Introduction
p. 141-142
Texte intégral
« Nous, on n’a pas la bouche, on n’a que les yeux. »
(Un habitant du quartier Madagascar, Yaoundé, mars 2013)
1La prison joue un rôle de régulateur des relations sociales au même titre que les institutions policière et judiciaire (pour ne citer que les principales, voir Robert et Faugeron, 1980). Dans cet esprit, des travaux critiques ont eu pour objectif de démontrer, du moins dans des États démocratiques, dotés de services sociaux, comment le système pénal s’est substitué au système social à la faveur des idéologies néolibérales. La prison serait devenue le substitut à un marché du travail déliquescent pour des populations précarisées et au chômage (Wacquant, 2001). La prison serait donc un site à partir duquel lire la manière dont un État gère les populations pauvres, classiquement associées à la menace de désordres et de troubles à l’ordre public. Il m’a semblé nécessaire de discuter ce postulat au Cameroun. Retracer la production historique des figures urbaines de l’indiscipline par les autorités coloniales et leur territorialisation en ville dans un premier temps, permet de mettre en perspective la construction contemporaine de la population pénale à Yaoundé, dans un deuxième temps.
2Au Cameroun, du moins à Yaoundé, la prison apparaît aujourd’hui comme la peine des pauvres. Ce constat invite à se décentrer de l’analyse de la seule prison pour retracer les parcours urbains des détenus et pour comprendre leur vie quotidienne dans les quartiers de la capitale camerounaise, en les observant dans l’exercice de leurs activités illégales. C’est le dernier temps du chapitre 5. Selon Michel Foucault (1975), des pratiques illicites sont associées à différents groupes sociaux : elles seront tolérées ou réprimées (Mazabraud, 2010). À Yaoundé, il apparaît nécessaire de saisir quelles infractions sont pénalement codifiées et donnent effectivement lieu à poursuite et à punition. À l’inverse, quelles pratiques sont tolérées, au bénéfice de quels individus et de quels groupes, pour quelles ressources économiques et politiques ? La notion d’illégalisme invite à dépasser le couple binaire loi et illégalité pour voir comment sont construites la délinquance et la criminalité. La loi est transgressée, cette transgression donne lieu à des arrangements entre habitants et agents institutionnels, suivant divers modes de légitimation. Au fil de leurs activités, des arrestations et des incarcérations, des citadins acquièrent des « savoirs pratiques » et construisent un certain rapport à l’État. Ils parviennent à négocier une place en ville. Finalement, ces pratiques informelles (Inverses, 2016), en marge de la règle de droit, influent sur la construction de subjectivités politiques, au croisement des expériences urbaine et carcérale.
3L’analyse n’a donc pas pour seul objectif de montrer comment des processus d’assujettissement s’expriment et se développent à travers une multitude de sites1 comme d’institutions (Foucault, 1994c, no 297). Dans son approche du pouvoir pensé comme relationnel, Michel Foucault s’intéresse à la manière dont des individus adhèrent aux normes en présence. Il ouvre la voie non pas seulement à la problématique de l’assujettissement mais aussi à celles de la subjectivation et de la résistance. La résistance n’est pas en dehors du pouvoir, elle en est constitutive : ces relations de pouvoir donnent à lire la manière dont la ville est gouvernée, en ses quartiers, en articulation avec la peine de prison et posent la question des registres normatifs en vigueur et de la place de la loi, dernier chapitre de l’analyse.
Notes de bas de page
1 J’utilise ce terme très fréquent dans la terminologie foucaldienne où le pouvoir circule de site en site. Dans le cadre de mon approche géographique, on constatera que ces sites de pouvoir sont profondément incarnés en des lieux spécifiques, tels la prison, le commissariat, lieux contribuant eux-mêmes à la production de quartiers et de la ville.
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