Chapitre 3. Les tribuns de la plèbe : sociologie et destin politique
p. 123-212
Texte intégral
1Déterminer le niveau social des tribuns de la plèbe aux Ve et IVe siècles est, une fois encore, une tâche complexe tant les données concrètes manquent. Les renseignements directs sont presque inexistants et la documentation disponible change de nature. Si l’enquête sur l’origine des lignées tribunitiennes convoque des sources archéologiques et épigraphiques à la fiabilité mieux assurée, l’étude du niveau social des tribuns dépend uniquement de sources textuelles qui furent reconstruites à partir de la situation politique et sociale de la fin de la République. Nous nous situons sur un niveau épistémologique différent : celui des représentations. Toutefois, à côté d’un certain nombre de stéréotypes éloquents1, ces sources fournissent quelques renseignements détachés de tout contexte polémique.
2Pour obtenir les résultats les moins contestables possible, je procéderai en trois temps, en commençant par analyser en détail ce niveau de représentation. Trois éléments permettent de proposer quelques hypothèses : le vocabulaire employé par les sources, l’existence de mariages patricio‑plébéiens et l’importance des aspects militaires dans la présentation des tribuns de la plèbe. Ces différents aspects mettent au jour la façon dont, le plus souvent indirectement, les sources littéraires se représentaient le niveau social des tribuns de la plèbe. J’en viendrai alors aux relations parfois ambiguës entre tribuns et patriciens, telles qu’elles apparaissent dans nos sources car elles témoignent de rapports étroits entre eux. Ces deux premiers points autorisent à formuler l’hypothèse que, la plupart du temps, les tribuns de la plèbe étaient d’un rang social relativement élevé, qui les plaçait sans doute, in fine, à la lisère de l’aristocratie. L’étude du devenir politique des lignées tribunitiennes clora ce chapitre en insérant cette approche sociologique dans une dimension diachronique.
Essai d’approche sociale des tribuns et des lignées tribunitiennes au début de la République
Un vocabulaire révélateur
Primores plebis et primores ciuitatis
3Le vocabulaire utilisé par les sources est, en plusieurs occasions, très significatif de la manière dont la tradition conçoit les tribuns du premier âge républicain. Cela passe par l’emploi d’expressions révélatrices, en particulier chez Tite‑Live. Ainsi, durant la guerre contre Véies, il rapporte la façon dont fut décidée l’institution de la solde. Les sénateurs apportèrent en premier leurs contributions, et Tite‑Live précise :
Quand le Sénat eut bien et dûment payé chacun d’après sa fortune, les notables plébéiens, amis des nobles, se mettent d’accord pour commencer à payer2.
4La locution primores plebis doit retenir l’attention, tout comme la précision d’amis des nobles (nobilium amici). C’est la seule fois qu’une telle expression apparaît dans la première décade et elle renvoie de façon univoque à l’existence, dans l’esprit de Tite‑Live, d’une frange aisée de plébéiens qui entretenait des rapports d’amicitia avec les nobiles. L’usage de cette notion d’amicitia est d’autant plus révélateur que, à Rome, l’amitié n’existe qu’entre égaux, indice supplémentaire de l’équivalence ici posée entre ces deux groupes3. Tite‑Live met donc sur le même plan, au moins implicitement, les primores plebis et les nobiles dont il parle. Pour une telle époque, ces derniers ne peuvent être que les patriciens4 et il convient pour le comprendre de comparer cette expression à celles de primores ciuitatis et de primores patrum, bien plus souvent employées par Tite‑Live afin de désigner les meilleurs citoyens, c’est‑à‑dire les patriciens5. La formule primores peut même être parfois utilisée seule pour désigner les nobles6.
5Deux autres éléments sont à souligner. Dans la première décade, tout d’abord, l’emploi de ces tournures composées autour de primores décroît après le livre six, consacré aux plébiscites licinio‑sextiens, qui closent la séquence consacrée au conflit des ordres. Tout se passe comme si, une fois ce problème réglé et la nouvelle nobilitas en cours de formation, ces expressions perdaient leur capacité à exprimer la réalité sociale de la nouvelle classe dirigeante romaine, si bien qu’elles ne sont plus employées. De façon symptomatique, seule l’expression de primores ciuitatis apparaît encore après le livre huit, en une seule occasion. Il s’agit d’un passage du livre dix dans lequel Tite‑Live précise ce qu’il entend par cette expression :
À Rome aussi la plèbe était tranquille, comme soulagée grâce aux multitudes envoyées dans les colonies. Cependant, pour que la tranquillité ne régnât pas de tous côtés, la discorde fut jetée entre les principaux citoyens, patriciens et plébéiens, par les tribuns de la plèbe Q. et Cn. Ogulnius7.
6Désormais, ces primores ciuitatis englobent des plébéiens. Ce passage est précieux car il montre que, pour Tite‑Live, le processus de création de la nobilitas patricio‑plébéienne est, à cette date, largement entamé. D’autre part, s’il prend la peine d’enrichir son texte d’une telle incise, c’est que l’expression utilisée pouvait sinon prêter à confusion, parce qu’elle renvoyait jusque‑là aux seuls patriciens. Les primores plebis mentionnés lors de la guerre contre Véies sont donc bien, pour lui, les « nobles plébéiens » qui se rapprochent, au moins du point de vue social, des primores ciuitatis.
7Une tournure de style employée par Tite‑Live pour l’année 445, au moment des conflits autour du projet de plébiscite du tribun C. Canuleius sur les mariages, le dévoile de façon limpide. L’historien latin présente en parallèle les premiers projets d’accès au consulat et indique :
Mais, si cela se réalisait, le pouvoir suprême n’était pas seulement ravalé jusqu’au partage avec les plus humbles, pensaient les adversaires : il passait totalement de la noblesse (a primoribus) à la plèbe (ad plebem)8.
8On retrouve ici l’utilisation de primores, en opposition à la plèbe, et il n’est guère besoin de préciser qui sont ces « premiers ». Ces emplois génériques, chez Tite‑Live, témoignent de la tournure oxymorique de la dénomination primores plebis. Son usage n’en prend que plus de sens et démontre le caractère étonnant, à ses yeux, de cette part de la plèbe romaine. Or ces expressions disparaissent presque totalement par la suite dans ce qui nous reste de l’œuvre de Tite‑Live9.
9Ajoutons, toutefois, que si l’expression primores plebis n’est employée qu’une fois, Tite‑Live a aussi recours, quatre fois, à celle de principes plebis qui désigne, de façon similaire, les principaux plébéiens10. De même qu’aux primores plebis correspondaient les primores patrum ou primores ciuitatis, aux principes plebis répondent des principes ciuitatis. Cette dernière expression est utilisée à huit reprises dans l’Ab Vrbe condita, pour désigner à chaque fois les principaux dirigeants de différentes cités méditerranéennes : Rome11 ; Palaepolis12 ; Thèbes13 ; des villes grecques14 ou encore Utique15. En revanche, si les tribuns de la plèbe font probablement partie des principes plebis, ces derniers ne sauraient équivaloir de façon stricte, dans l’esprit de Tite‑Live, aux tribuns. Un passage où il distingue les uns des autres plaide en ce sens :
Et, de leur côté, les chefs de la plèbe (principes plebis) préféraient l’élection où ils ne seraient pas en jeu à celle où ils seraient dédaignés et battus. Les tribuns de la plèbe eux‑mêmes renoncèrent à la lutte sans même l’engager, de façon à s’en prévaloir devant les principaux pères16.
10Cette expression aussi n’est employée que dans les dix premiers livres de l’Ab Vrbe condita. Ce constat renforce l’hypothèse selon laquelle ces tournures de phrase correspondent, dans la première décade, à une façon pour Tite‑Live de rendre compte de l’existence de groupes sociaux antagonistes à Rome, et d’une hiérarchie sociale à l’intérieur de la plèbe.
11Cette idée se retrouve, de façon moins fréquente, dans le texte de Denys d’Halicarnasse. En effet, en 461, au moment du procès contre Caeso Quinctius, il rapporte la colère de la foule à l’audition du témoignage de M. Volscius Fictor. Les tribuns protégèrent alors l’accusé d’un possible lynchage et Denys rajoute que les plus honorables parmi les plébéiens ne voulaient pas, en permettant à la foule de se faire vengeance, introduire une mauvaise habitude à Rome17. L’expression employée (ἦν δὲ καὶ τοῦ δήμου τὸ καθαρώτατον), avec le recours à l’adjectif καθαρός est particulièrement intéressante car, si ce terme se réfère à l’idée de bonne naissance, il dénote aussi celle de pureté, qui peut être comprise dans un sens physique ou dans un sens moral. Ici, c’est sans aucun doute le sens renvoyant à la naissance sans tache qui est exprimé. Ce sont les éléments les meilleurs et les plus sains de la plèbe qu’évoque l’historien grec. Toutefois, la dimension métaphorique n’est pas absente non plus. De façon similaire, en 449, Denys d’Halicarnasse présente P. Numitorius, l’oncle de Virginie, futur tribun de la plèbe, comme un ἀνὴρ ἐκ τῶν δημοτικῶν ἐμφανής, c’est‑à‑dire un homme connu de tous, en vue parmi les plébéiens, ce qui exprime là aussi un statut enviable dans la cité et qui correspond, de surcroît, au sens premier du latin nobilis18. Les sources antiques croyaient donc en l’existence d’une frange aisée au sein de la plèbe, parmi laquelle les tribuns se recrutaient de façon privilégiée.
Tribuns de la plèbe et homines noui
12Une autre formule expressive est celle d’homo nouus, dont l’apparition chez Tite‑Live est riche d’enseignements. En 416, lorsqu’il met en scène un Ap. Claudius expliquant que la meilleure tactique à adopter, pour n’être pas gêné par les tribuns, est la division du collège tribunitien, il lui fait dire :
Les hommes nouveaux se laissent aisément influencer par les grands et changent facilement d’avis, pourvu qu’on leur tienne à l’occasion un langage de circonstance, au lieu d’un discours qui marque la différence de rang19.
13Le latin emploie ici la locution homo nouus, aux occurrences comptées dans les dix premiers livres de l’Histoire romaine puisqu’elle n’y est utilisée que cinq autres fois. Sous la République, elle désigne tout individu qui accomplit une carrière politique sans avoir dans sa famille un ancêtre qui ait occupé une magistrature curule et, finalement, il s’agit le plus souvent d’un magistrat non patricien qui atteint le consulat20. Dans le contexte du Ve siècle, ce terme est un anachronisme aussi surprenant qu’éloquent puisque Tite‑Live l’applique, dans le passage cité, aux tribuns de la plèbe et à ceux qui pourraient se laisser circonvenir par les patriciens. Il semble vouloir indiquer ainsi la naissance d’aspirations nouvelles chez les tribuns de la plèbe, en même temps que le sentiment d’une certaine évolution sociale. Au sein de la plèbe, les tribuns lui apparaissent comme un groupe à part, plus proche des patriciens que des plébéiens les plus pauvres.
14Cette notation doit être comparée aux quatre autres du même type. Une deuxième occurrence intervient avec l’élection pour la première fois en 409 de questeurs plébéiens :
Ce fut donc une grande victoire pour la plèbe, et on estimait cette questure non d’après la portée de ces fonctions en elles‑mêmes, mais comme une brèche ouverte aux hommes nouveaux21.
15Les hommes nouveaux dont il est ici question sont les primores plebis. L’emploi de cette tournure ne laisse cependant pas de surprendre car les hommes nouveaux furent très rares sous la République22. Pour Tite‑Live, il semble que le chemin vers la nobilitas soit enfin ouvert et le recours à cette expression traduit ses efforts pour rendre compte de la nouveauté d’un phénomène avec le vocabulaire à sa disposition. Il faut, de fait, rapprocher ce texte d’un extrait de Quintus Cicéron qui indique :
C’est presque chaque jour qu’il te faut, en descendant au forum, méditer ces pensées : « Je suis un homme nouveau, je brigue le consulat, ma cité est Rome ». La nouveauté de ton nom, tu y remédieras principalement par ta gloire d’orateur. Toujours l’éloquence a procuré la plus grande considération23.
16Ce passage fournit une première explication au fait que, comme nous le verrons plus loin, certains tribuns soient présentés comme des orateurs, en réactivant cette association homme nouveau/éloquence et, en particulier, homme nouveau/éloquence popularis24.
17La troisième occurrence, antérieure, est utilisée par un tribun de la plèbe à propos des rois de Rome. Elle est mise dans la bouche du tribun C. Canuleius, qui se battit pour abroger la loi interdisant le mariage des patriciens et des plébéiens :
Préférera‑t‑on que les consuls ressemblent aux Décemvirs, les plus horribles des hommes, tous patriciens pourtant, plutôt qu’à nos meilleurs rois, tous hommes nouveaux ?25
18Énoncée par un tel tribun, le sens de cette phrase est évident. Si les meilleurs des rois furent des hommes partis de rien, à l’instar de Servius Tullius, rien ne s’oppose à ce qu’un plébéien devienne consul. Plus important encore est le fait que, par l’utilisation de cette expression, le tribun se place, lui et ses semblables, de façon spéciale dans le champ politique. Sans ancêtres magistrats, ressortissant de la plèbe, ils n’en sont pas moins différents d’elle et aspirent à s’élever dans la société.
19La quatrième occurrence de l’expression est celle qui colle au plus près de sa définition, lorsque Tite‑Live explique que l’année 366 fut marquée par l’accession au consulat d’un homme nouveau, L. Sextius26. On la retrouve peu après, en 358, lors de la mention du plébiscite de C. Poetelius contre la brigue électorale [108]. Tite‑Live indique :
Et, pour la première fois, une proposition de loi sur la brigue illégale, présentée par le tribun de la plèbe C. Poetelius, fut, avec l’autorisation du Sénat, portée devant le peuple. Ce projet de loi, croyait‑on, réprimerait surtout les intrigues d’hommes nouveaux qui avaient coutume de parcourir les marchés et les assemblées27.
20Si rien n’affirme de façon explicite que les hommes nouveaux en question furent des tribuns de la plèbe, il est néanmoins significatif que l’expression surgisse une fois encore dans un contexte tribunitien : à propos d’un plébiscite en l’occurrence. Le contexte est même doublement tribunitien car la mention des assemblées ne va pas sans rappeler un des discours de C. Gracchus, le De Popillio Laenate circum conciliabula28. Ici aussi, donc, la mention des hommes nouveaux ne se comprend qu’en référence aux tribuns et à la plèbe.
21Enfin, au livre neuf, cette expression surgit une dernière fois, en 314, au moment d’une enquête au sujet d’une mystérieuse affaire en Campanie. Des aristocrates capouans auraient conspiré contre Rome avec l’appui de membres de la nobilitas romaine, puisque l’enquête diligentée concerna aussi des Romains. Les personnes chargées de cette quaestio reçurent des pouvoirs considérables – notamment le dictateur C. Maenius –, qui leur permirent de s’attaquer aux plus hauts personnages de Rome. Lorsque ceux‑ci se tournèrent vers les tribuns de la plèbe pour demander leur aide, ces derniers la leur refusèrent. Furieux, ces nobles protestèrent et demandèrent qu’on s’en prenne aux hommes nouveaux29.
22Ce passage n’est pas clair. Les aristocrates qui protestaient le firent en expliquant qu’ils n’étaient pas impliqués dans cette affaire puisque la carrière des honneurs leur était, sauf intrigue particulière, ouverte. Comme le remarque M. Humm, cela semble indiquer qu’un des chefs d’accusation concernait l’accès aux magistratures. Il en déduit, dans le cadre de son analyse de l’intégration des equites Campani au sein de l’aristocratie romaine, que les principaux accusés étaient sans doute des chevaliers campaniens qui s’étaient lancés frauduleusement dans la carrière à Rome, avec le soutien de nobles Romains, les fameux homines noui30. En allant plus loin, on pourrait suggérer que l’expression renvoyait à la fois aux nobles Romains et aux chevaliers Campaniens. Suivant cette hypothèse, l’expression homines noui désignerait, à Rome, des personnages d’un certain rang, dont l’accès récent aux sphères dirigeantes romaines ne se fit pas sans heurts et dont il ne serait pas illogique qu’ils comptassent des plébéiens, voire des tribuns, dans leurs rangs. Si tel fut bien le cas, cette dernière occurrence devient symptomatique puisqu’elle démontrerait que l’apparition de la formule homo nouus, chez Tite‑Live, se fait toujours dans un contexte polémique, mêlé de près ou de loin à la plèbe et à ses tribuns. Elle serait alors bien un moyen, pour Tite‑Live, de décrire cette frange particulière de la plèbe, à la lisière de l’aristocratie romaine.
Humilis et nobilis
23Par opposition, on peut revenir sur l’emploi du mot humilis et de ses dérivés chez Tite‑Live. Ces termes désignent les individus les plus pauvres de la plèbe. Il s’agit d’une réalité spécifiquement plébéienne qui, de façon significative, n’est jamais appliquée aux tribuns31. Ce choix confirme que, dans leur majorité et à quelques exceptions près, pour les historiens antiques, ces personnages ne relevaient pas des couches modestes de la société romaine, indépendamment des divers stéréotypes qu’ils purent par ailleurs leur accoler.
24Une autre formule déterminante étaye cette hypothèse. À propos des trois Icilii élus tribuns de la plèbe en 409, Tite‑Live écrit : tres erant, et omnes acerrimi uiri generosique iam, ut inter plebeios32. Le recours à generosus pour qualifier ces tribuns est tout sauf une coïncidence. Ce terme, qui désigne quelqu’un de bonne extraction, est en effet souvent utilisé dans un contexte de caractérisation de la nobilitas sans être un exact synonyme de nobilis33. De façon savoureuse, cet adjectif se retrouve dans un discours de Marius rapporté par Salluste. Dans ce texte, generosus équivaut à peu près à nobilis tout en étant appliqué par le général romain à lui‑même, c’est‑à‑dire à un homo nouus34. Le vocabulaire employé se révèle ainsi très spécifique et les tribuns relevaient véritablement, pour Tite‑Live, d’un contexte social diversifié. C’était là toute la thèse de J.‑L. Halpérin lorsqu’il choisit de parler de « haute plèbe » pour cette portion de la plèbe romaine35.
25Un ultime cas est plus problématique : la qualification du jeune C. Mucius, qui se signala par son héroïsme durant la guerre contre Porsenna. Il est en effet présenté comme un adulescens nobilis, expression improprement rendue dans la traduction française de G. Baillet par « jeune patricien ». Il est certain que nobilis ne signifie pas « patricien » et que ce mot renvoie simplement à l’idée d’être connu, célèbre. Comme l’explique J. Hellegouarc’h, ce terme exprime une certaine prééminence sociale de la personne à laquelle il s’applique et désigne, ensuite, l’appartenance à la nobilitas36. Toute la question est de savoir si, ici, ce Mucius, assurément fictif, était considéré par la tradition comme patricien ou plébéien. Les Mucii sont une lignée plébéienne dont peu de membres sont attestés à l’époque archaïque, aucun n’apparaissant comme patricien37. Dans le cas de C. Mucius, sa coloration patricienne provient du climat dans lequel il évolue et de la triade héroïque à laquelle il participe avec Horatius Coclès et Clélie. Pour autant, cela ne suffit pas à en faire un patricien. Au contraire, en le désignant de la sorte, la tradition cherche à montrer qu’il appartient à ces lignages plébéiens d’un certain rang et d’une certaine distinction. Son histoire pourrait d’ailleurs être liée à la volonté d’ajouter un héros plébéien à la galerie des grandes figures patriciennes qui se signalèrent lors du passage de la Royauté à la République.
26Ces différentes expressions se réfèrent toutes à cette image de la société romaine de la fin de la Royauté et des débuts de la République dont Fr. Münzer et, surtout, A. Momigliano furent les promoteurs, laquelle est sans aucun doute en meilleure adéquation avec la réalité. En outre, comme les cas concrets connus de mobilité horizontale touchent en général plutôt des personnes d’un certain niveau social, il y a là un élément supplémentaire qui permet de supposer que, pour les auteurs anciens, les tribuns de la plèbe et leurs familles occupaient dans la société romaine une position proche de celle de l’aristocratie, ce qui ne doit pas surprendre.
Des mariages mixtes ?
27Dans un deuxième temps, les alliances familiales et matrimoniales peuvent permettre d’apprécier plus en détail la position sociale des tribuns de la plèbe aux Ve et IVe siècles. Les unions constituent un précieux marqueur de l’état des relations entre groupes sociaux et un bon indicateur tant du rang de chacun, que des possibilités d’ententes et d’ouverture. Sur ce sujet, le plébiscite du tribun C. Canuleius en 445, à l’historicité bien assurée, offre le meilleur point de départ. Florus, qui mentionne l’événement, en fait l’origine de la troisième sédition de la plèbe :
La troisième sédition fut provoquée par la question des mariages d’une classe sociale à l’autre, les plébéiens voulant s’allier aux patriciens : l’émeute éclata sur le mont Janicule, à l’instigation du tribun de la plèbe Canuleius38.
28C’est dire l’importance que put représenter, au moins rétrospectivement, cet aspect du conflit.
Du plébiscite sur les mariages de C. Canuleius en 445 [58]
29C’est essentiellement Tite‑Live qui nous renseigne à ce propos. Nous apprenons ainsi qu’une des dernières dispositions des lois des XII Tables aurait aboli la possibilité de mariage entre patriciens et plébéiens. L’idée d’une telle abolition, ajoutée au fait que, d’ordinaire, les lois des XII Tables réglementaient des pratiques qui avaient cours avant 449, suggère que l’usage régulé par cette ultime mesure décemvirale aurait existé auparavant. était‑ce toutefois la codification d’une interdiction informelle déjà en vigueur, ou bien un coup d’arrêt nouveau donné à d’anciennes pratiques d’exogamie ? La première solution a été souvent privilégiée par les historiens39, même si l’on trouve chez B. G. Niebuhr, déjà, une présentation plus subtile du problème40. Cette première interprétation est peu satisfaisante puisque les sources mentionnent, d’une part, la nouveauté de l’interdiction et, d’autre part, la très vive opposition provoquée par la nouvelle mesure, chose peu compréhensible dans le cadre de la simple codification d’une norme en vigueur41.
30En outre, la nature du mariage en droit romain ne permet pas une telle reconstruction. La capacité juridique à contracter une union se nomme conubium en latin, et le mariage romain est un acte de nature privée dont il existait trois formes : la confarreatio, la coemptio et l’usus42. Si elles aboutissent toutes à un mariage juridiquement valide, il s’en faut de beaucoup qu’elles mettent en branle les mêmes mécanismes. La première forme, celle de la confarreatio, ritualisée et religieuse, très archaïque, se différencie nettement et fut souvent considérée comme la forme la plus ancienne du mariage voire comme la forme nécessaire à un authentique mariage patricien, fermée aux autres groupes sociaux de Rome43. Contre cette théorie, les travaux de P. Noailles et de P. Koschaker ont montré il y a longtemps que la réalité était plus complexe. Cette forme particulière du mariage romain – qu’ils considèrent en outre comme la plus récente et non la plus ancienne – n’était nullement obligatoire pour les patriciens, pas plus qu’elle ne leur était réservée. Dans sa présentation de ce type d’union, Denys d’Halicarnasse n’en fait jamais une cérémonie réservée aux patriciens44. Cette pratique ne s’avérait indispensable que pour le recrutement des flamines majeurs et concernait, en premier lieu, certains hauts sacerdoces. Quoique ce fût aussi une pratique classique dans les cas de mariages patriciens, en raison de leur monopole sur ces sacerdoces, rien dans les sources n’indique que ce mode d’union leur était réservé. Au contraire, ils auraient pu avoir recours à la coemptio45. Tout au plus doit‑on supposer que les familles ayant accédé à ces sacerdoces avaient recours à cette forme de mariage, de même que celles qui y prétendaient, puisqu’un mariage par confarreatio en bonne et due forme était une condition nécessaire d’accès à ces prêtrises.
31De la sorte, il n’existait pas, en droit, un type de mariage spécifiquement patricien et interdit aux plébéiens, tandis que la capacité juridique contenue dans la notion de conubium n’était sans doute pas encore conceptuellement formée au Ve siècle. Une telle interprétation est plus satisfaisante car elle repose en fait sur une lecture de la société romaine substituant à un patriciat qui aurait existé depuis des temps immémoriaux une aristocratie patricienne dont la nature et le statut se consolidèrent progressivement46. Semblable lecture correspond davantage à ce que nous pouvons reconstituer de la Rome des premiers siècles. Si interdiction il y eut, elle ne put qu’être le résultat d’un choix pragmatique, nullement d’une loi, et c’est, par exemple, l’avis de G. Franciosi pour qui il existait une exogamie de clan accompagnée d’une endogamie de « classe » qui poussa les patriciens à se marier hors de leur gens mais entre patriciens47. Si l’hypothèse est suggestive, un tel choix généralisé à l’ensemble du patriciat est difficile à accepter. Au contraire, l’idée même d’une réglementation par les lois des XII Tables implique que ce type d’union devait exister, en des proportions difficiles à quantifier. Toute l’affaire de Virginie peut d’ailleurs être lue à la lumière de ces questions d’unions entre patriciens et plébéiens avec les problèmes qu’elles posent48. Enfin, la très vive réaction plébéienne ne s’expliquerait guère s’il ne s’était agi que de la codification de pratiques courantes. C’est bien parce que cette disposition menaçait au contraire la possibilité de ce type d’unions que C. Canuleius s’y opposa et qu’il finit par obtenir satisfaction49. Comme l’écrit J. Linderski : « The confarreatio now became a class institution and an intrument of class policy50 ».
32Il en ressort que les plébéiens formaient un groupe beaucoup plus divers que l’image qui en est traditionnellement donnée. De son côté, le patriciat n’était pas encore, au début du Ve siècle, la caste fermée sur elle‑même qu’il devint par la suite. D’une certaine façon, le patriciat n’était pas encore le patriciat. Des patriciens pouvaient trouver intérêt à unir leur fille ou fils à des lignées plébéiennes et, indirectement, c’est l’indice le plus sûr de l’existence de lignages plébéiens ayant atteint un niveau social élevé dès le milieu du Ve siècle. En effet, au vu du contexte politique de l’époque, la seule justification de telles unions était économique et patrimoniale : l’alliance avec une famille qui, à défaut de poids politique, pouvait apporter un patrimoine utile à la partie patricienne, des ressources permettant d’assurer la pérennité du groupe familial, voire de nouvelles clientèles51. Cette conclusion est irréfutable dans la mesure où ce plébiscite, bien attesté, ne se comprendrait pas sans cela. En outre, ce contexte social s’accorde à ce que l’on peut reconstituer de la composition de la société romaine aux VIe et Ve siècles. Les plébéiens étaient loin de n’y être qu’un ensemble de loqueteux52. Doit‑on pour autant suivre aveuglément ce que les sources affirment et penser que de tels mariages aient pu être interdits ? Non, et les analyses de M. Humbert permettent de mieux rendre compte du témoignage des sources53.
33En effet, chez Tite‑Live, la présentation de son plébiscite par C. Canuleius entraîna une réaction violente. Comme souvent dans les sources antiques, la controverse est ressaisie dans des discours rapportés qui en transmettent l’essence. Or les discours patriciens illustrent ce qui était en jeu : la pureté, le métissage, des enfants moitié‑plébéiens et moitié‑patriciens avec le risque d’une atteinte à la qualité des auspices. Cette présentation révèle que le cœur de la querelle résidait moins dans l’interdiction d’une pratique (ce qui était en droit impossible), que dans l’attention portée à ses conséquences. Les enfants nés de ces mariages mixtes, auparavant reconnus, devenaient patriciens comme leur père. À l’inverse, après 449, ce n’était plus le cas. Autrement dit, la disposition attaquée par C. Canuleius n’a pu être une mesure visant à rendre impossible un certain type de mariage. Elle avait en réalité pour but d’établir de façon nette que le mariage entre patriciens et plébéiens constituait une mésalliance et qu’elle devait être sanctionnée comme telle par la perte, pour les enfants, des privilèges politiques et religieux qui fondent le patriciat. C’était une prétention à faire des conubia entre patriciens et plébéiens un mariage honteux et de moindre valeur, non une interdiction du conubium. De la sorte, il s’agissait de réaffirmer la pureté patricienne pour affermir et justifier des revendications politico‑religieuses. Dans un contexte de fermeture accrue du patriciat au milieu du Ve siècle, ces phénomènes d’alliances n’étaient plus tolérables.
34D’où l’insistance sur les questions religieuses chez Tite‑Live, qui renvoient à la confarreatio. Mettre ces aspects en avant, avec leurs implications en termes de recrutement sacerdotal, était une façon commode, pour les patriciens, d’écarter les plébéiens puisque le patriciat se fonda en partie sur une prétention au monopole des fonctions religieuses. C’est sur ce point que porta le débat et sur la possibilité, pour les enfants nés d’unions mixtes, de conserver les privilèges de leurs pères patriciens, d’intégrer le patriciat et de pouvoir, à terme, exercer les fonctions propres à ce groupe. Cette tentative illustre à quel point la spécificité religieuse du patriciat était une revendication plus qu’un acquis. Il n’est pas anodin que, dans le récit traditionnel, les conflits autour de cette disposition interviennent en même temps que la première demande d’accès au consulat de la part des plébéiens. Si des enfants d’unions patricio‑plébéiennes avaient pu accéder au patriciat, ils auraient pu devenir consuls, ruinant l’argumentaire sur la pureté des auspices. L’accès au consulat dont il est question dans les sources était donc indirect, par l’intermédiaire des enfants, et non direct, comme le croit Denys d’Halicarnasse. D’une certaine façon, s’attaquer au mariage était un moyen de prévenir des revendications politiques ultérieures. Le couplage de ces deux dimensions dans les sources, particulièrement chez Denys d’Halicarnasse, révèle la profondeur de la polémique54.
35Cet exposé met en lumière la faiblesse des propositions de G. Franciosi. Ce dernier analyse la disposition au travers du rapport à la gens. D’après lui, nous l’avons vu, les mariages patriciens ne se faisaient qu’entre gentes différentes. Comme les plébéiens ne faisaient, selon lui, pas partie du système gentilice, il y avait effectivement interdiction de fait. Il met aussi en avant les facteurs religieux. Encore une fois, c’est moins le mariage en tant que tel que ses conséquences qui étaient visées, révélant les fondements idéologiques de la démarche. En effet, cette spécificité religieuse des patres, tout comme le patriciat en son ensemble, était une construction politico‑religieuse et non une donnée historique qui remonterait à la plus ancienne Rome, même si elle se fondait sur l’exercice effectif de certaines charges durant la Royauté. Le plébiscite de Canuleius lutta contre ces prétentions qui cherchaient à sanctionner par le droit une forme imposée de pureté du sang. N. Boëls‑Janssen l’a récemment réaffirmé, elle qui, sur la base de la reconstruction de M. Humbert, entend précisément rappeler qu’au travers du mariage, c’est le statut des matrones plébéiennes et la pureté religieuse du patriciat qui était en jeu55.
