Chapitre 1. Un corpus problématique
p. 31-86
Texte intégral
1Comment parler des tribuns de la plèbe au début de la République sans revenir d’abord sur le corpus documentaire à notre disposition ? Si la prosopographie constitue en effet l’outil le plus approprié pour engager un nouvel examen de leur histoire, cette entreprise est délicate à mener tant les sources disponibles posent problème. Il n’y eut jamais de procédure officielle de conservation des noms des tribuns, ce qui nous rend tributaires de listes de personnes reconstituées a posteriori. Éprouver le crédit qu’il est possible d’accorder aux fastes en général, et aux fastes tribunitiens en particulier constitue donc un préalable impératif1. C’est indispensable pour donner à voir les fondations historiques réelles de cette prosopographie et parce que, de la fiabilité de ces fastes, dépend l’histoire du tribunat de la plèbe durant la première moitié du Ve siècle. Ce qui pourrait paraître un détour permettra donc de situer la création du tribunat dans son contexte tant historique qu’historiographique. S’agit‑il d’une fonction créée au début de la République ou mit‑elle plus de temps à émerger ? Quelle attitude convient‑il d’adopter face à un corpus hétérogène mêlant noms authentiques, déformations historiographiques voire pures et simples falsifications ? Répondre à ces questions permettra une première synthèse de la prosopographie.
L’état de la documentation
Dénombrement des tribuns et des lignées tribunitiennes
2Pour la période 493‑287, nous connaissons cent‑douze tribuns et édiles de la plèbe. C’est très peu. En effet, en laissant momentanément de côté le problème du nombre de tribuns durant la première moitié du Ve siècle, nous savons qu’à partir de 457, et, avec plus de certitude, 449 au moins, dix tribuns de la plèbe furent élus chaque année. Comme nous le verrons, et même s’il s’agit de la seule année pour laquelle nous possédons les noms des dix titulaires de la fonction, il y a là un terminus post quem, car il est difficile d’obtenir des certitudes à propos des années antérieures pour lesquelles chiffres et hypothèses varient. Le schéma traditionnel veut qu’il y eût deux tribuns au départ, puis quatre (ou cinq) à partir de 470 et dix à partir de 457 : soit un total de cent‑cinquante‑deux tribuns et une moyenne d’un peu moins de quatre tribuns par an qui fournit une base de réflexion crédible2. Un simple calcul permet de mesurer l’ampleur de la documentation perdue. De 449 à 287, à raison de dix tribuns par an, cela fait mille‑six‑cent‑vingt titulaires du poste. En tenant compte des possibles itérations et des cent‑cinquante‑deux tribuns de la période antérieure, un total d’environ mille‑sept‑cents tribuns de la plèbe différents entre 493 et 287 est vraisemblable.
3Sur ce total, nous n’avons conservé que cent‑douze noms, soit à peine 6,5 %, si l’on considère que tous les tribuns connus furent authentiques, ce qui est loin d’être le cas. En outre, il ne s’agit pas d’un échantillon statistique choisi, mais de ce qui nous a été transmis indépendamment de nos souhaits. Là n’est pas l’essentiel, tant ces calculs demeurent hypothétiques et n’ont d’autre intérêt que de manifester un ordre de grandeur qui, lui, reflète l’état de notre documentation. Dans le meilleur des cas, nous ne sommes renseignés que sur 5 à 10 % des personnes ayant occupé cette charge. Dans ces conditions, l’approche quantitative, tout utile et nécessaire fût‑elle, n’en doit pas moins être regardée avec prudence puisqu’elle ne se fonde que sur un dixième du corpus hypothétique total. En outre, ce corpus n’est pas réparti de manière homogène sur la période, ce qu’un graphique permet de visualiser3 :
4Le nombre moyen de tribuns mentionnés par an est généralement d’un ou deux, ce qui est une fois encore très peu, et la courbe permet d’identifier des tendances significatives. Il s’en dégage un déséquilibre d’informations entre les Ve et IVe siècles, avec plus de renseignements pour le premier. Une fois passée la charnière du Ve au IVe siècle, l’apport informatif décroît, en raison de la perte du texte de Denys d’Halicarnasse à partir de 443. Apparaissent alors des phases de creux correspondant à des périodes pour lesquelles les sources ne livrent plus de données nominatives sur les tribuns. Si cela ne signifie pas que nous perdions tout moyen d’apprécier leur action, l’analyse directe est rendue plus ardue.
5Après le décemvirat législatif par exemple, la création des tribuns militaires à pouvoir consulaire fait passer ceux de la plèbe au second plan des préoccupations des auteurs antiques. Après 367, le conflit des ordres achevé – ou présumé tel –, nos sources n’évoquent presque plus les tribuns de la plèbe. C’est seulement à la fin du IVe siècle, lors d’une nouvelle phase politiquement décisive, que l’on retrouve des informations notables. Nous sommes ainsi mal renseignés sur ces personnages pour la période cruciale du début de formation de la nobilitas, alors que des évolutions sociales majeures étaient en cours à Rome.
6La situation est pire pour les édiles de la plèbe puisque nous ne connaissons que cinq collèges entre 494 et 287 (huit personnes en tout), là aussi concentrés sur le Ve siècle : L. Iunius Brutus et L. Sicinius Vellutus en 492, T. Iunius Brutus et C. Icilius Ruga en 491, L. Alienus en 454, M’. Marcius en 440, L. Ælius Paetus et C. Fulvius Curvus en 296. Ils seront pris en compte car ces édiles furent souvent tribuns de la plèbe. Seuls T. Iunius Brutus, M’. Marcius, L. Ælius Paetus et C. Fulvius Curvus ne furent qu’édiles.
Le problème de la fiabilité des fastes
7À ces données parcellaires se greffe le problème de la fiabilité des fastes tribunitiens. Une imposante bibliographie existe sur ce débat complexe qui recouvre partiellement celui, plus général, de la fiabilité des fastes des magistrats du début de la République. Ce point mérite que l’on s’y arrête car il focalise l’attention au moins depuis les travaux de B. G. Niebuhr et a des conséquences sur l’histoire des tribuns de la plèbe. En effet, ces listes officielles de magistrats romains connurent un mode de transmission aussi bien oral qu’écrit avant d’être gravées sur pierre à la fin de la République pour les listes consulaires, peut‑être plus tard pour les listes triomphales. C’est sous cette forme, gravée, que nous les connaissons et elles purent subir altérations et modifications jusqu’à ce moment‑là. Ces catalogues officiels de magistrats romains sont au cœur de multiples controverses historiographiques qui, bien que débordant le cadre du propos, doivent être prises en compte4.
8Pour la période la plus ancienne, deux positions principales s’affrontent. La première accorde aux fastes une créance globale à l’exception des toutes premières années du régime républicain et de quelques cas litigieux bien spécifiques5. La seconde estime que, jusque vers 450, voire jusqu’à 367, ils n’offrent aucune assurance6. Une troisième voie fut proposée par Kr. Hanell, dont l’originalité est de séparer la question des fastes de celle du passage de la monarchie à la République. Les fastes n’auraient été qu’un calendrier dont la création ne fut pas liée à des bouleversements institutionnels, tandis que les consuls n’auraient été, dans un premier temps, que des officiers éponymes. Il rend ainsi compte du lien entre l’instauration des fastes et la fondation du temple de Jupiter capitolin puisqu’il fait des premiers un nouveau calendrier éponyme dont l’institution accompagna, en 509, la création de ce nouveau culte. Le début de cette liste serait antérieur au passage à un système républicain qui n’aurait émergé que graduellement durant le Ve siècle. Sans rejeter l’authenticité des fastes, Kr. Hanell refuse tout de même la date traditionnelle du début de la République et estime que la monarchie s’acheva vers 450, à la chute du décemvirat législatif, tandis que le modèle de deux consuls ne s’imposa qu’en 3667. Cette hypothèse eut une certaine notoriété. E. Gjerstad, qui place aussi les débuts du système républicain au milieu du Ve siècle à partir d’arguments archéologiques, se sert des résultats de Kr. Hanell pour découpler le début des fastes du début de la République8.
9Ce rapide survol autorise deux constats. Tout d’abord, les points d’achoppement portent sur les noms transmis et sur la chronologie. Ensuite, même lorsqu’il s’agit d’en proposer une version révisée, cette controverse sur la fiabilité des fastes est inséparable de celle sur les premières décennies de la République et sur les modalités institutionnelles et historiques du changement de régime. Cette substitution d’un système par un autre est en effet présentée de façon simple par les sources : à la chute du dernier roi, deux consuls auraient été élus et les institutions républicaines se seraient mises en place. Cette reconstitution n’est toutefois guère satisfaisante. Elle est depuis longtemps critiquée et la recherche historique s’est employée à trouver une meilleure explication aux modifications bien réelles du mode de gouvernement à Rome9.
10Plusieurs questions sont au cœur du débat : la date traditionnelle est‑elle la bonne ? Le changement fut‑il brusque ou progressif ? Comment naquirent les institutions républicaines ? Comment interpréter les dernières années de la monarchie et les premières de la République ? De façon simplifiée, cinq théories principales s’affrontent, qui, toutes, à des degrés divers, privilégient des évolutions graduelles dont les étapes sont néanmoins fort diverses : la conservation du schéma traditionnel avec instauration d’une magistrature double et égale dès le départ, qu’il s’agisse de préteurs ou de consuls ; le recours à une dictature annuelle puis aux consuls ; le recours à une magistrature double dont les titulaires étaient d’inégal pouvoir puis aux consuls ; l’institution d’un collège d’au moins trois préteurs puis de deux consuls ; enfin, un abaissement radical des débuts de la République aux années 470 voire 450, précédé d’une phase de décadence de la monarchie et de vicissitudes institutionnelles. Les quatre premières hypothèses conservent en général la date traditionnelle de 509, mais remanient les modalités de la substitution de la monarchie par la République. Dans ces cas, la gradualité du processus peut être interprétée de façon variée, comme le démontrent cinq exemples.
11Elle demeure conventionnelle chez A. Giovannini, qui accepte la date de 509 et le récit traditionnel même s’il pense que fut alors institué un collège de deux préteurs et non de deux consuls10. Elle est longue chez Fr. De Martino qui expose une reconstruction ingénieuse dans laquelle le roi aurait été remplacé par un dictateur annuel jusqu’en 451. Ce dernier aurait alors été évincé au profit du décemvirat législatif. Après l’échec des décemvirs, un collège de deux préteurs d’inégal pouvoir, auquel on substitua parfois des tribuns militaires à pouvoir consulaire à partir de 444, aurait été mis en place. Enfin, l’instauration du consulat classique aurait eu lieu en 36711. De façon similaire, D. Sohlberg propose une reconstruction complexe dans laquelle, après leur expulsion, les rois auraient été remplacés par un collège de trois tribuns, magistrats qui existaient auparavant comme chefs des trois tribus archaïques et commandants militaires. Ces trois tribuns, appelés progressivement préteurs, auraient exercé le pouvoir tout au long du Ve siècle et seraient les fameux tribuns militaires à pouvoir consulaire. Ce collège élisait, en cas de nécessité, un commandant en chef en la personne du dictateur et perdura jusqu’en 367, date à laquelle deux tribuns‑préteurs devinrent magistrats ordinaires prenant le titre de consuls, laissant le troisième comme seul préteur à Rome12. À l’inverse, S. Mazzarino suggère que le passage à la République fût précédé d’une phase proto‑républicaine. Il estime ainsi que Servius Tullius était un simple magister populi, non un roi, en jouant sur l’étymologie possible de l’autre nom de ce roi, Macstarna13. T. J. Cornell, enfin, tout en la critiquant, réutilise certains éléments de la théorie de S. Mazzarino. Il suggère une relégation du roi à ses seules fonctions religieuses à la fin du VIe siècle, aboutissant à la fonction de roi des sacrifices, tandis que le pouvoir effectif serait passé aux mains de chefs charismatiques et tyranniques, tel Servius Tullius. Ce sont ces derniers qui auraient été renversés et remplacés par des consuls lors d’un coup d’état conduit par l’oligarchie romaine à la toute fin du VIe siècle14.
12À l’inverse, les tenants d’un abaissement de la date de 509 interprètent les événements de la première moitié du Ve siècle à la manière de Fr. De Martino, en dépit de fortes différences. Cette période aurait donné lieu à une progressive disparition de la monarchie, remplacée par différents types de magistratures, avant que l’échec cuisant de la tentative décemvirale ne fît place à la République consulaire. C’est le point de vue présenté dans les travaux de Kr. Hanell, E. Gjerstad ou R. Werner15. L’interprétation des listes de magistrats éponymes – et ce n’est guère surprenant – influe donc en profondeur sur les reconstitutions proposées des débuts de l’histoire républicaine et y joue un rôle argumentatif majeur16. Cela peut aller, avec D. Sohlberg, jusqu’à l’effacement pur et simple d’une magistrature en la réinterprétant, celle des tribuns militaires à pouvoir consulaire en l’occurrence.
13De nos jours, la tendance va dans le sens d’un crédit assez fort accordé aux fastes, à l’exception des tous premiers collèges, et les interprétations hypercritiques n’ont plus cours, malgré la récente tentative de F. Mora17. En dépit de leur intérêt historiographique intrinsèque, et de la somme d’érudition déployée, ces démarches n’ont jamais réellement réussi à prouver la supposée falsification des fastes archaïques. Même les travaux de F. Mora peinent à convaincre car ils s’appuient en grande partie sur des schémas chronologiques et diégétiques que cet auteur reconstitue chez Fabius Pictor et Cincius Alimentus. Cette théorie manque cruellement de fondations solides tant il est compliqué d’étayer une thèse à partir de l’idée que l’on se fait des vues profondes d’auteurs dont il ne subsiste que des fragments. Quant à l’hypothèse d’une antériorité des fastes sur le régime républicain, si elle est théoriquement possible et séduisante, elle ne trouve aucun appui dans les sources et n’a pas non plus été démontrée. Il est certain que le consulat mit du temps à trouver sa forme définitive – ce dont témoigne l’appellation initiale de praetor18 – et l’on peut discuter des étapes de cette instauration. L’idée d’une création du consulat dit « classique » seulement en 367 est, à ce titre, plausible19. Il est également possible de lire dans la fin de la période royale et dans l’action de Servius Tullius les prodromes de bouleversements institutionnels plus profonds. Rien ne permet toutefois d’écarter de façon convaincante la chronologie traditionnelle qui reçoit, au contraire, un renfort précieux de l’histoire de Porsenna ou des fouilles archéologiques de la Regia20.
14La disparition du régime monarchique à Rome se fit bien à la fin du VIe siècle21. En revanche, il est certain que le siècle qui suivit fut une phase d’intenses expérimentations politiques, sans qu’il soit pour cela nécessaire de supposer que le changement de régime ne se fût pas encore déroulé. Le croire revient en effet ni plus ni moins à estimer que l’on ne peut parler de République romaine qu’une fois ce système installé dans sa forme canonique, ce qui est contestable. Ce nouveau régime fut en construction permanente avant de trouver sa forme définitive à la fin du IVe siècle et les tribuns de la plèbe jouèrent un rôle décisif dans ces processus. Les fastes demeurent donc une des sources les plus fiables de l’histoire romaine dans la mesure où l’on reste conscient qu’ils purent subir des altérations. Le cas des tribuns de la plèbe s’inscrit dans ce débat sur les débuts de la République romaine, à une différence majeure près, mise en avant par E. Pais : les noms de ces personnages n’étaient pas conservés avec ceux des magistrats officiels dans les tabulae des pontifes22.
Le problème de la fiabilité des fastes : le cas des fastes tribunitiens
L’absence d’enregistrement des noms des tribuns de la plèbe
15Étant « magistrats » de la plèbe, et non du populus, cette absence d’enregistrement était normale, même si elle a de lourdes conséquences quant au crédit que l’on peut accorder aux fastes tribunitiens tels que nous pouvons les reconstituer et quant aux interprétations qu’il est possible d’en tirer. Il semble avoir tôt existé une sorte d’archivage plébéien dans le temple de Cérès, puisque nous savons par Tite‑Live que les consuls L. Valerius Potitus et M. Horatius Barbatus décidèrent, en 449, que l’on y déposerait désormais un exemplaire des décrets du Sénat, à la charge des édiles plébéiens23. Rien ne permet pour autant d’affirmer qu’y furent conservés de façon rigoureuse des fastes tribunitiens et, au contraire, il n’est fait mention nulle part d’une procédure d’enregistrement des noms des titulaires de cette fonction. D’après nos sources, seuls les plébiscites furent entreposés dans ce temple qui abritait la caisse de l’organisation plébéienne24. En outre, la date de création du temple fit l’objet de vives discussions et l’idée que des sénatus‑consultes pussent, dès cette époque, être confiés aux mains des plébéiens ne va pas sans provoquer un certain scepticisme.
16Pour ce qui a trait à la chronologie du temple, la date traditionnelle de dédicace en 493 est préférable, en dépit des efforts pour l’abaisser au milieu du Ve siècle25. Pour ce qui est du dépôt des sénatus‑consultes, mentionnons l’ingénieuse proposition de T. J. Cornell selon laquelle il s’agissait de la simple concession à la plèbe du droit de prendre connaissance des décisions du Sénat et non d’une conservation effective des sénatus‑consultes dans le temple, à la charge des édiles plébéiens. La mesure, plausible, trouverait bien sa place dans le contexte du milieu du Ve siècle et pourrait s’être accompagnée d’une possibilité d’en garder une copie26.
17Rien ne permet dès lors de prouver que la mémoire d’événements liés à la plèbe pût être préservée dans ce temple. Il est en revanche certain qu’il n’y eut jamais de procédure systématique de sauvegarde des noms des tribuns de la plèbe. Tout au plus peut‑on estimer que les noms de ceux ayant été à l’origine de plébiscites étaient conservés en même temps que ceux‑ci, puisque ces derniers ont fait l’objet de mécanismes d’archivage. Ce ne serait pas négligeable quant au crédit à apporter à ce que nous savons des plébiscites avant 287, sans toutefois permettre de penser que les noms des tribuns de la plèbe connurent le même mode d’enregistrement que ceux des magistrats éponymes27.
18Une autre tradition concerne le temple de Junon Moneta, dédié en 344, et dans lequel auraient été déposées certaines archives, dont les livres de lin28. Tite‑Live nous apprend qu’ils auraient été des libri magistratum comprenant, outre les noms des magistrats éponymes, ceux des magistrats inférieurs. On le déduit de la présence en 439, au sein des magistrats ordinaires, de L. Minucius Esquilinus Augurinus, qualifié de façon anachronique par Tite‑Live de praefectus annonae, d’après une information des livres de lin. Si tel était le cas, cette source comporterait des renseignements plus amples que le simple nom des magistrats officiels de l’Vrbs. Malheureusement, nous ne possédons que peu de citations de ces livres de lin. Toutes concernent la période 444‑428 et aucune ne renvoie à des tribuns de la plèbe29. En outre, l’existence des livres de lin fut parfois mise en doute tant leur localisation et leur datation sont incertaines30. Il n’y a en réalité pas de raison valable de récuser leur historicité ou leur localisation et c’est pourquoi il a été suggéré que ce temple pût servir de lieu d’archives31, voire, de lieu d’archives spécifiquement plébéiennes, ce qui en ferait une source possible de renseignements sur les tribuns de la plèbe du début de la République32. Cette dernière hypothèse ne repose toutefois sur aucune donnée concrète. Reconnaître l’existence et l’authenticité des libri lintei ainsi qu’un rôle mémoriel à ce temple est une chose, en déduire que s’y trouvaient des informations significatives sur la plèbe et ses tribuns en est une autre.
