4. Une ville sous influence mafieuse
p. 99-123
Texte intégral
1La mafia palermitaine sort affaiblie et désorganisée de la période fasciste. Dressant le bilan de la politique de lutte contre la criminalité mafieuse, Marie-Anne Matard-Bonucci conclut :
… la campagne [du préfet] Mori provoqua […] la destruction des principales cosche des Madonie et infligea des coups très durs à celles de la côte, de Bagheria, des bourgades entourant Palerme, d’Alcamo ou de Partinico. En revanche, la mafia avait mieux résisté dans les régions intérieures en Sicile centre-occidentale et tout particulièrement dans les campagnes de Caltanissetta.1
2De nombreux mafieux ont fini en prison ou été condamnés à des peines de relégation. D’autres, pour en réchapper, sont allés trouver refuge en Tunisie et aux États-Unis. La brutalité des méthodes employées (prises d’otage, déportation, torture) est longtemps restée dans les mémoires2. Les années d’après-guerre avec leur lot de pénurie, de marché noir et de contrebande offrent des conditions favorables à la reconstitution des groupes mafieux et à la reprise des activités criminelles. Elles sont également l’occasion pour la mafia de renouer avec sa fonction de relais des pouvoirs publics – forces d’occupation américaines d’abord, autorités italiennes ensuite – pour garantir le maintien de l’ordre (social en particulier). La croissance de Palerme et le puissant mouvement spéculatif qui l’accompagne constituent un moment clef du processus d’expansion de la mafia palermitaine. Les clans trouvent là non seulement un formidable moyen d’enrichissement mais aussi l’occasion de renforcer les liens tissés avec le monde politique et l’entreprenariat local :
On vit des mafiosi devenir entrepreneurs du bâtiment grâce à l’appui de politiciens et de fonctionnaires, des entrepreneurs demander la collaboration de mafiosi, des hommes politiques en relations avec les précédents. Se mit alors en place un véritable réseau d’affaires entre la mafia, la politique et l’économie […].3
3Un chiffre permet de prendre la mesure du niveau de corruption au sein de l’administration municipale4 : trois individus, des prête-noms pour des sociétés immobilières tenues par la mafia, ont endossé 2 500 des 4 000 permis de construire délivrés du temps où Vito Ciancimino était assesseur aux travaux publics (1959-1964) ! Cette emprise de la mafia sur la politique urbaine et la vie politique palermitaines devait se poursuivre jusqu’à l’orée des années 1990, date à laquelle s’ouvre un nouveau chapitre de la lutte antimafia qui entraîne un profond processus de recomposition.
4La mafia ne pose pas uniquement un problème de nature criminelle. C’est un véritable défi politique et économique5 qu’elle lance à la société palermitaine et plus globalement italienne. En levant un impôt et en contestant son monopole de la violence légitime, les clans mafieux disqualifient l’État dans ses fonctions les plus élémentaires. En créant une allégeance concurrente dans les territoires sous son contrôle, la mafia alimente une crise culturelle rampante car, face à la culture de l’illégalité qu’elle incarne, l’adhésion à l’État, à ses valeurs et à son projet ne constitue pas/plus, pour une partie des Palermitains, une force mobilisatrice. Par quels moyens la mafia s’impose-t-elle comme une autorité politique concurrente ? Comment cela se répercute-t-il sur le rapport de la société à l’État ? Quelles conséquences cela a-t-il sur le fonctionnement et la gestion du territoire ? Cette présence criminelle pèse également sur l’image de Palerme car, pour toutes et tous, cette ville est intimement identifiée à la mafia. Cette identification persiste malgré les efforts entrepris par les pouvoirs publics pour projeter, en Italie et à l’étranger, l’image d’une ville en pleine renaissance. L’enjeu dépasse la seule question de l’image dans la mesure où celle-ci influe sur le positionnement des investisseurs.

Carte 10. Organisation de la mafia palermitaine
L’emprise de la mafia sur le territoire et la société palermitaine
5La mafia sicilienne est une forme de criminalité organisée particulière. Avec celle-ci, elle partage une structure hiérarchisée, la faculté de se déployer au-delà des frontières nationales ainsi que l’usage de la violence et de la corruption6. Elle s’en distingue cependant par sa capacité à être simultanément présente dans l’économie légale et illégale, son fonctionnement sous la forme d’une société secrète et son ancrage territorial. C’est là sans doute son trait de caractère le plus fort : la mafia sicilienne est une criminalité organisée à fondement territorial. Elle tire sa puissance de sa capacité à contrôler un territoire, à s’enraciner dans la société locale et à y exercer une fonction de régulation. Une partie de ses revenus provient de la mise en exploitation de ce territoire (par l’extorsion ou l’usure) et de son pouvoir à en régir l’utilisation par les acteurs économiques (en contrôlant les appels d’offres publics).
6Palerme est le centre de gravité de la criminalité mafieuse sicilienne par le nombre de clans présents sur son sol et leurs effectifs (tableau 3). Les informations statistiques concernant la mafia ne sont pas le reflet fidèle d’une réalité mais davantage un ordre de grandeur. La mafia sicilienne serait composée de 181 familles (cosche) regroupant quelque 5 000 affiliés7. À elle seule, la province palermitaine compte 59 clans et pas loin de 1 500 mafieux, soit le tiers du total dans les deux cas. La plupart de ces clans, et notamment les plus importants, sont implantés dans la ville de Palerme ou à ses portes. Ce poids numérique se double d’un profond enracinement historique. Palerme est en effet le berceau de la mafia sicilienne et sa présence y est désormais attestée de manière continue depuis plus d’un siècle. Le collaborateur de justice Antonino Calderone commente en ces termes la continuité spatiale et historique de l’implantation des clans palermitains :
Dans la mafia de Palerme, le quartier est encore plus important qu’à Catane. Nous les Catanais, dès qu’on a fait un peu d’argent, on quitte la banlieue pour le centre-ville. Personne ne veut vivre dans un endroit comme San Cristoforo. Nous les Calderone, les Santapaola, Turi Palermo et tant d’autres encore, on est nés dans les endroits les pires de la ville, et on s’est tous transférés dans le Centre. Les mafiosi de Palerme ne vont pas habiter à Palerme-centre, ils restent dans leur quartier. Ils naissent, vivent et meurent au même endroit. Leur quartier, c’est tout, pour eux, leur famille vit là depuis des générations et ils sont tous parents. Il y a quatre ou cinq noms de famille principaux, les autres sont des branches apparentées. Tout au plus, ils se font construire une maison plus belle, plus luxueuse. Stefano Bontade a démoli l’immeuble de son père, dans le quartier de Santa Maria del Gesù, et a reconstruit un palais. Son frère Giovanni, comme Salvatore Inzerillo, a fait la même chose dans le quartier de Bellolampo. Ils n’ont pas bougé d’un millimètre de leur royaume, où ils sont les maîtres absolus depuis des décennies et des décennies.8
7Le territoire familial constitue l’unité élémentaire de l’architecture mafieuse9. Chaque famille ou cosca possède un territoire sur lequel elle exerce une domination complète et exclusive. Le pouvoir des clans est directement lié à leur capacité à contrôler un territoire. Celui-ci n’est pas une fin en soi mais un instrument. Premièrement, il conditionne l’exercice des activités économiques aussi diverses que l’extorsion, la pratique de la sous-traitance, la contrebande de cigarettes ou le trafic de stupéfiants. D’autre part, il assure l’enracinement du clan au sein de la population, gage de l’impunité dont ses membres jouissent. Les mafieux recherchés par la police préfèrent trouver asile dans les territoires qu’ils contrôlent ou auprès de familles alliées, plutôt que de quitter la Sicile pour un refuge précaire à l’étranger ou sur le continent car, comme l’observe le juge Giuseppe Ayala (ancien membre du pool antimafia), « hors de leur territoire, ils ne sont plus rien »10. Après deux décennies de vie clandestine, Salvatore Riina a été appréhendé le 15 janvier 1993 à la sortie de sa villa située en plein cœur de Palerme, où il vivait avec sa femme et ses enfants. Dans leur territoire, les mafieux évoluent dans un milieu social, culturel et linguistique dans lequel ils peuvent se fondre. L’omertà les met à l’abri de la délation. Les complicités dont ils disposent au sein de la police et de la justice leur permettent de déjouer les opérations projetées contre eux. En effet, « aucune sécurité territoriale ne pourrait être assurée au mafioso sans un système efficace d’informations et de contrôle assurés par le groupe des parents consanguins et des amis locaux »11. Le boss Bernardo Provenzano a été arrêté le 11 avril 2005 dans une vieille ferme près de Corleone après quarante années de fuite. Les enquêteurs ont fini par reconnaître publiquement que c’est grâce à des indiscrétions provenant de leurs propres services qu’il est parvenu au cours de ces dernières années à déjouer systématiquement les coups de filet tendus contre lui.
