Chapitre 2. Le pouvoir en ville (1200-1237)
p. 643-693
Texte intégral
I – L’ÉVOLUTION GÉNÉRALE
A) Les événements de 1200-1205 : une révolution « gattopardienne »
1Il faut aborder les problèmes de l’histoire politique et institutionnelle de la commune de Padoue au xiiie siècle, de même que l’histoire de son arrière-plan social urbain, avec une certaine humilité car c’est là un terrain passablement défriché par l’actuelle école historique locale. Rien de ce qui suit n’eût pu être écrit sans ses apports, au premier rang desquels le long article de Sante Bortolami, Fra « alte Domus » e « populares homines » : il comune di Padova e il suo sviluppo prima di Ezzelino, déjà maintes fois cité. Ce qui pourra être formulé ici d’hypothèses ou d’aperçus nouveaux ne l’aurait pas été sans ce travail.
2Les événements que l’on a pris l’habitude de qualifier de « révolution de 1200 » sont très mal connus : une allusion rapide dans deux chroniques, à savoir la version italienne des Annales Patavini et le Liber regiminum.
3L’une nous apprend que les « plébéiens » ont pris le pouvoir aux « magnats de Padoue », et cela alors que le marquis d’Este, Azzo, était podestat ; l’autre que les gens du populus se sont emparé des juridictions des « magnats »1. Et c’est tout2. Un tel laconisme fausse les perspectives. Pour commencer, à mieux lire l’ensemble des chroniques, il semble bien que la situation nouvelle ainsi créée ne se soit stabilisée qu’à partir de 1205.
4On peut d’emblée constater que la conséquence immédiate (la plus fondamentale peut-être) du mouvement de 1200 a été le retour au régime du podestat étranger, et donc la fin de cette période instable de 25 ans où avaient alterné trois tentatives de solution : le podestat étranger (le premier en 1275 : Alberto da Osa, Milanais), le retour aux consuls et le podestat local (le marquis en 1200, par exemple).
5Bref, il s’est d’abord agi, en 1200, d’en finir avec les mainmises périodiques de telle ou telle faction aristocratique sur la commune. Or, en 1204, se produit un « ultime raidissement de l’élément seigneurial », pour reprendre une expression de S. Bortolami, avec une double direction d’Alberto da Baone et Dalesmanino Dalesmanini3. Les raisons se laisent facilement déceler : c’est le moment où entre dans une phase aiguë la « guerre féodale » entre les da Romano et l’alliance da Camposampiero-Este ; les da Baone représentent donc à Padoue le parti des Este, les Dalesmanini celui de leurs adversaires. L’année suivante c’est le retour, cette fois définitif, au podestat étranger – du moins jusqu’à la fin de la libre commune en 1237 –4.
6La signification des choses paraît claire : il faut insister sur le rôle de pacificateur, éventuellement autoritaire, que le milieu citadin est amené alors à jouer, non seulement à Padoue mais dans toute la Marche, dans son propre intérêt tout autant que dans celui, bien compris, de l’aristocratie. Il est de fait que le maintien sur 32 ans du système de l’exécutif étranger est la preuve du succès, sur cette période, de ce coup de force des arbitres5.
7Il faut aller plus loin et ajouter une nuance de conséquence : si certaines chroniques se contentent d’indiquer le nom du podestat de 1205, d’autres, de la même façon allusive qu’au sujet des faits de 1200, signalent un événement contemporain qui est sans nul doute un effet de ce retour à la norme : les juridictions, le dominium, sont confisquées (de nouveau) aux « magnats », mais cette fois tout à fait (penitus), dit l’une d’elles6.
8Deux problèmes de définition se posent : quels sont ces « magnats » et quelles sont leurs « juridictions » ? Comment – surtout – définir le populus ?
9En 1205, nous est-il dit dans l’une des chroniques, les juridictions ont été prises aux magnats parce qu’ils rendaient la justice dans leurs villae7. Dans cette conception des choses les « magnats » se réduisent au petit groupe des seigneurs détenteurs de châteaux et de pouvoirs de ban (comitati) dans le contado ; une liste nominative postérieure de plus d’une trentaine d’années le confirme : on y trouve les da Carrara, la famille comtale et ses divers rameaux – Schinella, da Lozzo, da Castelnuovo, da Carturo –, les Forzatè, les da Camposampiero, les da Montemerlo, les Dalesmanini et les Avvocati (da Fontaniva), soit exclusivement des représentants de ce milieu8.
10Du coup, le statut de l’aristocratie consulaire citadine, manifestement non concernée – ces juges/milites qui jusque-là ont incarné la commune –, se trouve constituer, à première, vue, un problème. Où les situer ?
11Il faut tenter de comprendre l’évolution sémantique du mot populus. Le Liber regiminum, selon son éditeur, Bonardi, s’inspire largement des Annales Patavini dans l’une de leurs rédactions latines : il est donc postérieur au moins à leur noyau originel, de lente élaboration9. Quant à la version italienne des mêmes Annales, Bonardi en fait une traduction de la rédaction latine dite « Codice Zabarella », du premier xive siècle10. Bref, les allusions au populus de 1200 se trouvent dans des œuvres rédigées au début du xive siècle ou, au plus tôt, à la fin du xiiie.
12On remarquera que Giovanni da Nono, qui écrit sa présentation vipérine de la haute société padouane – le De Generatione – autour de 1318-1337 au plus tard11, donc à peu près à la même époque, utilise le mot populus d’une manière singulièrement élastique : c’est ainsi qu’il oppose les « nobles » tout court et les « nobles populaires » ! Au sujet des Tanselgardini, tout particulièrement, il remarque que la tradition en fait, certes, des nobles, mais il ajoute que nulle chronique ne les nomme « comtes », d’où il conclut qu’ils étaient, à l’origine, de « nobles et puissants populaires » : nuance dont rend compte à sa façon le terme « magnats »12.
13Revenons aux mentions des événements de 1200-1205 : les « magnats » sont ainsi dénommés parce que, s’ils forment bien désormais un groupe homogène de châtelains auxquels leur pouvoir dans le contado fournit des moyens, en hommes tout particulièrement, pour imposer – ou tenter d’imposer – leurs factions dans le cadre communal, leur origine est en somme multiple : aux comtes et aux lignages segmentés qui en sont issus sont venus s’ajouter d’abord les châtelains alleutiers du type da Carrara, puis ceux qui ont acquis plus tardivement des juridictions, par le service d’un grand d’Église en général (au premier plan l’évêque), ainsi les Tanselgardini, les Dalesmanini, et peut-être les Avvocati-da Fontaniva. Le terme « magnats » rend compte de cette diversité originelle13.
14Si l’on considère comme identique le vocabulaire des chroniqueurs de la « révolution » de 1200-1205 et celui de da Nono, une conclusion s’impose, qui n’apparaît sans doute contradictoire que, d’une part parce que nous sommes trop facilement conditionnés par l’usage florentin de la terminologie qui a valeur de paradigme dans l’historiographie (où populus s’oppose à milites), et d’autre part dans la mesure où nous oublions une évolution sémantique qui a démesurément élargi le champ social couvert par le mot populus au cours des décennies qui vont du temps où Rolandino écrivait la chronique-phare dont toutes allaient s’inspirer, autour de 1260, et les années 1300. Cette conclusion est que, tout milites qu’ils sont, les aristocrates – chevaliers et juges – citadins du milieu consulaire, dans ces circonstances, non seulement ne se situent pas dans un espace politique neutre (non dit) entre le populus et les « magnats », mais que, non contents de faire partie de ce populus vainqueur, selon toute vraisemblance, ils le dirigent.
15Quant aux raisons de cet élargissement du champ social couvert par le mot populus, que je viens de signaler, elles sont claires : on aura plus loin l’occasion de constater que la seconde moitié du xiiie siècle est le moment de l’irruption massive des nouveaux riches et des représentants des couches sociales non-aristocratiques dans les sphères du pouvoir, avec entre autres résultats la diffusion du titre dominus selon des critères désormais essentiellement économiques14. Da Nono et ses contemporains (entre autres, les chroniqueurs qui ont relaté les faits de 12001205) ne font pas autre chose qu’enregistrer cette dévaluation : puisque le moins dégrossi des affameurs y a droit tout autant qu’un descendant de consul et que s’est constituée une élite sociale à base purement censitaire, tous sont considérés comme des populares, et seuls les descendants des anciens seigneurs-châtelains constituent la nobilitas.
16Il me semble que jusqu’à présent il y avait eu pour les historiens qui, pourtant, s’étaient parfois approchés très près de la solution, un obstacle dans le vocabulaire qu’ils n’avaient pas osé franchir et qui tenait en fin de compte au hiatus entre le sens du mot populus durant la première moitié du xiiie siècle – jusqu’à Rolandino inclus – et celui qu’il avait pris autour de 1300, quand sont écrites les allusions à l’événement survenu un siècle plus tôt. Car Rolandino, dont le vocabulaire conditionnait leur vision, distinguait encore parfaitement, et opposait, milites et populares15, contrairement à ses successeurs.
17Tout se réduit donc à une alliance, rendue nécessaire pour faire entendre raison aux comites, entre la vieille classe dirigeante citadine et une bourgeoisie d’hommes nouveaux dont elle se sert comme d’une force d’appoint, et pas davantage ! On verra plus loin que, podestat mis à part, qu’on retrouve toujours les mêmes noms qu’auparavant, avec simplement l’adjonction, çà et là, de quelque commerçant/usurier enrichi, à la direction des institutions communales16. Le but était de retrouver un ordre et sauver les affaires en imposant la fin des guerres féodales : il fallait, comme l’eussent dit les aristocrates du Guépard, « que tout change pour que rien ne change ». On verra parfois quelque Tancrède épouser une Angelica Sedara, et tout sera dit, le temps du moins d’une génération. Pour l’instant le populus au sens strict (les non-milites de Rolandino et des chroniques florentines), encore à peu près inorganisé, n’eût certainement pas été capable, seul, d’imposer « sa » paix17.
18Quelles ont été les conséquences de l’élargissement – relatif – du milieu dirigeant sur les institutions communales, en dehors du retour définitif au podestat étranger ? Elles sont bien connues et je puis ici me contenter d’un bilan rapide.
B) Les conséquences de la « révolution » : renforcement du pouvoir sur le contado et évolution des institutions
19Le maintien de la solution du podestat étranger est la clé de voûte du nouveau système : comme l’a écrit Silvana Collodo, c’est ce magistrat qui garantit l’équilibre des rapports de force existants ; bien loin de signifier l’affaiblissement des groupes nobiliaires (au jeu desquels participe l’aristocratie consulaire, il ne faut pas l’oublier), il en permet le maintien dans une sorte de statu quo où s’assoupissent les « tensions compétitives » des seigneurs18. Bien entendu cela suppose, en fin de compte, leur acquiescement au principe de la délégation de l’exécutif à un technocrate neutre, acquiescement fragile par essence, dépendant tragiquement de l’action des facteurs externes à la cité sur les rapports de force, et l’on ne peut que constater ce que De Vergottini avait appelé « l’insuffisance organique » de l’ » Etat » communal19.
20La politique communale de limitation des pouvoirs des « magnats » sur le contado, lente à se manifester, présente deux aspects. Le plus spectaculaire est une action militaire menée contre les récalcitrants qui refusaient d’admettre tout contrôle des magistrats citadins. Les plus réticents étaient, cela va de soi, les plus puissants, c’est-à-dire les Este : encore autour de 1203-1204 un émissaire communal avait été assassiné à Montagnana20 ! Après quelques années de tension et une première expédition militaire en 120921, on en arrive à celle, plus décisive, qui voit Ezzelino II da Romano venir en aide à l’armée padouane. L’occasion était bonne : Azzo VI était mort en novembre 1212. Le jeune Aldobrandino jure d’obéir à la commune – ce qui implique la soumission aux taxes imposées par elle (les daciae), entre autres – et acquiert la citoyenneté padouane22. J’ai, cela dit, déjà eu l’occasion de signaler que, étant admis le contrôle du podestat padouan, le marquis conserve sans doute, de fait, la juridiction d’Este et de ses territoires23.
