Épouse de roturier et veuve d’usurpateur
La dérogeance au féminin en France au XVIIe siècle
p. 17-39
Résumés
La dérogeance est une forme de déclassement social particulier à la noblesse. Au XVIIe siècle, sa définition juridique s’est peu à peu précisée alors que les autorités royales s’efforçaient, pour des raisons idéologiques et fiscales, de circonscrire plus strictement les contours du groupe nobiliaire et d’en extirper les « faux nobles ». La dérogeance au féminin a aussi retenu l’attention des juristes du XVIIe siècle à travers la résolution de toute une série de questions : comment qualifier la mésalliance d’une femme noble avec un roturier ? Celle-ci est-elle plus ou moins assimilable à une dérogeance ? Cette mésalliance est-elle définitive ou provisoire ? Que se passe-t-il quand la mort vient rompre la vie conjugale ? C’est à partir d’affaires contentieuses, cas de veuves de roturiers voulant recouvrir la noblesse, cas de veuves d’usurpateurs refusant de payer les taxes imposées aux faussaires que ces juristes raisonnaient. Ce sont leurs arguments qui sont exposés dans cet article, en même temps que la gamme des raisons, pragmatiques, sociales et idéologiques évoquées par les plaignantes et requérantes.
Dérogeance (loss of privilege) was a form of losing rank particular to the nobility. In seventeenth-century France, the legal definition was gradually refined, as the royal authorities sought, for both ideological and fiscal reasons, to lay down stricter limits for the group making up the nobility, and to eliminate "false nobles". Dérogeance as applied to women also attracted the attention of seventeenth-century jurists, when they had to resolve a series of questions: what was the status of an unequal match (mésalliance) between a noblewoman and a commoner? Was it the equivalent of dérogeance? Was this unequal match definitive, or provisional? What happened when the marriage ended with the death of a spouse? The jurists based their reasoning on contentious affairs: the cases of widows of commoners who wished to recover their noble rank, or widows of men who had usurped noble titles, now refusing to pay the taxes levied on makers of false claims. This article considers the arguments advanced by lawyers as well as the range of pragmatic, social or ideological reasoning brought to bear by the women in question, as plaintiffs or claimants.
Entrées d’index
Mots-clés : dérogeance, noblesse, mésalliance, veuves, France
Keywords : loss of privilege, nobility, unequal marriage, widows, France
Texte intégral
1« Fumer ses terres » : c’est par cette expression peu amène que le mariage d’un noble avec une riche fille de la marchandise ou de la finance était moqué au XVIIe siècle. Non que ce type d’alliance eût été exceptionnel. Tout au contraire, il tendit à se répandre dans la seconde moitié du XVIIe siècle, principalement dans les couches les plus pauvres de la noblesse provinciale, mais, bien que devenue relativement commune, cette mésalliance ne cessait d’être considérée comme détestable, dans un contexte où s’affirmait la supériorité de la noblesse à partir d’arguments puisés dans le registre du sang et de la race1. « Au choix d’un chien nous enquérons la race, mais de la femme dont notre prospérité doit descendre, si elle est riche, notre désir est content », déplorait au début du XVIIe siècle Florentin Therriat2. « Il ne peut y avoir de noblesse du côté de la mère » rappelait, à la même époque, le juriste Charles Loyseau, dans son Traité des ordres. « Toutefois, ajoutait-il, c’est la vérité que la noblesse de celuy qui est issu de père et mère nobles est réputée plus pure, pour n’estre souillée du mélange de sang roturier3 ». Gilles de La Roque, le grand théoricien de la noblesse de la fin du siècle, expliquait à plusieurs reprises dans son traité, « que la noblesse paternelle est plus éclatante quand elle est jointe à la maternelle ». Ou encore que, bien que les femmes roturières qui se marient à des gentilshommes soient considérées comme nobles, leur noblesse « n’a pas autant de force et de vigueur que la noblesse de race dont elle est illustrée, ou celle qu’elle peut avoir obtenue pour sa personne4 ».
2Si cette sorte de mésalliance était vue de façon négative, celle des filles nobles épousant des roturiers était moins souvent commentée dans les traités de noblesse et les recueils de jurisprudence. Elle a également moins retenu l’attention des historiens. Si l’hypogamie féminine a existé à la cour de Louis XIV, elle était moins répandue que l’hypergamie et demeurait légère dans la mesure où les filles mariées « en dessous » de leur rang ne l’étaient pas avec des hommes de condition très différente – on évitait en particulier de les marier dans la noblesse de robe5. À l’autre extrémité de la hiérarchie nobiliaire, dans la noblesse provinciale, la transgression de ce “plancher de verre” qui séparait noblesse et roture semble avoir été rare, même si on mariait une partie des filles avec des gentilshommes de rang inférieur, mais il est vrai aussi qu’on en mariait de moins en moins en nombre au XVIIe siècle6. Les situations respectives des filles et des garçons de la noblesse face à un mariage roturier étaient de fait très différentes dans un royaume qui avait adopté des règles patrilinéaires de transmission de la noblesse sur trois générations : la noblesse des enfants nés d’un homme noble et d’une femme roturière pouvait bien être considérée comme moins éclatante que si l’épouse eût été noble mais elle n’en était pas moins incontestable. En revanche, les enfants d’un père roturier devenaient, à leur tour, roturiers. Ainsi, cette mésalliance conduisait-elle de fait les enfants qui en étaient issus à un déclassement social.
3Dans le contexte particulier du XVIIe siècle marqué à la fois par la montée en puissance d’une idéologie nobiliaire attachée à l’hérédité et à l’ancienneté et par les tentatives incessantes de la monarchie de contrôler la noblesse à son profit, la question n’a finalement pas manqué d’être tout de même abordée. Elle l’a été de façon moins théorique que pragmatique à travers la résolution de toute une série de questions : comment qualifier la mésalliance d’une femme noble et, en particulier, celle-ci est-elle plus ou moins assimilable à une dérogeance ? Cette mésalliance est-elle définitive ou provisoire, et que se passe-t-il quand la mort vient rompre la vie conjugale ? Ces problèmes, les juristes royaux avaient à les régler à partir des affaires contentieuses qui leur parvenaient, cas de veuves de roturiers voulant recouvrer la noblesse, cas de veuves d’usurpateurs refusant de payer les taxes qu’on leur imposait. Ce sont à la fois leurs arguments de droit et leurs arguments idéologiques qui seront exposés ici, en même temps que la gamme des raisons, elles aussi souvent idéologiques, qui sont évoquées par les plaignantes et requérantes.
Épouses et veuves de roturiers : ce que dit le droit
4La mésalliance que commet une femme noble qui épouse un roturier est-elle un déclassement ? Doit-on la tenir pour temporaire ou définitive ? Quelle est sa proximité avec la dérogeance ? Telles sont les questions qui retinrent l’attention des quelques juristes, essentiellement spécialistes du contentieux fiscal, qui eurent à statuer sur les cas qui se présentaient aux tribunaux, et d’abord aux cours des aides, juridictions d’appel en matière d’imposition.