19Deux éléments peuvent être invoqués en faveur d’une interprétation du temple de Junon Moneta comme lieu de mémoire romain, voire plébéien. D’une part, la mention de l’épisode de la mise à mort de Sp. Maelius par C. Servilius Ahala en 439, dans lequel la plèbe fut impliquée, fournit un premier argument. D’autre part, l’épiclèse de Junon prend un sens différent chez certains auteurs et pourrait renvoyer à l’idée de mémoire. Cela se lit dans un fragment de l’Odyssée de Livius Andronicus et chez Hygin où Junon est présentée comme la mère des muses. Le latin moneta serait, de la sorte, une traduction du grec Μνημοσύνη33. De même, un passage de Cicéron à propos d’abstractions divinisées insère Moneta au sein d’une liste de qualités n’ayant rien à voir avec la monnaie : Honos, Fides, Mens, Concordia et Spes34. Enfin, une étymologie possible de moneta serait monere (faire souvenir), même si ce point est discuté. Ce temple aurait servi à conserver les traces du passé romain et une hypothèse récente suggère que Junon Moneta fût la divinité tutélaire de la mémoire et du monumentum, c’est‑à‑dire de la mémoire exemplaire et monumentale du passé romain35. Quand bien même ce temple aurait abrité des renseignements anciens, B. W. Frier estime que la rédaction des livres de lin n’a pu débuter avant la dédicace du temple en 344, ce qui signifierait un apport minime pour la période républicaine la plus ancienne. Certes, les maigres informations dont nous disposons sur ces livres révèlent des variantes avec les fastes traditionnels qui témoignent de l’intérêt de ce document. Il n’est également pas impossible qu’un sanctuaire précédât le temple dédié au IVe siècle36. Pour autant, tout en reconnaissant l’intérêt des suggestions reliant ce temple aux problématiques de la mémoire romaine, y voir la source possible de listes de tribuns de la plèbe demeure très hypothétique.
20Il en va de même des représentations figurées. Nous savons que l’histoire de l’Vrbs put faire l’objet de représentations peintes, à Rome même, ou ailleurs, particulièrement dans les temples37. Sans entrer dans le cas de la tombe François38, Denys d’Halicarnasse rapporte que sculpteurs et peintres représentaient toujours M. Valerius Corvus avec un corbeau, en référence à son combat en duel contre un gaulois, en 349, lors duquel cet oiseau lui vint en aide39. De la même façon, Festus mentionne l’existence d’une fresque représentant le triomphe de L. Papirius Cursor, dans le temple de Consus et celui de M. Fulvius Flaccus dans le temple de Vertumnus40. Pensons également aux fresques de la tombe de l’Esquilin ou celles de la tombe dite d’Arieti, dans lesquelles F. Coarelli proposa de lire un triomphe faisant suite à une guerre servile du IIe siècle41. Le même F. Coarelli a supposé que les descriptions des armements samnites chez Tite‑Live ont pu avoir pour sources des représentations figurées provenant de temples comme celui de Quirinus ou de Consus42. D’autres représentations figurées sont connues et incitent à penser qu’elles ne devaient pas être rares43. Toutefois, aucune d’entre celles qui sont attestées ne touchent de près ou de loin à l’histoire des tribuns de la plèbe. S’il n’est pas impossible que des scènes figurées portant sur des événements impliquant les tribuns existassent un jour, nous n’en avons aucune preuve pour le moment.
21Réaffirmons alors que les problèmes d’authenticité évoqués pour les fastes officiels de la République romaine archaïque se retrouvent – de façon amplifiée – dans le cas des tribuns de la plèbe et qu’une partie de ces personnages sont en réalité des forgeries de l’annalistique. La liste de tribuns que nous pouvons reconstruire soulève de lourds problèmes de crédibilité car elle ne provient que de sources textuelles et, contrairement aux fastes consulaires, ne connut jamais d’enregistrement officiel continu. Tout en étant incontestable, cette affirmation ne doit pas conduire à une vision exclusivement pessimiste du problème. Si les noms des tribuns n’ont pas été transmis dans des listes officielles de magistrats romains, doit‑on pour autant penser, à l’instar de F. Mora44, qu’ils furent dans leur grande majorité falsifiés ? La mémoire d’une partie des titulaires de cette fonction n’a‑t‑elle pas pu être préservée ? Plusieurs éléments incitent à le penser, sans tomber dans l’excès inverse.
Des possibilités de transmission
22Premièrement, la vieille idée selon laquelle, en raison de l’invasion gauloise, la documentation antérieure à 387 aurait disparu et que seules les sources postérieures seraient dignes de foi a perdu de sa superbe45. L’importance attribuée à cet incendie est ancienne, ce que démontre un texte de Plutarque46. Toutefois, l’incendie de Rome doit être relativisé car ses conséquences exactes ne sont pas évidentes à percevoir. Un passage du livre cinq de Tite‑Live ne parle ainsi que de quelques incendies et contredit l’image d’une ville ravagée par le feu47. L’archéologie a été incapable d’apporter la moindre preuve de ce désastre tel que le rapporte la tradition. Tout au plus a‑t‑elle mis au jour des destructions circonscrites, à l’image de deux édifices d’habitations découverts récemment dans la zone du forum de César et détruits par les flammes au début du IVe siècle48. Loin d’un cataclysme ravageant l’Vrbs, l’image que l’archéologie reconstruit de l’événement correspond plus à des entreprises de saccages localisés, qui auraient obéi à des volontés de prédation et de pillage ordinaires dans ce type de situation. Une série de bâtiments où se trouvait conservée une documentation essentielle put être épargnée, par exemple la Regia ou le temple de Saturne. De surcroît, nous savons, par l’épisode du plébéien L. Albinius que les Romains prirent soin de protéger certains objets sacrés et les vestales en leur faisant quitter la ville pour des destinations voisines49. Ce témoignage est d’autant plus significatif qu’un fragment de L. Cassius Hemina indique que le temple de Vesta avait été incendié :
Les Gaulois qui n’avaient pu trouver aucun moyen pour escalader la citadelle, restèrent tranquilles, avec l’intention de réduire les assiégés par la faim. C’est alors qu’un prêtre, nommé Dorso, entreprit de descendre du Capitole pour célébrer un sacrifice annuel dans le temple de Vesta, passant posément à travers les rangs des ennemis avec les objets du culte. Lorsqu’il vit que le temple avait été incendié, il offrit le sacrifice à l’emplacement habituel et s’en retourna aussitôt à travers les rangs des ennemis, pleins de respect ou de crainte devant son audace, sa piété ou encore son aspect divin. Ainsi celui qui avait choisi de courir un danger pour le culte divin, fut sauvé par lui. C’est ainsi que les faits se sont passés d’après le Romain Cassius50.
23Le recoupement des deux informations fournirait l’exemple d’un bâtiment détruit, dont les trésors essentiels avaient été mis à l’abri. La difficulté concernant les sacra (emportés à Caere ou demeurés avec Dorso ?) se résout par l’origine différente de ces deux versions et n’empêche pas de constater à chaque fois la mise en sûreté d’objets cultuels. Deux autres traditions existent sur ces sujets : l’une fait état d’objets sacrés enfouis dans des dolia à l’intérieur d’une chapelle voisine de la maison du flamine de Quirinus ; la seconde rapporte que d’autres objets de ce type furent mis en sécurité sur le Capitole, colline épargnée par l’incendie51. Nous pouvons imaginer qu’il en alla de même pour la documentation jugée précieuse52.
24Si la tradition évoque des destructions importantes, ainsi qu’une hâte des prêtres dans leur fuite, elle n’est pas unanime en ce sens53. Ces divergences relèvent moins de contradictions que d’appréciations différentes portées sur l’événement en fonction des époques ou des intérêts propres à chaque source. Elles démontrent qu’il n’existait pas de tradition univoque à propos d’une destruction complète de la documentation antérieure au IVe siècle. A. Delfino a d’ailleurs souligné combien cette même tradition a en réalité varié dans sa présentation de l’incendie gaulois54. Il rejoint les vues d’A. Grandazzi qui a montré que non seulement l’incendie de Rome fut réinterprété par les historiens antiques, mais qu’il est incontestable que l’image du sac de Rome en 1527 a influé sur la vision que les historiens modernes se firent de la prise de l’Vrbs par les Gaulois55. L’ensemble aboutit à une triple relecture de l’événement associant au sac initial, l’image de l’incendie de 64 après J.‑C. et celle des destructions de 1527.
25À l’inverse, G. De Sanctis tenta de faire la part des choses dans une approche pleine de prudence et de justesse. Tout en reconnaissant la perte documentaire, il relativise la portée des destructions ayant accompagné les prédations de 390 et il est aujourd’hui indéniable que la documentation antérieure ne disparut jamais complètement56. Le savant italien livre une autre analyse du texte de Tite‑Live dans laquelle il souligne que l’historien latin dit le contraire de ce que l’on a cherché à lui faire dire : cette documentation antérieure survécut. Comme elle se réduisait à peu de choses, les auteurs plus tardifs exagérèrent la portée des destructions gauloises pour en expliquer la faiblesse quantitative57. Elle pouvait pourtant encore être en partie consultée à la fin de la République puisque des inscriptions anciennes sont citées par nos sources. Denys d’Halicarnasse évoque une stèle de bronze conservant le texte du plebiscitum Icilium de Auentino publicando [41] dans le sanctuaire de Diana Auentinensis, ou encore un bouclier gardé dans le temple de Dius Fidius portant le texte du foedus Gabinum58. Cicéron mentionne la colonne de bronze située derrière les Rostres et ornée du foedus Cassianum59. Le lapis niger fournit l’exemple paradigmatique de la conservation de ces documents. Enfin, Athènes apporte, toujours selon G. De Sanctis, un contre‑exemple parfait. Quoique cette ville subît d’importantes destructions en 480‑479, ses listes de magistrats qui remontaient à des périodes antérieures ne disparurent pas60.
26Dans un deuxième temps, force est de constater que la documentation archaïque s’est partiellement transmise. Les fragments que nous connaissons de Naevius ou d’anciens annalistes manifestent, par leur style, leur connaissance des annales des pontifes61. Une part non négligeable de cette documentation archaïque romaine ayant survécu put être utilisée lorsque l’écriture de l’histoire se développa à Rome à partir de la fin du IVe siècle. Cela ne signifie pas absence de falsification mais, plus simplement, que les premiers historiens romains utilisèrent, pour raconter le passé de leur ville, la documentation dont ils disposaient. Étant donné ce que nous avons vu de la conservation des fastes tribunitiens, la principale question est la suivante : cette documentation ancienne put‑elle conserver des renseignements sur la plèbe et ses tribuns ? C’est possible, comme l’atteste un exemple en 331, lors d’une série d’empoisonnements :
C’est pourquoi, la consultation des annales ayant révélé qu’autrefois, au cours des sécessions de la plèbe, un clou était planté par le dictateur et que ce procédé expiatoire rendait aux esprits égarés par la discorde la maîtrise d’eux‑mêmes, l’on décida de nommer un dictateur pour planter le clou62.
27Ce passage corrobore l’idée que des épisodes concernant la plèbe furent pris en compte par les plus anciennes annales. Des noms de tribuns associés à des événements suffisamment cruciaux pour avoir marqué l’Vrbs auraient pu être transmis par ce biais63.
28Troisièmement, les destructions documentaires évoquées plus haut concernent avant tout la documentation publique. Or il existait des archives et des traditions familiales – plus aisément falsifiables – qui purent être mises à contribution. C’est important car l’histoire, à Rome, naquit en contexte privé et fut, au départ, de nature orale. Les lignages aristocratiques cherchèrent à préserver et à entretenir leur mémoire familiale pour deux raisons : l’unité et la cohérence de la gens reposent sur ses ancêtres dont le souvenir doit être maintenu ; son influence politique est d’autant plus forte qu’elle peut s’appuyer sur une longue histoire servant à la justifier. Le patrimoine familial aristocratique est donc soigné, vanté et cela passe par plusieurs moyens : carmina, elogia ou laudationes prononcés pour les ancêtres (en particulier lors des funérailles)64, fêtes et inscriptions honorifiques65, etc. L’objectif était l’étalage du souvenir et de la mémoire pour glorifier la lignée. Il permettait néanmoins de conserver nombre d’informations66. S. Mazzarino a montré, à côté de l’apport pontifical, le poids considérable des grandes familles dans la genèse de l’historiographie romaine, en raison de cette concurrence des mémoires67. Si l’on estime que la plèbe se dota de sa propre organisation, comment ne pas imaginer qu’elle cultiva sa propre mémoire ? Comme la naissance de l’histoire à Rome se fit à la fin du IVe siècle, à l’époque de l’essor de la nouvelle noblesse patricio‑plébéienne, certaines lignées plébéiennes parvenues au premier plan durent s’intéresser à ces problématiques historiques et l’effet de telles pratiques ne peut avoir été uniquement de l’ordre de la falsification68.
29Le degré de modification des informations transmises n’en demeure pas moins un réel problème. G. De Sanctis présente, ici encore, une approche convaincante. Ayant relativisé les destructions provoquées par l’incendie gaulois, il souligne les incohérences présentes dans les fastes et dans les listes de magistrats archaïques, concluant que les pratiques de falsification sont incontestables. Pour autant, selon lui, truquer des listes comme celles des fastes consulaires était loin d’être aussi évident qu’il n’y paraît. Certes, il n’est pas impossible de se livrer à ce type d’opérations. Nos sources l’évoquent et les Genucii le firent avec les Genucii Augurini69. Toutefois, insérer de façon frauduleuse son nom dans les listes consulaires du Ve siècle était une opération symboliquement très lourde puisqu’elle vous intégrait au patriciat et vous rangeait souvent, pour cette époque, dans le camp des ennemis de la plèbe70.
30S’il n’en va pas de même pour les listes de tribuns, une telle opération devait cependant être sanctionnée et acceptée par le reste de la collectivité, notamment par ceux qui avaient eu un ancêtre tribun. C’est encore plus vrai des lignées qui tentaient d’insérer fictivement leur nom parmi les collèges tribunitiens importants. De telles prétentions ne pouvaient s’affirmer sans résistances et furent sans doute délicates à mettre en œuvre à grande échelle. Il est vraisemblable d’imaginer que les historiens antiques brodèrent le plus souvent sur un substrat authentique. Dans ce cas c’est moins l’événement narré en lui‑même que la narration et les détails qui doivent être l’objet d’une grande méfiance71.
31Un autre élément du débat sur la fiabilité des fastes officiels de la République fut le rôle éventuel joué par Cn. Flavius dans leur première publication et, surtout, un certain nombre de correspondances entre les noms des membres de la nobilitas de la fin du IVe siècle et les noms présents dans les fastes du début du Ve siècle. L’idée que Cn. Flavius ait publié des fastes au sens de listes de magistrats est discutée et il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un calendrier72. En revanche, les correspondances de noms forment un argument de poids73. Comparer les noms transmis pour le Ve siècle et pour la fin du IVe siècle (période de réalisation supposée de ces falsifications) est révélateur puisque les lignées tribunitiennes ayant occupé cette charge à la fois au Ve siècle et dans la seconde moitié du IVe siècle sont en réalité peu nombreuses :
Lignées ayant compté des tribuns au Ve siècle et après 367.
Lignées | Tribuns du Ve siècle | Tribuns postérieurs à 367 |
Antistii | Ti. Antistius (422) | M. Antistius (319) |
A. Antistius (420) | ||
Decii | M. Decius (491) | M. Decius (311) |
L. Decius (415) | ||
Duilii | M. Duilius (470 et 449) | M. Duilius (357) |
Genucii | T. Genucius (476) | L. Genucius (342) |
Cn. Genucius (473) | ||
Maelii | Sp. Maelius (436) | Q. Maelius (320) |
Menenii | M. Menenius (410) | L. Menenius (357) |
M. Menenius (384) | ||
Poetelii | Poetelius (442 et 441) | C. Poetelius (358) |
Pomponii | M. Pomponius (449) | M. Pomponius (362) |
Q. Pomponius (395 et 394) |
32L’examen révèle un nombre de correspondances qui, sans être négligeable, est plutôt mince et la comparaison est encore plus cruelle si on ne prend en compte, pour le Ve siècle, que les années 493‑449. Cela affaiblit l’idée que les premiers annalistes se seraient livrés à des reconstructions massives pour honorer les membres d’importantes familles de leur temps. Lorsqu’elles existent, les falsifications portent toujours sur des cas précis, à l’exemple de Q. Caecilius, tribun fictif de 43974.
33Il faut enfin souligner ce fait paradoxal que nous possédons plus d’informations sur les tribuns de la plèbe pour le Ve que pour le IVe siècle. S’il est toujours loisible de l’expliquer par des événements mobilisant plus les annalistes, ou se prêtant mieux à leurs reconstructions et à la logique de leurs récits, il s’agit là d’une pétition de principe. La perte de Denys d’Halicarnasse après 440 se fait ici ressentir car il utilisa des sources différentes de celles de Tite‑Live. Il aurait été intéressant de pouvoir les confronter afin d’observer si, là aussi, le nombre de renseignements sur les tribuns diminue à partir de la fin du Ve siècle.
34Indéniablement, les fastes tribunitiens tels que nous pouvons les reconstruire sont donc sujets à caution puisqu’ils furent reconstitués tardivement, sans le support d’une quelconque liste officielle antérieure. Ils reposent toutefois sur de modestes bases historiques et sont, de toutes les façons, notre seule documentation même si ce dernier point ne saurait constituer un argument en soi. Toute la complexité de l’appréciation des fastes réside dans cette tension permanente entre reconstructions et base documentaire exacte, qui impose la mise sur pied d’une méthode permettant le dépassement évoqué en son temps par A. Momigliano75. Une bonne part du travail prosopographique a consisté en une tentative de séparation du bon grain de l’ivraie, c’est‑à‑dire entre tribuns certains, probables et inventés. On se reportera à la prosopographie en ligne, dans laquelle l’ensemble de la documentation a été examinée du regard le plus neutre possible, pour le détail de chaque démonstration. J’ai repris l’étude de tous les tribuns ou édiles mentionnés, réunissant tout ce qu’il est possible de savoir d’eux. Il convient cependant, avant de proposer une synthèse de cette prosopographie, de détailler certains aspects controversés liés en particulier aux origines du tribunat, afin de clarifier ma position concernant les collèges tribunitiens antérieurs au décemvirat législatif.
Le premier collège tribunitien et la création du tribunat de la plèbe
35Si la chronologie des cinquante premières années de la République est controversée, il en va de même de la date d’instauration du tribunat de la plèbe car : « Das Jahr der ersten Einsetzung der Tribunen bleibt im Rahmen der Zweifel an der gesamten Chronologie der römischen Frühzeit umstritten76. »
La date du premier collège tribunitien
Des arguments en défaveur de la date traditionnelle
36La date traditionnelle de 493, faisant suite à la première sécession de la plèbe en 494, a été discutée et sa validité a parfois été niée en invoquant plusieurs raisons, à commencer par la répétition des sécessions. On en compte traditionnellement trois : en 494, en 449 puis en 287. Certaines sources en dénombrent toutefois plus, ou moins. Dans la Guerre de Jugurtha, Salluste retranscrit un discours du tribun C. Memmius (prononcé durant son tribunat en 111) où il n’est fait référence qu’à deux sécessions de la plèbe, sans préciser lesquelles. Il s’agit sans doute de celles de 494 et de 449, sans qu’aucune certitude soit possible77. De même, L. Ampelius et Florus en exposent quatre. Les deux premières sont, sans surprise, celles de 494 et 449. Ils y ajoutent ensuite, de façon inattendue, une sécession en 445 provoquée par les disputes à propos des mariages mixtes et du plébiscite de C. Canuleius [58], puis une dernière en 367 au moment de l’adoption des plébiscites licinio‑sextiens [98, 99, 100, 101]. Ni l’un ni l’autre n’évoquent celle de 28778. De façon paradoxale, en raison de la perte de la deuxième décade de Tite‑Live, cette dernière est la moins connue alors qu’elle serait potentiellement celle sur laquelle nos renseignements pourraient être les plus nombreux. Toujours est‑il qu’il n’est pas certain qu’une tradition canonique de trois sécessions fût fixée dès l’Antiquité. Il y a là un élément fluctuant qui plaide en défaveur de l’authenticité de ces sécessions, même si celles qui sont le plus souvent mentionnées dans les sources sont celles de 494 et de 449. G. De Sanctis en recense d’ailleurs cinq : 494, 449, 445, 342 et 287, ne parlant pas de sécession pour 367, et reconnaissant que celle de 342 est disputée79. Cette répétition put aussi être interprétée comme le signe de reconstructions historiographiques. C’est très net pour les événements de 494 qui n’auraient été alors qu’une rétroprojection de ceux de 449, voire une pure et simple invention80.
