La famille de Baudricourt. Itinéraire d’une promotion militaire, politique et administrative
Résumés
Dès que les Angevins ont pris pied en Lorraine, les Baudricourt, par intérêt personnel, par tradition familiale mais aussi par loyauté politique, se sont mis à leur service, tant d’un point de vue militaire que politique et financier. À mesure que les Angevins se sont rapprochés du pouvoir royal, cette famille, intermédiaire entre Valois et Angevins, s’est enrichie et enracinée, devenant les relais de la faveur et de l’influence royales dans cet espace frontière.
Non appena gli Angioini si furono insediati in Lorena, i Baudricourt, per interesse personale, per tradizione familiare ma anche per lealtà politica, si misero al loro servizio, sia da un punto di vista militare che politico e finanziario. Nel frattempo che gli Angioini si avvicinavano al potere reale, questa famiglia, che fungeva da intermediario tra i Valois et gli Angioini, si arricchì e si radicò, diffondendo il favore e l’influenza reale in questo spazio di confine.
Entrées d’index
Mots-clés : Angevins, frontière, famille, lignage, officiers, duché de Lorraine, service royal, carrière militaire, faveur royale
Parole chiave : Angioini, confine, famiglia, lignaggio, ufficiali, ducato di Lorena, servizio reale, carriera militare, favore reale
Texte intégral
1Les Baudricourt, une famille d’officiers angevins ? La question mérite d’être posée, tant le nom de cette famille, pour ceux qui la connaissent, est surtout lié au service du duc de Bar au XIVe siècle et, de façon plus significative, à celui du roi de France au cours du XVe siècle. Ce présent article cherche à montrer qu’en Lorraine du moins, il existe une forte porosité entre service du roi et service ducal, pour de multiples raisons, féodales, financières et foncières, mais aussi pour servir des intérêts personnels ou conjoncturels. Dans un de ses derniers articles, Christophe Rivière a écrit que « l’étatisation du duché de Lorraine au cours du XVe siècle correspond à un phénomène d’acculturation progressive des Lorrains à une culture politique différente de la leur »1. Cette acculturation, certaines familles nobles l’illustrent parfaitement, tant elles ont connu, à travers la montée en puissance des Angevins, que ce soit en Lorraine ou dans le royaume de France, des promotions sociales remarquables. En analysant l’itinéraire de la famille des Baudricourt2, je voudrais éclairer les trajectoires, l’identité et les actions d’une famille d’officiers lorrains, pour laquelle le service aux Angevins a constitué une étape supplémentaire, autant subie que recherchée, dans leur intégration à des cercles de pouvoirs plus étroits et dans leur enracinement territorial.
2L’intérêt est de voir dans quelle mesure cette famille, qui a connu une promotion remarquable en l’espace de trois générations, jusqu’au maréchalat de France, s’est mise dans le sillage des Angevins au fur et à mesure de leur côtoiement du pouvoir royal. Cette promotion ne peut cependant être comprise qu’en tenant compte du contexte politique troublé de la première moitié du XVe siècle, témoin d’ascensions et de chutes fulgurantes, où les fortunes se font aussi rapidement qu’elles se défont3, tandis que le service royal présente aux yeux des capitaines loyaux, un attrait de plus en plus fort en raison des possibilités de carrière qu’il ouvre4. À l’échelle régionale, les duchés de Bar et de Lorraine connaissent des bouleversements politiques majeurs : l’arrivée des Angevins à la tête des duchés dans la décennie 1420 génère de profondes mutations5. En ce sens, les Baudricourt n’ont de relations avec les Angevins qu’à partir du moment où ces derniers prennent pied en Lorraine, c’est à dire à partir de 1420. Avec eux, à n’en pas douter, s’installent aussi une cour étrangère, des officiers et des familiers qui suivent René d’Anjou dans ses nouvelles possessions6. Les Baudricourt, comme d’autres familles de noblesse seconde7, à l’instar des Anglures8, se trouvent dans une situation complexe et paradoxale : le changement de dynastie induit une remise en zéro des compteurs en matière de service et de fidélité. Les Baudricourt se trouvent d’abord en concurrence d’influence et de pouvoir vis-à-vis d’autres familles, qu’elles soient implantées localement ou originaires d’Anjou. Ensuite, la tradition de service ducal dont la famille pourrait s’enorgueillir constitue aussi bien un handicap qu’une solution : René d’Anjou doit certes s’appuyer sur la noblesse du cru, sur les officiers qui connaissent les rouages et les mécanismes administratifs, militaires et politiques du duché (et dont assurément les Baudricourt font partie), mais il cherche aussi à renouveler une partie des effectifs en promouvant des hommes qu’il connaît et en qui il a pleine confiance. Le critère supplémentaire pour justifier ce nouveau personnel vient aussi de la mauvaise réputation de la noblesse lorraine, qui, selon Gilles le Bouvier, sont « gens de guerre et d’estrange querelle contre leurs voisins. Et pour peu de choses meinent guerre les ungs aux autres ; et le plus fort de leur guerre est à prandre et à chasser vaches. Et quant ilz ont prins les bestes de leurs voisins, ilz s’assemblent et apointent. Et pour ung nient recommencent guerre et est par faulte de justice »9. La concurrence d’autres familles implantées territorialement aussi bien que le renouvellement partiel du personnel lorrain par un souverain angevin constituent donc des obstacles à la visibilité des Baudricourt, surtout de Robert, d’autant plus que le service du roi de France, comme le service du duc de Bourgogne, apparaissent comme de meilleurs moyens de gagner en influence, de faire carrière ou de s’enrichir.
3Les parcours de Liébaut (disparu vers 1400), de Robert (vers 1395-1454) puis de Jean de Baudricourt (vers 1435-1499) illustrent par conséquent la complexité des carrières et le pragmatisme à l’œuvre dans les choix politiques : la nécessité de multiplier les sources de rétribution et l’opportunisme confirment, contredisent et interfèrent avec la loyauté au Dauphin10. En outre, l’intérêt personnel n’est pas l’unique ressort de l’engagement auprès des Angevins. La tradition du service ducal exige non seulement de s’arrêter sur les parcours de Robert de Baudricourt entre 1419 et 1454 et de Jean entre 1454 et 1499 auprès des Angevins, mais également sur celui de Liébaut, au service des ducs de Bar dans le dernier quart du XIVe siècle. S’y manifeste déjà la puissance, certes locale, certes relative, mais bien réelle, des Baudricourt. La réussite de la famille s’explique à terme parce qu’elle représente une noblesse de l’entre-deux, très bien implantée localement, bien possessionnée et dotée de clients relativement nombreux mais suffisamment modeste pour ne pas représenter de menace réelle ni lui permettre de s’implanter durablement ou d’influencer véritablement la politique royale. Ce lignage de noblesse seconde choisit le service du roi parce qu’il représente des opportunités de carrière, d’enrichissement et de pouvoir particulièrement attractives. Parce qu’à travers le service royal, ils vont asseoir leur pouvoir foncier, militaire, financier et devenir des seigneurs de premier plan collaborant avec les Angevins11. Ils sont choisis par le roi pour leurs compétences spécifiques : une expertise martiale et stratégique qui leur permet de briguer des fonctions et des charges militaires très prestigieuses, à l’instar du maréchalat de France, un peu à la manière de certains des connétables de France à la fin du XIVe siècle12 (puisqu’à l’instar de Du Guesclin, les Baudricourt n’ont pas réussi à faire perdurer durablement leurs fortunes). Cette expertise et leur ancrage local vont être mis au service du roi tout au long du XVe siècle, notamment en servant de permanents intermédiaires avec les Angevins. À mesure que leur réussite en cour se fait plus grande, ils sont accaparés de plus en plus par le service du roi, comme en témoigne la mobilité incessante de Jean de Baudricourt, de la Bretagne à la Provence13. Ils s’éloignent du service des Angevins tout en développant des savoirs spécifiques et une culture administrative. En cela, ils s’illustrent comme des officiers polyvalents, représentant parfaitement cette noblesse seconde qui gravite dans l’entourage des ducs. Les Baudricourt révèlent, à travers leur parcours, la porosité des services royaux et ducaux14, à la fois militaire, judiciaire et pacificateur, leur collaboration et leur intrication.
4Nous verrons dans une première partie en quoi les Baudricourt ont servi les Angevins et surtout quelles formes a pris ce service. Nous étudierons ensuite la manière dont ils ont servi d’intermédiaire, devenant plutôt des officiers au service des Angevins que des officiers angevins proprement dits, entre le roi et les Angevins aussi bien qu’entre les Angevins et le territoire lorrain. Enfin, parce qu’ils ont gagné à se mettre au service du roi, les Baudricourt constituent le cœur de la faveur royale, le centre de cette « fontaines aux honneurs »15 qui s’exerce dans la région, autant bénéficiaires que dispensateurs au niveau régional.
Un service ducal pluriel
5La polyvalence dans le service ducal est une chose assez fréquente16, tant il se caractérise par une faible différenciation fonctionnelle de son personnel. Les Baudricourt, lorsqu’ils servent les Angevins, remplissent surtout des fonctions militaires. Cependant, au gré de leurs besoins, les ducs de Lorraine en appellent à eux en tant que prêteurs, comme de nombreux nobles de la cour ducale, afin de solder des dettes ou de procéder à des dépenses immédiates.
6En se mettant au service des Angevins, les Baudricourt répondent à plusieurs exigences. René d’Anjou, devenu duc de Bar en 1430 puis en 1431 duc de Lorraine17, est le seigneur des Baudricourt qui tiennent certaines de leurs terres du duché. De surcroît, la tradition du service ducal est longue chez les Baudricourt : l’hypothèse d’une continuité familiale dans le service n’est pas à exclure, comme en témoigne la nomination de Robert de Baudricourt, très jeune, à la tête de certaines prévôtés de Bar et de Bouconville, dès 141118.
7Les Baudricourt, depuis Liébaut de Baudricourt, sont donc des vassaux du duc de Bar19. Lorsque les Angevins prennent pied en Lorraine, ils deviennent naturellement leurs vassaux, les soutenant dans leurs guerres et leur apportant différentes aides. Ainsi, dans son Histoire générale de la Maison de France et des grands officiers de la Couronne20, le Père Anselme note que Robert fait hommage à René d’Anjou au cours de l’année 1416 de sa terre et de son château de Baudricourt, dans le bailliage des Vosges21. Après la mort de son père, en 1454, Jean de Baudricourt se qualifie à son tour de serviteur du roi de Sicile, dans une lettre du 5 octobre 145622.