La femme suit la condition de son mari
5« C’est une maxime générale que la femme tire toute sa splendeur de l’homme ; que le mari communique toute sa dignité et toute sa noblesse à son épouse ; et qu’au contraire, la femme noble mariée à un non noble perd la beauté et le prix de son origine » écrit l’historien de la noblesse Gilles de la Roque en 16787. Ainsi énoncée, cette « maxime générale » pose une symétrie entre le processus qui anoblit la fille roturière épousée par un noble et celui qui flétrit la fille noble épousée par un roturier. De fait, les coutumes françaises sont sans ambiguïté sur ce point. Celles qui définissent les droits des personnes, à savoir les coutumes de l’Est du royaume et de Picardie, énoncent explicitement la règle suivant laquelle « La femme noble mariée à un roturier ne jouist du privilège de noblesse constant le mariage8 ». Il est possible que ces coutumes aient opté pour une énonciation formelle du fait qu’il existait à proximité, dans la province de Champagne, avant la réformation des coutumes au XVIe siècle, une noblesse féminine transmissible aux héritiers, la noblesse « utérine ». Cette noblesse ayant été mise en cause au moment de la réformation des coutumes et réduite à des effets purement coutumiers en 1566, il était peut-être nécessaire d’énoncer clairement qu’un mariage roturier ferait déchoir la fille noble et sa descendance avec elle9. De cette règle générale, il résulte en particulier que l’époux doive s’acquitter du droit de franc fief sur les biens propres que lui a apportés sa femme s’il s’agit de terres nobles, ainsi que le rappelle Jean Bacquet dans son Traité du droit des Francs-Fiefs10. Bien que le fief ait été apporté par une femme noble dans son mariage, c’est la qualité du mari gestionnaire usufruitier qui détermine l’assujettissement à cette contribution que doivent payer dans le royaume de France tous les roturiers possédant des fiefs.
6Néanmoins, certaines coutumes concèdent quelques aménagements à la règle Quia mulier sequitur conditionem mariti, principalement les coutumes de l’Ouest du royaume, réputées pour leur caractère féodal et leur principe d’un droit d’aînesse fort11. Suivant le commentateur de la coutume de la Rochelle, la femme noble mariée à un roturier peut exercer son droit d’aînesse si ses parents meurent tandis qu’elle est mariée et qu’elle est l’aînée des filles. Plus même, si elle meurt avant ses parents, ses enfants même roturiers prendront le droit d’aînesse à sa place (succession en représentation)12. Dans la coutume de Touraine, sa succession se partage noblement entre ses successeurs13. De même dans les coutumes du Maine et de l’Anjou où, à la première génération, les enfants de la femme partagent noblement ses biens propres, ses conquêts et ses meubles, tandis que le partage se fait roturièrement entre leurs propres successeurs14.
… mais non la veuve noble d’un roturier
7Quand le veuvage survient, la symétrie entre les situations des roturières et des nobles ayant épousé hors de leur ordre cesse. Si les premières continuent à vivre suivant la condition de leur défunt époux, il n’en va pas de même pour les secondes qui peuvent revenir à leur condition ante-maritale et recouvrer leur noblesse. Cette dernière possibilité est énoncée par les coutumes à la suite des articles consacrés à la condition de la femme noble qui se mésallie : « mais si après le trespas de son mary elle fait déclaration pardevant Juge compétant, qu’elle entend de là en avant vivre noblement, elle jouist dudit privilège de noblesse, pourveu qu’elle ne se remarie derechef à un homme roturier », ainsi que le dit la coutume de Reims. Seule la coutume du Dauphiné soutient le contraire. Guy Pape, commentateur de cette coutume relève qu’y est clairement énoncé le fait qu’une veuve noble de roturier est considérée comme roturière et il cite à l’appui les décisions du Parlement de Grenoble du XVe siècle (decisiones 349 ; art. 379 et 380)15.
8Les conséquences de ce retour à la condition nobiliaire sont d’importance pour la veuve puisqu’elle se trouve dès lors exemptée du droit de franc fief, ainsi que le note Jean Bacquet. Les conditions absolues de cette exemption sont qu’elle vive noblement, sans déroger, et qu’elle ne se marie pas une seconde fois avec un roturier. Le juriste Louis le Grand, commentateur de la coutume du bailliage de Troyes, précise quelques contours de cette absence de dérogeance : ainsi un arrêt de la cour des aides du 27 août 1608 a-t-il précisé qu’une femme noble veuve de roturier pouvait continuer à gérer les baux à ferme de son défunt mari sans que cela soit considéré comme une dérogeance, les baux à ferme n’étant pas assimilés à un commerce16. Par ailleurs, et c’est ce qui devient l’exemption la plus significative au XVIe siècle, la veuve ayant ainsi recouvré sa noblesse cesse d’être assujettie à la taille.
9La dissymétrie introduite par le veuvage entre noble épouse de roturier et épouse roturière de noble est une contravention claire à la maxime suivant laquelle la femme suit la condition de son mari. En effet, la mort n’est pas réputée abolir le mariage, ce que rappelle le juriste Guy Pape quand il défend la position particulière de la coutume du Dauphiné : « La veuve du noble est présumée être encore dans le mariage, et elle jouit des privilèges de la noblesse17 ». La légitimation de cette disposition particulière doit donc emprunter d’autres voies que l’adage traditionnel et faire appel à d’autres notions plus propres à la condition particulière de la noblesse. Ainsi, pour les rédacteurs de la coutume de l’évêché de Metz, le mariage d’une femme noble à un roturier équivaut à une « noblesse dormante » : « La femme noble mariée à un roturier, fait dormir sa noblesse tant et si longtemps que le mariage dure, hormis que pendant iceluy elle peut tenir et posséder des fiefs à elle écheus, et à écheoir par successions, legs, donations ou autres titres lucratifs ; mais incontinent qu’elle est veuve, elle retourne jouir de tous les privilèges de la noblesse18 ». Ainsi défini, le mariage inégal revient à être une dérogeance temporaire, susceptible d’être rompue avec la mort de l’époux.
Le mariage avec un roturier : une dérogeance ?
10C’est du moins cette notion de dérogeance qui s’impose dans la jurisprudence définitive au tout début du XVIIIe siècle, jurisprudence donnée à la suggestion l’avocat général Guillaume François Joly de Fleury devant la cour des aides de Paris par l’arrêt du 9 août 1702. Il s’agit d’un arrêt célèbre concernant une veuve, Renée Sourdille, veuve de Me Pierre Trochon, sieur de Champagne, président au présidial de Château-Gontier, contre les habitants de la ville de Château-Gontier qui veulent lui faire payer la taille19. Le paradoxe de la situation est que les deux époux sont roturiers de naissance ; mais, durant leur mariage, le père de Renée Sourdille, Gabriel Sourdille a acheté une charge de secrétaire du roi en la chancellerie de Bretagne et a donc acquis la noblesse. Toute l’affaire consiste à savoir si Renée peut se prévaloir de la noblesse de son père. La réponse de la cour est positive car le père a été anobli, suivant l’expression consacrée, « pour ses enfants nés et à naître ».
