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Conclusion

p. 135-144


Texte intégral

1La réalisation du mémoire, puis de cet ouvrage ont révélé de nombreux questionnements et prises de conscience, tant sur l’enseignement de la grammaire en particulier que plus largement sur la progression du curriculum ainsi que sur la pratique enseignante. Ainsi, nous commencerons par répondre à la question posée en titre de cet ouvrage. Dans un second temps, nous questionnerons la maîtrise des objets d’enseignement ainsi que la conservation de la motivation des élèves à l’échelle d’une année scolaire et non plus d’une séquence d’enseignement. Quelques pistes plus formatives quant au développement professionnel des enseignants en formation ou débutants seront ensuite proposées.

Un enseignement de la grammaire partagé entre induction et déduction

2Le discours des enseignants ainsi que la réalisation de la séquence d’enseignement montrent les difficultés relatives à la mise en œuvre de la grammaire rénovée et pose une question centrale : comment concilier des ingénieries didactiques avec la réalité de la classe et du terrain ? Je me suis vite rendu compte qu’il n’est pas vraiment possible de rester uniquement dans une démarche de découverte.

L’utilisation d’un processus inductif par moments…

3En reprenant l’expérimentation, on réalise que la tâche de discrimination, qui relevait d’un processus inductif, a réellement capté l’attention des élèves : l’utilisation du projecteur, du genre de texte de la devinette, ainsi que la véracité du problème à résoudre semblaient en être les raisons. En effet, les élèves étaient motivés par le fait de résoudre la devinette, le problème posé allait donc au-delà de ‹ on aimerait savoir quelle est l’utilité de ce groupe dans la phrase ›. Alors que la première tâche de manipulation était l’un des moments les plus inductifs de la séquence, la confusion des élèves observée peut remettre en question son efficacité. Être trop ancré dans une optique de découverte peut parfois déstabiliser les élèves et les empêcher d’entrer complètement dans la tâche.

4Le cadre et la discipline de la classe sont également un facteur important à prendre en compte lors de la réalisation de ce type de tâche. Si les élèves ont déjà des difficultés à respecter les règles durant les leçons classiques (écouter ses camarades, chuchoter, lever la main, etc.), les moments de découverte peuvent être considérés comme un moment de jeu sans importance. De plus, on peut largement questionner le sens de la tâche pour les élèves : certes les phrases utilisaient leurs prénoms, ce qui pouvait capter leur attention, mais au-delà, quel pouvait être l’intérêt immédiat pour les élèves de comprendre comment se comportait ce groupe ‹ mystère › et ses caractéristiques ?

… et le recours à une démarche plus traditionnelle parfois

5Les phases d’institutionnalisation et notamment lorsque les élèves devaient comparer leurs règles à celles du memento pourraient être considérées comme « traditionnelles ». Bien que durant ce moment l’attention des élèves ait diminué, il s’agit d’une phase qui semble indispensable. Le « modèle investigation-réception » d’Astolfi et Develay (1989, cité par Fabre, 1997, p. 5) semblable aux situations-problèmes comporte d’ailleurs une phase de synthèse qui est jugée indispensable pour institutionnaliser. Les élèves ont tout de même besoin d’un moment où l’on ‹ pose la théorie › sans qu’il ne s’agisse alors d’hypothèses.

6J’ai remarqué que créer une règle qui s’appuie sur des hypothèses peut être très déstabilisant pour les élèves. Cependant, le fait de confronter les hypothèses au moyen de références devrait permettre à la fois à l’élève de s’engager dans une tâche pertinente pour lui (il va enfin savoir s’il avait « raison ou tort ») et de le rassurer quant aux caractéristiques de la notion. Ainsi, on ne donne pas non plus le savoir tel quel, mais ce type de démarche permet tout de même à un moment donné de faire référence au savoir de base. De la même manière, pour certains élèves, écrire ce qu’ils avaient appris paraissait insurmontable.

7Finalement, cette tâche est assez similaire à une restitution directe des savoirs, à la manière d’une récitation. Le contexte était cependant différent dans la mesure où il n’y avait pas d’autre enjeu que de faire le point sur ce que les élèves avaient compris (pas de préparation, pas de note et de pression de l’enseignant).

