II — Banque de France
Texte intégral
Historique des crises
1Après l’Angleterre la France se présente la première quant au nombre et à l’importance des crises qui ont éclaté depuis le commencement du siècle1.
2Avant 1800 nous en notons même plusieurs qui nous offrent bien tous les caractères d’une crise commerciale ; mais, sans l’aide des banques qui déjà couvraient la Grande-Bretagne, si les désastres, avec la baisse des prix pendant les liquidations, étaient les mêmes, l’explosion était moins brusque, moins violente ; l’usage et les abus du crédit, privé d’une bonne circulation fiduciaire, ne permettaient pas d’engager les affaires sur une échelle aussi considérable que de nos jours. Ce sont ces crises que M. Vuitry a si bien décrites dans son ouvrage sur la spéculation sous Louis XIV et Louis XV. Déjà on sent la solidarité des mouvements commerciaux en France et en Angleterre, moins intime, moins rapide qu’à l’époque actuelle, par suite de la lenteur des communications à cette époque, ce qui n’empêchait pas les embarras de se présenter au même moment dans les deux pays.
3Ce que nous notons en France et en Angleterre, c’est que les besoins de crédit ont fait de l’État le véritable créateur des banques. Le public, en puisant à la même source, a maintenu un courant d’affaires dont le volume est variable selon la période de prospérité, de crise ou de liquidation, ce que nous reconnaissons de suite sur les tableaux des bilans des grandes banques. Dans les pays où elles existent, les mouvements des divers articles de ces bilans ont lieu dans le même sens pendant la même série d’années, comme nous l’avons déjà constaté, et, s’il y a quelques exceptions, elles sont moins nombreuses en France qu’en Angleterre, quoique le relevé ait été fait sur les bilans de chaque jour et non pas sur les bilans hebdomadaires ou à une date déterminée. Que l’observation porte sur des millions ou sur des milliards, les oscillations, toute proportion gardée, ont la même amplitude. Pour la circulation, l’encaisse, les escomptes, nous notons que les sommes plus considérables en Angleterre jusqu’en 1847 ont singulièrement diminué depuis ce moment par la concurrence des joint-stock banks, par l’établissement du Clearing house et par une meilleure administration de l’émission des billets. En France, dans des conditions différentes, l’établissement central a conservé le premier rang et une situation prépondérante sur la distribution et la circulation du crédit ; au lieu de quelques millions comme en 1847, ce sont des milliards qui s’agitent aujourd’hui dans ses bilans.
4Il n’en a pas été de même dans la Grande-Bretagne. Jetons-nous un coup d’œil sur le tableau des différences des mouvements des bilans en France et en Angleterre [Différence en plus ou moins des principaux articles des bilans de la Banque de France, Partie 1, chapitre XIV], nous voyons qu’en France les sommes escomptées varient de 200 millions en plus ou en moins dans la période 1840-1847 et en Angleterre de 400 à 300 millions de francs, tandis que dans la dernière période (1874-1882), nous avons sous les yeux des écarts de 1 300 millions de francs en plus ou en moins, quand, à la Banque d’Angleterre, ils ne dépassent pas 350 millions de francs restant au-dessous de ceux de la période 1840-1847, et il en est de même des mouvements de l’encaisse et de la circulation des billets. Où trouverait-on une meilleure démonstration de la concurrence faite à la Banque d’Angleterre par les joint-stock banks et de l’importance de plus en plus prépondérante de la Banque de France ?
5Nous n’insisterons pas sur la composition de l’encaisse et sur la proportion considérable de l’argent qui en fait partie, ainsi que sur la distribution de la circulation des billets selon les coupures ; nous aborderons l’étude des crises par l’observation des variations de la somme des effets escomptés dans chaque période de 1799 à 1882.
6Le développement de l’escompte suit une marche régulière, ascensionnelle pendant un certain nombre d’années, six à sept ordinairement, pour arriver à un degré triple ou quadruple du point de départ et atteint un chiffre énorme au moment où une crise éclate.
7En voici le tableau :
Total annuel des escomptes, Paris seul

8De 1799 à 1804, le total annuel de l’escompte s’élève de 111 millions à 510 dans l’année la plus prospère (1802), retombe à 503 millions, atteint 630 millions au moment de la crise et redescend à 255 après la liquidation.
9Le même phénomène se présente huit à neuf fois dans la première moitié de ce siècle, sans coïncider toujours avec les révolutions, les guerres, les disettes, les épidémies qui se renouvellent périodiquement dans notre pays.
Prix moyen de l’hectolitre de froment

10Le maximum du prix du blé précédait et amenait presque toujours une crise, il n’en est plus de même aujourd’hui. Le minimum ne se rencontre pas toujours dans les années prospères, comme en 1814 et 1849 ; mais les prix sont toujours modérés dans les années heureuses.
11De sorte que, pour cette première moitié du siècle, d’après l’examen seul des escomptes et du prix des céréales, sur une période de cinq à six années au moins, on peut se rendre compte de la proximité ou de l’éloignement d’une crise et, au lieu d’attribuer le malaise commercial aux troubles et aux révolutions, il faudrait chercher la cause et l’origine de ces dernières dans les écarts de la spéculation, la hausse des prix et l’encombrement des fabriques.
12Tous les six ou sept ans, une liquidation générale paraît nécessaire pour permettre au commerce de prendre un nouvel essor.
13Ce sont ces liquidations qui produisent les crises, véritables pierres de touche de la valeur des maisons de commerce. Toutes celles qui ont entrepris au-delà de leurs moyens succombent ; les autres, assez robustes pour résister, reprennent le cours de leurs opérations avec une vigueur nouvelle, débarrassées des obstacles d’une imprudente spéculation. Mais aussi comment un industriel dont les produits sont demandés sera-t-il assez sage pour limiter sa fabrication aux besoins de la place ? Par la force des choses il est entraîné à étendre sans cesse ses opérations tant que les demandes se succèdent, puis tout à coup la spéculation épuisée s’arrête en présence des hauts prix. La production, lancée sur une grande échelle, est obligée de se ralentir, de se modérer. Il faut réduire les salaires ou même renvoyer une partie des ouvriers qu’on occupe, éveillant chez eux ces sentiments de haine qui se manifestent avec tant de violence dans les révolutions que ce mécontentement et ce malaise général amènent.
14On comprend combien ces perturbations périodiques apportées dans le travail doivent bouleverser les conditions d’existence de la classe ouvrière et lui imposer de rudes et pénibles privations : le mouvement des mariages, des naissances et des décès en rend un témoignage évident, sauf quelques exceptions dont il est facile de se rendre compte au moment où une grande guerre menace ou éclate. Dans ces circonstances les mariages, et les naissances par suite, se multiplient sans mesure pour permettre aux jeunes gens d’échapper au réappel sous les drapeaux.
Crise de 1804

15De 1799 à 1802, l’escompte des effets de commerce s’élève de 111 millions à 510 ; ce développement si rapide a amené un premier temps d’arrêt ; 15 millions de billets se présentent au remboursement. Le second semestre a été le plus pénible, celui où le plus grand nombre de maisons de commerce ont succombé par suite de la guerre avec l’Angleterre.
16Le mouvement semestriel des escomptes rend bien compte de la situation. De 80 millions pendant le premier semestre de 1800, ils s’élèvent à 267 pendant le second semestre de 1801, restent stationnaires pendant le premier semestre de 1802, puis s’abaissent à 220 millions pendant le premier semestre de 1803, au moment de la rupture de la paix d’Amiens (17 mai 1803), mais ils se relèvent dès le second semestre à 282 millions, pour atteindre 332 millions dans le premier semestre de 1804 ; alors la crise éclate. La Banque, dont l’encaisse est tombée à un million, suspend ses payements en espèces ; les demandes en remboursement s’élèvent à 1 400 000 fr. et 1 500 000 fr. par jour, par suite des besoins de la guerre. Le censeur insinue même dans son Rapport que l’ennemi nous soutire le numéraire. On limite les remboursements à 500 000 fr. par jour ; la Banque se défend par la diminution de l’escompte, par des achats de piastres et d’obligations payables en écus, sans pouvoir se rendre maîtresse de la situation. Ainsi la rupture de la paix abaisse d’abord l’escompte à 220 millions (premier semestre 1803), la guerre le relève à 332 pour le précipiter à 124 (premier semestre 1805), puis de 630 millions en 1804, l’année de la crise, il tombe à 255 en 1805 !
17Le capital de la Banque, fixé à 30 millions par le décret de sa fondation en 1800, fut porté à 45 millions par une première loi du 24 germinal an XI (1803), puis élevé à 90 millions le 22 avril 1806. En 1803 son capital de 45 millions dut être employé, une partie en rentes, l’autre en prêts sur délégations des receveurs généraux.
18Les trois années de 1803 à 1806 furent un état permanent de crise pour la Banque. Les énormes dépenses de la guerre entraînèrent le gouvernement à s’emparer de toutes ses ressources ; sous diverses formes il se fit prêter 500 millions en escomptant les obligations des receveurs généraux. En décembre 1805, sur 97 millions de valeurs escomptées il y avait 80 millions en obligations des receveurs généraux. Ces obligations furent acquittées en mandats, et la Banque fut forcée de suspendre ses payements (octobre 1805 à janvier 1806); les avances faites au Trésor furent remboursées en octobre 1806.
Crise de 1810

19Après une année de rareté du numéraire, au lieu de voir le public s’arracher les sacs d’écus comme en 1805 et en 1806, les espèces métalliques encombrent les caisses de la Banque, le public préfère les billets. Cette affluence d’argent sans emploi prouve la diminution des opérations commerciales. On a trouvé plus sage de terminer et de liquider les anciennes affaires. La Banque elle-même, contrainte par le pouvoir de porter son capital à 90 millions, se trouve dans un grand embarras pour l’utiliser, l’intérêt étant tombé à 3 et 2 p. 100. Elle le place partie en rentes sur l’État, partie en obligations des receveurs généraux jusqu’à concurrence de 40 millions ; ce prêt se renouvelle de 1807 à 1814. À ce sujet, M. Gautier fait remarquer que si la Banque ne s’était pas assuré par la collocation en rentes un revenu fixe et indépendant de ses bénéfices commerciaux, elle se fût trouvée en déficit annuel.
20Cet abaissement de l’escompte ne dure pas : de 333 millions, il s’élève à 557 en 1808, pour atteindre 715 millions en 1810.
21Le mouvement semestriel des escomptes s’élève sans interruption de 124 millions (1er semestre de 1805) à 316 millions (2e semestre 1808) ; il retombe à 292 et 252 millions pendant l’année 1809. Comme en 1803, il y a un temps d’arrêt, une légère oscillation. La crise éclate en 1810.
22Le total annuel des escomptes s’élève à 715 millions de francs et, sur les bilans, de 80 à 187 millions (1806-1810). Quant au total des affaires, nous trouvons 828 millions ; ce sont des maxima que nous ne reverrons pas avant 1824 pour le total des affaires et avant 1830 pour les escomptes. Nous sommes donc ici, même avec le blocus continental, en présence d’un grand mouvement d’affaires qui n’est pas borné à l’intérieur mais qui est aussi international ; c’est un fait à noter et qui indique bien la solidarité des marchés et la puissance qui les entraîne même au milieu des circonstances les plus critiques.
23Joignons-nous aux escomptes l’observation des autres articles des bilans, nous trouvons toujours la même concordance. L’encaisse de 83 millions s’est abaissée à 34 (1807-1810), la circulation de 108 à 84 millions ; rien ne manque donc au tableau. Bien plus, la liquidation, quoique très troublée, s’opère comme d’ordinaire ; dès l’année suivante le portefeuille descend au niveau de 1806, 84 millions, le total annuel de 715 s’abaisse à 390 et le total des affaires de 828 se trouve réduit à 447 millions ; on était presque liquidé.
24Le gouvernement signale dans son rapport le tourbillon des affaires à la fin de 1810, les nombreuses faillites qui en furent la conséquence. Le commerce de Paris fait preuve d’un grand courage pour surmonter toutes les difficultés accumulées ; des spéculations exagérées sont limitées, les capitaux disponibles devant trouver leur emploi, le taux de l’escompte diminue, les recours à la Banque sont moins fréquents.
25Situation de la Banque au commencement de 1812 :