11Durant la discussion du cas, l’avocat général cherche à spécifier le type de renonciation à la noblesse que commet une femme noble qui se marie à un roturier. Il commence par énoncer l’idée qu’il s’agit d’une dérogeance à la noblesse : comme le noble qui renonce à exercer ses privilèges en cessant de vivre noblement, la femme noble mariée à un roturier renonce à ses privilèges. Mais, comme il ne s’agit que d’une renonciation temporaire, la femme mariée « conserve le caractère de la noblesse », explique-t-il. Dans un deuxième temps, Joly de Fleury dédramatise cette dérogeance féminine en affirmant que le mariage avec un roturier n’est pas une dérogeance aussi forte que celle qui est faite par un homme qui se livrerait à des actes vils et déshonorants. D’une part, parce que le couple peut très bien avoir vécu honorablement et même noblement sans être juridiquement noble. D’autre part, parce que la volonté de déroger n’existe pas en l’espèce : comme Renée Sourdille était déjà mariée à un roturier quand son père a été anobli, elle n’était plus libre de conclure une autre alliance. Ainsi, est-elle, selon lui, dans la situation d’« un homme qui étant d’extraction noble, auroit été emmené en captivité, que l’on auroit employé pendant sa servitude à des emplois les plus vils et les plus ignobles, qui auroit passé dix ans, si l’on veut, dans cet état, étant remis en liberté20 ». Sa dérogeance étant en l’occurrence involontaire, la mort de l’époux la fait cesser sans discussion. Ici, l’avocat général s’attache au cas particulier d’une femme déjà mariée quand elle reçoit la noblesse, mais il est beaucoup plus circonspect à l’égard de la volonté déployée par une fille noble mariée à un roturier lors de ses noces :
Si, par une trop grande timidité de la part des enfans, ou par une contrainte cruelle de la part des père et mère, on contracte quelquefois des mariages contre son gré, on ne peut toujours les contracter sans quelque consentement de fait ; que les enfans que les père et mère s’imputent, si de tels motifs leur ont fait former à eux ou à leurs enfans, à la face des Autels, un engagement dont la condition la plus essentielle est le consentement libre des contractans, mais les loix n’entrent point dans ces motifs secrets, dès que le mariage est contracté, le consentement est donné, dès ce moment la femme noble qui se marie à un roturier est présumée avoir voulu perdre sa condition, et si l’on considère ce mariage comme une dérogeance, elle est présumée avoir voulu déroger.
12Une telle interprétation fondée sur le libre consentement au mariage est divergente avec celle d’une plaidoirie antérieure conservée dans le fonds Le Camus de la bibliothèque de l’Arsenal21. Celle-ci concerne une femme noble deux fois veuve, ayant épousé en premières noces un noble et en secondes noces un roturier. En 1672, elle a demandé à l’élection de Montdidier d’être exemptée de la taille, ce que les élus lui ont refusé. Elle a alors fait appel, prétendant que sa noblesse n’avait été qu’en « suspens pendant la vie de son mari » (f°152 r°). La plaidoirie réfute cette interprétation, retenant les précédents de la coutume du Dauphiné et la situation symétrique avec le cas d’une veuve roturière de noble, mais si cette sévérité contraste avec la position ultérieure de Joly de Fleury, l’argument de la volonté de déroger est beaucoup plus central que pour celle-ci. Ainsi le plaideur appelle-t-il la cour à ne pas souffrir « du mépris que [l’appelante] a fait de sa noblesse ». Car, ajoute-t-il :
Elle est moins favorable à réclamer le droit de sa naissance que ne seroit une fille noble qui auroit épousé en première nopce un roturier. Les loix présumant que cette fille a été forcée dans son mariage par ses parents la traitant avec autant de douceur qu’elles ont de sévérité pour les veuves qui noircissent le sang par une mésalliance parce qu’elles ont été maîtresses de leurs personnes aussy bien que de leurs volontés ; l’appellante est une veuve, sa personne et sa volonté ont esté toute libres dans son second mariage22.
13Ainsi, la dérogeance ne peut-elle s’abolir si elle a été volontaire, ce dont ne peut se prévaloir une veuve qui est, par définition, maîtresse de sa volonté. Pour les filles mariées en premières noces, la situation est plus ambiguë. Soit elles peuvent prétendre qu’elles ont été forcées, un argument qui peut s’entendre dans un royaume qui, depuis l’édit de 1557 d’Henri II, exige le consentement des parents quand les enfants sont mineurs et le préconise quand ils sont majeurs. Soit elles font valoir que leur volonté a été éteinte par le fait même du mariage. À l’inverse, la fille roturière mariée à un noble ne pourrait quant à elle se plaindre d’avoir été mariée contre sa volonté – même si de fait elle l’a été – puisqu’elle s’est ainsi élevée en condition. Ce sont donc à la fois les notions de dérogeance et d’absence de volonté manifeste de déroger qui permettent aux juristes du XVIIe siècle de qualifier la situation de déclassement d’une fille noble mariée à un roturier et de légitimer qu’elle ne suive plus la condition de son époux, une fois veuve.
Comment être relevé de la dérogeance ?
14On l’aura noté, la plaidoirie prononcée devant la cour des aides contre la veuve de Montdidier qui voulait échapper à la taille emploie des termes particulièrement véhéments pour disqualifier son choix de s’unir à un roturier. Il est question de « race noble » s’unissant à la « bassesse » de la roture et d’une mésalliance qui « noircit le sang ». Avant que le procureur ne conclue sur ces phrases : « Si l’appellante a souillé la dignité de sa noblesse qu’elle s’en prenne à sa facilité. Si elle a meslé son sang généreux avec celuy d’une personne vile qu’elle en accuse son interest et si elle a flestri la splendeur de sa naissance par l’obscurité d’une condition basse, n’est-il pas juste qu’elle en souffre la peine ?23 » Ainsi est posé le problème : par rapport à une dérogeance qui se ferait par le simple abandon du mode de vie noble, la conjonction charnelle avec un roturier produit-elle un déclassement supplémentaire, exprimé dans le langage de la souillure et de la flétrissure ? Autrement dit, la notion juridique de dérogeance épuise-t-elle les significations de ce type de déclassement ?
Quand la nature reprend ses droits
15L’un des enjeux importants de la décision de 1702 était de savoir si une simple déclaration suffisait pour recouvrer sa noblesse après veuvage. À Château-Gontier, dans la coutume du Maine, Renée Sourdille devenue veuve avait en effet fait une première déclaration solennelle devant l’assemblée des habitants de sa communauté en déclarant vouloir vivre noblement. Celle-ci avait été suivie d’une autre déclaration au prône de la messe. Elle l'avait ensuite réitéré devant l’administration fiscale, en l’occurrence le bureau de l’élection. C’était donc à partir de la réputation de la personne (sa fama), la connaissance que la communauté avait de sa biographie (ses parents, son mariage, ses ancêtres) et de son mode de vie que les receveurs de la taille de la communauté d’habitants et l’administration fiscale des élus évaluaient de telles déclarations. Dans certains cas, ils les acceptaient. Dans d’autres, ils les contestaient comme à Montdidier où la veuve avait été obligée de payer la taille en 1673, 1674 et 1675 ou comme à Château-Gontier en 1699, les habitants de la ville avaient refusé l’exemption avant d’entamer un procès.