8Les territoires des clans sont séparés les uns des autres par des frontières. Celles-ci circonscrivent d’abord un espace de souveraineté. Ce principe, qui régit l’essentiel des relations entre les clans, impose aux mafieux de solliciter et d’obtenir l’autorisation pour intervenir sur un territoire qui échappe à leur zone d’influence. Si un mafieux désire ouvrir un chantier pour la construction d’une infrastructure publique (école, hôpital, route…) sur le territoire d’un autre clan, il doit au préalable s’entendre avec le chef de celui-ci sur le montant et les modalités de la compensation financière à acquitter. De même, les mafieux ne peuvent se livrer à l’extorsion auprès d’entreprises situées sur le territoire d’un autre clan. Les frontières délimitent également un espace social. En distinguant et isolant chaque clan les uns des autres, elles sont à l’origine d’un double sentiment d’appartenance, à un groupe et à un territoire. Seuls les mafieux connaissent les limites de leur propre territoire et des territoires contigus. Ainsi les mafieux de Catane ou de Messine méconnaissent-ils l’organisation du territoire criminel palermitain ou agrigentin. Toute reconstitution du cadastre mafieux est impossible car aucune borne ne souligne le tracé des frontières, aucun élément du paysage n’en indique la présence, aucun registre n’en consigne bien entendu les transformations. Au mieux, c’est une carte de localisation que le géographe peut construire en pointant le nom des clans au niveau de la ville, du village ou du quartier où leur présence est attestée (carte 10). Cette carte est cependant vouée à se périmer rapidement car les territoires mafieux sont des territoires fluides et mouvants. Leur configuration change sous l’effet de processus interne et externe. Ils sont périodiquement redessinés au gré des guerres qui opposent les clans entre eux. Selon l’issue des confrontations, les territoires des familles se rétractent ou se dilatent, certains pouvant même disparaître si les chefs ne sont plus en mesure d’exercer leur autorité à cause de leur élimination, de leur disqualification ou de leur émigration. La lutte antimafia est un autre facteur de recomposition. L’arrestation d’un grand nombre de mafieux de premier rang comme de simples hommes d’honneur, au cours des années 1990, s’est traduite par le démantèlement de certains clans et par des signes de déprise territoriale. De récentes observations dans le palermitain ont cependant montré que les territoires mafieux se reconstituent rapidement12. Si une approche en termes de morphogenèse, de frontières, de structures et de dynamiques permet de saisir l’organisation élémentaire et fondamentale du territoire mafieux, elle révèle rapidement ses limites face à son caractère plastique et invisible.

Tableau 3. La mafia en Sicile au milieu des années 1990
9Il est difficile d’apprécier l’emprise de la mafia sur le territoire et la société car cette emprise s’exprime au travers de mécanismes complexes et variés (degré d’enracinement du clan dans le territoire, légitimité du chef de clan, degré de soumission ou de résistance de la population…). Le coefficient de pression mafieuse élaboré par le sociologue Rocco Sciarrone13 permet cependant de dresser un état des lieux du rapport de force qui se constitue à l’échelle d’un territoire (tableau 4) : il est obtenu par le rapport entre la population totale d’un territoire donné (quartier, province, région) et la population mafieuse estimée de ce même territoire. À l’échelle de la province palermitaine, ce coefficient s’établit à 1 mafieux pour 834 habitants. C’est l’un des plus bas enregistré. Sachant que Palerme concentre une part importante des clans recensés sur le territoire de la province, on peut conclure que la ville présente une des plus fortes densités mafieuses de toute l’île.

Tableau 4. L’emprise de la mafia sur le territoire sicilien
10Le terme pizzo (tremper son bec en sicilien) désigne communément l’extorsion pratiquée par la mafia auprès des commerçants et des entrepreneurs palermitains. Cet impôt est acquitté en échange d’une protection – plus théorique que réelle – contre les vols et les agressions commis par la petite délinquance. L’extorsion s’impose à la fois comme la meilleure manifestation de l’emprise de la mafia sur le territoire et son instrument principal. Déjà en 1866, lors de son voyage en Sicile, Élisée Reclus note :
… la plupart des commerçants et des industriels [sont] obligés, pour vivre eux-mêmes et continuer librement leur métier, de payer la dîme de leurs revenus aux chefs de la redoutable association : on peut dire que la ville tout entière [obéit] en même temps à deux pouvoirs, celui de l’Italie et celui de la maffia[à l’époque il n’était pas rare de voir le mot mafia écrit avec deux ff].14
11Ce géographe, dès cette époque, souligne le caractère subversif de l’extorsion, dans la mesure où cette pratique met la population palermitaine dans une situation de double allégeance vis-à-vis de l’État et de la mafia, et de son impact politique. La conclusion n’est pas explicitement tirée mais elle est parfaitement sous-entendue : cette situation de double allégeance se répercute directement sur le lien unissant les gouvernés à leurs gouvernants dans un État-nation italien en voie de construction. Comme le note la sociologue Letizia Paoli :
[Le] pouvoir reconnu aux associations mafieuses a, avec le temps, fini par empêcher la consolidation du pouvoir de l’État et fortement freiné la reconnaissance de ce pouvoir par de larges franges de la population méridionale. Les clans mafieux ont ainsi profondément perturbé le processus de construction de l’État moderne et considérablement limité, dans les zones qu’ils contrôlaient, la diffusion des avantages que celui-ci porte en lui.15
12Plus d’un siècle plus tard, la situation n’a guère évolué comme en témoigne cette déclaration du mafieux Gaspare Mutolo devant la commission d’enquête parlementaire :
L’extorsion fonctionne très bien à Palerme. Les gens sont disciplinés, ils paient […]. Si les vingt ou trente millions [de lires] qui provenaient de chaque bourg étaient indispensables il y a trente ans, désormais c’est une question de prestige car avec l’extorsion on entre dans un système relationnel. Si vous possédez une boutique, une entreprise, et que moi je vous connais, même à titre individuel, il se peut que je vous rende un service et inversement qu’à votre tour vous me rendiez service. C’est une relation très importante.16
13L’extorsion possède deux fonctions. Elle procure aux clans un revenu régulier. Les entrepreneurs et commerçants versent chaque mois ou chaque semaine soit une somme fixe soit une somme proportionnelle à leur chiffre d’affaires. L’extorsion peut prendre d’autres formes. Lorsqu’une entreprise de bâtiment et travaux publics remporte un marché, elle est sollicitée de deux façons par le clan sur le territoire duquel les travaux doivent être réalisés. À l’acquittement d’une somme proportionnelle au montant du marché remporté, s’ajoute l’obligation de se fournir en matériaux auprès des entreprises appartenant aux clans ou qui leur sont liées. Elle peut également se voir forcée de sous-traiter une partie des travaux à ces mêmes entreprises. Ou encore des entreprises sont obligées d’embaucher une ou plusieurs personnes « recommandées » par tel ou tel clan. Il est nécessaire de réévaluer l’importance de la fonction matérielle de l’extorsion une décennie après que Gaspare Mutolo a parlé car la part de cette activité dans les revenus de la criminalité mafieuse a eu tendance à croître. La pression exercée sur l’organisation et la difficulté de pratiquer certains trafics particulièrement lucratifs comme celui des stupéfiants ont poussé Cosa Nostra à se rabattre sur cette activité traditionnelle qui possède le double avantage de pouvoir se pratiquer en toute discrétion et de ne susciter qu’une bien timide contestation. En effet, pour que ce prélèvement fiscal soit acquitté sans contestation, son montant est fixé de telle sorte qu’il n’apparaisse pas insurmontable. Des délais sont même accordés à ceux qui rencontrent des difficultés passagères, ainsi qu’un échelonnement des mensualités pour faciliter le paiement. À cette fonction matérielle s’ajoute une fonction symbolique. Se soumettre à l’extorsion est un acte d’allégeance : c’est reconnaître l’autorité du clan qui contrôle le territoire où l’on exerce son activité. Une telle pratique remet en cause le principe de l’unicité de l’autorité qui fait de l’État la seule source de droit et qui fonde l’organisation de la société dans un État démocratique. Or, la plupart des acteurs économiques se soumettent à l’extorsion sans opposer de résistance. S’y soustraire, ce serait faire l’économie d’une somme bien modeste en définitive et prendre le risque de subir des mesures de rétorsion. Le pizzo est ainsi devenu au fil du temps une charge fixe pour les acteurs économiques.
