Chapitre 7. Les procès tribunitiens, leurs significations et l’image des tribuns de la plèbe
p. 449-548
Texte intégral
1Dans les chapitres précédents, nous avons vu que les sources textuelles, notre principal apport informatif, portent un regard partisan sur les débuts de la République. Cette idée tient désormais du truisme tant elle a été martelée. Elle demeure pourtant particulièrement exacte dans le cas des tribuns de la plèbe pour lesquels la figure des Gracques s’est imposée comme un filtre inévitable entre les sources antiques et la réalité des Ve et IVe siècles1, ce qui requiert d’achever cette étude par l’examen de ces reconstructions historiographiques.
2Les procès tribunitiens constituent un point de départ idéal pour cela, car ils reflètent, d’une part, l’histoire de la procédure judiciaire romaine et, d’autre part, l’histoire politique de Rome dans laquelle ils eurent un rôle essentiel. Si l’on y ajoute que les procédures judiciaires furent, au Ier siècle, un lieu privilégié d’expression de l’éloquence romaine (notamment de l’eloquentia popularis), on comprendra que, pour les historiens de la fin de la République ou du début de l’Empire, l’existence de telles procédures aux Ve et IVe siècles rappelait des situations plus tardives. De la sorte, sans être absolument anhistoriques, ces procès offrent un condensé de pratiques et de représentations caractéristiques de la société républicaine, qui en font la part la plus recomposée de l’activité tribunitienne.
3Cependant, l’histoire de ces procès, telle qu’elle nous a été transmise, s’appuie aussi sur des bases historiques qu’il convient d’éclaircir pour déconstruire les réécritures annalistiques. C’est seulement en revenant sur les caractéristiques de la procédure pénale ancienne et sur le rôle possible qu’y jouèrent les procédures tribunitiennes qu’il est possible de pleinement saisir les tropes historiographiques employés par nos sources pour construire leur grille épistémologique. Ainsi, après avoir présenté les procès tribunitiens connus et analysé les processus de réécritures qu’ils mettent en jeu, je reviendrai sur le droit pénal au début de la République et sur l’activité procédurale des tribuns, essentiellement au travers de la coercition capitale et de ses limites. Alors que la tradition prétend que la prouocatio ad populum vint, dès 509, limiter l’exercice de la coercition capitale domi, W. Kunkel a démontré que cette prouocatio ne fut juridiquement entérinée qu’en 300 et que son application dépendit, auparavant, d’une lutte politique qui participa du conflit patricio‑plébéien2. En refusant cette coercition capitale domi du magistrat et en choisissant de renoncer délibérément à l’application de la peine de mort, les tribuns révolutionnèrent la procédure criminelle à l’époque républicaine et furent à l’origine du procès populaire d’amende3. Il sera alors possible de montrer qu’une bonne part des processus à l’œuvre dans la réécriture de ces procédures par les sources antiques cherche en fait à rendre compte de ces processus historiques. L’analyse historiographique est donc essentielle pour comprendre en quoi les récits annalistiques reposent, en partie, sur des reconstructions anachroniques qui leur servirent à conceptualiser aussi bien l’image des tribuns de la plèbe que l’évolution de la procédure criminelle.
Des procès tribunitiens réinterprétés
4De 493 à 287, vingt‑sept procédures tribunitiennes sont attestées, sur lesquelles nous sommes inégalement renseignés puisque nous ne disposons de sources différentes de Denys d’Halicarnasse et de Tite‑Live que dans douze cas. Ces derniers sont décisifs car les témoignages d’autres auteurs fournissent des variantes dans lesquelles les tribuns de la plèbe disparaissent parfois, alors qu’ils sont mentionnés par nos deux sources principales. Une présentation synthétique de ces procédures s’impose donc, en premier lieu, pour illustrer ces variantes et donner à voir le recours récurrent à un certain nombre de procédés historiographiques, dont une analyse synoptique sera proposée dans un second temps.
Coriolan : un précédent fondateur
Deux récits différents
5Le plus ancien procès tribunitien est celui qui, d’après la tradition, fut intenté à Coriolan en 4914. Cn. Marcius Coriolanus, patricien illustre par ses exploits militaires, s’attira la colère de la plèbe et de ses tribuns à la suite de problèmes frumentaires. En 492 en effet, après de nombreuses guerres, l’Vrbs se trouva confrontée à une pénurie de céréales. Grâce à des ambassades en Italie et en Sicile, en 491, un arrivage de blé sicilien permit de croire la situation réglée. Se posa la question de savoir à quel prix il faudrait céder ce blé à la plèbe. Coriolan s’opposa à toute baisse de prix car il vit dans cette conjoncture une opportunité pour reprendre aux plébéiens, par un chantage alimentaire, les droits qu’ils venaient d’extorquer aux patriciens lors de la première sécession5. Furieux, les tribuns de la plèbe décidèrent de l’assigner en justice en usant de la protection attachée à la loi sacrée, puisque vouloir supprimer le tribunat revenait à s’attaquer aux titulaires de la fonction.
6Bien que divergeant sur de nombreux points6, nos sources soulignent que la demande des tribuns outrepassait leurs pouvoirs et constituait une capacité nouvelle qu’ils souhaitaient s’arroger. Tite‑Live mentionne la mise en accusation et le motif, sans préciser le nom des tribuns accusateurs7, tandis que Denys d’Halicarnasse signale qu’un Sicinius serait à l’origine de l’affaire8. Des problèmes de procédure se manifestèrent rapidement. Chez Tite‑Live, Coriolan contesta l’initiative tribunitienne, arguant du fait qu’ils étaient tribuns de la plèbe, et non patriciens, ce qui ne leur donnait pas ce droit9. La pression des tribuns devint pourtant si forte que le Sénat finit par céder. Tite‑Live passe rapidement sur cet abandon capital car, d’après lui, les sénateurs cédèrent afin d’apaiser les tensions internes à la cité10. Chez Denys d’Halicarnasse, les propositions de Cn. Marcius divisèrent les sénateurs et outragèrent les tribuns qui le sommèrent de se justifier. Confrontés à son refus, ils cherchèrent à s’emparer de Coriolan avec l’aide des édiles de la plèbe. Les patriciens s’y opposèrent par la force et protégèrent Coriolan, ce qui ajourna l’affaire11. Tandis que, le lendemain, les tribuns se plaignaient de Coriolan à la plèbe, le consul M. Minucius Augurinus leur reprocha leur façon d’agir en mettant en avant les problèmes de procédure mentionnés par Tite‑Live12. M. Minucius contestait qu’on pût interpréter les actes de Coriolan comme une attaque directe contre la personne des tribuns.
7Denys d’Halicarnasse ajoute d’autres péripéties. Bien que le discours de M. Minucius touchât la plèbe, l’arrogance de Coriolan, qui récusait tout jugement autre que celui de ses pairs, fut exploitée par L. Sicinius13. En raison des actes de violence commis contre les édiles, il voulut le précipiter depuis la roche Tarpéienne14. C’est à ce moment qu’intervint un ancien tribun, L. Iunius Brutus, qui convainquit L. Sicinius de renoncer à cette solution radicale et d’accepter la mise en place d’un tribunal comitial15. Les sénateurs tentèrent alors de pousser à l’abandon des charges, ce qui aboutit à une situation de blocage, L. Sicinius voulant initier le procès, les consuls s’y opposant16. M. Minucius prit à nouveau la parole pour reprocher aux tribuns leur mépris des procédures : il leur rappela en particulier qu’un décret préalable du Sénat était nécessaire pour permettre au procès d’avoir lieu17, décret dont L. Sicinius ne voulait pas. C’est M. Decius qui le convainquit d’accepter cette procédure et qui arracha au Sénat le décret permettant la tenue du procès18. Il fut le principal accusateur de Coriolan dans un long discours adressé aux sénateurs et obtint ce qu’il souhaitait. Lui répondirent Ap. Claudius Inregillensis, qui tint des propos intransigeants, et M’. Valerius qui engagea les sénateurs à céder. Cette dernière opinion prévalut.
8Un nouveau débat surgit à propos du mode de réunion (par centuries ou par tribus). Le Sénat finit cependant par céder et Coriolan fut jugé pour adfectatio regni devant le peuple assemblé par tribus19. Il fut toutefois condamné pour avoir accaparé une partie du butin, chef d’inculpation ajouté en cours de procès par M. Decius, et non pour le motif initial20. Coriolan fut condamné à l’exil, condamnation par contumace chez Tite‑Live car il s’était déjà enfui chez les Volsques dans son récit21.
Le sens d’un précédent
9Des façons de procéder très différentes se repèrent ici. Tite‑Live, en particulier, essaye de rendre la situation du Ve siècle tel qu’il l’imagine, ce dont se moque au contraire Denys d’Halicarnasse22. La différence entre ces récits se situe toutefois moins sur un plan strictement narratif (même si les variantes existantes obéissent à des stratégies d’écriture différentes) que dans la façon dont ils accentuent l’aspect fondateur de cette histoire. S’y trouvent en effet tous les éléments présents, de façon plus ou moins marquée, dans les récits suivants, ainsi que la mise en place d’un double modèle interprétatif concernant les procès tribunitiens.
10Le premier modèle – d’ordre juridique – permet aux auteurs antiques de proposer une archéologie de la procédure criminelle romaine. Tite‑Live insiste ainsi sur le fait que le procès permit d’éviter un règlement plus expéditif de l’affaire, particulièrement lorsqu’il explique que la citation à comparaître épargna à Coriolan un lynchage de la foule23. À l’inverse, Denys d’Halicarnasse se montre sensible à l’aspect jurisprudentiel de cette procédure :
Ce fut la première citation d’un patricien devant le peuple pour être jugé. Depuis ce temps‑là, s’instaura l’habitude pour ceux qui, par la suite, furent les patrons du peuple, de citer devant le peuple ceux des citoyens qui leur semblaient devoir l’être24.
11Pour Denys d’Halicarnasse, qui insiste sur le caractère pérenne de cette innovation, ce procès constitua donc un précédent qui fonda un pan entier de la pratique tribunitienne. Les tribuns auraient acquis un pouvoir qu’ils ne possédaient pas auparavant, créant une jurisprudence cruciale puisque le Sénat, ayant cédé une fois, pouvait difficilement s’opposer, par la suite, à des initiatives similaires25. En outre, le choix du procès traduit une forme d’auto‑limitation tribunitienne, consécutive au refus d’exécuter la sentence de mort prononcée par L. Sicinius (personnage doté d’une forte coloration popularis), et suivant un déroulement complexe qui, de l’émotion initiale provoquée par le chantage de Coriolan, conduisit par étapes à sa condamnation finale. Même si la présentation de Denys d’Halicarnasse manque parfois de clarté juridique, les tribuns y apparaissent non seulement comme les défenseurs de la plèbe, mais aussi comme ceux de la prouocatio qu’ils choisirent de s’appliquer à eux‑mêmes. De ce point de vue, le dénouement par une condamnation à l’exil est révélateur. À une telle époque, l’exil ne peut avoir été une peine et fut tout au plus un choix volontaire de l’accusé pour se soustraire à une condamnation26. Sa transformation en peine n’a d’autre but que de servir d’illustration à l’auto‑limitation des tribuns quant à l’application de la peine de mort.
12En dépit de leurs divergences, Denys d’Halicarnasse et Tite‑Live « partageaient la même conception du rôle des tribuns de la plèbe et de la fonction des procès comitiaux qu’ils étaient susceptibles d’engager27 ». Ce point nodal se lit parfaitement au motif de l’accusation présenté par Denys d’Halicarnasse. L’adfectatio regni ne correspond en rien au fond de l’affaire et, d’ailleurs, l’historien grec reconnaît que Coriolan ne fut pas condamné pour cela. Les passages rapportant des voies de fait sur les tribuns et les édiles, mentionnés par Denys et par Plutarque, n’ont d’autre but que de nourrir le récit en ce sens, en fournissant des éléments propres à justifier l’activation de la clause de sauvegarde contenue dans le serment de 494. Pour autant, l’utilisation de cette accusation d’adfectatio regni, en général invoquée contre des ennemis des patriciens, témoigne de la valeur emblématique d’un procès qui devait fonder cette pratique tribunitienne, tout en réaffirmant le lien entre tribunat et protection du citoyen puisque Coriolan fut épargné28.
13Le second modèle – d’ordre politique – se manifeste par la construction d’oppositions politiques archétypales, en particulier chez Denys d’Halicarnasse29. L’antagonisme patricio‑plébéien structure l’intégralité de son récit, même si d’autres dissensions affectent chaque camp. Les patriciens les plus conservateurs (Coriolan lui‑même ou Ap. Claudius) sont opposés à une frange conciliatrice dont Denys lui‑même, tout en reconnaissant son existence, affirme qu’elle était réduite30. Elle s’incarne à merveille dans la personne de M’. Valerius. Au centre, M. Minucius Augurinus offre une figure de médiateur. Du côté tribunitien, de semblables disparités se font jour. L. Sicinius refuse ainsi toute forme d’accommodement et l’ensemble du récit de Denys d’Halicarnasse le présente comme un personnage intransigeant, négatif du patricien Ap. Claudius. À l’opposé, L. Iunius Brutus apparaît conciliant, notamment lorsqu’il met en avant l’aspect tyrannique d’une mise à mort sans jugement de Coriolan. Peut‑être Denys est‑il ici victime de la tradition familiale des Iunii Brutii, dont plusieurs membres se firent remarquer par leur opposition à toute forme de tyrannie. Entre les deux, M. Decius correspond à la figure de M. Minucius, celle du médiateur qui permit à la procédure d’aboutir à la condamnation de Coriolan, sans recourir à des pratiques trop radicales.
14Cette présentation illustre la part des reconstructions historiographiques dans ce procès et B. G. Niebuhr pointait déjà les incohérences de cette histoire31. Th. Mommsen fut plus critique encore32, et sa vision fit école, en dépit de l’approche traditionnaliste proposée récemment par R. Pesaresi33. Ce dernier a toutefois montré comment, dans les récits sur Coriolan, les digressions sur le rôle idéologique du tribunat dans le système romain ne peuvent se comprendre qu’à l’aune de considérations politiques ultérieures. En particulier, la question de la conservation du régime républicain, en lien avec le thème polybien de la décadence des états, fait référence à la doctrine grecque de l’anacyclose, même si Denys d’Halicarnasse en inverse le cours traditionnel34.
15J.‑M. David a aussi souligné que l’interprétation de l’histoire de Coriolan par l’annalistique doit être rapprochée des procédures judiciaires contre l’aristocratie sénatoriale à la fin du IIe et au début du Ier siècle, dans lesquelles on retrouve des accusateurs aux noms similaires. À M. Decius et L. Sicinius répondent P. Decius, accusateur de L. Opimius en 120 et Cn. (ou L.) Sicinius, qui chercha à restaurer les pouvoirs des tribuns de la plèbe en 76. Tout cela se fit dans un contexte d’usage croissant de la rhétorique qui lui permet de rapprocher le discours d’Ap. Claudius Inregillensis d’un des discours de Sylla. À ce titre, les conduites aristocratiques de la fin de la République étaient autant des actes politiques que des actes antiquaires et elles achevèrent de remodeler la figure de Coriolan35. Les mêmes dispositifs sont employés dans la plupart des procès tribunitiens.
Les procès des années 470
Le procès de T. Menenius Lanatus
16En 476, les tribuns Q. Considius et T. Genucius mirent en accusation T. Menenius Lanatus, consul l’année précédente, pour la perte du camp du Crémère, et parce qu’ils le considéraient en partie responsable des pertes subies par les Fabii36. Denys d’Halicarnasse comme Tite‑Live signalent que ces deux tribuns essayaient en vain de promouvoir un plébiscite agraire et que, confrontés à l’échec de leurs tentatives, ils se tournèrent contre T. Menenius37. Les tribuns requirent la mort avant de se raviser et de faire condamner T. Menenius à 2 000 as d’amende. Très affecté, il mourut peu après le procès38.
17C. Venturini chercha à opposer les récits de Denys d’Halicarnasse et de Tite‑Live parce que ce dernier insisterait davantage sur le contexte agraire et l’historien grec sur son versant militaire39. Cette divergence n’est pas exacte, car Denys débute son récit en rappelant que les tribuns excitaient le peuple et s’en prirent à T. Menenius parce que les patriciens repoussaient leurs mesures40. À cette époque, cela comprenait forcément des mesures agraires puisqu’elles firent l’objet de plébiscites en 484 [20], 483 [21], 481 [23], 480 [24] et 476 [25], tous mentionnés par Denys d’Halicarnasse à l’exception de celui de 484. Le récit du procès de T. Menenius suit aussi, chez Denys, celui de la guerre menée par les consuls Sp. Servilius et A. Verginius contre les étrusques41. Or, juste avant le récit de ces opérations militaires, il précise que Rome faisait à nouveau face à une pénurie de blé et que les tribuns cherchaient à galvaniser les plébéiens sur ce sujet42. Enfin, Denys évoque le fait que la condamnation de T. Menenius accentua le ressentiment patricien à l’encontre des tribuns, ce qui les poussa à refuser toute concession agraire43. La question agraire est donc loin d’être absente de son récit même si elle y occupe une position moins centrale dans sa description. Soulignons, en outre, que les aspects militaires et agraires pouvaient avoir partie liée. Un des Fabii mort au Crémère – Caeso Fabius – avait tenté auparavant d’infléchir le Sénat en faveur de la plèbe à propos des distributions de terres44. La mort de ces personnages – et même le chagrin sur lequel insiste Dion Cassius – pourrait d’autant mieux se comprendre que ces Fabii comptaient dans leurs rangs des personnes sensibles aux intérêts plébéiens.
18Dion Cassius présente une version différente des faits. Dans une notice très sèche, il met la condamnation de T. Menenius uniquement en rapport avec la mort des Fabii sans parler de la question agraire. L’affliction évoquée pourrait s’expliquer par ce que nous savons de l’intervention philo‑plébéienne de Caeso Fabius. En raison de la tristesse éprouvée par les Romains, T. Menenius aurait été accusé devant le peuple et condamné à mort mais, nouvelle différence importante, aucun tribun de la plèbe n’intervient dans ce récit45. Il semble avoir suivi une version différente du procès et avoir eu recours à des sources inconnues, ou délaissées par Tite‑Live et Denys d’Halicarnasse, même si ce dernier évoque les remords du peuple à l’annonce de la mort postérieure de T. Menenius46. À l’inverse, Tite‑Live et Denys d’Halicarnasse insèrent ce procès dans leur reconstruction des comportements tribunitiens, dans leur archéologie du procès populaire d’amende et dans leur vision du rôle des procès telle que l’affaire Coriolan l’a révélée.
19Cette recomposition est particulièrement visible pour le modèle juridique évoqué plus haut. À partir d’une situation émotionnelle significative (le désastre des Fabii), et alors que l’accusé encourait au départ la peine capitale, il ne fut condamné qu’à une amende, les tribuns renonçant d’eux‑mêmes à l’application de la mise à mort, théoriquement possible à en croire nos sources. En revanche, la personnalité des acteurs est insuffisamment esquissée pour que des antagonismes soient visibles. Ce procès fournit pourtant deux éléments nouveaux par rapport à celui de Coriolan. On y trouve la mention du contexte politique, avec les tentatives de plébiscites agraires des tribuns de la plèbe. Cette dimension n’était pas totalement absente du récit au sujet de Coriolan, au moins dans la mention du chantage alimentaire que ce dernier se proposait de mettre en place. Toutefois, elle est ici partie intégrante du processus et est reliée pour la première fois à des plébiscites agraires. Se dessine donc un troisième élément interprétatif, contextuel. Ce procès est aussi le premier exemple de peine pécuniaire infligée par les tribuns, peines qui furent très nombreuses par la suite.
20L’intérêt de la courte notice de Dion Cassius est alors de montrer que le procès de T. Menenius aurait très bien pu ne correspondre en rien à un procès tribunitien. Dans ce cas de figure, T. Menenius aurait pu être accusé et condamné pour avoir failli lors d’opérations militaires, ce qui constituait une condamnation humiliante. Sur cette base, l’annalistique tardive renchérit en réutilisant deux éléments : les conflits – bien réels – autour des questions agraires à cette époque et le problème de la capacité des tribuns à accuser. Le lien entre les deux, en réutilisant les modèles interprétatifs évoqués, transforme le procès de T. Menenius en une sorte de chantage agraire qui relève d’un comportement tribunitien de type popularis. Cette attitude ne correspond sans doute pas à la réalité des Ve et IVe siècles et trouve plutôt des correspondances dans des situations plus tardives.
Le procès de Sp. Servilius Structus
21En 475, L. Caedicius et T. Statius accusèrent l’ancien consul Sp. Servilius Structus en lui reprochant sa défaite face aux Étrusques sur le Janicule en 47647. Denys d’Halicarnasse insiste sur l’inanité du chef d’inculpation, qui tenait plus de la malchance que d’une réelle incompétence, et Tite‑Live souligne l’innocence du consulaire48. Denys rapporte que les patriciens furent outrés par cette accusation et qu’ils exhortèrent en vain les plébéiens à y renoncer49. Lors du procès, L. Caedicius aurait produit comme témoins tous les centurions survivants ainsi qu’un certain nombre de soldats du rang. Ces derniers auraient cherché à se dédouaner en faisant porter la responsabilité du désastre sur leur général50.
22Les deux historiens se rejoignent sur un point : indigné par le sort réservé à T. Menenius, Sp. Servilius prononça un vigoureux discours de défense51, dans lequel il rappelait que lui et son collègue repoussèrent les étrusques, mirent fin à une famine et calmèrent les séditions internes de l’Vrbs en mettant un terme aux agissements de ceux qui cherchaient à profiter de la crise. Il y brodait sur le thème de la chance à la guerre pour récuser l’accusation d’incompétence. La péroraison offrait enfin une dénonciation des tribuns de la plèbe, qualifiés de démagogues sourds aux bienfaits dispensés par le Sénat et cherchant à obtenir toujours plus, notamment à propos des questions agraires. Ce discours fit impression sur le peuple, déjà marqué par la condamnation de T. Menenius. Son collègue A. Verginius témoigna en sa faveur et Sp. Servilius fut reconnu innocent52.
23Comme dans les procès précédents, le même modèle juridique se fait jour qui conduit de la colère initiale à l’acquittement, alors que les tribuns requéraient au départ la peine capitale53. Se retrouvent aussi les jeux d’oppositions classiques entre patriciens et plébéiens d’une part, et à l’intérieur du camp plébéien, d’autre part. Cependant, les antagonismes plébéiens ne se font pas entre tribuns, mais entre les tribuns et la foule des plébéiens, qui joue le rôle de la partie modérée se laissant conquérir par Servilius. Enfin, le discours de Servilius se fait l’écho du paradigme contextuel en dévoilant que l’objet implicite réel de son accusation était la volonté tribunitienne de faire accepter un plébiscite agraire54.
Le procès de L. Furius Medullinus et d’A. Manlius Vulso
24En 473, Cn. Genucius menaça d’assigner en justice les deux consuls de 474, L. Furius Medullinus et A. Manlius Vulso, pour avoir ignoré la loi agraire de Sp. Cassius55. Chez Tite‑Live, les tribuns de 474 cherchaient à faire passer un plébiscite agraire et se heurtèrent à l’opposition vigoureuse des consuls. C’est pourquoi Cn. Genucius les mit en accusation une fois sortis de charge. De son côté, Denys concentre son récit sur l’année 473 en rapportant que Cn. Genucius essaya de forcer le Sénat à faire passer le décret de 486 sur la distribution des terres56. N’y parvenant pas, il se retourna contre les consuls de 474 en leur reprochant de n’avoir pas nommé de décemvirs chargés de distributions agraires. Ces deux auteurs diffèrent donc en raison de leurs présentations dissemblables de la loi agraire de Sp. Cassius57.
25La procédure n’alla pas à son terme car Cn. Genucius fut retrouvé mort chez lui le matin du procès. Le récit de sa mort est identique chez nos deux sources, même si Tite‑Live rapporte, en plus, la joie de patriciens qui se vantaient de leur rôle dans ce décès58. Si ce procès se distingue par sa fin abrupte, liée à la mort de Cn. Genucius, on y retrouve un contexte familier puisque, comme en 476 et en 475, le recours à la procédure criminelle est présenté comme un moyen d’obtenir satisfaction quant à des revendications agraires.
Le procès d’Ap. Claudius Crassinus Inregillensis Sabinus
26En 470, M. Duilius fut élu tribun de la plèbe. Avec son collègue Cn. Sicinius, il assigna en justice Ap. Claudius Crassinus Inregillensis Sabinus, consul en 47159. Cet adversaire acharné de la plèbe et des tribuns s’était opposé aux ambitions de Volero Publilius60, mais également aux projets de loi agraire qui composent une nouvelle fois le contexte de cette affaire. Aux plébiscites agraires mentionnés plus haut, s’ajoutèrent ceux de 474 [26], 470 [30] et 467 [31]. Ap. Claudius usa de toute son influence pour s’y opposer, avec succès61. Aussi les tribuns lui intentèrent‑ils un procès pour se venger. Si Tite‑Live reste imprécis quant aux charges, Denys d’Halicarnasse stipule qu’il s’agissait d’un procès capital reposant sur les accusations suivantes : propos malveillants contre le peuple, tentative d’introduire la sédition dans la communauté, atteinte à la personne des tribuns et mauvais commandement à l’armée62. Ainsi, dans l’esprit de Denys, l’affaire dépendait plus de l’opposition d’Ap. Claudius au tribunat que de questions agraires. Ap. Claudius présente, dans son récit, tous les traits caractéristiques de sa gens et n’a de cesse de remettre en cause la légitimité du tribunat : il exhorte les patriciens à prendre les armes contre les tribuns pour préserver la constitution de leurs pères63. De tels propos servent à justifier les chefs d’accusation puisqu’il y avait là une menace directe contre les tribuns et une atteinte à la « loi sacrée », mentionnée lors de l’exposé des charges64. Bien que leur historicité soit douteuse, ils témoignent de la façon dont Denys d’Halicarnasse recompose sa narration pour l’ajuster à l’image qu’il se faisait de la procédure tribunitienne.
27Les patriciens prirent à cœur la défense d’Ap. Claudius et ce dernier, ne changeant rien à ses opinions et à ses expressions, demeura hautain et méprisant65. Chez Tite‑Live, les tribuns, gênés de l’opposition rencontrée, laissèrent le procès s’éterniser, si bien qu’Ap. Claudius mourut de maladie avant son achèvement66. À l’inverse, Denys mentionne simplement sa mort rapide et laisse entendre qu’il aurait pu s’être suicidé67. Une fois de plus, dans un cas pouvant conduire à la peine capitale, les tribuns semblent avoir pris le parti de ne pas aller au bout de cette possibilité.
28C’est ici qu’intervient la version de cette affaire transmise par Zonaras, remontant probablement à Dion Cassius68. Comme en 476, cette version diffère des autres. Zonaras prend pour point de départ le désastre des Fabii, et rappelle que Rome dut ensuite faire face à des conflits avec les étrusques, avant de conclure une paix provisoire. Immédiatement après, les Romains s’en seraient pris les uns aux autres et Zonaras indique que la plèbe (ou la foule) s’en prenait aux stratèges (ὡς μηδὲ τῶν στρατηγῶν ἀποσχέσθαι τὸ πλῆθος), c’est‑à‑dire ici aux consuls69. D’après Zonaras, des Romains issus de cette foule (leur identité n’est pas précisée) projetèrent de mettre Ap. Claudius en prison à sa sortie de charge pour deux raisons : son opposition persistante à leur action et son recours à la décimation contre ses troupes. Zonaras ajoute qu’une fois sorti de charge, ces plébéiens l’assignèrent effectivement en justice mais, échouant à le faire condamner, le poussèrent au suicide. Là encore, l’identité des accusateurs demeure floue puisque Zonaras ne mentionne que τὸ πλῆθος. De ce point de vue, la traduction d’E. Cary pour l’édition Loeb glose le sens du texte en choisissant de rendre le grec par « popular party », même si cela renvoie à un contexte historiographique sans doute exact. Les tribuns n’intervinrent qu’après cette histoire, Zonaras nous apprenant qu’une des mesures qu’ils obtinrent était de pouvoir se réunir entre eux70.
29Chez Zonaras, les tribuns de la plèbe n’apparaissent pas comme les acteurs majeurs du processus, même si l’on peut penser qu’ils en furent partie prenante. Ce silence met en valeur l’important travail de réécriture effectué par Denys d’Halicarnasse et Tite‑Live sur le même matériau historique. Chez ces derniers, plusieurs éléments sont révélateurs, à commencer par l’effacement de la référence agraire au profit de l’opposition classique des Claudii aux plébéiens et d’un comportement tyrannique à l’armée. La violence du personnage y trouve un nouveau champ d’action, dans un contexte militiae où elle pouvait légitimement s’exercer sans limites. Deux des modèles évoqués se rejoignent, tout en étant employés de façon incomplète. L’élément contextuel agraire sert à poser la situation de départ, avant d’être phagocyté par l’opposition politique patricio‑plébéienne, fondée sur la morgue traditionnelle des Claudii71. Par ailleurs, l’échec du procès, interrompu par la mort de l’accusé, rappelle le schéma juridique des autres procédures où, à chaque fois, l’on passe d’accusations initiales à la portée considérable (la peine capitale) à une condamnation moins importante, voire à l’abandon pur et simple des charges. Cette fois, cependant, le suicide est explicite, même s’il intervint après l’échec du procès que les tribuns prirent l’initiative de retarder. Se dévoile ainsi la façon dont ces deux sources plaquent une série d’éléments récurrents sur ces procédures criminelles. Enfin, si ce personnage doit bien être identifié au décemvir, il ne peut être mort à l’issue de ce procès.
Le procès de Caeso Quinctius et les dernières affaires antérieures aux lois des XII Tables
La condamnation de Caeso Quinctius
30Cette série de procès tribunitiens se poursuit en 461 avec l’assignation en justice de Caeso Quinctius pour crime capital par A. Verginius72. Chez Denys d’Halicarnasse, ce jeune homme, fils de L. Quinctius Cincinnatus, est dépeint comme le chef d’un parti de jeunes patriciens très remuants qui essayaient de défier les tribuns et d’entraver la tenue des réunions plébéiennes73. C’était un crime aux yeux de la législation plébéienne, si l’on se rappelle qu’un plébiscite promulgué en 492 [17] l’interdisait. Par ailleurs, ces actes purent tomber sous le coup des sanctions prévues par la lex sacrata de 494 puisque Tite‑Live explique qu’avec ses amis, Caeso Quinctius chassait les tribuns de la plèbe du forum et que quiconque leur résistait était battu74.
31Caeso Quinctius était admiré des patriciens et haï des plébéiens qui l’assignèrent en justice pour ses actes de violence. Le jeune homme refusa de se défendre – estimant n’avoir fait aucun mal –, mais demanda à pouvoir réparer ses torts auprès des personnes lésées75. Son père, en revanche, s’exprima et éveilla la sympathie de la plèbe pour son fils76. A. Verginius produisit alors le témoignage de M. Volscius Fictor qui, dans un discours rapporté, accusa Caeso Quinctius d’avoir assassiné son frère au cours d’une rixe nocturne en 46377. À l’écoute de ce témoignage, une part de la foule voulut mettre en pièces Caeso Quinctius. Elle en fut empêchée par l’opposition des consuls et par celle de la majorité des tribuns78. Toutefois, les tribuns utilisèrent cette accusation, qui devait se révéler fausse quelques années plus tard, pour mettre Caeso Quinctius en détention provisoire. Les sénateurs proposèrent qu’il demeurât libre en échange de la désignation de dix garants. Une fois libéré, Caeso Quinctius prit la fuite et son père se ruina pour payer la caution79.
32Le récit de Tite‑Live suit la même trame. On y retrouve un portrait similaire de Caeso Quinctius, l’accusation menée par A. Verginius et le témoignage de M. Volscius Fictor80. L’historien latin y ajoute quelques éléments significatifs. Tout d’abord, l’hostilité plébéienne envers Caeso Quinctius est attribuée à son obstruction au plébiscite de C. Terentilius Harsa, ce qui apparaît de façon moins nette chez Denys d’Halicarnasse81. Ce plébiscite, qui avait été présenté pour la première fois en 462 [33], devint l’objet central de la lutte entre patriciens et plébéiens puisqu’il fut de nouveau présenté tous les ans de 461 à 45582. Cet élément contextuel est crédible et s’accorde à ce que nous savons d’autres procès tribunitiens. Tite‑Live indique aussi que, devant l’imminence du procès, Caeso Quinctius modifia son attitude et, accompagné de ses parents, vint solliciter les plébéiens83.
33Tite‑Live rejoint Denys d’Halicarnasse sur le fait que Caeso Quinctius fut accusé de crime capital et que sa liberté dépendit d’une caution, sur laquelle il livre les précisions suivantes : dix répondants fournirent chacun une caution de 3 000 as. Il s’exila la nuit suivante et le paiement de la caution ruina L. Quinctius Cincinnatus84. Dans le De domo, Cicéron mentionne aussi l’exil volontaire de Caeso Quinctius, qu’il élève au niveau de Camille ou de C. Servilius Ahala, personnages s’étant dévoués à la patrie et n’ayant rencontré qu’ingratitude. Son témoignage n’apporte toutefois aucun élément supplémentaire85. Seul le Liber de uiris illustribus fournit une version originale de cette affaire, dans laquelle Caeso Quinctius aurait été chassé par son père et noté par les censeurs86. Si la mention d’une nota censoriale à cette date est anachronique, on retiendra l’hypothèse d’une affaire interne à la famille des Quinctii, dans laquelle aucun tribun ne serait cette fois intervenu.
34Ce procès fournit un nouvel exemple des processus de recomposition employés par les historiens antiques. La transformation de l’accusation illustre le schéma juridique mis en évidence. De voies de fait envers les tribuns, l’affaire finit par porter sur le meurtre du frère de M. Volscius Fictor. À l’intérieur de ce nouveau cas, c’est moins le meurtre en lui‑même qui fut critiqué, que l’impossibilité de le poursuivre dans le cadre d’un procès privé, puis en justice, à cause des consuls87. Comme toute l’affaire reposait sur un faux témoignage, en 458, lorsque la vérité éclata, le faux témoin fut à son tour condamné. Il n’en demeure pas moins qu’une fois encore, les sources dévoilent un glissement durant le déroulement des poursuites, qui les conduisent d’une procédure capitale à un procès d’amende. C’est le cas dans l’affaire de Coriolan, c’est le cas en 476 et c’est aussi le cas, d’une certaine façon, dans le procès d’Ap. Claudius en 470 où, en laissant l’affaire durer pour éviter le recours à la peine de mort, les tribuns permirent l’extinction des poursuites du fait de la mort de l’inculpé. Ce glissement constant montre à chaque fois le recours à la sacratio prévue par le serment de 494, ou du moins à une accusation capitale, puis son abandon progressif. Les ressorts de cette transformation ne se repèrent que dans le texte de Denys d’Halicarnasse. En effet, là, l’opposition entre les patriciens et les tribuns est, comme dans le cas du procès de Sp. Servilius en 475, surmontée par la foule des plébéiens qui se laissa émouvoir par le discours de L. Quinctius Cincinnatus. C’est cette intervention qui conduisit A. Verginius à recourir au témoignage de M. Volscius Fictor, suivant un cheminement qui n’existe pas dans l’Ab Vrbe condita.
35L’ensemble de la narration doit, en outre, être rapporté au plébiscite de C. Terentilius Harsa et au contexte préparatoire des lois des XII Tables88. De même que certains procès ne se comprennent que dans le contexte des luttes agraires, celui‑ci doit être resitué dans le contexte des luttes qui précédèrent la législation décemvirale. Il sert à introduire ce sujet et à expliquer pourquoi la codification décemvirale modifia les conditions des procédures criminelles. L’affaire de Caeso Quinctius fournit donc non seulement un schéma juridique classique, mais aussi une trame narrative explicative à ce qui fut sans doute en réalité une affaire d’exil à laquelle, si l’on en croit le Liber de uiris illustribus, les tribuns auraient une fois de plus pu ne pas être mêlés.
Des procès en 455 ?
