Les dessous des territoires
p. 43-54
Texte intégral
1L’École et les territoires constituent un duo bien connu de l’histoire du système scolaire français. Modelé par un projet politique républicain d’unité nationale, le déploiement de la carte et de l’organisation administrative des premier et second degrés s’est largement fait sans les territoires, du moins jusqu’aux dernières décennies. Avec le mouvement de décentralisation mis en œuvre depuis les années 1980, cette configuration a-territoriale a été modifiée voire bouleversée par l’émergence d’un « ordre éducatif local »1, mettant fin au monopole de l’État éducateur et faisant droit à des politiques éducatives d’initiative locale.
2En partant de cette histoire longue, désormais bien documentée2, cette contribution se propose d’interroger les politiques territoriales du ministère. À l’heure où l’on débat des « fractures territoriales »3 et des politiques publiques susceptibles d’y remédier4, existe-t-il des politiques scolaires différenciées en termes géographiques ? Quels en sont les outils privilégiés ? Et est-ce nécessaire ? Enfin, quel partage des rôles peut-il exister entre les politiques nationales et les politiques locales, qu’elles soient académiques ou d’initiative territoriale ?
3À partir d’un rappel synthétique des fondements a-territoriaux de l’école républicaine et gaulliste et d’un retour sur les termes et limites de la décentralisation des politiques éducatives, il est proposé d’ouvrir des réflexions sur les enjeux proprement géographiques des politiques scolaires contemporaines. Issues des observations de l’auteure, ces réflexions n’engagent pas l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR).
La nation : le seul territoire de l’école républicaine et gaulliste
4Au tournant des xixe et xxe siècles puis au cours du xxe siècle, le projet politique républicain par lequel se font le déploiement des écoles primaires et l’organisation administrative du système scolaire n’a qu’un seul territoire de référence : la nation. À ce titre, il a été doublement caricaturé comme jacobin et destructeur des identités locales. Pourtant, les travaux de Jean-François Chanet sur l’école et les « petites patries » ont précisément nuancé cet ordre républicain beaucoup plus complexe et accommodant avec les réalités et les pouvoirs locaux5. De plus, l’organisation administrative centralisée voulue par Napoléon se stabilise, au terme d’un long xixe siècle, sous une forme assez duale selon les degrés d’enseignement et les échelons territoriaux considérés : le second degré et l’enseignement supérieur ressortent du pouvoir académique tandis que le premier degré s’inscrit dans un cadre départemental à la main des inspections académiques et, plus encore, des préfets6. Il n’en demeure pas moins que l’État détient désormais un monopole institutionnel scolaire, visant au premier rang à lutter contre l’Église et au regard duquel les compétences des communes, et plus encore des villes, ont été in fine des victimes collatérales. Se crée ainsi une forme d’équilibre : l’État déploie son projet politique et moral, tout en veillant à prendre en compte les configurations et revendications locales portées par les notables. Existe ainsi, derrière la façade centralisée de la rue de Grenelle, la reconnaissance d’un « pouvoir périphérique » dans le cadre d’un « jacobinisme apprivoisé »7 que les recteurs tout particulièrement ont pour tâche d’animer et de gérer.
5À ce projet politique hérité, se superpose après 1945 un projet économique et social qui conforte et, peut-être, amplifie le principe selon lequel le territoire national est le seul cadre légitime de référence pour le système scolaire. Il s’agit cette fois d’assurer la croissance de la scolarisation à l’appui de l’allongement de l’âge de la scolarité obligatoire, porté à 16 ans par un décret de 1959, et du développement encore à venir de l’enseignement supérieur pour l’ensemble d’une classe d’âge. Ce temps-là produit un programme sans précédent de construction de collèges, en attendant le déploiement ultérieur des lycées, et, pour la première fois à cette échelle, un processus de redéploiement du réseau des écoles primaires vers les espaces en expansion démographique. Par rapport au projet républicain initial, il constitue un bouleversement majeur, organisant un cadre scolaire unifié par degrés et classes d’âge précisément étudié par Jean-Michel Chapoulie8. Pour notre propos, on peut estimer que le traitement des territoires se fait « industriel ». À nouveau, il n’est pas exempt de considérants et de négociations locales, par exemple pour la construction des collèges qui prend en compte la carte existante des anciens cours complémentaires et des « petits » lycées. Mais fondamentalement, les différences territoriales et spécificités régionales de scolarisation sont vues comme autant d’écarts à la norme qu’il s’agit de résorber pour assurer la croissance économique nationale.
