Chapitre 4. Pouvoirs tribunitiens et plébiscites
p. 213-256
Texte intégral
1Nous avons vu que les tribuns de la plèbe des Ve et IVe siècles étaient issus de lignées plébéiennes d’importance, progressivement exclues de la conduite des affaires politiques. Ces lignées différaient peu du patriciat tant du point de vue social que de leurs origines. Sans correspondre à un projet politique formalisé, leur action s’explique mieux une fois corrélée à cet arrière‑plan sociologique. En effet, si ces lignages investirent la fonction tribunitienne pour en faire l’instrument de leurs intérêts, c’est qu’ils y trouvèrent un moyen de satisfaire leurs ambitions. Les plébiscites jouèrent un rôle essentiel dans cette action séculaire des tribuns de la plèbe et, si nous sommes revenus sur l’absence certaine d’enregistrement des noms des titulaires de la fonction tribunitienne sous la République, nous avons vu qu’il n’en allait pas de même pour leurs plébiscites. Il exista dès 449 une forme d’archivage dédié à ces mesures dans le temple de Cérès. La possibilité d’une conservation des plébiscites n’est donc pas négligeable1 et, sans nier les déformations annalistiques, la fiabilité des informations à leur sujet repose sur des bases plus solides2.
2Ce chapitre entend donc proposer une réévaluation de la production normative des tribuns de la plèbe en la comparant au corpus des lois comitiales de la même époque. La tradition a en effet transmis un grand nombre de textes normatifs pour la période 509‑287 (cent‑soixante‑trois en tout) et les plébiscites ne peuvent se comprendre que rapportés à cet ensemble. Cela impose un rappel des fondements des pouvoirs tribunitiens et de la nature des plébiscites, préalable indispensable à la bonne intelligence des dispositions qu’ils défendirent. J’esquisserai ensuite une typologie des plébiscites connus, qui seront comparés aux lois comitiales. L’étude de la répartition chronologico‑thématique des plébiscites et leur comparaison avec les lois comitiales de la même époque permettra alors d’introduire l’idée qu’ils contribuèrent à la mise sur pied d’un système politique original, qui acquit sa forme définitive au cours du IVe siècle.
Les tribuns de la plèbe et leurs pouvoirs
Tribunat de la plèbe, magistratures et auspices
3Comprendre l’activité normative des tribuns de la plèbe suppose de rappeler la place particulière qu’ils occupèrent au sein des institutions romaines, tout comme la nature des mesures qu’ils purent être amenés à proposer. Les tribuns détenaient une charge originale, dont le pouvoir reposait sur des principes et des fondements radicalement différents de ceux des autres magistrats. Le tribunat de la plèbe n’était d’ailleurs pas une magistrature du peuple romain à proprement parler et cette désignation rend mal compte de leur situation pour la période la plus ancienne de leur histoire3. En effet, les tribuns se différenciaient des magistrats supérieurs de Rome sur trois points : leur élection ne fut jamais sanctionnée par le vote d’une loi curiate d’investiture4 ; cette élection semble s’être déroulée, au départ, sans prise d’auspices5 ; les titulaires de cette charge n’avaient pas l’imperium6. Or les auspices, comme l’imperium, étaient constitutifs du pouvoir des magistrats supérieurs du populus Romanus. Les tribuns de la plèbe en étaient dénués de la même façon que leur échappaient les insignes de ces magistrats : faisceaux, licteurs, bande pourpre ou encore siège curule7. Dès lors, il n’est pas surprenant que le plébiscite fût parfois qualifié de lex inauspicata8. L’élection des tribuns était en outre le fait de la seule plèbe et non du populus Romanus, ce qui les situait là aussi sur un plan théorique différent de celui des magistrats inférieurs. Enfin, cette charge fut toujours fermée aux patriciens, suivant une règle qui ne connut jamais d’exception9.
4La question du rapport des tribuns de la plèbe aux auspicia populi Romani fit cependant couler beaucoup d’encre en raison d’exceptions possibles à cette règle10, et parce que les historiens s’interrogent sur l’existence d’une procédure de prêt d’auspices11. Pour la période qui nous concerne, la situation demeure claire. Les tribuns n’avaient aucun accès aux auspices publics de Rome et ne pouvaient posséder que des auspices privés12. Le témoignage de Zonaras concernant l’octroi du ius auspicandi aux tribuns dès 449 ne constitue pas un contre‑argument tant il est isolé et de faible valeur13. En effet, lors des controverses entre patriciens et plébéiens – pour l’accès au consulat ou pour les mariages mixtes en 445 –, la question de la propriété des auspices par les patriciens fut centrale dans leur argumentaire, chose incompréhensible en cas de possession partagée14. Tout ce qui a été souligné du processus de mainmise sur le pouvoir par le patriciat va dans le sens d’un semblable monopole des auspices, pour la simple et bonne raison que religion et politique n’étaient pas, à Rome, des domaines séparés15. Enfin, en cas de vacance du pouvoir, lesdits auspices faisaient retour aux seuls patriciens, selon la formule auspicia ad patres redeunt, par suite de leur progressif accaparement par cette frange de la noblesse romaine durant la fin de la période royale16.
5Toutefois, dans le cas des tribuns de la plèbe, la dimension religieuse n’était pas absente car leur pouvoir s’appuyait sur leur potestas alliée à leur sacrosanctitas. Th. Mommsen parle d’une potestas sacrosancta ou d’une ἱερὰ καὶ ἄσυλος ἀρχή. Là résidait l’originalité qui les distinguait des magistrats17. Cette inviolabilité tribunitienne constituait la source principale de leurs pouvoirs qui se déclinaient ainsi : le ius auxilii (pouvoir d’aide individuelle), le ius cum plebe agendi (droit de réunir la plèbe et d’agir avec elle), le droit de coercitio (pouvoir de châtier), celui de prohibitio (opposition préventive à l’action d’un magistrat), celui d’intercessio (le droit de veto) et celui d’obnuntiatio (possibilité de suspendre les travaux des comices). Tout cela constituait un ensemble appréciable de pouvoirs dont on comprend qu’ils pussent très vite être considérés comme d’excellents moyens de pression politique, en dépit de leur caractère réactif. Si ces capacités s’enrichirent et s’affermirent au fil du temps, il est certain que les ressorts essentiels de l’action des tribuns de la plèbe existaient dès la création de la fonction, notamment les trois principaux, condition de tous les autres : droit d’agir avec la plèbe, intercession et coercition18. Ces pouvoirs ne faisaient en aucun cas de leurs titulaires des représentants de la plèbe au sens moderne du terme et ils ne pouvaient s’exercer que dans les strictes limites du territoire urbain19. Les tribuns étaient donc plutôt les défenseurs de la plèbe, ou au moins d’une partie d’entre elle. On concevra aisément qu’ils eurent ainsi à leur disposition un arsenal faisant d’eux le contrepoids de l’imperium, arsenal qu’ils utilisèrent au service de leurs ambitions et de leurs lignages.
Tribunat de la plèbe et collégialité
6Avec le tribunat, nous nous trouvons par ailleurs face à une application très précoce de l’idée de collégialité puisque le veto d’un tribun suffit à bloquer l’activité de l’ensemble du collège tribunitien. En droit romain, on nomme collégialité ce principe selon lequel chaque magistrature est détenue simultanément par plusieurs personnes disposant chacune des mêmes pouvoirs. Ainsi, les titulaires d’une charge quelconque peuvent en permanence suspendre l’action de leurs collègues grâce à cette source de contrôle mutuel offrant une barrière qui vise à empêcher toute dérive autoritaire. Or dès le départ, en dépit de personnalités plus flamboyantes – à l’image des Sicinii ou des Icilii – les collèges tribunitiens n’eurent jamais de chef. L’affirmation politique de certains tribuns n’empêcha pas le maintien d’une stricte égalité. Le cas de C. Maenius, dès 483, l’illustre bien. Ce tribun s’opposa, cette année‑là, à la volonté des consuls M. Fabius et L. Valerius de procéder à un dilectus, pour obtenir satisfaction quant à des distributions de terres. Bien qu’il fût le seul membre du collège tribunitien à se dresser contre les consuls, ces derniers furent contraints de procéder à la levée hors de l’Vrbs, où le tribun perdait ses pouvoirs20. Denys d’Halicarnasse rapporte également le cas de C. Furnius, tribun de la plèbe en 445, qui s’opposa à ses neuf collègues qui souhaitaient autoriser l’accès des plébéiens au consulat21.
7Au‑delà des problèmes d’historicité de ces anecdotes, elles témoignent de ce que, pour la tradition, le principe de collégialité fut total et maximal dès l’origine du tribunat. Bien sûr, les sources antiques l’affirment aussi pour le consulat et, à les lire, c’est avec la magistrature suprême que serait apparue, dès 509, cette notion22. L’histoire primitive du consulat correspond toutefois peu à cette reconstruction. Quelles que soient la théorie ou la temporalité adoptées, la plupart des historiens s’accorde à reconnaître, à raison, que le consulat classique ne prit forme qu’au prix de substantielles modifications dans le courant du Ve siècle (voire du IVe siècle), modifications touchant notamment à la hiérarchie des premiers consuls entre eux23. D’après certains juristes, le consulat primitif connut même un roulement des pouvoirs entre titulaires de la fonction impliquant une forme de « léthargie » des attributions du consul inactif24. Rien de tout cela n’existe pour le tribunat de la plèbe, au moins sur ces points précis. Si le nombre de tribuns varia avant de se fixer à dix, il n’est jamais fait mention d’évolution dans les rapports hiérarchiques des différents tribuns entre eux, ni d’une alternance entre tribuns dans l’exercice de cette charge. Est‑ce donc par le tribunat que la collégialité fit son apparition à Rome, ou était‑elle plus ancienne ?
À quand remonte la collégialité ?
8Th. Mommsen fut un des premiers à proposer une interprétation de ce problème. Il fait remonter le principe collégial à l’époque royale et à la nécessité d’amalgamer en un ensemble unifié les trois groupes identifiés avec les Tities, les Ramnes et les Luceres. Il insiste toutefois, dans le même temps, sur l’idée que seul le passage à la République permit l’extension de ce principe, qui trouva sa pleine réalisation dans le domaine du droit public en s’appliquant aux consuls, puis aux autres magistratures25. Cette théorie constitue la source de toutes les tentatives successives pour rendre compte de cette curieuse règle. Des hypothèses variées virent le jour, qui se laissent subsumer à trois théories principales.
9Dans la continuité de Th. Mommsen, certains situent l’instauration de la collégialité au moment du passage à la République, qu’ils lui reconnaissent ou non des racines antérieures. Cette hypothèse est suivie par les historiens et les juristes réticents vis‑à‑vis de l’idée que cette notion fut introduite tardivement dans le système politique romain26. Elle l’est aussi par ceux qui, tel A. Giovannini, conservent une lecture traditionnelle des débuts de la République dans laquelle les consuls, bien qu’appelés préteurs, succédèrent aux rois27. A. Giovannini corrèle en effet le principe collégial à la nécessité de tempérer certaines décisions et, en particulier, les sentences judiciaires ou censoriales. Comme, d’après lui, les consuls du début de la République jugeaient et remplissaient les fonctions censoriales, cela aurait rendu indispensable l’adoption du principe collégial28. Cette thèse ne tient toutefois que par ses prémisses à propos du consulat, bien fragiles. En outre, et en laissant de côté le problème de savoir si une forme de cens archaïque existait dès cette époque, la vision de consuls exerçant une nota censoriale est, elle, à coup sûr, anachronique.
10Une deuxième hypothèse comprend la collégialité comme le résultat du compromis patricio‑plébéien de 367. L’accès des plébéiens au consulat aurait requis l’institution d’un système de contrôle mutuel trouvant sa forme dans l’instauration de ce nouveau mode de cogestion du pouvoir29. La logique de cette théorie est limpide. À partir du moment où, chaque année, un consul patricien fit face à un consul plébéien, il devenait cohérent de suggérer que les Romains cherchassent à formaliser l’égalité de ces deux consuls afin d’éviter que l’un ne prît le dessus sur l’autre. J. Bleicken fournit une formulation particulièrement nette de cette théorie lorsqu’il présente la collégialité comme un mécanisme de contrôle30. Une telle proposition a pourtant l’inconvénient de repousser fort tard l’introduction du principe collégial, ce qui va à l’encontre de la plupart de nos sources qui en mentionne l’apparition dès le Ve siècle. E. St. Staveley, en particulier, avait remarqué que les historiens antiques mentionnent des collèges de censeurs égaux avant cette date. L’argument n’est pas totalement déterminant, comme le signifia Fr. De Martino, eu égard aux grandes incertitudes qui pèsent sur les censures antérieures au milieu du IVe siècle. Ajoutons qu’avant 312, les censeurs n’étaient que des magistrats mineurs, qui servaient à décharger les consuls de certaines tâches31. En revanche, la seconde critique d’E. St. Staveley porte plus à conséquence : la présence de plébéiens dans des collèges de tribuns militaires à pouvoir consulaire dès le Ve siècle, pour lesquels la collégialité semble avoir été de mise. Cette présence est irréfutable et affaiblit l’explication politique de l’apparition tardive de la collégialité. Fr. De Martino s’en défendit à partir de l’idée selon laquelle les plébéiens ne purent accéder à aucune magistrature suprême au Ve siècle. Cette affirmation va malheureusement à l’encontre des fastes, seul document sûr pour cette époque32. Reconnaissons toutefois que la présentation de Fr. De Martino est, en réalité, plus complexe car elle prend place au sein de sa relecture de l’émergence des magistratures républicaines. D’après lui, la collégialité fut introduite par les tribuns de la plèbe puis par les tribuns militaires à pouvoir consulaire avant d’être étendue, à partir du compromis licinio‑sextien, à l’ensemble des magistratures33.
11Que la collégialité fût postérieure à 367 n’en demeure pas moins une idée peu satisfaisante. P. Frezza, tout en étant conscient de ces problèmes, chercha à maintenir une date tardive en proposant une solution intermédiaire d’après laquelle la collégialité aurait existé auparavant sous une forme incomplète et amoindrie dans laquelle l’intercessio entre collègues n’aurait pas été totalement possible. Ce faisant, il continue de postuler une relation entre les événements de 367 et une extension de l’intercessio entre collègues, faisant de l’application totale de l’intercessio le moment d’extension réelle du principe collégial34. Bien qu’ingénieuse, l’idée peine à convaincre, d’où une autre solution intermédiaire qui fait de la collégialité une création postérieure à 509 mais antérieure à 367, selon des choix de datation qui peuvent varier. A. Guarino proposa ainsi de rapprocher l’apparition de la collégialité de la duplication du nombre des légions à la fin du Ve siècle35. En revanche, M. Humbert situe l’extension de la collégialité aux magistratures vers 44936.
12Le principe collégial ne peut être antérieur à la République car il ne s’accorde pas à la nature du régime monarchique. À l’inverse, repousser son apparition et son extension à une date postérieure à 367 soulève des difficultés. Premièrement, c’est faire fi de tous les témoignages sur son existence antérieure. Cela en réduit ensuite la portée constitutionnelle à un pur objectif d’accord politique entre patriciens et plébéiens alors qu’il est d’ampleur plus vaste et correspond à un élément organique de la res publica libera. Enfin, cela conduit à négliger l’apport plébéien en ce domaine. En réalité, la troisième position est la plus intéressante, même si le problème de la datation précise se pose alors. L’argumentaire d’A. Guarino ne saurait convaincre car, si l’idée proposée est stimulante, la date qu’il fournit au doublement de la légion l’est moins. Mieux vaut en rester à l’hypothèse d’un doublement de la légion au moment de l’instauration du consulat, ou au début de la République, ce qui rend du même coup impossible sa suggestion37. L’argument de M. Humbert en faveur de 449 repose, lui, d’une part, sur le texte de la loi Valeria Horatia et, d’autre part, sur la disposition décemvirale concernant la condamnation à mort. La loi de 449 aurait eu comme principale disposition d’interdire la création de magistrats non soumis à la prouocatio [50]. La législation décemvirale stipulait, elle, que seul le comitiatus maximus pouvait condamner à la peine capitale38. Selon M. Humbert, c’est donc par le jeu de l’intercession collégiale ou par la prouocatio que le consul, empêché de punir, était amené à saisir les comices et à entrer dans le cadre de la disposition des XII Tables, ce qui irait dans le sens d’une certaine concomitance des deux phénomènes39.
