Une expérience d’école libertaire
p. 69-126
Note de l’éditeur
Les noms suivi d’un astérisque font l’objet d’un renvoi vers une notice descriptive en fin d’ouvrage.
Texte intégral
1Le petit établissement alternatif a ouvert ses portes en 1910. Sa fondation a été le résultat de l’initiative militante des milieux ouvriers et anarchistes romands et du médecin lausannois Jean Wintsch*. Tandis que l’État mettait en place un système d’enseignement primaire public, laïque et obligatoire, les milieux syndicalistes et anarchistes, qui n’avaient pas confiance en cette intervention étatique, décidèrent de s’organiser pour créer un établissement alternatif : une école libertaire pour les enfants issus des milieux ouvriers « qui saurait s’adresser à eux et contribuer à leur émancipation » (Heimberg & Wintsch, 2009, p. 16). L’expérience de l’École Ferrer de Lausanne a été rendue possible par une alliance qui n’allait forcément pas de soi, entre socialistes, libres penseurs, libertaires et syndicalistes révolutionnaires. Elle a duré une dizaine d’années et sa fermeture, en 1919, « dans le contexte difficile de l’après-guerre » et « après une période d’instabilité des enseignants » (Heimberg & Winstch, 2009, p. 17) a également été la conséquence du soutien de Jean Wintsch aux auteurs du Manifeste des seize.
2Les discours pédagogiques et politiques qui ont été rédigés sur l’École Ferrer de Lausanne, dans le but de la promouvoir ou de légitimer son existence, se retrouvent principalement dans le journal anarchiste genevois Le Réveil et dans le Bulletin de l’École Ferrer. En ce qui concerne le Bulletin, ses articles les plus importants ont été rédigés par Jean Wintsch qui a été l’auteur principal de ce journal. Un certain nombre de débats, portant sur des questions pédagogiques, ont cependant permis à d’autres enseignants et pédagogues de s’exprimer dans les pages du périodique. On y retrouve l’enseignant d’arithmétique Henri Roorda*, le professeur neuchâtelois Samuel Gagnebin* ou encore Alice Descœudres* de l’Institut Jean-Jacques Rousseau. Il y avait donc des liens entre le petit établissement libertaire lausannois et certains pédagogues genevois (Adolphe Ferrière*, notamment). On y retrouve également Marius Tortillet1 (alias M.‑T. Laurin), un instituteur syndicaliste de la région de Bourg-en-Bresse qui fut « l’un des principaux acteurs des débats pédagogiques qui se sont développés dans les premières années du [XXe] siècle » (Mole, 2005, p. 313). Les articles provenant d’auteurs plus ouvertement politiques sont, en revanche, plus rares – à l’exception d’un article de Louis Bertoni* dans le numéro spécial d’avril 1913.
3Ce qui marque la spécificité de l’établissement libertaire lausannois par rapport aux autres écoles alternatives (comme l’École moderne de Francisco Ferrer*, la Summerhill School d’A. S. Neill* ou encore la Maison des enfants de Maria Montessori*), c’est sa dimension ouvrière. On retrouve cette dimension dans les contenus d’enseignement, qui se veulent tournés vers le concret et la pratique, mais également dans l’ancrage qu’entretient cette école avec la société dans son ensemble et, plus particulièrement, avec les milieux ouvriers. L’ouverture de l’École Ferrer sur le monde ouvrier s’est faite en tentant de l’inclure à la vie scolaire et de le faire participer aux apprentissages des élèves (Heimberg & Wintsch, 2009). Si les acteurs de cette école insistent sur la dimension concrète et pratique de l’enseignement dans leur programme, c’est sans doute parce qu’ils s’opposent à un enseignement exclusivement intellectuel. C’est sans doute également dans le but d’affirmer la dimension ouvrière de l’éducation prodiguée dans l’établissement, qui le distingue des autres écoles nouvelles, d’inspiration bourgeoise. Cette affirmation de l’identité propre à l’École Ferrer trouve un prolongement dans le désir de collaborer directement avec les ouvriers. L’une des idées centrales de cette collaboration était de conserver un contact régulier avec le monde du travail pour que les enfants apprennent autre chose que des savoirs abstraits, séparés de toute pratique, mais aussi qu’ils puissent s’imprégner des valeurs du monde ouvrier. Ces considérations pédagogiques conduisent les enseignants de la petite école anarchiste à adopter des méthodes actives afin de les mettre au service d’une vision « ouvriériste » de l’éducation. Il s’agissait également d’introduire l’élément ouvrier au sein de l’école à travers la participation des parents, la présence des syndicats et des enseignements orientés vers les travaux manuels et l’atelier. Il semblerait cependant que les liens qu’entretenait l’École Ferrer avec les syndicats aient été relativement instables. Quant aux difficultés rencontrées concernant la participation des parents d’élèves, elles ont probablement aussi participé à limiter la présence ouvrière au sein de l’établissement (Heimberg & Wintsch, 2009).
4L’un des principes pédagogiques importants dont se revendiquaient les pédagogues de l’École Ferrer, formulé dans sa déclaration de principes, consiste à laisser l’enfant libre de faire ses propres constats et de développer ainsi sa curiosité, son esprit critique et ses valeurs personnelles. Ce principe est une transposition des propos de Francisco Ferrer lui-même, qui affirmait :
[N]ous voulons [former] des hommes qui continuerons sans cesse de se développer ; des hommes capables de détruire et reconstruire leur environnement et de se renouveler eux-mêmes ; des hommes dont l’indépendance d’esprit est la puissance ultime et qui ne la cèderont à personne ; des hommes toujours disposés à l’amélioration, avides du triomphe des idées nouvelles et désireux de réunir plusieurs vies dans celle qu’ils ont à vivre. La société craint de tels hommes. On ne peut attendre d’elle qu’elle mette en place un système d’éducation capable de les produire. (2005, p. 297)
5Cette position au sujet du développement de l’opinion des enfants et – plus important encore – de leur esprit critique, a trouvé une résonance dans une intervention de Jean Wintsch lors d’une conférence en 1918 à propos de l’enseignement de la morale à l’École Ferrer :
Nous estimons que l’idéal à inspirer aux enfants doit dépasser les cadres [d’une idéologie politique] ou d’une religion, qu’il faut se montrer plus désintéressé, être guidé par une idée plus grande, car [politique] et religion ne sont que des manifestations particulières de la civilisation. Ce qui fait [réellement] la civilisation, […] ce sont les habitudes de civilité, faites […] de dignité personnelle, de respect de la valeur et de l’apport d’autrui, de participation au progrès de la collectivité par une production de plus en plus probe, utile et belle. (Bulletin de l’École Ferrer, numéro 15, p. 6)
6En dehors de la mention explicite à la notion de production, Heimberg (2009) estime qu’il est difficile de ne pas « souligner combien ces termes sont proches de ceux que l’on retrouve dans les objectifs de l’enseignement public démocratique d’aujourd’hui » (p. 24) et il affirme que la modernité de ce langage pédagogique mériterait d’être mise en évidence.
7La question de la discipline a été l’un des thèmes centraux des débats qui ont animé l’École Ferrer de Lausanne. L’un des objectifs de l’établissement était d’amener les élèves à s’autoréguler lors de leurs activités en adoptant des méthodes actives. Pour les pédagogues de la petite école libertaires, l’autodiscipline n’était possible que dans le cadre de pratiques pédagogiques particulières et il s’agissait pour eux de savoir comment mobiliser les capacités de l’enfant afin de le rendre acteur de sa formation. Il est nécessaire que l’énergie et la curiosité de l’enfant soient canalisées afin que l’autodiscipline puisse être envisageable dans ce cadre. Un enseignement sans aucune structure risquerait de conduire au développement d’un individualisme bourgeois que les pédagogues de l’École Ferrer considèrent comme peu acceptable. C’est une question qui, comme nous allons le voir plus loin, sera largement débattue dans les pages du Bulletin à partir de décembre 1916. La volonté de mettre les élèves en activité afin qu’ils s’approprient les savoirs enseignés de la façon la plus autonome possible, en leur laissant l’espace et le temps pour que leur apprentissage passe par « un tâtonnement créatif », correspond selon Heimberg (2009) à une « modalité socioconstructiviste » (p. 26) à laquelle la pédagogie contemporaine continue de s’intéresser. La pédagogie adoptée à l’École Ferrer de Lausanne peut être considérée comme une hybridation entre des méthodes actives d’enseignement et une ouverture sur le monde ouvrier. La dimension collective de l’apprentissage et la collaboration entre les élèves en sont des éléments centraux. Elle mise également sur une réduction de la contrainte au minimum, les enfants parviendront à s’autoréguler au sein de ce cadre où les rapports sont plus solidaires et moins conventionnels que dans les écoles traditionnelles.
8Quels sont les questionnements suscités par la découverte de cette petite école libertaire ? Comme cela a déjà été mentionné en introduction, la question initiale de ce travail de recherche concernait la place de l’éducation au sein du mouvement libertaire. Il s’agissait de chercher à comprendre l’importance que lui accordaient les anarchistes relativement aux autres moyens d’émancipation sociale, tels que la grève générale ou l’insurrection armée. Mais cette question en a fait émerger d’autres qui ont participé à la transformation de notre réflexion sur cet objet. L’analyse des sources interroge sur le type d’éducation que souhaitaient promouvoir et mettre en œuvre les pédagogues de l’École Ferrer de Lausanne. Le débat sur la discipline que l’on retrouve dans le Bulletin et qui a animé la petite école libertaire durant plusieurs mois conduit à se poser la question de la conception de la liberté chez ces militants anarchistes. L’une des autres réflexions qui a émergé concerne la place respective à accorder au travail intellectuel et au travail manuel dans une école dont la pédagogie se veut à la fois tournée vers l’intérêt de l’enfant et vers l’adaptation au monde ouvrier. Il est également important de souligner que la question consistant à savoir à quoi doivent servir les écoles libertaires a été très présente au sein du mouvement ouvrier à ce moment-là. On la retrouve aussi bien dans le Bulletin de l’École Ferrer que dans les pages du journal anarchiste genevois Le Réveil. La mission de diffusion des idées libertaires en éducation constitue l’une des réponses à la question « à quoi ? ».
9Ce sont ces questions qui seront abordées dans la prochaine partie de ce livre. Celle-ci est consacrée à l’analyse du corpus de sources, qui a été effectuée à l’aide de la typologie des pratiques anarchistes élaborée par l’historien Gaetano Manfredonia (2007).
L’école, un levier de changement social ?
10La typologie proposée par Gaetano Manfredonia (2007) constitue un puissant outil d’analyse afin de catégoriser les opinions des militants libertaires. Les types idéaux que l’historien a construit inductivement, en partant de l’analyse sociohistorique des pratiques anarchistes, ont permis d’observer des variations et des nuances dans le discours des acteurs de l’École Ferrer de Lausanne et de mieux comprendre le sens que ces militants attachaient à leurs pratiques. Cela dit, il faut être conscient du fait que, lors de l’analyse, les hybridations entre les idéaux types constitueront probablement plus souvent la règle que l’exception. Cette typologie n’en demeure pas moins un outil conceptuel intéressant car elle peut permettre de faire ressortir des propos analysés certains traits saillants propres à l’un ou l’autre des idéaux types.
11Il sera question, dans les pages qui suivent, de tenter de dégager des sources la place respective qu’occupait, chez les militants anarchistes romands du début du XXe siècle, l’éducation, les luttes syndicales et la rupture révolutionnaire. La question de savoir laquelle de ces stratégies d’action doit jouer un rôle prépondérant en tant que levier de changement social dans leur vision y sera posée – chacune d’entre elles renvoyant à l’un des idéaux types de Manfredonia (2007). Il s’agira également de se demander si ces visions du changement social peuvent être complémentaires et d’analyser les hybridations qui ont débouché sur les principes pédagogiques fondateurs de l’École Ferrer.
Éducation, grève générale ou révolution ?