26Bien triste état, puisque le dividende n’aurait pu être pris que sur la réserve.
27La situation change en 1813 :

28Les besoins du commerce se multiplient toujours ; la Banque réduit l’escompte à soixante jours ; 20 millions furent remboursés dans une semaine. La réserve descend à 14 millions d’abord, puis à 1 seul. Dans cette circonstance, les remboursements des billets sont limités à 500 000 fr. par jour. L’escompte tombe de 640 à 198 millions (1813-1815) ; mais ici c’est la crise politique, nos défaites et l’invasion qui troublent le marché.
29En 1814 le gouvernement ne remplit pas ses engagements. Les mandats échus en novembre et décembre 1813 ne sont pas payés. Le gouverneur ose même déclarer en 1814, contrairement à ses prédécesseurs, qui appelaient les emprunts du gouvernement des marques constantes d’intérêt, que le privilège de la Banque n’a pas depuis 1806 produit les bénéfices qu’on pouvait en attendre pour le commerce et les actionnaires. L’État y a puisé d’immenses ressources, mais les actionnaires, dont les capitaux ont passé dans ses coffres par son intermédiaire, n’ont recueilli que des dividendes inférieurs à un placement direct.
Crise de 1818

30L’escompte s’élève de 396 millions à 615, mais cette augmentation, depuis 1817, est en partie le résultat des avances faites au ministre des finances sur bons du Trésor. Le mouvement semestriel des escomptes suit une progression rapide de 31 millions (1er semestre 1814) à 296 (1er semestre 1817), sauf une courte interruption pendant le second semestre de 1815, interruption passagère, que l’invasion explique.
31Comme en 1803, 1809, 1811 et 1812, nous observons un temps d’arrêt pendant le second semestre de 1817 et le premier de 1818. Dès le second, l’escompte est porté à 368 millions, la crise éclate et le total annuel s’élève à 615 millions. Il retombe à 303 en 1820.
32La crise de 1818 a été produite par les nombreuses émissions de rentes créées pour le payement des contributions de guerre aux étrangers ; en moins de deux ans, on en jette sur la place pour plus de 100 millions.
33En juillet 1818, la réserve de la Banque s’élève encore à 117 millions, mais un premier emprunt de 24 millions allait s’ouvrir pour le rachat de notre indépendance ; de plus, 14 millions de rentes étaient adjugés par souscription publique (souscription qui, par parenthèse, s’éleva à 123 millions) pour notre liquidation à l’étranger, ce qui représentait un capital de 500 millions que la France devait payer dans l’intervalle d’une année, soit par l’exportation de son numéraire, soit par l’exportation de ses produits. L’Autriche, la Prusse, Naples empruntaient aussi. Par suite, réduction rapide de la réserve qui, du 1er juillet au 8 octobre, descend de 117 millions à 59. En outre, au lieu d’opérer le payement des 265 millions pour solde de la contribution de guerre dans l’intervalle d’une année, on décide que ce payement aura lieu en neuf mois. Le prix des reports à la Bourse indiquait qu’il n’y avait pas de capitaux oisifs, en même temps que des opérations folles étaient engagées par les étrangers sur les fonds publics.
34Le 15 septembre 1818, la réserve était diminuée et l’escompte augmentait en sens contraire ; le conseil de la Banque réduit l’échéance à soixante jours. Le 29 octobre la réserve était tombée à 37 millions et le passif exigible s’élevait à 165. La réserve descend à 34 millions, la circulation des billets monte à 108 et les comptes courants à 55. Alors la Banque, en présence de cette proportion du quart au cinquième entre la réserve et le passif exigible, restreint la durée de l’escompte à quarante-cinq jours, ce qui produit la baisse des changes sur l’étranger et imprime un mouvement rétrograde aux espèces. Leur prompt retour permet de reprendre l’échéance de soixante jours, puis de quatre-vingt-dix jours. En janvier 1819, les payements aux étrangers ont cessé ; des négociations nouvelles ont réduit la somme des rentes à émettre de suite sur le marché et ont prolongé les payements.
35En 1819 et 1820, par suite de la réduction des escomptes, la Banque cherche à donner un emploi utile à ses capitaux sans y parvenir ; heureusement que, le 13 mai 1820, le ministre des finances lui propose l’escompte extraordinaire de 100 millions de bons royaux pour le dernier payement aux étrangers. Le total annuel des escomptes de 615 millions était tombé à 303.
Crise de 1825

36Le total annuel de l’escompte s’élève de 307 millions à 688 en 1826, retombe à 402 en 1828 pendant la liquidation.
37En 1823, la guerre d’Espagne le fait descendre, pendant le second semestre, à 117 millions, mais il se relève, dès les premiers jours de 1824, pour atteindre 359 millions (2e semestre 1825).
38Pendant qu’en ce moment une crise éclate à l’étranger et que la Banque d’Angleterre est forcée d’élever le taux de l’escompte à 5 p. 100, la Banque de France maintient le sien à 4 p. 100 et avance sur lingots 493 millions. Ce déplacement subit du métal est une conséquence de l’état momentané du change dans un pays voisin.
39Le premier semestre de 1826 présente un escompte de 369 millions qui se réduit à 277 dès les premiers mois de 1827. Un état de langueur et de repos succède à l’impulsion extraordinaire de 1825. Des opérations de toute nature étaient commencées, elles exigeaient des moyens de crédit d’autant plus grands que leur importance tenait de l’exaltation qui avait gagné momentanément les principales places de l’Europe. Ces opérations avaient produit une circulation extraordinaire de valeurs et mis la Banque à même d’escompter plus qu’elle n’avait jamais fait ; puis les illusions ont cessé ; beaucoup de ces spéculations, dont on espérait une prompte réalisation de bénéfices, sont devenues des charges ; le discrédit en a frappé plusieurs et il a fallu liquider dans les plus mauvaises conditions.
40Malgré les nombreux recours du commerce à la Banque pendant l’année 1826, l’abondance de l’encaisse fut très remarquable, ce qui permit de faire face à l’orage. Les nombreux capitaux disponibles diminuent l’escompte des bons du Trésor en 1827, le gouverneur s’en plaint et le censeur fait remarquer que, à mesure que le crédit public s’est fortifié, les secours de la Banque sont devenus moins nécessaires ; les capitaux particuliers sont venus peu à peu se fondre dans les effets publics et remplacent ceux que la Banque s’était empressée de leur offrir pour les soutenir et les amener à un point d’élévation tel que son appui est devenu à peu près inutile.
41L’escompte du second semestre de 1828 tombe à 172 millions. Cette dépression des affaires de la Banque tient à la langueur du commerce, malgré l’abondance des capitaux qui, craignant de s’engager à long terme, font concurrence à la Banque en se livrant à l’escompte, jusqu’à ce point qu’elle discute en 1829 si elle n’abaissera pas à 3 p. 100 l’intérêt de ses avances.
42Dès le second semestre de 1829, les besoins d’argent se font sentir ; de 172 millions (2e semestre 1828) l’escompte s’élève à 275 (1er semestre 1830). La révolution de juillet le porta à 341 dans le second semestre, pour redescendre à 66 millions en 1832. Cette révolution, comme la guerre de 1870, arrête le cours de la période prospère, elle se continua jusqu’en 1832 en Angleterre.
Crise de 1837-1839

43Le total annuel des escomptes s’élève de 150 millions à 760 millions (1832-1836), à la veille de la crise, alors qu’il n’atteint que 756 millions en 1837 ; mais sur le total des affaires la progression est bien continue : de 227 à 951 millions (1832-1837). L’examen des bilans rendra mieux compte des mouvements. Le premier a lieu de 1832 à 1837, de 34 à 157 millions, telle est la progression des escomptes ; la crise éclate comme en Angleterre, sous l’influence des mêmes causes, en janvier, et déjà en décembre, le portefeuille s’est affaissé à 93 millions. On allait entrer dans la période de liquidation quand, en juin 1838, les escomptes reparaissent ; le portefeuille s’élève à 126 millions, 139 en septembre, 175 en décembre et enfin à 228 millions le 31 janvier 1839, le chiffre maximum de la période. À partir de ce moment la véritable liquidation s’ouvre et le portefeuille s’abaisse à 131 millions en 1841. L’encaisse de 281 millions en 1832 était tombé à 90 millions en 1836 et s’était déjà un peu relevé à 105, quand le chiffre de 157 millions d’escompte a été noté2.
44Le mouvement ascensionnel arrêté, aussitôt le mouvement décroissant s’accuse. L’année 1837 n’était pas écoulée qu’en décembre les escomptes de 157 étaient réduits à 93, pendant que le reflux des métaux précieux avait relevé le niveau de l’encaisse de 105 à 252 millions. Le même courant persiste jusqu’en juin 1838, où il atteint 301 millions ; mais en présence de nouvelles demandes qui élèvent le portefeuille à 176 millions en décembre et à 228 millions en janvier 1839, le flux du métal reparaît et l’encaisse fléchit de 301 à 214 millions seulement ; on entre dans la véritable liquidation.
45La période prospère qui s’ouvrait en 1832 et la hausse des prix qui l’accompagnait avait été arrêtées en 1837. La réaction allait se produire quand, dans le second semestre de 1838, il y eut à satisfaire de nouveaux besoins qui relevèrent le portefeuille des Banques de France et d’Angleterre de 93 à 228 millions de francs et de £ 7 400 000 à 13 800 000 (1837-1839). C’était la crise des États-Unis qui se répercutait d’abord à Londres, puis de Londres à Paris. Nous ne répéterons pas ici ce que nous avons dit de la crise en Angleterre et aux États-Unis (voir crise de 1837-1839) ; il suffira de comparer la série des bilans des Banques de France et d’Angleterre pour se rendre compte de la double secousse qui, comme en 1864-1866 au moment de la guerre de Sécession, a ébranlé les deux marchés.
Comparaison des bilans des banques d’Angleterre et de France. 1837-1839