14La pratique de l’extorsion à l’échelle de Palerme a connu deux évolutions majeures dans la seconde moitié de la décennie 1990. On a d’abord assisté à un mouvement de généralisation. Tous les secteurs d’activité sont désormais concernés (bâtiment et travaux publics, sociétés de service, commerces, artisanat…)17. Tous les quartiers sont touchés, sans exception, y compris les plus modestes18. Les grandes entreprises ne sont plus les seules victimes. Les dernières estimations provenant des associations d’entrepreneurs et de commerçants sont particulièrement inquiétantes : 80 % des acteurs économiques situés à Palerme et dans le palermitain sont victimes de l’extorsion. Les clans se sont efforcés d’élargir la base des contributeurs en prélevant des sommes plus modestes et en faisant un usage plus modéré de la violence pour imposer cette taxation. Cette stratégie les met à l’abri des poursuites judiciaires. La limitation des actes de violence spectaculaires contre les réfractaires comme les incendies criminels, les dynamitages ou les mitraillages permet de ne pas attirer l’attention des autorités. L’invitation à payer passe désormais par des voies plus modérées pour ne pas effrayer19 : dégradation des serrures des commerces pour en empêcher l’ouverture, coups de téléphone intempestifs, acte de vandalisme de petite ampleur… Les mafieux vont jusqu’à éviter de se mettre au premier plan, préférant envoyer des hommes de confiance qui n’appartiennent pas à l’organisation criminelle. L’extorsion est par ailleurs devenue plus supportable avec la diminution du taux d’imposition. Les commerçants et les entrepreneurs ne prennent plus dans ces conditions le risque de subir les mesures de rétorsion. Cette première évolution s’est accompagnée d’une tolérance sociale grandissante. Les enquêtes des magistrats, des forces de l’ordre et des parlementaires parviennent à la même conclusion : l’extorsion est désormais une pratique socialement admise. Trois faits permettent d’en prendre la mesure. De plus en plus de victimes refusent de déposer plainte lorsque le délit d’extorsion est judiciairement constitué et les coupables identifiés, prenant ainsi le risque de se voir poursuivis et condamnés pour avoir favorisé la pratique de l’extorsion20. Dans le quartier de Porta Nuova, 59 cas d’extorsion ont été portés devant la justice entre 1997 et 1999 : 34 commerçants ont, malgré l’évidence des faits, préféré se taire et subir des poursuites judiciaires21. Les enquêteurs ont également eu l’occasion d’observer des entrepreneurs se plaindre de ne plus savoir à quels intermédiaires s’adresser pour acquitter le pizzo au lendemain de l’arrestation de leurs rançonneurs habituels et rechercher spontanément un nouvel interlocuteur pour régulariser leur situation22. L’arrestation d’un rançonneur n’est pas forcément perçue comme une bonne nouvelle par les victimes car celui-ci est inévitablement appelé à être remplacé. D’où des inquiétudes : sera-t-il pire que le précédent ? Combien voudra-t-il ? Autre fait qui témoigne de la banalisation de l’extorsion : certains entrepreneurs sont allés jusqu’à faire apparaître ces « frais » dans leurs documents comptables23. Ces trois exemples nous montrent à quel point la mafia est reconnue comme une autorité légitime et, symétriquement, comment la légitimité de l’État est dévaluée en partie à cause de son incapacité à inspirer confiance (notamment sur le plan judiciaire). Ce phénomène est confirmé par Maurizio De Lucca, substitut du procureur auprès de la Direzione distretuale antimafia, qui note :
Palerme demeure une réalité anormale ; les associations de lutte contre le racket ne sont jamais parvenues à s’enraciner. Force est de constater qu’une part importante du monde de l’entreprise trouve plus commode de vivre avec le système de l’extorsion.24
Encart 4. La diffusion de la mafia sur le territoire sicilien
Les voyageurs notent dès le xixe siècle l’inégale emprise de la mafia sur le territoire sicilien. Leopoldo Franchetti, dans l’enquête qu’il consacre aux « conditions poli tiques et administratives de la Sicile », salue la tranquillité des provinces orientales : « … lorsque vous voyagez en direction du levant, sur votre chemin s’égrainent de bienheureux petits bourgs ; vous pouvez parcourir leurs campagnes sans la crainte d’être tué ni rançonné, vos droits y sont respectés, et vous pouvez en toute liberté choisir l’acquéreur de votre domaine sans recevoir un coup de fusil pour châtiment. » Quelques lignes plus loin, il s’étonne « de pouvoir observer, dans un espace aussi restreint que celui de la Sicile, des contrastes si saisissants [en matière de criminalité] entre les provinces occidentales et les provinces orientales. Plusieurs centaines de miles de terre et de mer semblent les séparer ». Les impressions de Pasquale Villari font écho aux observations de Leopoldo Franchetti : « À maintes reprises j’ai été stupéfait des réponses qui m’ont été faites ; toutes résonnaient comme autant de jugements populaires. Lorsque je m’informais de contrées situées dans la province de Catane ou de Syracuse, j’avais pour réponse dans la majorité des cas : “Ce sont de bons pays, on y vit comme en Toscane, on peut se promener avec de l’or dans la main.” À l’inverse, si ma curiosité se portait sur des contrées situées en Sicile occidentale, en particulier dans les provinces de Girgenti et Caltanissetta, il m’était répondu : ‘‘Eh ! Pays de soufre, il faut être prudent.” » Les foyers à forte densité mafieuse dessinent en effet un large croissant dans la partie occidentale de l’île : ses extrémités prennent appui sur les villes de Palerme et d’Agrigente, son centre de gravité se déployant à l’ouest dans la partie intérieure de la province de Trapani. La présence de la mafia revêt à l’inverse un caractère sporadique dans les provinces de Messine, Syracuse et Raguse ainsi que dans celle de Catane. La carte publiée par Renée Rochefort où sont recensés les homicides à lupara (fusil à canon scié utilisé pour la chasse au loup et qui est devenu l’arme traditionnelle de la mafia) à la fin des années 1950 dévoile une géographie mafieuse inchangée. Les homicides se concentrent dans les quatre provinces suivantes : Palerme, Caltanissetta, Trapani et Enna. Cette inégale emprise de la mafia est mise en scène par Leonardo Sciascia dans Le jour de la chouette. C’est en ces termes que le narrateur commente la réaction du receveur du bus face à l’assassinat qui vient de se produire : « Il était de la province de Syracuse et n’avait pas beaucoup d’expérience en fait d’assassinats ; c’est une province stupide que la province de Syracuse ; aussi n’en jurait-il qu’avec plus de fureur. » Lorsque l’homme en costume sombre s’effondre sous ses yeux d’un coup de lupara, il jure, il blêmit ; alternativement, son regard se pose sur le corps affaissé et les passagers aux « figures d’aveugles » : c’est en jouant sur le contraste des réactions que l’écrivain souligne le fossé qui sépare la Sicile occidentale de la Sicile orientale où les usages mafieux n’ont pas encore cours en cette fin des années 1950. Celle-ci est couramment affublée de l’adjectif babba qui, tout en désignant des territoires peu touchés par la mafia, raille le manque de débrouillardise de leurs habitants. Ce n’est qu’à partir des années 1970 qu’une évolution s’amorce. Elle aboutit en une décennie à une diffusion du phénomène sur l’ensemble de l’île, Catane devenant le second pôle criminel sicilien. Si la Sicile est aujourd’hui considérée dans son intégralité comme un foyer de naissance de la criminalité mafieuse, tel n’était pas le cas à la fin du xixe siècle et dans la première moitié du siècle suivant où la mafia était concentrée dans les régions de Trapani, Palerme et Agrigente.