6Cette politique de massification, des années 1950 aux années 1970, laisse perdurer des différences voire des inégalités régionales en termes de poids respectif des filières (générale, technique et professionnelle) et d’orientation, mais quantitativement l’objectif national est progressivement atteint. On notera que la définition de cette politique échappe aux autorités scolaires. Les objectifs de capacités d’accueil du système sont arrêtés par le Commissariat général au Plan, et c’est bien la haute fonction publique hors Éducation nationale qui ouvre la voie à la réduction du maillage des écoles rurales communales. Mais le ministère se dote, à cette même période, d’un appareil statistique visant à mesurer ces écarts territoriaux pour mieux les réduire.
7À la veille du mouvement de décentralisation des années 1980, l’institution scolaire se déploie sur l’ensemble du territoire national selon un vaste quadrillage. En soi, les territoires dans leur diversité et spécificités ne sont pas un enjeu pour l’École.
La décentralisation : une révolution scolaire à hauteur des territoires ?
8À compter de la publication de l’ouvrage Les héritiers de Bourdieu et Passeron mais également des travaux ouverts par la première enquête INED (1961-1962) sur les résultats scolaires des élèves en fin de primaire9, à laquelle succèderont à partir de 1972 les enquêtes par panel menées par le ministère de l’Éducation nationale, les inégalités socio-scolaires sont désormais à l’agenda. En 1981, le ministère s’engage ainsi dans une politique d’éducation prioritaire ciblant les établissements des quartiers de grande difficulté sociale. Bientôt consacrés par la loi, les « zones d’environnement défavorisé » et les « zones d’habitat dispersé » ainsi que les territoires et départements d’outre-mer voient leurs contraintes spécifiques reconnues en matière de répartition des moyens, comme le prévoit le premier article du Code de l’éducation (L.3111-1) créé par l’article 21 de la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989. Plus encore, cette politique s’accompagne d’une ouverture de l’école à son environnement et d’un encouragement aux partenariats locaux dès la mise en place de l’éducation prioritaire (circulaire no 82-128 du 19 mars 1982).
9Cette politique ministérielle, qui vise des « zones » et non des territoires, se déploie dans le même temps qu’un deuxième changement majeur : les lois de décentralisation intervenues en deux vagues (lois de 1982-1983 et lois de 2003-2004). Les collectivités territoriales jouent désormais un rôle clef. En 2018, le poids des collectivités dans la dépense d’éducation (hors extra-scolaire) en France atteint 36 % pour le premier degré et 26 % pour le second degré10. Ce rôle est accompagné – régulé diraient certains – par un développement de la déconcentration en miroir, les différents niveaux déconcentrés (inspection académique, rectorat) répondant aux collectivités déconcentrées et aux degrés d’enseignement concernés. Cette particularité, très française, a ainsi fait l’objet de différents travaux à l’occasion du bicentenaire de la fonction rectorale11. Ces derniers confirment l’ampleur des pouvoirs et la réelle marge d’autonomie de l’administration déconcentrée pour l’enseignement secondaire et, plus récemment, l’enseignement primaire. « Haut fonctionnaire inséré dans le tissu régional »12, le recteur est ainsi, entre autres, chargé de la négociation voire de la co-construction des politiques scolaires locales avec les collectivités.
10Avec la décentralisation, l’école est désormais « travaillée du dehors »13. Les collectivités se substituent à l’État pour ce qui est des locaux, deviennent prescriptrices en matière d’équipement et sont désormais responsables des personnels techniques. En termes d’offre de formation et de pédagogie, les configurations sont plus complexes. Elles dépendent d’un « pas de deux » entre collectivités et services déconcentrés pour la négociation de la carte scolaire du premier degré et pour la carte des formations dans le second degré, particulièrement dans la filière professionnelle14. Elles se transforment aussi à mesure du développement de l’autonomie des établissements du second degré, autre mouvement institutionnel de ces dernières décennies. Cette évolution n’est pas propre à la France mais touche nombre de pays de l’OCDE. Pour certains chercheurs, cette décentralisation s’inscrit dans un ensemble de mutations sociales visant l’individualisation de l’enseignement et le choix de l’école pour dessiner un marché scolaire15. Elle suscite les réserves de l’institution et des personnels de l’Éducation nationale craignant une amplification des inégalités territoriales16. Pour autant, par exemple dans le champ des politiques de lutte contre la difficulté scolaire et la déscolarisation, l’action des collectivités tend plutôt à une « démultiplication génératrice d’homogénéité » visant à répondre aux canons scolaires17. Comme si l’État acceptait de concéder son monopole institutionnel, de façon très mesurée, pour mieux réintégrer ce qui est des marges ou encore de « l’école de la périphérie »18.
