Cahiers de l’Herne, no 53, 1986, p. 45-55, ici p. 46.
9 G. Sorel, « Il massimalismo italiano », Il Resto del Carlino, 5 octobre 1919. L’article de Gramsci est « Cronache dell’Ordine Nuovo [XVII] », L’Ordine Nuovo, 11 octobre 1919, ON, p. 234. Il faut signaler que le titre de l’article de Sorel reporté par les éditeurs (« Socialisti e conservatori ») est faux.
10 « Cronache dell’Ordine Nuovo [XVII] », art. cité.
11 Je me réfère en particulier au § 49 [G § 48] du cahier 3, dans QM 1, p. 488. Pour les cahiers 1 à 4, il sera fait référence à la nouvelle édition, avec, entre crochets et précédée de « G », la numérotation des paragraphes établie par Gerratana lorsqu’elle diffère de celle de la nouvelle édition critique.
12 ON, p. 234.
13 Cahier 4 [b], § 46 [G § 44] : QM 1, p. 728.
14 ON, p. 235.
15 Ibid. La partie entre guillemets est une citation tirée des dernières lignes de l’article de Sorel.
16 C. Luporini, « Il rapporto con Sorel », Rinascita, XXXI, no 6, 1er mars 1974, p. 34 ; voir aussi la clarification ultérieure : C. Luporini, « Sorel e un suggestivo errore di Gramsci », Rinascita, XXXI, no 14, 5 avril 1974, p. 38.
17 G. Sorel, Matériaux d’une théorie du prolétariat, Paris, M. Rivière et Cie, 1919.
18 Voir N. Bobbio, Profilo ideologico del Novecento, Milan, Garzanti, 1990, p. 76-78.
19 B. Croce, « Cristianesimo, socialismo e metodo storico (A proposito di un libro di G. Sorel) », La Critica, V, fasc. IV, 20 juillet 1907, p. 317-330.
20 G. Sorel, Considerazioni sulla violenza, A. Sarno trad., Bari, Laterza, 1909, p. V-XXVII ; voir en particulier les p. XIII-XXI. Le texte a ensuite été repris dans la première série des Conversazioni critiche, Bari, Laterza, 1918, p. 306-322.
21 B. Croce, « Cristianesimo, socialismo e metodo storico (A proposito di un libro di G. Sorel) », art. cité, p. 322-326.
22 Ibid., p. 326.
23 Falea di Calcedonia, « La morte del socialismo (Discorrendo con Benedetto Croce) », La Voce, III, no 6, 9 février 1911, p. 501-502, repris dans B. Croce, Cultura e vita morale, Bari, Laterza, 2e édition augmentée, 1926, p. 150-159, ici p. 158.
24 G. Volpe (La disillusione socialista. Storia del sindacalismo rivoluzionario in Italia, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 2015, p. 148-149) cite la Storia di dieci anni d’Arturo Labriola et La democrazia e la legge ferrea dell’oligarchia de Michels, toutes deux de 1910.
25 B. Croce, « È necessaria una democrazia?», L’Unità, I, no 7, 27 janvier 1912, p. 26. La lettre est suivie d’une brève note de Salvemini. Dans les numéros suivants, la revue publiera plusieurs interventions en réponse à Croce (Rodolfo Savelli, Pantaleo Carabellese, Rodolfo Mondolfo et Gino Luzzato).
26 B. Croce, Cultura e vita morale, ouvr. cité, p. 154-155.
27 Voir sa recension de L. Limentani, La previsione dei fatti sociali (Turin, Bocca, 1907) dans La Critica, V, fasc. 3, 20 mai 1907, p. 235-236. Le texte a été réimprimé par Croce dans Conversazioni critiche, première série, ouvr. cité, p. 150-152, et dans Logica come scienza del concetto puro, deuxième édition entièrement remaniée, Bari, Laterza, 1909, p. 232-236.
28 « Margini », La Città futura, p. 3-4, S 2, p. 104-107, ici p. 105-106 ; « Tre principii, tre ordini », La Città futura, p. 1, repris dans S 2, p. 84-88, ici p. 84. Voir L. Rapone, Cinque anni che paiono secoli. Antonio Gramsci dal socialismo al comunismo (1914-1919), Rome, Carocci, 2011, p. 283-288.