12L’un de ceux qui exprime le mieux l’opinion insurrectionnelle sur le changement social et l’oppose à la vision éducationniste, en faisant primer l’émancipation du peuple sur son éducation, est Mikhaïl Bakounine*. Dans un article du journal L’Égalité, datant de 1869, l’anarchiste russe prend position sur la question de l’éducation intégrale. Il y critique les « socialistes bourgeois » qui déclarent vouloir instruire le peuple avant de l’émanciper et leur rétorque qu’il faudrait plutôt que le peuple « s’émancipe d’abord, et il s’instruira de lui-même » (Enckell, 2000, p. 14). Il y affirme qu’en dépit de tout le respect qu’il peut avoir pour la question de l’instruction intégrale, il ne la considère pas comme la plus grande question pour le peuple à l’heure où il écrit ces lignes (Enckell, 2000). Il estime que la question la plus importante est celle de l’émancipation économique des classes populaires et que celle-ci engendrera « nécessairement aussitôt et en même temps son émancipation politique, et bientôt après son émancipation intellectuelle et morale » (p. 15). Cette idée qu’exprime Bakounine, selon laquelle la révolution doit précéder toutes les autres formes possibles de changement social, semble typique de la vision insurrectionnelle. En effet, les militants anarchistes qui adoptent cette perspective considèrent que la rupture révolutionnaire constitue le premier pas sur le chemin de l’émancipation humaine. On retrouve également cette idée dans les propos de Louis Bertoni* lorsqu’il affirme que « l’anarchie ne [peut] s’épanouir qu’en pleine atmosphère révolutionnaire » (Bertoni, 1925, p. 106, cité par Manfredonia, 2007, p. 30).
13La position éducationniste est exprimée par Paul Robin* qui, contrairement à Bakounine, pense que l’éducation est la condition préalable à l’émancipation. Pour le pédagogue libertaire français, « il ne peut y avoir de transformation sociale [radicale] sans qu’il y ait formation d’un homme nouveau – d’une femme nouvelle aussi » (Enckell, 2000, p. 15). Il exprime ici une vision typiquement éducationniste, puisqu’en plus de penser que l’éducation doit précéder la révolution, il estime que l’agent principal du changement social est l’individu, qu’il faut transformer pour que ce changement radical puisse avoir lieu. Cependant, Robin a conscience que le fait de prodiguer un enseignement complet à la classe ouvrière ne doit pas laisser penser que l’on pourrait faire l’impasse sur le processus révolutionnaire. L’éducation doit être un moyen utilisé afin de produire une prise de conscience chez les opprimés et accélérer le mouvement conduisant à leur libération. Pour lui et les autres militants anarchistes éducationnistes, l’éducation doit non seulement précéder le processus de rupture révolutionnaire, mais elle doit également en être le catalyseur. Elle ne peut en aucun cas constituer une fin en soi. C’est dans ce contexte, où le débat « entre la priorité à donner à la critique sociale ou à l’expérimentation, à l’éducation ou à l’émancipation » était particulièrement vif (Enckell, 2000, p. 16 ; il est d’ailleurs encore très présent dans les milieux anarchistes aujourd’hui), que la question de confier l’éducation des enfants du prolétariat à l’État ou aux organisations ouvrières s’est posée pour les acteurs de l’École Ferrer de Lausanne. Cela dit, leur conception de l’éducation était teintée d’une vision syndicaliste du changement social et la question de l’adaptation de l’enseignement aux besoins de la classe ouvrière y a été centrale.
Exercer une influence dans tous les milieux
14La première mention du débat sur la place à accorder à l’éducation se trouve dans le numéro spécial du Bulletin, qui date du mois d’avril 1913. On peut y lire un article de Louis Bertoni* intitulé « Notre école ». Dans cet article – brièvement évoqué plus haut – Bertoni tient un discours typiquement insurrectionnel à propos du changement social. Il affirme notamment qu’aucun « réformisme ne saurait nous soustraire à l’urgente et impérieuse nécessité de travailler à hâter la crise et la période révolutionnaire » (p. 8), et estime qu’elle seule peut permettre des réalisations pratiques telles que l’École Ferrer. Assumant pleinement sa posture de révolutionnaire, il déclare ne croire ni au réformisme éducatif, ni au réformisme syndical. Il ajoute que « [l]orsque les individus et les masses sentiront que les anciennes institutions vont s’écrouler, [les anarchistes] pourront compter sur leur appui pour la grande œuvre de transformation sociale », c’est-à-dire la révolution. Il nuance cependant son propos lorsqu’il affirme considérer l’École Ferrer comme un essai pratique que les anarchistes sont moralement tenus de faire, car elle incarne la réalisation des idées libertaires en matière d’éducation. Bertoni souligne néanmoins que cette expérience éducative ne revêt, à ses yeux, qu’une valeur expérimentale « dont les données les plus concluantes finiront par exercer une influence même dans les milieux qui [lui] sont actuellement les plus hostiles » (p. 8). Il la considère en cela comme une œuvre de propagande de la part des milieux anarchiste et ouvrier romands. Ce type de propagande s’appuie sur l’idée que tout élément de rénovation se trouve dans le peuple, c’est donc vers lui qu’il faut se tourner lorsqu’il s’agit d’aller puiser les ressources propres à rénover la culture. Ces propos de Bertoni relèvent d’une vision typiquement insurrectionnelle du changement social puisqu’en plus de considérer la révolution comme le premier pas vers l’émancipation collective, ils tiennent le peuple pour principal agent de celle‑ci.
15Jean Wintsch* exprime une vision plus proche de celle de Paul Robin* et des autres militants éducationnistes. Pour lui, s’occuper de l’éducation des enfants d’ouvriers, c’est déjà faire « œuvre révolutionnaire » comme en témoigne cet extrait issu du Bulletin datant d’avril 1917 :
Être dans son époque, la bien comprendre, et travailler à améliorer ce qui est, là où l’on est, telle est l’œuvre qui nous attend. Elle est déjà rudement difficile. Délaisser d’un côté l’enseignement autoritaire, formel, encombré de formules scolastiques, éviter d’autre part l’enseignement chaotique, fragmentaire, sans relation étroite avec la vie courante, voilà ce qui importe. Et avoir un sens aigu des réalités, en même temps que la passion du progrès dans les procédés de recherche et de travail, voilà ce qui est indispensable. Avec ça, […] on fera œuvre révolutionnaire parce qu’éloigné de la routine et de l’utopie, on amènera un changement matériel, tangible, décisif. (BEF, numéro 6, p. 6)
16Il semble essentiel, pour le médecin lausannois, de travailler à améliorer ce qui peut l’être ici et maintenant, et l’éducation ne doit pas faire exception. Wintsch souhaite que l’enseignement à l’École Ferrer ne ressemble ni à celui des écoles officielles, qu’il considère comme autoritaire et formel, ni à celui des écoles nouvelles bourgeoises qu’il juge chaotique et sans rapport avec la vie courante. C’est en proposant, au sein de la petite école libertaire, un enseignement qui évitera ces deux écueils (la routine et l’utopie) et qui sera adapté aux besoins de la classe ouvrière que les pédagogues de l’École Ferrer de Lausanne feront œuvre révolutionnaire.
17La question de la « révolution scolaire » (entendue au sens de révolution de l’école) revient d’ailleurs sous sa plume en mai 1918, lorsqu’il fait part d’un compte rendu de lecture de l’ouvrage du professeur d’arithmétique Henri Roorda*, Le pédagogue n’aime pas les enfants (1917), dans les pages du Bulletin. Il souligne notamment « qu’il importe dans la pensée de M. Roorda d’introduire à l’école une véritable révolution » (BEF, numéro 19, p. 7) qui aura quelque chose de rassurant puisqu’elle sera non violente, « qu’elle ne renversera rien dans la société » et « ne fera aucune victime ». Mais est-ce que cette « petite révolution » doit être faite dans le dessein de précéder et/ou d’accompagner le processus révolutionnaire, celui qui concerne la société tout entière ? Wintsch ne répond pas vraiment à cette question. Il se contente de dire qu’il s’agit de libérer les enfants de l’éducation bourgeoise qu’ils reçoivent dans les écoles officielles. Il affirme également que c’est ce que les anarchistes peuvent faire de mieux pour l’heure et que c’est pour cette raison qu’ils devraient tous prendre la question scolaire au sérieux. Cette vision tournée vers l’avenir avait déjà été exprimée dix ans plus tôt par le médecin lausannois. Dans un article du Réveil de mai 1908 intitulé « Écoles syndicales », il écrit :
C’est vers l’avenir qu’il faut tourner nos regards. Or nous possédons au milieu de nous tout une quantité de petits êtres qui vont constituer l’humanité de demain […] – nos enfants – et que nous laissons éduquer par nos pires ennemis [les bourgeois]. (Le Réveil, mai 1908, p. 1)
18Il poursuit son discours en appelant les ouvriers à l’action directe dans le domaine de l’éducation et de l’instruction par la création de leurs propres écoles, adaptées à leurs besoins et à leurs aspirations. Il conclut en affirmant que la préoccupation des travailleurs pour l’émancipation de leurs enfants est le signe du développement de leur conscience de classe.
S’unir autour du travail actif
19À la suite de la création de leur école, ces pédagogues se sont demandé comment pérenniser les efforts fournis au sein de l’établissement afin de prodiguer aux enfants du prolétariat un enseignement qui soit à la fois libre et adapté à leurs besoins. Une partie de la réponse se trouve dans les œuvres postscolaires. Cette pratique, qui fait référence au caractère permanent de l’éducation anarchiste (Baillargeon, 2008), est teintée d’une vision syndicaliste du changement social. Jean Wintsch* en propose une description en novembre 1917 dans le treizième numéro du Bulletin de l’École Ferrer. Il exprime son désir de voir les anciens élèves de l’école continuer à entretenir des relations étroites et suivies avec « l’organisation prolétarienne qui a assuré en partie leur formation » (BEF, numéro 13, p. 2). Il indique, en outre, que le projet initial des fondateurs de l’École Ferrer de Lausanne incluait « de joindre graduellement à la classe des enfants, des cours du soir pour les apprentis et une université populaire pour les ouvriers et leurs familles ». Il s’agissait donc, au départ de ce projet, de s’occuper d’éducation populaire au sens large et d’ajouter à l’enseignement prodigué aux enfants de prolétaires le développement intellectuel, moral et professionnel des travailleurs eux‑mêmes.
20Concernant la forme de ces œuvres postscolaires, Wintsch insiste particulièrement sur le fait que celles-ci ne doivent pas rappeler l’école publique et qu’elles doivent plutôt ressembler à un endroit agréable, où l’on se sent libre, où l’on va se distraire et où l’on peut discuter. Un lieu dans lequel on trouverait la joie d’une camaraderie attentive, bienveillante, à base de solidarité et où les jeunes peuvent se sentir libres de fournir des efforts de recherche, d’essai et de création. Ces propos rappellent évidemment la conception qu’avait Wintsch de ce à quoi devrait ressembler une classe dans un établissement libertaire lorsqu’il utilisait le terme « d’atelier-laboratoire-bibliothèque-musée » ; un lieu ouvert, appartenant à tout le monde, où chacun peut se sentir libre d’occuper l’espace et d’utiliser les outils à disposition comme bon lui semble, à condition qu’il respecte la liberté et le travail de ses camarades.
21Le lien entre les œuvres postscolaires et la vision syndicaliste du changement social est fait par Jean Wintsch lui-même lorsqu’il affirme qu’elles doivent être orientées vers le travail : « C’est autour du travail – travail actif de chacun – qu’il s’agit de se grouper et de se développer » (BEF, numéro 13, p. 3).