46Sur le tableau ci-joint on notera le maximum et le minimum des deux portefeuilles et des deux encaisses au même moment, en janvier 1837. La crise éclate ; puis s’ouvre la liquidation, et le portefeuille ainsi que l’encaisse, suivant leurs mouvements en sens inverse, s’abaissent et se relèvent pour atteindre presque leurs chiffres minimum et maximum à la fin de l’année. Alors la crise des États-Unis arrête cette oscillation normale et régulière ; le portefeuille se gonfle, l’encaisse se vide de nouveau, pour amener l’étranglement de 1839. Comme celui de 1866, il met fin à la hausse des prix et par suite à la crise, en provoquant une liquidation sérieuse qui se prolongera jusqu’en 1841 en France, jusqu’en 1842 en Angleterre, les escomptes réduits à 131 millions de francs et l’encaisse se relevant a 261 millions de francs en France, à £ 11 100 000 en Angleterre.
47Tout se passe comme dans les crises précédentes, l’évolution des chiffres est la même en hausse ou en baisse, ils occupent leurs positions opposées et accoutumées.
48Pour bien montrer que les embarras de 1839 sont bien la suite de la crise de 1837, observons le portefeuille et l’encaisse en France et en Angleterre. Le minimum de l’encaisse s’observe en France en 1837 en même temps que le maximum du portefeuille en Angleterre, et c’est le contraire en 1839 : on note le minimum de l’encaisse en Angleterre avec le maximum du portefeuille en France.
49Ainsi, dans la seconde secousse, en 1839, le relèvement du portefeuille en France n’est pas accompagné de l’abaissement de l’encaisse ; ce sont des besoins intérieurs qu’il faut satisfaire, tandis qu’en Angleterre, sans que le portefeuille approche du maximum de 1837 (£ 13 800 000 contre £ 19 900 000), cependant l’encaisse s’abaisse de £ 10 500 000 à £ 2 400 000 bien au-dessous du minimum observé en 1837 (£ 3 800 000) ; on avait donc besoin non seulement de crédit, mais aussi de métal pour venir au secours du marché américain. C’est cet accident étranger qui, pour la seconde fois dans un court intervalle, a troublé les marchés d’Europe par suite de la solidarité qui les rattache. Si nous résumons l’historique de la situation financière de 1836 à 1839, voici ce qu’il faut noter. Tous les marchés étaient engagés dans de grandes spéculations par suite de l’abondance du capital et de la hausse des prix ; mais, en dehors des embarras particuliers à chaque place, il y a eu des interventions puissantes, des accidents qui à plusieurs reprises ont porté un coup terrible à l’équilibre économique déjà troublé.
50De 1835 à 1836, aux États-Unis, le président Jackson avait déjà entrepris une lutte avec la Banque pour rétablir la circulation métallique ; son privilège expirait en 1836, il ne veut pas le renouveler.
51Cependant on le prolonge comme Banque de Pensylvanie, sous ce nouveau titre, par suite de spéculations effrénées, elle suspend ses payements en avril 1837, au moment même où surgissent les embarras d’Europe, malgré une avance de £ 6 000 000 faite par la Banque d’Angleterre.
52Au plus fort de la crise d’Amérique, la Banque d’Angleterre a déjà porté l’escompte à 5 p. 100 ; cependant la Banque de France résiste aux fuites de l’or et satisfait aux demandes des départements et des pays limitrophes. Elle livre 103 millions en espèces à la circulation ; pour maintenir sa réserve, elle achète 8 millions d’or à Paris et tire 10 millions en lingots de l’étranger. L’embarras des affaires fut très court ; tandis que le numéraire sortait de Paris à la fin de 1836, il refluait des départements vers la capitale dans la seconde moitié de 1837.
53Les marchés d’Europe se liquident, à l’aide de la baisse des prix qui a lieu de décembre 1836 à juillet 1837 ; par suite le numéraire reflue dans les caisses des banques.
54En 1838 la Banque d’Angleterre, trompée par le retour rapide de l’or, avait abaissé le taux de l’escompte à 4 p. 100 le 4 février 1838, elle le réduit même à 3 p. 100 en novembre, quoique la mauvaise récolte du blé se fasse déjà sentir. La lutte continue toujours aux États-Unis entre le président et la Banque, mais en outre le directeur, M. Biddle, est à la tête d’une grande spéculation sur les cotons qu’il a voulu monopoliser et qui échoue malgré l’appui de la maison Hottinguer, qui la soutenait à Paris. Au 1er juillet cette maison refuse toute nouvelle traite, les entrepôts regorgeaient et on ne pouvait plus vendre de coton.
55En mai, juin et août 1838, quand l’escompte fut relevé à 5 et 6 pour 100, à la suite de la suspension de Biddle sur le coton, la crise éclata de nouveau, relevant le portefeuille en France de 93 à 228 millions de francs, et en Angleterre de 7 400 000 £ à 13 800 000, en janvier 1839. À la fin de l’année 1838, la suspension de la Banque de Belgique ne produisit pas une grande impression. Nous entrons dans la période de liquidation qui s’accomplit dans les années suivantes et se termina dès que le chiffre minimum des escomptes fut touché en France en 1841, en Angleterre en 1842.
56Nous ne citerons ici que pour mémoire le secours de 50 millions de francs que la Banque de France accorda à la Banque d’Angleterre par l’intermédiaire de la maison Baring. (Voir Angleterre, crise 1837-1839.)
Crise de 1847

57Le portefeuille réduit de 228 à 131 millions de francs (1839-1841), le total annuel des escomptes de 1 047 à 885, le total des affaires de 1 533 à 1 194, la liquidation de la crise de 1837 était complète en 1841, et aussitôt le mouvement de reprise se manifesta. En 1843 elle a déjà relevé le portefeuille à 194 millions ; mais cette année 1843 est signalée par la grande affluence des espèces et le bas prix des capitaux qui, s’offrant au-dessous de 4 p. 100, détournent les effets de commerce de la Banque ; le même état continue en 1844, le numéraire se porte avec abondance à Paris, les transactions se payent comptant, tous les capitaux disponibles sont consacrés à l’escompte. À Londres, au même moment, le taux de l’escompte était descendu à 2 1/2 p. 100. À 4 p. 100, taux auquel la Banque de France acceptait les effets de commerce, il n’y avait pas lieu d’y avoir recours, aussi voyons-nous pendant deux ans, en 1844 et en 1845, le portefeuille baisser jusqu’à 104 millions, ainsi que le total annuel des escomptes. La progression est arrêtée, cela se comprend, mais si l’on embrasse l’ensemble des affaires, on voit que néanmoins, même à la Banque, elle continue ; par conséquent elle est beaucoup plus sensible au dehors, grâce au bas taux auquel s’offre le capital. Cependant, dès 1845 on voit qu’une partie a déjà été absorbée et que l’on se tourne vers la Banque, quoique le taux n’ait été relevé qu’à 3 1/2 en Angleterre ; la différence de 1/2 pour 100 entre les deux places ne suffisait plus pour éloigner le monde des affaires de la Banque ; aussi la même année le portefeuille s’éleva à 275 millions ; la progression reprend son cours avec la suppression de la cause qui l’arrêtait et elle continue jusqu’en 1847, l’année de la crise. Tout marche bien d’accord, le portefeuille, le total annuel des escomptes, le total des affaires. L’ensemble de ces dernières avait reçu une telle impulsion que le mouvement persista même en 1848, par suite des recours à la Banque au milieu de tous les embarras de la Révolution de février, il ne s’arrêta qu’en 1849.
58Quant au portefeuille, aussitôt le chiffre de 320 millions atteint, il diminue, se vide peu à peu jusqu’à 92 millions en 1851, alors que le total annuel de 1 329 millions de francs est descendu à 256 millions de francs !
59Les autres articles des bilans, l’encaisse, la circulation, les comptes courants, nous offrent les mêmes variations déjà signalées et que nous retrouvons dans toutes les crises ; un coup d’œil sur les tableaux graphiques suffira pour s’en convaincre. L’encaisse de 90 millions s’élève à 320 (1836-1845), s’abaisse à 78 millions en 1847 pour se relever à 628 millions en 1851. La circulation des billets suivant les mêmes mouvements, de 190 millions s’élève à 309 millions (1837-1846). À 20 millions près les deux sommes sont égales. Les comptes courants, après s’être élevés au milieu de la prospérité générale de 33 à 119 millions, ne fléchissent qu’à 60 millions en janvier 1847, au moment le plus aigu de la crise ; à la fin de l’année, quand tous les embarras sont passés, quand l’encaisse de 78 millions s’est déjà relevé à 169, ils ont baissé à 40 millions.
60La baisse du taux de l’escompte s’est manifestée, comme toujours, après la liquidation de la crise de 1837, au moment où l’épargne a accumulé, pendant le ralentissement des affaires, un assez gros capital pour leur redonner l’impulsion nécessaire. Dès la fin de 1844 les besoins d’argent se manifestent d’autant plus vivement que l’abondance du numéraire chez les banquiers et les capitalistes, la difficulté de lui trouver un emploi sûr et convenable, ont créé à la Banque des concurrents qui ont fait baisser le taux de l’intérêt au-dessous de 4 p. 100 et, par suite, donné naissance à une foule de spéculations et d’entreprises sans aucun rapport avec les moyens et la puissance des capitaux disponibles sur la place. C’est principalement à partir du second semestre de 1845 que l’on se tourne vers la Banque.
61Dans le cours de l’année 1845, les compagnies des chemins de fer ont absorbé une grande partie des capitaux qui s’offraient, au commencement de l’année, à moins de 4 p. 100 sur la place.
62L’embarras des affaires se fait sentir au commencement du second semestre de 1846 ; il augmente avec l’insuffisance de la récolte, de jour en jour reconnue plus inquiétante que l’on ne pensait. La disette est générale et beaucoup plus grave en Angleterre, elle se complique pour l’Irlande de la maladie des pommes de terre, ce qui enlève tout moyen d’alimentation. En France le prix du blé de 24 fr. 06 en 1846 s’élève à 29 fr. 01 en 1847, non sans amener partout des troubles sur les marchés et une importation de 209 millions de francs.
63L’escompte du semestre s’élève à 733 millions, chiffre le plus haut observé jusqu’à ce jour.
64Du 1er juillet au 1er janvier 1847, la réserve baisse de 252 millions à 80, soit de 172 millions.
65La Banque, pour se défendre et réparer ses pertes métalliques, fait affiner l’argent de 15 millions de pièces démonétisées, se procure en province de 4 à 5 millions en or et argent, emprunte 25 millions aux capitalistes anglais. Les escomptes de la Banque centrale, des comptoirs et des banques départementales atteignent le chiffre énorme de 2 milliards 442 millions !
66En présence de besoins aussi étendus, le conseil de la Banque se décide, pour la première fois depuis vingt-sept ans, à porter de 4 p. 100 à 5 p. 100 le taux de l’intérêt (14 janvier 1847).
67L’écoulement des espèces diminue dans les premiers mois de 1847 ; de 78 millions, minimum à la date du 15 janvier 1847, l’encaisse s’était relevé à 110 millions au 16 mars.
68Un mouvement de reflux des espèces se manifestait des départements sur Paris ; c’est à ce moment que l’empereur de Russie offrait à la Banque de lui acheter des rentes jusqu’à concurrence d’un capital de 50 millions de francs.
69La Banque accepte cette négociation, pensant qu’elle pourra servir à solder les grandes quantités de grains achetés en Russie, qui ne pouvaient être compensés qu’en espèces et dont les payements n’étaient pas achevés.
70L’élévation du taux de l’escompte à 5 p. 100 a été ainsi retardée parce qu’on avait la certitude que la sortie des espèces n’était motivée que par les envois à l’étranger pour le payement des grains et par les travaux extraordinaires pour les chemins de fer dans l’intérieur ; aucun billet n’est venu au remboursement par crainte de ne pouvoir pas être échangé plus tard contre espèces.
71Comme en Angleterre, en la même année il y avait eu deux instants critiques à passer, au début en janvier et d’août à novembre ; mais dès le mois de décembre le calme était rétabli et le taux de l’escompte de 5 p. 100 était réduit à 4 p. 100. La crise paraissait s’éteindre, on entrait dans la période de liquidation, quand éclata la Révolution de 1848. Tout se trouva arrêté ; comme à toutes les époques révolutionnaires, on eut recours à des expédients.
72En février 1848, l’encaisse s’élevait encore à 226 millions ; la situation s’était donc bien améliorée depuis 1847 ; mais du 28 février au 27 avril l’encaisse diminue de 183 millions, sous l’influence seule de la situation politique.
73Pour éviter l’épuisement de sa réserve, la Banque demande au gouvernement la permission de suspendre ses remboursements et de donner cours forcé à ses billets. Elle n’impose aucun sacrifice au commerce ; grâce à ces deux mesures, elle domine la situation, et les espèces, qu’on voyait sortir avec tant d’effroi de ses caisses, ne tardent pas à y refluer avec une non moins grande rapidité.
74De 83 millions, au mois d’avril, l’encaisse s’est déjà relevé à 253 à la fin de 1848, à 425 millions en 1849, et enfin à 626 millions le 2 octobre 1851, dépassant plusieurs fois la circulation des billets de plus de 20 millions.
75Le 6 août 1850 une loi abolit le cours forcé, ce qui n’amène aucun billet au remboursement, puisqu’on les préfère aux espèces : presque toutes les transactions se font au comptant ; on était à la veille de la reprise des affaires bien avant le 2 décembre 1851.
Crise de 1857

76Il est facile de suivre sur le tableau qui précède la liquidation de la crise de 1847 en 1851, le développement de la période prospère qui se termine par la crise de 1857 et enfin la liquidation de cette dernière en 1858 : le portefeuille (escomptes) de 320 millions s’abaisse à 93 (1847-1851) et le total annuel des escomptes, Paris seul, de 1 329 millions de francs à 256 (1847-1849) ; la dépression est beaucoup plus rapide. Déjà en 1850 on sent la reprise des escomptes à Paris, tandis que le total des affaires continue de fléchir, de 2 176, maximum touché en 1848 par suite des recours à la Banque au milieu de tous les embarras du moment, à 1 733 millions en 1851.
Tableau des bilans par mois