11La décentralisation et, dans une autre mesure, l’autonomie conférée au projet d’établissement, ont définitivement bousculé les termes du projet national de quadrillage scolaire. Le « local » est devenu synonyme de territoire, mais on peine désormais à identifier une stratégie d’ensemble, a fortiori à l’heure où les inégalités territoriales s’imposent à l’agenda politique.
L’introuvable stratégie territoriale
12De ce rapide rappel, on constate que la politique de l’Éducation nationale tournée vers les territoires est désormais la résultante de trois éléments : les politiques d’éducation prioritaire, la co-construction locale et les politiques académiques. Ce triptyque constitue-t-il pour autant une réponse aux interpellations territoriales contemporaines et, plus encore, aux enjeux d’équité et de cohésion ?
13Très mobilisée ces dernières années par les réformes de design institutionnel (décentralisation, déconcentration, réforme territoriale), l’Éducation nationale a été confrontée à la montée en puissance d’interrogations ou de revendications territoriales. On peut citer les tensions grandissantes concernant le maillage des écoles en milieu rural ou montagnard, les questionnements sur la carte de l’éducation prioritaire, les difficultés d’offre dans certains territoires ultra-marins auxquels s’ajoutent les inégalités d’accès au numérique éducatif et, plus récemment, la couverture territoriale des enseignements de spécialité à l’occasion de la réforme du baccalauréat. Désormais, la ventilation régionale des créations ou suppressions de postes, de même que les taux départementaux d’encadrement ou de taille des classes, font l’objet d’une couverture médiatique au même titre que les évaluations de performance scolaire ou les réformes pédagogiques. Concédons que cette liste à la Prévert mêle des revendications catégorielles, parfois anciennes, les territoires ruraux et montagnards faisant par exemple l’objet depuis trente ans de « ressauts » ruraux périodiques auxquels répondent circulaires et autres moratoires19. Remarquons que le soupçon de non-équité spatiale dans le déploiement des moyens n’est pas propre à l’Éducation nationale mais touche aussi les services publics de santé, de police ou encore de justice pour les territoires éloignés comme pour les grands quartiers d’habitat social. Notons, enfin, que le ministère doit faire face à des changements démographiques et géographiques de grande ampleur, touchant aussi bien les élèves que les personnels.
14Pour autant, la « question territoriale » n’est pas épuisée, et d’abord dans sa définition : historiquement, cette question s’est traduite pour l’Éducation nationale en termes de couverture territoriale pour assurer l’accès égal au service public d’éducation, auquel le projet républicain a répondu par un quadrillage spatial ; à partir des constats et débats autour des inégalités sociales de réussite scolaire, elle s’est concrétisée par l’adoption de moyens dérogatoires, voire de formes pédagogiques spécifiques, conçues comme temporaires et circonscrites à certaines « zones », l’École visant ainsi à compenser une inégalité tenant à un environnement spatial jugé pénalisant. Avec la décentralisation, mais aussi l’autonomie des établissements, il est apparu que le « local » constituait désormais une dimension et une ressource que les écoles et établissements devaient intégrer et valoriser pour la réussite des élèves, à partir d’une régulation laissée aux académies.
15De ces trois conceptions successives, lesquelles se cumulent et cohabitent dans les faits quand il s’agit d’aborder la dimension territoriale, il est frappant de constater qu’aucune n’intègre explicitement la dimension géographique et, plus encore, la perspective de politiques territorialement différenciées (et non simplement dérogatoires avant retour à la norme nationale). Avançons l’idée que si l’Éducation nationale a été saisie depuis les années 1980 de multiples initiatives et changements institutionnels rappelés brièvement supra, elle est demeurée peu sensible aux interrogations et perspectives ouvertes par le « tournant géographique »20 connues par cette discipline et, à sa suite, différentes politiques publiques dans ces mêmes années. On vise ici la complexité des réalités territoriales que les catégories ministérielles, distinguant urbains versus ruraux ou encore familles favorisées versus familles défavorisées peinent à saisir. On cible aussi les mobilités, soit les « liens » et les flux, qui s’avèrent au moins aussi importants que les « lieux », soit les points figurant les écoles et établissements sur les cartes (carte scolaire, carte de l’offre de formation, etc.), lesquels demeurent la norme dominante de notre représentation du système éducatif. Or, ces dimensions ne sont pas sans effets scolaires, tels qu’explorés par divers travaux21 ou rapports22.