21Mais c’est avant tout par une série de statuts que la commune impose, surtout à partir de 1215, une limitation et un contrôle (et non point la suppression) des juridictions et des exactions seigneuriales ; plus qu’autre chose il s’agit de fixer une règle commune à tous les seigneurs : c’est ce qui ressort particulièrement bien de l’interdiction faite à l’évêque et aux plus grands monastères, tels Praglia et Santa Giustina, d’exiger des taxes et d’user de violence à l’égard de paysans qui ne sont pas leurs dépendants directs24. C’est à cette occasion que les juristes citadins ont interprété la condition d’arimannus comme un statut de dépendant, dans une méconnaissance totale (voulue ?) du sens coutumier du terme : si bien que le pouvoir de juridiction de ces seigneurs ecclésiastiques se trouvait de fait renforcé sur une partie au moins des paysans des villages dont ils avaient la seigneurie25. Si les principes étaient affirmés avec une intransigeance apparente26, dans les faits les pouvoirs de ban ne disparaissaient pas totalement : ce qui vient d’être dit du marquis d’Este vaut pour d’autres ; ainsi en est-il de l’évêque qui, en dépit de tout, en 1235, nomme encore le potestas et rector de San Giorgio delle Pertiche, alors que, dans les années 1222-1223, au cours d’un procès, Iacopino Fisolo et ses témoins affirmaient que la commune de Padoue lui avait confisqué le comitatus ; de même, entre autres exemples, encore en 1260, on le verra confirmer la nomination du maricus de la petite commune euganéenne du Monterosso par les représentants des vicini locaux : c’est ici le lieu de rappeler que le seigneur coutumier devenait, là où il exerçait encore une autorité, le meilleur garant des autonomies locales face à la juridiction citadine27. Rappelons, pour finir, que le déclin du pouvoir épiscopal à Sacco a été déterminé, non par une intervention directe des magistrats padouans, mais par la volonté des citoyens de la « quasi città » qu’était Piove, dans les années 1230, alors que, encore en 1223, les notables locaux en attendaient la garantie de l’élection de leurs officiers28. On ignore quel pouvait être, de surcroît, face à l’action communale, l’impact de diplômes impériaux manifestement sollicités par les « magnats » les plus visés : les Dalesmanini, auxquels Otton IV reconnaît le comitatus et la « pleine juridiction » de tout un secteur à l’est de Padoue en 1212, l’évêque Giordano en 1220, le monastère de Praglia en 1232, les da Carrara en 1237 ; Azzo VII d’Este, le plus puissant et le plus malmené, avait aussi reçu le sien, en 122029 : c’est en présence du podestat et de délégués padouans que Frédéric II avait ordonné à la commune de ne pas s’ingérer dans la juridiction d’Azzo sur Este, Calaone, Montagnana et les villages de Scodosia (tous sont cités) et, outre cela, de reconstruire le palais (palacium) d’Este qu’elle avait fait détruire !
22Il est malheureusement impossible, faute d’une documentation suffisante, de dresser un tableau des effets concrets de la multiforme action communale. Ce qui est, semble-t-il, obtenu sur l’ensemble du contado, loin d’être une juridiction directe, est l’acceptation de la commune urbaine comme juridiction d’appel30 ; quant à ce qui est conservé par les seigneurs locaux, on ne dispose que d’exemples isolés, qui témoignent d’une multiplicité, peut-être mouvante, de situations31. J’aurai, au demeurant, à plusieurs reprises l’occasion de mettre en évidence la ténacité d’autonomies et de particularismes mi-cro-régionaux maintenus parfois jusqu’au delà de la période ezzélinienne32.
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23Peut-on se faire une idée précise des modifications institutionnelles dues à la « révolution » de 1200 ? Certains offices, certes mieux connus à partir du xiiie siècle, existaient auparavant (ainsi les extimatores, qu’on voit apparaître dès 1187), d’autres, comme les cataveri, créés en 1216, en sont une probable conséquence33. Faut-il admettre qu’une réorganisation profonde en est progressivement résultée ?
24Avec le xiiie siècle la documentation permet parfois de voir fonctionner le Grand Conseil, assemblée des citoyens qui n’est plus qu’une délégation de l’ancienne concio générale34. D’après un statut daté de 1230 il est censé avoir 400 membres35 ; en fait, une liste de 1216 en fait connaître 563 alors que, en 1235, à l’occasion d’un traité avec Venise, n’en sont plus mentionnés que 27036 ; leur nombre ira cependant croissant pour atteindre le millier en 1277, sur environ 11.000 habitants adultes mâles37. C’est le grand conseil qui prend les décisions, après délibération ; les chefs politiques sont donc dépendants de lui, quitte à l’influencer en des jeux de clientèles foncièrement informels38.
25Assez tôt ce législateur théorique et pléthorique (1/10e de la population masculine adulte, je l’ai dit) se voit flanquer d’une délégation beaucoup plus restreinte, mieux à même d’assister l’exécutif, voire, semble-t-il, de prendre certaines décisions de politique extérieure : le Conseil des 4039, que l’on voit agir une première fois, en 1233, à l’occasion d’un traité par lequel Conegliano entre dans la mouvance padouane (ses cives deviennent officiellement cives de Padoue)40.
26De même qu’il n’est pas possible de définir clairement les rôles respectifs de ces deux conseils, en dehors des considérations générales déjà faites, de même on ignore selon quels critères exacts étaient choisis les membres du Grand Conseil avant la rédaction des statuts de 1277, lesquels, au demeurant, ne répondent pas à toutes les questions que l’on est amené à se poser. Toujours est-il qu’en 1277 il fallait être propriétaire en ville, y vivre, et payer une dacia (la taxe établie d’après l’ » estimo »), fixée par le statut de cette année là à un minimum de 50 livres. Mise à part cette dernière précision, les conditions étaient sans doute à peu près identiques auparavant41. Quant au Conseil des 40, dont un statut de 1266 nous fait savoir que ses membres étaient élus à raison de deux par « centenario », soit dix par quartier, une évidence arithmétique incite à penser qu’il n’en allait pas autrement avant 123642.
27La commune de la fin du xiie siècle était encore, comme l’avait montré Roberti, un organisme extrêmement simple43. Néanmoins un premier noyau d’officiers était apparu pour seconder l’exécutif (les consuls puis le podestat). Les officiers ordinaires de la commune, avant 1236, sont encore en petit nombre : autour des consuls, désormais réduits à un rôle d’auxiliaires, figurent déjà les procuratores et les extimatores, les caniparii, les ingrossatores, les cataveri et les iusticiarii ; autour d’eux, des employés subalternes44.
28Les consuls, au nombre désormais fixé à douze (trois par quartier)45, deviennent pour l’essentiel, au service du podestat, des pacificateurs attitrés entre les factions (ce qu’en somme ils avaient auparavant été bien souvent, mais officieusement) ; leur subordination au nouvel exécutif est explicite dans le texte de leur serment46.
29Le critère purement géographique de nomination est un gage, au moins théorique, d’extension de l’office à tous les citoyens actifs, ce qui est dans la logique du rôle de pacificateurs qu’ils sont censés jouer.
30De même que les consuls, les procuratores et extimatores existaient déjà avant 1200, on l’a vu. La situation nouvelle ne modifie ni leur rôle – fondamental –, ni leur mode de recrutement purement aristocratique puisque ces charges sont réservées, par moitié, à des juges et à des milites47. Comme l’a remarqué S. Bortolami les procuratores sont, à Padoue, les seuls, le podestat mis à part, à pouvoir émettre des sentences de bannissement. Ils doivent en effet connaître de tout dommage que la commune aurait à réparer (les incendies par exemple), contrôler la levée de la dacia (l’impôt direct) par les massarii, gérer les terres communales, etc.48 Souvent, ils sont en même temps extimatores : plus limitée, cette charge consiste à organiser les ventes aux enchères des biens des faillis. La liaison entre les deux charges tient à ce qu’ensemble elles permettent à la commune de « contrôler le mouvement des ensembles fonciers alleu-tiers et féodaux sur tout le territoire padouan », et donc de « mieux préserver ses propres intérêts juridiques et patrimoniaux »49.
31Les charges qui suivent sont de nature plus technique et ne sont pas liées à des responsabilités à caractère immédiatement politique :
les caniparii, comme les précédents, sont attestés avant 120050. Au nombre de deux, ils sont définis par S. Bortolami comme ceux desquels relevait « l’administration et la garde des liquidités de la commune ». D’emblée la charge semble ouverte aux milieux bourgeois – au populus au sens strict –51 ;
les ingrossatores ne sont connus qu’à partir de 1211. Ils sont deux, dont un juge, l’identité du second étant généralement plus modeste (moins notoire, en tout cas). Leurs attributions sont relativement complexes : ils s’occupent de la voirie et des canaux (entre autres ils en délimitent les trajets pour rejoindre des terres non reliées à des chemins) et font faire des ponts par les habitants des villages concernés52 ; ils tirent leur nom de l’ingrossatio, qui est le contrôle des opérations de remembrement, que la commune favorise53 ;
les cataveri54 sont sans doute les seuls à être nés, en 1216, des conséquences des événements de 1200-1205 : leur rôle est, en effet, d’enquêter sur les offices communaux pour y déceler d’éventuels abus des « magnats », puis très vite, plus globalement, sur les cas de corruption55. Du coup leur composition est plus que d’autres révélatrice : ils sont quatre, soit un juge, deux milites et un de populo ; les élites traditionnelles demeurent donc de loin majoritaires dans cette fonction conçue d’abord pour faire respecter la situation nouvelle : on a bien eu affaire à une « révolution », en fin de compte, conservatrice56 ;
les iusticiarii, enfin, non concernés par la problématique dont sont issus les cataveri, ont pour rôle de surveiller la régularité des poids et mesures (et cela, pour l’instant, seulement en ville et dans les faubourgs) et, d’autre part, d’appliquer la politique frumentaire de la commune et de fournir la farine pour le pain des boulangers. Ils sont au nombre de 4, à raison d’un par quartier. La nature même des enjeux permet ici de confier la charge à des populares57.
32Il en est de même des nombreux officiers subalternes : citons, outre l’inévitable cohorte de notaires au service de la commune58, les 20 hérauts (precones) qui se chargent, outre des annonces publiques, de se saisir des forbanniti59 et qui sont gens d’assez modeste origine60, les saltuarii, gardiens des bois de la commune61, les suprastantes enfin, chargés de surveiller l’exécution des travaux publics62. A tous ces exécutants s’ajoutent des officiers non permanents : Bortolami signale les collecteurs de taxes (collectores dacyarum) qui, à dire vrai, ne sont mentionnés que par un statut postérieur à 123663.
33Je traiterai plus loin de l’organisation des quartiers : il convient de signaler ici que, dans leur cadre limité, travaillent, outre l’inévitable équipe de notaires, des hommes à tout faire, les menevelli64. Il ne s’agit plus, de toute façon, depuis les hérauts jusqu’à ces derniers, que de modestes exécutants, et leur appartenance sociale reflète cette modestie.