13Le décemvirat fournit aussi l’exemple de collèges de magistrats théoriquement égaux. Denys d’Halicarnasse précise en effet, lorsqu’il rapporte les termes du décret de création des décemvirs, qu’ils devaient posséder une autorité équivalente40. Une anecdote de Tite‑Live pourrait aller en ce sens, en dépit de l’opposition schématique littéraire qui la sous‑tend. évoquant le premier collège décemviral, il attire en effet l’attention sur sa modération, illustrée par la façon dont les décemvirs rendaient la justice. Ils le faisaient à tour de rôle, les douze faisceaux n’étant donnés qu’à celui qui était en charge. À l’inverse, le second collège décemviral connut une évolution tyrannique. Tite‑Live souligne cette mutation par l’attribution simultanée des faisceaux aux dix décemvirs, aboutissant à la présence ubuesque de cent‑vingt licteurs sur le forum41. Le passage d’une répartition des faisceaux par roulement à leur octroi à tous en même temps pourrait être l’indice d’une importante évolution dans la conception de la collégialité à cette époque, dont la tradition aurait conservé la trace et cherché à rendre compte par ce récit édifiant. La date avancée par M. Humbert est donc suggestive.
14Au vrai, seule l’existence antérieure de la dictature peut ici faire difficulté puisque cette dernière apparaît parfois comme une suspension de la collégialité, un « remède » à ses inconvénients suivant l’expression de Th. Mommsen42. Ainsi comprise, elle implique l’antériorité du principe collégial. Il n’est toutefois nullement certain qu’il faille analyser de la sorte l’origine de cette magistrature et que la création de la dictature correspondît au besoin d’un tel correctif. En réalité, la position de Th. Mommsen, tout comme l’idée que la présence de dictateurs au début du Ve siècle constituerait un argument en faveur de l’introduction de la collégialité dès 509, s’expliquent par une vision particulière de l’origine de la dictature. Le comprendre suppose de revenir brièvement sur cette origine, point controversé tant la tradition à ce sujet est rien moins que certaine. Nous ne disposons d’aucun élément sûr pour élucider les raisons ayant présidé à la naissance de cette fonction, et deux tendances s’opposent43. La première, illustrée par Th. Mommsen, fait de la dictature une création romaine, datant des débuts de l’ère républicaine. À l’inverse, la seconde l’interprète comme une invention d’inspiration latine, qui remonterait à la Royauté. Dans sa version la plus radicale44, la première interprétation rejette les mentions des dictatures latines comme de simples rétroprojections annalistiques, et fait de la dictature le fruit d’une situation politique interne à Rome45. De l’autre côté, la vision d’une origine royale et latine de la dictature, qui remonte au moins à B. G. Niebuhr, a rencontré, et rencontre encore, un plus grand succès46. La situation du débat a peu changé depuis, même si A. Giovannini a insisté sur le lien entre dictateur et magister populi47 pour expliquer les racines de cette fonction, sans se prononcer sur le rôle éventuel de la dictature latine48. Ce lien magister populi/dictature est également souligné par ceux qui rappellent que le but premier de cette charge était de répondre à une menace militaire49. B. Liou‑Gille, enfin, est revenue sur les origines de cette fonction en la mettant en rapport avec ses voisines italiennes et en rappelant les incertitudes de la tradition à propos des premiers dictateurs républicains. S’inscrivant dans la deuxième tendance historiographique quant à l’origine de la dictature, elle montre que cette magistrature ne fit que reprendre la fonction antérieure de magister populi. Le premier « dictateur » romain pourrait même avoir encore porté ce titre, tandis que bien des dictateurs nommés durant la première moitié du Ve siècle le furent pour des actions militaires conduites avec des alliés latins de Rome50.
15Si les origines exactes de la dictature conservent donc une part de mystère, il n’en demeure pas moins très probable qu’elle s’inspirait de modèles latins et qu’elle dérivait de fonctions antérieures, ce dont témoigne le fait que le dictateur se fût appelé à l’origine magister populi. Seule une magistrature purement romaine pourrait avoir eu pour but de corriger une collégialité initiale, hypothèse qui ne résiste pas à l’analyse. Que le magister populi fût remplacé par la dictature, ou qu’il changeât simplement de nom, cela n’ôte rien aux liens entre ces deux fonctions. La seconde se serait inspirée de la première et son invention n’eut, au moins dans un premier temps, aucun rapport avec le principe républicain de la collégialité. Créé pour des raisons militaires, le magister populi fut sans doute conservé sous la forme de la dictature pour pallier les éventuelles déficiences du nouveau système en formation par le retour provisoire à un dirigeant unique qui avait fait ses preuves. Une telle volonté n’impliquait nullement une collégialité déjà formalisée du consulat, mais simplement la crainte que la division du pouvoir puisse nuire au processus de décision en cas de crise. Loin d’une réaction à une situation institutionnelle nouvelle après 509, la rupture avec le principe de collégialité introduite par la dictature tient à ses racines royales, religieuses et latines. L’existence de la dictature ne constitue donc pas un argument suffisant pour justifier l’invention du principe collégial dès 50951, ce qui renforce l’hypothèse de sa relation avec le tribunat de la plèbe.
16Il importe de souligner alors que, si le principe collégial peut être rapproché de la lutte des ordres et de la période décemvirale, c’est parce qu’il est lié aux tribuns de la plèbe. En effet, si l’on refuse l’idée d’une collégialité initiale du consulat – ce qui constitue la meilleure hypothèse – ce serait bien avec le tribunat que cette notion vit le jour52. Il n’est de ce point de vue pas anodin que Plutarque définisse l’intercession en la rapportant au tribunat de la plèbe53. L’émergence d’un tel principe au sein des collèges tribunitiens s’explique en premier lieu pour des raisons politiques internes à la plèbe. Les rapports parfois ambigus entre patriciens et plébéiens, de même que la proximité de certains tribuns avec des patriciens, ont été rappelés à plusieurs reprises. Il est probable que, lors de l’instauration du tribunat, le principe collégial fut établi d’emblée pour que, même en cas de majorité philo patricienne, un tribun puisse empêcher ses collègues d’agir. Conscients des oppositions et relations qui étaient susceptibles de les diviser, l’instauration de la collégialité pouvait paraître aux tribuns un moyen de les atténuer et de pousser les futurs collèges tribunitiens à la recherche d’une certaine forme de consensus. Bien sûr, le risque inverse existait. La tradition en fournit la preuve, elle qui rapporte l’usage par les patriciens du veto tribunitien pour mettre fin à des tentatives de réformes contraires à leurs intérêts. Ce phénomène a été analysé dans le chapitre trois, aussi contentons‑nous ici de rappeler son existence dès les années 48054. Il n’en demeure pas moins que, pour la tradition, dès le départ, la collégialité fut totale chez les tribuns. Nous touchons du doigt un des premiers apports du tribunat au système politique de l’Vrbs : c’est lui qui y fit entrer le principe de collégialité.
Collégialité romaine et collégialité italique
17Notons, toutefois, que l’idée de collèges de magistrats de ce type n’était pas une spécificité de Rome, ce qui fournit peut‑être un deuxième argument en faveur de l’origine plébéienne de cette nouveauté. Il existait des systèmes de magistratures comparables ailleurs en Italie55 et nous en connaissons des exemples, même s’il est difficile de préciser leur composition, leur fonctionnement exact, la période précise durant laquelle ils subsistèrent et leur degré de collégialité. La documentation disponible à ce sujet est en effet souvent tardive et d’interprétation difficile.
18En contexte « fédéral », des cas intéressants sont attestés. À propos des èques, Tite‑Live indique qu’ils étaient dirigés par des duces, dont l’un au moins pouvait recevoir un commandement supérieur à titre exceptionnel, à l’instar de Gracchus Cloelius en 458, qui reçut un imperium spécial pour lutter contre les Romains56. Denys d’Halicarnasse donne les mêmes informations, en parlant néanmoins d’un στρατηγός choisi par les ἡγεμώνες des èques57. Toutefois, il s’agit de commandements en période de guerre et à l’échelle de l’ensemble des èques, qui différaient sans doute des magistratures ordinaires58. Un autre indice révélateur, toujours en contexte de guerre cependant, est le commandement des troupes Volsques au moment du procès de Coriolan. Après avoir quitté Rome, Coriolan se rendit chez ce peuple auquel il offrit ses services pour lutter contre son ancienne patrie. Les Volsques lui confièrent alors le commandement, à égalité avec leur général Attius Tullus, suivant un rapport collégial59. Cette hypothèse est confirmée par un passage de Denys d’Halicarnasse dans lequel, suite au renoncement de Coriolan à poursuivre la guerre, il explique qu’Attius Tullus et Coriolan ne pouvaient agir l’un contre l’autre, étant protégés par leur pouvoir et leur prestige égaux60. Ce cas pourrait cependant être l’exception qui confirme la règle d’une délégation à une seule personne61. Pourtant, toujours à un niveau fédéral, Denys d’Halicarnasse mentionne à deux reprises des paires de magistrats dirigeant la ligue latine et Tite‑Live rapporte l’existence de deux préteurs latins en 34062.
19Pour ce qui a trait au système des magistratures ordinaires des peuples d’Italie centrale, nous en possédons plusieurs exemples, sans qu’il soit possible d’en dresser un tableau satisfaisant. L’étrurie eut sa propre organisation, autonome et complexe, encore mal connue. Les théories d’A. Rosenberg sur le sujet – en particulier son analyse du zilaθ meχl rasnal comme magistrat fédéral – sont désormais unanimement rejetées, bien qu’on peine toujours à reconstruire le système des magistratures étrusques63. En Ombrie, il existait des couples de marones, attestés par l’épigraphie, sur lesquels nous sommes mal renseignés64. Toutefois, la recherche récente a modifié le point de vue initial d’A. Rosenberg (qui faisait des marones les magistrats supérieurs ombriens), en mettant sur pied un modèle comprenant un collège de deux uhtur assistés de deux marones, collège qui aurait fourni aux Romains le modèle des quattuoruiri65. En Sabine, les sources épigraphiques évoquent des octouiri66, dont A. Rosenberg émit l’hypothèse qu’ils servirent de modèles aux quattuoruiri romains. Si cette dernière supposition est à présent réfutée, le caractère indigène de ces magistratures est confirmé et pourrait fournir un exemple de collégialité italique67. Dans le domaine osque, mieux connu, mis à part les commandants militaires extraordinaires de la « ligue » samnite (généralement appelés duces par les sources), sont attestés des meddices, notamment chez les Samnites, à Capoue et dans les territoires de langue osco‑sabellique68. Il est cependant difficile de préciser le caractère collégial ou non de ces fonctions, le problème tournant autour des rapports entre le meddix tuticus et le (ou les) meddix (meddices) mineur(s). A. Rosenberg interprétait cette relation comme une absence de collégialité, le meddix tuticus étant d’un rang supérieur aux autres magistrats de ces cités, et ayant notamment des fonctions éponymes. Cette théorie de la collégialité inégale des meddices, également soutenue par Fr. De Martino ou Fr. Sartori, fut pourtant remise en question – en particulier par St. Weinstock, J. Heurgon, E. Campanile ou H. Rix – et la différence entre meddix tuticus et meddix tout court n’apparaît aujourd’hui plus aussi certaine partout, tandis que l’existence même d’une ligue samnite est disputée69. Plusieurs auteurs soutiennent l’idée d’une authentique collégialité de ces magistrats70. De même, trois aídilís sont mentionnés par l’épigraphie à Tusculum et on en retrouve dans la loi de Bantia71. Toutefois, l’interprétation de l’origine de l’édilité romaine et de ses liens avec les édiles signalés ailleurs a provoqué un vaste débat historiographique72. Le cas de la questure en contexte italique pose lui aussi problème73.
20Le développement des magistratures à Rome s’inscrit donc dans un phénomène plus ample à l’échelle de l’Italie, thématique centrale de l’œuvre fondatrice d’A. Rosenberg, reprise depuis, entre autres, par J. Heurgon74. Il est hors de doute que les communautés d’Italie mirent sur pied des modèles institutionnels originaux et variés : il n’y eut pas un seul système politique en Italie, ni une influence omniprésente de la Grèce. Toutefois, l’idée que certaines de ces communautés furent dirigées par des paires de magistrats – par exemple des meddices à Messine, Velitrae, voire peut‑être à Nola75 – semble trouver confirmation dans les sources. Si l’on se rappelle ce qui a été avancé de l’origine étrangère des tribuns et, donc, certainement, d’une bonne part de la plèbe, ainsi que son ouverture à cette κοινή culturelle centro‑italique, cela fournirait une hypothèse possible sur la naissance et l’application du principe de collégialité dans le monde romain. L’origine également étrangère d’une bonne partie du patriciat ne constitue pas, ici, un contre‑argument. Nous avons en effet vu qu’à origine étrangère égale, la part de l’étrurie était bien plus importante pour le patriciat que pour les tribuns de la plèbe, ces derniers étant plus liés à l’aire latine et centro‑italique76, c’est‑à‑dire précisément à celle qui a le plus de chance d’avoir servi sinon de modèle, du moins de source d’inspiration au principe collégial.
21Doit‑on pour autant estimer que ce principe aurait été créé à Rome en important servilement des modèles italiques ? Si répondre à cette question est délicat, l’hypothèse paraît trop audacieuse. En l’état actuel de la documentation, seul l’octovirat sabin offre un exemple de collégialité indigène indépendante, quoique tardive, auquel on peut ajouter la documentation littéraire sur les èques77. Il est de même certain que des magistratures comme l’édilité, la questure ou la censure sont d’origine romaine. Dans son étude sur les magistratures osques, St. Weinstock s’inscrit en faux contre l’idée d’une importation italique car, d’après lui, c’est Rome qui aurait développé, a contrario du système de magistrat unique qui prévalait en Italie, le principe des magistratures collégiales78. Notons, dans une optique similaire, l’hypothèse mixte de P. De Francisci qui voit dans la collégialité la fusion de deux principes différents : la dualité des magistratures sabines (avec leur caractère limité dans le temps) et l’unicité du pouvoir étrusque d’où procéderait l’imperium. La réunion des deux aurait formé le principe romain de la collégialité79. Ce faisant, il reprend et prolonge une vieille hypothèse d’A. Rosenberg qui fait remonter le principe collégial aux républiques osco‑ombriennes (avec les meddices et les marones) et le principe monarchique à l’étrurie (avec le zilaθ)80. Plus récemment, à partir des textes mentionnant des tribuns, M. H. Crawford a soutenu l’idée d’une collégialité italique indépendante de Rome, au moins pour ce qui concerne les collèges de trois magistrats81. Sur ces bases, l’hypothèse d’une création romaine demeure la plus probable. Il s’agit toutefois d’une création qui accompagna, avec son originalité propre, des cheminements institutionnels communs à l’ensemble des peuples italiens, cheminements qui purent exercer leur influence.