37Dans un deuxième temps, le rôle joué en 494 par Agrippa Menenius ainsi que sa personne ont influé sur l’historiographie. Une série d’études voulut démontrer que les récits consacrés à ce personnage n’étaient que des créations annalistiques tardives, inspirées de motifs littéraires et philosophiques grecs conduisant à douter de son historicité. Le fameux apologue d’Agrippa Menenius81, avec la vision organiciste du corps social romain qui le sous‑tend, sont au centre de la controverse tant il est vrai que l’inspiration philosophique grecque est ici évidente82. L’anhistoricité de ces événements conduirait à révoquer en doute l’intégralité de la sécession de 494 qui ne serait qu’une recomposition à partir de celle de 449.
38Viennent ensuite les réflexions de portée générale à propos de la chronologie des premières années de la République. Si l’on abaisse la date du début de la République à 470 ou à 449, la conséquence logique en est le refus d’une création du tribunat de la plèbe en 494 et son déplacement à 470 ou à 449. De ce point de vue, les contradictions des différents récits annalistiques servent d’argument, notamment l’absence de localisation exacte de la retraite ainsi que l’hésitation entre l’Aventin et le Mont Sacré. Cette dernière dénomination fut parfois lue comme une invention étiologique en rapport avec la « loi sacrée » de création du tribunat de la plèbe [16]. Parallèlement, une tradition antique attestée chez Varron, et peut‑être chez Polybe, pourrait avoir daté la création du tribunat de la plèbe en 449 et non en 49383. Dans ce cadre, il est vrai que les informations livrées sur la restauration de cette fonction en 449, dont le rôle joué alors par le grand pontife dans l’élection des dix nouveaux tribuns de la plèbe, pouvaient paraître plus une création qu’une simple réinstallation84. Enfin, et c’est l’élément majeur de la controverse, un texte de Diodore de Sicile occupe une place centrale dans la constitution de l’historiographie moderne sur cette question. Ce texte, ambigu, pourrait indiquer que les tribuns furent créés pour la première fois en 47085.
39Sur cette base, les modernes proposèrent plusieurs solutions alternatives quant à la date de la création du tribunat de la plèbe. La première – majoritaire – est celle des partisans d’une création en 471, suivant l’interprétation qui est alors donnée du témoignage de Diodore de Sicile86. Une deuxième proposition est celle d’une création progressive de la fonction tribunitienne. Dans la lignée de la théorie d’une constitution par degrés du système républicain durant la première moitié du Ve siècle, cette solution avancée par G. De Sanctis dénie son importance à la date de 494 et estime que le tribunat de la plèbe connut un développement graduel durant cette période, avant de se voir reconnaître une existence formelle au milieu du Ve siècle87. Une troisième solution, originale et minoritaire, est celle d’A. Alföldi. Il intègre en effet la sécession de la plèbe à sa relecture de l’histoire du Ve siècle à Rome. D’après lui, la sécession de la plèbe ne put avoir lieu avant que les plébéiens se fussent emparés de l’Aventin. Comme cette prise de possession ne se produisit que quelques années avant le milieu du Ve siècle, il en vient à suggérer la date de 456. Cette date est celle que la tradition attribue au plébiscite de lotissement de l’Aventin [41] et A. Alföldi établit un lien entre lotissement de l’Aventin et sécession de la plèbe88. Quoique sa conclusion soit proche de celle de G. De Sanctis, il n’interprète donc pas la création du tribunat de la même manière et il lui donne une date précise. Enfin, S. Mazzarino opte pour une création du tribunat en 449, à partir de sa lecture du témoignage de Varron89. Dans ce contexte intellectuel général, les incertitudes évoquées à propos des fastes prennent toute leur importance et servent de point d’appui supplémentaire aux interprétations critiques.
494‑493 : une date conventionnelle mais crédible
40Ces théories sont loin de faire l’unanimité et, à la suite d’un certain nombre d’auteurs, conserver la date traditionnelle me paraît préférable90. Plusieurs facteurs plaident en ce sens. Tout d’abord, à partir du moment où, comme nous l’avons vu, il convient de conserver la datation traditionnelle pour le passage de la monarchie à la République, rien ne s’oppose à une création du tribunat de la plèbe à la fin des années 490. Les témoignages des sources s’accordent d’ailleurs tous sur une origine très ancienne du tribunat de la plèbe, à l’exception de cette éventuelle tradition minoritaire signalée plus haut chez Varron et, peut‑être, Polybe. Denys d’Halicarnasse place l’événement sous le consulat de Postumus Cominius et de Sp. Cassius, pour lequel il donne comme équivalence la 72e olympiade, année où Tisicrates de Crotone s’imposa sur la course de courte distance, Diognète étant archonte à Athènes. Cela équivaut à 49191. Tite‑Live évoque les mêmes consuls qui, dans son système de datation, furent en fonction en 49392. Plutarque et Dion Cassius ne donnent pas de datation directe tout en faisant état de la dictature de M’. Valerius, ce qui fournit une date concordante puisque nous la situons en 49493. Par ailleurs, une série d’autres sources évoque une date comprise entre 16 et 17 ans après la chute de la royauté : Cicéron, Asconius et Eutrope, une période de 16 ans après le départ des rois94 ; Sextus Pomponius et Jean le Lydien, une période de 17 ans95. Ailleurs, Cicéron se contente d’une datation plus vague après l’expulsion des Tarquins ou quelques années après la chute des rois96. Enfin, Salluste, dans un assez long fragment des Histoires, fournit une ébauche indirecte de chronologie. Il y signale qu’après l’expulsion des rois, la concorde ne se maintint à Rome que tant que l’on craignît le retour de Tarquin et une guerre contre l’étrurie. Cette peur disparue, la discorde éclata et provoqua la première sécession de la plèbe97. Aussi vague que soit ce texte, on peut estimer que le moment où la peur de Tarquin s’évanouit correspond à sa mort en 495. À ce moment, en effet, les craintes d’une tentative de retour des Tarquins s’évanouirent, de même que celles d’une intervention militaire étrusque imminente.
41Toutes ces sources indiquent une création du tribunat de peu postérieure au passage à la République et ce que l’on peut reconstituer des fastes tribunitiens abonde en ce sens. En outre, si l’on estime cette date fictive et liée à une volonté de rapprocher la création du tribunat de celle des consuls, il aurait été aussi simple pour ces annalistes falsificateurs de la placer en même temps. Certes, 493 est peut‑être une simple reconstruction annalistique, ou plus exactement, suivant l’hypothèse de G. Forsythe, une convention chronologique. Dans ce cas, tout en doutant de l’année précise, on ne peut éluder le fait que les sources situent toutes cette création dans les premières années suivant l’instauration du nouveau régime.
42Revenons alors sur le rapprochement entre la création du tribunat et la dédicace du temple de Cérès. La date traditionnelle de dédicace de ce temple – 493 – fit l’objet de discussions98. Les arguments en faveur de la date de 493 sont plus déterminants, même si l’absence de fouilles archéologiques rend toute affirmation en ce domaine soumise à confirmation ou à infirmation d’éventuelles découvertes ultérieures. L’argument récurrent selon lequel le rapprochement entre création du tribunat et consécration du temple ne serait qu’un doublet de la concomitance entre la création du consulat et la dédicace du temple de Jupiter peine à convaincre. Si l’annalistique avait réellement cherché à donner par ce moyen un lustre supplémentaire au tribunat de la plèbe, pourquoi ne pas avoir placé sa création directement en 509 plutôt qu’à cette date curieuse ? Par ailleurs, les dédicaces de temples comptent parmi les renseignements qui avaient le plus de chance d’être conservés dans les anciennes annales, tout particulièrement dans celles des pontifes99. C’est pourquoi il convient de maintenir la date de 493 pour cette dédicace. Reste le problème du rapprochement avec la plèbe.
43Ce rapprochement pourrait être un artifice littéraire à partir d’une situation plus tardive, ou refléter un lien ancien entre la plèbe et la triade aventine. Si Tite‑Live ne nous apprend rien à ce sujet, Denys d’Halicarnasse fournit de précieuses indications. À le lire, l’origine du temple tiendrait dans un problème de ravitaillement de l’armée qui poussa le dictateur A. Postumius à ordonner la consultation des livres sibyllins. Les prêtres en charge de ces derniers expliquèrent qu’il fallait choyer les divinités Cérès, Liber et Libera et le dictateur fit vœu de leur dédier un temple100. Le temple fut plus tard dédié par Sp. Cassius, un personnage lié à la plèbe101. En outre, étant devenue une communauté politique par la sécession, la plèbe pouvait avoir ses dieux. Le dernier élément réside dans la consécration à Cérès dans le cas d’une atteinte aux tribuns de la plèbe.
44L’ensemble signale une origine ancienne du rapport entre la plèbe et ces divinités agraires. Pour autant, M. Sordi et O. de Cazanove ont montré que ce temple, dont ils acceptent la création en 493, fut bien un projet politique du dictateur A. Postumius, également lié à l’action de Sp. Cassius, et non une fondation plébéienne102. M. Sordi mit en avant le lien entre ce sanctuaire, l’Aventin et le plébiscite de 456 [41] pour expliquer le choix d’en faire un lieu plébéien103. O. de Cazanove, de son côté, souligna que, jusqu’aux lois Valeriae Horatiae de 449 [49, 50, 51], Cérès apparaît seule dans les sources, sans la mention de Liber et Libera, ce qui serait l’indice d’une formation progressive de la triade aventine. Enfin, les reconstitutions probables de la « loi sacrée » montrent qu’elle ne précisait pas, au départ, la divinité à laquelle était consacrée la personne devenue sacer104.
45Le temple n’en souleva pas moins très vite l’intérêt des plébéiens parce que sa dimension agraire, en contexte d’accaparement de terres par les patriciens, ne pouvait les laisser insensibles. En outre, la récupération politique des divinités capitolines par le patriciat conduisit les plébéiens à se tourner vers le culte de Cérès au moment même où, influencée par la Déméter grecque, la Cérès latine prit une dimension politique et législatrice105. De la sorte, s’il faut reconnaître que ce temple ne fut pas celui d’une divinité plébéienne dès sa fondation, les plébéiens s’en emparèrent durant la première moitié du Ve siècle et, en 449 au plus tard, l’assimilation était accomplie, ce qu’illustre la tradition sur le dépôt des sénatus‑consultes106.
46Ainsi, la tradition qui rapproche la fondation du temple de la sécession de la plèbe ne prouve pas que le temple fut fondé en raison de la sécession. Cet élément chronologique fut sans nul doute ajouté a posteriori, en raison de la valeur plébéienne prise par cette divinité, qui pouvait rendre la concomitance remarquable. Si, donc, l’idée que la fondation de ce temple puisse fournir un ancrage chronologique validant une sécession en 494/493 doit être abandonnée, en revanche, l’appropriation progressive de Cérès, Liber et Libera par la plèbe durant la première moitié du Ve siècle ne constitue en rien un contre‑argument et, au contraire, ces éléments vont dans le sens d’une date antérieure de création du tribunat de la plèbe, qui a toutes les chances de se situer autour de 493.
47Pour ce qui concerne Agrippa Menenius, les démonstrations d’E. Meyer et de W. Nestle furent réfutées par un certain nombre d’auteurs qui ont montré qu’en dépit de réécritures, il y a là une tradition ancienne qui ne trouve pas uniquement ses origines dans des conceptions philosophiques grecques. Au contraire, le discours de Menenius témoignerait d’une vision du corps social qui aurait quelques résonnances avec la sécession. Le déclin politique précoce des Menenii rend également difficile le recours à l’hypothèse de l’interpolation et constitue un argument de poids en faveur de son rôle de médiateur dans la crise de 494. Même si cette histoire fut retravaillée par la suite, elle repose sur un fond solide et la disparition politique de la famille d’Agrippa Menenius pourrait être interprétée comme le fruit d’une volonté patricienne de les écarter du pouvoir, ce qui plaiderait pour son historicité107.
48Enfin, la tradition extrêmement bien attestée sur le plébiscite de Volero Publilius en 471 [29] constitue un élément décisif en faveur d’une existence du tribunat de la plèbe avant 449 et, suivant l’interprétation que l’on donne au témoignage de Diodore de Sicile, avant 471.
Le problème du témoignage de Diodore de Sicile
49Le témoignage de Diodore de Sicile constitue un point nodal de la controverse108. Difficile d’interprétation, ce passage dont la brièveté renforce le caractère sibyllin stipule :
Ἅμα δὲ τούτοις πραττομένοις ἐν τῇ Ῥώμῃ τότε πρώτως κατεστάθησαν δήμαρχοι τέτταρες, Γάιος Σικίνιος καὶ Λεύκιος Νεμετώριος, πρὸς δὲ τούτοις Μάρκος Δουίλλιος καὶ Σπόριος Ἀκίλιος.
50La difficulté vient de ce que Diodore semble rapporter à l’année 466/465 (c’est‑à‑dire 471/470 selon le comput varronien) l’apparition des premiers tribuns de la plèbe. Le problème majeur concerne la traduction et l’interprétation de ce texte. À quoi se rapporte πρώτως et porte‑t‑il plutôt sur τέτταρες ou plutôt sur κατεστάθησαν ? En fonction du choix, la phrase signifie qu’en 471, les tribuns de la plèbe furent pour la première fois institués et qu’ils étaient au nombre de quatre ; ou bien que pour la première fois leur nombre fut de quatre, mais que le tribunat existait auparavant.
51La grammaire ne peut apporter ici de critère objectif pour choisir. Toutefois, la place de τέτταρες dans la phrase, et le nombre important de témoignages en faveur d’une sécession qui se serait tenue en 494, incitent à interpréter le texte dans le sens d’une augmentation du nombre de tribuns. L’ordre des mots rend aussi plus probable que la nouveauté résidât dans l’augmentation du nombre des titulaires de la fonction et non dans l’instauration du tribunat109. De plus, le recours à l’expression πρὸς δὲ τούτοις va dans le sens de l’ajout de deux tribuns à ceux existant110. Si l’on y additionne la comparaison avec le témoignage de Tite‑Live, l’idée d’une création du tribunat à cette date devient insoutenable111.
52Cette phrase de Diodore de Sicile connut une grande fortune historiographique et H. Siber en proposa une interprétation différente. Selon lui, les mots πρὸς δὲ τούτοις signalent une coupure importante entre les deux groupes de tribuns, qui opérerait une forte distinction entre eux. Il en déduit que Diodore de Sicile fait référence à tous les magistrats plébéiens élus par tribu : les deux tribuns et les deux édiles112. Cette lecture n’est pas convaincante car elle surinterprète le texte et il faut lui préférer la signification adoptée pour l’expression πρὸς δὲ τούτοις qui, en outre, pourrait être d’ordre stylistique113. La nouveauté dont il est question dans ce texte consisterait ainsi en une première augmentation du nombre des tribuns de la plèbe, consécutive à d’importantes modifications intervenues dans son mode d’élection. Enfin, il n’est pas certain que le témoignage de Diodore de Sicile soit, comme l’a souvent pensé une certaine mode historiographique, d’une valeur très supérieure aux autres sources114. Bien que d’importance, son apport ne doit pas être surévalué. Je propose donc la traduction suivante de ce passage :
En même temps que ces choses‑là s’accomplissaient, à Rome, pour la première fois, quatre tribuns de la plèbe furent institués, Gaius Sicinius et Lucius Nemetorius et, outre ceux‑là, Marcus Duilius et Spurius Acilius.
53Rien n’indique qu’il s’agisse d’une création du tribunat de la plèbe et cette idée doit être définitivement écartée. En dépit de tous les scepticismes, aucune raison objective ne permet de douter de la création du tribunat à une date ancienne. Nous avons même vu, plus haut, qu’un passage de Tite‑Live semble indiquer que le souvenir de la sécession put être conservé dans les annales des pontifes en rapport avec la pratique apotropaïque de la clavifixion. L’on peut douter de la valeur de la date exacte de 493 en raison du rapprochement avec la fondation du temple de Cérès ou en raison du synchronisme relevé par E. Pais avec l’histoire du gouvernement populaire à Syracuse115. Toutefois, si la précision de la date est sujette à caution, la période à laquelle elle renvoie est indubitablement la bonne.
Varron et la secessio Crustumerina
54Un ultime élément, plus fragile et plus complexe, peut servir d’argument : la date de création de la tribu Clustumina, en rapport avec une hypothétique secessio Crustumerina. Un témoignage de Varron déjà évoqué joue ici un rôle déterminant :
Les tribuns de la plèbe [sont nommés ainsi] parce que c’est parmi des tribuns militaires que furent choisis les premiers tribuns de la plèbe créés, pendant la sécession de Crustumerium, pour défendre la plèbe116.
55Cette mention d’une secessio Crustumerina a ceci d’intéressant qu’il existe une tribu romaine qui porte le nom très proche de Clustumina. Le texte de Varron, précieux, est délicat d’interprétation. Signifie‑t‑il que la première sécession eut lieu sur ce territoire ? Ou bien qu’il faut mettre en rapport la création de cette tribu avec la sécession et cette localité ? Devons‑nous, à l’inverse, suivre l’hypothèse de S. Mazzarino selon laquelle ce passage conserve une tradition faisant remonter la naissance du tribunat à 449 ? à première vue, seuls deux éléments sont certains : d’une part, Varron établit une corrélation entre tribunat militaire et origine du tribunat de la plèbe, et, d’autre part, il rapproche la première sécession de la plèbe d’une révolte impliquant l’armée romaine sur le territoire de Crustumerium. Or ce nom renvoie à un territoire et à une ville dont l’histoire et la fondation font l’objet de traditions contradictoires.
56Servius, s’appuyant sur l’autorité de L. Cassius Hemina, attribue l’origine de cette ville à des Sicules qui l’auraient baptisée Clytemnestre, nom devenu Crustumerium par déformation117. À l’inverse, Diodore de Sicile, Denys d’Halicarnasse et l’Origo gentis Romanae en font une fondation albaine118. Plutarque, enfin, lui donne une origine sabine119. C’était en tous les cas une localité qui passait pour ancienne, puisque Virgile la range parmi les villes du Latium constituant les Prisci Latini120. Tout le problème est de dater l’incorporation de ce territoire à l’ager Romanus. Tite‑Live apporte quelques renseignements à ce sujet. Les habitants de cette ville sont mentionnés dès l’épisode de l’enlèvement des Sabines, car ils faisaient partie des populations venues assister aux jeux organisés par les Romains et entrèrent en conflit avec Rome. Les Romains, vainqueurs, auraient envoyé des colons sur place. Dans le même temps, des habitants de Crustumerium seraient venus s’installer dans l’Vrbs121. Denys d’Halicarnasse et Plutarque évoquent les mêmes épisodes, Denys affirmant plus nettement que la ville devint une colonie122. Ce dernier affirme aussi que quelques années après, lors d’une famine, Rome reçut le soutien de Crustumerium123. Par la suite, toujours selon Denys d’Halicarnasse et Tite‑Live, la ville aurait intégré la ligue latine124 et se serait opposée, avec d’autres cités, à Tarquin l’Ancien. Elle aurait été une fois de plus vaincue. Denys ajoute qu’elle aurait alors reçu un renfort de colons romains comme garnison125. Cependant, la notice la plus importante demeure celle, sibylline, que Tite‑Live fournit pour l’année 500‑499. À la lire, Crustumerium aurait été conquise à cette date pour la troisième fois, par les consuls T. Æbutius et C. Veturius126. Cette notice, qui ne fait nulle référence aux supposées conquêtes antérieures est la plus crédible et permet d’estimer que le site intégra les possessions romaines au début du Ve siècle127.