8À plus petite échelle, les Angevins, proches du parti armagnac et du Dauphin dans la décennie 1420, constituent les représentants d’une autorité reconnue23. On ne reviendra pas sur les liens qui unissent les deux dynasties, mais, comme l’écrit Christof Ohnesorge, « quant aux relations avec la maison de France, les deux lignées étaient étroitement liées, comme le montre aussi le fait que le dauphin Louis reçut son nom en souvenir de saint Louis d’Anjou »24. La sœur de René, Marie d’Anjou25, est promise à Charles, comte de Ponthieu et troisième fils du roi Charles VI dès 1413. Nous ne reviendrons pas sur le rôle de Yolande d’Aragon à la cour du Dauphin, ni sur son implication dans l’affirmation de la légitimité de la dynastie des Valois face à l’Angleterre et la Bourgogne26. Il est clair cependant que le pouvoir angevin est, dès son installation en Lorraine, placé sous le signe du parti armagnac. L’engagement auprès de René d’Anjou combinent donc plusieurs facteurs : la tradition du service à la maison ducale de Bar le dispute à l’intérêt bien compris de se positionner dans le sillage d’une dynastie prestigieuse et liée à celle de la couronne. L’engagement des Baudricourt est d’autant plus complexe qu’il se compose aussi d’enjeux multiscalaires, notamment face au pouvoir bourguignon : l’attitude d’une partie de la noblesse lorraine à l’égard de Philippe le Bon et de l’État bourguignon27 est ambiguë. Elle témoigne d’une fascination autant que des rivalités qui les opposaient à certaines familles bourguignonnes, à l’instar des Vergy pour les Baudricourt.
9Quelle que soit la raison première de l’engagement, le service ducal prend, pour la famille, une forme plurielle : ils associent différentes fonctions qui recoupent deux grandes expertises des Baudricourt (le militaire et le diplomatique) répondant à plusieurs logiques. D’abord une logique géographique, puisqu’il s’agit de la frontière nord-est du royaume où les Baudricourt sont possessionnés28 ; ensuite une logique stratégique, puisque les duchés de Bar et de Lorraine sont, notamment pendant la guerre de Cent Ans, des cibles privilégiées pour les Anglo-bourguignons29 ; enfin, une logique judiciaire et sociale, dans leur rôle de bailli à partir de 143730.
10À l’échelle locale, Robert de Baudricourt soutient en permanence la garnison et la place forte de Gondrecourt, qui constitue pour René d’Anjou, avec d’autres maisons fortes, un verrou territorial31. Ainsi au cours de la décennie 1420, Baudricourt intervient plusieurs fois pour renforcer la garnison de Gondrecourt en hommes32. En 1424, il tient même la garnison pour René d’Anjou, du 10 au 27 octobre face aux incursions bourguignonnes. Trois ans plus tard, en 1427, il envoie, depuis Vaucouleurs où il est capitaine, deux chariots pour ravitailler la forteresse de René33. Un an après, en 1428, Robert, qui commande toujours la châtellenie de Vaucouleurs pour le Roi, aide également René en lui envoyant ses hommes34.
11Qu’il s’agisse d’actions militaires, à l’instar de l’enlèvement de Gauthier de Ruppes, en 142035, de maintien d’une présence militaire à Gondrecourt, en utilisant ses propres hommes de Vaucouleurs, ou de mission de logistique visant à ravitailler la place forte, le rôle de Robert de Baudricourt est pluriel et crucial dans le maintien de la présence angevine en Lorraine.
12Robert de Baudricourt se trouve donc au service de René d’Anjou en l’aidant à tenir le territoire sans cesse menacé du duché de Bar : il y combat les incursions bourguignonnes et anglaises, au point de constituer une cible de choix, réduite au silence en 1428 par une expédition anglo-bourguignonne menée par Jean de Vergy36. Le fait qu’il soit la cible d’une offensive d’envergure, pilotée par le lieutenant du roi d’Angleterre en Bourgogne, comme du reste les autres places fortes françaises, témoigne du danger et de l’importance stratégique qu’il pouvait représenter. Le rôle militaire de Robert de Baudricourt est intimement lié à son enracinement spatial : sa bonne connaissance du terrain, à n’en pas douter, et la présence durable de sa famille sur le territoire en font un officier compétent qui, du fait de sa proximité avec la forteresse de Gondrecourt, sert de superviseur militaire local pour René. En effet, vingt kilomètres séparent Gondrecourt de Vaucouleurs, ce qui représente, pour un cavalier seul, moins d’une heure de chevauchée en fonction de son allure37. Capitaine pour le roi Charles VI jusqu’en 1422 puis au nom du Dauphin Charles, il est logique que Robert de Baudricourt se soit vu confier, de temps à autre, la sécurité et le ravitaillement de Gondrecourt : la proximité autant que l’intérêt stratégique justifiaient l’intervention du capitaine de Vaucouleurs.
13Ce dernier devient, dans la décennie 1420, un homme d’armes particulièrement actif, multipliant les escarmouches et les confrontations avec les Anglo-Bourguignons, autant par intérêt personnel que stratégique. Il apparaît donc comme un officier compétent et se trouve logiquement appelé par les ducs pour leur prêter main forte. C’est le cas pour Robert de Baudricourt jusqu’à sa mort, c’est encore le cas avec son fils, Jean de Baudricourt, au cours des décennies 1460 et 1470. La présence récurrente des Baudricourt à leurs côtés témoigne en outre de leur proximité grandissante avec les souverains angevins, à tout le moins de leur engagement auprès des Angevins.
14Le 9 décembre 1430, Robert de Baudricourt arrive aux environs de Vitry-en-Perthois pour venir en aide à Barbazan38. Il affronte les Bourguignons dans les guerres que leur fait René : « ce combat, où se trouvait déjà plusieurs des acteurs de la bataille de Bulgnéville, montra à quel point René d’Anjou avait fait sienne la cause de Charles VII : il ne se contentait plus de combattre ls troupes du duc de Bedford mais s’attaquait aux frontières du duché de Bourgogne et combattait le maréchal de Philippe le Bon »39. À Bulgnéville en 1431, Robert de Baudricourt combat encore pour René. Il « était venu de Vaucouleurs avec une troupe d’hommes d’armes dont l’effectif n’est pas connu »40. Mais « témoins de la déroute de la bataille principale, le damoiseau de Commercy, Robert de Baudricourt, Jean d’Haussonville et bien d’autres préférèrent tourner bride et fuir au galop »41. L’attitude des fuyards sera conspuée, bien sûr, et un certain nombre d’auteurs de l’époque contribuent à les rendre responsables de la défaite. C’est le cas de Philippe de Vigneulles : « Tout au plus tost qu’il virent la besongne acomencee, il tournairent le dos et sen fuyrent, et la milleur armure quil olrent, ce fut la pointe de leur esperon »42.
15S’il « semble que la perspective d’être cloué sur place par une volée de flèches ait parfois suffi à faire reculer une troupe d’hommes d’armes à cheval »43, les conséquences bien connues de la défaite de Bulgnéville pour René d’Anjou ne semblent pour autant pas avoir suscité de sanctions ou de mise à l’écart de Robert de Baudricourt. Ainsi, dès 1438, il prête à nouveau main forte à René dans la guerre de Succession de Lorraine, contre le comte de Vaudémont44.
16La fuite de son père n’a pas non plus constitué un obstacle pour Jean de Baudricourt, dans les services aux Angevins. Cela témoigne de la position centrale que joue cette famille dans le jeu politique lorrain, barrois et champenois. À la lisière entre France et Lorraine, ils se trouvent en position d’intermédiaires réguliers entre le roi et les ducs. C’est pourquoi ils ne cessent de s’illustrer au service des Angevins. Entre 1456 et 1465, par exemple, Jean de Baudricourt suit Jean de Calabre en Italie. Jean Molinet témoigne à son tour de cette compétence martiale, quand il évoque en 1456 « ce petit nombre de gens que avoit le dict duc, je ne vetz jamais si belle compaignie ne qui (as)semblassent mieulx hommes exercités au faict de guerre. Il povoit bien avoir quelques six vingts hommes d’armes hardez, tous Italiens ou aultres, nourris en ces guerres d’Italie lesquelz estoit Jacques Galiot, le conte de Campobache, le seigneur de Baudricourt... »45. En 1465, lors de la guerre du Bien Public, Jean de Baudricourt est aux côtés de Jean de Calabre contre Louis XI46. Cet engagement pourrait paraître étonnant, tant le choix de lutter contre le roi peut paraître inhabituel : c’est oublier aussi qu’au-delà des motifs politiques rationnels président d’autres raisons au choix de Jean de Calabre, qui répondent autant à des impératifs de politique locale et d’intérêt personnels qu’à une probable estime entre les deux hommes. À l’instar de l’amitié d’arme qui est née entre Robert de Sarrebrück et son père47, Jean a peut-être noué des liens similaires avec le fils de René d’Anjou, d’autant plus forts qu’ils étaient proches en âge et qu’ils avaient combattu côte à côte. De surcroît, les intérêts de la famille sont préservés dans la mesure où Geoffroi de Saint-Belin, le beau-frère de Jean de Baudricourt, combat à Monthléry dans la bataille de Louis XI, s’y distingue et meurt sur le champ de bataille48. Choix partisan ou calcul politique, la présence d’un représentant de la famille de chaque côté a pu assurer, dans l’absolu, la garantie que la famille sortirait épargnée du conflit.
17Enfin, dans la guerre qui oppose René II à Charles le Téméraire, Jean de Baudricourt se trouve dans le camp lorrain, devant Nancy le 8 septembre 1475. Son importance est telle que Charles le Téméraire confisque, dès juillet 1475, une partie de ses biens, tels les château, terre et seigneurie de Baudricourt, qu’il donne à André de Haraucourt suivant lettres du 31 juillet. Il les récupère deux ans plus tard49. À deux reprises, le 8 et le 18 septembre 1477, René d’Anjou s’oblige en faveur de Jean de Baudricourt, alors chambellan de Louis XI, en retour de l’aide importante qu’il lui apporte pour reconquérir ses États50.
18La famille de Baudricourt fournit donc comme un filon de personnel militaire compétent tout au long du XVe siècle, notamment auprès des Angevins, qui les récompense. Cependant, avec Jean de Baudricourt s’amorce un éloignement vis-à-vis de la dynastie, au profit d’un service royal plus intense et dont les rétributions sont bien plus alléchantes. Je n’évoque par conséquent pas, ici, les autres commandements qui leur sont confiés dans le reste du royaume, comme par exemple le rôle joué par Jean de Baudricourt au cours de la Guerre Folle, entre 1485 et 1488.
19Les Baudricourt, par leurs actions, par leur service, vont aussi accumuler des gages et des offices qui témoignent des liens qu’ils entretenaient avec les ducs. Si Liébaut de Baudricourt, le père de Robert de Baudricourt, a été Gardien de Verdun comme son propre père avant lui51 et chambellan du duc de Bar52, Robert et Jean entrent au conseil des ducs, en deviennent les proches conseillers. Robert de Baudricourt, d’après une lettre patente du 10 novembre 1434, fait partie du conseil ducal53. Il est, dès 1411, prévôt de Bouconville, qui dépend du bailliage de Saint-Mihel (ressortissant de la cour de Nancy)54. D’après des actes de vente, d’après également des lettres qui le nomment garde de la ville de Foug55, il fait partie des familiers de René, qui entend le conserver auprès de lui, « tant au fait de ses guerres en ses pays de Bar et de Lorraine, que au fait de la délivrance et prison dudit roy où Robert de Baudricourt s’est grandement employé »56. Si Robert de Baudricourt n’a pas joué un rôle décisif lors de la bataille de Bulgnéville, il fait partie des garants et des cautions du roi René lors des remises en liberté de celui-ci, lors des paiements de la rançon et il essaya même de le faire évader57. Parachevant cette confiance et ce côtoiement, Robert figure sur le troisième testament de René, rédigé le 29 juin 1453 au titre d’exécuteur testamentaire58.