36Pour 455, Denys d’Halicarnasse est le seul à mentionner un hypothétique procès89 qui serait lié aux conflits à propos du plébiscite de C. Terentilius Harsa, voté pour la septième fois en 455, et aux luttes autour de la question agraire90. L’année débuta par des affrontements entre patriciens et plébéiens, les premiers voulant monter une expédition militaire que les seconds refusaient. Les consuls procédèrent à la levée avec rigueur en emprisonnant les récalcitrants, provoquant la colère des tribuns dont les demandes de libération étaient refusées91. Les édiles eux‑mêmes auraient subi des actes de violence92. Sommés de venir rendre compte de leur action, les consuls refusèrent et les tribuns sollicitèrent alors l’avis des plébéiens. La majorité d’entre eux, très énervée, estimait qu’il fallait prendre les armes, faire sécession et invoqua la « loi sacrée ». pour demander la mise à mort de leurs adversaires. Denys d’Halicarnasse précise cependant que les plus habiles parmi les plébéiens et les tribuns n’estimèrent pas sage d’abandonner la cité, de poursuivre en bloc tous les patriciens, ou de les mettre à mort sans jugement93. Il valait mieux s’en prendre aux seuls coupables, dans le respect des lois.
37Décision fut prise d’imposer une amende aux consuls puis, dans un geste de générosité ostentatoire, de renoncer à toute poursuite en dépit des violences subies94. En revanche, les plébiscites agraires et celui de C. Terentilius Harsa furent à nouveau présentés au peuple, en commençant par la question agraire. Dans un long discours rapporté, L. Sicinius Dentatus intervint pour défendre la loi agraire et appeler à attaquer en justice les patriciens qui s’y opposaient95. Le tribun L. Icilius renvoya ensuite l’assemblée au lendemain pour écouter les arguments des opposants au plébiscite96. Ces derniers ne purent s’exprimer et la loi fut présentée au peuple. Toutefois, la jeunesse patricienne entrava le déroulement des opérations tout en prenant soin de ne pas s’attaquer aux tribuns97.
38En réaction, des tribuns de la plèbe non nommés auraient décidé de poursuivre en justice les Cloelii, les Postumii et les Sempronii parce que des membres de ces lignages auraient compté parmi les meneurs de ces agitations. L’identité exacte des accusateurs et des accusés nous échappe, à l’exception de L. Sicinius Dentatus qui aurait joué un rôle important dans l’accusation. Avec d’autres, il suggéra de s’en prendre non aux consuls, mais à ceux qui les avaient aidés et qui n’occupaient pas de magistrature, ainsi qu’à ces trois lignées, et il lança un appel à la modération. Denys d’Halicarnasse précise le motif de l’accusation : les membres de ces lignées patriciennes auraient dérogé à la loi sacrée en empêchant les tribuns de mener leurs actions en faveur de la loi agraire et du plébiscite de C. Terentilius Harsa. Il fut décidé d’une peine étrange : la consécration des biens à Cérès, sans mise à mort ou condamnation à l’exil98. Les accusés furent condamnés par défaut, ne s’étant pas présentés, et leurs biens furent consacrés à Cérès. Le Sénat aurait laissé faire pour que le peuple déchargeât sa colère et parce qu’il avait prévu de racheter les biens des condamnés pour les leur rendre99.
39Deux séquences judiciaires se suivent donc, qui obéissent au schéma juridique mis en évidence : deux situations de violence initiale, deux hésitations à recourir à la sacratio prévue par le serment de 494, deux abandons de ce procédé au profit d’une peine plus légère. Seule la fin diffère puisque, la première fois, les tribuns renoncèrent à imposer l’amende alors que, dans le second cas, la consécration fut effective. À chaque fois, une série d’antagonismes classiques se retrouve, en sus de celle opposant les patriciens aux plébéiens. C’est très net dans la première séquence judiciaire où une poignée de tribuns et de plébéiens s’opposèrent à la foule en furie. C’est aussi le cas dans la seconde partie du récit où un seul personnage incarne cette fois les deux pôles du comportement tribunitien : L. Sicinius Dentatus. En effet, ce dernier se présente d’abord, lors de son discours, comme plutôt radical100, avant de faire preuve de modération en conseillant une peine mesurée et appropriée, et en étant présenté par Denys d’Halicarnasse comme personnifiant le courant plébéien raisonnable et modéré. Les mêmes traits caractéristiques se laissent ainsi une fois de plus percevoir.
Le procès de T. Romilius et de C. Veturius
40En 454, L. Alienus, édile de la plèbe après avoir été tribun en 456 et 455, et C. Calvius Cicero assignèrent en justice les consuls de 455, T. Romilius et C. Veturius101. D’après Tite‑Live, le motif de l’accusation était la mise en vente du butin d’une campagne par les consuls pour renflouer les caisses de l’État au lieu de le distribuer aux soldats. Selon ce récit, ce n’était qu’un prétexte : la véritable raison de cette accusation résidait dans l’opposition résolue de ces consuls à un accord concernant le plébiscite de C. Terentilius Harsa [33]. Ils furent condamnés respectivement à une amende de 10 000 et 15 000 as.
41Chez Denys d’Halicarnasse, c’est L. Sicinius Dentatus qui mit en accusation T. Romilius tandis que L. Alienus accusa C. Veturius. Les reproches sont aussi plus variés. Les consuls se seraient comportés de façon trop sévère au moment du dilectus et n’auraient pas respecté l’auxilium des tribuns en jetant plusieurs personnes en prison102. Les tribuns se plaignirent de cette atteinte à leur autorité et les ressorts habituels qui, chez Denys d’Halicarnasse, servent à justifier la procédure criminelle tribunitienne se mettent ici en place, en particulier le rappel de la loi sacrée et l’évocation d’une éventuelle sécession103. Étaient également reprochés à T. Romilius des violences contre les tribuns et son comportement vis‑à‑vis de la cohorte de L. Sicinius Dentatus104. Pourtant, alors que l’atteinte à la personne des tribuns aurait pu conduire, en vertu de la sacratio du coupable, à une pure et simple mise à mort, c’est une fois encore un procès qui est rapporté. Plusieurs témoignages accablèrent le consul, et la défense hautaine de T. Romilius déplut. Il fut condamné à une amende de 10 000 as. Son action en faveur de l’envoi d’une commission en Grèce pour étudier les lois des Grecs, réponse aux demandes exprimées dans le plébiscite de C. Terentilius Harsa, conduisit toutefois L. Sicinius Dentatus à revenir sur le jugement et à supprimer l’amende105. T. Romilius s’en acquitta malgré tout, estimant qu’elle était consacrée aux dieux. Le procès de C. Veturius est évoqué plus rapidement par sa condamnation à 15 000 as d’amende106. Pline l’Ancien évoque l’affaire en reprenant à son compte l’idée que L. Sicinius Dentatus serait à l’origine de l’accusation de T. Romilius107.
42Comme pour l’année précédente, Denys d’Halicarnasse insiste sur la figure de L. Sicinius Dentatus, qui retrouve son double rôle. Dans un premier temps, il incarne une tendance radicale en s’en prenant à T. Romilius. Pour autant, son intervention dans la définition et la fixation d’une peine intermédiaire rappelle que Denys en fait l’emblème du courant plébéien modéré. L. Sicinius Dentatus ne souhaitait pas une peine trop forte (la mort), qui aurait servi la cause patricienne, aurait fourni des arguments contre la plèbe et n’aurait pas incité les patriciens et le peuple à accepter la condamnation. En même temps, la peine ne devait pas être trop légère non plus, d’où le choix d’une amende d’un montant imposant. L’habileté du personnage, qui occupait la première place parmi les plébéiens en 455‑454, va dans le sens de l’image des procédures tribunitiennes chez Denys d’Halicarnasse, telle que nous l’avons vue se mettre en place jusqu’ici, puisqu’elle sert de support aux schémas juridique et politique. Du point de vue juridique, c’est L. Sicinius Dentatus qui conduit le glissement du procès d’une série d’accusations impliquant la peine de mort à un simple procès d’amende. Du point de vue politique, il incarne les hésitations des sources à propos des tribuns, qui balancent en permanence entre la vision de tribuns démagogues et celle de tribuns conciliants.
43L’hypothèse qu’existaient deux versions différentes du procès – une capitale, l’autre d’amende – liées ensemble par Denys d’Halicarnasse est peu satisfaisante108. On retrouve cette évolution procédurale dans de trop nombreux cas pour supposer l’existence de deux versions à chaque fois. Cette divergence s’explique mieux par deux désirs contraires des annalistes : fonder en droit l’action des tribuns par le recours à la loi sacrée de 494, d’une part, montrer leur défense des procédures impliquant le peuple (dont la prouocatio), d’autre part, par leur refus d’appliquer la peine capitale. Cette modification du cours de ces procès provient donc du heurt entre la volonté d’expliquer les fondements juridiques de ces procédures et la reconstruction de la figure des tribuns, par le recours aux schèmes mis en évidence dans les procès antérieurs.
La reprise des procès tribunitiens après l’expérience décemvirale
Le procès des décemvirs
44Dès 449, des procès eurent lieu contre Ap. Claudius et d’autres décemvirs109. Le texte de Denys d’Halicarnasse est ici incomplet, ce qui explique peut‑être qu’il soit, cette fois, moins détaillé que Tite‑Live. Dans son récit, les tribuns décidèrent de s’attaquer aux décemvirs un par un, non en bloc, pensant pouvoir arriver plus aisément à leurs fins. Ap. Claudius fut le premier accusé, par le père de Virginie, et Denys insiste sur deux éléments qui justifiaient la procédure : ses méfaits en général et son attitude dans l’affaire de Virginie en particulier. Pour les tribuns, s’en prendre d’abord à lui devait permettre d’attaquer ensuite plus facilement les autres décemvirs. Ap. Claudius fut incarcéré et mourut en prison avant le procès110. Denys d’Halicarnasse ajoute que, dans une autre version de sa mort, les tribuns étaient directement impliqués111. Deux autres sources indiquent d’ailleurs qu’Ap. Claudius aurait été exécuté en prison, sans plus de précisions112.
45Chez Tite‑Live, les motifs de l’accusation sont similaires. L. Verginius rappelle les fautes du décemvir pour aussitôt les délaisser et focaliser son attaque sur un point précis : avoir rendu un arrêt de servitude provisoire contre une personne libre113. En réaction, Ap. Claudius fit appel au peuple, puis aux tribuns de la plèbe114. Il fut néanmoins mis en prison, ce qui conduisit C. Claudius, son parent, à revenir à Rome pour le défendre115. La plèbe fut émue par cette démarche, ce qui obligea L. Verginius à rappeler le sort de sa fille. Ne voyant plus d’espoir, Ap. Claudius se donna la mort avant le début du procès116. Comme le souligne R. Pesaresi, la narration livienne se situe dans le cadre du rétablissement des institutions républicaines après la chute des décemvirs. Toutefois, interpréter le procès comme une tentative pour punir Ap. Claudius d’avoir voulu détruire la puissance tribunitienne en instituant un nouveau régime revient à déformer les indications des sources. L’hypothèse de R. Pesaresi repose trop sur sa volonté de démontrer que la loi sacrée de 494 était au fondement de chaque procédure tribunitienne117.
46Cette procédure contre Ap. Claudius va de pair avec celles à l’encontre du décemvir Sp. Oppius par P. Numitorius et contre M. Claudius par L. Icilius118. Nous disposons de peu de renseignements sur les motifs de ces procédures et sur leurs conclusions. Dans le cadre du procès de M. Claudius, sa participation à l’affaire de Virginie était en cause, tandis que, pour Sp. Oppius, la situation était différente. Seul Tite‑Live indique qu’il s’agissait du plus impopulaire des décemvirs après Ap. Claudius, ce qui pourrait faire référence à des comportements tyranniques, comme le prouve l’intervention d’un témoin présentant son dos marqué des verges. L’abus d’imperium est patent. Sp. Oppius fut reconnu coupable, mis en prison et exécuté chez Denys d’Halicarnasse. Si l’on ne tient pas compte des informations sur Ap. Claudius de la scholie à Juvénal et du Liber de uiris illustribus, ce serait le premier exemple de condamnation à mort effective. Tite‑Live indique, lui, que l’accusé préféra se suicider avant l’ouverture du procès119. À en croire Denys d’Halicarnasse, M. Claudius aurait été condamné à l’exil120. La narration de Tite‑Live fournit une variante révélatrice puisque M. Claudius y fut d’abord condamné à mort, avant que L. Verginius lui‑même ne le graciât et ne l’envoyât en exil à Tibur121. Enfin, Denys ajoute que les autres décemvirs décidèrent de partir en exil. Leurs biens furent confisqués par les questeurs122. Chez Tite‑Live, cette confiscation est également mentionnée, par les tribuns cette fois, et ces biens furent donnés au trésor123.
47Trois procédures sont ici rapportées, qui mettent en jeu des mécanismes exemplaires des récits antiques. Toutes s’inscrivent dans le contexte du rétablissement des institutions républicaines et donc d’un légalisme mis à mal par la dérive tyrannique des décemvirs. En conduisant des procès respectueux des règles, les tribuns entendaient se comporter de façon opposée. Par ailleurs, dans deux cas sur trois la procédure n’alla pas à son terme du fait de la mort des accusés. Dans le troisième cas, les tribuns prononcèrent la condamnation à mort de M. Claudius avant de revenir sur ce jugement en graciant l’accusé qui s’exila. Ces exils, en particulier celui intervenant après la grâce accordée par L. Verginius, pourraient être l’indice de la reconstruction d’un processus plus classique d’exil du coupable avant la fin de la procédure. De même, la confiscation par les questeurs chez Denys fait penser à une publicatio bonorum suivant une interdiction de l’eau et du feu124.
48Sont donc à nouveau présents tant le schéma juridique qui conduit de peines lourdes à des peines plus légères, que le schéma politique faisant intervenir le caractère conciliant des tribuns. Comme L. Sicinius Dentatus, L. Verginius incarne les deux pôles du comportement tribunitien en poursuivant avec rigueur Ap. Claudius et Sp. Oppius, puis en se montrant généreux envers M. Claudius. L’action du tribun M. Duilius s’inscrit dans le même cadre. En effet, alors que les patriciens commençaient à craindre le désir de vengeance des tribuns et la multiplication des procès, M. Duilius intervint pour signifier qu’il empêcherait désormais ces procédures. Si le récit de Denys d’Halicarnasse est incomplet sur ce point Tite‑Live souligne, lui, que la modération du tribun permit d’apaiser la situation125.
Trois cas incertains
49Trois cas particuliers doivent ensuite être mentionnés. En 446, Tite‑Live rapporte les nombreux désaccords entre citoyens du fait des tribuns de la plèbe. Il mentionne les multiples débats provoqués par la mise en accusation de nobiles. Cette année aurait été marquée par des procès de membres de l’aristocratie, sans doute patriciens, et des tribuns de la plèbe pourraient en être à l’origine, sans certitude aucune. Si nous ne savons rien du déroulement de ces procédures ni de leurs conclusions, il faut souligner qu’elles se situaient juste avant l’adoption du plébiscite de C. Canuleius sur les mariages patricio‑plébéiens126. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’elles allassent à leur terme car une attaque concertée des Volsques et des èques ressouda les Romains qui remportèrent la victoire.
50En 442, des tribuns inconnus mirent en accusation A. Menenius, T. Cloelius Siculus et M. Æbutius Helva. Tous trois avaient été nommés triumvirs pour la déduction d’une colonie à Ardée, dans un contexte particulier127. En effet, un territoire disputé entre Ardée et Aricie s’était vu déclaré romain en 446, à la grande honte des patriciens. Profitant d’une victoire contre les Volsques, les patriciens décidèrent de fonder une colonie en n’envoyant comme colons que des Rutules, habitants des campagnes voisines d’Ardée, afin d’effacer, de façon masquée, la sentence initiale. L’affaire reposait donc sur des questions agraires et de colonisation. Si les tribuns attaquèrent en justice les trois hommes pour ce motif, le procès ne put cependant se tenir car les accusés s’établirent dans la colonie, hors de portée des tentatives tribunitiennes, sans doute en perdant leur citoyenneté romaine au profit d’une citoyenneté latine.
51Enfin, en 436, eurent lieu les menées du tribun Sp. Maelius. Ce dernier aurait cherché à venger son homonyme, l’adfectator regni de 439, en mettant en accusation L. Minucius et C. Servilius Ahala devant les comices centuriates d’après Cicéron, devant une assemblée plus incertaine selon Tite‑Live128. L. Minucius aurait impliqué le premier Sp. Maelius dans de fausses accusations et C. Servilius Ahala l’aurait exécuté sans jugement. D’après Tite‑Live, ces tentatives ne débouchèrent sur rien. Valère Maxime et son abréviateur mentionnent par contre une condamnation à l’exil de C. Servilius Ahala, qui pourrait se référer à l’action du tribun de la plèbe de 436129. On retrouve cette mention de l’exil chez Cicéron, dans le même passage du De domo que celui consacré à Caeso Quinctius. Elle apporte peu si ce n’est qu’il y eut sans doute exil volontaire de l’accusé et condamnation130. Par ailleurs, dans le De Republica, Cicéron mentionne une fois encore l’affaire, de façon brève, pour évoquer le discrédit de C. Servilius Ahala, ce qui pourrait aller dans le sens d’une condamnation. Les sources s’avèrent ainsi trop sibyllines pour avancer des éléments certains quant à la tenue et à la conclusion d’un tel procès. En outre, ce tribun est peu sûr. Sans doute faut‑il simplement lire ici les répercussions historiographiques d’une procédure d’aqua et igni interdictio131, qui pourraient être l’indice de la présence du schéma juridique déjà relevé.
Les procédures contre C. Sempronius Atratinus
52En 423, C. Iunius et un autre de ses collègues dont le nom n’a pas été conservé tentèrent d’accuser le consul C. Sempronius Atratinus pour avoir mis son armée en danger lors d’une guerre contre les Volsques132. Les détails procéduraux sont très imprécis. À suivre Tite‑Live, notre seule source, ces tribuns auraient d’abord mis en accusation M. Postumius Albinus Regillensis et T. Quinctius Poenus Cincinnatus, tribuns militaires à pouvoir consulaire en 426, à cause de la déroute des armées romaines à Véies. Nous ne savons toutefois rien de cette procédure et la suite du récit, qui explique que les tribuns souhaitaient profiter de l’actuel mécontentement envers le consul C. Sempronius Atratinus pour rallumer la colère contre les autres, semble indiquer que, pour des raisons inconnues, elle n’alla pas à son terme133. Une nouvelle procédure fut lancée contre C. Sempronius et contre les deux hommes. Le tribun appela Sex. Tempanius à comparaître en espérant que son témoignage serait fatal au consul. Le contraire se produisit et C. Sempronius fut disculpé134. En revanche, M. Postumius fut condamné à 10 000 livres d’amende tandis que T. Quinctius, qui s’acharna à faire porter la responsabilité des défaites sur son collègue, fut acquitté, en souvenir de son père d’après Tite‑Live135.
53Ce ne fut que le début des ennuis de C. Sempronius puisque, dès 422, L. Hortensius essaya de le mettre en accusation pour un motif inconnu, qui reprenait peut‑être des accusations d’ordre militaire. Sous la pression de quatre de ses collègues (dont les noms ne nous sont pas parvenus), le tribun aurait renoncé à son projet136. E. Pais proposa d’interpréter cet épisode, honorable pour les deux partis, comme une invention sous l’influence plus tardive des rapports familiaux entre les Hortensii et les Sempronii137. On peut également y voir à l’œuvre une opposition classique entre un tribun agressif et d’autres conciliants.
54En 420, enfin, eurent lieu des élections pour les postes de questeurs, présidées par A. Sempronius Atratinus, tribun militaire à pouvoir consulaire. Aucun plébéien ne fut élu. A. Antistius, M. Canuleius et Sex. Pompilius, tribuns de la plèbe à cette date, exaspérés par l’échec de membres de leurs familles à ces élections, et ne pouvant accuser A. Sempronius Atratinus, se tournèrent contre son cousin, le même C. Sempronius Atratinus qui se retrouva pour la troisième fois menacé de poursuites judiciaires, toujours en raison de sa campagne infructueuse contre les Volsques. Au même moment, ces tribuns déposèrent au Sénat une motion sur le partage des terres, motion qu’avait toujours combattue C. Sempronius. Quoique C. Sempronius fût condamné à 15 000 livres d’amende, les tribuns n’obtinrent pas satisfaction quant à leurs revendications agraires138.
55La fin de la décennie 420 vit donc une recrudescence des procédures tribunitiennes, touchant particulièrement les Sempronii, et mettant en jeu un contexte de conflit politique classique entre la plèbe et le patriciat. Si, cette fois, le schéma juridique se laisse moins percevoir, les éléments contextuels et politiques sont, eux, bien présents. En effet, la corrélation entre la troisième procédure contre C. Sempronius et une mesure agraire ne doit rien au hasard. Plus encore, un certain nombre d’oppositions internes à la plèbe sont mentionnées, en particulier pendant la procédure de 422, avec l’antagonisme entre un tribun radical et quatre de ses collègues partisans d’une certaine conciliation avec le patriciat.
Des procès méconnus à la charnière des Ve et IVe siècles
56Un procès eut lieu en 401, lorsque P. Curiatius, M. Metilius et M. Minucius assignèrent en justice M’. Sergius et L. Verginius, anciens tribuns militaires à pouvoir consulaire pour détourner de leurs personnes la colère de la plèbe139. En effet, cette année‑là, l’élection des tribuns ne permit pas de pourvoir les dix postes, entraînant une lutte pour les places vacantes. D’après Tite‑Live, des plébéiens cherchèrent à coopter des patriciens, à l’encontre du plébiscite trébonien de 448 [55]. Des plébéiens furent finalement cooptés et ce sont eux qui lancèrent l’accusation, car ils craignaient pour leurs intérêts. Cette précision laisse penser qu’il s’agissait de plébéiens proches du patriciat. Ils accusèrent les deux anciens tribuns militaires à pouvoir consulaire pour des pertes lors de la guerre contre Véies et obtinrent leur condamnation à une amende de 10 000 livres chacun140. La conclusion donnée à cette histoire par Tite‑Live ne laisse aucun doute sur son caractère de manœuvre politique.
57En 391, L. Apuleius mit en accusation M. Furius Camillus à propos de l’emploi du butin pris à Véies141. Selon ce tribun, en effet, la plèbe aurait été lésée lors du partage. Camille fut condamné par contumace à 15 000 as lourds d’amende, dont ses clients payèrent une partie. Ces derniers auraient refusé de l’acquitter, estimant la chose politiquement impossible. Très affecté, Camille s’exila142. Le récit de Denys d’Halicarnasse diffère quelque peu puisque cet auteur ne parle pas du problème du butin tandis qu’il insiste sur la haine que les tribuns – non nommés – auraient vouée à Camille. Elle aurait guidé leur action et sa condamnation à une amende de 100 000 as, chiffre peu crédible, justifié par Denys d’Halicarnasse comme relevant d’une volonté explicite de ruiner Camille. Les clients participèrent au paiement et Camille s’exila à Ardée143.
58Deux ans plus tard, en 389, le tribun de la plèbe Cn. Marcius accusa Q Fabius parce qu’il avait porté les armes contre les Gaulois avec qui il devait négocier, provoquant la guerre et la prise de l’Vrbs144. Nous ne sommes pas renseignés sur les charges exactes retenues contre lui et, de toutes les façons, le procès ne put avoir lieu car Q. Fabius mourut juste auparavant, Tite‑Live laissant entendre qu’il aurait pu s’agir d’un suicide pour éviter la condamnation145. Toutefois, dans ce cas, au vu de la gravité de la faute, l’hypothèse d’une accusation capitale n’est pas inenvisageable146.
Le procès de M. Manlius Capitolinus : un procès tribunitien ?
Des sources complexes
59En 384, M. Menenius et Q. Publilius mirent en accusation M. Manlius Capitolinus parce qu’il fut à l’origine d’une sédition à Rome147. Ce patricien s’était distingué, au moment de l’invasion gauloise, par sa défense du Capitole. En 385, jaloux de M. Furius Camillus, M. Manlius voulut s’attirer les faveurs de la plèbe et de ses magistrats en aidant les citoyens endettés et en promettant des lois agraires148. A. Cornelius Cossus fut alors nommé dictateur et dut faire face à des menaces extérieures149. Pendant ce temps, les troubles entretenus par M. Manlius s’amplifièrent et il fut emprisonné par A. Cornelius Cossus, au désespoir de nombreux plébéiens150. Libéré l’année suivante, il reprit ses activités et fut soupçonné d’aspirer à la royauté151. Assigné en justice pour ce motif, il fut condamné et exécuté152. Si ces éléments se retrouvent dans toutes les sources, la façon exacte suivant laquelle M. Manlius fut condamné et exécuté varie en revanche considérablement.
60Les sources les plus anciennes n’évoquent pas de procès. Cornelius Nepos, cité par Aulu‑Gelle, conserve ainsi une version dans laquelle M. Manlius aurait été tué à coups de verges (uerberando necatus est) ce qui, en dépit de la référence à la fustigation, laisse penser à une exécution extrajudiciaire que la tradition aurait cherché à parer des atours d’un procès public avec le châtiment correspondant153. De même, Diodore de Sicile offre une version condensée des événements, indiquant que M. Manlius fut maîtrisé, sans plus de détails. Comme chez Cornelius Nepos, cela pourrait laisser penser à une forme d’exécution extrajudiciaire, notamment par le recours à l’expression καὶ κρατηθεὶς ἀνῃρέθη qui exprime l’idée de se saisir par la force et d’exécuter154. Aulu‑Gelle, qui précise tenir cette version de Varron, indique qu’il fut condamné à mort et précipité de la roche tarpéienne155. Tite‑Live fait intervenir les tribuns de la plèbe – M. Menenius et Q. Publilius – qui le condamnèrent à la précipitation du haut de la roche tarpéienne, mais fait aussi état de l’existence d’une version impliquant des duumvirs156. Valère Maxime et son abréviateur mentionnent la tradition de la mort depuis la roche tarpéienne157, ainsi que l’auteur inconnu d’une Vie des hommes illustres158. Plutarque rapporte le procès et la précipitation du haut de la roche tarpéienne, tout en donnant un rôle de premier plan à Camille dans la conduite de l’affaire. Il réutilise le motif de la jalousie de M. Manlius à l’égard de Camille, qui l’aurait conduit à ses dérives tyranniques. Emprisonné puis relâché, M. Manlius redoubla d’activité, ce qui conduisit à la nomination de Camille comme tribun militaire à pouvoir consulaire. C’est lui qui instruisit le procès, d’abord à Rome, puis au lucus Petelinus où M. Manlius fut condamné avant d’être précipité du haut du Capitole159. Pour Dion Cassius, il fut condamné par le peuple, sa maison rasée, son patrimoine vendu et lui‑même fut précipité depuis la roche tarpéienne160. Enfin, selon Zonaras, il fut traduit devant un tribunal. Les jurés repoussèrent toutefois le vote du fait de manœuvres de M. Manlius et à cause de la vue du Capitole161.
61La tradition hésitait donc entre une exécution extrajudiciaire, l’action de duumvirs, une prise en main directe de l’affaire par des patriciens, voire par Camille lui‑même, ou, plus rarement, l’intervention des tribuns de la plèbe. Une telle divergence n’est pas anecdotique et implique une différence importante de procédure entre une mise à mort hors de tout jugement (par la coercition capitale du magistrat), un procès duoviral de perduellio ou une procédure tribunitienne162. Il n’est pas certain que les tribuns jouassent réellement un rôle dans ce procès. Les versions de Diodore (qu’il situe en 385 et non en 384) et de Cornelius Nepos font penser à l’histoire de Sp. Cassius. Th. Mommsen, déjà, s’appuya sur ces relations condensées pour y voir le noyau primitif de l’épisode et pour nier tout procès. Elles permirent également à A. Lintott d’établir son hypothèse selon laquelle à l’origine, la plus ancienne tradition aurait conservé le souvenir de la mort de M. Manlius au cours d’une révolte, avant que les procès duoviral et tribunitien ne fussent reconstruits par l’annalistique pour masquer le caractère extrajudiciaire de cette mort. Dans cette évolution, la mise à mort aurait été replacée en 384 afin de la coupler à la figure de Camille, absente des plus anciennes narrations163.
62La procédure contre M. Manlius Capitolinus contient donc trois versions dont il est difficile de préciser quelle est la plus ancienne, même si l’hypothèse de Th. Mommsen, reprise par A. Lintott, est stimulante en ce qu’elle dessine une évolution linéaire de la tradition que l’on peut rapprocher du cas de Sp. Cassius. Elle est sans doute la plus proche de la vérité historique. T. P. Wiseman propose une approche similaire d’enrichissement progressif à partir d’un noyau annalistique plus maigre. À l’évidence donc, l’essentiel de ce que l’on peut lire dans les sources sur cette histoire est une fiction. Des enseignements peuvent cependant en être tirés, en s’intéressant à la double localisation du procès et au rôle attribué par Tite‑Live aux tribuns de la plèbe.
Les enseignements du déroulement de la procédure
63J. Gagé, T. P. Wiseman et J. Cels‑Saint‑Hilaire ont souligné la double localisation de ce procès. Il débuta sur le Champ de Mars avec la réunion d’une assemblée dite centuriate dans le récit de Tite‑Live164. Le procès fut alors suspendu et l’assemblée dissoute. Elle fut de nouveau convoquée, hors de Rome cette fois, au bois Petelinus165. Une telle modification ne saurait se satisfaire de la justification avancée par la tradition, c’est‑à‑dire la nécessité de s’éloigner du Capitole, lieu des exploits de M. Manlius, pour un bon déroulement du procès. En effet, cette idée que la vue du Capitole interféra avec les débats correspond tout au plus à un artifice littéraire pour dramatiser le récit. En revanche, le déplacement du procès pourrait indiquer que nos sources croyaient en une impossibilité à obtenir la condamnation de M. Manlius devant les comices centuriates. Cela s’expliquerait à la fois par le manque criant de preuves contre lui (ce que souligne Tite‑Live), mais aussi et surtout par l’hypothèse de puissants liens de patronage entre M. Manlius et certaines familles, lui assurant une grande influence sur cette assemblée. De la sorte, cette double localisation permettrait aussi de donner à voir la complexité des relations sociales entre patriciens et plébéiens à cette époque.
64C’est ici que la version tribunitienne ouvre des perspectives neuves à l’analyse, particulièrement si l’on rappelle la différence de localisation initiale du procès entre Plutarque et Tite‑Live. Elle a été interprétée comme le signe que Plutarque localisait le premier procès devant le concilium plebis réuni par tribus, tandis que Tite‑Live le situait devant les comices centuriates166. Inversement, l’indication de Tite‑Live selon laquelle le second procès, tenu au bois Petelinus, aurait eut lieu devant un concilium populi, a parfois été interprétée comme une référence implicite à une procédure devant les tribus et non plus devant les centuries167. Plutarque pourrait de la sorte conserver une information délibérément déformée par Tite‑Live et qui confère du poids à l’hypothèse que, pour la tradition, le déplacement du procès s’accompagna d’une modification du type d’assemblée. Il n’est en effet pas anodin que l’un des accusateurs de M. Manlius fut un Publilius, tout comme le Volero Publilius qui, tribun de la plèbe en 471, fit passer l’élection des tribuns à une assemblée tribute. La double localisation du procès rejouerait ainsi symboliquement le déplacement de l’élection des tribuns depuis des comices inconnus (curiates selon certaines sources) à des comices tributes, dans le but d’affaiblir l’influence patricienne. En contexte judiciaire, les comices initiaux ne pouvaient cependant être ici que centuriates, bien que cette incohérence ne soit pas si marquante que cela car Tite‑Live est un des seuls à ne pas mentionner la nature de l’assemblée d’élection des tribuns avant 471. Cette différence de localisation initiale du procès apparaît alors tout sauf anodine puisque, pour l’économie générale du récit de Tite‑Live, il était indispensable que le déplacement géographique du procès s’accompagnât de son dépaysement comitial. Il reconstruit ici un ensemble cohérent révélateur du regard qu’il porte sur la société romaine de cette époque.
65Par ailleurs, dans cette version, les tribuns eux‑mêmes se proposèrent d’aider les sénateurs, sans qu’il fût nécessaire de les solliciter. Cela rappelle l’existence d’intérêts communs entre certains patriciens et certains plébéiens, et de groupements qui transcendaient le clivage plèbe/patriciat. Une partie de la plèbe était alliée à certaines lignées patriciennes, cas de figure dont des exemples similaires se retrouvent à d’autres moments de l’histoire des Ve et IVe siècles168. Dans ce cadre, une telle version traduit la position de force de Camille et révèle peut‑être les éléments d’une politique de compromis entre plèbe et patriciat qui trouva son aboutissement dans les plébiscites licinio‑sextiens de 367169, idée encore étayée par les variantes de la tradition qui impliquent Camille dans le procès. Si l’on rappelle que Camille fut dictateur au moment de l’établissement du compromis licinio‑sextien, on comprendra mieux comment la tradition recomposa l’histoire de M. Manlius.
66Le noyau primordial ne peut être que la mise à mort extrajudiciaire de ce personnage. Cette histoire fut progressivement enrichie comme l’a bien résumé St. P. Oakley, mais pas seulement à partir de motifs gracchiens ou catiliniens170. La tradition s’est aussi inspirée de ce qu’elle savait des processus sociaux en cours au IVe siècle tout en y adjoignant des éléments concernant la procédure criminelle tribunitienne et la création d’une assemblée tribute plébéienne. L’invention d’une version tribunitienne du procès de M. Manlius ne se comprend qu’à cette aune. Chez Tite‑Live, cette version n’a d’autre but que de s’intégrer à une logique narrative plus ample qui, à cette date, prépare le récit du compromis de 367. Ce procès est donc à part dans la liste des procès tribunitiens car il est très probable que ce ne n’en fut pas un. Il ne peut donc servir à prouver l’existence d’un procès capital devant la plèbe postérieur au verset décemviral de capite ciuis171. En revanche, tout comme la procédure contre Caeso Quinctius avait une fonction diégétique, la version tribunitienne du procès de M. Manlius sert à matérialiser la façon dont Tite‑Live se représente les évolutions socio‑politiques en cours au début du IVe siècle. À ce titre, elle se rapproche du modèle contextuel dont l’existence a été soulignée.
Les ultimes procédures tribunitiennes connues
67En 362, le tribun M. Pomponius intenta un procès contre L. Manlius Imperiosus172. Les motifs étaient au nombre de quatre : avoir détourné son office de dictateur de sa fonction première ; être resté en fonction au delà de la durée légale avant d’abdiquer sous la pression des tribuns ; s’être montré d’une excessive sévérité en levant des troupes et avoir maltraité son fils, qu’il avait envoyé à la campagne, où il subissait une éducation très rude au milieu des esclaves173. Ce dernier argument est le plus souvent retenu par la tradition, car il sert de support à un récit édifiant sur la piété filiale du jeune homme et sur la valeur accordée aux serments à cette époque. En effet, apprenant la mise en accusation de son père, le jeune T. Manlius serait revenu en ville pour menacer le tribun de mort s’il ne renonçait pas aux poursuites à l’encontre de son père. Le tribun céda, jura d’abandonner les poursuites et s’y tint.
68Évoquons, pour finir, trois cas particuliers dont le premier eut lieu en 312 ou en 292‑291. Il s’agit de la mise en accusation du tribun militaire C. (ou M.) Laetorius Mergus par le tribun de la plèbe L. Cominius pour impudicitia. Poursuivi devant le peuple, il fut condamné à mort d’après Denys d’Halicarnasse, tandis que Valère Maxime rapporte qu’il se suicida pour échapper à la honte qui l’accablait. Si ce cas ne soulève guère de problème hormis celui de sa date174, il demeure intéressant en ce que, comme dans tous les cas où il y eut mort, les sources hésitent entre l’exécution de la peine et un suicide de l’inculpé pour échapper à sa condamnation. En effet, en toute rigueur, une action intentée par les tribuns ne pouvait, à cette date, que difficilement déboucher sur une condamnation à mort. Derrière l’aspect moralisant de la présentation des faits par Valère Maxime, ce choix de mettre en valeur le suicide correspond aussi à une façon d’en rester à une fin valide.
