Chapitre 7
Être disposé, c’est être bien disposé
p. 223-246
Texte intégral
La nécessité ne peut s’accomplir, la plupart du temps, que parce que les agents sont inclinés à l’accomplir, parce qu’ils ont le goût de ce à quoi ils sont de toute façon condamnés. […] Le goût est amor fati, choix du destin, mais un choix forcé.1
1Introduire le concept de disposition dans une théorie de l’action permet de saisir le rapport entre le façonnement des corps et des esprits à partir du milieu, et les manières d’être ainsi conditionnées. Il désigne plus précisément un désir naissant, une inclination ou tendance, l’agent étant « disposé » à opérer de la manière dont il est condamné à opérer. Ce à quoi l’agent est disposé constitue son essence propre en tant qu’elle est actuelle, et son effort consiste à persévérer dans cet être qu’il est. Il faut donc entendre, dans le concept de disposition, l’idée d’adhésion à ce à quoi nous sommes déterminés. Face à une contrariété extérieure à son effort, l’agent est tout disposé, par pure affirmation de lui-même, et avec une certaine joie s’il y parvient, à résister à cette contrariété. Tout ce qu’il fait, il le fait parce qu’il y est disposé, même quand il est triste, la tristesse étant un état de contrariété de l’effort qui dispose l’agent à y résister. Si les choses de la nature n’agissent jamais volontairement au sens traditionnel du terme, du moins agissent-elles toujours volontiers, malgré elles, mais plus ou moins de bon gré. Bien plus, si l’on conçoit la volonté au sens que lui donne Spinoza dans le scolie de la proposition 9 d’Éthique III, il est possible de soutenir que tout ce à quoi s’efforce l’esprit, il le fait volontairement, plus ou moins volontiers selon les contrariétés et les aides qui ont déterminé ou accompagné son effort. Être disposé, c’est être déterminé (au sens « bien décidé ») à accomplir ce qu’on est déterminé (au sens d’un enchaînement nécessaire des causes et des effets) à accomplir :
La critique des conceptions de l’acteur qualifiées d’« hypersocialisées » […] confondent, sans rire, déterminisme et passivité, et font comme si les déterminismes sociaux pouvaient agir sur des corps morts, comme s’ils ne supposaient pas une certaine détermination et un certain engagement « personnel » de la part des acteurs. Être résolument déterminé à commettre tel ou tel acte est une façon courante de sentir et de vivre les déterminismes sociaux dont nous sommes les produits.2
2Ce que Bourdieu appelle l’amor fati, qui consiste à faire de nécessité vertu, est contenu dans le concept de disposition. L’adhésion de l’agent à ce à quoi il est condamné forme pour ainsi dire « l’idéologie » contenue dans toute action dite « volontaire ». L’idée que l’agent se fait de son action n’est jamais que la justification de l’ordre établi, par l’affirmation qu’elle implique de ce dont elle est l’idée. Il faut néanmoins étendre la portée de cette remarque au-delà du champ sociologique et complexifier le modèle pour prendre en compte la pluralité des tendances.
3Le verbe « disposer » est précieux pour une philosophie qui tente de rendre compte des passions et du relais qui s’effectue dans l’agent entre les causes extérieures et les désirs ou les volontés qu’elles font naître. Ainsi, Descartes le convoque pour signifier que les passions « incitent et disposent » l’âme « à vouloir les choses auxquelles elles préparent leur corps »3. Le langage de « l’incitation à vouloir » ainsi que la disjonction entre ce qui se trame dans l’âme et ce qui se prépare dans le corps s’expliquent par des présupposés théoriques du cartésianisme, très différents de ceux du spinozisme. Que l’on puisse « ne pas consentir »4 est un préjugé cartésien. Que la passion dispose surtout le corps à effectuer certaines actions, et que la force de la volonté puisse suspendre le pouvoir de la passion, au moins dans ses effets, sera contesté par Spinoza. Néanmoins, les deux philosophes usent du même concept pour désigner l’état d’un individu en proie à des passions dont les actions sont des effets, non seulement contraints, mais aussi relayés par l’agent.
4L’usage de cette notion chez l’auteur des Passions de l’âme est cependant surdéterminé par une interprétation téléologique des passions, qu’elle contribue même à suggérer par sa double connotation de détermination corporelle (disposition du corps) et d’inclination (disposition à vouloir) : en effet, les émotions « disposent l’âme à vouloir les choses que la nature dicte nous être utiles, et à persister en cette volonté ; comme aussi la même agitation des esprits qui a coutume de les causer dispose le corps aux mouvements qui servent à l’exécution des choses »5.
5Le concept de disposition peut servir à suggérer une bonne nature de la nature6. Que l’âme soit disposée à vouloir ce qui, par une institution de la nature, est bon pour le corps permet à un système dualiste comme celui de Descartes de réintroduire de l’unité entre l’ordre des fins et l’ordre de la causalité mécanique7. Ce qui est nécessaire selon les dispositions du corps, l’âme se le représente comme bon et désirable. Le concept de disposition permet ainsi de réunir nécessité physique extérieure et nécessité morale intérieure. Dans une philosophie qui a instauré un dualisme et une liberté de la volonté, l’idée selon laquelle il est possible d’être disposé de telle manière qu’on soit bien disposé à opérer de cette manière réintroduit de l’unité (l’âme et son sentiment du corps propre) tout en maintenant une possible indétermination dans le rapport :
selon l’institution de la nature, [les passions] se rapportent toutes au corps, et ne sont données à l’âme qu’en tant qu’elle est jointe avec lui : en sorte que leur usage naturel est d’inciter l’âme à consentir et contribuer aux actions qui peuvent servir à conserver le corps ou à le rendre en quelque façon plus parfait.8
6Le mot « disposition » est donc mobilisé de façon à signifier le relais entre des déterminations, l’état qui en résulte et l’inclination qui s’ensuit. Spinoza hérite de cet usage, mais en évacue la dimension téléologique, ainsi que l’indétermination du relais et le présupposé dualiste. Selon la formule de Malebranche, le concept de disposition sert à expliquer que des choses se fassent « en nous sans nous et même malgré nous »9, de façon non réfléchie mais avec un consentement de l’âme. Spinoza tient ensemble ces différentes connotations du terme dispositio, mais dans un cadre théorique nécessitariste et antiprovidentialiste. Le relais qui s’opère des déterminations extérieures aux dispositions subjectives est strictement causal et n’est pas réglé par une bonne nature de la nature : de même que l’extériorité qui nous affecte le fait de la façon la plus aveugle, de même nos aspirations ne sont pas ordonnées de façon téléologique10. L’alliance de cet antifinalisme et de cette idée de relais des dispositions-déterminations aux dispositions-désirs conduit à défendre la thèse spinoziste selon laquelle nous pouvons être très bien disposés à faire ce qui nous conduit à notre perte en croyant qu’il y va de notre liberté et de notre salut.
Quoi qu’on fasse, on le fait de gré
7La notion de disposition permet de rendre compte de l’adhésion de l’esprit à des actions pourtant absurdes d’un point de vue éthique, comme parfois du point de vue de l’agent lui-même qui fait volontiers ce qu’il ne voulait pas faire, ou qui veut faire ce qu’il aurait aimé ne pas faire. L’esprit veut ce que le corps est disposé à appéter, et ce peut être au détriment de la santé et du bonheur, ou d’autres appétits concurrents11. Cela n’empêche pas l’agent de vouloir ce qu’il est déterminé à vouloir.