77La fusion des banques départementales, les anciens et les nouveaux comptoirs de la Banque, donnent un nouvel appoint aux escomptes et aux affaires, qui rend cet affaissement moins sensible dans cette période. Il est visible que la Révolution de 1848 a pu être une suite de la crise de 1847, mais elle n’en a pas été la cause et elle n’a apporté aucun trouble dans la liquidation, elle l’a plutôt favorisée par l’inquiétude qui régnait alors et suspendait les affaires.
78La liquidation terminée, et la solution donnée à la crise politique par le coup d’État de 1851, la reprise se fait de suite sentir ; elle s’accuse en 1853, hésite un moment en 1854 au début de la guerre de Crimée, comme nous le constatons sur le total annuel des escomptes à Paris et sur le total des affaires qui fléchissent le premier de 951 à 907 millions de francs et le second de 4 196 à 4 143 millions de francs, sauf cette exception, dont la cause est visible, la progression croissante est continue de 1852 à 1857. Le rétablissement de la paix en 1856 ne peut même pas prolonger la période prospère, la période des hauts prix. Tout avait été exploité, il n’y avait plus de nouveaux preneurs aux cours actuels ; il fallait liquider, et dès 1858 la liquidation s’opérait comme nous le montrent l’arrêt des affaires et leur dépression : de 6 500 à 5 600 millions de francs, ainsi que celle du total annuel des escomptes de 5 500 à 4 170 millions de francs et enfin du portefeuille de 628 à 348 millions (1857-1858).
79Les mouvements de ce seul article nous font suivre dans leurs moindres détails toutes les impressions du moment : Révolution de 1848, coup d’État de 1851, guerre de Crimée. Quel relevé de statistique officiel ou privé pourrait nous donner une pareille source de renseignements ; nous voyons le début de la reprise des affaires en 1851, l’occasion d’y entrer ; le moment d’en sortir en 1857 et en 1859 le retour d’une nouvelle période prospère.
80Si à cette simple observation nous joignons celle de l’encaisse, de la circulation et des comptes courants, tout vient confirmer nos prévisions. Le tableau des bilans nous fait suivre ces oscillations de l’encaisse, de la circulation et des escomptes dans le même sens ou en sens inverse.
81L’encaisse se relève de 78 à 628 millions de francs par suite du reflux des espèces (1847-1851) et la circulation de 232 à 704 millions (1847-1853), pendant cette rentrée du métal dans les coffres de la Banque. Ces deux mouvements exécutés, les escomptes commencent à reparaître et à gonfler le portefeuille de 93 à 628 millions de francs (1851-1857), pendant que l’encaisse et la circulation des billets, reprenant un mouvement contraire, s’abaissent à leur chiffre minimum au moment où la crise éclate.
82Nous n’insisterons pas sur la liquidation de la crise de 1847 qui, au milieu de tous les troubles de cette époque agitée, suivit régulièrement son cours. Les premiers six mois qui suivirent le coup d’État de décembre 1851 présentèrent encore une grande langueur (191 millions d’escompte) ; ce n’est que dans la seconde moitié de l’année que le portefeuille se remplit, surtout pendant les mois d’octobre et de novembre ; au moment où l’Empire fut proclamé, l’escompte du second semestre s’élève à 415 millions ; la progression continue jusqu’au premier semestre 1854, où il atteint 534 millions. La guerre d’Orient le fait descendre à 376, il baisse de 158 millions ; mais, dès le premier semestre 1855, il se relève à 556 et atteint 599 millions au moment où la Banque prend des mesures restrictives (novembre 1855).
83La paix annoncée en janvier 1856 et signée dans les premiers mois redonne un nouvel élan au commerce ; l’escompte du premier semestre se maintient au chiffre de 599 millions, mais dès le second il s’élève à 912 millions ; la Banque, qui un instant avait rendu au commerce l’intérêt à 5 p. 100, est forcée d’avoir de nouveau recours aux mesures restrictives. Elle élève le taux de l’escompte et des avances à 6 p. 100 et réduit l’échéance à soixante jours (novembre 1856). Le portefeuille, plus chargé que jamais, dépasse 280 millions pour Paris seulement ; au commencement de janvier, en comprenant les succursales, il s’élève à 605 millions ! La réserve métallique à Paris (janvier 1857) se trouve réduite à 72 millions, malgré les nombreux achats de lingots, en présence d’une circulation de billets s’élevant à 544 millions !
84Le premier semestre de 1857 se passe mieux que la fin de l’année 1856. Les besoins les plus pressants ayant été satisfaits, le portefeuille se vide, pour Paris, de 280 millions en janvier à 244 en juin, et, pour les départements, de 285 à 255 millions.
85L’encaisse de 72 millions à Paris remonte à 116 en juin, et dans les départements de 119 à 172.
86En présence de cette amélioration, le 25 juin, le conseil de la Banque réduit l’escompte à 5 1/2 et porte ses avances à 60 et 40 p. 100 ; depuis le 25 novembre 1856 il l’avait maintenu à 6 p. 100, et, quoique la Banque d’Angleterre l’eût élevé à 7 p. 100, en octobre et novembre, il ne crut pas devoir l’imiter, réduisant seulement l’escompte à soixante jours. Cependant la position était toujours chargée : le portefeuille revenu à 308 millions en août pour Paris, à 293 dans les départements, la réserve baisse de 116 à 110 à Paris, de 172 à 134 dans les départements.
87Au commencement d’octobre, on élève l’escompte à Francfort et à Berlin. Le 8 octobre, la Banque d’Angleterre le porte à 6 p. 100 ; le 12 octobre, à 7 p. 100 ; la Banque de France répond à cette hausse en le portant à 6 1/2 p. 100.
88Le 11 octobre, la Banque d’Angleterre l’élève encore à 8 p. 100, la Banque de France, suivant pas à pas, le fixe à 7 1/2.
89Enfin, le 5 novembre, la Banque d’Angleterre décida d’escompter à 9 p. 100, et, le 12, à 10 et 12 p. 100.
90La Banque de France attend deux jours, et élève aussi le taux de l’escompte à 8, 9 et 10 p. 100. Le lendemain soir, à trois heures et demie, à Londres, l’acte de 1844 était suspendu.
91En France, la réserve métallique était tombée à 75 millions à Paris, à 106 dans les départements, soit à 181 millions ; le portefeuille s’était gonflé à 316 millions, à Paris ; 312 dans les départements, soit à 628 millions.
92La circulation des billets de 646 millions était tombée à 575 millions ; les comptes courants, qui ne dépassaient pas 128 millions en mars, s’étaient relevés à 144 en novembre, bien au-dessus de leur chiffre minimum, 115 millions de francs, noté en 1855.
93La pression exercée sur la Banque fut assez courte ; car, dès la fin du mois, elle réduisait l’escompte à 7, 8 et 9 p. 100 : au commencement de décembre, à 6, 7 et 8 p. 100 ; le 18 décembre, à 6 p. 100 ; et enfin le 24, la Banque d’Angleterre ayant réduit le sien à 8 p. 100, on rétablit le cours ordinaire de 5 p. 100 en France.
94Le compte rendu mensuel indiquait une grande amélioration. L’encaisse s’était relevée de 50 millions en décembre à Paris, et, dans les succursales l’escompte avait baissé de près de 100 millions en un mois ; le dégorgement du portefeuille produisit le reflux du numéraire dans les caisses.
95Cet effet est bien plus sensible dans les premiers mois de 1858, l’année de la liquidation de la crise.
96Le portefeuille (escomptes) à Paris de 334 millions tombe à 251 en décembre, 244 en février 1858 et enfin 157 en juin, et dans les départements de 293 millions à 188, soit en tout de 628 à 348 millions !
97La réserve métallique, au contraire, remonte à Paris de 65 millions à 86 millions, en juin à 229, enfin en septembre à 294 ; dans les succursales, de 115 à 199 et 301 millions, soit de 152 millions à 646 (1856-1859) !
98La circulation de 570 millions à Paris, en octobre 1857, descend à 482 millions dès le mois de décembre, puis, au fur et à mesure que le numéraire s’accumule dans les caisses de la Banque, elle s’étend et le remplace dans les échanges jusqu’à 737 millions (en 1859).
99Les comptes courants de 115 millions de francs se relèvent à 341 (1855-1856), ce qui indique bien l’accumulation du capital par suite du ralentissement des affaires, conséquence de la baisse des prix.
100La banque d’Angleterre avait baissé l’escompte à 8 p. 100, 24 décembre 1857 ; quelques jours avant, la Banque de France l’avait déjà réduit à 5 p. 100 ; en janvier 1858, elle continue à le réduire à 6, 5, 4 p. 100, et 31/2 au commencement de février ; alors la banque de France fixe le sien à 4 1/2 p. 100 et dix jours après à 4 p. 100, en juin à 3 1/2 p. 100, enfin en septembre à 3 p. 100, taux invariable jusqu’en 1861.
101La Banque s’est tirée à son honneur de cette crise, elle n’a pas manqué un seul instant au commerce, elle s’est bornée à lui faire payer son crédit le prix qu’il valait, mais l’illusion de la reconstitution de l’encaisse par des achats de lingots lui avait coûté cher ; sans parvenir à son but, elle avait acheté 1 274 508 519 d’or et 91 millions d’argent en 1855, 1856 et 1857 pour une somme de quatorze millions de francs.
102Toujours dans chaque période nous notons la succession des mêmes accidents sous l’influence des mêmes causes, et ces accidents ne sont pas bornés à un pays, ils s’étendent au monde entier.
Crise de 1864
Tableau des bilans par mois


103La crise de 1857 était déjà rapidement et complètement liquidée en 1858 :

