Préface
p. 11-17
Texte intégral
1L’objectif de la préface que j’ai le plaisir de rédiger est d’attirer l’attention du lecteur ou de la lectrice sur la qualité et l’originalité du travail de recherche effectué par Béatrice Maire Sardi. Tout d’abord, il convient de présenter l’auteure que je qualifierai d’« enseignante multicartes ». En effet, Béatrice Maire Sardi est enseignante à l’école primaire (2e Harmos) sur le canton de Vaud ; elle connait parfaitement le système scolaire puisqu’elle y enseigne depuis plus de 25 ans. Forte de cette expérience et de ses qualités de formatrice, elle a longtemps été praticienne formatrice c’est-à-dire qu’elle accueillait les futurs enseignant·e·s de l’école primaire dans sa classe pendant leurs années de formation. Elle est à présent chargée d’enseignement à la Haute école pédagogique du canton de Vaud, tout en continuant bien évidemment – la passion pour son métier d’institutrice ne la quittant pas ! – à enseigner à temps partiel auprès de ses jeunes élèves. Enseignante aguerrie, toujours curieuse de nouveautés pédagogiques et didactiques, souhaitant constamment actualiser ses connaissances, elle a obtenu une maîtrise en sciences de l’éducation délivrée par l’Université de Genève. Le mémoire rédigé dans le cadre de ce master étant d’une grande originalité et d’une haute qualité scientifique, il se devait d’être accessible à un plus large public : aux étudiant·e·s et chercheur·e·s en sciences de l’éducation mais également aux enseignant·e·s d’école primaire. Enseignante chevronnée, elle devient également chercheuse reconnue en sciences de l’éducation et l’ouvrage que je préface témoigne de ce parcours.
2Institutrice auprès de jeunes élèves de 4 à 6 ans, Béatrice Maire Sardi choisit de s’intéresser à l’acquisition de compétences essentielles que ces enfants doivent apprendre et maîtriser pour la poursuite de leur scolarité et qui sont qualifiées de « transversales ». Le récent plan d’études romand (ci-après PER1) demande aux enseignant·e·s de cycle 1 (1re à 4e Harmos) de mobiliser lesdites compétences auprès de leurs élèves, à travers des situations contextualisées, et ainsi de développer la pensée conceptuelle, la prise de conscience de leurs actes et la flexibilité chez leurs élèves. L’auteure choisit alors de s’intéresser à la catégorisation, compétence que très peu de ses collègues semblent enseigner. Ce constat peut être surprenant quand on sait que la catégorisation est une compétence cruciale qui permet de regrouper des connaissances, des objets, des animaux, des formes… entre eux en les subdivisant en catégories (p. ex. les fruits vs les légumes, les ronds vs les carrés, les mots se terminant par le son [a] vs ceux finissant par [o]…). Savoir catégoriser permet ainsi de réussir de nombreuses tâches de la vie scolaire (p. ex. trier des pièces de bois en fonction de leur forme) mais également des situations de la vie quotidienne (p. ex. ranger ses jouets en fonction de leurs caractéristiques). Il est donc crucial que l’enfant acquière cette compétence.
3Béatrice Maire Sardi s’est alors tout particulièrement intéressée au développement des procédures universelles de catégorisation. Même si ces dernières peuvent être facilement acquises, voire même explicitées par certain·e·s jeunes élèves, elles peuvent l’être difficilement par d’autres et nécessitent qu’elles leur soient enseignées. La première partie de cet ouvrage est ainsi une revue de la littérature scientifique, très bien documentée, qui permettra au lecteur ou à la lectrice de prendre connaissance des résultats de travaux menés en psychologie développementale, cognitive et en sciences de l’éducation dans le domaine de la formation des concepts et du développement des conduites catégorielles, ainsi que des difficultés que doivent surmonter certain·e·s enfants dans cette acquisition. Les liens entre la flexibilité mentale et la catégorisation sont ainsi expliqués.
