Chapitre 2. Évaluer l’efficacité des systèmes éducatifs
p. 35-48
Texte intégral
Naissance de l’intérêt pour l’efficacité des systèmes éducatifs
1La compréhension de la naissance des évaluations PISA nécessite un retour dans le temps. La recherche sur l’efficacité de l’éducation découle du processus de mondialisation qui a encouragé les états-nations à s’ouvrir à l’économie internationale et à se plier, par là même, à une certaine concurrence avec leurs voisins (Dumay & Dupriez, 2009 ; Duru-Bellat & Mingat, 1993 ; Olsen & Lie, 2006). D’après Felouzis et Hanhart (2011), c’est le processus de mondialisation et tous les changements qu’il a engendrés qui ont incité les économistes à s’intéresser à l’efficacité de l’éducation. L’ensemble des thèses des auteurs qui se sont intéressés à la question va dans le même sens. Ainsi, Duru-Bellat et Mingat (1993), Olsen et Lie (2006) ou encore Dumay et Dupriez (2009) affirment que c’est la concurrence internationale qui a imposé de nouveaux défis aux pays et qui les a poussés à se soucier de l’impact de l’éducation sur leur économie, et donc à s’intéresser à l’efficacité de leurs systèmes éducatifs : « pour conserver leur place sur le marché mondial, les nations les plus avancées s’efforcent de promouvoir l’excellence et d’augmenter la qualité générale de leur enseignement » (De Landsheere, 1994, p. 9).
2L’explication que ces auteurs proposent est claire : l’éducation doit former des individus compétents pour que ceux-ci participent au développement politique, social, économique, scientifique ou encore technologique de leur société. Pour résumer cette vision instrumentale de l’éducation, Mons et Crahay (2011) mentionnent la théorie du capital humain selon laquelle « l’agrégation des compétences individuelles va refléter partiellement la force économique des pays » (p. 83). Cela traduit en définitive une réelle foi en la capacité des habitants à développer un pays.
3L’intérêt des gouvernements pour l’éducation s’est ensuite intensifié jusqu’à ce qu’ils décident de mettre sur pied des projets de recherche ayant pour but de déterminer les facteurs qui rendent un système éducatif efficace (De Landsheere, 1994).
Recherche sur l’efficacité de l’éducation
4La recherche sur l’efficacité de l’éducation est née dans les années 1980 dans les pays anglo-saxons dans ce contexte de concurrence internationale poussé par l’intérêt économique pour l’éducation (Van Zanten, 2008). Dumay (2009a) ajoute que la recherche sur l’efficacité de l’éducation s’est développée suite à différents questionnements concernant « les dispositifs et pratiques qui favorisent l’apprentissage des élèves et augmentent leur performance dans un contexte d’enseignement » (p. 7). Selon le même auteur, ce débat s’est animé suite à différentes affirmations qui stipulaient que les pratiques enseignantes et le travail des directeurs d’établissement n’exerçaient aucun impact sur les acquis des élèves. Les premières recherches qui se sont intéressées à l’efficacité de l’éducation se concentraient par conséquent sur des facteurs liés aux enseignants et à leurs pratiques pédagogiques afin de prouver que leur attitude et celle des directeurs des établissements scolaires avaient une incidence sur les performances des élèves. La recherche à ce sujet s’est ensuite intensifiée, ce qui a conduit les chercheurs à aborder l’efficacité de l’éducation comme une relation d’inputs à outputs qui mesure l’effet de l’école et de ses composantes sur différentes catégories d’élèves (Dumay & Dupriez, 2009). C’est ainsi que les chercheurs ont commencé à prendre en considération d’autres variables telles que les caractéristiques individuelles des élèves.
