Texte 50
Roberto Sarfatti
p. 413-416
Texte intégral
Le 7 février 1918, dans les colonnes du Popolo d’Italia, Mussolini rend hommage au jeune Roberto Sarfatti, fils de Margherita Sarfatti, mort au front le mois précédent. En juillet 1915, il avait fui la maison familiale pour s’enrôler comme volontaire, alors qu’il n’avait que 15 ans. De faux papiers lui avait été fournis par Filippo Corridoni – également mort sur le front1 – pour prévenir un refus des autorités dû à son trop jeune âge. La supercherie ayant été découverte, Sarfatti ne put rejoindre le front qu’en juillet 1917.
Roberto Sarfatti2
L’Italie héroïque
Les adolescents qui meurent pour la patrie
1Il n’avait pas encore dix-huit ans. Volontaire. Il est mort sur le sommet reconquis du Col d’Echerle. Sa vie pourrait se résumer – laconiquement – ainsi. J’ai de ce tout jeune homme, qui s’est immolé sereinement et héroïquement pour le salut de notre adorable Italie, adorable, malgré tout, un souvenir lointain et un souvenir proche, immédiat. Je le connus il y a trois ans, à l’heure de notre fièvre, de notre passion. C’était un enfant, grand, bouclé, aux traits harmonieux : une très belle pousse. Il parlait peu. Mais à l’époque déjà, il brûlait, lui aussi, de notre feu et il voulait partir. Les « règlements » brisèrent son rêve. Ce n’était pas seulement un rêve, c’était plus que cela : une volonté ferme, une résolution irrévocable. Il y a quelques mois, on m’a écrit : Roberto part en tant que volontaire. Il va rejoindre les Alpins. Je le revis, dans mon bureau, il y a une dizaine de jours, accompagné de sa mère. Il rentrait du Mont Grappa, pour une brève permission accordée en récompense. Déjà caporal pour mérite de guerre. Ce n’était plus l’enfant d’il y a trois ans. Bien plus grand, bien plus fort, avec, sur son visage, l’empreinte déjà visible de la guerre ; avec, dans ses yeux, le regard limpide des adolescents qui n’ont pas encore subi les contaminations inévitables et nécessaires de la vie. Son laconisme, qui m’avait déjà surpris, était resté le même.
2Je lui demandai quelques nouvelles du front, de ses camarades, des batailles. Mais il se déroba. Il n’avait rien fait d’extraordinaire…. Ce qu’il avait fait et qui lui avait valu la récompense si convoitée d’une promotion pour mérite de guerre lui semblait « naturel »… Je ne voulus pas violer cette règle de pudeur qui était la sienne. Il devait partir. Retourner là-haut. À son poste. Et à son poste, il est tombé. Son don à la Patrie a été entier, son dévouement total. Moi, je pense que pour certains, la guerre peut être une politique ; pour d’autres une spéculation ; pour d’autres encore un devoir pénible ou une corvée3 sanglante ou une malédiction obscure ;4 mais pour les adolescents, la guerre est à la fois religion et poésie. Il y a – en vérité – quelque chose de religieux, de poétique, de profond dans le sacrifice de ces jeunes. La voix de la Patrie doit chanter dans leurs âmes, avec des accents et des rythmes qui nous sont inconnus. Un homme qui tombe à trente ans donne à la Patrie du « moins », parce qu’il a déjà vécu ; un enfant, en revanche, qui doit encore vivre, qui vient d’entrer dans la vie, qui n’a encore rien « pris » de la vie, donne tout ; son présent et son futur ; ce qu’il est et ce qu’il aurait pu devenir. Il y a, il doit y avoir en lui cette volonté de renoncement, qui est le secret et le privilège d’un grand amour.
3La patrie, pour les adolescents comme Roberto Sarfatti, pour cette créature d’exception, est un amour. Et de l’amour il a tous les transports, les impatiences, les exaltations.
4L’amour qui ne « raisonne » pas, qui ne calcule pas, qui ne se mesure pas. L’amour qui dit : « Non pas une goutte, mais tout le sang ; non pas un peu de vie, mais toute la vie, pourvu que l’Italie soit sauve ! » Et l’Italie sera sauve. L’holocauste de ces jeunes est la prophétie la plus sûre. Lorsque l’on combat, à dix-huit ans, comme a combattu Roberto Sarfatti, lorsqu’on accepte la mort, que l’on va à sa rencontre, de cette manière, sans hésitations et sans regrets, aucun doute n’est possible : ce sang par lequel nous communions comme frères italiens est la garantie certaine que la paix de demain ne sera pas la paix de notre honte.
L’année a perdu son printemps5
5dit le poète, en célébrant la jeunesse tombée à Curtatone et Montanara. L’année 1918 aussi a perdu son printemps. Mais après le printemps dévasté par la mort, viendra le midi doux et soleilleux. Il y a des mères qui pleurent aujourd’hui, afin que d’autres mères puissent sourire, demain, aux enfants qui ne seront plus menacés ; ils tombent, aujourd’hui, les petits chênes robustes de notre race, pour que les arbrisseaux, à peine nés, puissent pousser, demain, dans la plus grande liberté.
6Oh, pas de vaines consolations. Margherita et Cesare Sarfatti n’en ont pas besoin. Ils savaient ce qu’est la guerre, et ils n’empêchèrent pas leur fils de courir vers son destin de sacrifice et de gloire. Au nom de l’amitié et pour la mémoire de Roberto, je m’incline devant leur orgueil angoissé et je demande à souffrir un peu de leur douleur sacrée.
7MUSSOLINI
Notes de bas de page
1 Voir le texte 43, « Privilège de gloire ».
2 D’après Il Popolo d’Italia, édition de Rome, 10 février 1918, p. 3.
3 En français et en italiques dans le texte.
4 Dans la version de l’Opera Omnia, figure ici une proposition absente de l’édition romaine : « per qualcuno può essere un’avventura » ( « pour quelques-uns elle peut être une aventure »).
5 Les mots de Périclès, cités par Mussolini, font partie du patrimoine rhétorique employé en Italie durant le Risorgimento (la référence est probablement à Felice Tribolati et à son recueil, Il 29 maggio 1848, écrit en hommage aux jeunes gens morts dans les combats de Curtatone et Montanara).
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