16Statuant dans cette dernière affaire, Joly de Fleury proposait de considérer que la déclaration publique était nécessaire et suffisante. Il s’appuyait sur les articles des coutumes qui évoquaient cette déclaration ainsi que sur Jean Bacquet. À l’inverse, l’arrêt antérieur de la cour des aides du 17 janvier 1676 sur l’affaire de Montdidier avait estimé qu’une lettre de relief de dérogeance délivrée par la chancellerie était nécessaire en pareil cas. L’enjeu paraît mince mais, en réalité, il s’agissait de statuer sur ce qui était à la source de la noblesse. Est-ce sa naissance qui définit le noble et son sang illustre, purifié à la longueur des temps, lui suffit-il à la prouver ? Ou est-il nécessaire que le roi confirme l’excellence de ses mérites ? Tels sont les termes d’une alternative qui s’inscrit dans le vif débat auquel se livrent les théoriciens de la noblesse depuis au moins la deuxième moitié du XVIe siècle où les théories organicistes de la noblesse se sont développées. Filant la comparaison entre la situation de Renée Sourdille et celle d'un captif retenu par des barbaresques, l’avocat général s’interroge : « étant revenu dans sa Patrie, seroit-il obligé de prendre des Lettres de réhabilitation ? » La réponse est nette : « C’est ce qui ne peut être proposé, il reprendroit sa noblesse, jure postliminii, par cette seule raison qu’on ne pourroit dans cette dérogeance lui opposer que c’est de sa libre volonté24 ». Et c’est sur l’illustre juriste Charles Loyseau qu’il s’appuie ici, reprenant son propos sur la dérogeance en général : « il n’en aurait point besoin, le droit du sang et la nature ne pouvant être perdu par aucune renonciation »25. Ainsi, l’affirmation qu’une simple déclaration de la femme devenue veuve suffirait à la rendre à son état antérieur s’ancre-t-elle dans l’idée que les droits dont la nature a doté les nobles sont imprescriptibles. En ce sens, la croyance qu’il existe un « caractère », une « nature », un « sang », une « race » noble donne du sens au fait d’être rendu à soi-même et aux siens après une mésalliance temporaire.
À quoi sert la grâce du roi ?
17On trouve des lettres de relief de dérogeance pour les veuves dans un certain nombre de fonds d’archives où elles ont été conservées. C’est en Normandie qu’elles ont été les plus signalées et étudiées. Dans ses recherches sur les lettres d’anoblissement, maintenues et réhabilitations en Normandie entre 1598 et 1790, le généalogiste Arundel de Condé a trouvé 750 lettres de continuation de noblesse dont 562 émanant de veuves de roturiers26. L’historienne Gayle Brunelle à partir des mémoriaux de la cour des aides de Normandie en a étudié 191, rédigées entre 1579 – la plus ancienne conservée dans les registres normands – et 1664, toutes émanant de veuves sur un total de 25927. Dans cette province, la cour des aides semble avoir exigé la rédaction de lettres de relief pour les veuves de roturier jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, sa jurisprudence se distinguant sur ce point de celle de la cour des aides de Paris et étant confirmée par une ordonnance de l’intendant en 178528. Néanmoins, le conseil du roi enregistre également des demandes émanant d’autres provinces : 26 entre 1677 (juste après l’arrêt de janvier 1676) et 1740, venues de Chartres, de Beaune ou du Périgord, ce qui est très peu29. L’existence de ces lettres ne prouve pas que les veuves y aient eu recours systématiquement, du moins en dehors de la Normandie. Il est très probable que l’appréciation de la situation ait différé d’un cas à l’autre. En Normandie, la majorité des lettres ne mentionne pas la raison pour laquelle la veuve l’a demandée, mais, parmi les raisons données, le fait que le receveur des tailles a exigé le paiement de l’impôt et le fait que l’époux a été jugé usurpateur de noblesse sont les deux premiers motifs. Une situation contentieuse pouvait donc pousser à demander une telle clarification. On relève aussi, toujours en Normandie, la présence de veuves de docteurs en médecine, d’avocats, d’officiers du roi de juridictions locales, d’agents du fisc et de nombreux hommes qualifiés de « sieur de ». Autant de situations ambiguës où la dérogeance provient de la qualité roturière du mari mais non d’un mode de vie qui épouse celui de la noblesse soit du fait de l’activité professionnelle, soit du fait de la possession d’une seigneurie. Si en Normandie, ces situations devaient donner lieu à des lettres de relief, il n’est pas certain qu’elles aient été nécessaires ailleurs, sauf en cas de contestation. C’est ainsi qu’une épouse d’un docteur ès droits de Grenoble prit la précaution d’en demander une au tout début du XVIIe siècle parce qu’un arrêt de 1556 avait réduit le privilège de noblesse à la vie des docteurs mais non au-delà, et celui du 15 avril 1602 leur avait ôté ce privilège30. Les évolutions nombreuses dans les définitions de la noblesse ainsi que les révocations périodiques des lettres d’anoblissement rendaient les situations souvent incertaines. De ce point de vue, les lettres de relief de dérogeance pouvaient apparaître comme des assurances pour l’avenir d’autant que le roi ne les révoquait jamais, à l’exception d’une fois en 1692 où Louis XIV décida de révoquer toutes les lettres de maintenue et réhabilitation accordées depuis le 1er janvier 1600 qui n’avaient pas été enregistrées à la cour des aides31.
18Les lettres de relief de dérogeance ne confèrent au récipiendaire aucun privilège nouveau mais, bien au contraire, confirment des droits inhibés du fait de la dérogeance. Les juristes peinent à les considérer comme légitimes. Leur usage est contesté et ce, bien avant que Joly de Fleury ne prononce leur inutilité dans le ressort de la cour des aides de Paris. Ainsi, au procès verbal des coutumes du bailliage de Vermandois, rédigé en 1566 lors de la réformation des coutumes de cette province, il est écrit à propos de la coutume de Reims :
Au quatriesme article, commençant par ces mots, femme noble, par l’advis desdits Estats, qui nous ont dit que par l’ancienne Coustume, ores qu’elle ne fust rédigée audit livre, il estoit requis que la veuve noble, qui avoit esté mariée à un homme roturier, obtint relief du Roy ; et qu’elle ne pouvoit avant que ledit relief fust entériné, jouir du privilège de noblesse ; qui estoit un circuit et fascherie répugnante à toute raison, ont esté adjoutez ces mots, mais si après le trespas de feu son mary elle fait déclaration pardevant Juge compétant, qu’elle entend de là en avant vivre noblement, elle jouist dudit privilège de noblesse ; pourveu qu’elle ne se remarie de rechef à un homme roturier.32
19Dans cette version de l’histoire de lettres de relief, la pratique la plus ancienne aurait été celle de demander une réhabilitation tandis que la pratique nouvelle de la déclaration se serait imposée au milieu du XVIe siècle, tout en étant contestée périodiquement en justice. Comment interpréter cette « répugnance » à recourir aux lettres de relief de dérogeance ? Une raison tient peut-être au coût de ces lettres. Bien que très inférieur à celui d’une lettre d’anoblissement, les lettres de relief empruntaient un « circuit » obligé depuis la rédaction et l’insinuation en chancellerie, la vérification à la cour des comptes, l’enregistrement à la cour des aides et au Parlement, le tout ponctué de frais d’écriture, de frais de greffe et d’huissier et d’épices. Au total, d’après les estimations proposées pour les veuves normandes, une telle lettre aurait coûté à peu près 860 livres33. Une somme propre à décourager un certain nombre de veuves de la petite noblesse tout comme étaient décourageantes les difficultés à les faire insinuer et enregistrer.
