2. Les sanctuaires de l’Aventin et l’intégration des populations en « marge » du corps civique de la cité
p. 417-468
Texte intégral
1Après avoir présenté un état des lieux cartographique des sanctuaires connus sur l’Aventin entre la fin de la République et le début du Principat, il semble important de considérer, dans une perspective historique, le rôle de ces édifices dans la vie civique et religieuse de la cité. Encore une fois, la présente étude ne prétend pas proposer une enquête exhaustive sur le sujet. Le choix a été fait de laisser de côté l’analyse des fonctions attribuées à ces édifices à la lumière des rapports plèbe-patriciat, et du caractère supposément plébéien de l’Aventin. En effet, cette lecture a été très largement privilégiée jusqu’à présent, au point d’occulter d’autres systèmes également évoqués par les sources, qui s’élaborent autour des édifices religieux de la colline. Sans faire abstraction du caractère éminemment plébéien de certains de ces sanctuaires, de récents travaux ont ainsi démontré que leur fondation eut une autre dimension, liée plutôt à la « politique extérieure » de Rome, face aux Latins notamment1.
2Le choix a donc été fait de privilégier ici une lecture centrée sur des événements et des moments précis au cours desquels s’élaborent d’autres logiques particulières autour des sanctuaires de l’Aventin. Il est ainsi proposé d’étudier les édifices religieux de l’Aventin par le biais d’une intégration historique, plutôt que par le biais exclusivement structurel. Cette approche devrait permettre en outre d’offrir une lecture plus dynamique de l’identité religieuse de l’Aventin, car elle oblige à considérer les relations de ces sanctuaires avec d’autres édifices de la Ville, et parfois au-delà, consacrés aux mêmes cultes.
3Parmi les motifs qui font système, le chapitre qui suit est plus particulièrement consacré à la fonction d’intégration que certains sanctuaires de l’Aventin ont pu endosser à l’égard des populations considérées en « marge » du corps civique de la cité : à savoir les femmes, les esclaves et les étrangers. La notion d’intégration renvoie ici à la définition donnée à l’occasion du colloque international organisé par le groupe de recherche italo-espagnol d’histoire des religions (Storia delle Religioni)2. Elle est ainsi envisagée comme un processus par lequel les facteurs religieux sont supposés maintenir une certaine cohésion entre des groupes sociaux distincts, ou entre des sujets qui pourraient potentiellement entrer en conflit.
4Pour la présente enquête, il a été nécessaire d’élargir le champ chronologique considéré au IIIe s. av. J.-C., afin de mieux appréhender le rôle essentiel que jouèrent certains cultes implantés sur l’Aventin à l’égard des catégories de populations considérées, et de mieux saisir également certaines évolutions essentielles que les cultes de l’Aventin connurent jusqu’à l’instauration du Principat. Il a été observé en effet que tout le IIIe s. av. J.-C. correspondit à une période d’« ouverture » de la religion romaine, la documentation la plus complète sur ce point concernant les années 218-2023. Ainsi la deuxième guerre punique, qui marqua durablement l’organisation de la société romaine, s’accompagna également d’importants bouleversements dans la structure du panthéon des divinités, avec notamment l’attribution de nouvelles caractéristiques aux cultes anciens, et l’intégration de nouvelles figures divines sur le territoire de Rome4. Toutefois, si certains chercheurs modernes ont perçu ces transformations comme une réaction consécutive à la terreur suscitée par les grandes invasions en Italie5, d’autres considèrent en revanche que les principales instances en charge des questions religieuses à Rome (prêtrises publiques, magistratures, Sénat) continuèrent à réagir comme elles l’avaient toujours fait, même si elles furent parfois soumises à des pressions plus fortes6. Quoi qu’il en soit, les innovations religieuses du IIIe s. av. J.‑C. ne manquèrent pas de susciter des réactions diverses au sein de la société romaine, qui se caractérisèrent surtout par une certaine hostilité au début des années 200.
5Dans ce contexte de changement, on remarque notamment l’émergence de nouveaux acteurs qui voient leur place dans la vie publique de la cité en partie redéfinie. Quoique situés en marge du corps civique, ces groupes de population assument ainsi, dès la fin du IIIe s. av. J.-C., un rôle notable dans le domaine religieux, et plus largement dans la vie politique et sociale de la cité. Certains sanctuaires de l’Aventin ont vraisemblablement joué un rôle dans ce processus. Outre leur intégration, ces édifices religieux semblent avoir également permis d’assurer la protection et l’intégrité juridiques de ces populations « marginales ».
6La présente enquête propose ainsi d’aborder la question de l’intégration et de la protection de groupes de non-citoyens à la vie sociale et éventuellement au corps civique de la cité, par le biais des pratiques rituelles ou des dispositions juridiques, institutionnelles et symboliques associées à certains sanctuaires de la colline. Il faut également déterminer comment ces pratiques et dispositions purent constituer par ailleurs des modalités de contrôle de ces populations en marge du corps civique à Rome.
2.1 Les sanctuaires de l’Aventin et le rôle religieux des femmes pendant la deuxième guerre punique
2.1.1 De Véies à Carthage : Junon Reine, les femmes et la préservation de l’État romain
7Dans le contexte de la deuxième guerre punique, parmi les sanctuaires de l’Aventin, celui de Junon Reine a joué un rôle essentiel dans certaines procédures de « médiation religieuse » entre Rome et son ennemi carthaginois. Le culte de Junon Reine fut importé à Rome sur l’initiative du dictateur Camille, après la chute de Véies en 396 av. J.-C. L’ensemble des sources atteste que ce transfert se fit par le biais de l’evocatio de la déesse (Liv., 5, 22, 3-7 ; D.H., 13, 3 ; Plut., Cam., 6 ; Val. Max., 1, 8, 3). Ce rituel avait pour but d’appeler la divinité hors de son siège (e-vocare) et de l’inciter à abandonner la cité qui s’était placée sous sa protection, par le biais d’une prière solennelle et de la promesse d’ériger des sanctuaires nouveaux et de célébrer des rituels fastueux à son intention (Macr., Sat., 3, 9, 1-3).
8Les sources à partir desquelles cette procédure a pu être étudiée se sont longtemps limitées à Tite-Live et Macrobe, qui évoquent les cas célèbres de Véies et de Carthage. Mais depuis les travaux de V. Basanoff7, cette documentation s’est enrichie d’une inscription, découverte en Cilicie, relative à la prise de la ville d’Isaura Vetus par le proconsul P. Servilius Vatia en 75 av. J.-C.8. Selon J. Le Gall, cette inscription a permis d’éclairer certains points relatifs à l’evocatio qui constituait « un rite banal du vieil arsenal religieux romain de la guerre »9. On comprend notamment qu’il existait vraisemblablement une formule générale, laquelle était adaptée à chaque cas selon ce que l’on savait du panthéon de l’ennemi. Les pontifes étaient chargés de procéder à ces ajustements. Certainement l’evocatio de la Iuno Regina de Véies, survenue au IVe siècle, comportait ses modalités propres, que l’on peut déduire des sources du Ier s. av. J.-C. M. Torelli a ainsi relevé, d’après les données transmises par Tite-Live, que l’evocatio a entraîné le transfert du seul signum de la déesse10. Selon le chercheur italien, la déesse conserva en effet un sanctuaire et un culte dans l’ancienne cité étrusque, mais fut désormais placée sous le strict contrôle de l’État romain.
9Selon G. Dumézil11, cette evocatio de Junon Reine permit à Rome d’obtenir pendant un temps la protection de la déesse contre ses ennemis. Mais à partir de la deuxième guerre punique, les Romains durent à nouveau se concilier la déesse. Bien sûr, cette politique de conciliation ne concerna pas uniquement Junon12, et ne se limita pas non plus à la seule Junon de l’Aventin. Les sources attestent en effet qu’au moment des grandes défaites romaines, lorsque de nombreux prodiges se manifestèrent, exprimant ainsi la colère divine, des mesures expiatoires furent également adressées à Junon Sospita et à la Junon Reine du Capitole13. Au-delà du sanctuaire de l’Aventin, cette période fut donc marquée par une ferveur élargie à l’égard de la déesse, sous ses différentes épiclèses.
10Les motifs d’une telle ferveur s’expliqueraient par le fait que la déesse tutélaire de Carthage, dont le nom ne pouvait être rendu qu’en grec ou en latin, équivalait à la déesse reine, Héra/Junon14. La reconnaissance de cette équivalence entre la déesse tutélaire des Carthaginois et la Junon latine est peut être très ancienne15, mais au moment des guerres puniques, elle revêtit un caractère spécifique. Notamment parce que Junon était réputée être la protectrice d’Hannibal, qui lui vouait un culte tout particulier. Tite-Live (28, 46, 15-16) rapporte ainsi que le chef carthaginois érigea un autel et fit graver, en grec et en punique, le récit de ses exploits dans le temple d’Héra du Cap Lacinien, près de Crotone en 205 av. J.-C. Polybe (3, 33, 18) mentionne également cette inscription, qu’il a vue et utilisée notamment pour fixer les effectifs d’Hannibal lors de ses campagnes en Espagne et en Italie, ce qui permet d’admettre l’authenticité de ce document. Chez Tite-Live, la mention de cet épisode se situe à la fin du livre 28, lorsque l’invasion de l’Afrique par l’armée romaine est imminente, tandis que le livre 29 décrit l’arrivée de Scipion en Sicile pour préparer cette invasion. Selon M.K. Jaeger16, le monument placé ainsi entre les deux livres marque, dans la construction narrative livienne, la fin des succès d’Hannibal en Italie, séparant le passé, qui appartient au chef carthaginois, du futur qui sera celui de Scipion. Si l’historien cherche, par cette construction narrative, à détourner la fonction commémorative de l’inscription réalisée sur l’initiative d’Hannibal en la mettant en rapport avec la nouvelle hégémonie romaine, ce témoignage n’atteste pas moins l’importance de la déesse dans l’idéologie religieuse du chef carthaginois17. Ce lien est également évoqué dans les Punica de Silius Italicus (12, 712), qui rapporte comment Junon permit à Hannibal d’accumuler les succès18. Dans cette œuvre, comme dans toute épopée, les figures divines dépassent et mènent les actions des individus. L’association Junon / Hannibal fait pendant à l’association Jupiter / Scipion, qui incarne les sauveurs de Rome et la victoire de la Vertu19. Elle structure également l’œuvre de Silius Italicus, qui chemine de la défaite vers la victoire de Rome, un héros et une divinité étant explicitement associés à chaque étape, au début et à la fin de l’œuvre. Le lien intime entre Hannibal et Junon, affirmé par les sources romaines, explique donc aussi que les Romains furent particulièrement sensibles à tout ce qui pouvait indiquer un mécontentement de la part de la déesse pendant les guerres puniques, ainsi que les nombreux honneurs qui lui furent adressés, aussi bien à Rome que dans le Latium.
11À côté des expiations réalisées pendant les conflits, un commentaire de Servius à propos de l’Énéide de Virgile (12, 841) indique que la Junon carthaginoise fit l’objet d’une exoratio à la fin de la deuxième guerre punique, et qu’elle fut ensuite transposée (translatio) à Rome, à la fin de la troisième guerre punique20. Si l’exoratio, dont le commentaire de Servius serait la seule attestation, constitue un rituel difficile à définir21, le transfert de Junon aurait de toute façon impliqué une evocatio préalable de la déesse, peu avant la destruction de Carthage22. L’hypothèse est d’autant plus vraisemblable que l’inscription d’Isaura Vetus atteste que ce type de rite ne concernait pas exclusivement les divinités protectrices des cités italiennes. Elle donne ainsi crédit aux propos de Macrobe (Sat., 3, 9, 1-3), qui place Carthage parmi les cités dont la divinité tutélaire fut évoquée. Il est donc vraisemblable que la divinité concernée par cette formule d’evocatio, dont Macrobe ne précise pas le nom (Sat., 3, 9, 7), fut justement Junon. Quant à la formule de cette evocatio, Macrobe en aurait conservé le texte d’après un certain Furius, peut-être L. Furius Philus, un contemporain de Scipion23.
12Plus d’un siècle après l’evocatio de la Junon étrusque de Véies, Rome aurait ainsi procédé de même avec la Junon de Carthage (Serv., Aen., 12, 841). Selon G. Dumézil, l’équivalence ancienne entre la déesse tutélaire de Carthage et la Junon romaine donna lieu à une interpretatio spécifique dans le contexte des guerres puniques24. On peut donc se demander qu’elle fût la dénomination et la nature de cette interpretatio, à l’occasion du transfert de la déesse carthaginoise. Il est généralement admis qu’elle passa à Rome sous le nom de Iuno Caelestis, lequel supplanta celui de Tanit sur l’ancien territoire de Carthage, désormais dominé par Rome25. Selon l’hypothèse de M. Bénabou26, ce nom attribué à la déesse renverrait aux deux « facettes » de cette entité divine, formant un tout unitaire : Junon représenterait la part superficiellement romanisée de la déesse, Caelestis la part punique vivace. S’ajoute à cela, la découverte d’inscriptions dédiées à Iuno Caelestis sur l’ancien territoire de l’Afrique Proconsulaire, qui a encouragé l’historiographie à interpréter cette figure comme une divinité syncrétique, régnant sur le panthéon de l’Afrique romaine. Cependant M. Sebaï27 a mis en doute l’attribution d’un tel rôle à cette figure divine. Reprenant le dossier épigraphique, elle a en effet observé que la documentation se référant à Junon Caelestis est finalement assez rare, en particulier sur le site de Carthage, dont elle est pourtant supposée être la principale divinité protectrice28. À la lumière de cette nouvelle lecture du dossier épigraphique et de son contexte topographique, la chercheuse suggère donc que Iuno Caelestis n’aurait à priori aucun rapport avec une opération syncrétique. Il pourrait s’agir plutôt d’une divinité romaine, Junon Céleste, que l’on pourrait interpréter comme une Junon classique étendant son pouvoir sur les espaces célestes29. Ou bien, selon une autre hypothèse suggérée par l’une des nombreuses inscriptions découvertes à Thuburbo Maius (ILAfr., 231), où la déesse est majoritairement attestée, il pourrait s’agir de la force divine qui naît au moment de la constitution de tout être au féminin : une sorte d’équivalent du Genius, réunissant les capacités d’action de Caelestis. Selon M. Sebaï, il est donc peu vraisemblable que Iuno Caelestis ait été une divinité syncrétique liée au destin de la Carthage romaine30. Ces remarques sont renforcées par le fait qu’aucune des sources littéraires évoquant le devenir de la divinité tutélaire de Carthage ou les liens entre Junon et Hannibal, ne fait explicitement allusion à une Junon Céleste. Servius (Aen., 12, 841) parle de l’exoratio et de la translatio de Junon sans préciser son épiclèse. Quant à l’affirmation que la Junon Lacina de Crotone était honorée par Hannibal, parce qu’il aurait reconnu en elle la Tanit de Carthage31, rien n’est moins sûr selon M. Sebaï. Cette affirmation se base sur l’idée que la génisse en or que le général carthaginois aurait dédiée à Junon Lacina serait l’animal symbolique de la Tanit punique, ce qui n’est étayé par aucun document. Si un animal symbolique devait être associé à la déesse, la colombe semblerait plus appropriée32.
13Si l’identité de la déesse tutélaire de Carthage transférée à Rome et l’épiclèse de son interpretatio romaine sont incertaines33, cela ne met pas en cause le rôle central de Junon, ni la place singulière qu’elle occupa au côté de l’ennemi pendant la deuxième guerre punique, d’après la tradition romaine. G. Dumézil34 a d’ailleurs observé comment, dans ce contexte, les sources romaines attribuèrent à Junon une carrière mythologique spécifique après la fin de la troisième guerre punique, que l’on retrouve sous une forme rationalisée dans les poèmes de Virgile et d’Horace. Ainsi, les poètes rappellent qu’elle ne fut pas toujours protectrice de Rome et qu’elle fut d’abord, à travers la figure d’Héra, la déesse grecque ennemie de Troie (Verg., Aen., 12, 841). À ce titre, elle nécessitait des soins particuliers et incessants, et l’action d’Énée pour se concilier ses faveurs n’est pas sans évoquer celle de Camille au IVe s. av. J.-C., puis celle des Romains pendant la deuxième guerre punique.
14Dans la politique de conciliation de Junon qui caractérisa cette dernière période, le sanctuaire voué à Iuno Regina sur l’Aventin semble avoir joué un rôle notable. Il est utile de revenir ici sur la nature précise de ce rôle, ainsi que sur les catégories d’individus impliquées dans ce processus de conciliation.
15Tite-Live rapporte ainsi plusieurs mesures expiatoires de prodiges impliquant le sanctuaire aventinien de Junon Reine :
– En 218, à l’occasion du prodige des corbeaux qui s’introduisirent dans le temple de la déesse à Lanuvium, les décemvirs consultèrent les Livres Sibyllins ; on fit une offrande de quarante livres d’or à la Junon Sospita de Lanuvium et les matrones romaines furent chargées de consacrer une statue de bronze dans le temple de Junon Reine sur l’Aventin (Liv., 21, 62, 8).
– En 217, à la suite de nombreux prodiges survenus à Rome et dans plusieurs cités d’Italie, on fit des dons en argent à la Junon capitoline en même temps qu’à Minerve, tandis que Jupiter capitolin reçut des dons en or. Le sacrifice de grandes victimes fut établi pour la Junon de Lanuvium et pour celle de l’Aventin. Enfin, les matrones durent procéder à des offrandes et célébrer un lectisternium en l’honneur de la Iuno Regina aventine (Liv., 22, 1, 17-18).
– En 207, alors que vingt-sept jeunes femmes apprenaient les chants sacrés composés par le poète Livius Andronicus, qu’elles devaient chanter en traversant la ville afin d’expier de nouveaux prodiges liés à des naissances monstrueuses, le temple de Junon Reine sur l’Aventin fut frappé par la foudre. Une fois encore, les matrones romaines furent chargées d’apaiser la déesse et lui dédièrent un grand bassin d’or et deux statues de cyprès. Toujours à cette occasion, les décemvirs demandèrent également qu’une procession se rendît depuis le Temple d’Apollon Medicus jusqu’au temple de la déesse sur l’Aventin, le long du clivus Publicius (annexes, pl. IX). Le cortège était composé de deux génisses pour le sacrifice, deux statues de bois de cyprès à dédier à Junon Reine sur l’Aventin, et d’un groupe de vingt-sept jeunes femmes (virgines) chargées de chanter un hymne en l’honneur de la déesse (Liv., 27, 37, 7-11).
– Après la fin du conflit, d’autres événements, survenus notamment autour de 200, avaient une nouvelle fois nécessité de recourir à des expiations. En particulier des naissances monstrueuses avaient conduit les décemvirs à demander qu’un hymne fut à nouveau chanté en l’honneur de la Junon Reine de l’Aventin par trois groupes de neuf vierges chacun, et que celles-ci fassent un don à la déesse (Liv., 31, 12, 9 ; cf. Obseq., 46, 48 – Schlesinger 1959).
