Fortunes de grammairiens : petite chronique scandaleuse des grammairiens arabes
p. 257-264
Texte intégral
1Les vieux recueils de notices biobibliographiques consacrées aux grammairiens arabes contiennent parfois de nombreuses anecdotes plus ou moins pittoresques, qui donnent un tableau assez vivant – et pas toujours très édifiant – de la discipline. J’ai choisi d’en présenter ici quelques-unes, centrées sur la figure de Mubarrid (mort en 898)1, et de certains de ses disciples. Je ne sais si elles constitueront un hommage adéquat, mais j’espère qu’elles apporteront une note de légèreté à nos études habituellement austères.
Le Kitāb comme fonds de commerce
2Si Mubarrid occupe une place importante dans l’histoire de la tradition grammaticale arabe, c’est avant tout par le rôle qu’il a joué dans la diffusion et la promotion du Kitāb de Sībawayhi2, qui était à l’époque le seul ouvrage à proposer une description systématique et détaillée de la langue. Selon une source, il aurait même été le premier à introduire l’étude du Kitāb à Bagdad3, ce qui est peut-être exagéré, mais il est certain qu’il contribua puissamment à établir la réputation de l’ouvrage, désormais institué en texte fondateur et horizon indépassable de la grammaire. Il n’est d’ailleurs pas indifférent de noter que, sur la centaine de manuscrits du Kitāb actuellement connus, tous à une douteuse exception près proviennent de la copie personnelle de Mubarrid (Humbert 1995, p. 83-89).
3Or, tout en créant ou en renforçant la demande pour le Kitāb, Mubarrid est aussi en mesure de contrôler l’offre, en se présentant comme le seul ou en tout cas le principal transmetteur autorisé du texte : dans l’islam médiéval, la transmission du savoir, inséparable de celle de l’autorité, se fait nécessairement par contact direct de maître à disciple. L’un des aspects essentiels de cet apprentissage consistait à prendre copie de l’ouvrage concerné sur l’exemplaire du maître ; après quoi le disciple, dans une séance solennelle qui ressemble un peu à nos soutenances de thèse, relisait son manuscrit devant le maître, qui en contrôlait l’exactitude, puis la revêtait de sa signature, autorisant ainsi l’impétrant à transmettre le texte à son tour sous son autorité. Concrètement donc, on ne pouvait à cette époque être considéré comme connaisseur du Kitāb sans être passé sous la férule de Mubarrid. Or celui-ci, dont le désintéressement n’était pas la principale vertu, profitait de sa position dominante pour faire ses prix : le tarif habituel était de cent dinars, ce qui était une somme considérable4 : les frais de scolarité d’une très grande université anglo-saxonne peuvent en donner une idée approximative. Il n’est donc pas étonnant que de petits malins aient tenté de recourir à des moyens frauduleux pour se procurer à bon marché une copie du précieux ouvrage ; tel est notamment le cas d’Ibn Wallād, qui fit carrière par la suite en Égypte5 :
[Ibn Wallād] se rendit à Bagdad, désireux d’apprendre la grammaire, et étudia le Kitāb de Sībawayhi sous la direction de Mubarrid. Il y a à ce sujet une anecdote plaisante : il s’était entendu avec le fils de Mubarrid, qui lui procurait l’ouvrage en cachette de son père, cahier par cahier, pour qu’Ibn Wallād en prenne copie, moyennant un dirham par cahier. Mubarrid, en effet, ne donnait que chichement accès au Kitāb. Or, un jour, celui-ci voulut consulter un cahier, ne le trouva pas, et finit par découvrir le pot aux roses. Il alla aussitôt trouver le chef de la police et déclara qu’un inconnu avait dévoyé son fils et lui avait dérobé des livres. On convoqua donc les suspects, mais Ibn Wallād avait un ami haut placé, qui intervint pour qu’il n’arrive rien de fâcheux à son protégé. Lorsqu’il comprit à qui il avait affaire, le chef de la police réprimanda vertement Abū l-’Abbās [Mubarrid] et lui fit craindre les suites de sa plainte ; l’autre s’excusa, affirmant qu’il ignorait qu’il s’agît d’Ibn Wallād, et s’employa désormais à lui faire étudier le Kitāb. Or, Mubarrid ne donnait jamais accès à l’ouvrage pour moins de cent dinars : qu’il s’agisse d’un cours de groupe ou d’une leçon particulière, nul ne bénéficiait de son enseignement sans avoir versé cette somme. (Qifṭī, Inbāh, t. III, p. 224)6
4Une autre version de la même anecdote ajoute que l’ami haut placé d’Ibn Wallād était le chef de l’impôt foncier pour Bagdad (c’est-à-dire un très haut dignitaire), chez qui il exerçait les fonctions de précepteur. Elle précise encore que le dignitaire en question intervint auprès de Mubarrid pour qu’il authentifie la copie piratée par Ibn Wallād, ce qui était indispensable pour qu’elle ait quelque valeur7.
