00 – Introduction
p. 9-26
Texte intégral
1Le cinéma est d’abord une machine. Cinématographe, c’est le nom que portera cette machine, avant d’être abrégé en cinéma. Ciné (kiné) c’est le mouvement ; graphe (graphein), c’est l’écriture, la gravure, l’inscription. Il est vrai qu’inscrire, graver, écrire, c’est mettre en mouvement ne serait-ce que d’une main ce qui n’est pas de soi mobile ; il n’est pas moins vrai que graver le mouvement, c’est l’immobiliser. Dédoublement. Dans le projecteur, au temps de l’argentique, la bobine de film ne se déroule pas d’elle-même ; il faut le mouvement ajouté par la machine-projecteur pour faire défiler les images fixées sur la pellicule. Le cinéma naît sous le double signe du mouvement et de son arrêt. Je propose ici de reprendre, à partir de cette machine, la caméra-projecteur1, la réflexion sur le cinéma et son rôle actif dans ce qui se produira jusqu’à nos jours : le devenir-cinéma du monde, en hommage à Henri Bergson et à Gilles Deleuze. Une machine qui enregistre la part du Visible qu’elle met en cadre, mais aussi, l’enregistrant, l’établit dans une durée.
2Ce visible capté, la machine cinéma le transforme en temps compté. Elle ne fait pas seulement voir ce qui se montre à elle, elle l’enregistre, c’est-à-dire le fait passer dans le temps, l’organise en durées, le comptabilise.
3Avant d’être – et pour être – des œuvres, les films de toutes les cinémathèques sont des durées. Le temps qu’il aura fallu pour les concevoir, les mettre en production, les filmer, les monter, les enrouler, les dérouler ; ces temps, condensés dans les œuvres finies, deviennent le temps qu’il faudra pour les projeter, le temps qu’il faudra pour les voir. Migration des temps. Chaque film contient dans le processus de sa formation et dans les circonstances multiples de sa diffusion toute une gamme de temporalités croisées, additionnées, soustraites, qui ne sont plus visibles isolément, en tant que telles, bien qu’elles participent toutes de ce qui sera finalement proposé à la projection. Le film fini aura compacté les durées de sa genèse. Et d’entrée de jeu les durées montées seront abréviation des durées enregistrées.
4La durée de la projection (qu’on soit dans l’analogique ou le numérique) est ce qui réunit le film et le spectateur, ce qui se partage entre le film, objet temporel, et chaque spectateur ou spectatrice, être dans le temps.
5Je reprends et reformule ici un certain nombre d’hypothèses apparues au cours d’une réflexion entamée il y a plus de quarante ans (« Technique et idéologie » date de 1971-1972)2 : il s’agit de repenser le cinéma comme agent logico-technique principal – la motrice – d’une transformation des modes de représentation en vigueur dans les sociétés capitalistes, désormais distordues par les besoins du spectacle. Le cinéma n’est pas seulement un art, quand il l’est, il est le modèle, l’inspirateur, l’expérimentateur constant d’une redéfinition des modes de représentation – pour le meilleur et pour le pire.
6Tentant d’articuler les uns aux autres quelques-uns des domaines où peut s’observer ce rôle formateur-conformateur du cinéma, qui fait escorte à la prise de puissance du calcul (de l’art à la finance, de l’information au jeu), je constate, d’une part, son empire, et d’autre part, à l’inverse, les réserves de fantaisie créatrice qui échappent encore à la toute-puissance du calcul.
7Des machines, il y en a eu avant l’apparition du Cinématographe Lumière. Et après, tant et plus. Des milliers de machines, des millions. On ne les compte plus. Les machines du Visible se sont multipliées plus vite que les autres. Et avant tout, elles sont devenues machines de masse. Pointe acérée d’un usage massif. Y a-t-il, à part les bonnes raisons du commerce, d’autre explication à cette prolifération de machines petites ou grandes à filmer et à enregistrer ? D’abord, la pression accrue au cours des deux derniers siècles de tout aller voir, partout, dedans et dehors, dans le vaste monde et dans les mystères de l’organisme. Une curiosité, une avidité de voir ou plutôt de rendre tout visible.
8Car voir ne se concevait plus seulement au singulier (une machine chacun son tour, une expérience singulière) mais au pluriel (des machines pour des millions). Le passage de l’un au multiple allait basculer et devenir – pour longtemps : toujours ? – passage du multiple à l’un, retour du nombre déterminant à l’individu déterminé. Un nouvel âge. Les premières machines du Visible ont accéléré, ont favorisé cette généralisation. Chacun voit pour soi mais voit avec les autres et enregistre pour les autres. Filmer implique un ensemble, un collectif ; et ne se fait pas sans montrer. Pour voir, il faut plus d’un regard et les machines sont là pour enregistrer et montrer ce qui aura été vu par l’une et l’autre. Usage, commerce et négoce des images s’amorcent dans les dernières années du xviiie siècle et se déchaînent tout au long du xixe et du xxe – à une toute nouvelle échelle, inimaginable du temps des instruments singuliers. Apparition et vogue de l’un des objets préférés des marchés, l’appareil photo portable, la caméra portable. La passion des images gagne toutes les classes de la société. Voir le monde et le reproduire pour le faire voyager, montrer les uns aux autres, effacer les distances (projet accompli par les Kinoks de Dziga Vertov dès les années 1920 en Union soviétique naissante) condense, justifie, fortifie, au moins autant que le rapt des richesses convoitées et la diffusion des religions occidentales et des idéologies, le projet colonial de conquête de l’ailleurs. L’œil fétichiste exige de quoi se déployer. D’autres formes, d’autres paysages, d’autres cultures : le fantastique destin de l’art nègre se fait au plus fort des colonies. Il ne suffit plus de raconter, les récits s’emparent des images. Il y a des écrans-hublots à bord du Nautilus. Le succès mondial de l’optique et de la mécanique accompagnera ces nouvelles marchandises avant qu’elles ne soient transfigurées par le numérique (caméras, appareils photo, téléphones portables, tablettes, etc.) – et rentabilisera leur diffusion.