22C’est donc sur la base de cette pratique sociale qu’il s’agit de construire un environnement attrayant pour les jeunes issus des milieux ouvriers ; les cours et conférences qui y seront donnés devront tendre vers la transmission de savoirs utiles pour les futurs producteurs qu’ils sont – allant des conditions de travail dans divers métiers à l’histoire du mouvement ouvrier et révolutionnaire. On rejoint ici le principe d’adaptation aux besoins de la classe ouvrière caractéristique de l’École Ferrer. Et si Wintsch reconnait qu’il s’agit d’une œuvre de longue haleine, il appelle les syndicats à « s’atteler à cette œuvre généreuse de fonder des milieux attrayants pour les jeunes gens » sans attendre. Il est par ailleurs convaincu que, ce faisant, « les membres afflueront aux jeunesses syndicalistes » et qu’elles deviendront, par conséquent, des cellules de l’éducation prolétarienne, riches d’avenir. Porté par une vision syndicaliste du changement social, le médecin vaudois considère donc le syndicat comme la seule entité capable de promouvoir la formation d’une véritable culture ouvrière.
23Dans le double numéro du Bulletin datant de mai 1921, l’instituteur bressan Marius Tortillet écrit que l’École Ferrer de Lausanne est « une école nouvelle dans la plus complète acception du mot » (p. 17). L’établissement libertaire vaudois représente à ses yeux une institution syndicaliste et ouvrière, qui considère les enfants du peuple comme de futurs producteurs et au sein de laquelle « tout a été mis en œuvre pour faire comprendre la beauté du travail, pour faire aimer et respecter les travailleurs » (p. 17). S’il avait tant d’estime pour cette école, c’est parce qu’elle était portée par cette vision syndicaliste du changement social et qu’elle aspirait, par ses discours et ses pratiques pédagogiques, à « montrer l’importance […] de la formation morale et intellectuelle de l’homme de demain, producteur autonome, élément constitutif d’une Société basée sur la justice et la liberté ».
24Deux ans plus tôt, en mai 1919, c’est le professeur neuchâtelois Samuel Gagnebin* qui décrit ce que représentait pour lui l’expérience de l’École Ferrer de Lausanne. Dans les pages du vingt-et-unième numéro du Bulletin, il écrit :
L’intérêt des ouvriers pour la question pédagogique a une signification sociale et un sens révolutionnaire dont la portée n’a pas été assez remarquée. […] Pour nous, l’importance d’une participation vraiment active de la classe ouvrière à l’effort pédagogique éclate aux yeux. (p. 1)
25Gagnebin semble établir un lien direct entre l’intérêt des ouvriers pour la question pédagogique et la portée révolutionnaire de cet intérêt. Ce faisant, le professeur neuchâtelois n’oppose pas la vision des militants éducationnistes à celle des insurrectionnels. Il semble même estimer que ces deux conceptions du changement social sont plutôt complémentaires. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il affirme que l’implication active de la classe ouvrière à l’effort pédagogique est si importante. Conscient de la dimension syndicaliste présente à l’École Ferrer, il ajoute, plus loin dans cet article, qu’il s’agissait d’appliquer en matière d’éducation ce fameux mot d’ordre syndicaliste : l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Selon lui, les fondateurs de l’établissement anarchiste vaudois étaient portés par un idéal qui prévoyait « que le syndicat deviendrait la pierre angulaire de la société rénovée » (BEF, numéro 21, p. 2) mais qu’avant cela il fallait réfléchir et agir de manière à faire du syndicat un instrument permanent de progrès, de lutte et de contrôle, autrement dit : « un foyer de vie ouvrière ». Une partie de la mission des écoles fondées par les organisations ouvrières et syndicales était donc d’être les antichambres de ces organisations en tournant leur enseignement vers la promotion d’une véritable culture ouvrière, afin de préparer les enfants à occuper leur rôle de futurs producteurs tout en étant conscients de leur condition, fidèles à leur classe sociale et fiers d’y appartenir. Cette volonté fait penser au « refus de parvenir » d’Albert Thierry*, intellectuel et instituteur libertaire français qui exerça une influence considérable sur les instituteurs syndicalistes du début du XXe siècle (Chambat, 2015 ; Lenoir, 2020).
L’éducation, une utopie ?
26S’ils affichent la volonté de s’opposer à une vision utopiste du rôle de l’éducation comme levier de changement social, c’est avant tout parce que les acteurs de l’École Ferrer de Lausanne savent bien que le courant libertaire a souvent été considéré comme une sorte de courant utopique par excellence (Manfredonia, 2006). Au sein même du mouvement, les insurrectionnels ont tendance à penser que les militants éducationnistes sont des utopistes.
27On retrouve cette critique dans un article de novembre 1921 paru dans Le Réveil. Il reprend les propos de Carlo Pisacane*, révolutionnaire et précurseur de l’anarchisme en Italie. Le sous-titre de la partie consacrée à sa vision de l’éducation est explicite : « L’utopie de l’éducation ». On peut y lire que Pisacane considère comme une « [é]trange utopie » de penser que c’est « par l’éducation que nous allègerons, détruirons même les maux du prolétariat » (p. 3) et il se demande ce que peuvent bien tirer de l’éducation « ceux qui sont condamnés comme Sisyphe à un travail sans fin » (p. 3). Et, même en admettant que cette utopie soit réalisable, il demeure convaincu que l’éducation reçue rendrait les prolétaires plus malheureux.
28Étant conscients de cela, les acteurs de l’École Ferrer expriment le désir de se distinguer de ceux que Jean Wintsch* nomme, dès le premier numéro du Bulletin (octobre 1916), des « faiseurs de systèmes » (BEF, numéro 1, p. 3). Comme nous allons le voir plus loin, le thème du réalisme va constituer l’un des leitmotivs du discours de ceux qui s’expriment dans le Bulletin de l’École Ferrer. Ce thème sera souvent opposé à celui de l’utopie, incarné par les Écoles nouvelles, dont l’enseignement est tourné quasi-exclusivement vers le seul intérêt de l’enfant. Ceci pousse les acteurs de l’École Ferrer à considérer ces écoles comme bourgeoises et inadaptées aux enfants issus de milieux populaires ; ils souhaitent donc s’en démarquer en proposant une école alternative réaliste où la pédagogie serait adaptée aux enfants d’ouvriers.
Une institution ouvrière et progressiste
29C’est dans le numéro spécial d’avril 1913 que Wintsch* s’exprime pour la première fois au sujet de ce qu’il considère être une école alternative réaliste. Pour le médecin vaudois, la condition sine qua non pour ne pas basculer dans une vision naïve et utopiste de l’éducation est de tracer un programme qui fasse faire aux enfants l’apprentissage de la vie là où elle se passe. Partant de cette condition, il pense qu’une école alternative qui a la prétention d’être réellement populaire doit s’appuyer sur « l’organisation corporative [et] sur la collaboration ouvrière » (BEF, numéro spécial, p. 1), sans quoi elle ne pourra pas être une institution progressiste et réaliste. Il est convaincu qu’en travaillant ensemble, ouvriers et instituteurs pourront poser les jalons de cette école populaire au sein de laquelle l’enseignement sera fait à la fois dans l’intérêt de l’enfant et adapté aux besoins de la classe ouvrière.
30Wintsch reviendra plus en détails sur la nature de cette collaboration entre ouvriers et instituteurs à l’École Ferrer en octobre 1916, dans le premier numéro du Bulletin, en affirmant notamment que cette collaboration est caractéristique de cette institution libertaire, mais aussi en insistant sur le fait qu’elle est « quelque chose de réel ». Pour appuyer son propos, il ajoute plus loin que « ce ne sont pas là des visées utopiques en dehors de la vie » et que si cette vision peut être qualifiée de réaliste à ses yeux, c’est parce qu’elle s’inscrit dans une perspective pratique tout en étant basée sur les capacités de personnes compétentes.
31Concrètement, cette participation active des travailleurs à l’enseignement se retrouve à l’École Ferrer principalement sous deux formes : la confection du matériel scolaire et des leçons sur leur spécialité. Si Wintsch insiste tant sur le caractère réaliste de cette institution, c’est non seulement parce qu’il a conscience que le courant anarchiste en général et sa tendance éducationniste en particulier sont perçus comme relevant de l’utopie, mais également car il souhaite se désolidariser des multiples tentatives d’écoles nouvelles qui ont été faites jusqu’alors et qui possèdent toutes, à son sens, « un caractère utopique ». Pour le médecin lausannois, qui s’oppose à ces essais, le caractère utopique de ces institutions scolaires alternatives s’exprime par le fait que celles-ci sont « en dehors des conditions d’existence telles qu’elles sont pour presque tout le monde » (BEF, numéro 1, p. 3), qu’on y fait « bande à part » et que, ce faisant, « on s’éloigne de la vie du peuple ». Or, ce n’est pas dans cette perspective que s’inscrit l’École Ferrer qui est une école syndicaliste, où la collaboration ouvrière à l’enseignement est l’un des principes centraux, faisant sa particularité.
32En avril 1917, dans le numéro 6 du Bulletin, Wintsch revient sur les conditions nécessaires pour qu’une école alternative soit une institution « réaliste ». Il est indispensable, selon lui, d’avoir « un sens aigu des réalités, en même temps que la passion du progrès dans les procédés de recherche et de travail » (BEF, numéro 6, p. 6). Ce sont ces deux dispositions qui pourront permettre aux acteurs de l’École Ferrer de « délaisser d’un côté l’enseignement autoritaire, formel, » et « éviter d’autre part l’enseignement chaotique, fragmentaire, sans relation étroite avec la vie courante ». Il est convaincu que c’est en empruntant cette voie qu’ouvriers et enseignants feront, ensemble, « œuvre révolutionnaire » car en s’éloignant de ces deux écueils que sont la routine et l’utopie, ils apporteront « un changement matériel, tangible, décisif ». Ce que Wintsch semble exprimer ici, c’est la tension entre ces deux pôles opposés, qui anime l’École Ferrer. Il s’agit d’une part de s’éloigner de l’enseignement officiel décrit comme autoritaire et formel, et d’autre part de ne pas tomber dans un enseignement perçu comme chaotique, et sans relation avec la vie réelle. Il faut donc que l’enseignement soit adapté aux besoins de l’enfant sans pour autant basculer dans l’utopie bourgeoise et individualiste d’une liberté totale de celui‑ci.
33L’École Ferrer n’a pas pour ambition d’être une école alternative comme les autres ; elle veut aussi être adaptée aux besoins de la classe ouvrière. C’est pourquoi ses acteurs insistent tant sur le caractère concret et réaliste de l’enseignement au sein de cet établissement et l’opposent à l’enseignement utopique qui serait dispensé dans les autres écoles nouvelles, mais aussi à l’enseignement rigide et rétrograde des écoles officielles. Jean Wintsch expliquera plus tard, dans la deuxième partie d’un article du Bulletin qui s’intitule « Un essai d’institution ouvrière – l’École Ferrer » (numéro 26) et qui parait quelques mois après la fermeture définitive de l’institution (octobre 1919) – d’une façon à la fois précise et éclairante –, ce qui a fait que cette école occupait une place particulière par rapport aux autres écoles nouvelles de son temps et pourquoi est-ce qu’à ses yeux celle-ci a tant compté :
C’est par l’ensemble de son programme que l’École Ferrer compte. Et c’est le milieu prolétarien dans lequel elle a évolué qui la distingue des autres essais d’école rénovée. Il y a un tout homogène, un programme complet et concret, en vue d’un but pratique : faire un enseignement […] dans l’intérêt de l’enfant et adapté aux besoins de la classe ouvrière ; autrement dit, utiliser à l’école populaire toute les ressources pédagogiques démontrées bonnes et utiles pour l’enfant : le respect de sa personnalité, la coéducation des sexes, le travail par groupes, la recherche personnelle, l’expérience et la manipulation. (BEF, numéro 26, p. 8)
Un grand souci de la réalité
34C’est en tentant de demeurer fidèle au principe d’adaptation aux besoins de la classe ouvrière que l’École Ferrer de Lausanne va s’attirer les sympathies de Marius Tortillet (alias M.-T. Laurin), instituteur syndicaliste de la région de Bourg-en-Bresse. Comme cela a été mentionné plus haut, Laurin fut un acteur important des débats pédagogiques qui eurent lieu chez les instituteurs syndicalistes et socialistes au début du XXe siècle (Mole, 2005). Il est publié à deux reprises dans le Bulletin, la première fois en juillet 1917 (dans le numéro 10) et la seconde en mai 1921, dans le double numéro (29-30) qui sera le dernier de ce périodique.