16Une mise en regard de ces différents événements révèle en premier lieu que les femmes romaines furent les principales actrices de ces mesures d’expiation. Ensuite, comme l’observe J. Champeaux35, que les prodiges advenus en 218 et 217 donnèrent lieu à des formes anciennes d’expiation, basées sur une tradition d’offrandes matronales : une offrande en métal précieux en 218, le produit d’une collecte effectuée auprès des matrones et le sacrifice d’une victime adulte en 217. On retrouve cette même tradition d’offrandes matronales en 207, avec l’offrande d’un bassin en or réalisé avec le produit d’une collecte36. Mais de nouvelles mesures expiatoires furent également mises en œuvre, en raison de la nature exceptionnelle et inédite de certains prodiges survenus en 207, en particulier les naissances d’hermaphrodites37.
17Ce phénomène n’est pas absolument nouveau à Rome : un premier cas de naissance d’enfant intersexué est attesté en 209 à Sinuessa (Liv., 27, 11, 4)38. Mais dans ce cas de figure, il n’avait pas été considéré comme un prodige, car il aurait dû pour cela être reconnu comme tel par un magistrat39. Ce n’est donc qu’au début de la deuxième guerre punique que les naissances d’hermaphrodites commencèrent à susciter l’attention des autorités religieuses romaines, qui ne s’en désintéresseront pas avant le début du Ier s. av. J.‑C.40
18On peut dès lors s’interroger sur les raisons précises pour lesquelles ce type de phénomène en particulier commença à poser problème à Rome au cours de cette période. C. Daremberg et E. Saglio41 notaient en leur temps que le concept d’une figure divine originaire, complète dans son essence et réunissant les deux sexes, était particulièrement présent dans les religions orientales. Dans la religion syro-phénicienne, Astarté est une divinité hermaphrodite, tandis que le caractère d’hermaphroditisme essentiel se retrouve également dans la légende d’Adonis, dieu de Byblos. À Carthage, Didon Astarté est représentée avec la barbe de Melquart, et le dieu fils, Dol est hermaphrodite. Cette spécificité de certaines figures divines du panthéon carthaginois pourrait-elle expliquer l’intérêt de la religion romaine pour ce type de naissance dans le courant de la deuxième guerre punique ? Il paraît difficile de mettre sur le même plan l’hermaphrodisme divin et le phénomène des naissances intersexuées, particularisme physique observé dans les sociétés humaines. En outre, le présumé caractère orientalisant des divinités hermaphrodites a été depuis contesté par les travaux de M. Delcourt42. En revanche, si l’on considère les mesures singulières mises en œuvre pour répondre à ces prodiges et le rôle spécifique qu’y jouèrent les femmes, les raisons de cette inquiétude particulière à l’égard de l’hermaphrodisme dans le monde romain, à partir des secondes guerres puniques, semblent plus claires.
19Sans s’étendre sur la question complexe des autorités compétentes pour déterminer les formes d’expiation adéquates43, il faut noter, à la suite de J. Champeaux44, que le prodige des naissances d’hermaphrodites pose un problème nouveau, auquel les réponses traditionnelles apportées par les pontifes ne semblent plus suffire, et nécessite ainsi le recours à des sacerdoces spéciaux : les haruspices que l’on fait venir d’Étrurie, et les décemvirs de Rome, chargés de la consultation des Livres Sibyllins apportés de Cumes. Les membres de ces deux collèges décidèrent le recours à un rite d’élimination, auquel ils ajoutèrent un rite positif : la composition d’un chant interprété par trois groupes de neuf vierges45. L’efficacité de ce type de rite expiatoire, articulant annulation et réparation, semble avoir été reconnue, car on eut recours aux mêmes cérémonies pour des naissances ultérieures d’hermaphrodites46.
20Tite-Live (27, 37, 3) attribue la formulation du rite d’élimination aux haruspices. Selon B. MacBain, le recours au pouvoir purificateur des eaux dans ce cas – l’enfant touché par cette anomalie devant être noyé – serait une pratique exclusivement étrusque47. Cependant, d’autres chercheurs ont observé que ce mode d’élimination intervient aussi très fréquemment dans les récits d’expositions d’enfants dans le monde grec48. J. Champeaux49 considère pour sa part qu’un tel usage revêtait également un caractère romain, comme l’atteste, entre autres, le recours au châtiment par noyade contre les parricides. La tradition (Plut., Rom., 22, 5 ; Oros., hist., 5, 16, 23) situe d’ailleurs les premiers jugements de parricides en 200, 133 et 110, au même moment que les naissances d’hermaphrodites50. Il apparaît ainsi que l’androgynus, comme le parricida, était assimilé à un monstrum51. La procuration de l’un et le mode d’exécution de l’autre visaient à mettre le monstrum en dehors du corps des citoyens52.
21Pour ce qui concerne la partie positive du rituel d’expiation, J. Champeaux remarque que ce type de procession, comprenant un carmen original composé par un poète de renom et interprété une seule fois par un chœur de jeunes femmes, n’était peut-être pas une nouveauté absolue à Rome53. D’après une scholie qui pourrait remonter à Verrius Flaccus, on aurait organisé des jeux et des chants en l’honneur de Dis et Proserpine, suite à une série de prodiges, dès la première guerre punique, pendant les ludi Tarentini de 249 av. J.-C. (Ps. Acr., in carm., 8 ; Cens., 17, 8 ; Aug., civ., 3, 18, p. 126 D). Si les sources ne précisent pas qui avait interprété ces chants, il est possible qu’ils fussent entonnés par des processions de jeunes femmes et de jeunes gens, comme ce fut le cas plus tard lors des jeux « séculaires », dont les ludi Tarentini furent peut-être une première version54. Ainsi, Livius Andronicus pourrait avoir été influencé par le précédent de 249 pour la mise en scène du carmen de 207, ou peut-être aurait-il puisé son inspiration directement de la Grande Grèce, où l’usage de chœurs féminins est attesté par la fresque d’une tombe de Ruvo datée de 40055. Que le chant de 207 eut été composé et mis en scène sur l’initiative des décemvirs56, ou bien sur celle des pontifes d’après les conseils de Livius Andronicus57, l’influence hellénisante de cette cérémonie paraît assez claire.
22Un autre aspect novateur, particulièrement intéressant pour notre propos, réside également dans la place centrale qu’y occupent les femmes. Celles-ci ont déjà un rôle de premier plan lors des rituels d’expiation effectués en 218 et 217. Mais cette fois, elles interviennent dans le cadre d’une procession publique, conduite à travers la cité et constituée d’un chœur exclusivement féminin, qui démarre son parcours hors du pomerium et traverse l’Vrbs pour en ressortir, avant d’atteindre le temple de Junon Reine (annexes pl. IX). Ce type de processions publiques féminines, qui apparaît comme une pratique courante dans le monde grec, constitue une véritable nouveauté à Rome58. On la voit se développer déjà en 216, en lien avec les cultes « thesmophoriens » de Cérès et Proserpine (Liv., 22, 56, 4). Mais tandis que ces rites se concluaient par une déambulation et des lamentations nocturnes évoquant la « découverte de Proserpine »59, dans le cas de Junon Reine, il s’agissait d’une procession diurne. Ainsi, le rôle des femmes dans la vie religieuse de la cité avait été assez strictement limité jusque lors60. À l’occasion de ce nouveau type de cérémonies, réitéré par la suite, elles assumaient désormais un rôle plus visible dans l’espace public.
23Dès lors, il est intéressant de préciser la nature du rôle joué par les femmes à l’occasion de telles pompae. Pour cela, il faut revenir sur les caractéristiques de la figure divine à laquelle furent adressées les processions de 207. Si Junon Reine ne fut pas d’emblée définie par les autorités compétentes comme destinataire légitime des processions visant à expier le prodige des naissances d’hermaphrodites, elle le devint manifestement au cours de cette année (Liv., 27, 37, 5-9). Une telle attribution pourrait s’expliquer en premier lieu parce que le problème des naissances d’hermaphrodites est clairement lié à la sphère de l’enfantement. Or, il est bien connu que par ses attributions, Junon relève de ce domaine61. La Iuno Regina de l’Aventin, à laquelle sont adressées les processions d’expiation pour les naissances d’enfants intersexués à partir de 207, ne déroge pas à la règle. Les dépôts votifs découverts à Véies suggèrent le lien de cette figure divine avec la sphère féminine et l’éducation des fils62. La déesse conserva certainement ces attributions après son transfert à Rome. Selon Tite-Live (5, 31, 3-5 et 52, 10), la dévotion des femmes à l’égard de la déesse se manifesta dès l’inauguration du sanctuaire au IVe s. av. J.‑C. D’après R.E.A. Palmer63, de telles manifestations de ferveur s’expliqueraient parce que Junon Reine était une divinité plutôt liée à la sexualité féminine, mais il faut l’entendre ici au sens large, englobant la sphère de la maternité. Ces attributions de la déesse se maintinrent certainement pendant la deuxième guerre punique, expliquant ainsi son rôle dans les mesures d’expiation pour les naissances d’hermaphrodites.
24Une telle importance accordée à la question de la natalité peut aisément s’expliquer dans un contexte de guerre. Les conflits occasionnant des pertes démographiques considérables, en particulier chez les jeunes hommes en âge de procréer, une natalité forte d’individus sains devient dès lors une question centrale pour la survie de la cité. Le fait que de jeunes femmes vierges participent aux cérémonies expiatoires n’est pas un fait anodin. Comme l’a souligné S. Montero Herrero64, ces futures matrones sont les premières concernées par la naissance d’hermaphrodites, auxquels leurs congénères ont donné le jour. Ce sont elles qui devront assurer la naissance future d’enfants sains, et préserver ainsi la cité de la dégénérescence. D’où leur participation en première place, aux côtés des matrones, lors des cérémonies expiatoires de 207 et celles qui suivront.
25Le rôle des femmes dans l’engendrement et la préservation des forces vives de la cité, mis en avant à l’occasion de cette cérémonie, trouve confirmation dans un autre événement. Ce n’est sans doute pas un hasard si la même année, toujours sur l’Aventin, l’aedes Iuventas fut érigée pendant la bataille du Métaure par M. Livius Salinator, fils du patron et protecteur de Livius Andronicus65. M. Torelli66 a expliqué la construction de ce temple par les difficultés de recrutement que rencontrait alors l’armée romaine, en raison des nombreuses pertes subies lors des campagnes précédentes. Or, ce furent les jeunes recrues de l’armée romaine qui, presque deux siècles plus tôt, avaient demandé à la Junon Reine son consentement, avant que son signum ne fût transporté sur l’Aventin (Liv., 5, 22, 3-7), inaugurant ainsi une nouvelle pratique rituelle. D’abord réservé à un prêtre issu d’une gens déterminée de Véies, le droit d’approcher la déesse tutélaire de la cité étrusque fut dès lors transféré aux iuvenes de Rome67. L’épisode conforte ainsi le lien entre le culte de Junon Reine et celui de la Jeunesse établis sur l’Aventin. Il s’ajoute à un ensemble d’éléments soulignant l’importance accordée aux naissances saines dans un contexte de guerre, permettant d’expliquer la place de premier plan désormais accordée aux femmes dans la vie religieuse de la cité, par le développement de pratiques rituelles liées à Junon, en tant que déesse associée à la fécondité.
26Le lien entre Junon Reine et Iuventas amène aussi à considérer une autre caractéristique de la déesse : sa dimension guerrière. Cet aspect n’est pas sans conséquence sur la manière d’appréhender la signification des processions rituelles des femmes en direction de la Junon aventine dans le contexte des guerres puniques.
27En revenant à la liste des prodiges mentionnés par Tite-Live, on observe en effet que la sphère féminine de l’enfantement n’est pas la seule impliquée dans les procédures d’expiation adressées à cette déesse, et s’arrêter à cette seule fonction aurait tendance à réduire le rôle religieux, mais également social, que les femmes commencèrent dès lors à revêtir à Rome. Ainsi, selon C.E. Schutz68, c’est d’abord la présence de vierges dans le cortège processionnel de 207 qui doit être mise en relation avec la question des naissances d’hermaphrodites. Individus entre deux classes d’âge, ces jeunes femmes constituaient le lien entre enfance « saine » et maternité « normale », deux domaines compromis par les naissances d’enfants intersexués. Tandis que la présence de matrones fut, selon elle, davantage liée au prodige de la foudre qui frappa le temple de Junon Reine, pendant que les jeunes vierges répétaient le carmen composé par Livius Andronicus dans le temple de Jupiter Stator. Or, ce prodige faisait écho à la crise politique et militaire qui avait marqué l’année 207 et aux troubles qui survinrent en Étrurie. C’est donc le domaine de la guerre et celui de l’imperium romain qui sont cette fois concernés et justifient le soin apporté à la conciliation de Junon Reine. En effet, comme l’ont noté R.E.A. Palmer69 et G. Dumézil70, le titre de Regina présente Junon comme une maîtresse politico-religieuse. À Véies, cette figure divine était étroitement liée au roi qui dominait la cité au Ve siècle. L’evocatio de la divinité tutélaire de Véies par les Romains permettait donc de se concilier une divinité liée à la sphère du pouvoir et d’entériner la suprématie de Rome sur la cité étrusque et son territoire. Ce n’est donc pas un hasard si elle fut sollicitée dans les procédures d’expiation de 207, lorsque cette hégémonie fut ébranlée par les troubles en Étrurie71.
28Il faut noter par ailleurs que, dans les différentes cérémonies d’expiation énoncées au début de ce chapitre, Junon Reine est souvent associée à la Junon Sospita Mater Regina de Lanuvium, également liée aux domaines de la souveraineté, de la guerre et de la fécondité72. En 338 av. J.-C., au terme de la victoire de Rome sur la ligue latine, la citoyenneté sine suffragio fut accordée aux habitants de Lanuvium tandis que le culte de Junon SMR demeura dans la cité latine, à la condition que le temple et le culte soient partagés avec le peuple de Rome (Liv., 8, 14, 2). Par la suite, les consuls rendirent chaque année les sacrifices rituels à la déesse. Junon SMR demeura donc associée aux événements qui affirmèrent la domination de Rome sur le Latium, et il faut rattacher à cette fonction, son implication dans les supplicationes de 217, après le désastre du Lac Trasimène, puis en 20773.
29Du fait de ces attributs fonctionnels, c’est donc plus largement la question de l’hégémonie romaine en Italie qui fut impliquée dans les actes de dévotion qui furent adressés à Junon, à Rome en général et sur l’Aventin en particulier, pendant la deuxième guerre punique. Le rôle particulier de la Junon Reine de l’Aventin dans ce domaine se révéla à la suite des événements de 207 et des cérémonies d’expiation qui suivirent, au cours desquelles la place des femmes fut prééminente.
30Ces éléments confirment ainsi qu’à partir de la deuxième guerre punique, le rôle des femmes dans la religion publique devint nettement moins marginal et surtout, ne se limita pas à la seule sphère de la féminité, mais concerna également des célébrations à fort impact dans les domaines politique et civique74. Dans le cadre de ces rituels, fécondité normale et préservation de l’intégrité de l’État romain paraissent étroitement imbriquées et complémentaires. Isoler ces deux aspects et privilégier l’un ou l’autre tend à réduire, non seulement le rôle public désormais accordé aux femmes dans la vie religieuse et sociale de la cité, mais aussi la complexité et les différents niveaux de lecture qui structurent certaines figures divines auxquelles les femmes romaines furent particulièrement attachées, telles que Junon Reine. Certes, C. E. Schultz75 remarque, à juste titre, que les cérémonies d’expiation dans lesquelles intervinrent ces femmes étaient des événements religieux ponctuels par essence. Cependant, les bouleversements qu’ils entraînèrent, tant sur le plan rituel que dans la définition du rôle des femmes dans la vie publique, ont touché la société romaine en profondeur et de manière durable. D’autres événements impliquant des sites religieux de l’Aventin, et les réactions qu’ils ont suscitées, révèlent la pérennité de ces bouleversements.
2.1.2 La lex Oppia et le nouveau rôle des femmes dans la cité
31En 195 av. J.-C., quelques années après la fin de la deuxième guerre punique, advint un événement singulier dont Tite-Live (34, 1-8) nous a conservé le souvenir76. Il s’agit des protestations féminines contre la lex Oppia de 215 av. J.-C. L’épisode n’est pas anodin, puisque ce rassemblement de femmes se tint sur le forum Romanum, haut lieu de la vie politique. À la lumière des éléments évoqués dans le précédent chapitre, on peut se demander dans quelle mesure cet épisode confirme que le rôle des femmes dans la vie de la cité avait été bouleversé en profondeur, et plus encore, que celles-ci avaient parfaitement intégré la portée de ce rôle nouveau.
32Rappelons que la lex Oppia était une loi somptuaire, visant à interdire aux femmes certaines formes d’ostentation77. Elle fut établie en 215 av. J.-C. par les consuls Q. Fabius et T. Sempronius au moment où Rome, en pleine guerre contre Hannibal, connaissait une grave crise financière qui avait déjà imposé aux Romains une série de restrictions. Une vingtaine d’années plus tard, alors que Rome semblait avoir retrouvé une certaine stabilité économique, les tribuns de la plèbe, Marcus Fundatus et Lucius Valerius, proposèrent l’abrogation de cette loi par un plébiscite. Cette proposition suscita de vives discussions au sein de la société romaine et surtout, elle entraîna la « mobilisation » des femmes romaines sur les places publiques pour en revendiquer la suppression. Elles formèrent des sortes de groupes de pression, siégeant devant la demeure des tribuns M. et P. Iunius Brutus, qui avaient opposé leur veto au plébiscite de M. Fundatus et L. Valerius, exhortant les citoyens à voter l’abrogation de la loi, et formant des délégations auprès des consuls et des préteurs pour les rallier à leur cause. Dans ce contexte, le très conservateur Caton, alors consul, s’était fait le porte-parole des partisans pour le maintien de cette loi. Mais plus que la loi elle-même, c’était surtout un certain ordre social qu’il entendait sauvegarder. La bravade des femmes lui était, de ce point de vue, intolérable : elles avaient osé sortir du cadre domestique où elles étaient habituellement confinées et, faisant fi de l’autorité du pater familias, elles s’étaient rendues au forum pour contester une loi votée par les comices centuriates. Contre le discours de Caton, c’est le tribun L. Valerius qui prit la parole en faveur de l’abrogation de la loi78. Il faut revenir sur la teneur de ces débats et les questions qui entrèrent alors en jeu, afin de mieux saisir l’ampleur des changements qu’ils suggèrent, concernant la situation des femmes romaines dans la vie publique.