5En définitive, l’ensemble des auteurs qui se sont intéressés à la recherche sur l’efficacité de l’éducation affirment que la finalité de ce type de recherches est nécessairement « instrumentale » (Verhoeven, 2009, p. 226). En effet, à la question de savoir pourquoi il est nécessaire de faire de la recherche sur l’efficacité de l’éducation, ils répondent qu’il s’agit d’ouvrir la voie à certaines propositions de solutions aux problèmes que rencontrent les systèmes d’enseignement. La recherche sur l’efficacité de l’éducation est donc née dans le but d’entamer des procédures politiques pour améliorer ou changer certains aspects défectueux des systèmes éducatifs.
Recherche et politiques éducatives
6La volonté d’utiliser les résultats de la recherche sur l’efficacité de l’éducation dans la gestion des politiques éducatives incarne l’évolution de la conception d’éducation abordée auparavant. En effet, d’après Dutercq et Van Zanten (2001), ce changement dans la manière d’appréhender l’éducation s’est logiquement accompagné d’une évolution de la régulation des politiques éducatives, notamment par le biais de l’utilisation de la recherche. La définition de la régulation qui sera utilisée dans notre travail est celle que propose le sociologue Maroy (2005) qui considère cette dernière comme l’ensemble des règles qui « contribuent à coordonner et orienter l’action des établissements, des professionnels, des familles dans le système éducatif par la distribution des ressources et contraintes » (p. 5).
7Malgré le fait que la recherche sur l’efficacité soit effectivement parvenue à s’immiscer dans les politiques éducatives, il est toutefois nécessaire de préciser que cette tendance n’est pas totalement acceptée et recommandée de manière unanime. En effet, d’après Olsen et Lie (2006), « il semble que la recherche en éducation est estimée, par beaucoup, comme n’étant guère pertinente pour l’élaboration des politiques éducatives » (p. 15). Quant à Rochex (2006), il considère effectivement qu’il est très délicat d’affirmer si un facteur améliore ou non l’efficacité d’un système éducatif car les facteurs à prendre en compte sont non seulement trop nombreux mais ils sont également souvent interdépendants ; l’attribution d’un effet positif à tel ou tel élément est donc une tâche ardue.
8Il est important de spécifier que malgré les critiques, les auteurs précédemment cités s’accordent sur le fait que la recherche sur l’efficacité de l’éducation peut être d’une grande utilité pour autant qu’elle soit correctement interprétée et utilisée. Selon ces derniers, elle est notamment à la base d’importants progrès dans l’étude des facteurs ayant une influence positive sur les apprentissages. Nous verrons par la suite que ce domaine de recherche a beaucoup évolué depuis les années 1980 et que son utilisation dans la régulation des politiques éducatives s’est largement répandue.
Évaluation des systèmes éducatifs : outil de pilotage des politiques
9Au-delà de l’évolution de la conception de l’éducation et de son impact sur la gestion des systèmes d’enseignement, l’ensemble des politiques publiques est touché par un « changement social » (Mons, 2008) qui traduit une mutation plutôt globale que sectorielle. Vandenberghe (2001) suppose effectivement que « ce sont surtout des évolutions à caractère plus social ou anthropologique qui ont été à l’origine du changement » (p. 115) en éducation.
10Cette mutation s’explique en partie par la mondialisation mais également par un événement historique qui a marqué un grand nombre de pays de la société occidentale moderne : la crise économique des années 1980. Parallèlement à la volonté des états de maintenir une certaine qualité de leurs systèmes d’enseignement malgré les restrictions budgétaires qu’ils s’imposent, l’ensemble des membres de la société manifeste, durant cette période critique, un certain mécontentement envers les états qui ne parviennent pas à gérer la crise économique (Maroy, 2005). La récession ébranle effectivement la confiance que la société a envers l’état, ce qui provoque d’importantes demandes sociales de changement au niveau de la gestion du système public (Maroy, 2005). L’atmosphère tendue conduit finalement les pays à appliquer de nouvelles valeurs et de nouveaux principes à la gestion du système public et in fine à revoir leur façon de penser les politiques publiques, notamment les politiques éducatives.