29 « Le mythe s’était formé quand la superstition scientifique était encore vivante, quand on avait une foi aveugle en tout ce qui était accompagné de l’attribut scientifique. La réalisation de cette société modèle était un postulat du positivisme philosophique, de la philosophie scientifique » (« Margini », art. cité, p. 105).
30 QC 10, I, § 11, p. 1233.
31 QC 11, § 12, p. 1386.
32 GSL, p. 1021.
33 Voir par exemple B. Croce, Etica e politica, Bari, Laterza, 1931, p. 227, p. 239, p. 356.
34 Voir G. F. Malagodi, Le ideologie politiche, Bari, Laterza, 1928. Le livre est conservé dans le Fonds Gramsci.
35 Cahier 4 [b], § 16 [G § 15] : QM 1, p. 682.
36 G. F. Malagodi, Le ideologie politiche, ouvr. cité, p. 95.
37 Voir ibid., p. 111, et la recension de B. Croce dans La Critica, XXVI, IV, 20 juillet 1928, p. 360-362, ici p. 360.
38 Ibid., p. 361.
39 Référence au chapitre « I partiti politici », dans B. Croce, Elementi di politica (Bari, Laterza, 1925, p. 35-47), puis dans Etica e politica, ouvr. cité, p. 233-241, en particulier p. 238.
40 B. Croce, recension citée, p. 362.
41 QC 10, II, § 56, p. 1350.
42 QC 7, § 39, p. 888.
43 QC 10, II, § 41.V, p. 1308.
44 Voir F. Frosini, « Luigi Russo e Georges Sorel: sulla genesi del “moderno Principe” nei Quaderni del carcere di Antonio Gramsci », Studi Storici, LIV, no 3, 2013, p. 545-589.
45 QC 8, § 21, p. 951.
46 Voir G. Sorel, Réflexions sur la violence, Paris, M. Rivière, 1908, p. 92-95, p. XXVI-XXVII, p. XXXI-XXXVIII (édition italienne : Considerazioni sulla violenza, ouvr. cité, p. 136-139, p. 24-26, p. 30-38).
47 Ibid., p. 92-94 (Considerazioni sulla violenza, ouvr. cité, p. 137-138).
48 Il s’agit de H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience (1888), dans une édition non précisée. Voir dans l’édition de 1991 (Paris, PUF), p. 173-174 et p. 179.
49 G. Sorel, Réflexions sur la violence, ouvr. cité, p. XXXIII-XXXIV (Considerazioni sulla violenza, ouvr. cité, p. 33). Voir aussi Réflexions sur la violence, p. XXXVII-XXXVIII : « l’enseignement de Bergson nous a appris que la religion n’est pas seule à occuper la région de la conscience profonde ; les mythes révolutionnaires y ont leur place au même titre qu’elle ».
50 Voir F. Engels, Religion, philosophie, socialisme, P. Lafargue et L. Lafargue trad., Paris, Librairie G. Jacques et Cie, 1901, p. 194-195 (Ludwig Feuerbach und der Ausgang der deutschen klassischen Philosophie, dans K. Marx et F. Engels, Werke, Berlin, Dietz, vol. 21, 1962, p. 284-285).
51 G. Sorel, Matériaux d’une théorie du prolétariat, ouvr. cité, p. 337.
52 Ibid.
53 Ibid., p. 337-339.
54 Voir GSL, p. 867.
55 QC 8, § 48, p. 970. Le livre est présent dans le Fonds Gramsci, avec le cachet et la signature du directeur Vito Azzariti (en service du 25 novembre 1930 au 17 mars 1933).
56 Je me suis longuement arrêté sur cette thèse dans « Luigi Russo e Georges Sorel: sulla genesi del “moderno Principe” nei Quaderni del carcere di Antonio Gramsci », art. cité.
57 QC 13, § 1, p. 1555. Voir L. Russo, Prolegomeni a Machiavelli, Florence, Le Monnier, 1931, p. 29 : « la grandeur même du Valentinois, érigé par notre auteur en prince-mythe de sa doctrine ».
58 Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande s’intitule en italien : Ludwig Feuerbach e il punto d’approdo della filosofia classica tedesca (n.d.t.).
59 « La préoccupation nationale-populaire dans la façon de poser le problème critico-esthétique apparaît chez Luigi Russo (dont il faut voir le petit livre sur les Narratori) comme le résultat d’un retour à l’expérience de De Sanctis après le point d’arrivée du crocisme » (QC 9, § 42, p. 1122).