20Quant à Jean, il est, bien plus que ses prédécesseurs, capté par le service royal et obtient une envergure nationale, qui l’éloigne du service ducal. Ainsi, il est souvent présent au Conseil Royal, ce qui le place parmi les conseillers influents, sans pour autant compter parmi les plus importants, puisqu’il y siège au moins 8 fois entre 1474 et 1481. Pour son siège au Conseil du Roi, Baudricourt perçoit 3700 livres par an, car « le fait d’être conseiller du roi comportait outre l’intérêt de traiter des grandes affaires de disposer de l’influence dont voulait bien se dessaisir le roi, d’être au rang des puissants, des avantages très substantiels par l’accumulation de pensions, de gages pour offices civils ou militaires, de bénéfices ecclésiastiques »59.
21À travers leurs fonctions militaires ou la charge d’autres responsabilités politiques, les Baudricourt se rapprochent des centres du pouvoir et comblent fréquemment, comme tous les autres officiers proches des ducs, les besoins financiers des Angevins, dans leurs guerres ou dans leur cour. Comme de nombreux seigneurs lorrains et angevins, les Baudricourt apparaissent régulièrement comme des prêteurs et des garants auxquels René Ier, Jean puis René II ne cessent de s’adresser60. À mesure que grandit leur prestige et que leur proximité au pouvoir s’accroît, les sommes versées aux Angevins, à titre de prêts ou sous couvert de rachat de terre, deviennent de plus en plus importantes.
22Ainsi, le 11 août 1433, Robert de Baudricourt décharge le duc de Bar et de Lorraine, René d’Anjou, d’une dette de mille francs due à l’évêque de Metz61. Qu’il s’agisse de sommes d’argent, de décharges de dette, de dons en nature ou en terres, les Angevins et les Baudricourt ont multiplié les transactions. René Ier, Jean II et René II notamment ont recours aux Baudricourt pour solder certaines de leurs dettes et en contrepartie, les seconds obtiennent des rétributions en terres, en charges ou en influence. Robert fait partie des garants lors de la rançon de René Ier à la suite de la défaite de Bulgnéville62. Il l’accompagne d’ailleurs lorsqu’il va se constituer prisonnier, le 29 novembre 1436. Le duc de Bourgogne lui accorde un sauf conduit pour accompagner le roi René « ès marches de Picardie et Flandres »63.
23Jean de Baudricourt a continué bien sûr à servir les ducs et a multiplié les transactions avec eux. Les archives de Meurthe et Moselle conservent la trace d’un don de Jean de Baudricourt à Jean II, duc de Lorraine, « d’un collet [collier] d’or pesant environ deux marcs et demy » afin de subvenir aux besoins de ses armées postées devant Paris lors de la guerre du Bien Public. Mis en gage à Metz, il est dégagé par Hector de Nyons, serviteur de Baudricourt, pour la somme de 800 florins64. Pour la seule année 1476, les prêts du gouverneur de Bourgogne aux ducs de Lorraine et de Bar s’élèvent à 5580 écus d’or, soit près de 9000 l.t65.
24En outre, les différents crédits, somme toute assez fréquents comme l’a montré Bertrand Schnerb66, s’accompagnent aussi de ventes et d’échanges récurrents de terres comme la seigneurie de Sorcy et de Saint-Martin entre René Ier et Robert de Baudricourt en 1437 ou celle de Souilly en mars 1476 et celle d’Éclaron quelques mois plus tard, à la fin septembre de la même année, entre René II et Jean de Baudricourt67. Le duc de Lorraine a un besoin incessant d’argent : il le prend donc où il le peut, notamment aux officiers qui se sont enrichis à son service comme auprès du roi. Prêt, dons et remboursements forment un ensemble confus tant les sommes prêtées à René ont tendance à disparaître pour devenir des dons gracieux, ou à reparaître ensuite sous la forme de rétribution en terres ou en charges68. La complexité des finances angevines n’est pas tant en cause que les mécanismes de pouvoir entre officiers nobles et pouvoirs ducal (ou royal). En d’autres termes, on peut considérer qu’il était entendu entre tous les protagonistes qu’une partie seulement des sommes prêtées serait remboursée, en échange de quoi le duc conservait à l’endroit de son prêteur sa faveur et lui octroyait terres, pouvoirs ou recommandations69. Pour autant, ces rétributions n’étaient pas assurées et elles pouvaient même refluer, comme c’est le cas de l’office de capitaine de Foug et de sa rente de 300 livres par an, octroyée à Robert de Baudricourt en 1437. Cinq plus tard, Isabelle de Lorraine ne lui verse plus que 200 livres avant de la lui retirer70. Il ne retrouvera sa capitainerie qu’en 1450, alors même qu’il est un représentant de l’autorité royale et qu’il a démontré sa valeur. Il est certain que les questions d’argent représentent, pour les Angevins, un enjeu important, où la loyauté et la qualité du service n’ont que peu de parts.
25On le voit, les liens entre les Baudricourt et les Angevins ne cessent jamais et prennent des formes multiples, autant militaires que financières. Cela traduit le pouvoir grandissant de la famille sur le territoire lorrain aussi bien qu’auprès de la dynastie angevine, dont il faut maintenant saisir les facteurs et non plus seulement les formes.
Instrument de pacification et relais de pouvoir
26La décennie 1420 qu’ouvre le Traité de Troyes est marquée par une grande confusion politique, « à grande échelle, la division était simple, avec au nord de la Loire, la France anglaise, au sud, la France delphinale. En fait, ces blocs n’étaient pas monolithiques »71. La légitimité du pouvoir est tour à tour réclamée par Henry VI et Charles VII, avec lesquels les grands duchés, Bretagne et Bourgogne, s’engagent et louvoient. L’absence de véritable front comme celle d’une bataille décisive empêche la domination réelle et totale d’un parti sur l’autre : certes, Charles VII accumule les défaites successives (Cravant en 1423, Verneuil en 1424). Mais les Anglais n’en sont pas moins aussi stoppés d’abord à Baugé en 1421, mais surtout à Patay en 1429, « victoire de rencontre mais où la moitié de l’armée anglaise au moins fut anéantie »72. À l’échelle locale, « la situation n’en était pas moins confuse, car il n’existait pas de front clair après 1420 entre la Normandie, la Bourgogne et la France delphinale : des bandes armées à la solde des uns ou des autres sillonnaient le pays à partir de forteresses qu’elles occupaient en attendant d’en être délogées »73. Cette situation de confusion se retrouve, bien sûr, dans le Barrois et la Lorraine, à la nuance près que les bandes armées qui sillonnent le pays sont organisées. Il ne s’agit pas de routiers, comme on a pu en voir dans les années 136074, mais d’un personnel militaire dont une bonne partie répond aux ordres de Charles VII, comme Baudricourt. Autrement dit, les chevaliers encore fidèles au dauphin se trouvent certes en position de faiblesse, à proximité de la Bourgogne alliée aux Anglais, mais ils constituent la force principale à disposition. À ce titre, ils forment un petit contingent d’hommes d’armes dont la situation va assurer concrètement la promotion, que ce soit auprès du duc de Bar ou du dauphin.
27On l’a vu, la série de défaites françaises n’est pas sans conséquence politique. Azincourt en est la plus emblématique, mais d’autres suivent comme la bataille de Cravant en 1423, celle de Verneuil en 1424 et enfin celle de Bulgnéville en 143175. On ne reviendra pas sur les conséquences de ces défaites, ni sur les coûts humains. Cependant, ces désastres militaires créent des opportunités pour les survivants. Il est certain qu’au sortir de la décennie 1420, des places sont à prendre et certaines familles survivantes, comme les Baudricourt, peuvent profiter d’un relatif renouvellement des postes.
28À plus grande échelle encore, les Baudricourt jouent à partir de 1420 un rôle permanent d’intermédiaire entre les pouvoirs royaux, ducaux et locaux, du fait de leur position territoriale et de leurs possessions. Leur enracinement n’est pas inédit, puisqu’ils appartiennent à ces familles lorraines qui sont en charge des bailliages de Champagne dont les liens sont très étroits. Comme Alain Girardot l’a souligné, les Lénoncourt, les Fénétrange, les Baudricourt, les Anglure, les Haraucourt notamment forment un réseau de familles lorraines influentes qui tissent des liens très étroits, notamment matrimoniaux76, mais qui sont aussi, parfois, en concurrence. Cependant, leur rôle au service du roi les identifie comme des « agents de frontière »77, au cœur du dispositif territorial et politique78 mis en œuvre à partir de Charles VII sur la frontière orientale. Cette position d’intermédiaire entre les pouvoirs s’illustre d’abord dans le rôle d’arbitre qu’ils sont amenés à jouer à l’échelle locale, horizontalement, entre les seigneurs lorrains mais également dans le rôle d’interface qu’ils occupent, entre le roi et la Lorraine.
29À l’instar d’autres seigneurs lorrains, Robert de Baudricourt est l’arbitre de conflits récurrents. Ce rôle d’arbitre témoigne à la fois de la prise d’importance de la famille autant que de son insertion dans les réseaux locaux et auprès des communautés. C’est à partir du moment où « le seigneur est perçu comme l’arbitre, puis le justicier suprême qu’il devient, aux yeux de ses sujets ruraux, le prince »79. Autrement dit, la position d’arbitre des Baudricourt est un gage de leur importance régionale. Mais comme l’a montré Édouard Perroy pour le Forez du XIIIe siècle, la position d’arbitre illustre aussi les liens qu’entretient une famille noble avec d’autres familles nobles ou d’autres communautés80. Il est par exemple aussi désigné pour régler le différend qui oppose René et Robert de Sarrebrück en 1432. Le 18 janvier, Robert de Baudricourt est choisi par ce dernier et le duc René pour passer un compromis dans le conflit qui les oppose81. Il est d’autant plus qualifié pour cette fonction qu’il connaît les deux parties et qu’il est le plus à même de trouver une solution à l’amiable pour régler le conflit. S’il est choisi, c’est aussi parce que Vaucouleurs, place forte royale dont il a la garde, apparaît comme un territoire de frontière neutre autorisant la régulation de conflits horizontaux82.
30Robert de Baudricourt, on l’a vu, participe aux côtés de René à la Guerre de Succession de Lorraine, qui oppose René Ier et le comte de Vaudémont. Avec Simon d’Anglure, il se trouve en position d’arbitrage concernant les problèmes posés par la guerre de succession de Lorraine. Le 8 février, ils examinent ensemble le cas des terres et des revenus de ceux qui ont servi René d’Anjou et Antoine de Vaudémont pendant leur guerre. Ils décident de les laisser tous jouir de leurs biens où qu’ils se trouvent83. La question soulevée par cet arbitrage n’était pas celle de la succession proprement dite, mais concernait le devenir des seigneurs locaux engagés dans le conflit. Il n’est pas étonnant, alors, que les deux représentants appelés pour régler ce problème soient issus de familles insérés dans les pouvoirs locaux et particulièrement influentes84.