Nouvelle gestion publique et évaluation
11Pour comprendre l’ampleur des changements introduits dans la gestion des politiques publiques, il est important de décrire le modèle de gouvernance précédant celui qui a contribué à l’émergence de l’évaluation en éducation. Depuis le 19e siècle et jusqu’aux années 1980, c’est le modèle dit « bureau-professionnel » (Maroy, 2005, p. 6) qui faisait foi. Maroy utilise cette expression car, à cette époque, la bureaucratie – l’administration publique – était gérée par des professionnels formés spécialement pour ces tâches administratives. L’expression « bureau-professionnel » n’est pas utilisée par tous les auteurs qui se sont intéressés à ce modèle. Cependant, l’aspect bureaucratique de ce dernier est reconnu de manière unanime. Les principes généraux de ce modèle ont été répandus dans de nombreux pays, ce qui explique qu’il ait existé à travers une multitude de versions. Nous en proposons ici une description synthétisée.
12Le modèle « bureau-professionnel » est en général décrit comme une hiérarchie au sommet de laquelle se hisse l’état central qui a le quasi-monopole en matière d’éducation ; il gère et finance les systèmes éducatifs : « les administrateurs centraux évaluent les besoins éducatifs de la population, ils planifient les constructions, recrutent et titularisent les professeurs, fixent les salaires et pensions, déterminent le programme d’étude ou les critères d’évaluation devant conduire à la certification » (Vandenberghe, 2001, p. 112). En définitive, il s’agit d’un système complétement centralisé ; toutes les décisions relatives à l’éducation partent de l’état vers les localités qui disposent par conséquent de très peu d’autonomie. De cette manière, les caractéristiques des systèmes scolaires reflètent la conception étatique de l’éducation (Vandenberghe, 2001). Afin d’appliquer ses principes à l’ensemble d’un pays, l’état central fonctionne par le biais de normes et de standards universels, non négociables et appliqués à l’ensemble des acteurs éducatifs et des localités, indépendamment de leurs spécificités :
Cette forme organisationnelle basée sur la standardisation des règles et la conformité est alors justifiée au nom de la rationalité et de la nécessité de la plus grande universalité possible des règles à l’échelon de l’État nation, fondant ainsi une égalité de traitement et une égalité d’accès de tous à l’éducation. (Maroy, 2005, p. 7)
13La rationalité de ce système explique en outre la division du travail qui place chaque acteur à un poste spécifique exigeant des responsabilités et des compétences particulières. Ce fonctionnement peut être associé à l’organisation scientifique du travail, promue par l’ingénieur américain F.W. Taylor à la fin du 19e siècle, dont la logique consiste à défendre la rationalité comme outil pour obtenir une meilleure efficacité des organisations et des entreprises.
14Dans les bureaucraties, l’enseignant est un fonctionnaire de l’état central qui incarne le service public. Or, selon Maroy (2005), derrière la notion de « fonctionnaire » se cache celle d’exécutant ; l’enseignant doit exécuter les tâches exigées par le gouvernement et respecter les normes que celui-ci impose. Toutefois, dans le modèle bureau-professionnel, malgré les normes et standards à respecter, les enseignants disposent d’une certaine autonomie quant à leur façon d’exercer leur métier. Selon Maroy (2005), cette marge de manœuvre qui leur est accordée va de pair avec un système de contrôle aux conformités exigées ; contrôle effectué par des inspecteurs spécialement formés pour cette tâche.
15Malgré la rationalité de ce modèle de gouvernance, celui-ci a subi à partir des années 1980 d’importantes remises en question. Dans un contexte de crise économique, la lourdeur administrative du modèle bureau-professionnel est considérée comme un frein à l’évolution. De plus, l’universalité et l’impartialité des standards et directives imposés par l’état-nation ne coïncident pas avec les conceptions et les besoins spécifiques de chaque localité. L’aspect centralisé de la gestion de l’éducation ne convient donc plus à la société. La montée du chômage et le mécontentement général des populations face aux gouvernements alimentent d’autant plus une volonté de transformation qui ne se limite pas uniquement à la gestion des politiques publiques mais qui suppose un véritable « changement social » dont nous parlions plus haut.