16Ainsi, les outils et politiques ministériels, pourtant censés traiter de la question territoriale, sont essentiellement a-géographiques. Reprenons les trois piliers évoqués supra.
17Considérons, tout d’abord, le zonage propre à l’éducation prioritaire (et réclamé par certains parlementaires pour les écoles et établissements des territoires ruraux). Il identifie des écoles et établissements, à partir d’indicateurs statistiques nationaux concernant les élèves et leur famille. Rendu quasi obligatoire par le cadre juridique français, le zonage n’en est pas pour autant perçu comme une contrainte : il apparaît, au contraire, dans la culture française comme le garant et le meilleur vecteur de l’équité territoriale. Même ajusté de certains arrangements territoriaux, il est pourtant par construction a-géographique : il conduit à appliquer des mesures impérativement identiques quels que soient les territoires des établissements considérés : banlieues de grandes agglomérations, petits quartiers de villes moyennes en déprise, territoires d’outre-mer où l’on peine, par ailleurs, à assurer la scolarisation obligatoire. Il se déploie, en outre, indépendamment des mobilités que connaissent les territoires concernés, qu’il s’agisse de mobilités quotidiennes ou résidentielles.
18Ensuite, revenons sur les politiques d’association, voire de co-construction avec les acteurs locaux (collectivités, associations). Il existe une grande diversité de situations tenant notamment aux capacités financières et aux choix de gestion adoptés par les collectivités dans leurs compétences scolaires ou périscolaires23. Pour autant, le ministère ne formalise pas de politique différenciée en fonction des configurations territoriales, hormis ponctuellement dans le champ du numérique éducatif (appels à projets successifs concernant les écoles rurales) et, plus récemment, des cités éducatives. En définitive, le « local » a désormais droit de cité dans l’École, mais son intégration dans les politiques nationales demeure indéterminée, d’aucuns diraient marginale.
19Enfin, attardons-nous sur les politiques académiques auxquelles revient le plus souvent la responsabilité des politiques territoriales éducatives. À la lecture des rapports des corps d’inspection, à l’occasion des bilans et des évaluations de différentes politiques impulsées par le ministère, se dessinent des politiques académiques (ou infra-académiques) territorialisées, en ce qu’elles se distinguent de la norme ou des instructions nationales au nom de contextes spécifiques. Parmi nombre d’exemples, on citera les politiques scolaires rurales, par exemple en matière d’affectation des personnels, de mise en place des conventions ruralités pourtant cadrées administrativement ou tout simplement en termes de définition des territoires ruraux concernés24 .Mais ces politiques se font paradoxalement à « bas bruit ». D’un côté, elles adaptent dans la mesure du possible des dispositifs nationaux réputés identiques contribuant à la réalisation d’une effective équité territoriale (parfois aussi au maintien d’inégalités de fait). De l’autre, elles sont suivies, et par ailleurs évaluées, en leur conformité à la norme et selon des découpages administratifs éloignés, par construction, des réalités territoriales. C’est ce qu’illustrent les dialogues de gestion entre administrations centrales et autorités académiques, ou encore les fondamentaux de l’appareil statistique ministériel, qui compare et classe chaque entité, du bassin ou de la circonscription à l’académie, en passant par le département, sans oublier désormais la région académique. Ils conduisent, par exemple, à comparer les inspections académiques de la Loire (territoire marqué par la désindustrialisation), de l’Ain (territoire en déprise de peuplement) et du Rhône (territoire sous contrainte frontalière), certes réunies dans la même académie de Lyon, l’une des plus dynamiques métropoles nationales, ou encore, à analyser les indicateurs de l’académie de Reims rapportée à l’ensemble de la région Grand Est alors que ceux de l’académie d’Amiens serait à bien des égards un point de comparaison plus significatif.
20Intimement liée à notre conception territoriale « quadrillée », cette approche a-géographique explique peut-être aussi comment le ministère est parfois surpris, débordé voire pris à contrepied par les interpellations territoriales évoquées supra, auxquelles il peine à répondre par le seul énoncé de ratios territoriaux statistiques et de considérants nationaux généraux.
Conclusion : devenons géographes !