31Outre les conflits qui l’opposent à d’autres seigneurs, René d’Anjou fait aussi appel à Robert de Baudricourt pour régler les tensions avec les cités, à titre de témoin d’abord parmi d’autres seigneurs mais également d’arbitres en cas de rupture de paix. En août 1442, Conrad de Metz et Isabelle de Lorraine signent une paix, pour laquelle Robert de Baudricourt, Jacques de Haraucourt et Érard du Châtelet sont nommés comme arbitres en cas de rupture de ladite paix85.
32Parce qu’il a démontré ses compétences dans ce domaine, parce que les enjeux immédiats relèvent plus des négociations que de la chose militaire, peut-être aussi parce qu’il a vieilli, les missions confiées à Robert de Baudricourt ont un net caractère diplomatique. Cela se traduit, en 1454, par son départ auprès de Ladislas de Bohême (et Jean Huniade) à la tête d’une ambassade en vue de constituer une croisade contre les Turcs. La Chronique de Metz décrit leur arrivée dans la ville, juste avant le départ vers la Hongrie : « Le vingtiesme jour d’aoust, arriverent à Mets l’evesque de Coutant en Normandie, seigneur Robert, baislis de Chaulmont, acompaigniés de environ quaitre vingt chevaulx, lesquelz alloient vers le roy Lancelot de Honguerie, roy de Boheme et de Pollaine, pour cerchier alliance et confederation avec luy, à cause qu’il avoit intention de meneir la guerre aux Turcs. Les seigneurs dudit Mets, au nom de la cité, luy firent present de deux cowes de vin, de vingt cinq chaistrons, et de soixante quartes d’avoine ; et le londemain se despartont, et les firent conduire par les soldairs à grant compaignie »86. Le rôle de Robert de Baudricourt évolue au rythme de la diplomatie royale et ducale : à la faveur de la paix d’Arras et de l’apaisement des hostilités dans la région, les fonctions du capitaine de Vaucouleurs deviennent moins militaires et plus diplomatiques. C’est d’ailleurs à cette période, en 1437, que lui est confié le bailliage royal de Chaumont par Charles VII87. À l’image d’autres capitaines, Robert de Baudricourt se plie à l’exigence d’apaisement de Charles VII, en suivant la voie du service royal et diplomatique.
33Quant à Jean de Baudricourt, il témoigne de la montée en puissance de la famille qui, par l’entremise du service royal, est devenu un relais principal de l’influence du roi en Lorraine. En avril 1490, il est à la tête d’une grande ambassade qui négocie la paix entre le duc de Lorraine et la cité de Metz88. Jean de Baudricourt intervient ensuite dans les affaires de Lorraine, en promulguant le traité de paix signé le 25 octobre 1497 entre le duc René II et Robert La Marck89. Le choix de Jean de Baudricourt s’explique parce qu’il est devenu, à la faveur du service royal, l’intermédiaire principal des relations entre le roi et les différents pouvoirs lorrains.
34Dans ce rôle d’intermédiaire entre le roi et les ducs, la famille de Baudricourt va agir et servir à plusieurs degrés. D’abord en jouant le rôle d’intermédiaire de contact, entre le pouvoir royal et le pouvoir angevin. C’est un phénomène connu, mais dans le cadre de l’insécurité que connaît le duché de Bar dans la décennie 1420, les messagers deviennent un enjeu d’importance. En ce sens, René d’Anjou et Robert de Baudricourt ne cessent d’échanger des messages dont on garde la trace dans les comptes ducaux : pour le mois de juillet 1428, on compte au moins cinq messages échangés entre le duc de Lorraine et le capitaine de Vaucouleurs90.
35Ensuite, en tant que représentant de l’autorité royale dans la région (capitaine de Vaucouleurs et bailli de Chaumont pour Robert de Baudricourt ; Gouverneur de Bourgogne et Maréchal de France pour son fils), ils deviennent les relais de l’influence française à l’échelle régionale, de plus en plus intensément à mesure qu’ils gravitent dans des cercles de pouvoir de plus en plus étroits. Ainsi, la fonction de bailli royal de Chaumont reste dans la famille depuis Jean d’Aulnoy, oncle de Robert de Baudricourt. Depuis le début du XVe siècle, voire le dernier quart du XIVe siècle pour le duché de Bar91, la famille de Baudricourt fournit un contingent régulier et fidèle aux pouvoirs lorrains et royaux, parce qu’elle est située en position d’interface : lorrains en terre de Champagne et tout autant représentant du pouvoir royal en Lorraine, qu’il s’agisse de leur présence en tant que bailli ou en tant qu’ambassadeur du roi.
36Ils sont l’un des instruments de l’influence française en Lorraine et leur activité participe à affecter l’autorité politique en Lorraine, en concurrençant, surtout à partir de 1480, la reconstruction de l’État lorrain92 (notamment, comme on va le voir, parce qu’ils ont mené une politique d’acquisition foncière importante). Ils contribuent ainsi, en forçant un peu le trait, à renforcer la présence réelle et concrète du pouvoir royal93 et à conserver, par leur action diplomatique, le territoire lorrain comme territoire tampon, avec la Bourgogne comme avec l’Empire. Cette présence réelle du pouvoir royal dans la région, les Baudricourt l’assure toujours militairement et diplomatiquement. À Metz en 1450, où suite à la guerre menée par Charles VII en Lorraine, le traité, signé par Metz en mars 1445 est remis en cause. Robert de Baudricourt est envoyé comme commissaire de Charles VII pour enquêter avec Gérard d’Haraucourt94. À travers leur action sur un territoire frontalier, tiraillé entre plusieurs pouvoirs, les Baudricourt permettent de réévaluer le degré d’activité de l’autorité royale : en ce sens, la frontière apparaît toujours « comme le meilleur indicateur de l’état de l’État »95.
37Quant à Jean de Baudricourt, il est particulièrement sollicité dans la décennie 1470, autant pour soutenir René II que pour désamorcer les prétentions de Charles le Téméraire. Ainsi la lettre de Louis XI du 12 août 1473 qui envoie Jean de Baudricourt comme ambassadeur, auprès du nouveau duc, René II, après la mort de Jean II de Lorraine puis de Nicolas96. Jean de Baudricourt devient l’instrument de la reconnaissance de la légitimité de René II devant les États Lorrains. Ensuite contre Charles le Téméraire : Jean est mandaté par Louis XI pour conseiller René II, notamment lorsque les prétentions de Charles le Téméraire le poussent à envahir le duché avec une armée importante97. Il est également envoyé auprès des cantons suisses à la mort du Téméraire pour faire admettre les droits de la couronne de France sur la Franche Comté98. Avec Jean de Baudricourt, la réussite des Baudricourt à la Cour de France l’éloigne du service ducal et en fait bien plus un officier royal au service des Angevins qu’un officier angevin. Mais cet éloignement, qui se traduit par une mobilité intense, n’empêche pas Louis XI et Charles VIII de s’appuyer sur Jean de Baudricourt pour assurer la pacification de la Bourgogne et de la Lorraine. Plus encore, il devient un maillon essentiel de la chaîne de rétribution de la faveur royale en Lorraine.
Bénéficiaires et interface du pouvoir royal
38Par les itinéraires de ses membres et l’importance qu’elle a prise spatialement, la famille de Baudricourt devient un élément incontournable dans la politique de stabilisation de la Lorraine. Cette réussite se traduit concrètement par un ruissellement de faveurs, qui structure la collaboration entre le prince et ses officiers, comme le soulignait Olivier Mattéoni99. J’aimerais y ajouter une approche spatiale100, qui explique en partie, à mon sens, l’importance prise par la famille.
39De cette importance prise à la Cour de France, les Baudricourt vont recevoir des rétributions nombreuses, tant au niveau des gages que des nominations. Cela correspond à des périodes de profondes recompositions du pouvoir royal101. Les Baudricourt témoignent de la promotion de certaines familles à la faveur des bouleversements de carrière nombreux du XVe siècle et de la situation politique complexe jusqu’aux années 1470. Robert de Baudricourt a fait partie de ces capitaines qui acceptèrent d’intégrer le service royal et d’en tirer parti, à l’issue du Traité d’Arras en 1435. Quant à Jean, il profite du bouleversement des carrières à partir de l’avènement de Louis XI qui engendre un renouvellement des personnels et des officiers102. Ils vont tirer profit de ces moments de flottement à plusieurs niveaux, ce qui témoigne de l’intrication permanente entre service du roi, service au duc, intérêt personnel. L’enrichissement du lignage n’est cependant pas le fait du service ducal mais bien celui du service royal, témoignant de son attractivité. On peut s’attarder particulièrement sur le parcours de Jean de Baudricourt.
40À partir de 1468, il est de toutes les guerres du roi, jusqu’à sa mort, il participe activement à toute la diplomatie de Louis XI. Ce dernier après l’avoir nommé lieutenant général à Arras, avec quatre mille francs d’appointement, en fait son gouverneur « ès pays, duché et comté de Bourgogne, Masconnais, Charollais, Auxerrois et marche de par deça »103, avec deux mille livres de gages, par lettre du 18 mars 1480. La garde de la place forte de Besançon lui est confiée le 27 août 1482, avec un traitement annuel de 500 livres104. Baudricourt est comblé de faveurs par Louis XI qui en prodigue assez peu : les revenus de la terre et seigneurie de Vaucouleurs lui sont cédées, par lettres du 23 juin 1472 ; une rente perpétuelle de quatre cents florins lui est allouée sur la ville de Toul, par lettres du 16 janvier 1473 ; enfin une pension de douze cents livres lui est accordée en 1475, sur la recette générale des finances d’outre Seine et Yonne105. Pour son siège au conseil du Roi, Jean de Baudricourt touche 3700 livres par an106.
41Gouverneur de Bourgogne, ambassadeur auprès des Suisses, commissaire du roi en Provence, Jean de Baudricourt est déjà puissant quand à partir de la Régence, il siège au conseil restreint, devient Maréchal de France en 1486 et reçoit, avant le 25 mai 1491, l’Ordre de Saint Michel107. Mais quel sens ces rétributions et cette promotion au service du roi prennent-elles dans les relations qu’entretiennent les Baudricourt avec les Angevins ?
42Du fait de leur rapprochement avec le roi, notamment sous l’action de Jean, qui devient l’un des proches conseillers de Louis XI à partir de 1480 et de Charles VIII ensuite, les Baudricourt deviennent les pivots de l’action et de l’autorité royales, redistribuant à leur tour la faveur auprès de leurs dépendants et affirmant par la même occasion leur propre pouvoir local, dans un mouvement que M. Harsgor a qualifié de « fontaine des honneurs »108.
43Jean de Baudricourt est devenu un rouage essentiel du dispositif royal sur sa frontière du nord-est. Un peu à l’instar des « maître des pas » des Abruzzes109, il garantit la présence du roi en multipliant les acquisitions qui répondent à plusieurs logiques : concentrer le patrimoine, solder des rivalités familiales, quadriller et contrôler le territoire pour le compte du roi. Ces mécanismes sont particulièrement visibles dans la politique foncière menée notamment par Jean de Baudricourt, avec l’aide du roi.
