Chapitre 4
Différencier les parents
p. 137-175
Texte intégral
1Alors que l’encadrement juridique de la conjugalité se relâche, c’est sur la prise en charge des enfants que se concentrent tant les demandes des parents que l’activité des avocat.es et des juges : 80 % de nos observations au tribunal et en cabinet y renvoient. Le traitement juridique et judiciaire des séparations conjugales est aujourd’hui un observatoire majeur des normes visant les parents : les professionnel.les du droit contribuent au cadrage des rôles parentaux dans cette séquence de transition individuelle et familiale, et même parfois des années plus tard, jusqu’à ce que les enfants soient considérés comme autonomes.
2En première approche, ces normes peuvent être rassemblées sous un bref intitulé, celui de « coparentalité ». Né au Québec à la fin des années soixante-dix, ce terme a rapidement connu un succès équivalent en France (Lachance 1979, p. 146 selon Commaille 1982, p. 144), devenant incontournable dans le débat public. Au-delà du droit de la famille, cette catégorie d’action publique influence désormais l’ensemble des politiques publiques de parentalité, qui se déploient notamment dans les politiques sociales (Martin 2014).
3La « coparentalité » vise l’implication des deux parents auprès de leurs enfants, voire valorise l’égalité parentale dans leur prise en charge. En ce sens, elle participe aux politiques d’égalité entre hommes et femmes. Le droit positif en témoigne : consacré à l’autorité parentale, le titre IX du Code civil français est « globalement neutre sur le plan du genre » (Dionisi-Peyrusse et Pichard 2014, p. 488) : les termes « père » et « mère » sont parfois utilisés, mais l’un et l’autre sont soumis exactement au même régime juridique, et l’usage indistinct du terme « parent » s’est répandu. Il en va de même dans les débats parlementaires québécois : les termes « père » et « mère » ont pratiquement disparu du vocabulaire des députés, au profit de celui de « parent » (Bouchard, Fortin et Hautval 2017, p. 25).
4En France comme au Québec, quatre dispositifs juridiques visent à impliquer les deux parents après leur désunion. Le premier est l’autorité parentale conjointe (ou exercice conjoint de l’autorité parentale), par laquelle ils partagent la responsabilité de leurs enfants communs ; le second, le droit de visite et d’hébergement (DVH), nommé droit d’accès au Québec, qui permet au parent non gardien d’entretenir des relations régulières mais non quotidiennes avec ses enfants (week-ends et vacances usuellement) ; le troisième, la résidence alternée (garde partagée), qui revient à partager effectivement la prise en charge quotidienne des enfants ; le quatrième est la pension alimentaire1, soit les transferts financiers entre parents au titre de leur obligation d’entretien envers leurs enfants.
5Malgré la rhétorique égalitaire qui les légitime, ces quatre dispositifs sont des opérateurs pratiques de la différenciation entre les parents, selon leur genre, leur classe sociale voire leur trajectoire migratoire. Loin de se traduire par l’indifférenciation des rôles paternel et maternel, ou encore par l’uniformisation des styles éducatifs d’un bout à l’autre de l’échelle sociale, leurs usages fortement différenciés recomposent les inégalités dans le travail parental, d’un genre à l’autre et d’une famille à l’autre. Quand bien même père et mère sont tous deux impliqués, les attentes à leur égard demeurent distinctes et leurs appropriations de celles-ci diffèrent. De surcroît, des classes populaires aux classes supérieures, les parents n’adoptent pas les mêmes arrangements éducatifs, encouragés en cela par les professionnel.les.
6Concrètement, dans la majorité des cas, les parents s’accordent pour confier à la mère la responsabilité quotidienne des enfants, qui entretiennent avec leur père des relations plus épisodiques. En ce sens, l’encouragement à la « coparentalité » est porteur d’un « régime d’obligation différencié » (Vogel et Verjus 2016, p. 150 ; Devreux 2004) : les obligations de prise en charge quotidienne restent en général du côté des mères – s’y ajoutant celle de faire une place aux pères lorsque ceux-ci le demandent. La « coparentalité » est bel et bien partie prenante du « régime de flottaison » (Deleuze 2005), ne prescrivant pas une norme unique une fois pour toutes, mais ouvrant, pour certaines familles plus que pour d’autres, l’espace des possibles parentaux.
7Mais la norme de coparentalité n’est pas seulement socialement différenciée ; elle est aussi nationalement ancrée. En France, sa définition demeure principalement symbolique, délaissant la prise en charge économique des enfants. Cette dernière est davantage prise en compte au Québec, ce qui conduit à des modes partiellement distincts de cadrage des rôles parentaux.
Mère quotidienne et père occasionnel ?
8Les sources judiciaires sont imparfaites pour analyser les modes de résidence des enfants dont les parents sont séparés, car tous ne sont pas formalisés en Justice. De surcroît, toutes les décisions judiciaires en la matière ne sont pas respectées (Pelletier 2016). Elles sont cependant incontournables pour notre propos, puisqu’elles seules documentent quantitativement le travail des juges en la matière. Ainsi, à l’issue des procédures, les mères se voient plus fréquemment confier la résidence des enfants que les pères, bien que les décisions de résidence alternée soient nettement plus fréquentes que dans les années quatre-vingt (tableau 5).
Tableau 5. Type de résidence fixée judiciairement
Type de résidence | France | Québec | ||
1985a | 2012b | 1982c | 2008d | |
Mère | 85 % | 71 % | 77 % | 61 % |
Père | 9 % | 12 % | 16 % | 13 % |
Aux deux parentse | 5 % | |||
Alternée | 5 % | 17 % | 7 % | 20 % |
Autre | 1 % | 1 % | ||
Total | 100 % | 100 % | 100 % | 100 % |
a. Statistiques établies à partir des jugements de divorce (Festy 1988, p. 530). b. Ensemble des décisions sur le fond en matière de résidence rendues par les JAF entre le 4 et le 15 juin 2012 dans toute la France ; N = 6042 (Guillonneau et Moreau 2013, p. 5). c. Décisions judiciaires sans plus de précisions (Beaudry 1988, p. 435). d. Échantillon aléatoire d’ordonnances de pension alimentaire sur le fond rendues en 2008 dans tout le Québec ; N = 2000 (Biland et Schütz 2013, p. 3). e. Utilisée au Québec seulement, cette modalité renvoie à une situation où certains enfants de la même fratrie vivent avec leur mère quand d’autres vivent avec leur père. En France, on raisonne par enfant, et non par fratrie, ce qui explique que cette modalité ne soit pas utilisée. |
9Un tel constat contredit la thèse des groupes de pères, selon laquelle la justice serait partiale, accordant la résidence aux mères contre la volonté des pères (Fillod-Chabaud 2014). Si les pères obtiennent moins souvent la résidence des enfants, c’est parce qu’ils la demandent moins souvent. Quand un seul parent exprime une demande à ce propos, c’est la mère dans 69 % des cas québécois [Q-2008] et dans 83 % des cas français (Guillonneau et Moreau 2013, p. 36). En fait, seule une minorité des parents est ouvertement en conflit sur le lieu de vie des enfants. Au moment où une décision judiciaire doit être rendue, seuls 8 % des dossiers québécois [Q-2008] et 10 % des français (Guillonneau et Moreau 2013, p. 26) présentent un désaccord à ce propos. Dans l’immense majorité des cas, les décisions judiciaires viennent officialiser des accords : les données françaises ont ainsi permis d’établir que plus de 90 % des demandes des deux parents ont été satisfaites par ces décisions (ibid., p. 40-41).
L’ancrage social et genré du travail parental
10Pour comprendre pourquoi les enfants dont les parents sont séparés continuent le plus souvent de vivre avec leur mère, la division sexuée du travail, du temps même de la vie commune, est un facteur incontournable. Les mères assurent toujours la majeure partie des tâches domestiques et éducatives lorsqu’elles sont en couple (Brousse 2015 ; Champagne, Pailhé et Solaz 2015 ; Crespo 2018). Elles ont toujours moins de perspectives sur le marché du travail (Meurs, Pailhé et Ponthieux 2010 ; Beaujot, Jianye et Ravanera 2015). Au moment de la rupture, elles peuvent faire valoir leur expérience de la charge quotidienne des enfants. Plus investis sur le marché du travail, mais nettement moins à la maison, les hommes se sont en général moins projetés dans la parentalité solitaire (Martial 2016 ; Piesen 2016). Ils peuvent craindre de ne pas y être aptes ou de devoir faire, à l’instar du dentiste cité dans le chapitre précédent, des sacrifices professionnels excessifs.
11C’est dans ce contexte encore très inégalitaire que les juristes clament haut et fort que la « coparentalité » correspond à « l’intérêt de l’enfant », associant ces deux principes majeurs du droit contemporain de la famille. « L’intérêt primordial de l’enfant, c’est qu’il voit ses deux parents, et que l’environnement chez les deux parents soit correct », dit par exemple la juge québécoise Céline Paquette2. L’association coparentalité / intérêt de l’enfant fait aujourd’hui figure de consensus professionnel ; elle est régulièrement mobilisée dans leurs interventions. La JAF Anaïs Le Meur admoneste ainsi une jeune mère traitant son ex-conjoint de « géniteur [...] qui ne mérite même pas son fils » : estimant que de tels propos risquent de « bousiller » l’enfant, elle lui conseille de lire des livres de psychologie pour comprendre à quel point ce discours est néfaste pour son enfant3.
12Ces propos ne sont pas orientés vers une mère par hasard : le discours de la coparentalité vise à faire une place aux pères, contre les éventuelles réticences des mères (Le Collectif Onze 2013, p. 178 ; Cardi 2015). Lorsqu’on leur demande ce qui peut faire obstacle à la « coparentalité », les juristes mentionnent régulièrement le manque de coopération maternelle. Une autre juge de Québec, Brigitte Lévesque, indique qu’elle doit être « vigilante » lorsqu’une femme qui s’est remise en couple « élimine involontairement son ancien conjoint » : « Il faut laisser de la place au père là-dedans », conclut-elle4. En France, les juges mentionnent souvent des femmes qui ont déménagé à plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres de l’ancien domicile familial, rendant impossible la résidence alternée ou compliquant l’exercice du droit de visite. Cette préoccupation est suffisamment présente pour avoir débouché, en 2014, sur une proposition de loi visant à instaurer le principe de la résidence des enfants au domicile de leurs deux parents5 – laquelle n’a cependant pas été mise à l’ordre du jour du Sénat.
13Parler de suspicion généralisée à l’égard des mères serait cependant excessif. D’abord, l’ensemble des juristes ne portent pas avec la même conviction cette conception de la coparentalité. Brigitte Cigliano, appelée, depuis les tribunaux supérieurs français, à statuer sur les décisions de ses collègues de première instance, est très remontée contre ces juges « Zorros », pensant se comporter en « justiciers » lorsqu’ils sanctionnent des femmes qui avaient des motifs légitimes de déménager6. De surcroît, lorsque les enfants sont en bas âge (avant 2 ou 3 ans), les juristes privilégient la « stabilité » et la « routine » (selon l’expression consacrée au Québec). Ces normes tendent à conforter les mères, qui demeurent incontournables dans la prime enfance. Enfin, les situations de violence, d’addiction ou de maladie mentale peuvent tempérer la volonté d’impliquer les deux parents.
14Toutefois, la norme de coparentalité, ainsi que la raréfaction des divorces pour faute, limitent la prise en compte judiciaire de la violence intrafamiliale. Les professionnel.les distinguent les faits de violence contre les enfants de ceux qui visent le ou, plus souvent, la partenaire, prenant davantage en compte les premiers que les seconds. Au Québec, les trois quarts des affaires de garde contestée observées (13 cas sur 18) présentent des allégations de violence, impliquant le plus souvent des enfants, au moins comme témoins (Biland et Schütz 2014). En France, la banalisation du passage devant les juges fait que ces accusations sont moins fréquentes, mais aussi plus diffuses. Les JAF présentent une plus grande tolérance à l’égard des violences dites ordinaires sur les enfants ; ils ont tendance à « opposer “violence conjugale” et “conflit conjugal” », reconnaissant de facto certains actes comme « acceptables » durant le processus de séparation (violences physiques « légères » et harcèlement psychologique) (Jouanneau et Matteoli 2018, p. 319). Depuis 2010, les dispositifs de protection des ex-conjoint.es victimes de violence ont certes été renforcés7. Mais les professionnel.les rencontré.es semblent encore peu au fait de leur rôle de protection.