104Les cours du change sur Londres de 25,47 étaient descendus à 25,02.
105Le taux de l’escompte de 10 p. 100 était retombé à 3 p. 100 (novembre 1857, septembre 1858).
106La liquidation était donc complète, on était à la veille de la reprise des affaires qui en effet, dès l’année suivante, reprenaient leur mouvement ascendant se manifestant par 572 millions d’escomptes en 1859 et 582 millions en 1860.
107Avec cette reprise le taux de l’escompte se releva à 4 p. 100 en Angleterre dans les premiers mois de l’année 1860 ; en France ce ne fut qu’en novembre qu’on le porta au même taux, quand déjà il était depuis avril à 5 p. 100 à Londres. La rupture de l’Union Américaine était imminente, on la pressentait et, quoiqu’elle n’eût lieu qu’un mois après, dès le 15 novembre le taux de l’escompte était porté à 6 p. 100 à Londres, quoiqu’il restât à 4 1/2, sans changement à Paris, jusqu’au 2 janvier 1861, où on l’éleva à 5 1/2 ; puis le taux de 7 p. 100 affiché à Londres le 7 janvier fait adopter la même mesure à Paris. Cette hausse ne suffit pas à Londres, il faut le porter à 8 p. 100 le 14 février, tant le drainage des espèces métalliques était violent, le niveau de l’encaisse se trouvant réduit de 16 500 000 à 10 700 000 £ (juillet 1860, février 1861), pendant qu’en France le minimum avait été touché en novembre 1860 (de 573 à 411 millions janvier, novembre 1860).
108La baisse des deux encaisses était presque la même, de 162 millions en France et de 146 millions en Angleterre. Voilà la somme en métal qui a été nécessaire pour répondre à la liquidation précipitée des affaires avec les États-Unis au début de la guerre de la sécession (17 décembre 1860). À partir de ce moment, et ces besoins satisfaits, le reflux de l’or reporte successivement le niveau de l’encaisse en Angleterre à 15 700 000 £ en décembre 1861 et enfin à 18 400 000 en juillet 1862, au milieu de la crise du coton, sans atteindre cependant le chiffre de 19 500 000 noté en 1858 pendant la liquidation de la crise de 1857. Cette réaction en hausse faite, le drainage des espèces reparaît jusqu’à ce que la réserve soit réduite à son chiffre minimum pendant la crise de 1864 et surtout pendant le krack de 1866.
109En France la présence du double étalon, or et argent, a causé les plus grands embarras. Jusqu’en novembre 1860 le niveau de l’encaisse exposée aux mêmes demandes a suivi les mêmes mouvements qu’en Angleterre, mais le chiffre minimum est noté avant la rupture de l’Union Américaine, au début de la prudente liquidation qui eut lieu en ce moment, pour ne pas courir tous les risques de la guerre. Aussitôt terminée, le blocus établi, alors, comme en Angleterre, le reflux reparaît et l’encaisse se relève à 431 millions de francs en juin 1861. Là il s’arrête sans suivre le mouvement ascensionnel qui, en Angleterre, se prolonge jusqu’en juillet 1862.
110Ces mouvements étaient en relation étroite avec ceux des escomptes qui, à ce moment (1860-1861), avaient élevé d’abord les portefeuilles de 19 à 21 millions de livres en Angleterre et de 428 à 582 millions en France, puis les avaient précipités à 16 millions £ et à 430 millions de francs, ce qui montre bien la nature de l’accident passager qui les impressionnait. Mais, tandis qu’en Angleterre, après avoir fléchi à 16 100 000 £ la reprise en 1862 ne ramène le portefeuille qu’à 21 millions £, en France, après la dépression de 582 à 430 millions de francs (1860-1861), la reprise le relève à 682 millions au moment où à Londres il reste à 17 millions £ presqu’au plus bas. La solidarité des deux marchés paraît rompue, quelle en est la cause ?
111Il est facile de la signaler, nous y faisions allusion en parlant de la monnaie sous le régime du double étalon.
112L’abondance de la production des mines d’or avait presque fait disparaître la prime de ce métal et aussitôt l’argent l’avait reprise et reprise d’une manière d’autant plus vive que les besoins étaient pressants et nouveaux. Par suite du blocus du marché américain il y avait des remises à faire en Orient, à des pays n’ayant qu’une circulation d’argent, ce qui ne s’était jamais présenté. Cette prime sur l’argent variait alors de 15 à 26 francs pour 1 000 francs (1860-1862). En 1860, au début de la guerre, pendant le drainage des réserves métalliques des deux Banques de France et d’Angleterre, pour répondre aux demandes précipitées des États-Unis, alors que la prime varie de 15 à 25 francs, en France l’encaisse total baisse de 549 à 411 millions de francs (janvier-novembre), soit de 138 millions de francs. Prenons-nous l’encaisse, argent seul, la baisse s’élève à 9 millions de francs : il n’est donc sorti que 9 millions d’argent contre 129 millions d’or, puisqu’on préférait ce dernier pour régler les opérations engagées qu’on liquidait3.
113En 1861, les premiers besoins satisfaits, avec le reflux des espèces, l’encaisse totale se relève de 20 millions de francs ; grâce aux échanges conclus avec l’Angleterre et la Russie, 146 millions d’or rentraient et 132 millions d’argent sortaient, dont une partie pour les payements à faire dans l’Inde. Ce reflux continue en Angleterre jusqu’en juillet 1862, cesse en France en juin 1861 et, dans une nouvelle dépression de l’encaisse de juin à novembre (de 431 à 285 millions) soit de 146 millions, l’argent seul entre pour 103 millions de francs, la prime s’est relevée de 11 à 18 francs pour mille francs4. Comme toujours le premier semestre de 1862 est plus calme, il n’y a pas les échéances de la fin de l’année, et le reflux des espèces relève l’encaisse de 285 à 431 millions de francs, sans pouvoir cependant le maintenir et l’empêcher de s’abaisser à 285 millions en novembre. On sent qu’il y a une lutte violente pour prendre et pour retenir l’argent ; pendant les quatre semestres, de 1860 à 1863, nous voyons apparaître et disparaître aux mêmes époques les mêmes chiffres maxima et minima : 431, 285 en 1861 ; 431, 285 en 1862. Notons qu’en 1862 le retour et le départ de l’argent, malgré la tension de la prime de 17 à 26 francs, ne joue plus qu’un rôle secondaire dans les mouvements de l’encaisse, de 55 millions pendant le reflux du premier semestre et de 11 millions seulement pendant le flux du second, quoique la prime ait été portée à 26 francs, quoiqu’en Angleterre l’encaisse ait baissé de 18,4 à 14,8 £, en France de 431 à 285 millions de francs, le taux de l’escompte à 3 p. 100, les cours du change à 25 fr. 10. Les chiffres seuls, sans parler des efforts de la Banque pour le retenir, nous montrent bien que l’argent ne joue plus le même rôle ; il y a des besoins, on recherche le métal, l’argent surtout à cause de sa prime avantageuse à l’extérieur, pour solder les achats de coton, mais il n’y a pas une liquidation immédiate et forcée à laquelle il faut faire honneur. Il faut payer sans doute, on paye en or et alors l’encaisse de la Banque d’Angleterre baisse comme celui de la Banque de France ; déjà on est parvenu à faire accepter des produits par les nouveaux pays d’Orient qui fournissent le coton à l’Europe, la période prospère poursuit son cours dans les conditions ordinaires, en relevant chaque année la somme des escomptes et en abaissant le niveau des réserves métalliques jusqu’en 1864, où la véritable crise éclate. On entre aussitôt dans la période de liquidation en France, tandis qu’en Angleterre, s’efforçant de maintenir l’équilibre des prix, on essaye même de repartir pour échouer misérablement en 1866 ; depuis ce moment la liquidation suit régulièrement son cours dans les deux pays.
114Les embarras de 1860-1861, au début de la guerre de la sécession, sont le premier contrecoup que reçoit l’Europe, c’est un accident, ce n’est pas une crise commerciale ; la présence des deux métaux sous le régime du double étalon a compliqué la situation, c’était une crise monétaire qui troublait la marche de la période sans cependant pouvoir en intervertir l’ordre.
115Pour défendre son encaisse, la Banque de France cherche tous les moyens de se débarrasser de son argent et de le remplacer par de l’or. Elle échange 50 millions d’argent pour 50 millions d’or avec la Banque d’Angleterre. En novembre 1860, la Russie lui offre un nouvel échange de 30 millions d’or pour 30 millions d’argent, l’opération est conclue le 17 janvier 1861. En juillet, l’escompte toujours maintenu à 6 p. 100 à Londres, elle échange encore 6 millions d’argent contre 6 millions d’or à la Banque d’Italie, au moment où les embarras, diminuant en Angleterre, augmentent en France, par suite du déficit de la récolte qui entraîne une importation de 325 millions de francs de céréales.
116Le marché de Paris devait à celui de Londres une partie de cette somme et pour faciliter l’acquittement de cette dette, la Banque de France autorise une circulation de 50 millions de traites sur Londres contre garantie de 50 millions en rentes. Cette opération n’avait relevé l’encaisse que de 310 à 322 millions de francs ; elle met en report et livre, fin septembre, 28 millions de rentes, ce qui n’empêchait pas son niveau de s’abaisser à 285 millions de francs à la fin de l’année ; tous ces efforts, pour sauvegarder l’encaisse furent impuissants ; on ne lutte pas par ces moyens contre de pareils courants. Du reste l’activité des affaires était telle que cette secousse ne l’arrêta pas, toute l’Europe y prenait part, la France, l’Angleterre en tête, suivies par l’Italie, l’Espagne et la Turquie.
117Sur le tableau des bilans, nous voyons depuis 1858 la somme des escomptes s’élever chaque année dans les deux colonnes des maxima et des minima de 348 à 791 millions de francs, pendant que l’encaisse s’abaisse de 646 à 151 millions et la circulation de 869 à 720. Le minimum des comptes courants ne se rencontre pas au moment le plus critique, en janvier ; alors que l’encaisse est à son minimum, les comptes courants s’élèvent encore à 159 millions de francs, c’est dans le second semestre, en septembre, quand l’encaisse s’est déjà relevée à 276 millions, que l’on note cette dépression.
118Il y eut surtout en 1864 deux moments critiques comme en Angleterre, dans le mois de janvier et dans le dernier trimestre. Tous les deux sous l’influence de causes bien différentes : le premier, la véritable crise, sévit dans le mois de janvier, ce fut la fin et l’arrêt de la hausse des prix ; le second eut lieu au début de la baisse des prix, en prévision du rétablissement de la paix aux États-Unis.
119La solidarité et la simultanéité de ces accidents est donc complète dans les deux pays, comme pour les bilans des Banques, dont les encaisses ont toujours été attaqués, quoique les cours du change sur Londres aient à peine dépassé le taux au-dessus duquel il y a avantage à exporter de l’or (25 fr. 30). Ce drainage persistant a obligé la Banque de France à faire toute l’année des achats d’or ; rien ne prouve mieux qu’en se tenant à 2 p. 100 au-dessous du taux de l’escompte officiel à Londres elle ne protégeait pas suffisamment son encaisse.
120Le tableau ci-joint donne bien une idée de l’intensité des besoins.
Achats d’or par la Banque de France

121Dès la fin de l’année l’encaisse s’était relevée de 151 à 367 millions ; l’escompte abaissé à 4 1/2 p. 100, on entrait dans la période de liquidation, légèrement troublée par le krach de 1866 en Angleterre qui ramène pour les escomptes le chiffre de 781 millions de francs sans que les cours des changes indiquent aucun embarras en mai, l’escompte à 10 p. 100 à Londres. On cotait alors 25 francs la livre sterling au lieu de 25 fr. 40, en 1864, ce qui prouvait que l’Angleterre était débitrice en France, aussi l’encaisse au lieu d’être déprimée se relevait toujours de 151 à 748 millions de francs ; la liquidation continuait régulièrement en France, tandis que l’Angleterre éprouvait les dernières convulsions de la crise avant d’y entrer aussi.
122En 1868 cette liquidation était terminée en France, comme on peut le constater sur le tableau des bilans et sur le tableau des escomptes et des affaires placé en tête de ce chapitre.
123Le portefeuille de 791 millions se trouve réduit à 387 millions (1864-1868). Le total annuel des escomptes tombe de 2 800 à 2 100 millions de francs, et le total des affaires de 8 200 à 7 100 millions de francs. On repartait en 1869, quand la guerre de 1870 vint tout suspendre5.
Crise de 1873