33Pour cela, il faut s’interroger sur l’élaboration du récit livien et l’authenticité de son contenu. Selon J. Briscoe79, le discours de Caton est une libre composition de Tite-Live, et il ne s’agit pas d’une allocution originale remaniée par l’historien. En effet, parmi les nombreux fragments de discours de Caton qui nous sont parvenus, pas un seul ne fait allusion à un éventuel plaidoyer en faveur de la lex Oppia. Par ailleurs, il s’agit de la seule mention chez Tite-Live d’un discours de Caton in oratio recta. Pourtant certains passages montrent que l’historien avait connaissance des discours originaux de Caton. Tite-Live mentionne ainsi le de pecunia regis Antiochi (38, 54, 11), les acerbae orationes (39, 42, 6-7) et le discours de 167 opposé à la proposition de déclaration de guerre contre Rhodes (45, 25, 2-4). La position du Padouan à l’égard des discours catoniens est donc claire, selon J. Briscoe : plutôt que de les plagier, il préférait ne pas les inclure dans ses écrits, créant par ailleurs lui-même les discours pour lesquels il n’existait pas d’original. Ce serait donc le cas ici. D’un point de vue stylistique, J. Briscoe80 considère le discours attribué à Caton comme une rhétorique purement livienne, bien que l’historien ait parfois introduit subtilement quelques phrases et idiomes qui évoquent le vrai Caton, sans doute pour accentuer le tempérament austère et conservateur que l’on prêtait au censeur. On peut donc supposer que Tite-Live utilise des propos et des thèmes appropriés au personnage auquel il donne la parole. Mais parallèlement, on trouve dans le discours de Caton, comme dans celui que Tite-Live prête au tribun L. Valerius, un certain nombre de thèmes rhétoriques spécifiques au contexte politique de la fin de la République.
34Tite-Live attribue en effet à Caton un long discours dans lequel ce dernier compare l’attitude des femmes à celle de groupes séditieux, et suggère que celles-ci ont été poussées à sortir de leur foyer pour investir la place publique sur l’incitation des tribuns (34, 2, 6-7). On retrouve ainsi, le thème de la sédition, caractéristique des discours du Ier s. av. J.-C. opposant optimates et populares. Plus encore, Caton compare le soulèvement des femmes à celui de la plèbe qui, par sa retraite, avait « forcé les consuls à recevoir la loi » (Liv., 34, 2, 7 : nobis, si ut plebis quondam sic nunc mulierum secessione leges accipiendae sunt), référant ainsi aux sécessions du Ve s. av. J.-C. Dans un effet rhétorique, le tribun L. Valerius tourne en dérision les propos de Caton, lui reprochant de sous-entendre que les femmes pourraient se retirer à leur tour sur le mont Sacré ou sur l’Aventin (34, 7, 14)81. Ces allusions aux mouvements plébéiens ne sont pas anodines, si l’on considère la teneur polémique que le récit de ces événements a pu revêtir dans le contexte des conflits politiques du Ier s. av. J.-C.82. Il est en revanche peu probable qu’une telle référence soit intervenue au moment des débats sur la lex Oppia. Plus vraisemblablement, Tite-Live en fit usage pour souligner le caractère inédit et potentiellement révolutionnaire de ces rassemblements de femmes aux yeux des conservateurs.
35Si le récit de ces débats est donc agrémenté de créations liviennes, il n’en demeure pas moins révélateur des inquiétudes authentiques que ces événements soulevèrent en leur temps dans la société romaine, et les thèmes abordés s’inscrivent parfaitement dans le contexte de l’époque. Ainsi, la question du luxe tient une place importante dans le texte de Tite-Live et domine toute la seconde partie du discours de Caton, contenue dans le paragraphe 483. E.M. Agati Madeira remarque que c’est sur cette question que les positions de Caton auront le plus de répercussions, au-delà de l’abrogation de la loi84. En 184 av. J.-C., Caton décide en effet, pendant la censure qu’il exerce avec Flaccus, que tous les citoyens devraient inclure les bijoux, les ornements de leurs épouses et les voitures d’une valeur supérieure à quinze mille as dans leur déclaration de patrimoine, afin d’être taxés (Liv., 39, 44, 1-3). Plus tard, en 169 av. J.-C., son plaidoyer en faveur d’un projet de loi du tribun Q. Voconius Saxa (la future Lex Voconia – Gell., 1, 17, 6), qui interdisait aux citoyens appartenant à la première classe censitaire la désignation par testament d’une femme comme héritière, eut aussi une très grande répercussion. Il s’agit donc d’un thème qui s’intègre parfaitement dans le contexte du début du IIe s. av. J.-C., même si la question du luxe restera d’une grande actualité jusqu’à la fin de la République. On peut tout à fait admettre qu’au-delà de la thématique des dérives morales (plus que juridiques) de la luxuria, celui de la place nouvelle des femmes dans l’espace publique, suscitée par les bouleversements de la deuxième guerre punique, fut également un thème authentique dans ce contexte.
36Le récit livien aborde les inquiétudes soulevées par cette question à travers le thème de la libertas, et de son application à cette catégorie particulière du corps civique. La notion est entendue ici au sens de faculté de tout citoyen à disposer de ses droits et de jouir pleinement de son indépendance, en le préservant de toute forme de dominatio85. Tite-Live (34, 2, 14) fait dire à Caton, que ce que les femmes désirent, c’est une forme dévoyée de la liberté, la licentia, c’est-à-dire une liberté sans fin et sans contrôle : omnium rerum libertatem, immo licentiam, si uere dicere uolumus, desiderant. Pourtant, aucun des protagonistes ne prétend ici accorder un tel droit aux femmes. Comme le remarque E.M. Agati Madeira86, les propos du tribun L. Valerius, favorable à l’abrogation de la loi, entendent bien maintenir ces dernières dans une dépendance juridique. En particulier celle du pater familias, et cela en vertu de l’ancien mos. Sur ce point, il répond aux inquiétudes de Caton qui considère les mobilisations des femmes comme une bravade envers le mos maiorum et la structure familiale traditionnelle. Mais plus encore, pour Caton, l’attitude des femmes constitue une menace envers la force et la permanence de la loi qui structure et organise la République, et dont le vote au sein des comices fonde l’un des premiers pouvoirs politiques du citoyen87. Aux yeux du censeur, en abrogeant la lex Oppia sous la pression de ces matrones, les Romains admettraient que les lois qui régissent la cité puissent être mises en cause par des membres du corps civique dépourvus de droits politiques, constitués en groupe de pression. Le tribun L. Valerius lui oppose l’argument de la responsabilité morale des femmes, et leur capacité à respecter le mos maiorum qu’elles ont, selon lui, parfaitement intégré. À ce titre, elles ne constituent pas une menace pour les lois de la cité, car elles font partie intégrante de la communauté et sont capables de s’écarter de leur propre chef des questions politiques, conformément à leur statut. C’est pourquoi le tribun de la plèbe réfute la comparaison des rassemblements de femmes avec les sécessions du Ve siècle, qu’il juge même insultante pour ces dernières (Liv., 34, 7, 14 : invidiosis nominibus). Enfin, le tribun rappelle que la lex Oppia est une loi récente et circonstancielle, et ne constitue pas un enjeu majeur dans le fonctionnement de la cité. Pour toutes ces raisons, elle peut donc être abrogée.
37Les propos du tribun Valerius invitent donc à relativiser le caractère « révolutionnaire » des acquis cédés aux femmes pendant la deuxième guerre punique. D’autant plus, si l’on considère d’autres aspects de son discours : ce dernier cherche à affirmer la légitimité des rassemblements féminins et à minimiser leur caractère inédit en inscrivant ce genre de pratique dans le passé mythique de Rome, évoquant par exemple le rôle des femmes à l’occasion du conflit entre Romains et Sabins (Liv., 34, 5, 8). Cette rhétorique antiquaire est clairement une construction discursive que l’on doit à Tite-Live. Par ce procédé, l’historien cherche à normaliser des pratiques qui étaient en réalité tout à fait nouvelles dans le contexte du IIe s. av. J.-C., et qui y eurent effectivement des conséquences notables sur l’organisation de la société romaine. Ainsi, l’abrogation de la lex Oppia a marqué le début d’une transformation profonde de la famille traditionnelle, qui eut pour effet de libérer les femmes de cette structure de pouvoir de groupe88. Au Ier s. av. J.-C., ces transformations étaient parfaitement intégrées, même s’il est possible que le récit livien se soit fait l’écho de problèmes plus contemporains liés à ces bouleversements89.
38Les rassemblements de femmes dans l’espace public constituaient donc bien une innovation liée aux transformations de leur rôle dans la vie publique de la cité, qui intervinrent au cours de la deuxième guerre punique. L’épisode décrit par Tite-Live montre que cette capacité de rassemblement pouvait devenir un moyen de pression sur les décisions relatives à la vie de la cité revenant habituellement aux citoyens romains. P. Culham90 a expliqué cette nouvelle capacité de mobilisation des femmes par deux aspects importants de la vie religieuse à Rome. D’abord, le rôle que celles-ci auraient tenu dans les cultes matronaux, en particulier ceux de l’Aventin tels que celui de Bona Dea, ou encore celui de Diane qui aurait eu, dès l’origine, une fonction liée à la maternité91. Ces cultes féminins revêtaient effectivement une dimension civique de plus ou moins grande portée. Il faut noter cependant qu’il s’agissait de cultes confidentiels, qui se déroulaient dans un environnement clos, fermé à la vue des hommes et en dehors de la vie publique de la cité. Ainsi le culte de Bona Dea se déroulait dans l’intimité de la domus d’une matrone appartenant à l’aristocratie romaine ou dans le cadre restreint et secret du sanctuaire de l’Aventin, dont les hommes étaient notoirement exclus92. L’explication la plus convaincante à cette nouvelle capacité de mobilisation des femmes dans l’espace public de la cité, résiderait plutôt dans le rôle qu’elles ont joué lors des rites publics adressés à Junon pendant la deuxième guerre punique. Ce rôle coïncide avec leur capacité de contribution au trésor public à l’occasion des cérémonies religieuses, également relevée par P. Culham93.
39C’est donc bien l’encadrement du rôle public des femmes qui fut en jeu dans l’abrogation de la lex Oppia, rôle dont la portée nouvelle fut entérinée par les événements de 207, empreints à la fois de conservatisme et d’innovation.
2.1.3 Les femmes romaines et la Cérès de l’Aventin, de l’affaire des Bacchanales aux guerres serviles en Sicile
40Ce rôle public des femmes, saisi non plus comme un phénomène ponctuel mais comme le résultat d’une transformation essentielle de la société romaine, porte un nouvel éclairage sur des événements ultérieurs qui impliquent également certains cultes de l’Aventin.
41De ce point de vue, le culte de Cérès, dont l’unique sanctuaire à Rome se trouvait placé sur la colline94, a joué un rôle important. Durant le IIIe s. av. J.-C., et jusqu’à la fin du IIe siècle, ce culte devint plus hellénisé et développa des liens avec de nouveaux groupes, et plus particulièrement avec les femmes95. Comme cela a été évoqué plus haut96, au début de la deuxième guerre punique, tandis que le culte de Junon connait à Rome une dévotion particulière, on assiste parallèlement au développement d’un nouveau rite en l’honneur de Cérès et Proserpine, dans lequel les femmes occupent également une place prééminente97, attesté pour la première fois en 216 d’après Tite-Live (22, 56, 4).
42À côté de ces cultes à forte connotation féminine, qui semblent très vite intégrés par les autorités religieuses de la cité, se développe celui des Bacchanales, qui connaît également un engouement particulier dans les décennies suivantes. Le parallèle entre les Bacchanales et le culte officiel de Cérès, tel qu’il se développe à partir du IIIe s. av. J.-C., a été mis en relief par J.‑M. Pailler98. Le chercheur a observé que si les deux cultes n’étaient pas identiques, ils présentaient néanmoins des concordances significatives. Ce sont probablement ces similitudes qui firent craindre aux autorités de Rome une usurpation du culte officiel de Cérès par le milieu bachique. En effet, selon J.-M. Pailler, « l’antre bachique de l’Aventin et les cérémonies qui s’y déroulaient devaient suffisamment ressembler à la catabase rituelle lors de l’ouverture du mundus, dans le nouveau régime du culte grec de Cérès, pour que l’autorité romaine considérât cela comme une défiguration de ce culte légitimement reconnu »99. Si la localisation du mundus de Cérès sur l’Aventin reste incertaine100, la mise en parallèle des deux cultes offre néanmoins une piste intéressante. Il semble en effet que la comparaison de ces deux figures divines trouve son pendant dans la confrontation de deux modèles féminins antithétiques mis en avant dans le récit livien de l’affaire des Bacchanales.
43C. Gallini101 a consacré aux femmes impliquées dans cette affaire, un bref paragraphe de son étude sur les éléments marginaux qui ont constitué les Bacchanales, notant au passage que l’irruption de ces dernières sur la scène publique fut un thème récurrent de cette période. Ce second élément mérite également d’être pris en compte.
44On a vu précédemment que chacune des femmes impliquées dans le drame familial qui sert de trame de fond à l’affaire – toutes des habitantes de l’Aventin – renvoie à un archétype moral spécifique102. Dans la structure du récit livien, on assiste à une véritable confrontation de ces archétypes : l’historien met successivement en scène la femme « vertueuse » (la tante Aebutia103, Sulpicia104 et Hispala105) et la femme « immorale » (Duronia106). À la lumière des observations développées jusqu’ici, on peut ajouter que la confrontation de ces deux catégories ne se résume pas aux vertus féminines qu’elles sont supposées incarner : ces modèles antagonistes expriment aussi deux façons contradictoires d’envisager la place des femmes dans la société romaine, elle-même déterminée par la nature des rapports que ces modèles féminins entretiennent avec les autorités masculines.
45D’un côté, Tite-Live (39, 9, 3) présente Duronia comme une femme « soumise à son époux » en secondes noces, T. Sempronius Rutilius : mater dedita viro erat. Cependant, il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette information, au risque d’en tirer une lecture contradictoire avec l’un des aspects les plus subversifs du rite des Bacchanales. Duronia était en effet impliquée dans un culte dont la forme et la structure suscitaient l’inquiétude du Sénat, notamment parce que ses adeptes, par leurs pratiques, transféraient leur sujétion aux dirigeants du culte et échappaient ainsi à la patria potestas107. Par ailleurs, Duronia est investie dans une secte religieuse mixte, à laquelle participent également des individus de sexe masculin108. Elle peut ainsi s’adresser à des hommes qui lui sont étrangers, aspect qui posait encore problème au regard des mœurs traditionnelles quelques décennies plus tôt109.
46Par ailleurs, certains moments du rituel des Bacchanales se déroulaient dans les espaces publics de la cité : ainsi Tite-Live décrit le spectacle nocturne de Ménades échevelées courant vers le Tibre pour éteindre leurs torches, et fait dire au consul Spurius Postumius, lorsqu’il révèle l’affaire, que ces scènes étranges auxquelles ils assistaient depuis quelque temps inquiétaient les Romains (Liv., 39, 15, 6-7). En soulignant ainsi le caractère obscur et débridé de ces rites, l’historien présente ces manifestations publiques de femmes, à l’occasion de cérémonies religieuses qui se placent en dehors du calendrier religieux officiel romain, comme un phénomène tout à fait inhabituel et marginal, par opposition à des pratiques beaucoup plus encadrées, telles par exemple les processions religieuses de femmes en l’honneur de Junon ou de Cérès.
47Dans la perspective adoptée ici, le double antithétique de Duronia est clairement incarné par le personnage de Sulpicia. Cette dernière intègre le tableau livien des femmes vertueuses qui ont contribué à sauver la Res publica du complot ourdi par les adeptes des Bacchanales. Mais à la différence de ces deux consœurs, Sulpicia est une matrone romaine appartenant à une famille de rang sénatorial. Quelles que furent son identité et sa filiation110, elle fait partie de l’aristocratie romaine. Elle appartient donc à cette catégorie de femmes qui a pu occuper une place dans la vie publique de la cité, par le biais des pratiques religieuses nouvelles développées au cours de la deuxième guerre punique. Ce furent en effet des femmes issues de l’aristocratie romaine qui participèrent au culte de Cérès et Proserpine en 216, à la dédicace de la statue de Venus Verticordia en 209111, et qui procédèrent aux offrandes et processions expiatoires en l’honneur de Junon Reine en 207. Sulpicia appartenait donc à cette catégorie de femmes impliquées dans des cérémonies qui se déroulaient dans l’espace public, mais qui étaient contrôlées par les autorités religieuses de l’État. Elle apparaît en outre comme un personnage soucieux de l’autorité du pater familias. Pendant l’affaire, elle sert d’intermédiaire auprès des femmes de l’Aventin qui vont révéler le danger du culte des Bacchanales, pour le compte de son gendre, le consul Postumius. Si elle n’est pas directement soumise à son auctoritas, elle en est cependant dépendante par les liens familiaux et sert avec abnégation les intérêts de celui-ci, aussi bien que ceux de l’État.
48Au-delà de l’opposition de deux archétypes moraux, la confrontation de ces deux personnages féminins tient donc aussi dans leur position antinomique dans la vie religieuse, sociale et politique de la cité. Sulpicia appartient à une catégorie de femmes qui a bénéficié d’un certain nombre d’acquis nouveaux, mais qui ont été officiellement intégrés par les autorités religieuses, et restent conformes aux cadres traditionnels définis par l’État romain. Duronia incarne quant à elle la femme qui s’est affranchie de ces cadres traditionnels pour s’investir dans des pratiques rituelles fondées sur l’engagement personnel112, qui ne s’inscrivent pas dans le calendrier religieux officiel et envahissent de manière informelle l’espace public.
49La dualité contenue dans ces deux figures féminines fait enfin écho à la thèse de J.‑M. Pailler, qui soutient l’existence d’un parallèle entre la forme officielle des « rites thesmophoriens de Cérès-Proserpine » adoptés vers le milieu du IIIe s. av. J.-C., et les « mystères dionysiaques » mis en cause dans l’affaire des Bacchanales113. Après 186, tandis que le culte des Bacchanales connaît d’importantes restrictions, celui de Cérès continue de jouer un rôle central à Rome et confirme le rôle des femmes officiellement défini par les autorités religieuses. Ainsi, les offrandes à Cérès et Proserpine sont incluses à partir de 125 av. J.-C. aux rites en l’honneur de Junon Reine, célébrés pour de nouvelles expiations de naissances d’hermaphrodites (Obseq., 43, 46 et 53). Comme on l’a vu, les rituels d’expiation pour ces naissances monstrueuses, dans lesquels les femmes jouaient un rôle essentiel, intervenaient généralement dans un contexte de crise. Aussi C.E. Schultz114 suppose que l’inclusion de Cérès et Proserpine dans ces rites pourrait être liée aux guerres serviles qui se déclenchèrent au milieu des années 130, et dont le principal foyer fut la Sicile, où le culte de Cérès était particulièrement important.
50Comme l’ont rappelé M. Beard, J. North et S. Price115, l’affaire des Bacchanales correspond à l’une des nombreuses réactions de la classe dirigeante contre certaines activités religieuses. Cette tendance conservatrice à mettre en œuvre des mesures restrictives, en contradiction avec la tradition empirique du IIIe s. av. J.-C. plus novatrice, est caractéristique de la vie religieuse à Rome, à partir des années 200116. La présente analyse suggère que l’une des raisons de ces mesures de restriction était étroitement liée à la crainte des dérives que pouvaient produire ces innovations, qui touchaient non seulement au rôle des femmes dans la vie religieuse de la cité, mais aussi à leur visibilité dans l’espace public. Cet aspect qui ressort de l’affaire des Bacchanales transparaît plus particulièrement lorsque l’on aborde la question du point de vue des spécificités fonctionnelles des sanctuaires de l’Aventin.