Un conseiller de cour d’appel auditionne successivement trois enfants, dont le père conteste l’ordonnance de protection obtenue par leur mère. Il dit à chacun d’eux qu’il n’est pas intéressé par la violence que cet homme faisait subir à leur mère. Lorsque l’aîné de la fratrie, âgé de 12 ans, commence son témoignage en disant « Il tape ma mère », ce magistrat répond : « Mais par rapport à toi ? Ça, c’est des affaires de couple, mais toi ? »8.
Lors d’une audience de première instance, une avocate défendant une victime de violences reconnues par son ex-conjoint semble s’excuser de devoir argumenter sur ces faits pour demander la résidence de leur fille : « Je ne vais pas vous faire le topo de l’emprise », dit-elle par exemple9.
15Pour traiter ces accusations de déviances parentales, les juristes s’appuient sur des stéréotypes de genre : les reproches faits aux mères et aux pères demeurent bien distincts (tableau 6) et les juristes sont d’autant plus enclin.es à les accréditer qu’ils correspondent à ces stéréotypes.
Tableau 6. Le genre des déviances post-rupture
Femmesa | Hommes |
Manipulatrice : se fait passer pour une victime, émet de fausses accusations pour obtenir ce qu’elle veut | Violent, physiquement ou verbalement : avec l’ex-conjointe, les enfants, voire d’autres personnes |
Instable et/ou désordonnée : mauvaises fréquentations qui mettent en danger les enfants, déménagements fréquents, rotation des nouveaux conjoints | Contrôlant et/ou jaloux : envers l’ex-femme, voire envers les professionnel.les qui s’occupent des enfants |
Vénale et paresseuse : veut mener un train de vie démesuré, ne recherche pas activement un travail depuis la rupture, cherche à garder la résidence familiale | Près de ses sous et/ou dépensier : demande la garde partagée pour ne pas payer de pension alimentaire, refuse de payer pour les enfants mais effectue des dépenses ostentatoires (voiture, TV) |
Accaparante, aliénante : entrave l’exercice de la paternité, fait obstacle aux droits d’accès du père, ne lui transmet pas les informations et l’écarte des décisions | Absent : n’exerce pas ses droits d’accès, disparaît de la vie des enfants, ne se rend pas disponible pour eux |
Négligente : Ne donne pas les soins appropriés aux enfants, ne suit pas assez leur scolarité, les laisse seuls | Inapte : ne sait pas s’occuper des enfants au quotidien (cuisine, soins, horaires, etc.) |
Ne stimule pas les enfants : ne joue pas avec eux, ne les fait pas sortir | Ne sait que s’amuser avec les enfants : ne fixe pas de règles ni de limites |
a. Tableau tiré de Biland et Schütz 2014, p. 38. |
16Cela dit, ces restrictions explicites à la « coparentalité » demeurent limitées à ces cas de déviance parentale. Dans la plupart des situations, la norme du contact prolongé avec les deux parents fait foi, elle conduit au cantonnement du territoire maternel. Par contraste, la bienveillance à l’égard de l’implication paternelle est manifeste : « Aujourd’hui, de plus en plus de pères sont vraiment intéressés à s’occuper de leurs enfants et à présenter à leurs enfants un portrait différent du discours de la mère. Et ça, c’est bon, que l’enfant ait les deux côtés de la médaille », se félicite François Charland, l’avocat chevronné d’Albanel10.
17Cette conception de la coparentalité est en fait profondément asymétrique, car les pères séparés qui revendiquent de s’impliquer quotidiennement auprès de leurs enfants sont minoritaires. Ainsi, les mères ont le devoir de faire une place aux pères, tandis que les pères ont le droit de prendre en charge leurs enfants, mais sans en avoir l’obligation. Le juge québécois Gérard Boyer reconnaît le caractère volontaire de cette implication paternelle : la garde partagée, c’est « si le père veut s’impliquer. [...] Si le père arrive, et que le père veut s’impliquer, je vais favoriser ça », explique-t-il11.
18En l’absence de volonté paternelle explicite, la « coparentalité » se limite souvent une mise en œuvre minimale, sous la forme de l’autorité parentale conjointe et du droit de visite et d’hébergement. Reconnue à l’immense majorité des pères, la première leur permet de conserver leur autorité symbolique, tandis que le second autorise la paternité pratique, à la fois morale, affective et matérielle (Weber 2013, p. 36). Cependant, lorsqu’elle s’exerce un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires – formule la plus répandue –, celle-ci demeure souvent « discontinue, ponctuelle, extraordinaire au sens strict du terme » (Le Collectif Onze 2013, p. 165).
Lors d’une audience à Marjac (France), une aide-soignante et un ouvrier au chômage, âgés d’environ 25 ans, se présentent sans avocat devant Pierre Terreau, à propos de leur fille, A., âgée de 6 ans. Le juge rappelle que l’autorité parentale est conjointe : « c’est la règle. » Les justiciables acquiescent sans poser de question, tout en semblant ne pas savoir de quoi il s’agit. Le juge demande : « Où habite A. ? » La femme répond : « Chez moi. » Le juge demande si l’on fixe la résidence de l’enfant chez la mère : elle répond « oui » ; il marmonne : « Ben ouais, pas le choix ! » Il informe ensuite le père sur le DVH un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, en commentant rapidement : « C’est ce qu’on fait généralement. » Et ils acquiescent tous les deux, en disant que c’est ce qu’ils font déjà. L’audience a duré 3 minutes (d’après Le Collectif Onze 2013, p. 172)12.
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Au palais de justice de Québec, une jeune femme de 19 ans et son avocate se présentent devant Brigitte Lévesque. Son ex-conjoint, qui vient de terminer un diplôme d’études professionnelles (équivalent du bac pro), est absent. La greffière est interrogée pendant cinq minutes par son avocate.
« Qui s’occupait de l’enfant ?
– Moi.
– A-t-il des droits d’accès ?
– Oui, quand il veut, il m’appelle.
– Cela se fait-il à l’amiable ?
– Oui. [...]
– Il ne la garde jamais longtemps ?
– Non. »
À ces mots, la juge dicte sa décision à la greffière : « Les parties sont les parents de T., née en septembre 2009. Elles se sont séparées en décembre 2010 et c’est Madame qui assume la garde. [...] Par ces motifs, le tribunal confie la garde de l’enfant T. à la demanderesse, et donne l’accès selon l’entente des parties »13.
19Ces deux audiences renvoient à des histoires conjugales différentes. Le père québécois consent à la résidence maternelle par son absence même, confirmant la corrélation entre retrait des procédures et distance au rôle paternel socialement valorisé. Par contre, le père français s’y résigne après une longue cohabitation conjugale, grommelant qu’il n’a « pas le choix » d’accepter la résidence à la mère. Ses difficultés d’implication parentale sont pour partie socioéconomiques : il est au RSA et son manque de ressources complique la prise en charge de sa fille.
20Significativement, ces deux cas impliquent des hommes de classe populaire, davantage contraints que ceux des classes moyennes et supérieures sur le marché du travail, par des horaires atypiques et peu maîtrisables (Lesnard 2009). Ces pères sont aussi plus souvent placés dans des situations de précarité économique, qui peuvent faire obstacle à l’exercice de leurs droits. Dans certains cas, l’exercice du droit de visite et d’hébergement est compliqué par le fait que le père ne dispose pas d’un logement propre à héberger ses enfants. Les pères précarisés des classes populaires sont non seulement délaissés par les avocat.es, mais ils sont aussi peu pris en charge par l’État social, de sorte que l’exercice minimal de la « coparentalité », via le droit de visite, peut être compromis.
21A contrario, tout rappelle à leurs ex-conjointes – services sociaux, juristes, ex-conjoint lui-même – qu’elles sont les seules à pouvoir assumer la charge des enfants. Les interventions professionnelles viennent conforter l’attachement à la division genrée des rôles parentaux exprimée durant la vie commune par les ouvriers (Beaud et Pialoux 1999 ; Schwartz 2012) et par les employés (Le Pape 2009). Les professionnel.les du droit questionnent peu ces pratiques inégalitaires : semblant considérer que ces hommes sont en grande difficulté sociale, elles et ils ne remettent pas en cause leur évitement de la paternité et confortent l’assignation de ces femmes à la maternité. Conduisant à leur disqualification (Cardi 2007 ; Bernheim et Lebecke 2014), les défaillances maternelles majeures (violences, négligences graves, maladies psychiques) conduisent une minorité de femmes à échapper à cette assignation : les enfants sont confiés à leur père ou bien placés. Mais il s’agit clairement d’une déviance féminine qui conforte, plutôt qu’elle ne fragilise, la norme de l’implication maternelle.
22De surcroît, les juristes présument souvent que les familles d’origine non occidentale ne respectent pas la norme d’égalité entre hommes et femmes, et qu’elles sont donc peu enclines à s’investir dans la « coparentalité ». De telles présomptions renforcent leur travail de normalisation à l’égard des parents, tout en rendant peu probable le partage de la garde.
Au cours des deux audiences où des sociologues l’ont suivie, la JAF Anna de Mattéi interroge presque systématiquement les justiciables originaires d’Afrique subsaharienne sur leur connaissance de l’autorité parentale conjointe (une notion complexe, que bien des parents ne maîtrisent pas), alors qu’elle ne pose cette question qu’à un seul couple « blanc »14.
23Au Québec, les allégations de violence sont plus fréquentes entre justiciables d’origine non européenne qu’entre personnes nées au Canada (Biland et Schütz 2014, p. 40). Les juristes tendent à y accorder davantage foi et à marquer leur désapprobation, au nom de leur appartenance à la société majoritaire.
Alors qu’un père, né au Québec, accuse de violence le nouveau conjoint de son ex-conjointe, immigré d’Amérique latine, Brigitte Lévesque explique aux sociologues : « Ce n’est pas acceptable qu’un parent batte ses enfants au Québec, même si ça fait partie de sa culture. Moi, ça va toujours être “non”. Et il faut faire attention à la différence de traitement homme-femme. » Elle n’exprime pas une telle attention concernant les « Québécois pur laine »15.
24Face aux personnes de classes populaires, particulièrement lorsqu’elles sont racisées, le travail des juristes consiste donc à rappeler la norme de coparentalité, supposément peu connue, tout en pensant que sa mise en œuvre sera souvent minimale. La situation est bien différente lorsqu’on grimpe dans l’échelle sociale et que les personnes concernées appartiennent à la société majoritaire. Face aux parents « blancs » de classes moyennes et supérieures, l’encouragement à l’implication des deux parents est plus immédiatement perceptible.
25Par conséquent, comme l’ont aussi montré des études américaines et australiennes (Donnelly et Finkelhor 1993, Cashmore et al. 2010), ce sont principalement les parents des classes moyennes et supérieures, diplômés de l’enseignement supérieur et biactifs (Pelletier 2016), plus souvent propriétaires et dotés de logements plus spacieux que l’ensemble des familles monoparentales, qui se sont appropriés la résidence alternée (Algava, Penant et Yankan 2019, p. 3). À l’inverse, les enfants vivant dans les ménages défavorisés français (que le niveau de vie situe parmi les 30 % les moins dotés) sont deux fois moins nombreux à vivre en résidence alternée que la moyenne (ibid., p. 2). Bien sûr, les facteurs socio-économiques ne sont pas les seuls déterminants de la garde des enfants. La résidence alternée demeure rare durant la prime enfance, tandis que la proximité des domiciles parentaux (Cretin 2015) et le faible coût du logement (Algava, Penant et Yankan 2019, p. 3) sont au contraire favorables à celle-ci.
26Quoiqu’il en soit, le statut des parents à l’égard du marché du travail (emploi stable et relativement rémunérateur) est incontestablement un facteur favorable à la résidence alternée (Brunet, Kertudo et Malsan 2008). Quand les femmes sont davantage investies et récompensées sur le marché du travail, quand les hommes ont un plus haut niveau de qualification et des horaires aménageables, les inégalités en matière de travail domestique au sein des couples sont moins importantes (Brugeilles et Sebille 2009). La résidence alternée peut apparaître comme une solution favorable aux deux parents au moment de la rupture. Sans surprise, le divorce par consentement mutuel, où sont surreprésentées les personnes de classes moyennes et supérieures (voir chapitre 1), est la procédure française où la résidence alternée est la plus fréquente, atteignant 30 % en 2012 (Guillonneau et Moreau 2013, p. 20). Cet effet-revenu est surtout sensible au sein de la population masculine : 40 % des pères québécois du quatrième quartile (le plus aisé) demandent la garde (éventuellement partagée), contre seulement 20 % des pères du premier quartile [Q-2008].