57La tradition retient ainsi trois conquêtes. La première sous Romulus, après l’épisode de l’enlèvement des Sabines, s’acheva par l’envoi d’une colonie ; la deuxième sous le règne de Tarquin l’Ancien qui aurait soumis toute la nation latine ; enfin, la ville aurait été conquise une troisième fois au début de la République. Seule la troisième a des chances d’être historique. Nous apprenons aussi que Crustumerium conservait une garnison romaine vers 494128, que ce territoire fut ravagé par les Sabins en 469129 et que l’armée romaine y établit un camp en 449130. Une ultime mention du lieu prend place lors de la bataille de l’Allia qui se serait tenue sur ce territoire, au onzième mille de la uia Salaria, Tite‑Live indiquant que le fleuve descend des Crustumini montes131. Tite‑Live parle aussi de Crustumini campi comme appartenant au territoire romain en 468 et de même, en 449, situe ce territoire à l’intérieur de celui des Romains132. Ces éléments permettent de revenir sur la localisation de ce toponyme, situé dans la zone de l’Allia. Pline l’Ancien mentionne un ager Crustuminus et ses indications pointent en direction d’une ville ancienne du Latium, située au‑delà du Tibre, en face du territoire de Véies, au nord de Fidènes et au sud d’Eretum133. Varron fournit des indications déterminantes pour la localisation134. Ce lieu est aujourd’hui situé sur des collines de la Marcigliana Vecchia135, dans une zone correspondant à peu près aux indications antiques.
58À propos de la Clustumina, et sans entrer dans le problème de la chronologie de la création des tribus136, rappelons que le seul témoignage utilisable, celui de Tite‑Live, assure qu’il existait vingt‑et‑une tribus en 495137. Entre la création des quatre tribus urbaines attribuées à Servius Tullius et celle de quatre tribus rustiques en 387, nous ne savons rien de la genèse des tribus rustiques qui composent les vingt‑et‑une tribus mentionnées par Tite‑Live en 495. Un des éléments souvent mis en avant est que la Claudia et la Clustumina furent parmi les dernières créées. En anticipant sur la démonstration, disons ici que le témoignage de Tite‑Live est le plus consistant. Il est cohérent avec l’histoire du Ve siècle qui rend difficile de supposer la création de tribus avant la victoire contre Véies. L’hypothèse d’un premier groupe de vingt‑et‑une tribus en place vers 495, comprenant la Clustumina, est la plus logique138. Pour autant, la date de création de cette tribu est disputée et M. Rieger reprit, il y a peu, les éléments d’une controverse que l’on peut résumer ainsi. Les historiens qui abaissent les dates de fondation des tribus plaident pour une création tardive de cette tribu. Ils pensent que Rome ne posséda ce territoire qu’après la prise de Fidènes en 426 et que la tribu ne put être fondée auparavant139. Une variante de cette datation tardive veut qu’elle ne put avoir lieu qu’en 438, après le soulèvement de Fidènes140, tandis que pour certains, les tribus rustiques précédèrent même les tribus urbaines qui ne furent créées qu’en 471141. Ces exemples témoignent de la place à part occupée par la Clustumina (et par la Claudia) au sein des vingt‑et‑une premières tribus142. Th. Mommsen, déjà, isolait la fondation de la Clustumina de celle des seize autres tribus rustiques et l’associait à des considérations de politique intérieure143.
59Il convient, d’une part, de refuser les propositions de datation tardive144 et, d’autre part, de rendre sa singularité à cette tribu, qui se détache des autres tribus rustiques archaïques. Contre la datation tardive, les éléments suivants peuvent être mis en avant : une conquête de Crustumerium n’impose nullement une conquête préalable de Fidènes, sauf à supposer que le territoire romain à cette époque dût nécessairement être continu ; la Clustumina a été probablement fondée peu de temps après la conquête de Crustumerium en 499 ; les éléments archéologiques vont dans le sens d’une annexion au territoire romain à cette époque et donc d’une création de la tribu peu avant 495145.
60C’est alors qu’intervient le texte de Varron qui met Crustumerium au centre d’une sécession. Si la conquête de ce territoire eut bien lieu au début du Ve siècle, et si la formation de la tribu Clustumina suivit de peu cette annexion, la notice de Varron entre en résonance avec la première sécession de la plèbe. L’hypothèse n’est pas nouvelle puisqu’on la trouve chez Th. Mommsen146. Elle fut cependant critiquée, en particulier par S. Mazzarino qui rapproche cette secessio Crustumerina de la sécession de 449 sur la base d’une comparaison avec le témoignage de Tite‑Live147. Cette suggestion, qui lui permet d’indiquer que Varron s’inspirerait d’une tradition faisant remonter la naissance du tribunat à la deuxième sécession, n’est pas convaincante. Les mots in secessione Crustumerina ne désignent pas forcément les événements de 449, en dépit du rapprochement opéré avec Tite‑Live. En effet, pour cette date, ce dernier n’évoque pas Crustumerium, mais une zone comprise entre Crustumerium et Fidènes et dans laquelle il s’agissait simplement de la fuite d’une armée en déroute devant les Sabins, non d’une sécession148. Plus loin, il précise que cette armée se trouvait même à Fidènes, ville qu’elle quitta pour se retrancher en Sabine149. Si cette armée entra en sécession par la suite, ce fut après la mort de L. Sicinius Dentatus et après celle de Virginie. Il faut respecter ici la logique diégétique de Tite‑Live : au moment où cette armée se souleva, elle était in Sabino agro, d’où elle s’ébranla pour rejoindre l’Aventin, non à Crustumerium150. C’est pourquoi le rapprochement avec la prise de Crustumerium en 499 et la création de la tribu Clustumina me semble plus fécond.
61Le témoignage de Varron est donc d’importance car il atteste des motifs politiques ayant présidé à la création de cette tribu. Si son texte ne fournit pas de date explicite, il indique qu’il faut associer cet événement à la création des tribuns de la plèbe. La création de la Clustumina aurait ainsi précédé de peu la sécession de 494. Ce territoire récemment conquis, où campaient des troupes armées, pouvait se révéler propice à l’événement. Par ailleurs, le voisinage de la tribu Claudia et de la Clustumina suggère, selon M. Rieger, une occupation plébéienne d’une portion du territoire de cette tribu. Dans son esprit, l’importante distribution de terres à la gens Claudia et à ses clients provoqua l’indignation de plébéiens sans terre et participa de la colère ambiante, justifiant la sécession. En revanche, son idée selon laquelle la garnison romaine placée sur ce territoire de Crustumerium en 494 pourrait avoir servi non à le protéger des Sabins mais à surveiller la distribution de terres manque d’arguments151.
62Il y a là un ultime facteur en faveur de la datation traditionnelle d’une sécession autour de 494‑493. L’hypothèse un peu différente d’O. Hirschfeld selon laquelle la Clustumina aurait été ajoutée en 494 suite à une distribution de terres faite à la plèbe en sécession ne contredit en rien cette déduction et rend sans doute mieux compte de la création de cette tribu que celle de M. Rieger152. Dès lors, concluons avec Mommsen : « à mon avis, il n’y a pas à douter du fait des trois sécessions, bien que ce qui est raconté de la première remonte difficilement à des documents contemporains153. » Et puisque la première sécession date bien du tout début du Ve siècle, il convient de conserver les collèges tribunitiens attestés pour cette époque, collèges dans lesquels certains lignages – tels les Icilii, Licinii et Sicinii – jouèrent un rôle de premier plan. Reste l’interrogation quant au nombre de tribuns créés en 493.
Le nombre des tribuns de la plèbe
Deux, trois ou cinq tribuns ?
63Partir du premier collège tribunitien s’avère indispensable car le nombre de tribuns qui le composent ainsi que leurs noms soulèvent des difficultés. Un commentaire d’Asconius à un discours perdu de Cicéron exprime l’état de confusion de la tradition :
J’incline à penser qu’il s’agit ici d’une erreur des copistes plutôt que d’une terminologie erronée de Cicéron. Car, à l’époque dont il parle, seize ans après l’expulsion des rois, la plèbe n’a pas restauré des lois sanctionnées religieusement – car il n’y avait jamais eu de tribuns de la plèbe – mais les a pour la première fois instituées. Le nombre d’années après l’expulsion des rois où cela se produisit il le donne précisément : c’était sous le consulat d’A. Verginius Tricostus et de L. Veturius Cicurinus. Du reste, certains rapportent que ce ne sont pas deux tribuns de la plèbe qui ont été nommés alors, comme le dit Cicéron, mais cinq, un par classe. Il y en a pourtant qui donnent le même chiffre de deux que Cicéron : parmi eux Tuditanus, Pomponius Atticus et notre compatriote Tite‑Live. Le même Tite‑Live et Tuditanus ajoutent que trois autres tribuns ont été cooptés légalement par les deux premiers. Les noms des deux tribuns qui ont été créés en premier sont transmis sous la forme suivante : L. Sicinius Velutus fils de Lucius, L. Albinius Paterculus fils de Caïus154.
64Ces hésitations confirment l’absence de procédure d’enregistrement des noms des titulaires de la fonction, et ont été utilisées pour contester l’authenticité des premiers collèges tribunitiens. Certaines sources croyaient à deux tribuns, d’autres à cinq et il existait une version consensuelle – représentée notamment par Tite‑Live – d’une élection de deux tribuns suivie de la cooptation de trois autres. L’intérêt de ce témoignage est de montrer qu’au‑delà du nombre, les noms posent problème en raison de divergences entre auteurs et parce que nous connaissons parfois l’opinion d’historiens antiques uniquement sur le nombre des tribuns, pas sur leurs noms. Enfin, les mêmes noms se retrouvent aux moments décisifs de l’histoire du tribunat.
65Nous possédons ainsi six noms en 493155, quatre (ou cinq) en 470156 et dix en 449157. Quoique certains se retrouvent d’un collège à l’autre, ces recoupements sont loin d’être aussi systématiques qu’il y paraît de prime abord. Les ressemblances les plus fortes se rencontrent entre les collèges tribunitiens de 470 et 449. Celui de 493 est à part puisque seuls les Icilii et les Sicinii sont représentés dans ces trois collèges. À l’inverse, les Licinii, pourtant censés avoir bénéficié des bienveillantes reconstructions historiographiques de Licinius Macer, ne sont présents que dans le premier collège. Les réinterprétations ne se situent donc pas au niveau attendu et ces premiers collèges méritent d’être analysés et non rejetés comme des affabulations, surtout le premier d’entre eux.
66Le premier collège tribunitien, tel qu’il nous est transmis par les sources, apparaît à la fois comme le fruit de graves divergences entre les manuscrits, et comme le résultat des choix des premiers éditeurs humanistes, en particulier Fr. Sylburg. Le témoignage de Denys d’Halicarnasse – le seul à fournir cinq noms – est le plus reconstruit et obéit à une logique précise. On y retrouve un Brutus, un Sicinius, deux Licinius plus un cinquième personnage. Il s’agit à chaque fois de membres de familles très représentatives des tribuns de la plèbe à cette époque. Seul le cinquième, Gaius Visellius (?) Ruga, fait exception. L’étude des variantes des manuscrits n’apporte pas d’éléments décisifs et ne permet pas de conserver de façon sûre un tribun ou un autre, à l’exception de L. Albinius158.
67Le caractère embrouillé de cette tradition démontre toutefois l’importance symbolique que pouvait représenter le fait d’avoir eu un ancêtre dans les premiers collèges tribunitiens. Sur le plan de l’onomastique, un effort d’éclaircissement peut être tenté en rappelant tout d’abord que l’existence de ces familles, à cette date, est possible. Pour les années 494‑493, C. Viscellius Ruga doit en réalité être un Icilius, qu’il est possible d’identifier au Sp. Icilius qui aurait fait partie de la délégation envoyée au Sénat par la plèbe en sécession en 494, et menée par L. Iunius Brutus159. Il n’y a probablement là qu’un seul personnage. En revanche, en 494‑493, L. Sicinius Vellutus ne doit pas être confondu avec Sp. Sicinius, tribun en 492, car ce sont deux personnes bien différentes dans la tradition. Deux Licinius en 493 sont improbables. Il reste alors un Sp. Licinius tribun en 481, un Sp. Icilius tribun en 470 et L. Icilius tribun en 456, 455 et 449160. Icilii, Sicinii ou Licinii, c’est entre ces lignées que se joua l’honneur d’avoir compté parmi les fondateurs du tribunat. Si l’on peut arriver ainsi à un tableau plus logique, en éliminant certaines vieilles leçons des éditeurs humanistes, il ne faudrait pas pour autant chercher des personnes réelles derrières ces tribuns. Au contraire, nous pourrions dire, avec A. Momigliano, que les prénoms de ces personnages comptent peu et que seuls importent leurs gentilices161. S’ils ne peuvent servir à nier l’existence d’un premier collège tribunitien vers 493, leur incertitude fait que nous pouvons uniquement supposer que certaines familles en firent partie, sans pouvoir aboutir à une reconstitution autre qu’hypothétique.
68Pour ce qui concerne le nombre des tribuns, le mieux est de synthétiser les propositions de chacun dans un tableau avant de le discuter162.
69Chez les auteurs latins, le chiffre de deux est majoritaire, avec une variante qui y ajoute trois tribuns cooptés. Chez les auteurs grecs, l’idée de cinq tribuns domine et, dans l’état actuel de notre connaissance des sources, elle ne semble pas se trouver avant Denys d’Halicarnasse163. Pour être complet, signalons que Pomponius, dans le Digeste, offre une présentation différente de la question :
Vers la même époque où la plèbe s’était séparée des patriciens, dix‑sept ans environ après l’expulsion des rois, elle se créa, sur le Mont Sacré, ses tribuns pour être des magistrats plébéiens. Ils furent appelés tribuns, soit parce qu’autrefois le peuple était divisé en trois parties et que les tribuns furent élus un par chaque partie, soit parce qu’ils étaient nommés par le suffrage des tribus. On choisit aussi, parmi les plébéiens, deux magistrats appelés édiles, chargés de veiller à la conservation des édifices où le peuple déposait ses plébiscites164.
70Sans fournir un chiffre qui indiquerait le nombre originel de tribuns, Pomponius avance deux explications quant à l’origine de leur dénomination. D’après la première, on les appelle tribuns car ils étaient élus par chacune des anciennes tribus romuléennes (Tities, Ramnes et Luceres), ce qui conduit à supposer qu’ils étaient au nombre de trois. Dans la seconde, leur nom proviendrait d’une élection par les tribus. Il est plus difficile d’en tirer argument quant au nombre originel de tribuns. Toutefois, s’il s’agit des tribus archaïques, ce pourrait être à nouveau le chiffre de trois, chiffre de trois que l’on retrouve avec les tribuns cooptés mentionnés par certains auteurs latins.
71Il n’est donc pas exclu qu’une tradition minoritaire, transmise de façon déformée par le biais de ces fameux tribuns cooptés, ait cru à un nombre originel de trois tribuns. L’existence d’une telle tradition pourrait expliciter l’hypothèse de cinq tribuns originels. En effet, trois tribuns plus deux édiles donnent cinq. Ce chiffre de cinq pourrait ainsi trouver sa source dans l’addition des différents titulaires des fonctions plébéiennes. Cette tradition de trois tribuns a été cependant peu relevée car elle est très isolée. Seul D. Sohlberg s’en servit en citant ce texte de Pomponius. Il est impossible de comprendre ses propositions sans rappeler que cet historien propose une reconstruction du début du régime républicain dans laquelle les rois auraient été remplacés par un collège de trois tribuns qui prirent plus tard le nom de préteurs. Analysant la création du tribunat, il estime que c’est ce chiffre de trois tribuns originels qui est authentique et qu’il serait le miroir des trois tribuns‑préteurs. De la sorte, D. Sohlberg justifie non seulement le nom des tribuns, mais encore leur nombre par un désir de mimétisme avec une fonction tribunitienne préexistente165. Si l’hypothèse peut paraître séduisante, elle souffre cependant de biais importants. D’abord, l’historicité de ces tribuns‑préteurs est plus qu’incertaine. Ensuite, en admettant l’existence de tels magistrats, on comprendrait mal comment la réforme de Servius Tullius aurait laissé subsister ce nombre de trois alors même qu’il créait quatre nouvelles tribus destinées à supplanter les tribus archaïques. Si même cela était, comment justifier le choix de ces trois tribuns archaïques pour remplacer la fonction royale au moment du changement de régime ? Enfin, la mention des trois tribuns cooptés dans certaines sources latines, au lieu d’être analysée comme l’écho de cette tradition de trois tribuns originels, peut aussi tout simplement renvoyer à une manipulation annalistique visant à unifier les deux traditions existantes de deux ou cinq tribuns de la plèbe créés à l’origine. Les suggestions de D. Sohlberg sont donc inacceptables en l’état. Sans éliminer totalement l’hypothèse de trois tribuns, remarquons que deux ou cinq sont les chiffres essentiels, majoritaires et opposés quant au nombre originel de tribuns166.
La logique des chiffres
72Ces chiffres reposent sur une logique institutionnelle. Celui de deux fait référence à celui des consuls et des édiles et peut se prévaloir d’un passage de Cicéron167. Celui de cinq permet de rapprocher le nombre de tribuns de la plèbe des cinq classes censitaires romaines et d’expliquer le passage ultérieur à dix par un simple doublement du nombre initial de tribuns. Le lien entre tribuns et classes est explicitement évoqué par certaines sources168. Celui de trois, si cette tradition a bien existé, renvoie aux tribus primitives. C’est le moins crédible.
73Le témoignage de Diodore de Sicile cité plus haut est venu une fois encore compliquer un jeu passablement embrouillé. Au‑delà de ce qui concerne la chronologie, Diodore de Sicile mentionne quatre noms. Si l’on interprète ce passage comme je l’ai fait169, il apparaît clairement que, dans l’esprit de l’historien grec, il y eut d’abord deux tribuns, dont le nombre fut augmenté à quatre en 470. Dans le cas contraire, Diodore de Sicile conserverait la trace d’une tradition peu fiable selon laquelle les tribuns auraient primitivement été au nombre de quatre, en accord avec le nombre de tribus urbaines. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les tenants de la seconde interprétation défendent aussi l’idée que les tribuns eurent un lien avec les tribus urbaines, voire qu’ils en fussent d’abord les chefs. Ayant opté pour la première lecture du texte, l’on doit réaffirmer que l’historien grec conserve le souvenir d’une augmentation en 470. Une telle idée recoupe le témoignage de Calpurnius Pison. Même si Pison fournit cinq noms (et donc une augmentation de trois tribuns), on trouve également chez lui l’idée du passage de deux tribuns à un chiffre supérieur.
74Mentionnons enfin l’hypothèse d’A. Momigliano. Il déduit des contradictions de la tradition que la connaissance du nombre originel de tribuns s’était perdue et que ces hésitations sont les signes de tentatives pour le reconstituer ex nihilo. Il s’appuie, à cet effet, sur la tradition concernant P. Mucius Scaevola ou sur un éventuel onzième tribun170. S’intéressant aux listes de noms de 470 et de 449, il en conclut que la liste la plus ancienne est celle du collège tribunitien de 449. C’est à partir d’elle que la liste de quatre noms transmise par Diodore de Sicile pour 470 fut créée, cette dernière se voyant ensuite modifiée dans la tradition latine pour arriver aux cinq noms conservés. Si l’on put penser à un tribunat à quatre membres, c’est encore une fois en cherchant une équivalence entre tribuns et tribus, en l’occurrence les quatre tribus urbaines. Un tel rapprochement n’est en rien fondé et le collège de 470 est en réalité, selon lui, un des moins sûrs qui soit. C’est pourquoi il faut revenir au seul chiffre historiquement attesté, celui de dix tribuns, et ce dès l’origine de la fonction171. En effet, si le nombre des tribuns était en lien avec la structure institutionnelle de la cité, pourquoi aurait‑il changé ? à l’inverse, le chiffre de dix, bien qu’artificiel, trouve un certain nombre de correspondants tels les décemvirs bien sûr, ou encore les iudices decemuiri plébéiens mentionnés par Tite‑Live172. Il s’accorde avec l’idée d’une origine militaire des tribuns. Un tel nombre lui permet enfin de proposer une interprétation du plébiscite de Volero Publilius de 471.