8La tâche de discrimination pourrait aussi être considérée comme étant traditionnelle dans le sens où l’on pourrait la rapprocher des phases d’exercisation du temps de la grammaire de Port-Royal. Il s’agit pourtant de la tâche qui a le plus motivé les élèves. La différence avec les démarches traditionnelles réside dans les supports utilisés. Ainsi, sans avoir pour autant respecté ce que préconisait la DADD et en utilisant des exercices de remobilisation standard, les élèves étaient totalement investis dans leur tâche avec le jeu de cartes et l’ordinateur.

9Pour conclure, il ne s’agit donc pas de s’inscrire dans l’une ou l’autre des démarches, mais plutôt de garder à l’esprit qu’il est important que les tâches proposées motivent et intéressent les élèves, et cela d’autant plus en grammaire. En effet, « la combinaison occasionnelle des deux types d’approche peut s’avérer d’autant plus pertinente que la variation des pratiques permet d’intéresser, au cours d’une année un plus grand nombre d’élèves » (Vincent, et al., 2013, p. 94). C’est d’ailleurs de ce genre de constat entre formalisation et finalisation qu’est née la situation-problème. Il ne faudrait donc pas rester prisonnier d’une seule approche, au risque de perdre certains élèves, qui s’installeraient dans une routine d’apprentissage.

10D’ailleurs, Wandfluh et Maulini (2011) expliquent que l’étude des formes de travail à l’école montre que « les vrais enseignants font feu de tout bois, qu’ils combinent toutes sortes de ressources, puisent à toutes sortes de sources pour produire et contrôler l’activité de leur classe sans passer chaque fois par l’ensemble des étapes du raisonnement théorique » (p. 10). Cela implique que les enseignants doivent certes s’appuyer sur le cadre théorique, mais qu’il en va de leur responsabilité de choisir les moyens les plus efficaces pour transmettre les savoirs. Notre esprit critique ne devrait donc pas être mis de côté mais au contraire devrait nous permettre d’approfondir les réflexions qui peuvent surgir de notre pratique sur le terrain. En effet, il n’est pas rare de se questionner sur l’intérêt ou la faisabilité de telle ou telle recommandation pédagogique. Pourtant, nous nous contentons parfois de laisser ces questions en suspens sans chercher à aller plus loin, car cela dépasse notre champ d’action.

Une progression à repenser pour de réels apprentissages ?

11Durant l’expérimentation, j’ai remarqué que les élèves avaient de la peine à remobiliser l’attribut du sujet sur du long terme, au cours des semaines suivantes. J’ai réalisé que la maîtrise d’une notion ne se résume pas à sa découverte et à son entraînement immédiat, mais qu’il est primordial de continuer de la travailler avec les élèves tout au long de l’année. Les planifications m’ont rapidement ramenée à la réalité, car les savoirs à enseigner s’enchaînent et il faut les avoir tous traités d’ici la fin de l’année. Mais quel est l’intérêt de ‹ survoler › des notions sans que les élèves ne les maîtrisent réellement et complètement au regard des objectifs que l’on souhaite atteindre ? C’est toute la problématique de l’apprentissage spiralaire.

 

La progression spiralaire

Pour pouvoir prendre en compte à la fois les contenus à enseigner et les capacités cognitives et langagières des élèves, l’enseignement est envisagé dans la logique d’une progression spiralaire de l’apprentissage. Elle implique de travailler les notions à long terme dans des situations qui se complexifient et se différencient progressivement.

Il est nécessaire de penser cette progression en spirale des notions à travailler au fil des années. Il faut rendre visible et expliciter l’articulation nécessaire entre les objets enseignés relevant des axes thématiques du PER Langues. (Service enseignement et évaluation, 2016, p. 28)

 

12Étonnamment, on remarque que le document qui remplace aujourd’hui le Document de liaison (Service enseignement et évaluation, 2016), le Cadre pédagogique (2019), ne définit pas le terme de progression spiralaire ; d’ailleurs il n’en parle pas.

13Bien que j’aie pu mettre en avant certains outils pour rendre le travail grammatical plus attractif, une question persiste : comment réaliser un enseignement continué de la grammaire et non pas linéaire et isolé au cours d’une année scolaire ?