27Gardons-nous toutefois de considérer que la résidence alternée résulte d’une égalité déjà effective, que la Justice se bornerait à entériner. En fait, les demandes de ces pères apparaissent crédibles, tant aux yeux des mères que des juristes, parce que leurs ressources éducatives sont davantage reconnues que celles des hommes de classes populaires. Tout en ayant les ressources financières pour déléguer une partie du travail éducatif à des professionnel.les, ces hommes invoquent leur capacité à transmettre leur statut social à leurs enfants, en organisant des stratégies scolaires et des activités extra-scolaires socialement valorisées. Cela ne signifie évidemment pas que les pères des classes populaires ne mettent pas en avant cette transmission : l’apprentissage d’habiletés manuelles, l’inscription territoriale (« bûcher dans le bois » dans les régions rurales du Québec) et les pratiques sportives non encadrées (jouer au hockey dans la « cour arrière ») figurent en bonne place dans leurs discours. Cependant, la spécificité des pères de classes supérieures est de concentrer leur justification sur des pratiques à la fois monétisées et légitimes culturellement. Leurs investissements ponctuels mais potentiellement décisifs pour la reproduction sociale, durant la vie commune, servent à démontrer la valeur de leur engagement paternel et à convaincre de l’intérêt de son intensification après la rupture (Biland et Mille 2017).
Le chef d’une entreprise montréalaise de marketing (gagnant plus de 400 000 $ par an) et son ex-conjointe, qui travaillait dans son entreprise, se disputent la garde de leurs deux plus jeunes enfants, âgés de 11 et 16 ans. Dès sa requête, l’avocate de l’homme affirme que celui-ci est « capable de donner la stimulation intellectuelle et sociale dont les enfants ont besoin, de les aider pour les études et a déjà fait des devoirs avec eux, il est engagé dans leurs activités sociales (entre autres le sport) »16.
28On est loin ici des sorties au fast food et des soirées télé, dont parlent presque tous les pères de classes populaires, souvent perçues comme moins « éducatives » et risquant de dévaloriser ceux qui ne sauraient « que s’amuser » avec leurs enfants. De manière générale, les parents de classes populaires sont beaucoup plus interrogés sur leur vie quotidienne et sur les gestes routinisés du soin aux enfants (préparation des repas, horaires de coucher, soins corporels, etc.). En considérant ceux-ci comme acquis quand ils et elles traitent avec des parents de classes moyennes et supérieures, les juristes permettent à ces pères de valoriser des activités électives voire distinctives – deux mois de voyage à travers l’Europe pour un père québécois – davantage en phase avec leur disponibilité temporelle et leurs compétences sociales.
29Ces stratégies de valorisation paternelle renvoient directement aux rapports de genre au sein des classes supérieures : il s’agit pour ces hommes d’éviter que les mères, plus investies dans l’éducation des enfants au quotidien, n’aient la « mainmise » sur celle-ci à l’occasion de la rupture, selon le terme employé par l’avocate Marie-Josée Bénard dans la déclaration assermentée qu’elle rédige avec un cadre financier, qui demande la garde partagée de ses enfants de 5 et 8 ans, alors que son ex-femme était au foyer durant la vie commune17.
30En somme, les pratiques parentales après la rupture renvoient à des attentes préconstruites durant la vie commune, mais aussi aux comportements perçus comme probables ou improbables, valorisés ou réprouvés par les professionnel.les du droit. Le couplage droits/devoirs entre pères et mères dépend des deux mécanismes consubstantiels que sont la classe et le genre. Les femmes de classes populaires sont renvoyées à leurs devoirs de mère, tandis que leurs ex-conjoints ont bien du mal à faire valoir leurs droits. Les femmes de classes moyennes et supérieures ont le devoir de faire une place aux pères et y ont parfois intérêt, mais leurs anciens partenaires disposent d’une grande latitude pour choisir leur mode d’engagement. Cette variabilité pratique, co-construite par les parents et par les juristes, est le support d’inégalités recomposées dans chaque configuration socialement située. Ainsi, loin d’être indifférenciées, les pratiques d’alternance se traduisent par des responsabilités éducatives et financières plus importantes pour les mères que pour les pères (Cadolle 2011).
La structuration nationale des rôles parentaux
31Ces mécanismes sociaux et genrés sont présents des deux côtés de l’Atlantique, mais ils n’y prennent pas la même forme et n’y ont pas la même intensité. Les données judiciaires donnent un premier indice statistique de ces différences. En France, dans la situation ultra-majoritaire où les deux parents sont d’accord sur la résidence de leur(s) enfant(s), ils s’entendent une fois sur cinq sur une résidence alternée (Guillonneau et Moreau 2013, p. 19). Au Québec, de tels accords débouchent quatre fois sur dix sur la résidence alternée [Q-2008]. Cet écart s’explique en large part18 par la valorisation professionnelle de cet arrangement, les interventions juridiques et psychosociales encourageant sa mise en place, bien plus qu’en France.
32Cette analyse peut paraître surprenante, pour qui a en tête la loi française, adoptée en 2002, qui promeut la résidence alternée19. Aucune loi de ce type n’existe au Québec, où la loi fédérale sur le divorce de 1985 se limite à valoriser les « contacts » de l’enfant avec ses deux parents20. La promotion juridique de la garde partagée y est en fait jurisprudentielle – dans un contexte où les tribunaux supérieurs ont un poids politique plus important. Dès 1993, la Cour suprême a interprété la loi sur le divorce comme rendant possible la garde partagée, tout en écartant l’idée d’une présomption en sa faveur21. Depuis les années deux mille, la Cour d’appel a rendu une série de décisions qui en précise les conditions de mise en œuvre22.
33En conformité avec leur mandat professionnel, les décisions des tribunaux, comme les discours des juges en entretien, insistent sur l’impératif de rendre des décisions « au cas par cas » : c’est un « alignement d’étoiles, une garde partagée ! », dit par exemple Brigitte Lévesque, pour souligner que plusieurs conditions doivent être appréciées au moment de décider de la résidence des enfants. La notion relativement vague et multiforme23 d’« intérêt de l’enfant » vient conforter leur pouvoir discrétionnaire et leur légitimité à prendre ces décisions « sur mesure ». Il reste que les Québécois.es parlent de la garde partagée plus fréquemment, spontanément et positivement que leurs homologues français.es. En poste depuis 21 ans, Philippe Nadeau estime même que la garde partagée constitue « le gros, gros changement majeur » depuis son entrée dans la magistrature, en 1991. Et d’ajouter qu’« à partir du moment où le père est également un bon père et qu’il a des bonnes capacités parentales, c’est normal d’avoir [...] une garde partagée ».
34Cette valorisation n’est pas l’apanage de juges hommes endossant des arguments favorables à leur genre. Certes, Philippe Nadeau mentionne son expérience de père divorcé, ayant eu la charge principale de ses enfants lorsqu’ils étaient adolescents. Mais les prises de position des magistrates ne sont pas différentes : leur a priori y est clairement favorable dès la fin des années quatre-vingt-dix (Quéniart et Joyal 2001) et confirmé par d’autres entretiens menés récemment (Godbout, Parent et Saint-Jacques 2015).
35Les autres intervenant.es auprès des familles ont largement relayé cette supposée préférence judiciaire pour la garde partagée. En 2004, Michel Tétrault, avocat à l’aide juridique, enseignant à l’université de Sherbrooke et auteur de nombreuses publications sur le sujet, intitule une section d’un de ses livres : « La présomption de garde partagée : juridique non ! Factuelle oui ! » (Tétrault 2004). En 2009, Claudette Guilmaine, travailleuse sociale et médiatrice, auteure d’un des premiers livres consacrés à ce sujet (Guilmaine 1991), débute son nouvel opus en estimant que la garde partagée « s’impose presque comme une nouvelle norme » (Guilmaine 2009, p. 21) – un point de vue largement relayé dans la presse (Leduc 2013 ; Goyer 2016). Ces écrits ne défendent pas envers et contre tout la garde partagée, mais ils la présentent comme l’option souvent préférable pour les enfants et régulièrement préférée par les juges. Aujourd’hui, ce point de vue semble très répandu au Québec : dans un récent sondage (auprès de 1 200 personnes, dont 28 % ont personnellement connu une séparation), la majorité des répondant.es estiment que la garde partagée est la solution « idéale » pour les enfants de 3 ans et plus – la justification la plus fréquente étant que cette organisation leur permet de passer plus de temps avec chacun des parents (Godbout, Saint-Jacques et Ivers 2018, p. 404-406).
36La diffusion de ces représentations doit beaucoup à leur promotion par les intervenantes et intervenants psycho-sociaux auprès des familles depuis les années 1990, dont l’influence s’est accrue avec la reconnaissance publique de la médiation familiale. Suite à la ratification par le Canada de la Convention internationale des droits de l’enfant (1989), qui introduit dans le droit international le concept d’« intérêt supérieur de l’enfant », le gouvernement québécois demande à un groupe d’expert.es de « proposer des moyens [pour] prévenir l’apparition de problèmes graves chez les jeunes ». Présidé par Camil Bouchard, professeur de psychologie à l’université du Québec à Montréal, ce groupe principalement composé de responsables de services d’intervention psychosociale, publie en 1991 un rapport intitulé Un Québec fou de ses enfants. Celui-ci insiste sur l’importance des relations entre les pères et leurs enfants : il mentionne les risques des séparations parentales sur les enfants (santé mentale, échec scolaire, dépression) (Groupe de travail pour les jeunes 1991, p. 42), déplore l’absence trop fréquente des pères auprès des jeunes enfants (p. 89) et plaide finalement pour le développement de la médiation familiale, qui rend plus probable la garde partagée (p. 146).
37Alors que les groupes de pères séparés sont encore balbutiants et peu organisés, la « cause des pères »24 est endossée par nombre d’intervenantes et intervenants psycho-sociaux et juridiques auprès des familles, au nom d’une appréhension qui se veut scientifique de l’intérêt de l’enfant. Cette légitimation scientifique de la garde partagée est loin d’être négligeable. Les catégories psychologiques voire psychiatriques informent la jurisprudence canadienne et québécoise davantage que le droit français.
38En témoigne la reconnaissance judiciaire, bien plus précoce qu’en France, du syndrome d’aliénation parentale (SAP)25, développé dans les années quatre-vingt par le pédopsychiatre américain Richard A. Gardner pour caractériser une situation dans laquelle un enfant, manipulé par un.e de ses parents, refuse le contact avec l’autre. Cette pathologie judiciairement habilitée est un indice du primat donné au maintien des liens avec les deux parents, et des soupçons qui pèsent sur les mères, plus souvent « gardiennes », donc « aliénantes » potentielles (Caplan 2007). L’analyse des décisions de garde traitant d’aliénation parentale rendues en 2016 par la Cour supérieure et la Cour d’appel confirme que les mères en sont bien plus souvent soupçonnées que les pères (45 dossiers contre 21, soit 68 %) et que la définition très large de l’aliénation parentale, bien au-delà des critères définis par les psychologues, se fait à leur détriment (Zaccour 2018). Dans ce contexte où le mouvement féministe s’est fortement mobilisé pour réduire les inégalités économiques post-séparation (voir chapitre 5), la critique féministe des modes d’attribution de la garde est par contraste moins présente qu’en France, où le SAP a été dénoncé comme un moyen d’occulter les violences masculines (notamment Romito et Crisma 2009).
39Il faut dire que les professionnel.les du travail social et de la psychologie ont une place davantage reconnue et institutionnalisée au Québec. L’existence de services publics d’expertise psychosociale à l’intérieur même des palais de justice est un signe de leur importance dans le traitement des séparations, et rend probables leurs échanges avec les juristes. Enfin, le pôle psychosocial d’intervention auprès des familles est marqué par une approche comportementale des phénomènes familiaux et du développement des enfants. Celle-ci est notamment sensible dans la fréquence des diagnostics de « trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité » (TDAH), les jeunes Québécois étant les plus gros consommateurs des médicaments qui le traitent au Canada (Tremblay et Daigle 2017, p. 5).