36L’hypothèse d’une tentative de réglementation du mariage, ou d’une stricte endogamie des patriciens et des plébéiens avant la mesure de Canuleius, ne tient donc pas. Une telle endogamie contredit l’image que l’on peut reconstituer du fonctionnement de la société romaine à cette époque. C’est au contraire parce qu’ils cherchèrent à introduire ce type de pratique que les patriciens soulevèrent la colère des plébéiens56. Comprendre les tenants et aboutissants de cette affaire implique de penser le patriciat moins comme un état de fait que comme le fruit d’un processus historique et sociologique de long terme57. Au cours de ce processus, les patriciens tentèrent de redéfinir à leur profit le concept de mariage, suivant une optique idéologique et religieuse au service de leur monopole politique sur certaines pratiques sacerdotales, et pour accentuer leur clôture : d’où leur tentative d’interdiction des mariages mixtes en se réservant la confarreatio.
37À l’affirmation de ces prétentions nouvelles, qui accompagnèrent le repli du patriciat sur lui‑même, la plèbe opposa la résistance la plus vive, résistance qui nous fournit un indice indirect du rang social des tribuns de la plèbe. Si ces derniers réagirent en effet si promptement, avec le plébiscite de C. Canuleius, ce ne fut pas parce qu’ils étaient les chefs ou les porte‑voix de la plèbe. Ils furent en première ligne dans ce combat parce qu’ils étaient les premiers affectés par cette tentative patricienne du fait de leur niveau social. Ils le furent même d’autant plus si l’on accepte l’idée que le consulat ne fut en réalité jamais fermé aux plébéiens mais uniquement aux titulaires de magistratures plébéiennes58. Dès lors, ces derniers n’avaient plus que le mariage de leurs filles pour espérer intégrer les classes dirigeantes de Rome. De ce point de vue, il n’est sans doute pas anodin que la plèbe choisit précisément dans ces années la triade aventine constituée autour de Cérès comme triade plébéienne. Nous avons vu que la Déméter Thesmophoros était porteuse d’une dimension législatrice incarnée dans la legifera Ceres59. Toutefois, dans le monde grec, cette divinité était aussi associée au mariage. La triple dimension de la déesse – agricole, législatrice, matrimoniale – en faisait une divinité exprimant parfaitement les espoirs des plébéiens du milieu du Ve siècle. Ce choix exprimait des attentes fortes, et s’accorderait bien avec une association de la plèbe à la divinité durant cette période de cristallisation de ces revendications.
De rares exemples d’unions patricio‑plébéiennes
38Nous ne disposons malheureusement que de peu d’exemples de ce type d’hypogamie. Il en existe un, célèbre, celui du tribun C. Licinius Stolo, postérieur cependant au plébiscite de C. Canuleius, puisqu’il date du IVe siècle. Ce cas doit sa notoriété aux anecdotes liées à la femme de Stolo et à son rôle dans la phase finale de la lutte pour l’accès des tribuns au consulat. En effet, C. Licinius Stolo aurait été marié à une des filles d’un patricien, M. Fabius Ambustus, décrit comme un :
personnage puissant parmi les gens de sa classe, mais aussi auprès de la plèbe, qui ne trouvait en lui, dans ses rapports avec elle, nulle trace de mépris60.
39De ses deux filles, l’aînée était mariée à un patricien et la cadette à C. Licinius Stolo61. Cette mention est un hapax pour notre période où nous n’avons aucune autre attestation impliquant un tribun de la plèbe. Il est évident que cet épisode, tel qu’il est présenté dans le récit de Tite‑Live, a été réécrit en fonction des canons de l’écriture historique d’époque hellénistique62. Il put être transmis par Fabius Pictor dont on dit souvent qu’il s’inspira beaucoup de l’historiographie grecque. Rien ne permet pourtant de douter du fond de l’histoire qui soulève d’intéressants prolongements quant à la naissance de la nobilitas, tant il est vrai que les mariages ont toujours été partie prenante des stratégies sociales.
40Dans un contexte où cohabitaient des strates sociales d’un inégal degré de développement et de richesse, où les familles patriciennes côtoyaient des familles plébéiennes en train de se hisser au‑dessus du lot ordinaire de la plèbe, l’hypothèse que le mariage put constituer un des moyens principaux d’alliances entre patriciens et plébéiens – à côté du clientélisme –, tout comme une manière de s’élever dans la société, relève de l’évidence. La nobilitas ne put en effet se former que par la fusion des éléments les plus élevés de la plèbe et des éléments les moins élevés (ou les moins opposés à ces pratiques) du patriciat. Le mariage représentait la façon la plus efficace et la plus facile d’opérer semblable fusion. Plus encore, dans toute société, les phénomènes contestataires et de type révolutionnaire ne peuvent prospérer et espérer s’imposer que si les membres de la classe dirigeante sont atteints et divisés. Le cas du mariage de C. Licinius Stolo témoigne aussi de cette division qui permit l’avancée des revendications plébéiennes.
41Deux autres Licinii sur lesquels nous possédons moins de détails pourraient également avoir contracté ce type d’union. En 400, Tite‑Live présente le tribun militaire plébéien P. Licinius Calvus comme le frère d’un Cornelius. Cela peut se comprendre comme un demi‑frère, si la mère de Licinius épousa un Cornelius en secondes noces ; ou comme un beau‑frère si une sœur de Licinius épousa ledit Cornelius63. Un peu plus tard, le premier maître de cavalerie plébéien, C. Licinius, nommé par le dictateur P. Manlius, est présenté comme un proche parent de ce dernier, ce qui pourrait laisser supposer là aussi des alliances matrimoniales. En effet, l’expression employée par Tite‑Live – dictatorem propinqua cognatione – est précise64. À Rome, la cognatio renvoie à une parenté naturelle qui comprend les liens du sang et qui, dans un cas comme celui‑là, suppose un mariage, à un moment ou à un autre, entre les deux familles. Leurs mères respectives pourraient, par exemple, être sœurs65. Le cas des Licinii est remarquable non seulement parce qu’il est l’un des rares préservé pour cette époque, mais aussi parce que, en moins de 50 ans, ce lignage se trouva allié par relations familiales à trois clans patriciens d’importance : les Fabii, les Cornelii et les Manlii. La belle‑sœur par alliance de C. Licinius Stolo ayant, elle, épousé le patricien Ser. Sulpicius, les Licinii se retrouvaient aussi en relation avec cette dernière lignée. Toute raisonnable que soit cette hypothèse, nous manquons de mentions qui permettraient de l’affiner et de l’étayer par le biais d’arbres généalogiques précis.
42Un cas similaire existe cependant à Ardée. Tite‑Live évoque en effet les troubles politiques déclenchés dans cette cité par le mariage d’une jeune plébéienne à un nobilis :
Une jeune fille d’origine plébéienne et célèbre par sa beauté était recherchée par deux jeunes gens ; l’un, de la même origine qu’elle, avait l’appui des tuteurs, appartenant, eux aussi, à la même classe ; l’autre, noble, était simplement épris de sa beauté : il était chaudement soutenu par la noblesse. C’est ainsi que la lutte des partis pénétra jusqu’au domicile de la jeune fille. Le noble avait les préférences de la mère, qui voulait pour sa fille le mariage le plus brillant possible : les tuteurs, même dans cette affaire, ne voyaient que leur parti et penchaient pour leur homme. Le cas ne put se régler entre quatre murs et vint en justice. Après avoir ouï les plaignants, mère et tuteurs, le magistrat autorise le mariage au gré de la mère. Mais la violence prévalut : les tuteurs, entourés de leurs partisans, s’élèvent publiquement au forum contre l’injustice de cette sentence ; ils rassemblent une bande, qui enlève la jeune fille du domicile maternel ; contre eux se dressent plus furieuse encore une troupe de nobles sous la conduite du jeune homme, outré de cette injustice66.
43Au‑delà de l’aspect romancé et peu crédible de l’histoire, la possibilité de ce type d’unions demeure révélatrice67.
44D’autres éléments anciens plaident en ce sens, avec moins de certitude il est vrai. Ils reposent essentiellement sur l’onomastique. Nos sources nous apprennent ainsi que la femme de Coriolan – dont il n’est cependant pas certain qu’il ait été patricien – s’appelait Volumnia, nom incontestablement plébéien68 et que celle de Cincinnatus s’appelait Racilia. Dans ce dernier cas, T. J. Cornell rappelle qu’il pourrait s’agir d’un lignage patricien inconnu même si l’argument lui semble, à juste titre, peu probable69. Les travaux de S. Marchesini et son étude des formulaires onomastiques étrusques ont apporté d’autres données. Elle analyse en effet certains gentilices comme l’indicateur de ces mariages mixtes, à l’échelle des cités, lesquels auraient permis une meilleure intégration des nouveaux venus70.
45Enfin, d’autres indices sont repérables dans des cités du Latium vers la même époque. Fr.‑H. Massa‑Pairault estime même possible de retrouver des traces archéologiques de ces alliances matrimoniales dans les objets échangés entre cités, notamment cistes (cadeau matrimonial typique) et miroirs, qui attesteraient de la circulation des femmes et des stratégies matrimoniales. La célèbre ciste Ficoroni en serait un bon exemple. Elle porte l’inscription : « Novius Plautius m’a fait à Rome. Dindia Macolnia m’a offert à sa fille71 ». L’artisan possède une onomastique originale, avec un prénom osque et un nom latin. Il pourrait être un affranchi de la gens Plautia72. La femme à l’origine du présent appartient, elle, à la puissante famille prénestine des Magulnii. Fr.‑H. Massa‑Pairault propose une interprétation novatrice de la précision du lieu de fabrication. Loin d’être l’affirmation de la fierté de travailler à Rome, cette indication s’expliquerait parce que l’objet aurait été fait dans l’Vrbs pour une circonstance exceptionnelle justifiant cette précision : le mariage de la jeune fille avec un Romain. La ciste serait un cadeau de mariage de la mère à sa fille73. Ce serait une preuve supplémentaire de l’existence de mariages mixtes au sein même de Rome, ainsi que de mariages entre des Romains et des Latins, ce dont témoignent d’autres exemples plus anciens et moins liés au contexte plébéien, tels les liens matrimoniaux légendaires entre les Horatii romains et les Curiatii albains74.
Mariages mixtes, conubia et statut social des lignées tribunitiennes
46Ce dernier point renvoie une fois de plus, indirectement, à des questions de mobilité et de statut social. Comme pour ce qui concerne le ius migrandi, le droit de mariage fit partie, dès avant l’époque républicaine, des droits reconnus aux membres de la ligue latine. En revanche, soulignons qu’il ne s’agissait sans doute pas d’un droit général et universel mais plutôt de cas particuliers, reposant à chaque fois sur des traités, des alliances ou des privilèges personnels75. Peu avant la bataille du lac Régille, Denys d’Halicarnasse rapporte ainsi une délibération du Sénat prévoyant pour chaque Romain marié à une Latine (ou chaque Romaine mariée à un Latin) le droit de décider librement de dissoudre leur union ou de demeurer ensemble, et stipulant quel devait être le statut des enfants76. L’historien grec souligne l’importance quantitative de ces mariages, en rappelant la συγγένεια et la φιλία qui existaient entre les deux peuples. En 389, les cités latines coalisées sous le commandement de Livius Postumius attaquèrent Rome et réclamèrent de pouvoir épouser des Romaines77. Enfin, au moment de la dissolution de la ligue latine en 33878, Tite‑Live mentionne que l’on ôta à un certain nombre de cités latines le droit de se marier et de commercer entre elles, ce qui est le meilleur signe de l’existence antérieure de cette possibilité79.
47Là aussi, le traité juré en 493 sous l’égide de Sp. Cassius est essentiel. Le foedus Cassianum ne prévoyait pas seulement des dispositions migratoires entre cités latines, il comportait aussi des clauses sur les mariages entre Latins. Ce traité instaura les conubia entre cités latines. Ce terme désigne la possibilité des mariages, par opposition au droit strict de mariage, qualifié, lui, en latin, de conubium. Il s’agissait par là de reconnaître comme légitime les unions de ce type et d’en prévoir les conséquences juridiques en précisant qu’il devait y avoir intégration des mariés dans l’ordre juridique du mari80. Nous avons vu, à propos de ce traité, qu’il étendit dès 486 le ius migrandi aux Herniques. Il en alla sans doute de même, à une date inconnue, pour ce qui concerne le mariage, comme le montre ce que Tite‑Live rapporte du sort de certaines cités herniques durant les guerres samnites. Aletrium, Verulae et Ferentinum se virent récompensées de leur fidélité en conservant leurs lois et en recevant le droit de mariage. Tite‑Live ajoute alors que ceux d’Anagni et d’autres cités se virent ôter ce privilège, ce qui conduit à supposer qu’ils en disposaient auparavant81.
48Ces mariages existèrent donc et furent sans doute en majorité hypergamiques, des plébéiennes épousant des patriciens. En effet, comme dans le cas de l’intégration juridique des mariés au statut du mari, les enfants suivaient ici le statut juridique du père et pouvaient intégrer le patriciat. Le mariage d’une patricienne avec un plébéien présentait, de ce point de vue, moins d’avantages même si, en droit, rien n’empêchait qu’il pût exister, comme en atteste l’exemple de C. Licinius Stolo. La femme apportait au moins une dot, laquelle constituait un argument économique non négligeable en faveur du mariage, même au prix d’une mésalliance. D’après F. De Visscher, ces possibilités ne se limitaient pas aux seuls peuples de la confédération latine. Selon lui, conubium et ciuitas sont deux choses différentes et celui‑là aurait existé avant celui‑ci, comme un privilège d’ordre privé, permettant ainsi des mariages mixtes entre familles du Latium. Cette hypothèse discutée permettrait de comprendre la facilité des mobilités à cette époque82. Diodore de Sicile évoque d’ailleurs précisément la concession du droit de mariage lorsqu’il cite les différents moyens grâce auxquels les Romains parvinrent à construire leur empire. Cette forme supérieure d’humanité leur attira les faveurs des autres peuples qui épousèrent les normes romaines83.
49Tout cela recoupe ce que nous avons vu de l’origine des tribuns. Si une bonne part des lignées tribunitiennes était d’origine étrangère, il put très bien s’agir de lignées d’un rang élevé. Pensons à Démarate et à son fils. À la lecture des sources littéraires, faire de tous les plébéiens de cette époque une population de miséreux soumis économiquement et politiquement au patriciat est impossible. Au contraire, confronter ce que nous avons vu du vocabulaire employé par les sources à ces analyses sur les mariages mixtes (lesquelles s’appuient sur la tradition très solide au sujet du plébiscite de C. Canuleius) aboutit à dresser de la plèbe romaine une image plus complexe. À côté d’incontestables éléments pauvres, une plèbe aisée apparaît – une « haute plèbe » – qui constitue le cœur des lignages tribunitiens. Caractériser précisément son niveau de richesse n’est pas chose aisée tant les sources manquent pour cela. Toutefois, le cas de C. Licinius et de L. Sextius fournit une fois encore des éléments significatifs. À propos du second, Tite‑Live dit en effet que rien ne lui manquait si ce n’est une naissance patricienne, indice d’un niveau de fortune conséquent84. Tous les tribuns n’étaient sans doute pas aussi proches du patriciat et, si nous disposions des sources nécessaires, nous trouverions des exceptions à cette hypothèse. Cela n’ôte rien au fait qu’on ne saurait voir dans ces tribuns de simples artisans enrichis. Il s’agissait plutôt d’un ensemble d’authentiques gentes plébéiennes, au patrimoine économique important, qui, pour une part non négligeable d’entre elles, existaient dès la première moitié du Ve siècle, sans quoi la disposition des XII Tables sur les mariages mixtes n’aurait eu aucun sens85. L’opposition de ces gentes plébéiennes au patriciat ne s’en comprend que mieux puisque rien ne les séparait véritablement sinon une question de droit.
50À l’autre bout de l’échelle, leur intégration si simple dans la nouvelle nobilitas ne s’explique pas seulement par le fait qu’un siècle de conflits et d’alliances préparât le terrain à cette fusion. Il s’agissait de groupes très proches que rien n’empêchait de fusionner à ce moment. On sait depuis é. Durkheim au moins, que la famille est une institution sociale à part entière, produite par un environnement particulier. Dans le cadre de la société romaine du conflit des ordres, famille et mariage ne pouvaient rester à l’écart. Si les tribuns se battirent pour le mariage, c’est en raison du bénéfice social qu’ils pensaient et savaient en retirer. Nous savons, enfin, pour des périodes ultérieures, que ce type d’unions mixtes exista. Tite‑Live évoque à deux reprises les relations matrimoniales entre les lignages aristocratiques romains et l’aristocratie campanienne86, relations attestées par l’origine méridionale de familles plébéiennes et par l’alliance matrimoniale entre les Claudii et les Calauii de Capoue87. Ces phénomènes sont en réalité anciens et se développèrent durant les Ve et IVe siècles, facilitant la formation de la nobilitas. La présentation de cette question par nos sources recoupe donc ce qu’il est possible de tirer de leur vocabulaire et peut encore recevoir une forme de confirmation des liens que la tradition établit entre les tribuns et l’armée romaine.
L’importance du fait militaire
51En effet, certains tribuns sont explicitement mentionnés comme ayant accompli un service armé et, précision importante, ce service eut parfois lieu dans la cavalerie. Dans la tradition, la carrière des armes apparaît ainsi comme un choix privilégié des plébéiens et, notamment, de leurs tribuns.
Tribuns et fantassins
52Si l’on s’intéresse d’abord aux fantassins, plusieurs mentions déterminantes peuvent être relevées. Dès l’année 494, le futur tribun de la plèbe L. Sicinius Vellutus apparaît lié au contexte militaire. Dans les sources, il est en effet présenté comme l’un des instigateurs de la sécession de la plèbe et, aussi bien chez Denys d’Halicarnasse que chez Tite‑Live, c’est lui qui poussa les soldats à cesser d’obéir aux consuls et à s’emparer des enseignes88. Une phrase de Denys d’Halicarnasse, quelque peu ambiguë, pourrait indiquer qu’il occupait alors les fonctions de centurion :
Et après avoir désigné leurs centurions, et parmi eux fait de Sicinius leur chef en toute matière, ils occupèrent une certaine montagne située près de la rivière Anio, non loin de Rome, qui depuis cette circonstance est appelée le Mont sacré89.
53Sans que soit jamais affirmé de façon explicite qu’il occupait des fonctions militaires, son rôle dans le déroulement de la sécession et cette formulation qui l’associe aux centurions vont en ce sens. C’est une hypothèse d’autant plus probable que la sécession est présentée par toute une série de sources comme, au moins en partie, une grève de l’armée. Qu’un certain nombre d’officiers intermédiaires jouassent un rôle particulier dans le mouvement ne serait pas surprenant et, au contraire, sans l’accord – fût‑il tacite – de certains d’entre eux, un tel mouvement n’aurait pu aboutir.
54L’année 471 offre également le cas révélateur de deux tribuns de la plèbe. Mentionnons d’abord C. Laetorius, personnage tout à fait significatif car il fournit un bon exemple des problèmes soulevés par ce type d’information. C’est en effet un tribun très probablement fictif sur lequel nos sources s’opposent. Il est mentionné à la fois chez Tite‑Live et chez Denys d’Halicarnasse. Ces auteurs s’accordent sur deux points : il fut soldat et il joua un rôle important dans l’adoption du plébiscite de Volero Publilius. En revanche, l’usage de ses origines militaires diffère du tout au tout. Tite‑Live développe à son propos l’image classique du militaire vaillant et droit, mais simple d’esprit. Malhabile avec les mots et avec la chose publique, il n’avait que sa droiture et sa ténacité pour lui, ce qui transparaît de façon éclatante lorsque le consul Ap. Claudius le reprit sur un point de droit et le ridiculisa en public90. À l’opposé de ces lieux communs, Denys d’Halicarnasse en fait un soldat très brave tout en insistant sur le fait qu’il était bon politique et d’une grande habileté dans les affaires de l’état91. La contradiction, totale, s’explique par des choix narratifs contrastés. Tite‑Live souhaite insister sur les caractères, opposant la morgue traditionnelle des Claudii à la simplicité rustique d’un plébéien, tribun de surcroît. Denys d’Halicarnasse cherche, de son côté, à cristalliser les oppositions au travers des discours rapportés et a besoin, à cet effet, d’un personnage habile dans les affaires publiques. Il n’y a pas grand chose à retenir de ces différences sur le plan historique. En revanche, que ce personnage fût soldat constitue sans doute le seul élément à peu près authentique. C’est d’ailleurs l’unique point d’accord entre les sources.
55L’autre tribun de l’année, Volero Publilius, passe également pour avoir eu une carrière militaire. Déjà tribun de la plèbe en 472, il le fut à nouveau, en même temps que C. Laetorius, en 471. Nous savons qu’il fut centurion car, tant chez Denys d’Halicarnasse que chez Tite‑Live, l’origine de sa notoriété tient à son refus de se laisser enrôler comme simple soldat au motif qu’il avait été centurion l’année précédente. Nous sommes ainsi en présence de deux personnages à l’historicité douteuse, bien qu’attachés à une disposition législative authentique. Une hypothèse plausible serait que les historiens aient brodé ces récits à partir du souvenir de ce plébiscite et de deux anciens soldats qui l’auraient défendu. De la sorte, ces renseignements sur les activités annexes des deux tribuns reposent peut‑être sur un fond de vérité et, même en cas contraire, sont révélateurs de ce que, aux yeux de l’annalistique, le choix de prolonger le service dû à l’armée, avec le prestige que cela pouvait apporter, passait comme le plus naturel pour des plébéiens dévoués à la cité, ou pour des tribuns.
56Quelques années plus tard, au milieu du Ve siècle, un tribun de la plèbe emblématique de cette période s’identifie fortement à son rôle de soldat : L. Sicinius Dentatus92. Ce Sicinius fut tribun de la plèbe en 454 et laissa dans les sources l’impression d’un véritable surhomme en raison de ses multiples exploits militaires qui lui valurent son surnom d’Achille romain, tout comme sa conduite militaire valut au maréchal Lannes son surnom de Roland de l’armée d’Italie. Par leur parcours et leurs faits d’armes, les trajectoires des deux hommes présentent, toute proportion gardée, d’intéressantes convergences. Le cas de Dentatus est remarquable à plus d’un titre et avant tout parce qu’il incarne, dans la tradition, une image classique de la vertu. Il s’agit d’un personnage qui servit longtemps à l’armée, où il occupa des charges de commandement. Denys d’Halicarnasse rapporte un discours qu’il aurait tenu au peuple romain en 453 et dans lequel il résuma son parcours :
Si je voulais, Romains, vous raconter en détail tous mes exploits, la journée entière ne suffirait pas ; je vous en dirai l’essentiel le plus succinctement qu’il me sera possible. Voilà la quarantième année que je sers dans les troupes pour la patrie et la trentième, c’est‑à‑dire depuis le consulat de Caius Aquilius et de Titus Siccius, que le Sénat envoya faire la guerre aux Volsques, que j’occupe des charges d’officier dans l’armée, tantôt à la tête d’une cohorte, tantôt commandant d’une légion entière93.
57L. Sicinius Dentatus montre qu’ayant débuté simple soldat, sa valeur et son courage lui permirent de monter en grade jusqu’à obtenir le commandement de cohortes puis de légions94. Malheureusement, la cohorte est une évolution de l’armée romaine postérieure au passage de l’armée hoplitique à la légion manipulaire. Elle apparut au plus tôt à la fin du IVe siècle et ce qui est ici exposé est impossible95. Il était de même impensable qu’un simple soldat sorti du rang pût obtenir le commandement d’une légion entière à cette époque. Il faudrait pour cela que le consul en ait fait son légat, et un tel événement dans la carrière d’un tel personnage aurait été conservé par nos sources. Or, bien qu’elles soient assez abondantes quant à sa carrière militaire, nulle n’en fait mention. Si la présentation de son parcours par Denys d’Halicarnasse est donc anachronique, la réalité de ce parcours, à savoir une carrière militaire longue aboutissant à un poste plus probable de centurion ne doit pas pour autant être mise en doute. C’est en tous les cas comme cela que Denys se la représente.
58Ce même discours s’achève sur une anecdote tout aussi fictive que révélatrice. Un consul sauvé par Dentatus voulut lui transmettre le commandement de la légion, ce que ce dernier refusa. Souhaitant tout de même le récompenser, le consul le nomma alors centurion primipile. Un tel poste est plus crédible et pourrait avoir récompensé une longue carrière sous les drapeaux. Cette figure est également singulière parce que son histoire, mentionnée par de multiples sources, est marquée par une remarquable concordance entre les différentes versions au sujet de ses exploits et de ses décorations. Cette concordance témoigne certainement de l’utilisation d’une source commune – Fr. Münzer fait même l’hypothèse d’un monument en son honneur –, ce qui va dans le sens de l’historicité du personnage ayant servi de base à ces développements96. À l’évidence, cette figure paradigmatique de la valeur militaire fut retravaillée par l’annalistique, notamment à partir des cas ultérieurs de M. Sergius Silus, combattant héroïque de la seconde guerre punique et de Sp. Ligustinus, soldat dont Tite‑Live rapporte un discours en 171. Pour autant, ce fut sûrement un personnage authentique et il demeure un exemple intéressant par ce qu’il nous apprend des conceptions de la tradition sur les rapports entre plébéiens et armée.
59Au milieu du Ve siècle, l’affaire de Virginie et la deuxième sécession de la plèbe se déroulèrent également dans un contexte où le fait militaire joue, d’après la tradition, une importance notable. Le père de la jeune fille, L. Verginius, est présenté comme étant centurion dans l’armée de l’Algide au moment des faits. Seule la version de Diodore de Sicile se singularise sur ce point puisqu’il ne dit nulle part que Verginius était soldat et, dans sa narration de la crise, ce dernier paraît s’être trouvé à Rome au moment des faits97. Dans toutes nos autres sources, il revint précipitamment à Rome et, après avoir tué sa fille pour lui permettre d’échapper à la concupiscence du décemvir Ap. Claudius, il retourna au camp où il prêcha la révolte. C’est à ce moment qu’eut lieu l’assassinat de l’ancien tribun L. Sicinius Dentatus et que les différentes armées – celle de Sabine et celle de l’Algide – élirent chacune dix tribuns militaires pour les commander98. Certes, certains des tribuns évoqués ici sont des figures retravaillées par l’annalistique. Cette reconstruction est néanmoins éclairante par elle‑même et démontre encore une fois que les aspects militaires sont essentiels, chez nos sources, dans la description de l’arrière‑plan social des tribuns de la plèbe. Notons d’ailleurs qu’un Icilius et son fils sont présentés chez Denys d’Halicarnasse comme des soldats de la cohorte de L. Sicinius Dentatus99. Quoiqu’ils ne fussent pas tribuns de la plèbe, ils étaient très certainement apparentés à la famille tribunitienne des Icilii100.
60Enfin, pour désigner la plèbe, apparaissent parfois des expressions tirées du vocabulaire militaire. Il est ainsi fait mention d’un ordo pedester au moment de la lutte contre Véies :
Le Sénat se répandit en paroles de reconnaissance ; et, dès que ce bruit parvint au forum et en ville, aussitôt la plèbe accourt en foule à la curie et déclare qu’elle forme maintenant l’ordre des fantassins ; ils s’engagent à servir la République comme volontaires, soit à Véies, soit ailleurs, où on voudra les conduire101.
61Ce passage est à prendre en considération par son sens et par l’expression utilisée. Par son sens, il fournit des arguments supplémentaires à l’idée selon laquelle la carrière militaire eut, pour la tradition, une importance de premier plan pour les tribuns de la plèbe. Par les mots employés, qui font usage de la complexe notion d’ordo pour l’appliquer aux fantassins, suivant un décalque de l’expression ordo equester, il montre la richesse sémiotique de la tradition. De la sorte, ce passage établit une relation spéciale entre plèbe et pedites, manifestée par ce mot d’ordo qui exprime l’idée que les pedites par excellence furent constitués par la plèbe. Au‑delà de ce rapport, un tel syntagme montre aussi que, pour Tite‑Live, la plèbe ne formait pas un ordo à proprement parler, sans doute parce qu’il se les représentait suivant une large variété de statuts sociaux102. Cet extrait pourrait de la sorte conserver la trace de revendications politiques plébéiennes, exprimées de façon anachronique par cette aspiration à constituer un ordo, à l’image d’autres portions du corps civique romain. Or, si une telle revendication eut bien lieu, elle ne put concerner que cette frange de la plèbe suffisamment riche pour s’équiper et faire partie de la classis, qu’on retrouve en majorité parmi les titulaires du tribunat de la plèbe103.
Des possibilités de service comme cavalier
62En 422, nous possédons l’exemple d’un collège tribunitien dont des membres auraient servi comme cavaliers. Cette précision concerne tous les tribuns connus de ce collège : Ti. Antistius, M. Asellius, L. Hortensius, Sex. Tempanius et Ti. Spurillius. L’information est fournie par Tite‑Live sous une forme significative puisqu’il écrit :
La plèbe nomma tribuns de la plèbe en leur absence Sextus Tempanius, Marcus Asellius, Tiberius Antistius et Tiberius Spurillius, que les cavaliers avaient déjà mis à leur tête en guise de centurions sur le conseil de Tempanius104.
63La présentation de l’élection est doublement révélatrice, à la fois par le rôle attribué à Sex. Tempanius dans le choix des centurions, puis par le lien qui semble établi entre leur rôle militaire et le choix postérieur de ces hommes pour exercer les fonctions de tribuns de la plèbe. Ajouté à ce que nous venons de voir, cet extrait suggère que le passage par l’armée et, en son sein, par des fonctions de commandement pouvait constituer un avantage pour quiconque envisageait de devenir tribun de la plèbe. Étant donné ce que l’on sait de la place de l’armée dans l’Vrbs105, cela n’aurait rien de surprenant et confirmerait l’existence, pour l’annalistique, d’un lien spécial, aux Ve et IVe siècles, entre la fonction tribunitienne et la fonction militaire. À une époque où l’accès aux honneurs politiques leur demeurait impossible, les plébéiens pouvaient uniquement espérer des commandements militaires, certes limités, puis se tourner vers le tribunat de la plèbe.
64Les actions antérieures de ce Sex. Tempanius doivent aussi être mentionnées. Il apparaît en effet pour la première fois en 423, lors de l’accusation menée par les tribuns de la plèbe contre C. Sempronius Atratinus au motif qu’il aurait abandonné l’armée lors d’une campagne contre les Volsques. Appelé à témoigner parce que les tribuns espéraient un témoignage accablant, Sex. Tempanius demeura neutre dans sa déposition et s’attira les faveurs de la plèbe, mais également celles du consul qui vanta son comportement exemplaire à la guerre. Dans son cas, comme dans celui de L. Sicinius Dentatus, l’on se trouve donc face à une sorte de carrière militaire et I. Suolahti parle à son propos de « rural equestrian class » ou de personnage « of equestrian descent106 ». I. Suolahti veut sans doute désigner par là une famille typique de celles de ces principes des régions entourant Rome et ayant migré dans l’Vrbs. Ce ne sont donc pas encore à proprement parler des nobiles bien qu’ils soient plus proches des patriciens que des plébéiens. Nous manquons malheureusement de données pour percevoir si une évolution se fit jour dans les choix de carrière de ces plébéiens, notamment après 367. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, il semble bien que l’ouverture des plus hautes charges conduisit progressivement les plébéiens les plus riches à privilégier des carrières plus élevées et plus honorifiques.