75Cette hypothèse a été reprise de façon un peu différente – sans faire référence aux idées d’A. Momigliano – par R. E. Mitchell. Il croit lui aussi à un nombre de dix tribuns dès les origines de la fonction et l’explique par l’origine militaire des personnages et leurs liens avec les dix curies. Si l’hypothèse militaire est crédible, en revanche, les rapprochements qu’il effectue entre curies et tribus sont fantaisistes173. Il faut enfin abandonner la vieille hypothèse d’un lien particulier entre les tribuns et les tribus, qui feraient des premiers d’anciens chefs des secondes. Aucune source ne vient apporter la moindre preuve à cette hypothèse174.
De deux à dix tribuns de la plèbe
76Tout tourne autour de trois possibilités : deux, trois ou cinq. La prosopographie apporte peu d’éléments. Les noms sont très incertains et le seul à être à peu près hors de tout soupçon est celui de L. Albinius Paterculus. Je ne crois cependant pas à l’idée de cinq tribuns créés en 493. En effet, cette possibilité ne peut s’appuyer que sur les témoignages d’auteurs grecs et, en particulier, sur Denys d’Halicarnasse dont nous avons vu à quel point la reconstruction qu’il propose du premier collège tribunitien obéit à des motifs idéologiques. Le lien avec les classes censitaires est, en outre, problématique. Si l’existence d’une assemblée centuriate à cette époque est possible – je la juge probable – l’on voit mal en quoi les différentes classes censitaires auraient eu besoin d’être représentées par un tribun de la plèbe. Th. Mommsen souligne au contraire que le principe général de la magistrature romaine évite de mettre en relation directe le magistrat et une fraction donnée du peuple175. Par ailleurs, il est invraisemblable qu’une telle assemblée centuriate ait déjà pu être constituée suivant cette structure en cinq classes qui ne fut la sienne qu’à la fin du IVe siècle. Si classes il y avait à ce moment‑là, elles n’étaient qu’au nombre de deux, la classis et l’infra classem, en rapport avec une organisation militaire simplifiée176. Dans ce cas, si le nombre de tribuns était lié aux classes, il ne put être que de deux177.
77En conséquence, l’hypothèse de cinq tribuns de la plèbe dès 493 n’est que le fruit d’une réinterprétation à partir du visage tardif des institutions romaines, voire, comme cela a été suggéré, d’un mauvais calcul additionnant tribuns et édiles ou, suivant l’hypothèse de J.‑Cl. Richard, à partir d’une mécompréhension du témoignage de Tite‑Live sur la rogatio Terentilia178. Un ultime argument joue en ce sens. En effet, à l’exception des magistratures extraordinaires (dictature, maîtrise de cavalerie ou interroi), les magistratures romaines ordinaires, collégiales, furent toujours conçues sur la base de nombres pairs : deux consuls179 ; deux censeurs ; un au départ puis deux, quatre, six et huit préteurs ; quatre édiles. Les nombres impairs sont très rares et seul celui de trois est attesté, à partir de la création des tresuiri capitales180. S’il se répandit dans les deux derniers siècles de la République, il était inhabituel au départ181. Cette parité est consubstantielle au système de collégialité dans lequel elle oblige à un partage tranché des majorités182. À partir du moment où un collège de trois tribuns est impossible, il devient très peu probable qu’il y eut jamais des collèges de cinq tribuns et l’idée de deux tribuns initiaux en sort renforcée.
78Un tel nombre pourrait avoir été conçu de manière à correspondre au nombre de consuls ou à une assemblée centuriate organisée sur le modèle de deux principales classes, même si cette seconde explication est moins crédible. Quant à l’interprétation d’A. Momigliano, elle a pour grand mérite de poser cet épineux problème du curieux chiffre de dix tribuns. Ce chiffre n’apparaît pour la première fois que dans le contexte de la sécession de 449 et n’y trouve nulle justification apparente. Quoique cette hypothèse soit séduisante, le témoignage des sources doit primer. Or, si elles sont loin de s’accorder quant au nombre originel des tribuns, elles conservent majoritairement la trace d’une augmentation de ce nombre depuis un chiffre initial jusqu’à celui, canonique, de dix. Dans ce cadre, ce chiffre initial fut celui de deux, moins pour des raisons institutionnelles que pour des raisons politiques. D’une part, en effet, les tribuns n’étaient pas élus dans les assemblées du populus et il n’y avait aucune raison de calquer leur organisation sur les structures institutionnelles de la cité. D’autre part, si cela avait été le cas, que ce soit sur les classes, les curies ou les tribus, leur nombre aurait été adapté par la suite aux évolutions institutionnelles romaines, ce qui ne se produisit jamais. L’idée d’une symétrie avec le nombre de consuls est plus probante.
79Ce chiffre de deux connut une première augmentation en 471. Hormis Pison183, seul Dion Cassius, transmis par Zonaras, parle d’un passage à cinq tribuns, évidemment en accord avec le nombre de classes. Il n’est pas évident de déterminer la date qu’il attribue à cette extension du collège tribunitien, même si 471 est la plus probable184. Inversement, Diodore de Sicile ne transmet que quatre noms. Le fait que les magistratures aient toujours été organisées sur la base de nombres pairs, la date de cette augmentation et son lien avec le vote du plébiscite de Volero Publilius sur l’élection des tribuns de la plèbe185 plaident en faveur d’un passage à quatre tribuns, et non à cinq.
80Le passage à dix fut plus tardif et seuls les témoignages de Denys d’Halicarnasse et de Tite‑Live évoquent une date : 457186. Cette date ne correspond pourtant à aucun événement particulier si ce n’est la lutte pour faire sanctionner le plébiscite de C. Terentilius Harsa [33]. Cette mesure avait été défendue les années précédentes par A. Verginius et M. Volscius Fictor, tribuns de 461 à 457, qui seraient à l’origine de la hausse du nombre de tribuns. Celle‑ci aurait correspondu à une compensation pour le refus patricien de toute avancée concernant le plébiscite de C. Terentilius Harsa [33]. Cependant, l’explication du nombre de dix tribuns fournie par Denys d’Halicarnasse et Tite‑Live est suspecte. Chez Denys, il s’agit d’un doublement des cinq tribuns initiaux, chiffre dont nous avons vu le caractère invraisemblable. Quant à Tite‑Live, il l’explique en le rapportant aux cinq classes censitaires (deux tribuns pour chaque classe), et en ajoutant qu’» on pourvut à ce que les élections futures se fissent de la sorte187 ». Outre l’inexistence avérée de cinq classes à ce moment‑là, l’idée qu’on pût viser une telle représentativité des classes censitaires par le tribunat de la plèbe est très improbable puisque le tribunat n’était pas une magistrature du populus Romanus. Enfin, avant 449, nous n’avons aucun collège de dix tribuns mentionné et c’est même le seul collège complet que nous possédions pour toute l’histoire républicaine. Dix tribuns furent alors élus et tout laisse à penser que ce fut le cas tout le temps par la suite. Avec L. Trebonius Asper, tribun de la plèbe en 448, nous en avons confirmation puisqu’il fit voter un plébiscite interdisant la cooptation en cas de postes non pourvus à la fin du scrutin, obligeant à recommencer le vote jusqu’à ce que dix tribuns fussent élus [55]. À partir de ce moment au moins, dix postes de tribun furent donc mis en jeu chaque année188.
81Seuls Denys d’Halicarnasse et Tite‑Live mentionnent ce passage à dix tribuns plus tôt189. Pour autant, nous n’avons jamais dix noms avant 449. Une solution consensuelle consisterait à supposer que le passage à dix tribuns se fit entre ces deux dates et qu’il fut définitivement entériné avec la réinstauration du tribunat en 449. Toutefois, en dépit de l’existence des iudices decemuiri qui attesteraient d’une organisation à base décimale dès la première moitié du Ve siècle190, ces témoignages ne sont peut‑être pas décisifs. Un passage à dix tribuns de la plèbe en 449 aurait plus de sens car il correspondrait à la suite logique de la création des dix représentants par la plèbe en sécession.
82Le texte de Tite‑Live est ici essentiel. Il nous apprend que le père de Virginie fit élire dix tribuns militaires par l’armée de l’Algide. En réaction, L. Icilius fit également élire dix tribuns militaires par l’armée de Sabine, portant le total à vingt. Lorsque les deux armées firent leurs jonctions, ce chiffre aberrant fut abandonné :
Par la porte Colline, ils pénétrèrent à Rome en bon ordre ; traversant le centre de la ville, la colonne gagne l’Aventin. Là, les deux armées firent leur jonction et chargèrent les vingt tribuns militaires de désigner deux d’entre eux pour exercer le commandement suprême. M. Oppius et Sex. Manilius sont désignés191.
83Pourquoi ce choix, s’il ne s’inscrivait dans la logique d’un nombre antérieur de deux tribuns de la plèbe et de deux consuls ? Le passage à dix qui s’ensuivit pourrait alors se prévaloir du précédent des décemvirs. Il pourrait aussi obéir à une volonté plébéienne d’obtenir un collège tribunitien renforcé car plus nombreux. En effet, la mission principale des tribuns à cette époque était de limiter l’arbitraire des magistrats par l’intercessio et en appuyant la possibilité d’appel au peuple. Toutefois, et même si Rome était alors loin d’être la cité populeuse qu’elle devint au Ier siècle, encore fallait‑il pouvoir assurer matériellement cette mission en étant là dans les moments nécessaires. Les tribuns ne pouvaient agir qu’en étant physiquement présents au moment décisif, ce qui explique d’ailleurs le choix de l’emplacement de leur subsellium au comitium, dans un espace stratégique situé entre le lieu d’exercice de la justice et le carcer. L’augmentation du nombre de tribuns pouvait faciliter ces processus tout en se prévalant d’un nombre récemment mis en avant par le collège décemviral. Cet accroissement du nombre des représentants de la plèbe pourrait aussi refléter une « vocation totalisante et unificatrice impliquée par le nom plebs » qui la poussait à proposer des structures nouvelles devant absorber à terme toute la cité192. Semblable hypothèse pourrait trouver appui dans le témoignage de Diodore de Sicile qui ne mentionne la création de dix tribuns qu’en 449, dans la foulée du rétablissement de la légalité républicaine193.
84Enfin, la date de 449 fournit un ultime rapprochement significatif. En effet, si le nombre de dix tribuns trouve peu de répondants à Rome à cette époque, il fait en revanche penser au nombre de stratèges athéniens (à la différence que ces dix stratèges correspondaient précisément aux dix tribus territoriales, ce qui n’était pas le cas à Rome). Or la tradition sur le décemvirat législatif met en avant la fameuse ambassade romaine en Grèce, à Athènes, pour s’inspirer des lois grecques. Si l’existence d’une telle ambassade est peu probable, il n’est pas impossible pour autant que les Romains se soient alors inspirés de systèmes en vigueur dans les cités grecques d’Italie du sud194. Par cet intermédiaire, ils auraient pu avoir l’idée de ce nombre de dix, particulièrement si, suivant les suggestions d’A. Momigliano, on estime que la plèbe représentait l’élément de population romaine le plus tourné vers le monde grec. De deux au départ, le nombre de tribuns fut donc probablement porté à quatre en 471, puis à dix en 457 ou, de façon plus satisfaisante selon moi, en 449195.
Conclusion : des données incertaines qu’il convient d’étendre à l’échelle des lignées
85Comme il n’y eut jamais de procédure officielle de préservation des noms des tribuns de la plèbe, les fastes tribunitiens les plus anciens soulèvent de considérables difficultés. Il est pourtant possible d’en dégager quelques éléments solides. L’essentiel est de ne pas vouloir construire une interprétation générale à n’importe quel prix. Comme le soulignait E. Pais, à propos des fastes capitolins, le plus important, une fois reconnue la substantielle fiabilité des fastes, est d’analyser chaque cas isolément car interpolations et falsifications ne furent jamais des entreprises génériques et concertées196. Il en va de même pour les fastes tribunitiens. Bien qu’une part conséquente des données transmises soit fausse, ces modifications ne peuvent s’apprécier qu’au cas par cas, d’où le recours indispensable à la prosopographie qui permet une interprétation plus compréhensive du sujet. C’est également la raison pour laquelle il était nécessaire de revenir sur l’origine même de la fonction et sur sa création, pour éclairer en retour le corpus prosopographique.
86S’il est dès lors évident que les données concernant les tribuns de la plèbe sont très incertaines, particulièrement pour le Ve siècle, ces incertitudes ne doivent pas conduire à dénier toute historicité aux collèges tribunitiens antérieurs au décemvirat législatif. Peu après le passage de la monarchie à la République, le début du Ve siècle fut marqué par des agitations politiques aboutissant à une sécession dont il convient de conserver la date traditionnelle, de même qu’il faut reconnaître l’ancienneté du tribunat. Contrairement à la vision défendue par B. G. Niebuhr, W. Ihne ou U. von Lübtow197, rien ne permet de penser qu’une forme différente de tribunat ait préexisté, à l’époque royale, avant d’être modifiée au début de la République. En revanche, on ne saurait douter du fait que cette fonction ait été créée au début du Ve siècle (peut‑être en 494 même si cette date pourrait être conventionnelle), sous la forme originelle de deux tribuns venant en contrepoint des deux magistrats principaux de la République. Les motivations exactes de ce mouvement, difficiles à cerner, semblent avoir mêlé des éléments politiques à des aspects économiques et sociaux. La plèbe obtint alors la création d’une fonction nouvelle, exclusivement plébéienne et chargée de sa défense : le tribunat de la plèbe. Nos sources sur les premiers titulaires de la fonction sont malheureusement très fragmentaires. Toutefois, ce fait irrécusable ne s’explique pas seulement par la pauvreté générale des sources pour cette période. Il trouve aussi son origine dans la nature même du tribunat qui a commencé d’apparaître au travers des analyses qui précèdent. Ce fut une institution originale qui ne s’insérait pas dans les cadres préexistants de la cité romaine. Il n’est pas anodin que nos renseignements deviennent plus nombreux après 449, date qui marque une première reconnaissance de cette fonction. S’ouvrit alors une période complexe de tâtonnements institutionnels qui affectèrent le tribunat de la plèbe.
87Les noms transmis par la tradition pour le Ve siècle font donc partie intégrante du corpus des tribuns de la plèbe entre 493 et 287. Ce corpus se présente sous une forme quasi désespérée pour la première moitié du Ve siècle, plus accessible sans être jamais complètement aisée pour les périodes suivantes. Il est incontestable qu’un certain nombre d’événements ont été transmis : la sécession, le plébiscite de Volero Publilius, etc. En revanche, les noms des tribuns attachés à ces combats étaient incertains, en raison de l’absence de procédure officielle d’enregistrement et d’archivage des noms des titulaires de la fonction. Encore une fois, les fastes tribunitiens ont été établis a posteriori bien qu’en utilisant une documentation en partie archaïque. A. Momigliano a, répétons‑le, raison d’estimer que, pour les périodes les plus anciennes, les prénoms importent peu et que seuls les noms sont significatifs. De la sorte, l’annalistique a reconstruit comme elle le pouvait les collèges tribunitiens qui lui semblaient probables, et pas nécessairement sur la base d’une volonté de falsification. Il y aurait sinon bien plus de collèges avec des Licinii ou des Icilii par exemple.
88Les limites de cette entreprise prosopographique doivent ici être soulignées. Pour construire les raisonnements qui suivent, j’ai d’abord voulu, dans la continuité des analyses qui précèdent, clarifier la situation des différents tribuns de la plèbe connus sur la base de cinq critères. Il s’agit d’abord des origines familiales et de la date probable d’installation à Rome. Vient ensuite la disparition ou non de la famille après les IVe‑IIIe siècles car son importance ultérieure peut expliquer d’éventuelles falsifications, ce qu’illustrent bien les cas opposés des Genucii et des Numitorii198. Puis, j’ai prêté attention au statut du personnage (patricien ou plébéien) et, dans un quatrième temps à son action ainsi qu’aux ressemblances avec des événements plus tardifs ou stéréotypés. Les discordances potentielles entre les sources constituent enfin le dernier critère pouvant apporter des éléments.
89Tous ces critères n’étaient pas applicables à l’ensemble des notices et il n’était pas toujours possible de tous les croiser. En outre, il est inévitable que ce type d’argumentation repose, au moins partiellement, sur des bases subjectives et tel ou tel choix demeure soumis à critique. Au moins sont-ils justifiés du mieux possible, tout en reconnaissant parfois la difficulté à trancher sur des critères irréfutables. Ajoutons, enfin, que les tribuns de la plèbe écartés sont de deux types : des personnages historiques qui ne peuvent avoir été tribuns et des personnages inventés. C’est pourquoi le tableau qui suit, qui synthétise les résultats de l’enquête prosopographique, comporte quatre entrées : « C » pour les tribuns certains ; « P » pour les tribuns possibles, c’est‑à‑dire ceux pour lesquels des doutes subsistent mais qu’en l’absence d’arguments décisifs il vaut mieux conserver ; « NT » pour les personnages historiques qui n’ont pas pu être tribuns et « I » pour les tribuns inventés.
Synthèse de la prosopographie.
