Texte 1
Poèmes
p. 23-26
Texte intégral
Ainsi qu’il le raconte dans son autobiographie, pendant ses années à l’École normale, Mussolini s’essaie, comme ses camarades de classe, à la poésie : « je faisais sous forme poétique les rédactions que nous donnait le professeur d’italien. Mais qui de nous ne jouait pas au poète ? J’écrivis un nombre infini de poèmes, sur tous les sujets »1. De ces textes de jeunesse, il ne garde qu’un seul sonnet, écrit pendant l’année scolaire 1899-1900, qu’il estime « moins mauvais » que les autres et donc digne de figurer dans son autobiographie, consacré au révolutionnaire Babeuf2. Ce poème a été également publié le 1er mai 1903 dans L’Avvenire del lavoratore, le journal du Parti socialiste italien en Suisse auquel il collabore entre 1902 et 1904.
1En 1940, l’un de ses anciens camarades de classe, Edoardo Bedeschi, avec qui il a partagé plusieurs années à l’École normale de Forlimpopoli, publie une biographie de Mussolini3 dans laquelle il s’attarde particulièrement sur sa jeunesse. Il reproduit en annexe les trois poèmes que nous traduisons : « Baboeuf », « La Primavera » (dont la composition remonte probablement aussi, selon Edoardo et Duilio Susmel, à l’année scolaire 1899-1900) et « Reconnaissance », un sonnet de circonstance écrit en 1901 pour un médecin qui avait soigné l’ami chez qui Mussolini était alors hébergé. « Baboeuf » et « Reconnaissance » ont également été reproduits en annexe du premier volume de la biographie rédigée par Ivon de Begnac dans les années 1930 et signés du pseudonyme « Euno »4.
Poèmes
Baboeuf [sic]5
Thermidor triomphant regarde s’écrouler
l’armée maudite des rebelles. – Au loin
de ses yeux torves le prêtre lorgne la hache
sanglante plonger dans les artères du peuple.
Sourdement s’avance la fureur vengeresse
dans les exils et dans les dangers fomentée.
Hélas, les heures épiques et les beaux jours
de la « canonnade » se sont tôt envolés !
Baboeuf pourtant sourit. – Et au fond de ses yeux
destinés à mourir, la foudroyante Idée
est passée, la vision des siècles à venir.
Et la suprême pensée qui l’aiguillonna
quand désormais vaincu, vengeur il réclamait
à lui la légion infernale des Ardennes.
EUNUS6
La Primavera7
Ils rient, les ruisseaux tremblants et ils dansent,
parmi les prés fleuris, dans la langueur de l’aurore
tandis que de son brocard vert et or
revêtue, voilà Primavera qui s’avance.
Ils rient, les ruisseaux. Et elle paraît chance-
lante, et son plus bel air elle chante alors ;
de ses doigts roses elle effleure les boutons-d’or
et chaque fleur a d’un joyau la brillance.
Ils rient, les ruisseaux célestes, reflétant l’azur :
Jamais l’on n’entendit de musique aussi pure,
Ô Primavera par qui nature reverdit.
Ils rient, les ruisseaux célestes, vivement
Et il me semble entendre errer doucement
Ô Boccherini8, l’une de tes mélodies.
Reconnaissance9
Le lit ne doit plus supporter ce poids malade
comme aux interminables jours de la douleur.
Et la mort blême a laissé son sinistre rire
car de mes maux cruels s’est tue la douleur.
Je retourne à la vie – à la bonne tendresse
de ma Femme et de mes enfants… Oh ! comme monte
du fond de ma poitrine émue l’hymne à ta gloire
Ô Toi qui des sciences cultives la ferveur
Puissent mes modestes vers et mes rimes dire
toute ma reconnaissance et ma gratitude
dans les jours heureux comme dans les plus hostiles
Je te salue, ô pugnace apôtre du vrai
devant toi cède la maladie ; au destin
tu opposes travail et alerte pensée.
Cattolica, le 12 octobre 1901
EUNUS
Notes de bas de page
1 B. Mussolini, « La mia vita dal 23 luglio 1883 al 23 novembre 1911 », OO, vol. 33, p. 240. Voir ce passage de son autobiographie, traduit dans ce volume (texte 35).
2 Mussolini écrit « Baboeuf » selon une orthographe qu’on trouve à la fin du xixe siècle, par exemple chez l’historien français Édouard Fleury (Biographie de Baboeuf. Études révolutionnaires, Laon, impr. de É. Fleury et A. Chevergny, 1849 ; et Études révolutionnaires. Baboeuf et le socialisme en 1796, Paris, Didier, 1850).
3 E. Bedeschi, La giovinezza del duce, Milan, SEI, 1940.
4 I. de Begnac, Vita di Mussolini, 1. Alla scuola della rivoluzione antica, Milan, Mondadori, 1936.
5 Ibid., p. 321.
6 Mussolini emprunte son pseudonyme à l’esclave Eunus qui a vécu en Sicile au iie siècle av. J.-C. et qui fut à l’origine de la Première Guerre servile à la suite de laquelle, sous le nom d’Antochius, il organisa et dirigea pendant plusieurs années un royaume avant d’être battu et fait prisonnier par les Romains. Eunus se considérait comme un prophète et avait déclaré qu’il serait un jour roi.
7 D’après E. Bedeschi, La giovinezza del duce, p. 174-175. Nous avons conservé le terme italien « La Primavera » (Le Printemps) pour garder la personnification féminine.
8 Mussolini, qui avait aussi reçu une éducation musicale et appris à jouer du violon, fait ici référence au compositeur italien Luigi Boccherini (1743-1805).
9 D’après I. de Begnac, Vita di Mussolini, p. 320-321.
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