44Sa stratégie foncière consiste à concentrer le patrimoine plus étroitement, autour de plusieurs grosses seigneuries : Blaise constitue l’assise principale de Jean, au début de sa carrière110. Mais il acquiert ensuite La Fauche111, la baronnie de Choiseul en 1486 pour la somme de 23 000 lb. t.112, Vignory en 1491113 et Colombey-les-Deux-Églises entre 1491 et 1493. Cela témoigne de sa volonté d’éviter la dispersion du patrimoine et de rationaliser la gestion de ses domaines. Surtout, Jean de Baudricourt a fini par acquérir certaines des seigneuries qui appartenaient à une famille bourguignonne rivale, les Vergy qui, soixante ans avant, avait défait son père devant Vaucouleurs. Par ailleurs, pour ce qui est des rivalités entre familles, leur réussite à la cour de France se traduit par la récupération, à partir de 1472, du bailliage de Chaumont114, et par leur retour au premier plan vis-à-vis des familles lorraines concurrentes.
45La fortune de Jean de Baudricourt lui permet en outre de multiplier les fortifications, dont il a acquis la maîtrise à travers ses offices. Il participe donc à la mise en défense de la région, pour le compte du roi mais à travers ses biens personnels. Les compétences qu’il a acquises en poliorcétique au cours de sa carrière militaire lui permettent, à l’échelle locale, d’assurer la défense de ses places fortes et de ses possessions. Au cours de l’année 1476, Charles le Téméraire cherche à s’emparer de la forteresse de Sorcy qui lui appartient mais n’y parvient pas, parce que Jean l’a remise en état de défense et qu’il en a fait sa résidence presque continuelle en 1476115. Il a multiplié ces travaux : à La Fauche, à Blaise surtout, siège du pouvoir familial, où il dépense plus de 80 000 livres pour mettre la forteresse en état de défense adapté à l’artillerie116.
46Il y a là un mouvement dialectique intéressant où les savoirs militaires et diplomatiques, ressort partiel de la promotion dans le service du roi, sont réappropriés et réutilisés à d’autres fins. À l’instar des autres capitaines royaux et des grands officiers, Jean de Baudricourt a aussi développé une culture publique et politique. Son éducation est d’abord plus développée que celle de son père : les lettres de Jean de Baudricourt sont nombreuses, plus fournies, plus personnelles aussi. Elles témoignent aussi bien d’une culture de cour que de son attachement à son épouse, de sa piété aussi bien que de sa culture livresque117. Son action surtout dépasse aussi bien souvent le champ du militaire : comme l’illustre son action en Provence et l’ambassade remarquable qu’il conduit auprès des cantons suisses, Jean de Baudricourt intervient bien souvent sur le plan diplomatique, aussi bien pour réorganiser un territoire que pour traiter avec des entités politiques. Son à-propos et ses compétences de diplomates constituent la qualité essentielle qui le rend précieux aux yeux de Louis XI. En 1480 il traite en habile négociateur diverses affaires avec Maximilien d’Autriche, le cardinal Giuliano della Rovere, légat du pape et plusieurs princes et seigneurs. Le roi de France, dans plusieurs lettres qu’il lui adresse, approuve sa façon d’air et l’à-propos de ses réponses aux représentants de Maximilien118.
47In fine, Jean de Baudricourt se trouve à l’entrecroisement d’intérêts : en devenant l’un des seigneurs les plus puissants et les plus présents à l’échelle régionale, il devient le chaînon nécessaire et incontournable garantissant et relayant le pouvoir royal, par lequel il est comblé de faveurs. En ce sens, il témoigne de la structuration du pouvoir royal dans la région : Baudricourt en constitue un rouage à deux niveaux. D’abord parce qu’en situation de frontière, les Baudricourt représentent, par leurs qualités martiales et leurs compétences militaires, une garantie de sécurité et de protection agissant au nom du roi. Ensuite parce que, par la concentration foncière qu’il mène et qu’il est autorisé à mener, il participe au quadrillage territorial pour le compte du roi. En ce sens, les forteresses construites ou reconstruites servent à contrôler, elles manifestent le pouvoir royal.
48Que reste-t-il alors des Baudricourt comme officiers ducaux ? Quels sont, finalement, les rapports qui se tissent entre les Baudricourt et les Angevins ? La réussite et la promotion des Baudricourt tiennent, largement, à leur compétence militaire. En trois générations, les Baudricourt ont développé des compétences martiales qui leur valent une réelle reconnaissance, au point qu’à plus de 60 ans, Jean de Baudricourt se retrouve toujours en première ligne contre les armées de Maximilien, en 1494. C’est la chose militaire qui a permis à Jean de Baudricourt d’accéder à des fonctions prestigieuses. Paradoxalement, la promotion familiale s’est faite avec l’appui des Angevins mais sans qu’ils apparaissent comme les distributeurs exclusifs des faveurs et des rétributions. C’est véritablement le service royal qui a attiré et enrichi les Baudricourt. Alors quel enjeu les Angevins ont-ils représenté pour les Baudricourt ? Robert et Jean les ont servis, ils ont été de bons prêteurs et l’itinéraire de cette famille correspond à l’éloignement progressif qui se fait jour au fur et à mesure du XVe siècle entre les Valois et les Angevins.
49L’étude des relations entre les Baudricourt et les Angevins ne peut finalement se faire sans analyser l’ancrage spatial et l’enracinement territorial des Baudricourt. Ils constituent en effet un lignage important de la noblesse seconde et des représentants particulièrement pertinents de cette société nobiliaire. Les Baudricourt ont un peu le même parcours que la famille de Jacques d’Albon de Saint André, parfaitement analysés par Jean-Marie Constant119. La famille de ce dernier est tout à fait représentative de cette noblesse seconde. Elle ne jouait qu’un rôle local en Forez aux XIVe et XVe siècle, mais elle était vassale des Bourbon et en l’espace de deux générations, elle avait pris une envergure nationale, s’employant pour le roi et utilisée par lui pour servir de relais à son influence, dans des territoires où d’autres pouvoirs le concurrençaient. Cette noblesse seconde auréolée du prestige de servir à la cour faisait figure dans les provinces de relais ou de centre de ralliement.
50Parmi cette noblesse seconde sur laquelle, selon Laurent Bourquin repose le pouvoir de la fonction royale, parce qu’elles en sont les parfaits relais, les Baudricourt apparaissent comme des hommes de valeur, compétents, qui participent à leur échelle à la structuration du service royal. Ils maintiennent les fidélités, en créent de nouvelles, structurent un réseau dont la force dépend uniquement de la faveur royale : Louis XI et Charles VIII ont fait « du pouvoir personnel de Baudricourt le cœur du dispositif de distribution de terres, de titres, d’offices et de pensions »120. Jean a ainsi placé ses neveux, ses cousins, directs ou par alliance121, et a tissé un réseau de clients qui sont, également, les clients du roi. Réseaux de dépendants, collaborations des pouvoirs, capacités de négociations, intérêts fonciers et ambition personnelle, constitution de savoirs publics et de forme d’expertise diplomatique, les Baudricourt ont servi deux dynasties, Valois et Angevins, en privilégiant bien entendu celle qui leur offrait le plus et qui lui fournissait les perspectives les plus attractives, pour assurer la fortune de la famille.
Notes de bas de page
1 Ch. Rivière, René Ier d’Anjou, duc de Lorraine (1431-1453), dans J.-M. Matz, N.-Y. Tonnerre (dir.), René d’Anjou (1409-1480). Pouvoirs et gouvernement, Rennes, 2011, p. 41.
2 Les Baudricourt apparaissent au XIVe siècle, avec le père de Liébaut de Baudricourt, Jean, sur lequel nous n’avons que très peu d’informations. Les sources à son propos sont rares. Son fils, Liébaut, est actif dans le dernier quart du XIVe siècle, au service du duc de Bar et du roi de France, marié à Marguerite d’Aulnoy, sœur du bailli de Chaumont Jean d’Aulnoy. Liébaut meurt vers 1400. Lui succède Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs et bailli de Chaumont, le personnage le plus célèbre de la famille parce qu’il apparaît dans l’épisode johannique. Marié à Alarde de Chambley, il a un fils, Jean dans les années 1430 et meurt en 1454. Le dernier membre de la famille connaît une ascension fulgurante au service de Louis XI puis de Charles VIII. Devenu Gouverneur de Bourgogne dans les années 1470, capitaine des francs archers à la bataille de Guinegatte, maréchal de France en 1489, Jean de Baudricourt est décoré de l’Ordre de la Toison d’Or en 1491. Il meurt en 1499, sans héritier, malgré son mariage avec Anne de Beaujeu. Son épouse, ses sœurs et leurs héritiers se partagent (et se disputent) son héritage jusqu’au début du XVIe siècle.
3 On peut penser aux sorts des favoris de Charles VII, à l’instar de Pierre de Giac ou du Camus de Beaulieu. Voir les articles éclairants de Ph. Contamine, Charles VII, roi de France, et ses favoris : l’exemple de Pierre, sire de Giac († 1427), dans J. Hirschbiegel, W. Paravicini (dir.), Der Fall des Günstlings : Hofparteien in Europa vom 13. bis zum 17. Jahrhundert / 8. Symposium der Residenzen-Kommission der Akademie der Wissenschaften zu Göttingen, Neuburg an der Donau, 21. bis 24. September 2002, Ostfildern, 17, 2004, p. 139-162. On peut aussi se reporter à G. Peyronnet, Les complots de Louis d’Amboise contre Charles VII (1428-1431) : un aspect des rivalités entre lignages féodaux en France au temps de Jeanne d’Arc, (Bibliothèque de l’École des chartes, 142), 1984, p. 115-135. Dans ce dernier article, G. Peyronnet souligne fort justement la dimension territoriale des rivalités entre favoris, pour s’assurer le contrôle du pouvoir royal, aussi bien physiquement (côtoiement, influence, proximité) que spatialement (pouvoir foncier autour des possessions royales). Voir également les articles de Ph. Contamine, Georges de La Trémoille, et de X. Hélary, Arthur de Bretagne, comte de Richemont, dans O. Bouzy, Ph. Contamine, X. Hélary, Jeanne d’Arc, Histoire et dictionnaire, Paris, 2012, p. 796-799 et p. 955-956.
4 Ph. Contamine, Guerre, États et Société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées des rois de France 1337-1494, Paris, 1973, p. 536-537.
5 M. Parisse (dir.), Histoire de Lorraine, Toulouse, 1978, p. 207-210.
6 « Il y a d’ailleurs une volonté délibérée d’un certain brassage administratif », A. Girardot, René d’Anjou : une vie, dans J.-M. Matz, E. Verry, Le roi René dans tous ses États, Paris, 2009, p. 15-52.
7 La noblesse seconde représente, selon J.-M. Constant, une partie des membres de la noblesse, des « hommes d’influence … [dont il faut] déterminer la proportion qu’ils représentent parmi leurs collègues moins entreprenants et la masse de la petite noblesse plus ou moins prompte à les suivre. Cette noblesse seconde et sans doute une partie de la gentilhommerie servent de relais aux princes et aux souverains dans les provinces », dans J.-M. Constant, Un groupe socio-politique stratégique dans la France de la première moitié du XVIIe siècle : la noblesse seconde, dans Ph. Contamine (dir.), L’État et les aristocrates, XIIe-XVIIe siècles, France, Angleterre, Écosse, Paris, 1989, p. 280.
