Préface
p. 13-17
Texte intégral
1Comment motiver les élèves en grammaire et, partant, comment mettre en œuvre des démarches d’enseignement engageantes, tout en préservant un dispositif didactique réaliste, apte à assurer une structuration des contenus en conformité avec le programme et avec les attentes du degré scolaire concerné ? C’est la question centrale posée et traitée par Sarah Gremion dans ce travail.
2Bien qu’il soit solidement ancré dans la tradition de l’enseignement de la langue, dans la configuration actuelle de la discipline « français », dans les programmes et dans les pratiques enseignantes, l’enseignement de la grammaire reste un véritable défi théorique et pratique. Les débats autour de cet enseignement concernent plusieurs de ses dimensions.
3Ses finalités d’abord : pourquoi enseigner la grammaire ? À quoi sert-elle ? Quelle est l’utilité d’un apprentissage explicite des structures de la langue alors que l’usage de celle-ci, notamment de la langue première, témoigne à l’évidence de la mise en œuvre par les élèves d’un savoir grammatical pratique déjà présent ?
4Les objets grammaticaux ensuite : que faut-il enseigner et quelle(s) théorie(s) linguistique(s) convient-il d’adopter ou de transposer à l’enseignement grammatical ? Quelles programmation et progression envisager, à différentes échelles, allant d’un cycle ou d’un degré à une séquence, voire à une période ? Quelle place et quelle importance accorder aux fameuses irrégularités, par rapport aux aspects plus réguliers de la langue ?
5Puis, les démarches d’enseignement et les supports utilisés : comment enseigner la grammaire ? Quelles formes d’activités proposer ? Sur la base de quel corpus de phrases ou de textes ? Quelle est la place que doivent y occuper les textes littéraires ? Quel est le rôle des nouvelles technologies, étant donné les transformations que nous vivons quotidiennement et la place qu’y occupe le numérique ?
6Enfin, le rapport aux normes : est-ce que la grammaire décrit les structures de la langue ou prescrit ce qu’il faut/ne faut pas dire et écrire ? La grammaire enseignée devrait-elle être descriptive ou prescriptive ?
7En plus de ces questions, qui continuent aujourd’hui de faire l’objet de débats, non parce que l’on y aurait pas répondu, mais parce que les réponses divergent selon les contextes, les périodes et les points de vue, d’autres problématiques sont intimement liées à l’enseignement grammatical. Celles-ci ne sont pas immédiatement didactiques et concernent les représentations et les affects associés à la grammaire, souvent ancrés dans des souvenirs scolaires ou de formation. La grammaire a ainsi la réputation d’être un objet pénible, obscur, aride, ennuyeux, fait d’apprentissages par cœur de règles et de listes, de travail sur des fiches… certaines personnes gardant de leur parcours scolaire davantage ces souvenirs que les contenus effectivement enseignés.
8Ce contexte général de l’enseignement grammatical peut désorienter ou décourager, mais peut aussi être envisagé comme un cadre fécond de problématisation, comme une opportunité de réflexion renouvelée sur le statut de la grammaire au sein de la discipline « français », comme une incitation à construire de nouvelles approches et de nouveaux outils, à prendre part, en somme, à la reconception de cet enseignement. La question du sens à donner à l’enseignement grammatical apparait ainsi comme une question centrale, aussi bien pour la recherche que pour la formation, en ce qu’elle condense et agence la plupart des dimensions mentionnées ci‑dessus.
9La recherche de Sarah Gremion présentée dans ce Cahier prend à bras le corps la plupart des questions évoquées et les aborde de manière interreliée, en les tissant en une construction réflexive personnelle, issue du travail préalable de son mémoire de master, mais repensée, à la fois dans la perspective de la confection d’un ouvrage et en mettant à profit l’expérience de l’exercice professionnel en cours. Comme il ressort du schéma présent dans l’introduction, le lecteur pourra suivre l’auteure dans son cheminement, qui allie analyse théorique rigoureuse et expérimentation pratique d’une séquence d’enseignement, ingénierie didactique et préoccupation pour la dimension de motivation des élèves, questionnement pédagogique et inscription de soi dans une démarche assumée de développement professionnel.