22Répétons, en revanche, qu’en contexte romain, ce principe prit forme au sein des collèges tribunitiens avant d’être étendu, sans doute au milieu du Ve siècle, à l’ensemble des magistratures existantes, ce qui fournit un troisième argument à son origine tribunitienne. Cette date convient d’autant mieux qu’à ce moment, les institutions antérieures au décemvirat furent réintroduites et que le tribunat fut, pour la première fois, en partie légalisé. Étendre la collégialité aux magistratures, c’est‑à‑dire maintenir le pouvoir absolu des consuls dans les limites de celui de leur collègue, se comprend parfaitement si l’on rappelle que la réglementation de l’imperium consulaire constituait un des objectifs plébéiens qui conduisirent aux lois des XII Tables82. L’extension de la collégialité tribunitienne s’éclaire donc à la fois rapportée à cette volonté plébéienne et au soutien procuré à cette époque par les tribuns à la prouocatio. Une telle extension participe de la volonté, formalisée au milieu du Ve siècle, d’établir un système politique plus équilibré et correspond à la nécessité, pour les lignées tribunitiennes, de s’assurer de contre‑pouvoirs.
Tribunat de la plèbe, plébiscites et lois comitiales
Plébiscite et loi : deux actes de nature différente
23La capacité des tribuns à agir dans le domaine législatif remonte, elle aussi, aux origines de la fonction. Ce point de vue n’est cependant pas unanimement partagé. Dans son étude sur la lex publica, J. Bleicken fut en effet amené à revenir sur les plébiscites antérieurs à 287. De façon générale, dans la continuité de ses travaux sur le tribunat de la plèbe, il leur dénie, à raison, toute valeur normative avant cette date et y voit de simples propositions politiques83. C’est ensuite que les positions de J. Bleicken sont plus contestables. En effet, sur cette base théorique, et après en avoir appelé à la méthode critique, il considère comme fictives la plupart des notices transmises par l’annalistique à propos des plébiscites et des lois antérieurs à 287. Des cent‑quarante‑deux textes législatifs mentionnés par G. Rotondi, il retire les soixante plébiscites qui, dans son optique ne peuvent être des décisions normatives et n’ont donc, semble‑t‑il, pas d’intérêt. Il en enlève à nouveau cinq qui seraient des doublets et vingt‑six qui ne seraient que le résultat de constructions historiques mythiques84. Ne restent dès lors plus que cinquante‑et‑une dispositions normatives qu’une série d’autres opérations réduit à huit, les seules reconnues comme historiques par J. Bleicken : la lex de clauo pangendo qui date peut‑être de 509 [1], les lois des XII Tables [45 et 46], la lex Valeria militaris de 342 [120], la lex Publilia Philonis de patrum auctoritate de 339 [126], la lex Publilia Philonis de censore plebeio creando de 339 [127], la lex Maenia de die instauraticio de 338 [128], la lex Valeria de prouocatione de 300 [149] et la lex Hortensia de 287 [160]. Le résultat est décapant et, comme l’écrivit F. Serrao dans sa critique : « E così il Bleicken, in una nota di tre pagine, liquida due secoli di storia delle assemblee popolari romane85. » Si les prémisses de J. Bleicken sont correctes, la façon dont il évacue la quasi totalité de la législation antérieure à 287 ne peut qu’appeler de vives réserves.
24La capacité des tribuns de la plèbe à agir dans le domaine législatif est certaine et va de pair avec leur ius cum plebe agendi. Les tribuns pouvaient réunir la plèbe et lui soumettre des propositions. Précisons que les tribuns ne pouvaient faire voter que des plébiscites, et non des lois puisque, dans la lignée de ce qui vient d’être dit, seule la plèbe était concernée86. L’étymologie du terme l’expose de façon limpide, tout en soulignant la différence fondamentale entre la loi et le plébiscite : le plébiscite – plebis scitum – c’est, littéralement, la décision de la plèbe. Cette précision est fondamentale car le plébiscite n’avait de valeur contraignante que pour la plèbe et non pour l’ensemble de la collectivité, ce qu’un texte de Gaius démontre clairement :
La loi est ce que le peuple prescrit et établit, le plébiscite, ce que la plèbe prescrit et établit. La plèbe diffère du peuple en ce que sous le nom de peuple on entend tous les citoyens, patriciens compris, tandis que sous le nom de plèbe on entend les citoyens autres que les patriciens. D’où, autrefois, cette conséquence, que les patriciens ne se tenaient pas pour liés par les plébiscites qui étaient intervenus sans leur autorisation ; mais ultérieurement fut édictée la loi Hortensia, qui prescrivit que les plébiscites vaudraient pour le peuple entier : c’est ainsi qu’ils furent assimilés aux lois87.
25Seule la loi engageait le corps civique en son entier. D’un point de vue terminologique, on parlera donc de rogatio tant qu’il ne s’agira que d’un projet de plébiscite et de plébiscite une fois le texte voté. Parler de loi tribunitienne est un abus de langage. Cet abus de langage est néanmoins révélateur car issu de la situation de la fin de la République, lorsque le plébiscite avait lui aussi obtenu force de loi88. Dans le même temps, cette étymologie du mot plébiscite démontre que le terme porte en lui l’idée que la décision émane de la plèbe tandis que, à l’inverse, l’étymologie du mot lex renvoie à l’acte lu devant le peuple par ses auteurs89. Le plébiscite apparaît de la sorte comme un acte organiquement lié à la décision d’une partie du peuple qui était alors en train de se construire en tant que sujet politique face au patriciat, et qui se prétendait souverain. Le plébiscite se veut le vecteur des intentions de ce peuple, qu’il place au centre de la production des normes. Pour la période qui nous occupe, le sens des plébiscites, leur portée et leur valeur contraignante pour l’ensemble de la collectivité romaine étaient donc totalement différents, jusqu’à ce que fut réalisée l’équivalence juridique entre les plébiscites et les lois, ce que l’on nomme, à partir du texte de Gaius, l’exaequatio, ou équiparation en français.
De l’exaequatio entre plébiscites et lois
26La date d’entrée en vigueur de cette exaequatio est un problème disputé. L’origine de cette controverse réside dans le texte de Tite‑Live qui mentionne, à rebours de la simplicité de Gaius, trois lois prévoyant de conférer aux plébiscites la même valeur qu’aux lois comitiales, à trois dates différentes s’étalant sur plus de cent‑cinquante ans. La première daterait de 449, après la chute des décemvirs, et sur une proposition des consuls :
En tout premier lieu, voyant qu’on avait l’air de discuter sur ce point de droit : « les patriciens sont‑ils soumis aux mesures prises par l’assemblée de la plèbe ? », les consuls proposèrent aux comices par centuries une loi portant que « les décisions de la plèbe assemblée par tribus engageaient le peuple entier » ; cette loi fut une arme redoutable pour les tribuns et leurs propositions90.
27La deuxième prendrait place en 339, dans le contexte de la guerre de 340‑338 contre la coalition des peuples Latins. À Rome, une vive lutte politique opposa les consuls aux sénateurs. Ces derniers, pour reprendre le contrôle de la situation, choisirent de faire nommer un dictateur, mais un des deux consuls fut désigné : Q. Publilius Philo. Il décida de faire voter une série de trois mesures très favorables à la plèbe dont l’une rendit les plébiscites valables pour l’ensemble du populus Romanus :
Cette dictature fut favorable au peuple par les discours accusateurs prononcés contre le Sénat et par trois lois, des plus avantageuses pour la plèbe mais contraires à la noblesse, qu’elle fit voter ; l’une rendait les plébiscites obligatoires pour tous les Quirites, la seconde soumettait les lois présentées aux comices centuriates à l’approbation du Sénat avant le début du vote, la troisième prescrivait que l’un des deux censeurs devait toujours être pris dans la plèbe – alors qu’on en est arrivé à permettre qu’ils soient plébéiens tous les deux91.
28En 287 enfin, avec la lex Hortensia, une nouvelle loi de ce type aurait été proposée et l’équiparation aurait été définitivement réalisée. Nous ne pouvons ici que regretter de ne pas disposer du texte de Tite‑Live puisque la dernière sécession de la plèbe et la dictature de Q. Hortensius se trouvaient évoquées dans le livre onze, perdu, dont ne reste que le résumé dans les Periochae :
En raison de ses dettes et après de graves et longues émeutes séditieuses, la plèbe finit par se retirer sur le Janicule, d’où le dictateur Q. Hortensius la fit descendre ; celui‑ci mourut au cours même de sa magistrature92.
29Cette loi nous est cependant connue par d’autres sources qui permettent d’en préciser un peu le contenu93. Cette répétition a longtemps posé problème.
30Deux tendances s’opposent94. Certains accordent une part de vérité aux lois de 449 et 339 tandis que d’autres n’y voient qu’anticipations et reconstructions à partir de l’unique loi historique, celle de 287. Les partisans de la première tendance fondent en général leur démonstration sur un processus graduel d’équiparation que l’on peut schématiquement rendre de la façon suivante : avant 449, les plébiscites n’engageaient que la seule plèbe ; à partir de 449, ils purent s’appliquer à l’ensemble du corps politique, s’ils recevaient après coup l’auctoritas patrum sénatoriale ; puis, avec la loi de 339, l’accord du Sénat dut désormais précéder le vote du plébiscite. Enfin, avec la lex Hortensia de 287, l’exaequatio complète fut réalisée en supprimant toute nécessité d’un accord sénatorial. Dans cette optique, c’est la combinaison, à divers moments du processus, du plébiscite et de l’auctoritas patrum qui était à même de conférer une valeur contraignante aux décisions de la plèbe95.
31À l’inverse, les partisans de la non‑historicité des lois de 449 et 339 expliquent qu’il n’y eut qu’une seule mesure, en 287. C’est à partir de cette date que les plébiscites auraient eu une valeur engageante pour l’ensemble de la cité. Les deux lois précédentes ne seraient que des inventions de l’annalistique, ou une déformation de mesures différentes, inventions par lesquelles elle cherchait à se rendre intelligible la multiplication de plébiscites sur un même thème. Dans cette optique, avant 287, les plébiscites ne purent acquérir une quelconque valeur normative que s’ils recevaient après coup une forme de validation par le Sénat ou, comme le propose de façon peu convaincante H. Siber, par les comices centuriates96. Si l’on retrouve, dans cette théorie, l’association d’une décision plébéienne et d’un accord patricien pour que le plébiscite fût valide, ce processus ne fut jamais normalisé avant 287 et résulta toujours de combats politiques. L’exemple classique de cette interprétation se trouve chez Th. Mommsen. Il ne reconnaît de valeur historique qu’à la loi Hortensia. Auparavant, les plébiscites auraient été conditionnés à un accord sénatorial. Les lois de 449 et de 339 auraient concerné les décisions des comices tributes patricio‑plébeiens, non celles du concilium plebis. Cette solution très ingénieuse, peut‑être trop compliquée, a néanmoins ouvert la voie à toute une série d’auteurs refusant, selon des hypothèses variées, la validité des deux mesures antérieures à la loi Hortensia de 28797.
32Des solutions intermédiaires furent parfois avancées, comme le montre la proposition de M. Humm. Il ne reconnaît de véracité qu’aux mesures de 339 et de 287 [125 et 160], réduisant le processus d’équiparation à deux étapes fixées sur ces deux dates98. Cette hypothèse se fonde en réalité sur son analyse du plébiscite ovinien [141], ainsi que sur sa conviction profonde que la plupart des grandes réformes institutionnelles de Rome date de la seconde moitié du IVe siècle. À ce titre, il est conduit à rejeter une bonne part de ce que la tradition attribue à la période antérieure, tout en accordant une attention soutenue au dernier tiers du IVe siècle. L’importance du plébiscite ovinien dans l’histoire du Sénat fait qu’il lui paraît nécessaire qu’il fût bien appliqué à l’ensemble de la cité, et donc que la loi de 339 reposât sur un fond de vérité. L’adoption du plébiscite ovinien ne nécessitait toutefois pas plus un texte de loi que l’adoption des plébiscites licinio‑sextiens. La situation n’avait pas radicalement changé entre ces deux dates et vouloir donner une certaine valeur à la loi de 339 au détriment de celle de 449 ne se justifie pas, même si la tentative de sauvegarder l’historicité de la loi de 339 se retrouve ailleurs dans l’historiographie99. Cela n’est pas convaincant et, si la loi de 339 eut une certaine réalité, ce ne put être, au maximum, que celle que lui confère A. Guarino : une loi stipulant que les magistrats devaient soumettre aux comices les plébiscites dont les tribuns réclamaient l’application, comme s’il s’agissait de leurs propres rogationes. Rien de plus100. Mentionnons aussi les suggestions de P. Zamorani. D’après lui, la mesure de 449, authentique, aurait consisté en la reconnaissance officielle du caractère normatif des plébiscites pour la seule plèbe et c’est seulement à partir de 339 que l’exaequatio aurait commencé à intervenir. Dans un premier temps, en 339, il aurait fallu l’auctoritas patrum avant le vote du plébiscite puis, en 287, la suppression de cet accord sénatorial initial aurait conféré aux plébiscites leur pleine valeur normative101. Quoiqu’originale, l’hypothèse peine à emporter l’adhésion car elle ressemble surtout à une tentative de sauver le récit annalistique. Plus fondamentalement, l’idée qu’une disposition législative du populus ait ordonné le mode de validation des dispositions normatives de l’organisation plébéienne est très improbable et ne correspond en rien à ce que nous pouvons reconstruire des institutions de la plèbe aux débuts de la République.
La normativité des plébiscites comme enjeu politique (494‑287)
33Conférer une égale historicité à ces trois lois revient à vouloir ordonner et rendre linéaire un développement historique qui ne le fut pas nécessairement et qui reposa longtemps sur des rapports de force entre la plèbe – avec ses tribuns – et le camp patricien. Je me rallie au second courant car les lois de 449 et de 339 ne sont que des réécritures historiographiques. Celle de 449 est assurément anhistorique et celle de 339 ne peut être acceptée telle que transmise par le texte de Tite‑Live. Un argument majeur en faveur de cette hypothèse est qu’à aucun moment nos sources concernant la loi Hortensia de 287 ne font la moindre référence à l’effacement d’un recours antérieur à l’auctoritas patrum. Il n’est question que de donner aux plébiscites une valeur engageant toute la cité. En outre, nombre de ces sources ne font pas référence à ces éventuelles mesures antérieures. C’est le cas du texte de Gaius cité plus haut et c’est aussi celui de Laelius Felix. Ce juriste avait composé un commentaire aux édits de Q. Mucius Scaevola dans lequel il revient sur ce problème. Cette œuvre perdue est en partie citée par Aulu‑Gelle et Laelius Felix n’y fait référence qu’à la loi Hortensia de 287 :
Dans le même livre de Laelius Felix est écrit ceci : « Celui qui demande d’être présent non au peuple tout entier, mais à une partie quelconque ne doit pas ordonner des comices mais une réunion (concilium). Or les tribuns ne convoquent pas les patriciens et ne peuvent pas rapporter auprès d’eux sur aucun sujet. Ainsi on n’appelle pas proprement lois mais plébiscites les décisions prises sur le rapport des tribuns de la plèbe, textes par qui les patriciens n’étaient pas tenus antérieurement jusqu’à ce que le dictateur Quintus Hortensius ait fait voter la loi prescrivant que tous les Quirites soient tenus par le droit que la plèbe aurait établi ». Il est encore écrit dans le même livre : « Quand on porte les suffrages suivant la naissance des gens, ce sont des comices curiates ; quand c’est d’après le cens et l’âge, des comices centuriates ; quand c’est d’après les quartiers et les lieux, des comices tributes ; quant aux comices centuriates il est sacrilège qu’ils se tiennent à l’intérieur du pomerium parce qu’il faut que l’armée soit convoquée à l’extérieur de la ville, on n’a pas le droit de la convoquer à l’intérieur de la ville. C’est pourquoi l’usage était de tenir les comices centuriates sur le Champ de Mars et de les y convoquer pour assurer la défense alors que le peuple était occupé à déposer les suffrages102 ».