20Mais plus probablement, cette répugnance est surtout liée à l’idée que la noblesse vient de la nature et n’a pas besoin de la grâce du roi pour être restaurée, même si, par précaution, le terme « relief » évoque bien le fait d’être « relevé » et non une nouvelle attribution de privilège. Pour Joly de Fleury, il y a bien une différence entre le « caractère » de la noblesse que le noble possède de façon imprescriptible par nature et les privilèges qu’il ne fait qu’exercer positivement :
Il paroit donc que l’esprit général des Coutumes, le Droit commun et ordinaire en matière de noblesse est que la dérogeance prive des effets de la noblesse tant qu’elle dure mais qu’aussitôt qu’on y renonce, le caractère de la noblesse étant toujours imprimé en la personne du noble, il reprend les privilèges dès qu’il déclare et qu’il commence à vivre noblement34.
La conscience d’un déclassement ?
21Les veuves de roturier étaient donc dans des situations diverses suivant leur région d’habitation et le caractère plus ou moins assuré de leur noblesse d’origine et du mode de vie qu’elles avaient suivi durant leur mariage. Certaines demandaient des lettres de relief, d’autres non. Un cas particulier était celui des veuves qui devaient demander à être restituées dans leur noblesse alors que leur mari avait été déclaré usurpateur. Certaines ont laissé des traces qu’il convient d’étudier afin de compléter la compréhension de leur déclassement.
Le témoignage des lettres de relief de dérogeance
22La conscience du déclassement semble peu émaner des lettres de relief de dérogeance normandes étudiées par Gayle Brunelle35. D’une part parce que parmi les justifications des veuves qui demandent à être réhabilitées, figure souvent celles qu’elles ignoraient que leur époux était roturier, ou bien qu’elles avaient vécu avec lui noblement ou bien encore qu’elles n’avaient découvert sa roture qu’à la suite d’une enquête qui avait révélé qu’il était usurpateur de noblesse. D’autre part, lorsqu’elles disent avoir su que leur époux était roturier, elles affirment qu’elles ont été mariées étant mineures et sans qu’on leur demande leur avis, par leur père et mère ou encore par leur frère, du fait de leur pauvreté ou de la faiblesse de leur dot. Leur intérêt stratégique est toujours d’essayer de montrer qu’elles ont malgré tout continué à vivre noblement, sans oublier les droits de leur naissance. Se placer sur le terrain d’un autre déclassement, celui-ci économique, en mettant trop en avant leur pauvreté aurait pu en outre s’avérer dangereux puisque le fait de ne pouvoir tenir son rang était un autre motif de dérogeance. Ces divers éléments expliquent sans doute la discrétion du thème du déclassement. Son expression réside essentiellement, comme le note Gayle Brunelle, dans une certaine manière de se présenter comme les victimes d’une mésalliance ou, si on se rappelle la définition donnée par Joly de Fleury de la dérogeance au féminin, de rappeler le caractère involontaire de leur déclassement.
Être veuve d’un usurpateur
23Une autre situation est celle des veuves d’usurpateurs. Elle concerne des femmes qui ont été taxées à la suite des grandes enquêtes de noblesse qui ont marqué la seconde moitié du XVIIe siècle, essentiellement en deux étapes : une première vague entre 1666 et 1672, date à laquelle elle est interrompue, une deuxième vague dans les années 1696-1702 où l’urgence fiscale est de mise36. Les enquêtes sont confiées à des commissaires chargés de convoquer les nobles de la province et de compiler leurs titres, sous l’autorité des intendants. Ils doivent interpréter les usages provinciaux, demander des avis au conseil royal et aux maîtres de requêtes, rendre des décisions au cas par cas. Des traitants sont ensuite chargés de recouvrer les amendes37. De très nombreuses suppliques parviennent au conseil royal à différents stades de l’enquête qui nécessitent de la part des juristes des clarifications sur les points les plus controversés. Le cas des veuves d’usurpateurs fait partie de ceux-ci. Suite à la décision du commissaire à la recherche de noblesse de la soumettre à l’amende en tant qu’épouse d’un usurpateur ou du traitant de recouvrer la taxe à laquelle elle a été soumise, la plaignante se tourne vers le conseil du roi et produit une requête, sous forme manuscrite ou imprimée, un factum rédigé par un avocat ou un maître des requêtes. Une vingtaine d’affaires de ce type a pu être repérée dans des recueils manuscrits ou imprimés de la BNF, les recueils de factums de la collection Thoisy et des pièces manuscrites afférentes aux recherches de noblesse. Elles se déroulent entre 1670 pour la plus ancienne et 1720 pour la plus récente mais la plupart se situent au tournant des XVIIe et XVIIe siècles, c’est-à-dire au moment de la reprise des recherches de noblesse dans les provinces. Les veuves visées par l’amende sont néanmoins beaucoup plus nombreuses que ne le laissent entrevoir ces quelques factums. Dans l’un des registres que tient François Ferrand, le traitant le plus souvent cité par les requérantes durant les deux premières décennies du XVIIIe siècle, sont reportés les noms des personnes sur la situation de laquelle il lui a fallu statuer, en fonction des dates de réunion et de l’avancement des dossiers entre novembre 1704 et 1708. Parmi les noms couchés sur le registre (souvent les mêmes de mois en mois), les veuves représentent un peu plus de 15% du total38.
24Dans la grande majorité des cas, la requête des veuves vise l’amende à laquelle les usurpateurs ont été assujettis – qui s’élève en général à 2000 ou 3000 livres –, et parfois d’autres contributions comme la taille exigée par la communauté d’habitants de leur lieu d’habitation. Toutes les veuves requérantes ne demandent pas à être reconnues comme nobles, abandonnant leur prétention du fait de leur pauvreté. Ainsi, durant la deuxième recherche, une certaine Antoinette Lefevre, veuve de Jacques de Boessette, sieur de Saint Romain fait rédiger un factum manuscrit par Caumartin, conseiller d’État et intendant des finances, pour exposer que, bien qu’elle ait nommé par inadvertance son mari « écuyer », elle n’a jamais voulu « soutenir » la qualité de son mari39. Elle s’appuie sur la déclaration royale du 26 février 1697 qui exposait : « Les veuves et enfans des prétendus usurpateurs ne seront condamnez en aucune amandes ni restitutions s’ils ne se trouvent avoir jouy des privilèges et exemptions des tailles et autres charges des paroisses, ou avoir pris lesdites qualités dans quelque acte de la qualité susdite40 » ; mais les traitants semblaient souvent passer outre sur ce point41. De même, ils taxent à l’amende des femmes qui affirment n’avoir exercé aucun privilège depuis la décision rendue contre leur défunt époux. La veuve d’Antoine Darrest avait passé, elle aussi, en 1703 un acte notarié où elle qualifiait son mari d’écuyer. Plaidant la bonne foi, elle expose qu’elle n’a pour autant joui d’aucun privilège, « faisant son séjour à Paris où la noblesse luy est indifférente42 ». Là encore, un règlement du 22 mars 1666 précisait : « Les veuves et enfans des prétendus usurpateurs seront tenus de déclarer par devant les sieurs commissaires départis quinzaine après la signification qui leur sera faite de leur ordonnance s’ils entendent soutenir la qualité de noble, et en cas qu’ils en soient déboutez seront condamnez en l’amande et aux dépens43 ». L’abandon du mode de vie nobiliaire par cette veuve aurait donc dû éteindre la taxe.