21Ce qui précède sonnera peut-être comme une critique discutable au vu de l’ampleur des changements que connaît le ministère depuis plusieurs décennies. Mais il s’agit, en fait, d’un plaidoyer pour une approche « augmentée » des politiques territoriales scolaires. À la trame « quadrillée », il s’agirait de substituer une stratégie territoriale nationale déclinant des politiques différenciées selon les régions et les territoires, afin d’améliorer la lutte contre les inégalités de réussite et d’orientation, ainsi qu’une gestion facilitée des recrutements, des affectations et des conditions de travail et de formation des personnels. En s’appuyant sur l’important matériau de recherche, d’études ou encore de propositions émanant des académies, il pourrait être élaboré un cadre national prenant en compte les inégalités de situation mais également les différences de contexte et d’organisation pour définir des objectifs de moyen terme. Concernant la mise en œuvre, plusieurs pistes pourraient être envisagées ou développées. Évoquons-en trois.
22À l’heure où l’organisation territoriale de la république rompt avec le modèle unitaire historique et reconnait peu ou prou la différenciation (collectivités à statut particulier, compétences à la « carte », etc.), ne peut-on envisager d’assouplir notre organisation scolaire pour mieux répondre à la diversité des configurations territoriales ? Sans rouvrir le complexe sujet des configurations académiques, cela peut concerner l’organisation des écoles et établissements (classes multi-âges, regroupements expérimentaux inter-degrés, relance des politiques de réseaux ou de bassins). L’objectif serait, à notre sens, d’éviter l’insoluble recherche de l’organisation ou du territoire « pertinent » destiné à concilier les réalités vécues et les rationalités propres aux politiques publiques et aux organisations qui en ont la charge, dont un rapport des inspections générales rappelle l’histoire25. Il s’agirait, au contraire, de faire droit à une diversité d’organisations dans le cadre d’un dialogue renouvelé entre collectivités locales, communautés éducatives et autorités académiques.
23Ne faut-il pas, y compris pour mettre à mal certaines affirmations défendues ici en faveur d’une territorialisation renforcée, encourager le développement de travaux de recherche et d’études sur les politiques académiques que ne peuvent résumer des caractéristiques statistiques ? Au-delà des études traitant des recteurs26, ces politiques déconcentrées restent mal connues, a fortiori leurs effets en matière de réduction des inégalités socio-spatiales ou leur capacité à intégrer les enjeux de « capital spatial », pour reprendre le thème d’une étude en cours dans l’académie de Reims.
24Enfin, en poursuivant l’approfondissement des réflexions engagées par la direction statistique du ministère (exemple de l’indice d’éloignement à partir des données désormais géolocalisées de résidence des élèves), ne serait-il pas opportun de procéder à une révision des outils de pilotage des administrations déconcentrées et centrales pour mieux y intégrer les contextes et les trajectoires géographiques ? Au-delà des besoins en terme de pilotage annuel, il s’agirait aussi de mieux identifier ce qui doit relever d’une stratégie territoriale de niveau national, par exemple pour compenser des inégalités persistantes ou des « chocs asymétriques » (exemple de la déprise démographique du grand nord-est français), ce qui peut toucher aux besoins de compensation ou d’harmonisation des politiques contractualisées avec les collectivités (restauration, hébergement, transports) et ce qui relève d’une nécessaire diversité locale à l’appréciation des autorités déconcentrées.
Notes de bas de page
1 C. Ben Ayed, Le nouvel ordre éducatif local. Mixité, disparités, luttes locales, Paris, PUF, 2009.
2 B. Garnier, « Territoires, identités et politiques d’éducation en France », Carrefours de l’éducation, vol. 2, no 38, 2014, p. 127-157.
3 C. Guilly, La France périphérique, Paris, Flammarion, 2014 ; D. Béhar, « De l’égalité à la cohésion des territoires », Géographie, économie, sociétés, vol. 3, no 21, 2019, p. 251-267.
4 CGET, Rapport sur la cohésion des territoires, juillet 2018. En ligne : [https://www.cget.gouv.fr/sites/cget.gouv.fr/files/atoms/files/rapport-cohesion-france_juillet-2018.pdf].
5 J.-F. Chanet, L’école et les petites patries, Paris, Aubier, 1996. Voir également la préface de Mona Ozouf dans ce même ouvrage.
6 J.-F. Condette, « Les recteurs d’académie en France de 1809 à 1940. Évolution d’une fonction administrative », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 1, no 51-1, 2004, p. 62-93.
7 P. Grémion, Le pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le système politique français, Paris, Seuil, 1976.
8 J.-M. Chapoulie, « Mutation de l’institution “Éducation nationale” et inégalités à l’école : une perspective historique », Les temps modernes, vol. 3, no 637-638-639, 2006, p. 8-83.