Source : L. Franchetti, Condizioni politiche e amministrative della Sicilia, 1877 ; R. Rochefort, Le travail en Sicile. Étude de géographie sociale, 1961 ; P. Villari, Lettere meridionali ed altri scritti sulla questione sociale in Italia, 1878.
15Les pouvoirs publics sont confrontés à une organisation criminelle qui utilise le territoire pour construire et asseoir son pouvoir. Le contrôle du territoire lui permet d’exercer une fonction de médiation sociale qui rend possible la reconnaissance de sa légitimité auprès de la population locale. Le parquet de Palerme a récemment découvert que les propriétaires d’un immeuble situé dans une partie cossue du centre-ville ont fait appel à un chef mafieux local, Tommaso Cannella, pour régler un conflit de copropriété concernant les travaux de réfection de la façade25. D’autres anecdotes font état d’entrepreneurs et de simples particuliers qui préfèrent s’adresser à la mafia plutôt qu’à la police pour se faire restituer le véhicule ou le matériel de chantier qui leur a été volé, moyennant un dédommagement financier. Ce ne sont là que deux exemples parmi d’autres où l’on voit la population locale rechercher l’aide de la mafia pour arranger une situation, confiante dans son pouvoir et sa capacité d’intercession. Il ressort également de ces observations que la mafia exerce un contrôle relatif plutôt qu’absolu du territoire palermitain. Elle exerce une domination sectorisée : celle-ci est en effet axée sur les activités économiques, criminelles ou non, qui se développent sur son territoire. Elle taxe les commerçants et les entrepreneurs par l’intermédiaire du pizzo. Elle s’impose comme un partenaire par le biais de la sous-traitance et le contrôle des marchés publics, en ayant recours à l’intimidation si cela est nécessaire. Dans le domaine criminel, elle tolère l’exercice de certaines activités (trafics de stupéfiants, contrebande de cigarettes) en échange d’un pourcentage sur les bénéfices réalisés, sauf si elle en occupe déjà le créneau. Dans ce cas, c’est le principe du monopole qui s’applique. Simultanément, ce contrôle du territoire ne s’accompagne d’aucune fonction de régulation sociale. La mafia n’intervient pas dans la définition des valeurs et des normes, exception faite du principe de l’omertà, pas plus qu’elle ne règle la conduite et les déplacements de la population locale. Cette sectorisation est une réponse pragmatique à ses besoins fondamentaux (produire des richesses et se protéger de la police), preuve que le contrôle du territoire est avant tout un instrument.
Encart 5. Don et contre-don : la mafia sur la scène politique sicilienne
Pour évaluer la capacité de la mafia à peser sur l’issue des scrutins siciliens, les commentateurs ont habituellement recours à la méthode suivante : sachant qu’un mafieux est en mesure de contrôler entre 70 et 80 suffrages, il suffit de multiplier ce chiffre par le nombre de membres que compte un clan pour connaître son « poids électoral ». Salvatore Lupo conteste la pertinence de cette méthode empirique. Une première critique découle de l’imprécision des deux variables utilisées. Le chiffre de référence correspond au nombre moyen de personnes avec lesquelles un mafieux est en relation. Aucune source ne permet d’en valider la justesse. Si l’on peut aisément imaginer qu’un chef de clan est au cœur d’un dense réseau de relations sociales formé de plusieurs dizaines de personnes, la taille du carnet d’adresses d’un simple homme de main est bien plus limitée. En outre, la composition numérique des clans est mal connue. Cette méthode conduit donc à mettre en rapport deux données incertaines. Une seconde critique découle de la structure du champ de relations sociales. S’il est envisageable que sur les 5 000 ou 6 000 affiliés que compte Cosa Nostra, une dizaine de mafieux contrôle effectivement 70 à 80 suffrages différents, il apparaît plus difficile que les autres aient la possibilité de contrôler individuellement de 70 à 80 électeurs différents dans les milieux sous influence mafieuse. Les affiliés évoluant dans le même univers, il est fort probable que leurs carnets d’adresses se recoupent partiellement : ils sont donc susceptibles de démarcher les mêmes personnes, ce qui a pour effet de réduire inévitablement la capacité d’influence électorale de la mafia. À l’évidence, il est fort malaisé d’établir avec précision le nombre de suffrages que la mafia sicilienne est capable de contrôler et de monnayer. Par ailleurs, pour s’assurer la fidélité d’autant d’électeurs, Cosa Nostra, fait remarquer Salvatore Lupo, devrait se transformer en une machine électorale à l’image d’un parti politique. Lui accorder un pouvoir si important dans le jeu politique, c’est en outre admettre qu’elle possède une unité de type politique. Or, celle-ci est inexistante comme en témoigne l’autonomie des cosche. Il nous faut ajouter une quatrième critique concernant la motivation des individus à voter selon les prescriptions des affiliés. L’existence d’une discipline familiale est tout à fait envisageable. Les membres de la famille (épouses, frères, sœurs, parents, cousins) respectent la consigne de vote car ils ont la quasi-certitude de pouvoir bénéficier des bienfaits du candidat s’il est élu : ils sont proches du mafieux qui a appelé à voter pour lui. Les choses se compliquent pour les électeurs situés au-delà de ce premier cercle d’influence. Le mafieux doit offrir quelque chose en échange de leur suffrage. Et ce quelque chose ne peut se réduire à une vague promesse, auquel cas à l’élection suivante les consignes de vote ne seront pas suivies. Ils doivent avoir la certitude qu’ils tireront personnellement et directement profit de l’élection du candidat soutenu par la mafia. Là encore, le pouvoir d’un chef de clan pour rendre des « services » (obtenir un emploi, une pension de retraite ou d’invalidité…) ne vaut pas le pouvoir d’un simple homme de main qui a bien peu de chose à promettre (et moins encore à offrir). Il est vrai que Costa Nostra apporte un soutien électoral, qui a pour contrepartie l’impunité judiciaire. Les mafieux siciliens ont bénéficié d’appuis politiques pour faire infléchir le cours de certains procès. Ces observations conduisent cependant à réévaluer la capacité réelle de la mafia à contrôler des suffrages et, par conséquent, le fondement de la relation mafia-politique. Selon nous, celle-ci repose aujourd’hui davantage sur des intérêts économiques : l’adjudication des appels d’offres publics et, dans une moindre mesure compte tenu des garde-fous existants, l’adoption de plans régulateurs complaisants pour des opérations spéculatives constituent non seulement les principaux lieux de convergence des intérêts mafieux et politiques, mais aussi les principaux points de rencontre physique entre ces deux univers. D’autre part, un crédit excessif a pu être accordé aux déclarations – non vérifiables et dénuées de preuve – des mafieux concernant le soutien électoral qu’ils auraient négocié en échange d’une protection politique. Leonardo Messina n’a-t-il pas affirmé devant la commission d’enquête parlementaire qu’il contrôlait à lui seul 500 voix dans le quartier de San Cataldo et sa cosca 3 000. Il ne s’agit pas de nier l’existence de la collusion d’une partie du personnel politique sicilien, tous bords confondus, avec la mafia mais de chercher à mieux cerner les contours de cet accommodement, les intérêts qu’il porte et les enjeux qu’il fait naître.