40En matière de séparations conjugales, les recherches américaines ont inspiré toute une gamme d’instruments de mesure des conflits parentaux et de schémas pratiques pour opérationnaliser la « coparentalité ». Tétrault (2004) présente des « modèles d’entente quant au partage des responsabilités », qui prévoient plusieurs modes d’organisation de la garde partagée. Guilmaine (2009, p. 411-412) fait quant à elle la liste des « attitudes parentales préventives », devant garantir le bon développement des enfants.
41Cette croyance partagée des juges et des intervenantes psycho-sociales dans la garde partagée nourrit chez les avocat.es une croyance de second ordre, qui témoigne de leur travail « à l’ombre du droit » (Mnookin et Kornhauser 1979), et qui se révèle performative. Convaincus de la préférence des juges et des « psys » pour la garde partagée, les conseils soutiennent les pères qui la demandent et encouragent les mères à l’accepter.
« C’est devenu beaucoup plus facile aujourd’hui pour les tribunaux d’accorder une garde partagée », estime François Charland, l’avocat qui déconseille à une cliente « pas assez solide » de demander une garde exclusive dans le chapitre 326.
Quelques mois plus tard, il reçoit un camionneur d’environ 35 ans, père de trois enfants de 5 à 9 ans, qui pratique la garde partagée depuis quelques semaines suite à une entente conclue en médiation. L’avocat vérifie que « Monsieur peut tout faire » [avec les enfants]. L’homme témoigne de son implication avant la rupture : « Je donnais le bain, je faisais faire les devoirs. » L’avocat lui demande s’il faisait aussi les repas du soir et il répond que « ça, c’était plus rare » puisqu’il rentrait souvent tard. François Charland ne relève pas et valide sa demande : il va préparer une requête pour obtenir officiellement la garde partagée27.
42A contrario, considérant les preuves à apporter pour obtenir la garde exclusive, les avocat.es estiment souvent que les mères n’ont guère d’alternative que d’accepter la demande des pères. Celles des classes moyennes, dont les anciens partenaires sont susceptibles de demander la garde mais qui n’ont guère les moyens de financer des expertises contradictoires, sont les plus exposées à cette pression aux concessions. Plutôt que de faire des « chicanes », elles doivent reconnaître que la priorité ne peut être donnée à celle qui était la plus investie auprès des enfants durant la vie commune ; elles doivent accepter que les pères mènent leur vie avec leurs enfants différemment qu’elles ne le font elles-mêmes (Mille et Zimmermann 2017).
Avocate montréalaise d’une cinquantaine d’années, dont la clientèle gagne autour du salaire moyen, Isabelle Hébert donne un exemple des conseils qu’elle donne aux mères : « Surtout quand les enfants sont plus jeunes, la mère peut arriver puis dire : “Il est allé chez McDo en fin de semaine !” Puis là, tu fais : “[...] Calmez-vous le pompon un petit peu, [...] il faut que tu le laisses vivre quand il a les enfants. À moins qu’ils soient en danger” »28.
43Ce type de discours pèse sur les attentes des parents : en cas de désaccord, les mères québécoises demandent plus souvent la résidence alternée que les Françaises (16 % contre 7 % des demandes) et moins souvent la garde exclusive (71 % contre 90 %) [Q-2008] (Guillonneau et Moreau 2013, p. 26).
44En fait, les outils élaborés dans les « manuels », et le temps permis par les séances gratuites de médiation, aident parents et avocat.es à aménager la garde partagée d’une manière acceptable par les deux parties. Au Québec en effet, on considère qu’il y a garde partagée dès lors que chaque parent s’occupe de l’enfant au moins 40 % du temps. Le consentement est facilité par des arrangements relativement souples et variés… mais pas forcément égalitaires au sens quantitatif du terme.
45Par contraste, comment expliquer que la résidence alternée soit moins prisée en France ? Maria Flores, juge à Québec depuis six ans, nous propose une piste comparative : « Les psychiatres français qui sont vraiment anti garde partagée. Moi, personnellement, je pense qu’il faut d’abord voir chaque situation, chaque cas et qu’il n’y a pas de dogme »29. Cette piste des « psychiatres français » doit effectivement être suivie : sans être unanime (Tena 2012 ; Neyrand et Zaouche Gaudron 2014), leur mobilisation contre la résidence alternée a été forte et médiatisée durant les années deux mille.
46Le livre noir de la résidence alternée (Phélip 2006) est emblématique de cette critique experte. Coordonné par une sage-femme, qui a créé une association (L’enfant d’abord) pour alerter sur les écueils de la loi de 2002, il réunit les contributions de trois avocates, d’une psychothérapeute et de trois pédopsychiatres qui sont aussi psychanalystes. La conception qui réunit les pôles juridiques et psychologiques d’intervention auprès des familles est donc bien différente de celle observée au Québec. D’inspiration psychanalytique, elle considère, à gros traits, que l’enfant, pour construire sa sécurité psychique et son développement émotionnel, a besoin de « s’attacher » au parent qui s’occupe de lui de façon continue – généralement la mère. La séparation d’avec cette figure d’« attachement principal » induirait un risque psychique majeur, étant ressentie comme définitive en raison de l’immaturité cognitive et psychique du jeune enfant. En conséquence, la résidence alternée devrait être proscrite avant 6 ans (au Québec, on la pense plutôt comme fractionnée, sur une courte durée) et abordée avec prudence pour les enfants plus âgés. Cette théorie n’est pas franco-française. Elle compte parmi ses figures la fille de Sigmund Freud, Anna, qui l’a appliquée aux cas de ruptures conjugales (Goldstein, Freud et Solnit 1973), influençant les décisions judiciaires américaines. Cependant, la psychanalyse a connu un net reflux en Amérique du Nord. En France, en revanche, elle a influencé durablement les politiques familiales et le traitement judiciaire des séparations conjugales.
47La figure de Françoise Dolto est à cet égard incontournable, puisqu’elle a directement contribué à l’action publique visant les familles, des années soixante aux années quatre-vingt (Robcis 2016 ; Garcia 2011). Inspirée par Jacques Lacan, celle-ci valorisait la place des pères en tant que dépositaires de la fonction symbolique et en raison de l’importance structurante de la différence sexuelle pour la socialisation. Elle s’est rapprochée de certains groupes de pères, mais sans souscrire au partage de la garde. Monique Pelletier, secrétaire d’État en charge de la famille et de la condition féminine à la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing, l’a conviée à un groupe de réflexion sur les questions de divorce et de garde parentale (Robcis 2016, p. 181). Elle s’est aussi référée à elle pour s’opposer à la garde partagée : « Si Françoise Dolto dit [...] “Après trente ans de pratique, je constate que cette solution a de graves inconvénients”, il est bon que les magistrats le sachent », déclarait la femme politique en entretien (ibid., p. 183).
48Dans les années quatre-vingt-dix, les risques imputés à l’absence des pères (en particulier la délinquance juvénile) sont pensés en des termes proches de ceux publicisés au Québec. Cependant, ce sont la filiation, l’autorité parentale et le droit de visite, plutôt que l’implication quotidienne des pères, qui sont appelés à la rescousse dans les rapports officiels (Bruel 1998 notamment).
49En fait, la notion d’autorité parentale conjointe correspond précisément à la conception doltoienne de la paternité, dans laquelle le père est une figure indispensable d’autorité – le droit de visite et d’hébergement venant assurer que celle-ci soit effective. Aujourd’hui encore, face aux facteurs qui limitent l’implication des deux parents (indisponibilité paternelle, éloignement des domiciles, coût des logements), les juristes français.es se rabattent sur une conception symbolique de la coparentalité. Elles et ils rappellent aux parents leurs droits et obligations quant aux décisions relatives aux enfants, plutôt qu’en ce qui concerne leur prise en charge concrète.
Une femme d’environ 35 ans, qui perçoit le RSA, est reçue par Sandrine Cabernet lors d’une audience à Valin en même temps que son ancien compagnon, un peu plus âgé, qui parle mal le français (je note qu’il est peut-être Rom). Pour « régulariser », elle demande la « garde exclusive » de leur enfant et un droit de visite et d’hébergement pour le père, un week-end sur deux. Quand elle dit : « je ne veux pas avoir à courir après lui pour les décisions », la juge lui demande si elle demande aussi l’autorité parentale exclusive, tout en la mettant en garde : « l’autorité parentale exclusive, ça doit être motivé, ce n’est pas pour des commodités administratives. »
Puis elle se tourne vers le père : « Voulez-vous laisser l’autorité parentale exclusive ? » La femme lui explique : « si je veux l’inscrire dans une école privée, je ne te demande pas ton avis. » Mais l’homme reste muet, semblant désemparé. La juge insiste, répétant plusieurs fois : « Que voulez-vous ? Vous voulez décider pour votre enfant ? » L’homme finit par dire « oui », puis confirme qu’il accepte le droit de visite proposé par son ex. La juge ne fait aucun commentaire sur celui-ci30.
50Les cas de conflits entre parents au sujet de la résidence donnent à voir les représentations croisées des professionnel.les de la psychologie et du travail social et des juristes, sur l’éducation des enfants. En pareil cas, les JAF ordonnent régulièrement des enquêtes sociales. À l’instar des éducateurs et éducatrices de la Protection judiciaire de la jeunesse (Sallée 2016, p. 171), ces rapports réalisés par des psychologues et des travailleuses sociales témoignent de l’influence durable de la psychanalyse sur l’appréhension professionnelle des problèmes familiaux. Ces expert.es mobilisent le syndrome d’aliénation parentale pour disqualifier les pratiques maternelles, tout en recourant à la théorie de l’attachement pour naturaliser l’investissement quotidien des mères auprès des enfants. Celles-ci doivent « être contenantes, apaiser l’enfant » (Minoc 2017, p. 79), tandis que les pères doivent avant tout se montrer responsables – en ne quittant pas inopinément leur emploi... Ces expertises révèlent la structure éminemment genrée des attentes des interventenant.es du pôle psychosocial à l’égard des parents. Si les juges opèrent un tri dans les enquêtes sociales, c’est bien par leur entremise qu’ils et elles sont mises au contact de ces normes d’inspiration psychanalytique. Pour les parents, la confrontation à ces normes opère aussi durant les rencontres avec les avocat.es voire lorsqu’ils cherchent des conseils dans la littérature psychologique grand public.
L’avocate Karine Morel rencontre pour la première fois un homme de 41 ans, cadre dans le privé gagnant 4 000 euros par mois, qui a quitté le domicile conjugal un an plus tôt. Lorsque celui-ci lui explique que sa fille de 11 ans « a pris le parti de sa mère », elle lui rétorque qu’il « fait un sale coup au niveau de l’Œdipe », en quittant le domicile conjugal et en s’engageant dans une nouvelle relation31.
Présentant un dossier, la juge Catherine Blanchard mentionne que ces deux parents, s’opposant sur la résidence de leur fils de 5 ans, ont cherché à lui remettre des livres en soutien à leurs demandes : pour conserver la résidence habituelle de l’enfant, la mère a voulu lui donner Le livre noir de la résidence alternée, le père, un ouvrage plus ouvert à sa demande d’alternance. La juge explique qu’elle a coupé court, car elle a déjà lu ces livres32.
51Enfin, cette définition symbolique de la coparentalité a limité le développement d’outils favorisant sa mise en œuvre. Par exemple, le « cahier de communication » entre parents, couramment utilisé au Québec, semble encore peu fréquent en France. De surcroît, on le sait, les juges disposent de très peu de temps pour chaque affaire, ce qui les encourage à reconduire les situations de fait, et non à ajuster le mode de garde aux conditions concrètes, et parfois complexes, de prise en charge.
52Dans les propos des JAF, et dans les notes que prennent les greffières en audience, l’expression même de « DVH classique » (un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires) atteste de la routinisation de leurs pratiques. Dans les faits, cette formule est loin d’être la seule option. Certains parents élaborent des organisations plus originales : le DVH « élargi » est prévu dans 11 % des divorces (Carrasco et Dufour 2015, p. 3). Cependant, les juges n’en font guère la promotion, se contentant de féliciter les parents, plutôt de milieu moyen ou aisé, utilement conseillés par des professionnel.les, qui ont réussi à s’accorder sur des solutions à la fois souhaitables et praticables.
Quand le père ayant quitté le domicile familial lui dit que ses contraintes professionnelles ne lui permettent pas de prendre ses enfants une semaine sur deux, l’avocate Karine Morel l’invite à imaginer d’autres options : « Il y a plein de systèmes de droit de visite et d’hébergement élargi. Du vendredi soir au lundi matin à l’école, ça permet de garder contact avec les établissements scolaires, ou bien on peut élargir en milieu de semaine, du mardi soir au jeudi matin, ou encore faire deux week-ends sur trois… » L’homme concède qu’il n’y a pas encore réfléchi, elle l’encourage à y penser.