10Au niveau théorique, l’analyse de Sarah Gremion a le mérite de clarifier les raisons d’être de la grammaire dite « rénovée », par une démarche accessible, qui met l’examen historique au service de la compréhension de la situation actuelle. On comprendra à la lecture de la première partie de l’ouvrage les facteurs qui expliquent la teneur et le contenu des principaux documents de prescriptions romands actuels, les caractéristiques et les limites des moyens d’enseignement en vigueur ainsi que les particularités des démarches d’enseignement grammatical plus récentes, à caractère inductif. Si elle est très informative, ponctuée d’encadrés synthétiques qui permettent le survol d’un thème (p. ex. l’évolution des moyens d’enseignement du français en Suisse romande entre les années 1970 et nos jours), cette partie met aussi en évidence les tensions constitutives de l’enseignement grammatical : décalage (voire contradiction) entre les visés de l’enseignement rénové et les moyens à disposition des enseignants ; décalage entre les démarches inductives en accord avec la rénovation, et l’assurance mais aussi le temps nécessaire pour les mettre en œuvre (l’une et l’autre manquant parfois) ; rabattement sur des pratiques routinisées et « assurées », alors que celles-ci relèvent d’approches plutôt traditionnelles et déductives… qui s’avèrent peu motivantes pour les élèves, voire pour les enseignants eux‑mêmes.
11La deuxième partie de l’ouvrage enchaine alors sur une analyse de la motivation, et du sens du travail scolaire plus généralement, comme facteurs d’apprentissage. La didacticienne de la grammaire s’enrichit d’un regard pédagogique et psychologique sur la motivation à apprendre et tente de déceler, au travers d’apports théoriques spécialisés, les indices de reconnaissance d’un élève motivé, les types de tâches qui constituent des vecteurs de motivation, ou encore les supports présentant un potentiel motivationnel, tout en examinant avec lucidité les avantages et les limites des TICE (technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) ou encore des jeux. La réflexion explicite sur la notion de « sens du travail scolaire » permet de montrer le caractère processuel de cette notion, la place qu’y occupe la négociation, ainsi que la quête d’équilibre entre finalisation des tâches et formalisation des savoirs qui la caractérise.
12Au niveau du dispositif d’ingénierie et de sa mise en œuvre, présentés dans la troisième partie, l’exposé de Sarah Gremion est riche d’enseignements à plusieurs égards. Outre la description précise du contexte de l’expérimentation, à partir de laquelle tout enseignant ou stagiaire pourra se projeter dans son propre contexte de classe, l’on se penchera de manière documentée sur un objet d’enseignement circonscrit, l’attribut du sujet. Le cœur de cette partie est constitué de la description de la séquence, sous deux facettes : la séquence planifiée, avec les supports et le déroulement prévu, et la séquence effectivement réalisée, rendant compte des modifications de la planification.
13Sarah Gremion nous invite ainsi dans sa cuisine de conception et de mise en œuvre d’une séquence, pas à pas, avec des éléments concrets qui peuvent être utilisés en tant que tels ou transposés à l’enseignement d’autres objets, notamment aux classes et aux fonctions syntaxiques. Cette partie montre ainsi le fait, parfaitement naturel mais parfois oublié, parfois source de « culpabilité », que le déroulement d’une leçon n’est jamais le décalque de la planification, que l’action enseignante ne se réduit pas à sa préfiguration. Cette dernière constitue un repère important, mais en aucun cas une carapace, l’interaction didactique contextualisée étant par définition en partie imprévisible et permissive aux facteurs contextuels concrets… dont la prise en compte d’indices de motivation chez les élèves.
14De manière plus générale, et avec un souci explicite du destinataire de l’ouvrage, cinq principes fondamentaux qui se situent entre théorie et pratiques servent de fil rouge à l’analyse de l’ingénierie : T comme Tâches, S comme Supports, D comme Démarche de Découverte, S comme Sens des apprentissages grammaticaux, P comme posture de l’enseignant. Le lecteur pourra à la fois suivre Sarah Gremion dans sa classe et se projeter dans sa propre pratique, au travers des éléments d’analyse proposés, qui permettent souvent de se poser la question « dans mon contexte, dans ma classe, comment ferais‑je ? ».
15On soulignera pour terminer le réalisme et la lucidité des propos conclusifs : loin de se borner à vanter les mérites des approches inductives ou à critiquer les approches déductives, Sarah Gremion opte pour un enseignement de la grammaire dosant induction et déduction ; met en avant la nécessité de concevoir une progression à même d’assurer un « enseignement continué de la grammaire » ; encourage à expérimenter et à (s’)adapter, à se documenter et à oser. C’est peut-être ce dernier mot qui est au cœur d’un enseignement grammatical qui (dé)montre son sens.
Auteur
Professeure, Université de Genève
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