Des liens étroits entre les tribuns, la plèbe et la sphère militaire
65De façon générale, un arrière‑fond militaire important est lisible dans la tradition dès lors qu’on essaye d’esquisser ce que pouvait être le milieu social des tribuns de la plèbe. Cela passe par les nombreuses oppositions tribunitiennes au dilectus. Rien que pour le Ve siècle, nous en connaissons six qui illustrent le caractère topique du phénomène : en 483107, 481108, 480109, 445110, 441111 et 410112. De la même façon, à plusieurs reprises, apparaît la préoccupation très vive des tribuns de la plèbe vis‑à‑vis du sort des plébéiens à l’armée. En 454, par exemple, L. Alienus, alors édile de la plèbe après avoir été tribun en 456 et en 455, mit en accusation C. Veturius, le consul de l’année précédente, pour avoir vendu le butin pris à la bataille de l’Algide au lieu de le distribuer aux soldats113. La même année, le tribun C. Calvius Cicero mit en accusation l’ancien consul T. Romilius Rocus Vaticanus pour un motif identique114. En 414, le tribun de la plèbe M. Sextius prit à parti le tribun militaire à pouvoir consulaire P. Postumius Regillensis, opposé à un plébiscite agraire et qui menaçait ses soldats de dures représailles s’ils essayaient de soutenir le projet115. Enfin, à une date qui se situe vraisemblablement en 291‑290, le tribun de la plèbe L. Cominius fit condamner pour impudicitia le tribun militaire C. (ou M.) Laetorius Mergus qui avait tenté d’obliger un de ses soldats à lui accorder des faveurs sexuelles116. Évoquons dans un dernier temps les accusations rapportées par Zonaras contre Ap. Claudius en 470, au moment de son procès. En effet, dans la version que cet auteur transmet de cette histoire, une des raisons invoquées par les tribuns de la plèbe contre Ap. Claudius serait son recours excessif à un châtiment militaire particulièrement cruel : la décimation117. Cela achève de démontrer à quel point, dans la tradition, les tribuns de la plèbe sont non seulement des défenseurs des plébéiens, mais aussi des défenseurs des soldats qui, en retour, viennent parfois à leur secours. L’utilisation de ce motif dans un certain nombre de procès tribunitiens documentés est assez révélatrice118.
66En outre, les tribuns mentionnés jusqu’ici ne sont pas uniquement des soldats situés au bas de l’échelle de commandement. Hormis les Icilii membres de la cohorte de Dentatus, nous n’avons mention à chaque fois que de centurions ou de commandants de cavalerie, que cela concerne des personnages probablement authentiques – à l’image de Ti. Antistius et de ses collègues – ou des tribuns fictifs comme C. Laetorius. Ce dernier demeure malgré tout un bon indicateur puisqu’il fournit un exemple parfait de reconstruction d’une image sociale à l’aune de critères des IIe et Ier siècles. Cette dimension militaire se retrouve par ailleurs, à côté des tribuns, chez un certain nombre de plébéiens appartenant à des lignées tribunitiennes. Mentionnons Q. Caedicius, centurion en 390 ou C. Caedicius légat à Aquilonia en 293119. De la même façon, nous avons connaissance d’un autre Laetorius intéressant : M. Laetorius, centurion primipile élu par le peuple en 495 pour la dédicace du temple de Mercure120. Ainsi, du point de vue des représentations, il est évident que la tradition associait fortement la plèbe et ses tribuns à l’armée. Or, à cette époque, la participation à l’armée supposait de pouvoir s’équiper car la légion romaine du Ve siècle était la classis clipeata, c’est‑à‑dire l’armée hoplitique constituée d’individus ayant la capacité financière de s’équiper. Il y a là un indice supplémentaire de ce que ces plébéiens faisaient partie d’une frange aisée de la population romaine, ce qui expliquerait la présence des tribuns en leur sein.
67La coloration militaire des tribuns recouvre donc une réalité historiographique antique majeure et bien compréhensible. Il était normal de prêter de telles fonctions à des individus appelés à occuper des responsabilités civiques puisque la carrière politique fut, à Rome, toujours intimement mêlée au métier des armes. Les tribuns devaient donc naturellement chercher à s’illustrer durant leur service militaire car c’était le moment où la distinction pouvait s’opérer. En outre, si la plèbe se percevait comme la masse militaire de la cité, si c’était là un des principaux moyens de son affirmation politique, il devenait nécessaire que les tribuns fissent preuve de leurs capacités à l’armée pour pouvoir prétendre ensuite commander à cette même plèbe, dans l’Vrbs. Enfin, face à une aristocratie refermée sur ses prétentions autarciques, la « haute plèbe » avait tout intérêt à se présenter comme un réservoir et un modèle de bons citoyens, c’est‑à‑dire prioritairement comme de bons soldats et de bons commandants. Si, au travers de son plébiscite, C. Canuleius dénonçait une conception religieuse et biologique du mariage qu’il entendait ramener sur un terrain proprement juridique, de leur côté, les tribuns, en se liant si fortement à l’armée, aspiraient à mettre au centre de l’éthique aristocratique une conception politique et civique du service de la cité, détachée des privilèges patriciens. Par ailleurs, la tradition antique porte, en général, un regard négatif sur les tribuns de la plèbe des Ve et IVe siècles121. L’unanimité plutôt neutre des représentations les associant à la sphère militaire pourrait donc s’appuyer sur des sources anciennes. Cet aspect militaire renverrait alors à une réalité historique qui a des conséquences sur le vieux débat à propos de l’origine du nom des tribuns de la plèbe. Si l’on accepte cette hypothèse, cela apporte un argument important en faveur de la thèse de l’origine militaire du tribunat qui trouve ici des fondements que ne possède pas celle qui fait des tribuns les chefs des tribus. Elle valide le témoignage de Varron et confirme certaines interprétations plus anciennes122. De façon similaire, l’image que l’on peut se faire de la révolte plébéienne s’éloigne de l’idée d’un soulèvement uniquement populaire. Enfin, ces analyses ouvrent des perspectives quant aux origines historiques de l’éthos de la nobilitas classique. Cet éthos pourrait bien procéder de comportements antérieurs au IVe siècle, dans la définition desquels les tribuns de la plèbe eurent un rôle influent.
68Pourtant, T. J. Cornell, s’appuyant sur des analyses d’A. Momigliano, avance une reconstruction différente. Il part de son explication de la réforme centuriate de Servius Tullius, qui aurait créé deux classes, la classis et l’infra classem, la première seule fournissant des contingents à l’armée123. Analysant la naissance de la plèbe, il estime que cette dernière fut majoritairement écartée de la classis et qu’elle se recrutait surtout dans l’infra classem. Certes, les patriciens à eux seuls ne pouvaient former l’intégralité de l’armée. Toutefois, leurs clients participaient à cette classis et, selon lui, il ne peut s’agir de plébéiens au sens strict124. Le fond de l’argumentaire repose sur un problème de taxinomie concernant la plèbe. Dans un sens large et vague, les plébéiens sont effectivement, pour T. J. Cornell, tous ceux qui n’appartiennent pas au patriciat. Ce sens ne lui paraît cependant pas satisfaisant car une part substantielle de ces plébéiens entretenait des relations étroites avec le patriciat – dont des relations de clientèle – et ne peut être comprise dans la plèbe au sens strict, celle qui était issue de la sécession de 494. Si le problème soulevé par ces notions est réel, la réponse qu’y apporte T. J. Cornell tient de l’artifice rhétorique et peine à rendre pleinement compte des enjeux sociologiques de la population romaine du début du Ve siècle. D’une certaine manière, il hypostasie une catégorie de plébéiens alors que les sources antiques ne le permettent guère et il tend à réduire le mot « plèbe » au sens qui fut le sien à la fin de la République. Pourquoi, en effet, le fait d’entretenir des liens avec le patriciat rendrait‑il impossible l’appartenance à la plèbe ?
69Par ailleurs, contrairement à ce qu’il avance, il est difficile de suggérer que la plèbe ait été majoritairement composée de citoyens dispensés du service militaire. Sans aller, comme K. A. Raaflaub, jusqu’à penser que « the plebeians must have dominated the phalanx125 » , une partie non négligeable d’entre eux participa incontestablement à l’armée car les rapports démographiques au début de la République rendent impossible la supposition que le patriciat put, à lui seul, constituer la légion126. Un apport supplémentaire était nécessaire, que l’on ne saurait réduire à la clientèle patricienne qu’à partir d’une pétition de principe. Rien ne le prouve en réalité. Bien sûr, il ne s’agit pas de prétendre que toute la plèbe pouvait être enrôlée. En revanche, il est très probable qu’à côté des patriciens et de certains de leurs clients, des plébéiens participaient à l’effort de guerre et que cette participation s’accentua au fil du temps. Le clivage classis/infra classem ne saurait recouvrir un clivage patricien/plébéien encore en formation et il n’est pas de raison valide pour exclure certains plébéiens de la classis, particulièrement ceux d’un niveau social élevé127.
70Les données rassemblées sont unanimes. Que ce soit par le vocabulaire, par ce qu’elle transmet des mariages mixtes ou par la coloration militaire qu’elle attribue aux tribuns, la tradition montre de façon nette qu’elle se représentait la plèbe archaïque comme un groupe à la stratification complexe et au sein duquel certains éléments appartenaient à une frange aisée d’un point de vue économique. La participation de ces derniers aux activités militaires de l’Vrbs est plus que probable et confirme que les tribuns se recrutaient sans doute en majorité parmi les couches de propriétaires fonciers plébéiens et parmi ceux que leur fortune mettait, d’un point de vue économique, à la lisière du patriciat.
Des rapports ambigus entre tribuns de la plèbe et patriciens
71Ces liens mis au jour, dans la tradition, entre frange plébéienne aisée d’un côté, et patriciat de l’autre, conduisent à poser à nouveau la question de la nature des relations que les patriciens entretinrent avec la plèbe et, surtout, ses tribuns aux débuts de la République. Ce problème se développe suivant deux principales directions. D’une part, si l’on se fie aux fastes consulaires, on note la présence en leur sein de noms plébéiens. D’autre part, il existe des patriciens tribuns de la plèbe et nos sources évoquent un ensemble de situations dans lesquelles les liens entre tribuns et patriciens paraissent étroits. Ces deux aspects eurent des conséquences sur l’action des tribuns de la plèbe et sont révélateurs de leur positionnement dans la société romaine des Ve et IVe siècles. Il importe donc d’y revenir, en commençant par évoquer au moins brièvement le cas des noms plébéiens dans les fastes consulaires, ce qui conduira à s’arrêter sur les liens particuliers entre patriciens et plébéiens et, dans un dernier temps, sur le problème taxinomique évoqué à propos de la plèbe. Je conclurai en montrant que vouloir à tout prix identifier ou séparer plèbe et clientèle est une opération intellectuellement peu satisfaisante.
Les noms plébéiens dans les fastes consulaires
72Au sujet des noms plébéiens dans les fastes consulaires, la bibliographie est imposante car ce constat, très ancien, n’a cessé de perturber les historiens. Pour l’annalistique romaine, la situation était simple : les plébéiens ne purent accéder au consulat qu’en 366, à l’issue de deux siècles de luttes politiques farouches. Auparavant, la magistrature suprême fut l’apanage du patriciat, qui chercha par tous les moyens à s’en réserver l’accès. Or la présence de noms plébéiens dans les fastes, reconnue depuis longtemps, va à l’encontre de ce schéma univoque128. Comme le soulignait déjà A. Alföldi, comment peut‑on concilier des consuls plébéiens d’un côté et, de l’autre, la revendication par la plèbe de magistratures propres, voire de l’accès au consulat129 ? Le point nodal est mis en avant par R. T. Ridley : si l’on accepte que les fastes consulaires sont, dans l’ensemble, des documents authentiques, on ne peut, dans le même temps, rejeter la présence de ces noms et il faut tenter d’apporter une solution à ce problème130.
73Sans remonter au‑delà du XIXe siècle, c’est B. G. Niebuhr qui posa les fondations de cette discussion. Tout en admettant l’existence de consuls plébéiens en 509 (dont L. Iunius Brutus), il ajoute que cette fonction fut presque immédiatement fermée à la plèbe, avant qu’un des plébiscites licinio‑sextiens de 367 [98] ne mît fin à cette injustice en rétablissant la situation qui prévalait en 509. De la même façon, B. G. Niebuhr reconnaît la présence de plébéiens dans les collèges de tribuns militaires à pouvoir consulaire très tôt, puisqu’il y en aurait eu dès le premier collège de 444, collège que le Sénat poussa à abdiquer131. Sa position nuancée démontre que la réponse apportée pour le consulat diffère souvent de celle concernant le décemvirat législatif et le tribunat militaire à pouvoir consulaire. Pour le dire autrement, y compris ceux qui refusent l’existence de noms plébéiens dans les fastes consulaires avant 366 ont tendance à les accepter pour le décemvirat législatif et, surtout, pour certains collèges de tribuns militaires à pouvoir consulaire puisque les sources elles‑mêmes le font (en particulier Tite‑Live).
74Après B. G. Niebuhr, l’historiographie s’est divisée en deux tendances opposées. La première comprend ceux qui privilégient l’interprétation des sources antiques au détriment des fastes et refusent l’existence de plébéiens consuls132. La seconde réunit ceux qui privilégient le témoignage des fastes. Cette seconde solution, qui tend à s’imposer aujourd’hui, conduit à deux suggestions différentes. D’une part, l’on peut accepter le témoignage des fastes tout en estimant que ces noms apparemment plébéiens sont bien ceux de patriciens133. D’autre part, on peut y voir d’authentiques plébéiens avec les conséquences historiques qui en découlent134. Un examen minutieux du problème révèle, de fait, l’existence de deux types de situations. Il existe, d’un côté, des consuls qui semblent être plébéiens ou du moins de statut douteux et, de l’autre, des consuls patriciens dont le gentilice est le même que celui de lignées plébéiennes.
75Selon J. Heurgon, les listes éponymiques « révèlent, de 509 à 486, 12 consuls plébéiens135 ». Il ajoute que, de 485 à 458, « à l’exception de T. Numicius ou Minucius, consul en 469136 » , plus aucun plébéien n’accéda à cette magistrature. On en retrouve ensuite en 458, 457, 454 et 452 avant que ne survienne le décemvirat législatif. J. Heurgon isole en fait trois périodes dans les fastes consulaires, en reprenant un découpage chronologique qui remonte à K.‑J. Beloch. De 509 à 486, l’on trouve d’assez nombreux consuls plébéiens ; puis, de 485 à 470 on ne repère plus aucun consul plébéien et, enfin, de 469 au décemvirat législatif, l’on retrouve de nouveau quelques consuls plébéiens137. Ces statistiques se lisent aussi chez P.‑Ch. Ranouil et chez T. J. Cornell. Si tous deux remarquent cette présence plébéienne notable dans les fastes, il s’en faut cependant de beaucoup que leurs interprétations se rejoignent.
76Le premier s’intéresse à la formation du patriciat et retient comme critère d’appartenance à ce groupe la gestion, avant 433, des auspicia populi Romani. Comme il se rattache à l’interprétation juridique de l’origine du patriciat138, il existe selon lui une concordance nécessaire entre la qualité de patricien et la gestion des plus hautes magistratures, ce qui l’amène à refuser la possibilité de plébéiens consuls. L’existence de ces noms apparemment plébéiens dans les fastes s’expliquerait par trois hypothèses : la coexistence de stirpes patriciennes et plébéiennes, des transitiones ad plebem ou le fait que : « L’accès au patriciat d’un membre d’une gens n’entraînait pas la qualité de patricien pour tous ses gentiles, mais seulement pour ses propres descendants, les patricii139. » À l’inverse, à partir du même constat, T. J. Cornell reconnaît l’entière valeur historique de ces noms plébéiens et en tire une hypothèse audacieuse140. De la sorte, les études sur les fastes ont abouti à un recensement précis des consuls problématiques dont il est possible de donner la liste sous forme de tableau. Les deux consuls de 454, qui y sont traditionnellement présents, en ont été retirés parce qu’ils ne doivent cette présence qu’à leur supposé tribunat de la plèbe de 448 qui est invraisemblable141. Cela donne142 :
Liste des consuls du Ve siècle potentiellement plébéiens.
Années | Noms de consuls potentiellement plébéiens |
509 | L. Iunius Brutus |
502 | Sp. Cassius Vecellinus |
501 | Postumus Cominius |
500 | M’. Tullius Longus |
497 | M. Minucius Augurinus |
493 | Sp. Cassius Vecellinus |
493 | Postumus Cominius |
492 | P. Minucius Augurinus |
491 | M. Minucius Augurinus |
487 | T. Sicinius Sabinus |
487 | C. Aquillius Tuscus |
486 | Sp. Cassius Vecellinus |
469 | T. Numicius Priscus |
461 | P. Volumnius Amintinus Gallus |
458 | L. Minucius Esquilinus Augurinus |
457 | Q. Minucius Esquilinus |
451 | T. Genucius Augurinus |
445 | M. Genucius Augurinus |
77Sur cette base, T. J. Cornell a tiré des fastes un tableau significatif qui divise le Ve siècle en quatre périodes pour ce qui concerne les titulaires du consulat, du consulat suffect et du tribunat militaire à pouvoir consulaire. De 509 à 483, on trouve 79 % de patriciens et 21 % de plébéiens détenteurs de ces charges ; puis de 482 à 456, 93 % de patriciens et 7 % de plébéiens ; de 455 à 428, 92 % de patriciens et 8 % de plébéiens et, enfin, de 427 à 401, 99 % de patriciens et 1 % de plébéiens. Le monopole patricien n’aurait ainsi été acquis qu’à partir du milieu du Ve siècle sans avoir jamais été absolu143. Ajoutons que, si nous suivons les fastes, pour cette époque, d’autres personnages y possèdent des noms identiques à ceux de certains plébéiens, à l’image des Verginii consuls ou d’Agrippa Menenius en 503. Sur ce dernier, Tite‑Live a d’ailleurs cette remarque très importante, au moment d’indiquer qu’il fut choisi comme ambassadeur auprès de la plèbe durant la sécession de 494 :
On décida d’envoyer à la plèbe un parlementaire, Menenius Agrippa, orateur éloquent, que ses origines plébéiennes rendaient populaire144.
78Dans une note, J. Bayet s’étonne qu’un patricien puisse être issu de la plèbe car, dans son optique, fondée sur le sens général du récit livien, seuls les patriciens pouvaient accéder au consulat145. Nous retrouvons donc bien les deux catégories mentionnées au départ : d’un côté des consuls qui semblent être plébéiens, de l’autre des consuls patriciens dont le gentilice est aussi le nom que portent des lignées plébéiennes. Seuls les premiers sont au cœur du problème et, pour eux, les explications de P.‑Ch. Ranouil ne suffisent pas.
79Des problèmes similaires surgissent à propos du décemvirat législatif, exclu des calculs de T. J. Cornell. Là encore, des noms portés par des plébéiens ne sont pas absents des différents collèges de décemvirs. Dans le premier collège, on trouve un T. Genucius et un P. Curiatius. Ni Tite‑Live ni Denys d’Halicarnasse ne laissent cependant filtrer la moindre allusion au fait qu’il pût s’agir de plébéiens. Les choses sont différentes avec le second collège, à l’authenticité fort disputée146. Cinq noms y ont des consonances plébéiennes : L. Minucius, Q. Poetilius, Caeso Duilius, Sp. Oppius Cornicen et M’. Rabuleius. Denys d’Halicarnasse indique explicitement que trois des membres de ce collège – Poetelius, Duilius et Oppius – étaient plébéiens147. Le récit de Tite‑Live insiste, lui, sur le rôle joué par Ap. Claudius lors de cette élection :
Il fait échouer par des manœuvres de coalitions les deux Quinctius […], et fait élire décemvirs des hommes dont la vie était loin d’avoir le même éclat, et lui d’abord, coup d’audace qui révolta les honnêtes gens d’autant plus qu’on ne l’en croyait pas capable148.
80Ces hommes de moindre éclat ne pourraient‑ils être des plébéiens et donc, probablement parmi les plus élevés d’entre eux ? De fait, l’expression latine utilisée – nequaquam splendore uitae pares decemuiros creat – rappelle la façon dont Denys d’Halicarnasse caractérise, pour la même époque, P. Numitorius : ἀνὴρ ἐκ τῶν δημοτικῶν ἐμφανής149. Dans les deux cas, c’est l’idée d’éclat, de notoriété que l’on retrouve, bien que dans des sens opposés. Trancher ce débat importe peu ici. Il faut par contre souligner que ce problème de noms plébéiens dans les fastes consulaires perdura au moins jusqu’au milieu du Ve siècle. Puis, après la période décemvirale, très vite, pour des raisons encore débattues, des tribuns militaires à pouvoir consulaire furent institués. Là aussi des noms plébéiens apparaissent, bien que peu nombreux150.
81Ces données et les interprétations divergentes qui en sont faites illustrent l’existence des deux grands courants interprétatifs mentionnés plus haut. L’un réfute la possibilité de consuls plébéiens en préférant la lecture traditionnelle du début de la République ; l’autre estime au contraire qu’on ne saurait éluder les informations transmises par les fastes et qu’elles renvoient à une situation politique et sociale bien réelle. À la suite des analyses de J. Cels‑Saint‑Hilaire, trois raisons peuvent être mises en avant contre les tenants de la première interprétation. Tout d’abord, admettre a priori que l’accès aux hautes magistratures nécessite la qualité de patricien revient à mettre la conclusion dans les prémisses. Ensuite, si, effectivement, il y eut des interpolations, on imagine mal l’intérêt de telles manipulations dans le cours d’épisodes parfois peu glorieux et il est impensable qu’elles fussent systématiques. Enfin, le seul critère politique de l’accès au consulat conduit à effacer toute une série d’aspects économiques et sociaux qui, une fois escamotés, rendent impossible l’explication d’un certain nombre d’événements postérieurs, telle l’œuvre de Sp. Cassius151. Plus encore, cela nécessite de ne pas tenir compte des racines royales du patriciat152. De façon plus générale, ce débat complexe recouvre un problème de taxinomie : la difficulté d’isoler un critère objectif pour déterminer avec précision les noms plébéiens et les noms patriciens153. Cela permet de mettre en évidence une contradiction interne à la tradition littéraire, qui tient à son caractère hétérogène. D’une part, en effet, sa logique diégétique aboutit à une reconstruction tout à fait linéaire et schématique des premières décennies de la République, présentant peu de ruptures et une vision très tranchée d’une société romaine que la première sécession de la plèbe scinda en deux. Dans cette optique, rien ne vient interrompre un cheminement qui, de la division la plus absolue – ce que les modernes ont nommé la « serrata del patriziato154 » –, mena progressivement à une réconciliation trouvant son point d’orgue en 367 avec les plébiscites licinio‑sextiens [98, 99, 100, 101]. D’autre part, cette même tradition se fait l’écho des fastes consulaires et des noms de consuls incontestablement plébéiens qu’ils fournissent. Apparaît ainsi une contradiction fondamentale liée à une tension entre les sources de ces historiens, d’une part, et leur vision du passé de Rome, de l’autre. Il en découle cette linéarité factice issue d’une vision quelque peu téléologique de l’histoire et qui correspond aux attendus logiques de la démonstration à laquelle ces historiens entendaient se livrer.
82Cette contradiction n’est pas négligeable car si l’on privilégie son second terme, c’est l’économie générale du mouvement de la serrata qui doit être repensée. Dans cette optique, jusque vers 460‑450, les hautes magistratures n’étaient pas encore fermées à une frange de la population plébéienne qui, dans la logique des évolutions économiques et sociales perceptibles dès le début du VIe siècle, pouvait trouver de l’intérêt à être associée au pouvoir155. Ces hautes magistratures n’étaient pas fermées, en raison de ce que nous avons vu du processus de formation du patriciat, qui débuta sous la royauté pour s’institutionnaliser durant la première moitié du Ve siècle. Dès lors, les luttes que la tradition présente comme étant celles du patriciat et de la plèbe pour cette période sont parfois plutôt envisagées en termes de « luttes de factions156 ». Cette théorie avait déjà été esquissée par J. Heurgon et fut surtout développée par G. Poma et, d’une autre façon, par T. J. Cornell157. Elle ne peut cependant être valide qu’à condition de comprendre les factions en question sous une forme non rigide, c’est‑à‑dire se prêtant à de multiples recompositions en fonction des problèmes politiques du moment158. Le mouvement de la serrata est ainsi moins uniforme qu’il n’est souvent reconstruit et ne se serait pleinement produit que vers le milieu du Ve siècle.
83Une telle conclusion entraîne, par ricochet, une réévaluation de la nature de l’expérience décemvirale et des combats plébéiens de la première moitié du Ve siècle. En effet, si l’on accepte qu’une partie des plébéiens put accéder au consulat dans la première moitié du Ve siècle, il faut alors expliquer pourquoi la plèbe se battit pour obtenir ses propres magistrats. C’est là qu’intervient toute l’originalité d’une hypothèse avancée par T. J. Cornell. Seuls les titulaires des magistratures plébéiennes se seraient vu refuser l’accès au consulat. Ainsi, la présence de noms plébéiens s’expliquerait bien. Leur progressive raréfaction aussi. Face à un contexte de tension politique de plus en plus grande, le patriciat se ferma graduellement et outrepassa la norme initiale en empêchant de plus en plus tous les plébéiens d’accéder au consulat, et non plus seulement les anciens titulaires de magistratures plébéiennes159. Le regard porté sur cette contradiction et le sens qu’on lui donne sont donc lourds de conséquences.
84Une première conclusion s’impose : les plus anciens noms plébéiens sont réels et démontrent ce que fut l’attitude du patriciat en formation, à savoir une tentative d’accaparement du pouvoir. La tradition annalistique nous montre qu’une partie d’elle‑même a toujours considéré que la société romaine n’était pas absolument figée. Au‑delà d’une certaine rigidité explicative vers laquelle tendent tous les travaux visant à expliquer et à organiser le fonctionnement d’une société, la tradition ne peut s’empêcher de rendre à cette même société sa souplesse. Cette analyse conduit à soulever le problème d’éventuelles alliances entre des patriciens et des plébéiens, en particulier entre patriciens et tribuns de la plèbe.
Le cas des patriciens tribuns de la plèbe
85L’historiographie s’est moins occupée de la question inverse des noms patriciens dans les collèges tribunitiens, pourtant tout aussi significative. C’est un problème d’autant plus intéressant qu’en théorie, jamais le tribunat de la plèbe ne fut ouvert aux patriciens. Cette règle était si vraie qu’à la fin de la République, le patricien Clodius dut se faire plébéien pour pouvoir être candidat au tribunat de la plèbe pour l’année 58160. L’accession d’anciens consuls au tribunat de la plèbe se produisit rarement au cours de la période sur laquelle porte cette étude, tandis que le contexte historiographique de ces récits est toujours empreint d’une certaine vision popularis des tribuns qui date de la fin de la République. À en croire nos sources, quatre personnes furent concernées : Sp. Cassius en 486, A. Aternius Varus Fontinalis et Sp. Tarpeius Montanus Capitolinus en 448, L. Minucius Esquilinus Augurinus en 439. Il s’agit à chaque fois de quatre patriciens à la carrière bien remplie. Laissons Sp. Cassius momentanément de côté – son cas étant très complexe – pour mieux nous intéresser d’abord aux trois autres.
A. Aternius et Sp. Tarpeius
86A. Aternius Varus Fontinalis et Sp. Tarpeius Montanus Capitolinus furent collègues dans l’exercice du consulat en 454. Sp. Tarpeius fut aussi membre de la légation sénatoriale envoyée en 449 à la plèbe en sécession. Ils réapparaissent ensuite tous les deux cette même année, au moment d’une élection controversée pour le tribunat de la plèbe. En effet, cette année‑là, les dix futurs postes de tribuns ne furent pas pourvus et il fut procédé à une cooptation pour remplir les places restantes. C’est dans le cadre de cette cooptation qu’A. Aternius et Sp. Tarpeius auraient été faits tribuns de la plèbe pour l’année 448. En réalité, même s’il est très probable que ces deux personnages aient existé, ce tribunat est fictif. Leurs actions antérieures permettent de comprendre cette invention annalistique car ces deux patriciens sont surtout célèbres pour leur consulat de 454 lors duquel ils auraient été à l’origine d’une loi sur les amendes. Cette loi Aternia Tarpeia [43] est controversée car elle fut suivie de près, en 452, par une loi Menenia Sestia sur le même thème [44], mais aussi parce que nos sources sont assez confuses à son sujet. Sans entrer ici dans le détail de l’analyse de cette loi, disons, en anticipant quelque peu sur la suite du propos, que son authenticité me semble crédible161.
87Par cette loi, les deux consuls cherchèrent à réglementer le pouvoir d’infliger des amendes. Tout en reconnaissant ce pouvoir, exercé par les tribuns de la plèbe, il s’agissait dans le même temps de lui fixer un certain nombre de limites afin d’empêcher toute dérive coercitive. Ce faisant, cette limitation du droit d’infliger des amendes s’inscrirait bien, à cette date, au sein de combats plébéiens plus amples qui avaient pour but la réglementation de l’imperium des magistrats et qui aboutirent, par la pression du plébiscite de C. Terentilius Harsa [33], aux lois des XII Tables. Ces deux patriciens développèrent donc une politique de sensibilité plébéienne ou qui, à tout le moins, faisait écho à d’autres pratiques tribunitiennes en matière de justice pénale, et notamment au renoncement volontaire des tribuns à leur pouvoir de mise à mort162. De tels actes ne pouvaient que rappeler à des historiens de la fin de la République l’action des tribuns de la plèbe et c’est sans doute là que réside la raison principale de leur incorporation parmi les tribuns des Ve et IVe siècles. Aux yeux d’historiens postérieurs, il n’était pas incongru qu’ils passent pour plébéiens ou pour des patriciens rétribués de la sorte. Enfin, la présence de Sp. Tarpeius dans une légation visant à ramener la concorde au moment de la seconde sécession de la plèbe confère à ce personnage une coloration plébéienne supplémentaire. Il pouvait ainsi remémorer la figure d’Agrippa Menenius ou, plus indirectement, celle de Sp. Cassius, lui aussi présent à Rome lors de la sécession de 494.