16Cette expression n’est pas excessive pour décrire ce contexte car cette remise en question de l’état central donne lieu à une réelle mutation au plan de la régulation des politiques publiques que différents auteurs, tels que Maroy (2005), nomment « révolution managériale ». Cette révolution, dont le fondement consiste à redéfinir la place de l’état central dans la gestion des politiques publiques, engendre d’importantes modifications dans la régulation des systèmes éducatifs de nombreux pays qui sont passés d’un modèle « bureau-professionnel » à un système dit post-bureaucratique. Dans cet ouvrage, nous faisons référence à ces nouveaux modes de gestion à travers les notions de nouvelle gestion publique (en anglais : New Public Management ; Felouzis & Hanhart, 2011).
17Quelles solutions ont été élaborées pour pallier la gestion étatique insatisfaisante des politiques publiques ? Dans sa présentation de la mutation des systèmes éducatifs, Maroy (2005) propose une importante distinction entre deux tendances communes à différents pays. Il aborde dans un premier temps les pays dans lesquels le changement s’est situé avant tout au niveau du rôle du gouvernement central dans les politiques publiques, qui est passé de prestataire quasi unique de services éducatifs à celui de contrôleur ou régulateur de ces mêmes services. Ce rôle de régulateur découle d’une décentralisation des responsabilités et d’une plus grande autonomie accordée aux acteurs locaux qui suppose le passage d’une logique de moyens à une logique de résultats. Cela signifie qu’une grande importance est accordée à ce que produit le système en termes de performances : les résultats scolaires. Dans un second temps, l’auteur évoque les pays, moins nombreux, dans lesquels la mutation a consisté en une mise en concurrence des prestataires éducatifs obéissant à une logique de marché, notamment par le biais de l’apparition de prestataires privés. Dans les deux modèles, l’état central renonce à son monopole en tant que prestataire unique de services éducatifs.
18Ces nouveaux principes obéissent à une volonté d’améliorer la qualité et l’efficacité des systèmes éducatifs tout en réduisant les dépenses qui découlent de leur gestion. En effet, la délégation des responsabilités au niveau local assortie du contrôle effectué par le gouvernement central doit permettre une meilleure efficacité ; les acteurs locaux sont davantage en mesure de gérer leurs systèmes éducatifs et de se charger de l’allocation des ressources en éducation car ils connaissent mieux leurs besoins. C’est dans ce contexte que l’état central a acquis un rôle de régulateur et a appliqué aux politiques publiques le principe d’évaluation. La nouvelle gestion publique n’a donc pas signifié la disparition de l’état central dans la gestion des politiques éducatives ; ses responsabilités en matière d’éducation sont restées conséquentes, elles ont simplement été modifiées :
Les économistes nomment « contrat d’agence » le contrat reliant le Principal (par exemple l’État) et son Agent (par exemple l’établissement ou l’enseignant) et dont le contenu (droits, devoirs, primes ou pénalités financières) doit permettre d’assurer que l’Agent oriente son action (utilise sa zone d’autonomie) d’une manière telle que l’objectif poursuivi par le Principal sera globalement respecté. (Vandenberghe, 2001, p. 113)
19D’après Olsen et Lie (2006), c’est ainsi qu’est né le principe d’accountability qui fait référence à la responsabilité qu’ont les acteurs éducatifs – notamment les enseignants – face à l’impact de leur métier sur les élèves et leurs résultats scolaires. Cette explication justifie le fait que dans leur ouvrage, Felouzis et Hanhart (2011) traduisent la notion d’accountability par le terme de responsabilisation. C’est à travers l’évaluation des systèmes éducatifs et la publication de leurs résultats que les acteurs locaux deviennent responsables de leurs activités. Nous comprenons le changement d’optique développé précédemment, qui marque le passage d’une logique de moyens à une logique de résultats ; les résultats des évaluations des systèmes éducatifs ont pour but de justifier d’éventuels changements politiques et deviennent par conséquent un outil indispensable dans le pilotage des politiques publiques.