34En outre, l’existence de mesures antérieures n’est pas utile à la compréhension des combats politiques des Ve et IVe siècles. Mieux vaut conserver la vieille hypothèse de W. Soltau selon laquelle les plébiscites à destination de la plèbe n’étaient sujet à aucune restriction tandis que ceux à portée plus générale durent, jusqu’en 287, connaître une forme de validation pour s’imposer, le plus souvent à la suite de la pression politique des tribuns de la plèbe103.
35L’intérêt des prétendues lois de 449 et de 339 est toutefois de démontrer que, pour l’annalistique, dès le milieu du Ve siècle, la normativité des plébiscites constituait un enjeu pour les plébéiens. C’est à n’en pas douter révélateur d’une situation historique vraisemblable dans laquelle, rapidement, la plèbe prétendit étendre son pouvoir normatif à l’ensemble du populus Romanus et se heurta au refus patricien. Par plèbe, il faut entendre ici cette frange supérieure dont l’existence a été suggérée (la « haute plèbe » de J.‑L. Halpérin), qui fut représentée de façon majoritaire dans l’exercice du tribunat. Le souvenir de cette situation, associé à la nécessité de rendre compte de la multiplicité des plébiscites portant, à peu d’années d’écart, sur les mêmes thèmes, conduisit l’historiographie de la fin de la République à imaginer plusieurs mesures autorisant, sous certaines conditions, l’extension de la normativité des plébiscites104. En outre, le refus patricien de cette extension des pouvoirs tribunitiens pourrait aussi, suivant une hypothèse de R. Orestano, être le révélateur d’un basculement plus profond. En effet, avant l’apparition de délibérations législatives plébéiennes, les lois romaines n’auraient été que le résultat d’un vote somme toute assuré, se tenant dans une assemblée du populus de formation récente (les comices centuriates), et plutôt passive politiquement. Les tribuns auraient en revanche introduit l’idée d’une participation active des membres du concilium qui put déplaire aux patriciens105. Cette signification spéciale des plébiscites est apparue dans ce que nous avons dit de l’étymologie du terme et il faut ici souligner que ce type de proposition politique était intrinsèquement porteur d’un rapport très différent au peuple que celui compris dans la lex. Dans ce contexte, étudier les plébiscites pour la période 494‑287 prend davantage de sens puisque c’est une période unitaire du point de vue de leur nature et une période de combat à l’issue de laquelle cette nature se modifia.
Conclusion
36Les différences fondamentales qui isolent le tribunat de la plèbe de la magistrature romaine trouvent leur origine dans celle de cette fonction, issue d’une situation de division interne à la société romaine et ayant comme but primitif la défense des plébéiens – particulièrement des intérêts de certains d’entre eux – contre le patriciat. Face à cette division, le tribunat prétendit incarner la magistrature de l’autre partie de la cité, née pour servir ses intérêts. Le pouvoir du tribun prend sa source dans le serment prononcé à ce moment, dans la lex sacrata. Cette « loi sacrée » fut imposée dans un premier temps par la force, et ne fut légalisée qu’en 449, à la suite du décemvirat106. C’est lors du rétablissement des institutions traditionnelles, que celles de la plèbe se trouvèrent pour la première fois officiellement reconnues107. La période précédente fut plus incertaine d’un point de vue juridique.
37Avant la loi Hortensia de 287 [160], les plébiscites n’avaient nulle valeur contraignante en dehors de la plèbe. Le reste de la cité n’était pas engagé par ces décisions et les patriciens essayèrent farouchement de défendre ce privilège, avant de céder au début du IIIe siècle. Par conséquent, et à l’exception des plébiscites concernant la plèbe, s’il n’y avait pas intervention des consuls ou du Sénat, tout plébiscite – en particulier ceux qui souhaitaient modifier l’architecture institutionnelle de la cité – ne pouvait rester qu’un « vœu108 ». Ils n’étaient porteurs d’aucune valeur normative hors de la plèbe et ne pouvaient, en théorie, modifier les structures fondamentales de Rome. C’était un appel, un moyen de pression. Leur adoption par les consuls ou le Sénat résulta d’intenses combats politiques pour retranscrire dans le droit des normes nouvelles. En revanche, les plébiscites à destination de la plèbe s’appliquaient.
38La répétition de certaines de ces propositions doit intégrer cette non‑normativité du plébiscite pour être comprise, ce qu’a montré M. Humbert. Il reconnaît en effet que le pouvoir des tribuns d’agir dans le domaine législatif, tant qu’il ne concernait pas l’ensemble de la cité, remontait à l’origine du tribunat. C’est aussi lui qui insista sur le fait qu’un tribun de la plèbe ne pouvait faire voter que des plébiscites et non des lois, différence fondamentale sur laquelle l’annalistique s’est fourvoyée. Le problème de l’exaequatio des lois et des plébiscites prend alors tout son sens. Bien qu’il faille conserver la seule date de 287 comme valide, cela n’empêcha pas les tribuns de voter des plébiscites auparavant et, par pression politique, d’en faire ratifier certains. Avant 287, et en l’absence d’intervention des structures du populus, tout plébiscite ne pouvait qu’en rester au stade du simple vœu évoqué à l’instant. Ces interventions eurent parfois lieu puisque des plébiscites furent adoptés. C’est pour rendre compte de ces plébiscites adoptés que les historiens antiques imaginèrent des lois leur conférant une normativité étendue avant 287109. La conclusion s’impose d’elle‑même : il faut a priori conserver ces plébiscites et ce d’autant plus que, comme nous le verrons, sans avoir eu de pouvoir normatif contraignant, ils eurent une portée politique réelle dont il convient de rendre compte. Cette portée politique relève du simple bon sens, rapporté au poids démographique respectif des parties en présence110. Sans minimiser l’influence politique des patriciens, il est certain que les plébéiens représentaient l’élément numériquement majoritaire de la cité et qu’à ce titre, du fait de leur rôle grandissant dans l’armée, ils acquirent une prépondérance leur permettant de faire accepter leurs principales revendications. Plus encore, même si les plébiscites ne s’appliquaient qu’à la plèbe, à partir du moment où cette dernière représentait, de loin, la majorité de la population, il était naturel que ces décisions finissent par concerner aussi les patriciens.
39Ces plébiscites ne sauraient être détachés de leur contexte de production, c’est‑à‑dire à la fois de leur environnement politique et économique (pour autant que nous puissions le reconstituer) et des moyens de pression utilisés pour les faire approuver. Avec ces différents aspects à l’esprit, il est désormais possible, par une présentation générale, de préciser le contenu de l’activité normative des tribuns de la plèbe et d’en souligner l’influence historique.
Les dispositions normatives tribunitiennes : un ensemble signifiant
Présentation générale
40Entre 494 et 287, nous avons conservé soixante‑dix‑huit rogationes ou plébiscites. À propos de leur crédibilité, rappelons la possibilité d’archivage des plébiscites dans le temple de Cérès111. Les renseignements fournis par nos sources sur ces plébiscites constituent un autre élément en ce sens. Nous sommes loin d’être toujours renseignés comme nous le souhaiterions à leur sujet. Les libellés exacts de ces textes, la nature précise des mesures souhaitées ou le nom des rogatores ne sont pas systématiquement transmis, très probablement parce que Tite‑Live ou Denys d’Halicarnasse ne les trouvaient pas dans leurs sources. Sur les soixante‑dix‑huit plébiscites conservés, trente‑et‑un ne livrent pas le nom de ces personnes, ce qui va plutôt dans le sens de l’historicité de ces dispositions. Comment imaginer des forgeries aussi incomplètes et imprécises ? Par ailleurs, et sans anticiper sur le cours de l’exposé, insistons dès à présent sur le fait que nombre de ces plébiscites sont très vagues quant à leur contenu exact. C’est particulièrement vrai des plébiscites agraires, pourtant souvent accusés d’être de pâles copies de la législation gracquienne en la matière112. Enfin, une étude précise de ces plébiscites démontre qu’ils s’insèrent bien dans leur contexte historique tel que nous pouvons le reconstituer. Cette analyse sera le paramètre le plus déterminant en faveur de l’authenticité substantielle de la plupart de ces plébiscites et rogationes, qui ont tous été retenus, quitte à discuter ensuite de leur véracité.
41Quatre cas sont à part. Tout d’abord, la lex sacrata de 494 [16] ne peut être comprise comme un plébiscite au sens classique du terme113. G. Rotondi présente également l’action de M. Duilius en faveur du rétablissement du consulat en 449 sous la forme de deux plébiscites114. En réalité, le texte de Tite‑Live, seule source à ce sujet, indique qu’il s’agit d’une seule et même disposition. Il est préférable de suivre ici l’opinion de D. Flach et de ne retenir qu’un seul plébiscite [48]. Les menées du même M. Duilius pour empêcher la multiplication des procès contre les décemvirs ne présentent aucun aspect permettant d’en faire un plébiscite. Quoique G. Rotondi hésitât sur ce cas, il convient de l’ôter de la liste. Par ailleurs, la date du (ou des, car Tite‑Live en parle au pluriel) plébiscite(s) interdisant aux fils de magistrats curules encore vivants d’exercer les magistratures plébéiennes est inconnue, même s’il prend vraisemblablement place entre 366 et 209115. Enfin, certaines dispositions retenues par D. Flach ou M. Elster, qui ne peuvent avoir été des plébiscites ou des lois, ont été écartées116.
42Il ressort également de ce que nous avons vu jusqu’ici que, sauf cas exceptionnels, on doit considérer toutes ces dispositions législatives comme des plébiscites à part entière, qui furent votés. Seuls les cas où il y eut refus du peuple, ou veto d’un autre tribun de la plèbe, permettent de parler d’une rogatio. En 462, le projet de plébiscite de Sex. Titius [32] fut rejeté par le peuple qui ne jugea pas le moment opportun pour ce vote. Il resta donc à l’état de rogatio. Un cas similaire se présenta en 436 à propos de l’assignation en justice de Servilius Ahala [67]. À l’inverse, en 415, la situation fut différente. Là, la proposition de plébiscite agraire de L. Decius fut bloquée par le veto de ses collègues et en resta, elle‑aussi, au stade de la rogatio [77]. En 412, c’est le déclenchement d’une épidémie qui repoussa sine die la rogatio agraria [80]. Entre 395 et 393, le projet de plébiscite concernant l’émigration à Véies offre un cas similaire à ceux de 462 et de 436. Après n’avoir pu être présenté durant deux ans, il fut rejeté la troisième année et ne dépassa jamais le stade de la rogatio [84, 85, 86]. De même, en 390, un nouveau projet d’abandon du site de Rome fut rejeté lors du vote [89]. En 388, la motion de partage du pays pontin ne put être présentée [90]. Elle fut adoptée l’année suivante [91]. En 300, Tite‑Live fait mention d’une possible intercession tribunitienne contre les projets des frères Ogulnii [150], mais elle a de fortes chances d’être anhistorique et il n’en sera pas tenu compte puisque le plébiscite fut voté117. Enfin, en 287, des projets de plébiscites sur les dettes qui ne furent pas votés [159] conduisirent à la troisième sécession de la plèbe. Dans tous ces cas, peu nombreux au demeurant, il est légitime de parler de rogationes.
43De la sorte, seuls trois cas étaient possibles. Le plus simple était celui du projet qui ne put être présenté au vote et qui, naturellement, ne put devenir un plébiscite en bonne et due forme. En règle générale, il fut très vite présenté de nouveau à la plèbe, comme ce fut le cas en 388‑387 [90 et 91]. Il put alors être adopté ou non, ce qui conduit au deuxième cas, à savoir le rejet de la rogatio. Si, la plupart du temps, Tite‑Live parle dans ces cas de refus du peuple (populus), il est évident qu’il ne peut s’agir que de la plèbe, réunie en concile. Simplement, respectant sa présentation anachronique des dispositions tribunitiennes, il ne conçoit pas qu’un plébiscite accepté puisse être voté autrement que par le populus Romanus réuni en comices tributes. Enfin, la dernière possibilité était qu’un veto tribunitien bloquât le projet. Cela ne concerne que les cas de veto portant sur la motion elle‑même. Lorsque l’intervention des collègues tribuns avait pour objet les moyens de pression postérieurs au vote du plébiscite, il faut considérer le plébiscite comme voté. En 480 par exemple, Ti. Pontificius fit voter un plébiscite agraire puis chercha à le faire accepter en bloquant le dilectus [24]. Ses collègues intervinrent pour permettre à la levée d’avoir lieu. Dans ce cas, l’intercession ne portait pas sur la proposition agraire proprement dite, mais sur les manœuvres politiques pour la faire appliquer et obtenir l’accord du Sénat à sa mise en œuvre. Ce fut donc bien un plébiscite qui demeura lettre morte, pas une rogatio.
44Le recours à un veto tribunitien préalable à l’adoption de la motion fut rare. Nous n’en connaissons qu’un exemple, en 415, ce qui est le signe d’une certaine concordance de vue entre les tribuns à cette époque. L’existence même d’une telle possibilité pourrait paraître surprenante, s’agissant de mesures qui, de toutes les façons, ne pouvaient s’appliquer à l’ensemble du populus sans intervention du Sénat. Rien ne l’empêche pourtant en droit, et les sources indiquent toutes que les tribuns bénéficièrent, dès l’origine, de la totalité de leur droit d’intercession118. En outre, puisque nous avons vu que des divergences existèrent parfois au sein des collèges tribunitiens, elles purent pousser des tribuns à recourir à ce type de veto pour empêcher l’action jugée inopportune de certains collègues. Sur les soixante‑dix‑huit dispositions normatives tribunitiennes conservées, dix peuvent être qualifiées de rogationes et quatre en restèrent à ce stade parce qu’elles furent rejetées par la plèbe. Ce chiffre, assez faible, entre en résonance avec les réflexions d’E. Flaig sur les comices comme organe de consensus. D’après cet historien, on ne relève en effet que dix cas de rogationes non votées par le peuple dans toute l’histoire de la République, ce qui témoignerait du rôle de simple validation d’assemblées ritualisées, acquises d’avance aux nobles qui leur soumettaient des projets législatifs119. Cette idée stimulante ne doit pas conduire à minorer certains aspects politiques en amont du vote, notamment au moment de la réunion des assemblées préparatoires (les contiones), puisqu’il fait de ces dernières un des moments d’émergence du consensus. Rappelons ici le jugement de R. Orestano qui présente les tribuns de la plèbe comme les vecteurs de conceptions politiques originales, dans lesquelles le peuple était appelé à se montrer plus actif. Une telle évolution passa sans doute à la fois par le mode d’assemblée qu’ils introduisirent à Rome et par la possibilité d’implication politique plus forte que l’on y trouvait, pas uniquement au moment du vote. Ce dernier ne représente en effet que l’issue d’un processus politique plus ample. Par ailleurs, l’état de la documentation possible pour des époques si reculées doit conduire à ne pas accorder trop de valeur au faible nombre de propositions rejetées. Tout au plus peut‑on remarquer qu’il semble témoigner d’une réelle convergence de vue entre aspirations plébéiennes et mesures tribunitiennes. Constatons, enfin, que la procédure de vote des plébiscites était la même que dans le cas des lois : le tribun interrogeait le concile qui lui répondait et transformait de la sorte la rogatio en plébiscite. La même conception du fonctionnement de l’assemblée était à l’œuvre, à la seule différence que cette assemblée était désormais plébéienne et, qu’après 471, elle fut organisée sur des bases radicalement neuves. Un tel constat doit conduire à minorer l’influence grecque en ces domaines et à relever que l’aspiration plébéienne à incarner le populus passa par la récupération et la transformation à son profit de structures politiques existantes120.
45Nous aboutissons, lex sacrata exceptée, à un ensemble de soixante‑dix‑sept mesures : soixante‑sept plébiscites et dix rogationes. Ce nombre est assez conséquent pour une période de deux siècles, surtout en tenant compte du fait que nous ne connaissons qu’une petite portion des tribuns qui existèrent et de ce que Tite‑Live et Denys d’Halicarnasse manifestent un intérêt très inégal à leur endroit. Ces plébiscites sont regroupés dans le tableau placé en annexe121.