L. Minucius Augurinus
88Le cas de L. Minucius Esquilinus Augurinus est différent163. Son histoire est liée à celle, complexe, de Sp. Maelius, un riche chevalier romain qui, lors d’une période de disette en 440‑439, s’acquit une forte popularité par des distributions de blé à la plèbe164. D’après nos sources, il aurait alors aspiré à la royauté. L. Minucius était, la même année, officiellement chargé du ravitaillement en blé de Rome et c’est lui qui aurait découvert le complot. Son action conduisit à la nomination d’un dictateur et à la mise à mort de Sp. Maelius. En récompense, L. Minucius aurait connu une transitio ad plebem et serait devenu onzième tribun de la plèbe en 439. Cette histoire, imprégnée d’éléments tardo‑républicains, est suspecte. On comprend mal comment, si Sp. Maelius était à ce point populaire auprès de la plèbe, quelqu’un qui participa à sa chute put être récompensé. Plus encore, l’idée d’un collège exceptionnel de onze tribuns n’offre aucune vraisemblance et achève de porter le discrédit sur cette information. Pourtant, l’authenticité du personnage n’est pas impossible car Tite‑Live indique tirer ses informations des livres de lin, tandis que Denys d’Halicarnasse évoque les annalistes Cincius Alimentus et Calpurnius Pison165. Reste une question importante : pourquoi avoir fait de L. Minucius un plébéien ? Sans doute d’abord parce que les Minucii ultérieurs furent des plébéiens tandis que la branche patricienne de cette famille s’éteignit tôt. Le comprendre suppose de faire intervenir ici l’histoire de la colonne minucienne.
89Selon la tradition, le civisme de L. Minucius lui aurait en effet valu l’érection d’une colonne dont l’existence, l’emplacement et la datation sont discutés166. En revanche, nous en possédons des représentations, notamment sur des deniers de la fin de la République167. Y est reproduite, au revers, une colonne spiralée à chapiteau de type éolien, avec deux cloches au sommet et deux protomés de lions ou de griffons à la base. Au‑dessus des têtes de lions ou de griffons sont figurés des épis de céréales. Sur cette colonne est juché un individu et deux autres sont représentés de chaque côté. Bien que le type monétaire soit complexe, plusieurs éléments permettent de proposer des hypothèses d’identification convaincantes pour chacun de ces trois personnages. La figure au sommet de la colonne est représentée en toge, de face, tenant une sorte de bâton (ou de sceptre consulaire selon les lectures). Elle pourrait évoquer L. Minucius lui‑même car la colonne renvoie visiblement à cette colonne minucienne dont les sources du début de l’époque impériale expliquent l’érection comme un honneur rendu à L. Minucius168. La figure située à gauche de la colonne, également en toge, de profil, tient dans sa main des miches de pain et pose le pied gauche sur une espèce de modius. Elle évoque sans doute P. Minucius ou M. Minucius, consuls en 492 et 491, tous deux liés à des distributions frumentaires169. La figure de droite, enfin, toujours en toge et de profil, porte un lituus dans la main droite. Elle est unanimement reconnue comme représentant M. Minucius Faesus, un des premiers augures plébéiens en 300, puisque le lituus est un symbole de la fonction augurale170.
90Trois personnages de trois époques différentes sont ainsi mis en relation. Rappelons par ailleurs que les Minucii d’époque archaïque étaient patriciens alors que ceux de la fin de la République étaient plébéiens. Le seul point de contact possible entre ces deux stirpes est précisément L. Minucius en raison de sa supposée transition à la plèbe, ce pourquoi il est plus probable que ce soit bien lui qui soit représenté juché sur la colonne. La position qu’il occupe dans l’espace figuratif symboliserait sa fonction de pont entre les stirpes patriciennes et plébéiennes des Minucii. La branche plébéienne de la famille aurait ainsi souhaité illustrer ses origines et se rattacher fictivement à une branche plus prestigieuse. À cet effet, les monétaires reconstituèrent une généalogie familiale imaginaire dont le maillon principal, dans leur esprit, était L. Minucius171. Ce dernier présentait en outre l’avantage d’être lié à des questions agraires. Or la tradition qui relie les Minucii à ces problématiques frumentaires est ancienne comme en témoignent les consulats des Minucii en 492 et 491172. Tout cela laisse aussi supposer que la colonne représentée, qui exista très certainement, fut construite plus tard, avant d’être ensuite attribuée à L. Minucius, au moment de la constitution de cette histoire légendaire des Minucii plébéiens. En effet, seul Pline l’Ancien mentionne cette colonne tandis que Tite‑Live n’évoque, lui, que la dédicace d’un bos auratus, statue de bronze représentant un bœuf, qui s’accorderait mieux aux usages religieux de cette époque173. En outre, ce type de colonne ne fit son apparition en Grèce qu’à la fin du Ve siècle, ce qui rend peu probable sa présence à Rome dès 439174. Il faut alors supposer que fut d’abord donnée publiquement une statue de bœuf en bronze doré près du sacellum de Minucius. C’est seulement plus tard que la colonne aurait été érigée et mise en relation avec la généalogie reconstruite des Minucii.
91Remarquons aussi que, comme dans le cas d’A. Aternius et de Sp. Tarpeius, le rattachement de ces personnages à la plèbe et au tribunat est non seulement fictif, mais répond à des motivations idéologiques et à des conceptions historiques impliquant l’intérêt d’une frange du patriciat pour des problématiques politiques plébéiennes. En effet, les dettes et les questions agraires acquirent, dans les deux derniers siècles de la République, une résonnance tout à fait particulière qui ne pouvait que jouer en faveur du rattachement de ces personnages à la plèbe. Soulignons, enfin, que les années qui furent celles de l’action de L. Minucius – 440‑439 – furent aussi marquées par le consulat de deux Menenii, membres d’une lignée patricienne plutôt modérée175. Une telle configuration politique aurait pu être propice à des choix politiques moins hostiles aux plébéiens qui facilitèrent, par la suite, l’invention de la transitio ad plebem de L. Minucius.
Sp. Cassius
92L’histoire de Sp. Cassius est à coup sûr la plus compliquée, même si peu de personnages de cette époque présentent autant de garanties historiques que lui176. Sp. Cassius nous est d’abord connu par les fastes puisqu’il fut trois fois consul, en 502, 493 et 486. En 502, il le fut avec Opiter Verginius et dut mener un certain nombre de campagnes militaires. Puis, la tradition qui fait de T. Larcius le premier dictateur de l’histoire de Rome, en 501, lui adjoint Sp. Cassius comme maître de cavalerie. Denys d’Halicarnasse le fait apparaître en 498 comme orateur au Sénat et il devint à nouveau consul en 493, pendant la sécession de la plèbe, avec comme collègue Postumus Cominius, personnage dont nous avons vu qu’il était peut‑être plébéien. Denys précise que le choix des consuls de cette année avait été fait pour plaire tant à la plèbe qu’aux patriciens177. Chez Denys, Sp. Cassius se démarque principalement parce qu’il fut un de ceux qui s’appliquèrent le plus à mettre fin à la sécession. On lui prête cette année‑là deux actes d’importance : la dédicace du temple de Cérès et un traité avec les Latins. Par cette dédicace, Sp. Cassius devint « selon le droit pontifical, l’homme le plus consubstantiellement lié au nouveau sanctuaire, celui qui, par la cérémonie de la dédicace, appose sur lui sa marque indélébile178 ». Cette dédicace semble avoir été bien gardée en mémoire par la tradition romaine puisque deux monnaies en attestent179.
93Pour ce qui concerne le foedus Cassianum, rappelons qu’au moment où débuta le deuxième consulat de Sp. Cassius, Rome menait une guerre contre les Volsques, qu’elle vainquit. Ces victoires romaines aboutirent à l’établissement de nouveaux rapports d’alliance entre Rome et les Latins, rapports qui prirent la forme d’un traité. Quoique ce traité fût, en droit, un foedus aequum, l’égalité formelle de l’accord masque mal la réalité de la victoire de Rome180. Ce traité affirmait entre Rome et la totalité des cités latines une égalité juridique nouvelle qui est la meilleure preuve du succès de 493. En effet, « le profond déséquilibre au sein de la ligue entre une cité qui, à elle seule, se voyait juridiquement reconnaître autant de droits que les 29 autres réunies, est la preuve la plus nette de la victoire incontestable de Rome181 ». Sp. Cassius fut seul, du côté romain, à jurer le traité et ce constat doit être mis en relation avec le portrait qu’avait dressé Denys d’Halicarnasse de ce personnage dès 496 : un partisan farouche d’une extension du territoire romain aux dépens des cités latines alors vaincues, extension qui devait surtout profiter à la plèbe182. Ainsi, le personnage de Sp. Cassius apparaît très tôt teinté d’une coloration plébéienne non négligeable, tout particulièrement si son collègue en 493 fut bien plébéien. Dans un contexte d’affrontement entre la plèbe et le patriciat, tous les patriciens n’auraient pas accepté de siéger avec un plébéien et un tel choix peut s’interpréter comme un acte politique.
94Sp. Cassius fut réélu consul en 486 avec Proculus Verginius et c’est de cette même année que Valère Maxime date son éventuel tribunat de la plèbe. Il dirigea alors une campagne contre les Volsques et les Herniques lors de laquelle ses adversaires capitulèrent avant l’engagement des hostilités. Plusieurs sources parlent d’un triomphe qui n’est en fait nullement certain183. Un nouveau traité fut par contre juré avec les Herniques, traité qui créa les conditions de la loi agraire de Sp. Cassius [19]184. Tite‑Live et Denys d’Halicarnasse donnent des versions différentes de ce traité et de cette réforme agraire qui sont essentiels dans l’élaboration de la figure de Sp. Cassius185. Chez l’historien latin, le récit principal débute par la paix avec les Herniques. Rome procéda à l’annexion des deux tiers de leur territoire et Cassius souhaitait distribuer ces terres à parts égales entre les Latins et la plèbe, tout en ajoutant à ce don une partie de l’ager publicus détenue de façon illégale par des patriciens. Il se heurta à une résistance généralisée et c’est à ce moment que Verginius entra en scène, chacun des deux consuls essayant de s’attirer les faveurs du peuple. Avec l’assentiment des patriciens qui l’utilisaient contre Sp. Cassius, Verginius déclara son accord au principe de l’attribution des terres, au seul bénéfice des citoyens romains et de la plèbe néanmoins. Sp. Cassius renchérit en proposant de rendre à la plèbe l’argent payé à l’occasion d’une augmentation des prix des céréales. Ses efforts furent de plus en plus mal considérés par le peuple qui repoussa cette offre comme le prix demandé pour la restauration de la royauté. À sa sortie de charge, Sp. Cassius fut inculpé, condamné à mort et exécuté pour adfectatio regni par les questeurs C. Fabius et L. Valerius. Sa maison fut détruite et le temple de Tellus fut, plus tard, construit à son emplacement. Denys d’Halicarnasse suit cette version en y ajoutant quelques variantes peu significatives pour ce qui nous concerne186.
95En outre, Tite‑Live et Denys adjoignent tous deux à ce récit une deuxième version, plus courte, qui ne mentionne pas de façon explicite la loi agraire. Cette fois, c’est le père de Sp. Cassius qui découvrit les projets de haute trahison de son fils, le jugea et le condamna à mort. Il voua son peculium à Cérès et fit ériger une statue avec cet argent, statue dont ces deux auteurs transmettent ce qui pourrait être l’inscription ornant sa base, ou une partie de son contenu187. Cette mention de la statue se retrouve chez Pline l’Ancien et chez Valère Maxime188. Une troisième version, fournie par Cicéron, présente un condensé des deux précédentes189. Enfin, à côté de ces trois versions principales, existe une multitude de petites annotations dispersées qui n’apportent rien de plus190. Seul un fragment de Pison, cité par Pline, est de quelque importance car il semble indiquer que Sp. Cassius s’était fait ériger une statue près du temple de Tellus, statue qui fut considérée comme une preuve de sa volonté de régner et qui, pour cette raison, fut fondue191.
96Ces différentes traditions peuvent être éclaircies. La première repose sur la fusion de deux types de composants : des éléments du Ve siècle et des récits datant de la fin de la République. L’influence patente des motifs gracquiens a été démontrée de longue date. Le récit de l’affrontement entre Sp. Cassius et Proculus Verginius s’appuie sur la réutilisation des étapes de la lutte entre C. Gracchus et M. Livius Drusus en 122. Après la réélection du premier au tribunat, ses ennemis décidèrent, pour briser sa popularité, d’utiliser un autre tribun. Avec l’accord du Sénat, M. Livius Drusus se livra à une surenchère de propositions tout en soulignant qu’il n’appartenait, lui, à aucune commission de redistribution, commissions dont tout le monde savait que leurs membres récupéraient des portions de terre. Il accusait ainsi implicitement son collègue de duplicité. Autre élément tardif : le tribunat de M. Livius Drusus le jeune en 91. En effet, ce personnage, pour séduire la plèbe, fit adopter une loi agraire et une loi frumentaire. Il souhaitait aussi accorder la citoyenneté romaine aux Latins. Très populaire dans un premier temps, il se heurta ensuite à une résistance générale et finit par être assassiné. Cette influence d’éléments tardifs est à présent bien connue et il n’est pas utile de plus la développer192.
97En revanche, les éléments datables du Ve siècle ne peuvent être niés. D’abord parce qu’une forte tradition relie Sp. Cassius à Cérès, mais aussi parce qu’une fois sa maison détruite, on y construisit le temple de Tellus. Le rapprochement de Sp. Cassius avec ces deux divinités n’est pas neutre : « En effet, Cérès et Tellus sont deux divinités elles‑mêmes étroitement apparentées par les fonctions qu’on leur prête, les rites dont elles sont solidairement les bénéficiaires, enfin leur présence conjointe au sanctuaire des Carinae193. » Cette association est traditionnelle dans la pratique religieuse romaine et le fait que Sp. Cassius y soit mêlé tend à le lier à ce que représentent ces deux divinités. Cérès est à l’origine de la germination et de la croissance des plantes, Tellus représente le lieu de cette croissance. Ce sont des fonctions agricoles et elles évoquent bien sûr les projets agraires de Cassius. Même s’il est évident que la formulation exacte de ces projets fut énoncée en termes anachroniques, leur historicité n’est pas niable194. La figure de Sp. Cassius, dont la coloration plébéienne était déjà ostensible, acquit nécessairement pour les auteurs antiques, par cette politique agraire favorable à la plèbe, un aspect encore plus plébéien parce que gracquien.
98La version familiale de l’assassinat de Sp. Cassius est ici précieuse. Si la première version faisait état d’un procès pour perduellio, celle‑ci renvoie à un cas de iudicium domesticum. Sp. Cassius fut condamné par son père qui aurait découvert ses intentions monarchiques. Il fut condamné pour adfectatio regni, délit qui ressortit à la catégorie de la perduellio. Le châtiment de tels actes était prévu par une loi de 509 [7] attribuée à P. Valerius Publicola. Toutefois, dans le cas de Sp. Cassius, il est intéressant de constater que ses biens furent consacrés à Cérès, ce qui n’était pas prévu par les dispositions de 509. Ce type de châtiment l’était en revanche par « la lex sacrata de 493 av. J.‑C., reprise et précisée par la lex Valeria Horatia de tribunicia potestate consécutive à la deuxième sécession de la plèbe195 » , qui plaçaient les tribuns sous la protection des dieux et particulièrement sous celle de Cérès. Ces lois prévoyaient qu’en cas d’atteinte à un des tribuns, les biens du coupable devaient être consacrés à cette divinité196. Sp. Cassius subit donc le châtiment des ennemis de la plèbe alors que toute son œuvre semble en faire un partisan du peuple, voire, selon certains, un plébéien. La situation de Sp. Cassius était donc paradoxale, comme l’a souligné O. de Cazanove : Sp. Cassius n’ayant pas contraint de magistrats plébéiens, il ne pouvait pas tomber sous le coup de la lex sacrata ; et c’est pourtant la peine prévu par cette lex sacrata qui fut appliquée. Le paradoxe peut se résoudre si l’on remarque que, en réalité, la sanction ne fut pas dirigée contre Sp. Cassius197.
99En effet, en tant que membre d’une famille, Sp. Cassius ne possédait rien en propre198. En outre, Tite‑Live, Pline l’Ancien et Valère Maxime estiment que seul son peculium fut consacré et que ce fut son père qui prit librement la décision de l’offrir. C’est d’autant plus surprenant que ce peculium paraît avoir été important puisqu’on l’utilisa pour construire des statues. La seule solution possible est que la personne condamnée ne fut pas Sp. Cassius, mais son père. Pour quel motif ? Un seul est possible et la tradition en a gardé la trace. Le père de Sp. Cassius y apparaît en effet comme celui qui exécuta son fils, acte qui justifiait sa condamnation. On peut également imaginer, si l’on tient à suivre le témoignage des auteurs antiques, que le père de Sp. Cassius, après avoir fait exécuter son fils, prit lui‑même la décision de faire don d’une partie de ses biens dans le but d’apaiser la plèbe et d’échapper à une condamnation. Il n’en demeurerait pas moins qu’il serait bien à l’origine de la mort de son fils dans les deux cas.
100Les différentes versions conservées par la tradition s’opposent donc moins qu’elles ne se complètent. Elles ont gardé chacune une fraction d’une tradition que les auteurs antiques ne voulaient pas conserver intacte. Il semble bien qu’une action publique ait été engagée contre Sp. Cassius. En réponse, les tribuns voulurent sans doute faire jouer leur pouvoir d’intercessio pour protéger un patricien dont la sensibilité politique était proche de la leur. Le père entra alors en scène puisque, rendant justice dans le cadre privé de sa famille, il portait le procès en un terrain sur lequel les tribuns devenaient sans pouvoir. Si la condamnation put avoir lieu, le père s’exposa à une vengeance des tribuns qui prit la forme du châtiment réservé aux ennemis de la plèbe par la lex sacrata de 494. Les auteurs antiques successifs puisèrent dans ces deux versions, les mélangeant parfois comme dans le cas de Cicéron, ce qui explique les divergences entre nos sources199. Reste à exposer ce que fut le dessous probable de l’affaire, c’est‑à‑dire un coup de force du patriciat, gêné par les mesures proposées par Sp. Cassius. Pour autant, peut‑on suivre Valère Maxime, à l’instar de certains historiens, et faire de Sp. Cassius un plébéien, voire un tribun de la plèbe ? Les données pour cela sont, d’une part, insuffisantes et, d’autre part, cette hypothèse rend moins bien compte de son action que si l’on en fait un patricien. Il s’agit bien d’un de ces patriciens dont le tribunat est fictif200. En revanche, la coloration plébéienne du personnage ainsi que les choix de Valère Maxime sont révélateurs d’un milieu politique aux oppositions complexes.
Sp. Cassius et P. Mucius Scaevola
101Un dernier élément permet de comprendre la tentative de transformer Sp. Cassius en plébéien : son lien avec un personnage obscur du nom de P. Mucius Scaevola. Il s’agit d’un homme énigmatique dont le nom, pour cette époque, pourrait être patricien, sans que cela soit certain201. Pourtant, Valère Maxime en fait un tribun de la plèbe pour l’année 486, celle du troisième consulat de Sp. Cassius. Seuls Dion Cassius, Festus, Valère Maxime et Zonaras évoquent ce tribun ignoré de Tite‑Live et de Denys d’Halicarnasse202. Ce personnage est lié à une tradition particulièrement mutilée qui fait état de neuf tribuns brûlés vifs. Valère Maxime rapporte que ce furent neufs tribuns de la plèbe :
Publius Mutius, pendant son tribunat, est allé jusqu’à croire qu’il avait le même pouvoir que le Sénat et le peuple romain : tous ses collègues avaient suivi Spurius Cassius et, empêchant de faire compléter le nombre normal des magistrats, ils avaient menacé la liberté de tous ; il les fit brûler vivants. Rien sans doute ne dépasse l’audace qu’animait une telle sévérité. Car un tribun à lui tout seul a osé frapper ses neufs collègues de la punition que neufs tribuns avaient eu peur d’infliger à l’un de leurs collègues203.
102Ce passage ne dit pas explicitement si Sp. Cassius était ou non tribun lui aussi. En revanche, Valère Maxime y affirme de façon univoque qu’il s’agissait bien de tribuns de la plèbe.
103Dion Cassius et Zonaras racontent également l’événement, sans parler de Sp. Cassius et en précisant que ce furent neuf tribuns qui furent brûlés vifs :
Les patriciens prenaient rarement des mesures de rétorsion ouvertement, sauf dans de rares cas où ils en appelaient au ciel pour la vengeance ; mais ils faisaient souvent massacrer en secret les tribuns les plus audacieux. Ainsi, neuf tribuns de la plèbe furent livrés aux flammes par le peuple à une occasion204.
Ni cela cependant, ni le fait qu’à une occasion, neuf tribuns de la plèbe furent livrés aux flammes par le peuple ne dissuada les autres205.
104On retrouve ici la mention des neufs tribuns brûlés et, encore une fois, il ne peut s’agir que de tribuns de la plèbe car le mot grec employé est sans équivoque : δήμαρχοι. Ces trois textes semblent indiquer qu’à l’exception de Mucius, l’intégralité du collège tribunitien de 486 se serait rallié à Sp. Cassius206. Toutefois, on comprend mal pourquoi ces neufs tribuns auraient été brûlés vifs. Seul Valère Maxime avance une explication sur ce point. Ils auraient empêché de faire compléter le nombre normal de magistrats, sans que l’on sache de quelle magistrature il est question. Cet auteur ne précise pas le nombre de tribuns en jeu, toutefois, s’il entend par omnes collegas suos le même nombre que Dion Cassius et Zonaras, ils doivent être dix dans son esprit.
105Deux difficultés surgissent. D’abord, nous l’avons vu plus haut, il ne semble pas qu’il y ait eu dix tribuns avant 457 voire, plus probablement selon moi, avant 449. Or cet épisode se déroula en 486207. Ensuite, la peine citée est source d’interrogations sauf si on la relie à un texte de Diodore de Sicile qui explique :
Dans les accords, on ajouta que les tribuns arrivés au terme annuel de leur magistrature devraient se subroger un nombre égal de tribuns sous peine d’être brûlés vifs208.
106Les accords en question renvoient au plébiscite de L. Trebonius Asper, qui obligeait les tribuns sortants à faire procéder à l’élection de dix nouveaux tribuns et interdisait de recourir à la cooptation pour cela [55]. Le lien avec l’explication avancée par Valère Maxime est limpide, cependant, une fois encore, ce plébiscite trébonien date de la chute des décemvirs en 449 alors que Mucius est censé avoir été tribun en 486. S’il s’agit bien de tribuns de la plèbe, la version présentée par ces trois textes ne peut faire sens d’un point de vue chronologique.
107Une autre version, celle de Festus, éclaire en partie ce problème209. Comme souvent avec cet auteur, le texte est mutilé, mais il rapporte l’existence d’une liste de neuf noms inscrits sur une dalle proche du Cirque (maxime sans doute) et portant les traces d’un bûcher. Cette liste, partiellement transmise par Festus, et dans laquelle il inclut Mucius Scaevola, renvoie à des noms présents dans les fastes consulaires, et interdit de penser que ce furent des tribuns de la plèbe. Il fut donc supposé qu’il se fût agi de tribuns militaires morts durant une campagne, et non de tribuns de la plèbe, ou, comme le suggère L. Lange, de simples curatores tribuum210. Cette hypothèse offre le double avantage de rendre compte du chiffre de dix et d’éliminer les incohérences chronologiques évoquées plus haut. Un pavage blanc aurait été construit à l’endroit où ils furent brûlés vifs. Cette dernière indication est certainement à comprendre en référence au célèbre lapis niger. Le souvenir de ce lieu était conservé par un pavement blanc, et non par une pierre blanche.
108Dans ce cas toutefois, pourquoi des tribuns militaires auraient‑ils subi un tel châtiment ? Seul le rapprochement avec l’action de Sp. Cassius l’expliquerait. Ces dix personnes pourraient être des compagnons de Sp. Cassius, des soutiens de sa politique, condamnés en même temps que lui. Si l’on accepte l’idée déjà avancée selon laquelle les regroupements politiques à cette époque ne correspondirent pas uniquement à la dichotomie patricien/plébéien, cette hypothèse fait tout à fait sens. En outre, on imagine mal que Sp. Cassius se soit lancé dans ce type de politique sans s’être assuré de l’aide de relations. Ce seraient donc de proches alliés, sans doute en partie plébéiens, qui auraient pâti de sa disgrâce.
109Avec l’histoire de Mucius, nous sommes à nouveau en présence d’au moins deux versions contradictoires qui paraissent se contaminer mutuellement. Peut‑être faut‑il y voir une mauvaise lecture par un ou plusieurs auteurs d’une source commune, qui, dans ce cas, pourrait être Verrius Flaccus. En effet, Festus a emprunté certaines de ses données au dictionnaire de Verrius Flaccus, auteur chronologiquement proche de Valère Maxime et dont R. Combès rappelle qu’il « a aussi bien pu le précéder que rivaliser avec lui211 ». Il semble que le souvenir de neuf tribuns brûlés vifs, attachés au nom de Mucius, s’était conservé de façon fort altérée. Nous pouvons imaginer qu’au moment de la récupération de cette légende, la peine de crémation lui fut accolée pour trois raisons. La première serait la connaissance du plébiscite de Trebonius et de son châtiment. La seconde tiendrait à l’homonymie de ce Mucius avec C. Mucius Scaevola, le jeune homme qui chercha à tuer Porsenna et qui laissa volontairement brûler sa main pour impressionner le roi de Chiusi. La troisième résiderait dans le lien de cette histoire avec la figure de Sp. Cassius. La conjonction de ces éléments donnait a posteriori une coloration plébéienne à l’affaire car les historiens antiques se sont visiblement imaginé une sorte de cooptation de Sp. Cassius par les autres tribuns de la plèbe, ce qui contrevenait aux termes du plébiscite trébonien, sans se soucier du fait que ce dernier fût plus tardif. Il y aurait une utilisation anachronique d’éléments postérieurs sans volonté de les accorder aux conditions de 486 et à partir d’une image en grande part popularis de l’action de Sp. Cassius. La réalité historique fut sans doute plus simple et correspondit à la condamnation d’appuis de Sp. Cassius par un de leur collègue rallié au patriciat. Le texte de Dion Cassius abonde en ce sens puisqu’il rapporte que les patriciens faisaient parfois massacrer en secret les tribuns les plus audacieux. Il témoigne crûment d’une pratique politique n’hésitant pas à recourir à la violence, et dont la fin du tribun Cn. Genucius en 473 est un autre bon exemple. Il confirme l’histoire de Sp. Cassius et son lien avec celle de Mucius Scaevola.
110Notons, pour finir, qu’un autre P. Mucius Scaevola s’illustra dans une affaire de jugement. Tribun de la plèbe en 141, ce personnage fit voter un plébiscite instituant une quaestio (nous ne savons pas qui la présida) contre L. Hostilius Tubulus qui, lorsqu’il était préteur en 142, avait acquitté un meurtrier en échange d’une somme d’argent212. L. Hostilius préféra s’exiler et finit par s’empoisonner pour éviter le procès. La figure de ce personnage a certainement joué dans la conservation, voire dans la réactivation de l’histoire du premier Mucius. Reste qu’il ne s’agit ici que d’hypothèses et que préciser les tenants et les aboutissants exacts de cette affaire est impossible. En revanche, cet épisode ne prend tout son sens qu’en référence au sort de Sp. Cassius et l’éclaire d’un jour nouveau permettant de mieux comprendre cette tentation constante d’en faire un plébéien.
111Ces patriciens insérés dans les fastes tribunitiens sont donc symptomatiques des liens qui, selon la tradition, existèrent entre certains patriciens et certains plébéiens à cette époque. Ils imposent – particulièrement avec l’histoire de P. Mucius Scaevola – de ne pas penser la situation politique en termes de deux blocs antagonistes et illustrent la complexité et l’ambiguïté des relations possibles.
Les rapports de proximité entre patriciens et tribuns de la plèbe
112La tradition fournit, en sus, d’incontestables exemples de relations de proximité entre patriciens et plébéiens. Cette idée d’une éventuelle solidarité entre patriciens et plébéiens était d’ailleurs présente de manière implicite dans un passage de Tite‑Live, analysé plus haut, qui mentionne l’amicitia existant entre des primores plebis et des nobiles213. L’élection de tribuns de la plèbe présentés comme proches de patriciens constitue cependant l’indice le plus marquant à ce sujet. Plusieurs exemples en sont attestés, à commencer par les accusations rapportées par Denys d’Halicarnasse en 485. En effet, la proposition agraire de Sp. Cassius n’étant pas appliquée, les plébéiens auraient accusé les anciens tribuns de les avoir trahis : en ne continuant pas à faire pression sur le Sénat, ils auraient en quelque sorte démontré leur connivence – réelle ou supposée – avec les patriciens214. De façon similaire, en 454, Denys apporte d’intéressantes précisions lors du procès de T. Romilius. Il évoque en effet le témoignage d’un jeune patricien nommé Sp. Verginius, lié d’amitié avec des Icilii (le terme grec employé étant φίλος)215. Nous pourrions citer aussi le cas des élections au tribunat pour l’année 448, qui furent marquées par la cooptation d’A. Aternius Varus Fontinalis et de Sp. Tarpeius Montanus Capitolinus, car, même s’il s’agit de tribunats fictifs, ils n’en demeurent pas moins révélateurs de la croyance des annalistes en cette pratique. De plus, le vote d’un plébiscite contre la cooptation, tel celui de L. Trebonius Asper [55], ne peut se comprendre que si ce type de comportement existait et si des plébéiens proches du patriciat purent devenir tribuns de la plèbe.
113C’était le cas selon l’annalistique, comme le prouve un exemple de peu postérieur, en 445. Seuls deux membres du collège tribunitien de cette année sont connus, C. Canuleius et C. Furnius. Si le premier est célèbre pour son plébiscite sur les mariages mixtes, le second l’est parce que nos sources précisent qu’il fut le seul tribun de cette année à s’opposer à la politique de C. Canuleius. Une telle orientation indique que ce personnage était probablement proche des patriciens, voire qu’il agissait à leur instigation. En 422 encore, une situation similaire s’offre à l’analyse. Cette année‑là, le tribun de la plèbe L. Hortensius voulut mettre en accusation l’ancien consul C. Sempronius Atratinus au motif qu’il aurait abandonné son armée lors de la guerre contre les Volsques. Quatre de ses collègues s’opposèrent à lui et il s’agit de tribuns déjà évoqués : Ti. Antistius, M. Asellius, Sex. Tempanius et Ti. Spurillius, qui avaient servi dans l’armée, et même dans la cavalerie. Ces tribuns appartenaient sans doute à cette frange supérieure de la plèbe dont j’ai tenté de mettre en évidence l’existence dans l’historiographie antique. Il est à présent possible d’ajouter qu’ils avaient servi sous les ordres de C. Sempronius Atratinus. Leur opposition à L. Hortensius l’année suivante laisse supposer d’assez forts liens avec C. Sempronius, illustrant ces rapports de proximité entre certains patriciens et certains tribuns de la plèbe. Plus tard, en 415, le tribun L. Decius proposa une motion de colonisation de Bolae. L’ensemble de ses collègues lui opposèrent leur veto et déclarèrent qu’ils ne laisseraient passer aucun plébiscite sans le consentement du Sénat. Le texte de Tite‑Live est ici éloquent :
Des cris unanimes s’élevèrent du Sénat ; de tous les côtés de la curie on réclamait les tribuns. Puis, le silence rétabli, les tribuns qui avaient été travaillés par l’influence des grands déclarent que, si le projet déposé par leurs collègues paraît au Sénat de nature à détruire la République, ils sont prêts à s’y opposer. Le Sénat les remercia de leur opposition. Les auteurs du projet de loi convoquèrent l’assemblée et, dans une violente invective, traitèrent leurs collègues de traîtres aux intérêts de la plèbe, de valets au service des personnages consulaires, et d’autres noms encore, mais laissèrent là leur motion216.