9Car cet irrésistible essor accomplit le développement parallèle du numérique et s’accomplit par son effet. L’informatique met au point un nouveau langage et le numérique n’est plus seulement calcul, il est devenu moyen d’organiser et de penser, de trier et d’exclure, de classer et de hiérarchiser, nouveaux habits d’une archaïque disposition de l’être parlant. L’image, encore, se dématérialise. Équations, algorithmes, elle circule plus que jamais. Le calcul de toute partie du monde en succession de « bits », 01 et 00 – l’épaisseur, le multiple, le complexe, traduits en termes binaires, ensuite regroupés, passés dans des équations de plus en plus complexes, et ainsi de suite.
10La perplexité ? Le doute ? L’indéterminé ? L’interminable ? Le fouillis ? À la trappe !
11Est-ce qu’une séance de psychanalyse peut se condenser en termes binaires ? Est-ce qu’un roman peut être résumé en cases « oui » ou « non » ? Peut-être bien que ce qui ne se dit pas en langue computer n’aura plus cours ? Disparition de l’entre-deux, du vide entre les mailles de la trame, des lisières indécises, du je ne sais quoi et du presque rien, du flou, de l’à-peu-près, de l’entre chien et loup ? Qu’en est-il du clair-obscur ? On ne sait plus. Tout peut être simulé à partir de son contraire : des amas de chiffres peuvent aboutir à l’image d’un désert. Une équation, vous révéler l’amour idéal. Y croire, pas sûr ; en tout cas, faire comme si. L’imitation, l’analogie, la ressemblance étaient relation des sujets au monde-référent. Nous reconnaissons-nous dans les « lignes d’ordre » ?
12Triomphe de la modélisation. Le cerveau humain sera modélisé. De la haute couture : que rien ne dépasse qui ne soit voulu et volontaire. Le débraillé est organisé, on l’admire dans tous les défilés de mode. Le lâchez-tout est prescrit, recommandé. Dévêtez-vous gentiment.
13Les puces, qu’autrefois les saltimbanques dressaient pour les faire sauter, deviennent des prothèses neuronales, des prolongements organiques, des accessoires à nous dresser.
14De la devise républicaine, que reste-t-il ? Le mot « liberté » veut dire… veut dire… ; « égalité », oui, veut dire domination ; fraternité… fraternité ? Mais qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Nous avons dépassé le stade de la novlangue (George Orwell, 1949) : les mots ne veulent plus dire le contraire de ce qu’ils disaient, ils ne veulent plus dire grand-chose ; c’est le stade du nonsense (Lewis Carroll). Les montres grossissent et prennent de l’importance et s’affolent (Alice au pays des merveilles, 1865).
15Il convient de retenir, dans le syntagme intelligence artificielle, le second terme. Précisément, la machine-cinéma produit un monde artificiel qui se substitue peu à peu et de plus en plus à ce qu’autrefois on disait « réel », ou « réalité »3.
16Cette superposition d’états du monde s’opère au moyen de modifications temporelles qui affectent à la fois le compte des durées, les fréquences de rotation, les rythmes du travail et du quotidien, tout ce qui ondule, se plisse, se détend : la numérisation du monde calcule et accélère les mouvements, les trajets, les relations. La forme temporelle de l’accéléré au cinéma avait de longtemps introduit le compactage du Visible, et l’on peut avancer que, dans l’ensemble, la machine-cinéma a été le laboratoire principal des variations de formes temporelles (Gilles Deleuze a pu parler de chronosignes).4
17Le principe de segmentation qui isole chaque image d’une bande enregistrée de celle qui la précède et de celle qui la suit ouvre sur toutes les manipulations temporelles : plus ou moins d’images par seconde fabrique de l’accéléré ou du ralenti, jusqu’à l’arrêt sur image, figure de style, qui n’implique pas l’arrêt des images passant dans le projecteur. Tout se fige sur l’écran mais la projection continue.
18La migration de la pellicule argentique (système de gravure opto-chimique) au fichier numérique induit une transformation radicale des manières de faire à la prise de vues, à l’enregistrement, au visionnage des rushes, au montage, au mixage, à l’étalonnage, à la projection sur écran. C’est un chamboulement des procédures et logiques de pensée en vigueur au temps du film celluloïd et des images liées à la modification effective des cristaux d’halogénure d’argent captés sur ce support transparent.