Une analyse thématique des plébiscites
46Un examen détaillé des différents domaines d’action de ces plébiscites permet de mettre en évidence les centres d’intérêt des tribuns de la plèbe. Une typologie de leurs plébiscites s’avère en effet utile, notamment si l’on prend comme critère principal de cette classification leur objet, c’est‑à‑dire la partie du champ social et politique sur laquelle ils prétendaient agir. Pour ce faire, la véracité historique de chacune de ces dispositions importe peu car c’est plus la structure catégoriale de l’ensemble de cette production telle que rapportée par la tradition qui est révélatrice. Ces plébiscites présentent des tendances significatives qui éclairent les choix politiques des tribuns de la plèbe et de leurs lignées.
47La question agraire est représentée par dix‑huit plébiscites et trois rogationes [20, 21, 23, 24, 25, 26, 30, 31, 62, 73, 74, 75, 76, 78, 81, 83, 91, 99 et 32, 80 et 90 ; sachant que le plebiscitum Sextium agrarium, compté comme plébiscite agraire, a aussi une dimension coloniale]. C’est celle qui fut la plus souvent débattue et, de façon significative, toujours avant 367. C’est aussi celle qui, pour autant que notre documentation nous le laisse percevoir, semble avoir trouvé le plus d’écho dans la plèbe elle‑même122. Ensuite, dix‑sept plébiscites traitent de ce que l’on pourrait nommer l’architecture institutionnelle de la République, et s’étalent de 462 à 311 [33, 35, 36, 37, 38, 39, 42, 48, 59, 98, 111, 122, 123, 124, 141, 142 et 143]. Ce nombre peut en réalité être ramené à onze puisque, de 462 à 455, c’est le même plébiscite – celui du tribun C. Terentilius Harsa pour réglementer le pouvoir consulaire – qui fut présenté sept fois. Outre la lex sacrata de 494 [16], le tribunat de la plèbe en tant que tel fut la source de cinq plébiscites, là aussi tous antérieurs à 367 [17, 29, 40, 52 et 55]. La religion, à travers la composition des collèges religieux, fit l’objet de deux plébiscites [101 et 150] et l’attribution d’honneurs de quatre [53, 64, 102 et 157]. Les nominations, prorogations ou démissions forcées sont représentées par cinq plébiscites, tous postérieurs à 367, à l’exception de deux [63, 97, 133, 153 et 155]. Les questions économiques et fiscales (problème des dettes et des taux d’intérêt notamment) sont attestées par quatre plébiscites et une rogatio, tous postérieurs à 367 [100, 110, 117, 121 et 159]. Ce chiffre, plutôt faible, nuance le visage de tribuns uniquement préoccupés par ces aspects. Un plébiscite et quatre rogationes concernent la ville de Rome, sa population ou la question de son abandon après le désastre gaulois [41 et 84, 85, 86 et 89]. Quatre plébiscites et une rogatio ont trait à la justice [47, 79, 140, 162 et 67]. Viennent alors une série de sujets variés et moins représentés. Il s’agit d’abord du droit du mariage, avec le plébiscite de Canuleius en 445 [58]. Deux plébiscites portent sur la brigue et sur les élections [69 et 108]. Deux autres relèvent de ce que nous qualifierions aujourd’hui de relations extérieures [137 et 138], un plébiscite et une rogatio ont trait à la colonisation [154 et 77]123 et, enfin, reste ce plébiscite sur l’accès aux magistratures plébéiennes pour les fils d’anciens magistrats curules encore en vie [163]. L’activité législative des tribuns de la plèbe recouvrait donc une large variété de thèmes.
48Il est possible d’en dresser une typologie plus heuristique qui s’articule autour de trois principales thématiques. La première concerne les questions institutionnelles au sens large, c’est‑à‑dire à la fois le mode de fonctionnement des institutions de la cité, le tribunat de la plèbe, les règlements électoraux, les nominations ou les attributions d’honneurs. Cet ensemble couvre un total de trente‑quatre plébiscites, soit environ 44 % du total. Ensuite, un deuxième groupe est constitué des questions économiques et sociales, là aussi au sens large : problèmes agraires, problème des dettes et des taux d’intérêts ou encore colonisation. Cela recouvre vingt‑huit plébiscites, soit environ 36 % du total avec, en son sein, une surreprésentation de la question agraire. Enfin, le reste, plus varié, illustré par quinze plébiscites, porte aussi bien sur les relations extérieures que le problème du mariage ou encore les affaires de justice. Cela représente environ 20 % du total, ce qui n’est pas négligeable. Ajoutons, ce qui modifie peu ce tableau, que le plébiscite de Canuleius sur les mariages, par ses conséquences, entre dans la catégorie des dispositions à caractère institutionnel. Ces chiffres permettent d’affirmer que ce sont bien les questions institutionnelles, économiques et sociales qui occupèrent pour l’essentiel les tribuns de la plèbe avec environ 80 % de l’ensemble. Cette conclusion, d’apparence triviale, peut cependant être enrichie par une approche détaillée de la chronologie de ces mesures.
Répartition chronologique des plébiscites
49Il importe, en effet, de détailler chacune des trois principales catégories proposées pour coordonner cette typologie à une dimension diachronique. Les plébiscites qui ont trait au tribunat de la plèbe se situent en 492 [17], 471 [29], 457 [40], 449 [52] et 448 [55]. Ceux touchant à l’architecture institutionnelle de Rome proprement dite sont au nombre de sept entre 462 et 455 [33, 35, 36, 37, 38, 39 et 42, qui ne font que reprendre la proposition de plébiscite du tribun C. Terentilius Harsa] puis on en trouve en 449 [48], 445 [59], 367 [98], 357 [111], trois en 342 [122, 123, 124], un en 318/312 [141] et deux en 311 [142, 143]. Les plébiscites électoraux datent de 432 [69] et de 358 [108]. Enfin, ceux qui attribuent des honneurs ou des nominations datent de 449 [53], 440 [63], 439 [64], 368 [97], 367 [102], 327 [133], 298 [153], 295 [155] et 294 [157]. Seul le plébiscite sur l’exercice des magistratures plébéiennes pour les fils d’anciens magistrats curules encore vivants [163] est plus difficile à dater. Il ressort de cette description une assez nette répartition chronologique. Soulignons d’emblée qu’il n’existe aucun plébiscite à portée institutionnelle générale avant 471, date du plébiscite de Volero Publilius transférant l’élection des tribuns à une assemblée tribute. Auparavant, seul le plébiscite de 492, qui visait à empêcher qu’on pût interrompre un tribun s’adressant au peuple, s’inscrit dans cette thématique. Ce n’est pas anodin, surtout si l’on ajoute que les seuls plébiscites connus avant 471 furent des plébiscites agraires qui se soldèrent tous par un échec. Il est possible que le plébiscite de 471 ait eu pour point de départ le constat d’une situation d’insuccès politiques et qu’il visât à en tirer les conséquences. Il faut en tenir compte pour analyser le sens de cette proposition et il n’est pas sans signification que, moins de dix ans après son adoption, en 462, le tribun C. Terentilius Harsa pût lancer un combat politique capital qui aboutit à la rédaction des lois des XII Tables.
50Remarquons ensuite que, jusqu’en 367, les plébiscites relatifs aux tribuns et aux questions institutionnelles furent les plus nombreux. À l’inverse, à partir de 367, les attributions d’honneurs et de nominations devinrent plus fréquentes. Si nous affinons encore cette répartition, on s’aperçoit que les attributions d’honneurs se situèrent toutes avant 367 (sauf une en 294) alors que les nominations se firent toutes après 367 (sauf une en 440). Un double phénomène se laisse assez aisément repérer. D’une part, l’année 367 marqua l’issue d’un combat politique mené par les tribuns de la plèbe. À partir de ce moment, il semble que l’essentiel fût acquis même si, dans les faits, le contrôle du patriciat se poursuivit pour partie et exigea de nouvelles batailles. D’autre part, on ne peut que constater la très nette extension du rôle des tribuns qui surent, à partir de la fin du Ve siècle, s’insérer de plus en plus fortement dans le jeu des nominations, ce qui témoigne de leur meilleure intégration à l’espace politique romain. Ainsi, l’analyse de la répartition chronologique des plébiscites abonde dans le sens des thèses de K.‑J. Hölkeskamp pour qui les lois licinio‑sextiennes et la formation de la nobilitas auraient modifié la nature du tribunat de la plèbe ainsi que sa position sur l’échiquier politique romain.
51Il est aussi possible de répartir les plébiscites à portée économique et sociale d’une façon significative. Les plébiscites agraires datent tous d’avant 367, les plébiscites de colonisation de 415 [77, même si c’était une simple rogatio]124 et de 296 [154]. Enfin, les plébiscites portant sur les dettes et les taux d’intérêts se retrouvent en 367 [100], 357 [110], 347 [117], 342 [121] et 287 [159], soit tous après 367. Cette répartition semble indiquer un basculement dans l’ordre des priorités des tribuns de la plèbe. La question des dettes – pourtant décisive, à en croire Tite‑Live, dans le déclenchement de la première sécession de la plèbe – est absente de la législation tribunitienne durant le Ve siècle, dominée par la question agraire, sans doute dans un contexte de tension autour des terres disponibles. À l’inverse, cette dernière s’efface après 367 au profit de la question des dettes qui occupe alors le devant de la scène. Derrière un indéniable changement de priorité, dû au fait que les tribuns obtinrent enfin satisfaction sur la question agraire avec les plébiscites de 367, il semble que l’on puisse également y lire deux éléments : d’une part, le fait que ces questions purent devenir plus pressantes avec l’entrée progressive de Rome dans une économie monétarisée à la fin du IVe siècle ; d’autre part, l’indice qu’à partir de 367, les tribuns eurent un poids politique plus important et, en tous les cas, suffisant désormais pour leur permettre d’imposer cette question, ce qu’ils n’étaient pas parvenus à faire jusque là. Cela démontre qu’ils ne se détournèrent pas totalement, ou du moins pas immédiatement, d’importantes revendications plébéiennes. La mutation du tribunat que suggère K.‑J. Hölkeskamp se fit graduellement, ne serait‑ce que parce que toutes les revendications politiques n’étaient pas satisfaites. Il fallut attendre 300 pour l’accès aux collèges religieux. Les grandes lignées plébéiennes n’avaient donc aucun intérêt à se couper du reste de la plèbe en l’abandonnant à son sort dans la foulée du compromis de 367.
52Restent les quinze derniers textes, plus variés, qui se répartissent chronologiquement de la façon suivante. Ceux sur la ville de Rome datent de 456 [41], 395 [84], 394 [85], 393 [86] et 390 [89] ; les plébiscites sur la justice de 449 [47], 436 [67], 414/413 [79], 314 [140] et 287 [162] ; le problème du mariage de 445 [58] ; la religion de 367 [101] et 300 [150] et, enfin, les relations extérieures de 323 [137] et 319 [138]. Là aussi, une progression se dessine. La dernière thématique – les relations extérieures – est, de ce point de vue, révélatrice car il s’agit d’un des domaines traditionnellement réservés du Sénat. Ne nous y trompons pas : le Sénat ne renonçait en rien à son rôle traditionnel, ce que prouve l’évolution ultérieure du système politique romain. Toutefois, et sans entrer dans les débats compliqués sur le sens et l’historicité de certains de ces plébiscites125, nous ne pouvons que constater que les tribuns de la plèbe réussirent, pour la tradition, à être associés au processus décisionnel. Si cet élargissement de compétences demeura, somme toute, assez limité, il n’en fut pas moins réel (d’autant que l’historicité de ces plébiscites des années 340 à 287 est encore mieux assurée que pour ceux du Ve siècle), et très significatif d’une évolution politique qui fut celle de la constitution progressive de la nobilitas par amalgame des anciennes élites patriciennes avec l’élite de la plèbe. La frange supérieure de la plèbe, via ses tribuns, joua un rôle important dans ces évolutions. Une telle hypothèse sort renforcée de la comparaison entre les plébiscites et les lois comitiales.
Comparaison des plébiscites et de la législation comitiale
53Cette dernière étape donne toute son ampleur à la suggestion initiale : la prépondérance des plébiscites sur les lois comitiales dans l’évolution politique de Rome aux Ve et IVe siècles et, par contrecoup, la reconnaissance du rôle majeur joué par les tribuns de la plèbe dans ces bouleversements. Cette comparaison entre plébiscites et lois comitiales a déjà été entreprise par M. Humbert qui en a montré l’intérêt en aboutissant à une conclusion similaire126. Il organise sa présentation en trois périodes : 494‑450, 449‑339 et 338‑287. Prenons pour point de départ sa démonstration convaincante, en ajoutant simplement que je retiens plus de rogationes et de plébiscites que lui.
De 509 à 450
54De 494 à 450, il ne retient que six lois comitiales contre neuf plébiscites127. Sur une période légèrement différente (509‑450)128, un relevé complet conduit à recenser en réalité vingt‑cinq lois comitiales contre vingt plébiscites (lex sacrata exceptée). M. Humbert arrivait à ses chiffres en ne sélectionnant que les textes législatifs pertinents pour sa démonstration, c’est‑à‑dire ayant une portée réformatrice engageant la cité. Il va même plus loin en soulignant que sur les six lois qu’il retient, une seule exprimait une volonté de réforme, celle sur le montant du sacramentum (qui renvoie aux lois 43 et 44), tandis que les autres étaient des lois ordinaires. Avec un relevé exhaustif, le résultat obtenu est un peu différent dans les détails, mais similaire quant au fond.
55Si l’on retire de l’ensemble des lois comitiales les quatre déclarations de guerre [13, 18, 22 et 34], les lois restantes se répartissent de la manière suivante : trois lois concernant les affaires religieuses [1, 15 et 27], trois lois de portée politique [5, 9 et 10], cinq lois consacrées aux questions judiciaires [7, 11, 28, 43 et 44], une seule loi agraire [19], et, enfin, les lois à portée institutionnelle qui retiennent l’attention de M. Humbert. Elles sont au nombre de neuf : la lex Iunia de imperio L. Tarquinio abrogando de 509 [2], la lex Iunia de consulibus creandis de 509 [3], la lex Tarquinia de potestate consulum de 509 [4], la lex Valeria de prouocatione de 509 [6], la lex (?) Valeria de candidatis consularibus de 509 [8], la lex Valeria de quaestoribus de 509 [12], la lex de dictatore creando de 501 [14], la lex X tabularum de 451 [45] et la lex XII tabularum de 450 [46].
56Une semblable analyse pour les plébiscites conduit aux résultats suivants : neuf plébiscites agraires [20, 21, 23, 24, 25, 26, 30, 31 et 32], trois plébiscites sur le tribunat de la plèbe [17, 29 et 40], sept plébiscites institutionnels [33, 35, 36, 37, 38, 39 et 42] et un plébiscite un peu à part, celui sur le lotissement de l’Aventin [41]. En mettant la focale sur les aspects institutionnels, les lois comitiales paraissent l’emporter d’un point de vue quantitatif, et ce d’autant plus que les sept plébiscites institutionnels se réduisent à la tentative du tribun C. Terentilius Harsa, répétée six fois. Toutefois, s’arrêter à ce premier constat serait une erreur pour plusieurs raisons.