124La liquidation de la crise de 1864 avait mis quatre années pour arriver à son terme en 1868. Le portefeuille de 791 millions s’était vidé jusqu’à être réduit à 387 millions francs ; l’encaisse s’était aussitôt relevée de 151 à 1 314 millions francs (1864-1868); la circulation des billets avec le reflux des espèces avait suivi le mouvement de 720 à 1,439 millions francs, avant même qu’on eût recours à la suspension des payements. On entrait à pleine voile dans la période prospère, quand la guerre de 1870 a tout arrêté en France, tandis que le mouvement continuait dans les autres pays, comme la crise de 1873 nous le montrera. Tout était prêt pour répartir, on était liquidé, le capital était abondant ; un accident de la politique a tout suspendu et précipité notre pays dans des aventures dont il n’est pas sorti, mais qui, au point de vue économique, lui ont permis de montrer une vigueur, un ressort qu’on ne soupçonnait pas, et n’ont fait que retarder le développement de sa richesse, sans lui porter une profonde atteinte, comme s’y attendait le vainqueur.
125Nous traversons une crise politique, mais ce n’est pas une crise commerciale. Suivons, les bilans en main, l’influence de la succession des événements sur les affaires. Depuis 1868 le mouvement de reprise se faisait sentir, le portefeuille s’était déjà relevé de 387 à 697 millions francs en 1869, quand la guerre éclate tout à coup en juillet 1870, par suite d’un futile incident qui servit de prétexte. On était plein d’espoir dans le succès de nos armes, nos premiers revers vinrent jeter le découragement dans les esprits ; les mesures militaires et financières à prendre dans un moment aussi grave manquaient de direction, le commerce inquiet s’en aperçoit et, avec une grande et rapide décision, n’hésite pas à se liquider avant Sedan. Pour parer aux embarras qu’il prévoit, il veut avoir des réserves disponibles, et, en présence de la suspension des payements à la Banque et du cours forcé (12 août), il s’empresse de lui faire escompter tous ses effets, ce qui porte le portefeuille à 1.380 millions de francs le 31 août, soit de 822 millions de francs au-dessus du mois de juin. Pour faire face à cette augmentation, la Banque ne porte que 113 millions de francs aux comptes courants, mais on lui réclame du comptant et, par suite de ses payements, elle voit son encaisse baisser de 468 millions et sa circulation des billets s’accroître de 376 millions de francs.
126Paris fermé par le blocus, privé des communications avec la province, tout le mouvement commercial fut arrêté ; la plupart des effets escomptés impayés, il fallut proroger les échéances, retirés du portefeuille ces effets en souffrance le firent tomber à 524 millions en décembre 1870. La Banque avait pris à sa charge la liquidation des affaires ; elle s’en tira à son honneur avec le temps et une perte de 437,000 francs sur 1,065,000,000 francs d’effets prorogés !
127Ces premiers secours fournis au commerce, il fallut venir en aide au Trésor ; l’emprunt du mois d’août était déjà absorbé et en outre, du 10 juillet au 22 janvier 1871, la Banque avait prêté au Trésor 875 millions de francs. On cherchait quelle combinaison adopter pour prolonger ces secours ; mettre en circulation un papier d’État dans un pareil moment parut bien téméraire ; on préféra le dissimuler derrière le billet bien connu de la Banque, qui intervenait dans tous les échanges et avait pénétré partout, en lui demandant d’escompter des bons du Trésor sur une plus grande échelle que d’habitude ; ce qui explique comment, malgré la suspension des affaires nous voyons, à partir de 1870, le portefeuille de la Banque grossir chaque année et s’élever à 1 945 millions en 1871, 2 552 en 1872 et enfin à 2 578 millions de francs en 1873, l’année de la crise. Cette somme escomptée n’est pas exclusivement composée d’effets de commerce, les bons du Trésor escomptés y entrent pour la plus grosse part, 1 298 contre 1 280 millions de francs, c’est la conséquence des besoins qui ont suivi la souscription aux emprunts des cinq milliards pour les payements de l’indemnité de guerre et d’une légère reprise des affaires qui se faisait déjà sentir, entraîné qu’on était par les hauts prix cotés sur tous les grands marchés du monde. La crise éclate violente en Allemagne, en Autriche surtout, où la spéculation s’était réfugiée, et aux États-Unis. La France fut épargnée alors, parce qu’elle sortait d’une liquidation prématurée qui lui avait été imposée par la déclaration de guerre en 1870, mais néanmoins, elle reprit sa place dans la liquidation générale qui suivit cette crise, dernier terme de la hausse des prix depuis 1851. Cette liquidation, comme toutes les autres, se reconnaît à la baisse des prix, à la baisse de la somme des escomptes, du total des affaires, et simultanément à la reconstitution des réserves métalliques et à la hausse de l’encaisse ; de ces divers articles nous touchons les minima des premiers et le maximum du second.
128Sur les bilans le portefeuille entre de suite dans la période descendante, dès 1874, de 2 578 millions de francs, il a déjà fléchi à 1 485 millions, le mouvement s’accuse en 1875, il se précipite en 1876 à 705 millions et le portefeuille commercial touche le premier son chiffre minimum, 335 millions de francs. Le Trésor n’est pas encore liquidé, mais en 1879 toutes les avances ont été remboursées, et nous nous retrouvons en présence d’un portefeuille commercial qui s’élève à 373 millions de francs, il y a déjà un mouvement qui se dessine par rapport à 1876. La liquidation est complète, une nouvelle période de prospérité et par conséquent de hausse de prix va s’ouvrir.
129Le total annuel des escomptes nous donne bien la même succession de chiffres qui peignent la situation : le premier maximum, 2 900 millions de francs, atteint en 1869, suivi de la réaction en 1871, 1 300 millions, puis nouveau maximum en 1873, 4 300 millions de francs, sous l’influence des demandes du Trésor et du commerce et enfin liquidation opérée dès 1876, 2 500 millions de francs, par le commerce seul, avant celle du Trésor.
130Il en a été ainsi du total des affaires, mais ici il n’y a pas même eu un léger arrêt en 1870, le mouvement ascendant a continué depuis la liquidation de la dernière crise en 1868 jusqu’en 1873 : de 7 100 millions à 16 700 millions de francs. La liquidation se fait enfin sentir, et, fléchissant chaque année, le total des affaires tombe de 16 700 millions de francs à 8 600 millions de francs en 1879 ; la liquidation est complète, le chiffre minimum des escomptes est confirmé par celui des affaires, et les autres articles des bilans marchent d’accord.
131L’encaisse s’est relevée de 398 millions de francs à 2 281 (1871-1877) ; la circulation seule des billets qui pour des besoins spéciaux (payement de l’indemnité de la guerre) avait été artificiellement portée à 3 071 millions, fléchit de un milliard, à 2 101 millions de francs (1873-1879). Les comptes courants de 141 millions de francs, dernier minimum observé en 1873, se sont relevés à 695 millions de francs en 1877, dépassant tous les maxima observés jusqu’ici, sauf ceux notés au moment de la souscription aux emprunts de 2 et de 3 milliards en 1871-72, quand le premier versement de la souscription est, par un simple virement, porté des comptes des particuliers au compte du Trésor, tout l’excédent faisant de suite retour aux comptes d’où on l’avait déplacé.
132Joignons-nous les variations du taux de l’escompte et des cours du change, elles confirment ce qui précède.
133Le taux de l’escompte, comme conséquence de la suspension des payements, fut maintenu à 6 p. 100 d’août 1870 à juillet 1871, à ce moment il avait été abaissé à 5 p. 100, alors qu’en Angleterre il ne dépassait pas 2 p. 100 ; là, après des alternatives de 3 p. 100 et de 7 p. 100 en 1872, il atteint 9 p. 100 en 1873, 7 p. 100 en France, puis sur les deux places il est réduit à 3 1/2 et à 4 p. 100 dans le premier trimestre de 1874.
134Les cours du change sur Londres, en 1870 au mois d’août, varient de 25 fr. 12 à 25 fr. 25 ; après nos premiers revers, ils s’élèvent à 25 fr. 45, 25 fr. 60 en septembre.
135La cote est silencieuse pendant le blocus, nous ne la retrouvons qu’en mars 1871, et alors, malgré la suspension des payements, malgré l’accroissement de la circulation des billets de plus d’un milliard, les cours oscillent de 25 fr. 26 à 25 fr. 47, ce n’est qu’au moment des premiers versements de l’indemnité de guerre à l’Allemagne que nous voyons tout à coup les cours s’élever à 26 fr. 12, pendant les mois d’octobre et de novembre 1874. Ce haut cours de la livre sterling tenait à une maladresse du Trésor. Pour se procurer les traites nécessaires aux payements à faire à Berlin, il avait pensé pouvoir lui-même les acheter par ses agents sur le marché.
136Devenu acheteur officiel, il fut aussitôt visé et on lui fit payer cher son intervention directe. Il comprit son erreur, chargea un syndicat de banquiers de lui procurer le papier de change dont il avait besoin, et ce syndicat, par ses relations opérant sur toutes les places du monde, sans bruit, sous le couvert de l’anonymat, abaissa dès le mois de mars 1872 les cours à 25 fr. 25 ; s’ils remontèrent à 25 fr. 75, c’est dans les moments où l’on voulait faire face à une échéance, en temps ordinaire ils variaient de 25 fr. 35 à 25 fr. 47.
137En 1873, au moment le plus aigu de la crise, en mai, juin et juillet, les cours varient de 25 fr. 39 à 25 fr. 59, dès la fin de l’année ils étaient réduits à 25 fr. 29 ; pendant la liquidation, en 1874 et 1875 ils ne dépassèrent pas 25 fr. 25, tombant souvent à 25 fr. 11. Jusqu’en 1874 l’encaisse avait été protégée par la suspension des payements en espèces ; le crédit de la France, manifeste aux yeux de tous par la puissance de l’amortissement, faisait le reste et maintenait au pair les billets. Émis au chiffre que l’on a vu, ils suffisaient à peine aux besoins de la circulation par suite de l’emploi momentané des espèces pour les payements que nous avions à faire au dehors, en attendant qu’elles nous revinssent dans les mêmes boîtes qui avaient servi à les expédier, ce qui ne tarda pas.
Crise de 1882