69Le deuxième cas concerne les accusations à l’encontre de L. Postumius. Les premières eurent lieu en 293 – après des essais en 294, marqués par des dissensions entre les tribuns175 – avec la tentative de M. Scantius176. Nous disposons de très peu de renseignements sur cette affaire, mentionnée par Tite‑Live. M. Scantius s’en serait pris au légat L. Postumius pour des motifs non précisés. Le processus n’aboutit pas en raison de la protection que le consul Sp. Carvilius Maximus accorda à L. Postumius177. Toutefois, une nouvelle procédure eut lieu en 291‑290, à l’instigation de deux tribuns de la plèbe inconnus. Le procès eut sans doute lieu en 290 et reposait, d’après Tite‑Live, sur les mauvais traitements infligés par L. Postumius à ses soldats. Dion Cassius et Denys d’Halicarnasse évoquent aussi des rapports détestables avec le Sénat178. Seul Denys rapporte l’issue de ces événements, à savoir sa condamnation par toutes les tribus à une amende de 50 000 pièces d’argent. Comme L. Postumius ne fut pas exclu du Sénat lors de la lectio senatus de 289, il faut supposer que l’affaire en resta à des aspects sans conséquences pour lui179.
70Enfin, le dernier procès à évoquer eut lieu, d’après la tradition, en 393. Cette procédure n’a pas été mentionnée dans la suite chronologique des différents procès attestés en raison de son caractère inédit : la mise en accusation des deux anciens tribuns A. Verginius et Q. Pomponius par d’autres tribuns180. Ce procès se déroula dans les années qui suivirent la victoire contre Véies, lors des luttes autour des propositions d’émigration à Véies du tribun T. Sicinius. Tite‑Live souligne que cette idée divisa profondément le peuple romain, y compris les plébéiens dont une partie se rallia à l’opposition acharnée des patriciens – en particulier de Camille – à ce départ181. Les deux hommes, tribuns de la plèbe en 395 et 394, rencontrèrent un certain succès dans leur combat puisque le plébiscite ne fut jamais voté et resta au stade de la rogatio. À leur sortie de charge, ils furent mis en accusation par des tribuns que nous ne connaissons pas, peut‑être T. Sicinius, et condamnés chacun à 10 000 as lourds d’amende182. L’intérêt de ce récit réside dans l’unique mise en accusation de tribuns par d’autres tribuns, en raison de leurs divisions politiques. Les tribuns condamnés avaient en effet soutenu la politique patricienne au sujet de l’émigration à Véies. Ce cas inédit illustre les conséquences ultimes du modèle interprétatif politique relevé et de l’opposition entre tribuns ambitieux et conciliants.
Procès tribunitiens et tropes historiographiques
71À l’issue de ce parcours historique, le caractère éminemment reconstruit des procédures tribunitiennes est devenu évident. À ce titre, les douze procédures pour lesquelles nous disposons d’autres sources que Tite‑Live et Denys d’Halicarnasse ont permis, par contrepoint, d’éclairer les méthodes similaires de ces deux auteurs. Cinq de ces douze procédures (celles de 476, 470, 461, 436 et 385) pourraient n’avoir pas été des procès tribunitiens. Qu’elles puissent être réinterprétées de la sorte n’en est que plus significatif. En outre, dérouler chronologiquement le fil de ces différentes procédures, depuis l’épisode de Coriolan, fait émerger un nombre réduit de procédés d’écriture historique utilisés de façon récurrente pour décrire ces événements. Il est de la sorte possible d’y voir bien plus que des « traits caractéristiques » ou de simples « tendances historiographiques ». Il y a là une série d’opérateurs de l’écriture historique qui justifient de développer, sur ce point, une analyse structurale de ces procès tribunitiens. Cette analyse laissera provisoirement de côté l’idiolecte propre à chaque source pour étudier les outils conceptuels et les figures de style employés par Denys d’Halicarnasse et Tite‑Live, qui sont présents en nombre restreint et qui obéissent à un schéma régulé et répété. Ces outils fonctionnent toujours sur le principe d’une déformation du cours initial du récit, tout en n’effaçant jamais complètement son noyau originel. Appelons‑les tropes historiographiques183.
72Ces tropes historiographiques se manifestent suivant trois principales dimensions. La première passe par le recours à des schèmes interprétatifs précis que j’appellerai « paradigmes », en comprenant cette notion à la manière dont les sciences sociales l’ont adaptée à partir des travaux de Th. Kuhn, c’est‑à‑dire comme une grille de lecture commune permettant l’analyse et l’explication d’un certain nombre de phénomènes. L’emploi de ce concept me paraît ici légitime tant ces schèmes narratifs servirent de modèles à tous les récits annalistiques et parce qu’ils sont révélateurs d’une communauté de pensée et de méthode entre nos différentes sources et, en particulier, entre Denys d’Halicarnasse et Tite‑Live. Ces paradigmes, au nombre de quatre, se retrouvent de manière plus ou moins prononcée dans tous les procès tribunitiens conservés, jamais tous ensemble en revanche. Ils forment la structure élémentaire de ces épisodes. S’y ajoutent des recompositions historiographiques le plus souvent fondées sur des parallèles avec des situations tardo‑républicaines. Trois procédés distincts se détachent : des motifs narratifs littéraires, c’est‑à‑dire des ajouts servant à développer et enrichir la structure narrative initiale des épisodes rapportés ; la transformation de ces procès en précédents étiologiques servant à justifier des pratiques ultérieures ; un embellissement historique à partir de doublets plus tardifs. Enfin, le dernier trope historiographique mobilisé relève des qualités d’orateurs prêtées aux tribuns de la plèbe et met en jeu les représentations liées à l’éloquence à Rome. Il pose la question de la nature de l’éloquence romaine aux Ve et IVe siècles, pour la tradition, et de son rapport à l’eloquentia popularis. Passer successivement en revue ces différents procédés permettra d’approfondir le sens des reconstructions historiographiques ici à l’œuvre.
Le recours à des paradigmes interprétatifs
Un paradigme narratif et juridique
73Le premier de ces paradigmes, le plus central, est un paradigme narratif de nature juridique. Il régit la plupart des récits conservés de ces procès, si tant est qu’ils soient un peu développés, et il obéit à une structure constante à partir de laquelle les auteurs antiques construisirent chacun leur propre narration des événements.
74Le point de départ réside toujours dans une émotion plébéienne exploitée par les tribuns de la plèbe pour initier le processus. Ainsi, en 491, la menace de chantage alimentaire de Coriolan indigna la plèbe. Par la suite, en 476 et 475, les procédures contre T. Menenius Lanatus et contre Sp. Servilius Structus trouvèrent leur origine dans des défaites militaires, notamment le désastre des Fabii au Crémère. Cet émoi d’origine militaire se retrouve dans le procès d’Ap. Claudius en 470, au moins dans la version qu’en livre Zonaras, puisqu’elle part de la débâcle des Fabii. Plus tard, en 461, la procédure contre Caeso Quinctius prit sa source à la fois dans la violence du personnage et dans le déni de justice opposé à M. Volscius Fictor, dont le frère avait été assassiné. La combinaison des deux attisa la fureur des plébéiens. En 455, la violence des consuls dans l’organisation de la levée suscita l’effervescence plébéienne, puis, en 449, le sort de Virginie couplé à la dérive tyrannique des décemvirs déclencha la deuxième sécession de la plèbe et fournit les raisons de la mise en accusation des décemvirs. Si nous sommes moins renseignés sur les sources exactes de ces procès après cette date, trois cas demeurent significatifs. Les procédures à l’encontre de C. Sempronius Atratinus, débutées en 423, eurent une double origine : la défaite de C. Sempronius contre Véies dans un premier temps, puis l’échec de candidats plébéiens à la questure, qui indigna les membres de leurs familles. En 401, l’excitation des plébéiens provint du mépris des procédures d’élection au tribunat de la plèbe et de la cooptation de tribuns proches des patriciens. Enfin, en 292‑291, la mise en accusation du tribun militaire C. (ou M.) Laetorius Mergus reposait sur le scandale provoqué par ses tentatives pour contraindre un de ses soldats à des relations homosexuelles.
75Après ce bouillonnement initial, une deuxième phase, plus rarement présente de manière explicite, correspond à la tentative des tribuns de la plèbe de se saisir de l’accusé pour lui appliquer la peine prévue en cas d’atteinte à leur sacrosanctitas : la précipitation depuis la roche tarpéienne. Dans la plupart des cas, les tribuns estimaient que les menées de l’accusé constituaient une attaque envers leur personne, passible de ce châtiment radical. Chez Denys d’Halicarnasse en particulier, la narration s’évertue à rappeler des événements à l’historicité douteuse, qui pouvaient justifier le recours à ce châtiment, par exemple lors des procédures contre T. Romilius et C. Veturius en 454. Bien souvent, l’accusé se rebella, soutenu par les patriciens, ce qui aboutit à une situation de blocage. Cette phase est particulièrement nette dans le cas du procès de Coriolan où les tribuns (surtout L. Sicinius) cherchèrent à s’emparer de lui avec l’aide des édiles de la plèbe. Les patriciens s’y opposèrent, ce qui ajourna la procédure.
76Le troisième temps de ce paradigme correspond à la procédure juridique proprement dite, qui découle parfois de la situation de paralysie évoquée pour la deuxième phase. Dans le cas du procès de Coriolan, c’est l’action conjuguée de L. Iunius Brutus et de M. Decius qui y conduisit, puisqu’ils convainquirent L. Sicinius de renoncer à la mise à mort directe au profit d’un procès. De façon significative, dans tous les cas documentés, ce basculement de la phase deux à la phase trois fut le fait des tribuns de la plèbe eux‑mêmes. Conscients du blocage engendré, conscients aussi, comme les sources le stipulent souvent, du caractère illégal voire tyrannique d’une application immédiate de la peine de mort, ils préférèrent avoir recours d’eux‑mêmes à un procès. Ce n’est pas toujours dit explicitement, toutefois, à plusieurs reprises, cela transparaît du récit des événements. En 476, lors du procès de T. Menenius Lanatus, les tribuns requirent la mort avant de se raviser, ce qui laisse penser au basculement d’une tentative de mise à mort par précipitation à un procès proprement dit.
77Le quatrième et dernier temps de ce paradigme correspond au jugement. Il prend acte des phases deux et trois, mais, souvent, la condamnation ne correspond pas à l’accusation initiale, ce qui rappelle et concrétise la sortie de la situation de blocage par l’orientation différente du cours de la procédure. En effet, à partir du moment où les tribuns renonçaient volontairement à la précipitation depuis la roche tarpéienne, la procédure juridique enclenchée ne pouvait plus déboucher sur une condamnation à mort qui aurait vidé de son sens tout le processus narratif et juridique déployé par l’annalistique. Il devenait nécessaire que les accusations initiales se transformassent pour aboutir à une peine nouvelle. Le procès de Caeso Quinctius est exemplaire de ce processus. Commencé en raison de voies de fait sur les tribuns, qui impliquaient le recours à la peine prévue en cas d’atteinte à leur sacrosanctitas, l’accusation se modifia en raison du témoignage de M. Volscius Fictor qui devint le fondement réel de la condamnation du jeune patricien. De même, Coriolan fut condamné pour accaparement du butin, chef d’accusation ajouté par le tribun M. Decius, pas pour adfectatio regni. L’ultime temps du schéma correspond donc à une transformation de l’accusation pour aboutir à cette condamnation plus légère.
78Ces quatre étapes se retrouvent de façon implicite ou explicite dans la plupart des cas étudiés et, si l’on peut parler de paradigme narratif et juridique, c’est que cette évolution de toutes les procédures ne se comprend que rapportée à la volonté, de la part de nos sources, de rendre compte du rôle juridique des tribuns de la plèbe au début de la République. En renonçant d’eux‑mêmes à l’application de la mise à mort, ils se montraient les garants des principes nouveaux de la République naissante, et en particulier de la prouocatio. De même, cette intervention des tribuns de la plèbe sert à expliquer la fonction judiciaire de l’assemblée du peuple dans la condamnation à mort et la législation décemvirale dans ce domaine. Ce schéma narratif et juridique permit donc aux sources antiques de construire une archéologie de la procédure criminelle qui intègre le tribunat de la plèbe.
Un paradigme politique
79Les auteurs antiques eurent aussi recours à un paradigme politique construit sur la mise en scène d’oppositions. C’est évidemment l’affrontement patricio‑plébéien qui s’avère central puisqu’on le retrouve en toile de fond pour l’ensemble de ces procès. Sa présence sert à rappeler l’existence du conflit des ordres, à le matérialiser dans les procédures criminelles intentées par des tribuns de la plèbe contre des patriciens. Même dans le seul cas où des tribuns furent mis en accusation, en 393, ils le furent parce qu’ils avaient soutenu la politique patricienne, en se ralliant aux adversaires de l’émigration à Véies. Enfin, le procès d’Ap. Claudius en 470 fournit un exemple remarquable de cette opposition, notamment dans le récit de Denys d’Halicarnasse qui oppose la morgue des Claudii aux tribuns de la plèbe, en ayant recours à l’antinomie très forte, dans la tradition, entre cette lignée symbolique du patriciat le plus conservateur et les tribuns identifiés à des démagogues.
80Toutefois, ce jeu d’antagonismes se repère aussi à l’intérieur de chacun des camps en présence. À chaque fois, trois positions politiques différentes peuvent être représentées, correspondant chacune à une partie d’un échiquier politique plus symbolique que réaliste : les partisans de positions radicales, les personnages conciliants et, entre les deux, les artisans du compromis, ceux qui assurent la liaison entre les deux catégories précédentes. Une fois de plus, le procès de Coriolan en fournit l’idéal‑type. Côté patricien, Coriolan et Ap. Claudius incarnaient les radicaux, M’. Valerius les conciliants et M. Minucius Augurinus les diplomates. Côté plébéien, L. Sicinius représentait les démagogues violents, L. Iunius Brutus ceux qui cherchaient l’apaisement et M. Decius les tenants du compromis. Si les dissensions internes au patriciat sont souvent moins visibles, on les retrouve tout de même dans plusieurs cas. Lors du procès de Coriolan, par exemple, Denys d’Halicarnasse précise que les propositions radicales de ce dernier divisèrent les patriciens. De même, avec M. Manlius Capitolinus, nous avons vu que l’invention d’une version faisant intervenir les tribuns a aussi pour but de manifester certaines évolutions sociales affectant Rome et, en particulier, de montrer les rapports de proximité existant entre patriciens et plébéiens.
81Les dissensions à l’intérieur du camp plébéien demeurent cependant les plus fréquentes dans la tradition, où elles peuvent se manifester sous trois formes distinctes. La plus classique se repère dans le procès de Coriolan : différents personnages sont affectés chacun d’une valeur politique dont ils deviennent les porte‑paroles. De telles oppositions entre tribuns se retrouvent dans au moins trois autres cas. En 449, tout d’abord, les accusations contre les anciens décemvirs conduisirent le patriciat à craindre une vengeance des plébéiens les plus radicaux, incarnés alors par le père et le fiancé de Virginie : L. Verginius et L. Icilius. Toutefois, la situation se calma rapidement du fait de l’intervention du tribun M. Duilius, qui empêcha toute autre procédure criminelle et qui personnifie ici le pôle plébéien modéré. De la même façon, en 422, lors de la deuxième procédure intentée contre C. Sempronius Atratinus, un antagonisme très clair se dessine entre le tribun L. Hortensius, d’un côté, et, de l’autre, quatre de ses collègues non nommés, défenseurs de C. Sempronius. Enfin, dans l’histoire de L. Postumius, Tite‑Live rapporte que, lors de sa volonté de triompher en 294, il bénéficia du soutien de trois tribuns contre leurs sept collègues et le Sénat tout entier. S’il ne s’agit pas à proprement parler d’un procès, L. Postumius dut tout de même s’expliquer devant le peuple et eut à faire face à une procédure judiciaire l’année d’après, ce qui rend ce cas intéressant184.
82Une deuxième possibilité repose sur la valence négative qui s’attache le plus souvent aux tribuns de la plèbe185. Dès lors, le tribun devient le vecteur des opinions les plus radicales, tandis que les demandes de conciliation sont le fait de la foule des plébéiens. En 475, l’accusation lancée contre Sp. Servilius reposait tout entière sur les tribuns qui incarnaient le pôle vindicatif de la plèbe. à l’inverse, cette dernière, émue par le discours prononcé par Sp. Servilius, préféra adopter une position accommodante et acquitta l’ancien consul. Un cas similaire se présente au moment du procès de Caeso Quinctius en 461. Le discours de Cincinnatus, le père de Quinctius, alla au cœur de la plèbe et, pour empêcher un nouvel acquittement, le tribun A. Verginius dut faire intervenir le témoignage de M. Volscius Fictor, dont le but était d’attiser la colère de la foule. Enfin, en 449, l’intervention du parent du décemvir Ap. Claudius eut le même effet sur la foule des plébéiens et contraignit L. Verginius à remémorer le sort de sa fille pour obtenir l’emprisonnement de l’accusé. La première partie des procédures lancées en 455 va aussi en ce sens en inversant les rôles. Cette fois, comme nous l’avons vu, face à des plébéiens virulents, des tribuns inconnus tentèrent d’apaiser la foule. Le vocabulaire de Denys d’Halicarnasse est ici très clair puisqu’il oppose aux plébéiens les plus agités (τοῖς ταραχωδεστάτοις) l’avis des plébéiens et des tribuns les plus avisés (τοῖς χαριεστέροις)186. Denys ajoute que, si les tribuns s’étaient laissé entraîner par leur passion, rien n’aurait alors empêché la communauté de s’auto‑détruire187. Il va sans dire que ce procédé de cristallisation des oppositions mobilise une anthropologie de la foule éminemment conservatrice dont le caractère topique a déjà été souligné188.
83Une dernière possibilité repose sur la multivalence de certaines figures tribunitiennes qui peuvent incarner plusieurs valeurs politiques a priori antagonistes. L. Sicinius Dentatus en est le meilleur exemple. Il fut mêlé à des procès tribunitiens en 455 et 454. En 455, c’est ce tribun qui poussa à attaquer en justice les patriciens opposés aux mesures agraires, incarnant de la sorte une politique tribunitienne plutôt agressive. Toutefois, c’est aussi lui qui, une fois la procédure lancée, se prononça en faveur d’une accusation ciblée et d’une peine mesurée. Certes, son objectif était de nature politique : assurer la condamnation des accusés tout en ne provoquant pas la colère des patriciens par des punitions démesurées. Cependant, son action l’année suivante renforce l’impression d’ambivalence du personnage. En 454, à en croire Denys d’Halicarnasse, il aurait mis en accusation le consul T. Romilius. Quoique ce dernier fût condamné à une amende, L. Sicinius annula la condamnation en raison de son action en faveur de la mise sur pied de la commission pour aller étudier les lois grecques. Denys d’Halicarnasse le présente donc à la fois comme un défenseur des positions tribunitiennes radicales et, en même temps, comme le représentant d’un courant modéré, qu’il décrit en usant de trois termes caractéristiques, ἐπιεικής (mesuré, équitable), μέτριος (modéré, mesuré) et φιλάνθρωπος (bienveillant, humain)189. Un cas similaire se présente en 449 avec le père de Virginie. D’une détermination sans faille pour faire condamner Ap. Claudius, L. Verginius se révéla ensuite conciliant en commuant la peine de M. Claudius en exil à vie à Tibur.
84Ce paradigme politique se révèle très présent chez Denys d’Halicarnasse. Il structure sa présentation des faits car cette dialectique des oppositions lui permet d’expliquer et de mettre en scène la façon dont la cité surmonte ses divisions pour aboutir à un nouvel équilibre. Ce paradigme joue d’une série d’antagonismes classiques (patriciens/plébéiens, tribuns démagogues et violents/tribuns conciliants et pacifiques, foule violente/foule empathique) pour élaborer un modèle diégétique qui conduit à la restauration de la concorde dans l’Vrbs.
Un paradigme contextuel
85À cela s’ajoute un paradigme contextuel. Il relève de tout ce qui accompagne chaque procès et permet de le situer dans la trame historique plus vaste de la haute République telle que Tite‑Live ou Denys d’Halicarnasse la conçoivent. D’une certaine façon, ce paradigme contextuel prolonge ceux de nature narrative et juridique d’une part, et politique d’autre part, en les positionnant dans leur environnement historique. Il établit un lien supplémentaire entre procès criminels tribunitiens et conflit patricio‑plébéien, tout en ne prenant qu’un nombre réduit de formes qui se cristallisent autour des conflits agraires et politiques.
86Le contexte agraire se fait jour dès le procès de Coriolan, bien que sur un mode encore partiellement explicite. En effet, les propositions de chantage agraire de Coriolan trouvaient leur origine dans la pénurie de blé qui frappait Rome et dans les besoins plébéiens en ce domaine. Toutefois, dès 476, la procédure contre T. Menenius est corrélée de façon organique à l’opposition de ce dernier aux plébiscites agraires des tribuns de la plèbe. Ce fut une forme de représailles. L’année suivante, en 475, le discours que Sp. Servilius prononça pour sa défense révèle également que l’objectif réel des tribuns était de faire accepter un plébiscite agraire. Ils ne s’en prenaient à lui qu’en raison de son opposition à ces projets. Les mêmes revendications sont identifiables en 473, lors du procès avorté contre L. Furius Medullinus et A. Manlius Vulso. Le rapport entre procédures criminelles tribunitiennes et questions agraires s’avère encore plus évident en 442, lors de la mise en accusation d’A. Menenius, de T. Cloelius Siculus et de M. Æbutius Helva. L’agressivité des tribuns s’explique parce que ces hommes voulurent fonder une colonie en attribuant la majorité des terres à des colons Rutules, au détriment d’une sentence plus ancienne en ce domaine qui les attribuait au peuple romain. Enfin, en 420, la troisième action en justice contre C. Sempronius Atratinus fut combinée à une motion de partage des terres dont les sources nous apprennent que C. Sempronius l’avait toujours combattue.
87Le contexte politique se manifeste également à plusieurs reprises. On le retrouve dès 461, au moment de la procédure intentée contre Caeso Quinctius. Le récit de Tite‑Live insiste sur le fait que le comportement du jeune patricien était lié à son opposition farouche au plébiscite de C. Terentilius Harsa visant à réglementer l’imperium consulaire. Ce plébiscite aboutit finalement à l’envoi de l’ambassade pour étudier les lois grecques et à la rédaction des lois des XII Tables. De la même façon, le procès de T. Romilius et de C. Veturius en 454 s’explique aussi parce que ces deux personnages s’opposaient à tout accord à propos du plébiscite de C. Terentilius Harsa. Enfin, le récit de Tite‑Live rapporte l’existence de possibles procédures contre des nobiles en 446. Or ces procès prendraient place au moment des controverses sur les mariages mixtes et sur le plébiscite de C. Canuleius, qui pourraient en partie les éclairer.
88À deux reprises, contexte agraire et contexte politique se combinent comme en 470, lors du procès d’Ap. Claudius. En effet, une bonne part de la colère des plébéiens à son endroit s’explique par son opposition aux tentatives de plébiscites agraires (en 474 et 470 notamment), ainsi que par son hostilité revendiquée vis‑à‑vis du plébiscite de Volero Publilius qui modifia les conditions d’élection des tribuns de la plèbe. En 455, la double procédure mentionnée par Denys d’Halicarnasse est aussi rapprochée du septième vote du plébiscite de C. Terentilius Harsa et de luttes à propos de la question agraire et de l’accès à la terre. La façon dont ces dimensions peuvent se rejoindre illustre les possibilités d’emboîtement de ces différents paradigmes, ce dont témoigne le procès contre Ap. Claudius, en 470, dans lequel le paradigme contextuel agraire sert à poser la situation initiale avant de céder la place au paradigme politique de l’opposition patricio‑plébéienne.
Un paradigme punitif
89Le dernier paradigme est d’ordre punitif et correspond à la peine prononcée. Il est légitime de parler, ici encore, d’un paradigme car le choix de la peine finale se fait toujours suivant la même logique dans tous ces procès. Nous avons vu comment le paradigme narratif et juridique mettait en scène l’abandon volontaire de la pleine de mort par les tribuns de la plèbe pour aboutir à une autre sentence. Cette nouvelle sentence est révélatrice puisque les tribuns condamnèrent toujours à des amendes, jamais à mort.
90Bien que quelques cas d’accusés décédés soient attestés, leur mort eut toujours lieu dans des conditions particulières. En 476, les tribuns qui, dans un premier temps, avaient requis la mort contre T. Menenius se ravisèrent au profit d’une simple amende. La version de Dion Cassius mentionne pourtant une condamnation à mort et Denys d’Halicarnasse rapporte le décès du personnage, même s’il le situe après le procès. Ce pourrait être une manière de masquer une situation problématique allant à l’encontre du paradigme qu’il construit, dans lequel les tribuns renonçaient à l’application de cette peine. En 470, lors du procès d’Ap. Claudius, ce dernier mourut avant le procès, les sources expliquant qu’il se suicida. De la même façon, en 449, le décemvir Ap. Claudius mourut avant le procès, mais Denys d’Halicarnasse fait état d’une version de sa mort impliquant les tribuns de la plèbe. La même année, M. Claudius, le client d’Ap. Claudius, fut condamné à mort d’après Tite‑Live. L. Verginius serait alors intervenu pour le gracier et il s’exila. En 383, si la mise à mort de M. Manlius Capitolinus est attestée, il ne s’agit pas d’un procès tribunitien. Enfin, en 292‑291, à en croire Denys d’Halicarnasse, C. (ou M.) Laetorius Mergus aurait été condamné à mort. Toutefois, Valère Maxime conserve une version dans laquelle il se serait suicidé pour échapper à la honte de cette condamnation. Les cas de mise à mort sont donc rares et il est significatif de relever que les sources tendent systématiquement à les présenter comme des morts naturelles ou des suicides, non comme l’exécution d’une condamnation judiciaire. Bien sûr, les suicides précédant un procès et une éventuelle condamnation sont des cas particuliers puisqu’ils sont, d’une certain façon, des suicides contraints. Il n’en demeure pas moins que les sources antiques cherchent le plus souvent à montrer qu’il n’y eut pas mise à mort impliquant directement les tribuns. Dans ce cadre, le suicide avant le procès était une manière commode d’effacer l’épisode infamant de la mémoire collective. Cela s’explique par la volonté de coller au paradigme juridique qui implique le renoncement à la peine de mort par les tribuns de la plèbe. Les rares variantes en sens contraire ne subsistent qu’à l’état de traces infimes. Ils témoignent d’une situation qui fut en réalité plus complexe et que le manque de sources interdit de préciser, à l’image de la fin de Sp. Oppius.
91À l’inverse, la condamnation effective par les tribuns qui est mise en avant est la condamnation à une amende. Récapitulons ces différentes décisions dans un tableau :
Liste des condamnés à une amende et du montant des amendes.
Dates | Condamnés | Montant des amendes |
476 | T. Menenius Lanatus | 2 000 as |
454 | T. Romilius Rocus Vaticanus | 10 000 as |
454 | C. Veturius Cicurinus | 15 000 as |
423 | M. Postumius Albinus Regillensis | 10 000 livres |
420 | C. Sempronius Atratinus | 15 000 livres |
401 | L. Verginius Tricostus Esquilinus | 10 000 livres de cuivre |
401 | M’. Sergius Fidenas | 10 000 livres de cuivre |
393 | Q. Pomponius | 10 000 as |
393 | A. Verginius | 10 000 as |
391 | Camille | 15 000 as (100 000 selon D.H.) |
291 | L. Postumius Megellus | 50 000 pièces d’argent |
92L’uniformité des montants transmis par les sources saute aux yeux, puisque seuls les témoignages de Denys sur les condamnations de Camille et de L. Postumius présentent des amendes bien plus élevées190. De tels chiffres n’ont que de peu de valeur historique. En effet, Rome vivait à cette époque dans une économie non monétarisée, ce qui exclut des amendes formulées en ces termes. Ces chiffres ont pour seul but d’indiquer un ordre de grandeur : ils montrent la force de la punition et doivent être corrélés à l’abandon de la mise à mort par les tribuns. C’est en cela que l’on peut parler de paradigme punitif.
93À l’issue de chaque jugement, les tribuns se trouvèrent toujours en situation d’acquitter ou de condamner. Toutefois, dans ce second cas, il s’agissait systématiquement d’une condamnation à une amende dont le montant devait à la fois compenser la peine de mort et manifester la gravité de la sanction. Pour une telle époque, ce montant devait, dans l’esprit des sources, entraîner des répercussions non négligeables sur le niveau de richesse du condamné et sur son rang dans la société. Si l’on se réfère aux dispositions de la loi Aternia Tarpeia sur les amendes de 454191, l’amende maximale autorisée était de trente bœufs. Sachant que, d’après cette loi, un bœuf équivalait à 100 as, le montant maximal légal pour une amende était de 3 000 as. Les montants transmis sont largement supérieurs, sauf pour T. Menenius en 476, dont la condamnation est antérieure à la loi de 454. Ce dernier cas ne constitue donc nullement une exception, d’autant que Denys d’Halicarnasse, en présentant sa condamnation, ajoute qu’il s’agissait d’un montant important qui poussa à abolir les amendes en as pour les remplacer par des amendes en nature, ainsi qu’à fixer pour la première fois une multa maxima192. Comme les autres, ce cas traduit donc la volonté des tribuns, telle que les sources se la représentaient, d’aboutir à une condamnation qui, sans ruiner l’accusé, devait donner à voir une véritable peine. Dans le même temps, ce paradigme punitif fournit une origine au procès populaire d’amende et à la fixation progressive de règles d’administration des peines pécuniaires.
94La répétition d’un tel schéma veut rendre compte des origines de la procédure pénale et du cantonnement des tribuns au procès d’amende. Auxiliaires de la prouocatio, ces derniers décidèrent de se l’appliquer afin de promouvoir de nouvelles formes juridiques qui finirent par s’imposer.
Le poids des recompositions historiographiques
Des motifs littéraires
95Le deuxième trope historiographique met en jeu une série de procédés dont le premier passe par l’usage de motifs narratifs littéraires qui servent à enrichir le noyau historique initial dont les sources antiques disposaient. Ces motifs peuvent avoir pour première fonction une simple utilité diégétique. Rapprocher certains procès de paradigmes contextuels comme les plébiscites agraires, ou des luttes autour du plébiscite de C. Terentilius Harsa permet de leur donner un surcroît de substance tout en renforçant la cohérence de la trame narrative. De façon encore plus nette, avec le cas de Caeso Quinctius, cela permet de préparer le récit consacré aux lois des XII Tables et d’expliquer les mesures prises. Enfin, cela justifie le pouvoir accusateur des tribuns de la plèbe. Toutefois, ce phénomène va au‑delà de ces aspects et l’ajout de motifs littéraires à des procédures ayant, peut‑être, un fondement historique, se repère à d’autres occasions.
96Il s’observe d’abord au travers de personnages emblématiques dont le nom incarne la fonction diégétique. Lors du procès de Caeso Quinctius, le cours de l’affaire bascula à partir du témoignage de M. Volscius Fictor, témoignage qui s’avéra, peu après, être un faux. Il a été remarqué depuis longtemps que ce cognomen signifie « le simulateur » ou « le menteur » et qu’il n’est sans doute qu’un ajout postérieur193. Par ailleurs, la famille des Quinctii fut impliquée dans nombre de batailles contre les Volsques, ce qui fait écho de manière significative au gentilice de cet accusateur, dont l’intégralité du nom pourrait n’être qu’une recomposition.
97Dans le même ordre d’idée, en 454, un des accusateurs des consuls T. Romilius et C. Veturius s’appelait C. Calvius Cicero. Ce cognomen dérive du latin cicer, désignant le pois chiche, et pourrait, comme de nombreux cognomina, trouver son origine dans un surnom à valeur comique ou dépréciative194. Toutefois, la prosopographie nous apprend que le seul autre Calvius connu est d’époque cicéronienne : M. Calvius marchand à Délos en 74. Plus encore, ce C. Calvius Cicero était lié, dans la procédure d’accusation de 454, à un L. Alienus, édile de la plèbe à ce moment‑là. Or, là aussi, cette lignée n’est représentée qu’à l’époque cicéronienne, notamment par un Alienus subscriptor de Q. Caecilius Niger en 70, lequel Q. Caecilius avait lui‑même été questeur de Verrès en Sicile. Au moment où la procédure des Siciliens contre Verrès débuta, Q. Caecilius fut utilisé comme accusateur de complaisance pour essayer de noyer l’action en justice et cet Alienus signa en troisième l’acte d’accusation195. De la sorte, le rapprochement de ces deux noms en 454 ne se comprend qu’à partir de cet arrière‑plan cicéronien qui conduit à douter de l’authenticité de ces accusateurs. Leur usage, en revanche, pouvait rappeler au lecteur cultivé les controverses juridiques de la fin de la République et contribuer à dramatiser les faits rapportés. C’est pourquoi l’hypothèse qui attribue cette reconstruction à Valerius Antias est plausible196. L’annalistique joue ici avec les ressorts de l’histoire ultérieure de Rome pour donner plus de poids à son récit.
98Hors du contexte judiciaire, le recours à des noms spéciaux se retrouve dans le cas du collège tribunitien de 401, caractérisé par la cooptation de tribuns proches du patriciat, cooptation qui provoqua la colère des autres tribuns. Deux des tribuns cooptés s’appelaient justement C. Lacerius et M. Acutius, noms qui peuvent être rapprochés du latin lacerare (mettre en morceaux, déchirer) et acuere (aiguiser, aiguiser sa langue, stimuler, exciter) correspondant alors à un jeu étymologique dont les auteurs antiques pouvaient être friands.
99L’usage de ces motifs littéraires apparaît de façon plus distincte encore au travers de certaines anecdotes. Ainsi, lorsque P. Numitorius s’attaqua à l’ancien décemvir Sp. Oppius en 449, il fit comparaître un citoyen qui, sur le forum, arracha sa tunique pour montrer la marque des coups de verges dans son dos197. Il y a là un motif littéraire qui relève du topos et dont Tite‑Live s’est déjà servi, au travers de la figure d’un ancien soldat qui joua un rôle majeur dans le déclenchement de la première sécession de la plèbe. Ce personnage vint sur le forum pour expliquer son histoire et montrer comment il se retrouva ruiné et forcé à entrer en esclavage pour dette. Il montra alors à la foule son torse couvert de cicatrices acquises lors de ses campagnes et son dos, battu à coup de verges198. L’opposition du valeureux guerrier dont les cicatrices prouvent qu’il n’a jamais fui à l’image misérable du prisonnier roué de coups qu’il est devenu est trop rhétorique – elle juxtapose deux des états les plus éloignés de la société romaine –, trop habilement montée pour être exacte, mais sert à dramatiser le récit. Un incident authentique servit peut‑être de matrice à ces recompositions. En effet, chez Tite‑Live toujours, se trouve l’histoire de M. Antonius qui, lors d’une plaidoierie en 98, arracha la tunique de son client M’. Aquilius pour exposer les cicatrices ornant sa poitrine et attirer ainsi la bienveillance des juges. Bien que reconnu coupable, M’. Aquilius fut acquitté et l’épisode, également mentionné par Cicéron, pourrait avoir servi de point de départ à Tite‑Live199. En tous les cas, le retour d’un élément similaire en 449, année d’une autre sécession de la plèbe, témoigne de la construction rhétorique de l’histoire de Rome qui recourt de façon privilégiée à ces motifs littéraires pour agrémenter son récit, ainsi que de sa capacité à anecdotiser.