25Lorsqu’à l’inverse, elles soutiennent la noblesse, les requérantes le font pour échapper à la taxe mais aussi pour restituer la qualité nobiliaire à leurs enfants. La procédure consiste donc à rapporter, dans le factum, les preuves exigées : preuves de filiation, contrats de mariage, anciennes chartes, généalogies constituées, preuve de chevalerie, etc. C’est aussi ce que doivent rapporter les hommes usurpateurs ou leurs descendants mâles mais les veuves se plaignent peut-être plus fréquemment de la difficulté à réunir les documents nécessaires. Ainsi, Marie Martin explique-t-elle en 1720 qu’elle « auroit depuis la mort de son mari fait faire de grandes recherches en Auvergne, dans le Bourbonnais et ailleurs pour recouvrer les anciens titres de la famille de sesdits enfants : lesquels auroient été les uns dispersés par la négligence de leurs prédécesseurs et les autres perdus et brûlés pendant les troubles arrivez sous le règne du roy Henry IV de glorieuse mémoire44 ». La veuve Darrest déclare, quant à elle, que son mari a été réhabilité en 1684, qu’il a payé la quittance en 1697 mais que le roi a supprimé entre temps toutes les lettres de réhabilitation qui ne lui ont pas été représentées (au terme de la décision de 1692), ce qu’elle ignorait, étant « étrangère à cette famille45 ». Antoinette Lefebvre relève que les veuves doivent généralement composer avec leur belle famille, « n’estant pas de la famille de leurs maris, au contraire estant bien souvent en mauvaise intelligence avec elle à cause de leurs reprises46 » : on comprend par là que la négociation pour le douaire ou la succession de l’époux était loin d’être toujours aisée et que la dispute des dépouilles pouvait donner lieu à des suites fâcheuses.
26Dans l’ensemble, cette situation où la noblesse se trouve mise en cause par une décision administrative est jugée déshonorante par les plaignantes, d’autant que son application dépend du bon vouloir d’un traitant, personnage jugé tout à fait méprisable par certains des protagonistes. La dame Laurence Lernec, veuve de Michel Aubert, écuyer, sieur de Bournouvaux se plaint amèrement de ses agissements. Elle a été mise à l’amende en 1697 parce que son mari avait été condamné en 1669, lors de la première recherche dans la province de Bretagne, faute d’avoir présenté tous ses titres. Celui-ci avait été cependant maintenu en 1671 par le procureur général de la commission mais, comme la commission avait été fermée peu après et qu’il était lui-même décédé ensuite, sa veuve n’avait pas eu connaissance de cette deuxième décision. Elle dénonce François Ferrand pour ne pas l’avoir mise au courant de l’ensemble de la procédure, d’autant que celle-ci est très éloignée dans le temps : « C’est une vexation de la part du traitant, de former des incidens de cette nature pour consommer en frais une pauvre veuve et le sieur de Bournouvaux son fils qui est depuis un an à la poursuite de cette affaire, à cause de l’injuste et indue rétention que le traitant a faite des productions de l’instance47 ». La publicité donnée à la déchéance par la procédure elle-même est parfois aussi à la source de la crainte d’un déshonneur qui entacherait l’ensemble de la famille. Louise Hébert, veuve de Me Jean Dames, un ancien doyen des avocats du Parlement de Paris a été condamnée à 2000 livres car elle a donné à son mari la qualité d’écuyer dans un acte de tutelle, ce qu’elle a reconnu comme une erreur du notaire. En marge de son factum, est inscrit ce commentaire qui exprime sans doute la teneur de la plainte reçue oralement par le rédacteur : « Joint qu’un arrest de condamnation déshonoreroit une mère aagée de plus de soixante-quinze ans, et quatre enfans dont l’aisné est conseiller au Chastelet, le deuxième docteur de la maison et société de la Sorbonne, une fille mariée à un Conseiller du Chastelet, et le quatriesme au service du Roy48 ». L’histoire relatée par le sieur Angenoust, appelé à prouver sa noblesse en 1701 devant l’intendant de Paris Phelypeaux dramatise encore cette crainte du déshonneur. Sa mère, Marie de Marigny, avait été condamnée en 1669 lors de la précédente enquête à 700 livres d’amendes. D’après la supplique de son fils, elle ne fut condamnée qu’en son nom parce qu’elle n’avait pas réussi à réunir les papiers nécessaires, mais les autorités ont, selon lui, sous estimé le fait qu’« une femme n’est guère capable de soutenir des affaires de cette importance ». Les poursuites eurent des conséquences dramatiques sur elle :
Elle mourut de douleur à l’âge de trente-six ans, deux mois après l’exécution faite sur elle en conséquence de l’ordonnance de M. de Caumartin, mais elle fit des protestations de se pourvoir contre le jugement, l’exploit qui est du dernier juillet 1669 en fait mention et elle aurait exécuté ce dessein, si elle avoit survécu aux poursuites faites contre elle : ce ne sont pas des faits imaginés à plaisir, son extrait mortuaire du premier jour d’octobre est produit avec l’exploit49.