19Ce grand chambardement pourtant ne modifie en rien le mécanisme de base du Cinématographe et ne renie pas ses données natives : le cadre est toujours là, indispensable ; la segmentation image par image, toujours là elle aussi ; la durée des prises de vues peut être augmentée, et cela change nombre de relations entre corps et machines, paroles et mouvements. Mais l’extase technologique qui accompagne aujourd’hui les performances des machines à filmer ne change rien, chose surprenante, au principe initial du Cinématographe Lumière !
20Depuis Eadweard Muybridge (1878), Étienne-Jules Marey (1882) et Louis Aimé Augustin Le Prince (1888), les premières images enregistrées sont déjà du Visible transformé en Temps, des durées visibles. Les frères Lumière perfectionnent et assurent le principe de cette mutation : tout fragment du champ visible enregistré est cadré d’un même geste spatialement et temporellement. La définition temporelle (la durée) escorte le format spatial (rapport hauteur/largeur) dès les premiers rouleaux de pellicule, d’une durée d’à peu près cinquante-sept secondes. Cadré, enregistré en durée, le Visible est passé dans le Temps.
21Il y a le temps des sujets, des évolutions, des métamorphoses ; il y a le temps, infiniment pluriel, des particules élémentaires, le temps atomique, les temps végétal, minéral, animal ; celui des vagues et du vent ; des pierres et des montagnes ; des fleurs, des fruits, qui savent l’heure et le moment ; il y a les temporalités évanescentes ou plombantes des nuits et des éveils… Il y a le temps subjectif. Presque un pléonasme. Nous savons parfaitement de quoi il s’agit, nous dit en substance Augustin, mais sommes incapables de le définir5. Ce qu’il y a de plus subjectif en nous, si l’on ose dire, c’est bien l’expérience du temps dans ses diverses déclinaisons : le temps peu accessible de notre histoire et de notre lignée, le temps de nos apprentissages, de nos liaisons et déliaisons, de nos rêves, le temps de nos oublis et celui de nos combats. En mai 68, le temps passait plus vite ; pourtant, une journée, une nuit duraient des dizaines d’heures. On ne voyait même plus de coupure entre jour et nuit. Disons que nous nous laissions flotter.
22Se laisser flotter ? Mais oui, laissons-nous flotter dans le bercement du temps !
23Oui, mais.
24Le temps des machines ne souffre aucun flottement. Le temps compté des machines6, nous l’avons voulu tel (en 1936, date emblématique, Hollywood permettait à Charlot de faire Les Temps modernes, critique ô combien violente du combat mortel entre la précipitation des machines et les rythmes ordinaires de la vie).
25Le calcul règle la dépense temporelle des machines comme celle des marchés ; la rapidité serait un autre nom de l’avidité. Une même accélération7 nous dépasse, qui hystérise toutes les vitesses, qui pulvérise toutes les durées.
26On voudra bien convenir de ce qu’il ne s’agit pas ici de « critiquer » les vertus bien connues du passage général au numérique, qui, nombreuses, semblent de plus en plus indispensables ; je me propose plutôt de rappeler et de commenter le rôle tenu par le cinéma dans l’évolution des sociétés contemporaines, toutes à l’enseigne du capitalisme mondialisé – et, donc, dans le surgissement d’abord, dans le triomphe, ensuite, de technologies qui agissent sur le Temps et sur le Visible. Et par là, fournissent aux puissances qui les financent de quoi gouverner le monde et nos esprits.
27Comment survivre à cette formidable pression ? Le cinéma, selon une visée autant anthropologique et politique qu’esthétique, apparaît comme le vecteur tôt venu de ces irraisonnées transformations qui changent notre rapport au monde et à nous-mêmes ; ensuite, dans ce nouveau monde d’écrans et d’images, le cinéma – ce qu’il donne à sentir, à suspendre, à penser – peut jouer le rôle d’éclaireur. C’est ce que nous sommes quelques-uns à attendre du cinéma que nous nous obstinons à aimer.
28Ce n’est pas le seul espace du cadre ou de l’écran qui s’est vu agrandi dans les salles, et paradoxalement réduit hors d’elles, c’est le temps qui s’est trouvé tantôt accéléré, tantôt ralenti à l’extrême ; qui s’est renversé, a été arrêté en plein mouvement, manipulé, déformé et transformé par la vidéo et le numérique. Au fil du siècle dernier, nous sommes parvenus à façonner un temps servile.
29Au moment où les émulsions photochimiques se faisaient toujours plus rapides, de plus en plus nombreux étaient les films, à l’inverse, qui dépassaient les quatre heures de projection8 ; alors que, contradictoirement, les actions filmées se trouvaient de plus en plus abrégées, les durées des plans rétrécies et les objets audiovisuels réduits à la dimension du clip ou du flash publicitaire.
30Temps des paradoxes, donc. Réduire les heures de classe dans les écoles, préférer les résumés aux œuvres, se nourrir plus vite, moins dormir, visiter le Louvre en un quart d’heure, tourner en rond à toute vitesse, apprendre une langue en six heures, passer une vie à zapper… À travers ces contractions, ces compulsions de répétition et d’abréviation, avantage est donné à la dématérialisation de toute chose. L’effrénée virtualisation des monnaies porte le même message : le monde en tant que matériel nous apparaît plus lourd et plus lent que nous. Une certaine dureté des choses et des vies désire l’allègement, l’attendrissement.