34Que ressort-il, en fin de compte, de cette brève énumération ? Que les fonctions subalternes soient largement ouvertes aux membres du populus (au sens où l’entendait Rolandino, celui du premier Duecento et celui qui est habituel à l’historiographie, auquel je me tiens désormais), voilà qui n’a rien d’étonnant : la commune avait besoin d’exécutants de plus en plus nombreux. Pour le reste, les offices qui donnaient de réels pouvoirs de décision (les procuratores tout particulièrement) sont le plus souvent antérieurs à 1200, et d’autre part, on constate que la « révolution » n’a entraîné aucune modification de leur recrutement, aristocratique pour l’essentiel, voire absolument. Bref, les seuls changements résident dans l’adjonction d’une minorité de gens à « capacités », comme on l’aurait dit au xixe siècle à Paris, venus conforter un système où ils s’honoraient d’être intégrés, bien loin par conséquent de le remettre en question. Les grands ébranlements viendront du contexte guerrier des années 1230-1250, à l’issue desquelles arrivera en effet le temps des nouveaux riches et, là encore, jusqu’à un certain point seulement.
35Il reste cependant que le populus (au sens classique : les non-milites) existe, dans la mesure même où il est utilisé pour les fonctions subalternes, où sa masse est organisée pour les besoins militaires de la commune, et où certains des siens sont régulièrement absorbés dans l’aristocratie. De surcroît, une ville qui a dépassé, selon toute vraisemblance, les 10.000 habitants, n’est plus constituée de la simple adjonction d’un noyau de milites et d’une plèbe inorganisée (à supposer qu’il en ait jamais été ainsi, ce qui est peu probable). Depuis les dernières décennies du xiie siècle, un processus d’encadrement mal connu a abouti à la création d’organismes de représentation à partir des quartiers.
C) Le populus et son organisation
Les quartiers
36Même dans les villes les plus entreprenantes, celles dont les activités commerciales embrassent l’Occident tout entier, le populus demeure longtemps un agrégat de forces hétérogènes et ne parvient, au cours de la seconde moitié du xiie siècle, à mettre sur pied une représentation commune qu’à partir d’associations de quartiers, voire, plus précisément, de paroisses : c’est le cas dans des centres aussi dynamiques que Gênes et Asti65. Les organisations de métier n’y apparaissent pas avant les premières années du xiiie siècle au plus tôt66.
37A Padoue, en syntonie avec ce qui se produit un peu partout, des hommes que ne réunissent en somme que la non-appartenance au monde des milites commencent d’abord par apprendre à voisiner67.
38La paroisse est le lieu de rencontre où se tissent, au cours du xiie siècle, les liens d’une solidarité élémentaire. A Padoue, comme fréquemment à cette époque, il y a une parfaite équivalence des termes contrata, vicinia, parochia (ou capella)68.
39Mais le cadre paroissial, de lui-même, serait générateur d’une unanimité transcendant les différences sociales ; lieu d’affirmation d’une cohésion, il implique l’influence, voire la prépondérance, des notables du quartier69. Dès 1180 au moins la coupure s’est institutionnalisée au niveau de cette première cellule de l’espace urbain : on voit apparaître les centenarii, dont les représentants, les gastaldiones, doivent ne pas être des milites. Exclusion qui délimite d’ellemême le populus. En dépit du caractère purement laïc de ces circonscriptions leurs limites coïncident le plus souvent avec celles des paroisses – dans dix-sept cas sur vingt. Quant à leur rôle, il est mal connu, d’autant qu’il était vraisemblablement mal délimité car multiforme. Le centenarius était un district de perception des taxes, d’exécution de services publics, et une circonscription militaire70.
40Les événements de 1200 ont-ils joué un rôle d’accélérateur ? Sante Bortolami répond par l’affirmative, conforté dans son analyse par des conclusions analogues de A. I. Pini à propos de Bologne. Dès 1202, en effet, est réalisée la division de Padoue en quatre quartiers – Duomo, Ponte Molino, Porta Altinate, Torricelle – ; ce nouveau cadre servira « à assurer une plus équitable représentation des citadins (sous-entendu : non-milites) dans les offices communaux... et dans les assemblées législatives de la commune ». A. I. Pini remarque qu’il s’agit là d’une revendication du populus71. Les vingt centenari figurent désormais comme des subdivisions de ces nouveaux cadres : on l’a vu plus haut, le conseil des 40 sera élu à raison de dix par quartier, soit deux par centenarius72.
41Y a-t-il eu, avant le milieu du siècle, des formes d’organisation du populus au-delà de ces rassemblements à base géographique, quitte à se fonder sur ces derniers ? Les avis sont partagés sur ce point, du fait de l’existence d’un statut communal antérieur à 1236, où il est fait allusion au nuncius ancianorum, lesquels « anziani » étaient l’expression politique de la comunancia populi paduani, c’est-à-dire de l’organisme des associations de métier. S. Bortolami estime, contrairement à S. Collodo, qu’il s’agit là d’un hapax qui ne s’explique que par une interpolation, et étaye son hypothèse de critères d’ordre stylistique. Il suggère d’autre part une proposition conciliante : pourquoi ne pas envisager, à partir d’une réunion des capitanei centenariorum, lesquels existent déjà, une première esquisse de la comunancia dès le premier xiiie siècle ?73
42Il faut avouer que, dans la mesure où Padoue est, à cette époque, une ville peu manufacturière et privée, à la différence de Vérone, d’une représentation officielle des marchands, l’hypothèse d’une mise en place tardive de la comunancia a l’avantage de préserver la cohésion d’un cadre général que conforte ce que l’on commence à connaître de la composition du populus des premières décennies du Duecento.
Esquisse d’une description du populus padouan74
43En 1216, les 563 membres du Grand Conseil, à l’occasion du traité de paix avec Venise après l’affaire du « Castello d’Amore »75, prêtent collectivement serment ; en 1235, ils ne sont que 270 à en faire autant, lors d’un nouveau traité76.
44Proportionnellement les domini y sont rares : c’est ainsi qu’en 1216 les deux personnages les plus conséquents, Giacomo da Carrara et Dalesmanino, prêtent serment à part, quelques jours après tout le monde, dans la demeure de Tiso da Camposampiero ; du moins re-trouve-t-on, dans la masse des jureurs, Giacomo, fils de ce même Dalesmanino, et Gerardo da Calaone77. A. Castagnetti, dans l’un de ses articles, estimait révélatrice l’absence, en 1216, des familles nobles les plus importantes parmi celles qui sont intégrées au milieu citadin, à savoir celle du comte, les lignages apparentés, et les Forzatè78 : mais, en 1235, le comte Tiso figure parmi les jureurs, avec Giordano Forzatè, lequel a été, de surcroît, le grand auteur de la paix79.
45De même, les membres de la vieille aristocratie consulaire ne sont que quelques-uns : on rencontre des Gnanfi et des da Vigonza dans les deux cas, des Tadi et des Sintilla en 1216, des Lemizzi en 1235, etc.80
46Voici à présent de quoi me ramener à mon propos : dans l’une et l’autre liste figure une importante minorité d’individus qui déclarent une activité : ainsi, en 1216, 16 juges, 47 notaires, 17 hérauts et 105 personnes distinguées par quelque autre métier, soit 3 %, 8 %, 3 % et 18,6 % de l’ensemble81. Remarquons tout de suite qu’une telle statistique n’a qu’un bien relatif intérêt car, dans la majorité sans profession explicite, il est aisé de reconnaître d’autres juges et notaires, et bien entendu de comprendre que la plupart ont un métier, même s’ils ne le mentionnent pas. Il y a mieux : il appert que les notaires et les juges les plus connus ne prenaient pas la peine d’indiquer leur état82 !
47Il ressort de cette rapide énumération que, dans le Grand Conseil, trois groupes sont représentés « ès-qualité » : les magistrats (représentants, dans l’assemblée, de l’aristocratie des milites), des officiers communaux, soit munis de responsabilités comme les notaires, soit simples exécutants – ainsi les hérauts – et enfin, plus que tout autre, le milieu des commerçants et des artisans. Il convient de rappeler, avant toute analyse, que, bien entendu, il n’y a pas de cloison étanche d’un groupe à l’autre : il est bien connu, par exemple, que dans les mêmes familles on peut rencontrer à la fois des juges et des notaires83.
48Le « fer de lance » de ce populus sans organisme politique spécifique (à moins que, comme l’a présumé S. Collodo, la comunancia ne soit antérieure à 1236) n’est nullement constitué par le commerce et l’artisanat, mais par les notaires qui, organisés en corporation depuis au moins 1175, semblent exercer une sorte de suprématie (qu’ils conserveront après 1256)84. Car il faut attendre cette même année 1175 pour trouver à Padoue la première mention explicite d’un mercator, alors qu’à Vérone c’est la date d’apparition du premier consul des marchands connu : c’est là seulement, dans le cadre de la Vénétie de Terre Ferme, qu’existe une universitas mercatorum85. Certes, il est évident que tout individu exerçant une activité commerciale ne le proclame pas : dans le milieu padouan, la richesse d’affaires s’empresse d’avancer masquée – ou du moins s’y efforce, sans toutefois obtenir de succès complet, comme le révèle la lecture de da Nono –. Il reste que le rapprochement de ces deux mentions contemporaines est révélateur d’une différence d’échelle entre les activités des deux cités. Padoue ne sera jamais une ville de grand commerce.
49Du moins les premières corporations (fratalie) sont-elles, à Padoue, antérieures à 1236 : un statut met en tête les negotiatores, que suivent pelletiers, tailleurs, cordonniers et – distingués de ces derniers – vendeurs de semelles86 ; d’autres, également du premier Duecento, mentionnent boulangers et fourniers, bouchers, bouviers et tanneurs, eux aussi dotés de leur fratalie ; Roberti signale aussi un document de l’année 1200 qui serait un registre de vendeurs de fruits, et le premier, par conséquent, à montrer ce lien corporatif entre commerçants87.
50A quelle réalité socio-économique correspondent ces negotiatores ? On peut, tout d’abord, proposer, avec A. Castagnetti, une hypothèse de bon sens : il s’agit sans doute avant tout de vendeurs de tissus, comme tels distingués des pelletiers qui viennent immédiatement à leur suite dans la liste. Quant à l’Art de la laine, bien étudié en son temps par Cessi, on sait qu’il ne se constitue que dans la seconde moitié du xiiie siècle88. Une remarque que l’on trouve formulée dans l’ouvrage ancien de M. A. Zorzi sur l’organisation de la commune post-ezzélinienne permet de relativiser radicalement le poids de ces corporations des années 1200-1230 : il semble, écrivait-elle, qu’il ait fallu tout le xiiie siècle pour les voir venir à bout de leur propre édification : un signe parmi d’autres est la longue coexistence – jusqu’au delà de l’année 1274 – du serment des artisans individuels et de celui du gastald de leur fratalia89.
51Cela dit, sans modifier fondamentalement ce tableau d’ensemble, de récentes observations de S. Bortolami incitent toutefois à y introduire quelques nuances plus positives.
52On rappellera tout d’abord que le lin produit dans le contado padouan, et avant tout en Saccisica, était l’objet d’un commerce d’exportation au niveau de la Marche : en 1219 la commune de Vérone confirme la location de leurs postes de vente aux représentants du misterium des linaroli de Padoue : 4 sur 5 de ces mercatores Padue (on n’en a point fait jusqu’à présent la remarque, me semble-t-il) sont en fait des gens de Piove ; le cinquième est de Rovolon, village au pied des Euganées. Voici donc une industrie manifestement rurale90.
53C’est toutefois à propos de la production de laine que S. Bortolami, sans contester que son essor a été tardif, a montré que ses débuts ont sans doute été plus précoces qu’on ne l’a écrit : en tout cas il faut dater les premiers moulins à foulon connus, non pas de 1273, comme on l’a longtemps répété, mais de 1232, date à laquelle il en existait déja 2 à Battaglia, sur le canal récemment creusé pour lier par eau Padoue à Monselice, ainsi qu’un atelier. En outre, comme le rappelle Bortolami, une étude de M. Fennel-Mazzaoui a montré que, dès les premières décennies du xiiie siècle, on avait commencé à travailler le coton à Padoue91.