60 L. Russo, Prolegomeni a Machiavelli, ouvr. cité, p. 32.
61 Ibid., p. 22 et p. 45.
62 Ibid., p. 61.
63 QC 8, § 21, p. 951.
64 Le titre même du livre, Prolegomeni a Machiavelli, était déjà une allusion au Preludio al Machiavelli de Mussolini (voir D. Cantimori, « Il “Machiavelli” », Belfagor, XVI, 1961, p. 749-757, ici p. 753).
65 QC, p. 951.
66 QC 13, § 1, p. 1556.
67 Voir QC 8, § 21, p. 951-952.
68 QC 8, p. 952.
69 QC 6, § 97, p. 772.
70 QC 6, p. 952.
71 « Benito Mussolini […] n’a pas dû organiser une classe, mais seulement le personnel maintenant l’ordre dans l’administration. Il a démonté certains engins de l’État, plus pour voir comment ils étaient fabriqués et pour se familiariser avec le métier que pour une nécessité originaire » (« Capo », L’Ordine Nuovo, 3e série, I, no 1, mars 1924, repris dans CPC, p. 16).
72 B. Croce, Estetica come scienza dell’espressione e linguistica generale. Teoria e storia [1902], cinquième édition révisée, Bari, Laterza, 1922, p. 403-404. L’origine de la distinction entre Phantasie et Einbildungskraft se trouve dans l’Encyclopédie des sciences philosophiques de Hegel, § 455-457.
73 F. De Sanctis, Storia della letteratura italiana, B. Croce éd., Bari, Laterza, t. 1, 1912, p. 64.
74 Voir F. De Sanctis, Scritti varii inediti o rari, B. Croce éd., Naples, Morano, vol. 1, 1898, p. 277-278 ; et F. De Sanctis, Saggi Critici [1866], cinquième édition, Naples, Morano, 1888, p. 98-99.
75 F. De Sanctis, Scritti varii inediti o rari, ouvr. cité, p. 304.
76 Cahier 4 [b], § 11 [G § 10] : QM 1, p. 675.
77 QC 8, § 21, p. 952. Dans plusieurs lettres aussi, le terme dramatique apparaît comme équivalent à la vie réelle. Voir LC, p. 276, p. 367, p. 788-790.
78 Voir « Salveminiana », L’Ordine Nuovo, 28 juin-5 juillet 1919, ON, p. 113 ; et « Annibale Bertone », Avanti!, 21 octobre 1917, S 2, p. 555.
79 « Una verità che sembra un paradosso », Avanti!, 3 avril 1917, S 2, p. 212-213. Sur ce texte, voir à nouveau L. Rapone, Cinque anni che paiono secoli. Antonio Gramsci dal socialismo al comunismo (1914-1919), ouvr. cité, p. 286. Sur la fantasia drammatica, voir également « La censura », Avanti!, 4 novembre 1918, NM, p. 389-390.
80 « I giorni », Avanti!, 30 mai 1918, NM, p. 69.
81 « La rivoluzione contro il Capitale », Il Grido del Popolo, 1er décembre 1917, S 2, p. 619.
82 Cahier 4 [b], § 6 [G § 5] : QM 1, p. 667. Sur ce point, voir V. Gerratana, « De Sanctis-Croce o De Sanctis-Gramsci? », Società, VIII, 1952, p. 497-512.
83 Voir F. De Sanctis, Storia della letteratura italiana, t. 1, ouvr. cité, p. 201 (drame et vie), p. 203-204 (drame et action), p. 215 (intime, personnel et dramatique par opposition à épique, symbolique, mystique et scolastique), p. 220 (drame comme fusion du terrestre et du céleste), p. 347-348 ; t. 2, ouvr. cité, p. 186-187 et p. 331. Voir également F. De Sanctis, Scritti varii inediti o rari, ouvr. cité, p. 49-50 (où les personnages d’Adalgis et d’Ermengarde chez Manzoni sont dits « lyriques » et non « dramatiques » en tant qu’ils sont « idéaux, passifs et plaintifs »).
84 F. De Sanctis, « Il Farinata di Dante », Nuovi saggi critici [1872], quatrième édition, Naples, Morano, 1890, p. 21-50, ici p. 27.
85 Cahier 8 [b], § 70 [G § 235].
Auteur
Università degli studi di Urbino Carlo Bo
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