31C’est le triomphe de l’élastique – dont témoignent les performances des acrobates et des sportifs, les courbes de la Bourse, le succès des formes molles et le design du confort. Quant au funambule, il sait bien que l’équilibre n’est que le déséquilibre du déséquilibre, ou l’inverse.
32Ces élasticités, ces évanescences sont contrariées par la généralisation dans nos régions et nos peuples d’un fantasme de fermeté, de dureté, de raideur, qui et que nourrit la nouvelle résurgence fasciste. Puisque ce chaos nous dépasse, feignons d’en être les maîtres.9 Or le moment présent est chaotique, oui, du fait de la multiplication des opérateurs de télévision (plusieurs centaines à travers le monde), des transmissions par Internet (innombrables), de la diffusion en tous sens agitée des réseaux sociaux – toute cette prolifération ne pouvant être que hors contrôle (d’où la rancœur fasciste). S’y ajoute la variété infinie des tailles d’écran, depuis les ordinateurs jusqu’aux smartphones ; et, répondant, à ces mille fleurs industrielles, paradoxalement, le formatage, l’uniformité presque complète des objets audiovisuels diffusés, pourtant plus que nombreux ; et encore la répétitivité des schémas rhétoriques, des typages, des formules narratives, sans omettre l’insistance de la même obsession de l’horreur et de la mort.
33Paradoxe supplémentaire, la durée de la projection en salle reste peu modulable, dans la mesure où le client paye pour une durée donnée (autrement, se donnerait-il le mal de venir ?), mais à l’intérieur de ce cadre temporel, les montages font jouer souvent des plans de plus en plus courts, quelques secondes, comme s’il fallait épargner aux regards une attente trop soutenue et plutôt les saturer d’une variation incessante d’images kaléidoscopiques.
34Le temps de la vie vécue à l’échelle humaine aura été le plus souvent abrégé par le cinéma. Traverser une rue, monter un escalier, faire démarrer une automobile, manger, dormir… Dans Sleep, le dormeur, John Giorno, poète et amant d’Andy Warhol, avait du mal à rester allongé huit heures devant la caméra. Warhol a donc décidé de dupliquer certains des fragments tournés et de les monter avec les autres pour arriver à un total de trois cent vingt et une minutes.
35Autre exemple : les séquences filmées et montées « en temps réel » dans Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles (Chantal Akerman, deux cent une minutes, 1975).
36Le « temps réel », comme il est coutume de dire au cinéma, aura été découpé, monté, raccordé, compacté, réduit, accéléré… aussi bien qu’il aura été, à l’inverse, décomposé et ralenti. Un temps mollement spiralé, comme dans les rêves. Segmenté, contradictoire et répété comme dans les cauchemars.
37À la panoplie de nos expériences s’est ajoutée au cours du siècle passé celle de devenir spectateur de cinéma – cet être intermédiaire entre réalité et imaginaire, cet amateur de fantômes. L’entre-deux du cinéma, sa faille – ni tout à fait aujourd’hui, ni tout à fait hier ou demain, ni ici, ni ailleurs – abritent quelque chose d’une liberté possible. Une fenêtre ouverte, oui, mais sur l’inconnu.
38Le temps des salles de cinéma met en suspens le temps de la vie ordinaire. Spectatrices et spectateurs, pour une heure ou deux, ou plus, sont comme soustraits aux contingences du « monde réel », comme affranchis d’un lot de leurs soucis, comme devenus plus légers, plus vifs, plus sensibles, débarrassés des pressions que les sociétés exercent toujours sur la vie de leurs membres. La salle de cinéma, tant qu’il en subsiste, peut être définie comme un sas séparant le monde des expériences réelles de celui, l’écran, des aventures imaginaires. Le numérique, en sa perfection technique, sa fixité, son inaltérable multiplication, le caractère immatériel et immuable de ses images, ne fait que renforcer l’illusion où nous sommes qu’au cinéma cette sortie de nous-mêmes et de nos conditions habituelles se fait pour ainsi dire magiquement, sans restes, sans scories, sans cicatrices… sans travail.
39C’est-à-dire sans temps – au sens de ce qui s’use, vieillit, passe, s’épuise et meurt.
40Avant de le transformer, le cinéma fait comme si le temps était suspendu.
41Marilyn Monroe ou Marlene Dietrich, ou Cary Grant, ou Robert Mitchum sont morts depuis des années, des dizaines d’années. Dans Les hommes préfèrent les blondes, dans La Femme et le Pantin, dans L’Impossible Monsieur Bébé, dans La Griffe du passé10, ces défuntes et ces défunts sont toujours, là, bien vivants, tout autant que je peux l’être, et même plus vivants que moi puisqu’ils sont vivants sur les écrans après leur mort dans la « vraie vie ». Oui, ces fantômes semblent vivre, ils me transmettent quelque chose de leur éternelle vitalité. Une transfusion de jeunesse.
42Avec le numérique, la projection n’est plus perceptible en tant que telle : ni flous, ni décadrages, ni changements de bobine. Le support non plus : il s’est dématérialisé, donc plus de rayures, de sauts, de coupures. Il y a quelque paradoxe à voir comment le cinéma va persister dans son être, qui est de réaliser un défi à la vieillesse et la mort, au moyen d’une technique, le numérique, qui refoule et même prétend annuler l’obsolescence des images.