8Il est alors possible d’affronter la difficulté que rencontre toute philosophie déterministe : la présence d’un sentiment de libre consentement malgré l’existence objective d’une contrainte. Ce sentiment n’étant plus référé à une conception morale et providentielle de la nature, il peut être expliqué naturellement selon un rapport d’expression partielle et mutilée des dispositions du corps dans les aspirations de l’esprit. Il est en effet significatif que, dans le système spinoziste, aucune opération ne peut être, à proprement parler, effectuée contre le gré de l’agent. Certes, nous l’avons vu avec l’avare peureux, des actions peuvent être effectuées contre notre plein gré, mais c’est encore et toujours parce que nous le voulons bien. L’affect le plus puissant triomphe toujours, et si sa puissance dépend de la puissance de la cause extérieure12 et qu’il s’enracine souvent dans une contrariété première que l’agent cherche à surmonter, il n’en reste pas moins vrai que l’agent place toujours tout son effort dans l’effectuation de l’opération à laquelle le détermine son affect. C’est la raison pour laquelle nous sommes toujours cause même inadéquate de nos actions.
9Certes, Spinoza envisage la possibilité pour un homme de faire ce qu’il ne désire pas : « Tant que les hommes agissent par la seule crainte, ils font le contraire de ce qu’ils désirent sans considérer l’utilité et la nécessité de ce qu’il faut faire, mais se soucient seulement de sauver leur tête et d’échapper au supplice »13. L’individu qui agit sous l’emprise de la crainte est contrarié par les circonstances extérieures dans son effort pour poursuivre ce qu’il juge, selon sa propre complexion, être l’utile propre. Néanmoins, il n’agit pas pour autant contre son gré, étant déterminé et bien disposé par exemple à sauver sa tête et à échapper au supplice. Si les soldats menés par la crainte sont moins efficaces que ceux menés par l’espoir, ce n’est pas tant qu’ils vont au combat contre leur gré (sinon ils n’iraient pas), qu’ils ne le font contre leur plein gré : leurs affects les inclinaient à d’autres actions, mais ceux-ci se voient soudainement contrariés par un affect plus puissant, le désir de sauver leur vie. Ce sont les actions et les désirs déterminés par leur crainte qui l’emportent, et si ces désirs s’expliquent en partie par la cause extérieure, ils enveloppent aussi la nature des corps des soldats qui tentent de persévérer dans leur être « autant qu’il est en eux » et à leur manière. En ce sens, ils font ce qu’ils désirent, comme c’est le cas de celui qui obéit par crainte au souverain :
Car quelle que soit la raison pour laquelle un homme décide de suivre les ordres du Souverain, que ce soit par crainte de la punition, par l’espoir de quelque profit, par amour de la patrie, ou sous l’impulsion de tout autre affect, il se décide de son propre chef et agit néanmoins selon le commandement du souverain.14
10L’esclave qui obéit au tyran a beau ne pas être sui juris, et encore moins cause adéquate, il opère, en un sens, volontiers : « qu’on soit obligé par l’amour ou contraint par la crainte à éviter un mal, on agit toujours de son propre chef et selon sa volonté »15. Il ne s’agit pas de dire que le gré est égal : agir par espoir, ce n’est pas la même chose qu’agir par crainte, et Spinoza en est conscient. Il faut faire ici un calcul de la quantité de joie et de tristesse impliquée dans l’action, c’est-à-dire de la quantité de contrariété et d’aide même imaginaires que reçoit le conatus. Il y a bien une gradation du gré, qui va du gré fortement contrarié par nombre d’aspirations contraires, au gré plein et entier. Entre les deux, la plupart des hommes oscillent entre la crainte et l’espoir. Dans la crainte, il s’agit de choisir entre deux maux, tandis que dans l’espoir, il s’agit de choisir entre deux biens. Néanmoins, il faut reconnaître qu’entre les deux maux, il en est un plus incertain que l’autre, sinon nous ne pourrions pas nous déterminer à l’action. Aussi y a-t-il plus d’espoir dans l’un que dans l’autre, et nous le préférons. Dans l’espoir, nous nous portons vers le bien le plus certain, c’est-à-dire celui où le défaut est le moins à craindre, ce qui ne va pas sans crainte. L’espérance et la crainte impliquant toutes deux un doute quant à l’issue future du bien ou du mal attendu, l’espérance qui est une joie implique de la crainte qui est une tristesse, et la crainte qui est une tristesse implique de l’espérance qui est une joie16. Tout est affaire de gradation, mais l’essentiel est de comprendre qu’on ne descend jamais en deçà d’un gré minimal, ne serait-ce que celui procuré par l’espoir de sauver sa vie. Sinon, c’est le désespoir, la mélancolie, ou le suicide, dont on examinera plus loin la dimension « volontaire »17.
11On remarquera que si Spinoza distingue la peur et la crainte, définissant la peur comme n’étant rien d’autre que « la crainte, en tant qu’elle dispose l’homme à éviter un mal, qu’il juge devoir se produire, par un mal moindre »18, c’est parce que la crainte, qui est une tristesse, n’est pas une disposition, mais une contrariété. La peur au contraire est bien un désir19, c’est-à-dire l’effort en tant qu’il résiste à une contrariété. Manifestement, pour Spinoza, la crainte ne dispose à agir que s’il y a de la peur, c’est-à-dire s’il y a du désir, de la volonté, de la préférence, même négative. Ainsi, quand nous disons qu’un soldat agit par crainte, il faut entendre qu’il agit par peur et qu’il a « choisi », comme on dit si mal, de deux maux le moindre.
12Que pourrait bien vouloir dire l’idée selon laquelle celui qui va à la guerre sur ordre de son chef par contrainte et par crainte y va malgré lui ? Il espère bien quelque chose que la désertion ne lui promettait pas. Il est donc, dans une certaine mesure, joyeux d’aller au combat. Le soldat a un désir de persévérer dans son être, mais ce désir ne doit pas être conçu abstraitement. Dans quel état ce désir est-il ? Personne ne souhaite abstraitement rester en vie. On peut désirer rester en vie coûte que coûte, ou rester en vie dans la mémoire de ses pairs de façon glorieuse, ce qui peut conduire à ne pas craindre de mourir sur un champ de bataille. Les affects diffèrent selon la nature et les dispositions de chacun. De même, il faut prendre en considération les opinions que se font les individus des circonstances extérieures. On peut se représenter le général plus cruel et intransigeant qu’il ne l’est réellement, le champ de bataille moins infernal et dangereux que ce qu’on en dit ; on peut même savoir que les autres soldats sont enclins à l’envie, affect qui les dispose à interpréter les hésitations des autres comme de la lâcheté20. Admettons chez notre soldat un désir de rester en vie coûte que coûte plus puissant que son désir de gloire. Son désir de rester en vie est secondé par sa connaissance de la vanité de la gloire, dont on sait qu’elle ne sera pas facilement accordée par les compagnons de misère concurrents. Par hypothèse, disons qu’il se représente le mal futur résultant de la désertion comme plus grand et plus certain que celui qu’il risque sur le champ de bataille, tant il subit passivement les « on-dit » à propos de la cruauté du général. Ajoutons enfin que son désir de gloire insiste dans son esprit malgré la connaissance abstraite qu’il a de la vanité de ce désir21. Il sera alors contraint par son désir et son état (ses affections et affects), eux-mêmes relatifs aux circonstances extérieures réelles ou imaginées (impossible de distinguer ce qui relève du délire et ce qui relève de la réalité objective), de préférer aller combattre. La proportion d’espoir contenue dans sa crainte sera plus grande que dans le cas de la désertion. Il désirera donc aller sur le champ de bataille. Pour autant, ce n’est évidemment pas de plein gré, car l’image qu’il se fait du champ de bataille contrarie aussi son désir de persévérer. Il s’agit de « choisir » entre deux maux, non entre un bien et un mal. Il y a donc d’une part un affect qui, en lui, lui commande d’y aller : crainte d’être puni, voire exécuté, ou d’être moqué par ses camarades ; mais il y a d’autre part un affect qui, en lui, lui commande de ne pas y aller : crainte de mourir sur un champ de bataille, haine du chef qu’il ne désire pas servir, et connaissance de la vanité de l’amour-propre. Mais il n’est pas de crainte sans espoir : selon lui, les chances sont plus grandes de ne pas mourir sur le champ de bataille que d’échapper aux sanctions de la désertion et à l’humiliation de la part de ses camarades. Si bien qu’on peut dire qu’il y va de gré, même si ce gré est contrarié et qu’on peut le dire impuissant, non pas au sens où son effort est diminué, ce qui serait absurde, mais au sens où son effort est contrarié de tous côtés par les circonstances extérieures. Notons que ce soldat n’aurait pas été déclaré apte au combat si ses supérieurs s’étaient astreints à un examen plus concret des dispositions, et peut-être auraient-ils trouvé des soldats plus enclins à se lancer.