5L’une des raisons8 pour lesquelles les disciples de Mubarrid étaient disposés à débourser une si grosse somme était bien évidemment qu’une fois leur apprentissage terminé, il leur était possible de transmettre à leur tour le Kitāb moyennant rétribution. Tel était le cas, notamment, de Mabramān, un disciple de Mubarrid dont les sources donnent une image très peu flatteuse :
Mabramān était d’un caractère vil et d’une âme basse ; il se montrait insupportablement quémandeur et importun envers ses élèves. Il séjourna longtemps à Ahwāz, dispensant son enseignement de cette manière. Parmi ses travers, il avait l’habitude, lorsqu’il devait retourner à son domicile, de louer les services d’un portefaix et de s’asseoir dans son panier9. Il lui arrivait même de lui pisser sur la tête ; lorsque le malheureux s’en plaignait, il lui répliquait : « Tu n’as qu’à faire comme si tu portais un mouton et qu’il t’ait pissé dessus ! » Il emportait parfois des dattes qu’il se faisait donner et, toujours juché sur la tête du portefaix, les mangeait en crachant les noyaux sur les passants. On rapporte encore sur lui bien des traits du même genre. (Qifṭī, Inbāh, t. III, p. 189-190)
6Malgré ses habitudes excentriques et peu ragoûtantes, Mabramān compte parmi ses disciples deux des plus grands grammairiens de la seconde moitié du xe siècle, Abū Sa’īd al-Sīrāfī (mort en 979) et son contemporain et rival Abū ‘Alī al-Fārisī (mort en 987) ; à ces deux noms s’en ajoute un troisième non moins prestigieux, mais dans un autre domaine, celui d’Abū Hāshim al-Jubbā’ī, l’un des plus éminents théologiens de l’époque. L’anecdote suivante – qu’il ne faut peut-être pas prendre pour argent comptant – montre cependant qu’un grand théologien peut ne pas être un parfait honnête homme :
Il [Mabramān] se montrait très pingre dans son enseignement, et ne donnait pas à lire le Kitāb de Sībawayhi pour moins de cent dinars. Or, un jour, Abū Hāshim al-Jubbā’ī s’adressa à lui.
– Tu connais le tarif ? lui dit Mabramān.
– Oui certes, mais je te prie de m’accorder un délai : je te ferai porter un objet qui vaut beaucoup plus que la somme que tu demandes, et tu le garderas chez toi en dépôt jusqu’à ce que les fonds m’arrivent de Bagdad. À ce moment-là, je te remettrai l’argent et je récupérerai mon gage.