43L’expérience temporelle conduite avec nous par les films, dans les salles, nous libère, d’une part, du carcan social sans lequel il n’est pas de société ; d’autre part, libère en nous quelques-unes de ces errances mentales et rêveries que le même carcan ne manque pas de brider.
44Cette très relative liberté est menacée. Depuis l’intérieur, depuis l’extérieur. Le formatage n’agit pas seulement sur les films, il entre en compte dans nos désirs et nos pensées.
45Il serait à propos de souligner ici qu’il y a davantage que l’ambiguïté propre au cinéma : son ambivalence. Ambiguïté ? Comment ? Parce que les images sont du temps qui passe (dix secondes, une minute, etc.) et que le temps qui passe change le monde et les images qu’il fait passer. Filmer un visage ou une pomme dans un plan de cinq minutes, c’est essentiellement filmer le passage du temps sur cette pomme, où il est invisible mais sensible ; ou bien sur ce visage, où il peut devenir visible.
46Plus que l’ambiguïté, donc : l’ambivalence du cinéma, moins souvent relevée, qui fait de lui le facteur de la fascination aliénante d’un « spectateur passif »11, aussi bien que l’instrument, dans le cours même de la séance, de la percée d’un « spectateur critique », d’une conscience critique du cadre et de l’illusion, par quoi cette aliénation peut être défaite. Spectateur, je circule le plus souvent à l’intérieur du cadre, à travers l’écran, les images, les récits, les personnages : ce sont eux, ces personnages, elles, ces situations, qui sont en mesure de me faire rire ou de me faire pleurer, par quoi se confirme mon inclusion dans le film ; mais il arrive de temps à autre que je prenne conscience du cadre en tant que cadre, c’est-à-dire en tant que fait d’écriture, accent d’artificialité dans le pseudo-naturalisme des choses cadrées.
47Jean-Pierre Oudart, dans un article célèbre des Cahiers du cinéma, « La suture » (nos 211 et 212, 1969), avait relevé cette oscillation inévitable entre vision dans le cadre et vision du cadre, par quoi se fragilise le plein de l’illusion et paraît à la conscience l’artifice de la représentation. Le même phénomène peut s’observer (sur un plan plus psychologique que psychanalytique) dans les figures de la Gestalt-théorie, où c’est tantôt l’ensemble d’une image composée qui est perçu, tantôt les détails qui font saillie. Le tout (l’écran) ou la partie (le cadre).
48Le temps des films, celui de la séance ouvrent une suite discontinue de moments de résistance possible aux consciences spectatrices prises au jeu du cinéma, tantôt subjuguées, tantôt lucides – car il ne paraît pas certain que puisse être maintenue pendant une heure ou deux une attention exclusive aux formes (et donc au cadre), pas plus qu’il ne paraît possible qu’un ensorcellement (une hypnose) tienne une salle en sa puissance pendant plus de quelques dizaines de minutes, lui faisant croire que ce qui paraît sur l’écran est bien « comme » dans la vie, et que, même, « c’est la vie »12 – alors que l’indispensable présence de l’écran insiste sur le cadrage de tout ce qui est projeté sur lui. La vision d’un film en salle est donc paradoxalement plus discontinue encore que le regard papillonnant d’une promeneuse ou d’un promeneur.
49Le temps des films est, par là, un contretemps des accélérations partout en cours. Qu’il s’agisse des films, des séances, des plans, des mouvements de la caméra ou des déplacements à l’intérieur du cadre, les durées sont au cinéma visibles et perceptibles. Le spectateur, la spectatrice en sont à la fois les témoins et les sujets. Par cette implication inévitable des sujets-spectateurs dans les durées visibles, qui les habitent physiquement et mentalement, la séance de cinéma ouvre la possibilité de partager les distorsions ou les contractions temporelles, elles qui nous font sortir de notre ordinaire soumission au temps qui passe, à sa linéarité synchrone avec le déroulement univoque de nos vies. Contrainte et liberté.
50Nous sommes entrés, aussi, dans l’ère d’une nouvelle maniabilité visuelle du temps. Déjà, avec la vidéo analogique et le zapping, tout un chacun pouvait arrêter le déroulement du film sur un écran domestique, l’accélérer, le ralentir, revenir en arrière, et tout cela de façon visible. Le passage au numérique accentue encore notre apparente maîtrise de ces bouts de temps que sont les films, et donc notre (bien illusoire) maîtrise du temps.
51Je peux en toute puissance accélérer le film ou le ralentir, à ceci près que cette reformulation du temps projeté (24 ou 25 images par seconde changées par exemple en 8 ou 4 images par seconde) ne change rien au temps qui passe : une heure de film peut être ramassée en trois minutes, l’horloge n’en tourne pas plus vite.
52C’est en un instant, en une fraction de seconde pas même chronométrable, que nous revenons au début d’un film après nous en être allés jusqu’à sa fin. « Miracle » de la technique. Il n’y a plus rien à voir. Si le temps du film, analogique comme numérisé, porte en lui-même ses principes de renversement et de recommencement, son passage dans un projecteur et sur un écran est fait pour être visible, du début vers la fin, de l’arrière vers l’avant, ou le contraire, si l’on passe la bobine à l’envers. Les manipulations qui changent le cours et le sens de ce défilement, dans le cas d’une bande matérielle, pellicule ou magnétique, restent visibles sur l’écran de la table de montage comme sur celui de la salle de projection ; dans le cas du numérique, elles ne sont pas visibles.