35Dans son premier article, « Lettre d’un rural », Laurin se montre très élogieux envers l’institution lausannoise. Il affirme y avoir trouvé « ce qui manque le plus souvent aux établissements similaires », à savoir : « un grand souci de la réalité, une défiance complète des formules et des systèmes tout faits, une adhésion aux méthodes sanctionnées par une expérience raisonnée et libre » (BEF, numéro 10, p. 1). Ce sont ces caractéristiques qui permettent à l’instituteur bressan de tenir l’École Ferrer pour « une véritable école libre où sous prétexte d’innovation, on ne tombe pas dans les chimères et l’irréel ». Dans sa seconde contribution au Bulletin, dont le titre ne laisse pas de doute quant à l’orientation générale de la petite école libertaire vaudoise (« Les principes d’une école syndicaliste »), Marius Tortillet exprime son accord avec la vision de Jean Wintsch* qui est, d’après lui, « l’adversaire des tentatives pédagogiques insuffisamment étudiées, qui ne relèvent que de l’utopie » (BEF, numéros 29-30, p. 16). Tous deux se rejoignent notamment sur le fait qu’en matière d’éducation, « la volonté ferme de transformation et de rénovation doit toujours s’allier au meilleur esprit pratique » et que rénovation scolaire « ne signifie pas expérimentation saugrenue ou utopique ».
36Pour Laurin, cette leçon est la plus importante à retenir de l’expérience éducative de neuf années menée à l’École Ferrer ; expérience qui a pu exister et se développer parce que les personnes qui ont été à sa tête « ont su et ont voulu en faire une organisation pratique et sérieuse ». L’instituteur conclut d’ailleurs son propos en invitant le lecteur à bien retenir « cette leçon si simple » pour le présent et l’avenir.
Une école du travail inspirée de Proudhon
37Si Wintsch* et Laurin semblent tomber d’accord sur l’importance du principe d’adaptation aux besoins de la classe ouvrière, c’est aussi parce que tous deux se réclament de Proudhon*. Pour Gaetano Manfredonia (2006), le « père » de l’anarchisme exprime un souci permanent de se démarquer de la tradition utopique de son époque. Il considère même que la doctrine mutuelliste de Proudhon peut être qualifiée sans peine « d’anti-utopiste », étant donné que celle-ci se présente comme « une alternative réaliste aux constructions artificielles proposées par les autres réformateurs sociaux » (Manfredonia, 2006, p. 27). À l’instar de l’auteur de Qu’est-ce que la propriété, les militants syndicalistes sont convaincus que pour résoudre la question sociale, il faut que les producteurs prennent directement leurs affaires en main. Porté par une vision du changement social de type syndicaliste, Marius Tortillet voit dans l’École Ferrer de Lausanne « un essai loyal et sérieux de cette école du travail que préconisait notre Proudhon » (BEF, numéro 29-30, p. 17). Et s’il considère l’établissement libertaire vaudois comme « une école nouvelle dans la plus complète acception du mot », c’est avant tout parce que celui-ci représente à ses yeux une institution syndicaliste et ouvrière, qui considère les enfants du peuple comme de futurs producteurs et au sein de laquelle « tout a été mis en œuvre pour faire comprendre la beauté du travail, pour faire aimer et respecter les travailleurs ».
38Jean Wintsch fait, quant à lui, référence à Proudhon lorsqu’il s’exprime sur le rapport que doivent entretenir travail intellectuel et travail manuel à l’École Ferrer. Pour le médecin vaudois, ces deux dimensions de l’éducation des enfants de la classe ouvrière ne doivent pas être séparées. Il faut même qu’elles avancent main dans la main, qu’elles soient intimement liées l’une à l’autre. Wintsch estime que c’est « par l’union du travail manuel et du travail intellectuel, par cette solidarité naturelle du travail et de l’étude, ainsi que l’écrivait Proudhon, qu’on parvient à rendre l’enfant clairvoyant, qu’on lui développe la volonté et qu’on le rend plus fort physiquement » (BEF, numéro 12, p. 8). Outre la référence directe au fondateur du courant de pensée anarchiste, on peut se demander comment les acteurs de la petite école lausannoise s’y sont pris pour unir travail manuel et travail intellectuel dans leur classe.
Travail intellectuel et travail manuel
Séparer, comme on le fait aujourd’hui, l’enseignement de l’apprentissage et, ce qui est plus détestable encore, distinguer l’éducation professionnelle et l’exercice réel, utile, sérieux, quotidien de la profession, c’est reproduire sous une autre forme la séparation des pouvoir et la distinction des classes, les deux instruments les plus énergiques de la tyrannie gouvernementale et de la subalternisation des travailleurs. Que les prolétaires y songent ! Pierre-Joseph Proudhon2
39À elle seule, cette citation de Pierre-Joseph Proudhon*, issue de son ouvrage Idée générale de la révolution au XIXe siècle (1851), pourrait suffire à évoquer la vision qu’avaient les acteurs de l’École Ferrer de Lausanne à propos de la séparation entre travail intellectuel et travail manuel, dont ils ne voulaient pas au sein de leur institution. Cependant, comme cela a déjà été mentionné précédemment, il convient de se pencher, non seulement sur le discours de ces acteurs, mais également sur la mise en œuvre des principes fondateurs sur lesquelles reposait la petite école libertaire lausannoise (autant que les sources à notre disposition puissent le permettre). Il est important, avant de s’y plonger, de faire un petit détour par ce que signifie et ce qu’implique l’union du travail manuel et du travail intellectuel.
Préparer les enfants à leur vie future
40Pour Normand Baillargeon (2008), l’éducation anarchiste est caractérisée par cinq éléments complémentaires. Celle-ci doit être « intégrale, polytechnique, rationnelle, émancipatrice et […] permanente » (p. 152). Ce sont les deux premières caractéristiques de l’éducation libertaire qui nous intéresseront dans cette partie. Il s’agira donc de chercher à savoir ce qui fait que l’éducation prodiguée à l’École Ferrer peut être qualifiée d’intégrale et de polytechnique. Pour pouvoir être considérée comme d’intégrale, l’éducation doit s’intéresser à toutes les facettes de l’être humain. Il faut se rappeler que si cet aspect est particulièrement important aux yeux des pédagogues libertaires, c’est avant tout parce qu’au début du XXe siècle la séparation entre éducation manuelle et éducation intellectuelle est socialement très marquée et c’est parce qu’ils refusaient cette séparation qu’ils se sont efforcés de « faire alterner, de manière complémentaire et congruente, enseignement manuel et enseignement intellectuel, atelier et salle de classe, leçon de mots et leçon de choses » dans leurs écoles (Baillargeon, 2008, p. 152). En ce qui concerne son caractère polytechnique, il s’agit pour les anarchistes de préparer le futur ouvrier à faire face aux risques que le marché du travail fait peser sur lui ; tout particulièrement ceux de la division du travail. S’ils préconisent une éducation polytechnique, c’est avant tout parce qu’ils considèrent que celle-ci est garante de liberté et d’autonomie. Par conséquent, il ne saurait être question, pour eux, de se préparer à un seul métier. Et si une partie des militants libertaires voit en l’éducation un potentiel levier de changement social, c’est parce ce qu’elle croit en son caractère émancipateur. Il faut, cependant, que cette éducation soit rationnelle pour pouvoir être émancipatrice. En effet, les pédagogues anarchistes sont convaincus que c’est en construisant en chacun les conditions du libre exercice de la raison que l’on sera en mesure de préparer les femmes et les hommes à une vie sociale où l’usage de la liberté individuelle pourra se conjuguer au respect de la liberté de tous (Baillargeon, 2008).
41Le premier à s’exprimer sur l’union entre le travail manuel et le travail intellectuel dans les pages du Bulletin est Louis Bertoni*. Dans le numéro spécial du périodique, datant d’avril 1913, il donne à lire son opinion à ce sujet. L’article intitulé « Notre école » revient longuement sur sa conception de ce que doit être une institution scolaire libertaire, en insistant particulièrement sur les principes qui devraient la soutenir et sur les objectifs vers lesquels elle devrait tendre. En ce qui concerne les rapports entre travail manuel et travail intellectuel à l’École Ferrer, Bertoni rejoint de façon explicite le point de vue de Proudhon*. Il affirme qu’il faut « rompre avec l’absurde division du travail en manuel et intellectuel » car, selon lui, la science « n’est [pas] possible sans le concours aussi bien des bras que des cerveaux des hommes » (BEF, numéro spécial, p. 8). À ce titre, il préconise logiquement d’associer travail manuel et travail intellectuel au sein de l’école anarchiste lausannoise et ce dans le but de « faciliter plus tard l’apprentissage professionnel » et de « répondre aux nécessités de la vie », notamment. Cette préparation aux nécessités de la vie rappelle la garantie de liberté et d’autonomie que peut offrir aux futurs ouvriers une éducation polytechnique (Baillargeon, 2008), mais elle fait surtout référence au principe d’adaptation aux besoins de la classe ouvrière de l’École Ferrer de Lausanne.
Des méthodes actives adaptées aux enfants de la classe ouvrière
42C’est d’ailleurs de ce principe qu’il s’agit plus loin, dans ce même numéro, sous la plume de Jean Wintsch*. Dans l’article « Visite d’atelier et de chantier », il rappelle que le principe d’enseignement de l’École Ferrer a pour objectif de « donner aux enfants une instruction qui puisse porter ses fruits dans leur vie d’avenir » (BEF, numéro spécial, p. 9) et que, pour ce faire, il parait « nécessaire de leur montrer ce qu’est le travail en pleine activité ». Partant de l’idée que les enfants qui fréquentent l’établissement lausannois ne sont pour la plupart pas destinés à quitter la classe ouvrière, il est essentiel de leur offrir une éducation qui prenne cette réalité en compte. Wintsch pense donc qu’il faut impérativement donner à ces enfants « le moyen de se rendre compte par eux-mêmes de ce qui se passe dans les ateliers et les chantiers ». À travers la mise en œuvre de ce principe, il s’agit non seulement de préparer les enfants à leur futur rôle de producteur, mais aussi de développer chez eux une conscience de classe forte, en les familiarisant avec la culture ouvrière.
43Dans le troisième numéro du Bulletin (décembre 1916), Henri Jeanmaire* évoque, lui aussi, le principe d’adaptation aux besoins de la classe ouvrière lorsqu’il déclare vouloir pour les enfants issus de milieux populaires « un enseignement les préparant réellement et pratiquement à la vie de producteur » (BEF, numéro 3, p. 1). Plus loin, il rejoint la vision exprimée par Wintsch dans le numéro spécial de 1913, lorsqu’il parle de la nécessité pour les enfants du peuple en général, et pour ceux qui fréquentent l’École Ferrer en particulier, de ne pas avoir honte en grandissant d’appartenir à la classe ouvrière. Il fait même part de son désir que ces enfants « restent du peuple », qu’ils soient « fiers de ce titre et capables d’apporter quelque chose d’eux-mêmes dans l’effort commun vers plus de bonheur et plus de liberté ». Jeanmaire rappelle les principes que l’institution libertaire souhaite mettre en place pour atteindre cet objectif : « [r]espect de l’enfant et absence des punitions et des récompenses habituelles aux autres écoles, liberté, joie et attraits dans le travail et l’étude, apprentissage de la vie sociale et laborieuse là où elle se manifeste » et, enfin, le plus intéressant pour cette partie, l’« union du travail manuel au travail intellectuel ». Le but visé est celui d’une émancipation collective des travailleurs et les moyens utilisés se situent entre une vision éducationniste et une vision syndicaliste du changement social.