Après s’être fait quelque peu tirer l’oreille, Mabramān finit par accepter. Abū Hāshim se munit d’une belle sacoche recouverte de cuir rouge et richement décorée, la remplit de cailloux, la ferma d’un cadenas et y apposa son sceau ; puis il l’enveloppa d’une belle pièce d’étoffe et la remit au grammairien. À son apparence et à son poids, celui-ci ne douta pas qu’elle était bien telle qu’Abū Hāshim la lui avait représentée : il la prit en dépôt chez lui et les leçons commencèrent. En très peu de temps, Abū Hāshim vint à bout du Kitāb, et Mabramān lui réclama ses honoraires. « Ordonne à ton serviteur de m’accompagner à mon domicile, lui répondit Abū Hāshim : je lui remettrai la somme et il te la rapportera. » Mabramān s’exécuta, et l’autre rentra chez lui flanqué du domestique ; aussitôt arrivé, il écrivit un mot qui disait : « Je ne suis pas en mesure de te remettre la somme, et je dois d’urgence partir en voyage : je te laisse par conséquent entière possession de la sacoche, et la présente en fait foi. » Et, sans plus attendre, il fila vers Bassora, et de là à Bagdad. Lorsqu’il prit connaissance du billet de son élève, Mabramān se fit apporter la bourse et la trouva remplie de pierres. « Abū Hāshim s’est bien payé ma tête, puisse Dieu ne pas lui donner longue vie ! s’exclama-t-il. Ce tour-là, personne ne me l’avait encore joué. » (Suyūṭī, Bughya, t. I, p. 175-176)
L’irrésistible ascension de Zajjāj
7Outre Mabramān, qui n’est guère entré dans l’histoire que par ses excentricités, Mubarrid eut de nombreux disciples, dont les plus importants furent Zajjāj (mort en 923) et Ibn al-Sarrāj (mort en 928). De la vie personnelle du second, nous ne connaissons guère que la liaison orageuse qu’il eut avec une esclave chanteuse (qayna)10 qui lui donna un fils et pour laquelle il se ruina11 ; ce qui suppose qu’il avait tout de même une certaine fortune, et qu’il fréquentait le milieu raffiné et hédoniste où évoluaient ces jeunes personnes, ce qui ne manque pas de piquant quand on lit les pages austères du Kitāb al-Uṣūl, l’œuvre majeure de ce grammairien : imagine-t-on Beauzée amoureux d’une fille d’opéra ?
8Nous avons beaucoup plus de détails sur la carrière de Zajjāj, qui est notamment retracée dans deux récits du Nishwār al-Muḥāḍara, une vaste compilation d’anecdotes historiques ou pseudo-historiques rassemblées à la fin du xe siècle ; elles doivent toutefois – surtout la seconde – être prises avec une certaine prudence, l’auteur, Tanūkhī (mort en 994), par ailleurs conteur hors de pair, ayant nettement tendance à sacrifier la vérité historique à la recherche de l’insolite ou du piquant. On peut toutefois les lire comme un petit roman balzacien, où le protagoniste aurait le même rapport au Zajjāj historique que, par exemple, le baron de Nucingen à James de Rothschild.
9La première anecdote se rapporte aux débuts difficiles du grammairien ; elle met en évidence le rôle central que joue Mubarrid dans le milieu grammatical de l’époque, par sa capacité à contrôler la carrière de ses disciples, en orientant les meilleurs d’entre eux vers les emplois les plus lucratifs. Elle souligne également l’importance des rapports personnels dans ce milieu : la rente viagère d’un dirham par jour que verse Zajjāj à son maître n’a pas tant pour but de satisfaire la rapacité de Mubarrid que de marquer la continuité d’un rapport entre les deux hommes, fait de respect et d’allégeance pour l’un, d’affection et de sollicitude pour l’autre.
Ce récit m’a été rapporté en ces propres termes par Abū l-Ḥasan ibn al-Azraq, qui le tenait d’Abū Aḥmad ibn Durustawayhi le grammairien, qui l’avait recueilli de la bouche d’al-Zajjāj lui-même12.
J’étais alors polisseur de verre [disait ce dernier], et, désirant vivement étudier la grammaire, je sollicitai Mubarrid à cette fin. Or il ne dispensait pas son enseignement gratis, et pratiquait des tarifs assez élevés.
– Quel est ton métier ? me demanda-t-il.
– Je suis polisseur de verre : je gagne chaque jour un dirham et deux dāniqs13 ou un dirham et demi. Je souhaite que tu m’enseignes la grammaire à fond ; je te donnerai un dirham chaque jour et je m’engage à te verser perpétuellement cette somme, jusqu’à ce que la mort nous sépare, que j’aie besoin de ton enseignement ou non.