114Enfin, le collège tribunitien de 401 comprenait deux tribuns – M. Acutius et C. Lacerius – qui furent cooptés à l’encontre des dispositions du plébiscite trébonien de 448. Les sources antiques stipulent que, sans être patriciens, ces deux personnages bénéficiaient de l’appui du patriciat217. Tous ces cas démontrent que, pour la tradition, les contacts entre tribuns et patriciens furent nombreux, dès le Ve siècle. Ils trahissent des interactions et des influences réciproques qui ne doivent pas forcément être interprétées comme une pression patricienne unilatérale. Des alliances et des influences mutuelles étaient possibles.
115Il en existe de multiples exemples, à commencer par ceux intervenus lors du procès de Coriolan. Les patriciens, gênés à l’idée de ce procès et voyant qu’ils ne pourraient détourner les tribuns de leurs intentions, essayèrent une autre méthode que rapporte Tite‑Live :
Ils commencèrent par essayer de leurs clients, les chargeant de prendre à part les gens et de les amener à déserter les ligues et les réunions, pour essayer de les désorganiser218.
116Dans le récit que Denys fournit du même procès, Coriolan est présent et cite plusieurs témoins. Or l’historien grec précise qu’une bonne part d’entre eux étaient des plébéiens et des hommes très utiles à la cité (καὶ πολλὰ τῷ κοινῷ χρήσιμοι)219. Les clients apparaissent ici comme un outil politique de déstabilisation des assemblées populaires. Denys d’Halicarnasse n’est d’ailleurs pas avare de ce type d’anecdotes :
La plupart des tribuns ne pensait pas que c’était le bon moment quand une guerre étrangère s’annonça, et embrasa encore une fois les haines domestiques ; mais l’un d’eux, appelé Gaius Maenius, déclara qu’il ne trahirait pas la plèbe ni ne permettrait aux consuls de lever des troupes220.
Après avoir préparé une loi concernant les élections des consuls, les tribuns de cette année la proposèrent, à l’exception du seul Gaius Furnius – tous les autres l’ayant acceptée221.
117L’ultime exemple que nous pouvons rappeler est fourni par Tite‑Live :
Dès le début de l’année, Lucius Hortensius, tribun de la plèbe, assigna Gaius Sempronius, consul sortant. Et comme quatre de ses collègues, sous les yeux du peuple romain, le priaient « de ne pas persécuter leur général innocent, dont on ne pouvait incriminer que la malchance » , Hortensius prit mal la chose, s’imaginant qu’on mettait sa constance à l’épreuve, et que ce n’était pas seulement sur les prières des tribuns, lancées ostensiblement à seule fin de sauver les apparences, mais sur leur assistance légale, que comptait l’accusé222.
118À l’évidence, les collègues d’Hortensius étaient acquis à la cause de C. Sempronius. De façon complémentaire, on peut se demander si certains plébéiens ne furent pas d’actifs soutiens de la politique patricienne. Ainsi, dans les années 350, en pleine « réaction patricienne » , l’exercice de la dictature et de la censure par C. Marcius Rutilus (en 356 et 351) a parfois été interprété comme la preuve de son appui au patriciat223. Que sa carrière se concentrât entre 357 et 342 abonde en ce sens, et conduit à souligner qu’il ne fut jamais tribun. Il en va de même à propos du plébiscite contre la brigue du tribun C. Poetelius en 358 [108], parfois considéré comme une mesure anti‑plébéienne224. Pour la tradition, les patriciens disposaient donc dans la plèbe de réseaux d’influence.
119Une manœuvre politique très utilisée, la division du collège tribunitien, en est la meilleure preuve dont nous disposions. Cette manœuvre, dans la présentation de laquelle le modèle gracquien joue certainement, apparaît très tôt chez Tite‑Live qui, pour l’année 481, évoque un refus de la levée de troupes par les tribuns de la plèbe :
C’était le tribun Spurius Licinius qui, voyant dans cette nécessité pressante une occasion d’imposer la loi agraire aux patriciens, avait entrepris d’empêcher les préparatifs de guerre. D’ailleurs, la haine contre le tribunat finit par se tourner entièrement contre le seul responsable ; les consuls ne l’attaquaient pas plus vivement que ses propres collègues ; ceux‑ci aidèrent les consuls à faire le recrutement225.
120À mots couverts, c’est de ce type d’agissements dont il est question. Cela se vérifie quelques lignes plus loin, lorsque Tite‑Live met dans la bouche d’un patricien une théorisation de la pratique :
La puissance tribunitienne était vaincue depuis un an ; à ce moment‑là elle avait été vaincue en fait, et après ce précédent, elle était vaincue pour toujours : car on avait découvert que ses propres forces travaillaient à sa ruine. Il y en aurait toujours qui voudraient se ménager à la fois un succès aux dépens d’un collègue et la faveur de l’aristocratie en servant l’État. Plusieurs tribuns, s’il en fallait plusieurs, seraient prêts à aider les consuls : un seul, d’ailleurs suffisait à la rigueur contre tous226.
121C’est tout l’esprit de cette démarche, doublé d’un portrait particulièrement veule des tribuns de la plèbe, qui s’exprime ici. En outre, le tribun défait par l’opposition de ses collègues était un Licinius, lignée d’une grande importance au Ve siècle. Quant à la formalisation de la manœuvre politique de la division, elle est le fait d’un Ap. Claudius, qui apparaît comme le négatif patricien des Icilii chez Tite‑Live. Par la mention de tels acteurs, l’historien latin situe son récit dans une espèce d’archétype de l’opposition patricio‑plébéienne, archétype renforcé par le fait que, bien plus tard, en 416, un autre Ap. Claudius rappela ce qu’avait prescrit son trisaïeul227. La division du collège tribunitien par les patriciens prend ainsi la forme d’un topos qui réutilise le modèle gracquien en le détournant vers d’autres fins et qui tend à montrer que les tribuns de la plèbe clients étaient assez nombreux. Ce topos n’est pas propre au récit livien puisqu’on le retrouve chez Denys d’Halicarnasse, en 481, moment où Ap. Claudius conseilla là aussi le recours à cette méthode, engageant les patriciens à trouver des tribuns bien disposés à leur égard228.
122Les exemples du même type sont en effet assez fréquents et il serait inutile de tous les citer229. Nous en connaissons toutefois d’autres où les clients sont utilisés de façon plus directe. Ainsi chez Tite‑Live :
Quand, pour la première fois après le départ de Céson, on présenta le projet de loi, rangés et tout prêts, eux [une bande de jeunes patriciens] et l’immense armée de leurs clients, ils saisirent le premier prétexte, l’ordre de circuler, pour tomber sur les tribuns avec tant d’ensemble qu’aucun d’eux n’était particulièrement glorieux ou détesté en rentrant chez lui et que la plèbe se plaignait d’avoir trouvé mille Césons pour un230.
123Outre l’exagération rhétorique probable quant au nombre des clients, il y a ici une présentation anachronique d’une façon de faire de la politique. Cet usage d’une clientèle très politisée, cette présentation du forum et de son occupation tant par la plèbe que par les patriciens et leurs clients ne correspondent que fort peu à la réalité du Ve siècle. Tout cela démontre pourtant deux certitudes de la part de Tite‑Live (et, dans une moindre mesure, de Denys d’Halicarnasse) : d’une part, l’existence de relations parfois conflictuelles au sein des collèges tribunitiens et, d’autre part, des relations très étroites unissant certains patriciens à certains tribuns de la plèbe. Le premier constat, peu surprenant au demeurant, doit conduire à ne pas forcément analyser de façon monolithique la politique des collèges tribunitiens. Des divisions existèrent même si, en raison du caractère somme toute minoritaire du courant favorable au patriciat en leur sein, de grandes lignes de force se dégagent. Le second doit amener à reposer franchement la question des rapports entre plèbe et clientèle qui apparaissent, à l’analyse, décidément protéiformes.
Tribuns de la plèbe, plèbe et clientèle
124Ce problème des rapports plèbe/clientèle est ancien et complexe231. Si les rapports de clientèle à la fin de la République et sous l’Empire sont désormais mieux connus, il n’en va pas de même pour la période archaïque qui continue de susciter la perplexité autour d’une interrogation majeure : plèbe et clientèle sont‑ils deux noms pour une même réalité ? La difficulté à répondre tient à une contradiction interne à la tradition littéraire. En effet, même si, globalement, ces sources tendent à identifier plèbe et clientèle, elles les séparent parfois, le plus souvent en fonction d’impératifs logiques et narratifs232. En outre, les sources sur ce sujet sont très parcellaires. L’étymologie latine du mot « client » est incertaine ce qui en fait un critère peu déterminant233. De son côté, bien que l’archéologie soit susceptible d’apporter quelques éléments, par exemple à partir de l’étude des nécropoles, elle ne peut néanmoins fournir de réponses à tout. Reste, enfin, la documentation littéraire avec ses imprécisions234. De ce point de vue, le document le plus important dont nous disposons pour conduire une enquête historique sur ce sujet est le fameux « code de la clientèle » transmis par Denys d’Halicarnasse dont la valeur a fait l’objet de controverses acharnées, si bien qu’à peu près toutes les solutions ont été proposées235. D’après ce texte, le devoir principal du patron est l’assistance judiciaire et l’explication des lois, tandis que celui du client est de fournir des prestations d’ordre économique. On ignore cependant tout des fondements juridiques de la relation de clientèle à cette époque236.
125Th. Mommsen, en se servant de l’étymologie, identifie plèbe et clientèle237. À partir de l’analyse de ce « code » et du qualificatif de liberi donné aux clients, A. Magdelain estime au contraire que ces derniers étaient des hommes libres mais pas des ciues. En effet, au terme de ce code, il apparaît que le client ne peut ester en justice ni se défendre seul en cas d’action intentée contre sa personne. Or cette capacité d’ester en justice (le ius legis actionis) est un des droits fondamentaux qui qualifient le citoyen romain. Pour A. Magdelain, la conclusion à en tirer est claire : « le client n’est pas citoyen, il ne jouit pas de la protection du droit, mais seulement de celle de son patronus238 ». A. Magdelain est tout aussi catégorique au sujet du plébéien : « le plébéien est citoyen, le client ne l’est pas239 ». La division archaïque des plébéiens et des clients correspond pour lui à une coupure juridique très forte.
126Cette opinion n’est cependant pas unanimement partagée et N. Rouland propose une théorie différente240. Pour lui, l’élaboration du système de la clientèle correspond à une triple exigence de l’histoire politique de Rome, histoire marquée par la volonté des gentes d’accaparer le pouvoir politique : assurer la prééminence patricienne, intégrer une partie de la plèbe et s’assurer la collaboration de la minorité plébéienne aisée. Au terme d’une argumentation fondée tant sur le texte de Denys que sur les données de l’archéologie, il conclut : « Nous pensons que la relation de clientèle à l’époque royale unissait aux patriciens, qui constituaient l’aristocratie gouvernante de Rome, certains plébéiens, qui en constituaient toute la force économique241. » Cette lecture des données de la tradition le fait opter pour l’absence de citoyenneté des plébéiens et des clients au début de la Royauté, cette collation de la citoyenneté n’intervenant qu’au VIe siècle242.
127J. Cels‑Saint‑Hilaire remit elle aussi en doute l’idée d’une citoyenneté plébéienne dès les origines243. Se fondant sur des études d’é. Benveniste, elle ne donne la qualité de liber qu’aux membres des gentes, donc implicitement à leurs clients, suivant partiellement A. Magdelain. En revanche, elle reprend cette vision d’une formation continue de la plèbe et rappelle que nombre de plébéiens purent être des artisans ou des cultivateurs. L’entrée en clientèle ne présentait pour eux que des avantages, comme pour les patrons qui s’assuraient l’aide d’une catégorie assez aisée de la population.
128Récemment, Chr. J. Smith est revenu sur ce problème dans une étude consacrée aux clans romains sans bouleverser ce tableau. Il analyse la clientèle comme un lien avant tout personnel qui place le client dans une position sociale très différente de celle des esclaves ou des affranchis. Chr. J. Smith reconnaît toute la difficulté à cerner la clientèle archaïque et son rapport à la plèbe même si les sources suggèrent que tous les plébéiens étaient des clients. Sur le fond, il est cependant obligé d’admettre la difficulté qu’il y a à imaginer que l’intégralité des citoyens de Rome ait été engagée dans des liens de clientèle. Il est indiscutable que des plébéiens furent clients de patriciens, tout en étant impensable que tous le furent244.
129La clientèle fit probablement son apparition dans le Latium au moment où s’affirmaient les structures gentilices de la future société romaine, tant il est vrai que cette forme de dépendance est liée à la genèse des gentes. Cela se produisit à partir de la fin du IXe siècle et, surtout, tout au long des VIIIe et VIIe siècles245. L’étude des nécropoles a en effet montré que, dès le VIIIe siècle, se produisit en Italie centrale un processus de différenciation économique qui donna lieu au renforcement économique et social des familles, et, à partir du VIIe siècle, à un processus de différenciation sociale avec la création des structures gentilices et du système onomastique fondé sur l’emploi du nom gentilice. L’existence de la clientèle comme institution est donc certaine dès le VIe siècle et correspond à une institution en réalité antérieure tant à la plèbe qu’au patriciat, qui ne se formèrent qu’entre la fin du VIe et le début du Ve siècle. Autrement dit, le problème de l’identification de la plèbe à la clientèle ne peut guère avoir de sens auparavant. Pour la période qui nous concerne, le phénomène clientélaire est certain et se trouve attesté par les lois des XII Tables246. En dire davantage sur sa sociologie est plus délicat.
130Il est désormais assuré que l’équation simpliste qui identifie la plèbe à la clientèle est une vue de l’esprit247. De même que son contraire. Les deux situations furent possibles et cela ne doit pas surprendre. Que ces deux groupes pussent avoir, au moins en partie, une assiette sociale commune n’en fait pas pour autant la même chose. À l’inverse, le fait d’être dans la clientèle d’une lignée patricienne n’excluait pas de la plèbe. Quoique ces clients ne pussent avoir été patriciens, ils appartenaient pourtant à la collectivité romaine et, donc, à la plèbe. Il est à peu près certain que des plébéiens se trouvaient ainsi sous le patronage de grands lignages patriciens, sans que tous le fussent et cette réalité ne fit que s’accentuer dans le courant du Ve siècle. Comme le souligne à raison T. J. Cornell, l’affirmation d’un mouvement plébéien autonome avait pour corollaire une perte d’attractivité de ce type de relation clientélaire248. Il faut ainsi imaginer une situation complexe à l’évolution très nette et qui explique pourquoi l’on trouve moins d’exemples d’influences semblables à partir du IVe siècle. La société romaine avait alors entamé sa mue et les relations de clientèle avec.
131Enfin, la question de l’identification ou non de la plèbe à la clientèle repose, en dernière analyse, sur la mise en parallèle de catégorisations divergentes, car les deux termes recouvrent des réalités différentes du point de vue théorique. La plèbe est un catégorème de nature politique et sociale. La clientèle est une institution d’ordre sociologique désignant des relations inter‑personnelles entre des individus de statuts inégaux et fondées sur la fides. J.‑Fr. Médard la définit ainsi comme « un rapport de dépendance personnelle non lié à la parenté qui repose sur un échange réciproque de faveurs entre deux personnes, le patron et le client, qui contrôlent des ressources inégales249 ». Vouloir à toute force rapprocher ou séparer les deux conduit à mettre sur le même plan ce qui ne peut l’être et qui, au contraire, rend possible les chevauchements. Cela suppose, en outre, de figer la plèbe dans un modèle social archétypal qui ne correspond que fort mal à sa réalité historique. Nous verrons plus loin, avec l’examen du plébiscite de Volero Publilius, toute la complexité de cette question. Affirmons cependant dès à présent que la qualité de plébéien n’a jamais nécessairement entraîné celle de client et vice versa. Les deux doivent être séparés, tout en reconnaissant que des liens purent se tisser entre des patriciens et certains plébéiens, au travers de relations de clientèle bien sûr, mais pas seulement.
132La stratification sociale complexe de Rome aux débuts de la République tendit à se structurer, dans le courant du Ve siècle, autour de deux pôles antagoniques principaux – patriciat et plèbe – dont la lutte s’explique par les tentatives hégémoniques du premier. Ces tentatives se heurtèrent à l’opposition d’un certain nombre de lignées plébéiennes dont l’étude prosopographique montre qu’elles avaient des raisons objectives de refuser ce phénomène. Le tribunat de la plèbe leur offrit une arme pour ce combat.
Le destin politique des lignées tribunitiennes
133De telles considérations conduisent à se demander si la carrière des tribuns fut un vecteur d’ascension sociale pour eux et pour leur parentèle. Il convient en effet de chercher à déterminer dans quelle mesure le tribunat de la plèbe conféra à ses titulaires cette position dans le champ politique romain qui permettait à L. Lange de noter que même les titulaires des magistratures patriciennes en vinrent à quêter leur soutien250. Put‑il servir de tremplin à ses titulaires ? C’est par ces questions que s’achèvera cette étude prosopographique.
134Le tableau suivant apporte des éléments de réponse à ces interrogations. Par souci du comparatisme, il est construit sur la base de toutes les familles mentionnées dans les sources. Apparaissent en gras les cinquante‑et‑une lignées tribunitiennes retenues comme authentiques, qui serviront de base au raisonnement. On y trouvera les données suivantes : l’exercice du tribunat de la plèbe ; l’exercice du tribunat militaire à pouvoir consulaire avec les dates ; les plus hautes magistratures exercées avec la date du premier accès à ces magistratures et l’exercice de charges religieuses avec la date du premier accès au collège en question. Pour les magistratures, si aucun membre de la famille n’a exercé de magistrature curule, la fonction la plus élevée jamais atteinte est mentionnée. L’astérisque placé dans certains cas signale des charges supposées, en particulier la questure pour les sénateurs de la fin de la République. La mention des charges religieuses pourrait sembler moins révélatrice puisque les plébéiens n’accédèrent aux collèges pontificaux et auguraux qu’à partir de 300. Il convient tout de même de l’intégrer à la réflexion tant la question religieuse fut un important point d’achoppement du conflit des ordres. Au moment des débats sur l’intermariage avec la rogatio Canuleia, lors des multiples controverses sur l’accès des plébéiens au consulat, ou encore après les premières défaites de consuls plébéiens, la question de la religion, des auspices et de la capacité des plébéiens à accomplir les cérémonies traditionnelles fut fréquemment mise en avant dans les sources251. Établir si des lignées tribunitiennes anciennes purent finir par s’intégrer à cet ultime pré carré patricien est donc du plus haut intérêt.
Fonctions exercées par les lignées tribunitiennes.
Familles | Charges exercées | |||
---|---|---|---|---|
TP/ÉP et date | TMPC et date | Plus hautes charges atteintes et dates | Fonctions religieuses | |
Acutii | TP (401) | Non | Questure ?* |
|
Ælii | ÉP (296) | Non | Questure (409) | Augurat (300) |
Albinii | TP (493) | Oui | TMPC (379) |
|
Alieniii | TP (456-455) | Non | Préture (49) |
|
Antistii | TP (422) | Oui | Édilité (86) |
|
Appuleii | TP (391) | Non | Consulat (300) | Augurat (vers 45) |
Apronii | TP (449) | Non | Édilité (avant 266) |
|
Aselii | TP (422) | Non | Préture (33) |
|
Aternii (pat.) |
| Non | Consulat (454) | |
Atilii | TP (311) | Oui | Consulat (335) | Augurat (avant 217) |
Caecilii | TP (439) | Non | Consulat (284) | Augurat (avant 140) |
Caedicii | TP (475) | Non | Consulat (289) |
|
Caluii | TP (454) | Non | TP (454) |
|
Canuleii | TP (420) | Non | Préture (171) |
|
Cassii |
| Non | Préture (174) | Augurat (vers 57-47) |
Cominii | TP (313) | Non | TP (313) |
|
Considii | TP (476) | Non | Préture (58 ou 52) ? |
|
Curiatii | TP (401) | Non | TP (401) |
|
Curii | TP (298) | Non | Consulat (290) |
|
Decii | TP (491) | Non | Consulat (340) | Pontificat (300) |
Duilii | TP (471) | Oui | Xuir (449) |
|
Flauii | TP (327 et 323) | Non | Édilité curule (304) |
|
Fuluii | ÉP (296) | Non | Consulat (322) MC (316) Dictateur (263)Censure (231) Préture (215) Questure (218) Édilité curule (214) | Pontificat (216) IIIuir epulones (180) |
Furii | TP (308) | Non | Questure (190) |
|
Furnii | TP (445) | Non | Préture (42) ? |
|
Genucii | TP (476) | Oui | Consulat (365) | Augurat (300) |
Hortensii | TP (422) | Non | Dictature (287) | Augurat (avant 67) |
Icilii | TP (493) | Non | TP (493) |
|
Iunii | TP (493) | Non | MC (339) | Augurat (avant 129) |
Lacerii | TP (401) | Non | TP (401) |
|
Laetorii | TP (471) | Non | MC (257) | Xuir sacris faciundis (209) |
Licinii | TP (493) | Oui | MC (368) | Pontificat (212) |
Liuii | TP (320) | Non | MC (324) ? | Pontificat (300) |
Maecilii | TP (470) | Non | TP (470) |
|
Maelii | TP (436) | Oui | TMPC (400) |
|
Maenii | TP (483) | Non | Consulat (338) |
|
Marcii | ÉP (440) | Oui | Consulat (357) | Pontificat (300) |
Menenii | TP (410) | Non | TP (410) |
|
Metilii | TP (416) | Non | TP (217) |
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Minucii | TP (401) | Non | Consulat (305) Dictature (217) MC (217) Préture (200) Édilité curule (198)Questure (89) ? | Augurat (300) |
Mucii | TP (486) | Non | Consulat (220) | Xuir sacris faciundis |
Numicii | TP (320) | Non | TP (320) |
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Numitorii | TP (470) | Non | TP (470) |
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Ogulnii | TP (300) | Non | Édilité curule (296) | Xuir sacris faciundis (292) ? |
Oppii | TP (449) | Non | Xuir (450-449) |
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Ouinii | TP (avant 312) | Non | TP (avant 312) |
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Poetelii | TP (442 et 441) | Non | Xuir (450-449) |
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Pompilii | TP (420) | Non | TP (420) |
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Pomponii | TP (449) | Oui | Consulat (233) | Pontificat (avant 211) |
Pontificii | TP (480) | Non | (TP (480) |
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Publilii | TP (472 et 471) | Oui | Consulat (339) | Augurat (300) |
Rabuleii | TP (486) | Non | TP (486) |
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Scantii | TP (293) | Non | TP (293) |
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Sempronii | TP (310) | Non | Consulat (304) | Pontificat (300) |
Sextii | TP (414) | Non | Consulat (366) |
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Siccii |
| Non | Consulat (487) |
|
Sicinii | TP (493 et 491) | Non | Préture (183) |
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Spurillii | TP (422) | Non | TP (422) |
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Statii | TP (475) | Non | TP (475) |
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Tarpeii (pat.) |
| Non | Consulat (454) |
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Tempanii | TP (422) | Non | TP (422) |
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Terentilii | TP (462) | Non | TP (462) |
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Titii | TP (462) | Non | Préture (avant 81)Questure (36) Consulat suffect (31) | Pontificat (après 34) ? |
Titinii | TP (449) | Oui | MC (302) |
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Trebonii | TP (448) | Oui | Questure (60) ? |
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Verginii | TP (461 à 457) | Non | TP (461) |
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Villii | TP (449) | Non | Préture (203) |
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Volscii | TP (461 et de 460 à 457) | Non | TP (461) |
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Tribunat de la plèbe et tribunat militaire à pouvoir consulaire
135Le premier point à aborder concerne le lien entre tribunat de la plèbe et exercice du tribunat militaire à pouvoir consulaire252. était‑ce une fonction régulièrement exercée par des tribuns de la plèbe et joua‑t‑elle un rôle dans leur éventuelle ascension politique ? Ce lien n’est pas déterminant puisque seules douze lignées tribunitiennes sur cinquante‑et‑une virent un de leurs membres exercer cette magistrature. Plus encore, sur ces douze lignées, un certain nombre ne connut pas ensuite de réelle ascension, voire disparut purement et simplement de la scène politique romaine. Un Albinius accéda ainsi au tribunat militaire à pouvoir consulaire en 379 et ce fut la plus haute charge jamais atteinte par les Albinii. Un Antistius l’exerça aussi en 379. Par la suite, cette lignée perdura à un niveau relativement faible et n’accéda au consulat – suffect – qu’en 30. Comme, à une telle distance chronologique, les liens familiaux sont très improbables, il ne s’agit sans doute pas d’une même lignée. Citons encore les Maelii, dont un membre accéda au tribunat militaire à pouvoir consulaire en 400 ou les Trebonii en 383. Pour ces quatre lignées, l’exercice de cette fonction fut sans grandes conséquences politiques. Ce sont seulement sept lignées pour lesquelles l’exercice de cette magistrature par un de leurs membres fut éventuellement une étape avant l’accession à d’autres fonctions plus prestigieuses : les Duilii, les Genucii, les Licinii, les Marcii, les Pomponii, les Publilii et les Titinii. Même rapporté au nombre de lignées tribunitiennes qui exercèrent le consulat avant la fin du IIe siècle (c’est‑à‑dire vingt‑deux), ce chiffre de sept, sans être négligeable, est loin d’être majoritaire. Si on le compare aux lignées ayant accédé au consulat avant la fin du IIIe siècle (vingt cette fois), cela continue de ne représenter que moins de la moitié du total.
136À l’inverse, il existe des lignages tribunitiens dont aucun membre n’exerça cette magistrature et dont le devenir politique fut brillant. Ainsi en va‑t‑il de la lignée du premier consul plébéien, les Sextii. Le tribunat militaire à pouvoir consulaire occupe donc une position ambiguë dans le devenir des lignées tribunitiennes. Si l’on adopte une vue synoptique de la présence plébéienne dans les collèges de tribuns militaires à pouvoir consulaire, le résultat est sans équivoque car les plébéiens y sont fort peu représentés. T. J. Cornell a établi un tableau révélateur de cette situation, qui présente l’ensemble des collèges de tribuns militaires à pouvoir consulaire et la présence plébéienne en leur sein. On ne trouve ainsi des plébéiens que dans les collèges suivants : 444 (et il est peu sûr), 422, 400, 399, 396, 388, 383 et 379. C’est seulement entre 400 et 395 que la présence plébéienne dans cette fonction se renforça253. La faible présence de lignées tribunitiennes dans ce lot ne surprend donc pas et conduit à douter de l’idée selon laquelle ce tribunat spécial aurait été institué pour offrir aux plébéiens un accès au pouvoir suprême sans jamais leur donner la possibilité de devenir consul.
137A contrario, une thèse ancienne d’E. Pais, remise au goût du jour par J.‑L. Halpérin, applique aux lignées tribunitiennes une sorte de « schéma idéal ». Leur ascension passerait par le tribunat de la plèbe, qui mènerait ensuite au tribunat militaire à pouvoir consulaire, lequel faciliterait l’accès au consulat254. Cette thèse fut réutilisée par J.‑Cl. Richard qui tend à valoriser ce « schéma idéal » au détriment des suggestions sur le même sujet de T. J. Cornell255. Une telle hypothèse paraît cependant pour le moins audacieuse. Certes, les chiffres avancés paraissent clairs : « soixante‑trois tribuns sur cent‑vingt appartiennent à des familles qui sont parvenues au tribunat consulaire ou au consulat256 ». Toutefois, le raisonnement est moins convaincant qu’il y paraît de prime abord, et est exemplaire des conclusions différentes auxquelles des prémisses similaires peuvent mener, selon la façon dont elles sont présentées et selon la méthodologie adoptée. Plusieurs éléments sont problématiques dans la thèse de J.‑L. Halpérin.
138Le premier est qu’il réfléchit et s’exprime en tribuns et non en lignées tribunitiennes. Si la disproportion des chiffres paraît plus conséquente, néanmoins, sur les soixante‑quatorze lignées tribunitiennes qu’il retient, il n’en reste que douze dont un membre au moins accéda au tribunat militaire. Non seulement la proportion ne paraît plus du tout la même, mais, en outre, discuter en termes de groupe lignager est de meilleure méthode que par les individus pris isolément, en raison de l’importance du caractère gentilice de la vie politique romaine. Ce d’autant plus qu’un grand nombre de tribuns peut appartenir à une lignée ayant compté un seul tribun militaire à pouvoir consulaire, ce qui est souvent le cas. Il résulte alors de la mention de tous les tribuns issus de cette lignée un effet de volume important alors même qu’un seul membre du groupe occupa la fonction. Ensuite, la phrase citée mêle le tribunat consulaire au consulat alors même qu’il s’agit de deux fonctions différentes, et que la première apparut à une époque où les anciens titulaires de magistratures plébéiennes ne pouvaient plus accéder à la seconde. La méthode est pour le moins curieuse de ce point de vue. Notons cependant, à la décharge de J.‑L. Halpérin que, s’il parle bien de schéma idéal, il le nuance quelques lignes plus loin par la mention des lignées – et non plus des tribuns cette fois – parvenues au tribunat militaire sans accéder au consulat. Il n’en cite que trois (les Albinii, les Maelii et les Titinii), ce qui réduit d’autant son chiffre initial. En conséquence, non seulement cette idée de « schéma idéal » doit être fortement pondérée (ce que son auteur fait, à l’inverse de
J.-Cl. Richard), mais il faut affirmer que le tribunat militaire à pouvoir consulaire eut une importance relative dans la carrière des plébéiens et des tribuns. Se pose alors la question suivante : si des membres de lignées tribunitiennes ont accédé au tribunat militaire à pouvoir consulaire, d’anciens tribuns l’ont‑ils fait ? Selon T. J. Cornell, la réponse est non, ce qui serait un élément crucial.