100La tentative du tribun M. Pomponius à l’encontre de L. Manlius Imperiosus offre un dernier exemple de ces procédés. Si la véracité de l’événement, qui vit le fils de L. Manlius menacer le tribun pour obtenir l’abandon des poursuites contre son père, est peu probable, il fournit un cas emblématique de développement littéraire200. L’épisode sert premièrement à mettre en relief la piété filiale de T. Manlius, qui respectait même les décisions injustes de son père. Or la piété filiale est une des principales vertus romaines, souvent vantée, comme en témoigne le long passage que lui consacre Valère Maxime201. La mise en avant de l’épisode se comprend aussi au sein de la reconstruction plus générale de la figure de T. Manlius, et la suite de la carrière de ce personnage est révélatrice. C’est d’abord lui qui, en 361, alors qu’il était tribun militaire, vainquit en duel un gaulois, ce qui lui valut son surnom de Torquatus. Il devint dictateur en 353, le fut à nouveau en 349, puis fut consul en 347, 344 et 340 avant d’être une dernière fois dictateur en 320. Durant son troisième consulat, en 340, son fils, qui servait sous ses ordres, engagea un combat contre des cavaliers de Tusculum dirigés par Geminus Maecius, au mépris des commandements de son père. Bien qu’il en sortît vainqueur, son père, sans égards pour ses exploits, le fit mettre à mort pour désobéissance202.
101La spécularité des deux situations est flagrante et l’histoire du procès de 362 ne peut se comprendre que réinsérée dans le parcours personnel de Torquatus et dans la construction d’une tradition familiale des Manlii incarnée dans leur cognomen d’Imperiosus. L’histoire des Manlii semble d’ailleurs avoir, pour Denys d’Halicarnasse, une valeur éminemment symbolique puisque, lorsqu’il présente à ses lecteurs la toute puissance de la patria potestas romaine, il n’en donne comme seul exemple concret, mais radical, que celui de T. Manlius203. L’épisode de 362 obéit donc à une triple finalité : vanter la pietas des Romains, élaborer un modèle interprétatif familial sur la base de comportements stéréotypés et dresser un portrait à la fois flatteur et critique de la disciplina militaris du début de la République. Enfin, le motif du père tuant son propre fils offre une variation sur d’autres cas similaires célèbres dont s’est nourrie la tradition romaine : l’exécution des fils de Brutus en 509 ou l’exécution de Sp. Cassius par son père en 486. Denys d’Halicarnasse lui‑même, après avoir relaté la version familiale de la mort de Sp. Cassius, met en rapport les trois épisodes dans un passage des Antiquités romaines204. À ce titre, cette histoire participe encore plus de l’exemplarité de la geste des Manlii.
La construction de précédents
102Les sources antiques se servirent aussi de ces procès tribunitiens afin d’élaborer des précédents historiques permettant de justifier des situations postérieures. Il s’agit de procédés moins courants dont le procès de Caeso Quinctius fournit un premier exemple. La façon dont l’accusé fut placé en situation de choisir entre l’emprisonnement et le paiement d’une caution sert à la fois à fournir une origine à la procédure des garants, et à construire un précédent aux procès contre les publicains en 212205. L’affaire de 454 fournit un exemple encore plus déterminant de ces processus. Nous avons déjà évoqué l’action de L. Alienus et l’arrière‑plan cicéronien qui enrobe ce procès. Il faut revenir sur ce personnage et sur le fait qu’il ait été édile de la plèbe et non tribun à ce moment‑là. En effet, R. Bauman s’est intéressé aux cas d’interventions d’édiles dans les affaires judiciaires. Cet historien note qu’hormis cet édile, il n’existe aucun autre Alienus avant 70 et le subscriptor de Q. Caecilius Niger. Ses analyses le conduisent, à partir des discours de Cicéron, à montrer que la compétence des édiles en matière criminelle pouvait prêter à controverse à la fin des années 70, dans le contexte de la progressive reconquête de leurs pouvoirs par les tribuns de la plèbe. Dès lors, la mise en parallèle de la situation de 70 avec celle de 454 pouvait présenter des avantages. Sur le substrat d’une procédure tribunitienne réelle, l’annalistique aurait brodé l’intervention d’un édile dans le simple but de fournir un précédent au cas de Verrès, car la position judiciaire des édiles n’était probablement pas assurée en 70206.
103De façon similaire, P.-Ch. Ranouil est revenu sur les accusations portées en 436 par Sp. Maelius à l’encontre de L. Minucius et de C. Servilius Ahala pour démontrer qu’elles étaient d’inspiration post-grachienne et ne faisaient que reprendre les motifs d’actions intentées par les accusateurs populares contre ceux qui avaient exécuté un sénatus‑consulte ultime. Dans le contexte politique du dernier siècle de la République, trouver un précédent à cette pratique ne pouvait qu’avoir des répercussions politiques importantes, notamment parce que les réticences de César à l’égard du sénatus‑consulte ultime contre les catiliniens étaient bien connues. Cette hypothèse sort renforcée du fait que Cicéron utilise cette affaire dans son discours De domo sua, au moment où il cherche à justifier son action en tant que consul, et le choix du sénatus‑consulte ultime, par le recours à des précédents célèbres au sein desquels il inclut la condamnation de Sp. Maelius207. Ajoutons que Quintilien propose également de justifier le meurtre de Ti. Gracchus par Scipion Nasica en faisant référence à l’affaire de C. Servilius Ahala208. Les événements liés à la figure de Sp. Maelius firent donc l’objet d’un intérêt certain à partir des Gracques, à la lumière des conditions de la lutte politique à cette époque. Il s’agissait de remettre les violences politiques nouvelles dans la perspective d’un contexte plus ancien permettant de les motiver, au besoin en transformant l’histoire de Sp. Maelius. Le Ve siècle et les luttes patricio‑plébéiennes offraient un réservoir tout trouvé pour la mise en place d’une casuistique juridique. Cela expliquerait parfaitement l’invention ou la transformation d’une figure tribunitienne reportée de façon rétrospective sur la haute République. On ne manquera pas non plus de constater que ce phénomène de réécriture fut l’œuvre d’auteurs politiquement conservateurs, qui avaient tout intérêt à présenter les premiers tribuns comme étant déjà des factieux.
104Les procédures de 455 contre les Cloelii, les Postumii et les Sempronii s’inscrivent dans la même logique. En raison de la peine choisie – la consécration des seuls biens à Cérès – cette affaire fut souvent perçue comme fictive parce que la consecratio aurait en réalité été prononcée directement par le tribun, sans qu’il y eût besoin d’un recours à l’assemblée plébéienne. Certains savants ont aussi jugé ce récit peu crédible, au prétexte que Denys d’Halicarnasse aurait confondu consecratio et publicatio209. À ce titre, Fr. Salerno pense que l’affaire était de nature fondamentalement politique et que les biens en question conservèrent leur dimension laïque, ce qui permit leur rachat ultérieur, peut‑être en remboursant leur valeur à la caisse du temple210. Cette interprétation est peu satisfaisante car elle conduit à estomper les reconstructions annalistiques complexes mises en évidence, et parce qu’elle introduit une distinction anachronique entre une dimension laïque et une autre, religieuse. Le récit selon lequel les patriciens auraient laissé le procès se dérouler pour, ensuite, racheter les biens consacrés et les rendre à leurs propriétaires légitimes n’en demeure pas moins curieux. La confiscation du patrimoine est une peine classique en droit romain, qu’on trouve à toutes les époques de l’histoire de Rome. Dans ces cas, les biens du coupable rejoignent le patrimoine public du populus Romanus et deviennent incessibles, tout particulièrement lorsque ces biens sont consacrés à une divinité211. Cette peine correspond en outre à la peine classique contre des ennemis de la plèbe, mais s’accompagne en principe de la peine de mort, en vertu des dispositions de 494 qui veulent que la consecratio bonorum ait pour corollaire la consecratio capitis212.
105De fait, les cas similaires attestés pour cette époque vont tous dans ce sens. Que ce soit pour Sp. Cassius213, pour Sp. Maelius214 ou pour M. Manlius Capitolinus215, il y eut, à chaque fois, mise à mort. Il en va de même, en 330‑329, pour Vitruvius Vaccus. Ce personnage, originaire de Fundi, possédait une maison à Rome. En 330, l’Vrbs affronta une coalition de Priverne et de Fundi, en partie menée par Vitruvius Vaccus. Une fois vaincu, ce dernier fut emmené à Rome où il fut mis à mort sur ordre du Sénat qui fit démolir sa maison du Palatin et consacra ses biens à Semo Sancus216. Même dans ce cas, où les tribuns n’agirent pas, on constate que la procédure s’accompagna de la mise à mort du coupable. Tous ces exemples illustrent la corrélation entre la peine capitale et la consecratio des biens, lesquels ne pouvaient être récupérés. Denys d’Halicarnasse le reconnaît lui‑même lorsque peu après, durant l’affaire contre T. Romilius, il rapporte le retournement final de situation. T. Romilius soutenant le projet d’ambassade en Grèce, L. Sicinius Dentatus voulut revenir sur la peine à son encontre et annuler l’amende. Romilius refusa, estimant qu’il était impossible de toucher à cette somme puisqu’elle avait été consacrée aux dieux. Seul le cas des décemvirs fait exception mais, hormis Tite‑Live, les sources mentionnent cette fois une confiscation par les questeurs, non par les tribuns, ce qui indiquerait qu’il ne s’agissait pas d’une consecratio bonorum tribunitienne et pourrait, de la sorte, mieux s’expliquer par l’application d’un schéma classique de publicatio bonorum. De fait, si Tite‑Live fait, lui, intervenir les tribuns, il indique tout de même que les biens confisqués rejoignirent le trésor public et ne fait nulle mention d’une consécration. Le cas de 455 pose donc problème, d’autant que le texte de Denys cité plus haut va dans le sens d’un recours aux dispositions de la lex sacrata pour expliquer l’accusation. Si l’on accepte de réfléchir sur son témoignage, il faut refuser l’idée d’une dimension laïque de ces biens, qui n’a aucun sens. Pourtant, les deux parties de la peine attendue sont découplées et le texte de Denys spécifie que ce fut un choix des tribuns.
106Le De domo de Cicéron fournit ici un intéressant point de comparaison217. Après l’exil de Cicéron, Clodius s’appropria ses demeures et, notamment, sa villa du Palatin, achetée en 62 à M. Licinius Crassus pour plus de 3 millions de sesterces. Il démolit les bâtiments pour en construire d’autres et fit bâtir sur une partie du terrain, un ensemble dédié à la déesse Libertas. Une telle consécration compliqua les démarches que Cicéron dut entreprendre pour récupérer son bien parce que le terrain dédié devenait, en principe, inaliénable. Pour le recouvrer, Cicéron dut s’adresser aux pontifes et leur demander de bien vouloir annuler l’acte de consécration puisque, sans cela, il ne pouvait en reprendre possession. Son argumentation porta sur le fait qu’un seul pontife avait présidé aux opérations de consécration, L. Pinarius Natta, beau‑frère de Clodius de surcroît. Par ailleurs, G.‑Ch. Picard a cherché à expliquer comment des considérations architecturales permirent à Cicéron de récupérer sa demeure. En effet, il se serait agi d’un mausolée en forme de tholos qui, de par sa forme, ne pouvait être consacré selon les rites en vigueur, à savoir toucher les postes. Enfin, B. Berg montra que l’argumentation de Cicéron tournait autour de la dénonciation de l’irréligiosité de Clodius et visait à faire de toute son action une insulte envers la religion et la res publica, interdisant de croire à une consécration honnête218. Dans tous les cas, l’opération dut être justifiée en raison de la nature particulière des biens consacrés, mais Cicéron eut gain de cause. Les pontifes décrétèrent la nullité du caractère sacré de la maison du Palatin, qui put lui être restituée.
107Un passage de Gaius exprime la substance juridique du problème. Il y indique que les choses se répartissent en patrimoniales et extrapatrimoniales, d’une part, entre droit divin et droit humain, de l’autre, ce qui indique, comme l’expose Y. Thomas, « que les choses sacrées, religieuses, saintes et publiques sont toutes extrapatrimoniales », c’est‑à‑dire non susceptibles d’appropriation privée et de l’ordre des res nullius in bonis219. Pour l’époque républicaine, le lien entre choses publiques et choses sacrées est encore plus clair comme le montre un responsum pontifical cité par Y. Thomas et qui stipule « qu’il n’est pas de consécration qui opère sans un ordre du peuple220 ». Le récit tel qu’il est ici présenté par Denys d’Halicarnasse est donc impossible et ne s’accorde pas à la nature de la consecratio bonorum d’époque alto‑républicaine : ses caractéristiques interdisent de penser à des possibilités de récupération des biens consacrés. De fait, dans le cas de Sp. Maelius, les biens confisqués par le Sénat restèrent propriété publique puisque Denys témoigne qu’ils l’étaient encore de son temps221. Un tel récit trahit, en revanche, les conceptions de Denys d’Halicarnasse en ce qu’il cherche à donner une image correspondant tant au conflit des ordres qu’à une vision élogieuse du Sénat, organe de paix et de concorde opposé à des tribuns séditieux.
108Cet aspect n’épuise pourtant nullement les enseignements possibles d’un épisode qu’il convient de rapprocher d’autres cas. Il est tout à fait clair que l’historien grec avait en tête des procédures tardo‑républicaines, dans lesquelles la confiscation de biens était effectivement devenue un enjeu de luttes politiques. L’on pensera d’abord à une affaire de 169 qui n’alla cependant pas à son terme. Les censeurs C. Claudius et Ti. Sempronius Gracchus (soulignons au passage la proximité des noms) furent mis en accusation par le tribun P. Rutilius. Ces deux censeurs s’étaient fait des ennemis en raison de leur censure très rigoureuse, en interdisant aux publicains qui avaient obtenu des fermes lors de la censure précédente de se présenter aux nouvelles adjudications, et en forçant un affranchi de P. Rutilius à démolir un bâtiment qu’il avait fait construire sur une portion de terrain public. C’est ce dernier point qui poussa le tribun à agir en menaçant de consacrer les biens de Ti. Sempronius, en citant C. Claudius devant le peuple pour perduellio et en proposant un plébiscite d’annulation des adjudications censoriales. Une fois C. Claudius absous, P. Rutilius renonça à poursuivre Ti. Sempronius222. En 131, Le tribun C. Atinius Labeo projeta de précipiter le censeur Q. Metellus Macedonicus du haut de la roche Tarpéienne et en fut empêché par ses collègues. Il consacra les biens de Q. Metellus à une divinité inconnue, même si la logique de l’épisode voudrait qu’il se fût agi de Cérès. Q. Metellus ne put récupérer ses biens puisqu’il aurait ensuite vécu de la générosité d’autrui223. Cet épisode est mentionné par Cicéron dans le De domo.
109Il est très probable que Denys d’Halicarnasse avait ces événements en tête lorsqu’il recomposa l’histoire de 455. Il est en outre incontestable que le précédent cicéronien lui fournissait matière à réflexion. Rappelons, enfin, que l’usage de la confiscation de biens dans le cadre de luttes politiques était devenu courant à la fin de la République. Denys d’Halicarnasse reporte donc les procédures de publicatio bonorum, transformée en consecratio, sur le conflit patricio‑plébéien. L’on pourra penser, dans ce cadre, aux procédures ayant accompagné les proscriptions puisqu’une grande part des biens confisqués changèrent de main et furent rachetés. Le cadre juridique était cependant différent. D’abord parce qu’il s’agissait de publicatio bonorum, non de consecratio ; ensuite parce que l’échelle n’était plus la même tant les quantités de biens en jeu furent importantes. Le soubassement idéologique changea également avec la volonté de faire des biens des proscrits une praeda, un butin de guerre, permettant de justifier leurs ventes et leurs achats successifs224. Enfin, on constate ici aussi que tout fut fait pour éviter la restitution des biens spoliés aux proscrits. En dépit de ces différences, Denys d’Halicarnasse put mélanger des pratiques qui n’avaient rien de commun entre elles, en reprenant le fonctionnement de la consecratio tribunitienne et en lui adjoignant les soubassements politiques des conflits de la fin de la République. Sur le souvenir de procédures tribunitiennes dont le déroulement exact s’était perdu, l’historien grec recomposa l’épisode de 455 en y mêlant des enjeux juridiques et politiques anachroniques, qui pouvaient cependant faire sens pour un lecteur de la fin de la République. La procédure décrite est donc fictive et il est impossible de savoir ce que fut la condamnation réelle, même si une amende constitue la peine la plus plausible.
110Enfin, un cas plus général de construction de précédent doit être évoqué, cas d’autant plus intéressant qu’il eût sans doute des répercussions sur l’élaboration du premier temps du paradigme juridique mis en évidence : l’émotion populaire225. Il s’agit du procès intenté entre 97 et 91 à C. Norbanus pour conduite séditieuse226. Durant son tribunat de la plèbe, en 103, C. Norbanus avait fait voter dans la violence un plébiscite privant Q. Servilius Caepio de son imperium en raison de son rôle dans la défaite d’Arausio. Lors du procès, C. Norbanus fut défendu par M. Antonius. Nous n’avons pas conservé le texte complet de cette défense. Elle est en revanche partiellement citée dans le De oratore de Cicéron, qui permet de s’en faire une juste idée227. En particulier, M. Antonius chercha à justifier la fureur de la foule en 103 par deux moyens. Il rappela, dans un premier temps, l’existence de séditions et de mouvements de colère du peuple durant les premiers siècles de la République, tout en montrant qu’ils pouvaient parfois s’avérer justifiés et avoir une utilité. Dans un second temps, ce contexte historique posé, il souligna l’émotion provoquée par la défaite de 105 dans le but de la raviver parmi l’auditoire et de déplacer l’attention de C. Norbanus à Q. Servilius Caepio228. Cette défense comportait donc une série d’éléments que l’on retrouve, transformés, dans nos sources qui sont toutes postérieures au procès de C. Norbanus. Relier action judiciaire et émotion populaire pouvait ainsi s’appuyer non seulement sur la rhétorique déployée par M. Antonius, mais probablement aussi sur la réserve d’exempla qu’il utilisa pour construire sa plaidoirie. Ce discours eut donc sans doute un rôle important dans la constitution de l’historiographie ultérieure sur les procès tribunitiens. Il pouvait en effet fournir une base au développement du paradigme juridique exposé plus haut. C’est d’autant plus évident que l’émotion populaire en question, comme dans bien des cas cités, était liée à une défaite militaire. Ce discours eut cependant sans doute aussi un rôle important dans l’élaboration de certains de ces procès comme précédents servant à justifier l’action de C. Norbanus, fut‑ce au prix d’un glissement du procès d’un tribun à des procédures tribunitiennes. Il devient alors évident que ces procès entrent dans le cadre d’un va‑et‑vient historiographique entre le début et la fin de la République.
Des doublets révélateurs
111Les procès tribunitiens ont aussi été incontestablement repensés à l’aune des conflits et des personnalités de la fin de la République. Plusieurs exemples le démontrent. Dès 491, le procès matriciel de Coriolan fut marqué par l’intervention suspecte du tribun M. Decius. Or, l’action de M. Decius rappelle la mise en accusation de L. Opimius par P. Decius en 120.
112En 475, le procès de Sp. Servilius fournit une illustration de ces processus. En effet, le long discours reconstruit par Denys d’Halicarnasse est assurément inauthentique et Fr. Münzer proposait de le mettre en parallèle avec l’accusation puis la condamnation de Q. Servilius Caepio au moment de la défaite d’Arausio en 105229. L’imperium proconsulaire de ce personnage fut abrogé par un plébiscite, chose très rare, du fait de la perte de son armée et de sa propre fuite, puis il se vit expulsé du Sénat230. Si la similitude des situations est intéressante en soi, la résurgence du thème de la chance à la guerre dans les deux cas est encore plus frappante, thème qui constituait sans doute un topos rhétorique ancien. Nous sommes en effet renseignés sur cette affaire essentiellement par Cicéron et ce dernier dénonce à plusieurs reprises la cruauté des tribuns qui accablaient Caepio pour sa seule infortune231.
113La défaite d’Arausio offre l’occasion d’autres parallèles si on la rapproche de l’accusation dirigée en 391 par le tribun L. Apuleius contre Camille. Une telle entreprise entre en résonnance avec les menées du plus célèbre des Appuleii : L. Appuleius Saturninus232. Ce dernier, tribun particulièrement remuant, participa au départ en exil de Q. Servilius Caepio et de Cn. Mallius Maximus en 103. L’objet initial de l’accusation reposait sur la déconfiture des armées commandées par les deux hommes, en 105, à Arausio, en Gaule. Condamnés, tous deux choisirent le départ en exil volontaire. Un autre cas d’exil est attaché à la personne de Saturninus. à en croire les sources, la loi agraire de 100 aurait prévu la nécessité d’un serment en vertu duquel le Sénat devait jurer de s’en tenir aux décisions du peuple et d’obéir à la loi. Ce serment aurait été ajouté spécifiquement à l’encontre de Q. Caecilius Metellus Numidicus, et à l’initiative de Saturninus. Si, en réalité, l’exil de Numidicus ne fut pas uniquement lié à ce serment233, il n’en demeure pas moins que les sources liaient à nouveau l’action de Saturninus au départ en exil d’un grand personnage de Rome. La similitude des noms entre les deux Appuleius et entre ces différentes condamnations à l’exil est troublante. Elle laisse supposer une influence de la figure de Saturninus sur celle du tribun de 391. Un tel rapprochement de la part des sources antiques est prouvé par le fait que l’auteur inconnu du Liber de uiris illustribus attribue au tribun de 391 le cognomen de Saturninus234. En outre, l’idée d’une implication d’un Appuleius dans ce type de procès pouvait aussi se fonder sur les procédures contre Verrès, évoquées plus haut avec L. Alienus. Un autre subscriptor de Q. Caecilius Niger pour son accusation complaisante contre Verrès était un dénommé L. Appuleius.
114Le procès de 473 offre à l’analyse un cas encore plus idéal‑ typique. En effet, comme nous l’avons vu, la procédure s’éteignit car le tribun Cn. Genucius fut trouvé mort, chez lui, le jour où l’audience aurait dû s’ouvrir. Le récit de Tite-Live, évoquant la joie des patriciens laisse penser à un assassinat politique qui entre en résonnance avec deux disparitions inexpliquées d’hommes politiques de la fin de la République et avec l’assassinat, contemporain, d’éphialte. Le premier cas à mentionner est celui de P. Cornelius Scipio Æmilianus en 129, car il put servir de précédent quoiqu’il ne soit pas totalement identique. En effet, Scipion émilien fit une carrière politique remarquable. Dès 168, il se distingua lors de campagnes en Grèce, puis lors des guerres contre les Celtibères et, bien sûr, lors de la troisième guerre punique. Consul en 147 et 134, censeur en 142, il fut un adversaire du parti populaire. En 140, il fut poursuivi par le tribun de la plèbe Ti. Claudius Asellus et, entre 133 et 129, il s’opposa aux Gracques. S’il ne peut donc fournir un modèle plébéien sa fin n’en présente pas moins de troublants rapprochements puisqu’on le retrouva mort, chez lui, alors qu’il devait prononcer un discours le même jour235. Il est toutefois difficile de savoir s’il s’agit d’une mort naturelle ou d’un assassinat, ce qui rend la comparaison délicate236.
115La mort du tribun de la plèbe M. Livius Drusus en 91 est plus significative en raison de son histoire personnelle. Son père, M. Livius Drusus, avait été tribun de la plèbe en 122 et avait conduit la politique sénatoriale contre l’action de C. Sempronius Gracchus, alors que sa mère était une Cornelia, ce qui rattachait la famille à la plus haute aristocratie sénatoriale. En 91, Drusus proposa un ambitieux programme de réformes comprenant des mesures sociales à destination de la plèbe (restauration de la loi frumentaire ; autorisation de la frappe de monnaies d’argent contenant du cuivre pour 1/8e, ce qui allégeait la charge des endettés tout en pénalisant les spéculateurs ; et distributions généreuses de terres en Campanie, en Étrurie et en Ombrie), une loi judiciaire et une loi sur l’octroi de la citoyenneté aux Italiens. Ce programme, pensé pour mettre fin aux troubles agitant la République, fit l’unanimité contre lui. Après des tentatives légales d’opposition, Drusus fit un malaise et fut transporté à demi‑mort chez lui. Il fut sans doute assassiné237. Ces deux exemples servirent aux annalistes pour recomposer la figure du tribun de 473 et sa fin obscure.
116Enfin, pour un auteur comme Denys d’Halicarnasse, mais aussi pour Tite‑Live, un tel événement ne pouvait manquer d’être rapproché de l’assassinat, à coup sûr historique celui‑là, de l’athénien éphialte en 461, rapprochement déjà remarqué par B. G. Niebuhr238. En effet, outre la concordance chronologique, les actions politiques d’éphialte avec l’instauration de la démocratie pure (ἄκρατος δημοκρατία) en faisaient un personnage que l’on pouvait aisément associer aux tribuns de la plèbe239. Un dernier élément témoigne de la richesse des interprétations possibles de l’événement, à savoir la façon dont Tite‑Live rapporte la joie maligne de quelques patriciens se vantant d’avoir participé au meurtre. Cette anecdote peut être comparée à la façon dont certains sénateurs se vantèrent indûment, sur le moment, de leur participation à l’assassinat de César et, en particulier, d’après Plutarque, C. Octavius et P. Cornelius Lentulus Spinther. Appien y ajoute les noms de Favonius, Aquinus, Dolabella, Murcus et Patiscus240.
117Le procès de 401 présente à nouveau des doublets historiques révélateurs. P. Curiatius, alors tribun de la plèbe, doit être relié à C. Curiatius, tribun en 138. Ce dernier, avec son collègue S. Licinius, poursuivit en justice et fit emprisonner deux consuls – P. Cornelius Scipio Nasica et D. Iunius Brutus – pour avoir refusé des exemptions lors d’une levée241. Au‑delà de la similitude des noms, le motif de l’accusation correspond également à un topos de l’action tribunitienne et il est certain que le lien entre les deux tribuns fut fait par l’annalistique. Remarquons, en outre, que les deux autres tribuns accusateurs furent M. Metilius et M. Minucius. Une telle association n’est pas anodine puisque, en 217, le tribun de la plèbe M. Metilius proposa un plébiscite qui visait à faire de M. Minucius Rufus – alors maître de cavalerie du dictateur Q. Fabius Maximus Verrucosus – une sorte de co‑dictateur qui aurait été l’égal de celui déjà en place. Ce rapprochement, relevé par R. M. Ogilvie et par P.‑Ch. Ranouil, leur paraît encore renforcé par la mésentente en 217 du dictateur Q. Fabius Maximus et de son maître de cavalerie242.
118Enfin, quoique le procès de l’année 470 n’offre pas de similitudes de ce type, ses protagonistes n’en sont pas moins intéressants, en particulier M. Duilius. Ce dernier apparaît en effet comme un tribun à la carrière assez longue et au comportement exemplaire. Cette figure tribunitienne a sans doute été influencée par celle de C. Duilius, consul en 260, censeur en 258 et dictateur en 231243. Comme il s’agit du dernier membre de ce lignage à avoir occupé des fonctions politiques, son souvenir, resté vif, n’a pu qu’influencer l’image de ses prédécesseurs. De surcroît, les honneurs exceptionnels dont il fut récompensé (premier triomphe naval, colonne rostrale, privilège de se voir accompagné d’un joueur de flûte et d’un porte‑flambeau) fixèrent dans la mémoire collective romaine les traits de ce personnage et facilitèrent son report anachronique sur des figures antérieures.
Procès tribunitiens et tribuns orateurs : un paradigme de l’action tribunitienne
119Le dernier trope historiographique adopté par les auteurs antiques fut l’utilisation des procès criminels tribunitiens pour élaborer une figure des tribuns de la plèbe comme orateurs. Une telle construction n’allait cependant pas de soi car il n’est pas certain que les tribuns d’époque alto‑républicaine furent effectivement des orateurs, de même qu’il n’est pas évident de déterminer ce à quoi put correspondre l’éloquence aux Ve et IVe siècles. En revanche, la fin de la République fournissait un modèle constitué d’éloquence lié aux tribuns de la plèbe. De nombreux passages construisent cette image de tribuns orateurs, en empruntant aux canons de l’éloquence popularis et aux plus célèbres de ces orateurs populaires, en particulier Marius.
Qualités d’orateurs et niveau social des tribuns de la plèbe
120Si les indications qui tendent à faire des tribuns de la plèbe des Ve et IVe siècles des orateurs ne sont pas nombreuses, elles n’en existent pas moins. Le premier exemple est fourni par le procès de L. Furius Medullinus et A. Manlius Vulso en 473. En effet, Denys d’Halicarnasse présente le tribun à l’origine de l’action – Cn. Genucius – comme un homme audacieux et ne manquant pas d’éloquence244. Tite‑Live ne donne pas d’appréciation aussi nette des qualités du tribun, même s’il lui reconstruit un petit discours245. C. Laetorius, tribun en 471, apporte un autre élément important. Il n’est dit nulle part de façon explicite qu’il était un orateur de talent, et la présentation de ce personnage diffère entre Tite‑Live et Denys d’Halicarnasse. Si le premier insiste sur son caractère maladroit, notamment lorsqu’il s’agit de prendre la parole en public, le second en fait un homme habile dans les affaires de l’état246, ce qui est une convention de toute présentation d’un démagogue dans les sources antiques.
121Cette contradiction montre, tout d’abord, que les deux représentations étaient possibles. L’idée d’un tribun orateur était logique bien qu’elle pût, dans certains cas, ne pas nécessairement s’imposer. De plus, cette façon de présenter ces personnages renvoie aux canons de l’éloquence popularis. En effet, si les sources cherchent à construire une image des tribuns comme des orateurs potentiels, elles le font en réutilisant certains lieux communs de l’eloquentia popularis qui se manifestent suivant deux dimensions principales : l’extraction sociale de ces tribuns orateurs et le type d’éloquence mobilisée au service de leur cause. Le premier aspect est décisif car, dans la tradition, le type d’éloquence mis en œuvre par les orateurs populaires s’explique par leur origine sociale modeste. C’est elle qui, d’une certaine façon, justifie la recherche d’une rhétorique de l’efficacité et de la violence247.
122L. Sicinius Vellutus, présenté par Denys d’Halicarnasse, l’illustre à merveille :
Il était le grand ennemi de l’aristocratie et, pour cette raison, il avait été élevé à une position illustre en assumant pour la seconde fois déjà la puissance tribunitienne, pensant que, de tous les démagogues, il avait le moins intérêt à ce que la cité soit dans la concorde et qu’elle retrouve son ordre ancien. En effet, il comprenait qu’il n’aurait plus les mêmes honneurs et pouvoirs si le gouvernement était aristocratique, étant de basse naissance, rejeton sans gloire, n’ayant rien accompli d’illustre ni dans la guerre ni dans la paix et qu’il risquait au contraire le pire pour avoir suscité la sédition au sein de la cité et pour être à l’origine de nombre de ses maux248.
123Ces propos sont d’autant plus significatifs qu’ils servent à introduire un discours de L. Sicinius et à justifier la façon dont il parle ainsi que ses choix argumentatifs. De la même façon, en 472, Denys rapporte la sédition entretenue dans Rome par les tribuns et, en particulier par Volero Publilius :
Le tribun qui réveillait le peuple était Volero Publilius, celui qui, l’année précédente, avait désobéi aux consuls Æmilius et Julius, parce qu’ils l’avaient enrôlé comme soldat et non comme centurion, qui avait été élu patron du peuple par les pauvres avant tout parce que – il était en effet d’une origine quelconque et avait été élevé dans une grande humilité et dans un grand dénuement – il leur apparaissait comme le premier particulier à avoir amoindri, par sa désobéissance, le pouvoir des consuls qui jouissait jusqu’alors d’une estime royale, et encore plus pour les promesses qu’il avait faites, lorsqu’il briguait le pouvoir contre les patriciens, de leur ôter leur puissance249.
124À aucun autre moment, l’extraction modeste – ou supposée telle – des tribuns n’est ainsi mise en avant. Lorsqu’on la retrouve, c’est sous une forme plus implicite.
125Le témoignage de l’historien grec nous renseigne également sur L. Sicinius Dentatus, personnage sur lequel il s’étend bien plus que Tite‑Live. Denys d’Halicarnasse insiste à de multiples reprises sur les talents d’orateurs de ce tribun, et il le fait notamment pendant son récit des années 455‑454 durant lesquelles L. Sicinius Dentatus fut très impliqué dans la vie politique romaine et dans les procédures criminelles tribunitiennes. Lorsqu’il introduit un long discours tenu alors par L. Sicinius Dentatus, Denys d’Halicarnasse précise que, pour un soldat, il ne manquait pas d’éloquence250. Ce détail constitue une référence implicite à la personne de Marius. En effet, ce dernier est présenté par Plutarque comme ayant eu une éducation de soldat plus que de citoyen et comme méprisant les lettres grecques qu’il n’utilisait jamais251. Très rapidement, Plutarque rappelle son origine modeste et les premiers succès de Marius lors de son tribunat conduisent le biographe à le décrire précisément comme un démagogue qui cherchait à plaire à la multitude252. Enfin, les discours de Marius lors de son premier consulat sont décrits comme hardis, plein de morgue et d’insolence253. C’est cet arrière‑plan idéologique qui est réemployé dans la construction de la figure de L. Sicinius Dentatus. D’ailleurs, en 455, au moment où T. Romilius tenta d’envoyer Dentatus mener une action militaire désespérée, devant les réticences du soldat face à sa stratégie, le consul aurait eu une remarque perfide à son sujet, lui conseillant d’aiguiser plutôt ses mots que ses armes puisqu’il refusait de prendre part au combat254. On retrouve enfin plus loin l’idée que Dentatus aurait prononcé de nombreux discours au cours de sa vie255.
126Le traitement de ce personnage par Denys d’Halicarnasse démontre combien la fonction oratoire put paraître inséparable, dans l’esprit des sources, de la fonction tribunitienne, quelle que soit la véracité d’un tel lien pour la haute République. Si nos sources établissent ce lien c’est en raison de la façon dont elles perçoivent les tribuns, personnages dénués d’imperium qui ne pouvaient agir avec le peuple qu’en le persuadant, essentiellement par la parole. En outre, tout cela rappelait la figure des orateurs populaires de la fin de la République pour lesquels, bien souvent, les indices du recours à l’eloquentia popularis se retrouvent justement dans le contexte de leur tribunat de la plèbe256. Cela facilitait le report de telles conceptions sur les tribuns des Ve et IVe siècles, de même que le recours au lieu commun sur l’extraction modeste. Le caractère automatique et récurrent de cette manière de voir, chez Denys d’Halicarnasse, se perçoit à son usage fréquent d’une formule stéréotypée construite autour du grec οὐκ ἀδύνατος. Cette formule est utilisée à sept reprises par l’historien grec pour désigner un certain talent oratoire et dans tous les cas sauf deux, elle est employée à propos de tribuns de la plèbe257. L’idée exprimée est toujours la même et consiste à dire que le tribun présenté n’était pas dénué d’habileté dans ce domaine, alors précisément qu’on s’attendait à ce qu’il en manquât. C’est l’usage de cette formulation qui dévoile ce qui était explicite dans le cas de L. Sicinius Vellutus et implicite dans celui de L. Sicinius Dentatus : l’origine modeste.
127Des cas similaires, peut‑être plus authentiques, se retrouvent à partir de la fin du Ve siècle et pour le IVe siècle. Ainsi, M. Sextius, tribun de la plèbe en 414, est un des rares titulaires de la fonction pour lequel nos sources apportent des renseignements qui dépassent le cadre factuel. Tite‑Live expose à son sujet :
Quant au tribun de la plèbe, homme fin et non sans éloquence, ayant l’avantage de trouver parmi ses adversaires un esprit orgueilleux et une langue intempérante, que les attaques et les provocations pouvaient pousser à des propos compromettants pour lui et même pour sa cause et pour son ordre tout entier, il ne prenait personne à parti dans tout le collège des tribuns militaires aussi souvent que Postumius258.
128La formulation latine uir acer nec infacundus est révélatrice. Nec infacundus répond au grec λέγειν οὐκ ἀδύνατος, tandis que le latin acer est un marqueur traditionnel de l’eloquentia popularis259. De telles informations sont d’autant moins fortuites que ce personnage appartient à une lignée tribunitienne d’importance, connue pour avoir donné le premier magistrat plébéien à accéder au consulat en 366 : L. Sextius Sextinus Lateranus. Elle ne correspond donc pas à cette idée d’extraction modeste.