138Le tableau des mouvements des escomptes sur les bilans, de leur total annuel et du total des affaires, nous offre les mêmes séries croissantes et décroissantes que dans les crises précédentes. Nous retrouvons toujours le chiffre minimum qui marque la fin de la liquidation de la crise précédente, 373 millions de francs en 1879, le chiffre maximum, indicateur de l’année où éclate la crise, 1 724 millions de francs en 1882 et enfin nous retrouvons de nouveau le chiffre minimum de la liquidation, 413 millions de francs en 1886. Dès l’année suivante la baisse est arrêtée, la reprise se manifeste et le minimum des escomptes sur les bilans s’élève déjà à 430 millions de francs, le total annuel de 3 810 millions de francs s’élève aussi à 3 860, le total seul des affaires de 12 milliards fléchit encore à 11 500 millions. La reprise des escomptes sur les bilans et sur le total des affaires, quoique faible, montre bien que le mouvement décroissant est arrêté et que le mouvement croissant va reparaître. Le chiffre de 413 millions de francs est un peu supérieur, de 40 millions de francs, aux chiffres minima observés dans les liquidations des périodes précédentes ; 373 millions en 1879, 387 millions en 1868, 348 millions en 1858 ; on oscille autour des mêmes chiffres. Si l’on tient compte du mouvement d’affaires qui de 5 600 millions de francs s’est élevé à plus de 14 milliards (1858-1882), il n’y a pas lieu de s’étonner de ce faible écart, et s’il y a une surprise, c’est qu’il soit si faible. D’où l’on peut conclure que quand le portefeuille de la Banque se trouve réduit à cette faible somme on est à la veille de la reprise des affaires.
139L’observation de l’encaisse, de la circulation des billets et des comptes courants vient confirmer cette appréciation. Pendant que la somme des escomptes s’abaisse d’un mouvement régulier et continu de 1 724 millions de francs à 413 (1882-1886), l’encaisse se relève avec le reflux des métaux précieux de 1 750 millions de francs à 2 525 (1881-1886). Le maximum de la circulation des billets avait été atteint dès 1884, après la crise, sous l’influence d’une grosse opération de trésorerie dont nous parlerons aux comptes courants, même avant que le maximum de l’encaisse ait été touché. Ce haut chiffre de 3 162 millions de francs, supérieur à celui observé pendant la guerre (3 071), ne persiste pas ; depuis ce moment il fléchit chaque année avec le ralentissement des affaires et en 1887, quand le portefeuille est réduit à 430 millions, la circulation des billets ne dépasse pas 2 551 millions de francs. Les comptes courants du public ont pris un grand développement en rapport avec l’importance des affaires : de 141 millions de francs en 1873 ils se relèvent, comme toujours après la liquidation de la crise, à 695 millions en 1877, et avec la reprise des affaires fléchissent à 321 millions de francs (1880). Pour aider la souscription de l’emprunt de un milliard en 3 p. 100 amortissable en 1881, ils se relèvent un instant à 765 millions de francs en mars, pour retomber à 366 à la fin de l’année en septembre, puis, au moment le plus aigu de la crise, pendant la liquidation de février, ils atteignent tout à coup un chiffre inconnu jusqu’ici, 1 004 millions de francs !
140C’est au moment le plus critique, alors que l’on cherche partout aide et assistance pour passer cette liquidation, que, le jour même des payements, le total des comptes courants est créditeur de pareille somme. Partout on avait répondu aux demandes et cette somme permit de répondre à tous les besoins, mais dès la fin de l’année elle était réduite à 341 millions de francs. Bien loin de baisser au moment des embarras, selon la théorie de Ch. Coquelin, les dépôts en comptes courants présentent leur chiffre maximum.
141En 1884 nouvelle reprise des comptes courants à 476 millions de francs en février, au moment de l’émission de l’emprunt de 350 millions en 3 p. 100 amortissable. Pendant la liquidation et le ralentissement des affaires, en l’absence de la matière escomptable, ils s’abaissent à 288 millions (1885), mais, dès l’année suivante, un emprunt de 500 millions en 3 p. 100 relève, le jour de la souscription publique, le solde créditeur des comptes courants à 1 461 millions de francs et, par suite d’un virement, celui du Trésor presque au même chiffre, 1 451 millions de francs. La similitude des deux sommes, bien éphémère il est vrai, notée un moment sur les comptes courants du public et du Trésor, nous indique bien le mécanisme du virement qui porte le crédit alternativement de l’un à l’autre. Cette accumulation, ce déplacement passager du capital ne durent pas, bientôt remboursé par la Banque, qui en a fourni une grosse part, il ramène les comptes courants du public à 287 millions et ceux du Trésor à 134 en 1887.
142Sans tenir compte de la cherté des reports à la fin de l’année 1881, le taux de l’escompte avait été maintenu à 3 1/2 p. 100 jusqu’au 25 août, où il fut porté à 4 p. 100 en France et en Angleterre. Le 6 octobre la Banque d’Angleterre le porte à 5 p. 100 et la Banque de France l’imite le 20 du même mois. La crise éclate en janvier 1882 sans qu’on y apporte aucune modification, quoiqu’en Angleterre, dès qu’on vit la gravité des embarras à la Bourse de Paris, on l’ait porté à 6 p. 100 le 30 janvier, au moment où, pour obtenir des secours, on se tournait vers la Banque. La panique passée, dès le 23 février on l’abaissait à 5 p. 100 à Londres et à 4 1/2 p. 100 à Paris.
143Le trouble des affaires était surtout sensible à la Bourse, ailleurs la situation commerciale n’était pas mal engagée, comme l’indiquaient les cours des changes sur Londres, qui variaient alors de 25 fr. 15 à 25 fr. 22.
144La reprise des affaires avait eu lieu en 1876, mais tant que le Trésor n’eut pas remboursé toutes les avances que la Banque lui avait faites, elle n’avait pas un grand développement ; les prix étaient toujours faibles, il fallait que les bas cours fussent cotés pour que le mouvement ascendant se dessinât. Partout on voyait bientôt éclore des affaires, avec une telle ardeur du public, que ce n’était pas seulement des émissions au pair mais des émissions avec primes qu’une publicité exagérée faisait pénétrer jusque dans les moindres villages. Les sociétés de commerce, de finance, de crédit, d’assurance, de Banque d’émissions remplissaient les journaux de leurs annonces ; nous citerons : le crédit général français, la banque de Lyon et de la Loire, l’Union générale, les banques des pays autrichiens, hongrois, les sociétés immobilières. Tout marchait à souhait, les actions à peine émises avec prime, les souscripteurs voyaient cette dernière s’élever chaque jour, ce qui attirait de nouveaux preneurs. On ne règle plus ses dépenses sur ses revenus, mais sur les accroissements de son capital d’après les cours cotés.
145Le goût des dépenses se répand, le luxe gagne toutes les classes de la nation, les assemblées grandes et petites qui les représentent sont entraînées dans le même mouvement. En présence des plus-values du budget et des promesses de subventions, ces assemblées se lancent, séduites par le plan Freycinet, dans des travaux publics, utiles sans doute, mais exagérés et au-dessus de leurs ressources disponibles. On emprunte pour exécuter des travaux qui ne payeront pas : chemins de fer, chemins vicinaux, ports de mer, bâtiments scolaires. On emprunte sous toutes les formes, à court terme en obligations sexennaires, à long terme en 3 p. 100 amortissable, tout se place avec facilité ; pendant trois ans tout marche à souhait, mais dès 1881 les embarras se manifestent par l’élévation du taux des reports sur les valeurs en spéculation. La Banque de France voyait son encaisse baisser ; pour la défendre et ne pas payer en or à bureau ouvert, elle a recours à de misérables artifices ; elle offre des pièces légères et fait payer une prime sur les lingots, quand on en demande, afin de ne pas hausser le taux de l’escompte et de dissimuler la situation au public, jusqu’au moment où la crise éclate à sa grande surprise, comme nous le verrons en rendant compte des opinions de la presse.
146La ville de Lyon fut plus éprouvée que Paris, les opérations de jeu ayant été encouragées par les facilités que leur offraient les agents de change. Tout le parquet de la Bourse suspendit ses payements et réclama à la Banque de France un secours de 100 millions, garanti par des valeurs étrangères de second ordre qu’elle ne reçoit pas d’ordinaire comme nantissement, secours qui fut accordé.
147Le parquet de Paris demanda 80 millions qui lui furent aussi d’un grand secours, garantis qu’ils étaient par un syndicat de banquiers. Ainsi soutenue à Paris et à Lyon, la liquidation put marcher sans éprouver les désastres que l’on redoutait. Sauf les valeurs compromises et dont la liquidation était inévitable, la réaction fut plus rapide qu’on ne l’espérait.
148La crise de 1882 a débuté et surtout porté sur les valeurs de Bourse, ce qui nous montre tous les changements qui ont eu lieu dans le mécanisme des échanges.
149Autrefois les spéculations sur les marchandises étaient la grande cause des crises. À un moment donné, dans l’impossibilité de satisfaire à ses engagements, aux traites que l’on tire sur lui, les hauts prix ayant ralenti, suspendu même les échanges, le négociant avait recours par l’escompte d’abord au crédit de la Banque, puis par son compte courant aux espèces, au métal pris dans l’encaisse pour remplacer la livraison des produits qui restaient en magasin ou en entrepôt. La Banque pour se défendre élevait le taux de l’escompte et la suspension des payements de quelque grosse maison donnait le signal de la panique et de la crise.
150Aujourd’hui la spéculation s’est encore agrandie ; aux matières premières, aux produits fabriqués, on a ajouté les titres négociés dans les bourses sur les diverses places, de là une confusion beaucoup plus grande dans les embarras, par suite du chiffre toujours croissant des émissions qui atteignent leur chiffre maximum à la veille ou l’année même de la crise.
151Si l’on groupe par la pensée les emprunts d’État, les actions, les obligations de chemins de fer, on constatera que leur importation ou leur exportation dépasse en valeur toutes les autres marchandises, même en y comprenant le numéraire.
152Le titre et le numéraire sont les deux articles dont l’importation et l’exportation sont les plus faciles, de plus le titre permet des arbitrages. Si le taux de l’intérêt est plus variable aujourd’hui qu’autrefois, c’est qu’il y a 25 ans le commerce international des titres n’existait pour ainsi dire pas. Il y aura donc une grande variabilité du taux de l’intérêt, avec une grande solidarité des divers marchés financiers, c’est ce que nous pouvons suivre aujourd’hui dans tous les accidents de la crise de 1882 en France et sur tous les marchés du monde.
153Un des principaux caractères de la crise de 1882, c’est, en présence des hauts prix, la répugnance de l’argent à s’employer en valeur de Bourse ; il s’offre encore en report, mais ne veut pas s’immobiliser. Au mois de janvier, au début, l’ébranlement était localisé, il y avait bien un cataclysme dans les bourses de Paris, de Lyon et de Vienne, mais le calme régnait encore à Londres, à New York, à Berlin, à Amsterdam, à Bruxelles, et on se demandait ce qu’était devenue la solidarité des marchés ?
154La crise n’a d’abord frappé que les titres dont la capitalisation avait été faussée par la spéculation. La chute de l’Union Générale ne fut qu’un simple incident de la crise ; cette chute fut provoquée par le gouvernement qui fit demander par le parquet la déclaration de la faillite sans même connaître la situation. Pendant qu’à Lyon le tribunal refusait de prononcer la faillite des agents de change, à Paris sans l’intervention des tiers on s’empressait de la faire déclarer.
155Cet épisode, accompagné de l’énorme baisse des prix, a frappé le public et a effacé tout le reste. À côté de cette société, combien d’autres dont le but était de simples spéculations de bourse se sont effondrées ! Aussitôt que les prix eurent abandonné les hauteurs de fantaisie auxquels [sic] on les maintenait, l’argent commença à s’employer au comptant. La bourse de Paris soulagée respirait, quand la bourse de Vienne, compromise par sa participation dans les affaires de l’Union Générale, fut ébranlée à son tour, sans vouloir et sans pouvoir venir à son secours. Nous suivons l’extension de la crise, elle gagne peu à peu ; quoique l’explosion n’ait eu lieu qu’à Paris, elle aura lieu plus tard à New York, mais dès 1882 nous constatons l’arrêt de la hausse des prix et le début de la baisse, comme toujours, c’était la fin d’une période de hausse et le début d’une liquidation pendant laquelle dans le monde entier, comme dans les crises précédentes, les prix des plus hauts allaient être précipités aux plus bas cours. On recherchait quelle était la cause de cet accident et on l’attribuait aux souffrances de l’agriculture. En Belgique on ne se préoccupait pas de la crise agricole, mais de la crise de la Bourse et de la Banque et surtout de la crise du fer et du charbon.
156En France M. L. Say lui assignait quatre causes : 1o le payement de l’indemnité de guerre ; 2o la perte sur les récoltes ; 3o la difficulté de transformer les cultures ; 4o la perte des économies à la suite de spéculations malheureuses provoquées par les banques.
157L’indemnité de guerre, la perte des récoltes ne touchaient pas la Belgique. La prospérité de l’Allemagne avant la crise tenait à l’indemnité de guerre, et le déplacement de cet énorme capital a retenti sur le reste du monde qui y avait pris part indirectement en fournissant les lettres de change, les traites pour permettre de mobiliser, de transporter et de concentrer tout à coup une masse de capital, comme on n’en avait jamais vu, entre les mains des vainqueurs. Ce détournement artificiel ne pouvait durer, une partie retourna bientôt où on l’avait pris, liant des relations avec des pays qui ne se trouvaient pas jusqu’ici dans le grand mouvement commercial. Telle a été la principale cause de la grande prospérité après la guerre, malgré la crise de 1873 qui liquidait la période antérieure et permettait seulement de prendre haleine.