139En effet, cet historien se sert de ce constat pour proposer une théorie déjà évoquée. Ce seraient uniquement les magistrats plébéiens et les plébéiens « in the strict sense » qui auraient été interdits d’accès aux magistratures curules, non les plébéiens en général257. L’hypothèse est séduisante car elle permet une ingénieuse reconstruction du déroulement du conflit des ordres, fournit une explication simple et rationnelle à la présence de noms plébéiens dans les fastes consulaires et offre une relecture de la signification du plébiscite licinio‑sextien consacré à l’accès au consulat. Il existe cependant une exception possible, qui rendrait la suggestion plus compliquée, celle de Ti. Antistius tribun de la plèbe en 422 et dont on peut se demander s’il ne fut pas tribun militaire à pouvoir consulaire dans le collège de 419. Dans les fastes capitolins, ce collège de 419 est mentionné sous la forme suivante :
[Agripp(a) Menenius T(iti) f(ilius) Ag]ripp(ae) n(epos) Lanatus | [P(ublius) Lucretius Hosti f(ilius) – n(epos)] Tricipitinus | Sp(urius) Nautiu[s Sp(uri) f(ilius) Sp(uri) n(epos) Rutilus] | C(aius) Serviliu[s Q(uinti) f(ilius) C(ai) n(epos) Axilla]258.
140Entre les derniers noms lisibles immédiatement au‑dessus et ceux‑là, il ne paraît pas y avoir la place pour insérer celui d’Antistius. Par ailleurs, son nom ne se trouve pas après les quatre tribuns militaires de 419 alors que, là, la pierre est complète. Son absence des fastes capitolins est donc à peu près certaine. Pour la même année, nous disposons de deux autres sources. Le chronographe de 354 donne simplement les noms de Lanatus et de Rufillus tandis que Tite‑Live en donne trois sur les quatre des fastes : Agrippa Menenius Lanatus, P. Lucretius Tricipitinus et Sp. Nautius Rutilus259.
141Toute l’hypothèse de la présence éventuelle de ce tribun dans le collège de tribuns militaires à pouvoir consulaire de 419 repose donc sur la mention de ces personnages sur une inscription fragmentaire retrouvée sur la uia Appia, dans une vigne Strozzi, au niveau de la troisième borne miliaire, conservée maintenant aux musées du Vatican. Elle serait sans doute d’époque impériale et semble être le résultat d’une nouvelle gravure d’une inscription plus ancienne. Le texte en est le suivant :
[‑ ‑ ‑]XIII est a Ti(berio) Antistio Ti(beri) f(ilio) c[ond | ita Me]nenio Agrippa Lucretio T[ricipitino Nautio Rutilo | Servilio Axilla trib(uno)] mil(itum) consulari potesta[te | anno post urbem con]dit(am) CCCXXXIIII post [reges exactos LXXXXI]260.
142Les premiers chiffres pourraient renvoyer à une date, comme ceux de la fin de l’inscription. Ces derniers sont les plus intéressants car ils servent à la dater. S’il faut effectivement penser à un renvoi depuis la fondation de Rome, cela donne 419. Faut‑il alors rattacher ce Ti. Antistius aux autres et en faire un membre, oublié par les fastes, du collège tribunitien de 419 ? De façon étrange, A. Degrassi qui, dans son édition des fastes fait état de cette inscription fragmentaire, la cite en la tronquant du début qui mentionne Ti. Antistius261. Il ne donne aucune justification à ce choix même si l’on peut en inférer qu’il juge préférable de ne pas intégrer Antistius au collège des tribuns militaires. E. Klebs interprète l’inscription dans un sens similaire262. R. M. Ogilvie, enfin, évoque l’inscription sans affronter cette question263. Trancher est délicat et même Th. Mommsen, dans la courte analyse qu’il en donne dans le CIL, a paru hésiter. Un élément permet toutefois de décider. En effet, Ti. Antistius est le seul des personnages cités pour lequel la filiation est précisée et cela introduit une rupture entre lui et le groupe des tribuns militaires à pouvoir consulaire. Le plus probable est donc qu’il s’agisse du commanditaire de la rénovation de l’inscription. Rien ne s’opposerait ainsi à l’hypothèse de T. J. Cornell. Cela confirme du même coup, l’aspect somme toute peu décisif de l’exercice du tribunat militaire à pouvoir consulaire dans l’ascension politique des tribuns et des lignées tribunitiennes.
Exercice du tribunat et accès au consulat après 367
143Plus important est l’accès des plébéiens au consulat et le possible rapport entre l’exercice du tribunat de la plèbe et cette promotion dans les rangs de la nobilitas. Pour que les résultats soient significatifs, les consulats postérieurs au IIIe siècle ne seront pas pris en compte car il n’est alors plus du tout certain qu’il s’agisse de la même lignée et parce que, dans ce cas, il est évident que l’exercice du tribunat avant 287 n’a joué qu’un rôle accessoire. Là encore, les données du tableau sont révélatrices. On peut constater que seize lignées tribunitiennes accédèrent au consulat dès le IVe siècle, trois supplémentaires dans la première moitié du IIIe siècle et une dernière dans la seconde moitié du IIIe siècle. À partir du moment où l’exercice du tribunat militaire à pouvoir consulaire ne fut que partiellement vecteur d’ascension, il faut se demander si le tribunat de la plèbe put être un élément déterminant. Sur ce total, il convient toutefois de retirer les Ælii et les Fuluii, d’une part, parce qu’ils n’exercèrent que l’édilité plébéienne mais, surtout, parce qu’ils le firent après l’accession de leurs familles à la nobilitas, respectivement après 337 et 322. En effet, il importe que l’exercice du tribunat ait précédé l’accession à de plus hautes charges, ce qui implique de retirer encore de cette liste les Atilii qui accédèrent au consulat en 335 avec M. Atilius Regulus Calenus alors que le premier Atilius tribun de la plèbe – L. Atilius – le fut en 311.
144Au total, dix‑sept lignées s’agrégèrent de la sorte à la nobilitas, ce qui fait près de 40 % du total des lignées tribunitiennes. Il s’agit des Appuleii, des Caedicii, des Curii, des Decii, des Duilii, des Genucii, des Iunii, des Licinii, des Liuii, des Maenii, des Marcii, des Ogulnii, des Poetelii, des Pomponii, des Publilii, des Sempronii et des Sextii. À l’exception des Ogulnii et des Pomponii, toutes accédèrent au consulat avant 287. Au sein de cet ensemble, nous possédons des exemples de parcours politiques longs, dans lesquels le tribunat de la plèbe précéda l’exercice de charges plus prestigieuses. L. Sextius fut tribun de la plèbe de 377 à 367 avant de devenir consul en 366, en étant le premier de sa famille à exercer cette charge. Son collègue durant le tribunat, C. Licinius Stolo, accéda au consulat en 364 et devint le premier Licinius consulaire. Dans ces deux cas, il est hors de doute que le tribunat fut le facteur principal de leur élévation postérieure au consulat. De son côté, C. Marcius Rutilus Censorinus fut tribun de la plèbe en 311, puis consul en 310 et censeur en 294 et 265. De la même façon, P. Sempronius Sophus fut tribun de la plèbe en 310, consul en 304, censeur en 300, puis préteur en 296. Quelques années après, M’. Curius Dentatus, tribun de la plèbe en 298, fut ensuite consul en 290, en 275, en 274 avant d’exercer la censure en 272. Il fut le premier des Curii à exercer le consulat. Ultime exemple, Q. Ogulnius Gallus fut tribun de la plèbe en 300 avant de devenir, lui aussi, le premier membre de sa famille à exercer le consulat en 269. Le tribunat paraît donc bien avoir joué un rôle d’accélérateur de la carrière politique au moins durant la seconde moitié du IVe siècle.
145Pour en être certain, il convient de comparer ces parcours avec ceux des lignées plébéiennes qui n’exercèrent pas le tribunat de la plèbe mais parvinrent au consulat sur la même période. Si l’on s’arrête à la date de la lex Hortensia de 287, le constat est limpide264. Seules sept nouvelles lignées plébéiennes apparaissent sur l’échiquier politique et dans la nobilitas, soit presque trois fois moins que les lignées tribunitiennes (ou deux fois moins si on excepte les Ogulnii et les Pomponii parce qu’ils n’accédèrent au consulat qu’après 287) : les Popillii, les Plautii, les Veturii, les Claudii, les Aulii, les Volumnii et les Caruilii. C’est très peu d’autant que, derrière ces sept lignées, ne sont en réalité présents que peu de personnages même s’ils furent emblématiques, à l’image de M. Popillius Laenas (consul en 359, 356, 354, 350 et 348), C. Plautius Venox (consul en 347 et 341) ou C. Plautius Decianus (consul en 329 et 328).
146Indubitablement, l’exercice de charges plébéiennes put jouer en faveur des lignages de ceux qui les avaient exercées. Non parce qu’elles auraient constitué une étape d’un cursus honorum qui n’existait alors pas, mais plus vraisemblablement parce que, dans la lignée des propos de L. Lange cités plus haut, le tribunat de la plèbe conféra un poids politique à ses titulaires, une forme nouvelle et non négligeable de dignitas. Par sa charge polémique, par son pouvoir et par son rôle au cours de ces deux premiers siècles de la République, le tribunat de la plèbe positionna ceux qui l’exercèrent au cœur de l’arène politique romaine, en fit des personnalités connues, c’est‑à‑dire, au sens premier du terme, des nobiles avant l’heure. Quelques lignées plébéiennes surent faire fructifier ces acquis.
147Cette conclusion devient irréfutable lorsqu’on y ajoute ce que l’on sait désormais de la nobilitas au IVe siècle. Il s’agissait d’un groupe peu élargi dans lequel un nombre réduit de plébéiens put se hisser. Encore récemment, M. Humm est revenu sur ce point et ses calculs abondent en ce sens265. L’intérêt de l’exercice du tribunat de la plèbe dans un tel contexte se conçoit d’autant mieux qu’il permit de faire partie de ce petit groupe de lignées qui réussit à gravir les derniers échelons du pouvoir. Dans le même temps, et suivant une idée avancée par F. Càssola, on comprend pourquoi le tribunat entama son glissement sur l’échiquier politique romain. À partir du moment où une part non négligeable des tribuns vit leur famille intégrer la nobilitas, tandis que l’opposition patricio‑plébéienne se diluait, il leur devenait de plus en plus difficile de se positionner en défenseur du peuple face à un groupe social qu’ils fréquentaient et avec lequel ils avaient noué des alliances matrimoniales et politiques266.
148De façon faussement paradoxale, les victoires politiques des tribuns de la plèbe ainsi que la progressive hégémonie de leurs idées signèrent l’effacement du tribunat dans sa fonction primitive pour laisser place à la République aristocratique, avec sa nouvelle noblesse et son nouveau système de valeurs.
L’accès aux fonctions religieuses
149Un ultime élément doit être abordé : l’accès des plébéiens aux fonctions religieuses. Les controverses sur les mariages patricio‑plébéiens ont permis de souligner à quel point la dimension religieuse put peser dans les prétentions patriciennes. De fait, ce sont les aspects sur lesquels ils cédèrent le plus tard et, dans certains cas, jamais complètement. Avant 287, terme de cette étude, l’ouverture des collèges religieux aux plébéiens se fit en deux temps. Dès 367, un des plébiscites licinio‑sextiens permit aux plébéiens d’accéder au collège des décemvirs sacris faciundis qui dut désormais comporter cinq patriciens et cinq plébéiens267. Pour autant, nous ne connaissons aucun plébéien membre de ce collège avant le IIIe siècle car nous ne sommes pas du tout renseignés sur les titulaires de ce sacerdoce entre 367 et 300. Il est donc difficile d’indiquer si l’intégration des plébéiens provoqua ou non des tensions. Pourtant, ces prêtres étant les gardiens des livres sibyllins, ils pouvaient jouir d’un grand poids politique en cas de recours à ces oracles et l’on ne peut que regretter de ne pas en savoir plus.
150C’est avec le plébiscite ogulnien de 300 que les plébéiens eurent accès aux collèges d’augures et de pontifes [150]268. Appréhender les conséquences possibles de l’exercice du tribunat de la plèbe implique, ici aussi, de dresser la liste des lignées tribunitiennes ayant accédé aux fonctions religieuses avant la fin du IIIe siècle. Sans surprise, cette liste est courte : douze lignées dont il convient de retirer les Ælii, les Atilii et les Fuluii. En effet, les Ælii et les Fuluii n’exercèrent que l’édilité plébéienne, après l’accession de leurs familles à la nobilitas en 337 et 322. De même, les Atilii accédèrent à la nobilitas dès 335, grâce au consulat de M. Atilius Regulus Calenus, tandis que le premier tribun de la plèbe de cette lignée ne date que de 311. Restent les Decii, les Genucii, les Licinii, les Liuii, les Marcii, les Ogulnii, les Pomponii, les Publilii et les Sempronii. Seuls neuf lignages tribunitiens pénétrèrent dans cette chasse gardée patricienne. Plus intéressant est le fait que ces neuf lignages se retrouvent tous dans la liste dressée plus haut de ceux pour lesquels l’exercice du tribunat de la plèbe put jouer un rôle d’aide à l’ascension politique vers le consulat. Peut‑on estimer, ici aussi, que le fait d’avoir eu des tribuns de la plèbe dans sa lignée fut un soutien dans cette ascension ? Dans le cadre des fonctions religieuses, une telle conclusion est difficile à avancer ou alors de façon très indirecte. En effet, au vu des dates d’accès à ces collèges sacerdotaux, c’est sans doute moins l’exercice du tribunat proprement dit que l’agrégation à la nobilitas qui permit de franchir cette étape supplémentaire. D’ailleurs, ce sont bien les lignées plébéiennes les plus puissantes et celles qui développèrent le plus de liens politiques – à l’image des Licinii – que l’on retrouve dans cette liste.
151Comme le tribunat fut un vecteur d’intégration au sein de la nobilitas, on peut certes estimer qu’il eut sa part dans ce phénomène. Toutefois, répétons le, ce ne peut être que de façon indirecte. Il n’est possible de lui attribuer un rôle plus important – et encore avec des réserves – que dans le cas des lignées qui accédèrent dès 300 aux collèges auguraux et pontificaux, c’est‑à‑dire les Decii, les Genucii, les Liuii, les Marcii et les Sempronii (soit cinq lignées sur neuf tout de même). Notons une différence : les huit plébéiens qui s’agrégèrent au pontificat et à l’augurat en 300 avaient un passé politique très différent. Tous les nouveaux pontifes plébéiens furent en effet consuls auparavant, quand ce n’était le cas que d’un des augures plébéiens. Tout se passe comme si l’accès au pontificat supposait d’avoir déjà atteint un niveau politique plus important269. De même, chaque lignée accéda à une seule de ces deux fonctions. Seuls les Marcii occupèrent à la fois le grand pontificat et l’augurat, constat qui permit d’expliquer leur rôle dans les traditions sur Numa et Ancus Marcius270. Ce dernier point est significatif car il démontre l’influence du milieu plébéien de la fin du IVe siècle sur la formation de traditions concernant la Rome archaïque.
152Si l’on cherche à comparer, comme précédemment, l’accès aux fonctions religieuses des lignées plébéiennes tribunitiennes et de celles qui n’exercèrent pas le tribunat avant 287, les résultats sont fort décevants271. La perte de la deuxième décade de Tite‑Live fausse ici considérablement les perspectives. Entre 300 et 254, nous n’avons aucune mention de nouveaux prêtres plébéiens et ne connaissons que deux patriciens : L. Postumius Albinus, rex sacrorum vers 275 et Q. Fabius Maximus Verrucosus, augure à partir de 265, puis pontife de 216 à 203272. Il faut attendre 254 pour la présence de plébéiens avec le pontife Ti. Coruncanius (premier grand pontife plébéien) et l’augure (ou pontife) Q. Mamilius Turrinus273. On trouve un peu plus d’informations pour ce qui concerne la seconde moitié du IIIe siècle. Les principaux renseignements se concentrent cependant sur les vingt dernières années du IIIe siècle, et plus particulièrement sur la période 216‑204274. Au sein de cet ensemble, les lignées plébéiennes non tribunitiennes sont représentées par les Aurelii275, les Caecilii276, les Cantilii277, les Caruilii278, les Claudii279, les Coruncanii, les Mamilii280, les Otacilii281, les Scantinii282 et, enfin, les Seruilii283. Sur la même période, on trouve les familles tribunitiennes suivantes : les Ælii284, les Atilii285, les Fuluii286, les Laetorii287, les Licinii288, les Liuii289, les Marcii290, les Mucii291, les Pomponii292 et les Sempronii293.
153Cela confirme la très grande difficulté à tirer des conclusions fermes et assurées de sources si incomplètes et si inégalement réparties. Deux éléments peuvent cependant être avancés. Tout d’abord, l’accès aux fonctions religieuses demeura sans doute compliqué car les patriciens surent garder le contrôle de ce domaine de la vie publique romaine. Il n’est d’ailleurs pas anodin que la situation ne se soit modifiée qu’à l’extrême fin du IIIe siècle, soit près de 150 ans après les plébiscites licinio‑sextiens. Les problèmes posés par la deuxième guerre punique et la nécessité de maintenir l’union face à l’avancée carthaginoise furent favorables à la plèbe, qui sut en profiter puisqu’un rex sacrorum (M. Marcius) et qu’un curio maximus (C. Mamilius Atellus) plébéiens sont pour la première fois attestés. La guerre d’Hannibal en Italie et les très lourdes pertes qui décimèrent la noblesse romaine contribuèrent à l’accession de la plèbe aux collèges religieux à la faveur d’un renouvellement plus général de la nobilitas. L’exercice du tribunat procura peut‑être un léger avantage de départ sans jamais avoir été décisif. Les conclusions suggérées plus haut pour le consulat ne peuvent donc être reproduites ici et imposent un non liquet.
Conclusion
154L’étude du corpus des tribuns menée tout au long de ces trois premiers chapitres est révélatrice. Les données disponibles vont toutes dans le sens d’une origine à majorité non romaine et d’un milieu social qui, sans être absolument uniforme, n’était pas celui de la basse plèbe de Rome294. Si les sources pour étayer ces hypothèses sont fragiles, elles n’en coïncident pas moins. Qu’il s’agisse de l’analyse du discours antique sur la société romaine des Ve et IVe siècles, des apports archéologiques à propos du contexte historique ou des données de la prosopographie, la convergence est manifeste. La prosopographie est donc précieuse puisqu’elle dévoile l’inadéquation entre la vulgate de l’historiographie antique sur le rang social des tribuns de la plèbe (influencée par la vision des tribuns d’époque tardo‑républicaine) et sa composition sociale probable. Elle donne aussi à voir les tensions et les divisions qui purent animer un groupe social qui ne fut jamais totalement homogène tant dans sa sociologie que dans ses choix politiques.
155Le cas des tribuns de la plèbe implique de revenir, au moins en partie, sur la nature de la plèbe romaine aux Ve et IVe siècles295. Qu’apporte l’étude prosopographique des tribuns à notre perception de cette réalité sociale controversée ? Cet examen confirme, dans un premier temps, que la plèbe est une réalité sociologique ancienne qui ne s’incarna politiquement qu’au début du Ve siècle. De ce point de vue, les conclusions majeures de J.‑Cl. Richard demeurent valides. La plèbe est un phénomène économique et social ancien dont la manifestation politique est plus récente, et auquel il est impossible de dénier l’accès à la citoyenneté romaine, au moins pour la période qui nous concerne296. Rien n’indique une quelconque modification du statut civique des plébéiens au début de la République et jamais les sources ne se font l’écho de revendications en ce sens de la part des tribuns297. Il est certain qu’ils furent, au moins dès la fin du VIe siècle, citoyens de plein droit. Ils n’accédèrent toutefois à la pleine conscience politique qu’au début de la République, suivant un processus dans lequel les réformes de Servius Tullius jouèrent un rôle d’accélérateur.
156Demeure le problème taxinomique autour du mot « plèbe » et, dans une moindre mesure, du vocable conscriptus. Les réticences de T. J. Cornell à englober des populations si diverses sous le seul vocable de « plèbe », aussi flou soit‑il, se comprennent bien. Il estime que le terme n’était sans doute pas en usage à l’époque archaïque et qu’il rend mal compte de la stratification sociale complexe de ce groupe humain298. Si cette analyse est valide pour l’époque royale, elle perd de sa pertinence à partir de la création du tribunat de la plèbe. Au contraire, l’unification des non patriciens sous un seul vocable témoigne de la tension qui anima alors la société romaine. Que des personnes aux origines sociales variées pussent finir par se reconnaître dans un tel terme illustre un double phénomène. D’une part, la frange supérieure de la plèbe tendit à se détacher provisoirement des intérêts des familles dominantes et, d’autre part, elle reprit à son compte des revendications du reste de la plèbe en se rapprochant d’elle. Apparaissent ici des enjeux politiques importants sur lesquels nous reviendrons en analysant l’action des tribuns de la plèbe. Conserver le mot « plèbe » pour cette époque est donc un moindre mal, quitte à l’agrémenter d’adjectifs variés, comme le fit J.‑L. Halpérin en choisissant de parler de « haute plèbe ». En outre, même si la supposition de T. J. Cornell concernant l’absence d’usage du mot au Ve siècle se révélait juste, il n’existe pas d’alternative car la tradition n’en rapporte pas d’autre. Mieux vaut penser la société romaine à partir de son vocabulaire, aussi peu satisfaisant puisse‑t‑il paraître.
157Ce que nous pouvons reconstituer de l’histoire du tribunat de la plèbe primitif confirme donc l’idée d’une évolution créatrice du clivage patricio‑plébéien. La société romaine archaïque présentait la forme d’un corps social politiquement unifié, dont l’évolution divergea à la fin de l’époque royale, moment où se dessina la naissance du dualisme patricio‑plébéien. Est‑ce à dire que le système gentilice était ouvert aux plébéiens ? C’est un problème compliqué, dans la résolution duquel une formule de Tite‑Live reçut une attention démesurée299. À partir de ce que nous avons vu des fastes consulaires et des rapports patricio‑plébéiens, suivre à la lettre le texte de l’historien latin n’est pas tenable, au moins à l’origine. Il existait des gentes plébéiennes, et la position dans la société romaine d’une bonne part des tribuns de la plèbe abonde en ce sens300. Comment comprendre autrement les conflits autour de l’intermariage ? En réalité, il y eut naissance d’une revendication patricienne du gentem habere, laquelle entrait dans le cadre général de la politique menée par le patriciat en formation à la fin du VIe siècle et au début du Ve siècle301. Commencée à l’époque royale, cette évolution s’acheva au Ve siècle. Elle précipita la sécession et la création du tribunat de la plèbe302.
158La situation peut se résumer ainsi : quelques grandes lignées, sans doute membres du Sénat proto‑républicain, cherchèrent à exploiter l’effondrement de la monarchie pour s’approprier l’essentiel des leviers de pouvoir303. De ce point de vue, A. Momigliano a vu juste en situant l’origine du patriciat dans ce groupe de lignages importants, riches, qui se développa à partir du Sénat primitif où ils réussirent à se perpétuer, d’où leur nom de patriciae304. Ce groupe de familles nobles sut, dès l’époque royale, capter à son profit l’interrègne et certaines fonctions religieuses sur lesquelles il appuya, par la suite, ses revendications. Une telle tentative ne pouvait que susciter des résistances. Or la façon dont la tradition se représente les tribuns de la plèbe incite à suggérer l’hypothèse de l’existence d’une fraction aisée au sein de la plèbe. Une telle suggestion repose néanmoins sur un saut épistémique qui fait passer de la représentation des tribuns dans la tradition, à ce qu’ils purent être dans la réalité historique. En l’absence d’autres sources, cette hypothèse est cependant celle qui fait le plus sens. Oui, les tribuns de la plèbe se recrutèrent très probablement dans cette frange aisée de la plèbe que ce chapitre a tenté de caractériser, dont quelques membres accédèrent au consulat durant les premières années de la République, avant la fermeture du patriciat305. Oui, c’est aussi au sein de cette frange que les tentatives d’accaparement du pouvoir par le patriciat naissant provoquèrent le plus de réluctance et un premier raidissement qui permit la création du tribunat ainsi que les luttes ultérieures306. En conséquence, réduire la plèbe à une dimension purement urbaine ou, à l’inverse, purement rurale est une solution trop simpliste. Mieux vaut opter pour une vision mixte de la plèbe romaine307. En revanche, sur la question du rapport de la plèbe à la clientèle, les analyses prosopographiques révèlent des situations contrastées qui interdisent un choix univoque, à savoir l’équivalence plèbe/clientèle ou son contraire. Les deux situations furent possibles et il importe de ne pas vouloir à tout prix faire coïncider des institutions si différentes.
159Revenons, pour finir, aux tribuns proprement dits et à leur place sur l’échiquier politique romain. À l’issue de l’analyse prosopographique, la dimension militaire de ces personnages paraît indéniable. Les arguments classiques en sa faveur sont les aspects militaires de la première et de la deuxième sécession, mais aussi le rapprochement de la lex sacrata avec les lois sacrées militaires des Samnites, des èques ou des Volsques308, auxquels s’ajoute le témoignage de Varron. La prosopographie y adjoint une série d’éléments qui montrent combien les tribuns baignèrent dans cette ambiance militaire. Si l’on croise ces données aux rapprochements faits par J.‑Cl. Richard avec le monde grec, la dimension militaire du tribunat primitif devient incontestable309. Il faut abandonner définitivement l’idée que les tribuns aient pu trouver leur origine dans des sortes de chefs des tribus. La première sécession eut une dimension politique très forte, incarnée par ce choix d’une part de l’armée de déserter. Ce fut une réaction aux tentatives patriciennes d’accaparement du pouvoir et elle se solda par la création des tribuns de la plèbe. Le changement de régime se fit en effet au profit du patriciat naissant qui s’accorda une place de choix dans les rouages du nouveau système. Ne restait aux plébéiens qu’une place, sans doute faible, dans les jeunes comices centuriates et une autre, plus importante, dans l’armée. Comme les années qui accompagnèrent le passage du VIe au Ve siècle furent marquées par de multiples conflits militaires, le rôle de l’armée et, en son sein, des plébéiens, ne fit que croître. Cela conduisit à des revendications d’ordre politique. Cette origine militaire du tribunat corrobore ce que nous avons vu de l’origine sociale des tribuns car, au début du VIe siècle, l’armée romaine était la classis clipeata. Dans cette armée de type hoplitique, seuls les individus à même de s’équiper pouvait être mobilisés, ce qui désigne sans l’ombre d’un doute des individus suffisamment riches pour cela et, donc, des personnes issues en grande partie de cette haute plèbe.
160Pour autant, la création du tribunat ne correspondit nullement à l’application d’un programme. La sécession eut sans doute lieu à la suite d’une étincelle quelconque (que la tradition réinterpréta avec l’histoire du soldat endetté) et le cours des événements poussa les révoltés à demander une fonction protectrice qui leur permettrait, une fois la sécession terminée, de conserver un moyen de pression dans l’Vrbs. La création du tribunat marqua le moment de la concrétisation d’une demande sociale et politique en cours de formalisation et correspond à une institution au sens d’é. Durkheim310. Elle manifesta des attentes tout en orientant de manière nouvelle les luttes en cours. Pour les familles aisées exclues du pouvoir par le patriciat en formation, il y a avait là l’occasion de se doter d’un contre‑pouvoir potentiel et elles ne s’en privèrent pas. C’était pourtant une nouveauté sans précédent et les tribuns eux‑mêmes n’étaient probablement pas conscients des possibilités offertes par cette charge. Ils en apprirent cependant vite les avantages.
161Deux éléments restent à déterminer. Comment interpréter l’importante dimension socio‑économique que les sources accordent à la première sécession ? Peut‑on ou non accepter l’hypothèse de T. J. Cornell suivant laquelle la création du tribunat se serait accompagnée d’une fermeture de l’accès aux magistratures pour les seuls titulaires de fonctions plébéiennes et pour les plébéiens « in the strict sense » , non pour les plébéiens en leur ensemble ? Seule une étude précise des pouvoirs et de l’action des tribuns de la plèbe, en particulier de leurs plébiscites, est à même d’éclairer ces deux points controversés.
Notes de bas de page
1 Voir le chapitre huit.
2 Liv., 4, 60, 7 : Cum senatus summa fide ex censu contulisset, primores plebis, nobilium amici, ex composito conferre incipiunt (trad. G. Baillet).
3 Hellegouarc’h 1963, p. 41‑56.
4 Hellegouarc’h 1963, p. 429‑430.
5 Pour l’expression primores ciuitatis, voir Liv., 1, 43, 8‑11 ; 1, 47, 12 ; 1, 54, 8 ; 1, 56, 7 ; 1, 59, 6 ; 2, 2, 8 ; 2, 39, 7 ; 3, 35, 2 ; 4, 8, 7 ; 4, 30, 10 ; 8, 18, 4 et 10, 6, 3. Pour l’expression primores patrum, voir Liv., 1, 9, 11 ; 1, 49, 2 ; 2, 44, 4 ; 3, 36, 5 ; 3, 37, 2 ; 3, 63, 6 ; 3, 69, 3 ; 3, 72, 1 ; 4, 7, 9 ; 4, 13, 10 ; 4, 24, 8 ; 4, 48, 9‑13 ; 4, 56, 10 ; 4, 57, 11 ; 5, 9, 1 ; 6, 13, 8 ; 6, 15, 5 ; 6, 36, 10 et 8, 33, 6.
6 P. ex. Liv., 1, 28, 7 ou 2, 38, 1.
7 Liv., 10, 6, 3 : Romae quoque plebem quietam, ut exoneratam, deducta in colonias multitudo praestabat. Tamen, ne undique tranquillae res essent, certamen iniectum inter primores ciuitatis, patricios plebeiosque, a tribunis plebis Q. et Cn. Ogulniis (trad. E. Lassère).
8 Liv., 4, 1, 3 : Id uero si fieret, non uolgari modo cum infimis, sed prorsus auferri a primoribus ad plebem summum imperium credebant (trad. G. Baillet).
9 L’expression primores ciuitatis ne réapparaît ensuite que deux fois : en 22, 59, 18 pour désigner des ambassadeurs et en 29, 14, 12 pour désigner des matrones romaines. L’expression primores patrum est réutilisée, elle, trois fois : 22, 40, 4 ; 27, 8, 6 ; 28, 40, 2.
10 Les quatre occurrences sont : Liv., 4, 7, 9 ; 4, 25, 9 ; 6, 18, 3 et 6, 34, 3.
11 Liv., 3, 12, 1‑2 ; 25, 4, 3‑4 ; 43, 14, 1 et 43, 16, 14.
12 Liv., 8, 25, 9.
13 Liv., 42, 13, 7.
14 Liv., 45, 29, 1.
15 Liv., 30, 36, 4.
16 Liv., 4, 7, 9 : Et principes plebis ea comitia malebant quibus non haberetur ratio sua, quam quibus ut indigni praeterrentur. Tribuni quoque plebi certamen sine effectu in beneficio apud primores patrum reliquere (trad. G. Baillet).
17 D.H., 10, 8, 1.
18 D.H., 11, 28, 7.
19 Liv., 4, 48, 7 : Facile homines nouos auctoritate principum de sententia deduci, si temporum interdum potius quam maiestatis memor adhibeatur oratio (trad. G. Baillet).