53L’effacement des marques du travail est un résultat à quoi seuls les arts de la performance : danse, musique, cirque, opéra, théâtre, cinéma, cuisine, peuvent prétendre. En ce point, deux mouvements esthétiques également puissants se contrarient : masquer, ou ne pas masquer le travail ; faire disparaître la production dans le produit, ou bien ne pas l’occulter, la mettre en avant pour la faire percevoir (c’est le principe de la mise en abyme, où le théâtre montre qu’il y a théâtre, le roman, roman, etc.).13
54Effacer le travail, c’est se placer dans une esthétique de la transparence, comme si l’œuvre était née, par grâce spéciale, par magie, de l’oreille de Jupiter.14 Ce qui revient à tirer vers le non-visible tout ce qui aurait pu suggérer un effort, une sueur, un halètement, un froncement de sourcils, une tâche pénible, une matérialité, une sujétion des travailleurs du film : transparence impalpable, immatérielle, hors de toute histoire. Masquer le travail de la mise en scène (comme l’ont prôné les cinéphiles du groupe mac-mahonien)15, c’est renforcer les effets de l’illusion et, par là, paradoxalement, faciliter la traversée du film par qui le voit, puisque tout y apparaît venu « naturellement », né comme les bébés d’un chou16 ou d’une rose : refouler la matérialité signifiante – et c’est la sexualité qui est déniée.
55La croyance mise en jeu par le cinéma suppose qu’elle n’aille pas de soi – qu’elle ne soit pas de l’ordre du constat : croire, c’est croire à ce qui n’est pas évident, pas « croyable », à ce qui ne s’impose pas, qui peut être nié, ne tombe pas sous le sens, reste réfutable ou « falsifiable ». Le fanatisme est du côté d’un impossible absolu de la croyance. Tout au relatif, rien à l’absolu. Croire, c’est croire à ce qui sollicite un désir de croire chez qui voit le film, un investissement libidinal.
56Toute « transparente » qu’elle se veuille, une mise en scène se montre et se fait voir, il est possible de la décrire, de la raconter. La transparence n’est rien qu’un fantasme d’aveuglement. Il est dans le rêve de la machine de se faire croire « naturelle », d’effacer ses rouages pour accéder à une grâce de nuage, de même que le robot s’il pouvait rêver se croirait homme. Symétriquement, mais à l’inverse, il est un rêve qui poursuit l’humanité, le devenir-machine (Deleuze). Ce génie de la désarticulation du corps vertébré qu’était Totò17 a pu jouer Pinocchio (dans Totò a colori, de Steno, 1952) en inventant une incertaine hybridation entre corps, de chair et d’os, et marionnette de bois. Totò fait du pantin qu’il joue un être au-delà du bois comme du squelette ; une marionnette, oui, mais venue d’ailleurs, de là où les corps paraissent mécaniques, les mouvements saccadés, comme si le corps vivant faisait écho aux mouvements arrêtés des photogrammes. Totò déconstruit toute hypothèse de continuité entre les différentes parties du corps humain, chacune se plie et se déplie sans lien apparent avec les autres. Le passage d’un état à l’autre, de pantin ou machine, à être humain, et retour, fascine depuis longtemps, au même titre que les danses macabres du Moyen Âge entre squelettes et corps vivants18. L’être parlant a toujours affaire à son impossible, subjugué par son contraire, obsédé par le dépassement de ses limites (donc : ne pas les accepter), tenu ferme dans les tenailles de l’infirmité et de la mort.
57Quand les spectateurs des premières séances du Cinématographe Lumière au salon Indien du Grand Café (novembre 1895) virent arriver sur l’écran de la salle la locomotive de L’Entrée du train en gare de La Ciotat, ils y ont cru, en ont été effrayés, mais non pas comme d’une réalité (très peu vraisemblable), comme d’une représentation plus puissante que la réalité, une image de locomotive plus impressionnante que toutes les locomotives réelles. Nous croyons à ce que nous voyons sur l’écran, qui vient vers nous. Si nous n’y croyons pas, c’est que nous désirons sortir de la projection, de la salle, du cinéma. Nous reconnaissons les corps et les nuages, les arbres et les sourires, les ombrelles des dames et les fumées des cheminées. Nous croyons à l’étagement en profondeur des actions (l’arrivée de la locomotive sur nous) alors que l’écran, plat comme tout écran, ne fait jouer que deux dimensions. La troisième dimension est l’œuvre conjointe de la mise en espace des corps et des actions (mise en scène), de la perspectiva artificialis19, et du concours de notre esprit, qui la voit, cette profondeur, parce qu’il en a l’habitude et le besoin, qui l’invente parce qu’elle le rassure.