De son côté, Anaïs Le Meur félicite des parents trentenaires d’avoir mis en place un rythme atypique de résidence alternée (2 jours / 2 jours / 3 jours, plutôt que 1 semaine / 1 semaine) après avoir pris l’avis d’un pédopsychiatre : « Ok, parfait. Ça se passe bien, c’est le principal. Quand les parents arrivent à dialoguer, c’est l’idéal », dit-elle au père durant une audience éclair de dix minutes33.
53Au-delà de l’étendard commun de la coparentalité, la France et le Québec présentent donc des conceptions différentes des rôles parentaux, lesquelles se sont nouées au croisement des espaces politiques, militants et professionnels. Certes, les revendications des groupes de pères n’ont pas abouti : leur souhait de voir la garde partagée octroyée dès lors qu’un parent le demande est rejetée tant en France qu’au Canada34. Cependant, ces groupes ont réussi à mettre en doute le travail des juges : « les avocats qui représentaient des hommes se plaignaient que les juges favorisaient systématiquement l’attribution de la garde à la mère », explique un ancien juge de la Cour d’appel du Québec35. Et que dire des attaques sexistes dont les juges françaises sont régulièrement les cibles (Bessière, Gollac et Mille 2016) !
54Jugée extrême par les haut.es fonctionnaires rencontré.es, la posture des groupes de pères ne les empêche pas d’agir comme lobbyistes (Fillod-Chabaud 2016) et de revendiquer « l’égalité parentale », définie à partir de la seule résidence alternée − plutôt que du partage égal du travail éducatif avant la rupture. Par contraste, l’argument le plus porteur des féministes, celui des violences intrafamiliales (Côté 2004), a peu de chances de toucher les affaires « tout-venant », dans la mesure où la lutte contre ces violences est loin d’être un objectif prioritaire de la justice familiale.
55Ce rapport de forces militant est présent dans les deux contextes, et contrairement à une idée répandue (et valable sur bien d’autres enjeux), il n’est pas certain que les féministes québécoises soient plus mobilisées et entendues sur ce sujet que les Françaises. Par conséquent, l’explication des différences nationales réside plutôt dans l’appréhension des rôles parentaux par les professionnel.les. Les savoirs psychologiques dominants, et leur appropriation par les juristes, sont ici déterminants. La psychologisation du droit et de la justice familiale est confirmée (Commaille 2015 ; Grossman et Friedman 2011), mais elle prend des formes variées selon le contexte. En France, les femmes, surtout quand elles appartiennent aux classes populaires, sont renvoyées vers leur rôle maternant, tout en se voyant privées de la reconnaissance sociale de cette prise en charge.
En 1993, le passage du terme « garde » au terme « résidence » dans le Code civil français constitue la première euphémisation de la prise en charge quotidienne des enfants. En 2014, la proposition de loi visant à attribuer aux deux parents la résidence des enfants (APIE), y compris quand ceux-ci ne séjournent qu’épisodiquement chez l’un.e des deux, accentue encore cette tendance : « Symboliquement, imposer la double résidence, c’est aussi faire avancer les mentalités », expliquait alors une magistrate en poste à la Chancellerie36.
56Au Québec, cette situation de fait prévaut aussi pour les mères de classes populaires, dans la mesure où leurs ex-conjoints sont peu enclins à demander la résidence. Dans les classes moyennes et supérieures, en revanche, la pression aux compromis avec les pères est plus forte qu’en France, car ceux-ci sont davantage incités à s’investir au quotidien auprès des enfants. Des différences semblables sont-elles visibles en ce qui concerne la contribution financière à la prise en charge des enfants ?
La « coparentalité » est-elle économique ?
Pour Sophie Carlasade, avocate à Marjac, « les dossiers où y a vraiment des questions fondamentales en jeu, [c’est] la résidence d’un enfant. [...] Déjà, bon, j’ai envie de dire : plaie d’argent n’est pas mortelle, on va pas plaider sur des chiffres éternellement… »37.
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Juge à Québec, Marc Lachance estime de son côté que la garde des enfants, « c’est la préoccupation centrale en matière familiale. Je n’en vois pas d’autres. Le reste, ce sont des piasses et des cennes [des dollars et des centimes] »38.
57Cette avocate française et ce juge québécois en attestent : le partage du coût financier des enfants est moins investi que la garde par les professionnel.les. Pourtant, les deux Codes civils l’énoncent clairement : les deux parents ont une obligation d’entretien à l’égard de leurs enfants. Celui du Québec dispose que la contribution alimentaire parentale « est présumée correspondre aux besoins de l’enfant et aux facultés des parents » (art. 587-1), tandis que son équivalent français indique que « chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant » (art. 371-2). La pension alimentaire (PA) est bien le dispositif majeur des solidarités économiques intergénérationnelles après la rupture ; elle est calculée selon des principes semblables de part et d’autre (« besoins » des enfants, « facultés » ou « ressources » des parents).
58De fait, cet enjeu est fréquemment soulevé par les parents. Dans plus de la moitié des audiences suivies hors consentement mutuel en France, ceux-ci ne sont pas d’accord sur la pension et demandent aux juges de trancher. Au Québec, ce sujet est omniprésent dans les rendez-vous avec les avocat.es (80 % des rencontres observées). Tout autant que la garde, cette dimension économique des rôles parentaux révèle le statut social des parents et les inégalités de genre. Moins souvent « gardiens » et disposant de revenus plus importants, les pères sont le plus souvent désignés pour la payer, dans la continuité du modèle historique de l’homme « pourvoyeur »39. Alors que les femmes sont davantage appauvries que les hommes après la rupture (encadré 2), c’est à elles de faire valoir les droits économiques de leurs enfants. Cependant, selon leur statut socio-économique, les hommes ne sont pas tous logés à la même enseigne tandis que toutes les femmes ne peuvent espérer que la pension couvre les « besoins » de leurs enfants.
59Ces traits communs s’accompagnent de différences nationales significatives. Les juristes français.es et québécois.es ne portent pas la même attention à la pension alimentaire. Au Québec, son versement fait figure d’obligation : ce primat donné à la prise en charge privée du coût de l’enfant réduit certes les inégalités hommes/femmes dans les classes moyennes et supérieures, mais il accentue la paupérisation des femmes précarisées. En France, en revanche, la définition symbolique de la coparentalité minore son importance.
Encadré 2. La féminisation de la pauvreté après la rupture
Les familles monoparentales sont les plus touchées par la pauvreté. Fixé à 50 % du revenu médian, leur taux de pauvreté s’établit à 31 % au Québec et à 22 % en France (Haut Conseil de la famille 2014, p. 130). Dans la mesure où la résidence des enfants est majoritairement fixée chez la mère, 85 % de ces familles en France et 80 % au Canada sont « dirigées » par des femmes (Insee 2015, p. 108 ; Bohnert, Milan et Lathe 2014, p. 11).
Cette féminisation de la pauvreté est renforcée par le moindre taux d’activité des femmes et leur rémunération plus faible : les familles dont le seul adulte est une femme sont beaucoup plus exposées au risque de pauvreté que celles où il s’agit d’un homme. Au Québec, le taux de faible revenu concerne une mère « isolée » sur trois contre un père « isolé » sur sept (Centre d’études sur la pauvreté et l’exclusion 2014, p. 12).
Prégnantes au bas de la stratification sociale, ces inégalités sexuées sont sensibles dans tous les groupes sociaux. En France, les données fiscales indiquent que le divorce conduit à une perte de niveau de vie moyenne de 19 % pour les femmes, contre 2,5 % pour les hommes (Bonnet, Garbinti et Solaz 2016, p. 3). Au Québec, les données judiciaires estiment que le revenu brut annuel médian des mères séparées s’établit à 20 000 $, contre 36 000 $ pour les hommes, soit un écart de 16 000 $ [Q-2008], nettement supérieur à celui observé au sein de la population générale (9 500 $ selon Conseil du statut de la femme 2016, p. 70).
Débiteurs et créancières
60La pension contribue significativement au revenu des mères séparées, comptant pour 18 % du revenu médian qu’elles déclarent en France (Bonnet, Garbinti et Solaz 2015, p. 3). Cette importance financière les conduit régulièrement à solliciter les juristes à son propos. Les administrations sociales jouent aussi un rôle dans ces sollicitations féminines : souvenons-nous que les parents bénéficiant des minima sociaux doivent prouver à l’administration qu’ils ont fait les démarches pour l’obtenir.
61Ces démarches donnent aux avocat.es un droit de regard sur la manière dont ces femmes dépensent leurs revenus, et plus largement sur les arrangements économiques au sein de leur maisonnée. Entre familiarisation au droit et réprobation, les dissymétries relationnelles étudiées dans le chapitre précédent jouent ici à plein. Quand le budget est serré, les arrangements familiaux et les pratiques de consommation sont scrutés avec attention.
Séverine Pineault, de l’aide juridique de Québec, reçoit une femme de 56 ans, qui en paraît dix de plus. Mère de deux filles de 18 et 23 ans, celle-ci perçoit en leur nom une pension de 700 $ et souhaite que leur père la leur verse directement, afin qu’elle ne soit plus comptabilisée dans ses revenus et cesse ainsi de diminuer ses prestations sociales. Elle travaille à temps partiel dans une chaîne de restauration rapide pour un revenu annuel de 18 000 $. Mais elle peut passer 3 ou 4 mois sans travailler du fait de ses problèmes de santé, en raison desquels elle perçoit une pension d’invalidité annuelle de 8 000 $.
Sa fille cadette suit une formation rémunérée et lui paie une partie du loyer ; l’aînée est revenue vivre chez elle après avoir terminé ses études, car elle n’a pas trouvé de travail. « Ça fait 5 ans [depuis que l’aînée est devenue majeure] que je me bats pour qu’il me cancelle [annule] les pensions. [...] Il veut pas, il capote [devient fou]. [...] Il a peur de payer plus. Il veut pas prendre d’avocat. Je suis tannée [j’en ai marre] », dit-elle avec lassitude.
Elle présente à l’avocate un autre problème financier : faute d’obtenir un prêt classique pour sa voiture, elle a souscrit un prêt à taux d’intérêt très élevé qu’elle n’a pu honorer complètement. La voiture a été saisie mais le créancier continue à lui réclamer de l’argent. Lisant son contrat de location longue durée, Séverine Pineault réalise qu’il prévoit une indemnité de résiliation : « Quand vous l’avez signé, vous l’avez bien lu ? – Ben, on a affaire à des gars de garage… – Des gars de garage… Avec un taux de 29 % par mois, ça a pas de bon sens ! Sauf que vous avez signé… » L’avocate précise que son salaire est saisissable en partie, contrairement à sa pension d’invalidité, et lui propose de faire appel à la cour des petites créances pour régler ce litige. Concernant la pension alimentaire, elle conseille à la femme de demander à ses filles de parler à leur père, et de le convaincre de payer ses frais d’aide juridique : « Ça lui coûtera moins cher qu’un avocat privé. »
62Cette observation est révélatrice des démarches que doivent engager un grand nombre de femmes, du fait de leur implication principale dans la vie quotidienne des enfants. C’est ainsi à elles qu’il revient de convaincre les juges des « besoins » de leurs enfants, notamment quand ils poursuivent leurs études, ainsi que le montrent ces deux cas concernant des adolescent.es.
Dans ce dossier post-divorce de Marjac (France), une comptable et un gérant d’entreprise, divorcés deux ans plus tôt, sollicitent Pierre Terreau pour modifier la pension de leur fils de 19 ans, qui a débuté ses études supérieures six mois plus tôt. Gagnant 1 600 €, la femme invoque les nouveaux frais occasionnés par sa scolarité en IUT, dans une ville éloignée de son domicile (loyer, transport etc.). Elle demande que la pension soit portée de 150 à 400 €. L’homme, dont le revenu mensuel s’élève à 2 600 €, fait quant à lui valoir ses autres charges (sa nouvelle conjointe attend un enfant et ne travaille pas). Il estime en outre que son fils aurait pu demander une chambre universitaire (moins onéreuse) et qu’il devrait travailler pendant les vacances. Il accepte que la pension passe à 200 €. Or les conclusions de la mère précisent que sa demande de résidence universitaire a été refusée, et qu’il passe « la majorité de ses vacances à réviser ses cours ». Le juge décide de passer la pension à 240 €, considérant que le coût du logement étudiant pourrait être « sensiblement réduit » et que le jeune homme « pourrait gagner quelques revenus en effectuant des petits emplois habituels quand on est étudiant (encadrement d’enfants, cours, babysitting…) »40.
