Quelques réflexions sur les cartulaires méridionaux
p. 249-251
Texte intégral
1Communications et discussions ont fait ressortir l’intérêt exceptionnel présenté par les cartulaires méridionaux, et plus particulièrement languedociens... mais ce dernier aspect n’était sans doute que conjoncturel. Le cartulaire semble en effet être une source privilégiée pour les historiens méridionaux, et tout particulièrement pour ceux des Xe-XIIIe siècles. Je m’en tiendrai ici à la forme.
2Qu’est-ce au juste qu’un cartulaire ? Ce n’est pas un simple recueil de copies, et les rédacteurs du Répertoire des cartulaires français ont bien senti le problème. Dans sa Bibliographie générale des cartulaires français, parue en 1907, Henri Stein avait rassemblé toute sorte de recueils, qui n’ont pas été retenus dans le nouveau répertoire. Ce répertoire, tant attendu par les historiens, ne couvre certes qu’une partie de la France méridionale, le Sud-Est, mais les critères de sélection énoncés dans son introduction seront valables pour l’ensemble du pays, et devraient constituer en quelque sorte une « typologie » du genre.
3Le cartulaire, tel qu’on l’entend, n’est donc pas un simple recueil de copies d’actes, il est l’oeuvre d’un homme, le « cartulariste » (on peut ne pas aimer ce néologisme, mais il est commode), et cet homme lui donne une forme matérielle qui reflète ses préoccupations, ou celles de son commanditaire. Le cartulaire bien conçu s’ouvre avec une préface, classe et organise les actes, est muni d’une table. Le cartulaire des Guilhem est un modèle dans le genre. Dans sa forme matérielle, le cartulaire s’apparente plus à un livre qu’à un document d’archive par sa confection ; c’est un produit de scriptorium, écrit le plus souvent en écriture livresque, avec des cahiers préparés, avec signature ou réclame, avec des indications marginales à l’intention du rubricateur... Le cartulaire de Valmagne présenté au cours du colloque par Mme de Gaudard d’Allaine en est un remarquable témoignage.
4Ces cartulaires, comment les méridionaux les désignaient-ils ? Ce mot qui nous est cher et familier était-il utilisé, et si oui quand apparaît-il ? Car, en les nommant, on a parlé de l’« Authentique » d’Arles, du Liber instrumentorum memorialium des Guilhem, des « Talmut » ou « Thalamus » de Narbonne, du Livre blanc de Toulouse... Il serait intéressant de faire une enquête systématique sur ces appellations anciennes.
5Existe-t-il une spécificité méridionale en la matière ? Le Midi nous a laissé bon nombre de cartulaires antérieurs au milieu du XIIIe siècle, l’on pense bien sûr à Gellone, au chapitre cathédral d’Arles, à Saint-Victor de Marseille, à Lérins... Assez souvent, le cartulaire reste le seul témoin des archives de l’abbaye pour la période concernée, comme c’est le cas pour la chartreuse de Bonnefoy. Il faudrait confronter systématiquement les cartulaires aux chartriers.
6Lorsqu’on peut faire la comparaison, il semble aussi que les cartulaires méridionaux soient fidèles aux originaux qu’ils copient, allant même jusqu’à reproduire telles quelles les mentions de corrections portées sur ceux-ci ; il y a aussi des copistes intelligents qui développent les noms abrégés qu’il trouvent dans l’original, de manière à uniformiser la lecture ; mais ce zèle peut finalement être gênant, pour l’étude des noms par exemple, surtout lorsque ceux-ci sont en langue vulgaire... Là encore, il faut préférer les originaux.
7On peut se demander si le plus faible nombre de cartulaires méridionaux exécutés aux XIVe et XVe siècles ne tient pas à la précocité du notariat méridional. On nous a montré que certains cartulaires étaient pour l’essentiel constitués d’actes notariés. Or l’on voit apparaître ici dans la seconde moitié du XIIIe siècle les registres de notaires. Ces registres n’existent pas avant le milieu du XVe siècle en Limousin, où l’on trouve pourtant des notaires dès le XIIe siècle. Cette mise en registres des actes par les hommes de la pratique a-t-elle pu rendre peu utile dès lors la constitution d’un cartulaire ?
8Ceci dit, pour l’historien, ce n’est pas le cartulaire qui compte, c’est l’acte, le texte, l’original quand il existe devant dans tous les cas être préféré à la copie — la question a encore été posée pour l’édition. Le cartulaire, il est vrai, est un substitut commode, il nous évite de rechercher des actes épars dans le chartrier, surtout si le « cartulariste » a bien fait son travail et a procédé à des regroupements thématiques, ou géographiques, mais il n’est pas une fin en soi.
9On n’a peut-être pas assez parlé des éditions, relativement nombreuses pour la France méridionale : les cartulaires de Saint-Victor sont publiés dès 1857 par B. Guérard ; celui de Lérins a fait l’objet de deux éditions, par Henri de Flamare en 1885 (inachevée) et par Moris et Blanc entre 1883 et 1905 ; les abbés Rouquette et Villemagne se sont lancés entre 1912 et 1925 dans l’édition du cartulaire de Maguelone, restée inachevée ; le même abbé Rouquette a donné en 1918 le cartulaire de Béziers, le « Livre noir » avec deux pages d’introduction et sans index... Toutes sont loin d’avoir la qualité des plus récentes publications faites dans la collection « Documents, études et répertoire de l’IRHT » ou dans la « Collection de documents inédits sur l’histoire de France ». Une certaine prudence s’impose donc.
10Le mot de « cartulaire » est magique certes, et l’intérêt qui lui a été porté au fil des communications l’a bien montré. Il ne doit pas faire oublier à l’historien qu’il faut toujours de méfier des sources uniques, si prestigieuses soient-elles.
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