14Même si l’idée d’une progression spiralaire est souvent mise en avant par les auteurs, celle-ci est ancrée dans la perspective du passage d’une année à une autre, d’un cycle à un autre. Il me semble pourtant primordial de reprendre ce type de progression au sein de la même année. Entre le début d’une année scolaire et sa fin, les élèves sont embarqués dans l’apprentissage d’un grand nombre de notions grammaticales dont ils n’arrivent parfois pas à se souvenir et qu’ils ne parviennent pas à remobiliser. Ainsi, nous pourrions mettre en place une progression spiralaire à l’année en s’appuyant par exemple sur la conception de Chartrand (2016), mais en l’adaptant au fil de l’année scolaire :

Pour en favoriser l’apprentissage, l’objet pourra être étudié non seulement en adoptant d’autres démarches d’enseignement mais surtout en changeant de perspective d’analyse : d’une première approche sémantique, à l’occasion de pratiques de lecture et de productions orales ou écrites avec les plus jeunes, on passera à une perspective morphologique et syntaxique puis énonciative, textuelle ou discursive. (p. 86)

15Nous pourrions reprendre la progression proposée ci-dessus en adaptant toutefois l’étude structurale à l’âge des élèves et aux objectifs à atteindre. Nous pourrions imaginer la création d’un plan de travail ‹ évolutif › que les élèves pourraient réaliser une fois la notion découverte du point de vue sémantique et qui la travaillerait sous d’autres angles. Cela permettrait aux élèves d’être confrontés à d’autres types de tâches, en utilisant des supports différents, tout au long de l’année.

16Créer des moments réguliers de remobilisation collective des savoirs, durant les transitions par exemple, pourrait venir soutenir cette progression. Je teste déjà cela à travers des ‹ rituels › dans lesquels je reprends des notions déjà vues par les élèves. On voit d’ailleurs très nettement que les élèves ont besoin de ce genre de rappel, et d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une nouvelle notion.

17Cependant, un problème se pose à nouveau : dans la mesure où les objectifs du PER concernent uniquement les fins de cycles (5PH-6PH, 7PH-8PH), comment savoir, avec précision, ce que les élèves doivent connaître à la fin de la 5PH ou de la 7PH ? Bien qu’il existe des ‹ précisions cantonales › à ce sujet, ces documents restent tout de même très vagues et nous renseignent peu sur le degré de maîtrise que les élèves doivent atteindre pour chaque notion grammaticale.

18Cette sensation d’avancer ‹ à l’aveugle › est souvent l’objet de discussions avec mes collègues enseignants. Pour les enseignants plus expérimentés, cette problématique s’est effacée car ils ont progressivement su définir eux-mêmes les objectifs intermédiaires des cycles. Pour les enseignants débutants, dont je fais partie, cela demeure complexe. À l’échelle d’une progression par cycle, Chartrand (2015) avance cette nécessité de » détailler les objets à enseigner […] les pratiques langagières à étudier et à développer, ainsi que les compétences impliquées dans l’appropriation de ces pratiques communicationnelles » (p. 83).

19C’est d’ailleurs ce que mes collègues et moi-même avons entrepris de réaliser. Nous avons discuté des attentes de chaque degré en précisant les savoirs ainsi que les savoir-faire qui devraient être maîtrisés par les élèves au terme de chaque année. Les documents issus de notre travail m’aident aujourd’hui beaucoup mieux à penser la progression de mon enseignement.

20Adopter une progression spiralaire à l’année pourrait également participer à éviter « le rabâchage, qui démotive les élèves, comme les enseignants » dont fait état Chartrand (2016, p. 83). Dans la mesure où les contenus ne sont pas suffisamment travaillés pour être assez maîtrisés, cela demande de reprendre à l’identique ces notions les années suivantes. Je fais l’hypothèse que si l’on travaille plus régulièrement les notions, il faudra certes faire quelques rappels l’année suivante, mais les notions devraient être plus stabilisées. Les élèves n’auront alors plus le sentiment de faire du sur-place. Ils pourront réellement avancer dans leur apprentissage de la grammaire, en s’appuyant sur des bases plus solides, ce qui devrait également davantage les motiver.