20Le lien entre la nouvelle gestion publique et l’utilisation d’évaluations – telles que PISA – dans les politiques éducatives est donc clair : « l’émergence de l’évaluation comme mode de pilotage des politiques publiques est historiquement associée à une nouvelle conception du rôle de l’État dans la société et au courant dit du New Public Management » (Felouzis & Hanhart, 2011, p. 7). L’acceptation de PISA par l’ensemble des pays participants découle effectivement de ce glissement vers un nouveau modèle de gestion des politiques publiques et de la nouvelle conception de l’éducation que celui-ci a répandue.
Évaluation : gouvernance basée sur les résultats
21Les évaluations des systèmes éducatifs provoquent de nombreux débats, particulièrement autour de leurs objets et de l’usage qui est fait de leurs résultats. Peut-on vraiment s’appuyer sur les conclusions de ces évaluations pour introduire des changements politiques ? Dès les années 1990 – surtout dans les pays de l’OCDE –, l’ambition des évaluations en éducation a beaucoup évolué et leur utilisation également. Les principes de la nouvelle gestion publique, qui impliquent des fonctionnements nouveaux, reflètent sans conteste une véritable évolution de l’utilisation de la recherche en éducation.
22Les dispositifs d’évaluation avaient comme premier but de mesurer le niveau scolaire des élèves à travers leurs résultats à des examens (Mons, 2009). L’objet des évaluations standardisées s’est peu à peu déplacé des élèves aux systèmes éducatifs, attribuant à leurs résultats une fonction de régulation pour les politiques éducatives. On observe une évolution de la régulation des systèmes éducatifs qui portait sur les objectifs fixés et qui porte à présent sur les résultats que les élèves obtiennent aux évaluations. Duru-Bellat et Jarousse (2001) justifient ce changement en affirmant qu’une évaluation doit porter sur un objet concret. Les objectifs, par nature, représentent une visée, un but à atteindre et sont, par conséquent, trop vagues pour être évalués.
23Felouzis et Hanhart (2011) parlent de « gouvernance par les nombres » pour référer à cette nouvelle gestion des systèmes éducatifs par les résultats. Il s’agit, d’après les auteurs, d’un dispositif de pilotage où tout changement politique s’appuie sur des preuves qui reflètent l’état d’un système éducatif. En d’autres termes,
alors que traditionnellement, les décisions politiques et pédagogiques s’appuyaient sur la « croyance » dans la pertinence de certaines solutions, du fait d’une vision normative des acteurs, l’approche par l’efficacité vise à développer une posture positiviste, distanciée par rapport aux opinions des acteurs et fondée sur des données présentées comme objectives. (Van Zanten, 2008, p. 231)
24Ce qu’il importe de retenir de cette explication réside avant tout dans le fait que la gouvernance basée sur les résultats signifie qu’uniquement des faits tangibles des effets d’un système peuvent légitimer une prise de décision politique. Nous sommes donc face, comme l’affirment Saussez et Lessard (2009), à un modèle de gestion qui prône des valeurs telles que le pragmatisme, la rationalité et l’objectivité. Ce courant, qui considère que les sciences sociales doivent être appréhendées comme les sciences naturelles, correspond à l’Evidence-Based Education ou « éducation basée sur la preuve » (Saussez & Lessard, 2009).
25L’évolution des principes et de l’utilisation des évaluations en éducation n’a cependant réjoui ni l’ensemble de la communauté enseignante ni la totalité des chercheurs en éducation ; nombreux sont ceux qui questionnent la capacité des évaluations – et de la recherche en éducation en général – à produire des résultats suffisamment fiables pour justifier des nouvelles politiques éducatives.
Comment évaluer les systèmes éducatifs ?