Je m’attachai alors à sa personne, lui rendant service dans sa profession14, ce qui ne m’empêchait pas de lui verser un dirham chaque jour ; de son côté, il mit tout son zèle à me transmettre sa science, si bien que je pus bientôt voler de mes propres ailes. Vers cette époque, il reçut une lettre des Banū Māriya15, d’al-Ṣurāt, qui étaient en quête d’un maître de grammaire pour leurs enfants. Je priai Mubarrid de me recommander à eux, il accepta, j’allai m’établir là-bas et pris mes fonctions. Chaque mois, je lui faisais parvenir trente dirhams, et me rappelais en outre à ses bons souvenirs par de petits cadeaux, dans la mesure de mes moyens.
Quelques années passèrent ainsi, puis [le vizir] ‘Ubaydallāh ibn Sulaymān demanda à mon maître de lui trouver un précepteur pour son fils Qāsim. « J’ai ton homme, lui répondit-il : c’est un ancien ouvrier verrier [zajjāj] qui se trouve actuellement à al-Ṣurāt auprès des Banū Māriya. ’Ubaydallāh écrivit donc à ceux-ci pour les prier de me laisser passer à son service, ce qu’ils acceptèrent. Le vizir me fit alors venir auprès de lui et me confia Qāsim, ce qui fut à l’origine de ma fortune.
J’ai continué à donner chaque jour un dirham à Mubarrid jusqu’à sa mort, et je ne manquais pas de me rappeler de temps en temps à son souvenir, dans la mesure de mes moyens. (Tanūkhī, Nishwār, t. I, p. 274-275)
10La seconde anecdote, qui s’articule directement à la première, est certainement trop belle pour être vraie. On y retrouve en tout cas la patte de Tanūkhī, et notamment la manière retorse dont il exploite les ressources du récit à la première personne pour en tirer de subtils effets d’ironie, tout en préservant une parfaite ambiguïté sur le plan éthique : si Zajjāj, dans tous les cas de figure, joue un assez piètre personnage ‒ sans paraître s’en douter, ce qui ajoute du sel à la chose ‒, on pourra, au choix, louer la générosité du vizir et sa loyauté envers son vieux maître, ou stigmatiser le cynisme d’un « fils de » qui s’acquitte de sa promesse aux frais du contribuable. Tanūkhī, qui n’a pas une très haute idée de l’humanité en général et des vizirs en particulier, se garde bien de trancher explicitement.
Ce récit m’a été rapporté en ces propres termes par Abū l-Hasan ibn ˁAyyāsh, qui le tenait d’Abū Iṣḥāq Ibrāhīm ibn al-Sirrī al-Zajjāj lui-même.
Lorsque j’étais précepteur de Qāsim, le fils [du vizir] ‘Ubaydallāh, je lui disais parfois :
– Si Dieu t’accorde de connaître le même succès que ton père et d’accéder au vizirat [après lui], feras-tu quelque chose pour moi ?
– Ce que tu voudras, me répondait-il.
– Si tu daignais me donner vingt mille dinars, tu comblerais mes vœux.
– Eh bien soit.
Quelques années plus tard, Qāsim fut nommé vizir. Je faisais toujours partie de son entourage […] et je songeai à lui rappeler sa promesse, mais je m’abstins par discrétion. Le troisième jour après son investiture il me dit :
– Eh bien, Abū Iṣḥāq, tu ne me parles pas de la promesse que je t’ai faite ?
– Je m’en remets à la sollicitude du vizir, puisse Dieu le seconder : point n’est besoin de lui rappeler son engagement envers un serviteur qui dépend de lui pour toute chose.
– C’est qu’il y a [le calife] al-Mu’taḍid, poursuivit-il. Si ce n’était de lui, je ne serais pas en peine de te verser vingt mille dinars d’un coup, mais je crains que cela ne me vaille une mauvaise affaire de sa part. Accepterais-tu de les percevoir petit à petit ?