8 Les Anglures ainsi que les Baudricourt appartiennent à un groupe de familles champenoises qui partagent leurs services entre le duc de Bourgogne, le roi de France et les ducs de Bar et de Lorraine. Voir l’article d’A. Girardot, Noblesse et réformations en Lorraine angevine, dans N. Coulet, J.-M. Matz (dir.), La Noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen âge, Rome, 2000, p. 65.
9 Le livre de la description des pays de Gilles le Bouvier, dit Berry, éd. E. T. Hamy, Paris, 1908, p. 49-50 et 112-113.
10 En ce qui concerne les Baudricourt, le choix du dauphin en 1419 procède de plusieurs motifs : rivalités avec des familles bourguignonnes, loyauté réelle à la dynastie valoise. La nomination de Robert de Baudricourt à la châtellenie royale de Vaucouleurs oriente profondément sa loyauté, et « son action en tant que capitaine français, ne soulève guère d’interrogation » (V. Toureille, Deux Armagnacs aux confins du royaume : Robert de Sarrebrück et Robert de Baudricourt, dans Revue du Nord, 402-4, 2013, p. 983). Cependant, Jean de Baudricourt, lors de la Guerre du Bien Public en 1465, choisit le camp de Jean de Calabre et s’oppose à Louis XI. Plus globalement, une partie de la noblesse lorraine est attirée par la Bourgogne voire insérée dans des réseaux bourguignons, soit par le jeu des alliances et des clientèles, soit par le biais de la parentèle ou encore du fait de possessions foncières. Les choix de la dynastie angevine (et des Valois) de promouvoir ou non certains membres de cette noblesse vont déterminer les loyautés de ceux-ci.
11 Voir L. Dauphant, Le Royaume des Quatre rivières. L’espace politique français (1380-1515), Seyssel, 2012, p. 319.
12 S. Gunn and A. Jamme, Kings, nobles and military networks, dans Ch. Fletcher, J.-Ph. Genet, J. Watts (dir.), Government and political Life in England and France c. 1300-c.1500, Cambridge, 2015, p. 42-77. À l’instar de Du Guesclin, Jean de Baudricourt n’a pas de descendance par son union maritale avec Anne de Beaujeu.
13 Y. Frizet, Louis XI, le Roi René et la Provence, Aix-en-Provence, 2015, p. 260-267.
14 Une première étude de cette porosité avait été faite, pour le conseil royal, par P.-R. Gaussin, Les conseillers de Charles VII (1418-1461). Essai de politologie historique, dans Francia, X, 1983, p. 67-130.
15 M. Harsgor, Maître d’un royaume, le groupe dirigeant français à la fin du XVe siècle, dans B. Chevalier, Ph. Contamine (dir.), La France de la fin du XVe siècle, renouveau et apogée, Paris, 1985, p. 135.
16 La porosité des fonctions se retrouve encore longtemps en Lorraine mais c’est aussi la marque d’un service ducal qui se structure et subit autant l’influence capétienne qu’il cherche à trouver une voie propre de fonctionnement. Voir Antoine Fersing, Carrières des officiers et influence politique d’une institution d’État : la chambre des comptes de Lorraine (milieu du XVIe siècle-1633), 2015 (Comptabilités, 7 [en ligne]), p. 16-18. C’est le cas aussi dans d’autres duchés et cette logique de répartition entre offices ducaux et offices royaux perdurent tout en fluctuant selon les duchés, à l’instar du duché de Nevers. Voir A. Boltanski, Le duché de Nevers et l’État royal : genèse d’un compromis (ca 1550-ca 1600), Paris, 2006, p. 120.
17 Par son mariage avec Isabelle de Lorraine, fille de Charles II, scellé en même temps que l’adoption de René par le cardinal-duc Louis de Bar, le 20 mars 1419 à Foug (H. Bogdan, La Lorraine des Ducs, 2005).
18 Archives départementales de la Meuse, B 231, fol. 123v-124 (Prévôtés de Bar et de Bouconville à Robert de Baudricourt, 1411).
19 Archives départementales de la Meuse, B 1041, fol. 67 et B 2207, fol. 10v-13. Liébaut est respectivement capitaine d’Étain et capitaine de Foug, cette dernière place constitue un verrou stratégique important pour les ducs de Bar qui commande une partie du territoire du duché et culmine à 275 mètres au-dessus du vallon de l’Ingressin (G. Bleicher, La vallée de l’Ingressin et ses débouchés dans la vallée de la Meuse, Paris, 1901 (Annales de Géographie, 10, no 49), p. 17-26).
20 Père Anselme, Histoire générale de la Maison de France et des grands officiers de la Couronne, Paris, La compagnie des Libraires, VII, 1726-1733, p. 113.
21 La dernière transaction liée à la ville ou à la terre de Baudricourt a lieu le 2 juillet 1363 quand Érard du Châtelet et son épouse vendent à Jean de Baudricourt, le père de Liébaut et grand-père de Robert de Baudricourt, ce qu’ils possèdent dans la ville de Baudricourt, à savoir la basse, moyenne et haute justice pour 140 florins d’or (ANF, A.B. XIX, 240, lay. 143, cité par M. Harsgor, Recherche sur le personnel du Conseil du Roi sous Charles VIII et Louis XII, Lille, 1980, p. 1063).
22 BnF, Pièces Originales, vol. 222.
23 Les Baudricourt, notamment Liébaut, est devenu chambellan du roi Charles VI (BnF, Pièces originales, 222) et a même reçu 1 000 francs donnés par le souverain français à son beau-frère en récompense de ses services. Son mariage avec Marguerite d’Aulnoy renforce apparemment sa position auprès du roi, puisque la famille de son épouse est bien en vue dans l’administration royale : elle est de plus en plus importante et c’est par elle que les Baudricourt vont hériter de la charge de bailli de Chaumont en 1437 (avant Robert de Baudricourt, ce furent ses oncles maternels, Jean d’Aulnoy et Guillaume, bâtard de Poitiers, qui furent bailli de Chaumont). Autrement dit, la carrière comme l’alliance matrimoniale avec les Aulnoy permettent aux Baudricourt de se rapprocher du roi. Il paraît donc logique que la châtellenie de Vaucouleurs échût aux Baudricourt, parce qu’ils constituent les candidats de prédilection : compétents, enracinés localement et liés au roi de France.
24 C. Ohnesorge, Les ambitions et l’échec de la seconde maison d’Anjou (vers 1380-vers 1480), dans N.-Y. Tonerre, E. Verry, Les princes angevins du XIIIe au XVe siècles. Un destin européen, Rennes, 2003, p. 274.
25 B. Chevalier, Marie d’Anjou, une reine sans gloire, 1404-1463, dans P. Contamine, G. Contamine (dir.), Autour de Marguerite d’Écosse. Reines, princesses et dames du XVe siècle, Actes du colloque de Thouars du 23 et 24 mai 1997, Paris, 1999, p. 81-98 et S. Bourocher, La reine Marie d’Anjou : commanditaire des travaux du château de Chinon au milieu du XVe siècle ?, dans Le Moyen Âge, CXVII-3, 2011, p. 487-506 ; M. Gaude-Ferragu, La reine au Moyen Âge. Le pouvoir au féminin, XIVe-XIe siècle, Paris, 2014.
26 A. Girardot, René d’Anjou : une vie, p. 19-20.
27 C’est le cas par exemple des Haraucourt, dont certains choisissent le parti du duc de Bourgogne, contre René et contre Louis XI. Par exemple, André et Henri d’Haraucourt, fils de Gérard III de Haraucourt, choisirent le parti de Charles le Téméraire. Le premier le suivit avant de se soumettre après la bataille de Nancy tandis que le second mourut dans la bataille. Gérard III, leur père, avait cependant été un soutien du duc de Lorraine, dont il avait même été le gouverneur et sénéchal (A. De la Chesnay Desbois, Dictionnaire de la noblesse, Paris, Boudet, deuxième édition, VII, 1774, p. 639).
28 Voir note 4.
29 On trouve dans les sources de multiples références aux incursions anglo-bourguignonnes en Lorraine et dans le Barrois dans la décennie 1420 : en 1420 (Archives départementales de Côte-d’Or, B 11920 pour une trêve entre duc de Bar et duc de Bourgogne), en 1423 (mentions de villages détruits par la guerre, Archives départementales de la Meuse, B 496, fol. 7v à 15), en 1424-1425 (les troupes des seigneurs de Vergy sont devant Vaucouleurs et occupent la campagne alentours, Archives départementales de la Meuse, B 2409, fol. 34), en 1425 (des incursions anglaises boutent le feu à Revigny, Archives départementales de la Meuse, B 1316 fol. 125).
30 BnF, Lorraine 200, fol. 25 no 125. Lettre de Charles VII pour porter assistance au duc de Lorraine contre le comte de Vaudémont. On trouve, en marge du document, cette référence : « A notre ame et feal chevalier conseiller et chambellan Robert de Baudricourt, bailly de Chaumont en Bassigny ». Pour ce qui est du rôle judiciaire et social des baillis et de leur renouvellement au cours du XVe siècle : A. Demurger, Guerre civile et changement du personnel administratif dans le royaume de France de 1400 à 1418 : l’exemple des baillis et sénéchaux, dans Francia, VI, 1978, p. 151-298. Concernant ce rôle quotidien, A. Demurger écrit que les baillis sont des « agents de liaison entre le gouvernement et l’administration locale, ils diffusent les nouvelles, font connaître les textes législatifs ou les décisions royales » (p. 199).
31 Voir G. Giuliato, Les maisons fortes de Lorraine à la fin du Moyen Âge, dans N. Coulet, J.-M. Matz (dir.), La Noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen âge, Rome, 2000 et L. Depautaine et H. Lep., Notice sur Gondrecourt-le-Château, dans Mémoire de la Société d’Archéologie de Lorraine, Nancy, 1870, p. 193-276.
32 Archives départementales de la Meuse, B 1430 fol. 54v et 55.
33 Archives départementales de la Meuse, B 1431, fol. 176v et 173v. Dépenses faites à l’occasion du transport de Vaucouleurs à Gondrecourt des chars de Robert de Baudricourt.
34 Archives départementales de la Meuse, B 1051, fol. 195. Don d’une somme de 2 francs fait par René, duc de Bar, aux compagnons de la garnison de Vaucouleurs, qui étaient à son service 10 mai 1428.
35 V. Toureille, Deux Armagnacs aux confins du royaume : Robert de Sarrebrück et Robert de Baudricourt, dans Revue du Nord, 4, 2013, p. 978.