20 Sur ce sujet, on consultera Gelzer 1969 (1912), p. 34 ; Hellegouarc’h 1963, p. 472‑474 ; Wiseman 1971, p. 1 ; Dondin‑Payre 1981, p. 39‑43 ; Brunt 1982 ; Shackleton Bailey 1986, p. 258‑260 ; Burckhardt 1990, p. 83 et Badel 2005, p. 24‑30.
21 Liv., 4, 54, 6 : Pro ingenti itaque uictoria id fuit plebi, quaesturamque eam non honoris ipsius fine aestimabant, sed patefactus ad consulatum ac triumphos locus nouis hominibus uidebatur (trad. G. Baillet).
22 Outre le cas bien connu de Cicéron, mentionnons, parmi les plus célèbres, C. Flaminius (consul en 223 et en 217), Caton l’Ancien (consul en 195 et censeur en 184) ou encore Marius (consul en 107, puis de 104 à 100 et encore une fois en 86). On trouvera une analyse de ces termes avec une liste complète des possibles homines noui sous la République dans Wiseman 1971 et Brunt 1982.
23 Comm. pet, 2 : Prope quotidie tibi hoc ad forum descendenti meditandum est : « Nouus sum, consulatum peto, Roma est ». Nominis nouitatem dicendi gloria maxime subleuabis. Semper ea res plurimum dignitatis habuit (trad. L. A. Constans).
24 Voir infra p. 509-520.
25 Liv., 4, 3, 17 : Potiusque decemuiris, taeterrimis mortalium, qui tum omnes ex patribus erant, quam optimis regum, nouis hominibus, similes consules sumus habituri ? (trad. G. Baillet).
26 Liv., 7, 1, 1.
27 Liv., 7, 15, 12‑13 : Et de ambitu ab C. Poetelio tribuno plebis auctoribus patribus tum primum ad populum latum est ; eaque rogatione nouorum maximum hominum ambitionem, qui nundinas et coniliabula obire soliti erant, compressam credebant (trad. R. Bloch).
28 Oakley 1998, p. 176.
29 Liv., 9, 26, 11. Voir aussi D.S., 19, 76, 3‑5.
30 Humm 2005, p. 177‑179.
31 Ibid., p. 248‑252.
32 Liv., 4, 55, 3 : « Ils étaient trois, tous d’un caractère très décidé, et déjà de bonne famille pour des plébéiens » (trad. G. Baillet).
33 Hellegouarc’h 1963, p. 234‑235.
34 Sall., Iug., 85, 15.
35 Halpérin 1984.
36 Hellegouarc’h 1963, p. 224‑227 et p. 430‑439.
37 L’hypothèse que les Mucii aient pu être patriciens, ou qu’une branche patricienne de la lignée ait pu exister se trouve déjà chez Münzer 1933. Cette hypothèse peu suivie a été reprise à partir d’une polémique d’ordre épigraphique concernant le nom du maître de cavalerie de 362. Son nom n’apparaît en effet dans les fastes que de façon très fragmentaire : uniquement le cognomen et encore est‑il incomplet. Dans InscrIt, XIII, 1, p. 104 et dans Degrassi 1969, p. 155, A. Degrassi a proposé la restitution suivante : P. Cornelius Scapula, sur la base du nom du consul de 328. Il fut suivi par MRR, 1, p. 118 et 3, p. 70. Récemment, Ridley 1997 est revenu sur cette question pour proposer la restitution, fragile selon moi eut égard au reste de l’histoire familiale des Mucii, en Mucius Scaevola. Si cela était, il y aurait un argument en faveur de Mucii patriciens.
38 Flor., epit., 1, 17 (= 1, 25) : Tertiam seditionem excitauit matrimoniorum dignitas, ut plebei cum patriciis iungerentur ; qui tumultus in monte Ianiculo duce Canuleio tribuno plebis exarsit (trad. P. Jal).
39 P. ex. Rossbach 1853, p. 453‑456 ; Karlowa 1885, p. 121‑122 ; Karlowa 1889, p. 69‑70 ; Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 6/1, p. 36‑39 et p. 87‑88 ; Niese 1923, p. 44 ; Costanzi 1929 ; Siber 1951, col. 160 ; Berger 1925 ; Corbett 1930, p. 30‑31 ; Westrup 1943, p. 14‑16, p. 22‑25 et p. 47‑66 ; De Visscher 1952, p. 409 ; Homo 1950, p. 54‑56 ; Werner 1963, p. 282 ; Guarino 1975a, p. 160 et p. 218 ; Franciosi 1984b, p. 158‑159 et p. 171‑176 ; Gärtner 1994. Mettons à part l’hypothèse originale de Madvig 1882 (1881‑1882), p. 94‑95 qui réfute l’existence de cette législation décemvirale tout en estimant que la rogatio Canuleia annula une disposition qui devait exister « de toute ancienneté ». Par ailleurs, je ne crois pas à la théorie proposée par M. A. Levi (Levi 1983 ; Levi 1984 ; Levi 1992, p. 81‑97), qui inverse le sens de ce plébiscite, car elle se fonde sur une interprétation de la plèbe et du patriciat à cette époque comme deux communautés rigoureusement séparées, avec leurs divinités et leurs intérêts propres.
40 Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 292, p. 342‑344 et p. 384‑386. B. G. Niebuhr y reconnaît que la confarreatio est un mariage exclusivement patricien. Il précise néanmoins qu’il existait des unions mixtes – certes rares – qui n’étaient pas de simples concubinages, mais des mariages en bonne et due forme. Les enfants issus de ces mariages suivaient alors la condition de la mère quoique le père fût patricien. C’est ce type de mariage que le patriciat tenta d’abolir.
41 Voir les remarques de Tondo 1993b, p. 49‑53 et de Humbert 1999, p. 284‑286 (= Humbert 2013, p. 339‑341).
42 Voir la présentation synthétique de Girard 2003 (1929), p. 162‑168 et trois mises au point fondamentales : Volterra 1953, Peppe 1997 et Fayer 2005a, p. 223‑285.
43 Mommsen 1985 (1854), 1, p. 76 ; Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 6/1, p. 36‑39 et p. 87‑88 ; Flower 1916 (qui identifie même deux types de confarreatio : l’usage ordinaire réservé aux patriciens et une cérémonie spéciale pour le mariages de certains flamines) ; Westrup 1943, p. 14‑16, p. 22‑25 et p. 47‑66 ; Decugis 1946, 1, p. 71‑73 et Homo 1950, p. 54‑56 p. ex.
44 D.H., 2, 25.
45 Noailles 1936 ; Noailles 1937 et Koschaker 1937. Voir aussi Westrup 1943, p. 47‑66 ; Boëls‑Janssen 1993, p. 148‑150 ; Bayet 1993, p. 126‑133 et Linderski 2005, p. 223‑238.
46 Voir introduction, p. 22-25.
47 Franciosi 1984b, p. 171‑176.
48 Sur cet épisode, voir Appleton 1924 ; Noailles 1942 ; Van Oven 1950 ; Franciosi 1961 ; Cels‑Saint‑Hilaire 1991 et Kalnin‑Maggiori 2006.
49 Le discours rapporté de ce tribun a été bien analysé par Panciera 2004, p. 89‑91.
50 Linderski 2005, p. 226. Voir, déjà, Magdelain 1964, p. 463 (= Magdelain 2015, p. 373) : « L’interdiction de mariage entre patriciens et plébéiens vise moins les citoyens pauvres qui de tout temps ne devaient guère rêver d’unions au‑dessus de leur condition, qu’à parachever la séparation du patriciat d’avec les degrés inférieurs de l’aristocratie. »
51 Vernant 1974, p. 63 : « Dans l’Athènes post‑clisthénienne les unions matrimoniales n’ont plus pour objet d’établir des relations de puissance ou de services mutuels entre de grandes familles souveraines mais de perpétuer les maisons, les foyers domestiques qui constituent la cité, c’est‑à‑dire d’assurer par la réglementation plus stricte du mariage la permanence de la cité elle‑même, sa constante reproduction ». Les analogies avec la situation romaine sont obvies. Cf. aussi les remarques en ce sens de Brunt 1979 (1971), p. 75‑76.
52 Koschaker 1937, p. 749 : « mais la plèbe n’était jamais une masse homogène. Il y avait toujours parmi elle, des familles riches, les gentes plébéiennes d’une époque postérieure qui, reconnues par les patriciens, étaient admises aux unions conjugales avec eux. La loi décemvirale était une mesure réactionnaire qui ne touchait pas la masse de la plèbe, mais les familles de ses couches supérieures ».
53 Humbert 1999, p. 281‑285 (= Humbert 2013, p. 337‑340).
54 Tondo 1993b, p. 59 et p. 64‑65.
55 Boëls‑Janssen 2010, p. 107‑114. On pourra simplement reprocher à l’auteur de ne pas souligner que la suprématie religieuse du patriciat n’était pas originelle mais acquise. Voir aussi infra p. 154 et p. 593-594 sur les motivations de Canuleius.
56 Ainsi, p. ex., quand récemment Astolfi 2002, p. 71 écrit : « I patrizi e i plebei avrebbero praticato l’endogamia sino alla metà del V sec. a.C. », ou p. 78 : « I due ordini praticavano l’endogamia. Non solo i patrizi negavano il conubium ai plebei, ma anche i plebei ai patrizi ». Il y a là une forte erreur d’appréciation.
57 Voir introduction p. 22-25.
58 Voir infra p. 312-331.
59 Voir supra p. 58.
60 Liv., 6, 34, 5 : potentis uiri cum inter sui corporis homines tum etiam ad plebem, quod haudquaquam inter id genus contemptor eius habebatur (trad. J. Bayet).
61 Voir sa notice prosopographique pour les sources.
62 Momigliano 1957, p. 104‑114 (= Momigliano 1960b, p. 83‑85) ; Alföldi 1963, p. 147‑151 et Bayet 1966, p. 127.
63 Liv., 5, 12, 12 (et la n. 2 p. 23 dans l’édition CUF). Voir Münzer 1999 (1920), p. 17‑18 ; Ferenczy 1976a, p. 22 ; Bayet 1993, p. 131‑132 et Panciera 2004, p. 95‑96. Ce cas est connu de longue date puisqu’il sert déjà à Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 2, p. 384‑386 pour ses analyses sur les mariages mixtes à l’époque archaïque. Notons que le traducteur de la CUF a choisi le terme français « cousin » qui ne correspond vraisemblablement pas aux liens familiaux en question vu le vocabulaire utilisé ici par Tite‑Live. Voir Fayer 1994, p. 43‑50.
64 Liv., 6, 39, 3‑4. Voir Panciera 2004, p. 96.
65 Sur la cognatio, voir Fayer 1994, p. 32‑38.
66 Liv., 4, 9, 4‑8 : Virginem plebeii generis maxime forma notam <duo> petiere iuuenes, alter uirgini genere par, tutoribus fretus, qui et ipsi eiusdem corporis erant, nobilis alter, nulla re praeterquam forma captus. Adiuuabant eum optumatium studia, per quae in domum quoque puellae certamen partium penetrauit. Nobilis superior iudicio matris esse, quae quam splendidissimis nuptiis iungi puellam uolebat : tutores in ea quoque re partium memores ad suum tendere. Cum res peragi intra parietes nequisset, uentum in ius est. Postulatu audito matris tutorumque, magistratus secundum parentis arbitrium dant ius nuptiarum. Sed uis potentior fuit ; namque tutores, inter suae partis homines de iniuria decreti palam in foro contionati, manu facta uirginem ex domo matris rapiunt ; aduersus quos infestior coorta optumatium acies sequitur accensum iniuria iuuenem (trad. G. Baillet revue et corrigée par Ch. Guittard).
67 Voir Bayet 1993, p. 131.
68 D.C., 5, 18, 7 Boissevain ; D.H., 8, 40 à 8, 46 ; Eutr., 1, 15 ; Liv., 2, 40, 1‑2 et Zonar., 7, 16. Cependant, Plut., Cor., 4, 7 ; 33, 3‑5 et 34, 1 appelle sa mère Volumnia et sa femme Vergilia.
69 Liv., 3, 26, 9 ; Mommsen 1864, p. 103 et p. 109 et Cornell 1995, p. 255.
70 Marchesini 2010.
71 Le texte en latin archaïque est le suivant : Novios Plautios med Roma fecid. Dindia Macolnia fileai dedit. Voir CIL, I2, 561 et, pour une présentation complète, Bordenache Battaglia et Emiliozzi 1990, p. 211‑226 avec la bibliographie.
72 L’hypothèse est de Th. Mommsen, dans CIL, I2, 561. Il l’appuie sur l’onomastique du personnage et sur l’absence de mention de la tribu dans l’inscription, élément qui n’est peut‑être pas déterminant au vu de la date de l’inscription. Cette idée est reprise par Wachter 1987, p. 125, mais sans argument supplémentaire et demeure donc fragile.
73 Bordenache Battaglia et Emiliozzi 1990, p. 215‑216 et Pairault Massa 1992a, p. 119‑120 et p. 123‑127. Voir aussi Poccetti 2012.
74 Linderski 2005, p. 227. On pourrait aussi mentionner D.H., 4, 45, 1‑2 et Liv., 1, 49, 9 qui rapportent que Tarquin le Superbe maria sa fille au Tusculan Octavius Mamilius ; ou le fait que, d’après Fest., p. 174 L., s.v. Numerius, l’unique Fabius survivant du désastre du Crémère épousa une femme de Maleventum, cité alors non‑latine. Sur les liens entre Horatii et Curiatii, voir aussi Thomas 1980, p. 356‑357.
75 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 6/2, p. 256‑257.
76 D.H., 6, 1, 2.
77 Polyen, 2, 18, 5.
78 Bourdin 2012, p. 293‑294.
79 Liv., 8, 14, 10. Ces mariages entres peuples voisins sont d’ailleurs encore attestés par Liv., 9, 43, 23.
80 Ferenczy 1976a, p. 101 et Kremer 2006, p. 27‑30 avec la bibliographie.
81 Liv., 9, 43, 23‑24.
82 De Visscher 1952.
83 D.S., 32, 4, 4. Voir aussi D.S., 37, 15, 2 qui rappelle les nombreux mariages entre Romains et Marses avant la guerre sociale.
84 Liv., 6, 34, 11.
85 L’idée est en réalité ancienne, et se trouve p. ex. chez Homo 1950, p. 49 : « Deux éléments, de tendances et d’intérêts divergents, s’y trouvaient juxtaposés : des riches, qui réclamaient avant tout l’égalité civile et politique avec le patriciat ; des pauvres, dont les aspirations d’ordre social et économique visaient surtout à l’amélioration de leur situation matérielle ». De façon encore plus révélatrice et emphatique, Duruy 1879, p. 148 : « La plèbe romaine n’était pas d’ailleurs cette populace des grandes villes qu’on voit s’irriter, combattre et s’apaiser au hasard, force aveugle qui n’est redoutable que le jour où elle se donne un chef. Les plébéiens avaient aussi leur noblesse, leurs vieilles familles et jusqu’à des races royales, car les patriciens des villes conquises, comme plus tard les Mamilius, les Papius, les Cilnius, les Caecina, n’avaient pas tous été reçus dans le patriciat romain ». Voir aussi, Willems 1968a (1878), p. 45. L’expression même de « haute plèbe » a été réutilisée depuis, en particulier par Falcone 1996, p. 176‑177, qui indique même (p. 176) que la plèbe, « lungi dal costituire una formazione compatta, presentava al suo interno una profonda e variegata stratificazione economico‑sociale ». De son côté, Ferenczy 1976a, p. 48 parle de « class élite » , et reconnaît que la stratification de la plèbe dut commencer dès les débuts de la République. Il n’est pas sans intérêt de remarquer, ici, que les sources nous livrent un nombre proche de lignées patriciennes (43 gentes patriciennes d’après P.-Ch. Ranouil) et de lignées plébéiennes (51 lignages plébéiens d’après mes calculs).
86 Liv., 23, 4, 7 et 31, 31, 10‑11.
87 Humm 2005, p. 144‑146. Pour les relations d’Ap. Claudius avec la Campanie, voir aussi Massa‑Pairault 2001.
88 D.H., 6, 45, 2‑3 et Liv., 2, 32, 2‑3.
89 D.H., 6, 45, 2‑3 : Λοχαγούς τε ἑτέρους καὶ περὶ πάντων ἄρχοντα τὸν Σικίννιον ἀποδείξαντες, ὄρος τι καταλαμβάνονται πλησίον Ἀνίητος ποταμοῦ κείμενον, οὐ πρόσω τῆς Ῥώμης, ὃ νῦν ἐξ ἐκείνου Ἱερὸν ὄρος καλεῖται.
90 Liv., 2, 56, 6‑16.
91 D.H., 9, 46, 1.
92 Voir sa notice prosopographique pour le choix du nom et pour un résumé de ses exploits.
93 D.H., 10, 36, 3‑4 : Ἐγώ, ὦ δημόται, καθ’ ἕκαστον ἔργον τῶν ἐμοὶ πεπραγμένων εἰ βουλοίμην λέγειν, ἐπιλίποι ἄν με ὁ τῆς ἡμέρας χρόνος. αὐτὰ δὲ τὰ κεφάλαια δι’ ἐλαχίστων ὡς ἐμὴ δύναμις ἐρῶ. τετταρακοστὸν μὲν ἔτος ἐστί μοι τοῦτο, ἐξ οὗ στρατεύομαι περὶ τῆς πατρίδος, τριακοστὸν δ’ ἐξ οὗ στρατιωτικῆς ἀεί τινος ἡγεμονίας τυγχάνω, τοτὲ μὲν σπείρας ἡγούμενος, τοτὲ δ’ ὅλου τάγματος, ἀρξάμενος ἀπὸ <τῶν> ὑπάτων Γαίου Ἀκυλλίου καὶ Τίτου Σικκίου, οἷς ἐψηφίσατο ἡ βουλὴ τὸν κατὰ Οὐολούσκων πόλεμον.
94 D.H., 10, 36, 2‑6.
95 Voir en dernier lieu Humm 2005, p. 268‑283 avec la bibliographie.
96 Münzer 1923, col. 2189.
97 D.S., 12, 24, 1‑5. Voir la notice prosopographique de ce personnage pour les sources et leur discussion.
98 Un bon résumé de la sécession et de ses différences avec celle de 494 dans Cels‑Saint‑Hilaire 1990, p. 723‑733. Voir également les notices prosopographiques sur les différents personnages impliqués.
99 D.H., 10, 49, 1‑2.
100 Voir leur notice respective dans la prosopographie.
101 Liv., 5, 7, 6‑7 : Quibus cum amplissimis uerbis gratiae ab senatu actae essent famaque ea forum atque urbem peruasisset, subito ad curiam concursus fit plebis : « pedestris ordinis se » aiunt « nunc esse, operamque rei publicae extra ordinem polliceri, seu Veios seu quo alio ducere uelint (trad. G. Baillet).
102 Hellegouarc’h 1963, p. 506‑507.
103 Martin 2006, p. 288‑292 qui estime que cet épisode pourrait être historique.
104 Liv., 4, 42, 1 : Plebs tribunos plebis absentes Sex. Tempanium <M.> Asellium Ti. Antistium Ti. Spurillium fecit, quos et pro centurionibus sibi praefecerant Tempanio auctore equites (trad. G. Baillet). Liv., 4, 38, 2 présente également Sex. Tempanius comme un décurion de cavalerie.
105 Voir Nicolet 1976, p. 125‑126.
106 Suolahti 1955, p. 260, p. 280 et p. 294. Le sens de ces expressions est problématique et on notera que Cl. Nicolet ne retient aucun Tempanius dans son étude de l’ordre équestre. Belot 1866, p. 165‑166 le mentionne juste avec son grade de « décurion des chevaliers ». Il reconnaît cependant le rang de chevaliers à des plébéiens comme Sp. Maelius un peu plus loin, en particulier p. 168‑174. Voir aussi Gagé 1955b, p. 48‑49 (= Gagé 1977, p. 247‑248) et Gagé 1970a, p. 310‑311 (= Gagé 1977, p. 310‑312).
107 D.H., 8, 87, 4 à 8, 88, 1 et Liv., 2, 42, 8‑9. Voir la notice de C. Maenius.
108 D.H., 9, 1, 2 à 9, 2, 5 et Liv., 2, 43, 2‑4. Voir la notice de Sp. Licinius.
109 D.H., 9, 5, 1 ; Liv., 2, 44, 1‑6 et Zonar., 7, 17. Voir la notice de Ti. Pontificius.
110 Liv., 4, 1, 6 et 4, 6, 5‑8. Voir la notice de C. Canuleius.
111 Liv., 4, 12, 3‑5. Voir la notice de Poetelius.
112 Liv., 4, 53, 1‑13. Voir la notice de M. Menenius.
113 Voir la notice de L. Alienus.
114 Voir la notice de C. Calvius Cicero.
115 Voir la notice de M. Sextius.
116 Voir la notice de L. Cominius.
117 Zonar., 7, 17.
118 Sur ces procès, voir infra chapitre sept.
119 Voir à leur sujet Basanoff 1950a ; Basanoff 1950b ; Basanoff 1950c et Basanoff 1950d.
120 Sur ce personnage, voir Combet‑Farnoux 1980, p. 32‑35 et p. 43‑45 ; Richard 1982b, p. 501‑509 et Oakley 2005a, p. 621‑622. Cette dédicace fut votée par une loi mentionnée par Liv., 2, 27, 5‑6. Voir aussi Val. Max., 9, 3, 6.
121 Voir infra p. 551-598.
122 Varro, ling., 5, 81. Voir Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 314‑315 et Alföldi 1963, p. 91‑92 et p. 98.
123 Cornell 1995, p. 179‑197. Voir supra p. 74 et n. 177.
124 Momigliano 1967b, p. 197‑221 (= Momigliano, 1969b, p. 419‑436) qui associe en fait le populus à la classis et la plebs à l’infra classem. Voir Momigliano 1967a, p. 297‑312 (= Momigliano, 1969b, p. 437‑454). Il fut suivi par Cornell 1983, p. 107‑108 et Cornell 1995, p. 256‑258 avec la bibliographie. Tout en reprenant l’idée d’une réforme servienne créant les deux grands groupes de la classis et de l’infra classem, Richard 1978, p. 359‑394 en propose une interprétation différente, notamment pour ce qui est de la place de la plèbe dans ce système.
125 Raaflaub 1993, p. 150. On retrouve la même idée dans Raaflaub 2005b, p. 197. Cela avait déjà été démontré de façon limpide par Richard 1986.
126 Voir supra p. 120. Rappelons aussi qu’une bonne part de l’argumentaire d’Agrippa Menenius dans son discours au Sénat en 493 (D.H., 6, 51, 3) consiste justement à insister sur le fait que les patriciens seuls, privés de l’aide des plébéiens, forment une force insuffisante pour résister aux ennemis de Rome.
127 Richard 1977a, p. 229‑236 ; Richard 1978, p. 360‑368, p. 394‑396, p. 540 ; Richard 1981b, p. 89‑103 ; Richard 1982a, p. 33 ; Richard 1983, p. 183‑184 ; Richard 1992a, p. 61 et Richard 1993, p. 31‑33 et p. 37‑38. Les propositions en ce domaine d’A. Momigliano ont cependant reçu le soutien de Ménager 1972, p. 386‑390.
128 Ces « noms plébéiens » désignent des gentilices qui n’appartiennent à aucune lignée patricienne connue.
129 Alföldi 1963, p. 81.
130 Ridley 1980a, p. 295 : « It is obvious that one can hardly uphold the reliability of the fasti and at the same time reject large numbers of consuls. »
131 Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 1, p. 492‑496 et 2, p. 406‑408 et p. 484‑486.
132 Cette interprétation est, avec des nuances, celle du plus grand nombre d’historiens. Ihne 1868, p. 115‑119 juge très improbable, avant 366, l’entrée des plébéiens au Sénat et leur accès au consulat, qui contredirait toute la tradition. Il en va de même de Schwegler 1867, p. 785‑786 qui admet la présence de plébéiens dans le second collège décemviral (Schwegler 1872, p. 10, p. 42‑46) et dans les collèges de tribuns militaires à pouvoir consulaire (Schwegler 1872, p. 124‑125). Th. Mommsen apporta son autorité à cette interprétation dans plusieurs contributions : Mommsen 1985 (1854), 1, p. 187‑198 ; Mommsen 1859, p. 195‑214 ; Mommsen 1861, p. 321‑360 (= Mommsen 1864, p. 69‑127) et Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 1, p. 19‑20 ; 2, p. 133‑134 et 3, p. 89‑91. Il suggère de rendre compte du phénomène par le recours à la transitio ad plebem. En outre, Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 90, n. 1 reconnaît que les décemvirs furent en partie plébéiens, et que ces derniers eurent accès au tribunat militaire à pouvoir consulaire (3, p. 90, n. 1 et p. 208‑209). Lange 1876, p. 572‑578 y souscrit aussi, notamment en faisant du Brutus de 509 un patricien. Voir aussi ce qu’il avance des lois licinio‑sextiennes dans Lange 1876, p. 671‑681. On retrouve cette idée dans des ouvrages moins importants de l’époque : Ampère 1866, p. 261‑263 ou p. 570 (de façon implicite) ; Michelet 1876, 1, p. 149‑158 ; Duruy 1879, p. 145‑151 et p. 262‑264. Cette approche eut un certain nombre de successeurs au XXe siècle et, en premier lieu, Enmann 1900, p. 89‑101, pour qui ces noms plébéiens sont des interpolations. Il fut suivi par Neumann 1901, p. 309‑332 ; Kornemann 1911, p. 245‑257 et Kornemann 1912. Mentionnons aussi Pais 1916, p. 11‑13 et p. 104‑109 (qui ne retient aucun plébéien dans sa reconstruction des listes consulaires jusqu’à 367 à l’exception de ceux ayant été tribuns militaires à pouvoir consulaire) ; Beloch 1926, p. 9‑22 ; Guarino 1948 (= Guarino 1973, p. 48‑62) ; Homo 1950, p. 38‑39 ; De Martino 1972a, p. 225‑229 ; MRR, 1 (qui n’entre pas vraiment dans la discussion et qui fait de tous les consuls de cette époque des patriciens) ; Werner 1963, p. 63‑64 et p. 275‑277 ; Pinsent 1975, p. 13 et p. 39‑48 (qui refuse l’accès des plébéiens au consulat avant 342) ou Ferenczy 1976a, p. 18‑19 (qui refuse l’existence de ces noms plébéiens). Se rattache à ce courant, bien que d’une façon originale, Giorgi 1911, p. 315‑338, qui estime les fastes non fiables avant 367 et qui, concernant l’accès des plébéiens au consulat, souligne l’incertitude de la tradition avant de se rallier au témoignage de Diodore de Sicile, d’après lequel cet accès intervint en 440 (p. 322, n. 2 et p. 328‑329).
133 Cette possibilité est déjà en germe dans l’hypothèse proposée par Mommsen d’une explication du phénomène par la transitio ad plebem. On la trouve ensuite chez Shatzman 1973 appliquée à l’exemple des Veturii. Son idée principale est qu’on ne peut déterminer l’appartenance d’une lignée uniquement par des ressemblances de noms à plusieurs siècles d’écart et, dans ce cas précis, il montre qu’il existait des Veturii patriciens et des Veturii plébéiens à l’époque médio‑républicaine. Toutefois, c’est essentiellement Ranouil 1975, p. 64‑124, p. 160‑167 et p. 167‑180 qui s’est engagé dans cette voie comme nous le verrons plus loin.
134 Le point de départ de cette approche qui s’impose aujourd’hui se situe dans Schaefer 1876, et particulièrement dans la seconde partie de l’article, p. 574‑583, intitulée : « Die Wählbarkeit der Plebejer zum Consulate ». Son hypothèse est qu’il n’y eut jamais d’interdiction formelle d’accès au consulat pour la plèbe et que le conflit aurait eu pour but de leur garantir l’accès à ce poste. Cette idée a été suivie par Binder 1909, p. 379 ; Bernardi 1945‑1946a ; Bernardi 1945‑1946b ; Fraccaro 1952, p. 93‑95 (= Fraccaro 1956 Opuscula, p. 5‑6) ; Bernardi 1952, p. 11‑13 ; Richard 1978, p. 519‑523 ; Cornell 1983, p. 111‑117 ; Heurgon 1993, p. 273‑275 ; Cels‑Saint‑Hilaire 1995, p. 295 et Cornell 1995, p. 252‑256.
135 Heurgon 1993, p. 274.
136 Ibid., p. 275.
137 Ibid., p. 273‑275.
138 Voir introduction, p. 22-25.
139 Ranouil 1975, p. 41‑43, p. 62‑65, p. 119 et p. 143‑180 (la citation se trouve p. 173). Presqu’au même moment, Ferenczy 1976a, p. 18‑19 formula des hypothèses très similaires.
140 Voir infra p. 316-317.
141 Voir leur notice respective et infra p. 166-167.
142 Ce tableau synthétise les données fournies par Bernardi 1952, p. 12, n. 2 et Cornell 1995, p. 253‑254. Notons quelques coquilles dans la liste de Bernardi : il place le premier consulat de M. Minucius en 493 au lieu de 497 ; pour 469, il confond T. Numicius avec T. Minucius et il attribue le consulat de T. Genucius Augurinus à l’année 452 au lieu de 451.
143 Cornell 1995, p. 254.
144 Liv., 2, 32, 8 : Placuit igitur oratorem ad plebem mitti Menenium Agrippam, facundum uirum et quod inde oriundus erat plebis carum (trad. G. Baillet).
145 Tite‑Live, Histoire romaine, 2, Livre II, texte ét. par J. Bayet et tr. par G. Baillet, Paris : Les Belles Lettres, 1991 (1941), p. 48, n. 2.
146 Ranouil 1975, p. 101‑112 se prononce résolument contre son historicité alors que Cornell 1995, p. 272‑276 est plus nuancé.
147 D.H., 10, 58.
148 Liv., 3, 35, 9 et 10 : Deiectisque honore per coitionem duobus Quinctiis […], nequaquam splendore uitae pares decemuiros creat, se in primis, quod haud secus factum improbabant boni quam nemo facere ausurum crediderat (trad. G. Baillet).
149 D.H., 11, 28, 7.
150 Résumé des données dans Cornell 1995, p. 336. Notons que si l’on suit la thèse de Bunse 1998, ces noms plébéiens ne constituent plus aucune preuve. En effet, d’après lui, les premiers tribuns militaires à pouvoir consulaire ne furent que la suite des trois préteurs initiaux qui remplacèrent le roi. À un moment donné, les noms des simples tribuns de légions y auraient été ajoutés, entraînant une confusion entre les deux fonctions, et expliquant la présence de noms plébéiens dans ces fastes.