13En l’état, on ne peut pas dire qu’il y aille avec joie. Mais sa tristesse est moindre que celle qu’il imagine résulter de la désertion, sinon, on ne comprendrait pas qu’il y aille. Son désir de persévérer dans son être et dans son état (relative indifférence à l’égard de la gloire, haine du général, désir de vivre coûte que coûte) est empêché, contrarié par les circonstances extérieures. Sa puissance d’agir et son effort pour persévérer dans son être ne sont aidés par rien : selon l’hypothèse, il n’est secondé ni par les camarades, ni par le chef, ni par l’image des récompenses et du champ de bataille, et l’espoir d’échapper à la mort est sa seule joie. Pour paraphraser la démonstration de la proposition 18 d’Éthique IV, la force de son désir qui naît de sa tristesse se définit ici par sa seule puissance. Mais il s’agit bien évidemment de son désir. Sa puissance d’agir serait davantage contrariée s’il n’y allait pas. Sa peur est son désir, c’est-à-dire l’affirmation de son être. Être sujet de honte, se voir condamné à mort par son général, c’est davantage encore être contrarié dans son effort pour persévérer dans son être qu’avoir un vague espoir de sauver sa vie. Les passions tristes règnent ici, ce qui n’empêche pas de dire que, en un sens, notre malheureux soldat va à la guerre parce qu’il le veut. Il le fait de gré, pas de force, étant entendu que la force a ceci de démoniaque : elle peut compter sur le gré qui la relaie.
14Reste que la force est faible, car ce gré qu’elle extorque n’est jamais qu’un mauvais gré. Il y a beaucoup de contrariétés et de tristesse ici, et il faut certainement entendre l’expression « diminution de la puissance d’agir » dans un sens assez trivial. Le soldat part en retenant ses gestes, en tremblant, en hésitant, il est proche de l’épouvante22, son âme flotte incertaine, ce qui n’est que le corrélat mental de ce qui se passe en son corps, dont les affections contraires contrarient sa puissance d’agir, ce qui n’est pas le mieux pour se lancer contre l’ennemi, viser et parer souplement les coups. À la lettre, il a l’esprit ailleurs, ou pas tout à fait à cela. Le corps aussi n’est pas tout entier dans ce qu’il fait : il est disposé à autre chose, c’est-à-dire à fuir. Bref, le soldat doute, son esprit flotte23 entre le désir de partir et le désir de rester. Mais il agit avec un certain gré, sinon, il ferait autre chose.
15Il est possible de quantifier les coûts et les bénéfices des actions. L’important est de ne pas croire que l’agent fait ce calcul en tant que tel. Surtout, il ne faut pas confondre la valeur qu’ont effectivement les biens et les maux relativement aux circonstances et à l’état de l’agent, et la valeur que la marmaille affamée, à l’instant t, et très souvent à l’insu de l’agent, accorde à ces biens et à ces maux. Pour notre exemple, et par hypothèse, le désir d’aller au champ de bataille est à peine plus fort que le désir de fuir. Étant donné que ce désir est une peur éveillée par la représentation de deux maux qu’on craint, il faut considérer qu’il est déterminé par la représentation d’une plus grande proportion d’espoir dans ce mal que dans l’autre désir, proportion de joie néanmoins inférieure, dans les deux cas, à celle de la tristesse, sinon ce ne serait plus de la peur ni de la crainte. La joie est bien supérieure dans le désir d’aller au champ de bataille que dans le désir de fuir. Même si la tristesse, dans tous les cas, l’emporte, c’est néanmoins parce qu’il y va de l’affirmation de son être et parce qu’il en résulte de la joie que l’agent peut agir. À condition d’entendre dans l’expression « mauvais gré » qu’il demeure du gré, et une proportion de bon gré, il est ainsi possible de soutenir qu’être disposé, c’est agir de gré, plus ou moins bon, plus ou moins mauvais, selon la proportion de tristesse et de joie qui détermine le désir. En matière politique, on pourrait mesurer la valeur d’un régime à la proportion de tristesse et de joie qu’il permet, donc de gré qu’il obtient de la part de ses sujets.
16L’impuissance du soldat doit être entendue en deux sens. Son désir est empêché par les causes extérieures, et seule l’imagination d’un moindre mal incertain, la crainte, le détermine à agir. Il n’en reste pas moins qu’il préfère le combat à la désertion, et qu’il fera tout ce qu’il peut pour persévérer dans son être et faire face aux contrariétés. Son impuissance ne peut pas signifier que sa puissance diminuerait en quantité, mais bien davantage que cette puissance est impuissante, vu son état et les aptitudes de l’agent, à faire face aux circonstances de façon souple et joyeuse, en étant cause adéquate de ses déterminations.
17Au contraire, un soldat peut aller au combat avec l’image de la gloire qui occupe son esprit, secondé par la joie de ses camarades dont il s’imagine être la cause24 et qui vient renforcer sa propre joie par l’imitation des affects. Son affect est lié également à l’amour qu’il porte à sa patrie et à son chef, ce qui seconde encore son goût premier pour la guerre. Un tel soldat voit dans le combat l’unique et belle occasion de persévérer dans son être, et ne se soucie de rien d’autre. Sa puissance d’agir est d’autant accrue, au sens où son gré est plein et aidé par les circonstances extérieures. La fougue, la témérité résultent de cet entrain, ses gestes sont comme trop précipités, il court et s’enivre de sa propre puissance jusqu’à l’imprudence. La force de son désir se définit « par la puissance de l’homme et en même temps par la puissance de la cause extérieure »25 et, négativement, par l’absence de contrariétés qui feraient naître des désirs contrariants. Paradoxalement, sa puissance d’agir qui est accrue traduit une impuissance plus fondamentale. Son peu d’aptitudes à envisager la vanité de la guerre et de la recherche des honneurs le conduit à agir de façon passionnelle et exclusive, et le précipite à la mort ou à la frustration. Les hommes sont en effet peu enclins à accorder les louanges à leurs égaux. Sa passion de joie délirante est l’instrument de son adhésion, cette fois-ci pleine et entière, à sa propre domination. Un pouvoir ne s’exerce jamais aussi bien que quand il obtient le consentement de celui sur lequel il s’exerce, consentement non intellectualisé et qui relève des dispositions affectives, qu’il s’agit de contrarier le moins possible et de favoriser ou d’aiguillonner au mieux26.