36 BnF, ms fr. 4484 fol. 216.
37 Concernant l’évaluation réelle de la vitesse à cheval, la bibliographie récente évoque des cas très différents, allant du messager au convoi. Dans son Instruction sur les routes, sur les chemins de fer, sur les canaux et les rivières, Paris, Anselin et Pochard, 1827, A.-M. Augoyat écrit qu’un « bon cheval, chargé de son cavalier, peut parcourir journellement, en sept ou huit heures, 40 kilomètres… Le cheval pèse de 225 à 250 kilos ; la selle et le cavalier pèsent ensemble environ 90 kilos » (p. 54). En ce qui concerne le XVe siècle, René Germain écrit que « Chantard Marsault va de Moulins à Clermont en passant par Saint-Pourçain, avec un cheval chargé et fait l’aller-retour en quatre jours, soit lui aussi une moyenne d’environ 50 kilomètres par jour » (R. Germain, Déplacements temporaires et déplacements définitifs dans le centre de la France aux XIVe et XVe siècles, dans Voyages et voyageurs au Moyen Âge : XXVIe congrès de la SHMES, Limoges-Aubazine, mai 1995, Paris, 1996). En procédant à un calcul rapide, il a fallu à Jeanne d’Arc et à son escorte 11 jours (entre le 13 et le 23 février 1429) pour parcourir les 500 kilomètres entre Vaucouleurs et Chinon, soit 45 kilomètres par jour, ce qui fait, en comptant 7h par jour de trajet, environ 7 kilomètres à l’heure, mais cela, pour une troupe somme toute nombreuse. On peut penser qu’un cavalier seul lancé au galop, par exemple un messager, met moins d’une heure pour faire 20km, tandis qu’une troupe d’hommes et de ravitaillement mettrait environ 2h30 pour combler la distance entre Gondrecourt et Vaucouleurs.
38 Archives départementales de Côte-d’Or, B 1645, fol. 143v.
39 B. Schnerb, Bulgnéville (1431). L’État bourguignon prend pied en Lorrain, Paris, 1993, p. 30.
40 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), p. 54.
41 B. Schnerb, Bulgnéville (1431), p. 86.
42 Philippe de Vigneulles, Chroniques, éd. Bruneau, Metz, II, 1927-1932, p. 224.
43 B. Schnerb, Bulgnéville, p. 93.
44 Archives départementales de la Meuse, B 2216 et Léon Germain, Recherches sur les actes de Baudricourt, dans Bulletin mensuel de la société d’archéologie lorraine et du musée historique lorrain, 2, 1902, p. 224-225.
45 Jean Molinet, Chroniques, éd. J.-A. Buchon, Paris, III, 1827-1828, p. 395-396.
46 « Le Duc de Calabre arriva avec cinq mille hommes, parmi lesquels il y avoit neuf cens hommes d’armes des plus aguerris, commandés par Jacques Galiot, le comte de Campobasse, Baudricourt, le maréchal de Bourgogne, Montaigu et Rothelin tous excellens capitaines », M. Duclos, Histoire de Louis XI, Amsterdam, Guérin et Prault, t. 1, 1745, p. 418.
47 À ce propos, V. Toureille écrit : « On peut toutefois affirmer, sans risquer de se tromper, que Robert de Sarrebrück, sire de Commercy, partageait avec son voisin Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, un respect mutuel dont nous trouvons de nombreuses preuves. L’année de leur premier fait d’armes en commun, Robert de Sarrebrück avait une vingtaine d’années et Baudricourt quelques années de plus 24. C’est là sans nul doute que commença à se forger une véritable fraternité d’armes », V. Toureille, Deux Armagnacs aux confins du royaume : Robert de Sarrebrück et Robert de Baudricourt, dans Revue du Nord, 402-4, 2013, p. 982.
48 M. Duclos, Histoire de Louis XI, Amsterdam, Guérin et Prault, 1, 1745, p. 407.
49 ANF, AB XIX, 228, no 69.
50 Archives départementales de Meurthe et Moselle, B 1, fol. 313v et 315. Nous abrègerons dorénavant en ADMM
51 Archives départementales de la Meuse, B 1041, fol. 67.
52 ADMM, B 583, no 12 et H. Lefèvre, Les Sires de Pierrefort de la maison de Bar, dans Mémoires de la Société d’archéologie lorraine, 52-2, 1902, p. 421.
53 ADMM, B 362, fol. 1 et 2.
54 Archives départementales de la Meuse, B 231, fol. 123v-124.
55 ADMM, B 718, no 34 citée par A. Lecoy de la Marche, Le roi René, Paris, Firmin-Didot, 1875, tome II, Preuves, p. 224.
56 Voir note 55.
57 On ne trouve mention de cette évasion que sous la plume de Dom Plancher, dans Histoire générale et particulière de Bourgogne, De Fay, Dijon, 1739-1781, tome IV, p. CII, Preuve LXXXIX. « Et disoit celui qui a apporté lesdites nouvelles, que déjà messire Robert de Baudricourt avoit assemblé au lieu de Gondrecourt, environ IIIc hommes d’armes, et disoit que ledit Alement avoit fait faire deux ou trois bâtons chacun de pied et demi de long, du gros d’une lance, et lesquelx bâtons l’on enveloppoit par petites liesses de parchemins ou de papier enroulées autour, et yceux bâtons ainsy couverts, l’on écriroit dessus l’entreprise qu’’il vouloit faire, et puis l’lon delioit lesdits bâtons, et envoyoit-on lesdits liesses escriptes comme dit est, là où l’on vouloit, et par ce moyen n’est homme qui pût savoir qu’il auroit escript lesdites liesses, se il n’avoit le pareil bâton, comme celuy sur cui seroient esté escriptes icelles liesses. Et fait moult douter que mondit seigneur de Bar n’ait le pareil bâton et qu’il ne sache cette entreprise. Pour ce, vous faisons savoir ces choses, afin que vous soyez avisé de ce fait, de faire faire bon guet et bonne garde dudit duc de Bar et de la place, telle que vous savez qu’il appartient, affin que Dieu ne veuille que leur mauvaise entreprise ne vienne à effet et que inconvénient ne s’en puisse enfuit et se ledit monseigneur de Bar auroit point de pareil bâton que dessus est dit, en tenant cette matiere la plus secrette que vous pourrez, et nous signiffiant de la réception de cestes, ce chose ensemble vus plaist que puissions, et nous le ferons de bon cuer. Très cher et especial ami, notre Seigneur soit garde de vous. Escript à Dijon le dernier jour de novembre, environ neuf heures de nuit, 1431. Charles, evesque, duc de Lengres et les autres gens du conseil de Monseigneur de Bourgogne estans à Dijon, tout vostres ».
58 Archives départementales des Bouches du Rhône, B 205, fol. 90. « Le roi de Sicile recommande tous ses serviteurs à son héritier. Il désigne en cette qualité Jean de Calabre, son fils aîné, et nomme ses exécuteurs testamentaires Louis de Beauvau, Pierre de Meuillon, Robert de Baudricourt et Vital de Cabanis ».
59 P.-R. Gaussin, Les conseillers de Louis XI, dans B. Chevalier, Ph. Contamine (dir.), La France de la fin du XVe siècle, renouveau et apogée, Paris, 1985, p. 129-130.
60 Voir B. Schnerb, Jean sans Peur, Paris et l’argent, dans W. Paravicini, B. Schnerb (dir.), Paris, capitale des ducs de Bourgogne, Ostfildern, 2007. Il écrit notamment, p. 289, qu’on « voit que les plus importants bailleurs de fonds du duc, Guillaume Sanguin, Michel de Laillier, André d’Épernon, ne sont pas rentrés dans leurs fonds. Leur habitude de faire crédit au duc a certainement joué en leur défaveur ».
61 ADMM, B 525, no 246.
62 BnF, Lorraine 238, fol. 30.
63 A. Lecoy de la Marche, Le roi René, sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires d’après les documents inédits des archives de France et d’Italie, Paris, 1875, vol. 1, p. 121-122.
64 ADMM, B 970, fol. 624v.
65 H. Olland, La Baronnie de Choiseul à la fin du Moyen Âge (1485-1525), Nancy, 1980, p. 39.
66 B. Schnerb, Jean sans Peur, Paris et l’argent, dans W. Paravicini, B. Schnerb (dir.), Paris, capitale des ducs de Bourgogne, Ostfildern, 2007, p. 278.
67 ADMM, B 395, fol. 2v et BnF, Lorraine 68, fol. 115-118
68 C’est le cas avec la terre d’Éclaron, comme on l’a vu plus haut. D’une certaine manière, le prêt impose une rétribution, même si, la plupart du temps, le prêteur ne rentre pas dans ses frais. C’est le cas avec les Angevins, c’est aussi le cas des Bourguignons, comme l’a montré Bertrand Schnerb dans B. Schnerb, Jean sans Peur, Paris et l’argent, dans W. Paravicini, B. Schnerb (dir.), Paris, capitale des ducs de Bourgogne, Ostfildern, 2007, p. 290.
69 Il y a là quelque chose de fondamental dans la façon d’envisager le pouvoir et son consentement. À la suite de B. Schnerb, on peut considérer que les prêteurs avaient conscience des risques qu’ils prenaient. S’ils n’avaient pas forcément le choix, ils ne subissaient pas non plus une contrainte unique, parce que le prêt engageait la faveur ducale (ou royale). Cependant, cette faveur est volatile et l’exemple de Jacques Cœur montre que des sommes trop considérables engageaient des rapports de pouvoirs tels qu’ils pouvaient se retourner contre le prêteur. Néanmoins, dans le cas ducal, particulièrement en Lorraine, il est certain que les sommes prêtées engageaient une contrepartie, qu’elle fût financière, politique ou foncière.
70 ADMM, B 718, no 34.
71 B. Bove, Le temps de la guerre de Cent Ans, Paris, 2010, p. 260.
72 O. Bouzy, Français et Anglais sur le champ de bataille, dans Connaissance de Jeanne d’Arc, Chinon, 1994, p. 25.
73 B. Bove, op. cit, p. 263.
74 G. Butaud, Les compagnies de routiers en France (1357-1393), Clermont-Ferrand, 2012.
75 O. Bouzy, Français et Anglais sur le champ de bataille, dans Connaissance de Jeanne d’Arc, Chinon, 1994, p. 25-36.
76 A. Girardot, Noblesse et réformations en Lorraine angevine, dans N. Coulet, J.-M. Matz (dir.), La Noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen âge, Rome, 2000, p. 49-69.
77 Je reprends un concept utilisé par John et Jean Comaroff, pour l’Afrique du Sud, qui cherchent à désigner les hommes qui matérialisent la présence d’un pouvoir dans des zones charnières qui sont, c’est le cas ici, surinvesties par le pouvoir central. J. et J. Comaroff, Of Revelation and Revolution. The dialectics of Modernity on a South African Frontier, Chicago, vol. 2, 1997, p. 22-23.
78 G. Deleuze, F. Guattari, Mille Plateaux, Paris, 1980, p. 629.
79 F. Mouthon, Communautés rurales et pouvoirs princiers dans le sud-est de la France (XIIIe-XVe siècle), dans MEFRM, 123-2, 2011, p. 339.
80 E. Perroy, Les familles nobles du Forez au XIIIe siècle : essais de filiation, I, Saint-Étienne, 1976, p. 355.
81 ADMM, B 629, fol. 129.
82 M. Bonnabelle, Notice sur la ville de Vaucouleurs, dans Mémoires de la société des lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc, 1879, p. 15-86.
