Texte 43
Privilège de gloire
p. 379-382
Texte intégral
Au front, Mussolini apprend la mort au combat, le 23 octobre 1915, de son ami syndicaliste Filippo Corridoni, comme il le relate dans son Journal de guerre, à la date du 2 novembre : « Corridoni est tombé sur le champ de bataille. Honneur, honneur à lui ! J’écris quelques lignes pour le Popolo dédié à sa mémoire »1. Son texte d’hommage prend la forme d’une lettre à Arturo Rossato2, l’un de ses plus proches collaborateurs pendant les premières années du Popolo d’Italia3. Elle est publiée dans ce même quotidien le 9 janvier 1916.
Privilège de gloire4
1Des tranchées du…, le 2 novembre 1915
2Très cher Rossato,
3La nouvelle de la mort de Filippo Corridoni – que j’ai apprise par notre journal – me parvient ici, dans les tranchées que nous avons creusées sur les versants escarpés de cette montagne si âpre, en attendant d’en conquérir le sommet.
4Cette annonce, outre une douleur aiguë, suscite dans mon esprit un sentiment vague et indéfinissable de fierté : plus que de larmes, la fin de Corridoni, de Rabolini et des autres fascistes est digne d’admiration et d’envie.
5Combattre en première ligne, poussés par une passion magnifique et brûlante ; tomber avec un chant sur les lèvres face à l’ennemi défait et contraint à la fuite ; sublimer, dans le sang, l’holocauste de sa propre vie à l’Idée ; c’est là le privilège rare de gloire que le Destin ne concède qu’à ceux qui savent le lui arracher par un acte de volonté, de ténacité, de foi.
6Pour savoir de quels sentiments étaient animés Filippo Corridoni et ses compagnons – qui sont aussi les nôtres – à la veille de leur dernier jour, considérez cette carte postale que je conserverai comme le plus cher et le plus sacré de mes souvenirs. Elle est datée du 22 octobre.
Très cher Benito,
Alors que nous attendons l’ordre de départ pour participer avec toute notre ardeur et notre foi à l’avancée générale qui doit porter un coup terrible à l’arrogance allemande, nos pensées les plus pures se tournent vers toi, notre guide5 spirituel, notre bien-aimé compagnon d’armes. Pour le triomphe de nos idéaux, pour la cause de la civilisation latine nous sommes prêts au sacrifice de tout notre sang.
Bons baisers et meilleurs vœux.
Dino Roberto, Gamberini Augusto, Giuseppe Mercanti, Ido Tacchi, Canzio Pandolfini, Nino Rabolini, Filippo Corridoni.
7Quelques heures plus tard, ces propos héroïques étaient consacrés par la bataille victorieuse et par le sacrifice sanglant.
8Et maintenant, des épisodes et des souvenirs agitent mon âme, alors que des rafales de grésil assaillent nos tranchées. Je revis les journées de juin 1914 et celles de mai 1915. Maillons d’une même chaîne malgré leur apparente antinomie, manifestations d’une même énergie, force déployée pour atteindre une liberté plus grande en Italie et en Europe… Je revois Corridoni ardent, infatigable sur les gradins de l’Arène6, je le revois sur les marches du Duomo7 ; et, par cette évocation, la solitude de ces montagnes m’apparaît soudainement peuplée des multitudes grouillantes qui envahirent et occupèrent dans notre mois de mai les rues et les places des villes d’Italie. Le nom de Corridoni reste à jamais lié au prodige de purification que la nouvelle Italie opéra sur elle-même, au moment le plus délicat et le plus tragique de son histoire.
9Ne le pleurez pas ! Honorez-le. Nous autres soldats nous ne savons pas pleurer. Nous honorons nos morts, en aiguisant nos baïonnettes vengeresses et libératrices.
10Mais vous, qui êtes en Italie pour combattre une bataille non moins dure et non moins nécessaire que la nôtre ; vous, qui pouvez écrire et parler ; vous devez dire, écrire, proclamer et exalter sans trêve la sainteté de notre guerre, la beauté de notre sacrifice, la certitude de notre victoire. Vous devez pourchasser, sans relâche, les « ennemis de l’intérieur » et protéger nos arrières des « poignards fraternels ».
11Nous ferons tout notre devoir. Les individus passent, mais le peuple reste ; ses soldats meurent, mais l’Italie vit et vaincra. Comment douter de la victoire, quand c’est pour la victoire que combattent et tombent des jeunes gens comme Filippo Corridoni et puis mille et mille autres encore ?
12Au nom de l’Italie, au nom des morts et des survivants, levons bien haut les dépouilles ensanglantées de nos preux et préparons-nous aux plus dures épreuves de demain.
13En cette heure grise de douleur et d’incertitude, alors que le rythme des événements s’accélère, répétons notre cri, renouvelons notre serment solennel en reprenant les derniers mots de nos inoubliables amis pour la cause de la civilisation latine :
14Guerre sans pitié aux barbares modernes !
15Vive l’Italie ! Vive la liberté !
16Une pensée chaleureuse pour tous les amis qui se souviennent de moi.
17BENITO MUSSOLINI
Notes de bas de page
1 Il Popolo d’Italia, 9 janvier 1916, p. 3.
2 Arturo Rossato a publié en 1919 une biographie de Mussolini (Mussolini. Colloquio intimo), juste avant de rompre avec lui au moment de la crise de Fiume. Voir le texte 35, « Ma vie du 29 juillet 1883 au 23 novembre 1911 », note 1.
3 Pendant et après la guerre, Mussolini rend régulièrement hommage à Filippo Corridoni mort au combat : le texte sans doute le plus remarquable, à cause du jour où il fut publié, est rédigé au moment même de la défaite de Caporetto (« Intermezzo », OO, vol. 9, p. 293-295).
4 D’après Il Popolo d’Italia, 9 novembre 1915, p. 1.
5 « Duce » en italien.
6 Le texte fait ici référence aux journées de la « semaine rouge » en juin 1914, durant lesquelles Mussolini et Corridoni animèrent ensemble, au stade de l’Arena Civica de Milan, un meeting appelant à la grève générale (voir OO, vol. 6, p. 212-214).
7 Mussolini évoque ici les journées du « mai radieux » et notamment le discours que Corridoni prononça le 16 mai 1915 devant le Dôme de Milan.
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