L’union de l’école et de l’atelier
44En octobre 1917, dans le douzième numéro du Bulletin, Jean Wintsch* fait un compte rendu de sa lecture de l’ouvrage d’Adolphe Ferrière*, Les fondements psychologiques de l’école de travail (1914). Le médecin vaudois commence par affirmer que Ferrière « arrive par l’étude de la mentalité enfantine à montrer que la meilleure adaptation de l’enseignement aux capacités des élèves se fera en plaçant la classe dans un milieu où le travail manuel ira de pair avec le travail intellectuel » (BEF, numéro 12, p. 7). Wintsch pense donc que, par son ouvrage, le professeur de l’Institut Rousseau procure un fondement scientifique au principe de l’union entre le travail manuel et le travail intellectuel. Partant de cela, il avance que l’environnement idéal pour favoriser l’apprentissage des enfants de milieux populaires est la « classe-laboratoire » ou la « classe atelier » et il préconise également d’aller sur place étudier la vie. C’est donc dans le concret qu’il faut aller chercher le point de départ de l’apprentissage afin d’éveiller la curiosité de l’enfant ; comme l’a écrit Henri Roorda* en juin 1917 : « L’activité d’abord, la formule après » (BEF, numéro 9, p. 1). Étudier la vie là où elle se passe implique de sortir des murs de la classe d’une part et de varier les lieux, pour pouvoir l’étudier dans toute sa diversité d’autre part. « Usines, fabriques, ateliers, magasins […], crèches, hôpitaux, cuisines […], et surtout la nature avec toute sa richesse végétale et animale, tel est le grand livre de l’enfant » écrit Wintsch en se référant à l’ouvrage de Ferrière. Et pour favoriser l’apprentissage, il s’agira pour l’enseignant d’adapter son enseignement en sachant choisir « les pages que l’enfant est apte à saisir ». Le médecin lausannois est convaincu « qu’en introduisant le travail concret à l’école, on organise l’autonomie des écoliers » et il affirme que le pédagogue genevois partage cette conviction dans son livre.
45En conclusion de son article, Jean Wintsch souligne que, sans connaitre Ferrière, les acteurs de l’École Ferrer sont arrivés aux mêmes conclusions que lui quant à la forme que devrait prendre une école adaptée aux enfants issus de la classe ouvrière et basée sur des méthodes actives. Il insiste sur le principe d’union du travail manuel et intellectuel en répétant que c’est « par cette solidarité naturelle du travail et de l’étude qu’on parvient à rendre l’enfant clairvoyant, qu’on lui développe la volonté et qu’on le rend plus fort physiquement ». Il déclare, enfin, être heureux de tendre la main au psychologue car il estime qu’en exposant « les capacités réelles de l’enfant » dans son livre Les fondements psychologiques de l’école de travail, celui-ci a « tout particulièrement défendu l’enfant prolétarien ». Heimberg (2009) souligne que cette référence à un enseignement « concret, pratique et vivant revêt de multiples dimensions » (p. 20) et je le rejoins lorsqu’il affirme que la mise en avant du caractère concret et pratique de l’enseignement à l’École Ferrer renvoie avant tout à l’affirmation de la dimension ouvrière de l’éducation au sein de cette institution. Il semble qu’aux yeux des fondateurs de l’école libertaire vaudoise, « l’essentiel est de ne pas perdre un contact effectif avec le monde concret du travail » afin que les élèves qui la fréquentent « s’imprègnent des valeurs du monde ouvrier » (Heimberg, 2009, p. 20). C’est parce qu’ils sont portés par cette volonté, issue du principe d’adaptation aux besoins de la classe ouvrière, cher à cet établissement, que les pédagogues de l’École Ferrer de Lausanne décident d’adopter des méthodes actives.
46Jean Wintsch, dans l’article « Un essai d’institution ouvrière – l’École Ferrer », publié en octobre 1919, qui ressemble à un bilan de ce qu’a été cette école (ou de ce qu’elle aspirait à être), résume parfaitement comment ces méthodes actives étaient mise au service de la visée d’émancipation collective de la classe ouvrière. Le médecin vaudois affirme que la caractéristique principale de l’École Ferrer a été « d’unir l’atelier à l’école », mais également de faire « collaborer parents, instituteurs, ouvriers et enfants » afin de préparer ces derniers à leur vie future, tout en « évitant autant que possible le verbalisme » et en tentant d’éveiller « leur curiosité et leur joie dans les recherches » (BEF, numéro 26, p. 12). Pour ce faire, il fallut organiser « les leçons souvent hors des murs de la classe, […] là où se passe la vie ». L’objectif central que poursuivaient les acteurs de l’École Ferrer de Lausanne était « de faire correspondre l’enseignement aux possibilités et aux nécessités de [leur] époque [et de leur] milieu, en vue d’une sorte de culture industrialiste rehaussée d’une morale des producteurs » (p. 12).
Discipline et liberté
47Au-delà des innovations pédagogiques dont ils ont été les pionniers au sein de leurs écoles, les anarchistes se sont montrés particulièrement sensibles (et cela ne surprendra personne) à la question de l’autorité en éducation. Les pédagogues libertaires ont cherché à répondre à cette difficile interrogation en tentant de réfléchir à ce qui constitue à leurs yeux une forme d’autorité « légitime ». Quelles limites assigner à la liberté des enfants ? Quelle forme doit prendre la discipline en classe ? Comment la mettre en place et dans quel but ? Aucune de ces questions n’a de réponse toute faite. Elles ont donc suscité des controverses au sein du mouvement libertaire et l’École Ferrer de Lausanne n’y a pas échappé. C’est à partir de décembre 1916 que l’on voit se développer dans le Bulletin de l’École Ferrer un débat sur le thème de la discipline en classe à la suite d’une fête pédagogique au cours de laquelle cette question a été largement discutée (Heimberg, 2009). Les extraits présentés dans cette partie témoignent de l’importance accordée par les acteurs de la petite école libertaire lausannoise au sujet épineux de la discipline au sein de cette institution. Les positions exprimées par les uns et les autres sont imprégnées de conceptions divergentes (parfois même contradictoires) de la notion de liberté en éducation. L’une des questions centrales et récurrentes de ce débat portant sur la discipline est celle du but à assigner à l’éducation des enfants issus de la casse ouvrière.
Contre une conception individualiste de la liberté
48Dans le troisième numéro du Bulletin de l’École Ferrer, datant de décembre 1916, figurent les premiers éléments de cette controverse dont on trouvera des traces jusqu’en mai 1917, dans le septième numéro. Henri Jeanmaire*, graveur-ciseleur, est le premier à s’exprimer sur le sujet. Ses propos lors de la fête pédagogique du 10 décembre 1916 sont repris dans le Bulletin sous la forme d’un article intitulé « Des limites de la discipline et de la liberté en éducation ».
49Dans cet article, Jeanmaire affirme qu’il a « été amené à [se] demander si, dans nos milieux socialistes ou libertaires, nous agissions bien raisonnablement et conséquemment à nos principes lorsque nous accordons à nos enfants une liberté absolue » (BEF, numéro 3, p. 3). Il se pose cette question parce qu’il constate que, dans les milieux libertaires, de nombreux militants défendent ce principe éducatif : « l’enfant doit grandir dans la liberté et on doit le respecter ». De son point de vue, il s’agit avant tout de se demander ce que l’on entend par cela dans la pratique. Un premier élément de réponse se trouve dans la nécessité que l’enfant « apprenne à penser à d’autres qu’à lui », sans quoi il ne deviendrait rien d’autre qu’un « égoïste fieffé, un affreux tyran de tout son entourage ». S’il accorde tout de même de l’importance à la liberté de l’enfant, celle-ci doit être subordonnée au but assigné à l’éducation. Il s’agit, à ses yeux, de poursuivre un but social avant tout. Il va d’ailleurs dans ce sens lorsqu’il affirme que « certaines obligations physiques ou morales [sont nécessaires] pour devenir un être sociable utile, heureux » et qu’il ajoute que « ces habitudes sociables, ces sentiments altruistes [et] cet amour du travail ne viendront pas [à l’enfant] sans effort ». Par conséquent, il considère qu’il doit y avoir des limites à la liberté en éducation.
50Plus loin, Jeanmaire se montre très critique envers une conception de la liberté qu’il considère comme individualiste. Il affirme notamment que celle-ci ne saurait rendre l’être humain heureux puisque – pour lui – le bonheur ne se trouve ni dans le fait « pour l’individu [de] ne faire que ce qui lui plaît et quand cela lui plaît », ni dans « la satisfaction complète de tous [ses] besoins ». Sa vision de la liberté en éducation s’inscrit dans une vision que l’on pourrait qualifier de « collectiviste », comme en témoigne l’extrait suivant :
Nous voulons que nos enfants, devenus grands, soient aptes surtout à faire œuvre commune avec leurs semblables. Nous voulons en faire des êtres sociables et non des individualistes. Socialistes et anarchistes nous ne pouvons pas vouloir ni souhaiter autre chose. […] Les limites que nous assignons dans l’éducation à une certaine liberté tout individualiste ne sont en somme qu’un moyen pour atteindre une liberté plus large : la liberté de tous créée par l’effort de tous. (BEF, numéro 3, p. 5)
51Jeanmaire pense que, même dans une institution libertaire comme l’École Ferrer de Lausanne, « on ne peut faire autrement que guider les enfants tout en leur laissant une certaine liberté » et que cette dernière doit toujours être en rapport avec le but poursuivi. Ce raisonnement l’amène à conclure en affirmant que la liberté de l’enfant à l’école doit être « toute relative, toute passagère, tout occasionnelle » et que, par conséquent, « on ne saurait en faire un dogme, un principe absolu ».
52Dans le numéro suivant – celui de janvier 1917 –, Hélène Monastier*, qui est institutrice à l’École Vinet, tient un discours qui va dans le même sens. Dans un article de deux pages, « Discipline et Éducation », elle affirme que « dans ce petit monde qu’est une école, il faut des règles de vie » (BEF, numéro 4, p. 1) et que ces règles impliquent une certaine discipline en classe. Elle nuance cependant son propos en précisant la nature de cette discipline ; Monastier considère que cette dernière ne doit pas être « imposée du dehors aux élèves, mais comprise, acceptée, imposée par eux-mêmes, de telle sorte qu’ils s’y soumettent librement ». L’institutrice va tout de même contredire l’un des principes de l’École Ferrer au sein de laquelle, rappelons-le, il n’est censé y avoir ni punition, ni récompense. Elle va, par exemple, déclarer être en faveur de certaines sanctions car elle estime qu’elles sont « justes et utiles ». Il semble important de souligner que l’autrice parle depuis son identité d’institutrice. C’est à travers cette grille de lecture, issue de son expérience pratique d’enseignement, qu’il convient, selon elle, d’aborder la question de la discipline. C’est en tout cas ce qui semble ressortir de ses propos lorsqu’elle assure que plus elle progresse dans sa carrière d’institutrice, plus elle estime que punir est parfois préférable à gronder.
53On trouve une autre réponse au débat initié par Jeanmaire en décembre 1916 dans le cinquième numéro du Bulletin, datant de février 1917. C’est Véra Gricouroff* qui prend la parole dès la première page de ce numéro pour affirmer que « [c]e n’est pas la liberté qui est [son] idéal dans l’éducation, mais plutôt la fraternité » (BEF, numéro 5, p. 1). Elle développe immédiatement son propos en précisant que si elle pense cela, c’est parce que « la première […] [lui] fait penser à l’individualisme ; tandis que la seconde met l’individu dans son milieu naturel, dans la société ». Cette phrase entre évidemment en résonance avec la conception collectiviste de la liberté que Jeanmaire a exposé lors de la fête pédagogique de décembre. D’ailleurs, Véra Gricouroff exprime son accord avec le graveur-ciseleur de façon explicite quelques lignes plus loin, en déclarant que « la limite de la liberté dans l’éducation est précisément dans la nécessité de faire de l’enfant un être sociable ». Elle va même légèrement plus loin, puisqu’elle semble convaincue que tous les acteurs de l’École Ferrer sont d’accord sur ce principe et que la seule chose sur laquelle ils sont susceptibles d’être divisés est la question des moyens à mettre en œuvre pour atteindre ce but.