27Quelle conception de la noblesse défendent, auprès du conseil du roi, ces veuves plaignantes ? Sans surprise, leurs arguments de fond portent sur le caractère imprescriptible d’un état qui a été donné par la nature à leurs enfants et qu’il n’est en pouvoir de personne de leur ôter. Anne Elisabeth Paquin de Clouange fait appel d’une ordonnance en 1704 : son mari, Charles du Faure, a vécu toute sa vie noblement sans savoir que son propre père, Jean Antoine du Faure, avait renoncé, lors de la précédente recherche de 1669, à apporter à l’intendant du Dauphiné les preuves de sa noblesse, étant trop pauvre et trop âgé pour soutenir la dépense nécessaire. Cette renonciation n’était connue d’aucun de ses enfants, ceux-ci étant tous dans les armées du roi, « obligés de porter mousquet », à cause de la pauvreté de leur père. Cette dernière indication est destinée à montrer que, bien que déchus, les enfants de Jean Antoine du Faure ont bien illustré, par le service rendu au souverain, la qualité de leur naissance. Pour ses deux enfants, Louis Victoire du Faure et Charlotte du Faure, la veuve défend que la noblesse « est un droit que la naissance et l’origine naturelle donnent, et qui est tellement acquis aux enfans nés, qu’il n’est point de renonciation de la part des pères qui leur puisse faire perdre cet état50 ». Une formulation identique est choisie par Marianne de Valentin, veuve de noble Louis Defleyres de Toulouse, qui déclare que son mari défunt n’a pu acquiescer à sa déchéance de son vivant car la noblesse lui était acquise « de droit et par nature », ni faire préjudice à ses enfants en acceptant de leur « ôter une qualité qui leur est acquise et que la nature leur donne51 ». Au-delà du droit et de la nature, Marie Martin, veuve de Bernard de Loëre, sieur de Monsuvry, insiste, dans sa requête de 1720 au profit de ses enfants (trois garçons et deux filles), sur la promesse d’avenir que la naissance noble représente pour les rejetons de la noblesse :
La suppliante considérant d’ailleurs que la noblesse est une qualité honorable qui rend généreux ceux qui la possèdent, et qui dispose secrètement l’âme à l’amour des choses honnêtes : que la vertu des ancestres donne cette excellente impression de noblesse, et que tout homme de bien issu de grands et illustres personnages ou de race purement noble ressent indispensablement au fond de son cœur un certain mouvement qui le presse d’imiter ses ayeuls52.
28Race et vertu sont ici indissociables : la vertu des ancêtres s’imprime dans la race – on retrouve ici cette même notion « d’impression » déjà rencontrée dans la plaidoirie de Joly de Fleury – qui elle-même pousse aux grandes actions.
29Dans tous les cas déjà évoqués, la noblesse à prouver est celle de l’époux. De celle-ci dépend la levée de la taxe et surtout la reconnaissance de la noblesse des enfants. C’est sans doute la raison pour laquelle les veuves ne cherchent pas particulièrement à évoquer leur propre naissance qui importe peu dans la procédure en cours, contrairement à ce qui se passe pour les lettres de relief de dérogeance. Parmi les factums, celui de Claude de Khontenant se distingue néanmoins. Issue d’une vieille famille de Bretagne, elle est la seule de tout l’échantillon à devoir prouver sa propre noblesse et non celle de son mari car c’est son père, Guillaume de Khontenan qui a été condamné en 1670. Parmi les justifications qu’elle donne, il y a le fait que la chambre de la réformation de la noblesse a fermé en Bretagne peu après la décision le concernant, qu’elle n’a pas eu connaissance du jugement et, qu’étant née dix ans auparavant, ses droits de naissance lui étaient déjà acquis. En outre, ayant épousé François Touronne, écuyer, elle « emprunte une deuxième noblesse » à son mari qui l’a aussi transmise à ses enfants. Veuve miséreuse, chargée de sept enfants, elle est aussi la dernière d’une des « meilleures familles de Bretagne53 », ce dont elle se prévaut à deux reprises. Dernière survivante de son lignage après la disparition de tous les siens ou bien fille héritière fière d’avoir recueilli tout l’héritage de ses ancêtres ? En tous cas, c’est en tant qu’elle est affectée financièrement et symboliquement par le déclassement de son père qu’elle pose sa requête. Comme Marie de Marigny, la mère du sieur Angenoust, c’est d’être déclassée « en son nom » et sans que cela porte d’ailleurs préjudice à ses enfants, qui suscite chez elle le sentiment d’avoir été injustement traitée.
30Déclassement particulier, la mésalliance d’une femme noble avec un homme roturier n’a sans doute pas eu une très grande importance numérique au XVIIe siècle mais des études de démographie nobiliaire devraient être entreprises pour le confirmer. Ce que montrent les documents qualitatifs, plaidoiries, recueils de sentences, listes administratives, lettres de chancellerie, factums, c’est que la définition d’une telle mésalliance n’allait pas de soi. D’un côté, la règle suivant laquelle « la femme suivait la condition de son mari » était très ancrée dans le droit coutumier. De l’autre, il semblait injuste de ne pas considérer la naissance de l’épouse de la priver de ses droits au moment de son veuvage. De là, une jurisprudence qui allait dans le sens d’un relèvement de dérogeance, confirmant l’importance de la naissance sur le mode de vie et le primat de la nature sur les privilèges. En ce sens, le débat sur la nécessité de recourir ou non à des lettres de relief de dérogeance n’est pas anecdotique : la question qui est ici posée est celle de la transmission des qualités naturelles à travers les siècles face à une interprétation politique qui faisait du roi la source et le garant de toute noblesse. De même, le face à face entre des autorités royales et des veuves touchées par les processus d’enquêtes de noblesse ayant abouti à décréter l’usurpation de leur époux révèle l’existence d’un des multiples points de tension entre ces deux conceptions antagonistes de la noblesse au XVIIe siècle. Tout comme pour les bâtards, les prétentions de la monarchie à exiger des preuves de noblesse de personnes se considérant elles-mêmes comme partie prenante d’une élite héréditaire, redoublait le sentiment de vexation que ces mêmes personnes ressentaient du fait d’une destinée malencontreuse qui avait amené une tache sur leur personne – tache de bâtardise, tache de roture. Et de cette dernière tache, les hommes de la noblesse n’était pas menacé au même titre, du moins pas parce qu’ils auraient choisi une compagne pour « fumer leurs terres ».
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Ouvrages à caractère de source
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Notes de bas de page
1 Sur ces aspects bien connus de l’évolution des conceptions nobiliaires entre la fin du XVIe et le XVIIe siècle, voir Jouanna 1975 ; Devyver 1973 ; Schalk 1996 ; Grell – Ramière de Fortanier 1999. Sur les conceptions généalogiques de la noblesse : Butaud – Piétri 2006 ; Bizzocchi 2010.
2 Therriat 1606 cité par Arlette Jouanna, L’Idée de race, cit., tome I, p.154-155.
3 Loyseau, 1678, p. 32.
4 Roque (de la) 1994, p. 83-88 et 415.
5 Le Roy Ladurie – Fitou 1991.
6 Nassiet 1995.
7 Roque (de la), 1994, p. 223.
8 Cité ici d’après la coutume de Reims Titre I, art I, § IV. Articles similaires pour les coutumes de Laon, art. I, § V ; Vermandois, art. XVI ; Châlons, art. I, § V ; Amiens, art. CXXIV ; Chauny, art. LXIX ; Sedan, art. IV.