– Mon seigneur, bien volontiers.
– Eh bien, désormais tu recevras les solliciteurs et tu accepteras leurs requêtes – du moins celles qui concernent les affaires importantes – moyennant une gratification. N’hésite pas à me solliciter pour toutes les demandes qu’on te présentera, qu’elles soient fondées ou non. Et tu continueras à en user ainsi jusqu’à ce que tu aies touché la somme que je t’ai promise.
C’est ce que je fis : je lui présentais chaque jour plusieurs placets, qu’il signait sans les regarder. Parfois même, il me demandait :
– Combien t’ont-ils promis pour cette affaire ?
– Telle et telle somme.
– Mais tu t’es fait rouler ! se récriait-il. Cela vaut bien tant et tant (et il mentionnait une somme plus élevée). Retourne les voir et demande une rallonge.
Je revenais donc à la charge auprès des solliciteurs, et je ne les lâchais pas avant qu’ils se soient engagés pour la somme fixée par le vizir, si bien qu’en peu de temps j’eus amassé vingt mille dinars.
‒ Alors, Abū Iṣḥāq, me demanda un jour le vizir, as-tu obtenu l’argent que je t’avais promis ?
Je répondis que non, et il n’insista pas.
Je continuai donc à lui présenter des placets ; tous les mois ou à peu près, il me demandait si j’avais enfin mes vingt mille dinars, et je répondais que non, craignant de perdre une si belle source de profit. J’amassai ainsi le double de la somme prévue.
Un jour, Qāsim me posa la question habituelle ; honteux de toujours mentir, je répondis :
– La somme m’est parvenue enfin, grâce aux bénédictions du vizir.
– Par Dieu, tu me soulages d’un grand poids ! soupira-t-il. Je n’avais pas l’esprit tranquille avant d’être quitte envers toi.
Il s’empara de son écritoire et me signa un bon de trois mille dinars sur sa caisse, en guise de gratification, que j’acceptai. Je décidai toutefois de ne plus lui présenter de nouvelles requêtes, ne sachant comment il prendrait la chose.
Le lendemain, je me rendis à son conseil et m’assis à ma place accoutumée ; il me fit de la main un signe pour dire « Donne ce que tu as » : il me demandait de lui remettre les placets du jour.
– Je n’ai accepté aucun placet aujourd’hui, lui répondis-je : la promesse a été remplie, et je ne connaissais pas les intentions du vizir.
– Gloire à Dieu ! se récria-t-il. T’imagines-tu vraiment que je t’aurais privé d’un bénéfice établi par l’usage, qui est connu de tous, te vaut prestige et respect, et grâce auquel ta porte est sans cesse encombrée par les solliciteurs, sans que l’on sache la raison de ce changement ? On s’imaginerait que tu as baissé dans mon estime, ou que je t’ai démis de tes fonctions. Allons, apporte-moi tes requêtes comme à l’accoutumée, et empoche sans compter !
Je lui baisai la main, et le lendemain à la première heure je lui apportai de nouvelles requêtes. Je continuai à en user ainsi jusqu’à la mort du vizir, et amassai une fortune considérable. (Tanūkhī, Nishwār, t. I, p. 75-77)
Moralité immorale
11Comme je l’avais annoncé en commençant, une image bien peu édifiante des grammairiens arabes se dégage des pages qui précèdent. Il y eut pourtant parmi eux des savants vertueux, austères et désintéressés, des ascètes et même quelques mystiques ; mais pourquoi faut-il que les honnêtes gens soient, en fin de compte, beaucoup moins intéressants que les grippe-sous, les filous et les margoulins ?
Bibliographie
Références primaires
Abū Ṭayyib, Marātib = Abū Ṭayyib al-Lughawī (mort en 962), Marātib al-Naḥwiyyīn, M. A. Ibrāhīm éd., Le Caire, Maktabat Nahḍat Miṣr, s. d.