4Bien que prescrites dans de nombreux plans d’étude, notamment dans le PER, peu d’informations et/ou d’outils sont fournis aux enseignant·e·s pour leur permettre d’enseigner efficacement à leurs élèves les procédures de catégorisation. L’outil original Catégo : apprendre à catégoriser 2 – qui permet aux enseignant·e·s de début de cycle 1 de guider étroitement le fonctionnement cognitif de leurs élèves afin qu’ils ou elles puissent utiliser, verbaliser et concevoir les procédures de catégorisation – tend à répondre à ce manque. À l’affût de tout nouvel outil ou innovation pédagogique, Béatrice Maire Sardi, qui fait partie de ces enseignant·e·s chevronné·e·s souhaitant sans cesse actualiser leurs connaissances, se l’est donc tout naturellement procuré. Elle l’a ensuite implémenté dans sa classe auprès de ses élèves de 2e Harmos et a ainsi observé que ces derniers et dernières apprenaient rapidement 1) à catégoriser de manière efficace et 2) à prendre conscience des procédures qui leur permettaient effectivement de réussir les différentes tâches proposées. En effet, l’originalité de Catégo – outre sa modalité de conception associant très étroitement les chercheur·e·s et les usagers et usagères – réside dans le fait que les enfants parviennent à déplacer leur attention de la performance vers la procédure elle-même et ainsi réussissent à expliciter les processus efficaces. Cette prise de conscience leur permet ensuite de transférer cette procédure à d’autres contextes.
5Forte de cette expérience et soucieuse du travail effectué par les enseignant·e·s, notamment novices, particulièrement lorsqu’elles ou qu’ils doivent s’approprier un nouveau matériel, Béatrice Maire Sardi a réalisé une première recherche en pédagogie et rédigé un mémoire de bachelor en enseignement primaire. Sa recherche – une étude de cas – a mis en évidence le travail préalable que doit effectuer l’enseignant·e avant d’utiliser l’outil Catégo ainsi que les nombreux gestes professionnels y afférents. Béatrice Maire Sardi s’intéresse donc spécifiquement aux pratiques enseignantes qui peuvent influencer le fonctionnement cognitif des élèves. Son souci d’analyse précise des conditions d’apprentissage scolaire qui permettent aux enfants d’acquérir efficacement les procédures requises pour catégoriser (qu’elles ou qu’ils pourront ensuite mettre en œuvre dans différentes situations scolaires ou de la vie quotidienne) l’a conduite à continuer à s’intéresser à ce sujet.
6Informée de la construction d’une version plus élaborée et plus structurée de Catégo mais qui garde toujours les mêmes objectifs, elle a contacté les auteurs – Jean-Louis Paour, Sylvie Cèbe et Roland Goigoux – afin de pouvoir se le procurer et l’expérimenter en classe. C’est ainsi qu’elle a pu découvrir le prototype Des procédures aux concepts, catégoriser des catégories qui propose des activités de tri et de classements aux élèves de 5‑6 ans. Cet outil permet aussi, et surtout, de mettre en mots les procédures requises pour effectuer efficacement des tâches de tri diverses et variées. Onze séances constituent l’outil et chacune d’elles propose des leçons explicites à mener par l’enseignant·e en collectif et fournit des tâches parallèles qui peuvent être réalisées par les élèves lors de moments de travail autonome.
7L’auteure a donc entrepris un nouveau travail de recherche – qui fait l’objet de cette publication – qui vise deux objectifs distincts : 1) analyser la mise en place effective de ce nouvel outil en classe via ses propres commentaires sur chacune de ses séances et 2) évaluer les effets de cet outil pédagogique sur les apprentissages des élèves.
8Béatrice Maire Sardi a préalablement effectué une analyse a priori de la planification et de la mise en œuvre du prototype. Elle s’est projetée dans la réalité de sa classe pour analyser de manière très fine chacune des séances proposées : chaque leçon et chaque tâche parallèle ont ainsi été annotées. Elle a évalué les éléments positifs et des éléments qu’elle modifierait – par exemple la durée de certaines séances ou la complexité de la mise en œuvre de certaines tâches – et, sur la base de cette première analyse, elle a proposé des pistes d’amélioration très pertinentes de l’outil.