18Non seulement nous sommes disposés de façon passive à agir d’une certaine manière déterminée, mais nous sommes plus ou moins bien disposés, mais toujours disposés, à agir de cette manière. C’est ce que nous voulions signifier lorsque nous parlions de « relais » qui s’effectue dans et par l’agent entre les causes extérieures et les opérations qu’il produit. Définir toute chose par son effort pour persévérer dans son être, c’est poser la nécessaire activité même minimale de la chose dans toutes ses déterminations. Puisque rien ne peut être donné dans le sujet qui lui soit contraire au point de causer sa destruction27, aucune chose ne peut agir contre son gré, puisqu’une chose est ce gré même qu’elle s’accorde à elle-même. Toute chose même la plus contrainte et contrariée s’affirme elle-même dans ce qu’elle produit. Pour le dire autrement, dans les termes du scolie de la proposition 9 d’Éthique III : toute chose veut ce qu’elle désire, appète ou s’efforce de faire.
Mécanisme et ontologie de la puissance
19Une compréhension caricaturale du mécanisme a conduit un certain nombre d’auteurs à le refuser pour penser l’action humaine, sous prétexte que ce modèle théorique serait inapte à rendre compte de la part d’activité ou d’opérativité de l’agent même contraint passivement. Spinoza propose une conception du mécanisme qui échappe à cette critique. Ainsi, dans la Lettre 58, la pierre qui est contrainte de rouler est « tout sauf indifférente »28 et fait effort pour persévérer dans son mouvement. C’est elle qui fait effort, contrairement à ce qu’implique l’interprétation cartésienne du principe d’inertie selon laquelle la conservation du mouvement s’explique par un Deus ex machina, force transcendante et extérieure. La chose a ici une force immanente qui définit son être29. Le mécanisme cartésien souffre d’avoir défini la matière par un concept abstrait déconnecté de l’essence concrète du réel. Quand Tschirnhaus demande à Spinoza, pour la deuxième fois, comment « concevoir le moyen de démontrer a priori l’existence de corps ayant mouvement et figure, car rien de tel n’apparaît dans l’étendue considérée absolument »30, Spinoza répond que c’est impossible si l’on conçoit l’étendue à la manière de Descartes, « savoir comme une masse au repos »31. C’est dire que le mouvement ne doit pas être conçu comme extrinsèque à l’étendue, lui venant du dehors par une « chiquenaude » fondée sur l’arbitraire divin.
20Ainsi, dès les Pensées métaphysiques, Spinoza se sépare de Descartes en affirmant du mouvement lui-même qu’il a la force de persévérer dans son état32. Pour l’auteur des Principes de la philosophie, si les choses singulières ont une force de persévérer dans leurs mouvements particuliers, c’est Dieu qui cause et conserve la quantité égale de mouvement dans l’univers33. Cela est cohérent avec le concept cartésien d’étendue qui, aux yeux de Spinoza, est inadéquat. Un concept pertinent d’étendue est un concept qui la saisit comme un « attribut » de l’essence de Dieu34 (conditions génétiques). Voir en elle un attribut de l’essence de Dieu, c’est rendre concevable l’idée que l’étendue n’est pas une simple masse en repos, dont le mouvement serait extrinsèque et créé arbitrairement par Dieu. Le mouvement comme le repos suivent de la nécessité de la puissance divine, et cela contredit la perfection de Dieu que de penser qu’il aurait pu ne pas créer l’étendue parce qu’il aurait pu ne pas y insuffler et conserver du mouvement35. Aussi, le repos n’est qu’une des modalités de l’étendue, comme l’est également le mouvement, l’un et l’autre étant des modes infinis qui suivent nécessairement de la nature même de l’étendue36.
21L’étendue est l’expression de la puissance productive de Dieu, et n’est donc pas réductible à un espace géométrique. Comme l’écrit Sylvain Zac, « l’étendue est à la fois matérielle et vivante, parce qu’elle est cause radicale des choses. C’est pour cela que tous les corps qui en dépendent sont également vivants et animés à des degrés différents »37. L’étendue est le fait même de la production d’un réel matériel étendu, production qui épuise toutes les modalités possibles de l’étendue, c’est-à-dire le repos et le mouvement, et l’infinie variété des figures38. Car c’est cela, Dieu : l’épuisement de tous les possibles par leur production nécessaire et infinie. C’est finalement à partir des concepts de Dieu et de l’étendue comme attribut de la substance divine, concepts conçus adéquatement et non abstraitement, qu’il est possible de déduire le mouvement et le repos, et de là « l’aspect de l’Univers entier » et la variété des choses finies. La logique de l’analyse suit ici l’ordre de la production des choses. Si Spinoza admet n’avoir « rien mis en ordre » sur la question de la déduction de la variété des choses, c’est parce qu’il est incapable de montrer comment passer du mode infini immédiat au mode infini médiat, puis du mode infini médiat aux modes finis que sont les corps.
22Il n’en reste pas moins vrai que, d’une manière déterminée mais que nous ignorons, il découle de l’essence de Dieu et de ses attributs que « le corps (par Éthique II 6) a pour cause Dieu en tant qu’il est considéré sous l’attribut de l’étendue »39. Cette causalité n’est pas transitive. Cela conduit à considérer que le corps a une puissance propre et immanente, puisque son mouvement ou son repos, autrement dit son état, n’est pas causé par Dieu selon le modèle d’une causalité transcendante. Par ailleurs, comme le montre l’expérience, le corps est apte à faire bien des choses « par les seules lois de sa nature », sans l’intervention de l’esprit40. On peut donc raisonnablement en déduire que la puissance du corps et son état, le mouvement (ou le repos) de l’individu comme de ses parties, lui sont intrinsèques. Aussi, du point de vue de la pensée, saisir l’individu corporel, c’est saisir dans son essence propre son état actuel. Si Tschirnhaus a du mal à concevoir le mouvement et la diversité des corps à partir du concept d’étendue, comme il a du mal à concevoir que le libre arbitre ne soit qu’une illusion, c’est parce qu’il adopte un point de vue abstrait sur les choses : il les conçoit comme des substances séparées les unes des autres, et créées par une volonté transcendante qui les conserve extérieurement dans leur état.