21Bien entendu, une telle entreprise demanderait d’une part de repenser son enseignement et d’autre part de sortir du cadre donné par la formation et l’institution. Dans ce sens, les tensions entre principes pédagogiques et faisabilité au sein de la classe sont fréquents dans l’enseignement, la rénovation de l’enseignement de la grammaire traitée dans cet ouvrage en donne d’ailleurs un bon exemple. Certes les moyens mis à disposition ne sont pas en adéquation avec la rénovation, mais, nous l’avons vu, rien ne nous empêche d’expérimenter et de créer de nouvelles ressources qui soient cohérentes avec nos réalités d’enseignement. Ainsi, sans aller jusqu’à ‹ réinventer la roue › ou au contraire réfuter en bloc les recommandations officielles, l’enseignant devrait être en mesure de s’adapter au fil des années pour rendre son enseignement autant attractif qu’efficient.

Expérimenter et s’adapter : des compétences clés ?

22Enseigner repose sur une grande part d’expérimentation et d’adaptation. Nous terminerons donc par une réflexion autour de ce que peuvent impliquer le développement de ces compétences, notamment en tant que jeune enseignant.

23Enseigner la grammaire peut s’avérer bien plus difficile qu’il n’y paraît au début de notre carrière. Il faut parfois ré-apprivoiser les règles de grammaire, retourner dans ses cours universitaires – voire antérieurs parfois ! –, se surprendre à utiliser les memento des élèves pour vérifier que l’on a bien compris la notion, etc. Ces comportements peuvent nous renvoyer une image d’incompétence alors qu’elle devrait être le signe de notre sérieux et de notre souci de bien faire. Il est normal de douter et de vérifier, cela est même préférable ! Dans ce sens, même si nous sommes de plus en plus à l’aise au fil du temps, il peut nous arriver de nous tromper, oui nous des enseignants…

24Cependant, comme nous pourrions le dire aux élèves, l’erreur est vectrice d’apprentissage ! Craindre l’erreur pourrait nous empêcher de tester des démarches ou d’essayer de nouveaux supports par exemple. Il faut parfois se tromper pour réaliser ce qui fonctionne avec cet élève, avec ce type de configuration pour cette classe en particulier.

25De plus, il semble primordial de continuer de chercher de nouvelles idées, de questionner ses collègues sur des manières de motiver les élèves pour telle ou telle notion, pour tel ou tel élève. C’est aussi de cette manière que l’on peut espérer rester au goût du jour pour les élèves. Bien entendu, nous ne sommes pas contraints et forcés de suivre de A à Z les démarches. Nous pouvons nous en inspirer ici et là mais il est important d’apprendre à se faire confiance et, une fois encore, d’adapter nos découvertes. Il ne faut pas hésiter à sélectionner ce qui a le plus de sens pour les élèves et nous‑même.

26Nous l’avons vu, les questions de sens du travail scolaire et de motivation sont centrales. Néanmoins, il peut parfois être difficile d’identifier ce qui motive les élèves dans certaines situations. Afin d’en savoir davantage, nous pouvons tout simplement les questionner sur ce qu’ils ont appris, ce qu’ils ont retenu, sur les manières d’apprendre qui les motivent plus (on est parfois surpris !), ou encore de faire le bilan avec eux lorsque l’on propose un nouvelle manière de travailler. Il ne s’agit pas de ‹ faire uniquement ce que veulent les élèves › ou de ‹ céder à des caprices ›, loin de là, car nous devons rester ‹ maîtres › de notre enseignement.

27Par expérience, je peux dire que les échanges sont précieux car ils nous offrent un retour immédiat et participent à notre remise en question. Ils peuvent également permettre aux élèves de prendre conscience de leur manière d’apprendre et de mieux se connaître. Dans le même esprit, proposer des projets d’écriture pour travailler le fonctionnement de la langue semble être une des manières les plus pertinentes pour à la fois susciter la motivation des élèves et enseigner la grammaire ainsi que toutes les autres dimensions du français II (et bien entendu celles du français I).

28À titre d’exemple, un enseignant français a publié un livre écrit par ses élèves de CE21, qui était justement à la base un projet scolaire. Bien que ce genre de projet puisse paraître colossal et ambitieux, il s’agit une fois encore d’oser essayer, de faire quelques erreurs au passage avant de les rectifier, de mieux les comprendre, d’en faire d’autres, de faire des découvertes sur notre pratique mais aussi avec les élèves et tout cela dans le but qu’ils réalisent enfin ‹ à quoi ça sert la grammaire › et sachent l’utiliser.

Notes de bas de page

1 La Quête des sept sorciers, Luc Marie, Les Éditions du Jasmin, 2018.

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