Le moins de contrainte possible
54Le premier à marquer une rupture avec le discours de ses camarades est l’un des instituteurs de l’École Ferrer, Théodore Rochat*. C’est dans le sixième numéro du Bulletin, datant d’avril 1917, avec un article de deux pages et dont le titre (« Des limites de la contrainte ») s’inscrit en opposition à celui de Jeanmaire*, que Rochat va exprimer son opinion sur les rapports entre liberté et discipline en éducation. Il est d’ailleurs très clair à ce sujet : « Où est la nécessité de parler ici des limites de la liberté dans l’éducation ? Je trouve plus pressant de parler de l’abandon des châtiments (corporels surtout) et de la réduction de la contrainte au strict minimum » (BEF, numéro 6, p. 1), déclare-t-il dès le début de son texte. Il affirme plus loin que ce n’est pas « l’excès de liberté qui menace [les] enfants, mais l’abus de la contrainte ». S’il pense que la menace principale qui pèse sur les enfants est l’abus de contrainte c’est parce que l’instituteur constate que nombreux sont ceux, parmi les libertaires, qui craignent, par-dessus tout, la liberté – contrairement à son camarade Jeanmaire qui « a vu des anarchistes prendre l’extravagance pour le respect de l’enfant ».
55Rochat insiste en reprenant à son compte l’un des principes centraux de l’École Ferrer : l’adaptation de l’enseignement aux besoins de la classe ouvrière. Il s’appuie sur ce principe pour expliquer sa position contre la contrainte en éducation :
C’est d’éducation populaire que nous nous occupons, et plus spécialement d’éducation adaptée aux besoins de la classe ouvrière en général. Or, même s’ils sont adversaires de la contrainte en éducation, tous ceux qui doivent gagner leur vie par leur travail quotidien savent une chose : le travail professionnel nous ravit ce temps, la fatigue nous rend irritable. Tout ce que nous pouvons faire […], c’est de nous abstenir de toute brutalité. (BEF, numéro 6, p. 1)
56Partant de là, il propose une solution pour tenter de résoudre la tension entre les contraintes de la vie quotidienne des ouvriers et l’aspiration à la liberté en éducation. Selon lui, il s’agit de « trouver entre notre conception [de la liberté] et les nécessités de la vie quotidienne un compromis qui accorde le plus possible à la première » tout en ne perdant pas de vue que l’enfant est un futur membre de la société.
57En ce qui concerne la question de la discipline à l’École Ferrer, Rochat propose de laisser de côté la question des limites de la liberté et d’aborder plus tard ce sujet sous une forme différente. Il souhaiterait que la question soit reposée dans les termes suivants : « Jusqu’où nous avons pu pousser la liberté dans notre école ». S’il formule ce souhait, c’est parce qu’il a acquis la conviction que « l’existence de l’École Ferrer démontre […] que les coups, […] les retenues, les notes bonnes ou mauvaises, les humiliations infligées à l’enfant sont autant de pratiques superflues » et s’il en est à ce point convaincu, c’est parce qu’en presque dix ans d’existence, les enseignants de la petite école libertaire lausannoise se sont toujours passés de ces pratiques.
Former la classe ouvrière (consciente) de demain
58Le septième numéro du Bulletin (mai 1917) permet de lire l’opinion de Jean Wintsch* qui affirme qu’à l’École Ferrer « les questions de discipline et de liberté se sont résolues peu à peu toutes seules » (BEF, numéro 7, p. 5) puisque les personnes qui ont fondé cette institution s’étaient fixé un but précis qu’elles désiraient ardemment atteindre. Cet objectif est lié au fait que les élèves qui fréquentent cette école libertaire sont des « enfants d’ouvriers qui deviendront des ouvriers » et qu’à ce titre ils doivent devenir « clairvoyants, forts physiquement et [avoir] de l’initiative ». Il faut également que ces enfants demeurent fidèles à leur classe sociale. Pour que leur esprit de solidarité se développe, il est nécessaire que ces enfants apprennent à se tolérer, à collaborer et à s’entraider. C’est ainsi, selon le médecin vaudois, que l’on peut « arrive[r] lentement, en vue du but désiré, à travailler librement et solidairement » et il conclut en affirmant que « [l]es punitions sont absolument inutiles dans un tel milieu ».
59Il s’agit en fait, comme Samuel Gagnebin* le dira deux ans plus tard, dans le numéro 21 du Bulletin, de « sauvegarder la dignité de l’enfant » en dépouillant la pédagogie des récompenses et des punitions, mais aussi de faire de ces enfants des « hommes [et des femmes] prêts à affronter la vie, de véritables ouvriers » (BEF, numéro 21, p. 3). Il appuie donc les propos de Wintsch en affirmant qu’à l’École Ferrer, c’est « dans la pratique que cette question abstraite et ardue de la liberté […] devait trouver sa solution ».
60Au fil de ce débat se développent à la fois une critique de la tendance individualiste de l’anarchisme et une affirmation de l’articulation du principe de liberté à celui d’égalité propre au courant libertaire (Baillargeon, 2008). Nous pouvons constater, en lisant ces lignes du Bulletin, que les acteurs de l’École Ferrer de Lausanne semblent plus proches d’une vision syndicaliste que d’une vision éducationniste du changement social. Pour rappel, les militants anarchistes proches de cette vision du changement social considèrent que les expériences éducationnistes – comme les écoles alternatives – sont les bienvenues mais que celles-ci doivent demeurer sous le contrôle des organisations ouvrières (et à leur service) (Manfredonia, 2007). L’École Ferrer semble s’inscrire dans cette perspective, puisqu’elle vise avant tout à former de futurs producteurs ayant une conscience de classe forte et étant fiers d’appartenir à la classe des producteurs. Ce faisant, elle œuvre en vue de promouvoir la formation d’une véritable culture ouvrière. La volonté d’allier école et atelier, ainsi que l’appel constant à la collaboration des gens de métier pour l’élaboration de son programme, la fabrication de matériel scolaire ou de leçons sur leurs spécialités respectives sont là pour en témoigner. Comme l’affirme Heimberg (2009) : « Il s’agissait […] de faire pénétrer l’élément ouvrier dans l’école à travers la présence des syndicats, la participation active des parents et une orientation des enseignements tournée vers l’atelier et l’activité manuelle » (p. 28). Cette orientation en fait une institution qui se rapproche d’une école adaptée aux besoins de la classe laborieuse plutôt que d’une école dans l’intérêt de l’enfant. Les acteurs de cette école chercheront évidemment à trouver un équilibre entre ces deux pôles tout en réaffirmant constamment qu’il s’agit avant tout d’une école qui doit être adaptée aux besoins de la classe ouvrière. C’est parce qu’elle est basée sur ce principe que les acteurs de cette école la perçoivent comme réaliste – au contraire des écoles nouvelles dont l’enseignement est tourné quasi-exclusivement vers le seul intérêt de l’enfant.
Les écoles libertaires, à quoi ça sert ?
61Cette partie s’intéresse aux buts poursuivis par l’École Ferrer. Cette école anarchiste s’adresse aux enfants de la classe ouvrière, elle souhaite donc que son programme soit adapté à leurs besoins de futurs producteurs afin de pouvoir être au service du prolétariat. Parmi les buts qui ont été fixé lors de sa création, certains concernent explicitement l’avenir du mouvement ouvrier. Les pédagogues de cet établissement désirent également que les efforts fournis puissent potentiellement être utiles à la rénovation de l’école publique. Ceci passe par une mission de diffusion des idées et des pratiques libertaires en matière d’éducation.
62Comme cela a été mentionné plus haut, les militants éducationnistes sont portés par une vision « graduéliste » du changement social. Ils conçoivent donc la révolution comme l’aboutissement d’une longue évolution de la société (Manfredonia, 2007). Cette vision les pousse à mettre l’accent sur l’éducation des individus qui la compose. Ils estiment qu’il faut transformer la mentalité des individus pour pouvoir changer – à terme – les anciennes institutions autoritaires en structures libertaires. Par conséquent, il faut commencer par agir au niveau microsocial pour que le changement puisse s’étendre à la société tout entière.
63L’éducation constitue l’élément central de cette vision du changement social et les militants éducationnistes se sont engagés dans de nombreuses expériences d’écoles libertaires dans lesquelles ils ont tenté de mettre en pratique les principes de l’éducation intégrale. L’un des objectifs visés par les pratiques éducatives libertaires est la formation d’un nouvel être humain, capable de développer l’intégralité de ses capacités intellectuelles, physiques et morales et pouvant exercer à la fois des activités intellectuelles et manuelles. Les écoles anarchistes font parties des expérimentations auxquelles les anarchistes éducationnistes accordent une valeur d’exemple. L’objectif de ces expériences antiautoritaires concrètes est de prouver qu’il est possible de vivre en dehors du cadre imposé par l’ordre bourgeois et capitaliste. Une éducation basée sur des principes antiautoritaires a également l’ambition d’être émancipatrice (Baillargeon, 2008). Pour atteindre ce but, elle doit tenter de construire en chaque individu les conditions permettant le libre exercice de sa raison, le développement de son esprit critique et préparer « à une vie sociale où l’usage de la liberté de chacun se conjuguera au respect de la liberté de tous » (pp. 153-154). Ainsi l’éducation pourra contribuer à l’avènement d’une société nouvelle, libérée des croyances, des contraintes et des dominations qui structurent la société contemporaine.
64Le militant syndicaliste cherche, quant à lui, à grouper les travailleurs au sein d’organismes de résistance dans le but de former une conscience de classe autonome et d’organiser la lutte du prolétariat contre le patronat (Manfredonia, 2007). Dans ces organisations (dont le syndicat constitue la forme la plus appropriée), les ouvriers s’instruisent et développent un esprit de solidarité. À côté de son combat revendicatif, ce militant poursuit une œuvre d’éducation qu’il pense nécessaire pour qu’une société composée de femmes et d’hommes libres soit viable. Il souhaite promouvoir la formation d’une véritable culture ouvrière à travers ce travail éducatif. Le militant syndicaliste accorde donc une place importante aux pratiques éducationnistes qui cherchent à allier formation professionnelle et culture de soi. Tout comme le militant éducationniste, il désire prouver par ces expériences éducatives que l’autogestion, au sein de ses propres institutions, est possible pour la classe ouvrière. Manfredonia (2007) considère ces expériences éducatives comme l’une des expressions d’un « socialisme expérimental » (p. 101) et estime qu’elles sont également une forme de propagande par le fait, puisqu’elles ont pour objectif de répondre par l’exemple aux critiques formulées envers la pensée anarchiste. Cependant, l’attitude du militant syndicaliste face aux expériences éducatives alternatives est nuancée. Celles-ci sont les bienvenues à condition de demeurer sous le contrôle (et au service) des organisations ouvrières.
65Portés par ces considérations – en tension entre une vision éducationniste et une vision syndicaliste du changement social – les pédagogues de l’École Ferrer de Lausanne ont pensé leur programme scolaire et ont fixé les buts que le petit établissement libertaire se devait de poursuivre. Dès le numéro spécial d’avril 1913, les objectifs visés par l’École Ferrer sont énoncés dans sa déclaration de principes :
- Assurer l’organisation et le fonctionnement d’une école où l’enseignement se fera dans l’intérêt de l’enfant, en même temps qu’il sera adapté aux besoins de la classe ouvrière.
- Faire une active propagande dans le public en faveur d’une éducation basée sur les mêmes principes, et cela par tous les moyens en son pouvoir, conférence, brochures, etc.
66Deux points importants ressortent de cette déclaration (ils sont d’ailleurs exprimés très explicitement) : réussir à développer une pédagogie tournée à la fois vers l’intérêt de l’enfant et vers les besoins de la classe ouvrière, et diffuser les idées et les pratiques libertaires en éducation. La Société de l’École Ferrer souhaite également s’intéresser aux efforts fournis par les instituteurs dans le but de rénover l’école publique.