54Il reste que lui-même montre fort bien que c’est à l’époque d’Ezzelino – et pas avant – que commence l’essor qui portera à la naissance de l’Art de la laine dans les années 1260 ; et encore le podestat vénitien Lorenzo Tiepolo devra-t-il prendre en 1265 une première série de mesures (il en faudra d’autres !) pour attirer les travailleurs du textile92. Même s’il convient de nuancer le thème de l’étroitesse de la vie économique padouane avant le milieu du siècle, il reste bien établi que les structures productives n’ont pas une puissance telle qu’elles soient capables de disputer la primauté à la richesse foncière, à l’usure et à un mouvement commercial avant tout local.
55Cette modestie sociale du milieu des artisans et des commerçants est bien le corollaire de l’état d’une économie urbaine limitée, pour l’essentiel, « aux activités traditionnelles de transformation artisanale des produits du contado » ; plus que les negociatores, ce sont les maîtres des métiers du cuir et de la confection qui joueront un rôle de premier plan dans la formation de la commune du populus après 1256, sous la conduite politique, toutefois, des notaires93. Et, même alors, les aristocrates/seigneurs fonciers, juristes et vassaux d’Église, imposeront une continuité au moins relative avec cette époque de la première commune que je décris, où le premier but des negociatores les plus enrichis est de s’intégrer à l’aristocratie ; ce qui est en effet le vrai résultat social de la « révolution de 1200 », on l’aura compris.
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56Il faut donc en venir au « fer de lance » : le groupe compact des notaires. Leur rôle politique est fondamental dans toute l’Italie communale car, selon la juste formule de A. I. Pini, « le milieu ‘inquieto’ des intellectuels laïcs... se concentre pour une bonne part dans l’‘Art’ des notaires, lesquels assumeront le rôle de guide du mouvement populaire jusqu’à ses extrémismes les plus démagogiques »94.
57Première évidence : ils sont nombreux, bien plus que de nos jours. Yves Renouard s’était autrefois hasardé à une comparaison révélatrice : il avait constaté que, dans la Pise de 1228, on recensait 79 notaires contre seulement 10 dans celle de 1948, pourtant légèrement plus peuplée95 ! Un peu paresseusement, il attribuait ce chiffre à l’activité des affaires dans cette ville au début du xiiie siècle ; mais à Padoue, en 1216, 47 notaires déclarés sont membres du Grand Conseil, ce qui implique d’emblée qu’ils étaient davantage au total ; or Padoue n’avait pas la fonction commerciale et industrielle de Pise, loin de là96. La raison des choses est ailleurs : toute commune – et cela d’autant plus qu’elle est celle d’une grande ville – utilisait une escouade de notaires là où, de nos jours, il y a des fonctionnaires diversement spécialisés97.
58Avant 1236, selon les statuts, il fallait 6 notaires ad canipas comunis (qui, donc, assistaient les caniparii), 2 pour faire appliquer les bans (ad exigendum banna), 3 notaires des cataveri, 2 des ingrossatores, 2 des iusticierii, 12 pour les consuls, 6 pour les juges du podestat, 8 à l’office du sceau, 10 pour les procuratores et les extimatores ; enfin 40 sont attachés aux juges du palais communal, sans fonctions davantage précisées98. Bref, outre les tâches qu’ils exercent encore aujourd’hui, ce qui est requis des notaires de ce temps c’est d’être l’administration de la Cité-Etat99.
59On comprend mieux, dès lors, comment, occupant une situation stratégique, ce corps de métier se trouve tout naturellement au cœur de la politique communale. Les notaires savent tout et contrôlent tout pour les officiers qu’ils flanquent continuellement100.
60Il y a loin, du coup, du petit notaire de village à ces auxiliaires immédiats du pouvoir : comme l’avait déjà remarqué J. K. Hyde, la différence de culture et de capacités se note à l’écriture des uns et des autres et le tabellion de Rovolon ou d’Arquà se révèle souvent très inférieur à ses collègues de la ville ; de surcroît il lui était parfois nécessaire d’avoir une autre activité pour conserver un statut de membre de la « rural middle class »101.
61Les besoins de la chancellerie, dans toute commune urbaine, impliquaient qu’une élite, au moins, de la profession fût bien formée à la rhétorique. A Padoue, l’objectif était aisé à atteindre depuis 1222 au plus tard, grâce à la présence de l’Université. Et, s’il est vrai que ce sont des juristes qui, en émigrant de Bologne à Padoue, lui ont donné naissance, on y enseignait aussi les Arts Libéraux102. A la différence des juristes, les « Artisti » seront même relativement laissés tranquilles après 1237 ; il est d’ailleurs probable, selon G. Arnaldi, que leur persistance jusqu’à la fin de la dictature explique la rapidité de la « refondation communale » autour de 1260103.
62C’est dans le milieu notarial qu’une part essentielle de la culture civique s’exprime. Les deux grands historiens padouans, Rolandino et Albertino Mussato après lui, sont des notaires, et formés par les meilleurs professeurs : Rolandino avait étudié à Bologne mais son maître, le toscan Boncompagno da Signa, duquel il avait reçu le titre de magister en 1221, était venu enseigner à Padoue quelques années plus tard (en 1227)104.
63Leur culture et une position favorisée au sein de toutes les instances communales donnent aux plus doués et entreprenants parmi les notaires les moyens d’une carrière et de la fortune. Reste à mieux cerner leur position sociale au début du xiiie siècle.
64Elle est désormais marquée par une ambiguïté qui demeurera l’une des caractéristiques fondamentales de la profession jusqu’au Trecento. Ambiguïté due à leur situation originelle, situation qui avait perduré jusqu’aux années 1150, lorsque leur nombre se multiplie.
65J. K. Hyde avait remarqué, à propos des années 1300, que les juges les plus obscurs étaient alors souvent de même niveau que les notaires, d’autant que certains avaient eux-mêmes été notaires avant d’accéder à la magistrature. Tandis que les tabellions les plus courus se mêlent à celle-ci, d’autres sont liés aux corporations105. Rien d’étonnant à ce qu’ils soient les orateurs et les porte-parole tout désignés du « popolo » : ils ont soit la rancœur des déclassés, soit celle de qui frappe à la porte de la classe dirigeante sans y obtenir encore ses entrées.
66L’exercice du notariat est désormais une solution de repli honorable pour des rejetons appauvris de lignages aristocratiques (cela, sans doute, plus nettement avant le milieu du siècle qu’ensuite) : j’ai cité, il y a peu, l’exemple d’un Ardenghi, probable cousin des juges de ce nom, dans les années 1230-1240106. C’est aussi, à l’inverse, un tremplin pour l’entrée dans la haute bourgeoisie à qui vient de l’artisanat ou du petit commerce : beaucoup d’entre eux, remarque S. Bortolami, sont fils de cordonniers, pelletiers, tisserands de lin, tailleurs, etc., pour ne rien dire de ceux qui conservent en même temps une activité de tavernier, d’artisan ou, comme le célèbre Pietro Boccone, de maquignon107.
67Variété sociale originelle, donc, et que l’exercice du métier n’atténue pas mais, en quelque sorte, redistribue. Il n’enrichit pas vraiment par lui-même, en effet, mais par les opportunités qu’il offre. L’administration attire les plus brillants, certes, mais les perspectives de fortune se présentent au-delà de son exercice : des notaires deviennent fermiers des impôts, prêteurs, trésoriers des revenus communaux ; ils sont aux premières loges pour apprendre où il y a des affaires à faire – prêts avantageux, achats de biens de la commune ou de banqueroutiers, voire d’hérétiques, à des conditions favorables108. Et l’on retrouve ici le thème, décidément central, de l’usure et cela, de nouveau, dans un lien étroit (même s’il est masqué) avec le fait politique communal : ce sont les hommes qui sont installés au cœur de l’institution, c’est-à-dire avant tout les juges et les notaires, qui s’avèrent les grands profiteurs de la crise des structures traditionnelles.
68Il est temps d’introduire une nuance, cependant : les magistrats-milites tiennent encore pour l’instant le haut du pavé, on l’a vu. Les grandes fortunes de notaires-usuriers se feront à l’époque suivante, à partir d’Ezzelino, quand la vieille classe dirigeante citadine sera frappée à son tour, et durement, par la tourmente. Un symbole des temps nouveaux sera l’usurier-notaire Alberto Bibi, trésorier du « tyran »109. Avant 1237, la classe dirigeante est devenue plus composite, elle ne s’est pas foncièrement renouvelée.
II – PORTRAIT DES ÉLITES APRÈS 1200 : L’INTÉGRATION DES NOUVEAUX RICHES
A) Un signe : l’évolution du qualificatif de Dominus
69Dès le début du xiiie siècle, de façon encore discrète il est vrai (ce sera bien autre chose après 1256 !) commence à s’élargir le cercle des Domini. Le fait est d’autant plus révélateur que, depuis le milieu du xiie siècle environ, l’usage de ce qualificatif était assez bien fixé.
70Une mutation relativement rapide s’était opérée à partir des années 1120. Jusque là il n’était guère utilisé que pour désigner des ecclésiastiques : en 1077, l’évêque Odelrico se rend à Vérone pour saluer l’empereur en compagnie de la meilleure noblesse châtelaine padouane – les da Baone, da Carrara, da Fontaniva, da Montagnone – ; il n’y a qu’à lui que l’on donne du Dominus110. Un document de 1064 où Uberto da Fontaniva, qui devient l’avoué de Sant’Ilario de Venise, est dit Dominus, est totalement isolé111. Le terme, s’agissant des laïcs, n’a guère d’emploi que pour distinguer un seigneur de son vassal : c’est ainsi qu’en 1106 un certain Giovanni Pelacapo donne des biens à Alberto da Baone, « son ami et son seigneur » (amici mei et domini), et parle dans le même document de dominus meus, Cono da Calaone112. Seule exception : les femmes nobles, qu’il est d’usage, très tôt, d’appeler Dominae113.
71Il importe d’être très prudent quant à la signification de ces occurrences, car non seulement la part du hasard est énorme, s’agissant d’une époque où les témoignages documentaires demeurent relativement rares, mais ces effets de hasard sont amplifiés dans la mesure où l’emploi de Dominus n’est encore nullement systématique même chez ceux qui y ont le plus indiscutable droit (il ne le deviendra guère qu’au xiiie siècle).
72C’est ainsi qu’on peut considérer comme hautement révélateur – et non surprenant – le fait que le plus élevé en dignité de tous les seigneurs laïcs, le marquis d’Este, s’en pare le premier de tous, dès 1115114 ; mais à d’autres occasions le même Folco d’Este n’a droit qu’à son nom seul, sans nul qualificatif115.
73Il est cependant permis d’avancer une hypothèse, tant sur cette précocité d’apparition que sur son caractère encore exceptionnel, même s’agissant du marquis : Folco est dominus alors qu’il agit à Monselice en tant que représentant du pouvoir public (il préside un plaid)116 ; à l’occasion de donations pieuses il ne songe pas à s’autodésigner comme tel. Bref, jusque là le terme, dans la sphère du temporel et s’il distingue des hommes, a une signification bien précise : il désigne soit le roi, soit son délégué dans l’exercice d’une fonction régalienne – dans le cas présent celui de la justice – et il est intrinsèquement lié à cette fonction.