Source : S. Lupo, Histoire de la mafia. Des origines à nos jours, 1999 ; L. Violante éd., Il patto scellerato. Potere e politica di un regime mafioso, 1993.
Une évolution à contre-courant de la mondialisation
16L’absence des clans siciliens dans l’organisation des grands trafics mondiaux (stupéfiants, armes, traite d’êtres humains) est remarquée depuis plusieurs années par les enquêteurs d’Europol26. Les premiers rôles sont désormais tenus par les groupes albanais, russes, turcs, nigérians ou colombiens pour les organisations criminelles étrangères, par la Sacra Corona Unita des Pouilles ou la ‘Ndrangheta calabraise pour les organisations mafieuses péninsulaires. Si des membres de Cosa Nostra sont mis en cause pour leur implication dans ces trafics, le plus souvent celle-ci y est secondaire (encart 5). On observe une évolution à contre-courant de la mondialisation : alors que les organisations criminelles profitent de cette nouvelle conjoncture pour élargir leur horizon d’action et leur palette d’activités, la mafia sicilienne se replie sur son territoire et sur l’économie légale. Les causes de ce redéploiement spatial et économique sont à rechercher dans les contrecoups de la violente guerre mafieuse qui survient à la charnière des années 1970 et 1980.
Un repli stratégique sur le territoire et l’économie insulaires
17La guerre mafieuse qui éclate à la fin des années 1970 ne répond pas au schéma habituel. Elle n’oppose pas deux clans avec leurs alliés respectifs pour le contrôle d’un territoire ou d’une activité, mais traverse l’ensemble des familles mafieuses siciliennes. Cette guerre est déclenchée par Salvatore Riina et Bernardo Provenzano, chefs de file des Corléonais, pour s’emparer de la direction de Cosa Nostra et mettre la main sur l’organisation du trafic d’héroïne dont la Sicile est la plaque-tournante. Pour ce faire, ils ont placé dans chaque famille des fidèles qui, le jour venu, trahissent leur chef, s’emparent du pouvoir et rejoignent les rangs de la nouvelle coalition. En l’espace de quelques années, cette guerre aboutit à une recomposition complète des équilibres au sein de l’organisation criminelle ainsi qu’à une modification radicale de son mode de fonctionnement. Sur le plan intérieur, Salvatore Riina et Bernardo Provenzano procèdent à l’élimination systématique de leurs adversaires et de leur entourage (parents, proches, alliés). Cette féroce épuration doit les mettre à l’abri d’éventuelles actions de représailles. Parallèlement, ils impulsent un processus de centralisation qui efface progressivement la structure fédérale de Cosa Nostra dans laquelle chaque famille est indépendante et souveraine. Sur le plan extérieur, ils orientent l’organisation dans un affrontement ouvert contre, d’une part, l’État et ses représentants, et, d’autre part, les membres de la société civile. Les assassinats sont autant des actes d’intimidation que de vengeance. Ils visent à briser la détermination de ceux qui combattent Costa Nostra (magistrats, forces de l’ordre, journalistes), tout en punissant les interlocuteurs politiques jugés coupables de ne pas tenir leur engagement au moment où les sentences du procès de Palerme en 1986 sont confirmées en appel27. La mafia reproche en effet à ces derniers de ne pas assurer l’impunité judiciaire promise en échange des suffrages électoraux qu’elle aurait drainés en leur faveur. Cette stratégie a pour objectif d’engager un rapport de force pour contraindre l’État à faire marche arrière : il s’agit de « faire la guerre pour ensuite faire la paix » selon les mots de Salvatore Riina rapportés par les enquêteurs de la Direzzione investigativa antimafia (cellule d’investigation spécialisée dans la lutte contre la criminalité et la mafia)28. L’escalade de la violence culmine en 1992 avec l’exécution des juges Falcone et Borsellino et la série d’attentats perpétrés à Rome, Milan et Florence l’année suivante. Fort du soutien de la communauté nationale et d’un consensus politique inégalé, l’État fait de la lutte contre la mafia une priorité nationale. Le Parlement adopte un arsenal législatif pour lutter plus efficacement contre elle, notamment l’article 41 bis du code pénal qui prévoit un régime de détention particulier pour les personnes reconnues coupables du délit d’association mafieuse. L’intervention de l’État se double d’une forte mobilisation sociale. Les villes siciliennes voient défiler les cortèges de manifestants qui dénoncent les violences de la mafia et son emprise sur la société. La réaction ne se réduit pas à un sursaut protestataire et émotionnel. Des associations de lutte contre la mafia et l’extorsion se constituent. La société sicilienne dans son ensemble prend ses distances avec la mafia. L’arrestation de mafieux de premier plan comme de simples hommes de main aboutit à la désorganisation de plusieurs clans. Le boss Salvatore Riina est lui-même capturé après vingt-cinq ans de vie clandestine. Bernardo Provenzano prend alors la tête de l’organisation mafieuse. Pour mettre fin aux arrestations et enrayer le démantèlement de Cosa Nostra, il entreprend un revirement stratégique. Il met fin aux actions d’éclat pour atténuer la pression policière sur l’organisation. Il soumet l’exercice de la violence à de strictes restrictions afin de restaurer un consensus social qui, seul, peut garantir à la mafia son impunité et sa force : le nombre d’assassinats par la mafia baisse considérablement. Il encourage les clans à se désengager des grands trafics internationaux et à recentrer leurs activités sur le territoire sicilien.