129Sur ce personnage, les sources livrent toutefois d’autres remarques. Tite‑Live précise qu’il s’agissait d’» un jeune homme plein d’activité et à l’avenir duquel rien ne manquait sinon une naissance patricienne260 ». Au travers de L. Sicinius Dentatus et de L. Sextius, se dessine cette élite plébéienne qui émergea de plus en plus nettement à partir de la fin du Ve siècle pour pleinement s’affirmer par la suite, mais que la tradition annalistique continue de présenter en fonction d’impératifs narratifs qui ne coïncident pas forcément avec la réalité sociologique. Les talents d’orateur qu’on leur prête constituent ainsi, pour les sources, un moyen de développer le point qui, dans leur perspective, demeure l’essentiel : la naissance non‑patricienne de ces personnages. Une contradiction majeure de la tradition se dévoile ici. En effet, tout ce que nous avons pu voir jusqu’à présent des tribuns tend à montrer qu’ils étaient d’un niveau social élevé. La tradition le reconnaît parfois, comme dans le cas de M. Sextius ou des deux auteurs des plébiscites licinio‑sextiens. Dans le même temps, en construisant la figure de tribuns orateurs, cette même tradition réemploie l’image de l’orateur popularis et de son origine modeste.
130Cette contradiction ne doit cependant pas être perçue comme infrangible. Pour la fin de la République, J.‑M. David a montré que l’éloquence popularis est un comportement plus qu’une qualité : on peut y recourir à certains moments sans pour autant y être définitivement lié261. C’est pourquoi, dans le cas des tribuns des Ve et IVe siècles, la mention de cette éloquence peut voisiner avec des indications contraires quant à l’origine sociale des tribuns. En outre, la réutilisation des stéréotypes associés à l’éloquence populaire s’explique bien dans le cadre du conflit des ordres car ils permettent de rappeler et de mettre en avant l’infériorité sociale des tribuns et, donc, le fait qu’ils n’étaient pas patriciens. Contrairement à ces derniers, il leur manquait la dignitas et l’auctoritas qui leur eût permis, d’après la tradition, l’usage de formes classiques d’éloquence. Ne pouvant y recourir, il ne leur restait que cette éloquence popularis dont le but était de compenser ce défaut initial par des formes originales d’expression orale. Le recours à cette caractérisation est donc aussi un moyen de construire une image tribunitienne bien particulière262.
Éloquence tribunitienne et eloquentia popularis
131Dès le début du Ve siècle, un tribun incarne les problèmes ici soulevés. Il s’agit de C. Rabuleius, tribun de la plèbe en 486, dont l’authenticité est discutée. Quoiqu’il ne soit pas explicitement présenté comme un orateur, son rôle et son nom sont intéressants. Son tribunat intervint en effet lors du troisième consulat de Sp. Cassius, marqué par la querelle à propos de sa loi agraire. C. Rabuleius chercha à se poser en médiateur entre Sp. Cassius et son collègue Proculus Verginius, intervention qui pourrait laisser penser à un certain talent politique du personnage, même si elle prend place dans la partie la plus retravaillée par l’annalistique de l’histoire de Sp. Cassius. Son nom est en lui‑même révélateur. En effet, ce gentilice particulier a fait l’objet d’analyses conduisant à lui dénier toute historicité en raison de sa signification. Que ce soit à partir de l’indo‑européen (rabh : « être furieux, violent ») ou du latin (rabula : « braillard) », il est clairement porteur d’une connotation oratoire263. À ce titre, il faut le rapprocher d’un passage du Brutus montrant à quel point le rabula est un orateur mal formé et sans compétences, en général agressif et violent264. Associé à son rôle, on comprend les hypothèses qui en font un tribun inventé. L’argument n’emporte pourtant pas totalement l’adhésion puisque l’action de ce tribun, lors du troisième consulat de Sp. Cassius, s’accorde à ce qui est dit du rôle des tribuns de la plèbe durant cette crise. Dans l’ensemble, ils se rallièrent aux patriciens et tentèrent de négocier pour améliorer la situation265. Trancher sur l’historicité du personnage s’avère donc compliqué. En revanche, son cas montre combien le regard porté sur cet aspect des tribuns de la plèbe demeure marqué par une topique tardo‑républicaine et post‑gracchienne.
132La crise décemvirale du milieu du Ve siècle fournit d’autres informations pertinentes. Deux personnages de l’entourage de Virginie émergent en effet à ce moment‑là, son fiancé L. Icilius et son oncle P. Numitorius266. Le premier fait l’objet de longs développements de la part de Denys d’Halicarnasse qui n’hésite pas, lorsqu’il évoque son action en 456, à le présenter ainsi :
Les tribuns de cette année furent les premiers à convoquer le Sénat ; l’expérience ayant été le fait d’Icilius, chef de leur collège, homme d’action et qui, pour un Romain, ne manquait pas d’éloquence267.
133On retrouve dans ce passage la formule οὐκ ἀδύνατος, à laquelle Denys d’Halicarnasse ajoute que L. Icilius et ses collègues soulevaient le peuple par leurs discours, suivant une attitude typiquement popularis268. De la même façon, chez Tite‑Live, L. Icilius joue un rôle capital pour enflammer la foule contre Ap. Claudius en 450269. Des deux sources principales, l’historien grec est celui qui insiste le plus sur l’éloquence du personnage, que l’on retrouve seulement en acte chez Tite‑Live. Des informations similaires existent à propos de l’oncle de Virginie, P. Numitorius, dont l’éloquence se révèle dans la façon dont ces deux hommes soulevèrent l’armée de la Sabine en leur rapportant les derniers événements à Rome ainsi que la mort de Virginie. Ces deux exemples confirment l’idée que, lorsqu’elle est précisée, le type d’éloquence prêtée aux tribuns use des ressorts de l’eloquentia popularis. C’est une éloquence de l’émotion et de la violence, qui vise à susciter des sentiments puissants dans la foule pour emporter son adhésion.
134On repère à plusieurs reprises, chez Tite‑Live, cette définition popularis de l’éloquence des tribuns de la plèbe d’époque alto‑républicaine. Dès 445, le tribun C. Canuleius est présenté comme un meneur très ardent (acerrimum auctorem plebes nacta)270. En 403, au moment de conflits internes à l’Vrbs à propos du sort des troupes romaines stationnées devant Véies, Tite‑Live explique que les tribuns tentèrent d’user de ce motif pour soulever la plèbe, mais qu’ils se heurtèrent à l’opposition d’Ap. Claudius : haec taliaque uociferantes aduersarium haud imparem nacti sunt Ap. Claudium (« ces discoureurs trouvèrent un adversaire à leur taille en Ap. Claudius »)271. L’usage du participe de uociferare, renvoie sans l’ombre d’un doute à cet art oratoire de la violence, caractéristique de l’eloquentia popularis. De façon encore plus explicite, Tite‑Live qualifie une fois les discours tribunitiens de popularis oratio, affirmant sans détour ce que son texte laisse seulement pressentir en de multiples occasions272.
135Les figures de L. Iunius Brutus ou de L. Sicinius Vellutus en 493 personnifient cette construction273. Le dernier est toujours présenté comme prononçant des discours malicieux ou en train d’exciter la plèbe par ses diatribes274. De même, à la fin du IVe siècle, le cas de Cn. Flavius est intéressant car il est qualifié par Tite‑Live (ou Licinius Macer) de callidus uir et facundus, c’est‑à‑dire d’homme habile et beau parleur275. M. Humm a rapproché ce qualificatif de son étude des qualités d’orateur du censeur Ap. Claudius Caecus dont il fait un des fondateurs de l’éloquence romaine et, notamment de la canina facundia. D’après lui, ce type d’éloquence pourrait, dès la fin du IVe siècle avoir été lié à des milieux politiques et populaires nouveaux276. Cette idée doit sans doute être poussée un peu plus loin en y ajoutant les exemples tribunitiens de cette époque. Ils participèrent de ce mouvement et en furent certainement en partie les initiateurs, ce qui irait dans le sens du milieu politique tribunitien que j’ai tenté de mettre en évidence277.
136À ce titre, il convient une fois encore de rapprocher ce que disent nos sources des analyses de J.‑M. David sur l’éloquence popularis. Contre les patriciens qui pouvaient faire valoir leur dignitas, leur auctoritas et leur imperium, les tribuns n’avaient d’autres choix que convaincre, y compris au moyen de procédés originaux. Les tribuns de la plèbe étaient des hommes d’action, en acte ou en parole, d’où le report de ces caractéristiques sur eux, particulièrement à partir du moment où les conditions réelles de la prise de parole en public, pour des époques si reculées, étaient mal connues. Si nos sources leur attribuent les canons de l’éloquence popularis, c’est parce qu’elles percevaient leur action comme étant de nature popularis. Pour des auteurs de la fin de la République ou du début de l’Empire, le caractère révolutionnaire de l’action tribunitienne, toujours située à la limite de la légalité et créatrice de nouvelles formes de légalité, apparaissait sans équivalent. L’unique modèle similaire d’action auquel ils pouvaient la comparer était la politique popularis, ce qui explique le report sur ces tribuns de modèles tardo‑républicains. D’où aussi, le choix d’utiliser les procès criminels tribunitiens comme situations propices au déploiement de cette éloquence.
Quelle éloquence romaine aux Ve‑IVe siècles ?
137L’éloquence en tant qu’art n’existait pas aux Ve et IVe siècles. Elle n’était pas théorisée et n’avait sans doute pas atteint le niveau d’efficacité qui fut le sien à la fin de la République. Cela ne signifie pas qu’il n’existait aucune forme de recherche dans l’art de la parole. Au contraire, à partir du moment où il était déjà possible de s’adresser à la foule, il est certain que des procédés oratoires minimaux pouvaient être déployés et que Rome comptait des gens plus éloquents que d’autres. L’histoire de la relégation du fils de L. Manlius Imperiosus, évoquée plus haut, abonde en ce sens puisqu’une des raisons de cet éloignement était précisément que T. Manlius peinait à s’exprimer en public et que, de la sorte, il se révélait inapte à compter parmi les citoyens de plein droit278. Si ces premiers orateurs romains s’exprimaient avec moins de brio qu’un Cicéron ou qu’un César, leur capacité à convaincre ou à émouvoir, par d’autres moyens, ne doit pas pour autant être mise en doute. En revanche, la nature exacte de ces moyens échappait à nos sources et nous échappe en grande partie.
138C’est pourquoi les auteurs antiques hésitent lorsqu’il s’agit de faire des tribuns des orateurs, et cela explique leur tendance à reporter sur ces personnages le schéma plus familier de l’orateur popularis de la fin de la République. La manière dont les sources transforment certains tribuns en personnages éloquents est un indice du niveau social auquel elles situaient les personnages en question, lequel s’oppose à la réalité sociale que l’on peut reconstituer par ailleurs. Cela témoigne aussi de la quasi nécessité, pour la tradition, que les tribuns pussent faire preuve d’éloquence. Que cette éloquence se manifestât non seulement dans l’action politique en général mais, également, dans l’action judiciaire, conduit à supposer que les sources ne font ici que reprendre une caractéristique qui allait naturellement de pair avec les tribuns à la fin de la République. Cela s’observe bien chez Denys d’Halicarnasse qui présente facilement les tribuns de la plèbe comme des personnages éloquents. À quoi pouvait toutefois ressembler cette éloquence ?
139Une seule figure tribunitienne peut prétendre de façon historique au titre d’orateur et nous fournit quelqu’indice : M’. Curius Dentatus. Sans résumer ici la longue carrière de ce personnage, focalisons‑nous sur son tribunat, marqué par son opposition à Ap. Claudius Caecus279. La date de ce tribunat est controversée – elle varie entre 298 et 291 –, mais le plus important n’est pas là280. Ce qui est remarquable est que l’opposition de Dentatus fut un succès. Il sut convaincre, très certainement au moyen de ses talents d’orateur. L’hypothèse n’est pas si absurde que cela car Cicéron intègre Dentatus à sa généalogie de l’éloquence à Rome en renvoyant précisément à cet événement :
Nous pouvons conjecturer qu’Appius Claudius parlait bien, lui qui sut retenir le Sénat déjà chancelant et le détourner de la paix avec Pyrrhus. Nous pouvons en dire autant de Caius Fabricius, qui pour négocier le rachat des prisonniers fut envoyé à Pyrrhus comme le porte‑parole de Rome ; de T. Coruncanius, qui d’après les commentaires des Pontifes semble avoir été un esprit d’une très haute valeur ; de M’. Curius, qui étant tribun du peuple eut raison de l’interroi Appius Caecus, malgré l’éloquence de celui‑ci : Appius présidant les comices et refusant d’accepter, au mépris des lois, un consul plébéien, Curius força les sénateurs de ratifier d’avance l’élection qui serait faite, succès considérable à une époque où la loi Maenia n’existait pas encore281.
140L’Arpinate situe M’. Curius Dentatus au sein des onze premiers grands orateurs de Rome, à la huitième position, entre Ti. Coruncanius et C. Flaminius. Par ailleurs, M’. Curius Dentatus est très connu pour un certain nombre d’épisodes relatifs à ses exploits et, notamment, son refus de l’or des Samnites. Exemplum très célèbre dès l’Antiquité, cet épisode se retrouve cité dans de multiples sources et a effacé les autres aspects du personnage, en particulier son rôle d’orateur.
141De la sorte, un passage de Sénèque est le plus souvent passé inaperçu alors même qu’il rapporte des propos de M’. Curius Dentatus :
C’est, si je ne me trompe, Curius Dentatus qui disait qu’il aimerait mieux être mort que de vivre mort : le pire des maux n’est‑il pas de se supprimer du nombre des vivants avant de mourir ?282
142Tout l’intérêt de ce passage est qu’il conserve un fragment de propos attribué à M’. Curius Dentatus : malle esse se mortuum quam uiuere. Ce type de propos pourrait très bien avoir été tenu lors d’un discours, ou pourrait ressortir à la catégorie des apophtegmes dont étaient coutumiers les grands hommes de l’Antiquité. Une telle citation pourrait avoir été transmise par un recueil d’apophtegmes comprenant des propos de M’. Curius même si nous n’avons aucune certitude sur ce point. En tous les cas, son statut d’orateur reconnu ne paraît pas pouvoir être mis en doute. De la sorte, le cas de M’. Curius incarne l’existence de cette éloquence romaine ancienne et fournit plusieurs enseignements. Tout d’abord, on remarquera qu’en l’état actuel de la documentation, les caractéristiques de l’éloquence popularis ne paraissent pas lui avoir été attribuées par les sources. Ce pourrait être l’indice qu’une fois intégrés à la nouvelle nobilitas, les tribuns et les plébéiens optaient pour un autre type d’éloquence, de la même façon que les populares abandonnaient leur agressivité lorsqu’ils voulaient s’intégrer à la noblesse ou lorsqu’ils n’exerçaient plus le tribunat. Par ailleurs, l’existence de cet apophtegme indique un niveau oratoire déjà développé et le fait que certains aspects de cette éloquence ancienne purent être transmis. Enfin, à l’évidence, que ce soit par l’exemple de T. Manlius ou par celui de M’. Curius Dentatus, les quelques éléments dont nous disposons semblent pointer vers une rhétorique encore peu subtile qui pouvait, peut‑être, faciliter le report de certaines catégories de l’eloquentia popularis.
143Dans la constitution de cette première éloquence romaine, les tribuns jouèrent à l’évidence un rôle, au moins parce qu’ils prétendirent agir avec vigueur dans le champ politique. S’il est très difficile de reconstituer ce que put être l’art de la parole à cette époque, l’usage de l’éloquence popularis par les sources se laisse, elle, bien percevoir et doit conduire à remettre en perspective l’activité judiciaire et politique des tribuns. Elle est un indice indirect de ce qu’elle fut.
Des procès aux significations multiples
144Cet ensemble de tropes historiographiques, témoigne des modalités protéiformes de reconstruction des procès tribunitiens, et illustre à quel point l’historiographie antique correspond à cette intuition de W. Benjamin : « L’histoire est l’objet d’une construction dont le lieu n’est pas le temps homogène et vide, mais le temps saturé d’“à‑présent”283. » L’entrecroisement permanent des différents niveaux de réécritures ne facilite d’ailleurs pas le travail d’analyse puisqu’ils portent autant sur la structure narrative et interprétative (par les paradigmes mis en évidence), sur les faits rapportés (par l’usage des motifs littéraires, des recompositions historiographiques et des doublets à valeur étiologique), que sur la description des tribuns de la plèbe qui réutilise un ensemble de représentations inspirées de situations datant de la République tardive. On mesure de la sorte la difficulté d’introduire une distinction fiable entre les « structural facts » et la « narrative superstructure »284. Notons cependant que, dans la plupart des cas, ces procédures sont liées à des éléments contextuels précis qui en forment l’arrière‑plan politique. Le contexte agraire intervint lors des procédures de 476, 473, 470 et 442. Les luttes autour du plébiscite de Terentilius Harsa furent partie prenante des procédures de 461 et 455. Les questions militaires (défaites et partage du butin) jouèrent un rôle dans les procès de 475, 454, 423, 422, 420, 391 et 389. Enfin, les procès de 449 se situèrent dans le contexte politique qui suivit immédiatement la chute du décemvirat. Bien que participant du paradigme contextuel mis en évidence, tout cela forme un arrière plan crédible qui pourrait justifier semblables procédures criminelles, par leur insertion dans des luttes politiques plus amples. Le pouvoir judiciaire arraché par les tribuns au moment de leur confrontation avec Coriolan correspondrait ainsi à un moyen de pression supplémentaire dans leur lutte politique. La tradition isole de cette façon une pratique plébéienne qu’elle tend à assimiler au coup de force et à l’illégalité parce qu’elle la jauge à l’aune des pratiques tribunitiennes plus tardives. Il convient de questionner cette illégalité car elle pourrait permettre d’isoler des motifs qui apportent des renseignements sur les fondements historiques et juridiques de ces procès285.
145Cela se lit parfaitement aux cas de Coriolan ou de M. Manlius Capitolinus. En raison de sa valeur de précédent, on retrouve à l’état le plus pur, dans le premier, la plupart des paradigmes décelés. Ce procès réutilise aussi le motif de la plèbe s’attaquant à l’un de ses ennemis et, comme l’épisode se situe juste après la création du tribunat, cela accentue sa dimension étiologique d’un type de comportement plébéien. Enfin, la façon dont les tribuns forcèrent le Sénat à accepter le procès est révélatrice des présupposés de l’annalistique : le compromis autour du décret préliminaire marquait à la fois une reconnaissance par la plèbe du pouvoir sénatorial, et un gain nouveau en terme de pouvoir judiciaire. Il marquait, dans l’esprit des historiens antiques, un point de départ possible au processus d’intégration du pouvoir tribunitien dans la République. Le cas de M. Manlius Capitolinus est plus parlant encore. Le personnage gênait à la fois les patriciens et les plébéiens et, d’après nos auteurs, s’était rendu coupable d’adfectatio regni, délit qui ressortit à la catégorie de la perduellio. Pourquoi, cependant, inventer une version dans laquelle les tribuns de la plèbe se chargèrent du procès ? Essentiellement en raison de ce que nous avons vu des rapports possibles entre patriciat et plèbe aux Ve et IVe siècles286. Dans un tel contexte, cette version fournissait des possibilités supplémentaires de dramatisation de la condamnation d’un personnage dont on nous dit qu’il disposait d’appuis nombreux au sein de la plèbe, tout en étant indirectement révélatrice de l’évolution sociologique de la noblesse romaine à cette époque.
146Quoique d’historicité douteuse, ces deux exemples confirment que ces tropes historiographiques ne sont pas de purs exercices de style dépourvus d’enjeux historiques. En effet, bien que nos sources cherchassent indéniablement à les employer comme précédents justifiant des méthodes attestées à la fin de la République, le but de ces réécritures était aussi d’expliquer l’origine d’un pouvoir bien réel : le pouvoir d’accusation que les tribuns s’arrogèrent au début de la République et qui conduisit à intégrer aux lois des XII Tables la prescription transférant la peine capitale au peuple. Ce pouvoir tribunitien n’était plus compris à la fin de la République, tandis qu’on ne savait plus rien du déroulement exact des procès dont la mémoire s’était conservée. La relation des tribuns à l’histoire de la prouocatio ad populum, en particulier, n’apparaissait plus très claire alors même qu’elle semblait au cœur de tous ces procès où les tribuns refusèrent de mettre l’accusé à mort et où l’accusation, initialement capitale, se modifia en cours de procédure. Dès l’Antiquité, ce problème a influé sur la présentation de ces procès dans nos sources et permet de souligner ce qui n’a été jusque ici qu’esquissé. En réinterprétant sous ces formes multiples l’activité procédurale des tribuns de la plèbe, les sources antiques entendaient conceptualiser le problème historique de la capacité des tribuns à agir dans le champ judiciaire aux Ve et IVe siècles ainsi que leur recours éventuel à la peine capitale. Tout comme le rapprochement des tribuns avec la politique popularis (au travers de l’eloquentia popularis) conserve l’écho déformé du caractère révolutionnaire de leur action, la reconstruction historique des procédures criminelles tribunitiennes transmet donc l’idée que les tribuns tentèrent de promouvoir des modalités nouvelles de justice. Le démontrer suppose de revenir sur la procédure pénale au début de la République.
Procès tribunitiens et procédure pénale
Justice et procédure pénale au début de la République
La procédure pénale et les interprétations de Th. Mommsen
147Durant la royauté, à côté de délits laissés à des modes de règlement privés, le pouvoir de coercition se concentrait sur la personne du roi, seul habilité à rendre la justice, tant en raison de son rôle religieux (il était le premier prêtre de la communauté) que de son rôle de commandant militaire qui lui conférait le ius coercitionis. Le peuple semble toutefois avoir eu des possibilités de participation à l’exercice de la justice dont le procès d’Horace conserverait la trace287. Il ne faut pas y voir une forme de proto‑prouocatio, mais un recours exceptionnel à l’assemblée du peuple, laissé à la seule initiative du souverain. Trois éléments plaident en faveur d’une participation restreinte du peuple à l’exercice de la justice à l’époque royale. Tout d’abord, le sigle QRCF des plus anciens calendriers romains, signifiant quando rex comitiauit fas, ne peut qu’évoquer des jours consacrés par le roi à la tenue de comices. De même, le premier agencement du comitium à la fin du VIIe siècle, renvoie nécessairement à des aménagements publics accompagnant le développement d’assemblées du peuple288. Enfin, un passage du De republica rapporte que les livres des pontifes attestaient l’existence de la prouocatio à l’époque royale289. La participation populaire qui se dessine ici était sans doute limitée à un accord symbolique et ne correspondait ni à un vote en bonne et due forme, ni à un rôle souverain en matière de justice. Cette pratique relevait du mos et demeurait soumise à la bonne volonté du souverain qui pouvait décider de ne pas y recourir290. Elle paraît toutefois suffisamment assurée pour affirmer que l’idée du recours au peuple plonge ses racines dans la plus haute antiquité romaine et ne correspond pas à une invention des pères fondateurs de la République291. Elle remonte au moins au VIe siècle.
148D’après la tradition, le passage à la République s’accompagna d’une partition des pouvoirs du roi qui furent répartis entre différentes magistratures et sacerdoces, les consuls héritant, entre autres, de l’imperium et du ius coercitionis, qui leur permettaient de poursuivre et de punir. Ces capacités auraient reçu, dès 509, une première forme de limitation avec la loi instituant la prouocatio ad populum. Cette loi soulève deux principales interrogations touchant, d’une part, à sa signification et, d’autre part, à son authenticité. Trois difficultés identifiées par C. Venturini292 sont à relever quant à sa signification : le champ d’action de la prouocatio (la sphère juridictionnelle ou uniquement celle de la coercition), le rôle éventuel des questeurs et l’interprétation du verset décemviral de capite ciuis nisi per maximum comitiatum ne ferunto293. Quant à l’authenticité, elle fait aussi problème puisque, à l’image du processus d’équiparation des plébiscites et des lois, on retrouve trois dispositions normatives similaires en 509 [6], 449 [50] et 300 [149].
149La thèse classique, élaborée par Th. Mommsen, respecte la tradition. D’après lui, tous les délits (privés ou publics, de droit commun ou politiques) faisaient l’objet d’une procédure publique. Il estime aussi que le droit pénal romain étendit assez rapidement la notion de délit public au meurtre et aux actes délictueux de même gravité car ils perturbaient l’ordre de la collectivité. Ces derniers, mettant en jeu une peine capitale, relevaient de la justice comitiale tandis que les affaires de droit commun étaient traitées devant un tribunal arbitral et entraînaient des peines plus légères294. Dans ce cadre, Th. Mommsen confère à la prouocatio une importance historique considérable pour deux raisons essentielles. En premier lieu, elle aurait fait subir une forte réduction à l’extension de l’imperium domi, l’imperium militiae demeurant préservé jusqu’aux leges Porciae du IIe siècle295. En outre, elle se trouverait au fondement du droit pénal romain tel qu’exposé par le juriste allemand296. Il analyse, en effet, la prouocatio comme un authentique appel au sens moderne du terme, qui, pour les délits relevant de la peine capitale, déclenchait l’ouverture d’un second procès tenu devant le peuple réuni en comices judiciaires. Ce jugement du peuple correspondait à une seconde instance, si bien que la prouocatio substituait la procédure populaire à la procédure du magistrat en ayant un effet suspensif sur la sentence de ce dernier (cette théorie est parfois appelée Universal‑Provokation). Le développement de la procédure pénale romaine, telle que le reconstitue Th. Mommsen, est limpide. À la iudicatio sans recours du roi puis du magistrat républicain, l’invention de la prouocatio substitua une procédure magistrato‑comitiale qui, elle‑même, céda plus tard la place à la procédure devant un collège de jurés, celle des quaestiones. Aux débuts de la République, à côté d’une justice civile ordinaire qui ne nous intéresse pas ici, c’est cette forme de procédure magistrato‑comitiale qui aurait ainsi existé pour tous les crimes. Elle comprenait cinq phases individualisées issues de l’instauration de la prouocatio : la diei dictio (la citation à comparaître), l’anquisitio (l’instruction), la iudicatio et multae inrogatio (la sentence du magistrat), la prouocatio (l’appel) et le iudicium populi (le procès devant le peuple)297.
150Avant la législation décemvirale, cette procédure complexe et toujours publique se déroulait devant les centuries ou devant le concilium plebis en fonction du magistrat qui présidait. C’est la disposition des XII Tables de capite ciuis nisi per maximum comitiatum ne ferunto qui obligea à la tenue des procès capitaux devant ces « comices maximaux » qui correspondaient aux comices centuriates298. Le souci d’éviter des conflits avec le peuple, ou la matérialisation de la diminution de leur imperium dans le champ judiciaire, aurait poussé les consuls à déléguer assez tôt la conduite des affaires judiciaires à des magistrats subalternes, les questeurs299. Fort logiquement, Th. Mommsen reconnaît leur validité aux leges Valeriae Horatiae et ses opinions furent suivies par ceux qui attribuent à la prouocatio son sens plein dès les origines de la République300. Cette thèse s’est, dans l’ensemble, imposée, jusqu’à sa remise en cause radicale dans la deuxième moitié du XXe siècle.
La remise en question de la vision mommsénienne
151Dès 1909, J. Binder nie à la prouocatio son caractère d’appel, et au iudicium publicum celui de deuxième instance pour en faire le seul tribunal de la procédure, le magistrat se contentant d’énoncer une sanction hors de tout procès301. À sa suite, les travaux de Chr. Brecht sur la perduellio démontrent que la tenue de iudicia populi ne nécessitait pas le recours à la prouocatio. Seul le procès duoviral de perduellio peut correspondre au schéma provocatoire théorisé par Th. Mommsen. Pour Chr. Brecht, la plupart des procès se déroulait sans prouocatio, suivant ce qu’il appelle l’Antragsprozess. Il différencie aussi nettement les procédures de perduellio duovirale et tribunitienne302.
152Pour A. Heuß, la conceptualisation mommsénienne de l’imperium comme pouvoir originel, souverain et omnicompétent ne saurait être valide. Il s’agissait d’un pouvoir de nature militaire qui acquit progressivement ses dimensions civiles, dont la judication. Ce faisant, A. Heuß brise le lien entre l’imperium et la juridiction criminelle, laquelle aurait primitivement été le fait des questeurs. Parallèlement, il analyse l’introduction de la prouocatio, seulement en 300, comme une réaction à la tentative des magistrats cum imperio de transférer leur pouvoir de contrainte du domaine militaire au domaine civil303.
153De son côté, J. Bleicken reprend l’idée que l’imperium était au départ un pouvoir purement militaire et met en avant l’aspect informel et politique de la prouocatio avant 300, qui, par le biais des tribuns de la plèbe, pouvait conduire à des sentences judiciaires plus favorables aux plébéiens304. Enfin, tant A. Heuß que J. Bleicken insistent sur le fait que la prouocatio ne pouvait s’exercer qu’à l’encontre de la coercition du magistrat, non contre un iudicium quelconque, postulat qui mine les fondements de la reconstruction de Th. Mommsen. C’est toutefois à W. Kunkel qu’il revint de rassembler les idées de ses devanciers, afin de proposer la remise en cause la plus cohérente et la plus radicale des thèses de Th. Mommsen305.
154W. Kunkel promeut une vision radicalement différente de la procédure criminelle dans laquelle les délits de droit commun continuaient de relever de la sphère privée tandis que seuls les délits publics étaient pris en charge par la cité et relevaient de la compétence du magistrat supérieur306. Cette catégorie de délits publics est, chez lui, bien plus réduite que chez Th. Mommsen et correspond aux affaires politiques (sans les meurtres et ce qu’y fait entrer Th. Mommsen). Pour les autres affaires, le pouvoir de coercition des magistrats et la procédure privée étaient compétents. Dans ce système, la prouocatio ne put avoir dès l’origine ce caractère judiciaire permettant d’interjeter appel d’une décision d’un magistrat307. Deux thèses cardinales étayent la théorie de W. Kunkel. D’après lui, les Romains firent à toutes les époques une distinction nette entre la pure punition de coercition et la condamnation judiciaire. Seule la première pouvait faire l’objet de la prouocatio ad populum, ce qui ne fut jamais le cas des sentences judiciaires308. Par ailleurs, W. Kunkel souligne le fait que le magistrat républicain n’exerçait pas seul la iudicatio. Dans l’administration de la justice, il était assisté par un consilium qui avait rôle d’investigation et de conseil. Ce consilium, comportant peut‑être les questeurs, devait être recruté suivant les directives du magistrat et non pas suivant une procédure formalisée. Si ce dernier rapportait, à la fin de la procédure, la sentence, il fut lié, dès le début de la République, aux avis de son conseil309. Au Ve siècle, coexistaient ainsi une procédure criminelle privée et des iudicia populi qui ne traitaient que les délits envers l’état, délaissant toutes les autres matières. Les lois des XII Tables vinrent encadrer ces formes originelles de justice, suivant des modalités qui restèrent encore sommaires. Si la codification décemvirale s’attaqua au tribunal de la plèbe et semble avoir limité, dans certains domaines, le pouvoir des consuls, elle ne toucha pas à la plupart des délits publics ou militaires310.
155Dans la continuité des propositions de J. Bleicken, le juriste allemand interprète donc la prouocatio comme un instrument politique qui émergea durant les luttes patricio‑plébéiennes. Elle n’aurait été reconnue de façon officielle qu’en 300, ce qui conduit naturellement W. Kunkel à dénier toute réalité aux mesures de 509 et de 449. À la suite d’A. Heuß, il retire également au magistrat son pouvoir judiciaire car l’imperium ne le comprend pas. S’il ne nie pas pour autant l’existence de la prouocatio avant 300, elle ne correspondait alors qu’à un moyen de lutte révolutionnaire dans le cadre des délits politiques. Les délits de droit commun étaient, eux, pris en charge par les particuliers suivant une procédure de legis actio sacramenti, devant un jury comprenant les quaestores parricidii ou présidé par eux311.
156Ainsi, la forme originelle du procès romain, avec le rôle du consilium du magistrat, aurait déjà été celle d’une quaestio, de laquelle auraient découlé les quaestiones spécifiques du IIe siècle, puis les quaestiones perpetuae tardo‑républicaines. W. Kunkel insiste donc sur l’historicité du processus de développement de la procédure criminelle romaine, sur son unité de fonctionnement et sur le caractère politique de la prouocatio jusqu’à la fin du IVe siècle, moment où elle acquit sa dimension normative et juridique. De la sorte, il propose une théorie fondamentalement différente dont on retrouve les principaux aspects chez ceux qui dénient toute historicité aux mesures de 509 et de 449312.
Les développements récents de la recherche sur la procédure pénale romaine d’époque pré-syllanienne
157Les deux dernières décennies ont vu s’opérer des renversements de tendance et le regard porté sur la tradition s’est modifié, comme en témoignent des travaux qui attestent d’un retour aux conceptions de Th. Mommsen313. L’attaque la plus pertinente contre ses théories avait été de relever que la prouocatio ne put consister en un appel au sens strict puisque ce recours suspendait la procédure impliquant le magistrat pour en ouvrir une nouvelle. Pour autant, la thèse de W. Kunkel fut aussi critiquée au motif qu’elle rapprochait trop la prouocatio de l’auxilium tribunitien, au point de les confondre314. B. Santalucia accepte ainsi l’introduction de la prouocatio dès le début de la République et la participation des comices à la justice dès la fin de l’époque royale. Dans ce cadre, les tribuns de la plèbe, sur la base de violations des lois sacrées ou de préjudices contre les intérêts de la plèbe, se seraient arrogé de force le droit d’attaquer en justice des patriciens avant que la disposition de capite ciuis des XII Tables ne mît fin à cette possibilité, ne leur laissant que les peines pécuniaires315.
158Toutefois, la tendance kunkélienne s’est également affirmée avec les travaux de M. Humbert et de Cl. Lovisi. Le premier juge anhistoriques les lois de 509 et de 449, pas la prouocatio en tant que telle. Il lui reconnaît des antécédents royaux à partir desquels, en 509, les fondateurs de la République furent obligés de concéder au peuple la capacité à juger de la mort (en s’appuyant en particulier sur une analyse du procès d’Horace)316. Toutefois, c’est seulement avec la naissance du tribunat de la plèbe que le peuple se dota des moyens de la faire respecter. Si, donc, une loi en 509 est possible, elle doit être rapportée à de plus modestes ambitions – confirmer la compétence d’époque royale sans l’étendre ou la systématiser –, qui laissèrent le fonctionnement de la prouocatio à l’appréciation des consuls317. En l’absence de loi la garantissant, elle demeurait soumise à leur bon vouloir comme elle l’avait été à celui des rois. La prouocatio n’était en effet pas une création républicaine : elle correspondait tout simplement à la possibilité de recourir à un jugement du peuple après la décision d’un magistrat. Ce juriste capitalise donc sur les avancées de W. Kunkel en les modifiant, notamment sur l’aspect politique de la prouocatio. Comme chez Th. Mommsen, il s’agissait bien d’un appel ; par contre, comme chez W. Kunkel, cet appel portait sur une décision du pouvoir coercitif, pas sur celle d’une instance populaire. M. Humbert démontre aussi le rôle considérable des tribuns de la plèbe. En l’absence de toute loi contraignant les magistrats à accepter l’appel, les tribuns, par leur intercessio, forcèrent à l’application de la prouocatio318. Réutilisant les avancées de W. Kunkel, il souligne combien, dans l’histoire de la prouocatio et de la justice criminelle à Rome au Ve siècle, les tribuns de la plèbe, par leur inviolabilité, participèrent de l’affirmation et de l’institutionnalisation de la prouocatio. Ils se conduisirent ainsi pour « faire de la justice du peuple une institution », pour « la sortir de sa précarité où le bon vouloir consulaire la tenait confinée319 ». Ils inventèrent en même temps leur propre forme de justice en la calquant sur le modèle existant du procès duoviral de perduellio. M. Humbert insiste aussi sur la façon dont l’annalistique chercha à étouffer cette réalité en faisant naître la prouocatio dès 509, affadissant par contrecoup la portée révolutionnaire de l’intercessio plébéienne.