58Cette disposition à la croyance caractérise la place du spectateur : tout est artificiel dans un film, fabriqué, agencé, manipulé, inventé, tout est œuvre humaine, d’artisan, de technicien, d’artiste, oui ; mais nos rires ou nos larmes ne sont pas artificiels et sont le gage de notre croyance aux situations et aux émotions des personnages. Le spectateur dans la séance projette dans le film la réalité de ses émotions, joies et peurs, qui, représentées sur l’écran, deviennent sensations et sentiments dans la salle. Sans cet écart qui permet la projection de soi, cette distance qu’il s’agit de réduire pendant la séance, spectateurs et spectatrices seraient aussi inertes que les rouleaux de pellicule sur les étagères des cinémathèques. Sans illusion, pas de cinéma. Sans leurre, pas de croyance. Il y a donc un caractère spécifique de la croyance cinématographique : elle a besoin d’un mensonge. Elle s’articule au possible d’un doute. Elle est relative, donc non fanatique, donc sans cesse travaillée par la pression du doute.
59Comme en littérature, en peinture, comme dans toutes les créations artificielles (« Tous les films sont des films de fiction », selon Christian Metz)20, le mensonge peut par l’entremise du spectateur produire des effets de vérité. Au cinéma, croyance et doute ont partie liée. Voilà pourquoi la propagande filmée n’a d’effets que très mesurés, voilà pourquoi il n’y a pas dans les salles obscures de croyance fanatique. Le cinéma n’est pas le lieu du « tout ou rien » mais celui du « peut-être ». Il y aurait quelque chose de délicieux à rejoindre de temps en temps ce que la civilisation en gestation, qui se construit avec le numérique, s’efforce d’éviter : la confusion des temps et des genres.
60L’hypothèse qui se travaille ici est que le cinéma doit être pensé aujourd’hui comme autre chose qu’un art ou une industrie du divertissement. Dès la fin du xixe siècle, rétrospectivement, le cinéma nous apparaît comme le promoteur effectif, l’acteur et le producteur d’une transmutation du monde faisant passer toutes choses et bientôt tout être sous l’empire exclusif du Visible, lequel ramène l’étranger au familier, le secret à la transparence, le multiple au simple, l’indéterminé à son contraire, l’aléatoire au maîtrisable, l’infinité plus ou moins chaotique des petites différences à la régularité des uniformes et des standards. Ce passage au Visible, le cinéma le réalise en travaillant le Temps, en manipulant les formes du temps, comme fait le musicien des sons qu’il organise en telle ou telle musique.
61Nos manières de vivre et de penser se montreraient ainsi de plus en plus désireuses d’en finir avec le hasard et le désordre – en tant qu’ils sont conditions du vivant et de l’altérité – pour parvenir au contrôle total, fantasme en voie de réalisation. Cette sorte de darwinisme social – ou d’hygiénisme social – pousse à accepter la réduction et la disparition de tout désordre, qu’il soit « naturel », corporel, psychologique, social…, tenu pour contraire au calcul, aux prévisions, aux chronomètres, aux études de marché, aux représentations cadrées elles-mêmes. La raide sauvagerie des actions capitalistes peut se déchaîner, elle, revêtue du masque rassurant d’une imperturbable rationalité, pourtant contredite à tout instant par les soubresauts boursiers, les avidités, les erreurs comptables, les faillites, les dettes accumulées, les transgressions fiscales. (« Faites comme je dis, pas comme je fais. »)
62Aujourd’hui, fin 2018, à quoi nous sert le cinéma ? À nous distraire, sans doute ; à nous instruire, aussi, plus ou moins ; à nous faire découvrir les autres et les mondes, oui, c’est inévitable et tant mieux ! à nous bousculer, parfois, comme tout autre travail d’art ; mais d’abord et surtout à nous faire rêver d’un monde meilleur que celui qui nous est destiné par les pouvoirs en place, du Nord au Sud et d’Est en Ouest. Il y a davantage qu’une nuance entre un monde meilleur et le meilleur des mondes. Or c’est bien celui-ci qui nous est promis par le tour que prennent les sociétés porteuses des intérêts d’une marchandisation à outrance. Alors que la salle de cinéma pendant la séance nous arrache un moment à l’attraction terrestre pour nous faire entrevoir autrement le monde que nous habitons, qui gagne en légèreté, qui devient image flottante comme en rêve, qui devient de fait habitable par l’être rêvant que nous sommes.
63Il arrive que les carcans nous soient indispensables, nous aidant à nous maintenir et nous gardant mieux debout que nous ne saurions le faire par nous-mêmes… qu’ils nous emprisonnent aussi, nous tenant en leur pouvoir. Le calcul est l’un d’eux : œuvre de techniciens fortement spécialisés, dont les qualités ne sont ni généralisables, ni largement partagées. Notre monde est de plus en plus segmenté et ces segments sont appropriés par des intérêts privés : fonds d’investissement et grandes firmes, tous en concurrence pour la conquête du monde. Nous ne vivons pas tous à la même échelle, ni de temps, ni d’espace, ni de fortune. Il n’y a pas d’ensemble mais des fractions en lutte incessante, et il faut se résoudre à (re)dire comment l’idée de paix sociale et celle de beauté morale ne sont pas compatibles avec les réalités du marché. À quoi sert le cinéma ? À nous faire entrevoir des sorties possibles de tout ce qui nous aliène, dans les salles de cinéma et hors d’elles. Survivre au totalitarisme du Calcul n’est pas une question, c’est une affirmation impérative. Il n’y a pas ici de mode d’emploi, c’est même tout le contraire : je crois en une dispersion d’initiatives collectives et individuelles, une résistance des sujets à l’uniformisation, une aspiration générale à la non-servitude, toutes ces formes de rejet de ce monde ici-maintenant à quoi le Capital fortement numérisé croit pouvoir nous assujettir. Rien ne se décrète, tout s’invente. La vérité des situations qui sont les nôtres est celle d’un incessant bricolage, d’une improvisation où chacune et chacun tente non seulement de sauver sa peau, mais de sauver la possibilité d’une vie non gâchée par les puissances dominantes. D’opposer un front du refus à l’extension, ici-maintenant, de la pulsion de mort, qui semble irrésistible, qu’il s’agit précisément de penser comme résistible.