2.2 Les sanctuaires de l’Aventin et la place des esclaves et des étrangers à Rome
51Les femmes ne constituent pas la seule catégorie d’individus dont le rôle dans la cité est en grande partie révisé pendant la deuxième guerre punique. Certains sanctuaires de l’Aventin offrent en effet des témoignages sur la nouvelle place accordée au cours de cette période à une autre catégorie d’individus généralement placés en marge du corps civique : les esclaves. Ces sanctuaires ont notamment joué un rôle dans la mise en œuvre de dispositions juridiques visant à l’intégration ou à la protection des esclaves, attestées par les sources. Il s’agit ici de présenter ces sanctuaires et de préciser quelles sont les spécificités cultuelles et fonctionnelles qui ont justifié un tel rôle.
2.2.1 Le temple de Libertas et les esclaves publics de l’armée romaine pendant la deuxième guerre punique
52L’ancrage sur l’Aventin d’un sanctuaire dédié à la Liberté associée à Jupiter, constitue un témoignage important de cette fonction, qui a conféré à la colline une place singulière dans le paysage politique et religieux de Rome.
53À ce jour, on ne connait que trois autres édifices associés à cette divinité à Rome, dont deux connurent une existence éphémère ou incertaine. Parmi les édifices les mieux attestés, il faut mentionner tout d’abord l’atrium Libertatis, dont l’existence remonterait à la toute fin du IIIe s. av. J.-C. au moins (Liv., 25, 7, 12). L’édifice servait de siège aux censeurs pendant la période républicaine, et sa localisation, entre le forum Romain et le Champ de Mars, reste discutée117. D’abord placé au nord-est du forum Iulium, F. Castagnoli a proposé de le situer sur le col reliant le Capitole au Quirinal, au nord-ouest du forum de César, car aucune trace d’édifice de grande dimension appartenant à l’époque républicaine n’a pu être repérée sur le côté est de la place. L’hypothèse a été récemment mise en doute par les travaux de N. Purcell118 qui a proposé d’identifier l’atrium Libertatis avec les structures repérées sous le Palazzo Senatorio qui dominent la partie ouest du forum et que l’on désigne comme le Tabularium. Cette hypothèse a pour intérêt de rapprocher l’édifice de la porta Fontinalis (suggéré par Tite-Live, 35, 10, 12) et de se conformer à un certain nombre d’indications topographiques et fonctionnelles transmises par la documentation littéraire119. Elle reste toutefois problématique en raison d’un passage de Cicéron (Att., 4, 16, 8), qui tend à positionner l’atrium Libertatis à une certaine distance du forum Romanum120, mais surtout parce qu’elle bouleverse toute la compréhension du Tabularium admise jusqu’ici. Aussi, C.M. Amici121 a préféré, pour sa part, identifier l’atrium Libertatis avec les restes d’un édifice monumental repéré depuis 1934 dans la zone au nord-est de l’église S. Luca e S. Martina, dans le secteur du forum Iulium.
54On connait par ailleurs le monument éphémère érigé en 58 par Clodius sur les propriétés palatines de Cicéron, et détruit dès 57 pour restituer la porticus Catuli dans son état originel122.
55Enfin, Dion Cassius (43, 44, 1) mentionne un temple public à Libertas, dont la construction fut ordonnée par le Sénat après l’annonce de la victoire de César sur les troupes de Pompée à Munda, le 17 mars 45123. En l’absence de toute autre documentation sur le monument, sa localisation précise reste inconnue et certains chercheurs ont même contesté sa réalisation effective124.
56Parmi les différents édifices consacrés à Libertas à Rome, il y a enfin le sanctuaire de l’Aventin125, dont la construction intervint dans un contexte particulier. Tite-Live (24, 16, 19) précise que le sanctuaire fut réalisé ex multaticia pecunia par T. Sempronius Gracchus (RE Sempronius [Gracchus] 50, II A, 2, 1400-1401). On en a déduit donc que l’édifice fut réalisé pendant son édilité en 246 av. J.-C., avec l’argent des amendes qu’il infligea à Claudia, une noble matrone issue d’une prestigieuse famille patricienne, en raison du vœu impie qu’elle avait prononcé contre le peuple romain (Gell., 10, 6 ; Liv., Per, 19 ; Suet., Tib., 2, 3 ; Val. Max., 8, 1)126. Molestée par la foule à la sortie d’un spectacle, celle-ci invoqua en effet son défunt frère, P. Claudius Pulcher (RE Claudius 304, III, 2, 2857-2858) souhaitant qu’il revienne du monde des morts pour conduire une nouvelle flotte en Sicile. Dans la mesure où celui-ci y avait subi une lourde défaite contre Carthage, on comprend qu’en pleine guerre punique, cette déclaration fut très mal perçue et, selon une lecture politique du vocabulaire employé par les sources, contraire aux règles d’ordre imposées par l’État127 (Gell., 10, 6, 3 : haec mulieris uerba tam inproba ac tam inciuilia). Le fruit de cette amende infligée par un édile plébéien à une femme patricienne pour avoir insulté la multitude romaine, a conduit à interpréter la fondation du temple de Libertas comme une affirmation de l’identité plébéienne, une fondation publique destinée à exprimer l’opposition plébéienne à la domination des élites dirigeantes incarnée par la gens Claudia128. Un autre thème apparaît cependant en filigrane dans cet épisode à l’origine de la construction du temple. T.P. Wiseman129 a souligné que ce récit négatif dériverait d’une tradition historiographique hostile, ciblée contre la gens Claudia en particulier, plutôt que le patriciat dans son ensemble. On voit cette tradition émerger dans l’ensemble du récit livien, incriminant de manière récurrente cette gens dans les différents événements qui ont marqué la naissance de la République romaine. Souvent le motif d’incrimination concerne la question de la liberté, comme garantie et condition indispensable de la citoyenneté romaine. Il suffit de mentionner l’épisode du procès en liberté de Verginia (Liv., 3, 44-48), à l’origine de la seconde sécession de la plèbe. Le récit de ces événements a sans doute fait l’objet d’une reconstruction visant à illustrer les menaces que l’arbitraire du pouvoir des décemvirs faisait peser sur les droits individuels et la liberté de l’ensemble du peuple romain130. Or le personnage qui incarne cette menace par excellence est le décemvir Appius Claudius. Lu comme une manœuvre destinée à entraver le droit de conubium entre patriciens et plébéiens, et donc comme un épisode de l’affrontement entre la plèbe et le patriciat au Ve s. av. J.-C.131, l’enjeu du procès de Verginia était aussi la perte de sa liberté, confisquée par le décemvir Appius Claudius. De même, dans l’épisode du vœu impie de Claudia, l’appel à la défaite face aux armées carthaginoises, induit de vouloir placer des citoyens romains dans une situation de dominatio par l’ennemi, et donc de perte de leur liberté132. On a donc ici une piste sur le lien possible entre la fondation de ce temple et la thématique de la liberté, entendue dans une acception large, par opposition au statut servile. Ce lien paraît d’autant plus vraisemblable si l’on garde à l’esprit que la Libertas de l’Aventin était originellement associée à Jupiter, divinité qui revêtit également un rôle essentiel au cours de cette période dans les procédures de manumissio, et donc d’émancipation et d’accès au statut de libre, ainsi que l’a montré F. Marcattili133.
57La centralité du thème de la liberté entendue en ce sens apparaît encore plus clairement dans la peinture de la victoire de Bénévent, que le fils homonyme de T. Sempronius Gracchus (RE Sempronius (Gracchus) 51, II A, 2, 1401-1403) fit installer dans le sanctuaire pour commémorer la victoire de ses soldats contre le général Hannon, en 214 av. J.-C. L’armée de T. Sempronius avait en effet la particularité d’être composée exclusivement d’esclaves, auxquels ce dernier avait promis la liberté (Liv., 24, 16, 12-13). Il s’agissait plus précisément de volones, des esclaves rachetés à frais publics pour servir dans l’armée. Cette composition singulière, en contradiction avec la loi et les coutumes, avait été rendue nécessaire par les pertes importantes occasionnées lors des précédentes défaites, en particulier lors du désastre de Cannes (Liv., 22, 57, 11).
58Cette mesure a suscité de nombreux débats. D’abord sur les effectifs concernés : Tite-Live (22, 57, 11) parle de 8 000 soldats, tandis que Valère Maxime (7, 6, 1) en dénombre 24.000. Ensuite sur les circonstances légales dans lesquelles intervint précisément la manumission de ces volones. Selon les auteurs, elle pourrait avoir eu lieu au moment de l’enrôlement, afin que les soldats qui servent dans l’armée romaine soient, conformément à la tradition, des citoyens (en ce sens Val. Max., 5, 6, 8 et Flor., epit., 2, 6, 23 et 30), ou bien elle pourrait s’être déroulée après la victoire (Liv., 24, 16, 12-13). Sur ces deux points, la recherche moderne accorde davantage de crédit à la version livienne, jugée plus fiable134. Auquel cas, s’il est bien connu que l’armée romaine n’a pas toujours eu recours exclusivement à des citoyens romains, en particulier pendant les guerres puniques135, la condition servile des soldats qui composent cette armée est plus inhabituelle136. Pour ce qui intéresse notre sujet, on peut donc s’interroger sur le rôle particulier du sanctuaire de Libertas sur l’Aventin dans cet événement singulier, qui s’inscrit dans le contexte des bouleversements sociaux qui ont marqué cette période137.
59Après la victoire de Bénévent, Tite-Live (24, 16, 12-13) rapporte que l’ensemble des soldats furent affranchis, y compris ceux qui avaient tenté de déserter le champ de bataille. Les hommes de Sempronius Gracchus furent également autorisés à bénéficier du partage du butin et à participer aux célébrations publiques de la victoire qui se déroulèrent à Bénévent. Mais pour distinguer parmi les soldats, ceux qui s’étaient illustrés sur le champ de bataille de ceux qui avaient fait preuve de lâcheté, il demanda à ces derniers, sous la contrainte du serment, de prendre leur repas debout tant qu’ils seraient sous les armes. Ainsi lors du banquet public à Bénévent, parmi les soldats affranchis, tous coiffés du pileus de laine blanche, on distinguait ceux qui étaient allongés de ceux qui étaient debout et servaient leurs frères d’armes. C’est cette image digne d’être célébrée que T. Sempronius Gracchus entreprit de faire peindre dans le temple de Libertas sur l’Aventin (Liv., 24, 16, 19).
60Selon M. Koortbojian138, ce type de commémoration peinte dans un édifice public aurait revêtu plusieurs finalités. Tout d’abord, une finalité symbolique directement en rapport avec la famille des Sempronii Gracchi. Cette peinture permit en effet de réactiver l’association familiale au temple de l’Aventin et au thème de la Liberté que l’édifice célèbre dès sa fondation. Par ailleurs, cette image représentée dans un sanctuaire public célébrait la gloire de Sempronius Gracchus et contribua sans doute à son élection au consulat pour la seconde fois, en 213 av. J.-C. Pline (nat., 35, 23) rapporte en effet comment ce type de représentation avait également profité à L. Hostilius Mancinus, qui avait fait représenter sur un tableau l’attaque de Carthage et en présentait les détails au public qui venait le voir, ce qui lui valut d’être élu au consulat139.
61Mais au-delà de cette fonction honorifique assez classique, la peinture de Sempronius Gracchus, sa signification artistique et sa finalité politique étaient différentes des précédentes représentations peintes connues. Habituellement, ce type de fresques avait une finalité surtout laudative et mettait en scène les exploits militaires des consuls, afin de favoriser leur carrière politique : ainsi la peinture du triomphe de L. Papirius Cursor déposée dans le temple de Consus en 272 av. J.-C., celle du triomphe de M. Fulvius Flaccus dans le temple de Vortumnus, réalisée en 264, ou encore la peinture du siège de Carthage par M. Valerius Maximus Messala, déposée dans la Curia Hostilia en 263. Dans le cas du temple de Libertas, la peinture se concentre sur le comportement des soldats lors du banquet public et il est peu probable que d’autres scènes de la bataille de Bénévent rapportées par Tite-Live y furent également représentées. En effet, l’historien padouan, qui a probablement pu l’observer de ses yeux140, précise bien que c’est principalement cette scène que Sempronius Gracchus avait voulu représenter car il la considérait comme une chose digne d’être vue : res dignita uisa. D’un point de vue technique, la peinture du temple de Libertas appartiendrait donc au type de la composition figurée, où les protagonistes dominent le champ pictural puisque, selon la description de Tite-Live, un soin particulier fut donné à la représentation de chaque commensal prenant part au banquet public141. À partir de ces éléments, M. Koortbojian considère que la thématique du banquet constituerait un support pour évoquer un sujet plus profond142. La scène figurée dans le temple de la Liberté n’était pas une simple scène célébrant la victoire d’un consul romain, mais une représentation symbolique exaltant dans une perspective plus large certaines valeurs romaines, en particulier celle de la Virtus. Cette peinture aurait donc eu valeur d’exemplum143. Elle aurait eu pour finalité d’exalter les valeurs d’une aristocratie patricio-plébéienne alors en construction, se définissant solidairement par rapport à la masse des nouveaux citoyens qui intègrent alors le corps civique romain.
62Mais par cette lecture, M. Koortbojian semble reléguer au second plan la notion de libertas qui est pourtant centrale dans cette scène. Les personnages principaux sont bien ces anciens esclaves qui, dans la liberté nouvellement acquise, se distinguent entre eux par leur comportement. Cette peinture exprime donc un certain point de vue sur cette liberté. Il faut revenir à ce propos sur la qualité des esclaves enrôlés en 216. D’après C. Castello, la situation à Rome était telle que les propriétaires qui vendirent leurs esclaves à la République avaient tout intérêt à choisir des individus physiquement valides mais également loyaux, aussi bien dans leur rapport avec leur maître qu’avec l’État romain, car la défaite de Rome aurait non seulement impliqué la perte de leur patrimoine mais aussi de leur propre liberté. Il est donc peu vraisemblable que les individus tenus en esclavage pour un délit144 ou pour raison d’insolvabilité145, furent présentés pour l’enrôlement. On aurait eu plus probablement recours à des servi domestici loyaux, ou encore à des esclaves qui étaient employés à des tâches nécessitant une certaine confiance comme le commerce, la gestion de bétail ou d’argent, etc. L’hypothèse est d’autant plus vraisemblable que, dans un contexte de guerre, bon nombre d’entre eux ne pouvaient certainement plus exercer leurs tâches habituelles. Mais les critères de choix n’étaient pas déterminés par les seuls propriétaires d’esclaves. Les fonctionnaires en charge du recrutement, les tresuiri ont également joué un rôle important dans cette procédure, d’après les données transmises par Valère Maxime (7, 6, 1). Ces tresuiri considéraient sans doute l’aptitude physique de ces hommes mais ils devaient également s’assurer que les recrues se présentaient de leur propre chef, et la bonne réputation de leur maître constituait sans doute une garantie pour leur recrutement. Comme le précise également Tite-Live (22, 57, 11), les recrues étaient toutes des iuvenes. D’un point de vue juridique, le recrutement avait été rendu possible en vertu du droit d’expropriation à des fins d’utilité publique146, qui ne s’appliquait pas seulement à des biens immobiliers. Une fois recrutés, ces individus ne devinrent pas des hommes libres mais des servi publici, comme le suggère Tite-Live (24, 14). C. Castello rappelle que le droit romain considère l’esclave, dès l’époque archaïque, tant comme un individu que comme une chose, ce qui est toujours le cas en 215147. Ainsi, le recrutement d’un esclave comme volo sur la base de son consentement en fait une personne, mais comme objet de vente et esclave public, il demeure res.
63Ces éléments attestent donc que l’enrôlement des volones fut largement soumis à leur loyauté et à leur capacité présumée à répondre aux valeurs et devoirs qu’implique la citoyenneté romaine148, sinon d’un point de vue juridique, au moins sur le plan moral. Cette loyauté des volones de rang servile enrôlés dans l’armée romaine s’oppose à la félonie de certains alliés libres, qui ont fait défection pour se rallier aux troupes d’Hannibal, violant ainsi la fides. Sont également opposées à travers cet épisode, la libertas romaine promise aux volones, et la liberté promise aux Italiens par Hannibal. Après la bataille de Bénévent, si tous furent affranchis, T. Sempronius Gracchus distingua délibérément parmi les volones ceux qui avaient fait preuve de courage sur le champ de bataille, et ceux qui, au contraire, s’étaient montrés moins hardis. Ces derniers furent contraints d’adopter une attitude servile lors du banquet du triomphe, afin de préserver visuellement la distinction entre courage et lâcheté (Liv., 24, 16, 12).
64Au total, on peut donc soutenir que si la notion de Virtus est bien mise en scène dans la peinture du temple de l’Aventin, il s’agit avant tout de la Virtus au sens de courage au combat, dont les volones les plus méritants ont su faire preuves. Cette Virtus apparaît aussi comme un medium pour atteindre le statut de libre, la libertas constituant la thématique centrale et l’issue ultime de cette scène.
65Cet épisode nous informe par ailleurs sur la manière particulière dont la société romaine a perçu la place des esclaves et envisagé la question de leur intégration au corps civique, dans le contexte du IIIe s. av. J.-C. Le rôle joué par T. Sempronius Gracchus dans l’épisode évoqué témoigne de ces réflexions et illustre une position nouvelle sur le sujet, vraisemblablement partagée par certains de ses contemporains. Selon Tite-Live, T. Sempronius Gracchus s’impliqua personnellement dans la procédure d’affranchissement de ses volones. Il fit part au Sénat des actes de bravoure dont ceux-ci avaient fait preuve au combat pendant les deux années passées sous son commandement (Liv., 24, 14, 4). C. Castello suggère qu’une telle initiative fut motivée par les inquiétudes des volones, dont Sempronius avait eu écho149, mais également par les sollicitations de leurs frères d’armes de statut libre150. Plus encore, les modalités de la manumission furent laissées à la discrétion de T. Sempronius Gracchus. Ce dernier avait reçu l’approbation préalable du Sénat et des consuls, mais cette disposition n’en revêtait pas moins un caractère exceptionnel151. Le général romain posa ainsi comme condition un dernier acte de bravoure, qui peut être perçu comme un ultime munus à rendre en tant qu’esclave, mais aussi comme un ultime témoignage de loyauté envers l’État romain152. T. Sempronius fut donc un acteur majeur de cette procédure particulière d’affranchissement, et on trouve des résurgences de sa geste dans le récit d’événements qui impliquèrent ses descendants aux périodes ultérieures153. Une telle association se trouve dans le récit de la fuite des partisans des Gracques sur l’Aventin en 121 av. J.-C., transcrit par Paul Orose (hist., 5, 12, 6). Ce dernier rapporte en effet qu’à cette occasion, Caius Gracchus appela les esclaves à le rejoindre, leur promettant la liberté en contrepartie. Cette anecdote fait écho aux actions de son aïeul évoquées par Tite-Live. À la différence que, cette fois, les esclaves refusèrent de suivre celui qui prétendait les conduire à la liberté, car à ce moment précis, lui-même s’était placé en marge de l’État romain. Plutarque (CG, 76, 7) rapporte quant à lui comment Caius Gracchus, lors de sa retraite sur l’Aventin, se réfugia dans le temple de Diane et exhorta la déesse à punir les Romains pour leur manque de constance à son égard, en les plaçant dans la servitude154. Ici l’épisode est plutôt présenté comme une antithèse de l’action de son aïeul, et l’invocation de Diane n’est pas anodine si l’on considère la fonction de la déesse à l’égard de la population servile à la fin de la République155. Ces sources lisent donc l’action menée par les Gracques dans le dernier quart du IIe s. av. J.-C. à la lumière des actions de leur aïeul réalisées quelques décennies plus tôt autour de la thématique de la Liberté.