26L’évaluation scolaire des élèves est une pratique communément répandue. En revanche, l’évaluation des systèmes éducatifs soulève beaucoup de questionnements : en quoi consiste l’évaluation d’un système éducatif et comment peut-elle servir à sa gestion politique ? L’évaluation est un « processus systématique de collecte d’informations utilisables pour apprécier un programme et ses composantes, dans le but de prendre des décisions » (Ridde & Dagenais, 2012, p. 22). La finalité instrumentale de l’évaluation est explicite ; les auteurs développent le lien entre l’évaluation et la prise de décision en expliquant que celle-ci découle d’une remise en question et d’une importante réflexion qui permettent de tirer une « appréciation » (p. 18) de l’objet évalué.
27La plus grande incertitude concernant la validité de l’utilisation des évaluations dans les politiques éducatives se situe au niveau de l’objet le plus fréquent des évaluations standardisées : les compétences scolaires des élèves. Un grand nombre d’enseignants, de chercheurs et d’auteurs s’interrogent en effet sur la cohérence de ce procédé qui cherche à mesurer la qualité d’un élément aussi vaste qu’un système éducatif à partir d’une seule de ses facettes : les acquis des élèves. À ce propos, Mons (2009) questionne les démarches et les produits des évaluations éducatives : comment partir des résultats des élèves à des évaluations pour tirer des conclusions sur un établissement ou un système éducatif local ? En somme, l’auteure cherche à déterminer si les évaluations standardisées peuvent réellement constituer un instrument politique.
28Les évaluations éducatives ne cherchent pas uniquement à produire du savoir mais plutôt à « orienter les comportements professionnels » (Felouzis & Hanhart, 2011, p. 16), autrement dit à engendrer des changements. Si nous allons plus loin dans la finalité des évaluations éducatives, la question suivante se pose : quel(s) élément(s) des systèmes éducatifs cherche-t-on à changer à travers l’introduction de nouvelles politiques ? Dans son article, Mons (2009) affirme qu’il s’agit le plus souvent d’une volonté d’améliorer les compétences des élèves. La thèse de Dumay (2009a) va dans le même sens : on évalue l’éducation pour déterminer « quels sont les dispositifs et pratiques qui favorisent l’apprentissage des élèves et augmentent leur performance dans un contexte d’enseignement » (p. 7). La question persiste à un niveau supérieur : comment les évaluations standardisées en éducation peuvent-elles améliorer les aptitudes des élèves ? À nouveau, différents auteurs ont pointé du doigt la difficulté de déterminer quels éléments agissent ou non sur les compétences des élèves. Bien que les évaluations standardisées fassent preuve d’une rigueur très poussée, elles restent très complexes car l’école ne peut être considérée comme une entreprise de production dont les résultats peuvent être mesurés de façon objective. Ces critiques ne sont donc pas uniquement dirigées vers les évaluations standardisées en éducation mais surtout vers le principe même de gouvernance par les résultats lorsqu’il s’applique à l’éducation. Selon Maroy (cité par Dumay & Dupriez, 2009), la gestion de l’éducation par les résultats est un processus « intrinsèquement réducteur par rapport à la complexité et à la nature profonde de la relation éducative, et tend à réduire les enjeux de la relation éducative à un certain nombre de produits mesurables et de processus standards » (p. 231). Toutefois, d’après De Landsheere (1994), ce problème concerne l’ensemble des sciences humaines et sociales : « Cette complexité se retrouve dans tout ce qui touche l’homme. Ce n’est cependant pas une raison suffisante pour renoncer à réfléchir et à agir » (p. 11).