23Spinoza peut affirmer que la pierre consciente persévère dans son mouvement et qu’elle n’est « nullement indifférente » à son état, parce que son mouvement et son état ne sont pas des accidents surajoutés à ce qu’elle serait essentiellement (une masse en repos). Ils constituent au contraire son essence actuelle, en tant qu’elle est disposée d’une certaine manière. C’est la raison pour laquelle, si on dote la pierre d’une conscience, bien qu’absolument contrainte, « cette pierre croira être parfaitement libre et persévérer dans son mouvement sans nulle autre cause que parce qu’elle le veut »41. L’illusion du libre arbitre repose sur le fait que la conscience livre un point de vue abstrait sur le monde, et notamment sur soi-même. Cette abstraction est double : la pierre, selon l’hypothèse, se considère elle seule abstraction faite des causes qui l’ont déterminée et même contrainte dans son état présent, car « chaque chose est nécessairement déterminée par une certaine cause extérieure à exister et à opérer d’une certaine manière précise et déterminée »42 – c’est là ce qu’on entend traditionnellement par « mécanisme ». Mais la pierre se considère elle seule abstraction faite aussi de la substance dont elle n’est, en tant que mode étendu, qu’une modification « qui exprime, de manière précise et déterminée, l’essence de Dieu en tant qu’on le considère comme chose étendue »43. L’illusion du libre arbitre va de pair avec la croyance en une pluralité de substances finies et en l’extériorité du principe de conservation de leur mouvement (ou même de leur volonté), qui doit alors faire l’objet d’une création continuée et d’une miraculeuse création ex nihilo. Se croire libre suppose l’ignorance de la détermination des actions par des causes transitives, mais aussi l’ignorance du fait que ces actions, tout comme les causes extérieures, ont pour cause intransitive ou immanente la nature, dont toutes les choses finies ne sont que des manières d’être. Néanmoins, comme nous le verrons plus bas, c’est parce que leur état est bien en un sens le leur, qu’ils peuvent imaginer en être la cause et l’affirmer. C’est le second aspect du mécanisme tel qu’il est constitué par Spinoza, selon lequel toute chose est une partie de la puissance immanente de Dieu. Une telle compréhension autorise la construction d’un concept de disposition déterministe qui préserve la puissance qu’ont les agents de produire des effets, et explique l’adhésion qu’ils manifestent à leur état.
24Si nous conservons la notion de mécanisme, nous souscrivons donc néanmoins à la critique qu’André Tosel adresse, au nom de Spinoza, à « l’idéologie mécaniste, qui est une illusion aussi dangereuse que celle qui relève de la superstition qu’elle entend corriger la croyance au libre arbitre, mais qu’elle renverse spéculairement, et ce selon un processus nécessaire »44. Un mécanisme qui ignorerait la « causalité modo-substantielle » serait trop abstrait. Cependant, rien n’interdit de conserver la notion de mécanisme, puisqu’un mécanisme bien compris doit considérer le mouvement ou l’opération comme « opér-action », selon l’expression d’André Tosel, c’est-à-dire comme auto-développement immanent de la substance infinie « par et dans le système indéfini des opérations de la nature naturée ».
25C’est certainement une version naïve du mécanisme, telle qu’elle est illustrée dans les théories économistes et structuralistes, que Pierre Bourdieu refuse, au nom d’un ars inveniendi ou d’une relative indétermination des actions de l’agent. Cette interprétation consiste à considérer l’enchaînement des causes et des effets en faisant abstraction des dispositions et de la causalité propre des agents – ce qu’on peut appeler leur « stratégie » sous certaines conditions – qui déterminent la couleur affective et l’habileté de leurs pratiques. Il nous semble que la convocation du concept de conatus permet d’allier une anthropologie déterministe et mécaniste à une théorie de la pratique qui prétend échapper à la fois à un mécanisme naïf, à un intellectualisme abstrait, et à un subjectivisme fictif.
26Un point de vue concret sur les choses existantes de la nature implique de les considérer sous un double point de vue. Elles sont insérées dans un réseau infini de causes et d’effets qui se déterminent réciproquement, détermination qui fait que connaître une chose concrètement, c’est la connaître par ses causes ; elles sont également l’expression singulière de la puissance divine. Connaître adéquatement la pierre et son mouvement, ce n’est pas considérer la pierre abstraitement, mais c’est, dans un premier temps, connaître les lois et événements géologiques passés ayant présidé à la constitution de ce type de pierres, de manière à retracer l’ensemble des contraintes subies qui l’ont conduite à son état présent. Cette connaissance du deuxième genre, soit par notions communes, consiste à comprendre les lois et l’histoire de la nature, autrement dit les propriétés communes à certains corps ou à tous. L’entendement humain ne peut parvenir à déduire l’ensemble des causes génétiques du mouvement singulier de la pierre : s’agissant de la connaissance des choses qui existent, et notamment des corps, il faut saisir non seulement l’attribut et les modes infinis dont elles sont les produits, mais aussi leur essence singulière formelle et actuelle, c’est-à-dire leur puissance telle qu’elle est affectée en acte par l’ensemble infini des déterminations45. Néanmoins, une connaissance concrète de l’individu montrerait qu’il est inséparable, non seulement de ce qu’il est et de ce qu’il peut, mais aussi de ce qu’il fait, c’est-à-dire de ce qu’il produit ou opère. En effet, la combinaison des définitions 2 et 7 d’Éthique II permet de comprendre que la chose est absolument et nécessairement liée à ses effets, et réciproquement. Selon la définition 7, est une chose singulière ce qui est cause d’un effet dont on peut considérer l’unité ; selon la définition 2, si l’action est ôtée, la chose singulière est ôtée. Le fait de réciproquer la définition de ce qui appartient à l’essence d’une chose (« ce sans quoi la chose, et inversement ce qui sans la chose, ne peut ni être ni se concevoir »46) a pour conséquence de considérer tout ce que fait et pense une chose comme une propriété nécessaire de l’essence, et non comme une simple conséquence de causes extérieures à l’égard desquelles la chose serait indifférente. Ce qui appartient à l’essence de la chose, en tant qu’on la considère comme existante, c’est donc son mouvement singulier, son repos, les différents états qui qualifient son être. La pierre est une chose singulière dont l’essence est de produire les effets qu’elle produit nécessairement. Ses états sont les manières d’exister de son essence actuelle, mais ne sont pas des qualités accidentelles, même si ces états ne s’expliquent qu’en partie par la chose elle-même, n’étant pas cause adéquate de ses effets. L’effort que fait l’individu est inséparable, dans sa détermination concrète, des déterminations ou relations qui définissent son état actuel.
27Une telle conception mécaniste des choses de la nature ne doit donc pas laisser penser qu’elles ne sont que les effets passifs de causes qui les déterminent extérieurement. Il s’agit bien au contraire, dans la connaissance adéquate, de saisir l’essence actuelle de la chose en tant qu’effort, tendance immanente à persévérer dans son état :
Le mouvement a la force de persévérer dans son état ; or cette force n’est pas autre chose que le mouvement lui-même, c’est-à-dire que telle est la nature du mouvement. Si je dis en effet : Voici un corps A dans lequel il n’y a pas autre chose qu’une certaine quantité de mouvement, il suit de là clairement qu’aussi longtemps que j’aurai en vue ce corps A, je dois dire qu’il se meut. Si je disais, en effet, que ce corps a perdu de lui-même sa force de se mouvoir, je lui attribuerais nécessairement quelque chose en plus de ce que j’ai admis dans mon hypothèse, et par là il perdrait sa nature.47
28La pierre n’a pas un mouvement qui lui serait prêté extérieurement et qui la qualifierait de façon abstraite. La chose est ce mouvement même qu’elle fait, qu’elle opère. On ne peut pas séparer le mouvement et la chose en mouvement. Sa nature n’est pas d’être capable de recevoir une quantité de mouvement, mais bien d’être en mouvement, selon l’hypothèse. Puisque rien ne peut être donné dans la chose même qui lui soit contraire48, la chose ne peut pas tendre au repos par elle-même, mais fait effort et résiste aux contrariétés. Dire que la pierre « reçoit une quantité précise de mouvement d’une cause extérieure, qui lui donne l’impulsion », n’interdit donc pas de soutenir « qu’elle s’efforce, autant qu’il est en elle, de poursuivre son mouvement »49. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas contradiction entre le fait d’être contraint à un mouvement et de n’y être « nullement indifférent », voire d’y adhérer pleinement.