66Au final, ce qui paraît prégnant dans la Libertas du sanctuaire de l’Aventin, c’est bien le lien entre la liberté au sens large, par opposition au statut servile, et son attribution à des individus non libres sur la base de critères moraux. Celui qui est libre est celui qui respecte la fides, mais aussi celui qui, par son comportement, agit en soldat exemplaire et remplit ainsi l’un des devoirs fondamentaux du citoyen romain. Dans la valorisation de ce critère d’affranchissement, les Sempronii Gracchi ont joué un rôle important, comme en témoigne le sanctuaire qu’ils firent construire sur l’Aventin. Après la deuxième guerre punique, la pratique du rachat d’esclaves par l’État pour l’enrôlement dans l’armée tomba en désuétude, comme le suggère le discours du tribun Valerius à propos de l’abrogation de la lex Oppia (Liv., 34, 6, 18)156. Dès lors, la question de l’affranchissement et de l’attribution de la citoyenneté fondés sur des valeurs morales déployées dans le cadre de l’exercitus n’avait plus lieu d’être, et l’esclave devint l’antithèse absolue du citoyen-soldat. Cela apparaît clairement dans les débats qui accompagnent les réformes gracquiennes157. On peut ainsi confronter les dispositions de T. Sempronius Gracchus à l’égard de ses volones, aux discours prononcés près d’un siècle plus tard par Tiberius Gracchus sur l’esclavage dans les exploitations latifundiaires (App., BC, 1, 9, 35), qu’il dénonce comme un facteur d’appauvrissement des citoyens romains, les empêchant d’intégrer les classes de citoyens mobilisables.
67Si cette analyse permet d’éclairer le rôle particulier du sanctuaire de Libertas dans la question de l’affranchissement d’individus de statut servile à Rome aux derniers siècles de la République, il paraît utile de préciser encore un peu les choses, en s’intéressant aux spécificités du sanctuaire aventinien par rapport aux autres édifices voués à Libertas, et donc potentiellement concernés par cette question. En particulier par rapport à l’atrium Libertatis. On l’a dit, cet édifice était le siège des censeurs qui conservaient en son sein les tabulae, les archives sur lesquelles étaient enregistrées les listes de citoyens. Ici la libertas est donc étroitement liée à la pleine citoyenneté romaine, relative à des individus de naissance libre158. L’atrium Libertatis joua aussi un rôle dans certaines procédures d’intégration des affranchis159. Tite-Live (45, 15, 1-6) rappelle en effet que l’on détermina par tirage au sort, dans cet édifice, la tribu dans laquelle seraient enregistrés les affranchis en 167 av. J.-C. Là encore, ce sont des individus libres qui sont donc concernés. Le sanctuaire de l’Aventin est en revanche associé à la liberté d’individus de naissance non libres, que l’on affranchit afin d’obtenir une citoyenneté qui n’est pas optimo iure. D’un point de vue juridique, le choix de cette colline située en dehors du pomerium paraît donc approprié pour abriter une divinité garante d’une procédure relative à des individus dont le statut originel se situe en marge de la communauté civique. Les fonctions de l’atrium Libertatis et le temple de Libertas de l’Aventin paraissent donc spécialisées et complémentaires, chacun des deux sanctuaires ayant vraisemblablement concerné une catégorie d’individus particulière160. La Libertas aventine renvoie à une liberté conditionnée par des critères moraux et performatifs, à laquelle peuvent prétendre des individus non-libres jusque lors en marge du corps civique de Rome, pour leur contribution au maintien de l’hégémonie de l’État romain.
2.2.2 La protection des étrangers et des esclaves : l’asylum de Diane
68À côté du sanctuaire de Libertas, qui atteste une volonté de reconnaissance et d’intégration civique de la part de l’État romain à l’égard de populations en marge de la citoyenneté, d’autres sanctuaires aventiniens ont également été liés à la protection juridique de ces catégories de population.
69Ce fut notamment le cas du sanctuaire de Diane. Comme cela a été évoqué plus haut161, le roi Servius Tullius attribua une fonction d’asile à ce sanctuaire érigé sur le modèle de l’Artémis d’Éphèse (D.H., 4, 26, 3), qui fut vraisemblablement destinée à la protection des populations étrangères, en particulier des Ioniens d’Asie162. Par ailleurs, certaines sources attribuent au sanctuaire de Diane une fonction de refuge pour les esclaves en fuite. Les Anciens mettaient cette fonction en rapport avec le statut originellement servile de son fondateur, Servius Tullius (Fest., p. 460 L). Il faut donc se demander en premier lieu comment le droit d’asile destiné à la protection des étrangers a pu fonctionner sur l’Aventin, et plus largement à Rome. S’il fut très vraisemblablement apporté du monde grec, l’argument que ce droit fut complètement ignoré des Romains avant les deux derniers siècles de la République doit sans doute être nuancé. Il s’agira de déterminer ensuite dans quelle mesure cette fonction du temple de Diane, destinée à la protection des étrangers susceptibles d’être frappés du droit de saisie, a pu s’articuler avec la protection des esclaves en fuite.
2.2.2.1 Une forme de protection destinée aux populations étrangères de passage à Rome
70L’existence du droit d’asile à Rome et sa portée juridique effective dès l’époque archaïque soulèvent toute une série de questions sur lesquelles il est utile de revenir. Elle pose d’abord une question d’ordre terminologique. Denys d’Halicarnasse (4, 26, 3) est en effet le seul à désigner explicitement le sanctuaire de Diane par l’expression : ἱερὸν ἄσυλον. Or l’emploi du qualificatif grec ἄσυλος, -α, -ον serait un néologisme. Selon J.K. Rigsby163, il ne fut couramment employé que dans l’Égypte Ptolémaïque, où on le trouve utilisé pour la première fois à propos du Sérapéum, en 160 av. J.-C. Dans le monde romain, la diffusion de cette notion et des principes juridiques qui lui sont inhérents ne peut donc être antérieure à l’impact du vocabulaire et de la culture grecs sur Rome.
71Dans la langue latine, on trouve pourtant le terme confugere, qui apparaît dans la littérature dès le IIIe s. av. J.-C. et semble répondre aux principes de protection des suppliants en vertu de l’inviolabilité des sanctuaires, telle qu’on l’entend dans le monde grec. Le verbe confugere apparaît en effet utilisé dans les comédies plautiniennes pour désigner le fait de se réfugier auprès d’un autel (Plaut., Most., 1135 ; Rud., 455 et 1048). Il évoque ainsi la première forme d’asylie identifiée par P. Gauthier, l’Hikésie, qui consiste à invoquer la protection d’une divinité en se réfugiant dans son sanctuaire, et dont la pratique remonte au VIe s. av. J.-C. dans le monde grec164. Th. Mommsen165 a cependant contesté l’efficacité juridique de cette forme de protection contre les autorités répressives dans le monde romain. En effet, dans le Rudens, un entremetteur tente de récupérer deux jeunes femmes qui s’étaient réfugiées auprès de l’autel du temple de Vénus (Rud., 722), sans tenir compte de leur démarche, prétextant qu’elles étaient ses esclaves. Il faut pourtant tenir compte des propos que Plaute prête à Trachalion, qui s’oppose à lui. Ce dernier affirme qu’en cherchant ainsi à arracher les deux femmes au temple de Vénus, le leno outrage « le droit et les lois » (v. 643-644 : Quibus advorsum ius legesque insignite iniuria hic facta est fitque in Veneris fano). Trachalion le qualifie d’ailleurs plus loin de « parricide, parjure et ennemi des lois » (v. 651-654 : Fraudis, sceleri, parricidi, periuri plenissimus legirupa impudens impurus inverecundissimus). Aussitôt, l’honorable Démonès porte secours à Trachalion et oppose à l’entremetteur ces termes, lorsque ce dernier prétend vouloir reprendre ses deux esclaves : « Tu n’en as pas le droit, c’est la loi chez nous » (Rud., 723 : non licet ; est lex apud nos). Cette terminologie atteste la qualité juridique reconnue à la pratique de confugere auprès des temples, au moins dans l’orient méditerranéen.
72Le terme asylum, quant à lui, n’apparaît pas dans les sources latines avant le milieu du Ier s. av. J.-C., et ne peut être considéré comme une stricte translittération du grec166. Son emploi est attesté chez Cicéron à propos du sanctuaire d’Artémis à Éphèse (Verr., 2, 1, 33), ainsi que chez Varron à propos de l’asile de Cérès (Non., 44, 1). Dans les deux cas, le terme est associé au verbe confugere. La formalisation terminologique des principes du droit d’asile est donc assez tardive chez les Romains, qui du reste semblent employer ces termes essentiellement à propos de l’aire culturelle grecque.
73Si les termes ἄσυλος ou confugere n’ont pu être employé auparavant, a fortiori au moment de la fondation du sanctuaire de Diane sur l’Aventin, D. Van Berchem167 a néanmoins démontré que les principes juridiques et religieux inhérents à ces termes ont pu exister très tôt à Rome. Le chercheur a fondé son hypothèse sur l’étude de trois cas, tous datés du VIe s. av. J.-C., parmi lesquels l’asile de la Diane aventine. D’après l’auteur, celui-ci correspondait à une forme d’asylie archaïque, étroitement liée aux activités commerciales et portuaires qui se sont développées à proximité et en lien avec le sanctuaire. Le sanctuaire de l’Aventin aurait ainsi constitué une application romaine du modèle grec du sanctuaire « emporique » que l’on retrouve, presque à l’identique, à Éphèse et à Naucratis, également étudiés par D. Van Berchem168.
74Dans les années qui suivirent, G. Colonna169 puis C. Ampolo170 ont souligné le rôle prééminent des Phocéens dans l’institution du sanctuaire de Diane à Rome. Ce serait notamment les Phocéens établis à Massalia qui auraient joué un rôle majeur dans la diffusion du culte de l’Artémis éphésienne en Occident, et auraient directement influencé la Diane aventine, ainsi que le suggèrent les sources (Str., 4, 1, 5)171.
75Une vingtaine d’années plus tard, M. Gras172 s’est appuyé sur ces observations pour soutenir la prééminence de la fonction d’asile, attribuée au sanctuaire de l’Aventin lors de sa fondation d’après le modèle éphésien173. Selon le chercheur, l’édifice fut vraisemblablement construit dans une perspective d’asile panionien174. On se trouve alors juste après la prise de Phocée par les Perses en 545 av. J.-C., et la présence de migrants phocéens en Méditerranée occidentale semble attestée en Corse à Alalia, mais aussi en Italie à Volterra (Serv., Aen., 10, 172) et dans la plupart des villes d’Étrurie méridionale175. Dans ces cités, l’insertion des Phocéens fut fructueuse mais difficile, comme l’attestent des événements tels que la bataille d’Alalia ou la lapidation de Phocéens à Cerveteri. Une telle situation justifiait donc la création d’un ἱερὸν ἄσυλον sur l’Aventin, parallèlement aux expiations cérétaines qui se firent en réponse à ces événements au moyen de sacrifices et de jeux (Hdt., 1, 167). Cette analyse conforte donc l’existence possible d’un droit d’asile à Rome dès le VIe s. av. J.-C., et souligne son importance pour comprendre la nature des premiers rapports institutionnels établis par Rome à l’égard des populations étrangères de passage sur son territoire.
76Sans doute le sanctuaire de Diane sur l’Aventin a-t-il créé un précédent. En tout cas, il ne constitue pas le seul exemple d’asile de type grec attribué à la période royale par les sources. Plusieurs auteurs du début de l’Empire (Liv., 1, 8, 5 ; Str., 5, 3, 2 ; D.H., 2, 15, 4 ; Plut., Rom., 9, 3 ; Ov., fast., 3, 429-448) mettent au compte de Romulus la création d’un asile sur le Capitole. Il n’y a pas lieu de revenir ici sur l’institution effective d’un asylum dès la fondation de la cité, qui pose évidemment problème. En revanche, le lien établi entre cet asylum et une autre figure divine du III-IIe s. av. J.-C., présente un intérêt notable pour le propos développé ici.
77G. Freyburger a en effet démontré le lien existant entre l’asylum dit de Romulus, et le sanctuaire de Véiovis, qui aurait également joué un rôle dans la protection des suppliants176. Ce lien aurait été topographique, conformément aux indications transmises par Ovide (fast., 3, 429-448), mais aussi architectural177 et surtout fonctionnelle. En effet, Calpurnius Pison, cité par Servius (Aen., 2, 761), indique que le dieu Lucoris veillait sur l’asylum du Capitole178. Or, Λυχωρεύς était un qualificatif d’Apollon et, selon Aulu Gelle (5, 12, 12), le dieu Véiovis était assimilé à ce dernier179. Ces indications ont été confirmées par la découverte de la statue de culte de Véiovis sous des traits apolliniens, par A.M. Colini, au début des années 1940180. Le caractère apollinien de Véiovis constitue donc une piste importante car, selon Hérodote (1, 159), il existait un lien étroit entre Apollon et les suppliants, dont le sort était spécifiquement placé sous l’égide de cette divinité.
78Par ailleurs, G. Freyburger a relevé la racine commune de Iuppiter/Iovis et Ve(d)-iovis. Quant au préfixe –ve, suivant la théorie de C. Guiraud, il marque l’écart par rapport à la référence. Ainsi la référence, Jupiter, est ouranienne, tandis que Vé-iovis est infernal. Cet aspect infernal, redoutable, lui viendrait, selon G. Freyburger, du fait que des humains pouvaient lui être voués par la sacratio181. En outre, l’apparence redoutable et le naturel vengeur de Véiovis rappellent le Zeus protecteur des suppliants (Hikésios) dans le monde grec. À partir de ces éléments, G. Freyburger a soutenu que des suppliants ont pu trouver refuge auprès du dieu Véiovis, associé à un asylum, suivant une forme de protection caractéristique du monde grec. La nature du lien entre Véiovis et Jupiter a été toutefois nuancée par F. Marcattili182. Mais s’il en donne une lecture différente, son analyse ne met nullement en cause le rôle de Véiovis dans la protection des suppliants à Rome. Cette fonction attribuée au sanctuaire de Véiovis, conforte ainsi l’existence d’une institution grecque, qui eut un rôle effectif dans la vie juridico-religieuse de la cité. Cette efficience pourrait remonter à l’époque archaïque, si l’on admet les fonctions attribuées au sanctuaire de l’Aventin.
79Les récents travaux et programmes de recherches qui se sont intéressés à l’ouverture des sociétés méditerranéennes antiques et à la mobilité des populations qui les composent, semblent appuyer cette hypothèse183. Elles tendent en effet à souligner l’importance de ces phénomènes dès la période archaïque. Dans une telle perspective, on imagine difficilement que la recherche d’une protection juridique au-delà des limites de la cité d’origine et la quête d’hospitalité aient été des pratiques totalement étrangères au monde italique en général, et romain en particulier. On peut donc admettre que le droit d’asile ne fut pas une institution juridique totalement ignorée des Romains, contrairement à ce qu’affirmait Th. Mommsen184, et que les Romains n’ont pas découvert cette pratique juridique tardivement, avec l’expansion des conquêtes vers la Méditerranée orientale.
80Ce point admis, on peut chercher à préciser la sphère juridique à laquelle aurait appartenu l’asile de Diane sur l’Aventin. Dans le monde grec archaïque, les individus qui se déplaçaient hors du territoire de leur cité ou de leur communauté étaient de ce fait privés de protection juridique, et soumis au droit de συλαν (droit de prise ou de confiscation, le sens premier du verbe étant « arracher par la force » ou « confisquer, saisir »)185. Il existait vraisemblablement deux procédés pour se protéger de ce droit de prise. Le premier consistait à trouver refuge dans un lieu sacré, afin de se placer sous la protection directe de la divinité associée à ce lieu. On parle ici d’une asylie sacrale. Le second procédé, qui relève plutôt de la sphère politique, visait à obtenir des autorités locales un décret d’asile personnel, qui interdisait toutes violences à l’égard des individus qui en bénéficiaient186. D’un point de vue terminologique, ces deux modalités de soustraction aux mesures coercitives inhérentes au droit de συλαν n’étaient pas toujours désignées par les termes άσυλία ou ἄσυλος. Souvent, au lieu des périphrases verbales telles que μη συλαν (« qui ne doit pas être saisi par la violence ») ou du verbe συλαν, on trouvait des synonymes ou des termes recouvrant des notions parentes, tels que ἄγειν, φέρειν, άφαιρεισθαι, ρυσιάζειν, etc.187.
81Concernant l’asile de Diane sur l’Aventin, il paraît assez évident qu’il relevait de la première forme de protection188. On l’a vu, selon P. Gautier189, cette forme d’asylie sacrale, qui se fonde sur l’inviolabilité inhérente à un sanctuaire (hikèsia), est la plus ancienne connue. Cette inviolabilité justifie la protection contre toute forme de violence accordée aux suppliants qui se réfugient dans le sanctuaire, et sont ainsi appelés « ἱκέται ». Ce principe d’inviolabilité des sanctuaires est bien antérieur à l’usage du qualificatif ἄσυλον, et expliquerait que dès le Ve s. av. J.-C., le terme négatif συλᾶν pouvait aussi bien être rapporté aux suppliants qu’aux sanctuaires qui les abritaient190. On ne peut cependant ignorer que Denys d’Halicarnasse (4, 26, 3) emploie, à propos du sanctuaire de Diane, l’expression ἱερὸν ἄσυλον. Celle-ci renvoie à une autre forme d’inviolabilité qui n’est pas inhérente au sanctuaire, mais relève d’une concession par décret, concédant à l’édifice concerné le titre de ἱερὸν ἄσυλον191. Lorsqu’un sanctuaire était déclaré ἄσυλον, alors seulement on admettait qu’à l’intérieur de ses limites, il ne pouvait être exercé aucune saisie sur la personne présente dans le sanctuaire ni sur ses biens. Selon P. Gauthier192, ce type de concession d’inviolabilité fut institué dans le contexte hellénistique, en rapport avec la fondation ou la réorganisation des concours panhelléniques. L’objectif était de protéger les concurrents mais aussi les visiteurs attirés par ces jeux, dont l’arrivée en masse offrait aux cités ou aux souverains organisateurs, des sources de revenus substantielles, en particulier via le produit des taxes portuaires. Cette institution est donc largement postérieure à la fondation supposée du sanctuaire de Diane. Mais il est tout à fait possible que Denys d’Halicarnasse ait délibérément commis un anachronisme. On sait, depuis les travaux d’E. Gabba193, que l’historien grec cherchait dans son récit historique à mettre en avant la théorie de l’origine grecque des Romains. De ce fait, il eut tendance à redimensionner les influences du monde grec, aussi bien sur les institutions civiques que sur les institutions juridico-religieuses de Rome. Cela ne signifie pas pour autant qu’il attribua de manière fictive de telles institutions à la société romaine. Dans le cas de l’asylie de Diane, Denys d’Halicarnasse mit certainement en avant une institution de caractère grec apparue très tôt à Rome, car son existence lui permettait de soutenir ses visées historiographiques. On peut supposer qu’il employa cependant une terminologie récente pour la décrire, parce que la notion de ἱερὸν ἄσυλον était plus familière, et donc plus compréhensible par son lectorat que la vieille notion d’hikèsia. Ce procédé, visant à évoquer des éléments archaïques via une terminologie récente ou à transposer des éléments récents dans un contexte archaïque pour étoffer son propos, a déjà été observé à propos de la lex Icilia194. On peut donc supposer qu’il procéda ici de même.