74Suit, sur une période d’une trentaine d’années environ, soit entre 1120 et 1160, une évolution qu’on est tenté de mettre en relation avec la mise en place, un peu partout, des structures communales, sans que la chose soit explicite, mais qui s’avère vite contradictoire. C’est alors que, tant dans la sphère châtelaine que, plus sporadiquement, dans l’aristocratie dirigeante urbaine, se diffuse enfin l’usage du mot117. N’oublions pas que les châtelains sont étroitement liés au milieu citadin, et tout particulièrement aux notables-juristes et notaires, dont ils font volontiers leurs clients : la contemporanéité de cette diffusion dans les deux sphères dirigeantes n’a, par voie de conséquence, rien de surprenant. A l’origine, il s’agissait peut-être de signifier la nature publique du pouvoir, de la part d’élites sociales frottées de droit romain, ou inspirées par lui et renforçant à son contact le sentiment de leur légitimité. La contradiction gît dans le fait que, très vite – dès les années 1130 au moins –, châtelains et notables se parent du qualificatif de Dominus hors de toute référence à l’exercice d’une fonction publique : c’est le cas, en 1156, pour trois membres du milieu consulaire, qui apparaissent dans des actes privés – un di Malpilio, un di Ongarelli et un di Compagno –118 ; aucune des trois occurrences n’est liée à un consulat. Si une certaine conception du pouvoir ravivée par le droit romain est à l’origine de cette diffusion, elle passe donc vite à l’arrière-plan.
75La chose est peut-être explicable par l’intervention, précisément durant la seconde moitié du xiie siècle, du rituel chevaleresque (l’adoubement et tout ce qui l’accompagne) dans ce milieu dirigeant, rituel adopté comme une marque distinctive. Telle est du moins l’explication qui vient à l’esprit si l’on admet les hypothèses présentées il y a peu par Stefano Gasparri sur le groupe des milites urbains : l’auteur admet comme une évidence (à partir, il est vrai, d’exemples du xiiie siècle) la définition du dominus comme celle du chevalier adoubé, tous les milites combattant dans la milice citadine ne l’étant pas119. Resterait à mieux cerner les modalités de cette modification de sens – de la sphère publique à la sphère privée et honorifique – durant le cours du xiie siècle.
76Entre les années 1160 et le début du xiiie siècle l’usage se généralise dans le milieu des magistrats, à Padoue comme dans les « quasi città », à commencer par Monselice. Les hasards documentaires me semblent être seuls responsables de la grande variabilité des dates de première occurrence : 1160 pour les Lemizzi, 1171 pour les di Arsalone, 1176 pour les Tanselgardini, etc.120 Chez les Tadi, par exemple, il faut attendre 1209, bien qu’il s’agisse d’une des plus anciennes familles consulaires121. L’important est, d’une part, dans cette généralisation, d’autre part dans le fait que seuls châtelains et aristocratie consulaire demeurent, pour l’instant, concernés.
77J’y ai fait allusion en commençant, les règles du jeu changent avec les années 1200 : tandis que la documentation voit se multiplier les occurrences dans les vieilles familles voici venir, encore minoritaires mais bien présents, des Domini qu’il est légitime de considérer comme des nouveaux riches. Là aussi, les coïncidences avec les changements d’ordre politique et institutionnel frappent l’observateur de bonne foi : l’élargissement de la couche des Domini correspond à celui, très relatif, de la classe politique après les « révolutions » des années 1200-1205 ; et dans l’un et l’autre cas, il s’agit bien en effet d’un élargissement et non d’un bouleversement (encore moins du remplacement d’une classe dirigeante par une autre).
78Il est divers types de nouveaux riches. Tous ne sont pas des citadins enrichis par des activités commerciales et/ou usuraires. Voici le cas, mieux connu que d’autres mais qu’on ne saurait imaginer exceptionnel, d’un simple officier seigneurial, Rolandino, gastald du monastère de Praglia à Brusegana ; son enrichissement est attesté par une série d’achats de pièces de terre, surtout en livello à loyer symbolique obtenu contre paiement d’un fort droit d’entrée, à partir de 1208122. Dès 1210 on le voit, toujours gastald, paré du titre distinctif de Dominus123 : cela dit, la chose ne se reproduit pas lors de ses apparitions dans la documentation postérieure, ce qui ne signifie peut-être rien : les juges qui figurent avec lui n’en usent pas plus systématiquement124.
79Voici donc la soudaine affirmation d’une couche de coqs de village, contemporains des popolani parvenus de Padoue. Quant à situer cette petite aristocratie contadine par rapport aux citadins, la chose est envisageable : il est significatif de voir le fils, puis le petit-fils, d’un Dominus gastald à Corte exercer la profession de notaire125.
80Bien entendu, plus impressionnante que l’insertion subreptice des officiers seigneuriaux dans le milieu de la petite vassalité contadine, l’irruption des domini maîtres-artisans ou gros commerçants à Padoue, est le fait qui illustre le mieux les temps nouveaux.
81Citons tout d’abord quelques isolés significatifs : le fabbro (maître-forgeron) Martino, dont le défunt père répondait au nom de Schiavon, révélateur d’humbles origines dalmates (esclave ? manœuvre immigré ?), qui est un dominus dans un document de 1218126 ; de même à Monselice, en 1213, un dominus Bonzeno est fils du forgeron Dandino127. En 1214, voici un certain Giovanni, fils d’un épicier nommé Viviano128 ; en 1221 un simple héraut (preco) de la commune de Padoue, Scarabello, ou encore, la même année, un juge, Dominus Gualfredino, qui se dit le fils de feu Manfredeto, ferrator129.
82Ce dernier exemple incite à préciser que c’est, en effet, le plus souvent à la deuxième génération que s’acquiert le signe de distinction, et de préférence après abandon de la profession paternelle : l’entrée dans le milieu des hommes de loi est ce qui consacre le mieux une ascension sociale.
83Les personnages que je viens d’évoquer sont des isolés, dont on ignore les destins au-delà de cette fugitive percée dans la documentation d’archives. Il est de véritables dynasties de nouveaux do-mini dans le premier tiers du siècle, sur lesquelles j’aurai à revenir çà et là (tout particulièrement dans le chapitre sur les usuriers) : les Bocca di Bue, issus du notariat130, les Casoto dei Fabbri, dont le nom même dit l’origine131, les Macaruffi, anciens bouchers132, les Mangiavillano, au patronyme évocateur d’un passé d’usuriers133, les Murfi, chez lesquels on trouve encore un negociator en 1231134, les Murro, changeurs et usuriers135, les di Ordano, juges issus du commerce136, les Ronchi, autres negociatores et usuriers137, les Saurelli, changeurs et usuriers138. Sans compter de multiples familles de magistrats tard apparues, dont les origines sont totalement dans l’ombre, mais pas forcément bien anciennes.
84Répétons-le, le véritable temps des nouveaux riches viendra plus tard, après une maturation mal connue, sous Ezzelino139. Au total, sur 157 familles de notables dont j’ai tenté de suivre le destin avant 1237, 75 apparaissent pourvues du titre de dominus après 1200 (souvent ce caractère tardif est dû au seul hasard documentaire, je l’ai dit), parmi lesquelles seules les 9 que je viens de mentionner sont explicitement des nouvelles venues. Une minorité non négligeable, par conséquent, mais rien de plus140.
85Sa présence suffisait malgré tout à dévaloriser la distinction qu’impliquait l’appellation. Aussi bien, comme l’a fort justement remarqué S. Bortolami, le milieu étroit et distingué des châtelains (éventuellement récents, comme les Forzatè à Piove, en tant que représentants de l’évêque) était demeuré le seul à avoir l’usage du terme nobilis, infiniment plus élitiste ; lequel usage était au demeurant discret, et plutôt rare dans les actes de la pratique notariale : on citera, par exemple, un procès opposant, au sujet de dîmes, le monastère de Praglia au nobilis vir Nicolò da Lozzo, d’un lignage issu, rappelons-le, de la famille comtale141. Ce sont les chroniqueurs qui, bien plus que les notaires, octroient à qui de droit ce qualificatif : Rolandino parle de viri (ou dompni, ou milites, ou cives) nobiles exclusivement pour les marquis d’Este, les da Romano, les da Camino (de Trévise), les Camposampiero, les San Bonifacio (de Vérone), les comtes Maltraversi, les da Baone, les da Carrara, les da Carturo, les Forzatè, les da Breganze (de Vicence), ainsi que pour deux Vénitiens, un Giustinian et un Ziani ; les autres sont des magnates, magni viri, maiores, potentes, etc., et sont infiniment plus nombreux142. Face à une élite urbaine certes plus composite depuis le début du Duecento mais en voie d’homogénéisation, les seigneurs d’antan persistent à cultiver leur différence143.
B) L’unité d’une classe dirigeante : l’usure, des aristocrates aux homines novi
86Il est pourtant une activité dans laquelle un destin ironique semble avoir réuni tous les Padouans qui comptaient, à quelque titre que ce soit : c’est l’usure, dont on a déjà pu voir, à travers une analyse abstraite, quel rôle moteur elle a été amenée à jouer dans l’évolution socio-économique de la région aux xiie-xiiie siècles. A la voir s’exercer concrètement on sera amené à mieux comprendre comment les nouveaux riches entraient dans une communauté d’intérêts avec l’aristocratie consulaire, et aussi comment c’était encore celle-ci qui menait le jeu.
87Il faut, il est vrai, commencer par relativiser la notion d’usure : dans la conception médiévale, ainsi que cela a été récemment rappelé, « l’usure n’est pas, comme de nos jours, un taux d’intérêt excessif : c’est tout ce qui est demandé au delà du bien prêté, le surplus qu’exige le prêteur de l’emprunteur »144. En fin de compte les historiens, un peu paresseusement, utilisent le terme dans une acception qui est celle qu’imposait alors la condamnation par l’Église de tout revenu de cet ordre145.
88Dès lors, l’usurier, « voleur de temps », à qui son argent rapporte de l’argent quand il dort146, c’est au fil des circonstances, un peu tout le monde et non pas le seul prêteur d’argent professionnel, Scrovegni ou Gobseck ; avant les années 1250 il est même évident que, à part quelques notables exceptions – des familles au demeurant soucieuses de se démarquer au plus vite de leur milieu d’origine (on en verra des exemples) –, cette couche particulière de nouveaux riches n’occupe pas encore le haut du pavé.
89Avant toute analyse des milieux sociaux les plus concernés dans le Padouan, il faut rappeler quelques vérités premières. La Vénétie, la Toscane, plus généralement l’Italie du nord et du centre, est sans doute la région la plus développée d’Europe avec la Flandre : le taux de l’usure (au sens large défini ci-dessus) y est donc modéré. Comme le rappelait Gérard Nahon dans un article déjà relativement ancien, « d’une manière générale, plus un pays avance sur la voie du développement, plus le loyer de l’argent s’y abaisse ». Et il donne un exemple particulièrement frappant qu’il sera loisible d’opposer au cas padouan : « En Autriche un privilège de 1244 fixait le taux à 8 deniers par semaine, soit 74 %, ce qui mesure la température du sous-développement de ce pays »147. Au xiiie siècle, les rois de France imposent un taux maximal de 35,5 % aux usuriers juifs148 ; les taux seront généralement inférieurs dans les villes italiennes.