18Le désengagement des clans siciliens de la scène criminelle mondiale s’accompagne d’un mouvement de repli sur l’économie locale29. Une part croissante de leurs revenus provient en effet de l’extorsion, de l’usure et du pilotage des appels d’offres publics. Les autorités ont aujourd’hui la conviction que ce n’est plus une manœuvre temporaire utilisée par les clans pour se renflouer et se mettre à l’abri de l’action de la justice, mais qu’elle s’inscrit dans une stratégie de développement à plus long terme. La Direzzione investigativa antimafia l’affirme :
… l’intérêt pour des activités bien plus qualifiées que les travaux de terrassement ou la construction, conjugué à la volonté des dirigeants mafieux de placer aux postes de commandement des hommes d’honneur qualifiés et diplômés, montre que l’organisation cherche à pénétrer tous les secteurs socio-économiques, y compris les plus complexes, susceptibles de lui assurer de substantiels revenus.30
19Ce redéploiement spatial inquiète les autorités. La présence croissante de la mafia dans l’économie insulaire possède des effets déstructurants. Sa capacité à lever des capitaux sans frais et presque sans limites pour financer ses propres entreprises grâce aux revenus que lui procurent ses activités illégales (extorsion, usure, trafics divers) crée une situation de concurrence déloyale. Celle-ci s’observe également lors de l’attribution des appels d’offres publics : les clans sont en mesure de paralyser le mécanisme de l’offre et de la demande (voir infra), empêchant ainsi certaines entreprises de se porter candidates (des pressions sont exercées pour les dissuader de participer) ou de remporter le marché si elles ont été qualifiées (le trucage de la procédure permet de connaître la proposition des concurrents et de faire une proposition inférieure). La mafia est également un puissant facteur de fragilisation du tissu productif local. Certains commerces aux mains des clans n’ont pas vocation à dégager des bénéfices mais à recycler de l’argent sale : les prix des marchandises ou des services sont fixés à un tarif inférieur à celui du marché pour traiter le maximum de liquidités, entraînant de la sorte une spirale baissière que les entreprises légales ne peuvent contrer et qui finit par causer leur perte. En imposant une charge fiscale supplémentaire (par l’extorsion) et en favorisant le surendettement des chefs d’entreprise qui ont recours à l’usure, la mafia freine le développement normal de l’économie. Cette pression se répercute directement sur le niveau des investissements consentis en matière de recherche et de développement, sur la création d’emplois ainsi que sur la croissance des entreprises qui, par manque de moyens financiers, ne sont pas en mesure d’absorber leurs concurrents. La mafia alimente une logique prédatrice de développement sur le plan social (non-respect de la législation du travail, fraude fiscale, économie informelle) mais aussi environnemental. Enfin, elle est un élément répulsif pour les investisseurs, italiens comme étrangers, à l’heure où le développement des territoires repose sur leur attractivité. Le redéploiement des activités mafieuses à l’échelle locale va de pair avec une pénétration croissante du tissu social et une tolérance elle-même croissante. Dans leur lutte contre la criminalité mafieuse, la justice et les forces de l’ordre se heurtent à l’invisibilité grandissante de la mafia : en élargissant sa sphère d’influence, en particulier au sein de l’élite politique et économique, et en mêlant ses intérêts avec ceux du monde entrepreneurial, les frontières qui séparaient la mafia du reste de la société sont devenues davantage opaques et imprécises.
Encart 6. Le retrait de Cosa Nostra de la scène criminelle mondiale
Jusqu’aux années 1960, Cosa Nostra organise la contrebande de cigarettes en Méditerranée occidentale. Ses clans coordonnent le trafic (financement et affrètement des cargaisons), assurent la revente des cigarettes à d’autres trafiquants et la vente au détail en Sicile. Le convoyage est assuré par des malfaiteurs campaniens et moyen-orientaux. Deux événements provoquent le désengagement de Cosa Nostra et la montée en puissance de nouveaux acteurs. L’essor du trafic d’héroïne en direction des États-Unis incite les clans siciliens à réorienter leurs investissements. Ce mouvement est également favorisé par la désorganisation de la contrebande de cigarettes lorsque la justice italienne confisque la flottille des convoyeurs campaniens et provoque le déplacement du trafic des eaux tyrrhéniennes vers celles de l’Adriatique. Aujourd’hui, la contrebande à l’échelle de l’Italie et de l’Europe est tenue par les mafias péninsulaires en association avec des groupes criminels d’Europe centre-orientale et balkanique. Au premier rang figure la Sacra Corona Unita. Ses clans ont su réorganiser le trafic de cigarettes délaissé par Cosa Nostra et la ‘Ndrangheta qui le jugent peu rémunérateur par rapport au trafic d’héroïne. Ils coopèrent aujourd’hui avec les criminalités albanaise et monténégrine qui ont fait de leur pays une des plaques tournantes de ce trafic pour le continent européen. Les cargaisons de cigarettes (mais aussi de drogue et d’armes) sont déchargées de nuit sur les côtes italiennes par des contrebandiers munis de hors-bords ultrarapides. Il faut attendre les années 1990 pour que la Camorra campanienne renoue avec un rôle actif dans ce trafic. Dans un premier temps, avec l’aide de fournisseurs monténégrins, ses clans organisent un réseau destiné à alimenter le marché italien. Rapidement ils se heurtent à l’étroite surveillance de l’Adriatique par l’armée italienne. Les coûts et les risques devenant trop élevés, ils délaissent le marché italien pour les marchés britannique et espagnol qu’ils approvisionnent directement à partir des zones de stockage monténégrines. La stratégie offensive de ces deux mafias péninsulaires contraste avec la stratégie de rente des clans siciliens : leur implication dans la contrebande de cigarettes se manifeste essentiellement sous la forme d’une taxe sur les caisses déchargées sur le sol sicilien. Ils ne sont à la tête d’aucun grand réseau d’acheminement et de distribution.
À partir des années 1960, Cosa Nostra s’est engagée dans le trafic de stupéfiants à grande échelle. Trois facteurs sont à l’origine de son retrait deux décennies plus tard. Premièrement, le démantèlement de la Pizza Connection par les justices italienne et américaine bouleverse irrémédiablement le commerce de l’héroïne en direction des États-Unis. Deuxièmement, à la suite de la guerre mafieuse qui éclate en Sicile au seuil des années 1980, la coalition victorieuse ne parvient pas à prendre le contrôle de ce trafic qui est organisé par les clans adverses. À cela s’ajoute l’évolution de la filière héroïne. Le raffinage des produits finis (héroïne) et le traitement des produits semi-finis (morphine et héroïne-base) sont de plus en plus réalisés dans les pays producteurs où les coûts de production et les risques judiciaires sont inférieurs à ceux enregistrés dans les pays consommateurs. Ce désengagement a été d’autant plus brutal et massif que Cosa Nostra n’a pas développé une stratégie de conquête du marché de l’héroïne. C’est un objectif commercial qu’elle a avant tout poursuivi : satisfaire le marché de consommation nord-américain. Deux observations le confirment. Elle s’est concentrée sur son rôle d’intermédiaire consistant à réexporter vers les États-Unis l’héroïne en provenance d’Asie. Compte tenu de la capacité de production limitée des laboratoires installés en Sicile, l’héroïne produite localement était essentiellement destinée au marché italien en plein essor. Elle n’a pas cherché à remonter la filière, notamment en amont : faute de contacts directs avec les producteurs de pavot, elle a toujours utilisé des intermédiaires italiens (‘Ndrangheta, Camorra) et étrangers (groupes yougoslaves, turcs et moyen-orientaux) pour s’approvisionner. Cette expérience achevée, Cosa Nostra n’a pas cherché à reprendre pied dans le commerce international de stupéfiants et a réorienté ses activités vers l’économie locale. Si certains de ses membres sont aujourd’hui mis en cause pour trafic de stupéfiants en Europe, le nombre limité d’affaires d’envergure où des mafieux siciliens sont impliqués laisse supposer qu’il s’agit d’initiatives individuelles plutôt que d’une reprise en main par Cosa Nostra du trafic international de stupéfiants. Celui-ci est aujourd’hui tenu par les cartels colombiens pour la cocaïne, et la criminalité turque, balkanique et nigériane pour l’héroïne. Des organisations mafieuses italiennes, la ‘Ndrangheta est la seule à jouer un rôle de premier plan dans ce secteur en association avec des groupes albanais.