82Ainsi, bien que Denys d’Halicarnasse emploie l’expression ἱερὸν ἄσυλον pour désigner l’asile du sanctuaire de Diane, la forme originelle de cet asile se rapprochait davantage de l’hikèsia, ainsi qu’on peut le déduire du contexte économique et politico-religieux de la Rome archaïque. Elle devait permettre aux gens de passage (commerçants, artisans ou visiteurs étrangers) de se rendre dans la cité sans craindre d’être saisis. Sur l’Aventin, cette fonction peut être mise en rapport avec l’emporium, lieu de passage de populations étrangères et de transactions de marchandises, auquel le sanctuaire de Diane était étroitement lié, tant d’un point de vue topographique que fonctionnel195. Le sanctuaire devait offrir une garantie indispensable à la protection de ces hommes et de ces biens qui transitaient par le port fluvial de Rome. Il avait également une spécificité propre du point de vue culturel et cultuel, puisque son développement serait lié à la présence ionienne dans le bassin tyrrhénien, et que son institution s’inspirerait très vraisemblablement de l’Artémis d’Éphèse.
83Si l’existence de ce type d’asylie grecque, juridiquement reconnue à Rome dès une haute époque, parait donc vraisemblable, on peut se demander comment, dans le cas de la Diane de l’Aventin, celle-ci a pu s’articuler à la protection des esclaves, ainsi que le suggèrent les sources.
2.2.2.2 De l’hostis au servus : la protection des esclaves en fuite
84Les sources attribuent au sanctuaire de Diane, une fonction de protection des esclaves en fuite (Fest., p. 460 L), qui pourrait s’expliquer par le lien existant dans le droit romain entre l’esclave et l’étranger196. Ce lien, ainsi que le contexte dans lequel il fut établi, méritent d’être clarifiés.
85J.-C. Dumont est revenu sur le lien étroit entre extranéité et statut servile à Rome197. Pour autant, ce lien ne valait pas pour règle, et le chercheur a mis en doute l’idée que l’asservissement fut systématique pour l’étranger libre ressortissant d’un État non reconnu, séjournant en territoire romain198. Selon lui, l’étranger ne pouvait être frappé du droit de saisie et ne devenir esclave que dans certains cas précis199.
86C’est d’abord l’étranger désigné comme hostis, au sens d’ennemi contre lequel on est en guerre – acception sémantique que l’on trouve à partir du Ier s. av. J.-C. au lieu de perduellis (Cic., off., 1, 37, 6-10 ; Varro, Ling., 5, 3)200 –, qui était susceptible d’en être la cible.
87Un étranger pouvait être également saisi dans le cas où il ne pouvait faire reconnaître son statut de libre201. C’est le cas de figure auquel nous sommes confrontés dans le passage du Rudens de Plaute, évoqué plus haut. Parmi les deux jeunes esclaves réfugiées auprès du temple de Vénus, on apprend que l’une d’elles est de naissance libre mais, surprise par une tempête, elle avait perdu en mer la seule preuve de son statut : une cassette de jouets que lui avaient remis ses parents (Argumentum et v. 649).
88Sur la base de cette catégorisation, on peut formuler quelques remarques à propos de l’asylie de la Diane aventine.
89Le terme hostis désignait originellement, dans la loi des XII Tables, l’hôte, le non-citoyen migrant à Rome (XII tabulae d’après Cic., off., 1, 37, 10-15)202. Entendu dans ce sens premier, l’hostis qui ne pouvait apporter la preuve de son statut d’homme libre et se trouvait menacé de saisie pouvait confugere auprès d’un temple afin d’obtenir la protection de la divinité qui l’habitait. Le souvenir de cette forme particulière de protection des étrangers attribuée au sanctuaire de Diane sur l’Aventin, pourrait s’être conservé jusqu’à la fin de la République. C’est ce que suggère l’interprétation étymologique du terme Aventinus proposée par Varron (Ling., 5, 43, 2). Ce dernier précise en effet :
alii Aduentinum ab aduentu hominum, quod commune Latinorum ibi Dianae templum sit constitutum.
D’autres y voient l’Aduentin, de aduentus hominum (l’afflux des gens), sous prétexte qu’un temple de Diane, commun aux peuples latins, y fut établi.203
90Dans ce passage qui évoque la fonction fédérale attribuée au sanctuaire de Diane au moment de sa fondation204, on peut rapprocher le substantif aduentu (l’arrivée) d’aduena (l’étranger), les deux termes étant tous deux dérivés du verbe aduenire. Or, comme l’a relevé C. Moatti205, Pomponius (Dig. 50, 16, 239, 1) écrit au IIe siècle apr. J.-C. qu’adventor ou advena désigne « celui qui vient d’ailleurs », « un homme qui a fui sa patrie et que les Grecs appellent apoikos ». On pourrait également rapprocher aduena du terme ίκέται, par lequel on désignait les suppliants qui recouraient à l’asile d’un sanctuaire. Ce terme vient du verbe ικέομαι qui, tout comme aduenire, signifie « arriver, venir ». Le texte de Varron évoquerait donc, au-delà de la fonction fédérale du sanctuaire, une fonction plus large d’accueil et de protection. Cette même fonction d’accueil pourrait transparaître également dans le vocabulaire employé par Tite-Live, dans le passage relatant la création du temple par Servius Tullius (1, 45, 2-6). L’historien désigne le sanctuaire comme un fanum ou un templum206 et il évoque les rapports d’hospitia et d’amicitia que le roi Servius avait préalablement établi avec les peuples latins, avant de chercher à les convaincre d’établir à Rome un sanctuaire fédéral.
91Au moment où le terme hostis vint à désigner non plus l’étranger mais l’ennemi de guerre, susceptible d’être saisi et réduit en esclavage, le terme asylum fit également son apparition dans la langue latine. Il apparaît pour la première fois chez Cicéron (Verr., 2, 1, 33) à propos du sanctuaire d’Artémis à Éphèse. L’Arpinate évoque ainsi comment M. Aurelius Scaurus avait fait porter devant le tribunal à Rome, l’Éphésien Périclès, homme de grande noblesse, parce qu’il l’avait empêché par la force de récupérer son esclave qui s’était réfugié dans l’asile du sanctuaire (in illus asylum confugisset). La fonction d’asile de l’Artémis d’Éphèse, qui servit de modèle au sanctuaire de Diane, est donc ici mise en lien avec la protection des esclaves en fuite. Or cette fonction est aussi mentionnée à propos de la déesse sur l’Aventin. Festus (p. 460 L)207 signale ainsi la correspondance entre le dies festum des esclaves, et l’anniversaire de fondation du temple de Diane par le roi Servius Tullius, car lui-même était né esclave (Servius/servus). L’auteur ajoute que le temple était gardé par des cervi (cerfs), animal associé à Diane, mais aussi homophone de servus (esclave). Cette spécialisation de Diane comme déesse protectrice des esclaves est confirmée par Martial (7, 73, 1 ; 12, 18, 2), qui évoque son rôle dans la manumissio des esclaves, qui pourrait s’être déroulé dans le temple208.
92À la fonction de protectrice des étrangers (hostis au sens premier), on aurait ainsi progressivement adjoint à la Diane aventine, une fonction de protection des esclaves en fuite, lesquels pouvaient être d’anciens ennemis privés de leur liberté (hostis au sens nouveau équivalant à perduellis au Ier s. av. J.-C.). Cette construction étiologique aurait également permis de définir cette fonction comme une caractéristique originelle remontant à la fondation du sanctuaire.
Conclusion
93On peut conclure au terme de ce chapitre que la fonction d’intégration et de protection des populations en marge de la cité fait sens à propos des sanctuaires de l’Aventin.
94Elle concerne en premier lieu les femmes qui, grâce aux pratiques rituelles spécifiques développées pendant la deuxième guerre punique en direction de certains sanctuaires de la colline, en particulier celui de Junon Reine, ont occupé une place plus importante dans la vie religieuse de la cité et obtenu davantage de visibilité dans l’espace public. Pour autant, ce rôle attribué aux femmes, pour novateur qu’il fût, demeura strictement encadré et délimité par l’État romain. Les femmes romaines n’étaient pas totalement autonomes dans leurs activités cultuelles, qui restèrent largement définies et accompagnées par les cadres masculins de la religion d’État. On ne peut donc strictement parler de « citoyenneté cultuelle » à propos des femmes romaines, comme cela a été proposé dans le monde grec209. Certes, parce qu’elles devinrent des actrices de plus en plus visibles de la vie religieuse de la cité, en participant à des cérémonies diurnes qui se déployaient dans les espaces publics, le rôle civique des femmes romaines prit une dimension nouvelle. Leur rôle acquis dans la religion d’État leur conféra une légitimité qui leur permit d’investir, en certaines circonstances, les espaces de la vie civique habituellement réservés aux hommes pour infléchir des décisions politiques, comme dans le cas de la lex Oppia. Mais ces nouvelles pratiques religieuses et les changements qu’elles induisirent semblent être restés exceptionnels, et ont suscité de vives réactions. Dès lors que l’investissement des femmes dans la vie publique prenait des formes échappant au contrôle de l’État romain et mettait en cause les cadres institutionnels et sociaux traditionnels de la cité, il put être perçu comme une forme de transgression. Ce nouveau rôle accordé aux femmes dans la vie de la cité à l’issue des guerres puniques trouva donc vite sa limite. Il semble ainsi excessif d’affirmer que les femmes jouèrent dès lors un rôle « politique »210, dans le cadre d’une forme de citoyenneté passive.
95Le rôle joué par les sanctuaires de l’Aventin dans les processus d’intégration civique s’observe également à propos du temple de Libertas. Le sanctuaire fut en effet associé aux catégories d’esclaves de sexe masculin, qui pouvaient prétendre échapper au statut servile et acquérir la liberté, ainsi que la citoyenneté romaine, sur la base de leurs aptitudes morales. Ces esclaves susceptibles d’obtenir une amélioration notable de leur statut juridique par le biais de l’exercitus apparaissaient aux yeux de la cité comme des citoyens virtuels, démontrant leur capacité à remplir les droits et devoirs inhérents à la citoyenneté romaine par leur virtus sur le champ de bataille. La qualité de cette citoyenneté performative était donc, là encore, conditionnée par l’adhésion aux cadres définis par l’autorité de l’État romain et aux valeurs qu’il incarne.
96Le cas du sanctuaire de Diane enfin, offre un exemple d’institution ancienne d’un asile emporique de type grec, destiné à la protection des étrangers de passage à Rome. Sans doute a-t-il offert plus tardivement, un refuge, une forme de protection juridique aux esclaves. Cette protection du servus dans le temple de Diane pourrait s’expliquer par le fait que l’esclave pouvait être potentiellement un ancien étranger, auquel l’État romain reconnut assez tôt la possibilité de se prémunir de différentes formes de violence.
97Ces systèmes touchant aux individus en marge de la citoyenneté, qui se structurent autour des sanctuaires de l’Aventin entre la fin de la République et le début du Principat, semblent donc confirmer l’une des caractéristiques de la colline déjà rencontrées à propos de ses limites : l’Aventin est une colline de confins, tout autant par les fonctions des sanctuaires qui s’y établissent que par les types de limites territoriales qui le définissent. Dans les deux cas, la colline apparaît comme un pont, un espace de médiation entre l’Vrbs et ce qui s’étend au-delà, entre la citoyenneté et l’extranéité. À ce titre, elle fait partie intégrante du système cultuel de la cité, dans lequel elle tient un rôle particulier.
98Cette fonction de protection / intégration endossée par certains sanctuaires de l’Aventin ne constitue évidemment que l’un des nombreux motifs qui définissent l’identité religieuse de la colline. Les sanctuaires aventiniens ont également joué d’autres fonctions essentielles dans la vie politique et religieuse de la cité, qui font également système et ont été démontré par ailleurs211. Sans doute d’autres logiques ont pu s’élaborer et faire sens autour des sanctuaires de l’Aventin. La présente étude a permis de dégager l’une d’entre elles. Elle a par ailleurs montré l’intérêt d’une approche dynamique qui dépasse le seul cadre de la cité, pour percevoir le rayonnement spatial de certains sanctuaires de l’Aventin. Les interactions des sanctuaires envisagées à différentes échelles spatiales constituent l’un des aspects centraux de la notion de « paysage religieux », récemment développée comme nouvelle approche de l’organisation des sanctuaires dans les mondes anciens212. Cette approche pourrait être développée plus largement en dehors de ces pages, pour d’autres études consacrées aux autres sanctuaires de l’Aventin. Ébauchée ici, elle devrait permettre d’apporter de nouveaux éclaircissements sur la manière spécifique dont certains sanctuaires de l’Aventin se sont articulés à d’autres lieux de culte de la cité et de l’empire, pour former des « espaces de significations cultuelles ».
Notes de bas de page
1 Ainsi Zevi 1987, p. 121-132. À propos de Cérès, Liber, Libera, plus spécialement, voir De Cazanove 1990, p. 373-399.
2 Spineto 2008. Voir notamment l’introduction de Filoramo.
3 Beard – North – Price 2006, p. 91.
4 Sur les transformations de certains cultes de Rome et l’intégration de nouvelles divinités, voir la synthèse de Toynbee 1965, p. 374-415.
5 En ce sens notamment, ibid. p. 374-415.
6 Ainsi Beard – North – Price 2006, p. 91-92.
7 Basanoff 1947.
8 Hal 1973, p. 568-571.
9 Le Gall 1976, p. 524.
10 Torelli 1982b, p. 128. Voir aussi les récentes mises au point sur les modalités de transfert du culte à Rome dans Ferri 2010, p. 55-76.
11 Dumézil (1966) 2000, p. 463.
12 L’importance attachée à Junon s’accompagne d’une attention particulière de la part des Romains à l’égard d’autres divinités caractérisées par des composantes multiples, communes à l’Italie et à Carthage : ainsi Ba’al Hammon et Saturne. Sur ce point voir Bloch 1975.
13 Pour le recensement des différents sanctuaires de la déesse concernés par des procédures d’expiation faisant suite à des prodiges, voir Dury-Moyaers – Renard 1981, p. 142-202.
14 Dumézil (1966) 2000, p. 463.
15 Selon Bloch 1973, p. 55-61, Junon était depuis longtemps dans le camp Carthaginois, car Iuno Regina et Iuno Caelestis correspondaient en réalité aux divinités Uni (étrusque) et Astarté (sémitique), assimilées dans le traité entre le roi de Caere et Carthage, comme en témoignent les inscriptions sur lamelles d’or du Ve s. av. J.-C., provenant de Pyrgi. Cependant l’idée que les Romains aient entrevu, dans les peuples étrusque et carthaginois, la menace d’ennemis futurs unis religieusement et soutenus par deux divinités dans lesquelles ils auraient reconnu leur propre Junon, dès le Ve s. av. J.-C., a été mise en doute. Voir notamment Dury-Moyaers – Renard 1981.
16 Jaeger 2006, p. 390.
17 Si le lien entre Junon et Hannibal est indiscutable, il est en revanche plus douteux qu’Hannibal ait reconnu spécifiquement la Tanit de Carthage dans la Junon de Lacina. Voir les récentes remarques de Sebaï 2007, p. 152-153 sur le sujet.
18 On notera l’intervention d’une autre divinité de l’Aventin dans le récit épique des guerres puniques composé par le poète flavien : la Diane de l’Aventin. Cependant, le rôle de la déesse est sans grand rapport avec la fonction civique et religieuse de premier plan joué par Junon. Ici Diane apparaît comme la divinité protectrice de l’Aventin, la divinité tutélaire de chaque colline romaine ayant été appelée par Jupiter afin de protéger la cité. Silius la mentionne après l’Apollon du Palatin, référant sans doute à des éléments de l’idéologie augustéenne, dans laquelle les jumeaux occupent une place de premier plan. Le poète évoque à leur suite Mars et Quirinus, insistant ainsi sur les dieux de Rome dont la fonction militaire est clairement admise.
19 Delarue 1992, p. 149-165.
20 Serv., Aen., 12, 841 : MENTEM LAETATA RETORSIT iste quidem hoc dicit ; sed constat bello Punico secundo exoratam Iunonem, tertio vero bello a Scipione sacris quibusdam etiam Romam esse translatam.
21 D’un point de vue strictement sémantique, l’exoratio signifie « fléchir par la prière » (Beard – North – Price 2006, p. 94). Basanoff 1947, p. 204 a proposé de définir l’exoratio comme « une forme juridique sacrée, apparentée à l’evocatio », tout en admettant cependant qu’une telle hypothèse reste difficile à prouver. Voir aussi Ando 2008, p. 128-189. Contra Ferri 2008 qui distingue clairement evocatio et exoratio.
22 Selon Le Gall 1976, p. 524, « toute devotio d’une ville était nécessairement précédée par l’evocatio de ses dieux ». Contra Ferri 2017, p. 360 qui met en doute la systématisation de ce lien, ce qui n’interdit pas de considérer qu’il fut cependant possible dans ce cas de figure.
23 Dans ce sens, Bardon 1952, p. 81.
24 Dumézil (1966) 2000, p. 667 et p. 481.
25 Sebaï 2007, p. 149-154 rappelle que Iuno Caelestis est considérée comme l’interpretatio romana de la Tanit punique depuis les travaux d’A. Audollent.
26 Bénabou 1976.
27 Sebaï 2007, p. 149-154 ; 2008, p. 312-313.
28 Sur le millier d’inscriptions récolté, dont certaines peuvent être datées entre le Ier et le IIe s. apr. J.-C., Iuno Calestis n’apparaît qu’une seule fois à Carthage sur un document fragmentaire (ILT, 1053).
29 Comme le note Sebaï 2007, p. 149-154, on connaît par ailleurs d’autres divinités dont le champ d’action se situe dans le domaine céleste : ainsi Diana Caelestis (CIL VIII, 999) à Carthage ou Venus Caelestis (CIL VI, 780, 521, 638) à Rome.