29On est ici au plus loin d’une conception psychologique de l’effort telle qu’elle est développée notamment par Maine de Biran. Celui-ci conçoit l’effort comme le sentiment de la rencontre de notre corps avec un obstacle extérieur et l’exercice de notre volonté pour surmonter la résistance :
L’effort emporte nécessairement avec lui la perception d’un rapport entre l’être qui meut ou qui veut mouvoir, et un obstacle quelconque qui s’oppose à son mouvement ; sans un sujet ou une volonté qui détermine le mouvement, sans un terme qui résiste, il n’y a point d’effort, et sans effort point de connaissance, point de perception d’aucune espèce.50
30L’effort est ici clairement conçu comme extrinsèque au mouvement, puisqu’il faut l’intervention d’une volonté et d’un sujet qui rencontre un obstacle pour qu’il apparaisse. En conséquence, dans une telle représentation de l’effort, la contrainte est toujours considérée comme une contrariété de l’effort, elle est obstacle et non pas cause. Au contraire, chez Spinoza, l’effort est purement immanent au mouvement (ou au repos), il est la puissance même de ce mouvement qui résiste aux contrariétés. Que ce mouvement ait été causé par une contrainte extérieure n’empêche pas que la chose fasse effort pour persévérer dans ce mouvement. Cet effort n’a rien d’un sentiment psychologique de résistance, mais n’est que l’expression ontologique d’une puissance immanente qui s’exerce.
L’agent automate
31Ce qui est vrai d’une pierre, « il faut le comprendre pour n’importe quelle chose singulière, même si on la conçoit comme composée et apte à un grand nombre de choses ». Ce sera donc vrai du nourrisson qui appète le lait, de l’enfant en colère qui cherche à se venger, ou bien encore du bavard et de l’ivrogne qui ne savent pas tenir leur langue51. Il faut certes quitter le point de vue encore particulier du principe d’inertie, propre à la physique, pour considérer plus globalement le conatus, dont l’inertie n’est qu’un principe dérivé. De même qu’une pierre lancée au loin persévère dans son mouvement, mouvement qui est contrarié par les frottements de l’air et la gravitation, de même un nourrisson lancé dans l’existence par des causes extérieures ne s’arrêtera pas d’exister, sinon par la pénurie de lait, et la faim le déterminera à appéter le lait tant qu’aucune cause extérieure ne viendra combler son besoin. De même encore qu’une pierre se forme sous l’effet d’un assemblage de minéraux et que seule une circonstance extérieure peut la faire disparaître, de même le bavard est lancé dans un discours et affirme l’idée qui pose son existence glorieuse en parlant, et seul un voisin plus bavard et charismatique que lui pourra le faire taire, à moins que ce ne soit la fatigue.
32Connaître concrètement un bavard, ce serait ainsi connaître les lois de la nature humaine qui peuvent conduire un homme à bavarder. Le corollaire de la proposition 53 et le scolie de la proposition 55 d’Éthique III expliquent par exemple que l’homme a tendance à « raconter ses hauts faits, et faire étalage de ses forces tant corporelles que spirituelles », et que s’il s’imagine être loué, sa joie sera « de plus en plus alimentée ». Mais on peut aussi invoquer une certaine éducation. L’explication de la définition 27 des affects d’Éthique III, qui concerne l’inculcation de liaisons d’affections et d’affects chez l’enfant, peut permettre d’expliquer pourquoi un homme en vient à imaginer être la cause de louanges lorsqu’il commente chaque événement, ses parents l’ayant toujours encouragé à le faire. Peut-être aussi est-il tout simplement ivrogne, un ivrogne sachant moins que quiconque tenir sa langue52. Néanmoins, connaître ce bavard, c’est connaître non seulement ces causes et ces lois qui le conduisent à bavarder, mais aussi l’état dans lequel il est, qui exclut toute autre possibilité, et qui fait qu’il persévère dans cet état et se réjouit de ce qu’il est : « chaque individu vit content de sa nature telle qu’elle est constituée et s’en réjouit »53.
33La complexité des corps influe, nous l’avons vu, sur le nombre de manières possibles d’être disposé. Il arrive au bavard de se taire sans pour autant être muet, et de faire d’autres choses qui le distinguent de la pierre, dont le nombre d’états possibles est très pauvre. Ainsi, on est bavard comme on est ivrogne ou affamé : c’est un état plus ou moins passager déterminé par les causes extérieures. Pour autant, c’est un état qui définit l’essence actuelle de la chose. Le bavard parle certes malgré lui, dans la mesure où un ensemble de contraintes extérieures le conduisent à parler, mais c’est bien lui qui bavarde, c’est lui qui produit sa logorrhée, et il le fait de bon gré, il n’y est « nullement indifférent ».
34Les causes extérieures ne produisent pas leurs effets indépendamment de l’état de la chose sur laquelle elles exercent une contrainte54. Une conception mécaniste naïve de l’action pourrait impliquer de faire abstraction des manières d’être singulières qui caractérisent l’individu et qui ne laissent pas de faire leur effet dans l’enchaînement causal :
Le propre du mécanisme est de concevoir l’action comme le résultat de l’application à un objet ou à un individu de règles calculables, c’est-à-dire conduisant, pour une « entrée » ou un problème donné, en un nombre fini de « pas » logiques, à une sortie ou conclusion déterminée, et cela de manière aveugle et automatique, autrement dit sans que l’objet ou l’individu en question intervienne en quoi que ce soit dans le déroulement de ce processus calculatoire.55
35En réalité, le caractère « aveugle et automatique » de l’enchaînement causal (ou logique) n’implique pas l’absence d’intervention de l’agent. Elle implique l’absence d’une certaine forme d’intervention, inventive, indéterminée et, sinon réfléchie et libre, du moins aléatoire et non calculable. Mais l’intervention de l’agent peut consister en ce corps plastique qui ne peut être affecté que d’une certaine manière, et dont les aptitudes à être affecté sont aussi et en même temps des aptitudes à affecter. Pourquoi faudrait-il concevoir un corps obéissant aux réquisits généraux du mécanisme comme un corps forcément rigide et sans dynamique, incapable de souplesse et dénué de puissance propre ? En physique, la nature de l’objet inséré dans un enchaînement causal ne doit-elle pas être prise en compte ?
36La vie passionnelle est tout entière déterminée par le dehors dans ses variations, mais un effort pour persévérer dans son état s’y exprime, état qui joue un rôle dans la manière dont la causalité extérieure va produire ses effets. Le passionné est cause inadéquate : il est bien la cause de sa persévérance dans son comportement, de ses résistances aux contrariétés, comme la pierre qui persévère dans son mouvement. Il n’est cependant pas la cause de sa nature, ni des liaisons d’affection et des circonstances qui le contraignent et président à ses fluctuations affectives, ni enfin des retournements de ses pensées et désirs au gré des circonstances. Néanmoins, celles-ci font leur effet sur lui selon ses dispositions déjà contractées. Un mécanisme dynamisé par une métaphysique de la puissance et qui porte son attention aux singularités des manières d’être peut rendre compte du caractère divers et, il est vrai, apparemment aléatoire et inventif, de la pratique. Il peut également expliquer cet élan que mettent les hommes, à des degrés divers, à accomplir, de la façon la plus aveugle et automatique qui soit, ce à quoi ils sont de toute façon condamnés. Le passionné n’intervient pas dans la chaîne causale à la manière d’un acteur, mais il n’est pas pour autant une pierre, et encore moins un objet abstrait d’une physique mécaniste naïvement conçue. Sa façon d’être, ses dispositions opèrent le relais entre les circonstances extérieures et ses actions, de façon non réflexive et automatique, sans pour autant exclure que l’agent lui-même fasse effort pour effectuer ce à quoi il est déterminé.