57D’abord, ces fameuses lois comitiales consistent en une série de mesures prises au moment du passage de la monarchie à la République. À l’intérieur de cet ensemble, certaines sont peu sûres, comme celle sur la candidature au consulat ou la loi de création du consulat. Passée l’année 509, ne restent que la loi de création de la dictature et les deux lois à l’origine des XII Tables. Il ne put en réalité exister une loi de création de la dictature pas plus qu’une loi votée pour l’instauration de chaque dictateur. Plus modestement, et en accord avec la précision obligeant à choisir un ancien consulaire, il s’agissait sans doute d’une mesure de circonstance et non d’une disposition institutionnelle générale129. De son côté, la loi créant le décemvirat législatif en 452 est évoquée comme telle à la fois par G. Rotondi et par D. Flach130. En dépit d’opinions contraires131, Tite‑Live ne parle à ce sujet que de l’élection de ces magistrats en utilisant un vocabulaire ne permettant pas de trancher en faveur d’une loi : placere et creare. Par ailleurs, l’idée que la création des magistratures nouvelles nécessitât à chaque fois le recours à la lex publica est une conception mommsénienne qui ne se justifie nullement.
58Ainsi, après 509, la législation comitiale porta peu sur les questions institutionnelles et n’engagea pas de bouleversements auxquels les patriciens n’avaient guère d’intérêt. En outre, les lois des XII Tables n’étaient que l’aboutissement d’un processus complexe qui trouvait son origine dans les demandes répétées d’application du plébiscite de C. Terentilius Harsa. Ce furent en réalité les tribuns de la plèbe qui furent à l’origine de cette évolution majeure. Enfin, le plébiscite de Volero Publilius sur l’élection des tribuns a été comptabilisé avec ceux sur le tribunat. Toutefois, et sans anticiper sur le cours du propos, il faut souligner que ce plébiscite eut une influence qui dépassa de très loin le seul cadre de la fonction tribunitienne. L’existence d’une assemblée tribute autonome y trouve sa source, ce qui le classe presque dans les textes de portée institutionnelle. Si l’on ajoute la différence considérable sur les questions agraires et le plébiscite de lotissement de l’Aventin, la conclusion de M. Humbert demeure valable : de 509 à 450 et, plus encore de 494 à 450, ce sont les plébiscites qui, au‑delà d’une certaine disproportion quantitative, eurent les conséquences les plus décisives sur le devenir de Rome.
De 439 à 339
59De 449 à 339, M. Humbert dénombre vingt lois comitiales contre vingt‑neuf plébiscites132. Un relevé exhaustif donne les chiffres un peu différents de trente‑neuf lois comitiales contre quarante‑deux plébiscites. Cette fois, les plébiscites l’emportent en nombre. Les lois comitiales en question sont de natures très variées. Mettons une fois encore de côté les douze lois de déclaration de guerre et touchant aux affaires militaires [71, 82, 94, 96, 105, 106, 107, 112, 114, 115, 118 et 120]133. Restent alors trois lois d’attributions d’honneurs [54, 65 et 113], quatre lois sur les affaires de justice [56, 70, 95 et 119], deux lois sur les questions économiques et fiscales [109 et 116], deux lois sur la religion [66 et 88], trois lois touchant à la vie politique en général [57, 87 et 93], une loi à dimension agraire [92] et douze lois sur les institutions : la lex Valeria Horatia de plebiscitis de 449 [49], la lex Valeria Horatia de prouocatione de 449 [50], la lex Valeria Horatia de tribunicia potestate de 449 [51], la lex de tribunis militum consulari potestate creandis de 445 [60], la lex de censoribus creandis de 443 [61], la lex Æmilia de censura minuenda de 434 [68], la lex de quattuor quaestoribus creandis de 421 [72], la lex Furia de aedilibus curulibus de 367 [103], la lex de tribunis militum senis a populo creandis de 362 [104], la lex Publilia Philonis de plebiscitis de 339 [125], la lex Publilia Philonis de patrum auctoritate de 339 [126] et la lex Publilia Philonis de censore plebeio creando de 339 [127].
60Les plébiscites se répartissent, eux, comme suit : deux sur le tribunat de la plèbe [52 et 55], trois sur des attributions d’honneurs [53, 64 et 102], quatre concernant la ville de Rome [84, 85, 86 et 89], trois sur les questions de justice [47, 67 et 79], un sur le mariage [58], deux sur la brigue et les élections [69 et 108], quatre sur les questions économiques et fiscales [100, 110, 117 et 121], deux à propos de nominations et de prorogations [63 et 97], un sur la religion [101], un sur la colonisation [77], douze sur les questions agraires [62, 73, 74, 75, 76, 78, 80, 81, 83, 90, 91 et 99] et sept sur les institutions [48, 59, 98, 111, 122, 123 et 124]. Une fois encore, les lois comitiales institutionnelles l’emportent quantitativement.
61Cependant, la prétendue lex de agro coriolano [57] doit être retirée de cette liste. Il s’agit d’une décision des tribus prononçant la propriété de Rome sur un territoire disputé entre Aricie et Ardée. Les deux villes s’étaient plaintes au Sénat qui déféra le litige au peuple. S’il y eut décision du peuple, tenir cette décision pour une loi, à l’image de G. Rotondi et de D. Flach134, est problématique. Plus encore, la loi de création de la censure est également à écarter. Tite‑Live évoque une première fois l’apparition de cette magistrature à sa place normale dans son récit, en 443. Il n’est cependant question que d’une intervention sénatoriale et non d’une loi : mentio inlata ad senatum est. Le sujet réapparaît en 310, lors des polémiques sur la durée de la censure d’Ap. Claudius Caecus. À ce moment, le tribun de la plèbe P. Sempronius s’efforça de pousser le censeur à quitter sa charge et une controverse juridique s’engagea sur la portée de la lex Æmilia de censura minuenda de 434. En effet, Ap. Claudius Caecus niait que cette loi s’appliquât aux censeurs suivants et donc qu’il fût possible de s’appuyer sur son autorité pour le contraindre à la démission. Dans sa réplique, P. Sempronius revint non seulement sur le sens à donner à la loi Æmilia, mais aussi sur une autre loi, qualifiée d’antiqua, qui aurait régi la nomination des censeurs. C’est un témoignage fragile et la création de la censure, pas plus que celle des décemvirs ne nécessita de loi135. Enfin, comme nous l’avons vu plus haut, l’historicité de la lex Publilia Philonis de plebiscitis de 339 [125] est douteuse.
62À l’inverse, parmi les plébiscites de cette période, certains sont de moindre portée, à l’image des deux interdisant des poursuites judiciaires [47 et 79] ou encore de ceux attribuant des honneurs [53, 64 et 102]. Cependant, sans compter les douze plébiscites agraires, le reste de cette production touche à des domaines fondamentaux. Deux modifient les règlements électoraux [69 et 108], tandis que quatre concernent des aspects économiques et sociaux [100, 110, 117 et 121]. Les domaines couverts sont variés et témoignent de la forte emprise des revendications plébéiennes sur la vie publique romaine. Certains plébiscites eurent, en outre, des conséquences considérables. C’est le cas du plébiscite canuléien sur les mariages mixtes [58] qui, en permettant de maintenir ces unions, prépara la fusion des deux groupes sociaux136. De même, le plébiscite licinio‑sextien de consule plebeio [98] est à l’origine de la formation de la nobilitas. Enfin, les multiples demandes agraires qui aboutirent en 367 au plébiscite licinio‑sextien de modo agrorum [99] mirent fin, pour un temps, à une question qui empoisonnait la vie politique romaine137. Ce furent ainsi seize plébiscites dont les conséquences modifièrent considérablement l’Vrbs. Par contraste, sur les trente‑neuf lois comitiales adoptées, les dix qui sont en rapport avec l’évolution des institutions ne pèsent guère. Là aussi, donc, la prépondérance des plébiscites est patente.
De 338 à 287
63Enfin, de 338 à 287, M. Humbert dénombre vingt lois comitiales contre treize plébiscites138. Mon recensement conduit à relever vingt‑et‑une lois comitiales contre quatorze plébiscites. Si la quantité de lois comitiales pourrait paraître supérieure, il convient, une fois encore, de mettre à part les neuf lois ayant trait aux déclarations de guerre et aux affaires militaires [132, 134, 136, 144, 145, 147, 151, 152 et 158]139. Les lois comitiales restantes se répartissent comme suit : trois lois sur la vie religieuse [128, 148 et 161], trois accordant la citoyenneté [129, 131 et 146], une traitant d’affaires judiciaires [130], deux sur la vie politique [135 et 156], et trois concernant les institutions : la lex de praefectis Capuam creandis de 318 [139], la lex Valeria de prouocatione de 300 [149] et la lex Hortensia de plebiscitis de 287 [160]. Encore faut‑il reconnaître que la loi sur la création de préfets pour Capoue n’entre que mal dans ce cadre. Il ne reste alors plus que les lois de 300 et de 287, très importantes au demeurant.
64À l’inverse, les plébiscites se répartissent comme suit : deux sur les relations extérieures [137 et 138], un d’attributions d’honneurs [157], deux sur les questions de justice [140 et 162], un sur la colonisation [154], un sur les questions économiques et fiscales [159], trois à propos de nominations et de prorogations [133, 153 et 155], un sur la religion [150] et trois sur les institutions [141, 142 et 143]. La comparaison chiffrée est, cette fois, moins éloquente parce que le tribunat était entré dans une nouvelle phase de son histoire. Toutefois, les plébiscites institutionnels étaient encore les plus nombreux. Ajoutons‑y qu’ils furent d’importance. Confier l’élection des tribuns militaires au peuple, créer des duumuiri nauales et transférer la lectio senatus aux censeurs ne constituent pas des changements anodins. Si l’on y ajoute le plébiscite ogulnien, qui dépasse de très loin le domaine religieux, on se fera une juste idée du poids politique de ces mesures, incomparablement plus lourd que celui des lois comitiales. Le même schéma se répète donc de 509 à 287.
Conclusion
65Si, de 509 à 287, nous avons conservé sensiblement le même nombre de plébiscites que de lois comitiales (soixante‑dix‑huit contre quatre‑vingt‑cinq), des spécialisations différentes se laissent percevoir. Les plébiscites prirent très vite une grande importance pour la gestion des affaires institutionnelles et économiques de la cité, les lois comitiales conservant leur monopole pour l’organisation des rapports de la communauté romaine avec les autres communautés et avec les divinités. Ce sont ainsi les premiers qui firent le plus évoluer le système politique romain. Ce processus semble avoir mis quelques années à s’engager en raison des problèmes concernant le mode de réunion et de vote de la plèbe. Le premier basculement se produisit en 471, après la victoire de Volero Publilius et la création d’une forme d’assemblée tribute pour les réunions de la plèbe, date essentielle de l’histoire romaine au Ve siècle. À partir de ce moment, la volonté réformatrice, lisible dans le sujet des plébiscites, s’accentua en se modifiant au fil du temps et la victoire politique de 367 étendit encore les possibilités offertes aux tribuns de réaliser leurs projets.
66Ces analyses recoupent celles de K.‑J. Hölkeskamp sur la progressive formation d’une nouvelle noblesse qui remplaça le patriciat, durant la période qui suivit les plébiscites licinio‑sextiens. Cette noblesse – appelée nobilitas par les Romains – se forma par la réunion des franges supérieures de la plèbe et du patriciat. D’après K.‑J. Hölkeskamp, ce phénomène aurait eu un retentissement sur la nature même du tribunat de la plèbe. Abandonnant leurs pratiques contestataires, les tribuns se rapprochèrent de plus en plus des orientations politiques sénatoriales. Ils s’intégrèrent au champ politique de la nobilitas, ouvrant la voie aux tribuns de l’époque classique, tels que J. Bleicken les analyse. De fonction ambitieuse au service des intérêts de la plèbe – ou plutôt d’une partie d’entre elle –, le tribunat serait devenu un auxiliaire de cette nouvelle nobilitas140. K.‑J. Hölkeskamp en veut pour preuve le rôle des tribuns dans les prorogations de magistratures, dans les déductions de colonies ou encore dans la loi de 304 sur la dédicace des nouveaux sanctuaires [148]. Ajoutons qu’un plébiscite comme celui de 319 donnant les pleins pouvoirs au Sénat pour parlementer avec les rebelles de Satricum [138] illustre cette tendance et permet de comprendre ce que J. Bleicken put affirmer du tribunat de la plèbe durant la République classique. C’est en fait l’évolution générale des plébiscites entre 493 et 287 qui met en lumière la métamorphose de cette fonction, phénomène qui se comprend également par ce qui a été avancé, dans les chapitres précédents, du milieu social des tribuns de la plèbe et de leurs lignées.
67En effet, si les tribuns de la plèbe furent amenés à proposer des modifications si substantielles de l’organisation politique de l’Vrbs, c’est parce que les lignées tribunitiennes ne purent se résoudre à être écartées du pouvoir. Ne pouvant intégrer le système fermé mis en place par le patriciat, elles cherchèrent à en modifier la structure pour aboutir à un arrangement nouveau leur assurant un rôle. Une fois ce système créé, elles se trouvaient en position idéale pour prétendre intégrer la nouvelle noblesse en formation, au détriment de certaines revendications non satisfaites de la grande masse des plébéiens. M. Humm insiste sur ce point en parlant d’un « certain décalage entre l’ambition politique (presque) satisfaite de l’élite plébéienne et les revendications (pour le moins) insatisfaites de la grande masse de la plèbe141 ». N’oublions cependant pas le « presque » parce que ce processus était alors encore en cours, et que les revendications plébéiennes ne furent pas abandonnées du jour au lendemain, comme en témoigne la suite de la production normative tribunitienne. Cela tient aussi au fait que toutes les revendications politiques de ces lignées n’étaient pas encore satisfaites.
68L’action de ces lignages tribunitiens ouvrit donc la voie à l’évolution du système républicain romain jusqu’à la forme qu’il adopta à la fin du IVe siècle et qui ne devait plus guère changer jusqu’au Ier siècle. Ce résultat permet une lecture chronologique affinée de l’histoire du tribunat de la plèbe aux Ve et IVe siècles en soulignant dès maintenant qu’il fut l’instrument utilisé pour modeler le système politique républicain classique. Pour mieux le démontrer, nous pouvons à présent entrer dans le détail de ces plébiscites en commençant par ceux consacrés au tribunat de la plèbe et, en particulier, les deux principaux : la « loi sacrée » de 494 [16] et le plébiscite de Volero Publilius de 471 [29].
Notes de bas de page
1 Voir supra p. 40, mais aussi les remarques de Richard 1978, p. 581 et de Cornell 1995, p. 264.
2 Siber 1936, p. 16.
3 Voir, de façon très claire, Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 323‑324 et p. 329. Voir aussi ce qui a été dit en introduction de la difficulté à positionner les tribuns dans une interprétation globale du système politique romain et de l’évolution du caractère de la fonction à partir du IIIe siècle. Plut., Cor., 16, 4 témoigne aussi, indirectement, de ce que la tradition était consciente de cet état de fait : « La plèbe déjà était devenue si redoutable que tout se faisait d’après ses volontés, qu’il était impossible de rien lui imposer par contrainte, qu’elle n’obéissait plus aux consuls et qu’elle était menée, dans son refus de toute autorité, par ses propres chefs qu’elle appelait des magistrats » (ἤδη δὲ καὶ φοβερὸν εἶναι τῷ πάντα βουλομένοις αὐτοῖς ὑπάρχειν καὶ μηδὲν ἄκοντας βιάζεσθαι, μηδὲ πείθεσθαι τοῖς ὑπάτοις, ἀλλ’ ἀναρχίας ἔχοντας ἡγεμόνας ἰδίους ἄρχοντας προσαγορεύειν, trad. R. Flacelière et é. Chambry). La dernière précision est révélatrice. Un passage de Zonar, 7, 15 va dans le même sens en précisant que le tribunat n’était pas une magistrature véritable. Voir l’analyse de ce texte – tardif – dans Urso 2005, p. 62‑63. On pourra objecter que le Commentarius anquisitionis d’un questeur nommé M. Sergius (transmis par Varro, ling., 6, 90‑92) intègre les tribuns dans la liste des magistrats, mais le caractère tardif de ce texte (postérieur à 287 et à la loi Hortensia) peut tout à fait expliquer cette assimilation. Pour la datation ce texte, voir Latte 1936, p. 27 (= Latte 1968, p. 361‑362) et Kunkel 1962, p. 35, n. 118.