Source : A. Becchi, Criminalità organizzata. Paradigmi e scenari delle organizzazioni mafiose in Italia, 2000 ; F. Maccaglia, « L’espace économique mafieux au tournant du siècle. Entre mutations structurelleset dynamiques conjoncturelles », 2005 ; L. Paoli, Fratelli di mafia. Cosa Nostra e ‘Ndrangheta, 2000.
La mafia, un acteur incontournable de la politique d’aménagement du territoire
20Les pouvoirs publics ne peuvent conduire une politique d’aménagement du territoire libre et à prix coûtant à cause de la mafia. Pour la construction d’infrastructures (barrages, routes, voies ferrées), l’édification de bâtiments publics (écoles, hôpitaux) ou la réalisation de programmes d’urbanisation, les pouvoirs publics ont recours à des appels d’offres pour bénéficier des coûts de réalisation les plus avantageux. Les travaux sont concédés à l’entreprise la mieux-disante. À Palerme, et d’une manière plus générale en Sicile, ce système ne fonctionne pas. À l’échelle nationale, les travaux publics sont réalisés avec une économie moyenne de 15 % par rapport au montant des travaux initialement évalué grâce au jeu de l’appel d’offres (tableau 5). En Sicile, cette économie est inférieure à 5 % (schéma 1). À Palerme, 96 % des adjudications sont mêmes remportées avec une réduction inférieure à 1 % : sur 1 378 appels d’offres inférieurs à 5 millions d’euros lancés en 2001, 1 323 sont dans cette situation. L’absence de réduction significative révèle la paralysie des mécanismes de concurrence et corrélativement le contrôle de manière directe ou indirecte des adjudications par la mafia. L’entente illicite des entreprises sur le montant proposé pour l’exécution des travaux ne permet pas le rabais normalement escompté. Ce constat est inquiétant car une décennie de lutte déterminée contre la criminalité mafieuse sicilienne n’a pas entamé son pouvoir économique et social. Pour piloter les appels d’offres publics, Cosa Nostra jouit en effet de complicités au sein des pouvoirs publics et du personnel administratif, mais aussi parmi les entrepreneurs. Les complicités politiques et administratives fournissent aux mafieux des informations utiles pour candidater et constituer les dossiers d’appels d’offres. Quant aux entrepreneurs, certains n’hésitent plus aujourd’hui à s’entendre avec les clans pour écarter leurs concurrents et avoir la certitude de remporter les marchés.

Source : Autorità per la vigilanza sui lavori pubblici, Relazione annuale, 2001.
Tableau 5. Le parasitage par la mafia du système sicilien d’appels d’offres publics
21Au-delà du constat des dysfonctionnements concernant la gestion de l’économie publique, c’est la politique d’aménagement du territoire palermitain et plus généralement insulaire qui est en jeu. Au cours des prochaines années, une série de projets financés conjointement par l’Union européenne et l’État italien devraient voir le jour (construction d’infrastructures routières et de structures hospitalières, réalisation d’équipements pour lutter contre la sécheresse, programmes de rénovation urbaine…). Le bien-fondé de ces projets est aujourd’hui discuté à cause des risques d’infiltration par la mafia. Faut-il, comme certains le suggèrent, faire du gel de ces projets un instrument de lutte contre la criminalité mafieuse ? Si la suspension de ces projets tarit l’une des sources de revenus de l’organisation, celle-ci dispose d’une large panoplie d’activités de substitution et d’une grande capacité d’adaptation au contexte politique et économique. Ou bien faut-il accepter de vivre avec elle, comme le propose le ministre de l’Équipement Pietro Lunardi31, pour desserrer le corset qui pèse sur la politique d’aménagement ? La mafia deviendrait alors une variable parmi d’autres de cette politique, ni déterminante ni discriminante ; une variable qui se gère. Lui reconnaître ce caractère inéluctable renforce de manière incontestable sa puissance32.

Source : La Repubblica, 23 juillet 2002.
Schéma 1. L’anomalie sicilienne en matière d’appels d’offres publics
22Les autorités municipales craignent aujourd’hui que la mafia prenne part aux travaux de restauration et d’équipement engagés dans le cadre de la rénovation du centre historique. La participation aux appels d’offres publics par le biais de sociétés écrans et grâce au jeu de la sous-traitance constitue un premier risque. L’acquisition d’immeubles à des fins spéculatives en est un second. Les craintes sont d’autant plus grandes que l’on découvre aujourd’hui que la mafia a contrôlé, en 1993, l’adjudication des travaux destinés à la réalisation du réseau urbain de gaz33. Les entreprises se sont entendues avec les clans pour remporter les appels d’offres en échange de contreparties financières. Chaque entreprise aurait dans un premier temps versé l’équivalent de 2 % du montant total de l’appel d’offres qui dépassait à l’époque les 50 millions d’euros contre la garantie de ne pas voir perturber le bon déroulement des travaux. Puis le pourcentage a été porté à 3 pour que les entreprises aient la possibilité de choisir librement leurs entreprises sous-traitantes.
***
23La criminalité mafieuse soustrait à l’autorité de l’État de larges portions du territoire palermitain. Si celles-ci fonctionnent selon une logique propre, elles ne sont pas pour autant indépendantes. Nous ne sommes pas dans une situation où une souveraineté se substitue à une autre souveraineté, mais où deux souverainetés coexistent et se font concurrence. La loi commune continue de s’appliquer sur ces portions de territoire contrôlées par la mafia. Les populations qui y vivent sont libres d’aller et venir comme bon leur semble. Pas plus que l’État, la mafia ne s’immisce dans leur intimité, les laissant libres de leurs modes de vie et de leurs convictions politiques ou religieuses. La mafia ne produit pas de services publics. La mafia n’a l’initiative d’aucune politique publique. La mafia n’administre pas ces territoires ni les populations qui les habitent. La mafia n’est pas un contre-État et n’a pas vocation à l’être. Elle ne cherche pas à le faire tomber pour le supplanter car elle a besoin de lui pour prospérer. Rappelons que l’interception des flux d’investissements publics provenant de l’Union européenne, de l’État central ou des collectivités territoriales siciliennes, constitue depuis deux décennies sa principale source de revenus. L’État demeure donc pour les populations de ces territoires l’interlocuteur de référence. Mais à côté de l’État, il y a la mafia. Celle-ci peut devenir un interlocuteur si elle est sollicitée, trouvant dans cette fonction de médiation sociale un moyen efficace pour se faire accepter et asseoir son pouvoir. La mafia manifeste sa présence dans les territoires où elle est implantée en imposant une règle du jeu parallèle à celle de l’État. Commerçants et artisans paient en fin de semaine ou de mois le pizzo. L’ouverture d’un chantier comporte quelques obligations. L’entrepreneur doit acquitter une indemnité au clan sur le territoire duquel les travaux se déroulent. Il peut également être invité à céder tout ou partie de ces travaux sous la forme de contrats de sous-traitance à des entreprises dirigées par des mafieux ou qui leur sont proches, ou encore se voir suggérer de se fournir en matériaux et services divers (gardiennage, restauration…) auprès de ces mêmes entreprises. L’emprise de la mafia sur de larges portions du territoire palermitain n’a pas que des répercussions économiques (surcoûts des travaux publics faute de concurrence, capacité d’investissement réduite des acteurs économiques soumis à l’extorsion, manque à gagner pour la fiscalité, climat d’insécurité peu propice aux investissements notamment d’origine étrangère, fragilisation du tissu productif local). La criminalité mafieuse fragilise l’ensemble de l’édifice social. Elle est, désormais depuis un siècle et demi, un obstacle à l’enracinement de l’État. Elle remet en cause sa légitimité en lui opposant sa propre légitimité. Elle interfère dans la gestion de la chose publique et limite les avantages que la société locale peut tirer d’une politique visant à réduire les inégalités territoriales. Elle alimente une culture de l’illégalité qui sape en profondeur les fondements de la société démocratique. Enfin, la mafia conforte l’image d’une « ville à risque » aux yeux des investisseurs, ruinant de la sorte les efforts entrepris pour construire en Italie et à l’étranger l’image d’une ville attractive.