Lignées | Tribuns de la plèbe | Édiles de la plèbe | C | P | NT | I | Total de tribuns par lignée |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Acutii | M. Acutius (401) |
|
| × |
|
| 1 |
Ælii |
| L. Ælius Paetus (296) | × |
|
|
| 1 |
Albinii | L. Albinius C. f. Paterculus (493) |
| × |
|
|
| 1 |
Alienii | L. Alienus (456 et 455) | L. Alienus (454) |
| × |
|
| 1 |
Antistii | Ti. Antistius (422) |
|
| × |
|
| 3 |
A. Antistius (420) |
|
| × |
|
| ||
M. Antistius (319) |
|
|
|
| × | ||
Apuleii | L. Apuleius (391) |
|
| × |
|
| 1 |
Apronii | C. Apronius (449) |
| × |
|
|
| 1 |
Asellii | M. Asellius (422) |
|
| × |
|
| 1 |
Aternii | A. Aternius Varus Fontinalis (448) |
|
|
| × |
| 1 |
Atilii | L. Atilius (311) |
| × |
|
|
| 1 |
Caecilii | Q. Caecilius (439) |
|
|
|
| × | 1 |
Caedicii | L. Caedicius (475) |
|
| × |
|
| 1 |
Caluii | C. Calvius Cicero (454) |
|
|
|
| × | 1 |
Canuleii | C. Canuleius (445) |
| × |
|
|
| 2 |
M. Canuleius (420) |
| × |
|
|
| ||
Cassii | Sp. Cassius Vecellinus (486) |
|
|
| × |
| 1 |
Cominii | L. Cominius (292‑290 ?) |
| × |
|
|
| 1 |
Considii | Q. Considius (476) |
|
|
|
| × | 1 |
Curiatii | P. Curiatius (401) |
|
|
|
| × | 1 |
Curii | M’. Curius Dentatus (298) |
| × |
|
|
| 1 |
Decii | M. Decius (491) |
|
|
|
| × | 3 |
L. Decius (415) |
|
|
|
| × | ||
M. Decius (311) |
| × |
|
|
| ||
Duilii | M. Duilius (470 et 449) |
| × |
|
|
| 2 |
M. Duilius (357) |
| × |
|
|
| ||
Flauii | M. Flavius (327 et 323) |
| × |
|
|
| 2 |
Cn. Flavius (307) |
|
| × |
|
| ||
Fuluii |
| C. Fulvius Curvus (296) | × |
|
|
| 1 |
Furii | L. Furius (308) |
|
|
|
| × | 1 |
Furnii | C. Furnius (445) |
|
| × |
|
| 1 |
Genucii | T. Genucius (476) |
|
| × |
|
| 3 |
Cn. Genucius (473) |
|
| × |
|
| ||
L. Genucius (342) |
| × |
|
|
| ||
Hortensii | L. Hortensius (422) |
|
|
|
| × | 1 |
Icilii | C. Icilius Ruga (493) | C. Icilius Ruga (491) |
| × |
|
| 6 |
Sp. Icilius (470) |
| × |
|
|
| ||
L. Icilius (456, 454 et 449) |
| × |
|
|
| ||
L. Icilius (412 et 409) |
| × |
|
|
| ||
Icilius (409) |
|
| × |
|
| ||
Icilius (409) |
|
| × |
|
| ||
Iunii | L. Iunius Brutus (493) | L. Iunius Brutus (492) |
|
|
| × | 4 |
| T. Iunius Brutus (491) |
|
|
| × | ||
Q. Iunius (439) |
|
|
|
| × | ||
C. Iunius (423) |
| × |
|
|
| ||
Lacerii | C. Lacerius (401) |
|
|
|
| × | 1 |
Laetorii | C. Laetorius (471) |
|
|
|
| × | 1 |
Licinii | C. Licinius (493) |
|
| × |
|
| 4 |
P. Licinius (493) |
|
| × |
|
| ||
Sp. Licinius (481) |
|
| × |
|
| ||
C. Licinius Stolo (377 à 367) |
| × |
|
|
| ||
Liuii | L. Livius (320) |
|
| × |
|
| 1 |
Maecilii | L. Maecilius (470) |
|
|
|
| × | 2 |
Sp. Maecilius (416) |
| × |
|
|
| ||
Maelii | Sp. Maelius (436) |
|
|
|
| × | 2 |
Q. Maelius (320) |
|
| × |
|
| ||
Maenii | C. Maenius (483) |
|
| × |
|
| 1 |
Marcii | Cn. Marcius (389) |
| × |
|
|
| 3 |
| M’. Marcius (440) |
| × |
|
| ||
C. Marcius Rutilus Censorinus (311) |
| × |
|
|
| ||
Menenii | M. Menenius (410) |
| × |
|
|
| 3 |
M. Menenius (384) |
|
|
|
| × | ||
L. Menenius (357) |
| × |
|
|
| ||
Metilii | M. Metilius (418, 417 et 416) |
|
|
|
| × | 2 |
M. Metilius (401) |
|
|
|
| × | ||
Minucii | L. Minucius Esquilinus Augurinus (439) |
|
|
| × |
| 2 |
M. Minucius (401) |
|
|
|
| × | ||
Mucii | P. Mucius Scaevola (486) |
|
|
|
| × | 1 |
Numicii | Ti. Numicius (320) |
|
| × |
|
| 1 |
Numitorii | L. Numitorius (470) |
| × |
|
|
| 2 |
P. Numitorius (449) |
| × |
|
|
| ||
Ogulnii | Cn. Ogulnius (300) |
| × |
|
|
| 2 |
Q. Ogulnius Gallus (300) |
| × |
|
|
| ||
Oppii | C. Oppius (449) |
|
| × |
|
| 1 |
Ouinii | Ovinius (313 ou 312 ?) |
| × |
|
|
| 1 |
Pœtelii | Pœtelius (442, 441) |
|
| × |
|
| 2 |
C. Pœtilius Libo Visolus (358) |
|
| × |
|
| ||
Pompilii | Sex. Pompilius (420) |
|
| × |
|
| 1 |
Pomponii | M. Pomponius (449) |
|
|
|
| × | 3 |
Q. Pomponius (395 et 394) |
|
| × |
|
| ||
M. Pomponius (362) |
| × |
|
|
| ||
Pontificii | Ti. Pontificius (480) |
|
| × |
|
| 1 |
Publilii | Volero Publilius (472 et 471) |
|
| × |
|
| 2 |
Q. Publilius (384) |
|
|
|
| × | ||
Rabuleii | C. Rabuleius (486) |
|
| × |
|
| 1 |
Scantii | M. Scantius (293) |
| × |
|
|
| 1 |
Sempronii | P. Sempronius Sophus (310) |
| × |
|
|
| 1 |
Sextii | M. Sextius (414) |
|
| × |
|
| 2 |
L. Sextius Sextinus Lateranus (377 à 367) |
| × |
|
|
| ||
Siccii | L. Siccius Dentatus (455) = Sicinius |
|
|
|
|
| 0 |
Sicinii | L. Sicinius Vellutus (493 et 491) | L. Sicinius Vellutus (492) |
| × |
|
| 7 |
Sp. Sicinius (492) |
|
| × |
|
| ||
Cn. Sicinius (470) |
| × |
|
|
| ||
L. Sicinius Dentatus (455) |
|
|
| × |
| ||
C. Sicinius (449) |
|
| × |
|
| ||
T. Sicinius (395 à 393) |
| × |
|
|
| ||
L. Sicinius (387) |
|
| × |
|
| ||
Spurillii | Ti. Spurillius (422) |
|
| × |
|
| 1 |
Statii | T. Statius (475) |
|
|
|
| × | 1 |
Tarpeii | Sp. Tarpeius Montanus Capitolinuss(448) |
|
|
| × |
| 1 |
Tempanii | Sex. Tempanius (422) |
| × |
|
|
| 1 |
Terentilii | C. Terentilius Harsa (462) |
| × |
|
|
| 1 |
Titii | Sex. Titius (462) |
|
| × |
|
| 1 |
Titinii | M. Titinius (449) |
|
|
|
| × | 2 |
Sex. Titinius (439) |
|
| × |
|
| ||
Trebonii | L. Trebonius Asper (448) |
| × |
|
|
| 2 |
Cn. Trebonius (401) |
|
| × |
|
| ||
Verginii | A. Verginius (461 à 457) |
| × |
|
|
| 3 |
L. Verginius (449) |
|
|
|
| × | ||
A. Verginius (395 et 394) |
| × |
|
|
| ||
Villii | Ap. Villius (449) |
|
| × |
|
| 1 |
Volscii | M. Volscius Fictor (461 à 457) |
|
|
|
| × | 1 |
(à suivre) |
90Trente‑deux tribuns doivent être éliminés de la liste initiale, ce qui ramène le total à quatre‑vingt. En revanche, il est plus difficile d’avoir des certitudes sur ces quatre‑vingt. Par ailleurs, la présence des tribuns inventés demeure éclairante quant aux processus de réflexion des annalistes sur le passé de Rome et il en sera tenu compte dans l’analyse. Si l’on garde provisoirement le chiffre initial de cent‑douze tribuns de la plèbe, ils se répartissent en soixante‑huit lignées tribunitiennes, ce qui est un nombre relativement important. Dans la plupart des cas, ces lignées ne fournissent qu’un tribun. 14 en comptent néanmoins 2 ; 7 en comptent 3 ; 2 en comptent 4 ; 1 en compte 6 et 1 en compte 7. Cinquante‑sept lignages n’ont donc donné qu’un ou deux tribuns de la plèbe à la République, ce qui représente l’écrasante majorité du corpus. À l’opposé, quatre lignées sont créditées d’une importance disproportionnée : les Icilii, les Iunii, les Licinii et les Sicinii. On y retrouve déjà le problème des tribuns fictifs car les Iunii sont représentés par des personnages dont deux – les plus anciens – sont à coup sûr inventés.
91Ce tableau permet également de proposer une liste des lignages tribunitiens qu’il convient d’écarter de façon certaine de ces fastes parce que les tribuns qui portent ce nom dans les sources ne peuvent être tenus pour authentiques. Il s’agit des Aternii, des Caecilii, des Caluii, des Cassii, des Considii, des Curiatii, des Furii, des Hortensii, des Lacerii, des Laetorii, des Metilii, des Minucii, des Mucii, des Siccii, des Statii, des Tarpeii et des Volscii. Cela réduit le nombre des lignées authentiquement tribunitiennes à cinquante‑et‑un. C’est sur elles que doit porter prioritairement l’enquête. Il ne sera fait référence aux lignées écartées que dans la mesure où elles peuvent, indirectement, compléter notre information.
92Avoir reconnu l’existence de tribuns de la plèbe dès le début du Ve siècle, tout en ayant insisté sur le caractère parcellaire des informations disponibles à leur sujet, incite alors à examiner l’histoire des lignées tribunitiennes, car elles pouraient fournir des informations complémentaires. L’enquête prosopographique impose donc d’étudier à présent les lignages tribunitiens, en particulier leurs origines, pour améliorer de la sorte notre connaissance des premiers tribuns. Cette ambition se heurte cependant aussi à de considérables problèmes méthodologiques.
Notes de bas de page
1 Dans les pages suivantes, je parlerai par commodité de « fastes tribunitiens » pour évoquer la liste des tribuns de la plèbe année après année. Précisons cependant que, au sens strict, le mot « faste » désigne d’abord un calendrier et que, comme nous allons le voir, de tels fastes tribunitiens n’ont jamais existé dans l’Antiquité. Ils ne sont que des reconstructions modernes.
2 Ce chiffre vaut si on adopte le schéma deux, puis quatre, puis dix tribuns. On obtient cent‑soixante‑six tribuns si on prend pour base de calcul : deux, puis cinq, puis dix tribuns. Si on estime que le passage à dix tribuns eut lieu en 449, on obtient alors soit cent‑vingt‑deux (deux, puis quatre tribuns) soit cent‑quarante‑et‑un (deux, puis cinq), ce qui modifie peu le tableau d’ensemble. Voir infra p. 66-78 sur l’augmention du nombre de tribuns.
3 Les données de ce graphique proviennent de l’ensemble des sources disponibles, c.‑à‑d. essentiellement Denys d’Halicarnasse et Tite‑Live et, après 443, Tite‑Live le plus souvent.
4 Je pense essentiellement ici aux fastes capitolins, et moins aux fastes dits « périphériques » pour lesquels des problèmes similaires peuvent toutefois se poser. Cichorius 1886 constitue la première étude spécifiquement dédiée aux fastes. Pour une présentation de ces fastes, voir Hirschfeld 1875 et Hirschfeld 1876 (= Hirschfeld 1913a, p. 330‑343 et p. 344‑352) ; Pais 1930 ; CIL, I2, 1, p. 81‑97 ; InscrIt, XIII, 1, p. 1‑23 ; Degrassi 1954, p. 1‑25 ; Bastien 2007, p. 41‑74 et Feeney 2007, p. 170‑183 avec la bibliographie antérieure. Pour une bonne présentation des théories et des discussions sur les fastes, voir Ridley 1980a ; Rüpke 1995a et Cornell 1995, p. 218‑223. Sur les systèmes similaires d’enregistrement des noms des magistrats éponymes et de certaines informations historiques chez d’autres peuples italiques, voir Bourdin 2012, p. 20‑22.
5 Cette première position, majoritaire, est représentée, avec des variantes, par Mommsen 1985 (1854), 1, p. 340‑341 ; Mommsen 1859, p. 195‑214 ; Mommsen 1860 (= Mommsen 1864, p. 1‑68) ; Mommsen 1861 (= Mommsen 1864, p. 69‑127) ; De Sanctis 1907, 1, p. 1‑13 ; De Sanctis 1910, p. 317‑319 ; Münzer 1999 (1920), p. 5‑11 ; Beloch 1926, p. 1‑32 ; Cornelius 1940, p. 8‑11, p. 50‑58 et p. 113‑117 ; Bernardi 1945‑1946a ; Bernardi 1945‑1946b ; Bernardi 1952, p. 11‑13 ; Fraccaro 1952 (= Fraccaro, 1956, p. 1‑23) ; MRR, 1, p. XI‑XII ; Alföldi 1963, p. 78‑84 ; Momigliano 1963, p. 103‑104 (= Momigliano 1966b, 2, p. 562‑564) ; Heurgon 1967, p. 123‑124 ; Palmer 1970, p. IX‑X et p. 191 ; Ampolo 1975 ; Ménager 1976, p. 498 n. 1 et p. 540‑541 (qui accorde même créance aux tous premiers collèges consulaires) ; Brunt 1979 (1971), p. 62 ; Heurgon 1993, p. 266‑279 (avec un précieux résumé de la discussion) ; Cornell 1995, p. 218‑223 ou Smith 2011.
6 Cette seconde position est défendue essentiellement par Pais 1908a ; Pais 1916, p. 14‑39 ; Pais 1918b, p. 228 (qui en dépit de vives critiques sur tel ou tel point leur reconnaît toutefois une origine partiellement authentique et en doute surtout pour la période antérieure à 449) ; Giorgi 1911 (pour qui les fastes ne sont pas fiables avant 367) ; Werner 1963, p. 264‑294 et p. 481‑484 (qui rejette les fastes des premières décennies et abaisse la date de début de la République à 472‑470) ; Guarino 1971 (qui opte pour une émergence graduelle de la République durant ses cent‑cinquante premières années d’existence) ; Wiseman 1979a, p. 13‑18 (pour qui il n’exista pas de liste complète de ce type avant la fin du IIe siècle, laquelle serait fiable à partir de la fin du IVe siècle mais très douteuse pour les périodes précédentes) ; et Mora 1999 passim (qui reprend l’idée selon laquelle les fastes antérieurs à 367 ne sont pas fiables). Enfin, l’idée que le décemvirat ait aussi constitué une coupure historiographique est ancienne. Voir les remarques de Fritz 1950, p. 34 (= Fritz 1976, p. 362‑363) qui distingue ce qui concerne la Rome royale et la première moitié du Ve siècle, d’une part (« full of legends »), et ce qui concerne l’après décemvirat, période pour laquelle la tradition « assumes a rather different character ». Cet auteur accepte cependant, p. 37, l’authenticité substantielle des fastes.
7 Hanell 1946 et Hanell 1967.
8 Gjerstad 1962, p. 44‑46 et Gjerstad 1967, p. 22‑30. Voir Momigliano 1963, p. 103‑104 (= Momigliano 1966b, 2, p. 562‑564).
9 La première remise en question de la vision traditionnelle se trouve chez Ihne 1853, p. 58‑63 qui proposa une période de transition avec recours à la dictature, période qui ne dura guère plus d’une dizaine d’années selon lui. On retrouve plus tard cette idée que la dictature a été la magistrature normale de Rome après la chute de la monarchie chez De Ruggiero 1867 ou chez Beloch 1926, p. 231‑236.
10 Giovannini 1993. Voir, de même, Ménager 1976, p. 496 ou Humbert 2011, p. 237‑240.
11 De Martino 1972a, p. 236‑250 et p. 380‑383. Cet abaissement radical de la création du consulat rencontre petit à petit de l’écho : Ferenczy 1976a, p. 35 la situe en 449 ; Wiseman 1995, p. 106‑107 fait de 367 non pas la date de création du consulat, mais le moment où il devint « the essential supreme magistracy of the Republic » ; Welwei 2000, p. 49‑50 (et Welwei 2001, p. 124‑127) suggère la même idée. Voir, dans le même sens, Richardson 2008a, p. 338‑341 et Richardson 2008b, p. 628‑633. Ce dernier estime que l’idéologie anti‑monarchique attachée au consulat se développa même plus tard, entre la fin du IIIe siècle et le début du IIe siècle. Enfin, Humm 2012b s’est récemment rallié à cette idée.
12 Sohlberg 1991 et Sohlberg 1993. Citons aussi Bunse 1998, passim, qui, à partir de l’étude du tribunat militaire à pouvoir consulaire, avance un schéma voisin. Selon, lui, ces tribuns militaires n’auraient pas remplacé un système consulaire qui n’aurait jamais existé auparavant, mais constituaient le collège des préteurs (avec un préteur maximus et deux praetores minores). Ils apparaissent sous le nom de tribuns dans les fastes parce qu’auraient été ajoutés à un moment les noms des tribuns militaires ordinaires, entraînant la confusion des deux fonctions. L’un des tribuns s’occupait de la défense de la ville, les autres des campagnes extérieures, ce qui aurait introduit la spécialisation domi ou militiae de l’imperium. C’est seulement avec leur remplacement que le consulat classique aurait été introduit, en 367 donc.
13 Mazzarino 2001, p. 175‑184. Une inscription de Tuscania (ET, AT 1.1) prouve l’existence d’une magistrature étrusque de ce nom, le cursus d’un certain Arnth, fils de Laris, qui fut notamment macstrevc. Sur le nom de ce roi, voir aussi Capdeville 1992.
14 Cornell 1995, p. 235‑236 et p. 238.
15 Hanell 1946 ; Hanell 1967 ; Gjerstad 1962, p. 44‑68 et Gjerstad 1967. Ils pensent tous deux à une naissance du système républicain vers 450. La différence majeure est qu’E. Gjerstad, tout en maintenant un roi à Rome jusqu’en 450, lui adjoint à partir de 509 deux magistrats éponymes qui rendent compte du témoignage des fastes. Ajoutons‑y Johnson 1969 qui estime également que le régime républicain naquit vers 450. En revanche, Werner 1963 adopte la date de 472‑470 pour les débuts de la République. Voir également, Bloch 1959 ; Bloch 1961a et Bloch 1961b qui voulut abaisser la date du changement de régime à 475 parce que le départ des étrusques de Rome daterait d’environ 475. L’argument est de faible valeur et, comme le notait déjà Momigliano 1963, p. 106 (= Momigliano 1966b, 2, p. 567) : « Nobody in his senses would expect all the trade with Etruria or all the Roman aristocratic families with Etruscan names to disappear overnight because of the fall of the monarchy. »
16 Pour une bonne présentation de ces différentes solutions, évoquées ici trop rapidement, on se reportera à Guarino 1948 (= Guarino 1973, p. 48‑62) ; Staveley 1956 ; De Francisci 1959a, p. 743‑760 ; Guarino 1959, p. 329‑352 ; De Martino 1972a, p. 220‑234, notamment p. 222, n. 9 qui fournit un bon résumé historiographique de la question ; De Martino 1972b ; Poma 1974 ; Richard 1978, p. 433‑437 ; Giovannini 1993 ; Cornell 1995, p. 227‑230 et Smith 2011, p. 23‑25.
17 Mora 1999, passim, qui propose à nouveau de dater les débuts de la République vers 470.
18 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 84‑86. Rappelons que, parmi ce collège de préteur, l’un portait le titre de praetor maximus. Si on l’interprète généralement comme le chef du collège, Magdelain 1969, p. 269‑280 (= Magdelain 2015, p. 323‑334) interpète l’épithète maximus dans le sens de « souverain » et voit donc dans le consulat initial une « dictature bicéphale ».
19 Cette idée est défendue, p. ex., par Wiseman 1995, p. 106‑107, Bunse 1998 passim ; Wiseman 2004, p. 68 ; Wiseman 2008, p. 298 ou Richardson 2012, p. 153. Elle ne doit cependant pas conduire à réinterpréter l’histoire politique et institutionnelle de Rome avant cette date à la façon, peu convaincante d’après moi, de Meunier 2011, p. 349‑350.
20 Sur Porsenna, voir Richard 1978, p. 438‑442 et Colonna 2001. Sur les éléments archéologiques, voir Brown 1967, complété depuis par Iacopi 1982, p. 37‑49 ; Coarelli 1983a, p. 58‑71 ; Torelli 1989b, p. 44‑48 ; Cornell 1995, p. 239‑241 et Scott 1999. On peut y ajouter la stratigraphie du comitium, à partir de Coarelli 1983a, p. 137‑138 et p. 145.
21 Richard 1978, p. 441 a repris de façon générale l’analyse et la critique des théories hétérodoxes sur la naissance du système républicain. On se reportera à son exposé très complet, p. 433‑478. Précisons simplement qu’il se rallie à la date traditionnelle de 509 et estime que le régime des deux consuls, s’il ne se mit pas en place immédiatement, s’imposa après un très bref intervalle de temps (de 509 à 505 environ). Dans ce cadre, la fameuse mention du praetor maximus ne désignerait que le préteur‑consul à ce moment en charge de l’imperium et des faisceaux. Loin de renvoyer à une magistrature particulière, elle servirait donc uniquement à singulariser un des deux consuls en exercice. Voir aussi Cornell 1995, p. 237‑238.