4 Même si la réalité d’une telle loi curiate d’investiture est discutée. Voir Magdelain 1964b ; Magdelain 1968 ; Humm 2012a ; Van Haeperen 2012 ; Vervaet 2014, p. 300-351 ; Berthelet 2015 et infra p. 323-324.
5 Liv., 6, 41, 5 est très clair sur ce point. Voir aussi D.H., 9, 41 ; 9, 49 ; 10, 4 et Liv., 4, 6, 2 ; 7, 7, 11 et 10, 8, 9.
6 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 1, p. 25.
7 Ibid., 3, p. 324.
8 Liv., 7, 6, 11.
9 D.H., 5, 18, 1‑2.
10 Pensons au mauvais présage délivré à Ti. Gracchus le jour de sa mort par les poulets sacrés (Val. Max., 1, 4, 2 et Plut., TG, 17, 1). Une double solution à ce problème fut proposée par Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 1, p. 95‑97. Il note en effet que le recours aux poulets n’était sans doute pas admis pour les auspices publics de Rome (particulièrement ceux des comices), et que ce n’est pas en tant que tribun de la plèbe mais en tant que triumvir agris dandis adsignandis que Ti. Gracchus y eut recours. Voir Kunkel et Wittmann 1995, p. 32‑34.
11 L’existence même d’une telle procédure est particulièrement douteuse selon moi. Humbert 1988, p. 500, n. 193 (= Humbert 2013, p. 228, n. 193) l’estime juridiquement possible avant 300 mais « politiquement peu vraisemblable » ; Santalucia 1993, p. 19‑22 (= Santalucia 1994, p. 56‑58) la juge impossible ; Lovisi 1999, p. 221‑222, p. 236, p. 252‑254 et p. 258‑259 en suppose l’existence dans la procédure tribunitienne de perduellio, sans apporter d’éléments décisifs en ce sens. Sur le prêt d’auspices pour les questeurs on se reportera à Lovisi 1999, p. 310 avec la bibliographie et sur la question en général, voir la mise au point récente de Rivière 2013, p. 30‑38.
12 Comme tous les citoyens, voir Serv., Æn., 3, 20 et Botsford 1968 (1909), p. 100‑103.
13 Zonar., 7, 19. Il est plus probable que ce canoniste byzantin du XIIe siècle se soit ici mépris car la loi à laquelle il se rapporte est d’historicité douteuse.
14 Bouché‑Leclercq 1882, p. 216‑218 ; Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 1, p. 101‑102 et 3, p. 325 et p. 327, n. 1 ; Catalano 1960, p. 199‑203 et p. 450‑454 avec la bibliographie et Linderski 1990, p. 47.
15 L’ensemble des travaux de J. Scheid va en ce sens. Voir Scheid 2001, passim, Scheid 2011 ou Scheid 2013. Voir aussi Berthelet 2015. Cette idée a été exprimée de la façon la plus claire par Bleicken 1957a, p. 347 : « In Rom sind staatliche und sakrale Handlungen stets eng miteinander verflochten gewesen. Die einen waren ohne die anderen undenkbar. »
16 Liv., 6, 40‑41 (et surtout le § 41 qui évoque les auspices), le discours d’Ap. Claudius Crassus au moment des lois licinio‑sextiennes, ou encore dans Liv., 4, 3‑5, le discours du tribun C. Canuleius en 445. Les auspices de type oblatif n’étaient pas touchés par cette distinction et les tribuns durent donc disposer dès l’origine du ius obnuntiandi, lequel ne doit pas être confondu avec le ius auspicandi. Sur ces questions, voir Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 325‑329 ; Bleicken 1957b, p. 468‑478 ; Catalano 1960, p. 454‑479 et p. 488‑500 ; Magdelain 1964a (= Magdelain 2015, p. 341‑383) ; Linderski 1971 (= Linderski 1995, p. 444‑457) ; Bleicken 1975, p. 298‑300 ; Catalano 1978, p. 440‑553 ; Linderski 1986 ; Linderski 1990, p. 37‑48 et Kunkel et Wittmann 1995, p. 32‑34.
17 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 329. L’expression grecque est attestée dans les sources. Voir, p. ex., D.H., 7, 44, 2 ; D.H., 7, 50, 1 ; D.H., 10, 39, 1 ; App., BC, 2, 108 et App., BC, 4, 17. Sur la lex sacrata initiale, voir infra p. 257-281.
18 Ces aspects bien connus ont été seulement résumés ici. Pour plus de détails, on consultera Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 332‑352 ; De Martino 1972a, p. 260‑262, p. 353‑366, p. 373‑377 ; De Martino 1973, p. 247‑257 ; Gaudemet 1982, p. 295‑296 ; Kunkel et Wittmann 1995, p. 570‑638 ; Gaudemet 2002, p. 151‑153 et Humbert 2011, p. 246‑252.
19 Cette limitation urbaine des pouvoirs tribunitiens – accompagnée d’une obligation à conserver sa maison ouverte en permanence – fit l’objet d’interprétations variées. Elle servit bien sûr dans un premier temps à ceux qui souhaitaient voir dans la plèbe une réalité essentiellement urbaine. Seul Belot 1866, p. 318‑319 chercha à tout prix à faire des plébéiens une population rurale opposée au peuple de la Ville. Se heurtant à la limite urbaine du pouvoir des tribuns, il contourna habilement la difficulté en faisant du tribunat de la plèbe la magistrature du peuple extérieur, attachée à sa défense lors de sa présence dans l’Vrbs (voir Richard 1978, p. 22‑23). L’attachement du tribun au sol de Rome a aussi parfois été interprété comme une limitation à dimension magico‑religieuse renvoyant à l’aspect sacré de la fonction. Voir, de ce point de vue, Piganiol 1919 (= Piganiol 1973, p. 261‑271) ou Magdelain 1943, p. 141‑142.
20 D.H., 8, 87, 4 à 8, 88, 1 et Liv., 2, 42, 8‑9. Tite‑Live fait référence à l’événement de façon elliptique.
21 D.H., 11, 53, 1‑3 et Liv., 4, 1, 1‑4. Liv., perioch., 59, 10 en fournit un exemple extrême pour l’année 131. En effet, le tribun C. Atinius Labeo voulut alors jeter du haut de la roche Tarpéienne le censeur Q. Metellus qui l’avait écarté du Sénat. Seule l’intervention des collègues de Labeo le sauva.
22 P. ex. Liv., 1, 60 et 2, 1 (contra Liv., 7, 3, 5 qui mentionne le praetor maximus) ou D.H., 4, 76.
23 Voir supra p. 36-40.
24 Lovisi 1999, p. 178‑179. Voir, surtout, Magdelain 1969, p. 279‑280 (= Magdelain 2015, p. 332‑334) qui, à la suite de son interprétation du titre praetor maximus, interprète le consulat initial comme une « dictature bicéphale ». Il imagine donc une forme de collégialité archaïque par roulement, même s’il doit alors reconnaître que la collégialité totale, avec intercession, fut plus tardive.
25 Mommsen 1985 (1854), 1, p. 185‑191 et Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 1, p. 30‑35 et 3, p. 322‑323.
26 Citons, p. ex., Bouché‑Leclercq 1886, p. 32‑33 ; Bonfante 1934, 1, p. 86 même si ce dernier laisse la porte ouverte à une affirmation définitive du système collégial seulement à partir de l’accession des plébéiens aux différentes charges publiques ; Longo et Scherillo 1935, p. 52‑58 ; De Francisci 1943 (1925), p. 201, n. 3 et p. 203 ou encore Homo 1950, p. 32‑33 pour qui ce principe aurait été emprunté à des institutions italiques. Sans se prononcer de façon claire, Staveley 1956, p. 99‑100 semble également pencher en ce sens.
27 Voir supra p. 36.
28 Giovannini 1984, p. 26‑29.
29 En ce sens, Bernardi 1945‑1946a ; Bernardi 1945‑1946b ; Bernardi 1952 ; De Martino 1972a, p. 234‑236, p. 324, p. 410‑413 et Bleicken 1995, p. 100‑101.
30 Bleicken 1995, p. 101 : « Ihrem Ursprung nach ist, wie man sieht, die Kollegialität als ein Kontrollmechanismus gedacht, der eine allzu große Ausdehnung der Macht des beamteten Plebejers verhindern sollte. »
31 Voir infra p. 331-337 la présentation du plébiscite ovinien.
32 Staveley 1956, p. 99‑100. De Martino 1972a, p. 235, n. 36 a répondu aux critiques d’E. St. Staveley. Sur la fiabilité des fastes et les discussions soulevées par cette question, voir p. 34-40.
33 De Martino 1972a, p. 234‑236, p. 324 et p. 410‑413. Sur la reconstitution de l’émergence des magistratures par Fr. De Martino, voir supra p. 36-37.
34 Frezza 1948, p. 507‑511 et Frezza 1974, p. 80‑85.
35 Guarino 1948 (= Guarino 1973, p. 48‑62).
36 Humbert 2011, p. 240‑241, p. 246‑247, p. 258‑260 et p. 306.
37 Voir Fraccaro 1931 (= Fraccaro 1957, p. 287‑292) et Fraccaro 1934 (= Fraccaro 1957, p. 293‑306).
38 RS, table IX, 1‑2 (= FIRA, table IX, 1‑2).
39 Humbert 2011, p. 258‑259.
40 D.H., 10, 55, 4.
41 Liv., 3, 33, 8 et 3, 36, 3‑5. Présentation similaire chez D.H., 10, 59, 4 à 10, 60, 1.
42 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 169.
43 Voir la typologie de Ridley 1979, p. 304. Voir aussi Cohen 1957 et Senatore 2011, p. 280‑287. Sur la position particulière de Denys d’Halicarnasse à ce sujet, on lira Gabba 1983b et Gabba 1996, p. 124‑125.
44 Stark 1940 p. ex.
45 Ridley 1979, p. 304‑305 pour les tenants de la première interprétation.
46 C’est celle à laquelle se rallie R. T. Ridley. Voir Ridley 1979, p. 306‑308 pour les tenants de cette seconde interprétation. Notons la position particulière de Rosenberg 2011 (1913), p. 68‑74 qui suggère une création artificielle romaine au début de la République, mais influencée par un modèle étrusco‑latin. Voir, sur ce point, Senatore 2011, p. 281‑282.
47 Sur cette appellation, voir Cic., rep., 1, 63 ; Cic., fin., 3, 22, 75 ; Cic., leg., 3, 9 ; Varro, ling., 5, 82 et 6, 61 ; Sen., epist., 108, 30‑31 et Fest., p. 216 L, s.v. Optima lex. Sur la fonction de magister populi, on se reportera à Valditara 1989.
48 Giovannini 1984, p. 19‑21.
49 Kunkel et Wittmann 1995, p. 675‑676, qui ne traitent pas réellement des origines de la fonction.
50 Liou‑Gille 2004a, p. 183‑190 et Liou‑Gille 2004b, p. 434‑439.
51 Humbert 2011, p. 240‑241.
52 Cette idée, dispersée dans la bibliographie, n’est pas toujours suffisamment affirmée. On la trouve déjà en partie chez De Martino 1972a, p. 234‑236 et p. 410‑413 et chez Humbert 2011, p. 258‑259. Elle est présentée de façon plus explicite chez Amirante 1991, p. 38.
53 Plut., QR, 81 (283 B à D).
54 Voir supra p. 182-185. D.H., 9, 1, 4 en donne une vision très claire.
55 Liv., 9, 3, 5 qui ne laisse aucun doute à ce sujet en évoquant la carrière d’Herennius Pontius.
56 Liv., 3, 2, 12 ; 3, 25, 5‑6 et 4, 9, 12. L’idée que Gracchus Cloelius ait été une sorte de commandant supérieur aux autres se lit particulièrement bien chez Liv., 3, 28, 10 où il est mis à part dans la présentation des généraux èques vaincus.
57 D.H., 9, 60, 3 et 10, 22, 4.
58 Sur ces magistrats fédéraux, voir Bourdin 2012, p. 323‑325 et p. 345‑352 avec d’autres exemples.
59 D.H., 8, 11, 1 et Plut., Cor., 27, 1.
60 D.H., 8, 58, 3.
61 Pensons en effet à la mention d’un imperator des Volsques en 423 par Liv., 4, 39, 1.
62 D.H., 3, 34, 3 et 5, 61, 3‑4 ou Liv., 8, 3, 9.
63 Lambrecht 1959 ; Harris 1971, p. 187‑192 ; Senatore 2011, p. 268‑279 et Bourdin 2012, p. 224‑240.
64 Imag. Ital., 1, p. 98‑99 Tadinum 3 ; p. 101‑102 Asisium 1 et p. 112‑113 Fulginiae 1 (= ST, p. 62‑63 Um 7, Um 10 et Um 6). Ces trois inscriptions sont toutes postérieures à 250‑200. Voir Rosenberg 2011 (1913), p. 46‑50 ; Kornemann 1914 ; Homo 1950, p. 30‑33 ; Roncalli 1988 ; Letta 1989, p. 227‑233 ; Rocca 1996, p. 40‑51 n° 2 (Ass. 1), p. 91‑96 n° 13 (Fos.) et p. 96‑101 n° 14 (Fol. 2) ; Meiser 2009 et Bourdin 2012, p. 395 pour l’analyse de l’inscription Imag. Ital., 1, p. 101‑102 Asisium 1 (= ST, p. 63 Um 10).
65 Letta 1979 et Senatore 2011, p. 266‑268 avec un résumé complet de l’historiographie sur ce point.
66 P. ex. CIL XI, 5621, voir Harris 1971, p. 153.
67 Voir Rosenberg 2011 (1913), p. 40‑46 ; Kornemann 1914 ; Colonna 1988a, p. 515‑518 et Senatore 2011, p. 263‑265 avec un résumé complet de l’historiographie sur ce point.
68 Voir le texte classique de Fest., p. 110 L., s.v. Meddix. Sur la présence de meddices à Capoue, voir, p. ex., Imag. Ital., 1, p. 417‑420 Capua 21 et 22 (= ST, p. 100 Cp 32 et 31). Pour le Samnium, voir, p. ex., Imag. Ital., 2, p. 1095‑1096 Bouianum 97 (= ST, p. 85 Sa 25) avec la mention du meddix Bantius Betitius.
69 Sur la ligue samnite, on consultera Senatore 2006.
70 Voir Rosenberg 2011 (1913), p. 27‑32 ; Kornemann 1914 ; Weinstock 1931 ; Heurgon 1942, p. 234 ; Homo 1950, p. 30‑33 ; Salmon 1967, p. 84‑98 ; Campanile 1979, p. 15‑25 ; La Regina 1989, p. 304‑362 ; Tagliamonte 1996, p. 254‑261 et Senatore 2011, p. 248‑259 avec un résumé complet de l’historiographie sur ce point.
71 Imag. Ital., 2, p. 935‑938 Atina 1 (= ST, p. 84 Sa 14) et Imag. Ital., 3, p. 1437‑1445 Bantia 1 (= ST, p. 123‑125 Lu 1). Sur ce point, voir RS, 1, p. 193‑208 et p. 271‑292.
72 Senatore 2011, p. 240‑248 pour un résumé de la question.
73 Harris 1971, p. 189‑192.
74 Heurgon 1942, p. 231-242 et Heurgon 1967, p. 99‑127.
75 Sur Messine : Imag. Ital., 3, p. 1515‑1516 Messana 4 (= ST, p. 134 Me 1). Sur Velitrae : Imag. Ital., 1, p. 340‑342 Velitrae 1 (= ST, p. 66 VM 2). Sur Nola : Imag. Ital., 2, p. 862‑869 Nola 2 à Nola 5 (= ST, p. 116 Cm 6, Cm 7, Cm 47 et Cm 48).