90Il faut, avant toute tentative d’évaluation, rappeler toutefois que, avant le xiiie siècle surtout, on en reste le plus souvent au mort-gage : plutôt que d’attendre un remboursement assorti d’un intérêt le prêteur jouit du produit annuel d’un gage foncier qu’il a reçu de son débiteur. Les artifices sont nombreux : dans le Padouan le plus fréquent est la vente fictive avec rétrocession en livello149. Dans un document précieux car très exceptionnel, daté du 8 octobre 1167, où l’on voit mettre en gage des biens sis à Roncaiette, dans les fines de Padoue, il est explicitement déclaré que « la jouissance des biens engagés constitue pour le créancier... le fruit de l’opération économique accomplie »150. Avec le temps, comme le remarque S. Collodo, le prêt masqué en livello sera assorti d’un intérêt qui prendra la forme d’un loyer en argent : elle donne des exemples du xive siècle où ce loyer correspond à un taux d’intérêt moyen de 12 %, avec des pointes jusqu’à 16 %151. Au xiiie siècle il est plus élevé, et les 16 % semblent correspondre davantage à un taux moyen : dans les années 1225-26, Aimerico q. Giovanni di Lanfranco, notable de la famille des Canavoli, se trouve être débiteur de plusieurs personnes, le taux d’intérêt de chacun des prêts obtenus étant chaque fois de 16 % ; il est à noter qu’ici on a affaire à des emprunts sans gages fonciers, sur 6 mois ou 1 an. L’intérêt est manifestement travesti en amende (pena), payable après dépassement du délai affiché152 ; de même, également en 1225-26, tous les emprunts faits par Dominus Enrigetto di Azzo dei Borselli sont à 16 % ou à un taux très proche153.
91Il arrive qu’il soit moindre (du 12 % à Pernumia en 1220, par exemple)154, mais il peut aussi bien grimper jusqu’à 25 %155 ; encore en 1252, dans un contrat signalé par S. Collodo, la pena est de 20 % : il est vrai qu’alors la conjoncture était pour le moins troublée156 ! Ces exemples, peu nombreux mais concordants, sont probants dans la mesure aussi où ils rendent le contexte padouan assez comparable à celui de Venise, plus étudié157.
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92Le prêteur d’argent, ai-je dit, c’est un peu tout le monde. Tous se livrent en effet à cette activité, depuis le marquis d’Este lui-même jusqu’à l’alleutier le plus insignifiant158. Généralité qui ne va pas sans ambiguïté.
93Certes il est hors de doute que, l’occasion se présentant, les plus grands seigneurs ne se font pas davantage que les usuriers de village scrupule de s’enrichir de cette façon ; du moins est-il également vrai que le prêt d’argent, même assorti d’un gage foncier, est l’un des services qu’un châtelain en mesure de le faire se doit de rendre à un allié, à un vassal ou à son seigneur : en 1183, lorsque le marquis accepte en gage d’Alberto da Baone le castrum du même nom, c’est d’abord pour aider son vassal dans la guerre qu’il mène contre les da Carrara. On est ici dans un contexte où le libre jeu du profit n’est pas tout, quel que soit, comme j’ai tenté de le montrer en m’aidant de la réflexion de Marx, le rôle historique que joue en dernière instance l’usure, de par la mécanique qui lui est propre159.
94C’est ainsi qu’on a vu plus haut comment les nobles désargentés font d’abord appel aux ressources des parents et amis160. Mais il y a mieux et bien des paramètres entrent en jeu : les Mangiavillano eux-mêmes, indiscutables usuriers et fossoyeurs – avec beaucoup d’autres – des espérances des da Carrara à Bagnoli, sont aussi leurs vassaux, et leur action de créanciers n’était sans doute ni univoque ni tout à fait dépourvue de la volonté d’aider leurs seigneurs. Il n’est pas dit, à l’inverse, que, lorsque des monastères vénitiens se font à leur tour prêteurs sur gages pour une clientèle variée, allant des alleutiers en déclin de Sacco au milieu des juges padouans, la raison économique ne soit pas alors prévalente161. Le rôle des établissements ecclésiastiques, dans ce domaine, a été un moment considérable dans tout l’Occident, on le sait162 ; mais, dans le cadre du Padouan (sinon de toute l’Italie du Nord), il est révélateur que, à partir des années 1150, ceux de Venise soient les seuls à vraiment le conserver : à part eux les laïcs, des aristocrates aux usuriers professionnels, tendent à accaparer le monopole de cette activité163.
95Ainsi, lorsque l’ordinateur fournit, avec son obligeance obtuse, une liste de 58 familles (sur les 157 suivies) dotées à un moment ou l’autre, de par des témoignages d’archives explicites, du statut de créancières, convient-il de s’interroger et de ne pas s’en tenir à cette évidence que, peu ou prou, des vieilles familles châtelaines aux nouveaux riches non encore entrés dans l’élite des domini, tous se livrent au prêt d’argent. D’une part les nobles ont des raisons non-économiques d’agir, d’autre part, à partir surtout des années 1200, à l’inverse, on voit circuler (on en a un exemple flagrant avec les dettes des da Carrara gagées sur Bagnoli) de véritables cartes de créance sur tel ou tel gros débiteur, que des personnages non concernés au départ et ne participant pas de la relation initiale emprunteur-créancier se trouvent détenir à la suite d’autres affaires, à titre de garanties fournies elles-mêmes par des gens les ayant déjà acquises de seconde main (souvent les fidéjusseurs)164. C’est entre ces deux extrêmes – les servitia d’essence féodo-vassalique ou clientélaires, d’un côté, les acquisitions de droits sur des débiteurs ayant conclu précédemment un emprunt avec des tiers, de l’autre – qu’il faut chercher le véritable, et immédiat, jeu de l’usure (au sens large qu’impose alors l’Église).
96Une remarque préalable : on est surpris de constater que les trois niveaux que je viens de distinguer coexistent absolument dans le temps ; les prêts sur gage entre nobles, contrairement à ce qu’une intuition immédiate eût pu suggérer, se pratiquent encore durant les années 1210-1220, au plus aigu de la crise des fortunes seigneuriales et quand ce type de solution s’avère tragiquement insuffisant165 ; et même des dynasties aussi pesamment déconfites que les da Celsano sont susceptibles, peu avant de sombrer, de se retrouver en position créditrice : en 1185, alors que déjà la famille croule sous les dettes, Pietro da Celsano détient des biens en gage des da Baone à Roncaiette166 !
97Il est révélateur, cependant, que les grands aristocrates n’apparaissent pas en tant que créanciers de simples juges ou de citadins de rang inférieur au leur ; on ne les rencontre guère, lorsqu’ils sont en relations d’affaires avec ces derniers, que dans le rôle ingrat de débiteurs167.
98C’est donc l’ancienne aristocratie citadine – avant tout le milieu des juges – qui, une fois de plus, prédomine : dans 27 des 58 familles concernées par mon enquête, on connaît des juges, soit dans près de la moitié ; 19 sont des familles de consuls, parmi lesquelles une minorité de 4 (da Montagnone, di Ailo, di Malpilio et Ongarelli) chez lesquelles je ne connais pas de juges ; bref, une majorité de notables de la commune consulaire (27+4), les da Montagnone étant les seuls d’origine châtelaine parmi eux168.
99Quant aux autres familles concernées, elles se divisent en deux groupes. D’un côté, un certain nombre de notables, un peu obscurs le plus souvent, mais en somme comparables à la majorité que je viens de désigner : ainsi les Mesalduco, alleutiers « saccensi » à l’origine, devenus citadins au xiiie siècle169, les di Baligante170, les da Ponte, milites et vassaux de l’évêque171, les Gualperti172, les di Pizzo173 ou les Ruffi, dont est issu l’évêque Giovanni di Corrado174. L’autre groupe est celui des nouveaux riches, domini de fraîche date voire encore en devenir, représentatifs de ce qu’était le populus « révolutionnaire » des années 1200-1205... et de ce que sont devenues ses élites. Quels en sont les composants ?
100Il y a, bien sûr, les notaires et descendants de notaires : Dominus Giordano Bocca di Bue, connu en 1206, est parent du notaire Andrea, acheteur de biens communaux, et d’Albertino, créancier des da Carrara175. Autre famille de notaires « arrivée » : les dal Pozzo176. Alors même que, dans les années 1230, l’un d’eux est extimator communal, ils poursuivent des activités usuraires démarrées longtemps auparavant : dès 1186, un Enrico dal Pozzo est créancier des chanoines de Piove177 ; plus tard, trois frères, Bartolomeo, Egidiolo et Giacomo di Pietrobuono dal Pozzo, sont ensemble les créanciers prioritaires d’un failli de Codevigo, petit alleutier sans doute, car la somme est de médiocre importance (60 livres)178 ; mais l’on voit aussi le même Egidiolo créancier de l’évêque pour le montant plus conséquent de 450 livres179 ; enfin le fils de Bartolomeo, Pietrobuono, est en 1235 le témoin d’un acte par lequel un Frigimelica (j’en viendrai à eux sous peu) consent un nouveau prêt aux chanoines de Piove180. Voici donc une véritable dynastie d’usuriers, qui incarne la double action de l’usure selon Marx : elle ronge à la fois les avoirs de la haute aristocratie (dans le cas présent celle d’Église, en l’espèce un chapitre collégial et l’évêque lui-même) et ceux de la propriété alleutière en déclin.
101Après les notaires, voici les changeurs. Un seul exemple relativement bien connu : les Murro, dont S. Bortolami a esquissé le profil181. Giacomino Murro, que l’on voit qualifié de dominus en 1215, a encore sa tabula, et donc son officine auprès du palais communal dix ans plus tard182 ; il est créancier du meilleur monde : dans l’affaire de Bagnoli, non seulement il l’est des da Carrara, mais il finance les opérations du monastère de Brondolo par l’intermédiaire des di Aldigerio et di Vainanzo ; environ 15 ans plus tard il reçoit jusqu’à 500 campi à Pontelongo, en gage de prêts consentis au monastère de Candiana183. Sans doute la fréquentation familière de l’aristocratie a-t-elle entraîné un assez rapide processus d’auto-identification : comme l’a remarqué S. Bortolami, Giacomino donne à ses fils les noms « altisonanti » de Roland et Olivier184. Fait de snobisme ordinaire en ces temps...
102Une autre famille de changeurs, les Saurelli, apparaît liée d’emblée tant au chapitre cathédral qu’à l’évêque : en 1229 ce dernier s’endette lourdement auprès d’elle185.
103Puis viennent les commerçants, de différents niveaux : des Manzi-Vedelli, da Nono rappelle qu’il s’agit d’abord de riches bouchers, non point, semble-t-il, au sens actuel du mot qui désigne un petit commerçant, mais plutôt, comme dans le cas de la corporation des bouchers parisiens d’alors, de négociants en gros, ce qui explique qu’ils aient poursuivi cette activité tout au long du xiiie siècle, tout en se livrant parallèlement au prêt d’argent186. Le surnom de « veaux » les distinguait de la famille des juges Manzi. Il faut insister sur l’ancienneté de la prospérité qu’ils devaient à leur commerce ; jusqu’à un certain point ils différaient des nouveaux riches : dès 1154 un Pietro Manzio est créancier des Nespolo, une famille de notaires, pour 100 livres187. Il peut s’agir d’un ancêtre du Pietro de Vitulis, fils de Manzio, que l’on voit habiter, en 1189, le quartier de Burziniga, près de l’église San Pietro188.
104Toujours est-il que l’usure semble n’avoir été qu’une activité complémentaire dans leur cas ; ce qui est affirmé sans complexe est l’activité commerciale189.
105Pour en finir à leur sujet, il convient de signaler que, à partir de 1267, un prestige nouveau et inattendu leur vient de la réputation de sainteté et des miracles survenus sur la tombe d’un probable idiot de la famille, Antoine, dit « le pèlerin », qui avait passé sa vie à visiter des sanctuaires : le bienheureux Antonio « Pellegrino » a été l’objet d’un culte communal, au demeurant non reconnu par les autorités religieuses190.