Notes de bas de page
1 Le Cinématographe Lumière était une machine à enregistrer et, ensuite, à projeter. La même machine servait aux deux usages.
2 Les six articles parus sous ce titre dans les Cahiers du cinéma sont repris dans Jean-Louis Comolli, Cinéma contre spectacle, Lagrasse, Verdier, 2009.
3 Les « réalités » seraient des cadres narratifs (des récits, si l’on veut) écrits, animés et joués par des groupes et des agrégats d’individus selon un ensemble de règles et normes sociales (école, bureau, syndicat, usine, transports, etc.). Je propose de réserver le terme de « réel » à ce qui vient troubler et reformuler ces cadres, ou les briser, les détruire, les surprendre, et qui peut dépendre d’un seul individu comme de plusieurs, du hasard, de la chance ou de la malchance, de ce qui survient. Un lapsus, une tuile, une erreur de calcul, un remède-poison, un contre-sens, un vent mauvais, un cyclone, etc.
4 Gilles Deleuze, Cinéma, t. 2, L’image-temps, Paris, Minuit, 1985.
5 Cité par Paul Ricœur, Temps et récit, t. 1, L’intrigue et le récit historique, Paris, Seuil (Essais), 1991.
6 Günther Anders décrit « la honte prométhéenne » des hommes face aux machines qu’ils ont créées, dont les performances les dépassent : L’obsolescence de l’homme. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle [1956], traduit de l’allemand par C. David, Paris, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances - Ivrea, 2002.
7 Voir Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, traduit de l’allemand par D. Renault, Paris, La Découverte, 2013.
8 Citons, exemplaires, le Sleep d’Andy Warhol, 1963, qui, légèrement ralenti (tourné à 24 images par seconde et projeté à 16 images par seconde), dure cinq heures et vingt et une minutes ; et À l’ouest des rails de Wang Bing, 1999-2001, neuf heures et vingt-six minutes.
9 On se souvient de la phrase de Cocteau dans Les Mariés de la tour Eiffel : « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur. »
10 Le premier : Howard Hawks, 1953 ; le deuxième : Josef von Sternberg, 1935 ; le troisième, Hawks, 1938 ; le quatrième, Jacques Tourneur, 1947.
11 Cette « passivité » est celle dénoncée au fil des pages par Guy Debord dans La société du spectacle [1967], Paris, Gallimard, 1992.
12 Triste et malchanceux slogan publicitaire (« le cinéma, c’est la vie »), apparu au moment, années 1980, où la « vie » devenait plus spectacle que jamais. Aujourd’hui, cette affirmation, bien naïve et bien retorse à la fois, est toujours en vigueur.
13 Glorieux exemples pour le théâtre chez Shakespeare (Hamlet, La Tempête) et pour le roman : Laurence Sterne ou Denis Diderot, pour en rester au xviiie siècle.
14 Le mythe nous dit que ce fut le cas de Minerve, et Gargantua lui-même naquit de l’oreille de Gargamelle.
15 Quelques dizaines de cinéphiles se réunissaient voir les films de leur « carré d’as » au cinéma le Mac-Mahon, avenue du même nom à Paris (Mac-Mahon fut l’un des massacreurs de la Commune). Le carré d’as : Fritz Lang, Joseph Losey, Raoul Walsh et Otto Preminger.
16 Un film d’Alice Guy (1896, 61 secondes), La Fée aux choux – brève fable précédant de peu celles de Méliès, et fiction suivant de peu L’Arroseur arrosé – montre une jeune femme en blanc se penchant et dansant dans un jardin planté d’énormes choux, d’où elle tire quelques bébés…
17 D’après le Pinocchio de Carlo Collodi (1881). Voir sur Totò : Jean-Paul Manganaro, Confusion de genres. Articles et études, Paris, P.O.L, 2011 ; Douze mois à Naples, Rêve d’un masque, Paris, Éditions Dramaturgie, 1983. Voir également Le cinéma de Totò, no 297 des Cahiers du cinéma, février 1979.
18 Voir Vincent Wackenheim, Joseph Kaspar Sattler ou la tentation de l’os : 16 pièces faciles pour illustrer « Une danse macabre moderne » suivi d’« Un esprit agité », Paris, L’Atelier contemporain, 2016.
19 Par opposition à la perspectiva naturalis, qui requiert l’usage de nos deux yeux. L’artificialis est celle des peintres (Brunelleschi). Voir Dominique Raynaud, « Perspectiva naturalis », Nel Segno di Masaccio. L’invenzione della prospettiva, F. Camerota éd., Florence, Giunti Editore, 2001.
20 Christian Metz, Le signifiant imaginaire. Psychanalyse et cinéma, Paris, Christian Bourgois, 1984.
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