22 Pais 1918b, p. 228.
23 Liv., 3, 55, 12‑13 et Pais 1918b, p. 228 ; mais aussi LPPR, p. 205‑206 et Flach 1994, p. 213‑215 n° 29. Les sources sont cependant insuffisantes pour affirmer qu’il s’agit d’une loi et G. Rotondi lui‑même proposait de l’interpréter plutôt comme une simple clause des leges Valeriae Horatiae. Suet., Vesp., 8, 9 va également dans le sens d’une conservation des plébiscites, même s’il ne mentionne que ceux ayant trait aux alliances et aux traités.
24 Voir Pompon., 21 (= Dig., 1, 2, 2, 21) ; Zonar., 7, 15 ; Le Bonniec 1958, p. 343‑345 et Albana 2003, p. 36‑44.
25 Merlin 1906, p. 155, n. 3 ; De Sanctis 1907, 1, p. 36 et p. 506 ; Beloch 1926, p. 63 et p. 323 et Bruhl 1953, p. 32‑36 se prononcent en faveur d’une date plus basse. Contra Le Bonniec 1958, p. 236‑238 et p. 254‑256, en faveur de la date traditionnelle. Alföldi 1963, p. 92‑98 est revenu à une datation tardive mais voir, depuis, les critiques de Momigliano 1962, p. 391‑392 (= Momigliano, 1966b, 2, p. 646‑647) ; Momigliano 1967c, p. 215 (= Momigliano 1969b, p. 497‑498) ; Richard 1978, p. 504‑507 ; Sordi 1983b, p. 128‑131 ; Zevi 1987, p. 128‑129 ; Cazanove 1990, p. 373‑399 et Coarelli 1993a.
26 Cornell 1995, p. 264 et aussi Albana 2003, p. 41‑44 qui y voit une double procédure d’archivage. On peut se demander si on ne pourrait pas également imaginer un affichage de ces décisions sénatoriales à l’initiative des tribuns, au temple de Cérès. Aucune source ne permet malheureusement de l’affirmer. Botsford 1968 (1909), p. 279 suggéra, lui, qu’il se fût uniquement agi des sénatus‑consultes concernant la plèbe.
27 Voir le témoignage de Pompon., 21 (= Dig., 1, 2, 2, 21).
28 Sur les livres de lin, voir Liv., 4, 7, 12 ; 4, 13, 7 et 4, 20, 8. Sur le temple de Junon, voir Coarelli 1983a, p. 104‑107 ; Richardson 1992, p. 215 ; Ziolkowski 1992, p. 71‑76 ; Giannelli 1996 et Mazzei 2005, p. 23 n. 2 et p. 26‑27.
29 Liv., 4, 7, 3‑12 (= D.H., 11, 62, 1‑4) ; 4, 13, 7 ; 4, 20, 8 et 4, 23, 1‑3.
30 Chassignet 2004, p. LVIII‑LX avec la bibliographie et Mazzei 2005.
31 On retrouve cette idée sous des formes variées. Zehnacker 1973, p. 52‑56, explique le choix du temple comme atelier monétaire en 269 par le fait que l’on y conservait les coins. De façon similaire, voir Palmer 1974, p. 29‑30 et p. 98‑99. Enfin, Linderski 1985 propose que le temple de Junon Moneta servît de lieu de conservation pour les libri reconditi qui concernaient la science augurale.
32 Enmann 1900 et les remarques de Ridley 1980a, p. 272.
33 Liv. Andr., Od., frgt 30 W (= frgt 23 Morel = frgt 21 Blänsdorf = frgt 35 R2, apud Prisc., 1, 198, 12 Hertz) et Hyg., fab., pr. 27.
34 Cic., nat. deor., 3, 47.
35 Meadows et Williams 2001, p. 32‑49, idée reprise depuis par Miano 2009, p. 370‑374.
36 Ogilvie 1958 ; Ogilvie 1984, p. 544‑545 ; Coarelli 1983a, p. 104‑106 ; Frier 1999, p. 155‑158 ; Haudry 2002, p. 3‑4 et en dernier lieu Chassignet 2004, p. LVIII‑LX avec la bibliographie. Mettons à part les théories de Palmer 1970, p. 232‑243. Cet auteur présente les livres de lin comme des archives des curies faites à partir des tuniques des tribuns militaires. Ayant perdu leur utilité après le compromis politique de 366 qui signa, dans la perspective de l’auteur, la fin de la constitution curiate archaïque de Rome, elles furent déposées en 344 dans le temple de Junon Moneta. Cette suggestion, très discutable, fait des livres de lin de très anciennes archives.
37 Plin., nat., 35, 19 rappelle que Fabius Pictor tirait son nom du cycle décoratif qu’il réalisa pour le temple de Salus. Voir Coarelli 1996b, p. 21‑26.
38 Sur cette tombe, voir infra p. 111.
39 D.H., 15, 1, 4 (= 15, A Pittia).
40 Fest., p. 228 L., s.v. Picta.
41 Coarelli 1976a ; Coarelli 1976b ; Coarelli 1990, p. 171‑175 et Coarelli 1996b, p. 26‑34.
42 Liv., 9, 40 et 10, 38. Voir Coarelli 1996a, p. 13‑14.
43 En particulier la Tabula Valeria. Voir Coarelli 1990, p. 175‑176 et Coarelli 1996b, p. 31‑34.
44 Mora 1999, p. 224‑225.
45 Alföldi 1963, p. 324‑327 offre un bon exemple de l’usage de cette idée.
46 Plut., Num., 1, 2. Le Clodius ici mentionné a été parfois identifié à l’annaliste Claudius Quadrigarius, ou parfois avec Paulus Clodius. Voir Mazzarino 2011 (1966), 2, p. 294 et p. 521, n. 431 ; Wiseman 1979a, p. 117, n. 29 ; Chassignet 2004, p. XXIII‑XXXVIII ; Cornell 2013, 1, p. 264‑265 et p. 289 avec la bibliographie. Voir aussi la présentation similaire de Liv., 6, 1, 2.
47 Liv., 5, 42, 1‑3. Voir aussi Liv., 6, 1, 10. Ces passages s’opposent à celui, canonique, de Liv., 6, 1, 2 dont on infère en général l’idée d’une destruction totale de l’Vrbs.
48 Torelli 1978, p. 226‑229 ; Coarelli 1978b, p. 229‑230 ; Coarelli 1983a, p. 129‑130 ; Cornell 1995, p. 318 ; Delfino 2009, p. 340‑345 et p. 356‑360, avec la bibliographie antérieure et Richardson 2012, p. 126‑127 et p. 133‑134.
49 Sordi 1960, p. 49‑52 ; Gagé 1964a (= Gagé 1977, p. 520‑545) ; Harris 1971, p. 45 ; Pallottino 1984, p. 233‑234 ; Linderski 1986, p. 2246 et Cornell 1995, p. 316‑317. Mettons à part l’hypothèse de Palmer 1970, p. 162‑164 qui propose de voir dans ce personnage un flamen de Quirinus.
50 Hemina hist., frgt 22 Chassignet (= frgt 19 P1 et 2 = frgt 23 S = frgt 22 Cornell, apud App., Gall., frgt 6 Viereck‑Roos) : Κελτοὶ μηδεμιᾷ μηχανῇ δυνηθέντες ἐπιβῆναι τῆς ἀκροπόλεως ἠρέμουν ὡς λιμῷ τοὺς ἔνδον παραστησόμενοι. καί τις ἀπὸ τοῦ Καπιτωλίου κατέβαινεν ἱερεύς, ὄνομα Δόρσων, ἐπὶ ἐτήσιον δή τινα ἱερουργίαν ἐς τὸν τῆς Ἑστίας νεὼν στέλλων τὰ ἱερὰ διὰ τῶν πολεμίων εὐσταθῶς· τὸν δὲ νεὼν ἐμπεπρησμένον ἰδὼν ἔθυσεν ἐπὶ τοῦ συνήθους τόπου καὶ ἐπανῆλθεν αὖθις διὰ τῶν πολεμίων αἰδεσθέντων ἢ καταπλαγέντων αὐτοῦ τὴν τόλμαν ἢ τὴν εὐσέβειαν ἢ τὴν ὄψιν ἱερὰν οὖσαν. ὃ μὲν δὴ κινδυνεύειν ὑπὲρ τῶν ἱερῶν ἑλόμενος ὑπ’ αὐτῶν ἐσώζετο τῶν ἱερῶν. καὶ τόδε φησὶν ὧδε γενέσθαι Κάσσιος ὁ Ῥωμαῖος (trad. M. Chassignet). L’attribution de ce fragment à Cassius Hemina est discutée, comme le souligne Richardson 2004, p. 286‑287 ou Cornell 2013, 3, p. 171. Il s’agit toutefois d’un fragment issu d’une tradition romaine originale car le nom du personnage et le temple en question varient dans d’autres sources qui mettent en avant le rôle de la gens Fabia. Sur la version fabienne, voir Richardson 2004 et Richardson 2012, p. 108 et p. 121. Enfin, Richardson 2004, p. 291‑293 suggère que cette version dériverait d’une des peintures de Pictor, dans le temple de Salus. Une telle hypothèse ne repose sur aucune source.
51 Sur la première tradition, voir Liv., 5, 40, 7‑8 et Plut., Cam., 20, 8. Toutefois, si l’existence de ces dolia ne paraît guère être discutée par les sources, il n’en va pas de même de leur usage originel comme en atteste Varro, ling., 5, 157. Concernant la seconde tradition, relative au Capitole, voir D.S., 14, 115, 3‑4 et Plut., Cam., 20, 3.
52 Cornell 1995, p. 24 et p. 318.
53 Voir, p. ex., Cic., div., 1, 17, 30‑31 ; D.H., 14, 2 (= 14, B Pittia) et Plut., Cam., 32, 6‑8 avec l’épisode de la découverte du bâton de Romulus après l’incendie de Rome.
54 Delfino 2009, p. 345‑356, avec la bibliographie.
55 Sur les reconstructions antiques, voir Briquel 2008, passim, et plus particulièrement les p. 32‑38. Pour les appréciations des historiens modernes, voir Grandazzi 1991, p. 242.
56 De Sanctis 1907, 1, p. 5 : « In realtà che qualche quartiere di Roma sia stato incendiato dai Galli è da credersi; ma la distruzione della più gran parte dei documenti contrasta con le notizie fededegne su iscrizioni anteriori al sec. V che si conservano più tardi in Roma: si tratta d’un mito etiologico destinato a spiegare come documenti antichissimi ce n’erano verso il termine della repubblica sì pochi. » Voir aussi De Sanctis 1910, p. 310‑319 où le savant italien donne une version française de ses travaux. Cette idée a trouvé des prolongements chez Grandazzi 1991, p. 243 qui voit dans cette tradition sur l’incendie gaulois « un mythe étiologique, élaboré par les annalistes et les historiens romains des troisième et second siècles pour expliquer la rareté des documents antérieurs à la prise de Rome par les Gaulois ». Voir Ungern‑Sternberg 2000, p. 207‑222 et Briquel 2008, passim.
57 De Sanctis 1910, p. 310. Voir aussi Stuveras 1965, p. 51‑52 et Richardson 2012, p. 126‑127 qui montre que l’idée d’un incendie généralisé de Rome répond à un besoin historiographique et non à une réalité historique.
58 D.H., 10, 32, 4 et 4, 58, 4.
59 Cic., Balb., 53. Sur ces aspects, voir Ampolo 1983, p. 14‑26 et, plus généralement, Biraschi, Desideri, Roda et Zecchini 2003.
60 La mise à sac d’Athènes a aussi servi de modèle aux historiens antiques dans leur reconstruction du sac de Rome, comme l’a montré Richardson 2012, p. 130‑138.
61 Alföldi 1963, p. 165‑167. Sur les annales des pontifes, voir Chassignet 1996, p. XXIII‑XLII et Cornell 2013, 1, p. 141‑159, avec la bibliographie.
62 Liv., 8, 18, 12 : Itaque memoria ex annalibus repetita in secessionibus quondam plebis clauum ab dictatore fixum alienatasque discordia mentes hominum eo piaculo compotes sui fecisse, dictatorem claui figendi causa creari placuit (trad. R. Bloch et Ch. Guittard).
63 Smith 2012, p. 113, qui va dans le même sens.
64 Gell., 13, 20, 17 indique qu’il a consulté les éloges funèbres de la gens Porcia ainsi que le Liber commentarium de familia Porcia.
65 D.H., 2, 66, 4 rapporte l’existence d’une inscription en l’honneur de L. Caecilius Metellus.
66 Ce problème de la culture historique et de ses vecteurs sous la République romaine a fait l’objet de travaux multiples. Parmi les ouvrages récents, citons Walter 2004 et Rodríguez Mayorgas 2007.
67 Mazzarino 2011 (1966), 2, p. 244‑250.
68 Sur l’importance de la charnière IVe‑IIIe siècles dans la formation de l’histoire à Rome, voir Gabba 1993 (= Gabba 2000, p. 11‑23).
69 Cic., Brut., 62 ou encore Liv., 8, 40, 4. Sur les Genucii, se reporter à leur notice prosopographique ainsi qu’à celle de Marcii, lignée à l’origine des mêmes phénomènes de falsification.
70 Richard 1978, p. 524.
71 Sohlberg 1993, p. 247‑249 souligne l’inflation des livres consacrés à la période archaïque chez certains annalistes plus tardifs. P. ex., chez Caton, l’époque d’Hannibal est abordée dès le quatrième livre des Origines. À l’inverse, chez Cn. Gellius, l’an 389 n’est atteint qu’avec le quinzième livre. Il y a là un argument très important qui montre ce que fut le mécanisme à l’œuvre : un développement du substrat historique pour obtenir des récits plus amples. Il retrouve ainsi des arguments bien connus et développés par Wiseman 1979a, p. 9‑26. Voir, aussi, sur un cas particulier, Forsythe 1994, p. 38‑53.
72 Voir en dernier lieu, sur ces notions, Humm 2005, p. 449‑480 avec le résumé des débats historiographiques.
73 Cet argument a été mis en avant par Enmann 1900 ; Neumann 1901 et Enmann 1902. L’hypothèse fut aussi reprise par Kornemann 1911 et Kornemann 1912.
74 Voir sa notice prosopographique et le tableau infra p. 81.
75 Momigliano 1983, p. 174.
76 Urban 1973, p. 764. La présentation la plus récente des sources sur la sécession est Smith 2012, p. 106‑110 et aux p. 116‑117 pour le témoignage de l’Enchiridion de Sextus Pomponius.
77 Sall., Iug., 31, 17.
78 Ampel., 25, 1‑4 et Flor., epit., 1, 17 (= 1, 22‑26).
79 De Sanctis 1907, 2, p. 5‑6.
80 Lécrivain 1877 ; Meyer 1895, p. 18 (= Meyer 1924, p. 351) ; Beloch 1926, p. 283 (pour qui la seule sécession digne de foi est même celle de 287, modèle pour l’invention de celles de 494 et 449) ; Bayet 1942, p. 126‑129 et p. 146‑153 ; et Cels‑Saint‑Hilaire 1990, p. 723.
81 D.H., 6, 86 ; Liv., 2, 32, 5‑12 et Zonar., 7, 14.
82 On trouve déjà cette idée en partie chez Meyer 1895 (= Meyer 1924, p. 333‑361) qui reconnaît néanmoins que l’histoire appartient à la tradition la plus ancienne sur la sécession. Cette idée fut développée par De Sanctis 1907, 2, p. 4‑5 et, surtout, par Nestle 1927. Momigliano 1942 (= Momigliano 1960b, p. 89‑104) reprend cette idée du topos d’origine grecque. Il diverge cependant de W. Nestle quant à la datation et remonte cette influence au IVe siècle. Plus près de nous, Hillgruber 1996 défend l’idée que l’histoire était bien d’origine grecque mais qu’elle fut attribuée à Agrippa Menenius par un annaliste romain d’époque gracquienne.
83 Varro, ling., 5, 81. Voir Mazzarino 1971‑1972, p. 110‑119 (= Mazzarino 1972, p. 181‑186) ; Ferrary 1984, p. 88‑91 et infra p. 61-66 la discussion de ce texte et de cette hypothèse.
84 Liv., 3, 54, 4‑15.
85 E. Meyer, suivi par G. De Sanctis, valorisa ce témoignage et fut à l’origine de l’intérêt approfondi porté à ce court passage. Soulignons cependant qu’E. Meyer a évolué sur cette question. En effet, il s’arrêta une première fois sur ce texte dans Meyer 1882, p. 617. C’est seulement ensuite qu’il proposa une version définitive de ses idées dans son article célèbre : Meyer 1895 (= Meyer 1924, p. 333‑361). Il suit alors en fait l’avis exprimé par Niese 1886, p. 7‑13 et Niese 1923, p. 59 qui fait de ce témoignage le plus authentique de tous. De la sorte, la première constitution légale du tribunat daterait de 471 et l’anticipation à 494 serait une adaptation d’érudits ou d’antiquaires.
86 L’idée que Diodore ait pu ainsi placer la création du tribunat en 471 remonte au moins à Niese 1886, p. 13 et Niese 1923, p. 59. On la retrouve chez Meyer 1895 (= Meyer 1924, p. 333‑361) ; Neumann 1912, p. 424 ; Beloch 1926, p. 275‑277 ; Arangio‑Ruiz 1957, p. 43‑50 et Scullard 1980, p. 84‑86. Sordi 1983b, p. 132‑136 se prononce contre la date de 494 et semble bien opter pour celle de 471, sans le dire explicitement.
87 De Sanctis 1907, 2, p. 26‑36.
88 Alföldi 1963, p. 90‑100. Voir aussi Alföldi 1967 pour sa reconstruction du système romain au Ve siècle.
89 Mazzarino 1971‑1972, p. 116‑117 (= Mazzarino 1972, p. 184‑185). L’idée d’une création du tribunat au milieu du Ve siècle est aussi défendue par Ridley 1968, p. 552‑553 et remonte en fait au moins à Pais 1908b, p. 353‑354.
90 Lange 1876, p. 586‑593 ; Schmidt 1886 ; Soltau 1912 ; Piganiol 1917, p. 268‑269 ; Altheim 1934, p. 132‑134 et p. 178 ; Altheim 1940, p. 30‑44 ; Altheim 1953, p. 179‑187 ; De Martino 1972a, p. 334‑344 ; Richard 1978, p. 541‑549 ; Ogilvie 1984, p. 382 ; Sancho Rocher 1984, p. 27‑30 ; Drummond 1989b, p. 214 (qui accepte une date ancienne tout en insistant sur le fait que le choix précis de 494‑493 n’est pas forcément significatif) ; Heurgon 1993, p. 275‑279 même s’il estime qu’il ne faut pas « serrer de trop près » la chronologie traditionnelle ; et Cornell 1995, p. 259‑260. Forsythe 2005, p. 170‑177 estime, lui, qu’aucune date précise ne peut être donnée. Il accepte une création très ancienne du tribunat mais il s’agit d’un tribunat qui fait couple avec le consulat et son interprétation de la fonction tribunitienne ne peut pas être suivie.
91 D.H., 6, 49, 1. Chiffre confirmé par D.H., 6, 74, 3 et D.H., 7, 1, 5, où il parle de 17 années après la chute de la royauté.
92 Liv., 2, 33, 3. Pour les différences de chronologie chez Denys d’Halicarnasse et les équivalences avec les autres computs, voir Werner 1963, p. 134‑166.
93 Plut., Cor., 5, 2 et D.C., 4, 17, 6 Boissevain.
94 Ascon., Corn., 76 Clark (= p. 60 Stangl) ; Cic., Corn., 76 Clark (= p. 60 Stangl); Cic., rep., 2, 57 et Eutr., 1, 13, 1.
95 Pompon., 20‑22 (= Dig., 1, 2, 2, 20‑22) et Lyd., Mag., 1, 38, 2.
96 Cic., rep., 1, 62 et Brut., 54.
97 Sall., hist. frg., 1, 11 M (= 1, 10 McGushin), passage auquel s’accorde Liv., 2, 21, 5‑6.
98 Voir supra p. 40 n. 25 pour la bibliographie.
99 Aberson 1994, p. 8‑9 et p. 47. Le contenu de ces annales continue de faire l’objet de débats, toutefois, leur origine religieuse ne permet pas de douter de la présence de ce type d’information en leur sein. Sur ces annales, voir Chassignet 1996, p. XXIII‑XLII ; Frier 1999, p. 83‑135 ; Cornell 2013, 1, p. 141‑159 avec la bibliographie.