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À l’issue d’une audience à Albanel (Québec), le juge Gabriel Forest dicte son jugement à la greffière-audiencière : « Quoique les ambitions de Madame soient louables, il faut avoir les moyens de nos ambitions », estime-t-il pour justifier son refus d’ordonner le paiement par un camionneur d’un ordinateur et de cours d’équitation demandé par une serveuse pour leurs trois filles âgées de 11 à 19 ans. « La réalité est que Monsieur et Madame ont tous deux des revenus modestes [30 000 $ et 21 000 $], des revenus qui ne doivent pas être disposés à la légère », précise-t-il. Il refuse les demandes concernant l’équitation et l’ordinateur mais accepte celle relative à la scolarisation dans une filière d’anglais intensif : « C’est une formation souhaitable dans un contexte de mondialisation, on sait qu’aujourd’hui les gens ne maîtrisant pas une langue seconde sont fortement défavorisés »41.
63Quand les pères travaillent au noir et/ou sous-déclarent leurs avoirs, c’est aux mères qu’il revient d’établir ces ressources cachées. Or, prouver de tels revenus, « ça coûte cher », explique Daniel Morel, avocat aguerri de la région de Québec, pour décourager une employée de supermarché, gagnant 26 000 $ par an, de se lancer dans de telles démarches contre son ex-conjoint garagiste42. Outre qu’elle prend du temps, de l’énergie et de l’argent, cette position de demandeuse confronte ces mères à leurs ex-conjoints : craignant d’attiser le conflit, certaines « sont prêtes à acheter la paix à tout prix », selon Charles Lavoie, qui travaille à l’aide juridique d’Albanel43. Elles ne vont au bout de leurs démarches que si elles sont soutenues par les professionnel.les.
Au cours de la même journée, Séverine Pineault reçoit une femme d’environ 25 ans, mère d’un fils de 5 ans et d’une fille de 3 ans, dont elle s’occupe à la maison. Après 6 ans de vie commune, elle s’est séparée d’un soudeur qui gagne 34 500 $ par an (soit à peu près le revenu médian masculin). C’est l’administration de l’aide sociale qui l’envoie au bureau d’aide juridique. L’avocate établit rapidement que l’homme devrait payer un peu moins de 600 $ par mois de pension. La cliente soupire, se met à pleurer : « Ça va faire de la chicane. » Me Pineault s’efforce de la rassurer en lui conseillant une médiation familiale : « C’est la loi qui l’impose. [...] La médiatrice va expliquer ça à Monsieur. L’aide sociale vous oblige à demander une pension alimentaire. Ne lui parlez pas du montant. Ça va venir d’une personne qui est neutre. »
64Ces cas soulignent que les mères défavorisées sont encore plus que les autres exposées aux difficultés posées par l’asymétrie entre mère gardienne et père pourvoyeur. Les professionnel.les peuvent ne pas accorder autant de légitimité à leurs dépenses éducatives qu’ils le feraient pour des mères des classes moyennes. Cela étant, les femmes disposant de plus de ressources ne sont pas exemptes de toutes ces contraintes : certains chefs d’entreprise fortunés se livrent à des opérations financières complexes pour diminuer leurs ressources imposables, lesquelles requièrent toute la technicité de l’élite juridique pour être mises au jour (Bessière et Gollac 2017 ; Biland et Mille 2017).
65Bien sûr, les hommes n’échappent pas à ce regard professionnel sur leurs modes de vie. Lorsque leur revenu diminue, ce sont eux qui sollicitent la Justice pour réduire la pension. Dans la moitié des dossiers de révision de pension québécois, c’est le débiteur qui est en demande – contre un quart dans lesquels c’est l’autre parent [Q-2008]. En France, un peu plus de la moitié des demandes de révision de pension intervenant dans les deux ans suivant le divorce sont initiées par des pères (Belmokhtar 2016, p. 5). Cependant, l’attitude des juristes à l’égard des créancières et débiteurs n’est pas identique : alors que les premières doivent ajuster leurs dépenses à leurs revenus souvent modestes, les seconds doivent plutôt démontrer que les modes de consommation ne contredisent pas leur devoir de pourvoyeur.
Mathilde Tabarès, qui est JAF à Valin, envisage deux situations polaires (homme aisé, personne paupérisée), qui lui paraissent problématiques du point de vue de la pension : « Si Monsieur a une BMW et ne veut pas payer la pension, si quelqu’un a un IPhone et qu’il est au RSA… »44.
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À l’aide juridique de Québec, Séverine Pineault reçoit une secrétaire de 29 ans, mère d’un bébé de 6 mois et séparée depuis une semaine d’un homme qui lave des vitres l’été et fait du déneigement l’hiver. Celui-ci est propriétaire d’un cheval, dont la femme détaille le coût d’entretien. « Il m’a dit : “T’auras pas une cenne [centime]” », explique la jeune femme. Séverine Pineault rétorque : « On va prendre la preuve devant un juge. On paie pas son cheval avant son enfant »45.
66En somme, selon leur position socio-économique, les devoirs financiers des hommes varient sensiblement. D’abord, les hommes paupérisés sont exemptés de pension. Les règles de fixation québécoises prévoient une déduction de base, qui s’établit à 11 400 $46, soit la moitié du salaire minimum annuel. La table de référence française fixe quant à elle le « minimum vital » à 545 € par mois, soit au niveau du RSA47. Un certain nombre d’hommes doivent donc faire la preuve de leurs faibles ressources pour finalement ne rien payer, tandis que des femmes doivent engager des démarches pour finalement ne rien toucher.
67Quand le capital économique augmente, l’évaluation de la capacité à payer prime la plupart du temps sur l’examen des besoins. Significativement, lorsque la taille de la fratrie augmente, le montant par enfant diminue, signe que les « besoins » des enfants ne sont pas estimés individuellement, mais de façon standardisée à partir de la double hypothèse des économies d’échelle et de la capacité limitée des pères à payer. Sauf exception (lorsqu’un enfant est en situation de handicap, par exemple), l’argumentation sur les dépenses occasionnées par les enfants n’intervient véritablement que lorsque les parents appartiennent aux classes moyennes supérieures : leur solvabilité et la légitimité de pratiques éducatives distinctives (école privée, loisirs coûteux) se conjuguent alors pour faire de la pension un outil de reproduction du statut social.
68Les deux modes de calcul disposent qu’au-dessus d’un certain revenu, le pouvoir discrétionnaire des juges prévaut. Au Québec, au-delà d’un revenu parental disponible supérieur à 200 000 $ annuels, un montant forfaitaire (14 430 $ annuels pour un enfant), assorti d’un pourcentage du revenu « donné à titre indicatif »48, est prévu par la table de fixation. En France, aucune formule de calcul n’est prévue au-delà de 5 000 € de revenu pour le parent débiteur. Autrement dit, pour les « riches », le travail des avocat.es est décisif pour déterminer les besoins des enfants et convaincre les juges de fixer un montant correspondant au statut social, parfois incertain, controversé ou en déclin, du parent débiteur.
Au TGI de Belles, les parents de deux adolescent.es, divorçant après 18 ans de mariage, se disputent sur la pension de leurs deux adolescent.es. La femme, très soignée, gagne 2 800 € par mois comme contrôleuse aérienne, après avoir passé 12 ans à s’occuper des enfants. L’homme, au teint hâlé, est pilote de ligne, mais il est en arrêt maladie pour dépression : ses revenus mensuels sont passés de 12 000 € à 4 600 €.
Dans sa plaidoirie, l’avocate de la femme demande 1 000 € de pension par mois, pour chaque adolescent.e. Elle justifie ce montant en expliquant que les enfants fréquentent des « établissements spécialisés » (une section pour enfants précoces pour la fille, pour enfants « dys » pour le fils) ; ajoute qu’il y a des frais d’orthophonie et d’orthodontie. Elle mentionne leurs activités de loisirs : piano pour elle ; tir à l’arc, natation, aéromodélisme pour lui. Plus généralement, elle parle du « niveau de vie » que sa cliente souhaite assurer à ses enfants. Un peu plus tôt, celle-ci a indiqué au juge qu’elle « essaie de leur garder une vie matériellement normale », organisant fêtes d’anniversaire et sorties.
En réplique, l’avocat de l’homme insiste sur la maladie de son client et sur le caractère potentiellement irréversible de sa diminution de revenu. « Étant donné son niveau intellectuel, il est très attentif à la scolarité des enfants, il est présent », ajoute-t-il, tout en estimant qu’il ne peut offrir plus de 500 € par mois et par enfant49.
69En somme, selon leurs ressources propres, les femmes sont plus ou moins dépendantes des transferts privés et publics, et sont donc inégalement exposées à la surveillance de leur mode de vie par les professionnel.les. Chez les femmes les plus modestes, la familiarité aux institutions, analysée dans le chapitre précédent, doit beaucoup à ces stratégies de survie domestique.
70L’enjeu de la pension alimentaire donne aussi à voir la différenciation socio-économique entre les hommes. Alors que les plus pauvres ne sont pas en capacité de jouer leur rôle de pourvoyeur – et sont aussi les plus susceptibles de ne plus voir leurs enfants –, les plus fortunés (en particulier s’ils sont chefs d’entreprise) peuvent jouer sur l’incertitude de leurs ressources, mais aussi des « besoins » de leurs enfants, pour contrôler leur implication financière auprès de ceux-ci.
Variations nationales autour de l’obligation d’entretien
71Ces schèmes partagés entre la France et le Québec ne signifient pas que les normes et pratiques économiques y sont identiques. Le juge québécois Marc Lachance qui, un peu plus haut, estimait que la garde est un sujet plus épineux que la pension, modère ensuite son propos : « C’est important qu’une pension alimentaire soit suffisante pour que les enfants, on subvienne à leurs besoins. Je ne le minimise pas. » Par contraste, les propos de l’avocate française Sophie Carlasade (« plaie d’argent n’est pas mortelle ») font écho à bien d’autres entendus dans ce contexte, où la pension alimentaire est un enjeu routinier et peu investi. Pour le dire autrement, ces deux citations laissent entendre que la dimension économique des rôles parentaux est moins affirmée côté français qu’outre-Atlantique.
72Significativement, les règles de fixation des pensions (communément appelées barèmes) ont été uniformisées plus précocement au Québec. Depuis 1997, la pension alimentaire québécoise doit être établie en fonction d’une table de fixation et d’un formulaire élaborés par le ministère de la Justice. Il est obligatoire de déposer ce formulaire pour obtenir une décision judiciaire, de sorte que celui-ci est largement utilisé. Ces outils sont plus élaborés que ceux diffusés en France : le guide édité par le ministère de la Justice compte 52 pages contre 6 pour son équivalent français ; deux logiciels dédiés sont utilisés dans les cabinets d’avocat.es. Ces outils confortent les prérogatives des professionnel.les, les plus aptes à les manipuler50, tout en autorisant un ajustement plus précis à la situation des parents et enfants – à l’instar des outils prévus pour le mode de garde.
73En France, la table de référence indicative diffusée depuis 2010 par le ministère de la Justice est d’usage extrêmement simple : on peut calculer un montant de pension en quelques clics sur de nombreux sites institutionnels ou professionnels. Cependant, son usage est loin d’être systématique. Dans les interactions entre professionnel.les et parents, ce sont plutôt ces derniers qui y font référence, tandis que les premiers marquent leur méfiance à son égard.
Une cliente, venue au tribunal pour faire établir une pension, dit à son avocate, Claire Robin, qu’elle a regardé le barème. Plutôt ouverte durant le reste de leur discussion, l’avocate la coupe : « il faut se méfier du barème », lance-t-elle, de sorte que la cliente n’y fait plus référence.
74La logique de standardisation et de prévisibilité est donc moins prégnante qu’au Québec. Dans les nombreux dossiers consultés [F-2013], la nature des informations économiques disponibles est très variable : allant du salaire brut ou net au revenu sans autre précision, incluant en général les prestations sociales mais ne les spécifiant pas toujours. Cette variabilité des pratiques renvoie certes à la réticence longtemps exprimée par les juges à l’égard de cet outil (nous y reviendrons), mais elle doit aussi à la moindre importance conférée à cette obligation économique.