106Plus tardivement apparus, les Macaruffi ont aussi, à l’origine, été des bouchers (macelatores). Da Nono laisse entendre qu’ils étaient « de vile condition » ; peut-être étaient-ils, quant à eux, de simples détaillants ?191 C’est dans la deuxième moitié du siècle qu’ils feront partie de la classe dirigeante192. Pour l’instant, Dominus Bartolomeo di Egidio Macaruffo est de ces parvenus auxquels s’ouvre la fonction d’extimator communal, tandis que son parent Egidiolo fréquente le palais épiscopal et s’intègre à la consorteria des créanciers des da Carrara à Bagnoli193.
107Assez comparable est l’origine des Sanguinacci : des tripiers, comme le rappelle leur patronyme (les « boudins » !), et comme da Nono ne se fait pas faute de les en stigmatiser. Bref, sans doute de petits boutiquiers qui, plus que d’autres, doivent leur fortune à l’usure194 ; comme les Maccaruffi (et contrairement aux Manzi), ils apparaissent donc sur le tard. Dès 1229, cependant, ils ont des biens-fonds disséminés à Faedo, Valnogaredo (où ils tiennent des dîmes) et Viminelle – trois villages des Euganées –, à Porto (dans l’est) ainsi qu’à Padoue195. Leur appartenance au milieu des notables les a d’ailleurs portés à affronter les risques des temps ezzéliniens : en 1258, Pietro di Giovanni Sanguinacci est libéré par le « tyran » au cours d’un échange de prisonniers196.
108La boutique, à ce qu’il semble, mène facilement à l’usure : si la malveillance habituelle de da Nono dit une fois de plus le vrai, le célèbre chanoine Salion dei Buzzaccarini, astrologue d’Ezzelino, et son frère Ugerio, professeur de droit, étaient les fils d’un boulanger établi quelque part entre Santa Cecilia et San Tommaso197. Mais cette assertion fait problème : ils sont de probable ascendance milanaise et pourraient avoir été apparentés à un lignage de podestats198 : branche pauvre, ou simple homonymie ? La réputation de « grands usuriers » qui sera la leur au xive siècle n’est, en tout cas, pas encore justifiée, avant les années 1250, par des témoignages documentaires vraiment probants199.
109Certains accumulent les occasions de gains en associant le petit commerce et le notariat : c’est le cas d’un personnage isolé dont les activités ont été signalées par S. Bortolami, du nom de Pietro Boccone ; fils d’un tavernier, devenu notaire, il est en même temps administrateur de biens et marchand de chevaux, le tout couronné par une constante activité d’usurier. Il mourra, sans descendance en ligne directe, en 1253200.
110Plus rares sont les usuriers d’origine rurale et alleutière : on peut du moins citer les da Ronco, défricheurs de Busiago, selon da Nono, et qui, dès 1212, sont créanciers des Forzatè. Au demeurant, un peu plus tard, l’un d’eux se dit negociator, sans qu’on en sache davantage : leur cas rejoint donc, à terme, celui des précédents201. Il y a aussi, plus célèbres, les Frigimelica : leur nom même (« grille-sorgho ») a une saveur contadine. Da Nono les fait originaires de Sacco, et plus précisément de Campolongo : un document de 1235 les y montre en effet propriétaires. En 1229 et 1235, d’autre part, on a de premiers témoignages de leurs activités usuraires202.
111Tout au bas de l’échelle, enfin, il y a les origines serviles : da Nono en attribue de telles à la famille des de Bandis ; l’usure les aurait sorti de leur milieu : on les voit exercer cette activité dès 1225203.
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112Dans une Padoue sans industrie encore notable, le populus (du moins celui qui, depuis le début du xiiie siècle, s’est imposé comme partenaire de la vieille aristocratie), c’est d’abord cet ensemble composite de notaires, de propriétaires fonciers de récente urbanisation (ainsi les Frigimelica ou Pietro Boccone, venu de Curtarolo) et, surtout, de commerçants (auxquels il faut sans doute agréger quelques changeurs) ; parfois ils sont tout cela en même temps : tel le décidément emblématique Pietro Bocone, demeuré lié à son village d’origine, à la fois marchand de chevaux et notaire. Comme l’avait écrit dès le début du siècle Roberto Cessi, le cadre économique local encore assoupi n’offrait guère d’autre champ d’activité que l’usure à qui entendait placer fructueusement son argent204 ; c’est ainsi que les nouveaux riches se sont tout naturellement trouvés amenés à entrer dans un circuit de placements où les avait précédés l’aristocratie consulaire, et cela d’autant plus facilement que celle-ci, à l’orée du xiiie siècle, ne suffisait plus à financer les rivalités féodales tandis qu’en même temps se multipliaient les besoins des communautés rurales205.
113Tout ce qui comptait financièrement dans le Padouan s’étant ainsi engagé, il n’y avait plus de place (ou du moins pas encore) dans le commerce de l’argent, pour d’autres que pour les élites locales, anciennes et nouvelles. Les Juifs n’apparaîtront à Padoue que dans la seconde moitié du xive siècle (mais alors immédiatement comme prêteurs)206 ; quant aux ubiquistes Florentins et aux Toscans en général, ils ne se feront nombreux qu’à partir des années 1260 : la commune édictera tout un ensemble de statuts à leur sujet207. Pour l’instant les deux groupes de notables indigènes, l’ancien et le nouveau, jouissent d’un quasi-monopole208.
114Si ce milieu nouveau est donc bien assimilé dès le début du xiiie siècle il garde cependant, avant les grands changements des années de guerre et de dictature, sa physionomie propre – celle d’un groupe de pression dont les contours sont encore distincts. Voici un petit fait qui me semble révélateur : en 1235 un dal Pozzo est témoin d’un acte usuraire perpétré par un Frigimelica209. Ces parvenus-hommes d’argent se connaissent et collaborent, peut-être étroitement. L’usure a ses constantes : on ne peut s’empêcher de penser aux rapaces balzaciens, les Du Tillet, les Gobseck, qui se repassent les uns aux autres les victimes, tels le malheureux César Birotteau.
C) L’intégration : l’usage des fortunes, les relations sociales, les carrières
115La « révolution de 1200 » n’ayant pas été révolutionnaire, mieux vaut parler de poursuite d’un processus lent et continu d’intégration des nouveaux riches (on hésite à écrire « des élites ») issus du populus, que d’une « marée montante du mouvement populaire »210 : l’organisation d’ensemble de l’institution communale n’est pas bouleversée ; elle enregistre tout au plus le succès de telle ou telle ascension sociale. Bien sûr, les notaires – le groupe le plus facilement identifiable parmi ces nouveaux venus – profitent des facilités d’opérations immobilières que leur offre souvent la place qu’ils occupent dans la commune211, mais il suffit de repenser à celles qui ont été réalisées sur les terres des da Carrara à Bagnoli pour ramener leur exemple au cas général ; il me semble même nécessaire d’ajouter qu’ils s’essaient en petit à ce que l’aristocratie citadine – les Gnanfo, les Zopello et d’autres – réalise en grand. Qu’il s’agisse de la répartition de leurs assises foncières ou de leur mode d’intégration à la haute société, les chemins suivis par les nouveaux venus sont ceux que les familles consulaires avaient tracés près d’un siècle auparavant.
116Où investissent notaires enrichis, juges de première génération, négociants ? On voit se reproduire un schéma connu212.
117Il y a tout d’abord les terres de défrichement où la commune investit, soit directement, c’est-à-dire dans les fines, soit sollicitée par les affairistes eux-mêmes, et alors ce sont les terres basses du sud qui sont les premières concernées : les Corvi sont à Polverara et à Porciglia, lieu-dit de la campanea, les dal Pozzo dans les faubourgs de Padoue, les de Bandis ont une terre arable à Vanzo, également dans les faubourgs immédiats, les Manzi-Vedelli à Volta-Brusegana, Tencarola, Albignasego213, etc. Il va de soi que le territoire le plus proche est celui des acquisitions les plus nombreuses. Dans le sud-est, cependant, à Bagnoli, on a déjà rencontré les Bocca di Bue et les Mangiavillano ; les de Cabaldu sont à Bovolenta, les Murro à Pontelongo214.
118Une autre direction préférentielle semble être celle des Euganées : on a vu, dans la deuxième partie, l’intérêt que la commune portait au vignoble et à l’olivette. Les Cuticelli sont à Luvigliano, les Sanguinacci à Faedo, Viminelle et Valnogaredo, les Mangiavillano à Torreglia215.
119Plus difficile à repérer, le maintien et l’expansion sur les terres ancestrales : on en a vu un exemple avec les Frigimelica216.
120Il faut reconnaître que ces familles d’ascension récente ne sont pas des mieux connues et que, d’autre part, on retrouve ici les secteurs géographiques où la documentation est de toute façon la plus fournie. Sur ce dernier point je tendrais toutefois à inverser le raisonnement : les citadins padouans n’investissent pas, ou fort peu, dans la Scodosia, terre des Este, ni dans le nord, encore largement tenu par les grands seigneurs. L’essentiel, me semble-t-il, est qu’il n’y a pas d’investissement « bourgeois » différent de celui de l’aristocratie consulaire217.
121Les raisons en sont évidentes : les nouveaux riches sont incapables d’affirmer d’autres valeurs que celles des élites parmi lesquelles ils entendent se fondre218. Cette fusion va donc s’opérer de préférence dans le cadre traditionnel – la féodalité – et dans les cours vassaliques citadines, c’est-à-dire d’abord celles des grands de l’Église. On verra bientôt à quel point l’aristocratie consulaire, au début du Duecento, s’était faite la promotrice du renouveau de l’Église locale. Si l’évêque n’est plus celui autour duquel se fait la politique de la cité, du moins l’Église padouane, dans toutes ses composantes, garde ses clientèles de notables. N’est-il pas remarquable que les Mangiavillano, qui sont, dans ce groupe, ceux dont l’ascension aura sans doute été la plus précoce, soient aussi devenus, plus tôt que les autres pour autant que l’on puisse en juger, des vassaux de l’évêque219 ? Mais même le riche notaire Giovanni de Cabaldu jure fidélité, dès les premières années du siècle, pour un manse que le chapitre cathédral lui inféode220.
122Lorsque, d’autre part, se tissent des relations avec les nobles laïcs, ceux d’entre eux qui sont concernés se trouvent bien sûr être, soit les plus citadins – da Baone, Dalesmanini –, soit les plus endettés – da Carrara –, soit les deux à la fois – Iacopo da Sant’Andrea221. Je ne reviendrai pas ici sur les liens inextricables qui se créent entre relations d’affaires et clientélisme.
123Comment se traduit cette intégration dans le cadre institutionnel ? L’écrémage restreint qu’elle représente par rapport à la masse de bourgeois et d’artisans qui demeure hors du jeu ne nécessite aucun bouleversement. On a vu plus haut que les gens du populus, soit sont appelés à des offices communaux à caractère subalterne, soit y demeurent très minoritaires – un seul des 4 cataveri, par exemple222.
124Dans ce qui demeure, à tant d’égards, une république des juges, rares sont les dynasties d’hommes nouveaux, avant 1237 – du moins parmi celles qui me sont suffisamment connues –, que l’on voit fournir quelques-uns de ces « intellectuels organiques » aux assemblées restreintes qui font la politique : les Mangiavillano, les di Ordano, les Corvi et les da Ronco ; encore se trouve-t-il que, sur quatre, deux sont attestés dès avant 1200223 ! C’est après 1256 que feront carrière dans la magistrature, et parfois avec éclat, les Buzzaccarini, Frigimelica, Macaruffi, Mangaspici, Scrovegni qui, pour l’instant, sont encore des notables de première génération.
125Parmi les juges, selon un statut communal d’avant 1236, douze sont désignés, tous les 3 mois, pour s’occuper plus particulièrement des affaires de la commune ; entre autres un extimator et un procurator : dans les faits, je le rappelle, il arrive fréquemment qu’une même personne remplisse les mêmes fonctions224 ; le second extimator doit être un miles, selon un autre statut d’avant 1236225.