159De son côté, Cl. Lovisi pousse à son terme la logique unitaire de la reconstruction kunkélienne en rapportant le « régime de compétences éclatées » de la peine de mort dans le droit pénal romain à une unité conceptuelle originelle : la sacerté320. Après s’être développée dans le cadre des relations privées, cette notion s’étendit aux relations publiques par l’intermédiaire d’un jugement minimal. Seuls les tribuns conservèrent la possibilité de châtier hors de toute procédure leurs agresseurs. La sacratio et la procédure par sacramentum seraient le point nodal de la procédure criminelle au début de la République. Le statut d’homo sacer y devient l’outil par lequel la cité canalisa la vengeance privée, tandis que la procédure par sacramentum se retrouva au fondement de la justice du premier âge républicain321. Cl. Lovisi nuance aussi la doctrine de W. Kunkel en reconnaissant que certains délits de droit commun purent être traités par la justice comitiale322. Enfin, elle reconnaît à l’intercessio tribunitienne un rôle de frein cardinal à la répression consulaire domi avant 300, puisqu’elle maintient à la prouocatio son caractère d’institution formalisée uniquement en 300. Elle n’existait pas auparavant, quand le citoyen dépendait de la seule intercession tribunitienne323. De la sorte, elle fait des procédures tribunitiennes l’origine d’une juridiction populaire qui ne prit une forme concrète qu’à partir de la fin du IVe siècle. Une telle reconstruction permet de comprendre comment les tribuns purent investir le champ de la répression criminelle puisque leur pouvoir reposait lui aussi, en dernière analyse, sur le serment de 494 et la sacratio. Elle y insiste à la fois sur la sacerté comme fondement de la procédure tribunitienne et sur le fait que la perduellio fut une procédure d’abord plébéienne. Dans cette procédure, les plébéiens se prononçaient encore essentiellement par acclamation, avant que le tribun n’énonce la sentence324.
160Dans son livre sur les procès pénaux républicains, R. Pesaresi accorde également une place substantielle à la procédure tribunitienne. Pour lui, le pouvoir répressif des tribuns tient tout entier dans le serment de 494 et dans la capacité qu’avaient les tribuns de prononcer la sacratio des personnes remettant en cause les dispositions de 494. Il fonde donc le pouvoir criminel des tribuns dans la « loi sacrée » et développe une conception juridique rigide dans laquelle il voit des lois ou des plébiscites au sens strict dans de très nombreux cas, ce qui le conduit à transformer tous les plébiscites importants en plébiscites sacrés, c’est‑à‑dire jurés et protégés par un serment, à la façon de ce qui se passa en 494325. Il reconnaît ainsi, dans tous les procès attestés, parfois de façon abusive et en survalorisant le témoignage de Denys d’Halicarnasse, des atteintes effectives à la personne des tribuns, ce qui justifierait l’existence des procédures. Son autre proposition principale est que tous les procès tribunitiens, y compris après les lois des XII Tables, se tinrent toujours devant le concilium plebis et jamais devant les comices centuriates326. Ce concile de la plèbe ne fut pas touché par la disposition décemvirale de capite ciuis car il n’aurait jamais prononcé de peines judiciaires, se contentant de trancher quant à la consecratio, c’est‑à‑dire déclarant ou non l’accusé sacer. De la sorte, la norme décemvirale aurait principalement concerné l’exercice de l’imperium dans le champ de la répression pénale327. En revanche, cette disposition décemvirale aurait renforcé le régime de la prouocatio. Ces idées rejoignent celle exprimées par Cl. Lovisi à la fois dans son étude sur la peine de mort et dans un article plus récent portant sur les procès tribunitiens d’amendes328, ces deux savants s’accordant à préférer une origine extra‑légale à ces procès.
161Plus récemment, E. Tassi Scandone a consacré une étude aux lois Valeriae Horatiae. Cet auteur accepte l’historicité des trois lois sur la prouocatio et son argument principal est tiré de la différence de contenu normatif entre ces trois dispositifs, laquelle interdirait de soupçonner une simple répétition. La loi de 509 et celle de 300, les plus proches, porteraient sur des aspects distincts et elle consacre un long passage à démontrer que la formule ne quis magistratus necare et uerberare uellet ciuem qui prouocauisset se distingue de celle qui indique ne quis magistratus uirgis caedere et securi ferire ciuem qui prouocauisset, car les verbes employés (necare et uerberare d’un côté, uirgis caedere et securi ferire de l’autre) et, au travers d’eux, les peines désignées, ne seraient pas les mêmes329, en reprenant une vieille intuition de Th. Mommsen330. De son côté, la loi de 449 ne porterait que sur l’interdiction d’élire ou de créer des magistrats non soumis à la prouocatio et s’accompagna de la fameuse disposition réservant aux comices centuriates le jugement des peines capitales331.
162E. Tassi Scandone estime aussi qu’on ne peut nier le lien entre prouocatio et iudicium populi332. De même, elle revient sur la corrélation établie entre introduction de la prouocatio et élimination des haches sur les faisceaux à l’intérieur de l’Vrbs, en soulignant que seul un témoignage de Cicéron relie les deux, et qu’il s’agit d’une mauvaise lecture puisque le fait d’ôter les haches précéda l’introduction de la prouocatio333. Enfin, l’absence d’exécution capitale par les magistrats avant 270 lui paraît incompréhensible si la prouocatio n’avait pas été introduite auparavant334. Ce dernier argument est toutefois curieux puisque, de l’aveu même de l’auteur, la décapitation n’était pas soumise à prouocatio avant 300.
163Comme dans le cas des trois lois d’exaequatio, une telle approche conduit à proposer une extension graduelle de la prouocatio. En 509, la première loi aurait consenti au citoyen victime d’une peine capitale (necare, c’est‑à‑dire toutes les mises à mort non réalisées a caedendo uel ictu) ou d’une uerberatio (la fustigation) la suspension de l’exécution et le recours à un autre jugement, en l’occurrence celui du peuple. En revanche, la décapitation avec la hache n’était pas comprise dans cette loi et la prouocatio ne pouvait servir que pour les peines couvertes par les verbes necare et uerberare. La loi de 509 aurait porté sur la juridiction criminelle capitale du magistrat, qu’il ne pouvait désormais exercer sans contrainte que sur des cas précis, et pas sur sa coercition capitale335.
164Puis, en 449, la loi sur la prouocatio se contenta de la réintroduire après l’épisode décemviral – sans en modifier la portée – et de spécifier qu’il devenait interdit de créer des magistrats qui ne lui soient pas soumis336. En revanche, E. Tassi Scandone propose une interprétation différente de la clause de capite ciuis. Cette dernière n’aurait pas réservé aux comices centuriates les procès capitaux, mais simplement le vote des lois capitales, c’est‑à‑dire des lois introduisant de nouveaux délits susceptibles de cette peine337.
165Enfin, la loi de 300 aurait étendu la possibilité de la prouocatio aux peines capitales par décapitation (la securi percussio), en prévoyant une peine pour les magistrats ne la respectant pas. Cette extension du domaine de la prouocatio s’expliquerait par la multiplication, dans la seconde moitié du IVe siècle, des cas de condamnations à mort de la part de magistrats338. Comme, par ailleurs, elle établit un lien entre prouocatio et augures, elle réinterprète la sanction prévue par la loi de 300, souvent vue comme une simple sanction morale, en un sens religieux. La déclaration improbe factum incomberait ainsi aux augures et la sanction serait porteuse d’une forte dimension religieuse339. On mesure la distance parcourue depuis les thèses de W. Kunkel340. S’offre ici une reconstruction à bien des égards mommsénienne, notamment dans la volonté de faire de la prouocatio un droit civique au contenu juridique précis, utilisable par le ciuis reconnu coupable, dans un procès conduit par un magistrat, et non un moyen politique341. Ce travail prend le contrepied total des thèses de W. Kunkel et de leurs suites.
166Les arguments des adversaires de l’authenticité des premières leges Valeriae Horatiae me paraissent l’emporter car leur point de vue ne consiste pas tant à nier la prouocatio en tant que telle, que son application rigide et défendue par un règlement de type juridique. En outre, la date de 300 correspond à un ensemble de mutations du droit pénal qui expliqueraient bien la formalisation du droit de prouocatio à ce moment‑là342. De ce point de vue, les analyses de M. Humbert et de Cl. Lovisi gardent toute leur actualité, même si je diffère de cette dernière quant à l’inexistence d’une coutume antérieure à la légalisation de la prouocatio en 300. C’est par l’intercessio tribunitienne et par le droit d’auxilium que la prouocatio, protection accordée au citoyen, mais toujours susceptible d’être remise en cause, surtout dans un contexte de tensions politiques patricio‑plébéiennes, put s’affirmer. Ce lien entre prouocatio et auxilium tribunitien est l’élément capital. On le retrouve, outre chez M. Humbert et Cl. Lovisi, par exemple chez A. Lintott343. Tout cela montre aussi que le problème de l’encadrement de la peine capitale et celui de l’extension réelle du droit de prouocatio sont centraux dans l’histoire de la procédure pénale et de la procédure tribunitienne. Or l’étude des procès tribunitiens documentés a précisément montré, avec le paradigme juridique mis en évidence que, pour la tradition, les tribuns eurent bien un rôle décisif dans le processus de protection du citoyen romain face à la peine capitale, dès le Ve siècle, suivant des modalités sur lesquelles il est à présent possible de revenir en se posant la question suivante : quel fut le rôle effectif des tribuns de la plèbe dans la procédure judiciaire sous la haute République ?
Le rôle judiciaire des tribuns de la plèbe
Les fondements du rôle judiciaire des tribuns de la plèbe
167La doctrine juridique s’accorde sur le fait que les tribuns de la plèbe disposaient d’un pouvoir de coercition attaché à l’origine de leur fonction. La potestas tribunitienne était, en particulier, la source de nombreux moyens d’action. Les tribuns possédaient une série de droits, à commencer par celui d’arrêter et d’emprisonner, doublé du droit d’infliger des amendes344. Ces pouvoirs n’étaient pas liés à l’imperium des magistrats, comme l’a bien montré A. Heuß, mais à la potestas, dont les tribuns étaient dotés345. Le pouvoir de coercition des tribuns trouvait cependant son expression la plus radicale dans la possibilité, en cas d’atteinte à la personne du tribun, de s’emparer du coupable sans autre forme de procès et de le précipiter depuis la roche Tarpéienne. Ce type de mise à mort n’était pas, au départ, un supplice exclusivement exercé par les tribuns et semble avoir été plus répandu avant de connaître cette spécialisation. Denys d’Halicarnasse rapporte que Romulus aurait procédé à des exécutions similaires et explique que, lors du siège de Rome par les Gaulois, le soldat coupable d’avoir déserté son poste et permis l’assaut sur le Capitole, fut exécuté de la sorte346. Ce supplice acquit toutefois assez vite sa coloration tribunitienne. Le coupable, déclaré sacer, pouvait être librement mis à mort, ses biens étant confisqués et consacrés aux divinités plébéiennes, en particulier à Cérès. La prouocatio n’était d’aucun secours dans ce cas, au moins sur le principe347. Les tribuns disposaient ainsi d’un « pouvoir positif de réprimer pratiquement illimité » lorsqu’il s’agissait d’atteinte à la « personne sacrée du tribun, à son autorité et, par extension, aux intérêts de la plèbe dans son ensemble (concept élargi de perduellio) ». Dès lors : « Le tribun utilisera de façon extensive la notion d’inviolabilité sacro‑sainte pour infliger hors de toute forme procédurale la peine de mort et la confiscation des biens348. » Le passage par les tribuns permettait le recours à une forme de justice parallèle dont on était sûr que rien ne viendrait entraver le cours.
168Nous ne connaissons cependant qu’un cas où le processus alla à son terme. En 131, le tribun C. Atinius Labeo s’apprêtait pourtant à punir de la sorte une offense à sa personne, en s’emparant du censeur Q. Caecilius Metellus qui avait refusé de le recruter au Sénat. L’intercession de certains de ses collègues, alertés par des proches de Metellus, empêcha l’irréparable349. En 91, M. Livius Drusus se contenta de menacer de cette peine Q. Servilius Caepio350. En 86, en revanche, l’action de P. Popillius Laenas contre Sex. Lucilius (tribun l’année précédente) déboucha sur une mise à mort effective351. C’est l’unique cas attesté, si l’on excepte celui, un peu différent, de l’esclave de P. Sulpicius Rufus352. Pour la haute République, outre les procès signalés plus haut, dans lesquels le stade de l’intention ne fut jamais dépassé, Denys d’Halicarnasse rapporte que L. Icilius voulut, en 456, appliquer ce châtiment aux consuls. L’intervention des plus anciens sénateurs aurait convaincu les tribuns de renoncer353. Soulignons ainsi que, dès avant les XII Tables et le fameux verset de capite ciuis, les sources ne transmettent aucun exemple d’exécution d’un citoyen à l’initiative des tribuns alors même qu’ils en avaient le droit354.
169Ce pouvoir de mise à mort, issu du serment de 494 renouvelé en 449, ne pouvait s’exercer qu’en cas d’atteinte directe à la personne des tribuns, même si, dans les faits, la définition pratique d’une telle atteinte demeurait soumise à l’appréciation des parties en présence et sujette à des lectures extensives. Il ne faut pas en sous‑estimer la portée car, à travers elle, la plèbe s’était arrogé le droit à intenter des procès capitaux355. Avec le statut d’homo sacer, les tribuns s’immiscèrent dans l’exercice de la justice criminelle, presque par effraction. Ils pouvaient cependant choisir de ne pas poursuivre ainsi la personne ayant attenté à leur intégrité physique et engager une procédure judiciaire populaire, ce qu’ils firent le plus souvent. Dans ce cas, ils ne jugeaient pas et se contentaient de solliciter une peine à l’assemblée plébéienne. Là aussi, la prouocatio n’était pas susceptible d’application puisqu’il s’agissait d’une sentence judiciaire du peuple, laquelle n’y était pas soumise356. En se constituant en assemblée autonome en 471 – le concilium plebis – la plèbe se dota également d’une forme possible d’assemblée judiciaire, de statut bien incertain au départ, constituant une fois de plus un modèle réutilisé ensuite par les structures du populus Romanus. En cas d’affaire interne à la plèbe, un tel fonctionnement ne devait guère poser de problème même si nous n’en avons conservé trace qu’avec la condamnation d’anciens tribuns en 393. En revanche, la situation devenait plus problématique lorsqu’il s’agissait, pour des tribuns, d’accuser en justice des patriciens, ce qui correspond à la majorité des cas connus.
170Enfin, nous avons vu qu’un acquis majeur de l’historiographie fut d’avoir rapproché la prouocatio de l’auxilium des tribuns en montrant qu’ils étaient corrélés. Deux tendances s’opposent toutefois sur ce sujet. La première, que l’on pourrait qualifier de légaliste, d’origine mommsénienne, fonde la prouocatio sur des lois précises qui l’auraient consacrée en droit et fait du pouvoir accusateur des tribuns un élément à part. La seconde, plus historicisante, nie l’authenticité des lois sur la prouocatio, rapproche prouocatio et auxilium et fonde le pouvoir judiciaire des tribuns, dans la continuité de la sécession de 494, sur des bases révolutionnaires. Dans son Droit Pénal, Th. Mommsen est en réalité à l’origine des deux interprétations possibles puisqu’il y rappelle qu’en dernier recours, la puissance répressive des tribuns reposait sur l’organisation plébéienne et sur la lex sacrata de 494357. Le serment originel serait donc une fois de plus la clef. Cette idée mit du temps à s’imposer car elle fut effacée par la reconstitution mommsénienne du cours de la procédure criminelle romaine358. Elle le fut d’autant plus qu’un plébiscite de 492 [17] sur le droit de réunion de la plèbe fournit un point d’appui possible à une lecture légaliste et permet d’interroger en profondeur la question de l’origine de cette capacité tribunitienne à accuser.
Le pouvoir d’accusation des tribuns de la plèbe et le plebiscitum Sicinium de tribunorum plebei sanctitate uel de tribunorum plebei iure contionandi apud populum [17]
171Ce plébiscite voulait empêcher qu’on puisse interrompre un tribun s’adressant au peuple. Il est parfois compris comme une loi étendant l’inviolabilité tribunitienne359 ou comme un plébiscite sacré, c’est‑à‑dire une décision de la plèbe validée par un serment semblable à celui qui, en 494, protégea et assura la constitution du tribunat360. De la sorte, toute interruption d’un tribun aurait permis le recours à la sacratio pour châtier le fautif. Ces interprétations se fondent sur Denys d’Halicarnasse, unique auteur à mentionner ce plébiscite, et qui précise que la peine prévue était la mort ainsi que la consécration des biens du coupable361, ce qui, effectivement, rappelle la « loi sacrée » de 494. Si tel était bien le cas, cela impliquerait que le plébiscite de 492 ressemblât à la procédure d’institution du tribunat et que chaque infraction à cette mesure fût susceptible d’entraîner la sacerté du coupable, avec toutes ses conséquences. Ce témoignage est toutefois bien isolé.
172Tite‑Live ne mentionne jamais le plébiscite de 492 et seul un passage y fait peut‑être allusion362. Cicéron ne parle que de l’inviolabilité du tribunat et des lois sacrées sans préciser lesquelles363. Un passage imprécis de Jean le Lydien pourrait y faire référence quoique de façon bien peu certaine364. Restent alors Pline le Jeune et Valère Maxime. Le premier, évoquant son tribunat de la plèbe, explique qu’il était sacrilège d’interrompre un tribun (et quem interfari nefas esset)365. Si l’expression renvoie au registre religieux, elle n’indique nullement une quelconque disposition normative protégée par un serment et prémunissant les tribuns contre les interventions intempestives, en prévoyant la sacerté du responsable. À aucun moment Pline ne rapporte une mesure qui permettrait d’assurer l’authenticité du plébiscite de 492 et d’en faire une sorte de deuxième lex sacrata. Valère Maxime raconte, lui, la façon dont le tribun M. Drusus fit saisir et jeter en prison le consul L. Philippus parce qu’il l’avait interrompu366. Les contextes tant historiques que polémiques sont cependant très différents et il est difficile de se servir de ce cas pour le rapporter à la réalité du Ve siècle et en faire la preuve qu’une mesure prévît, dès 492, qu’interdire à un tribun de s’exprimer permettait l’application des châtiments prévus en cas d’atteinte à leur personne. Seul le témoignage de Denys d’Halicarnasse va explicitement en ce sens. Toutefois, sa reconstitution ne repose sur rien de concret et cet auteur tend à présenter en des termes parfaitement formalisés, d’un point de vue juridique, la vie politique romaine du Ve siècle, alors même qu’elle ne l’était pas forcément. Quant aux témoignages de Pline et de Valère Maxime, s’ils indiquent qu’interrompre un tribun est de l’ordre du sacrilège, ils n’apportent pas la preuve de l’existence d’une disposition normative l’affirmant. Enfin, rappelons que la lex sacrata ne fut ni une loi ni un plébiscite puisqu’elle reposait essentiellement sur le serment de la plèbe en sécession367.
173L’idée que la parole des tribuns fût protégée peut dès lors se comprendre sans recours à une disposition législative « sacrée », par une simple extension de la garantie incluse dans la « loi sacrée » de 494. En effet, celle‑ci défendait les tribuns et, d’une certaine façon, les interrompre lorsqu’ils s’adressaient au peuple revenait à s’attaquer à leur personne puisqu’on les empêchait ainsi de mener à bien leurs actions. Se repère à nouveau ici l’opposition de fond entre une vision légaliste et une vision historiciste de ces problèmes ou, pour le dire autrement, entre une vision formaliste et une autre pragmatique.
174L’hypothèse que le plébiscite de 492 puisse fournir un fondement légal plus assuré aux procès tribunitiens est donc peu crédible et inutile. Rien dans les sources n’indique qu’il se fût agi d’un plébiscite protégé et renforcé par un serment, et il est bien plus logique d’y voir une extension des situations entrant dans le cadre de la « loi sacrée » de 494. Cela s’accorde, d’une part, avec le fait que les accusés suivants qui entrèrent dans ce cadre procédural encoururent la mort368 et, d’autre part, avec ce qu’était la pratique tribunitienne au début du Ve siècle. En outre, la signification profonde de ce plébiscite concerne très certainement moins le champ du droit pénal que celui du droit public : avec ce plébiscite, les tribuns voulurent surtout affirmer leur droit à conduire leurs propres assemblées de façon autonome et il doit être tout particulièrement rapproché de l’affirmation souveraine de la plèbe au début du Ve siècle369.
175La seule « loi sacrée » fut celle de 494. Très vite, les tribuns en étendirent les possibilités d’application, par pression politique, sans procédures législatives formelles. Dans le même temps, ils semblent avoir renoncé à utiliser cette possibilité d’application de la peine de mort au profit de procès d’amende, lesquels seraient ainsi apparus avant les lois des XII Tables, à une date difficile à préciser.
Procès tribunitiens et procès d’amende
176Pour être compris, ces procès tribunitiens d’amende doivent être mis en parallèle avec la loi Aternia Tarpeia sur les amendes [43]. Son contenu et son histoire sont disputés. Pour Cicéron, c’était simplement une loi des deux consuls sur les amendes et le serment, sans plus de précision. On ajoutera toutefois qu’existe une incertitude dans la tradition manuscrite de son texte370. Pour Denys d’Halicarnasse, cette loi aurait étendu à tous les magistrats le droit de punir le manque de respect à leur autorité, et aurait aussi arrêté le montant maximal de l’amende à infliger (deux bœufs et trente moutons). Denys d’Halicarnasse est également le seul à conserver l’information selon laquelle c’est en 476 qu’aurait été défini pour la première fois le montant maximal – malheureusement non précisé – des amendes, payées en nature371. Quelques passages de Pline l’Ancien évoquent l’antique habitude de faire payer les amendes en nature en se référant à des lois, sans précision aucune372. Aulu‑Gelle parle d’une lex Aternia qui établit le montant des amendes en nature et leur équivalent en argent (un mouton vaut 10 as et un bœuf vaut 100 as). Il évoque aussi une amende plancher (un mouton) et l’amende maximale (deux moutons et trente bœufs) en précisant qu’il s’agissait d’un montant journalier373. Festus, enfin, évoque une Tarpeia lex qui aurait fixé l’équivalence en monnaie des amendes en nature, suivant les mêmes équivalences que celles fournies par Aulu‑Gelle. Rien de plus car, selon lui, l’amende maximale et la possibilité d’appel au peuple auraient déjà été réglées par une lex Menenia Sestia antérieure. Ainsi, la loi Tarpeia viendrait compléter une loi plus ancienne, ce qui est contradictoire puisque T. Menenius et P. Sestius furent pour la première fois consuls seulement en 452, soit deux ans après A. Aternius et Sp. Tarpeius. Peut‑être Festus est‑il abusé par le tribunat de la plèbe parfois attribué à A. Aternius et Sp. Tarpeius pour l’année 448374.
177Depuis Th. Mommsen, qui la considérait comme une anticipation de la lex Iulia Papiria de 430, cette loi fit couler beaucoup d’encre375. À sa suite, une première série de travaux l’écarte et estime que c’est uniquement avec la lex Iulia Papiria, voire plus tard, que de semblables mesures furent introduites376. G. De Sanctis, en modifiant la lecture du passage de Cicéron, suggérait, lui, de n’y voir qu’un point de procédure377. D’autres travaux mirent en avant la possible origine plébéienne d’A. Aternius et de Sp. Tarpeius et transformèrent cette loi en plébiscite378. Il est pourtant certain que les tribuns de la plèbe disposaient d’un pouvoir de coercition avant la mise en place des lois des XII Tables, ce qui ne peut que renforcer l’existence d’une ou de plusieurs lois antérieures au décemvirat législatif379. De même, le contenu de la lex Aternia Tarpeia renvoie de façon évidente à une période ancienne dans laquelle le système de calcul des amendes était « solidaire d’un système économique n’accordant de vraie valeur qu’à la pecunia, c’est‑à‑dire fondé sur un frustre rapport entre le nombre de têtes de bétail et un poids, non exactement monnayé, de bronze380 ». Toutefois, l’existence de deux lois similaires séparées par un intervalle de temps si bref ne va pas sans poser question.
178Une première solution à ce problème fut proposée par A. D. Manfredini, au travers d’une reconstitution très circonstanciée de l’histoire de la période que l’on peut résumer de la façon suivante : une loi Aternia Tarpeia en 454 développant les cas soumis à amendes ; une loi Menenia Sestia en 452 sur les montants maximum d’amendes et sur la convertibilité de ces rapports en nature entre eux ; après la cooptation au tribunat des deux consuls de 454, un plébiscite Aternius Tarpeius en 448 sur la convertibilité en argent des amendes en nature ; puis, enfin, la loi Iulia Papiria de 430 qui « dovette aver ridotto le multe in bestiame; attraverso quali calcoli non è possibile neanche immaginare381 ».
179Peu après, J. Gagé est revenu sur ce sujet. Il refuse à son tour de faire d’A. Aternius et de Sp. Tarpeius des patriciens et pense plutôt qu’ils étaient de simples duumuiri ou iudices chargés d’appliquer la règle d’aestimatio des amendes qui existait déjà à ce moment‑là. S’ils intervinrent à cette date précise, c’est que les condamnations à de très lourdes amendes, l’année précédente, de T. Romilius et de C. Veturius, avaient remis ce problème sur le devant de la scène. Il fut donc à nouveau discuté, ce qui déboucha sur la loi Menenia Sestia de 452. Cette reconstruction est plausible – et va finalement dans le sens du témoignage de Festus tout en rétablissant une chronologie plus sûre –, mais se heurte selon moi à l’impossibilité de faire d’A. Aternius et de Sp. Tarpeius des plébéiens382.
180Plus récemment, une troisième analyse a été avancée par G. Firpo qui se focalise sur les problèmes de transmission de ces notices et qui montre que nous sommes en présence de différentes versions, mal conciliables entre elles car philo‑aristocratique dans un cas et philo‑plébéienne dans l’autre383. Pour autant, il estime la tradition sur cette loi plutôt fiable. Il faudrait donc la considérer comme authentique et la loi de 430 n’aurait fait que reprendre le problème en l’ajustant aux nouvelles conditions économiques et sociales de la cité romaine. Son authenticité est enfin acceptée par B. Santalucia qui voit dans cette loi, ainsi que dans la lex Menenia Sestia des succès plébéiens dans la limitation de la coercition des magistrats384.
181Le plus probable semble donc que les tribuns renoncèrent d’eux‑mêmes au pouvoir de punir de mort et optèrent pour une autre forme de procès, impliquant des amendes. Dès le début du Ve siècle, les tribuns voulurent prendre en main la répression des crimes les plus importants, en se servant des possibilités immenses contenues dans la « loi sacrée » de 494. Elle leur fournissait les moyens d’engager une procédure durant laquelle, très vite, ils refusèrent d’appliquer la peine capitale pour la réserver à l’assemblée plébéienne (le concile de la plèbe). Ce renoncement allait de pair avec leur rôle dans la protection du droit de prouocatio ad populum et traduit le fait qu’ils cherchèrent à promouvoir une justice différente, mieux codifiée et soustraite à l’arbitraire des magistrats, y compris en acceptant de ne plus faire usage de l’intégralité de leurs prérogatives. Il leur aurait été en effet difficile de proposer la limitation du pouvoir de coercition des magistrats tout en appliquant, pour leur part, la peine de mort. On peut cependant se demander si ce renoncement était totalement dénué d’arrières‑pensées politiques, ou s’il ne trahit pas, au contraire, une prise de conscience, de la part des tribuns, de la difficulté à faire accepter un pouvoir aussi énorme. Le procès d’amende offrait, lui, une solution parfaite du point de vue de la peine, tout en permettant la mise sur pied de ce nouveau modèle de justice. Le recours à ces procès entraîna une première forme de codification des peines pécuniaires, ce qui plaide pour la naissance d’un tel système peu avant les lois des XII Tables, à une date difficile à déterminer avec certitude.
Conclusion : les procès tribunitiens entre histoire et construction d’une histoire
182L’image des tribuns de la plèbe telle qu’elle apparaît au travers des procès criminels tribunitiens soulève d’importants problèmes. Les phénomènes de recomposition historiographiques y mêlent en effet inextricablement faits, représentations et interprétations en un ensemble pas toujours cohérent, qu’il convient de dénouer et qui témoigne à merveille de ce que cette image est bien l’écho déformé de l’activité des tribuns385. L’action historique initiale des tribuns, passée au travers de différents filtres successifs, est ressaisie de façon unitaire pour exprimer les considérations de l’annalistique. De façon paradoxale donc, l’historicité de ces poursuites criminelles tribunitiennes est à la fois nulle et totale. Nulle, car il est évident que fort peu des éléments rapportés par la tradition sont fiables. En ce sens, les péripéties dont nous disposons ne sont que des inventions de l’annalistique386. En revanche, en déduire l’inexistence de ce type de procès est impossible, même s’ils furent réinterprétés par le travail des juristes et des antiquaires, qui les recomposèrent en fonction de leur vision de l’économie générale de ces procédures et d’une série de paradigmes interprétatifs. L’historicité des procédures tribunitiennes en soi n’est donc pas niable et trouve son origine dans le contexte politique particulier du début du Ve siècle387. À ce titre, on peut y voir une forme de « justice de Lynch », un tribunal révolutionnaire imposé, à l’image de la fonction tribunitienne tout entière388. C’est de cela que les reconstructions historiographiques étudiées plus haut cherchent à rendre compte.
183La recherche juridique récente a en effet mis en avant le principe de la sacratio pour expliquer la procédure criminelle alto‑républicaine et, en son sein, la procédure tribunitienne. Ce statut plaçait l’accusé dans une situation qui rendait possible la peine et la condamnation389. C’était l’arme initiale permettant au tribun d’agir. L’intérêt de cette analyse est au moins quadruple. Tout d’abord, cette origine éclaire le fonctionnement de l’annalistique. Si elle cherche tant – en particulier Denys d’Halicarnasse – à raccrocher la plupart des procédures tribunitiennes à des offenses à la personne des tribuns, c’est qu’au‑delà des reconstitutions, elle savait que là se trouvait sa seule origine possible, d’où les complexes recompositions visibles dans le cadre du procès de Coriolan. Ensuite, cette analyse s’accorde à ce que l’on peut reconstituer de la sécession de 494 et du serment plébéien. Incontestablement, la création du tribunat reposa sur des bases tant politiques que juridiques qui s’entremêlaient, et le recours à la sacratio contre les ennemis de la plèbe abonde en ce sens. Cette solution s’inscrit en outre bien dans le processus de développement du tribunat de la plèbe dont nous avons vu qu’il ne put être, au moins dans un premier temps, que de type révolutionnaire. À un tel pouvoir, le recours à la sacratio offrait une solution commode et efficace lui permettant d’agir et de s’affirmer dans l’espace de la cité, en dehors des cadres normatifs que le patriciat naissant prétendait imposer. Rappelons aussi que Rome était alors encore une cité en formation du point de vue de ses institutions et de ses normes. Le coup de force des tribuns dans le champ judiciaire doit donc être relativisé car, dans le cadre d’un système en cours de création, il était sans doute plus aisé de s’approprier des portions du pouvoir politique et judiciaire. Enfin, cette solution correspond mieux à ce que l’on peut reconstituer du développement du procès pénal tout en permettant d’y insérer de façon plus satisfaisante les tribuns de la plèbe.
184Les tribuns disposaient donc bien d’un pouvoir de coercition et d’un pouvoir de mise à mort dans des cas spécifiques. La disposition des XII Tables les ayant privés du droit de prononcer des peines capitales, ne restaient que les procès d’amende dont il est certain que les tribuns s’étaient saisis dès avant 451, en raison de leur volonté de ne pas appliquer la peine de mort sans recours à une assemblée populaire et de protéger le droit de prouocatio. Ce lien prouocatio/tribuns est essentiel. Il fut de nature fonctionnelle, et non génétique. Si les tribuns n’ont pas créé la prouocatio, ils permirent son affirmation, ce qui témoigne de leur rôle clef dans l’évolution de la justice capitale au début de la République390. Dès 494, et bien que la loi Valeria de 509 soit un doublet fictif de celle de 300, l’entrée du tribunat de la plèbe sur la scène politique raviva la possibilité de prouocatio ad populum que les rois avaient initiée. Pourquoi ? Parce que la prouocatio était liée au droit d’intercessio et à cette puissance de répression utilisée de façon extensive, ces deux pouvoirs des tribuns qui leur furent reconnus en 494 et qui permettaient le procès devant le peuple391. Les tribuns attaquaient sur la base de la sacratio, puis refusaient de lancer la procédure prévue en ce cas, lui substituant un procès devant le concile de la plèbe, inspiré du procès de perduellio. De la sorte, ils étaient non seulement les défenseurs de la prouocatio, mais aussi les promoteurs d’une forme encadrée de procédure criminelle.
185Sur ces bases juridiques, et en gardant à l’esprit que ces reconstructions témoignent de la substantielle validité d’un processus à la signification historique complexe, plusieurs éléments peuvent être soulignés. Les tribuns eurent une importance centrale non seulement dans le développement des institutions républicaines classiques, mais aussi dans le cadre judiciaire, ce que trahissent les recompositions annalistiques. En effet, l’image transmise des tribuns comme des hommes publics et des orateurs, pour recomposée qu’elle soit, reflète une part de vérité : le rôle joué par ces personnages dans l’édification des mécanismes de la justice criminelle romaine à cette époque, au travers du procès capital tribunitien mis sur pied durant la première moitié du Ve siècle. Au‑delà du modèle juridique qu’ils cherchèrent concrètement à promouvoir en rendant eux‑mêmes la justice, ou en favorisant la participation du peuple à l’exercice de la justice, les tribuns jouèrent aussi un rôle fondamental dans la législation décemvirale par le plébiscite de C. Terentilius Harsa. Il est à peu près certain que cette fonction ne consista pas seulement en l’impulsion originelle – incontestable –, mais qu’elle toucha aussi au contenu des lois des XII Tables, particulièrement en matière pénale, ce qui pourrait se lire dans certaines dispositions392. En outre, comme le souligne M. Humbert, les tribuns « ont répandu l’idée de la compétence naturelle du peuple à prononcer la mort », en y renonçant eux‑mêmes pour leur cas393. Le but premier de la législation décemvirale, motivée par une idéologie conservatrice, fut d’empêcher le concilium plebis de prononcer des sentences capitales. Toutefois, et de façon paradoxale, il n’en demeure pas moins que ce choix eut des répercussions considérables en un sens très différent : la limitation du pouvoir des magistrats du populus. Ce fut donc malgré tout une avancée pour la plèbe et ses tribuns. À l’image de tout ce que nous avons vu jusqu’à présent, cette avancée ne fut pas le fruit d’un programme préétabli et méthodiquement appliqué, même si brique après brique, le résultat finit par faire sens. Au contraire, dans ce cas précis, on peut à nouveau se demander si ce choix tribunitien fut motivé uniquement par de généreuses considérations politiques, ou par le constat que leur pouvoir initial de mise à mort était trop considérable pour être appliqué sans retenue dans la cité. La façon dont ils promurent le procès d’amende au détriment du procès capital pourrait être le fruit d’une appréciation mûrement réfléchie de la situation politique concrète de cette époque, dont ils surent tirer parti. Nous ne disposons malheureusement d’aucun élément pour répondre à cette question.
186Toujours est‑il qu’en réutilisant des structures existantes pour les modifier, les tribuns touchèrent également à la définition du populus. Deux raisons l’expliquent. D’une part, la perduellio est un crime contre la communauté. Même si A. Magdelain estimait que la perduellio ne concerna tout d’abord que les délits contre la plèbe, A. Guarino a montré l’absence de fondement de cette distinction en rappelant que la plèbe prétendit dès le départ parler au nom de la communauté tout entière394. Calquer la forme de procès que l’on promouvait sur le procès de perduellio revenait à affirmer que s’en prendre aux tribuns, c’était s’en prendre à la communauté, et non à la seule plèbe. D’autre part, la procédure comitiale est, quant au fond, indissociable de la notion de souveraineté populaire. Favoriser l’une ne pouvait se faire sans renforcer l’autre. Deux suggestions similaires ont, à ce propos, été avancées par R. Pesaresi : les tribuns de la plèbe seraient à l’origine de la peine d’exil395 et à la source du concept de crimen maiestatis. En effet, on assimile traditionnellement l’atteinte aux tribuns à la perduellio. Toutefois, R. Pesaresi le refuse sur la base de plusieurs arguments : l’antériorité de la perduellio sur le tribunat ; la différence de peine prévue pour les coupables d’atteinte à la sacratio et ceux de perduellio ; le fait qu’il s’agisse d’un délit extérieur à la culture politique de la plèbe, qui aurait été en réalité utilisé par le patriciat. Reprenant une hypothèse de Th. Mommsen396, il préfère voir dans les délits contre les tribuns une atteinte à la maiestas et, donc, l’origine du crimen maiestatis. L’atteinte à la vie des magistrats plébéiens serait en fait une atteinte à l’ensemble de la cité et aurait permis ainsi la définition du crime de majesté397. Son analyse n’est pas totalement satisfaisante (elle l’est davantage pour ce qui concerne l’origine de la peine d’exil), car elle masque la filiation très nette entre les crimes compris dans l’accusation de perduellio et ceux châtiés par les lois de maiestate398.