151 Cels‑Saint‑Hilaire 1995, p. 295.
152 Voir introduction, p. 22-25.
153 Cels‑Saint‑Hilaire 1995, p. 299‑313 avec la bibliographie pour un essai de détermination de ces critères.
154 L’expression, qui a fait flores, est de De Sanctis 1907, 1, p. 228‑229. Toutefois, comme le remarque Richard 1978, p. 23, le premier à avoir émis semblable hypothèse fut Belot 1872, p. 52‑54.
155 Peut‑être sous la forme des patres conscripti si l’on suit l’hypothèse proposée par Richard 1978, p. 483‑484.
156 Cels‑Saint‑Hilaire 1995, p. 297.
157 Poma 1984, p. 201‑207 et Cels‑Saint‑Hilaire 1995, p. 297. Voir aussi Cornell 1995, p. 256‑265.
158 Meier 1984, p. 56‑62.
159 Voir infra p. 316-317 pour l’exposé précis de cette hypothèse.
160 Sur ce personnage, on se reportera à Tatum 1999 et Fezzi 2008 avec la bibliographie. Sur la fermeture du tribunat de la plèbe aux patriciens, voir aussi Liv., 4, 25, 11.
161 Sur ces deux mesures, voir aussi la notice prosopographique d’A. Aternius et infra p. 540-543.
162 Voir chapitre sept et notamment les p. 523-543.
163 Contrairement à Richard 1978, p. 527‑529, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un conscriptus, c.‑à‑d., dans son esprit, d’un plébéien ayant accédé au consulat. Je me rallie à l’opinion de Ranouil 1975, p. 81‑85, p. 114, p. 150‑151, et p. 175‑176 qui en fait un patricien.
164 Sur l’histoire de ce Sp. Maelius, voir la prosopographie et Niebuhr 1842, 2, p. 413‑419 ; Mommsen 1871 (= Mommsen 1879, p. 153‑220) ; Gagé 1970a (= Gagé 1977, p. 278‑312) ; Lintott 1970, p. 13‑18 ; Ogilvie 1984, p. 550‑557 ; Zehnacker 1973, p. 511‑512, p. 516, p. 701‑702 et p. 998‑1002 ; Ranouil 1975, p. 193‑194 ; Valvo 1975 ; Pollera 1979 ; Sabbatucci 1979 ; Bessone 1985 ; Martin 1990 ; Liou‑Gille 1996, p. 161‑197 ; Vigourt 2001a et Vigourt 2001b.
165 D.H., 12, 1‑2 et 4, 2‑4 et Liv., 4, 13‑16.
166 Voir Torelli 1993.
167 RRC, I, p. 273‑275 et II, pl. XXXVI, 242/1 ; RRC, I, p. 275‑276 et II, pl. XXXVI, 243/1.
168 C’est l’hypothèse la plus couramment admise mais Wiseman 1996, p. 59 l’interprète comme le fondateur de la gens, tandis que Papini 2004, p. 149 avec la bibliographie préfère y voir M. Minucius Augurinus, consul en 497 et 491. Gagé 1966, p. 83‑84 propose, lui, d’y reconnaître une statue d’Hercule.
169 Comme le note en dernier lieu Papini 2004, p. 149 (avec la bibliographie), c’est sans doute le personnage le moins simple à identifier. Ce pourrait aussi être Ti. Minucius Augurinus le père de M. Minucius Faesus et consul en 305, voire L. Minucius lui‑même.
170 Voir Papini 2004, p. 149 (avec la bibliographie).
171 Ces rapprochements se trouvent pour la première fois dans Ranouil 1975, p. 88‑90, p. 161 et p. 171. Voir également RRC, 242/1 et 243/1 avec les commentaires de M. H. Crawford.
172 Ogilvie 1984, p. 256‑257.
173 Liv. 4, 16, 2 et Plin., nat., 34, 21. Notons toutefois que, dans un autre passage consacré au même monument, Plin., nat., 18, 15 ne parle plus que d’une simple statue et non pas d’une colonne, en accord sur ce point avec
D.H., 12, 4, 6.
174 Voir Pais 1915a, p. 189‑202 ; Momigliano 1936, p. 373‑398 (= Momigliano 1969b, p. 329‑361) ; Becatti 1960, p. 34‑37 ; Lyngby 1961, p. 136‑164 ; Lyngby 1963, p. 55‑62 ; Ogilvie 1984, p. 556 ; Gagé 1966, p. 79‑122 ; RRC 242/1 et 243/1 avec les commentaires de M. H. Crawford ; Torelli 1993 ; Wiseman 1996 et Papini 2004, p. 148‑151.
175 Richard 1978, p. 528‑529.
176 Ici aussi, je pense qu’il fut patricien et non conscriptus. Mommsen 1871 (= Mommsen 1879, p. 153‑220) est le véritable point de départ de la bibliographie sur Sp. Cassius. Parmi un océan de publications, citons Münzer 1899 ; Momigliano 1936, p. 386 (= Momigliano 1969b, p. 345) ; Gabba 1964 ; Gabba 1966 ; Magdelain 1973 (= Magdelain 2015, p. 500‑518) ; D’Ippolito 1975 ; Humbert 1978 p. 66‑76 ; Gagé 1979a ; Capanelli 1981 ; Bessone 1985 ; Cazanove 1989, p. 93‑116 ; Panitschek 1989 ; Martin 1990 ; Liou‑Gille 1996 ; Chassignet 2001 ; Vigourt 2001a et Vigourt 2001b
177 D.H., 6, 49, 1.
178 D.H., 6, 94, 3 et Cazanove 1989, p. 95.
179 RRC I, 321/1 et 386/1.
180 Humbert 1978, p. 68‑69. Sur ce traité, voir la notice prosopographique pour les sources. On lira, à ce sujet, Rosenberg 1920 ; De Sanctis 1929 ; Bengtson 1962, p. 22‑26 n° 126 ; Petzold 1972 ; Ferenczy 1975 ; Humbert 1978, p. 65‑76 et p. 91‑122 ; Bottiglieri 1980 ; Bourdin 2012, p. 289‑299.
181 Humbert 1978, p. 70‑71 (c’est l’auteur qui souligne), qui s’inscrit donc en faux contre les théories d’A. Alföldi, reprises par Ferenczy 1976a, p. 101‑102. Bourdin 2012, p. 291‑292 opte pour une position plus nuancée, imaginant une alliance défensive plus égalitaire. Toutefois, p. 295, il ajoute que Rome sortit alors de la ligue dont elle ne fut plus qu’un partenaire. Un tel constat va plutôt dans le sens des appréciations de M. Humbert en ce qu’il signale une position spéciale de l’Vrbs par rapport à ses alliés.
182 D.H., 6, 19, 4 ; 6, 20, 1 et 6, 20, 2‑5.
183 D.H., 8, 69, 1.
184 Cazanove 1989, p. 112 et Firpo 2001 pour une datation de ce traité en 493 au lieu de 486.
185 Voir la notice prosopographique de Sp. Cassius et p. 364-373.
186 Voir la notice prosopographique de Sp. Cassius.
187 D.H., 8, 79, 3 et Liv., 2, 41, 10.
188 Plin., nat., 34, 15 et Val. Max., 5, 8, 2.
189 Cic., rep., 2, 60.
190 Ampel., 27, 3 ; Cic., dom., 101 ; D.S., 11, 37, 7 ; D.C., 5, 19 Boissevain ; Flor., epit., 1, 17 (= 1, 26, 7) et Val. Max., 6, 3, 1b.
191 Calp. hist., frgt 40 Chassignet (= frgt 37 P1 et 2 = frgt 47 F = frgt 40 B = frgt 39 Cornell, apud Plin., nat., 34, 30). Voir Forsythe 1994, p. 297‑299.
192 Sur ces aspects, voir les remarques toujours convaincantes de Gabba 1964 et de Gabba 1966 (= Gabba 2000, p. 129‑139 et p. 141‑150). Voir également, depuis, Gutberlet 1985, p. 40‑72.
193 Cazanove 1989, p. 108‑109.
194 Ibid., p. 111 et infra p. 364-373.
195 Cazanove 1989, p. 97.
196 D.H., 6, 89, 3 et Liv., 3, 55, 7.
197 Cazanove 1989, p. 98.
198 Ibid., p. 98, n. 30 se fonde sur Gaius, inst., 2, 87. Voir sur ce point Girard 2003 (1929), p. 151.
199 Cazanove 1989, p. 101 et Cantarella 2011, p. 170‑173.
200 Déjà en ce sens, Ménager 1976, p. 500‑501.
201 Voir la présentation des Mucii dans la prosopographie. Le rapprochement des deux affaires est relativement ancien, comme en témoigne Richard 1978, p. 524, n. 282. Rappelons aussi l’interprétation de Pais 1915a, p. 115 qui voit dans cette figure un simple doublet mythique d’une autre figure légendaire de Rome, le Mucius Scaevola qui tenta d’assassiner Porsenna.
202 D.C., 5, 22, 1 Boissevain ; Fest., p. 180 L., s.v. Nouem ; Val. Max., 6, 3, 2 et Zonar., 7, 17.
203 Val. Max., 6, 3, 2 : Idem sibi licere etiam P. Mutius, tribunus plebis, quod senatui et populo Romano credidit, qui omnes collegas suos, qui duce Sp. Cassio id egerant ut, magistratibus non subrogatis, communis libertas in dubium uocaretur, uiuos cremauit. Nihil profecto hac seueritate fidentius. Vnus enim tribunus eam poenam nouem collegis inferre ausus est, quam nouem tribuni ab uno collega exigere perhorruissent (trad. R. Combès). Cette version de l’histoire a fait l’objet d’une fresque de Beccafumi, dans la Sala del Concistoro du Palazzo Pubblico de Sienne, salle où l’on trouve aussi une représentation de l’exécution de Sp. Cassius.
204 D.C., 5, 22, 1 Boissevain : Ὅτι οἱ εὐπατρίδαι φανερῶς μὲν οὐ πάνυ πλὴν
βραχέων ἐπιθειάζοντές τινα ἀντέπραττον, λάθρᾳ δὲ συχνοὺς τῶν θρασυτάτων ἐφόνευον. ἐννέα γάρ ποτε δήμαρχοι πυρὶ ὑπὸ τοῦ δήμου ἐδόθησαν (trad. é. Gros révisée).
205 Zonar., 7, 17 : ἀλλ’ οὔτε τοῦτο τοὺς λοιποὺς ἐπέσχεν οὔθ’ ὅτι ποτὲ ἐννέα δήμαρχοι πυρὶ ὑπὸ τοῦ δήμου ἐδόθησαν.
206 Les auteurs grecs semblent plutôt rapporter l’événement aux années 472‑471 si l’on suit l’ordre de leur texte. Néanmoins, il n’y a là rien de certain. Voir Gagé 1964b, p. 553 (= Gagé 1977, p. 405).
207 Sur le nombre de tribuns avant 449, voir supra p. 66-78.
208 D.S., 12, 25, 3 : Ἐν δὲ ταῖς ὁμολογίαις προσέκειτο τοῖς ἄρξασι δημάρχοις τὸν ἐνιαυτόν, ἀντικαθιστάναι πάλιν δημάρχους τοὺς ἴσους ἢ τοῦτο μὴ πράξαντας ζῶντας κατακαυθῆναι (trad. M. Casevitz). Pour la même époque, le seul autre exemple indiquant une peine similaire est fourni par les XII Tables, qui prévoient la peine du bûcher pour l’incendiaire volontaire (RS, II, table VIII, 6, p. 685‑686 = FIRA, 1, table VIII, 10, p. 56).
209 Fest., p. 180 L., s.v. Nouem.
210 Voir Lange 1876, p. 610 et Gagé 1964b, p. 553 et p. 560‑561 (= Gagé 1977, p. 405 et p. 412‑413). Ce dernier propose d’interpréter l’affaire de la manière suivante (p. 565‑572) : les tribuns en question, accusés d’une conduite irrégulière, se seraient en réalité soumis à une ordalie par le feu qui aurait mal tourné. Il est suivi dans cette voie par Cantarella 2011, p. 235‑237 et p. 243. Cette hypothèse, qui néglige le plébiscite de Trebonius, n’est pas convaincante.
211 Combès, 1995, p. 21. Sur Verrius Flaccus comme source de Festus, voir aussi Dahlman 1935, col. 1247, et les remarques de Badian 1962, p. 204. Verrius Flaccus serait né vers 55 et mort vers 20 après J.‑C., tandis que les dates de Valère Maxime sont inconnues. Il fut à coup sûr actif à partir de la fin du règne d’Auguste et sous celui de Tibère.
212 Cic., fin., 2, 54 et 4, 77 ; Att., 12, 5b.
213 Voir supra p. 124.
214 D.H., 8, 81, 2. Accusation répétée chez D.H., 8, 87, 3. Sur les interventions patriciennes pour bloquer les plébiscites agraires, qui témoignent là aussi de connivences réelles, voir infra p. 374-377.
215 D.H., 10, 49, 1‑2.
216 Liv., 4, 48, 15 à 16 : Fremitus deinde uniuersi senatus ortus, cum ex omnibus patribus curiae tribuni appellarentur. Tum silentio facto ii qui praeparati erant gratia principum, quam rogationem a collegis promulgatam senatus censeat dissoluendae rei publicae esse, ei se intercessuros ostendunt. Gratiae intercessoribus ab senatu actae. Latores rogationis contione aduocata proditores plebis commodorum ac seruos consularium appellantes aliaque truci oratione in collegas inuecti, actionem deposuere (trad. G. Baillet).
217 Voir leur notice respective dans la prosopographie.
218 Liv., 2, 35, 4 : Ac primo temptata res est si dispositis clientibus absterrendo singulos a coitionibus conciliisque disicere rem possent (trad. G. Baillet).
219 D.H., 7, 62, 2.
220 D.H., 8, 87, 3 et 4 : Τοῖς μὲν οὖν ἄλλοις οὐκ ἐδόκει καιρὸς ἁρμόττων εἶναι πολέμου συνεστῶτος ὑπερορίου τὰς πολιτικὰς ἔχθρας ἀναζωπυρεῖν, εἷς δέ τις ἐξ αὐτῶν Γάϊος Μαίνιος οὐκ ἔφη προδώσειν τοὺς δημοτικούς, οὐδ’ ἐπιτρέψειν τοῖς ὑπάτοις στρατιὰν καταγράφειν.
221 D.H., 11, 53, 1 : Νόμον τε συγγράψαντες ὑπὲρ τῶν ὑπατικῶν ἀρχαιρεσιῶν εἰσέφερον οἱ τότε δημαρχοῦντες ἐκτὸς ἑνὸς Γαΐου Φουρνίου πάντες οἱ λοιποὶ συμφρονήσαντες.
222 Liv., 4, 42, 3 et 4 : Principio statim anni, L. Hortensius tribunus plebis C. Sempronio, consuli anni prioris, diem dixit. Quem cum quattuor collegae, inspectante populo Romano, orarent « ne imperatorem suum innoxium, in quo nihil praeter fortunam reprehendi posset, uexaret » , aegre Hortensius pati, temptationem eam credens esse perseuerantiae suae, nec precibus tribunorum, quae in speciem modo iactentur, sed auxilio confidere reum (trad. G. Baillet).
223 Ferenczy 1976a, p. 49‑50 et p. 53‑54.
224 Voir infra p. 346-348 sur ce plébiscite.
225 Liv., 2, 43, 3 et 4 : Sed Sp. Licinius tribunus plebis, uenisse tempus ratus per ultimam necessitatem legis agrariae patribus iniungendae, susceperat rem militarem impediendam. Ceterum tota inuidia tribuniciae potestatis uersa in auctorem est ; nec in eum consules acrius quam ipsius collegae coorti sunt, auxilioque eorum dilectum consules habent (trad. G. Baillet).
226 Liv., 2, 44, 2 et 3 : Uictam tribuniciam potestatem […] priore anno, in praesentia re, exemplo in perpetuum, quando inuentum sit suis ipsam uiribus dissolui. Neque enim unquam defuturum qui et ex collega uictoriam sibi et gratiam melioris partis bono publico uelit quaesitam ; et plures, si pluribus opus sit, tribunos ad auxilium consulum paratos fore, et unum uel aduersus omnes satis esse (trad. G. Baillet).
227 Voir Liv., 4, 48, 6 à 8. Le discours tenu alors est quasi identique à celui déjà cité avec simplement une insistance plus marquée sur ce côté veule des tribuns.
228 D.H., 9, 1, 4. Voir, dans le même ordre d’idées, D.H., 10, 30, 5.
229 On se reportera à Liv., 2, 44, 5 ; 4, 48, 1 ; 4, 49, 6 et 4, 53, 2 à 13.
230 Liv., 3, 14, 4 : Cum primo post Caesonis exsilium lex coepta ferri est, instructi paratique cum ingenti clientium exercitu sic tribunos, ubi primum summouentes praebuere causam, adorti sunt ut nemo unus inde praecipuum quicquam gloriae domum inuidiaeue ferret, mille pro uno Caesones exstitisse plebes quereretur (trad. G. Baillet).
231 Cette question fit déjà débat avant Th. Mommsen, en lien avec le problème des origines de la plèbe romaine. On se reportera aux analyses de Richard 1978, p. 1‑77.
232 Voir Richard 1978, p. 100‑103 sur ce point.
233 Rappelons que les différentes études sur ce point hésitent entre trois origines au mot cliens, trois verbes : cluere, clinere ou colere. Certains, comme Heurgon 1993, p. 193 préfèrent ne pas se prononcer. cluere fut sans aucun doute celui qui recueillit le plus souvent les faveurs des auteurs des XIXe et XXe siècles. Il eut la préférence de Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 6/1, p. 69‑70 ; de Premerstein 1900, col. 23 ou, avec circonspection, celle de Richard 1978, p. 159‑160 et tout en reconnaissant que semblable solution ne laisse pas de soulever des interrogations. Clinere fut peu pris en compte. Dérivé du verbe clino, il est toutefois cité par Ernout et Meillet 1994, p. 127 : « Comme on ne voit pas le moyen de passer de cluens à cliens, on a supposé que cliens serait le participe d’un thème racine du groupe de clino ». Voir Pokorny 1959, p. 601 et Vaan 2008, p. 120‑121. Colere enfin, fut la solution la moins proposée. Richard 1978, p. 159‑160 la condamne, même s’il reconnaît qu’elle a la faveur d’auteurs anciens tels Servius, Isidore de Séville ou Jean le Lydien. Elle fut pourtant remise en avant par Pariente 1946 et reprise depuis par Rouland 1979, p. 19‑22.
234 Sur les origines de la clientèle, seuls trois auteurs apportent quelques renseignements détaillés : D.H., 2, 9 ; 2, 10 et 2, 11 ; Gell., 5, 13, 2‑6 et 20, 1, 40 ; Plut., Rom., 13, 2‑9 et 30, 1‑6. Il s’agit sinon de courtes notices dispersées, notamment chez Cicéron et Tite‑Live. Analyse détaillée des sources dans Richard 1978, p. 79‑103.
235 D.H., 2, 9 à 2, 10. Voir Magdelain 1971 (= Magdelain 2015, p. 429‑451), notamment p. 105 (= p. 431) où A. Magdelain lui reconnaît une certaine valeur, estimant que Denys a puisé dans des sources juridiques. Idée similaire dans Richard 1978, p. 167. Voir aussi Lovisi 1999, p. 19‑23 avec la bibliographie.
236 Lovisi 1999, p. 23 avec la bibliographie.
237 Mommsen 1985 (1854), 1, p. 58‑59, p. 75‑78, p. 194 et Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 6/1, p. 69‑70.
238 Magdelain 1971, p. 106 (= Magdelain 2015, p. 432).
239 Ibid., p. 106 (= p. 432).
240 Rouland 1979, p. 64‑73.
241 Ibid., p. 66, c’est l’auteur qui souligne.
242 Ibid., p. 74‑77. L’auteur est donc en accord avec A. Magdelain pour le statut du client mais pas pour celui du plébéien. Il écrit d’ailleurs p. 74 : « mais, parvenue à ce stade, leur ascension socio‑économique risquait d’être arrêtée – sinon compromise – par l’infériorité de leur statut civique, qui rend seule explicable leur entrée en clientèle ».
243 Cels‑Saint‑Hilaire 1995, p. 70.
244 Smith 2006, p. 168‑176.
245 Torelli 1980 et Torelli 2012, p. 71‑79.
246 RS, II, table VIII, 10, p. 689‑690 = FIRA, 1, table VIII, 21, p. 62. Voir aussi Watson 1975, p. 101‑110.
247 Magdelain 1971, p. 103 (= Magdelain 2015, p. 429) : « L’image d’une cité romuléenne dans laquelle tous les plébéiens sont clients des nobles […] est une vue de l’esprit qui a été suscitée à Rome par la langue du droit ». Voir aussi Cornell 1995, p. 290.
248 Cornell 1995, p. 288‑292.
249 Médard 1976, p. 103. Voir aussi la définition qu’en donne Badian 1958, p. 10 : « In fact, clientela is not (in origin or in development) a simple relationship, but at all historical times a name for a bundle of relationships united by the element of a permanent (or at least long‑term) fides ». Plus récemment, de façon également convaincante, Smith 2006, p. 171 parle de : « loose bond of social allegiance ».
250 Lange 1879, p. 3‑4 : « Das Volkstribunat ferner, durch dessen Bekleidung Plebejer innerhalb und außerhalb ihres Standes ebenso bekannt wurden, wie Patricier durch Bekleidung des Consulats, ward allmählich so einflußreich, daß sogar die zeitweiligen Inhaber der patricischen Magistratur gelegentlich seine Unterstützung anriefen. »
251 Deux exemples illustrant des points de vue opposés sur ce sujet se trouvent chez Liv., 4, 3‑5 dans le discours du tribun C. Canuleius en 445 et chez Liv., 6, 40‑41 dans le discours du patricien Ap. Claudius en 368.
252 Il n’entre pas dans les limites de ce livre de revenir sur l’interprétation générale de cette magistrature qui a fait couler beaucoup d’encre. Sans remonter au‑delà du grand juriste allemand, on se reportera pour cela à Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 208‑220 ; Beloch 1926, p. 247‑264 ; Siber 1936, p. 52‑57 ; Lengle 1937a ; Cornelius 1940, p. 59‑67 ; Fritz 1950, p. 37‑41 (= Fritz 1976, p. 365‑370) ; Staveley 1953 ; De Martino 1972a, p. 317‑326 ; Pinsent 1975 ; Ranouil 1975 p. 20‑33 ; Drummond 1980 ; Cornell 1983 ; Ridley 1986 ; Richard 1990 ; Bayet 1993, p. 132‑148 ; Heurgon 1993, p. 285‑288 ; Cornell 1995, p. 334‑338 et Bunse 1998.
253 Cornell 1995, p. 336. Ce constat affaiblit la théorie de Bunse 1998 évoquée supra p. 37 n. 12.
254 Pais 1918b, p. 242‑243 et Halpérin 1984, p. 173.
255 Richard 1990, p. 793.
256 Halpérin 1984, p. 173.
257 Cornell 1995, p. 338 et la présentation plus précise de cette proposition infra p. 316-317.
258 InscrIt, XIII, 1, p. 26‑27, p. 96‑97 et p. 376‑377.
259 Liv., 4, 44, 13.
260 CIL I², 1, p. 55 (= CIL, I, p. 465 = CIL, VI, 31089). Le texte est développé ainsi par Th. Mommsen : XIII est a Ti. Antistio Ti. f. C./[condita Me]nenio Agrippa, Lucretio T[ricipitino, Nautio Rutilo/Seruilio Axilla trib.] mil consulari potesta[te/Anno post urbem con]dit CCCXXXIIII post [reges exactos LXXXXI].
261 InscrIt., XIII, 1, p. 377.
262 Klebs 1894, col. 2548.
263 Ogilvie 1984, p. 600‑601.
264 Je me suis fondé pour cela sur les données transmises par MRR, 1.
265 Homo 1950, p. 64‑65 et p. 71‑76 et Humm 2005, p. 122‑131, particulièrement les p. 127‑128.
266 Càssola 1962, p. 9‑11 ; idée reprise par Humm 2005, p. 435‑436.
267 Sur ce plébiscite, voir Wissowa 1912, p. 534‑543 ; LPPR, p. 220 ; Gagé 1955a, p. 146‑154 et p. 695‑697 ; Latte 1960, p. 397‑398 ; Flach 1994, p. 282‑283 n° 62a et Oakley 1997, p. 652.
268 Sur ce plébiscite, voir infra p. 349-352 et les notices des frères Ogulnii dans la prosopographie.
269 Szemler 1972, p. 66‑67.
270 Storchi Marino 1992.
271 Je me suis là aussi fondé sur le relevé de MRR, 1 et sur celui de Szemler 1972, p. 66‑74. J’ai moins utilisé Rüpke et Glock 2005 car ce dernier reconstruit l’intégralité des collèges du IIIe siècle à partir d’informations en réalité extrêmement parcellaires. J’ai préféré les listes plus incomplètes de MRR qui donnent une meilleure idée de l’état réel de notre documentation.
272 Ce dernier fut aussi pontife plus tard, de 216 à 203. Notons l’existence de deux vestales, peut‑être plébéiennes, Sextilia en 273 et Caparronia en 266. Les fastes des prêtres sont désormais commodément accessibles grâce à leur publication par Rüpke et Glock 2005, ouvrage qu’il convient cependant de manier avec précaution pour les périodes les plus anciennes pour les raisons exposées à la note précédente.
273 Il y a une hésitation sur le prénom. Voir MRR, 1, p. 210‑211.
274 Voir MRR, 1 et Szemler 1972, p. 64‑74 (période 300‑211) et p. 101‑111 (période 210‑199). Le début de la troisième décade de Tite‑Live est pour beaucoup dans ce changement. Nous connaissons aussi quelques vestales pour la période : Tuccia en 230, Floronia et Opimia en 216.
275 M. Aurelius Cotta, successeur en 204 de M. Pomponius Matho au décemvirat sacris faciundis.
276 L. Caecilius Metellus pontife à partir de 243 jusqu’en 221, qui succède à Ti. Coruncanius au grand pontificat ; Q. Caecilius Metellus qui succède en 216 à P. Scantinius au pontificat.
277 L. Cantilius, pontife avant 216.
278 Sp. Carvilius Maximus Ruga, augure avant 211.
279 M. Claudius Marcellus, augure vers 226.
280 C. Mamilius Atellus, curio maximus en 209.
281 T. Otacilius Crassus, pontife et augure avant 211.
282 P. Scantinius, pontife avant 216.
283 M. Servilius Pulex Geminus, successeur en 211 de Sp. Carvilius Maximus Ruga à l’augurat. Mentionnons aussi C. Servilius Geminus, pontife vers 210.
284 Q. Ælius Paetus, pontife avant 216 et P. Ælius Paetus augure à partir de 208 en succession de M. Claudius Marcellus.
285 C. Atilius Serranus, augure avant 217 et jusqu’à une date inconnue.
286 Q. Fulvius Flaccus, pontife à partir de 216 en succession de Q. Ælius Paetus.
287 C. Laetorius, successeur en 209 de Q. Mucius Scaevola au décemvirat sacris faciundis.
288 P. Licinius Crassus Diues, pontife avant 212 et jusqu’en 183, grand pontife de 212 à 183.
289 M. Livius Salinator, décemvir sacris faciundis vers 236 (249 selon Szemler) et C. Livius Salinator, successeur de M’. Pomponius Matho au pontificat en 211.
290 M. Marcius, rex sacrorum avant 210.
291 Q. Mucius Scaevola, décemvir sacris faciundis avant 209.
292 M’. Pomponius Matho, pontife avant 211 et M. Pomponius Matho augure et décemvir sacris faciundis avant 204.
293 T. Sempronius Longus, augure et décemvir sacris faciundis vers 210 et Ti. Sempronius Gracchus successeur en 204 de M. Pomponius Matho à l’augurat.
294 Ce que soulignait déjà Ferenczy 1976a, p. 64. Voir aussi les remarques de Mastrocinque 2010.
295 Voir ce qui a déjà été dit en introduction, p. 22-26.
296 Richard 1993, p. 28‑29 où il résume ses thèses antérieures. Soltau 1880, p. 625‑633 fut un des premiers à affirmer avec force ces idées. Il fut notamment suivi par Botsford 1968 (1909), p. 16‑47. Richard 1978, p. 21‑22 et p. 38‑39 ; mais aussi Kunkel 1973 (1971), p. 10 ou Smith 2006, p. 169 reconnaissent également que les plébéiens ont de tout temps appartenu aux curies. On trouvera une bonne expression de la thèse inverse chez Homo 1950, p. 13‑15.
297 Voir les analyses très convaincantes de Richard 1978, p. 79‑98 et p. 270‑274.
298 Cornell 1983, p. 106‑108, p. 110‑111 et Cornell 1995, p. 256‑258.
299 Liv., 10, 8, 9 : « Chaque fois on a entendu de vous ces mêmes affirmations : en vos mains seules sont les auspices ; vous seuls avez une gens, vous seuls êtes les détenteurs légitimes des auspices et de l’imperium domi et militiae » (Semper ista audita sunt eadem penes uos auspicia esse, uos solos gentem habere, uos solos iustum imperium et auspicium domi militiaeque, trad. E. Lasserre modifiée).
300 Voir Botsford 1968 (1909), p. 28‑31 ; Falcone 1994 ; Falcone 1996, p. 174‑175 ou encore Schiavone 2005, p. 413, n. 23. Contra – mais peu convaincant d’après moi – Giuffrè 1970.
301 Magdelain 1964a, p. 464‑473 (= Magdelain 2015, p. 375‑383) et les analyses de Richard 1978, p. 182‑184.
302 Richard 1978, p. 23 montre que cette idée remonte au moins à Belot 1866 et Belot 1872. Voir aussi Richard 1993, p. 30.
303 Voir introduction, p. 23-25.
304 Momigliano 1963, p. 118 (= Momigliano 1966b, 2, p. 591‑592). Il fut suivi par les analyses de Magdelain 1964a, p. 464‑473 (= Magdelain 2015, p. 375‑383) et de Richard 1993, p. 31.
305 Richard 1978, p. 533 et Halpérin 1984, p. 161‑181. Voir aussi supra p. 163-165.
306 Voir les analyses de Schiavone 2005, p. 74‑75, très convaincantes, mais auxquelles manquent précisément les tribuns de la plèbe, avec le rôle que je propose de leur attribuer.
307 Richard 1993, p. 35.
308 Liv., 10, 38, 10.
309 Richard 1993, p. 36‑37.
310 Durkheim 1987 (1894), p. XXII : « On peut en effet, sans dénaturer le sens de cette expression, appeler institution, toutes les croyances et tous les modes de conduite institués par la collectivité ». é. Durkheim étend donc considérablement la définition de la notion, tout en reconnaissant que les institutions sont à la fois, comme le dit Revel 2006, p. 88 : « créatrices d’identité et de contraintes au sein d’un groupe ». Pensons aussi aux travaux de L. Boltanski (p. ex. Boltanski 2013), qui voit dans l’institution un « être sans corps » doté d’une fonction essentiellement sémantique qui permet à des groupes sociaux ou à des êtres d’accéder à une forme d’existence dans l’espace social.
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