Utiliser les compétences linguistiques des familles pour agir
p. 61-63
Texte intégral
1J’ai été enseignant en école primaire, en éducation prioritaire pendant une vingtaine d’années, enseignant spécialisé, directeur d’école, et je suis formateur depuis cinq ans. Pourtant, malgré ces expériences, la diversité sociolinguistique des élèves et de leurs familles m’est longtemps restée invisible, comme elle était ignorée par la plupart des collectifs et cadres institutionnels dans nos réseaux.
2C’est pour pallier cette carence, dont j’ai pris conscience ces dernières années, que je me suis réinvesti dans des études sur le tard, en psychologie, sociologie, psycholinguistique, etc. Je suis désormais formateur d’enseignants qui accueillent des élèves allophones ou issus du voyage, et je m’efforce de réinvestir ce que j’ai appris dans mes activités de formateur, et de mobiliser les ressources disponibles dans le domaine, afin d’accompagner les changements de pratiques.
3Cette approche prend le contre-pied de la notion de handicap socioculturel, qui postule de fait que « notre » grille de lecture du capital culturel est la seule légitime, même si elle ne prend pas en compte d’autres éléments, comme à titre d’exemple l’empreinte écologique.
4Pour analyser la situation des élèves migrants, nous devons alors prendre en compte des variables sociales évidemment liées aux origines et aux trajectoires familiales des élèves, comme l’a montré Mathieu Ichou. Ces éléments, qui pèsent fortement sur la situation des élèves, échappent en revanche à l’aire de compétence de l’enseignant, qui doit composer avec sans pouvoir les modifier.
5Le formateur doit par conséquent trouver des leviers d’action à sa portée, qui contribuent à favoriser la réussite des élèves ; objectif général vers lequel doit tendre son travail.
6Dans ce contexte, il peut être intéressant d’identifier des variables langagières fines, pas toujours faciles à mesurer, mais qui expliquent des différences significatives que l’on peut rencontrer au niveau de situations socialement comparables. C’est par exemple le cas lorsqu’on constate des réussites paradoxales ou des trajectoires diversifiées dans une fratrie, selon les régimes langagiers des enfants, ou des réussites paradoxales en fonction des histoires et des épreuves rencontrées, du temps passé en France, etc.
7C’est l’identification de ces variables qui permet aux enseignants d’agir, d’avoir une influence sur la réduction des difficultés que rencontrent les élèves. C’est un enjeu de motivation et de dynamique professionnelle, permettant de ne pas rester coincé dans la sidération face à des situations a priori insolubles.
8Il s’agit donc de repérer des domaines d’action et des variations qui permettent d’agir dans le contexte que l’on maîtrise.
9Comprendre ce qui se passe dans les familles, au niveau sociolinguistique, est sans doute un élément essentiel afin de prendre en compte ce qui se joue au niveau des réussites des élèves.
10Nous avons en France une tradition hostile aux pratiques linguistiques régionales dans les familles, qui remonte à la construction de la République et de l’État nation, qu’on retrouve en grande partie dans une certaine méfiance de l’institution éducative envers les langues des migrants.
11Il y a au contraire des façons d’agir en connaissant et en reconnaissant les compétences langagières familiales susceptibles de changer la place des familles, et donc des enfants, vis-à-vis de l’école.
12On peut ainsi se proposer d’utiliser les compétences linguistiques des familles pour l’apprentissage du langage, au lieu de les vivre comme des difficultés ou des risques.
13L’enjeu est d’aider la famille à se repositionner comme parent d’élève, légitime au sein de l’école française, malgré les pertes de repères induites par la migration.
14Cela signifie reconnaître aux élèves une place légitime dans une filiation au sein de leur famille, en accord avec la langue familiale, ce qui les sécurise et leur permet de vivre l’école de leur pays d’accueil comme un prolongement de leur parcours et de leurs cadres de socialisation précédents, et non comme un arrachement, par rapport à leur famille.
15Il s’agit de favoriser le développement cognitif et langagier à la maison, en incitant au partage entre parents et enfants des connaissances et compétences sur le monde, sans effet de censure sur l’expérience en partie effacée ou niée par la migration.
16L’expérience familiale n’est alors plus perçue comme un handicap à compenser : on renverse la vision déficitaire des familles qui, pour un motif ou un autre, sont moins proches de la culture scolaire et de ses formes contextuelles liées à la société française.
17Au-delà de l’école, cette vision permet de participer à la construction d’une société plus ouverte sur l’altérité, et de montrer comment le plurilinguisme contribue à lutter contre les replis identitaires, notamment par des actions en mobilisant les langues des familles à l’école, contribuant à requalifier les parents comme interlocuteurs valables à l’école.
18L’objectif étant de faire de ces diversités une solution et non un problème, en évitant de les considérer comme telles.
Auteur
Pôle allophones, Direction des services départementaux de l’éducation du Rhône
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