24Si l’histoire contemporaine de Palerme au lendemain du second conflit mondial s’est intimement conjuguée avec celle de la mafia via l’urbanisme et la politique, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Cette relation qui a pu apparaître symbiotique, notamment à la charnière des années 1960 et 1970 où le mouvement de spéculation a atteint son apogée tandis que Salvo Lima et Vito Ciancimino étaient aux commandes de la ville, a progressivement cédé la place à une relation plus discontinue et plus ponctuelle. Les occasions de rencontre entre le pouvoir et la criminalité mafieuse se sont peu à peu taries avec le ralentissement du rythme de croissance urbaine. L’intensification des actions de lutte contre la mafia a considérablement fragilisé cette relation en exposant le personnel politique à des poursuites judiciaires, même si de récentes enquêtes ont pu mettre au jour les liens que des personnalités de premier plan avaient continuer de nouer avec certains membres de la mafia34.
Notes de bas de page
1 M.-A. Matard, Histoire de la mafia, 1994, p. 168.
2 Voir L. Sciascia, Il giorno della civetta, Turin, Einaudi, 1961.
3 P. Pezzino, Les mafias, 1999, p. 58.
4 M.-A. Matard, Histoire de la mafia, 1994, p. 240.
5 L’impact de la criminalité organisée sur l’économie méridionale a été évalué à 7,5 milliards d’euros par an : cette somme correspond à la croissance non réalisée de la valeur ajoutée de l’activité des entreprises méridionales. Cela représente une perte de PIB de 2,5 % par an. Cette pression criminelle sur l’économie serait, selon les auteurs de cette étude, un des facteurs explicatifs du retard de développement du Mezzogiorno : sans cette pression, le PIB par habitant du Mezzogiorno aurait en effet rejoint le niveau du nord de la péninsule. CENSIS, Programma Cultura dello sviluppo e cultura della legalità nel Mezzogiorno, 2003.
6 I. Sommier, Les mafias, 1998.
7 L. Paoli, Fratelli di mafia. Cosa Nostra e ‘Ndrangheta, 2000.
8 P. Arlacchi, Les hommes du déshonneur. La stupéfiante confession du repenti Antonino Calderone, 1992, p. 173.
9 Si Cosa Nostra dispose effectivement d’une architecture territoriale élaborée et d’un ensemble de règles codifié, il n’existe pas un pouvoir central qui dessine une politique générale, arrête une stratégie et rassemble les moyens nécessaires à sa réalisation. Cosa Nostra n’a jamais été une organisation criminelle pleinement intégrée à l’échelle régionale, tout au plus a-t-elle pu l’être à l’échelle provinciale en Sicile occidentale. S’il faut se garder de surévaluer sa cohésion, il convient de se souvenir qu’elle tire tout de même sa puissance et sa longévité de la capacité de ses membres à faire système. Pour une reconstitution de l’architecture territoriale de la criminalité mafieuse, voir F. Maccaglia, « Territoires parallèles. Pouvoir et contrepouvoir dans l’Italie contemporaine », 2004.
10 Libération, 16 janvier 1993.
11 P. Arlacchi, Mafias et compagnie. L’éthique mafieuse et l’esprit du capitalisme, 1986, p. 176.
12 Ministero dell’interno, Direzione investigativa antimafia. Attività svolta e resultati conseguiti, 2000.
13 R. Sciarrone, Mafie vecchie, mafie nuove. Radicamento ed espensione, 1998.
14 E. Reclus, « La Sicile et l’éruption de l’Etna », 1866, p. 353-416.
15 L. Paoli, Fratelli di mafia. Cosa Nostra e ‘Ndrangheta, 2000, p. 243.
16 L. Violante éd., Il patto scellerato. Potere e politica di un regime mafioso, 1993, p. 157-158.
17 Voir par exemple la liste des personnes soumises à l’extorsion dans le centre de Palerme, publiée par le quotidien La Repubblica dans son édition palermitaine du 15 février 2004. Seules les personnes possédant des liens de parenté avec des membres de la police ou des carabiniers sont épargnées.
18 Commissario straordinario per l’estorzione e l’usura, Seconda relazione annuale, 2001.
19 Ibid.
20 La Repubblica, édition de Palerme, 29 juillet 2003.
21 Commissario straordinario per l’estorzione e l’usura, Seconda relazione annuale, 2001.
22 Ibid.
23 Ibid.
24 La Repubblica, édition de Palerme, 29 août 2002.
25 E. Bellavia, S. Palazzolo, Voglia di mafia. Le metamorfosi di Cosa Nostra da Capaci a oggi, 2004.
26 La Repubblica, édition de Palerme, 31 août 2003.
27 Le maxi-procès de Palerme, qui s’ouvre en février 1986 et s’achève en décembre 1987, voit comparaître plusieurs centaines de membres de Costa Nostra, accusés pour la plupart de meurtre et de trafic de drogue. C’est à cette occasion que les principales figures de l’organisation criminelle (Salvatore Riina, Bernardo Provenzano, Michele Greco) sont condamnées à des peines de prison à perpétuité.
28 Ministero dell’interno, Direzzione investigativa antimafia, Relazioni semestrali, 2000.
29 F. Maccaglia, « L’espace économique mafieux au tournant du siècle. Entre mutations structurelles et dynamiques conjoncturelles », 2005.
30 Ministero dell’interno, Direzzione investigativa antimafia, Relazioni semestrali. 2000.
31 Le Monde, 28 août 2001.
32 C’est dans ce contexte que l’on a débattu du projet du pont sur le détroit de Messine. Celui-ci se situe au cœur d’un dense espace mafieux dominé par Cosa Nostra du côté insulaire et la ‘Ndrangheta dans la partie continentale. Le montant des travaux, entre 5 et 6 milliards d’euros, aiguise les appétits criminels. Les caractéristiques et la dimension du chantier favorisent la pénétration des groupes mafieux puisqu’une multitude d’entreprises est appelée à intervenir sur ce chantier, et qu’il devient difficile ainsi de contrôler la moralité des entrepreneurs. L’infiltration mafieuse est attendue dans les travaux de terrassement, la fourniture et le transport des marchandises, l’approvisionnement en carburants, la manutention des machines et la fourniture de services annexes aux chantiers (restauration, construction des espaces de vie et de direction…). Les travaux requérant un savoir-faire technologique particulier, comme la construction et la mise en place des structures portantes, devraient être épargnés. Sa présence est également redoutée dans le domaine immobilier car elle serait en mesure d’alimenter la spéculation sur les terrains frappés par les mesures d’expropriation.
33 La Repubblica, édition de Palerme, 22 juillet 2003.
34 Le président de la région sicilienne, Salvatore Cuffaro, a été condamné en première instance à cinq ans d’emprisonnement par le tribunal de Palerme pour avoir transmis à des mafieux des informations protégées. La Repubblica, édition de Palerme, 18 janvier 2008.
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