187Est‑il cependant possible de faire des délits contre les tribuns l’origine du crimen maiestatis ? La notion de maiestas populi Romani fut formée au plus tard en 249 et il est certain qu’elle ne donna pas lieu à des procès avant la loi de L. Appuleius Saturninus en 103399. Par ailleurs, la loi de majesté romaine joue sur le fait que la notion de populus, ambiguë en latin, peut désigner à la fois la collectivité romaine en son ensemble, mais aussi, comme le dit J.‑L. Ferrary, « la masse des citoyens par opposition au Sénat400 ». C’est en ce sens qu’elle fut comprise par ses promoteurs à la fin du IIe siècle et il est imprudent de le reporter sur les premiers siècles de la République. En revanche, il paraît plus mesuré d’estimer que les tribuns poussèrent à l’élaboration d’un nouveau concept de justice populaire impliquant, à terme, une redéfinition du populus, ou de la notion de majesté du peuple romain. Ils le firent en particulier en réutilisant le procès de perduellio. C’est sur ces bases, et en ayant rappelé la filiation de la perduellio et de l’accusation de maiestate qu’il est possible de comprendre comment la loi de majesté, si elle fut inventée dans le contexte propre à la dernière décennie du IIe siècle, peut effectivement être considérée comme l’héritière de ces premiers combats plébéiens. De même que le plébiscite de Volero Publilius jeta, en 471, les fondations théoriques d’une nouvelle assemblée populaire par tribus, l’action judiciaire des tribuns formalisa de nouvelles conceptions juridiques.
188De la sorte, les procès criminels tribunitiens mettent en évidence deux éléments. Le premier concerne à nouveau le rôle central joué par les tribuns de la plèbe dans le développement des institutions républicaines (ici la justice criminelle), même si ses modalités exactes nous échappent par moment. Dans le même temps, ces procès nous conduisent au cœur des représentations historiographiques des tribuns de la plèbe, qu’il convient à présent d’approfondir.
Notes de bas de page
1 On mesurera la portée historiographique de la figure des Gracques au fait que, en 2008, pour célébrer le deux‑mille‑cinq‑centième anniversaire de la première sécession et du serment par lesquels la plèbe donna naissance au tribunat, la poste italienne choisit les Gracques, tribuns trois‑cent‑soixante ans plus tard, pour illustrer l’événement. Voir aussi David 1993.
2 Kunkel 1962, p. 21‑45.
3 J’entends par « procédure criminelle ». la partie de la procédure pénale qui concerne les délits les plus graves, où l’accusé encourt la peine capitale. Soulignons ici que crimen désigne d’abord, en latin, l’accusation et seulement dans un deuxième temps la faute dont on est accusé. C’est le terme delictum qui désigne de façon plus générale le délit entendu au sens large comme un fait illicite. L’emploi de ces termes par le droit pénal romain est plutôt tardif : voir Mommsen 1907 (1899), 1, p. 8‑15. J’emploie donc ici « délit » pour désigner une infraction au sens large, réservant « crime » aux délits publics. Rappelons aussi qu’en droit romain, la distinction essentielle se fait entre délits publics (qui lèsent la communauté politique en son ensemble et font l’objet d’un iudicium publicum) et délits privés (qui concernent des litiges entre individus et font l’objet d’un iudicium priuatum). Les premiers dépendaient de procédures particulières (dont les quaestiones perpetuae furent l’aboutissement aux IIe‑Ier siècles) tandis que les seconds se traitaient suivant une procédure civile devant le préteur (celle des actions de la loi, remplacée ensuite par la procédure formulaire). Sur tout cela, voir David 1992, p. 4‑43 et Santalucia 1998, p. 29‑188.
4 La littérature sur cette affaire est immense. Outre le toujours intéressant Bloch 1881, on consultera Lovisi 1999, p. 52‑53 et p. 224 ; David 2001a ; David 2001b et Freyburger 2001 où l’on trouvera l’essentiel de la bibliographie. On y ajoutera, depuis, Hull 2003 ; Pesaresi 2005, p. 10‑34 ; Piel 2006 ; Kefallonitis 2008 et Rivière 2013, p. 8‑13.
5 D.H., 7, 21, 3 ; 7, 26, 4 ou 7, 44, 1 p. ex. Le témoignage de D.H., 7, 21, 3 et 8, 5, 5 semble même indiquer que, pour la tradition, l’abolition des concessions faites à la plèbe en 494 était une obsession de Coriolan, candidat malheureux au consulat. On retrouve les mêmes idées chez Plut., Cor., 16. D.H., 7, 22‑24 reconstruit également un long discours de Coriolan dans lequel ce dernier défend ses idées. Voir aussi D.C., 5, 18, 5 Boissevain.
6 Voir David 2001b.
7 Liv., 2, 35, 2‑6.
8 D.H., 7, 38, 1. On retrouve les mêmes noms chez Plut., Cor., 13, 1. Toutefois, comme il suit tout au long de l’affaire la narration de Denys d’Halicarnasse, cette identité de nom n’est guère surprenante.
9 Liv., 2, 35, 3.
10 Liv., 2, 35, 3‑6.
11 D.H., 7, 26, 1‑3 et Plut., Cor., 17, 5‑6 qui mentionnent des actes de violence contre des appariteurs des tribuns et des édiles de la plèbe.
12 Voir le long discours qui lui est attribué par D.H., 7, 28‑32.
13 D.H., 7, 34.
14 D.H., 7, 35, 3‑4.
15 D.H., 7, 36.
16 D.H., 7, 38, 1‑2.
17 D.H., 7, 38, 2‑4.
18 D.H., 7, 39 et Vir. ill., 19, 3 qui ne mentionne que ce tribun.
19 Cette accusation d’adfectatio regni se trouve dans toutes les sources sauf Liv., 2, 35 et Vir. ill., 19, 3. Notons que Tite‑Live ne fournit aussi aucune indication quant au type de comice judiciaire employé. D.H., 7, 59, 2 souligne que ce serait la première assemblée par tribus tenue à Rome. Sur l’impossibilité d’une assemblée tribute du populus à cette date voir supra p. 293-307.
20 D.H., 7, 63 et Plut., Cor., 20, 5‑7.
21 La condamnation à l’exil est mentionnée chez D.H., 7, 64, 5‑6 ; Plut., Cor., 20, 7 ; D.C., 5, 18, 5 Boissevain et Zonar., 7, 16. Liv., 2, 35, 6 et Vir. ill., 19, 3 le font s’exiler lui‑même avant la condamnation. D.H., 7, 64, 6 précise que neuf tribus se prononcèrent en faveur de l’acquittement.
22 En témoigne, chez D.H., 7, 59, le débat invraisemblable sur le vote par centuries ou par tribus.
23 Liv., 2, 35, 2.
24 D.H., 7, 65, 1 : Αὕτη πρώτη κατ’ ἀ????? ????????? ?????????? ??? ??? νδρὸς πατρικίου πρόσκλησις εἰς τὸν δῆμον ἐγένετο ἐπὶ δίκῃ. καὶ ἀπ’ ἐκείνου τοῦ χρόνου τοῖς ὕστερον λαμβάνουσι τὴν τοῦ δήμου προστασίαν ἔθος κατέστη καλεῖν οὓς δόξειε τῶν πολιτῶν δίκην ὑφέξοντας ἐπὶ τοῦ δήμου.
25 Rivière 2013, p. 10‑11.
26 Les versions de Liv., 2, 35, 6 et Vir. ill., 19, 3 sont ici plus exactes.
27 David 2001b, p. 252‑256 (la citation se trouve p. 256).
28 Humbert 1995, p. 169 (= Humbert 2013, p. 245‑246).
29 Ce qui ne doit guère surprendre au vu des divergences déjà mises en avant entre Tite‑Live et Denys d’Halicarnasse à propos de la loi agraire de Sp. Cassius. Pour les procès où nous disposons de ces deux sources, Denys est souvent plus développé et rapporte des anecdotes absentes du récit de Tite‑Live.
30 D.H., 7, 25, 2.
31 Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 252‑260.
32 Mommsen 1870 (= Mommsen 1879, p. 113‑152).
33 Pesaresi 2005, p. 13‑19.
34 Ibid., p. 30‑31. Voir infra sur Denys d’Halicarnasse.
35 David 2001b, p. 256‑267. Voir aussi les idées exprimées dans David 1993.
36 Sur cette affaire, on consultera Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 229‑230 ; Rein 1962 (1844), p. 485 ; Laboulaye 1845, p. 104 ; Zumpt 1865a, p. 266‑267 ; Schwegler 1870, p. 530, p. 533 et p. 752‑753 ; Huschke 1874, p. 166 ; Lange 1876, p. 606 ; Lange 1879, p. 533‑534 ; Pais 1918b, p. 67 et p. 94 ; Niccolini 1934a, p. 12‑13 ; Brecht 1938, p. 286 ; Ridley 1980b, p. 347 ; Venturini 1981 ; Humbert 1995, p. 170‑171 (= Humbert 2013, p. 246‑248) ; Lovisi 2006, p. 47‑48 et p. 51‑52 ; Cavaggioni 2010, p. 249‑256 et Rivière 2013, p. 16.
37 D.H., 9, 23, 2 et 9, 27 ou Liv., 2, 52, 3‑5.
38 D.H., 9, 27, 2‑4 et Liv., 2, 52, 5. Ils précisent qu’il s’agissait d’une somme assez élevée pour l’époque et Denys ajoute que la condamnation se fit devant les comices tributes.
39 Venturini 1981, p. 182‑187. Idée reprise sans référence à C. Venturini par Cavaggioni 2010, p. 251.
40 D.H., 9, 27, 1.
41 D.H., 9, 26.
42 D.H., 9, 25, 1‑3.
43 D.H., 9, 27, 4‑5.
44 Liv., 2, 48, 1‑3 et Lovisi 2006, p. 48, n. 16. Rappelons, cependant, que cette tentative est d’historicité incertaine et pourrait, selon l’hypothèse de Richardson 2012, p. 75‑77, être tout simplement liée à l’image traditionnelle des Fabii. Même dans ce cas, il est notable que nos sources concernant les rapports entre les Fabii et la plèbe pour les années 480‑479 témoignent d’une amélioration sensible de ces relations. Mentionnons aussi Liv., 3, 1, 1-2 qui fournit un autre exemple de patricien partisan d’une distribution de terres à la plèbe.
45 D.C., 5, 21, 3 Boissevain qui utilise le verbe πενθέω pour rendre la tristesse des plébéiens. Cette partie du texte de l’historien grec ne nous étant parvenue que sous forme fragmentaire, tout le raisonnement suppose que les parties perdues ne mentionnaient pas plus cette question agraire que les tribuns, ce qui n’est pas certain.
46 D.H., 9, 27, 5.
47 Sur cette affaire, on pourra consulter Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 230 ; Rein 1962 (1844), p. 485 ; Laboulaye 1845, p. 104 ; Zumpt 1865a, p. 267 ; Schwegler 1870, p. 531‑533 et p. 753 ; Huschke 1874, p. 166 ; Lange 1876, p. 606 ; Lange 1879, p. 534‑535 ; Pais 1918b, p. 46 et p. 194 ; Niccolini 1934a, p. 13 ; Brecht 1938, p. 287 ; Ridley 1980b, p. 347 ; Humbert 1995, p. 170‑171 (= Humbert 2013, p. 246‑248) ; Cavaggioni 2010, p. 257‑263 et Rivière 2013, p. 17.
48 Liv., 2, 52, 6 à 8 et D.H., 9, 28 à 9, 33.
49 D.H., 9, 28, 1‑2, le verbe utilisé est παρακαλέω.
50 D.H., 9, 28.
51 Ce discours est entièrement rapporté par D.H., 9, 29‑32.
52 D.H., 9, 33, 3, pour qui le procès se tint devant des comices tributes puisqu’aucune tribu ne se prononça pour la condamnation et Liv., 2, 52, 6‑8.
53 D.H., 9, 28, 1.
54 D.H., 9, 31, 1.
55 Voir Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 230‑232 ; Rein 1962 (1844), p. 485‑486 ; Laboulaye 1845, p. 104 ; Zumpt 1865a, p. 267‑268 ; Schwegler 1870, p. 480‑482, p. 531‑532 et p. 536 ; Huschke 1874, p. 166 ; Lange 1876, p. 613‑614 ; Lange 1879, p. 535 ; Pais 1918b, p. 94 ; Niccolini 1934a, p. 13‑14 ; Brecht 1938, p. 195, n. 3 et p. 283‑284 ; Ridley 1980b, p. 347 ; Giovannini 1983, p. 553 ; Salerno 1990, p. 74‑76 ; Humbert 1995, p. 170‑171 (= Humbert 2013, p. 246‑248) ; Lovisi 1999, p. 53, p. 225 et p. 260 et Rivière 2013, p. 17.
56 Sur cet aspect particulier et le décret sénatorial, voir supra p. 372-373.
57 Voir supra p. 378-379. Il va sans dire que les péripéties présentes chez Denys d’Halicarnasse ne se justifient pas plus que ne se justifie son interprétation du vote de la loi de Sp. Cassius avec le recours à un décret sénatorial.
58 Liv., 2, 54, 2‑10 et D.H., 9, 37‑38 et 10, 38, 4.
59 Sur cette affaire, on consultera Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 247‑248 ; Geib 1842, p. 32 ; Rein 1962 (1844), p. 486 ; Laboulaye 1845, p. 99 et p. 104 ; Zumpt 1865a, p. 269‑270 ; Schwegler 1870, p. 567‑568 ; Huschke 1874, p. 167 ; Lange 1879, p. 535 ; Pais 1918b, p. 78 et p. 192 ; Niccolini 1934a, p. 16‑17 ; Brecht 1938, p. 284 ; Ridley 1980b, p. 347 ; Serrao 1981c, p. 82‑83 ; Salerno 1990, p. 76‑77 ; Humbert 1995, p. 169‑170 (= Humbert 2013, p. 246‑247) ; Lovisi 1999, p. 53 et p. 225 ; Pesaresi 2005, p. 34‑38 et Rivière 2013, p. 18.
60 Voir supra p. 281-308 sur l’action de ce tribun.
61 D.H., 9, 52‑53 et Liv., 2, 61, 1‑2.
62 D.H., 9, 54, 2.
63 D.H., 9, 44, 1.
64 D.H., 9, 54, 2.
65 D.H., 9, 54 et Liv., 2, 61.
66 Liv., 2, 61, 7‑8.
67 D.H., 9, 54, 4‑5.
68 Zonar., 7, 17.
69 Le grec στρατηγός désigne en général le préteur romain (Mason 1974, p. 86‑87), néanmoins, dans ce contexte, il renvoie au commandant en chef, voire au consul si l’on rappelle ce qui a été vu de la création de cette fonction au début de la République (voir supra p. 36-37 et p. 330). La suite du passage ne laisse d’ailleurs aucun doute sur ce point puisqu’il y est dit que la foule aurait retourné leurs faisceaux contre ces préteurs et les aurait soumis à accusation.
70 Il fait ici référence au plébiscite de Volero Publilius en 471, suivant une chronologie inexacte. Voir supra p. 282.
71 Sur cet aspect des Claudii, voir Wiseman 1979a, p. 57‑139.
72 Cette affaire a engendré une littérature importante. Voir Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 298‑304 ; Geib 1842, p. 32 ; Rein 1962 (1844), p. 486 ; Laboulaye 1845, p. 99 ; Zumpt 1865a, p. 200‑201, p. 217‑219 et p. 270‑275 ; Schwegler 1870, p. 576‑577 ; Huschke 1874, p. 167‑168 ; Lange 1876, p. 605‑606 ; Lange 1879, p. 535‑537 ; Greenidge 1971 (1901), p. 327‑328 ; Strachan‑Davidson 1912, 1, p. 160‑161 ; Pais 1918b, p. 209‑210 ; Piganiol 1920 (= Piganiol, 1973, p. 203‑228) ; Niccolini 1932, p. 73 ; Niccolini 1934a, p. 19‑20 ; Brecht 1938, p. 166, n. 2 et p. 284‑285 ; Brecht 1939, p. 281‑283 ; Daube 1941 ; Steinwenter 1948, col. 2063 ; Bleicken 1959a, p. 351, n. 57 ; Crifò 1961, p. 136‑144 ; Kunkel 1967c (= Kunkel 1974, p. 111‑116) ; Lintott 1970, p. 25 ; Ranouil 1975, p. 169, n. 3 ; Ridley 1980b, p. 347‑348 ; Giovannini 1983, p. 560 ; Humbert 1995, p. 169‑170 (= Humbert 2013, p . 246‑247) ; Lovisi 1999, p. 53 et p. 225 ; Pesaresi 2005, p. 39, n. 127 et Rivière 2013, p. 13‑16.
73 D.H., 10, 5, 1‑2.
74 Liv., 3, 11, 8. Voir, dans le même sens, D.H., 10, 6.
75 D.H., 10, 5, 3.
76 D.H., 10, 6, 1.
77 D.H., 10, 7.
78 D.H., 10, 8, 1.
79 D.H., 10, 8, 3‑5. La suite de la carrière du jeune homme n’est pas connue avec certitude. À en croire D.H., 10, 9, 6‑7, en 460, des rumeurs firent état, à Rome, de ce que le jeune homme aurait pu trouver refuge chez les èques et les Volsques et devenir leur chef. Ce sont cependant là de simples suppositions rapportées par Denys et elles ne donnent aucune indication réelle sur l’histoire de Quinctius. Elles ne font en outre que répéter l’histoire de Coriolan, ce qui les rend très suspectes. À l’inverse, Liv., 3, 25, 3 laisse supposer qu’il mourut en exil, avant 458. Enfin, Cic., dom., 86 indique qu’il fut rétabli dans sa dignité sans préciser les modalités de cette opération.
80 Liv., 3, 11‑13.
81 Liv., 3, 11, 3‑6.
82 Sauf en 456. Voir supra p. 308-312.
83 Liv., 3, 12, 1‑8. Tite‑Live utilise le verbe prehensare.
84 Liv., 3, 11 à 3, 13. Tite‑Live écrit bien in exsilium abiit.
85 Cic., dom., 86.
86 Vir. ill., 17, 1.
87 Cet aspect fut interprété par Kunkel 1967c (= Kunkel 1974, p. 111‑116) comme la preuve de l’existence d’un procès capital privé au Ve siècle, avant la législation décemvirale. Ce procès nous montre aussi la première introduction de la procédure des garants. Voir Mommsen 1907 (1899), 1, p. 384, n. 1 et Rivière 2013.
88 Humbert 1995, p. 171‑173 (= Humbert 2013, p. 249‑250). Sur le procès de M. Volscius Fictor, voir aussi Zumpt 1865a, p. 293‑295.
89 Sur cette affaire, on consultera Rein 1962 (1844), p. 487 ; Zumpt 1865a, p. 277‑278 ; Zumpt 1865b, p. 29 ; Huschke 1874, p. 168 et p. 195‑198 ; Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 1, p. 180‑181 ; Mommsen 1907 (1899), 1, p. 55, n. 2 et 3, p. 360, n. 2 ; Strachan Davidson 1912, 1, p. 185‑187 ; Niccolini 1932, p. 135 ; Niccolini 1934a, p. 25‑26 ; Brecht 1938, p. 188, n. 3 et p. 285, n. 2 ; Lintott 1970, p. 25 ; Serrao 1981c, p. 175 ; Humbert 1988, p. 501, n. 199 (= Humbert 2013, p. 229, n. 199) ; Salerno 1990, p. 77‑80 ; Santalucia 1998, p. 42 et n. 41 ; Lovisi 1999, p. 225 ; Pesaresi 2005, p. 47‑50 et Lovisi 2006, p. 48 et p. 52‑53.
90 D.H., 10, 35, 5 et 10, 36, 1 pour un couplage explicite des deux mesures.
91 D.H., 10, 33.
92 D.H., 10, 33, 6 et 10, 39, 1.
93 D.H., 10, 34, 1‑2 et 10, 35, 1‑2.
94 D.H., 10, 35, 4‑5.
95 D.H., 10, 36‑39.
96 D.H., 10, 40.
97 D.H., 10, 41.
98 D.H., 10, 42, 2‑4. Schwegler 1870, p. 603‑604, voulut voir dans cette accusation une référence plus précise au plébiscite de Auentino publicando parfois compris comme une lex sacrata, mais son argumentation n’est guère convaincante.
99 D.H., 10, 42.
100 Voir aussi D.H., 10, 43, 3 pour un rappel de cette radicalité.
101 Ce récit est celui de Liv., 3, 31. Sur cette affaire, voir Rein 1962 (1844), p. 487 ; Laboulaye 1845, p. 106 ; Zumpt 1865a, p. 275‑279 ; Schwegler 1870, p. 604‑605 et p. 730 ; Huschke 1874, p. 168 ; Pais 1918b, p. 18‑19 et p. 50‑51 ; Niccolini 1934a, p. 26‑27 ; Ridley 1980b, p. 348 ; Humbert 1995, p. 169‑170 (= Humbert 2013, p . 246‑247) ; Pesaresi 2005, p. 44‑47 et Lovisi 2006, p. 48 et p. 53‑54.
102 D.H., 10, 33, 3‑4 et 10, 49, 1.
103 D.H., 10, 34, 1 et 10, 35.
104 Voir le récit de la campagne dans D.H., 10, 44‑45 et 10, 49, 1.
105 D.H., 10, 52, 3.
106 D.H., 10, 48‑49 et 10, 52, 2.
107 Plin., nat., 7, 102.
108 Pesaresi 2005, p. 44‑47.
109 Là aussi, la littérature est imposante. On se reportera à Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 371‑376 ; Geib 1842, p. 32 ; Rein 1962 (1844), p. 487 ; Zumpt 1865b, p. 31‑36 ; Schwegler 1872, p. 87‑90 ; Lange 1876, p. 635‑636 ; Pais 1918b, p. 210 ; Niccolini 1934a, p. 31‑32 ; Brecht 1938, p. 166, n. 2 et p. 285 ; Brecht 1939, p. 283 ; Magdelain 1973, p. 416‑417 (= Magdelain 2015, p. 512) ; Ridley 1980b, p. 348 ; Giovannini 1983, p. 553‑554 ; Pesaresi 2005, p. 50‑59 et Rivière 2013, p. 19‑21.
110 D.H., 11, 46.
111 D.H., 11, 46, 3 ; 11, 48, 4 et 11, 49, 3. Voir Rivière 2013, p. 20.
112 Schol. Iuv. ad. Sat., 10, 294 et Vir. ill., 21, 3.
113 Liv., 3, 56, 3‑5.
114 Liv., 3, 56, 6‑13.
115 Liv., 3, 58, 1‑4.
116 Liv., 3, 58, 6.
117 Pesaresi 2005, p. 50‑59.
118 Sur ces autres affaires, voir Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 376‑377 ; Rein 1962 (1844), p. 487 ; Zumpt 1865b, p. 37‑39 ; Schwegler 1872, p. 90‑91 ; Lange 1876, p. 635‑636 ; Pais 1918b, p. 146‑147 ; Niccolini 1934a, p. 31‑32 ; Brecht 1938, p. 285 ; Crifò 1961, p. 154‑161 ; Ridley 1980b, p. 348 et Pesaresi 2005, p. 50‑59.
119 D.H., 11, 46, 4 et Liv., 3, 58, 7‑9.
120 D.H., 11, 46, 5.
121 Liv., 3, 58, 9‑10.
122 D.H., 11, 46, 4.
123 Liv., 3, 58, 9‑10.
124 Rivière 2013, p. 20.
125 D.H., 11, 46, 5 et Liv, 3, 59, 1‑5.
126 Liv., 3, 66, 2‑3. Voir Lovisi 2006, p. 48.
127 Voir Liv., 4, 11, 5‑7 et supra p. 141 et p. 423-424. Sur cette affaire, voir Zumpt 1865b, p. 306 ; Lange 1879, p. 541 ; Niccolini 1934a, p. 35 ; Crifò 1961, p. 194‑197 ; Ridley 1980b, p. 348 et Lovisi 2006, p. 48.
128 Cic., dom., 86 et Liv., 4, 21, 1‑5. Sur cette affaire, voir Rein 1962 (1844), p. 487‑488 ; Zumpt 1865b, p. 376‑378 ; Schwegler 1872, p. 149, n. 3 et p. 159 ; Pais 1918b, p. 119‑120 ; Niccolini 1932, p. 73‑74 ; Niccolini 1934a, p. 37 ; Brecht 1938, p. 166, n. 2 et p. 282, n. 1 ; Ridley 1980b, p. 348 ; Pesaresi 2005, p. 118‑119 ; Lovisi 2006, p. 49 et Rivière 2013, p. 22‑23. Voir aussi la notice prosopographique de Sp. Maelius.
129 Liv., 4, 21 ; Paris, 5, 3, 2g et Val. Max., 5, 3, 2g.
130 Cic., dom., 86.
131 Rivière 2013, p. 23.
132 Sur la série de procédures impliquant C. Sempronius Atratinus et d’autres consulaires, on consultera Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 453‑454 ; Rein 1962 (1844), p. 488‑489 ; Laboulaye 1845, p. 107 ; Zumpt 1865b, p. 306‑307 ; Schwegler 1872, p. 159‑160 ; Lange 1879, p. 541 ; Pais 1918b, p. 22‑23, p. 52, p. 97‑98, p. 103 et p. 163‑164 ; Niccolini 1934a, p. 39‑42 ; Ridley 1980b, p. 348 ; Lovisi 2006, p. 49 ; Cavaggioni 2010, p. 263‑272.
133 Liv., 4, 40, 4.
134 Liv., 4, 40, 4 à 4, 41, 12.
135 Liv., 4, 41, 10‑12.
136 Liv., 4, 42, 3 à 10 et Val. Max., 6, 5, 2.
137 Pais 1898, p. 614.
138 Liv., 4, 44.
139 Sur cette affaire, voir Rein 1962 (1844), p. 489 ; Laboulaye 1845, p. 107 ; Zumpt 1865b, p. 307 ; Schwegler 1872, p. 210‑211 ; Lange 1879, p. 542 ; Pais 1918b, p. 71‑72, p. 134 et p. 136 ; Niccolini 1934a, p. 47‑48 ; Ridley 1980b, p. 348‑349 ; Lovisi 2006, p. 49 ; Cavaggioni 2010, p. 272‑276.
140 Liv., 5, 11, 4 à 5, 12, 2.
141 Sur cette affaire, voir Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 487‑490 ; Geib 1842, p. 32 ; Zumpt 1865b, p. 308‑310 ; Schwegler 1872, p. 173‑174 ; Lange 1879, p. 542 ; Pais 1918b, p. 30‑32 ; Niccolini 1932, p. 74 ; Niccolini 1934a, p. 50‑51 ; Ridley 1980b, p. 349 ; Rivière 2013, p. 22‑23.
142 Liv., 5, 32, 7 à 9.
143 D.H., 13, 5.
144 Sur cette affaire, voir Zumpt 1865b, p. 338 ; Pais 1918b, p. 125 ; Niccolini 1934a, p. 51‑52 ; Brecht 1938, p. 287 ; Ridley 1980b, p. 349 ; Pesaresi 2005, p. 117.
145 Liv., 6, 1, 6 à 8.
146 Pesaresi 2005, p. 117.
147 La sédition de M. Manlius Capitolinus et son procès ont suscité une abondante bibliographie depuis l’étude fondatrice de Mommsen 1871, p. 228‑271 (= Mommsen 1879, p. 153‑220). Outre des ouvrages anciens comme Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 582‑592, Geib 1842, p. 33, Rein 1962 (1844), p. 489‑490 ou Zumpt 1865b, p. 379‑386, mentionnons les études les plus importantes qui sont revenues sur cette question, et en particulier Barbagallo 1912 ; Niccolini 1932, p. 74‑75 ; Niccolini 1934a, p. 54 ; Gagé 1953, p. 45‑55 ; Bayet 1966, p. 107‑126 ; Bauman 1969 ; Lintott 1970 ; Magdelain 1973, p. 410 (= Magdelain 2015, p. 505) ; Seager 1977 ; Wiseman 1979b (= Wiseman 1987, p. 225‑243) ; Valvo 1980 ; Lipovsky 1981, p. 33‑38 ; Martin 1982, p. 339‑344, p. 351‑354 et p. 367‑372 ; Valvo 1982 ; Valvo 1983 ; Rodriguez‑Ennes 1984 ; Valvo 1984 ; Jaeger 1993 ; Cels‑Saint‑Hilaire 1995, p. 242‑247 ; Oakley 1997, p. 476‑493 qui fait un point très complet sur l’affaire, même s’il oublie l’ouvrage de J. Cels‑Saint‑Hilaire ; Rivière 2013, p. 23‑28.
148 Le récit principal sur ces aspects se trouve chez Liv., 6, 11, 2‑10. L’historien latin précise même, de façon significative, que Manlius passa du côté des populares (Liv., 6, 11, 7).
149 Liv., 6, 12‑13.
150 Liv., 6, 14, 2 à 6, 16, 4.
151 Liv., 6, 17, 6.
152 Liv., 6, 18, 1 à 6, 20, 16.
153 Gell., 17, 21, 24. Voir sur cette version Oldfather 1908, p. 68 et Cantarella 2011, p. 218‑219.
154 D.S., 15, 35, 3.
155 Gell., 17, 21, 24.
156 Liv., 6, 19, 5‑7 et 6, 20, 1‑14.
157 Val. Max., 6, 3, 1a et Paris, 6, 3, 1a.
158 Vir. ill., 24.
159 Plut., Cam., 36, 2‑9.
160 D.C., 7, 26, 1‑3 Boissevain.
161 Zonar., 7, 23.
162 Ce point est fort disputé. Voir Brecht 1938, p. 153 et p. 282 ; Magdelain 1973 (= Magdelain 2015, p. 500‑518) ; Lintott 1970 et Ranouil 1975, p. 171‑172.
163 Wiseman 1979b, p. 45‑46 (= Wiseman 1987, p. 238‑239), avec la bibliographie.
164 Liv., 6, 20, 10. Notons que Plut., Cam., 36, 5‑6 situe la scène initiale au forum.
165 Sur la localisation de ce bois, voir Coarelli 1996d avec la bibliographie. Notons que Palmer 1970, p. 151 propose une interprétation du nom de ce bois en rapport avec la lignée plébéienne des Poetelii. Le bois tiendrait son nom du territoire de la curia Poetelia qui se serait située plus ou moins à cet emplacement.
166 Rivière 2013, p. 24.
167 Contra cependant, Gagé 1953, p. 45‑55 qui refuse l’idée des comices tributes et pense à l’utilisation d’une procédure de jugement archaïque latine. Contra également Rivière 2013, p. 28. L’hypothèse du glissement à un vote par tribus se trouve chez Coarelli 1996d. Voir aussi Mommsen 1864, p. 170-172, n. 2.
168 Voir supra p. 180-185. Liv., 6, 19, 4 le montre bien.
169 Cels‑Saint‑Hilaire 1995, p. 242‑247.
170 Oakley 1997, p. 490‑492.
171 Wiseman 1979b, p. 47‑48 (= Wiseman 1987, p. 240‑241), repris par Rivière 2013, p. 24.
172 Rein 1962 (1844), p. 490 ; Laboulaye 1845, p. 109 ; Zumpt 1865b, p. 339 ; Pais 1918b, p. 165 ; Niccolini 1934a, p. 62‑63 ; Ridley 1980b, p. 349 ; Pesaresi 2005, p. 117‑118.
173 App., Samn., 2 ; Cic., off., 3, 112 ; Liv., 7, 3, 9 ; 7, 4 et 7, 5 ; Paris, 5, 4, 3 et 6, 9, 1 ; Sen., benef., 3, 37, 4 ; Val. Max., 5, 4, 3 et 6, 9, 1 ; Vir. ill., 28 et Zonar., 7, 24.
174 D.H., 16, 4 (= 18, F Pittia) ; Paris, 6, 1, 11 ; Val. Max., 6, 1, 11. Voir la notice de L. Cominius. Pour la bibliographie, voir Zumpt 1865b, p. 340 ; Pais 1918b, p. 66 ; Niccolini 1934a, p. 390 ; Brecht 1938, p. 196, n. 3, p. 261, n. 3 et p. 302, n. 5 et Pesaresi 2005, p. 120.
175 Liv., 10, 37, 10 et Denys d’Halicarnasse 2002, p. 256‑257.
176 Zumpt 1865b, p. 310‑312 ; Pais 1918b, p. 182 ; Niccolini 1934a, p. 79‑80 et Ridley 1980b, p. 349.
177 Loreto 1991a, p. 72‑74 propose toutefois que Postumius ait été alors acquitté.
178 D.C., 8, 36, 32 ; D.H., 18, 5 (= 18, B Pittia) et Liv., perioch., 11, 4.
179 Denys d’Halicarnasse 2002, p. 257.
180 Sur cette affaire, on consultera Rein 1962 (1844), p. 489 ; Laboulaye 1845, p. 108 ; Zumpt 1865b, p. 307‑308 ; Lange 1879, p. 542 ; Niccolini 1934a, p. 49‑50 ; Ridley 1980b, p. 349 et Lovisi 2006, p. 48‑49.
181 Liv., 5, 25, 1‑2.
182 Liv., 5, 29, 6‑8.
183 L’étude des phénomènes de reconstruction dans l’historiographie romaine a donné lieu à une abondante littérature scientifique. Signalons en particulier Bayet 1931‑1932 ; Dumézil 1952 (= Dumézil 1980, p. 179‑192) ; Hanell 1956 ; Momigliano 1960a ; Momigliano 1965 ; Badian 1966 ; Gabba 1967 (= Gabba 2000, p. 25‑50) ; Bickerman 1969 ; Heurgon 1971a ; Meyer 1972 ; Wiseman 1979a ; Gabba 1981 ; Momigliano 1983 ; Wiseman 1983 ; Grandazzi 1990 ; Momigliano 1992 ; Wiseman 1993 ; Wiseman 1994 ; Gärtner 1999 ; Ungern‑Sternberg 2005.
184 La simple partition de Stuveras 1964 entre patriciens extrémistes, patriciens modérés et tribuns de la plèbe n’est donc pas assez précise.
185 Sur ces aspects, voir infra p. 551-598.
186 D.H., 10, 34, 1‑2 et 10, 35, 1‑2. Sur l’expression grecque employée, dérivée du verbe ταράσσω (remuer, agiter), voir infra p. 557-558.
187 D.H., 10, 35, 3.
188 Voir supra p. 6 et p. 15.
189 D.H., 10, 42, 2.
190 La traduction par livres et as (reprise à la traduction française de G. Baillet) pourrait induire en erreur sur la similitude des montants. Les textes latins et grecs sont toutefois plus nets. 476 : 2 000 as (δισχιλίων ἀριθμὸς ἀσσαρίων et duo milia aeris) ; 454 : 10 000 as (ἀσσάρια μυρία et decem milibus aeris) et 15 000 as (τίμημα δὲ καὶ ἐκείνῳ ἐπεγέγραπτο ἀργυρικόν, ἡμιόλιον θατέρου et quindecim) ; 423 : 10 000 livres (decem milibus aeris grauis) ; 420 : 15 000 livres (quindecim milibus aeris) ; 401 : 10 000 livres (denis milibus aeris grauis) ; 393 : 10 000 as (denis milibus grauis aeris) ; 391 : 15 000 as (quindecim milibus grauis aeris) ou 100 000 as (δέκα μυριάσιν <ἀσσαρίων>) ; 291 : 50 000 pièces d’argent (πέντε μυριάδας ἀργυρίου).