29Les recherches mises en exergue par Mons (2009) proposent des conclusions plus nuancées au sujet, d’une part, de la capacité des évaluations à mesurer la qualité d’un système éducatif à travers les résultats des élèves et, d’autre part, du rôle des évaluations dans l’amélioration des performances des élèves : « les mesures quantitatives des acquis des élèves contribuent rarement à l’évaluation des politiques nationales » (Mons & Crahay, 2011, p. 79). Ils dénoncent donc le décalage entre ce que l’on souhaite entreprendre à l’aide des résultats des évaluations et ce qui en est réellement fait. Ces conclusions quelque peu négatives nous invitent à repenser la définition de l’évaluation de Ridde et Dagenais (2012) selon laquelle « une évaluation n’est réellement utile que si ses résultats sont utilisables et utilisés » (p. 27). Nous verrons plus tard ce qu’il en est des enquêtes PISA ; sont-elles également peu utilisées dans les politiques éducatives ?
Comparaison : enquêtes internationales
30Au plan scientifique, peu de travaux soutiennent que les évaluations des systèmes éducatifs ont un impact sur les décisions politiques. Partant de ce constat, comment expliquer la multiplication de ces enquêtes à l’échelle internationale durant ces trente dernières années ? Dans le contexte de mondialisation puis de la naissance de la nouvelle gestion publique, de nombreuses organisations internationales telles que l’OCDE ont exprimé un grand intérêt pour l’éducation. Le souci généralisé pour une éducation de qualité et l’expansion de la concurrence internationale ont non seulement poussé les pays à se soucier de leurs systèmes éducatifs mais les ont également incités à comparer leurs fonctionnements et résultats respectifs.
31Selon Duru-Bellat et Mingat (1993), « dans les sciences humaines, où les possibilités d’expérimentation sont restreintes, la comparaison est la seule manière d’avancer dans la recherche de relations causales » (p. 11). Appliqué aux systèmes éducatifs, ce principe signifie que pour tirer des conclusions sur les éléments qui exercent un impact sur l’éducation, il est indispensable de procéder à des comparaisons de variables de même nature implantées dans des contextes différents. Nous revenons par conséquent à la notion de benchmarking développée précédemment qui veut que la comparaison des systèmes éducatifs permette de repérer les modes de fonctionnement efficaces. L’article d’Olsen et Lie (2006) cite l’un des fondateurs de l’IEA (Association internationale pour l’évaluation des résultats éducatifs, responsable des enquêtes Reading Literacy et TIMSS3) au sujet de ces comparaisons internationales :
Nous, les chercheurs qui avions décidé de coopérer pour élaborer des instruments d’évaluation valables à l’échelle internationale, concevions le monde comme un grand laboratoire d’éducation, dans lequel une grande variété de pratiques, en termes de structures scolaires et de curriculum sont mises en œuvre. Nous voulions simplement tirer profit de cette variabilité internationale pour à la fois étudier les résultats des différents systèmes éducatifs et les facteurs explicatifs de leurs différences de résultats. (p. 12)
32Les enquêtes internationales PISA s’inscrivent dans cette logique du fait qu’elles s’attellent à comparer le même objet dans différents pays.
Notes de bas de page
3 Reading Literacy et TIMSS sont deux enquêtes internationales. La première évalue le niveau des élèves en lecture au terme de l’enseignement secondaire et la deuxième en mathématiques et en sciences.
Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Des élèves funambules
Être, faire, trouver et rester à sa place en situation d’intégration
Laurent Bovey
2015
Les enquêtes PISA dans les systèmes scolaires valaisan et genevois
Accueil, impact et conséquences
Sonia Revaz
2016
Dites-nous pourquoi « ils » sont en difficulté à l’école
Étude de la représentation de la difficulté scolaire chez les enseignants genevois du primaire
Zakaria Serir
2017
Du genre déviantes
Politiques de placement et prise en charge éducative sexuées de la jeunesse “irrégulière”
Olivia Vernay
2020
Regards croisés sur la réforme du secondaire I à Neuchâtel
Points de vue pédagogiques, points de vue politiques
Kilian Winz-Wirth
2021
Comment susciter la motivation des élèves pour la grammaire ?
Réflexions autour d’une séquence didactique
Sarah Gremion
2021
Rencontrer les parents
Malentendus, tensions et ambivalences entre l’école et les familles
Stefanie Rienzo
2022