67Nous l’avons vu plus haut, les pédagogues de l’École Ferrer craignent que leur établissement soit semblable aux écoles bourgeoises. Il faut entendre par ce terme les écoles officielles autant que les écoles nouvelles. Pour ce faire, elle inscrit dans son programme plusieurs points qui permettent de lui donner les moyens d’atteindre les buts qu’elle s’est fixés :
- Enseignement concret, pratique, vivant
- Coéducation des sexes
- Pas de devoirs à la maison
- Ni punition, ni récompense
- Ni religion, ni politique, ni morale dans les leçons
- Appel constant à l’énergie propre de l’enfant
- Consultation des parents
- Collaboration des gens de métier
68En ce qui concerne le dernier point, il doit contribuer à donner aux élèves un enseignement qui puisse leur être utile dans leur vie de futur producteur. Il s’agit de « leur montrer ce qu’est le travail en pleine activité » (BEF, numéro spécial, p. 9). La majorité de ces enfants n’étant pas destinée à quitter la classe sociale dont ils sont issus, l’idée est de les préparer à leur futur rôle de travailleurs et de développer chez eux une conscience de classe en les familiarisant avec la culture ouvrière. Cela doit passer par leur offrir la possibilité d’aller voir par eux-mêmes comment s’effectue le travail dans les ateliers et sur les chantiers. L’un des prolongements de cette collaboration avec le monde ouvrier se trouve dans le projet d’élaborer en commun (entre travailleurs manuels et personnel enseignant) les plans d’étude en prenant soin de toujours bien préciser le but de l’enseignement. Cette co-construction du programme scolaire vise l’élaboration d’une pédagogie « qui fasse faire aux enfants l’apprentissage de la vie là où [elle] se passe ». Elle a également pour objectif de refléter les aspirations intellectuelles des travailleurs en exprimant les besoins de la classe ouvrière dans son programme. Il s’agit, comme l’écrira Jean Wintsch* en décembre 1917, de démontrer que « le peuple a des capacités pédagogiques […] réelles, fécondes, généreuses [et] réalistes » (BEF, numéro 14, p. 8).
69Voici l’objectif principal : préparer réellement et pratiquement les enfants à la vie de producteurs. Les méthodes actives d’apprentissage doivent être au service de cet objectif principal. Dans l’équilibre à trouver entre les deux principes fondateurs de l’École Ferrer, l’un doit être subordonné à l’autre. Mais pourquoi ? Au-delà du fait de ne vouloir ressembler ni aux écoles officielles, ni aux écoles nouvelles, il s’agit surtout de faire comprendre aux enfants du peuple qu’ils peuvent être fiers de qui ils sont et du milieu dont ils sont issus ; de s’assurer qu’ils désirent rester « du peuple » en grandissant et qu’ils soient « capables d’apporter quelque chose d’eux-mêmes dans l’effort commun vers plus de bonheur et plus de liberté » (BEF, numéro 3, p. 1). Cette fidélité à leur classe sociale d’origine et cette fierté d’y appartenir doit contribuer, selon Wintsch, au « triomphe du travail » sur le capital (BEF, numéro 1, p. 1). C’est l’une des raisons qui pousse les pédagogues de l’établissement libertaire lausannois à chercher à faire de leur école autre chose qu’une « école primaire modèle » qui ne brillerait que par ses méthodes avant-gardistes, tournées vers les besoins de l’enfant.
70Il ne s’agit pas non plus de négliger les méthodes pédagogiques nouvelles, qui prennent en compte le bienêtre des élèves. Le principe de respect de l’intérêt de l’enfant demeure important. Il est même tout à fait central. Comme l’affirme Henri Jeanmaire* en décembre 1916 : le respect de l’enfant, l’absence de punitions et de récompenses, la liberté, la joie et l’attrait dans le travail et l’étude, l’apprentissage de la vie sociale et laborieuse là où elle se trouve et l’union du travail manuel au travail intellectuel constituent « une salutaire réaction contre de vieilles routines, contre de néfastes préjugés, […] héritage d’un passé d’ignorance, de fanatisme et de tyrannie » (BEF, numéro 3, p. 1). Ce qui semble le plus important à l’École Ferrer, c’est l’application concrète de ces principes éducatifs. Il s’agit également de se garder d’une interprétation dogmatique de ces principes. En effet, une telle interprétation pourrait conduire à négliger le principe d’adaptation aux besoins de la classe ouvrière, ce qui pourrait mener – à terme – à oublier l’objectif d’émancipation collective des travailleurs qui préoccupait les fondateurs de la petite école anarchiste.
71Il n’est pas question non plus d’endoctriner les enfants pour poursuivre cet objectif. Dans le sixième numéro du Bulletin, en avril 1917, Jean Wintsch est clair à ce sujet lorsqu’il affirme vouloir que l’enfant « ne soit point la matière que l’on pétrit malgré lui », et que « l’école soit la maison dont dispose l’enfant pour des recherches personnelles, honnêtes, attrayantes, utiles » (BEF, numéro 6, p. 7). Et il est persuadé que la collaboration active des parents, des enseignants, des ouvriers et des élèves – quelles que soient les difficultés qu’elle implique – est essentielle à la construction de « l’école de demain ». Pour transformer l’école d’aujourd’hui en cette « école de demain », les pédagogues libertaires vaudois estiment qu’il faut avoir « un but pratique, un programme simple [et] des habitudes de liberté » (BEF, numéro 11, p. 3). Concrètement, cette transformation passe par l’application de quelques principes simples qui viennent compléter ceux que nous avons déjà énoncés plus haut :
- Respect de la personnalité de l’enfant
- Enseignement hors des livres et hors des murs de la classe (autant que possible)
- Méthodes actives, de discussion, de recherche, d’activités personnelles
- Un programme simplifié qui, pour l’école primaire, doit s’en tenir à la langue maternelle, à l’arithmétique, et au dessin.
72En suivant ces quelques principes, les pédagogues de l’École Ferrer comptent non seulement « libérer l’enfant » mais également « introduire à l’école une véritable révolution » (BEF, numéro 19, p. 7). Autrement dit, c’est en utilisant à l’école populaire l’ensemble des ressources pédagogiques dont les bienfaits et l’utilité pour l’enfant ont été démontrés et en poursuivant un but concret, ancré dans la réalité des enfants du peuple, loin du « verbalisme » des écoles publiques et en évitant de faire « bande à part » que la petite école libertaire remplira pleinement la mission qu’elle s’était fixée.
73L’un des buts mentionnés au début de cette partie est celui de faire œuvre de propagande par et pour l’École Ferrer et ses méthodes pédagogiques. Cette mission de diffusion des idées et des pratiques libertaires en éducation fut – à la fin du conflit mondial – le seul objectif réaliste que les militants qui l’avaient fondée pouvaient encore poursuivre. Comme l’affirmait Samuel Gagnebin* en 1919, ces militants finirent par « la considérer [exclusivement] comme une œuvre de propagande […] dont la valeur serait moins dans son utilité immédiate que dans la portée qu’elle reprendrait […] le jour où les problèmes fondamentaux du socialisme reviendraient au premier plan » (BEF, numéro 22, p. 1). Cette dimension de l’École Ferrer de Lausanne est au centre de la prochaine partie de ce livre.
Propagande par le fait
74Le terme de propagande par le fait désigne une stratégie d’action politique qui s’inscrit dans le prolongement de la propagande écrite, jugée insuffisante par de nombreux militants anarchistes, afin de mobiliser la classe ouvrière. Cette stratégie s’appuie sur l’idée que l’action serait le moyen de propagande le plus efficace car elle aurait une valeur d’exemple. Concrètement, elle a pour objectif de passer de l’affirmation des idées anarchistes à leur mise en pratique. Le terme a souvent été utilisé pour parler des actes de terrorisme anarchiste – allant des attentats de Ravachol* à l’assassinat du président de la République française Sadi Carnot* à Lyon, par Geronimo Caserio* – alors qu’il désigne l’utilisation de moyens extrêmement variés dans l’espoir de susciter une prise de conscience populaire. Il ne faut, par conséquent, pas croire que la propagande par le fait ne serait réservée qu’à l’idéal type insurrectionnel (Manfredonia, 2007). Les idéaux types syndicaliste et éducationniste ont également intégré à leurs pratiques cette stratégie d’action. Chez le syndicaliste, le concept de propagande par le fait est proche de celui d’action directe (bien qu’ils ne se confondent pas), concept consistant à agir soi-même (le plus souvent collectivement), ici et maintenant, afin d’établir un rapport de force avec la classe capitaliste. Le militant syndicaliste peut se servir de cette stratégie pour promouvoir la formation d’une authentique culture ouvrière, notamment.
75Le militant éducationniste ne se perçoit pas uniquement comme un maitre d’école, mais comme un réfractaire, résistant au système capitaliste par ses pratiques éducatives. Il a un penchant pour les formes de propagande par le fait qui visent la libération individuelle et collective ici et maintenant. Il préfèrera donc promouvoir et participer à des expériences alternatives qu’il estime directement émancipatrices (comme les écoles libertaires,). C’est à ce titre qu’il peut être considéré comme un partisan de la propagande par le fait. Lorsque les conditions sont favorables, ce militant s’associe à ceux qui partagent ses convictions afin d’expérimenter des formes de vie sans État ni autorité. L’objectif de ces formes de vie antiautoritaires est de prouver qu’il est possible de vivre en dehors du cadre imposé par l’ordre capitaliste et bourgeois.
76L’École Ferrer de Lausanne, qui se situe en tension entre ces deux conceptions du changement social, a aussi été perçue par ses acteurs comme une œuvre de propagande. Le Bulletin en a incarné la dimension écrite et l’école sa dimension pratique. Comme nous allons le voir plus bas, ces deux dimensions de la propagande ressortent des pages du Bulletin, mais également de celles du journal Le Réveil.
77Avant l’ouverture, en 1910, de l’École Ferrer de Lausanne, les militants anarchistes vaudois et genevois ont fait un important travail de propagande afin de promouvoir leur idée de fonder une école alternative qui serait hors du contrôle de l’Église et de l’État. L’analyse du Réveil montre, en effet, que vingt-sept articles sur un total de soixante-sept (soit environ 40 %) portant sur le thème de l’éducation en général et sur celui de l’école en particulier ont été publiés entre 1902 et 1910 ; le reste des articles sur ce sujet (60 %) étant distribué sur une période beaucoup plus longue, allant de 1910 à 1943. La surreprésentation de ce thème dans cet intervalle de huit ans pourrait témoigner de la réflexion sur l’éducation dans les milieux libertaires romands durant la période précédant l’ouverture de l’École Ferrer de Lausanne.
78Les différentes expériences d’écoles d’inspiration libertaire à l’étranger y sont évoquées en guise de modèles dont la future école lausannoise pourrait s’inspirer (La Ruche de Sébastien Faure* et Cempuis de Paul Robin*, notamment). Cette période coïncide avec la mise en place, par l’État, d’un système d’enseignement primaire, public, laïque et obligatoire à laquelle les milieux du syndicalisme révolutionnaire n’accordaient aucune confiance (Heimberg & Wintsch, 2009). Elle nous semble également correspondre à la période de la construction d’un discours sur l’enfance au sein du milieu anarchiste romand ; discours qui est souvent accompagné d’une critique acerbe de l’enseignement religieux et étatique.
79Le grand nombre de ces articles, dont la majorité (19 sur 27, c’est-à-dire plus de 70 %) est publiée après celui d’aout 1905, dans lequel l’auteur (anonyme) affirme :
C’est une œuvre de longue haleine, évidemment, que de refaire l’éducation d’un peuple ; mais c’est toute une génération de révolutionnaires conscients que l’on peut préparer. Et plus que jamais nous en avons besoin. Le Réveil tient à le répéter encore, […] nous voulons, d’ici à quelques années, fonder notre École libertaire aussi. Et cela sera. (Le Réveil, aout 1905, pp. 1‑2)
80Ces propos laissent penser qu’en plus de témoigner de l’effervescence de la pensée libertaire à propos de l’éducation à ce moment-là, il s’agissait aussi de faire œuvre de propagande, non seulement pour diffuser ces idées, mais également pour faire connaitre le projet de fonder l’École Ferrer.