75Souvenons-nous de cette magistrate de Besson, dans le cas introductif du chapitre 2, homologuant une convention de divorce par laquelle l’homme s’engage à payer 50 € de pension pour sa fille – quand le barème recommande 132 € : « C’est symbolique », dit-elle, sans demander d’explication ni remettre en cause cet arrangement51. Au Québec, la juge n’aurait pas entendu les parents en pareil cas (puisqu’ils étaient d’accord), mais elle aurait demandé que ce montant, très inférieur à celui prévu par le barème, soit justifié par la situation particulière des parties.
76Ces différences nationales sont visibles dans la proportion de dossiers dans lesquels aucune pension n’est fixée : 15 % des dossiers québécois [Q-2008] sont concernés, contre 32 % en France (Carrasco et Dufour 2015). Cet écart s’explique par l’appréhension différente de la contribution économique des hommes de classes populaires. En France, l’obligation ou l’exemption de payer est très liée à l’existence d’une prestation sociale, l’allocation de soutien familial (ASF), qui se substitue, sous certaines conditions, au parent qui ne peut assumer son obligation d’entretien. Nombre de juges hésitent à fixer une pension inférieure à ce montant, préférant que les femmes perçoivent cette prestation sociale : en 2007, seulement 7 % des pensions étaient inférieures à l’ASF [F-2007]. Le montant de celle-ci correspondait alors à la pension due par un débiteur gagnant 1 100 € par mois. Dès lors, c’est au-dessus du SMIC, plutôt qu’au-dessus du RSA, que l’obligation alimentaire devient vraiment effective.
77Cette réticence des juges à fixer de « petites » pensions va au-delà de leur prise en compte des prestations sociales ; elle renvoie à l’importance que ceux-ci confèrent au travail masculin, et plus précisément à la reprise d’activité professionnelle des pères précarisés. Comme le montre le cas ci-dessous, le retour à l’emploi ne doit pas engendrer une augmentation de la pension, risquant de priver ces hommes des fruits de leur travail. Juste au-dessous, le cas québécois présente un contraste frappant, puisque la juge y incite clairement une mère à demander une pension dès que le père aura repris le travail.
Lors d’une audience à Belles (France), une agente municipale, gagnant 2 200 € par mois, souhaite la résidence de ses enfants de 9 et 11 ans. Elle s’étonne que son ex-conjoint, électricien en CDD pour 1 300 € par mois, puisse ne pas payer de pension : « S’il n’est pas en mesure de payer la moitié des frais, c’est à moi de le faire ? », demande-t-elle. Anna de Mattéi, agacée par cette justiciable « visiblement très bien renseignée » sur l’état du droit (comme elle l’explique aux sociologues après l’audience), lui oppose une fin de non-recevoir : « L’intérêt des enfants, c’est aussi de voir le père qui a réussi à s’en sortir alors qu’il était RMIste. Il s’en est sorti ; Monsieur n’a pas démérité » (d’après le Collectif Onze 2013, p. 215)52.
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Une femme de 21 ans, mère d’un bébé de 6 mois et employée hospitalière, se présente devant Brigitte Lévesque au palais de justice d’Albanel (Québec). Son ex-conjoint est absent, mais son avocat explique qu’il « ne désire pas pour l’instant de droits d’accès et ne travaille pas ». Elle a quitté l’homme lorsque le bébé avait 10 jours et a porté plainte pour violence. Le père n’a jamais demandé à revoir l’enfant. À la fin de l’audience, la juge l’encourage à se retourner contre lui dès qu’il aura trouvé du travail : « Aussitôt qu’il travaille, vous allez exercer le recours alimentaire »53.
78Ces deux cas sont différents : le père français est en contact régulier avec ses enfants, tandis que le père québécois est absent – de la vie de son bébé comme de l’audience. La juge française donne la priorité au rôle éducatif du père plutôt qu’à sa contribution financière, tandis que le désengagement du père québécois motive la vigilance de la juge à l’égard de sa reprise du travail. Cependant, les constats tirés de ces cas sont valables au-delà de ces situations précises. Au Québec, les juges se montrent plus attentifs que leurs homologues français.es aux stratégies des pères pour diminuer la pension, telles que réduire leur temps de travail, sous-déclarer leurs revenus ou demander une garde partagée.
79Le mode de perception des pensions est un autre signe de cette plus grande vigilance. Dès 1995, le gouvernement a mis en place un système de perception à la source, en vertu duquel le débiteur verse la pension au fisc, qui se charge de la redistribuer à l’autre parent. D’un commun accord, les parents peuvent s’y soustraire (18 % des décisions concernées selon Haut Conseil de la famille 2014, p. 137)54, mais le non-paiement peut conduire à la fin de cette exemption et des pénalités sont prévues pour ceux qui ne versent pas la pension à temps au fisc.
80Dans les tribunaux et les cabinets d’avocat.es, ces dispositions sont fréquemment rappelées par les praticien.nes, tant pour convaincre les femmes de faire valoir leurs droits que pour signifier leur obligation aux pères. Ce volontarisme se heurte au coût des procédures pour les mères. Toutefois les pères ne sont pas exemptés des démarches : jusqu’en 2014, toute révision de pension prélevée à la source devait passer par une procédure judiciaire – dont le coût est supérieur à celui observé en France.
81Le contraste est en tout cas frappant avec la France, où le prélèvement à la source est quasi inexistant et où les juristes semblent pour beaucoup convaincu.es qu’il s’agit d’un « petit » sujet. Mieux vaut ne pas trop insister, disent-ils en substance, au risque d’aboutir à des décisions qui ne seront pas appliquées, voire de décourager l’implication éducative des pères.
82Les configurations nationales se distinguent également dans le traitement des pensions au sein des classes moyennes et supérieures. Dans les deux contextes, les pères les plus aisés ne sont pas forcément ceux qui paient, en proportion, les pensions les plus élevées ; toutefois, les hauts revenus sont davantage soumis à l’obligation d’entretien au Québec qu’en France. Là-bas, le droit prévoit que la part du revenu consacrée à la pension est moins importante pour les revenus élevés que pour les revenus modestes. La progression de la table de fixation est très nette lorsque le revenu des parents passe d’un demi-salaire médian à deux salaires médians55 : pour un enfant, son montant passe alors de 5,5 % à 11,5 % du revenu. Économistes et sociologues québécois.es considèrent que l’on appartient à la classe moyenne lorsque le revenu est compris entre 75 % et 150 % du revenu médian (Delorme, Saint-Cerny et Godbout 2014 ; Langlois 2016, p. 85). C’est donc à la frontière des classes populaires et des classes moyennes que le poids de la pension dans le revenu parental augmente le plus.
83Il faut cependant avoir en tête que la table de fixation québécoise ne régit que la « contribution alimentaire de base ». Des montants supplémentaires peuvent s’y ajouter pour la garde des jeunes enfants, les études supérieures ou encore la santé, l’école et les activités extrascolaires. Un quart des dossiers prévoient de tels frais et, toutes choses égales d’ailleurs, ceux-ci ont d’autant plus de chances d’être ordonnés que les parents sont aisés [Q-2008]. Ces sommes viennent en partie contrecarrer la dégressivité de la contribution alimentaire de base dans les strates élevées de revenu. Ajoutons que contrairement à la situation française, les pensions versées pour les enfants ne sont pas déductibles du revenu imposable : les pères québécois ne peuvent en tirer des bénéfices fiscaux, ce qui augmente mécaniquement le poids des pensions dans leur budget, par comparaison aux pères aisés français.
84En France, le barème prévoit que la proportion du revenu consacrée à la pension est constante, quel que soit le revenu du parent débiteur (13,5 % pour un enfant en résidence exclusive avec droit de visite classique). Toutefois, ce pourcentage est calculé déduction faite du « minimum vital » de 550 €. Ce mécanisme alourdit la proportion du revenu consacrée à la pension quand le revenu augmente : il passe de moins de 7 % pour un revenu de 1 000 € à 12 % pour un revenu de 5 000 €.
85Cependant, les décisions de première instance réduisent cette progressivité du barème. En cas de désaccord entre les parents, les JAF fixent des montants relativement proches du barème… sauf quand le débiteur a un revenu supérieur à 4 000 € : les montants fixés sont alors nettement plus faibles en moyenne (Bourreau-Dubois et al. 2011, p. 123). Nos observations éclairent cette tendance au plafonnement des pensions par les réticences des juges à fixer des pensions très élevées – tel Étienne Paletot face au père issu d’une famille « à grosse fortune ». La position sociale des JAF, appartenant aux fractions cultivées des classes supérieures, a ici un impact. Les « besoins » coûteux des enfants de la bourgeoisie économique leur paraissent souvent relever du luxe ou du caprice, voire être contraires à « l’intérêt de l’enfant », s’ils ou elles n’en perçoivent pas la finalité éducative (Le Collectif Onze 2013, p. 222-223).
86Le chapitre 2 l’a souligné : les magistrat.es de la Cour supérieure du Québec ont une position sociale plus élevée, qui se manifeste notamment par leur haut revenu. Leur style de vie (chalet dans les Laurentides ou dans Charlevoix, voyages en Europe ou « dans le Sud », etc.) les rapproche des justiciables fortunés. Finalement, elles et ils considèrent comme légitimes des dépenses que les juges français.es jugeraient superflues ou ostentatoires.
87D’un bout à l’autre de l’échelle sociale, les dispositifs publics de cadrage des pensions alimentaires (règles de calcul, mode de perception, fiscalisation) conduisent donc à leur plus grande variabilité selon le revenu au Québec. En France, la moitié des pensions fixées en 2012 étaient comprises entre 100 et 200 € par mois (Belmokhtar 2014). Au Québec, en 2008, il faut aller de 40 à 180 €56 pour regrouper la moitié des pensions « de base » [Q-2008]. Les pensions élevées y sont de surcroît plus fréquentes, puisque 12 % des pensions « de base » dépassent 360 € par mois et par enfant – contre 10 % de pensions françaises fixées au-dessus de 300 € [F-2007].
88Au Québec, la contribution financière à l’éducation des enfants se révèle en somme plus variable selon la classe. Cette variabilité ne peut être imputée à la structure globale des revenus, car l’écart entre le premier et le dixième décile y est similaire (3,6 ici ; 3,7 là-bas) (Gouvernement du Québec 2016, p. 57). Elle renvoie bien à la valorisation plus marquée du rôle économique des pères dans le contexte québécois.
89Les revenus pris en compte par les barèmes constituent un autre indicateur des différences nationales en matière d’inégalités de genre. La table de référence française prend en compte le « revenu du débiteur » mais la table de fixation québécoise se fonde sur le « revenu disponible des parents ». Quelle différence cela induit-il ? D’un point de vue calculatoire, aucun : la circulaire du ministère français de la Justice consacrée au barème57 explique que celui-ci prend en compte de manière « indirecte » la contribution du créancier, en faisant l’hypothèse qu’il participe selon le même pourcentage que le débiteur. Mais cette méthode de calcul invisibilise la contribution financière du parent gardien, et donc les inégalités structurelles entre pères et mères.
90Ce barème reflète une pratique courante des JAF, qui consiste à prendre en compte, d’abord et avant tout, le revenu du parent non gardien pour fixer la pension. Les études économétriques montrent que ce revenu – autrement dit la capacité à payer du père – est le principal déterminant du montant de la pension (Bourreau-Dubois et al. 2003). Or ce mode de calcul est problématique dans les cas de changement de revenu, s’ajustant à ceux du débiteur, mais pas de l’autre parent.
91Il montre de surcroît ses limites en cas de résidence alternée. Le barème prévoit bien qu’une pension soit versée en pareil cas, mais celle-ci est peu fréquente dans les faits : elle concerne moins du quart des résidences alternées fixées en 2012 (Carrasco et Dufour 2015, p. 4). La circulaire du ministère de la Justice explicite les deux cas, pensés comme minoritaires, dans lesquels la résidence alternée peut donner lieu à pension : « en l’absence du partage volontaire par les parents des frais liés à l’enfant en fonction de leurs ressources ou si l’un des parents est dans l’incapacité d’assumer la charge financière de la résidence alternée ». Les juges postulent en général que les parents se partagent ces frais par moitié, quand bien même leurs revenus sont inégaux, et ne fixent pas toujours de pension en cas de disparité majeure.
