Présentation
p. 7-9
Texte intégral
1Dès sa formation, la pensée scientifique brésilienne se développe en relation avec la pensée européenne. À partir des années 1930, ce dialogue atlantique va s’amplifier avec l’établissement de contacts significatifs avec la pensée nord-américaine et les linguistes brésiliens vont être en contact avec des conceptions issues de traditions différentes : ce fait constitue un phénomène important pour les sciences du langage au Brésil. Se construit notamment alors un mode spécifique de relation entre linguistes brésiliens et linguistes européens, et tout particulièrement entre linguistes brésiliens et linguistes français.
2Parmi beaucoup d’exemples possibles, nous retiendrons celui de l’histoire des idées linguistiques où une relation de travail dynamique existe entre Français et Brésiliens depuis la fin des années 1980, relation qui a produit une réflexion importante pour l’histoire des sciences du langage, notamment au Brésil. Ces travaux sont centrés sur l’histoire de la grammaire, du dictionnaire, mais aussi des théories et des pratiques linguistiques. On mesurera quelques résultats tangibles de ce dialogue à l’aune des travaux que nous publions dans ce volume.
3Un dialogue atlantique réunit six études qui constituent un parcours à travers la production des études linguistiques au Brésil à partir de la seconde moitié du xixe siècle. Par des trajets différents et complémentaires, on a cherché à y présenter quelques apports décisifs de la production sur le langage au Brésil, à partir du moment où la pensée brésilienne se focalise sur l’élaboration de connaissances sur le portugais en tant que langue nationale, en établissant un contact avec l’Europe qui ne passe pas par le Portugal.
4Dans les six textes que nous avons réunis on trouvera : en ouverture du volume, un cadre général du développement des études sur la langue et le langage au Brésil, suivi d’une histoire de la grammaire vue sous l’angle du rôle que la sémantique y a joué (chapitre 1). Ensuite deux moments importants des études sur le langage au Brésil : le premier porte sur l’histoire de la constitution et du développement, dès les années 1970, de l’analyse du discours, discipline décisive pour la pensée sur le langage dans ce pays (chapitre 2) ; le second est marqué par l’œuvre de Mattoso Câmara Jr., premier linguiste à publier un ouvrage de linguistique générale, en 1941, œuvre à partir de laquelle une analyse de l’institutionnalisation de la linguistique au Brésil est proposée (chapitre 3). Les trois textes suivants sont consacrés respectivement à : une analyse des grammaires brésiliennes publiées à partir de 1960 (chapitre 4) ; une analyse de l’histoire du dictionnaire au Brésil, à partir du fonctionnement d’institutions comme l’Académie brésilienne de Lettres, les maisons d’édition et les universités (chapitre 5) ; une analyse de la fonction de l’école dans le processus d’institutionnalisation de la langue nationale et de son rôle normatif aux côtés d’outils linguistiques comme les dictionnaires et les grammaires (chapitre 6).
5À partir du cadre général établi par le premier texte, les divers parcours proposés par les travaux que nous avons réunis vont se déployer, chacun s’intéressant à un aspect particulier. L’on parvient ainsi à un approfondissement et à un élargissement des aspects proposés au départ.
6Les grammairiens brésiliens de l’époque de la grammatisation brésilienne du portugais, comme on le verra dans le premier texte de ce livre, vont subir une influence très forte des Allemands, des Français et des Anglais. À partir des années 1930, avec la création des premières universités brésiliennes et des premiers cours de lettres au Brésil, la pensée brésilienne va entrer en contact plus étroit avec la pensée américaine. C’est ce contact qui, joint à la formation initiale française de Mattoso Câmara, caractérise le travail de celui-ci qui, comme nous l’avons déjà dit, a été le premier à publier un ouvrage de linguistique générale au Brésil, en 1941. Le rôle de l’œuvre de ce linguiste dans cette histoire est l’objet du chapitre 3 : « Mattoso Câmara Jr., linguiste brésilien ». Même si l’aspect normatif continue à perdurer dans l’histoire de la grammaire au Brésil, à partir de Mattoso Câmara, celle-ci va explorer d’autres perspectives. Ce mouvement se retrouvera d’abord dans le premier chapitre, « Sémantique et grammaire. Une histoire des études linguistiques au Brésil », puis dans le chapitre 4, « Énonciation et grammaire. Le champ de production de grammaires dans le Brésil contemporain ».