Qifṭī, Inbāh = Jamāl al-Dīn al-Qifṭī (mort en 1226), Inbāh al-Ruwāt fī Anbāh al-Nuḥāt, M. A. Ibrāhīm éd., Le Caire, Dār al-fikr al-’arabī, 1986, 4 volumes.
Suyūṭī, Bughya = ‘Abd al-Raḥmān al-Suyūṭī (mort en 1505), Bughyat al-Wu’āt fī Ṭabaqāt al-Lughawiyyīn wa-l-Nuḥāt, M. A. Ibrāhīm éd., Beyrouth, Dār al-Fikr, 1979, 2 volumes.
Tanūkhī, Nishwār = Abū ‘Alī al-Muḥassin al-Tanūkhī (mort en 994), Nishwār al-Muḥāḍara wa-Akhbār al-Mudhākara, ‘Abbūd al-Shālijī éd., s. l. n. d, 7 volumes.
Tanūkhī, Tārikh = Abū l-Maḥāsin al-Mufaḍḍal al-Tanūkhī (mort en 1050), Tārikh al-’Ulamā al-Naḥwiyyīn, ˁA. M. Al-Ḥulū éd., Riyad, Université islamique Imām ibn Sa’ūd, 1981.
Zubaydī, Ṭabaqāt = Abū Bakr Muḥammad al-Zubaydī (mort en 989), Ṭabaqāt al-Naḥwiyyīn wa-l-Lughawiyyīn, M. A. Ibrāhīm éd., Le Caire, Dār al-Maˁārif, s. d.
Références secondaires
Bernards Monique, 1997, Changing Traditions : Al-Mubarrad’s Refutation of Sībawayhi and the Subsequent Reception of the Kitāb, Leyde - New York - Cologne, Brill.
Humbert Geneviève, 1995, Les voies de la transmission du Kitāb de Sībawayhi, Leyde - New York - Cologne, Brill.
Notes de bas de page
1 Dans l’islam médiéval, seule la date de mort des savants est connue avec quelque précision ; leur date de naissance est le plus souvent inconnue ou conjecturale.
2 Sur cette question, voir Bernards (1997).
3 Tanūkhī, Tārīkh, p. 54.
4 Le dinar contient alors 2,25 g d’or, ce qui vaudrait au cours actuel un peu plus de 150 euros ; mais ce chiffre ne donne qu’un ordre de grandeur très approximatif, étant donné l’incommensurabilité des niveaux de vie.
5 Sur ce grammairien et ses rapports houleux avec Mubarrid, voir Bernards (1997).
6 Toutes les traductions sont de l’auteur.
7 Zubaydī, Ṭabaqāt, p. 217.
8 Cette raison n’est sans doute pas la seule ni la plus importante : il ne convient pas de pousser le cynisme au-delà du raisonnable.
9 Il se portait sur la tête, ce qui permet de comprendre la suite.
10 Les esclaves chanteuses constituent à cette époque un milieu tout à la fois brillant et stigmatisé, comparable aux actrices ou aux danseuses d’opéra dans les romans de Balzac ; elles ont, comme ces dernières, une solide réputation de croqueuses de diamants.
11 Qifṭī, Inbāh III, p. 146.
12 Chacune des anecdotes du recueil est précédée par la chaîne de ses transmetteurs successifs, depuis le protagoniste, qui intervient en général à la première personne, jusqu’à Tanūkhī lui-même ; il s’agit toutefois d’un simple procédé littéraire, qui ne préjuge en rien de l’authenticité des faits rapportés.
13 Le dirham, monnaie d’argent, vaut théoriquement 1/10 de dinar, mais souvent moins, de 1/12 à 1/15 suivant les époques ; le dāniq est le sixième du dirham.
14 D’après d’autres sources, Zajjāj exerçait les fonctions de répétiteur ou d’assistant de son maître ; c’est notamment lui qui était chargé, en premier ressort, de contrôler leur copie du Kitāb.
15 Famille de grands propriétaires terriens de la région de Bagdad.
Auteur
Université Sorbonne Nouvelle, Histoire des théories linguistiques (UMR 7597)
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