191 Sur cette loi, voir infra p. 540-543.
192 D.H., 9, 27, 3‑4.
193 Kunkel 1962, p. 35, n. 113 ; Gagé 1964b, p. 566‑567 (= Gagé 1977, p. 417‑418) ; Kajanto 1965, p. 82 et p. 319 et Lovisi 1999, p. 293.
194 Kajanto 1965, p. 89, p. 118‑119 et p. 335.
195 Cic., div. in Caec., 48. Sur Alienus, voir David 1992, p. 777‑778.
196 Ranouil 1975, p. 99.
197 Liv., 3, 58, 7‑9.
198 D.H., 6, 26 et Liv., 2, 23, 2‑10.
199 Cic., de orat., 2, 124, 188, 194‑196 et Liv., perioch., 70.
200 Sur l’épisode, voir supra p. 482-483.
201 Val. Max., 5, 4, chapitre intitulé : De pietate erga parentes et fratres et patriam (voir Lehmann 1998).
202 Liv., 8, 7.
203 D.H., 2, 26, 6.
204 D.H., 8, 79, 2.
205 Rivière 2013, p. 15‑16 et p. 43‑44.
206 Bauman 1974, p. 248‑250.
207 Ranouil 1975, p. 193‑194.
208 Quint., inst., 5, 13, 24.
209 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896) 1, p. 180‑181 ; Mommsen 1907 (1899), 1, p. 55, n. 2 et 3, p. 360, n. 2 ; Strachan Davidson 1912, 1, p. 185‑187 ; Niccolini 1932, p. 135 ; Brecht 1938, p. 188, n. 3 ; Humbert 1988, p. 501, n. 199 (= Humbert 2013, p. 229, n. 199) et Santalucia 1998, p. 42 et n. 41. Contra, sur une ligne plus favorable à la tradition et en faveur d’un jugement avant la consecratio, Zumpt 1865a, p. 277‑278 ; Zumpt 1865b, p. 29 ; Huschke 1874, p. 195‑198 ; Serrao 1981c, p. 175 et Pesaresi 2005, p. 48‑49.
210 Salerno 1990, p. 79‑80 et Santalucia 1990, p. 217.
211 Mommsen 1907 (1899), 3, p. 358‑365.
212 D.H., 6, 89, 3 ou Liv., 3, 55, 7 (à propos des dispositions de 449 qui reprennent et réaffirment la loi sacrée de 494 après la chute du décemvirat). Notons que Humbert 1995, p. 169 (= Humbert 2013, p. 246) déclarait que la tradition n’avait gardé aucun exemple de consecratio (capitis ou bonorum) avant 451, ce qui est faux puisqu’il y a au moins ce cas.
213 Voir supra p. 171-180.
214 Voir supra p. 167 et p. 474.
215 Voir supra p. 477-482.
216 Liv., 8, 19‑20.
217 Rivière 2013, p. 22‑23 s’est aussi attaché à montrer comment plusieurs procès du Ve siècle ont servi de précédent à Cicéron dans l’écriture de ce discours.
218 Voir Allen 1944 ; Picard 1965 et Berg 1997. Sur la localisation exacte de la maison, voir Krause 2004.
219 Gaius, inst., 2, 1‑10 et Thomas 2002, la citation se trouve p. 1434. Voir aussi Crawford 1989.
220 Thomas 2002, p. 1437. Voir aussi, pour des idées similaires, Salerno 1990, p. 14‑19.
221 D.H., 12, 4, 6.
222 Cic., inv., 1, 48 ; Fest., p. 358 L., s.v. Religionis ; Gell., 7, 16, 11 ; Liv., 43, 16 et Val. Max., 6, 5, 3.
223 Cic., dom., 123 et Plin., nat., 7, 143‑144.
224 Voir le témoignage de Cic., Verr. 2, 3, 81.
225 Voir supra p. 486-487.
226 Alexander 1990, p. 44‑45 n° 86. Voir aussi Ferrary 2009, p. 226 et p. 241‑245 (= Ferrary 2012c, p. 466 et p. 481‑485).
227 Cic., de orat., 2, 108‑109 et 197‑204.
228 Ferrary 2009, p. 241‑245 (= Ferrary 2012c, p. 481‑485).
229 Münzer 1929, col. 2216.
230 Cavaggioni 1998, p. 51‑56.
231 Cic., Balb., 28 ; Cic., de orat., 2, 124 et 197‑200 ; Cic., Brut., 135 ; Cic., Tusc., 5, 14. Voir aussi Rhet. Her., 1, 24.
232 Sur la législation de ce personnage et son histoire on se reportera en particulier à Ferrary 1977 ; Ferrary 1979 ; Ferrary 1983 ; Badian 1984 ; Cavaggioni 1998 ; Ferrary 2009.
233 Cavaggioni 1998, p. 127‑131.
234 Vir. ill., 23.
235 Les sources sur cette mort sont App., BC, 1, 20 ; Cic., Mil., 16 ; Liv., perioch., 59 ; Paris, 5, 3, 2d ; Plin., nat., 10, 123 ; Plut., CG, 10, 5 ; Plut., Rom., 27, 5 ; Oros., 5, 10, 9 ; Schol. Bob. Mil., p. 118 Stangl ; Val. Max., 5, 3, 2d ; Vell., 2, 4, 5‑6 et Vir. ill., 58, 10.
236 Mommsen 1985 (1854), 1, p. 780‑781 se prononce pour le meurtre, tout comme Renard 1932. À l’inverse, Carcopino 1967, p. 88‑126 penche pour une mort naturelle due à une maladie. Astin 1967, p. 241 est beaucoup plus prudent et ne tranche pas.
237 MRR, 2, p. 22 pour les sources.
238 Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 231, n. 472. On peut aussi se demander s’il n’y a pas un rapprochement à faire avec la mort du chef albain Cluilius présentée par D.H., 3, 4, 3 à 3, 5, 2.
239 Sur l’assassinat d’éphialte par Aristonicos de Tanagra, voir Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 68 ; Arist., Const. Ath., 25, 4 ; D.S., 11, 77, 6 ; Ps. Plato, Axiochos, 368d et Plut., Per., 10, 7‑8. L’expression d’ἄκρατος δημοκρατία est tirée de Plut., Cim., 15, 2.
240 App., BC, 2, 119 et Plut., Caes., 67, 4‑6.
241 Sur cet épisode, voir Cic., leg., 3, 20 ; Liv., perioch. 55 ; Val. Max., 3, 7, 3 et son abréviateur Paris, 3, 7, 3.
242 Voir Ranouil 1975, p. 87 et p. 197 ; et Ogilvie 1984, p. 649 qui considère qu’il ne faut peut‑être cependant pas rejeter le fait que Sergius et Verginius auraient été condamnés pour perduellio.
243 Voir Suolahti 1963, p. 269‑271.
244 D.H., 9, 37, 2.
245 Liv., 2, 54, 3‑6.
246 D.H., 9, 46, 1. Voir supra p. 147.
247 Sur ces aspects, voir David 1980, p. 171‑211 et David 1992, p. 553‑556 et p. 597‑598.
248 D.H., 7, 33, 1 : ἔχθιστος ἀνὴρ ἀριστοκρατίᾳ καὶ διὰ τοῦτο προηγμένος ὑπὸ τῶν πολλῶν εἰς ἐπιφάνειαν τήν τε δημαρχικὴν ἐξουσίαν δεύτερον ἤδη παρειληφώς, ἁπάντων ἥκιστα τῶν δημαγωγῶν ἑαυτῷ συμφέρειν ὁμονοῆσαι οἰόμενος τὴν πόλιν καὶ τὸν ἀρχαῖον ἀναλαβεῖν κόσμον. Οὐ γὰρ ὅσον τὰς τιμὰς καὶ τὰς δυνάμεις ἕξειν ἔτι τὰς αὐτὰς ὑπελάμβανεν ἀριστοκρατίας πολιτευομένης, γεγονώς τε κακῶς καὶ τεθραμμένος ἀδόξως καὶ λαμπρὸν οὐθὲν ἀποδειξάμενος οὔτε κατὰ πολέμους οὔτ’ ἐν εἰρήνῃ, ἀλλὰ καὶ περὶ τῶν ἐσχάτων κινδυνεύσειν, ὡς διεστασιακὼς τὴν πόλιν καὶ πολλῶν αὐτῇ κακῶν γεγονὼς αἴτιος.
249 D.H., 9, 41, 1 : ὁ δ’ ἐξεγείρων αὐτὴν δήμαρχος ἦν Πόπλιος Βολέρων, ὁ τῷ πρόσθεν ἐνιαυτῷ τοῖς περὶ Αἰμίλιόν τε καὶ Ἰούλιον ὑπάτοις ἀπειθήσας, ὅτ’ αὐτὸν ἀντὶ λοχαγοῦ στρατιώτην κατέγραφον, οὐ δι’ ἄλλο τι μᾶλλον ἀποδειχθεὶς ὑπὸ τῶν πενήτων τοῦ δήμου προστάτης – γένος τε γὰρ ἐκ τῶν ἐπιτυχόντων ἦν καὶ τεθραμμένος ἐν πολλῇ ταπεινότητι καὶ ἀπορίᾳ – ἀλλ’ ὅτι τὴν ἀρχὴν τῶν ὑπάτων βασιλικὸν ἔχουσαν ἀξίωμα τέως πρῶτος ἔδοξεν ἰδιώτης ἀνὴρ ἀπειθείᾳ ταπεινῶσαι, καὶ ἔτι μᾶλλον διὰ τὰς ὑποσχέσεις, ἃς ἐποιεῖτο μετιὼν τὴν ἀρχὴν κατὰ τῶν πατρικίων, ὡς ἀφαιρησόμενος αὐτῶν τὴν ἰσχύν.
250 D.H., 10, 36, 3.
251 Plut., Mar., 2, 1‑2. Sur la réception d’un modèle grec d’éloquence à Rome et sur les questions d’éducation oratoire, voir David 1992, p. 342‑366.
252 Plut., Mar., 4, 6.
253 Plut., Mar., 9, 2.
254 D.H., 10, 45, 2.
255 D.H., 11, 25, 3.
256 David 1980, p. 172‑175.
257 D.H., 6, 70, 1 (à propos de L. Iunius Brutus en 493) ; 9, 37, 2 (à propos de Cn. Genucius en 473) ; 9, 46, 1 (à propos de C. Laetorius en 471) ; 10, 31, 2 (à propos de L. Icilius en 456) ; 10, 36, 3 (à propos de L. Sicinius Dentatus en 455). Si ces expressions servent donc majoritairement à désigner les tribuns, elles sont parfois utilisées pour d’autres, comme, p. ex., D.H., 4, 45, 4 (à propos de Turnus Herdonius), ou D.H., 11, 5, 1 (à propos de M. Horatius Barbatus en 449).
258 Liv., 4, 49, 12 : Et tribunus plebis, uir acer nec infacundus, nactus inter aduersarios superbum ingenium immodicamque linguam, quam inritando agitandoque in eas impelleret uoces quae inuidiae non ipsi tantum sed causae atque uniuerso ordini essent, neminem ex collegio tribunorum militum saepius quam Postumium in disceptationem trahebat (trad. G. Baillet).
259 David 1980, p. 176‑180.
260 Liv., 6, 34, 11 : strenuo adulescente et cuius spei nihil praeter genus patricium deesset (trad. J. Bayet).
261 David 1980, p. 181.
262 Sur l’indignité tribunitienne, voir infra p. 584-598.
263 Carnoy 1956, p. 400 et Ernout et Meillet 1994, p. 562.
264 Cic., Brut., 180 et 226, ou encore Cic., orat., 47. Voir là‑dessus, David 1992, p. 305‑306.
265 Voir la notice de ce tribun et de sa lignée dans la prosopographie. Voir aussi ce qu’en dit D.H., 8, 72, 1.
266 Voir leurs notices respectives dans la prosopographie.
267 D.H., 10, 31, 2 : οἱ δὲ τότε δήμαρχοι πρῶτοι συγκαλεῖν ἐπεβάλοντο τὴν βουλὴν Ἰκιλλίου τὴν πεῖραν εἰσηγησαμένου, ὃς ἡγεῖτο μὲν τοῦ ἀρχείου, δραστήριος δέ τις ἦν ἀνὴρ καὶ ὡς Ῥωμαῖος εἰπεῖν οὐκ ἀδύνατος.
268 D.H., 10, 33. Sur le vocabulaire précis employé alors par Denys, voir infra p. 556-561.
269 Liv., 3, 45, 1 à 3, 46, 10.
270 Liv., 4, 6, 3.
271 Liv., 5, 2, 13 (trad. G. Baillet).
272 Liv., 3, 69, 1. Voir infra p. 551-570 pour une étude précise du vocabulaire mis en jeu par les sources et qui abonde dans le sens d’une qualification popularis des tribuns orateurs des Ve et IVe siècles.
273 D.H., 6, 70, 1 et 6, 82, 1.
274 D.H., 7, 14, 3 et 7, 35, 3.
275 La paternité de cette information n’est pas évidente. Elle est rapportée par Liv., 9, 46, 1, juste avant que l’historien latin ne précise des éléments en se référant à certaines annales (in quibusdam annalibus) puis directement à Licinius Macer. Tout le problème réside donc dans l’attribution d’une origine à ces informations. Peter 1993 (1906‑1914), 1, frgt 18, p. 305 rattache l’intégralité du passage à Licinius Macer. Il a été suivi par S. Walt dans Licinius Macer, frgt 22, p. 206‑207 et p. 277‑280 ou, plus récemment, par Beck et Walter 2004, frgt 19, p. 338‑339. Toutefois, Chassignet 2004, frgt 19, p. 99 et la n. 1 détache le début du passage qu’elle semble attribuer uniquement à Tite‑Live. Il en va de même de Cornell 2013, 2, p. 692‑693.
276 Humm 2005, p. 512‑521.
277 Voir supra p. 352-360.
278 Liv., 7, 4, 4‑6 et les remarques de David 1992, p. 323‑324.
279 Voir sa notice prosopographique pour une présentation complète du personnage, ainsi que Forni 1953 ; Olivesi 1956 ; Torelli Marina 1987 ; Hermon 1997 ; Hermon 1998 ; Berrendonner 2001 ; Oakley 2005a, p. 213‑214.
280 Sur cette date, voir Forni 1953, p. 187‑193 ; Palmer 1970, p. 269 ; Sumner 1973, p. 28‑29 ; MRR, 3, p. 78 ; Oakley 2005b, p. 42, n. 2.
281 Cic., Brut., 55 : Possumus Appium Claudium suspicari disertum, quia senatum iamiam inclinatum a Pyrrhi pace reuocauerit ; possumus C. Fabricium, quia sit ad Pyrrhum de captiuis recuperandis missus orator ; Ti. Coruncanium, quod ex pontificum commentariis longe plurumum ingenio ualuisse uideatur ; M’. Curium, quod is tribunus plebis interrege Appio Caeco diserto homine comitia contra leges habente, cum de plebe consulem non accipiebat, patres ante auctores fieri coegerit ; quod fuit permagnum nondum lege Maenia lata (trad. J. Martha).
282 Sen., Dial., 9 (De tranq. an.), 5, 5 : Vt opinor, Curius Dentatus aiebat malle esse se mortuum quam uiuere : ultimum malorum est e uiuorum numero exire antequam moriaris (trad. R. Waltz).
283 Benjamin 2000b, p. 439.
284 Voir introduction, p. 20.
285 Pesaresi 2005, p. 23‑29.
286 Voir supra p. 180-185.
287 Sur ce procès, voir Humbert 1995, p. 160‑162 (= Humbert 2013, p. 234‑237) et Lovisi 1999, p. 268‑277 avec la bibliographie.
288 Voir Coarelli 1983a, p. 119‑160 ; Coarelli 1993b et Humm 1999. Voir aussi les idées opposées de Carafa 1998, passim et de Carafa 2005.
289 Cic., rep., 2, 54 et, dans un sens similaire, Tusc., 4, 1, 1. Grosso 1956, p. 6‑7 souligne, à juste titre selon moi, que Cicéron se réfère ici en fait à la participation du peuple à la sanction pénale et la retranscrit en terme de prouocatio, mais qu’il ne peut s’agir de prouocatio au sens strict du terme. Ce juriste modifia quelque peu son avis, en un sens moins convaincant, dans Grosso 1960, p. 219‑220 où il fait dériver cette mention de la lex horrendi carminis. Contra, Tassi Scandone 2008, p. 335‑355 a développé une interprétation plus maximaliste de ce passage selon laquelle les livres en question contiendraient des directives pour le recours aux augures lors des cas de prouocatio, car elle établit un lien entre prouocatio et augures.
290 Sur ce sujet, voir Santalucia 1984, p. 47‑59 ; Santalucia 1994, p. 145‑157 et Santalucia 1998, p. 1‑28 avec toute la bibliographie.
291 Humbert 1988, p. 433‑442 (= Humbert 2013, p. 171‑178) et Humbert 1995, p. 166‑168 (= Humbert 2013, p. 241‑245).
292 Venturini 2009, p. 69.
293 RS, II, table IX, 1‑2, p. 696‑701 = FIRA, table IX, 1‑2, p. 64‑65, verset qui signifie : « Au sujet de la vie d’un citoyen, qu’il ne soit pas possible de prendre une décision si l’assemblée n’est pas la plus large possible. »
294 Mommsen 1907 (1899), 1, p. 66‑70, p. 186‑187 et p. 217‑220. Soulignons que le droit des XII Tables garde cependant encore la trace d’un système purement vindicatoire dans un certain nombre de cas bien déterminés, comme le flagrant délit de vol (furtum manifestum).
295 Ibid., p. 38‑39. Sur les leges Porciae, voir Santalucia 1998, p. 71‑75 et Lovisi 1999, p. 208‑218 avec la bibliographie.
296 Mommsen 1907 (1899), 1, p. 64 : « Le droit pénal public romain commence avec la loi Valeria qui soumet la condamnation à mort, prononcée par le magistrat contre le citoyen romain, à la confirmation du peuple ; le droit pénal privé débute avec la prescription, qui enlève au préteur la sentence pénale définitive et ne lui laisse plus que la faculté de rendre un jugement conditionnel, laissant à des jurés le soin de remplir la condition. »
297 Ibid., p. 188.
298 RS, II, table IX, 1‑2, p. 696‑701 = FIRA, table IX, 1‑2, p. 64‑65. Voir Santalucia 1998, p. 41‑46. Pour l’interprétation de l’expression comitiatus maximus, voir Magdelain 1969, p. 280‑286 et Magdelain 1987, p. 139‑140 (= Magdelain 2015, p. 334‑339 et p. 539‑540) qui interprète maximus dans le sens de « souverain » et qui considère ce verset des XII Tables comme un faux. Voir aussi Bassanelli Sommariva 1986, p. 352‑353, n. 70 et, surtout, Gabba 1987 (= Gabba 2000, p. 245‑249) qui pense que l’expression ne désigne pas les comices centuriates même si ces derniers étaient effectivement chargés de ce type d’affaires. Il estime qu’elle signifie qu’en cas de procès capital, il fallait une affluence populaire maximale. Ce point de vue a été repris par Corbino 1998 et RS, II, table IX, 1‑2, p. 699‑700. Il a en revanche été critiqué par Albanese 1988b ; Humbert 1996, p. 165 et n. 43 (= Humbert 2013, p. 271‑272 et n. 43) ou A. Guarino dans une courte note sans titre publiée dans Labeo, 34/2, 1998, p. 245. Enfin, notons que cette idée remonte très haut puisqu’on la trouve, sous une forme légèrement différente, chez Zumpt 1865a, p. 365 : « Es fragt sich nur, woher der Ausdruck “grösste Comitienversammlung” kommt. Ich glaube, er bezeichnet nicht nur die Würde und die höchste Gewalt, welche allerdings die Centurien hatten, sondern auch wirklich die am meisten besuchte Volksversammlung. Dies waren die Centuriatcomitien, nicht sowohl deshalb, weil an ihnen die Vornehmen und Wohlhabenden Theil zu nehmen pflegten, welche bei den Tributversammlungen, wo ihre Stimme doch wenig vermochte, auch später meist fehlten, sondern auch weil die Consuln gesetzlich die Macht hatten, den Besuch derselben zu erzwingen: wie wichtig aber gerade bei richterlichen Volksversammlungen ein zahlreicher Besuch derselben für die Geltung und die Richitgkeit des Urtheils war, haben wir an einer andern Stelle ausgeführt. » Mentionnons, pour mémoire, l’hypothèse de Niccolini 1932, p. 4, n. 3 selon laquelle il pourrait s’agir des comices curiates. Cette hypothèse rencontra quelques soutiens mais n’est pas pensable et on se reportera, de ce point de vue, à De Francisci 1953, p. 23‑24 avec la bibliographie. Sur ces questions, voir, en dernier lieu, Humbert 1995, p. 173‑175 (= Humbert 2013, p. 250‑254) ; Humbert 1996, p. 165 (= Humbert 2013, p. 271‑272) ; Lovisi 1999, p. 231‑235, p. 266 et p. 286 ; Pesaresi 2005, p. 99‑103 et notamment p. 101, n. 5 pour le résumé bibliographique sur la signification de la mesure ; Tassi Scandone 2008, p. 163‑170 ; Rivière 2013, p. 3‑8 qui revient sur le fait que comitiatus, rare, désigne les comices centuriates. Il rappelle d’ailleurs qu’il n’est pas certain que cette limitation ait été absolument effective ; voir sur ce dernier point Thommen 1989, p. 149‑150 qui suppose que le concilium aurait retrouvé sa compétence sous la République tardive.
299 Mommsen 1907 (1899), 1, p. 185‑201. Voir le résumé des positions de Mommsen par Kunkel 1962, p. 9‑17 ; Lovisi 1999, p. 73‑77 ; Venturini 2003 (1996), p. 13‑35 ; Tassi Scandone 2008, p. 1‑12.
300 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 6/2, p. 401‑413 ; Mommsen 1907 (1899), 1, p. 46‑47 et p. 185‑201. Pour des positions similaires, voir Greenidge 1971 (1901), p. 307 ; Botsford 1968 (1909), p. 240‑241 ; Strachan Davidson 1912, 1, p. 144 ; Jones 1972, p. 32‑34 ; Develin 1978, p. 45‑50 ; Tondo 1981, p. 142‑147 et p. 205‑208 ; Santalucia 1984, p. 46‑59 (= Santalucia 2009b, p. 115‑127) ; Garofalo 1987 ; Garofalo 1988 ; Santalucia 1988, p. 433‑435 ; Garofalo 1989, p. 11‑15 ; Branca 1995, p. 89 ; Santalucia 1998, p. 29‑36 et Tassi Scandone 2008, p. 39‑60.
301 Binder 1909, p. 564‑571.
302 Brecht 1938, passim mais plus particulièrement p. 186‑189 et Brecht 1939, p. 261‑314. Sa théorie de l’Antragsprozess remonte cependant aux idées plus anciennes (1839) de J. Rubino : voir Lovisi 1999, p. 246.
303 Heuß 1944 (= Heuß 1995, p. 831‑907).
304 Bleicken 1959a.
305 Résumé des différentes théories chez Lovisi 1999, p. 184‑187 et Venturini 2003 (1996), p. 49‑63.
306 Kunkel 1962, p. 34‑37.
307 Ibid., p. 21‑45.
308 Voir cette formulation particulièrement claire dans Kunkel 1963, col. 722 (= Kunkel 1974, p. 42) : « Die Römer haben vielmehr zu allen Zeiten klar zwischen rein koerzitioneller Bestrafung und gerichtlicher Verurteilung unterschieden. Nur jene unterlag der Provokation. »
309 Kunkel 1962, p. 79‑90 et p. 99‑100 et Kunkel 1967b (= Kunkel 1974, p. 151‑254). Contra, Lovisi 1999, p. 123‑126 avec la bibliographie.
310 Kunkel 1962, p. 21‑70 et Lovisi 1999, p. 65‑69 et p. 130 pour la liste des délits punis de mort dans les lois des XII Tables.
311 Kunkel 1962, p. 34‑45 et Kunkel 1963 (= Kunkel 1974, p. 33‑111).
312 Il s’agit en particulier de Binder 1909, p. 469‑470 ; LPPR, p. 190 ; Arangio‑Ruiz 1931, p. 5 ; Pugliese 1939, p. 6‑21 ; Heuß 1944, p. 114‑116 (= Heuß 1995, p. 888‑890) ; Staveley 1954‑1955, p. 414‑415 ; Bleicken 1959a, p. 357‑358 ; Kunkel 1962, p. 24‑25 ; Thomas 1963, p. 229 ; Garnsey 1966, p. 167 ; Martin 1970, p. 74‑78 ; Bianchini 1972 ; Lintott 1972, p. 227 ; Bauman 1973, p. 34 ; Guarino 1975a, p. 202 et p. 215‑217 ; Amirante 1983 ; Ogilvie 1984, p. 252 ; Magdelain 1986, p. 275 (= Magdelain 2015, p. 12‑13) ; Magdelain 1987 (= Magdelain 2015, p. 539‑565) ; Humbert 1988 (= Humbert 2013, p. 169‑231) ; Magdelain 1988 (= Magdelain 2015, p. 567‑588) ; et Lovisi 1999, p. 170‑200. Comme souvent, certains auteurs n’entrent que fort mal dans ces cadres génériques, à l’image de De Martino 1972a, p. 207 et p. 312‑316 qui écarte comme légendaire la loi Valeria de 509 mais accepte celle de 449. Cette conception fut reprise par Serrao 1984, p. 124‑126 ; Zamorani 1987, p. 182‑184 et p. 348 et Rampelberg 1995 qui reconnaît sa validité à la mesure de 449 mais semble bien écarter celle de 509 (voir en particulier p. 247‑248). De son côté, Girard 1901, p. 105‑113 reconnaît sa validité à la norme de 509, bien que d’une façon un peu particulière. D’après lui, elle aurait accordé au citoyen le droit d’appel réservé jusque là aux magistrats qui, avant de prononcer leurs sentences, avaient la possibilité d’en référer à l’assemblée du peuple. Enfin, le scepticisme peut être particulièrement radical, tel celui de Duncan Cloud 1984, p. 1365‑1376 qui dénie toute historicité aux lois de 509, 449 et de 300, estimant que la seule loi authentique sur la prouocatio serait la loi Porcia du IIe siècle.
313 Garofalo 1993, p. 76‑108, illustre, p. ex., ce retour à une vision plutôt traditionnaliste du problème. Voir les remarques plus générales de Venturini 2003 (1996), p. 63‑74.
314 Bianchini 1972, p. 93‑110 et Santalucia 1998, p. 39.
315 Santalucia 1984, p. 59‑72 (= Santalucia 2009b, p. 127‑138) ; Santalucia 1994, p. 157‑180 et Santalucia 1998, p. 29‑67.
316 Humbert 1988, p. 435-442 (= Humbert 2013, p. 172‑178).
317 Ibid., p. 448 (= Ibid., p. 183‑184).
318 Humbert 1988 (= Humbert 2013, p. 169‑231) et Humbert 1995, p. 168 (= Humbert 2013, p. 244‑245).
319 Humbert 1988, p. 464 (= Humbert 2013, p. 197‑198).
320 Lovisi 1999, p. 8.
321 Ibid., p. 13‑14, p. 39‑47 et p. 65‑69.
322 Ibid., p. 285‑307.
323 Ibid., p. 178‑184 et p. 192‑196.
324 Ibid., p. 220‑263.
325 Pesaresi 2005, p. 4‑5, qui fait des clauses des XII Tables sur le priuilegium et de capite ciuis des textes plébéiens et, même, des plébiscites sacrés en ce sens qu’un serment en aurait assuré la validité.
326 Ibid., p. 59‑71.
327 Ibid., p. 103‑113.
328 Lovisi 1999 et Lovisi 2006, p. 45‑56.
329 Sur ce point, voir notamment Tassi Scandone 2008, p. 61‑104.
330 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 1, p. 178‑179 et 6/1, p. 404‑405. Contra, Lovisi 1999, p. 188.
331 Tassi Scandone 2008, p. 200 sur ce dernier point.
332 Ibid., p. 50‑52.
333 Ibid., p. 85‑99.
334 Ibid., p. 54‑57.
335 Ibid., p. 112‑114.
336 Ibid., p. 248‑260.
337 Ibid., p. 229‑236 (notamment p. 232), mais aussi p. 302‑305. Cette hypothèse développe en fait une suggestion de Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 6/1, p. 374, n. 2 que l’on retrouve chez Arangio‑Ruiz, Guarino et Pugliese 1980, p. 263‑264 et Albanese 1990, p. 28‑29 (= Albanese 1991, 2, p. 1710‑1711).
338 Tassi Scandone 2008, p. 307‑333.
339 Ibid., p. 335‑355.
340 Ibid., p. 134‑135 et la phrase : « Quanto esposto in precedenza circa la natura e l’ambito di applicazione dell’istituto, mi sembra escludere sia l’ipotesi secondo cui la prouocatio sarebbe stata originariamente un mezzo di lotta rivoluzionaria fondato sulla forza politica della comunità plebea, concretantesi in un invito del perseguito dalla massa della plebe, affinché le proteggesse dal ius coercitionis del magistrato sia quella che individua nella prouocatio un atto di opposizione accompagnato dalla richiesta di un iudicium apud populum. »
341 Ibid., p. 118, p. 132, p. 135 et p. 209.
342 Ibid., p. 196‑200.
343 Voir Lintott 1972, p. 226‑267 qui en fait, à l’origine, une forme d’appel à l’émeute et, en dernier lieu, Lintott 2009, p. 21‑24. Un passage de Zonaras (Zonar., 7, 17) établit d’ailleurs un lien entre tribuns de la plèbe et prouocatio. Voir Urso 2005, p. 77-78.
344 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 1, p. 164 et p. 175‑176 et Mommsen 1907 (1899), 1, p. 43‑44 et p. 51‑61.
345 Cic., leg., 3, 27 va en ce sens.
346 D.H., 2, 56, 3 et 13, 8, 3. Voir aussi les remarques de David 1984, p. 134‑137.
347 Mommsen 1907 (1899), 1, p. 51‑52. Voir le texte très clair de D.C., 53, 17, 9‑10 et Cic., Tull., 47. En revanche, si le coupable survivait à la chute, il n’était pas à nouveau mis à mort et demeurait libre.
348 Les trois citations sont de Humbert 2011, p. 248‑249 (c’est l’auteur qui souligne).
349 Liv., perioch., 59 et Plin., nat., 7, 143.
350 Vir. ill., 66, 8‑9.
351 D.C., 30‑35, frgt 102, 12 ; Liv., perioch., 80 ; Plut., Mar., 45, 3 et Vell., 2, 24, 2.
352 Sur tous ces cas, voir David 1984, p. 137‑138 et p. 160‑162.
353 D.H., 10, 31, 3‑6.
354 Point souligné récemment par Rivière 2013, p. 18‑19, lequel oublie cependant quelques affaires antérieures aux XII Tables.
355 Garofalo 1989, p. 55‑65 proposa à ce sujet que la loi de 449 ait aussi soumis à prouocatio ces décisions de mise à mort par les tribuns. Ce n’est toutefois guère crédible car cela contredit toute la tradition qui présente justement les procès criminels tribunitiens comme une façon, pour les tribuns, de s’appliquer à eux‑mêmes l’interdiction d’infliger la peine capitale sans jugement préalable.
356 Humbert 1995, p. 162‑164 (= Humbert 2013, p. 237‑240).
357 Mommsen 1907 (1899), 1, p. 179‑180.
358 Voir supra p. 524-527.
359 Lovisi 1999, p. 51‑54 et p. 223‑226
360 Pesaresi 2005, p. 2‑5. Sur cette lex sacrata, voir supra p. 257-281.
361 D.H., 7, 17, 5.
362 Liv., 3, 14, 5.
363 Cic., Sest., 79.
364 Lyd., mag., 1, 44.
365 Plin., epist., 1, 23, 2.
366 Val. Max., 9, 5, 2.
367 Voir supra p. 257-281.
368 Lovisi 1999, p. 52‑53.
369 Voir supra p. 277-278.
370 Cic., rep., 2, 60. Voir Firpo 2005, p. 415, n. 70.
371 D.H., 10, 50, 1‑2 et 9, 27, 4.
372 Plin., nat., 18, 11.
373 Gell., 11, 1, 2‑3.
374 Sur ces questions d’amendes chez Festus, voir p. 129 L., s.v. Maximam multam ; p. 220 L., s.v. Ouibus ; p. 232 L., s.v. Peculatus ; p. 268 L., s.v. Peculatus et p. 270 L., s.v. Peculatus.
375 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 1, p. 181‑183 et Mommsen 1907 (1899), 1, p. 55‑59. Il fait également de la lex Menenia Sestia une invention annalistique.
376 LPPR, p. 200 ; Clerici 1943, p. 492 ; Lübtow 1955, p. 264‑265 ; Bleicken 1959b, col. 2451 ; Ranouil 1975, p. 95‑97 ; Magdelain 1978, p. 65‑66 ; Magdelain 1990, p. 202‑203.
377 De Sanctis 1907, 2, p. 54‑55.
378 Pais 1913, p. 16 ; Beloch 1926, p. 19‑20 ; Niccolini 1934a, p. 27 ; Siber 1936, p. 29 ; Palmer 1970, p. 289‑299 ; De Martino 1972a, p. 363‑366 ; Gagé 1978a, p. 79 et Amirante 1984 (= Amirante 1988, p. 23‑55).
379 Ranouil 1975, p. 95‑97 ; Santalucia 1994, p. 166 ; Santalucia 1998, p. 43 et Lovisi 2006, p. 45‑56.
380 Gagé 1978a, p. 75. De ce point de vue, Plut., Publ., 11, 4‑7 est révélateur de cette situation économique, telle qu’on peut essayer de la reconstituer. Crawford 1976, p. 200‑201 et 1985, p. 19‑20 s’oppose néanmoins à cette vision et estime improbable l’existence d’amendes en nature. Voir Humm 2005, p. 312, n. 134.
381 Manfredini 1976, p. 198‑231, et p. 230 pour la citation.
382 Ranouil 1975, p. 118 et p. 129 ; Gagé 1978a, p. 77‑79. Voir supra p. 166-167.
383 Firpo 2005, p. 419.
384 Santalucia 1998, p. 44.
385 Voir introduction p. 29-30 et supra p. 521-523.
386 Voir supra p. 484-520.
387 Kunkel et Wittmann 1995, p. 630 : « Der tribunizische Prozeß reicht in seinen Wurzeln in die Zeit der Ständekämpfe zurück. In seiner ursprünglichen Gestalt war er ein revolutionäres Volksgerichtsverfahren. Angeklagt wurden vor dem concilium plebis diejenigen, die die Sakrosanktität der Vokstribune oder ihr ius agendi cum plebe beeinträchtigten oder die Versammlung der plebs störten. »
388 Jehring 1886‑1888 (1873‑1877), 1, p. 285, n. 267. Lire aussi Botsford 1968 (1909), p. 266‑267 et p. 269.
389 Lovisi 1999, p. 39‑64.
390 Pesaresi 2005, p. 81.
391 Humbert 1988, p. 449‑468 (= Humbert 2013, p. 185‑200) et Humbert 1995, p. 170‑171 (= Humbert 2013, p. 247‑248). Je me détache donc des analyses de Lovisi 1999, p. 184‑200, beaucoup plus sceptique sur l’existence d’une forme de prouocatio avant 300.
392 Voir supra p. 311 et p. 398.
393 Humbert 1995, p. 175 (= Humbert 2013, p. 253).
394 Magdelain 1973, p. 420‑421 (= Magdelain 2015, p. 516‑517) et Guarino 1975b.
395 Pesaresi 2005, p. 91‑93 et p. 97‑98.
396 Mommsen 1907 (1899), 2, p. 234‑237.
397 Pesaresi 2005, p. 71‑77.
398 Humbert 2011, p. 321.
399 Ferrary 1983, p. 556‑558.
400 Ibid., p. 563.
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