30 Ead., p. 152-153.
31 En ce sens Basanoff 1947, p. 64 ; Dumézil (1966) 2000, p. 464-465.
32 Sebaï 2007, p. 152-154, qui se base sur la documentation iconographique et le type de victimes associées à la déesse pendant la période punique.
33 Sur ces questions, voir aussi les mises au point de Ferri 2010, p. 87-108.
34 Dumézil (1966) 2000, p. 463.
35 Champeaux 1996, p. 88.
36 Comme l’avait noté Cousin 1942-1943, p. 15‑41, les offrandes en or avaient cessé après 218 et 217 pour des raisons économiques, et semblent réapparaitre ici, ce qui peut également souligner le caractère exceptionnel des prodiges et des expiations qui en découlent. Il semble par ailleurs qu’il fut difficile de rassembler les fonds nécessaires pour la réalisation d’une telle offrande, puisque les édiles durent convoquer les femmes domiciliées jusqu’à 10 milles de l’Vrbs.
37 Le terme « hermaphrodite » est ici employé pour désigner des individus « intersexués », c’est-à-dire des personnes dont l’ambiguïté sexuelle est avant tout d’ordre biologique. L’« androgynie » est un terme employé par la recherche moderne pour désigner l’ambiguïté sexuelle de genre, qui s’exprime plutôt dans le comportement ou l’apparence. Sur cette question, voir Sebillotte-Cuchet 2012.
Il faut noter que cette affectation terminologique définie par la recherche moderne peut créer une certaine confusion, puisque les Anciens employaient le terme latin androgynus pour désigner ceux que nous appelons aujourd’hui « hermaphrodites » ou « intersexués » (voir note suivante).
38 L’excursus que Tite-Live (27, 11, 4) consacre au terme androgynus semble bien indiquer le caractère nouveau que ce phénomène prend alors aux yeux des Romains : Et Sinuessae natum ambiguo inter marem ac feminam sexu infantem, quos androgynos uolgus, ut pleraque, faciliore ad duplicanda uerba Graeco sermone appellat. « À Sinuessa était né un enfant de sexe incertain, garçon ou fille, un de ceux que le vulgaire appelle un androgyne, en utilisant, comme la plupart du temps, des mots grecs (cette langue se prête plus facilement à l’emploi de mots composé). » Traduction (légèrement modifiée) de Jal, Paris : Les Belles Lettres (CUF), 1998.
39 Scheid 1998, p. 99.
40 MacBain 1982, p. 132 constate en effet qu’il n’y a plus de naissances d’hermaphrodites mentionnées dans les listes de prodiges après 92 av. J.-C.
41 Daremberg – Saglio 1900, p. 135‑139.
42 Delcourt 1958, p. 75 ; 1966, p. 71.
43 Pour ce qui concerne en particulier les prodiges étudiés ici, voir Champeaux 1996, p. 67-91. Selon la chercheuse, l’intervention à la fois des pontifes, des haruspices et des décemvirs pour l’expiation des prodiges de 207 ne révèle ni désordre ni surenchère ou rivalité entre sacerdoces. En réalité, chaque sacerdoce intervient successivement, suivant sa compétence propre ou pour relayer le précédent quand celui-ci a atteint les limites de son efficacité. La nature du prodige et le type de mesure expiatoire proposé déterminent le champ d’intervention de chacun. Sur les autorités compétentes dans l’évaluation des mesures d’expiation de prodiges en général, voir Rasmussen 2003.
44 Champeaux 1996, p. 67-91.
45 Ead., p. 74-75 sur la signification du chiffre neuf à Rome.
46 On consultera le recensement des sources évoquant ce type de prodiges et le bilan proposé par MacBain 1982, p. 132. Ce dernier observe notamment un net accroissement de ce type de naissances entre 133 et 92, en lien avec la montée en puissance des haruspices et les tensions entre Rome et l’Étrurie, des Gracques jusqu’aux guerres sociales.
47 Ibid., p. 58.
48 Sur ce point, voir en dernier lieu Bonnard 2005, p. 296.
49 Champeaux 1996, p. 79-80. La chercheuse évoque également la tentative de noyade des jumeaux Romulus et Remus dans certaines versions de la tradition sur les origines de Rome. Il semble que cette tradition doit être plutôt rapprochée des expositions d’enfants et renvoie ainsi à une problématique différente de celle du parricidium.
50 Thomas 1981, p. 707.
51 Sur la nature juridique du parricide, ibid., p. 643-715 ; 1991, p. 103-156. Sur l’hermaphrodite comme monstrum voir Cuny-Le Canet 2005, p. 17.
52 Briquel 1980a, p. 88-89.
53 Champeaux 1996, p. 82-84.
54 Sur la série de jeux introduits à la suite des ludi Tarentini, appelés « jeux séculaires » au moins à partir d’Auguste, voir Beard – North – Price 2006, p. 84 et p. 198-203.
55 Champeaux 1996, p. 82-84.
56 En ce sens, Abaecherli Boyce 1937, p. 157-171 ; Gagé 1955, p. 205-215 et p. 349-370 et Dumézil (1966) 2000, p. 479-481. Ces chercheurs placent assez tôt l’intervention des décemvirs, suggérant ainsi que les pontifes mirent en place un rituel hellénisant sur leur recommandation.
57 En ce sens, Champeaux, 1996, p. 82-84.
58 Beard – North – Price 2006, p. 84. Sur les chœurs féminins composés de jeunes vierges dans le monde grec, voir Calame 1977. Weigel 1982-1983, p. 186, indique que les chœurs de vierges étaient également utilisés pour le culte de Junon Curitis à Faléries, mais on ignore à partir de quelle période. Sur l’origine et le caractère singulier de cette cérémonie déployée dans cette cité du Latium, voir en dernier lieu Thibaut 2018.
59 Sur ces mimiques rituelles qui accompagnaient le dernier acte liturgique du culte, voir Le Bonniec 1958, p. 412-420 et Pailler 1988, p. 423-424.
60 Beard – North – Price 2006, p. 94-95.
61 Dury-Moyaers – Renard 1981, p. 142-202.
62 Sur ce point, voir l’étude de Ferri 1955-1956, p. 112. Ce dernier avait observé que, parmi le matériel votif découvert à Véies, le type de la déesse mère assise sur un trône, un enfant dans les bras, apparaît fréquemment (ibid., pl. I fig. 1 et pl. II fig. 3). Ce type apparaît au VIe s. av. J.-C. dans toute l’Italie centrale et méridionale, mais il n’est pas à exclure cependant qu’il puisse être mis directement en rapport avec la divinité tutélaire de Véies.
63 Palmer 1974, p. 22.
64 Montero Herrero 1994, p. 84-91.
65 Sur les liens entre ces deux personnages et l’influence de M. Livius Salinator sur la composition et la mise en scène des rituels expiatoires de 207, avant le départ des consuls, voir les remarques de Flores 1973, p. 19-22. Le chercheur suggère que la precatio qui devait faire partie du chant visait à attirer les faveurs divines aux consuls qui allaient mener la guerre contre Hasdrubal, et au nombre desquels comptait, justement, M. Livius Salinator. À noter cependant que l’historien accorde peut-être une part trop exclusive aux enjeux de domination politique de la part de certains groupes de l’oligarchie romaine dans la mise en œuvre de cette cérémonie rituelle. Cette analyse tend en outre à minimiser la part d’innovation dans la conception de ce type de cérémonie.
66 Torelli 1984, p. 200-202.
67 Néraudau 1979, p. 191-192.
68 En ce sens, Schultz 2006, p. 33-37.
69 Palmer 1974, p. 22.
70 Dumézil (1966) 2000, p. 303.
71 En ce sens, déjà, MacBain 1982, p. 71, suivi par Schultz 2006, p. 36.
72 Sur cette trifonctionnalité de Junon Sospita, voir Dumézil 1954, p. 105-119, repris et développé par Pailler 1997, p. 523-531.
73 Sur ces supplicationes adressées à Junon Sospita comme témoignage du rôle civique et politique des femmes, en particulier pendant la deuxième guerre punique, voir Schultz 2006, p. 28-33.
74 Ead., p. 37.
75 Ead.
76 On trouve également une allusion rapide à cet événement, sans éléments aussi complets sur sa dimension juridique et politique chez Tacite (Ann., 3, 33, 4 ; 34, 4), Valère Maxime (9, 1) et le pseudo Aurélius Victor (47, 6).
77 Cette restriction portait en premier lieu sur le droit pour celles-ci d’avoir (habere) plus d’une demi-once d’or. Sur les débats concernant la nature de cette restriction, voir la synthèse d’Agati Madeira 2004, p. 88-92. Cette dernière soutient, à la suite de Guarino 1985, p. 209 et sq., que la loi portait sur le fait de porter ou exhiber plus d’une demi-once d’or (environ 165 grammes), quel que fut le statut de la femme concernée, et non sur la possession en bien propre d’une telle quantité de ce métal précieux (mesure qui n’aurait concerné dès lors que les femmes sui iuris, les seules à pouvoir acquérir un patrimoine propre). Dans ce sens également, Culham 1982, p. 787, qui suggère toutefois l’application de cette restriction aux seules femmes alieni iuris. Voir aussi Clemente 1981, p. 1-14. Les interdits liés à la lex Oppia portaient également sur le port de vêtements colorés, l’adjectif versicolora renvoie vraisemblablement à la couleur pourpre, comme on peut le déduire de la réponse des tribuns adressée à Caton (Liv., 34, 7, 1-3). Voir en ce sens Agati Madeira 2004, p. 90-91. Enfin, ces restrictions concernaient l’interdiction pour les femmes de se déplacer en voiture à attelage, sauf à l’occasion de cérémonies religieuses.
78 Tite-Live ne dit rien, en revanche, sur le cadre dans lequel se placent ces discours. S’ils s’adressent aux Romains qui devront se prononcer dans le cadre des compétences législatives des comices, on ignore en revanche s’ils furent prononcés devant les Assemblées du peuple, ou dans le cadre informel de contiones. De telles précisions auraient permis de connaitre la nature de l’auditoire et ainsi la portée publique du débat.
79 Briscoe 1981, p. 39-43.
80 Ibid.
81 Liv., 34, 7, 14 : Inuidiosis nominibus utebatur modo consul seditionem muliebrem et secessionem appellando. Id enim periculum est ne Sacrum montem, sicut quondam irata plebs, aut Auentinum capiant. « Tout à l’heure, le consul parlait d’émeute ou de révolte à propos des femmes : ce sont des expressions détestables. Pour un peu elles prendraient le mont Sacré, comme le fit autrefois la plèbe en colère, ou encore l’Aventin. » Traduction de Flobert, Paris : GF Flammarion, 1997.
82 Sur ce point, voir les développements dans la deuxième partie de cet ouvrage, au chapitre 1.2.
83 Sur l’aspect juridique de cette question voir Guarino 1985, p. 210 sq.
84 Agati Madeira 2004, p. 95.
85 Sur cette acception commune, qui précède les controverses autour de cette notion dans le contexte des conflits du Ier s. av. J.-C., voir Ferrary 1982, p. 761-766 et Hurlet 2005, p. 1260.
86 Agati Madeira 2004, p. 96-99.
87 Nicolet 1976, p. 295 et 380-386. Un autre enjeu de l’affaire pourrait également résider dans le fait qu’une loi centuriate, votée par la plus « solennelle » et la plus « légitime » des assemblées (Cic., p. red. in sen., 27, 10-15), formée par l’ensemble du populus, fut abrogée par un plébiscite initié par un tribun de la plèbe.
88 En ce sens, Desideri 1984, p. 63-74.
89 L’idéologie augustéenne visait une restauration de l’ordre jusque dans la structure familiale, que le princeps estimait avoir été mise à mal par les conflits du Ier s. av. J.-C. La tournure polémique de cet épisode que Tite-Live cherche à exploiter pourrait donc s’inscrire dans le contexte des réformes d’Auguste sur la famille et le statut des femmes à Rome, comme l’a suggéré Haury 1976.
90 Culham 1982, p. 791-792.
91 Sur cette fonctionnalité du culte de Diane, voir les travaux de Boëls-Janssen 1993, p. 424 et p. 429 et sq.
92 Brouwer 1989, p. 358-399. Mastrocinque 2014 p. 74-76 soutient l’existence d’un plus grand nombre de célébrations en l’honneur de la déesse, dont certaines en dehors de ce cadre strict, mais attestées surtout à l’époque impériale.
93 Culham 1982, p. 791-792. Sur la portée civique de cette capacité, voir aussi les récentes remarques de Peppe 2016, p. 356-358.
94 Le Bonniec 1958, p. 254.
95 Spaeth 1996, p. 11.
96 Sur ce point voir les remarques du chapitre 2.1.1, supra.
97 À côté de jeunes gens, selon Champeaux 1996, p. 82-84. Cependant Spaeth 1996, p. 11‑12 et p. 103-123 suggère, à partir de témoignages épigraphiques et littéraires, que le culte était célébré uniquement par des femmes, qui étaient à la fois officiantes et participantes, et visait notamment à exalter un certain nombre de vertus féminines telles que la chasteté ou la maternité. Spaeth soutient par ailleurs que cette forme du culte, caractérisée par un lien particulier avec les femmes, est observée à Aricie dès le début du IIIe s. av. J.-C.
98 Pailler 1988, p. 409-465 notamment.
99 Ibid., p. 428.
100 Ibid, p. 414. Contra, voir les développements sur la localisation du mundus au forum romain dans la partie 1, au chapitre 2.1.4.3.
101 Gallini 1970, p. 60 et n. 196-197.
102 Sur ce point, voir dans la partie 2, le chapitre 2.2.2.2.
103 Qualifiée de femme honnête et respectueuse de l’ancien mos (Liv., 39, 11, 5 : probam et antiqui moris feminam.)
104 Décrite comme une femme noble et très respectable (Liv., 39, 11, 4 : Sulpiciam gravem feminam.)
105 Hispala, dont Tite-Live (39, 9, 5) nous dit qu’elle exerce par nécessité le métier de prostituée au début de l’affaire, est une figure entre deux. Sa noblesse morale et son rôle dans cette affaire, récompensés par une amélioration considérable de son statut juridique, lui permettent de passer dans cette catégorie.
106 En raison notamment de son implication dans le culte des Bacchanales et de sa vénalité à l’égard de son propre fils (Liv., 39, 9).
107 En ce sens, Gallini 1970, p. 20-25 et, selon une approche différente, North 1979, p. 85-103.
108 La présence d’hommes parmi les adeptes du culte est un autre aspect sensible de l’affaire. Voir Beard – North – Price 2006, p. 105.
109 Cf. Liv., 34, 2, 9 sur la position de Caton à propos des matrones romaines opposées à la lex Oppia qui s’adressent à des hommes qui leur sont étrangers.
110 Sur son identité, voir les discussions dans la partie 2, au chapitre 2.2.2.2.4.
111 Dont le sanctuaire était situé au pied de l’Aventin. Sur ce point, voir dans cette partie le chapitre 1.2.3, supra.
112 Beard – North – Price 2006, p. 105.
113 Pailler 1988, p. 421-428.
114 Schulz 2006, p. 36-37.
115 Beard – North – Price 2006, p. 101.
116 Eid, p. 92.
117 Richardson 1992, p. 41 ; Coarelli 1993a et Amici 1999, p. 229.
118 Purcell 1993, p. 125-155.
119 Tite-Live (43, 16, 19) précise en effet que l’atrium Libertatis servait d’archives des censeurs, et que l’on y conservait notamment les tabulae, présentant les listes des citoyens libres.
120 Coarelli 1993a, p. 133.
121 Amici 1995-1996, p. 295-321.
122 Richardson 1992, p. 234 et Papi 1996, p. 188-189. Sur les différentes hypothèses proposées pour la localisation de l’édifice, voir Papi 1996, p. 203-204 notamment, et les compléments bibliographiques essentiels de Guilhembet 1999, p. 255 : certains chercheurs proposent de localiser le monument sur les pentes nord du Palatin, entre la voie qui relie le Vélabre au Palatin (erronément appelée clivus Victoriae) et la Nova via (à la liste bibliographique proposée par Guilhembet, on ajoutera, parmi les tenants de cette hypothèse, Kardos 2003, p. 295-296), tandis que d’autres préfèrent le placer dans la partie nord-ouest de la colline, sous le vicus Tuscus. Cette dernière hypothèse semble moins largement admise (on préfère voir dans ces vestiges la demeure de L. Marcius Censorinus). Enfin, A. Carandini (suivi par Royo 1999, p. 87) a proposé d’identifier les propriétés palatines de Cicéron, parmi lesquelles fut érigé le monument à Libertas, avec les vestiges exhumés le long de la Sacra Via, entre la domus Publica et la demeure de Scaurus.
123 Platner – Ashby 1929, p. 317 ; Richarson 1992, p. 234 et Papi 1996, p. 189.
124 Ainsi, Platner – Ashby, ibid., suivis par Richarson, ibid.
125 Voir 1.1.10, supra.
126 Broughton 1951, p. 216-217.
127 Hellegouarc’h 1972, p. 528-530.
128 Sur cette interprétation voir les remarques critiques d’Arena 2012, p. 34-35.
129 Wiseman 1979, p. 92.
130 Briquel 2000, p. 193-199.
131 En ce sens Cels Saint-Hilaire 1991. Cependant, la lecture du second triumvirat au seul prisme de l’antagonisme patricio-plébéien a été relativisée. Voir les remarques de Briquel ibid.
132 Sur la Liberté perçue juridiquement comme un statut de non-domination, voir Arena 2012, p. 29. De manière significative, l’auteur relève également, p. 32-33, de nombreux exemples attestant la façon dont les populations des cités romaines vécurent leur soumission aux puissances rivales de Rome au cours du IIe s. av. J.-C., comme une forme d’esclavage. Ce sentiment était exprimé lors des triomphes militaires destinés à célébrer leur reconquête par Rome, à travers le port du pilleus, qui devint ainsi un symbole visuel de la Liberté retrouvée pour tous les membres de la communauté partageant ce statut, qu’ils fussent ou non de naissance libre.
133 Marcattili 2015a insiste sur le rôle de Jupiter à Rome dans les questions de manumissio, et plus particulièrement sur celui de Jupiter Liber dans le cas du temple de l’Aventin. Cependant, on a vu plus haut (chapitre 1.1.10) que le sanctuaire était voué en premier lieu à Jupiter Libertas et que son association à Jupiter Liber n’intervint peut-être pas avant le IIe s. av. J.-C.
134 Halkin 1979, p. 44-48 ; Castello 1989.
135 Sur les Alliés italiens et la formula togatorum, par exemple, voir Nicolet 2001, p. 280-281.
136 Sur ce point, voir Castello 1989.
137 Sur la question bien connue de l’augmentation considérable de la population servile dans le monde romain après la deuxième guerre punique et ses enjeux sociaux, économiques et stratégiques, voir Dumont 1987 ; Capogrossi Colognesi 1993 ; Bradley 1994 ; Andreau – Descat 2006.
138 Koortbojian 2002, p. 35.
139 Sur cette pratique voir Zinserling 1960, nos 13 et 405. Ce phénomène politique pourrait remonter, selon certains chercheurs, au IVe s. av. J.-C. Ainsi Hölkeskamp 1987, p. 204-240 ; Holscher 1990, p. 73-84.