9Dans un deuxième temps, forte de son expérience de l’enseignement de plus de 25 ans et de sa maîtrise de la médiation ainsi que du questionnement cognitif et métacognitif pour favoriser la verbalisation des élèves, elle a mis en œuvre dans sa propre classe le prototype avec les quelques modifications issues de son analyse a priori. La conceptrice et les concepteurs du prototype tiennent compte des utilisatrices et utilisateurs de l’outil en voie de construction et leur donnent aussi la possibilité d’intervenir sur l’instrument dans sa phase de construction.
10C’est ce que Béatrice Maire Sardi s’est proposé de faire dans cette recherche, en ne revêtant pas uniquement le rôle « d’enseignante-testeuse » mais également d’enseignante chercheuse ! Elle a ainsi analysé systématiquement et rigoureusement son utilisation effective de l’outil pendant trois mois, à raison d’un ou deux après-midis par semaine (une ou deux leçons), et a noté quels aménagements et modifications supplémentaires pourraient être proposés en vue de l’amélioration de ce prototype afin qu’il soit au plus près des pratiques et gestes habituels des enseignant·e·s. Son travail a ainsi permis de mettre au jour les activités qui fonctionnaient, celles qui marchaient moins bien, d’apporter des propositions d’amélioration de l’outil afin de faciliter son utilisation en classe, en simplifiant certains aspects de la démarche et en adaptant certaines activités.
11Certaines modifications proposées ont concerné le matériel (p. ex. agrandissement des planches afin de faciliter un travail collectif), ou la structure de certaines leçons ou tâches parallèles. Les apports de Béatrice Maire Sardi sont donc d’une importance capitale pour la conceptrice et les concepteurs.
12Le deuxième axe de sa recherche tente de répondre à la question de l’efficacité de l’outil Catégoriser des catégories sur les apprentissages des élèves. En effet, l’auteure avait le souci d’évaluer les effets de la mise en place de cet outil didactique et donc de montrer son impact sur l’acquisition des procédures de catégorisation de ses 12 élèves de 2e Harmos. Elle a donc mis en place un paradigme quasi expérimental et nous pouvons dès à présent relever que, contrairement à d’autres recherches, ce ne sont pas la conceptrice et les concepteurs de l’outil qui testent eux-mêmes son effet sur les apprentissages des élèves mais une « chercheuse-utilisatrice ». La performance de la classe a ainsi été évaluée par l’auteure avant l’entrainement et après quatre mois d’utilisation de Catégoriser des catégories. L’auteure a comparé cette évolution des performances aux résultats obtenus par 11 élèves d’une autre classe de 2e Harmos n’ayant pas bénéficié dudit entrainement. Les épreuves proposées visaient à évaluer les capacités de flexibilité catégorielle des élèves : sont-ils ou sont-elles capables de maintenir une règle catégorielle dans une situation donnée et sont-ils ou sont-elles ensuite capables d’en changer ? Les enfants devaient choisir, parmi trois images, les deux qui allaient bien ensemble dans des situations diverses : sans interférence – l’intrus ne remettant pas en question le type de relation catégorielle demandée (p. ex. esquimau-igloo-artichaut) – ou avec interférence (p. ex. lion-clown-bucheron où bucheron serait l’intrus dans le cas d’une catégorisation schématique [ = le cirque] et où lion le serait si la relation demandée était taxonomique [ = les humains]). Il était également demandé aux élèves de changer de règle de sélection. Ce paradigme quasi expérimental mesurait la capacité des élèves à maintenir une relation catégorielle initiale donnée dans deux situations distinctes puis à évaluer la capacité de la flexibilité catégorielle consistant à maintenir une relation initiale et ensuite de basculer vers l’autre relation catégorielle.
13Je laisse à présent au lecteur ou à la lectrice le plaisir de découvrir les effets de cet enseignement explicite des procédures de catégorisation sur les apprentissages des élèves. Bonne lecture !
Notes de bas de page
1 Conférence intercantonale de l’instruction publique. (2010). Plan d’études romand [En ligne]. Neuchâtel : auteur. Repéré à https://www.plandetudes.ch
2 Cèbe, S., Paour, J.-L. & Goigoux, R. (2004). Catégo : apprendre à catégoriser. Paris : Hatier.
Auteur
Professeure formatrice, HEP Vaud
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