158Avec la reprise des affaires en 1876, le développement de la richesse et la concentration de la population, la spéculation reprit sur les terrains et sur les immeubles ; on construisait partout, la hausse des locations encourageait dans cette voie. Les emprunts du Crédit foncier qui ne dépassaient pas 50 millions en moyenne en 1879, s’élevèrent à 219 millions en 1880 et 278 en 1881, ce qui lui suscita la concurrence de la Banque hypothécaire. Toute cette activité spéculative a été suspendue par l’arrêt de la hausse des prix en janvier 1882.
159Comme toujours, comme c’est inévitable, le public ne fait que suivre le chemin qu’on lui indique. Toutes ces spéculations étaient tenues et dirigées par des syndicats qui conservaient le principal stock des valeurs et faisaient les cours en hausse. Quand il leur a été impossible de les maintenir, il a fallu livrer les titres en baisse ; après le krach de janvier toute une série de valeurs a été visée, les offres ne trouvant aucun secours dans les produits de l’épargne et de la spéculation qui avaient disparu.
160S’il était nécessaire de prouver la généralité de la crise et la solidarité des marchés, il suffirait de jeter un coup d’œil sur les comptes rendus de trente des principales banques de l’Europe et de constater que leur capital, au chiffre de plus de deux milliards, a subi une dépréciation de 410 millions, soit près de 20 p. 100 ; suit-on leurs cours en baisse, la dépression est supérieure aux pertes qu’elles ont éprouvées, la mauvaise impression s’est étendue même à celles qui étaient en dehors du rayon des spéculations de Bourse.
161Après une crise la confiance se change en méfiance, sans bornes dans les deux cas. Alors l’appréciation du public sur les banques n’est plus la même, il estime plus ce qu’elles gagnent que ce qu’elles possèdent ; selon les perspectives d’affaires ou de stagnation la capitalisation est différente, la baisse du titre est la conséquence de l’absence de probabilité de gains nouveaux.
162La grande difficulté, à la veille des embarras, c’est de prévoir ce que l’on redoute, quand on a l’esprit assez ouvert pour pressentir le danger.
163Il sera donc instructif de jeter un regard rétrospectif sur la presse en France et à l’étranger, pour voir ce qu’elle pensait à la vieille des événements qui allaient se dérouler sous ses yeux.
164Prenons-nous les journaux les plus sérieux et les plus indépendants, en dehors de toute spéculation, l’Économiste anglais, l’Économiste français, le Moniteur des intérêts matériels. Qu’y lisons-nous dans les derniers mois de 1881 ?
165Dans l’Économiste anglais on sentait la recherche du capital, la faible quantité disponible et par conséquent on annonçait la persistance de la hausse de l’escompte. — Quoique l’or fût pris pour New York, on ne prévoyait aucun changement notable dans l’état du marché pendant les premières semaines du mois de janvier 1882. Malgré les énormes bénéfices réalisés à New York par les exportations en 1880 et par les remboursements de la dette, on voyait un marché serré et étroit, mais sans étranglement. — Le capital ainsi soutiré à l’Europe était employé à construire des chemins de fer aux États-Unis.
166Cependant les négociants, habitués à tourner leurs regards vers le passé pour juger de l’avenir, trouvaient une grande analogie dans la situation actuelle et celle qui avait précédé la crise de 1857. Ils remarquaient dans ces deux époques une répétition d’accidents que l’histoire ne donne pas toujours avec une pareille exactitude et ils recommandaient la prudence en présence d’un relèvement si rapide des affaires après une longue dépression.
167En France M. L. Say remarquait que la spéculation sur les valeurs de bourse faisait rechercher le capital à tout prix pour maintenir les cours, mais à la moindre hausse du taux de l’escompte à Londres, il se détournait de cet emploi et l’effet s’en faisait bientôt sentir.
168L’Économiste français pensait que l’on avait affaire à une crise monétaire, parce que l’or allait aux États-Unis. Cette crise devait être chronique ; les États-Unis avaient besoin d’un instrument monétaire, il fallait leur céder de l’or. La hausse des valeurs n’a aucune action sur ces embarras monétaires, on ne saurait donc craindre un effondrement à la Bourse de Paris. Cette hausse s’explique naturellement par la puissance de l’épargne, par la diminution des entreprises productives dans le vieux monde, par la diminution du taux de l’intérêt, malgré la hausse des reports. En l’absence d’événements politiques le marché résistera. Il n’y a pas de crise économique, mais de simples embarras monétaires qui ne feront pas revenir de trois ou quatre ans en arrière le taux de capitalisation des valeurs. Aucun cataclysme n’est à redouter à Vienne et à Berlin, comme en 1873 ; à New York ce qu’on peut craindre, c’est de ne pas revoir de longtemps le bas taux de l’escompte ; il faut s’attendre, pendant plusieurs années, à le voir assez élevé, oscillant de 4 à 6 p. 100.
169Pour M. Max. Wirth aucun des éléments d’une crise n’existe en dehors de l’agiotage à Paris et à Lyon. Le capital international est abondant ; la hausse du taux de l’escompte en 1881 est due aux sorties de l’or pour l’Amérique et à l’emprunt italien. En dehors de la bourse le prix des choses n’a pas haussé dans de fortes proportions ; au contraire les valeurs de bourse auraient dû baisser si l’on était à la veille d’une crise commerciale (ce qui est contraire à l’observation, la baisse des prix n’ayant jamais lieu avant, mais après l’explosion des crises).
Pour Max. Wirth, s’il n’y avait pas eu de hausse, il constatait néanmoins les hauts cours cotés et, tout en reconnaissant qu’ils ne pouvaient se maintenir, il ne voulait pas admettre une réaction. Il insistait sur l’absence des caractères d’une crise commerciale, quoiqu’aucun ne manquât au tableau. Dans aucun cas pour lui une crise commerciale n’était à craindre.
170Au mois de janvier 1882 le Moniteur des intérêts matériels se demandait si la hausse durerait toujours, et il répondait qu’elle pouvait durer encore ; dans tous les cas la rente ne serait pas compromise, il n’y aurait que les valeurs ; s’il y avait danger, pour le conjurer il n’y aurait qu’à le vouloir. On approchait donc du moment fatal sans inquiétude, sans même se rendre compte du danger.
171La crise éclate et alors la déroute est générale, les engagements sont tels qu’on ne sait plus comment on pourra y faire face. La crise, à peine apparue, s’étend à tout le marché et à toutes les valeurs ; les cours se dérobent et on se demande quelles seront les différences à payer en liquidation du 15 janvier.
172Elle était à peine passée que les agents de change à la Bourse de Paris veulent opérer une liquidation forcée, l’argent s’offrant encore en report, mais ne voulant pas acheter ferme.
173Tout ce trouble, ces ébranlements intérieurs ne s’étaient pas communiqués au dehors ; la crise était encore localisée, à ce point que l’on mettait en doute la solidarité des marchés. L’explosion avait eu lieu à Paris et à Vienne, mais on ne signalait encore aucune trace de l’orage à Londres, à Berlin, à Bruxelles, à Amsterdam.
174À Paris, c’était d’abord une crise de titres dont la capitalisation avait été faussée ; en un mot, après une longue série de hausse de prix, on était arrivé au dernier point auquel on ne trouvait plus de preneurs. Pour atteindre ces hauts cours, banquiers, sociétés de crédit, syndicats, tout avait été mis en œuvre ; une grande partie des émissions avait été mise sur le dos du public ; mais les portefeuilles de ces sociétés étaient encore bondés de valeurs invendables, en donner la liste serait impossible ; comme toujours, on ne s’occupa que des principales, l’Union Générale en tête. Sa situation, comme celle de toutes les valeurs en spéculation, était des plus singulières ; à cheval sur deux marchés, le parquet et la coulisse, elle devait 31 millions au parquet et elle avait un compte créditeur de 110 millions à la coulisse par suite de la vente d’actions nouvelles à l’émission.
175La baisse des cours ne permettait pas de payer de pareilles différences, mais alors que devenait le parquet ? il fallait le sauver à tout prix. Les agents de change formèrent un syndicat ; leur chambre avança la somme nécessaire pour permettre à chacun de ses membres d’opérer ses payements en lui accordant des délais pour les remboursements. La perte, s’il devait y en avoir une, devait être prélevée sur la caisse commune de la corporation qui garantissait 80 millions de francs, la Banque devant les fournir pour laisser toutes les ressources disponibles.
176À Lyon la situation a été encore plus grave : ce ne sont pas les spéculateurs, ce sont les rentiers qui ont été ruinés. Le comité de secours qui s’était formé a mis un capital de 60 millions, en échange de garanties sérieuses, au service, non pas des agents, mais des personnes qui pourraient en avoir besoin.
177À la Bourse de Paris et de Lyon, le parquet avait trouvé des appuis ; la coulisse seule, livrée à elle-même, n’aurait pu résister, si quelques maisons de banque n’étaient venues à son secours. Messieurs de Rothschild, Demachy, Seillière, Heine consentirent à lui avancer 20 millions pour les reports à traiter entre eux. En cas de perte à la liquidation de février les différences jusqu’à concurrence de 90 p. 100 devaient être supportées par les banquiers et 10 p. 100 par les maisons de coulisse. Le maximum des pertes accordé à chaque maison de coulisse était limité à 25,000 francs.
178Malgré toutes ces combinaisons pour soulager la place et lui accorder du crédit, le désastre eût été beaucoup plus sensible si l’on n’eût employé un moyen violent pour sortir d’embarras. Il fallait une victime, ce fut l’Union Générale dont la faillite fut prononcée le 2 février, jour de la liquidation, à la requête du procureur de la République et non pas des créanciers.
179On fit le silence sur cette affaire, deux interpellations à la Chambre furent écartées, tout le groupe des banquiers rivaux de l’Union Générale et vendeurs à découvert à la coulisse fut ainsi sauvé et la coulisse avec eux.
180La liquidation se passa bien, les reports ne furent point élevés, il y eut même du déport sur le 3 p. 100.
181Dans toutes les crises il y a un grand nombre de maisons qui succombent, mais il y en a toujours une qui, par l’étendue du désastre, attire plus particulièrement l’attention ; en 1882, ce fut l’Union Générale. Ce n’était cependant qu’un simple épisode et, comme tous les épisodes, ce qui saisit le plus le public ; à côté de cette société combien d’autres dont le but était de simples spéculations boursières se sont effondrées !
182Un regard en arrière sur les principales opinions qui régnaient alors est toujours instructif ; parmi toutes les causes qu’on invoquait tour à tour pour expliquer la crise, crise que l’on n’avait pas prévue, il faut citer celle qui accusait la grève des capitaux. Depuis 1878, disait-on, l’argent a cessé d’acheter, il s’est fait reporteur ; puis le report s’est tendu et l’argent même a cessé de se prêter, il s’est accumulé dans les encaisses des banques tandis que le papier encombrait la Bourse.
183Admettre une pareille conclusion, c’est ne pas tenir compte des faits et attribuer aux reports un rôle supérieur à la réalité. Sans doute à l’aide de leur bas prix, ils peuvent masquer une position pour un temps, mais il faut que le comptant intervienne et, s’il se tient sur la réserve, les cours ne peuvent se maintenir.
184Les émissions n’auraient jamais pu avoir lieu sur une pareille échelle et avec une telle continuité, si le capital n’était pas intervenu, et les travaux publics et privés n’auraient pas trouvé le levier qui les a animés. Le mouvement d’affaires qui a signalé la période de 1878 à 1882, n’aurait pas eu lieu sans une hausse continue des prix, comme on peut le constater sur le tableau qu’on a vu plus haut6. Sans doute cette hausse des prix n’a pas été aussi étendue pour les matières premières et les matières fabriquées que dans les périodes précédentes, mais elle n’en est pas moins sensible ; quant aux émissions d’actions, à aucune époque les primes n’ont été aussi considérables et aussi recherchées.
185La baisse des prix pendant la liquidation de la crise de 1873 avait pris fin en 1878 ; à partir de ce moment la hausse reparaissait pour venir échouer en 1882, et c’est la place de Paris qui a été la première touchée.
186On s’étonne que l’argent ait refusé d’intervenir à la liquidation du 15 janvier 1882 ; au début de la crise il n’est pas surprenant qu’il ait hésité à s’engager. Il a attendu que la baisse fut plus profonde et qu’on eût abandonné les hauteurs auxquels [sic] on se tenait pour s’employer au comptant, ce qui empêcha le marché de sombrer, mais ce n’était que le début de la liquidation et de la baisse.
187C’est cette liquidation, à laquelle on ne voulait pas croire, qui a eu lieu et a précipité les cours des plus hauts prix aux plus bas ; aucune des prévisions émises alors ne s’est donc réalisée.
188L’observation seule du mouvement des affaires sur les bilans des banques de France et d’Angleterre nous avait permis, contrairement à tout ce qui se disait autour de nous, d’annoncer la crise deux mois avant son explosion dans une lecture à l’Académie des Sciences Morales et politiques en novembre 18817. Depuis les faits ont parlé et les quatre années de liquidation jusqu’en 1886 ont confirmé tout ce que nous avions indiqué ; la baisse a succédé à la hausse des prix et nous annoncions encore la reprise des affaires, au moment précis où elle a eu lieu, en 1886 dans l’Économiste français (6 février 1886, 12 et 9 avril 1887).
Notes de bas de page
1 1 Voir tableau des bilans.
2 Voir le tableau des Bilans.
3 Voir le tableau des bilans.
4 Change sur Londres : 1860, 25.17 ; 1861, 25.50.
5 Voir Krach de 1866 en Angleterre.
6 Voir tableau des prix, page 78.
7 Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques (1882), tableau graphique des crises commerciales.

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