7Issue d’un parcours qui débute dans les années 1940 et qui se consolide à partir des années 1960, et plus encore dans les années 1970, l’on peut voir combien une discipline comme l’analyse du discours, constituée à la fin des années 1960 en France, connaîtra au Brésil des développements décisifs. En sorte qu’un groupe brésilien et un groupe français maintiendront, à partir des années 1980, une relation de travail fructueuse, déterminante pour le développement de l’analyse du discours des deux côtés de l’Atlantique, comme on pourra le constater dans le deuxième chapitre, « L’analyse du discours et ses entre-deux : notes sur son histoire au Brésil ».
8Deux études se placent dans la perspective du rapport entre les institutions et la production de connaissance sur la langue. L’une, contenue dans le chapitre 5, « Institutionnalisation des dictionnaires monolingues au Brésil », aborde l’histoire du dictionnaire dans ce pays et décrit le parcours de cet instrument grammatical dans sa relation aux institutions brésiliennes, parmi lesquelles l’Académie brésilienne de Lettres, qui ne joue pas du tout le même rôle, sur ce point, que, par exemple, les Académies française ou espagnole. Pendant très longtemps, ce sont les maisons d’édition qui ont joué le rôle principal, et ce n’est que récemment que l’université a commencé à trouver sa place dans cette histoire. L’autre texte, contenu dans le dernier chapitre « L’école, la langue maternelle et la langue nationale », apporte une réflexion sur la place de l’école, en tant qu’institution, dans le mode de fonctionnement des outils linguistiques qui contribuent à la régulation de la langue.
9Si, comme nous pouvons le voir, la question de la relation entre la production de connaissance et les institutions traverse l’ensemble de cet ouvrage, c’est parce qu’elle révèle comment, au Brésil, se développe une histoire particulière qui possède d’autres spécificités que celle des pays avec lesquels le Brésil entre en relation, ne serait-ce qu’en raison de leurs histoires institutionnelles différentes. Ainsi, pour prendre l’exemple de l’analyse du discours, son institutionnalisation a été plus tardive dans les universités françaises, alors qu’elle a été plus précoce au Brésil. Néanmoins l’on ne saurait oublier que cette relation n’est à aucun moment considérée comme produisant des résultats automatiques sur la science, puisque, pour tous les auteurs, l’histoire de la constitution de la connaissance scientifique ne se présente pas de manière homogène, ce qui est une caractéristique du développement scientifique.
10Ainsi, cet ouvrage fait non seulement le point sur l’histoire du développement des sciences du langage au Brésil, mais il constitue aussi un chapitre du dialogue intellectuel fécond, marqué par les relations atlantiques dans lesquelles la science du Brésil est engagée depuis très longtemps.
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Un dialogue atlantique
Production des sciences du langage au Brésil
Eni Puccinelli Orlandi et Eduardo Guimarães (dir.)
2007
Des sons et des sens
La physionomie acoustique des mots
Frederico Albano Leoni Philippe-Marie Théveny (trad.)
2014
Entre expression et expressivité : l’école linguistique de Genève de 1900 à 1940
Charles Bally, Albert Sechehaye, Henri Frei
Anamaria Curea
2015
Voix et marqueurs du discours : des connecteurs à l'argument d'autorité
Jean-Claude Anscombre, Amalia Rodríguez Somolinos et Sonia Gómez-Jordana Ferary (dir.)
2012