Action directe éducative
81C’est dans les pages du journal anarchiste genevois, sous la plume de Jean Wintsch*, que l’on retrouve les premières mentions des termes propagande et action directe. Dans un article de septembre 1909, « Questions d’enseignement », le médecin vaudois exprime son opinion sur le rapport que la classe ouvrière devrait entretenir avec l’instruction publique :
Dans le domaine de l’instruction comme dans celui de l’action, les travailleurs n’ont à compter que sur eux-mêmes. On a préconisé […] d’instituer sous le contrôle des Syndicats, Bourse du Travail, ou Union ouvrière, des écoles modèles soutenues par les seuls ouvriers […]. [C]e sont là des expériences intéressantes […] pour éprouver les capacités administratives et pédagogiques des révolutionnaires, œuvres de propagande […] – ce qui est toujours utile – mais ce n’est pas une solution sociale d’une portée profondément rénovatrice, de laquelle puisse profiter tous les gens du peuple, ce qui est pour nous le but. Il s’agit donc bien d’exproprier à la bourgeoisie le département de l’instruction, comme nous voulons exproprier la terre et les instruments de travail, pour en prendre la gestion nous-mêmes. […] Que les prolétaires ne se désintéressent donc plus de ce que leurs gosses […] font à l’école. Qu’ils contrôlent sans cesse les notions qu’y reçoivent les enfants […] et qu’ils appuient […] avec force et ténacité l’instituteur qui est des nôtres. Cette collaboration dans l’œuvre scolaire, […] cette action directe dans un domaine où elle peut être facilement efficace, donneront de l’audace et du réconfort à une bonne partie du corps enseignant […]. Ici comme en tout, c’est d’en bas, du peuple, des producteurs, que seule peut venir la poussée de régénération. […] C’est par l’action directe qu’on vivifie la révolution qui sans aucun doute fera de l’enfant un être fort, libre et meilleur que nous. (Le Réveil, septembre 1909, pp. 1‑2)
82Dès le début de cet extrait, Wintsch fait référence au mot d’ordre syndicaliste d’autogestion lorsqu’il affirme que « les travailleurs n’ont à compter que sur eux-mêmes » dans le domaine de l’instruction. Quand ce dernier parle des écoles modèles, sous le contrôle des organisations ouvrières, il déclare les trouver intéressantes en tant qu’« œuvres de propagande » malgré leur portée sociale limitée. Il tient, dès lors, un discours que l’on pourrait qualifier de « syndicaliste révolutionnaire » puisque, pour lui, la seule façon de donner une portée sociale profondément rénovatrice à l’action éducative du prolétariat est d’exproprier la bourgeoisie du département de l’instruction publique pour en prendre le contrôle. Il poursuit en invitant les prolétaires à s’intéresser à ce que leurs enfants font à l’école et à soutenir les instituteurs qui sont des leurs. Il estime que cette action directe dans le domaine de l’éducation peut être facilement efficace. Tout au long de cet extrait, et particulièrement dans la dernière partie, le médecin vaudois mêle au discours syndicaliste un discours insurrectionnel. L’exemple le plus frappant de cette hybridation se trouve lorsqu’il parle du « jour de la grève générale insurrectionnelle » (qui nous fait immanquablement penser au grand soir révolutionnaire) et qu’il déclare, plus loin, que « c’est d’en bas, du peuple, des producteurs, que seule peut venir la poussée de régénération », mettant côte à côte l’agent du changement social propre à l’idéal type insurrectionnel (le peuple) et celui qui est propre à l’idéal type syndicaliste (le prolétariat). Mais l’expression la plus explicite de cette vision syndicaliste révolutionnaire se trouve en fin d’extrait, lorsque Wintsch affirme que c’est « par l’action directe que l’on vivifie la révolution ». En affirmant ceci, il établit un lien entre l’action directe et la rupture révolutionnaire.
Diffuser les idées et les pratiques libertaires en éducation
83En ce qui concerne le Bulletin, c’est Louis Bertoni* qui le premier évoque la mission de propagande de l’École Ferrer dans le numéro spécial de 1913. Dans l’article « Notre école », Bertoni expose son point de vue sur la création de l’École Ferrer de Lausanne. S’il soutient cette initiative, en dépit du fait que sa vision du changement social corresponde à celle d’un insurrectionnel, c’est parce qu’il estime que « s’il est un essai pratique que [les anarchistes sont] moralement tenus de faire […], c’est bien celui de réaliser [leurs] idées en matière d’instruction et d’éducation » (BEF, numéro spécial, p. 8). Il considère, cependant, que « l’œuvre entreprise […] n’aura qu’une valeur expérimentale dont les données les plus concluantes finiront par exercer une influence même dans les milieux qui [leur] sont actuellement les plus hostiles » ; c’est donc avant tout pour son caractère propagandiste qu’il trouve la fondation de cette école intéressante. L’anarchiste italien pense que c’est dans la dimension populaire de cette œuvre de propagande éducative « qu’il faut dégager les ressources propres à rénover la culture » car il considère que « tout élément de rénovation se trouve surtout dans le peuple » et il exprime en cela une vision insurrectionnelle du changement social. Le fondateur du journal Le Réveil insiste, néanmoins, sur le fait qu’il ne croit ni au réformisme éducatif, ni au réformisme syndical et que ce genre d’expérience autogérée dans le domaine éducatif doit demeurer subordonnée à la visée de rupture révolutionnaire. Elle ne saurait en aucun cas constituer une fin en soi.
84Au mois d’octobre de la même année, dans les pages du Réveil, Wintsch* utilise de façon directe le terme de propagande par le fait. Dans un article intitulé « À propos d’une œuvre pratique », il fait une mise au point sur cette école anarchiste, ce qu’elle représente et le but qu’elle s’est fixée. S’il juge important de le faire, c’est parce que certains assimilent l’établissement aux colonies communistes (Le Réveil, octobre 1913, p. 1). Wintsch rappelle les aspirations pédagogiques et sociales qui sont au fondement de cette « œuvre pratique ». Il insiste, notamment, sur les principes de respect de l’enfant, de détachement des méthodes livresques et d’adaptation de l’enseignement aux besoins de la classe ouvrière.
85Dans cet article, il fait aussi référence à Pestalozzi* qui depuis son école d’Yverdon a influencé toute une génération de pédagogues et d’instituteurs avec ses nouvelles pratiques pédagogiques. Pour Wintsch, l’École Ferrer doit s’inscrire dans une dynamique similaire en faisant également figure d’exemple à suivre : « L’École Ferrer est […] avant tout une œuvre de propagande par le fait ; c’est par rayonnement qu’elle agit essentiellement et qu’elle prétend agir », (Le Réveil, octobre 1913, p. 2). Selon lui, un « réel courant de sympathie pour la liberté de l’écolier, pour le concret dans l’enseignement, pour l’école en plein air, pour la coéducation des sexes, pour l’intervention des ouvriers dans l’élaboration des programmes [est apparu] », et il pense que l’École Ferrer aura rempli son but lorsque ce « courant se fera plus vaste et se répandra nettement dans les assemblées d’instituteurs [et] dans les classes », renvoyant ainsi l’expérience pédagogique que fut l’École Ferrer de Lausanne à sa mission de diffusion des idées libertaires en éducation.
86Cette diffusion des principes fondateurs de l’École Ferrer, Jean Wintsch en reparle en septembre 1917, dans le onzième numéro du Bulletin. Dans un article de trois pages, dont le contenu, aussi bien que le titre (« Le programme de l’école populaire ») font penser à un programme révolutionnaire, il mentionne à nouveau cette dimension centrale :
L’expérience est faite maintenant : l’école peut évoluer si elle a un but pratique, un programme simple, des habitudes de liberté ; et l’enfant en profite. […] Il s’agit, dès lors, pour nous tous qui sommes convaincus que tout cela est juste, de propager les principes de l’éducation que réclame la civilisation basée sur le travail, et que je résumerai ainsi :
Respect de la personnalité de l’enfant
Collaboration ouvrière à l’enseignement
Coéducation des sexes
Enseignement le plus possible en dehors des livres et souvent hors des murs de la classe
Méthodes concrètes, de discussion, de recherche, d’activités personnelle
Simplification des programmes qui, pour l’école primaire, devront s’en tenir à la langue maternelle, à l’arithmétique, et au dessin.
Et c’est ainsi que l’enfant sera fort, clairvoyant, meilleur et plus libre que nous. (BEF, numéro 11, p. 3)
87Les six points que le médecin vaudois expose constituent la charpente idéologique sur laquelle est bâtie l’École Ferrer. Mais Wintsch semble surtout mettre l’emphase sur le caractère pratique de cet essai pédagogique et s’il adopte cette posture dans son discours, c’est parce qu’il souhaite insister sur la dimension de propagande de cette expérience pratique, sur sa valeur d’exemple, car il la considère comme une véritable œuvre de propagande par le fait, dont la portée pourrait aller bien au-delà des seuls milieux révolutionnaires du début du XXe siècle.
88La dernière mention du caractère propagandiste de l’École Ferrer se trouve dans le numéro 21 du Bulletin. Dans son article de mai 1919 « L’École Ferrer et le mouvement ouvrier », le professeur neuchâtelois Samuel Gagnebin* fait le bilan de cette œuvre éducative. En effet, l’année où parait cet article, la petite école libertaire vient de fermer ses portes et Gagnebin, tout en détaillant les causes de sa fermeture (les effets de la Première Guerre mondiale sur le mouvement ouvrier, notamment), évoque la portée que pourrait avoir cette expérience pédagogique alternative dans le futur :
L’École Ferrer chancelait […]. Issue du mouvement ouvrier elle ne semblait pas devoir lui survivre. Pourtant elle avait encore des élèves. Elle vivait donc. […] On en vint à la considérer comme une œuvre de propagande, un essai tenté toujours en vue de la question ouvrière, mais dont la valeur serait moins dans son utilité immédiate que dans la portée qu’elle reprendrait […] le jour où les problèmes fondamentaux du socialisme reviendraient au premier plan. (BEF, numéro 21, pp. 1‑2)
89Il rejoint les propos de Jean Wintsch concernant la diffusion des idées anarchistes en éducation et affirme que s’il y a une utilité à trouver à l’École Ferrer malgré son échec et sa fermeture, c’est bien celle-ci. Plus loin, le professeur neuchâtelois confie ne pas pouvoir « croire à la vanité d’un tel effort » et se sentir « encore le droit d’espérer » malgré le fait que la fermeture de l’institution libertaire ait contraint les milieux révolutionnaires romands à « renoncer à une entreprise aussi désintéressée que belle ». Il demeure convaincu qu’en dépit de cet échec, « [u]n jour viendra […] où les expériences qui ont été faites deviendront réellement utiles » et se demande pourquoi ne pas profiter des leçons de cet essai dans le domaine éducatif dès maintenant. Néanmoins, il ne s’agit pas de copier en tous points l’École Ferrer, car Gagnebin lui-même ne la considère pas comme « un modèle à imiter », mais plutôt comme « un essai qu’il faut connaitre pour faire mieux ou même pour faire autrement ».
Notes de bas de page
1Pour en savoir plus sur Marius Tortillet, consultez les travaux de Frédéric Mole, notamment cet article de 2005 paru dans Le Cartable de Clio : « Marius Tortillet (M.-T. Laurin, 1876-1930), l’instituteur syndicaliste et la pédagogie du travail ».
2Dans Idée générale de la Révolution au XIXe siècle, p. 318.
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2021
Rencontrer les parents
Malentendus, tensions et ambivalences entre l’école et les familles
Stefanie Rienzo
2022