140 Cette hypothèse oblige à admettre que le temple fut maintenu en fonction jusqu’à la mort d’Auguste. En ce sens, voir Koortbojian 2002, p. 36 et n. 24 et 25. Voir aussi les remarques sur la chronologie du temple dans le chapitre 1.1.10, supra.
141 Sur les typologies picturales de cette période (composition figurée, perspective d’ensemble ou vignettes) et la catégorie à laquelle appartiendrait la peinture du temple de Libertas, voir Koortbojian 2002, p. 36-40. Le rattachement de cette peinture au type de la composition figurée lui semble le plus vraisemblable, puisque aucune représentation de banquet sous la forme d’une perspective d’ensemble n’est connue par ailleurs, et que la typologie des vignettes ne coïncide pas avec la description de la peinture qu’en donne Tite-Live. L’hypothèse est confortée par la richesse des détails de la scène donnée dans la description de Tite-Live. Il n’est cependant pas à exclure que, pour servir son propos, Tite-Live ait limité sa description à cette seule scène du banquet public, laquelle aurait pu être incluse dans une scène plus vaste. Selon l’analyse de Guilhembet 2005, p. 53-60, Varron (rust., 1, 2, 1) aurait procédé de même dans sa présentation de la peinture du temple de Tellus. L’antiquaire consacre ainsi sa description à l’Italie, qui ne serait en réalité qu’un élément d’une représentation cartographique plus vaste, réalisée au milieu des années 50 sur l’initiative de Cicéron. Contra Le Bris 2007, p. 75-83. Dès lors, on peut supposer que la peinture du temple de Libertas aurait appartenu au type pictural de la vue d’ensemble.
142 Koortbojian ibid.
143 Sur le rôle de l’exemplum comme vecteur des valeurs partagées par l’aristocratie romaine et comme élément structurant du mos maiorum, voir David 1998.
144 En ce sens Castello 1989, p. 101-102, malgré le fait que Tite-Live (24, 15, 7) les qualifie parfois d’individus sortis d’ergastula. Selon le chercheur, il s’agirait d’une expression purement péjorative que l’historien met dans la bouche des Carthaginois pour tourner en dérision certaines composantes de la légion romaine qu’ils doivent combattre.
145 En l’occurrence les nexi. Castello 1989, p. 102-103 suit la thèse avancée par certains juristes selon laquelle la lex Poetelia Papiria de 326 av. J.-C., abrogeant l’asservissement du débiteur sans abolir le nexum – le créancier devait désormais recourir à la justice pour obtenir la consécration de son droit –, eut également pour conséquence d’interdire la vente ou l’exécution des débiteurs par leurs créanciers.
146 Ibid., p. 107-109. Cette pratique aurait connu un précédent quelques années plus tôt.
147 Castello 1982. Voir aussi la bibliographie mentionnée dans Castello 1989, p. 106 n. 47 pour les périodes plus récentes.
148 Arena 2012, p. 37-39.
149 Liv., 24, 14, 4 : Senserat tamen hibernis egrediens murmur in agmine esse quaerentium, en unquam liberi militaturi essent. « Cependant, en sortant de ses quartiers d’hiver, il [Sempronius Gracchus] avait senti qu’il y avait des murmures dans la colonne : ils demandaient si jamais ils ne feraient campagne en hommes libres » Traduction de Jal, Paris : Les Belles Lettres (CUF), 2005.
150 Selon Tite-Live (24, 14, 9-10), lorsque Sempronius annonça à l’assemblée regroupant l’ensemble des soldats son intention d’accorder la liberté aux volones, ses propos déclenchèrent une clameur de liesse générale. La joie régnait parmi tous les soldats, même si elle suscita une allégresse particulière parmi ceux qui allaient recevoir la liberté pour récompense et pourraient ainsi répondre au modèle du « vrai soldat » (24, 14, 4 : ad exemplum iusti militis).
151 Castello 1989, p. 115.
152 Selon Castello Ibid, p. 116, cet épisode met ainsi en doute la thèse du status sive condicio de l’esclave, défendue par certains juristes modernes.
153 Le lien récurrent entre l’action des Gracques et la population servile au IIe s. av. J.-C. avait été déjà relevé par Dumont 1987, p. 244.
154 Plut., CG, 16, 7 : Ἔνθα δὴ λέγεται καθεσθεὶς εἰς γόνυ καὶ τὰς χεῖρας ἀνατείνας πρὸς τὴν θεὸν ἐπεύξασθαι τὸν Ῥωμαίων δῆμον ἀντὶ τῆς ἀχαριστίας ἐκείνης καὶ προδοσίας μηδέποτε παύσασθαι δουλεύοντα· φανερῶς γὰρ οἱ πλεῖστοι μετεβάλοντο κηρύγματι δοθείσης ἀδείας. « On dit qu’alors il se jeta à genoux, et, tendant les mains vers la déesse, la pria de faire en sorte que le peuple romain, en punition de son ingratitude et de sa trahison, fut à jamais esclave, car la plupart des citoyens, à la proclamation de l’amnistie, avaient visiblement changé de camp. » Traduction de Flacelière – Chambry, Paris : Les Belles Lettres (CUF), 1976.
155 Sur ce point, voir le chapitre 2.2.2, infra.
156 Liv., 34, 6, 18 : Cur serui qui militent non emuntur ? « Pourquoi ne plus acheter d’esclaves pour en faire des soldats ? »
157 Nicolet 1980, p. 136-141.
158 Wirszubski 1950, p. 3-4.
159 En outre les censeurs prenaient probablement en considération le dénombrement des individus soumis à Rome et n’appartenant pas à la citoyenneté romaine car les chiffres du census ne prenaient de signification que dans leur mise en rapport avec d’autres groupes de statut. Nicolet 1976, p. 74.
160 Sur les autres fonctions nombreuses de l’atrium Libertatis, voir Purcell 1993, p. 142-145 ; Arena 2012, p. 43-44.
161 Sur ce point, voir dans cette partie le chapitre 1.1.6, supra.
162 Gras 1987, p. 57-60.
163 Rigsby 1996, p. 575-577.
164 Gauthier 1972, p. 226-227.
165 Mommsen 1907, p. 141-142.
166 Dreher 1996, p. 80-81 et p. 87 souligne en effet qu’il n’existe pas de forme substantivée dans la langue grecque qui équivaut au terme latin asylum, lequel désigne un lieu dont la sacralité s’explique du fait qu’il permet l’accueil de personnes pourchassées. Dans la langue grecque, il n’existe que le substantif άσυλία, qui apparaît pour la première fois dans la littérature grecque vers le milieu du Ve siècle av. J.-C. (A., supp., 610), et qui désigne l’état d’asile et la personne concernée par celui-ci. Quant à l’adjectif ἄσυλος, -α, -ον, il qualifie quelque chose, le plus souvent un sanctuaire, qui est considéré comme inviolable, et apparaît plus tardivement, comme on l’a vu.
167 Van Berchem 1960, p. 21-24.
168 Ibid., p. 30-33 à propos de la Diane aventine, p. 26-29 à propos de Naucratis, et p. 24-26 à propos d’Éphèse.
169 Colonna 1962, p. 57-60.
170 Ampolo 1970, p. 200-210.
171 Sur l’influence en particulier du modèle massaliote dans l’iconographie donnée à la statue de culte de l’Aventin, voir les développements dans le chapitre 1.1.6.2, supra.
172 Gras 1987.
173 Le chercheur (ibid., p. 51-54) a en revanche écarté l’idée suggérée par les sources d’une fonction fédérale inspirée du modèle éphésien au moment de la fondation du sanctuaire de l’Aventin. Différemment, voir Prim 2014, p. 252-261.
174 Gras 1987, p. 57-60.
175 Notamment autour des sanctuaires des Pyrgi, Gravisca et Adria. Sur ces édifices, voir Bourdin 2006, p. 19-39.
176 Freyburger 1992, p. 139-151 ; 2003, p. 161-175.
177 Selon Freyburger 1992, p. 144-148, le caractère enclos du refuge évoqué par Dion Cassius (47, 19, 3) concernerait l’asile du temple du divus Iulius plutôt que l’asylum de Romulus. Certes, Tite-Live (1, 8, 5 : locum qui nunc saeptus escendentibus) mentionne l’existence en son temps d’un enclos autour de l’asylum de Romulus, mais celui-ci n’aurait été formé que de colonnes et demeura relativement ouvert.
178 Calpurnius Piso d’après Serv., Aen., 2, 761 : Quem locum deus †Lucoris, sicut Piso ait, curare dicitur. « On dit que le dieu Lucoris, comme l’affirme Pison, veille sur ce lieu. » Traduction de Chassignet, Paris : Les Belles Lettres (CUF), 1999.
179 Gell., 5, 12. 12 : Simulacrum igitur dei Vediouis, quod est in aede, de qua supra dixi, sagittas tenet, quae sunt uidelicet partae ad nocendum. Quapropter eum deum plerumque Apollinem esse dixerunt ; immolaturque ritu humano capra, eiusque animalis figmentum iuxta simulacrum stat.
180 Colini 1942, p. 47. La statue a été datée du IIe s. av. J.-C. et serait donc contemporaine de la fondation du temple (voir Albertoni 1999).
181 Sur l’application de la sacratio aux individus ne respectant pas les suppliants réfugiés auprès de Véiovis voir Freyburger 2003, p. 166.
182 Marcattili 2015b. Selon le chercheur italien, si les sanctuaires de Véiovis et Jupiter étaient effectivement liés topographiquement sur le Capitole, mais aussi par les calendriers religieux, chacun recouvrait cependant une fonction spécifique et complémentaire. Tandis que Véiovis était assigné à la purification des individus qui fréquentaient l’asylum, Jupiter sanctionnait leur intégration dans la communauté civique. F. Marcattili suggère par ailleurs que, de par sa fonction purificatrice, Véiovis était également lié au dieu Esculape, lui-même associé dans le monde grec à l’asylie.
183 Depuis les travaux de Thomas 1996 et Sordi 1994 et 1995, voir ceux de Licandro 2004, Gagliardi 2006, et les articles publiés entre 2004 et 2007 dans le cadre du programme consacré à La Mobilité des personnes en Méditerranée, dirigé par C. Moatti.
184 Mommsen 1907, p. 141.
185 Dreher 1996, p. 79-96, et plus particulièrement le chapitre I, p. 80-89. Voir également Gauthier 1972 p. 127-128.
186 Les exemples concrets donnés pour le monde grec par Dreher 1996, p. 79-96 indiquent en effet que l’asylie personnelle relevait davantage du droit politique. Elle constitue une institution du droit des étrangers dans les cités grecques et concerne principalement les proxenoi, mais également des groupes de personnes définies, tels que les collèges d’artistes qui se rendaient dans les différents festivals du monde grec, et enfin les citoyens de plein droit venant dans le cadre d’accords réciproques spécifiquement codifiés entre deux cités.
187 Dreher 1996, p. 79-96 et p. 83-89 notamment.
188 Il est difficile de savoir quelle fut l’étendue territoriale du droit d’asile sur l’Aventin à l’époque archaïque. On sait par Hérodote (1, 26) que le premier sanctuaire d’Éphèse était situé en dehors de la cité, et que son asile se limitait à son territoire, puisque les Éphésiens cherchèrent à protéger leur ville contre l’avancée du roi Lydien, Crésus, en reliant par une corde le mur d’enceinte au sanctuaire d’Artémis, situé à l’extérieur. Des témoignages épigraphiques remontant jusqu’au IIIe siècle av. J.-C. attestent par ailleurs qu’hormis quelques exceptions, l’asylie dans le monde grec était généralement demandée pour les temples seuls, s’ils étaient situés en dehors de la cité, mais pour toute la cité et son territoire s’ils étaient situés à l’intérieur (voir Rigsby 1996, p. 20). Il est donc généralement admis que l’asylie liée au sanctuaire d’Éphèse se limita, dès l’origine, au temple et que la situation demeura inchangée au cours des siècles, même après les importantes extensions du territoire de la cité, d’une part, et celles du territoire sacré du temple, d’autre part (temenos), au point que ces deux espaces finirent probablement par se chevaucher (ibid., p. 385 et p. 390). Si l’on considère que l’asile de la Diane aventine relève du modèle éphésien, on peut donc imaginer une situation analogue à Rome, avec une asylie strictement limitée au territoire du sanctuaire, puisque l’Aventin était situé en dehors de l’Vrbs, c’est-à-dire hors de l’espace auspicialement privilégié de la cité défini par la limite du pomerium. Cette situation juridico-religieuse se perpétua de la fondation du sanctuaire, jusqu’au milieu du Ier siècle apr. J.-C. Si on peut admettre ce principe, pour autant les sources ne nous livrent aucun élément sur l’étendue précise du territoire du sanctuaire de Diane à Rome. Il s’agit d’un point qu’il aurait été particulièrement intéressant de connaître car il nous aurait permis d’évaluer la capacité d’accueil des suppliants et, de ce fait, l’importance juridico-religieuse du sanctuaire dans la cité (sur l’importance de l’asile en fonction de la capacité d’accueil des suppliants dans l’enceinte du sanctuaire, voir Dreher 1996, p. 87-88 notamment).
189 Gauthier 1972, p. 226-230.
190 Dreher 1996, p. 83-84.
191 Gauthier 1972, p. 226-230.
192 Ibid.
193 Gabba 1996, p. 135-165 notamment.
194 Notamment lorsqu’il évoque les types d’habitats collectifs érigés dans le cadre de cette loi sur l’Aventin. Sur ce point, voir notamment les remarques du chapitre 2.1.3.2 dans la deuxième partie de cet ouvrage.
195 Outre les travaux de D. Van Berchem, C. Ampolo et M. Gras déjà évoqués, d’autres historiens ont également considéré cette fonction d’asile emporique, ainsi Coarelli 1999i ; Vernole 2002, p. 146-149 ; Scodellari 2003, p. 417-433 ; D’Angelo 2017, p. 76. L’asylie de Diane a également suscité l’intérêt de spécialistes du droit d’asile dans le monde gréco-romain (ainsi Rigsby 1996 ; Freyburger 1992 ; 2003 et Dreher 1996 ; 2003).
196 Vernole 2002 p. 147 n. 407. En ce sens déjà, Altheim 1930.
197 Dumont 1987, p. 88-94.
198 Cette thèse se fonde sur le principe de l’hostilité naturelle, selon lequel, en dehors des traités, il ne peut y avoir d’autres formes de relations que la guerre. Cette conception justifiée par H. Lévy-Bruhl, d’après les positions de Th. Mommsen a été réfutée depuis par les travaux de F. de Martino et P. Catalano, puis Dumont 1987, p. 88-94, qui conteste notamment la lecture du texte de Pomponius (Dig. 49, 15, 5, 2 – Pomponius, 37 ad Quintum Mucium) sur lequel H. Lévy-Bruhl, puis A. Watson, ont fondé cette analyse. La fonction d’asile à Rome évoquée dans le précédent chapitre tend également à nuancer cette approche.
199 Dumont 1987, p. 94.
200 Cic., off., 1, 37, 6-10 : Equidem etiam illud animadverto, quod, qui proprio nomine perduellis esset, is hostis vocaretur, lenitate verbi rei tristitiam mitigatam. Hostis enim apud maiores nostros is dicebatur, quem nunc peregrinum dicimus. « Je remarque en outre que la tristesse de la réalité a été atténuée par la douceur du terme, en ceci que fut appelé hostis, celui qui à proprement parler était perduellis. On nommait hostis en effet chez nos aïeux, celui que maintenant nous nommons peregrinus, étranger. » Traduction de Testard, Paris : Les Belles Lettres (CUF), 1965. Varro, Ling., 5, 3 : neque omnis origo est nostrae linguae e vernaculis verbis, et multa verba aliud nunc ostendunt, aliud ante significabant (ut hostis : nam tum eo verbo dicebant peregrinum qui suis legibus uteretur, nunc dicunt eum quem tum dicebant perduellem). « Enfin, l’origine de notre propre vocabulaire ne se tire pas toujours de notre fond indigène et bien des mots ont aujourd’hui une acception toute différente de leur signification antérieure, hostis par exemple : car jadis par ce mot on désignait l’étranger assujetti aux lois de son pays, ainsi appelle-t-on aujourd’hui celui qu’on désignait autrefois perduellis. » Traduction d’après Collart, Paris : Les Belles Lettres (PFLUS), 1954.
201 Dumont 1987, p. 92.
202 Cic., off., 1, 37, 10-15 : Indicant duodecim tabulae : AUT STATUS DIES CUM HOSTE, ITEMQUE ADVERSUS HOSTEM AETERNA AUCTORITAS. Quid ad hanc mansuetudinem addi potest, eum, quicum bellum geras, tam molli nomine appellare ? Quamquam id nomen durius effecit iam vetustas ; a peregrino enim recessit et proprie in eo, qui arma contra ferret, remansit. « Les douze Tables portent : Aut status dies cum hoste, ou le jour fixé avec l’étranger, et de même adversus hostem aeterna auctoritas, vis-à-vis de l’étranger, que la garantie soit perpétuelle. Que peut-on ajouter à cette bienveillance : appeler celui contre qui on fait la guerre, d’un nom si bénin ? Il est vrai que le temps, déjà, a fait ce mot plus dur : il s’est éloigné en effet de peregrinus, étranger et s’est attaché à celui qui porte les armes contre nous. » Traduction de Testard, Paris : Les Belles Lettres, 1965. Sur la terminologie employée pour désigner les migrants à Rome et ses évolutions voir Moatti 2013, p. 80-81.
203 Traduction de Collart, Paris : Les Belles Lettres (PFLUS), 1954.
204 Sur cette fonction, voir dans la première partie, les développements du chapitre 3.1.2.1
205 Moatti 2013, p. 80.
206 Les deux termes renvoient, comme ἱερόν, à la résidence d’une divinité (voir Scheid 1997, p. 52). Le premier (fanum) renverrait plutôt à un espace sacré, solennellement consacré à un dieu, mais il pourrait aussi renvoyer à un temple avec un espace autour. Le second (templum) est bien plus ambigu : il peut aussi bien désigner une bande de terre consacrée que l’édifice dédié à une divinité spécifique érigé sur celle-ci (voir Glinister 1997, p. 63).
207 Fest., p. 460 L : Servorum dies festus vulgo existimatur Idus Aug. quod eo die Servius Tullius natus servus aedem Dianae dedicaverit in Aventino cuius tutelae sint cervi ; a que celeritate fugitvos vocent cervos.
208 Voir à ce propos Schilling 1964.
209 On doit cette notion à De Polignac 1984, p. 79, qui considère que la responsabilité des femmes dans les cultes en l’honneur de Déméter en Grèce leur conférait une citoyenneté latente qu’il qualifie de « citoyenneté cultuelle ». Déjà Pailler 1995, p. 43-44 a considéré que cette notion ne pouvait s’appliquer aux femmes romaines.
210 Schultz 2006.
211 Voir notamment Zevi 1987, Simon 1994 et Marcattili 2012.
212 Sur cette notion, voir Scheid – De Polignac 2010.
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