9 La noblesse utérine de Champagne avait été conservée lors de la rédaction des nouvelles coutumes (Troyes, Chaumont, Vitry, Sens et Meaux), malgré l’opposition des assemblées des nobles de la province et en l’absence de position tranchée du Parlement de Paris. Ses bénéfices furent réduits à des aspects purement coutumiers après 1566 (Voir Roque (de la), 1994, p. 223-234). En 1667, une supplique des nobles « de côté maternel » indique qu’ils ne souhaitent pas revenir à une exemption totale vis-à-vis des droits du roi mais qu’ils jugent injustes que le critère retenu par les enquêteurs soit l’usurpation du titre d’écuyer et non le fait d’avoir ou non payé la taille (Responce des Nobles du costé maternel dans le comté de Champagne et Brye, s. l. n. d.). En revanche, par la voix de l’avocat François des Marests, ils demandent à être confirmés dans leurs privilèges qui « consistent à pouvoir acquérir et tenir fief, les partager noblement, prendre la garde noble des enfans par le survivant des père et mère, sortir de garde à douze et quatorze ans, emporter les meubles par le survivant de deux conjoints sans enfant, estre exempt du droict de jurée, et justiciable en première instance des baillifs et séneschaux » (Marests (des) 1667, p. 11). La noblesse utérine de Champagne a suscité un vif débat dans la seconde moitié du XIXe siècle chez les érudits spécialistes de la noblesse. Certains nient qu’elle ait jamais consisté en autre chose qu’une noblesse de seconde zone à mi-chemin entre la roture et la véritable noblesse. C’est la position d’Anatole de Barthélémy, pour lequel la maxime « la verge anoblit, le ventre affranchit » est à l’origine d’une confusion entre le statut de non-serf et celui de noble (Barthélémy (de) 1861, 1865). À l’inverse, p. Guilhiermoz émet l’hypothèse, qu’au Moyen Âge, la noblesse ne se serait transmise que par la mère, suivant l’adage « le fruit suit le ventre » (Guilhiermoz 1889, p. 509-536). Il est suivi par Verriest 1959-1960, p. 77-98.
10 Traité des droits de Francs-Fiefs 1744, p. 293.
11 Sur cette géographie coutumière féodale, voir Bourquin 1997, p. 136-165. Sur ses implications sur l’aînesse des filles, Steinberg 2012, p. 679-713.
12 Valin 1751, p. 109.
13 Recueil d’arrêts du parlement de Paris 1773, tome II, livre III, chapitre XXV, p. 175.
14 Art. CCLXX dans la coutume du maine ; art. CCLII dans la coutume d’Anjou.
15 La Jurisprudence du célèbre conseiller et jurisconsulte Guy Pape 1692, p. 117.
16 Coutume du bailliage de Troyes 1737, p. 32.
17 La Jurisprudence du célèbre conseiller et jurisconsulte Guy Pape, cit., p. 117. Sur ce sujet et ses déclinaisons sociales, voir Beauvalet-Boutouyrie 2001 ; Pellegrin – Winn 2003.
18 Recueil des coutumes de l’évêché de Metz, Titre I, art. I, § VII, dans Bourdot de Richebourg 1724, t. II, p. 414.
19 Journal des principales audiences du parlement 1757, tome V, p. 277-286.
20 Ibid., p. 284.
21 Bibliothèque de l’Arsenal, Ancien Fonds Ms. 672, Fonds Le Camus, f° 151-154. Joly de Fleury y fait référence dans sa plaidoirie : l’arrêt rendu au Parlement daterait du 17 janvier 1676 et aurait été rendu « au rapport de M. Goureau » (ibid., p. 283).
22 Ibid., f° 153 v°.
23 Ibid.
24 Journal des principales audiences du parlement 1757, p. 284.
25 Cette citation n’est pas représentative de la position de Loyseau. En effet, celui-ci discute pour savoir si les lettres sont nécessaires, tout comme le fait le théoricien de la noblesse Gilles de La Roque sans véritablement conclure sinon en notant les différences entre la position de Guy Pape et celles des autres juristes (Roque (de la) 1994, p. 545-546).
26 Condé (de) 1981, p. 124.
27 Brunelle 1995.
28 Pigeon 2011, p. ■■■-■■■
29 AN, série O1, différentes cotes de O1 21 à O1 84.
30 Expilly 1636, p. 10-13, « Si une damoiselle de race, veuve d’un docteur et avocat non noble d’extraction mais qui jouissait d’exemption de taille durant sa vie (décédé avant l’arrêt du Roy du 15 avril 1602) retient la qualité de Damoiselle ».
31 Sur cette révocation, voir Condé (de) 1981, p. 99-100.
32 Bourdot de Richebourg 1724, t. II, p. 564.
33 Condé (de) 1981, p. 93-100.
34 Journal des principales audiences du parlement 1757, p. 280.
35 Brunelle 1995.
36 Sur les recherches de noblesse, voir, entre autres études, Meyer, 1985, t. I, p. 29-61 ; Constant 1974 ; Cubells 2002 ; Blanc 2007 ; Piétri 2003.
37 Sur le travail des traitants et leur réputation, voir Dubost – Sahlins 1999, p. 101-114. Des traitants (et parfois les mêmes dont François Ferrand) ont été requis de la même façon pour percevoir les taxes sur les personnes s’étant vu révoquées leurs lettres de naturalité et de bâtardise par la déclaration de 1697. Les moyens de requêtes sont également comparables.
38 Bibliothèque Nationale de France (BNF) Ms. fr. 32 018, Recherches de noblesse. Affaires que Ferrand espère voir juger (1704-1708).
39 Factum pour Antoinette Lefebvre veuve de Jacques de Boessette, sieur de Saint Romain, défenderesse. Contre Mr Charles de la Cour de Beauval, chargé de la recherche des usurpateurs du titre de noblesse, demandeur, manuscrit, f°291 r° (BNF, Z-Thoisy-199, f° 291-292).
40 Ibid., f°291 v°.
41 Comme le montre cette note manuscrite non datée : « … et si depuis la mort de son marit elle luy avoit par quelques actes donné la qualité de Messire ou escuyer elle seroit condamnée à l’amende » (BNF, Z-Thoisy-429, f°31, à la suite des prescriptions sur les bâtards).
42 BNF, Z-Thoisy-200, Note manuscrite sans titre, f°18.
43 Cité par Factum pour Antoinette Lefebvre, cit., f°291 r°.
44 BNF, Ms. fr 32 267, Recueil de pièces relatives aux recherches de noblesse sous Louis XIV et Louis XV, f° 19 r° [1720].
45 BNF, Z-Thoisy-200, f°18.
46 Factum pour Antoinette Lefebvre, cit., f°291 v°.
47 Mémoire pour Dame Laurence Lernec Veuve de Michel Aubert écuyer sieur de Bournouvaux, opposante. Contre François Ferrand subrogé à la Cour de Beauval pour la continuation de la recherche de noblesse, demandeur, s.l. n.d., imprimé chez Jacques Le Febvre (BNF, Z-Thoisy-199, f° 223-224).
48 BNF, Z-Thoisy-199, Rapport manuscrit du sieur du Buisson f° 372-373.
49 Mémoire pour le sieur Angenoust, écuyer, sieur de Birouy, appelant contre le traitant de la recherche des usurpations du titre de noblesse intimé, imprimé (BNF, Z-Thoisy-203, f°404-405).
50 Lettre imprimée d’Anne Elisabeth Paquin de Clouange, au roi (BNF, Z-Thoisy-200, f° 364-365).
51 BNF, Ms. fr. 32 267, f° 61 [après 1698].
52 BNF, Ms. fr. 32 267, f° 19 [1720]
53 BNF, Ms. fr. 32 267, f° 168 [1718].
Auteur
EHESS-Centre de Recherches Historiques – Sylvie.steinberg@ehess.fr
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