9 H. Bastide et A. Girard, « Population » et l’enseignement, Paris, INED / PUF, 1970.
10 DEPP, Une typologie des communes pour décrire le système éducatif. Note d’information no 19.35, Paris, Ministère de l’Éducation nationale, septembre 2019. En ligne : [https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/imported_files/document/depp-ni-2019-19-35-une-typologie-des-communes-pour-decrire-le-systeme-educatif_1185328.pdf].
11 J.-F. Condette dir., Les recteurs. Deux siècles d’engagements pour l’École (1808-2008), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.
12 B. Toulemonde, « Les grandes mutations de la fonction rectorale depuis 1945 », Les recteurs. Deux siècles d’engagements pour l’École (1808-2008), J.-F. Condette dir., Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 173-181.
13 C. Ben Ayed, Le nouvel ordre éducatif local. Mixité, disparités, luttes locales, ouvr. cité
14 H. Buisson-Fenet et É. Verdier, « Une régionalisation impossible ? La régulation des formatons professionnelles initiales en France : concurrences institutionnelles et hiérarchie d’instruments statistiques », Sociologie et sociétés, vol. 44, no 1, 2012, p. 41-65 ; H. Buisson-Fenet et É. Verdier, « Hiérarchie des savoirs et concurrences institutionnelles : la régulation des cartes régionales des formations professionnelles initiales (Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur) », Revue française de pédagogie, no 182, 2013, p. 19-30.
15 N. Mons, Les nouvelles politiques éducatives, Paris, PUF, 2007.
16 C. Ben Ayed, Le nouvel ordre éducatif local. Mixité, disparités, luttes locales, ouvr. cité
17 C. Ben Ayed, « Éducation et territoire. Retour sur un objet sociologique mal ajusté », Les sciences de l’éducation. Pour l’ère nouvelle, vol. 51, no 1, 2018, p. 15-35.
18 A. van Zanten, L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue, Paris, PUF (Quadrige), 2012.
19 IGEN-IGAENR, Mission ruralité. Adapter l’organisation et le pilotage du système éducatif aux évolutions et défis des territoires ruraux. Rapport no 2018-080, 2018. En ligne : [https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/184000661.pdf].
20 J. Lévy, Le tournant géographique. Penser l’espace pour lire le monde, Paris, Belin, 1999.
21 DEPP, Une typologie des communes pour décrire le système éducatif. Note d’information no 19.35, Paris, Ministère de l’Éducation nationale, septembre 2019. En ligne : [https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/imported_files/document/depp-ni-2019-19-35-une-typologie-des-communes-pour-decrire-le-systeme-educatif_1185328.pdf].
22 IGEN-IGAENR, Mission ruralité. Adapter l’organisation et le pilotage du système éducatif aux évolutions et défis des territoires ruraux. Rapport no 2018-080, ouvr. cité ; IGEN-IGAENR, Rapport annuel des inspections générales. Territoires éducatifs : état des lieux et perspectives, 2016. En ligne : [https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2016/73/2/IGEN-IGAENR-Rapport-annuel-2016-Territoires-educatifs-etat-des-lieux-perspectives-2_904732.pdf] ; Mission territoires et réussite, Rapport remis le 5 novembre 2019 par Ariane Azéma, inspectrice générale de l’Éducation nationale, du sport et de la recherche et Pierre Mathiot, professeur des universités, directeur de Sciences Po Lille, novembre 2019. En ligne : [https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/imported_files/document/Rapport_territoires_et_reussite_1199516.pdf].
23 Cour des comptes, « Chapitre IV : L’exercice par les communes de leurs compétences scolaire et périscolaire », Les finances publiques locales, Paris, septembre 2018. En ligne : [https://www.ccomptes.fr/system/files/2018-09/20180925-finances-publiques-locales-2018_0.pdf].
24 IGEN-IGAENR, Mission ruralité. Adapter l’organisation et le pilotage du système éducatif aux évolutions et défis des territoires ruraux. Rapport no 2018-080, ouvr. cité.
25 IGEN-IGAENR, Rapport annuel des inspections générales. Territoires éducatifs : état des lieux et perspectives, ouvr. cité.
26 J.-F. Condette, « Les recteurs d’académie en France de 1809 à 1940. Évolution d’une fonction administrative », art. cité ; J.-F. Condette dir. Les recteurs. Deux siècles d’engagements pour l’École (1808-2008), ouvr. cité.
Auteur
Inspectrice générale de l’Éducation nationale, du sport et de la recherche
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