37C’est en ce sens que, persévérant dans son état, il peut mal persévérer dans son être, ce qui touche non seulement l’obsessionnel délirant, mais aussi l’homme du commun qui se laisse ballotter par les causes extérieures. Son corps et son esprit produisent tout ce qu’ils peuvent produire, reçoivent de l’extériorité de l’aide, leur puissance est secondée par des causes – ainsi des louanges accordées par les amis complaisants dont le bavard a su s’entourer. Mais cette puissance est contrariée et réduite par d’autres causes extérieures : le bavard orgueilleux se rend insupportable aux autres, ou il rencontre une bavarde qui excelle davantage que lui. Face à ces contrariétés, l’agent peut faire preuve de résistance pour persévérer dans son état : le bavard fuit la compagnie ou se tait en présence des plus bavards, dénigrant ce qu’ils racontent, et s’imaginant que tous le louent tandis qu’il les dénigre, ne voyant pas qu’il œuvre à sa propre fin. Les agents mettent tant de gré dans ce qu’ils sont et font, qu’ils en viennent à haïr ce qui peut tendre pourtant à les accroître ou à les préserver : le bavard a en haine celui qui s’efforce de l’amender. C’est que, disposés de telle ou telle manière, ils sont (plus ou moins bien) disposés à agir de telle ou telle façon.
38Le principe d’inertie n’est ici qu’une analogie, il faut élargir le point de vue. Le bavard étant une chose de la nature particulièrement complexe, les éléments pouvant alimenter et contrarier son effort pour persévérer dans son état sont particulièrement nombreux : faim, fatigue, maladie, mélancolie, promotion, nouvelle rencontre, etc. De même, les stratégies de résistance seront d’autant plus diversifiées : il peut aller, face aux vicissitudes de la vie affective (le bavardage comme stratégie pour le désir de gloire se révèle bien décevant), jusqu’à poursuivre un bien éternel et se lancer dans la recherche de la vérité56. C’est dire aussi que d’autres états sont possibles, que le bavard peut développer d’autres aptitudes et, par là, obtenir une gloire mieux fondée en se taisant. Ce sera toujours son effort, mais déterminé autrement par des sollicitations extérieures auxquelles le développement de nouvelles aptitudes le dispose à être affecté. Il s’ouvre alors à de nouvelles aides et à de nouvelles contrariétés, mais il se définit toujours par cet élan singulier dans l’existence qui le conduit à désirer faire ce qu’il est déterminé à faire.
39Les hommes peuvent agir de façon certes passive mais très agitée. Ils peuvent entreprendre bien des choses avec tout l’élan de la bonne foi, et œuvrer pour leur servitude « comme si c’était pour leur salut »57. S’agiter n’est pas subir absolument, même si ce n’est pas non plus agir. Dans le scolie de la proposition 58 d’Éthique IV à propos de la vaine gloire, Spinoza assimile l’effort (nitor) de conserver son renom au « faire » (facere), à la construction, à l’entreprise. C’est dire toute l’énergie que peut déployer le plus impuissant des hommes.
*
40Le mécanisme n’exclut pas de mettre l’accent sur les manières singulières d’être affecté et d’affecter, à condition d’être attentif à ne pas construire des abstractions à l’instar des modèles de la théorie de la décision ou du choix rationnel et autres billevesées qui tendent bien souvent à « confondre le modèle de la réalité avec la réalité du modèle »58. Mais le mécanisme peut aussi être attentif à ce que produit l’agent, certes contraint d’opérer par des causes extérieures, mais qui effectue ce à quoi il est déterminé en n’y étant « nullement indifférent », lui-même étant une cause. Il faut cesser de considérer l’automate comme un simple effet, et prendre en considération le fait qu’il peut être lui-même cause de nouveaux effets singuliers. Seul un mécanisme naïf peut ignorer la part de causalité de l’agent dans ce qu’il produit, même de façon inadéquate. Penser le mécanisme selon le modèle spinoziste permet à l’anthropologie d’échapper à l’alternative peu engageante du structuralisme abstrait, du subjectivisme idéaliste et du pragmatisme flou.
Notes de bas de page
1 Pierre Bourdieu, La distinction, ouvr. cité, p. 199.
2 Bernard Lahire, L’homme pluriel, Paris, Fayard (Pluriel), 2011, p. 345.
3 Descartes, Les passions de l’âme, art. 40, AT XI, p. 359.
4 Ibid., art. 46, AT XI, p. 364.
5 Ibid., art. 52, AT XI, p. 372.
6 On trouve le même usage de la notion chez Malebranche. Voir notamment La recherche de la vérité, ouvr. cité, p. 167, et par exemple p. 175 et suiv.
7 La notion opère ce rôle de façon encore plus nette chez Leibniz. Voir par exemple Cinquième écrit de M. Leibniz, ou réponse à la quatrième réplique de M. Clarke [1716], § 15, Œuvres, Paris, Aubier Montaigne, 1972, p. 432-433, ou bien encore Nouveaux essais sur l’entendement humain, ouvr. cité, II, I, § 15. Néanmoins, chez Leibniz, le problème dépasse la question de l’union de l’âme et du corps. Le concept de disposition permet de lier l’ordre objectif et les représentations subjectives : à la disposition objective de l’univers voulue par Dieu correspond une disposition des âmes et des esprits à appéter ce qu’il a voulu. C’est cette idée que reprend Pierre Bourdieu, par exemple dans Esquisse d’une théorie de la pratique, ouvr. cité, p. 271, avec l’analogie des horloges tirée de Leibniz, Système nouveau de la nature et de la communication des substances et autres textes : 1690-1703, Paris, Garnier Flammarion, 1994, le second éclaircissement, p. 82. Pour une analyse du rapport entre Bourdieu et Leibniz, voir Elke Weik, « Bourdieu and Leibniz: Mediated Dualisms », Sociological Review, vol. 58, no 3, 2010, p. 486-496.
8 Descartes, Passions de l’âme, art. 137, AT XI, p. 430. Il arrive que le mot « disposition » soit déconnecté de son référent corporel et intervienne pour désigner l’inclination qu’engendre un état acquis de l’âme, par analogie avec les dispositions du corps qui s’accompagnent d’une « incitation à vouloir ». Il s’agit toujours de lier ensemble un état donné ou constitué et une tendance, l’individu disposé d’une certaine manière étant « tout prêt », « incliné » à opérer.
9 Malebranche, La recherche de la vérité, ouvr. cité, p. 99.
10 Le relais n’est pas davantage réglé socialement : même si une certaine régularité peut se constater, l’extériorité qui nous affecte continuellement vient souvent contrarier nos désirs disciplinés d’enfance. C’est la raison pour laquelle, chez Spinoza, et à la différence de Bourdieu, les dispositions ne produiront jamais une sociodicée : même les Hébreux ont fait preuve d’inconstance, malgré le dressage dont nous avons parlé plus haut. TTP préf. § 15 et XIV 1. Nous développons ce point dans Spinoza après Bourdieu. Politique des dispositions, ouvr. cité.