83 BnF, Lorraine 258, fol. 19.
84 A. Girardot, Noblesse et réformations en Lorraine angevine, dans N. Coulet, J.-M. Matz (dir.), La Noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen âge, Rome, 2000, p. 66.
85 ADMM, B 837, no 3.
86 La seule trace de cette ambassade se trouve dans les Chroniques de la ville de Metz, publiées par J.-F. Huguenin, éd. Lamort, Metz, 1838, p. 283.
87 Ce bailliage est au cœur de la puissance des Baudricourt : il se trouve entre leurs mains depuis le mariage de Liébaut de Baudricourt et de Marguerite d’Aulnoy, dont le frère, Jean d’Aulnoy, a récupéré la charge détenue jusqu’en 1395 par Guillaume, bâtard de Poitiers et fils bâtard de l’évêque de Langres, Guillaume IV de Poitiers (fiche 3229 de la base Baséné réalisée à partir de l’article d’A. Demurger Guerre civile et changement du personnel administratif dans le royaume de France de 1400 à 1418 : l’exemple des baillis et sénéchaux, dans Francia, VI, 1978, p. 151-298).
88 Jean Aubrion, Journal de Jean Aubrion, Metz, 1857, p. 244. Voir M. Harsgor, Recherche sur le personnel du Conseil du Roi sous Charles VIII et Louis XII, Lille, 1980, p. 1048.
89 ADMM, B 593, fol. 23. Sur le conflit général voir, Jean Aubrion, Journal de Jean Aubrion, Metz, 1857, p. 324. Le bourgeois de Metz témoigne de la reprise du conflit entre René II et Robert de la Marck II. À la suite de cela, René fait appel à Jean de Baudricourt pour se débarrasser de Robert II. « En celuy temps, pourtant que le bastaird de Vaudemont qui se tenoit à Clermont en Argonne, et plusieurs des gens des ducs de Lorraine, avoient tués et mis à mort plusieurs compaignons de guerre qui étoient au seigneur Robert de la Marche, pourtant qu’ils pilloient en plusieurs lieux en Lorraine, le dit seigneur Robert en avoit deffié le dit duc de Lorenne et desjà courus et fait grand dommaige en la duchiez de Bair. La paix en fut faicte tellement que le duc de Lorrenne donnit au seigneur Robert quatre mil francs ». La paix est à peine signée qu’en septembre 1493, le conflit reprend. La Marck lui réclamait plusieurs villages comme Dun-le-Châtel, Chauvency, qu’il prétendait avoir fait autrefois partie des seigneuries de sa famille et qu’il demandait à y faire rentrer. Sur le refus de René de donner satisfaction à cette réclamation, il l’envoya défier et entre sur le territoire lorrain, brûla Mouzay et mit au pillage tout le pays voisin de la frontière. Voir également la lettre de Jean de Baudricourt, transmise à René II, duc de Lorraine, par Henri de Lorraine qui a demandé au maréchal de France et bailli de Chaumont de faire partir du pays les troupes de Robert de la Marck en 1493, 1495 et 1497 (BnF, Lorraine 10, fol. 6).
90 Archives départementales de la Meuse, B 1051 fol. 227, 228v, 229v, 230, 230v.
91 Voir M. Boyer, La construction de l’État barrois (1301-1420), Thèse de doctorat, Université de Nancy, 2010.
92 On peut le voir à Malroy où les impositions ducales sont contestées, surtout au nom des intérêts fonciers de Jean de Baudricourt. Voir L. Dauphant, Le Royaume des Quatre rivières. L’espace politique français (1380-1515), Seyssel, 2012, p. 253.
93 En ce sens ils participent à renforcer la territorialisation du pouvoir royal en Lorraine. Voir L. Moal, De la seigneurie à l’État princier : les frontières en mouvement (XIe-XVe siècle), dans M. Catala, D. Le Page, J.-C. Meuret (dir.), Frontières oubliées, frontières retrouvées, Rennes, 2011, p. 218.
94 P. Marot, Intervention de Charles VII en Lorraine, Paris, 1926-27, p. 193. P. Marot cite La Chronique des maître échevins de Metz : « Item en la dite anné, le Xe jour du mois de juilllet, seigneur Loys de Haracourt, evesque de Toult, seigneur Giraird de Harracourt, chevalier son frère et seigneur Roubert de Baudrecourt, chevalier et baillis de Channois vinrent en la cité de Metz […] et se firent mener devant les Treses et devant le Conseil ». « Il demande en réparation 100 000 florins de Metz d’amande pour paier audit roy de France pourtant qu’il vouloient dire que la cité avoit enfrains et brixiés la paix que fuit faicte en l’an mil IIIIc et XLIIII ».
95 P. Toubert, Frontière et frontières : un objet historique, dans J.-M. Poisson (dir.), Castrum 4 : Frontière et peuplement dans le monde méditerranéen au Moyen Âge, Rome-Madrid, 1992, p. 16.
96 BnF, Lorraine, 9, fol. 11.
97 ADMM, B 1, fol. 313v et 315, et BnF, ms fr. 18879, fol. 183.
98 On trouve plusieurs mentions de cette ambassade, BnF, ms fr. 6984, fol. 248 ; Archives de Lucerne, M 118, fol. 98v et dans Lettres de Louis XI, J. Vaesen, E. Charavay, Société de l’Histoire de France, VI, Pièce DCCCCXCIII, Paris, 1898, p. 172.
99 Voir la contribution de O. Mattéoni dans le présent ouvrage.
100 Voir L. Moal, De la seigneurie à l’État princier : les frontières en mouvement (XIe-XVe siècle), dans M. Catala, D. Le Page, J.-C. Meuret (dir.), Frontières oubliées, frontières retrouvées, Rennes, 2011, P. Gautier Dalché, Représentations géographiques savantes, constructions et pratiques de l’espace¸dans Construction de l’espace au Moyen Âge : pratiques et représentations, Paris, 2007, p. 1313-38 et S. Péquignot, P. Savy, Annexer ? Les déplacements de frontières à la fin du Moyen Âge, Rennes, 2016.
101 Il existe une abondante bibliographie concernant le renforcement du pouvoir royal et de l’administration au cours du XVe siècle. Cela se traduit dans tous les domaines, comme le souligne Boris Bove dans B. Bove, Le temps de la guerre de Cent Ans, Paris, 2010, p. 456-458. Philippe Contamine s’en fait l’écho d’un point de vue militaire, dans Ph. Contamine (dir.), Histoire militaire de la France, tome 1 : Des origines à 1715, Paris, 1992, p. 201.
102 L. Scordia, Louis XI, mythes et réalités, Paris, 2015, p. 203-204. P.-R. Gaussin, Louis XI, un roi entre deux mondes, Paris, 1976, p. 196-197.
103 BnF, ms fr. 6984, fol. 415 et 416.
104 P. Pélicier, Essai sur le gouvernement de la dame de Beaujeu, Chartres, 1882, p. 91.
105 G. Arnaud d’Agnel, Politique des rois de France en Provence, Louis XI et Charles VIII, I, Paris, 1914, p. 326.
106 P.-R. Gaussin, Les conseillers de Louis XI, dans B. Chevalier, Ph. Contamine (dir.), La France de la fin du XVe siècle, renouveau et apogée, Paris, 1985, p. 129.
107 BnF Pièce originale, Baudricourt, vol. 222. La charte de Charles VIII du 25 mai 1491 atteste qu’à cette date, il a déjà reçu l’Ordre de Saint Michel et qu’en tant que Gouverneur de Bourgogne il est chargé, avec le secrétaire des finances Jean de la Primaudoye, de faire la revue des gens de guerre, de pied et de cheval, du ban et de l’arrière ban de Bourgogne.
108 M. Harsgor, Maître d’un royaume, le groupe dirigeant français à la fin du XVe siècle, dans B. Chevalier, Ph. Contamine (dir.), La France de la fin du XVe siècle, renouveau et apogée, Paris, 1985, p. 135-146.
109 Voir la contribution de K. Toomaspoeg dans le présent volume.
110 ANF, P 166 (2), no 348.
111 Le titre de seigneur de La Fauche figure dans sa nomination de bailli de Chaumont, ANF, P 164 (1), no 1351.
112 Archives départementales de la Meuse, B 2296, no 3. Il achète en même temps Pouilly-en-Bassigny et Fresne-sur-Apance.
113 Archives départementales de Haute-Marne, 6 H 23. En 1493, Jean de Baudricourt est seigneur de Colombey-les-deux-Églises.
114 ANF, P 164 (1), no 1351.
115 G. Poull, Robert de Baudricourt, chevalier, capitaine de Vaucouleurs et bailli de Chaumont, sa famille et sa descendance, Rupt-sur-Moselle, 1966 (Les Cahiers d’histoire, de biographie et de généalogie, 2), p. 31.
116 ANF, X1A 142, fol. 206.
117 Sa piété d’abord, élément qui nous échappe complétement pour Robert de Baudricourt, mais qui s’illustre, avec Jean, par la fondation du Couvent de Minimes dont il est à l’origine. Piété franciscaine, totalement à la mode. Sa culture lettrée : même si nous ne disposons pas de sa bibliothèque, nous savons qu’il a été à l’origine, avec sa femme, de la commande d’un livre d’heures.
118 BnF, ms fr. 2908, fol. 3 et 5.
119 J.-M. Constant, Un groupe socio-politique stratégique dans la France de la première moitié du XVIIe siècle : la noblesse seconde, dans Ph. Contamine (dir.), L’État et les aristocrates, XIIe-XVIIe siècles, France, Angleterre, Écosse, Paris, 1989, p. 279-301.
120 L. Dauphant, Le Royaume des Quatre Rivières, Seyssel, 2012, p. 354.
121 Par exemple Robert II de Lénoncourt qui obtient d’abord la réserve de l’abbaye de Tournus puis l’archevêché de Reims grâce à l’intercession de son oncle, qui en fait la demande à Charles VIII, qui à son tour, en fait la demande à Laurent de Médicis. Ainsi, la lettre du 13 février 1492 où Charles VIII prie Laurent de Médicis d’intervenir auprès du Pape pour obtenir de Sa Sainteté qu’elle octroie la réserve de l’abbaye de Tournus à l’archevêque de Tours, neveu du seigneur de Baudricourt, gouverneur de Bourgogne. Il s’agit de Robert II de Lénoncourt qui avait succédé dans le siège archiépiscopal de Tours à Hélie de Bourdeilles, mort le 5 juillet 1484. Recommandé aux suffrages du Chapitre par Charles VIII et confirmé par le pape le 12 septembre 1484, il prêta serment de fidélité au roi le 24 octobre. Son entrée solennelle à Tours eut lieu le 14 septembre 1488. Il passa ensuite au siège de Reims, en 1508, par permutation avec le cardinal Del Carreto (Gallia, XIV, col. 131). Que Charles VIII fasse appel à Laurent de Médicis pour assurer, auprès du Pape, l’octroi de l’archevêché de Reims à Robert de Lénoncourt en dit long sur l’importance qu’il pouvait accorder à Jean de Baudricourt.
Auteur
École Normale Supérieure - Lettres et sciences humaines - aymeric.landot@gmail.com
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