76 Voir supra p. 96-97.
77 Concernant l’uhtur, Letta 1979, p. 60 estime qu’il aurait pu être une magistrature unique, non collégiale, pour les périodes antérieures au IIIe siècle. C’est donc un cas de collégialité encore disputé.
78 Weinstock 1931, p. 235‑246.
79 De Francisci 1943 (1925), p. 180.
80 Rosenberg 2011 (1913), p. 72 et p. 76‑78 où ce dernier insiste sur la position de carrefour de Rome, expliquant comment elle put mettre sur pied ce système en empruntant aux différentes aires culturelles qui l’entouraient.
81 Crawford 2011.
82 Voir, en dernier lieu, Humbert 2005b (= Humbert 2013, p. 541‑588) et infra p. 308-312.
83 Bleicken 1975, p. 85‑86 et en particulier, p. 85 : « Das Plebiscit erzeugte daher kein geltendes Recht; es stand außerhalb der Rechtssphäre, es war politisches Programm. »
84 Ibid., p. 75 n. 4 qui se poursuit sur trois pages. Et p. 77 : « 26 gehören eindeutig der mythischen bzw. konstruierenden Geschichtsschreibung an ».
85 Serrao 1981b, p. XXVI et les p. XXV‑XXVII pour la critique du point de vue de J. Bleicken.
86 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 6/1, p. 174‑175.
87 Gaius, inst., 1, 3 : Lex est quod populus iubet atque constituit. Plebiscitum est quod plebs iubet atque constituit. Plebs autem a populo eo distat, quod populi appellatione uniuersi ciues significantur, connumeratis et patriciis ; plebis autem appellatione sine patriciis ceteri ciues significantur ; unde olim patricii dicebant plebiscitis se non teneri, quae sine auctoritate eorum facta essent ; sed postea lex Hortensia lata est qua cautum est ut plebiscita uniuersum populum tenerent : itaque eo modo legibus exaequata sunt (trad. J. Reinach revue et corrigée par M. Ducos). Même si ce texte date de l’époque des Antonins, il offre une bonne présentation de la situation républicaine. Voir également Fest., p. 372 L., s.v. Scita plebei : Scita plebei appellantur ea, quae plebs suo suffragio sine patribus iussit, plebeio magistratu rogante.
88 Sur l’expression « force de loi », voir les remarques d’Agamben 2003, p. 65‑67.
89 Magdelain 1978, p. 17 : « la lex est la “lecture”, de même que chez certains peuples la loi est l’écriture ». Voir aussi Humbert 2011, p. 250.
90 Liv., 3, 55, 3 : Omnium primum, cum uelut in controuerso iure esset tenerenturne patres plebi scitis, legem centuriatis comitiis tulere « ut, quod tributim plebes iussisset, populum teneret » : qua lege tribuniciis rogationibus telum acerrimum datum est (trad. G. Baillet).
91 Liv., 8, 12, 15‑16 : Dictatura popularis et orationibus in patres criminosis fuit, et quod tres leges secundissimas plebei, aduersas nobilitati tulit : unam, ut plebi scita omnes Quirites tenerent ; alteram, ut legum quae comitiis centuriatis ferrentur ante initum suffragium patres auctores fierent ; tertiam, ut alter utique ex plebe – cum eo uentum sit ut utrumque plebeium fieri liceret – censor crearetur (trad. R. Bloch et Ch. Guittard). Il est au passage tout à fait intéressant de noter que Tite‑Live présente son consulat, un peu plus haut, en le comparant à un tribunat factieux. Sur la fin du passage, voir Richard 1981a.
92 Liv., perioch., 11 : Plebs propter aes alienum post graues et longas seditiones ad ultimum secessit in Ianiculum, unde a Q. Hortensio dictatore deducta est ; isque in ipso magistratu decessit (trad. P. Jal).
93 Pompon., 8 (= Dig., 1, 2, 2, 8) ; Gaius, inst., 1, 3 ; Gell., 15, 27, 4 et Plin., nat., 16, 37.
94 Mettons à part des opinions franchement iconoclastes comme celle de Séran de la Tour 1774, 1, p. 14‑15 et p. 103 qui estime que la validité des plébiscites, sans sénatus‑consulte, avait été accordée au peuple par P. Valerius Publicola dès 509 (507 dans sa chronologie). Puis, p. 261, il reconnaît sa pleine validité à la loi de 449 ce qui laisse à penser que, pour lui, elle ne fit que reprendre la disposition antérieure, même si Séran de la Tour ne le dit pas explicitement. De la sorte, les tribuns auraient arraché très tôt aux patriciens la validité de leurs plébiscites. Cette idée a trouvé, sur des bases toutes différentes, un continuateur en la personne de Mitchell 1990, p. 186‑198 qui accorde aux plébiscites une normativité totale dès la création du tribunat.
95 Voir Willems 1968b (1883), p. 33‑57 et p. 80‑86 ; Botsford 1968 (1909), p. 274‑275, p. 299‑302 et p. 313‑315 ; Niccolini 1932, p. 22 et p. 54‑56 ; Homo 1950, p. 58‑59, p. 67, p. 76‑77 et p. 82 ; Biscardi 1951, p. 153‑154 ; Staveley 1955, p. 14‑31 ; Biscardi 1987, p. 39‑71 et p. 81‑91 ; Frezza 1974, p. 130‑131 ; Serrao 1974, p. 39‑41 ; Ferenczy 1976a, p. 55‑61 (même s’il est plus prudent pour la loi de 449) ; Serrao 1981c, p. 94 et p. 130‑134 ; Amirante 1984 (= Amirante 1988, p. 23‑55) ; Amirante 1991, p. 139‑140, p. 186‑187, p. 210‑221 ; Kunkel et Wittmann 1995, p. 81 n. 95, p. 439 n. 172, p. 608‑610 et p. 617.
96 Idée que l’on retrouve en partie chez Guarino 1959, p. 381‑383, lequel estime que seules les lois de 339 et de 287 sont historiques.
97 Voir Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 6/1, p. 175‑176. On se reportera aussi à Meyer 1895, p. 18 (= Meyer 1924, p. 355‑356) ; Binder 1909, p. 371, p. 476 et p. 485 ; De Francisci 1943 (1925), p. 304‑305 ; Beloch 1926, p. 350 et p. 477‑478 ; Siber 1936, p. 39‑44 ; Fritz 1950, p. 18‑31 (= Fritz 1976, p. 346‑359) ; Scherillo et Dell’Oro 1950, p. 206‑209 ; Guarino 1951 ; Fritz 1953 (= Fritz 1976, p. 381 et p. 383‑387) ; Bleicken 1955, p. 13‑15 ; Arangio‑Ruiz 1957, p. 52‑53 (qui ouvre toutefois la porte à l’historicité de la mesure de 339) ; Orestano 1967, p. 266, n. 3 ; Bleicken 1975, p. 95, n. 23 ; Develin 1975, p. 320‑321 ; Ferenczy 1976a, p. 195 ; Magdelain 1978, p. 56‑57 ; Maddox 1984 ; Hölkeskamp 1987, p. 163‑166 ; Hölkeskamp 1988b, p. 292‑298 ; Mastrocinque 1988, p. 187‑191 ; Sandberg 1993, p. 92‑95 et Humbert 1998a, p. 211‑212 (= Humbert 2013, p. 649‑651). Notons, un peu à part, l’hypothèse de Meyer 1948, p. 65 qui propose qu’avant 287, les plébiscites acquirent force de loi par les leges sacratae : « Da sie rechtlich nur Beschlüsse eines Teiles des Gesamtvolkes waren, wenn auch des größten Teils, ermangelten sie der eigentlichen Gesetzeskraft. Man verlieh ihnen daher durch das gleiche Mittel der eidlichen Verpflichtung die staatlich bindende Kraft, die bei der Begründung der Sonderorganisation der Plebs wirksam gewesen war, leges sacratae. » Cette opinion changea dans la réédition de son ouvrage en 1961, cette fois p. 69, où l’on trouve l’exposé suivant : « Da sie rechtlich nur Beschlüsse eines Teiles des Gesamtvolkes waren, wenn auch des größten Teils, ermangelten sie der eigentlichen Gesetzeskraft. Es mag richtig sein, wie die antike Überlieferung annimmt, daß einzelne dieser Plebiszite durch nachträglichen Beschluß der Comitien zu Gesetzen wurden oder durch Senatsbeschluß anerkannt wurden. »
98 Humm 2005, p. 427‑428 et p. 434. Ce semble aussi être le cas de Brunt 1979 (1971), p. 72‑73.
99 Voir De Martino 1972a, p. 373‑377 et De Martino 1973, p. 153‑157 avec la bibliographie.
100 Guarino 1951. Avec cette interprétation, on le voit, aucune mesure ne s’attaqua frontalement à la normativité des plébiscites avant celle de 287.
101 Zamorani 1987, p. 130‑132 et p. 343‑350.
102 Laelius Felix, frgt 2‑3 Huschke (apud Gell., 15, 27, 4‑5) : In eodem Laeli Felicis libro haec scripta sunt : « Is qui non uniuersum populum, sed partem aliquam adesse iubet, non “comitia”, sed “concilium” edicere debet. Tribuni autem neque aduocant patricios neque ad eos referre ulla de re possunt. Ita ne “leges” quidem proprie, sed “plebisscita” appellantur, quae tribunis plebis ferentibus accepta sunt, quibus rogationibus ante patricii non tenebantur, donec Q. Hortensius dictator eam legem tulit, ut eo iure, quod plebs statuisset, omnes Quirites tenerentur ». Item in eodem libro hoc scriptum est : « Cum ex generibus hominum suffragium feratur, “curiata” comitia esse ; cum ex censu et aetate, “centuriata” ; cum ex regionibus et locis, “tributa” ; centuriata autem comitia intra pomerium fieri nefas esse, quia exercitum extra urbem imperari oporteat, intra urbem imperari ius non sit. Propterea centuriata in campo Martio haberi exercitumque imperari praesidii causa solitum, quoniam populus esset in suffragiis ferendis occupatus » (trad. R. Marache).
103 Soltau 1885, p. 132‑134.
104 C’est tout le sens des hypothèses de Humbert 1998a (= Humbert 2013, p. 649‑681).
105 Orestano 1967, p. 268‑272. Comme il l’écrit p. 271, le serment plébéien serait un « atto che può dirsi rivoluzionario non solo pei fini politici e istituzionali che con esso s’intese realizzare, ma per il modo stesso in cui fu realizzato e pei nuovi atteggiamenti mentali e concettuali ad esso inerenti ».
106 Voir infra p. 257-281.
107 Liv., 3, 53‑54. Rappelons que le grand pontife lui‑même présida alors l’élection des tribuns de la plèbe.
108 Humbert 1998a, p. 224 (= Humbert 2013, p. 665), ou comme le dit Bleicken 1975, p. 85 : « ein politisches Programm ».
109 Humbert 1998a (= Humbert 2013, p. 649‑681).
110 Voir supra p. 118-121.
111 Voir supra p. 40 et p. 213.
112 Voir infra p. 374-381 sur ce point.
113 Voir infra p. 257-281.
114 LPPR, p. 203 et Fach 1994, p. 211‑213 n° 28.
115 Voir l’analyse de la mesure infra p. 327-330.
116 Ainsi, Flach 1994, p. 85‑86 n° 17 n’est pas un plébiscite mais un procès. Idem pour Flach 1994, p. 103‑108 n° 25 car il n’y eut jamais de loi de création du décemvirat législatif, voir infra sur ce point. Il en va de même pour Elster 2003, p. 52‑53 n° 23 et p. 58‑59 n° 27 car rien ne permet de supposer une loi dans ces cas de fondations de colonies. Idem pour Elster 2003, p. 80‑81 n° 35. Sur ces aspects, voir Lanfranchi 2012a et, pour les lois agraires et coloniales, Laffi 2012.
117 Hölkeskamp 1988a, p. 63‑64 et Oakley, 2005b, p. 86.
118 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 334‑342, et notamment p. 337 : « En ce qui concerne les rogations, l’intercession tribunitienne contre les propositions faites à la plèbe est indubitablement aussi ancienne que le tribunat lui‑même, puisque ce n’est que l’application pure et simple du principe de la collégialité. »
119 Flaig 2003, p. 175‑180. Relevons que l’auteur oublie un autre cas de rogatio, en 318 (voir Elster 2003, p. 80‑81 n° 35). À cette date, des ambassadeurs samnites vinrent à Rome pour renouveler le traité de paix. Ils furent reçus par le Sénat auquel ils exposèrent leur requête. Comme pour tout acte de ce type, la ratification par le peuple était nécessaire et un projet de loi de renouvellement de l’alliance fut présenté aux comices et rejeté. Notons toutefois qu’en dépit du caractère sibyllin du texte de Tite‑Live, il semble s’être agi d’une loi ex senatu‑consulto, ce qui en ferait un cas un peu différent.
120 Voir infra p. 257-308 l’analyse de la lex sacrata et du plébiscite de 471.
121 Voir annexe p. 655-678.
122 Voir, p. ex., D.H., 9, 18, 1.
123 On pourrait ajouter le plébiscite agraire de L. Sextius [78] qui a aussi une dimension coloniale.
124 Encore une fois, le plébiscite agraire de 414 [78] touche en partie aux problèmes de colonisations archaïques.
125 En particulier, l’historicité de ceux de 323 et de 319 est douteuse.
126 Humbert 1998a, p. 211‑215 (= Humbert 2013, p. 649‑654), repris avec quelques modifications dans Humbert 2012, p. 335‑337. Voir aussi Lanfranchi 2012a avec le tableau des lois qui l’accompagne pour la source de ces chiffres.
127 Dans Humbert 2012, p. 335‑336, la proportion devient de six lois comitiales contre onze plébiscites.
128 Même si le tribunat de la plèbe ne fut créé qu’en 494, prendre 509 comme point de départ est pertinent pour trois raisons : la constitution du patriciat était déjà entamée à cette date, avec ses conséquences sur la plèbe ; cela permet de prendre en compte les lois comitiales les plus importantes de cette période ; cela souligne l’immobilisme patricien qui vit très vite le jour.
129 Lanfranchi 2012a, p. 358‑359.
130 LPPR, p. 201 et Flach 1994, p. 103‑108 n° 25. Voir Liv., 3, 32, 6 ; D.H., 10, 55, 4‑5 et Dig., 1, 2, 2, 3‑4 et 1, 2, 2, 24.
131 P. ex. Siber 1936, p. 32 : « Rechtlich war dieser Volksbeschluß nicht nur eine “Wahl”, sondern auch ein “Gesetz im förmlichen Sinne”, das den Gewählten die erforderliche Vollmacht gab. » Il s’appuie sur D.H., 10, 56 pour cela. En réalité, Denys évoque simplement un décret du Sénat suivi de l’élection, pas une loi.
132 Dans Humbert 2012, p. 336‑337, la proportion devient de dix-sept lois comitiales contre trente plébiscites.
133 Sachant que la lex Valeria militaris de 342 [120] a été mise en doute par Tilli 1981.
134 LPPR, p. 207 et Flach 1994, p. 229‑230 n° 36.
135 Pour les controverses autour de la date de création de cette magistrature, que certains ont voulu abaisser à 367/366, voir Giangrieco Pessi 2000, p. 299‑319.
136 Voir supra p. 132-142.
137 Sur l’importance plus générale des plébiscites de 367, voir Ferenczy 1976a, p. 47‑48.
138 Dans Humbert 2012, p. 337, la proportion devient de vingt lois comitiales contre douze plébiscites.
139 Précisons ici qu’il ne s’agit nullement de minimiser l’importance de ces lois, toutefois, la déclaration de guerre concernait forcément le populus en son ensemble et un plébiscite, à cette époque, ne pouvait empiéter sur ce domaine.
140 Voir Hölkeskamp 1987, p. 140‑169 et Hölkeskamp 1988b.
141 Humm 2005, p. 435.
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