11 E IV 60 dém. et sc.
12 E IV 5.
13 TTP V 8.
14 TTP XVII 2.
15 Ibid. Nous soulignons.
16 E III déf. 13 des affects expl.
17 Chapitre viii, dernière section.
18 E III 39 sc.
19 E III déf. 39 des affects.
20 E III 55 sc. : « les hommes sont envieux de nature, autrement dit, ils se réjouissent de la faiblesse de leurs égaux », et E III déf. 41 des affects : « La lâcheté se dit de celui dont le Désir est contrarié par la peur d’un danger auquel ses égaux ont le courage de s’exposer ».
21 E IV 15 : « Un Désir qui naît de la vraie connaissance du bien et du mal peut être éteint ou contrarié par beaucoup d’autres Désirs qui naissent des affects auxquels nous sommes en proie ».
22 E III 39 sc.
23 E III 18 sc. 1 et 2. C’est l’incertitude quant à l’issue de l’événement qui explique la crainte et l’espérance.
24 E III déf. 30 : « La Gloire est une Joie qu’accompagne l’idée d’une de nos actions dont nous imaginons que d’autres la louent ».
25 E IV 18 dém.
26 La théorie du management a compris cela, en préconisant non plus d’extorquer de la plus-value par la force et la crainte, mais par l’espoir de récompenses et par l’amour de la « grande famille » qu’est l’entreprise. Hélas, n’est pas Moïse qui veut, et le manager ne peut pas faire de miracles en faisant oublier les menaces qui pèsent sournoisement sur tout salarié. TTP V 10 et 11 présente une technique de management qui exige certaines compétences « divines » qui ne sont pas à la portée de tout le monde, même après HEC. Mais certains dirigeants ne se privent pas d’imiter la posture du prophète en parlant de « vision » qui doit emporter l’adhésion des salariés, pour le plus grand profit des actionnaires. Pour une analyse philosophique du management, et notamment du rôle de la « vision » que doit présenter et incarner le manager, voir Michela Marzano, Extension du domaine de la manipulation. De l’entreprise à la vie privée, Paris, Grasset, 2008. Le manager peut aussi compter sur l’aide de la psychologie, qui fournit un grand nombre de stratégies de manipulation du conatus, permettant d’obtenir que l’individu mette tout son gré dans les activités les plus absurdes, voire les plus contraires à son intérêt bien compris. Voir par exemple Jean-Léon Beauvois et Robert-Vincent Joule, La soumission librement consentie, Paris, PUF, 2008.
27 E III 5 : « Des choses sont de nature contraire, c’est-à-dire ne peuvent être dans le même sujet, en tant que l’une peut détruire l’autre ».
28 L58 § 5.
29 Voir Épaminondas Vampoulis, « Problèmes de la conception de la nature corporelle », Lectures contemporaines de Spinoza, Claude Cohen-Boulakia, Mireille Delbraccio, Pierre-François Moreau éd., ouvr. cité, notamment p. 152-153. Pour Spinoza, être une chose, c’est être une cause. Voir aussi Épaminondas Vampoulis, « Le principe d’inertie et le conatus du corps », Astérion, no 3, 2005. En ligne : [http://asterion.revues.org/304].
30 L80 § 1.
31 L81 § 2. Descartes, dans la Lettre à More d’août 1649, écrit : « Je considère la matière laissée à elle-même, et ne recevant aucune impulsion d’ailleurs, comme parfaitement en repos, et elle est poussée par Dieu qui conserve en elle autant de mouvement ou de transport qu’il y en a mis dès le commencement […] ». AT V, p. 404.
32 Voir Pascale Gillot, « Le conatus entre principe d’inertie et principe d’individuation. Sur l’origine mécanique d’un concept de l’ontologie spinoziste », art. cité, notamment p. 58-59 et p. 70-71. L’auteure montre aussi ce que la notion spinoziste de conatus doit à Descartes.
33 Descartes, Principes de la philosophie, II, art. 36, 37 et 43, AT VIII, p. 62-66.
34 L83 § 1 : « Descartes a tort de définir la matière par l’étendue, car elle doit être nécessairement expliquée par un attribut qui exprime une essence éternelle et infinie ».
35 Voir E I 17 sc.
36 E I 22 et L64 § 5.
37 Sylvain Zac, L’idée de vie dans la philosophie de Spinoza, Paris, PUF, 1963, p. 84. Nous ne suivons cependant pas l’auteur quand il affirme que la philosophie spinoziste serait étrangère au mécanisme, p. 111-112 par exemple.
38 L’axiome 1 qui suit Éthique II 13 affirme que « tous les corps sont soit en mouvement, soit en repos » : il n’y a pas d’autre possibilité, mais c’est dire aussi qu’il y aura nécessairement du repos et du mouvement. Voir CT app. II 14, ainsi qu’Alexandre Matheron, Individu et communauté chez Spinoza, ouvr. cité, p. 26.
39 L64 § 2.
40 E III 2 sc.
41 L58 § 5.
42 L58 § 4. Voir aussi E II lemme 3.
43 E II déf. 1.
44 André Tosel, Spinoza ou l’autre (in)finitude, Paris, L’Harmattan (La Philosophie en commun), 2008, p. 168. Voir plus généralement tout le chapitre vi intitulé « La finitude positive ». L’auteur reprend ici les démonstrations de Pierre Macherey, exposées dans « Action et opération. Sur la signification éthique du De Deo », Avec Spinoza, études sur la doctrine et l’histoire du spinozisme, Paris, PUF, 1992. Nous aborderons plus bas les objections qu’André Tosel adresse à l’analyse de Pierre Macherey.
45 E III 7 et dém.
46 E II déf. 2.
47 PM I 6. Il est bien question ici de persévérer dans son état, ce qui s’explique peut-être moins par la date de rédaction de ce texte, que par le fait qu’il n’est abstraitement question que de mouvement et de repos. Persévérer dans son état est équivalent à persévérer dans son être pour ce qui concerne les corps (relativement) simples, non les corps très composés. Voir encore à ce sujet Épaminondas Vampoulis, « Le principe d’inertie et le conatus du corps », art. cité.
48 E III 5.
49 L58 § 4 et 5.
50 Maine de Biran, Mémoires sur l’influence de l’habitude sur la faculté de penser, Œuvres, Paris, Vrin, 1987, t. II, p. 137. Voir aussi p. 138 et la note p. 138-139.
51 L58 § 4.
52 E III 2 sc. ou L58 § 5.
53 E III 57 sc.
54 Voir chapitre précédent.
55 Emmanuel Bourdieu, Savoir faire, ouvr. cité, p. 176-177.
56 C’est le sens du prologue du Traité de la réforme de l’entendement, qui n’a que formellement les apparences d’une conversion, le mécanisme qui préside au changement d’« habitude » (institutum) de vie étant de part en part naturel. Voir Pierre-François Moreau, Spinoza. L’expérience et l’éternité, ouvr. cité, p. 34, et Laurent Bove, La stratégie du conatus, ouvr. cité, p. 71.
57 TTP préf. § 7.
58 Pierre Bourdieu, Le sens pratique, ouvr. cité, p. 67.
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