100 D.H., 6, 17, 2‑4 et 6, 94, 3.
101 Voir sa notice dans la prosopographie et Cornell 1995, p. 263.
102 Sordi 1983b, p. 132‑139 et Cazanove 1990.
103 Sordi 1983b, p. 132‑139.
104 Fest., p. 424 L., s.v. Sacer mons et Lovisi 1999, p. 40‑43.
105 Cette divinité est appelée Legifera Ceres, en traduction de la Déméter Thesmophoros par Verg., Æn., 4, 58. Sur Déméter législatrice, il existe différentes occurrences : D.S., 1, 14, 4 ; Call., Cer., 18 ; Cic., Verr. 2, 5, 187 ou encore Ov., met., 5, 341‑345. Θεσμός a des significations variées. C’est d’abord la loi ou l’institution établie par les dieux. D’où, en second sens, la loi divine ou naturelle par opposition à la loi écrite (voir A., Eu., 391). En ce sens, Déméter apporte d’abord des lois qui pourraient être des lois orales, des coutumes. On pensera ici au cas athénien et à l’opposition entre les Θεσμοί de Dracon et les νόμοι de Solon. Le terme peut aussi désigner la loi écrite comme on le voit chez S., Ant., 795. Plus révélateur encore, Ath., 542 d. Voir aussi Pl., Ep., 335b. Ce rapport des plébéiens à Cérès a par ailleurs parfois conduit à l’hypothèse que l’idée d’un droit écrit à Rome serait d’origine plébéienne.
106 Cazanove 1990.
107 Mommsen 1870, p. 10, n. 2 (= Mommsen 1879, p. 128, n. 34) ; Momigliano 1942 (= Momigliano 1960b, p. 89‑104) pour les raisons évoquées supra ; Pareti 1952, 1, p. 374‑375 ; Bertelli 1972 (qui essaye de concilier les deux approches) ; Richard 1978, p. 542‑543 ; Drummond 1989b, p. 213‑214 et Fiori 1996, p. 307‑310.
108 D.S., 11, 68, 8.
109 Déjà en ce sens, Ogilvie 1984, p. 382.
110 Ce qu’a montré Momigliano 1932a, p. 161 (= Momigliano 1969b, p. 298).
111 Liv., 2, 58, 1.
112 Siber 1936, p. 7.
113 De Martino 1972a, p. 335‑336. Cette lecture est celle de Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 316‑317.
114 Appleton 1924, p. 619‑620 critiquait déjà vivement cette tendance à faire de Diodore de Sicile une source qualitativement supérieure quant à l’histoire romaine archaïque. Voir également les remarques de Wiseman 1979a, p. 115 ; de Cornell 1989a, p. 310‑311 et de Cornell 1995, p. 318‑319.
115 Pais 1898, p. 492‑496 et p. 510‑515. L’idée de tels synchronismes se retrouve chez Coli 1956 ; Sartori 1970‑1971 et Sartori 1973a qui rappellent que les changements institutionnels intervenus à Rome en 509 s’inscrivent dans une série de bouleversements similaires à l’échelle italienne. On pourrait y ajouter avec Richard 1978, p. 504‑506 et Coarelli 1985, p. 78 que le culte de Cérès, Liber et Libera pourrait également relever d’une origine au moins partiellement sicilienne, voire syracusaine.
116 Varro, ling., 5, 81 : Tribuni plebei, quod ex tribunis militum primum tribuni plebei facti, qui plebem defenderent, in secessione Crustumerina. Je diverge ici totalement de la lecture de ce passage par Meunier 2011, p. 353 : il en tire la conclusion que « les tribuns étaient donc à l’origine des magistrats militaires d’abord et avant tout », et développe sur cette base la thèse de fonctions militaires du tribunat. Le texte de Varron dit uniquement que les premiers tribuns de la plèbe avaient exercé la charge de tribuns militaires, rien de plus et on ne peut l’utiliser pour assimiler les deux fonctions. En outre, si je défends la thèse de l’origine militaire du tribunat, je ne crois pas du tout en celle de Meunier 2011 qui prétend faire du tribunat de la plèbe et du tribunat militaire une seule et même fonction jusqu’en 367.
117 Hemina hist., frgt 3 Chassignet (= frgt 3 P1 et 2 = frgt 3 S = frgt 5 Cornell, apud Serv., ad Æn., 7, 631).
118 D.S., 7, 5, 9 ; D.H., 2, 36 et 53 ; OGR, 17, 6‑9.
119 Plut., Rom., 17, 1, voir également Verg., Æn., 7, 715.
120 Verg., Æn., 7, 630‑631. Voir aussi Sil., 8, 365‑366.
121 Liv., 1, 9, 8 à 1, 11, 3.
122 D.H., 2, 32, 2 et 2, 36, 1 ; Plut., Rom., 17, 1.
123 D.H., 2, 53, 2.
124 Sur la ligue latine, voir Bourdin 2012, p. 278‑298 avec la bibliographie.
125 D.H., 3, 49, 4‑6 et Liv., 1, 38, 4.
126 Liv., 2, 19, 1‑2.
127 Niccolini 1932, p. 19‑24.
128 D.H., 6, 34, 4.
129 D.H., 10, 26, 1 et Liv., 2, 64, 2‑3.
130 D.H., 11, 23, 4 et Liv., 3, 42, 3‑4.
131 Liv., 5, 37, 7.
132 D.H., 6, 34, 4 et 11, 23, 4 ; Liv., 2, 64, 3 et 3, 42, 3.
133 Plin., nat., 3, 52‑54 et 68.
134 Varro, rust., 1, 14‑15.
135 Pour la localisation et une présentation des recherches sur le site, voir Quilici et Quilici Gigli 1980, p. 26‑64.
136 Voir infra p. 284-293 sur ce point.
137 Liv., 2, 21, 7.
138 Voir en ce sens De Martino 1972a, p. 164‑167 et p. 257‑258 et Humbert 1978, p. 77‑78.
139 C’est le cas de Beloch 1926, p. 175‑176, p. 265 et p. 270‑271 et d’Alföldi 1963, p. 314‑317.
140 Giannelli 1944 (1937), p. 140‑142.
141 Coli 1955, p. 197‑206.
142 Rieger 2007, p. 375‑376.
143 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 6/1, p. 182‑194.
144 Suivant Bernardi 1952, p. 20, n. 2 ; Taylor 1960, p. 36‑37 et Gjerstad 1973a, p. 272‑273 et p. 368‑369.
145 Quilici et Quilici Gigli 1980, p. 285‑287 et Rieger 2007, p. 371‑379 avec la bibliographie.
146 Mommsen 1985 (1854), 1, p. 202.
147 Mazzarino 1971‑1972, p. 110‑117 (= Mazzarino 1972, p. 181‑185) et Quilici et Quilici Gigli 1980, p. 287 avec la bibliographie.
148 Liv., 3, 42, 3.
149 Liv., 3, 42, 7.
150 Liv., 3, 51, 6‑10.
151 Rieger 2007, p. 377‑379 et Quilici et Quilici Gigli 1980, p. 287‑289.
152 Hirschfeld 1913b.
153 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 6/1, p. 161, n. 2. Conclusion similaire dans Smith 2012, p. 118.
154 Ascon., Corn., 76 et 77 Clark (= p. 60 Stangl) : Inducor magis librariorum hoc loco esse mendam quam ut Ciceronem parum proprio uerbo usum esse credam. Illo enim tempore de quo loquitur, quod fuit post XVI annos quam reges exacti sunt, plebs sibi leges sacratas non restituit – numquam enim tribunos plebis habuerat – sed tum primum eas constituit. Numerum quidem annorum post reges exactos cum id factum est diligenter posuit, isque fuit A. Verginio Tricosto L. Veturio Cicurino coss. Ceterum quidam non duo tr. pl., ut Cicero dicit, sed quinque tradunt creatos tum esse singulos ex singulis classibus. Sunt tamen qui eundem illum duorum numerum quem Cicero ponant : inter quos Tuditanus et Pomponius Atticus, Liuius quoque noster. Idem hic et Tuditanus adiciunt tres praeterea ab illis duobus qui collegae <essent lege> creatos esse. Nomina duorum qui primi creati sunt haec traduntur : L. Sicinius L. f. Velutus, L. Albinius C. f. Paterculus (trad. M. Chassignet complétée).
155 L. Albinius C. f. Paterculus, L. Iunius Brutus, C. Licinius, P. Licinius, L. Sicinius L. f. Vellutus (Bellutus) et C. Icilius (Viscellius ?) Ruga.
156 M. Duilius, Sp. Icilius, L. Maecilius, L. Numitorius et Cn. Sicinius.
157 C. Apronius, M. Duilius, L. Icilius, P. Numitorius, C. Oppius, M. Pomponius, C. Sicinius, M. Titinius, L. Verginius et Ap. Villius.
158 Smets 1938 et Lanfranchi 2013b.
159 D.H., 6, 88, 4.
160 Pour la démonstration d’ensemble, voir Lanfranchi 2013b.
161 Momigliano 1932a, p. 165 (= Momigliano 1969b, p. 301) : « I prenomi naturalmente non importano. »
162 Présentation récente des sources à partir du cas de Dion Cassius dans Urso 2005, p. 53‑59.
163 Voir déjà les remarques de Momigliano 1932a, p. 160 (= Momigliano 1969b, p. 297).
164 Pompon., 20‑22 (= Dig., 1, 2, 2, 20‑22) : Iisdem temporibus cum plebs a patribus secessisset, anno fere septimodecimo post reges exactos, tribunos sibi in Monte Sacro creauit, qui essent plebeii magistratus ; dicti tribuni, quod olim in tres partes populus diuisus erat, et ex singulis singuli creabantur ; uel quia tribuum suffragio creabantur. Itemque ut essent, qui aedibus praeessent, in quibus omnia scita sua plebs deferebat ; duos ex plebe constituerunt, qui etima aediles appelati sunt.
165 Sohlberg 1991, p. 271‑274 et Sohlberg 1993, p. 256‑258.
166 Se prononcent en faveur de deux tribuns : Niebuhr 1836‑1842 (1828‑1832), 1, p. 578 ; Schwegler 1870, p. 270‑271 ; Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 315‑318 ; Bonfante 1934, 1, p. 106 ; Siber 1936, p. 7‑8 ; Cornelius 1940, p. 109 ; Homo 1950, p. 52‑53 ; Lübtow 1955, p. 98‑99 ; Gaudemet 1982, p. 295 n. 4 ; De Martino 1972a, p. 334‑337 ; Gjerstad 1973a, p. 301‑308 ; Levi 1978b, p. 11 et Heurgon 1993, p. 277. À ma connaissance, seuls Séran de la Tour 1774, 1, p. 38‑39 ou p. 57 et Bouché‑Leclercq 1886, p. 69 se prononcent pour un nombre initial de cinq. Toutefois, l’abbé Séran de la Tour se contredit puisque, p. 102, il évoque leur augmentation de deux à cinq. De même, seul Sohlberg 1991, p. 271‑274 et Sohlberg 1993, p. 256‑258 défend celui de trois. L’hypothèse de quatre tribuns à l’origine ne peut être proposée que si l’on accepte leur création en 471 à partir du témoignage de Diodore de Sicile, à l’image de Meyer 1895 (= Meyer 1924, p. 333‑361). Ce point de vue a été suivi par Magdelain 1971, p. 123‑127 (= Magdelain 2015, p. 447‑451) qui revient sur un schéma à quatre puis dix tribuns et, de façon moins claire, dans Magdelain 1991, p. 311 (= Magdelain 2015, p. 479). Enfin, à côté de la position originale d’A. Momigliano, certains auteurs préfèrent ne pas trancher, à l’image de Binder 1909, p. 378 ou de De Sanctis 1907, 2, p. 33. Notons également que la version grecque de cinq tribuns, eut, par l’intermédiaire de Plutarque, une certaine fortune puisque c’est celle que l’on retrouve chez Shakespeare, La Tragédie de Coriolan, I, 1, 202‑205 qui mentionne cinq tribuns tout en ne nommant, à l’instar de Plutarque, que Sicinius Velutus et Brutus.
167 Cic., leg., 3, 16. Ce passage trouve un écho chez Cic., rep., 2, 58 et cette analyse eut une certaine postérité puisque App., BC, 1, 1 reprend l’interprétation de Cicéron. Voir déjà en ce sens Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 314.
168 Liv., 3, 30, 6 ; Ascon., Corn., 76 et 77 Clark (= p. 60 Stangl) et Zonar., 7, 15.
169 Voir supra p. 59-61.
170 Voir infra p. 167-170 et p. 176-180.
171 Momigliano, 1932a, p. 168 (= Momigliano 1969b, p. 304). Pais 1915a, p. 182 avait déjà fait cette supposition, mais sur la base d’une interprétation erronée d’un fragment du Pro Cornelio de Cicéron et d’un passage de Liv., 2, 44, 6.
172 Liv., 3, 55, 7.
173 Mitchell 1990, p. 142‑144 et p. 147‑148.
174 Pour mémoire, rappelons qu’elle fut proposée par d’éminents historiens. On la trouve chez Lange 1876, p. 593‑594 ; Soltau 1880, p. 464, n. 1 et p. 517 ; Meyer 1895 (= Meyer 1924, p. 333‑361) ; De Sanctis 1907, 2, p. 18‑22 et p. 25‑26 ; Rosenberg 2011 (1913), p. 77 ; Homo 1950, p. 17 et p. 50‑51 ou encore Arangio‑Ruiz 1957, p. 46‑47. Elle fut progressivement abandonnée depuis. Notons le cas particulier de P. De. Francisci qui commença par valider l’hypothèse des tribuns chef des tribus urbaines (De Francisci 1943, p. 216) avant d’abandonner cette idée au profit de l’origine militaire du tribunat (De Francisci 1948, p. 72‑73).
175 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 317‑318.
176 Il n’est pas certain que l’infra classem soit à cette époque une classe à proprement parler car elle se compose en fait de tous ceux qui n’entraient pas dans la classis.
177 L’analyse la plus récente des sources sur la réforme censitaire de Servius Tullius se trouve chez Thomsen 1980, p. 144‑148. L’historicité de cette réforme, telle que présentée dans les sources, est encore soutenue par De Francisci 1959a, p. 681‑688 ou Gjerstad 1973a, p. 301‑308 et Gjerstad 1973b, p. 148‑155. Toutefois, l’idée qu’un tel système ne put exister dès la fin du VIe siècle et qu’il faudrait lui préférer un système censitaire primordial plus simple, à seulement deux classes, est très ancienne et gagne du terrain. On se reportera à Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 318 et 6/1, p. 297‑298 ; Beloch 1926, p. 283‑292 ; Fraccaro 1931 (= Fraccaro 1957, p. 287‑292) ; Fraccaro 1934 (= Fraccaro 1957, p. 293‑306) ; Homo 1950, p. 17 et p. 41 ; Staveley 1956, p. 75‑84 avec un résumé des théories en présence ; Gabba 1961 (= Gabba 2000, p. 109‑128) ; Kienast 1975 ; Gabba 1977 ; Richard 1978, p. 359‑378 ; Cels‑Saint‑Hilaire et Feuvrier‑Prévotat 1979, p. 110‑121 ; Thomsen 1980, p. 157‑211 ; Cornell 1995, p. 173‑197 ; Poucet 2000, p. 218‑223 ; Humm 2005, p. 283‑292 et p. 345‑347 et Smith 2006, p. 177. Sur l’importance politique de cette assemblée centuriate, les avis divergent. Disons pour simplifier qu’une partie de l’historiographie penche pour un rôle politique dès le début de la République. C’est, p. ex., le cas de Gjerstad 1972, p. 182‑183 ou de Raaflaub 2005b, p. 215‑216, n. 67. À l’inverse, Humm 2005, p. 287‑290 ou p. 404‑405 estime que l’assemblée curiate conserva longtemps un rôle important tandis que l’assemblée centuriate n’acquit un poids politique qu’à partir du milieu du Ve siècle.
178 Richard 1978, p. 566‑567.
179 Ces consuls s’appellaient en fait préteurs au départ, l’un ayant le titre de praetor maximus, et leur nombre classique semble bien avoir été de deux. Voir Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 84‑89 et p. 221‑224.
180 Liv., perioch., 11, 8, indique que cette fonction fut créée en 290‑289. Voir Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 4, p. 301‑310 ; Lintott 1968, p. 102‑106 ; Lintott 1999, p. 141‑143.
181 On le retrouve toutefois pour certaines fonctions religieuses (pensons aux trois flamines majeurs).
182 Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 1, p. 35‑38.
183 Cité par Liv., 2, 58, 1‑2.
184 Urso 2005, p. 59 et p. 78‑88. Historiographie sur la datation du passage dans Urso 2005, p. 80, n. 111.
185 Voir infra p. 281-308 sur ce plébiscite.
186 D.H., 10, 30, 2 et Liv., 3, 30, 7. Urso 2005, p. 85‑87 propose d’y ajouter un bref passage de Zonar, 7, 18, hypothèse néanmoins incertaine.
187 Liv., 3, 30, 7 : itaque cautum est ut postea crearentur (trad. G. Baillet). Licandro 1996 p. 187‑189 reconnaît la grande incertitude de ces témoignages. D’après lui, en 457, on serait arrivé pour la première fois à un collège de dix tribuns, par des phénomènes de cooptation, et sans que cela soit érigé en règle. C’est seulement en 448 que ce chiffre aurait été fixé et O. Licandro corrèle ce choix au plébiscite trébonien [55] qui, la même année, interdit la désignation de tribuns par la cooptation.
188 D.S., 12, 25, 3 ; D.C., 5, 22 Boissevain ; Liv., 3, 65, 1‑4 et Zonar., 7, 17. Sur ce plebiscitum Trebonium de tribunis plebis creandis, non cooptandis, voir aussi LPPR, p. 206‑207 et Flach 1994, p. 227‑228 n° 35. Rappelons que Botsford 1968 (1909), p. 285‑286 propose, à tort, de dater cette mesure de 401.
189 Notons que Mommsen 1984‑1985 (1889‑1896), 3, p. 317 évoque la possibilité que Dion Cassius situât cette même augmentation en 471. En réalité, cette suggestion repose essentiellement sur le texte de Zonaras et la fameuse histoire des neufs tribuns brûlés. Elle est donc très fragile car il n’est pas certain du tout qu’il s’agît de tribuns de la plèbe (voir les notices prosopographiques respectives de ces personnages)
190 Richard 1978, p. 564.
191 Liv., 3, 51, 10-11 : Porta Collina urbem intrauere sub signis, mediaque urbe agmine in Auentinum pergunt. Ibi coniuncti alteri exercitui uiginti tribunis militum negotium dederunt ut ex suo numero duos crearent qui summae rerum praeessent. M. Oppium, Sex. Manilium creant (trad. G. Baillet). On trouve une présentation similaire chez D.H., 11, 43, 6 à 11, 44, 2.
192 Richard 1993, p. 39.
193 D.S., 12, 25, 1‑3. Richard 1978, p. 567, n. 415 estime cette tradition « aberrante » sans avancer d’argument en ce sens.
194 Voir Wieacker 1971 (plutôt critique de cette tradition) ; Ducos 1978 ; Ferenczy 1984 (qui estime que le modèle grec le plus probable pour les XII Tables fut la codification de la cité de Locres).
195 Je rejoins donc, par des voies différentes, la conclusion de Licandro 1996. Contra, Richard 1978, p. 567‑568.
196 Pais 1916, p. 14‑39.
197 Voir, p. ex., Lübtow 1955, p. 53‑57.
198 Il s’agit d’un élément important qui est depuis longtemps utilisé comme argument dans la validation ou non de telles listes. Cichorius 1886, p. 177 l’avait déjà utilisé pour relever dans les fastes consulaires des personnages dont les lignées disparaissaient ensuite, ce qui allait contre l’idée d’interpolation.
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