En 2013, un juge de Besson rend une décision de résidence alternée dans une affaire « après divorce » opposant une vendeuse en boulangerie à temps partiel, payée 420 € par mois, à un métreur, gagnant 3 060 € par mois, à propos de leur fils de 9 ans. La femme demande 200 € au titre de la pension, le barème proposant 224 €. Cependant, le juge n’en fixe aucune, estimant que ses charges sont limitées (elle vit dans un logement dont son nouveau conjoint est propriétaire) et que le père s’engage à prendre en charge les frais de scolarité du fils, advenant que celui-ci fréquente plus tard un collège privé58.
92Par conséquent, la diffusion de la résidence alternée conduit à des pensions moins fréquentes et moins élevées. Entre 2003 et 2012, la proportion de dossiers dans lesquels une pension est fixée a diminué de 5 points parmi les parents non mariés ; les montants se sont réduits de 10 % (Carrasco et Dufour 2015, p. 5). En somme, l’accent mis sur la « coparentalité » éducative ne s’est pas accompagné d’une valorisation équivalente de la « coparentalité » économique : quand les femmes acceptent de faire une place quotidienne aux pères, elles y perdent souvent financièrement.
93Par contraste, le mode de calcul québécois prévoit explicitement le partage du coût de l’enfant en fonction du revenu de chaque parent. En théorie, il n’y a pas de pension si et seulement si les parents se partagent également le temps de garde et s’ils ont exactement le même revenu. Dans les faits, toutes les décisions ne suivent pas le montant prescrit par le barème : dans la moitié des ententes entre parents, la pension est inférieure d’au moins 10 % à celle prévue [Q-2008]. Cependant, l’écart par rapport à la situation française est manifeste : une pension alimentaire est fixée dans les trois quarts des gardes partagées judiciarisées [Q-2008], soit trois fois plus souvent qu’en France ! Autrement dit, l’implication quotidienne n’exonère pas les pères québécois de leur obligation économique. Le système québécois organise davantage que le nôtre la solidarité économique entre hommes et femmes. Considérant les compensations économiques entre ex-époux à l’issue des divorces, c’est toute l’économie privée des couples désunis qui prend mieux en compte les inégalités de genre.
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94La valorisation contemporaine de la « coparentalité » par le droit et par ses praticien.nes ne mène aucunement à la symétrisation des rôles paternels et maternels. Les obligations qui continuent de peser sur les mères relèvent en large part du consentement, ancré dans la socialisation genrée et dans l’expérience préalable à la rupture. Mais portés par les rappels des juges et des avocat.es sur la place à faire aux pères, marqués par leur situation financière fragile, les rôles maternels sont de fait plus contraignants que l’encouragement à l’implication paternelle, plus rarement suivi de sanctions.
95Ce tableau se nuance quand on y intègre les droits et devoirs économiques, ainsi que la variabilité sociale des normes et des pratiques. Les hommes les plus précarisés tendent à s’écarter de la norme de coparentalité, du fait de leur situation sur le marché du travail mais aussi de leur distance aux institutions. Leurs ex-conjointes sont les actrices incontournables de la prise en charge des enfants – celles qui ne peuvent se défiler quand le père ne se manifeste pas. Quand on monte dans l’échelle sociale, les incitations à l’implication paternelle trouvent davantage d’écho, du fait de leur solvabilité relative, mais aussi des ressources éducatives que ces pères peuvent mobiliser. Les femmes sont alors enjointes de leur faire une place, sachant que l’investissement paternel demeure très variable, tant d’un point de vue éducatif que d’un point de vue financier.
96C’est là que les différences entre la France et le Québec prennent toute leur ampleur (tableau 7). Au Québec, la dimension pratique de la norme de coparentalité est plus affirmée, y compris en ce qui concerne les transferts financiers entre parents. Les femmes québécoises des classes moyennes et supérieures peuvent espérer que l’obligation alimentaire soit davantage respectée que les mères françaises.
Tableau 7. Variations nationales de la norme de coparentalité
En France : « coparentalité » symbolique | Au Québec : « coparentalité » pratique | |||
Rôle éducatif | Rôle économique | Rôle éducatif | Rôle économique | |
Mères | Obligation de faire une place décisionnelle et occasionnelle aux pères | Obligation de demander une pension alimentaire, parfois inexistante, souvent réduite, sans assurance de la percevoir effectivement | Obligation de faire une place quotidienne aux pères… s’ils le demandent (et sauf déviances) | Obligation de demander une pension alimentaire, avec de fortes chances de l’obtenir et de se la voir verser |
Pères | Incitation à exercer ses droits décisionnels, occasionnels, voire quotidiens dans les classes moyennes et supérieures | Obligation de payer la pension à partir des fractions supérieures des classes populaires, peu contrôlée dans son effectivité | Incitation à exercer ses droits quotidiens, appropriée très inégalement selon le statut social | Obligation de payer la pension alimentaire, hormis pour les pères les plus précarisés |
Notes de bas de page
1 Le droit français parle de « contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants » et le droit québécois de « contribution alimentaire parentale ». Pour plus de facilité, l’expression utilisée à l’oral est employée ici.
2 Entretien par Catherine Rainville et Gabrielle Schütz en novembre 2011, à Québec.
3 Observation par EB et Arnaud Cogez, en décembre 2009, à Belles.
4 Entretien par Aurélie Fillod-Chabaud et Catherine Rainville, en juin 2011, à Québec.
5 Article 7 de la proposition de loi « Autorité parentale et intérêt de l’enfant », Assemblée nationale française, 1er avril 2014 : [http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0371.asp].
6 Entretien par EB et Hélène Steinmetz, en juin 2016, à Paris.
7 Inscrite dans la lutte contre les violences faites aux femmes, l’ordonnance de protection, délivrée en urgence par le JAF pour faire cesser les violences au sein du couple, a été créée en 2010 (Loi no 2010-769, 9 juillet 2010 : [https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?categorieLien=id&cidTexte=JORFTEXT000022454032]). En 2016, les JAF ont été saisis de 3 100 demandes d’ordonnance de protection. Ils et elles ont accueilli favorablement 60 % de ces demandes (Guillonneau 2019).
8 Observation par EB, en novembre 2015, à Paris.
9 Observation par EB, en février 2016, à Besson.
10 Entretien par Catherine Rainville et Hélène Zimmermann, en avril 2013, à son cabinet.
11 Entretien par EB et Catherine Rainville, en juin 2011, à Québec.
12 Observation par Céline Bessière et Shahideh Noorolahian, en février 2009.
13 Observation par EB et Catherine Rainville, en mai 2011.
14 Observations par Marion Azuelos et Hélène Steinmetz, en mars 2009, et par Céline Bessière et Jérémy Mandin, en avril 2009, à Belles.
15 Observation et entretien par Aurélie Fillod-Chabaud et Catherine Rainville, en mai et juin 2011, à Québec.
16 Audience observée et dossier consulté par Catherine Rainville et Gabrielle Schütz, en janvier 2012, à Montréal.
17 Observation par Muriel Mille, en septembre 2013, à Montréal.
18 L’état des rapports sociaux de sexe (moins inégalitaires au Québec ?) constitue une hypothèse complémentaire, que les données disponibles ne permettent cependant pas d’étayer complètement (Biland 2017, p. 207-208).
19 Loi no 2002-305, 4 mars 2002 : [https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000776352].
20 L.R.C. (1985), ch. 3 : [https://www.canlii.org/fr/ca/legis/lois/lrc-1985-c-3-2e-suppl/derniere/lrc-1985-c-3-2e-suppl.html].
21 Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3 : [https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/1070/index.do].
22 À commencer par L.(T.) c. L.A.P., 2002 CanLII 41252 (QC CA) : [http://canlii.ca/t/1ckk0].
23 « Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation », dispose l’article 33 du Code civil du Québec pour définir l’intérêt de l’enfant.
24 En 2005, Camil Bouchard, alors député du Parti québécois, s’est fait le porte-parole des groupes de pères à l’Assemblée nationale, reprenant leurs conclusions quant à la « discrimination systémique envers les hommes, devant les tribunaux, en ce qui concerne la garde des enfants » (Assemblée nationale du Québec 2005). Il resterait à étudier s’il a noué des liens concrets avec ceux-ci et à quelle période.
25 Une décision de la Cour d’appel du Québec le reconnaît en 1994 (200-12-042928-904 C.S.Q). En France, cette reconnaissance a lieu deux décennies plus tard : Arrêt no 660 du 26 juin 2013 (12-14.392) - Cour de cassation - Première chambre civile.
26 Entretien par Catherine Rainville et Hélène Zimmermann, en avril 2013, à Albanel.
27 Observation par Hélène Zimmermann, en octobre 2013, à Albanel.
28 Entretien par Muriel Mille, en octobre 2013.
29 Entretien par Jessika Drouin et Gabrielle Schütz, en avril 2012.
30 Observation par EB et Pierre de Larminat, en mars 2010.
31 Observation par Céline Bessière et Sibylle Gollac, en février 2016, près de Besson.
32 Entretien par Jérémy Mandin et Hélène Steinmetz, en décembre 2008, à Belles.
33 Observation par EB et E. Hennequin, en décembre 2009, à Belles.
34 En 2009, des propositions de loi en ce sens ont été déposées par des députés conservateurs, à l’Assemblée nationale française comme à la Chambre des communes du Canada (proposition de loi no 1531 ; projet de loi C-422 en 2009). Elles sont restées sans suite, de même que la pétition déposée sur le site de l’Assemblée Nationale du Québec en 2016 (Garde partagée des enfants appliquée par défaut en cas de séparation, soutenue par l’Action des nouvelles conjointes et des nouveaux conjoints du Québec et par l’Association des grands-parents du Québec).
35 Entretien par Marie Hautval et Hélène Zimmermann, en septembre 2015, à Québec.
36 Entretien par EB, en novembre 2015, à Paris.
37 Entretien par Sibylle Gollac et Raphaëlle Salem, en février 2009.
38 Entretien par EB, Aurélie Fillod-Chabaud et Catherine Rainville en mai 2011.
39 Cette expression désigne un modèle social dans lequel l’homme apporte tout ou la partie la plus importante du revenu du foyer en travaillant à l’extérieur de celui-ci. Nombre d’États-providence (dont la France) se sont construits sur ce modèle, en faisant dépendre la protection sociale du travail salarié. L’entrée massive des femmes sur le marché du travail a conduit au déclin de ce modèle, mais pas à sa disparition, du fait de la persistance des inégalités de revenu selon le sexe (Lewis 2001 ; Périvier 2013).
40 Dossier consulté par Sibylle Gollac, en février 2009.
41 Observation par EB et Catherine Rainville, en juin 2011.
42 Observation par Hélène Zimmermann, en mai 2013.
43 Entretien par Hélène Zimmermann, en avril 2013.
44 Observation par EB et Rémi Audot, en mars 2010.
45 Observation par EB, en septembre 2013.
46 [https://www.justice.gouv.qc.ca/fileadmin/user_upload/contenu/professionnels-securise/FR/TA_tablefix_parent_2019_MJQ.pdf] (consulté le 27 février 2019).
47 [https://www.justice.fr/simulateurs/pensions/bareme] (consulté le 27 février 2019).
48 [https://www.justice.gouv.qc.ca/fileadmin/user_upload/contenu/professionnels-securise/FR/TA_tablefix_parent_2019_MJQ.pdf] (consulté le 27 février 2019).
49 Observation d’une audience de conciliation par Aurélie Fillod-Chabaud et Sibylle Gollac, en avril 2009.
50 En 2018, un outil de calcul en ligne a toutefois été mis à disposition de tou.tes : [https://services12.justice.gouv.qc.ca/cpa/cpa/].
51 Observation par EB, en février 2016.
52 Observation par Marion Azuelos et Hélène Steinmetz, en mars 2009.
53 Observation par EB et Gabrielle Schütz, en octobre 2011.
54 Cette exemption est conditionnée au dépôt d’une « sûreté » correspondant à un mois de pension, auprès du fisc (ou bien d’une lettre de garantie de la banque du débiteur).
55 Ce calcul, effectué à partir des données réunies par le Haut Conseil de la famille (2014, p. 134), considère la pension prévue en cas de garde exclusive, avec droit d’accès usuel, et considère que le revenu parental médian est égal à 56 000 $ annuels (23 000 $ pour une femme et 33 000 $ pour un homme) (Conseil du statut de la femme 2016, p. 70).
56 Au taux de change de 0,69€ pour 1$.
57 Circulaire CIV 06/10, 186-07/C1/3-10-1/AJ, du 12 avril 2010.
58 Dossier consulté par EB, en juillet 2016.
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