126Or voici qu’apparaissent, avant les temps ezzéliniens, à côté de juges dont certains sont des domini de fraîche date, comme Benedetto da Ronco, des milites qui fleurent une récente roture : un Macaruffo et un dal Pozzo226.
127Bref, la vraie nature des événements des années 1200-1205 se révèle décidément : on fait la place aux nouveaux arrivants dans l’espace de la vieille élite consulaire, toujours très majoritaire dans les instances communales227.
Notes de bas de page
1 Annales Patavini..., p. 222 : « A. 1200 : Messer Azzo confaloniero Podestà de Padoa : in quest’anno gli Plebei pigliano il Dominio dalli magnati di Padoa » ; Liber regiminum Padue..., p. 228 : Et iurisdictiones seu dominationes magnatum Padue accepte fuerunt per populares homines civitatis Padue.
2 Ni la rédaction primitive – latine – des Annales Patavini, ni d’autres chroniques n’en font mention : ainsi, dans un Chronicon de potestatibus Padue édité par S. Bortolami, le podestariat d’Azzo d’Este est mentionné sans aucune autre allusion (S. Bortolami, Per la storia della storiografia comunale..., p. 95).
3 S. Bortolami (Fra « Alte Domus »..., p. 19) parle d’un « consulat ». Gloria (dans ses Monumenti dell’Università..., p. 17) d’un podestariat. Dans une situation de crise, le titre n’avait guère d’importance et peut-être n’y en eut-il point ; cependant, si les Annales Patavini, dans une des rédactions latines, se contentent d’un ambigu rexerunt Paduam (p. 184), dans une autre, leur est donné le titre de potestates (p. 200).
4 Sur l’ensemble des faits et leur interprétation, cf. S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 17-19.
5 Cf. S. Bortolami, ibid., p. 21 : « nella società padovana dei primi decenni del secolo non è dato costatare... quell’accesa conflittualità di compagnie e di società armate... che in numerose altre città riuscirono ad acquistare una autonoma forza organizzativa ». L’auteur remarque également que les mêmes podestats qui, à Padoue, exerçaient tranquillement leur fonction une année durant, arrivés à Plaisance, ou bien finissaient à la tête d’un parti, ou bien en étaient chassés ! On comprendra mieux, j’espère, les raisons de cette exceptionnelle réussite padouane si l’on accepte la définition du populus que je propose dans les pages qui suivent.
6 Annales Patavini (2e rédaction latine)..., p. 200 : Hoc anno accepte fuerunt iurisdictiones magnatum Padue. Liber regiminum Padue, p. 299-300 : Et acceptae penitus fuerunt iurisdictiones magnatibus pro commune Paduae ; S. Bortolami, Per la storia... : il « Chronicon de potestatibus Paduae »..., p. 95 : Hoc anno accepte fuerunt iurisdictiones magnatum civitatis Paduae, quia ius reddebant in suis villis. A voir certaines chroniques mentionner les faits de 1205 après avoir gardé le silence sur ceux de 1200, on a le sentiment que la deuxième épreuve de force a davantage marqué l’évolution.
7 Cf. la note précédente : ce que dit le Chronicon de potestatibus.
8 Statuti..., no 645, p. 213. Cf. le commentaire de Bortolami, Fra « Alte Do-mus »..., p. 44-45 (voir p. 44, note 178, et p. 49, note 201 sur le problème de la datation de ce statut, dont Bortolami démontre qu’il ne saurait être de 1225, comme la tradition le voulait, mais d’une période plus tardive, sans doute vers la fin de l’année 1236). Plus récemment, S. Collodo a proposé de voir dans la liste de ces « magnats » celle des nobles qui s’étaient engagés à défendre la ville contre Ezzelino (cf. Magnati e clientela..., p. 146).
9 Liber regiminum..., p. 271-272.
10 Annales Patavini..., p. 219.
11 Sur la datation de l’œuvre de da Nono cf. supra, p. 12.
12 R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 132-133 : Fertur quod in antiquis scripturis reperitur eos fuisse nobiles ; mais non reperio quod aliquis compositor cronicarum nominet eos comites... ; par conséquent reperio eos fuisse ab antiquo nobiles et potentes populares.
Et ce n’est pas qu’à leur sujet qu’il utilise cette expression paradoxale. Cf., entre autres, p. 146, sur les Capodivacca : dico eos de presenti esse nobiles et potentes populares Padue ; p. 179, sur les Ruffi : commerçants selon certains, mais alii dicunt quod semper fuerunt nobiles et potentes populares ; p. 216, sur les Gafarelli : fuerunt nobiles et divites populares ; etc.
13 Pour da Nono, qui n’utilise pas, à cette occasion, le terme magnates, ces châtelains, mais aussi des aristocrates citadins d’origine châtelaine, sont des nobiles « tout court » cette fois ; ainsi les da Peraga, da Montagnone, da Limena (lesquels sont désormais de simples citadins mais ab antiquo fuerunt nobiles et potentes homines), da Selvazzano, etc. (cf. ibid., p. 141, 135, 151-152, 204).
14 Cf. infra, p. 668-674.
15 Cf. Rolandino, Cronica..., p. 102 : capciones nunc militum nunc popularium ; p. 145 : milites et populares ; et surtout ce très révélateur iudices, milites, et populares, p. 34.
16 On n’a pas d’informations contemporaines sur un changement des critères d’admissibilité aux offices. Il faut croire que l’argent et la possession d’un cheval de combat étaient désormais ceux qui permettaient l’accès à la militia. Dans les statuts de 1228, à Vérone, la situation apparaît semblable (cf. L. Simeoni, Il comune veronese sino ad Ezzelino..., p. 6).
17 Sans doute y a-t-il eu une tentative assez précoce dans ce sens, mais elle a eu lieu à Vicence, en 1234, lorsqu’un « parti des usuriers » a tenté de s’imposer aux factions, mais sans succès, obtenant même le résultat inverse de celui qu’il recherchait, puisque Alberico da Romano s’unit en une « conspiration » contre eux avec les Este et leurs clients ! Cf. Gerardo Maurisio, « Cronica Dominorum Ecelini et Alberici fratrum de Romano », G. Soranzo éd., RIS 2, VIII/4, Città di Castello, 1914, p. 34-36 ; Antonio Godi, « Cronaca dall’anno MCXIV all’anno MCCLX », G. Soranzo éd., RIS 2, VIII/2, Città di Castello, 1909, p. 11.
L’interprétation des faits reste, semble-t-il, à approfondir : C.G. Mor, dans son article des S. Ezz. (« Dominus Ecerinus » : aspetti di una forma presignorile, p. 93), ne cache pas sa perplexité ; G. Cracco, dans la nouvelle Storia di Vicenza (p. 96), passe relativement vite. Pour l’un comme pour l’autre, on y rencontre, certes, un noyau de commerçants et de banquiers, donc d’homines novi. Bien des problèmes restent posés : s’agit-il en effet exclusivement des usuriers professionnels ou, au contraire, du même milieu plus large mais encore principalement aristocratique qu’à Padoue ? Sont-ils les mêmes que les populares qui avaient tenté vainement – contrairement à ce qui s’était passé à Padoue – de s’imposer aux factions durant les années 1206-1208, selon Maurisio (Cronica..., p. 11) ? G. Cracco fait d’eux un groupe de milites et de propriétaires aisés, donc assez semblable à celui que j’ai pu identifier à Padoue, mais dans ce cas lié à une faction (p. 87-88) ; il prend ainsi le contrepied de l’interprétation de De Vergottini, pour lequel la question ne se posait pas et qui en faisait un milieu bourgeois (De Vergottini, Il « popolo » di Vicenza nella cronaca ezzeliniana di Gerardo Maurisio, Scritti di storia..., 1, p. 333-352, et plus particulièrement p. 337-340). Mais un problème demeure : celui de la notion même de populus chez Maurisio qui, écrivant à la fin des années 1230, ne pouvait guère avoir en tête un concept aussi élargi que da Nono au début du xive siècle ! Il se peut qu’il ait perçu, au premier plan, un noyau de nouveaux riches citadins, négligeant les vrais maîtres de ce groupe de pression. Mais en somme bien des choses restent à préciser.
18 S. Collodo, Il ceto dominante padovano..., p. 28. Il va de soi que cette conception, que mon analyse des événements de 1200-1205 me semble corroborer dans une large mesure, s’oppose nettement à toute une tradition historiographique dont S. Collodo cite un exemple qui lui semble emblématique dans l’article de E. Cristiani, Le alternanze tra consoli e podestà..., p. 47-51, qui conclut au contraire à l’affaiblissement des groupes nobiliaires au profit d’un « popolo » conçu au sens usuel. Le point qui demeure en suspens, entre sa présentation des choses et la mienne, est celui du rôle (que S. Collodo semble négliger) des éléments les plus dynamiques parmi les non-aristocrates, comme force d’appoint pour imposer la solution pacificatrice aux éventuels récalcitrants.
19 G. De Vergottini, Problemi di storia..., p. 363-364 (cité par S. Collodo, Il ce-to dominante..., p. 28, note 17).
20 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 18-19 et note 55.
21 Selon la version italienne des Annales Patavini (A. Bonardi éd., p. 223) et le Liber regiminum (ibid., p. 301), en 1209, les Padouans prennent une première fois la rocca d’Este, d’où ils ramènent un lion de pierre qu’ils placent sur une colonne devant l’église Sant’Andrea, à Padoue, où il se trouve toujours.
22 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 45-46. On trouvera un récit plus détaillé dans le vieil ouvrage d’I. Alessi, Ricerche istorico-critiche delle antichità di Este, Padoue, 1776, t. 1, p. 695-700.
23 Cf. supra, p. 321-322.
24 S. Collodo, Il ceto dominante..., p. 29-30 ; S. Bortolami, Fra « Alte Do-mus »..., p. 45-46.
25 Cf. supra, p. 193.
26 Le statut no 473 (Statuti..., p. 156) interdit aux habitants des villae de concéder à un grand (alicui magno vel potenti viro) le droit de nommer leur podestat ou leurs officiers communaux.
27 Cf. supra, p. 402.
28 Cf. supra, p. 400-401.
29 Cf. S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 50, note 202 : l’ensemble de ces privilèges impériaux s’y trouve énuméré.
30 Cf. le statut no 471 (Statuti..., p. 155), qui interdit d’empêcher quiconque d’aller demander justice au podestat. Le meilleur témoignage de cette victoire communale est la fin des prétentions du marquis à juger en appel (cf. S. Bortolami, ibid., p. 46).
31 Les domaines des Este eux-mêmes n’ont, semble-t-il, pas tous le même statut face au pouvoir communal : en dehors de la Scodosia, en 1224, le podestat de Padoue intervient directement pour reconnaître aux deux églises du lieu les dîmes et la juridiction spirituelle sur le territoire (curia) de Solesino. Il est, à cette occasion, explicitement rappelé qu’autrefois c’était le marquis qui habebat iurisdictionem cognoscendis de causis (A S P, Dipl., 1202).
32 Un exemple révélateur : c’est seulement en 1277 que Montagnana et la Scodosia se voient imposer l’adoption des poids et mesures de Padoue (Statuti..., no 156, p. 61).
33 S. Bortolami, Fra « Alte Domus ».., p. 32-34 et p. 68.
34 Sur les institutions communales padouanes au-delà de la période consulaire, la bibliographie s’est enrichie ces dernières années. Outre les ouvrages fort anciens, mais qui peuvent conserver leur utilité sur des problèmes ponctuels, de Pertile (Degli ordini politici ed amministrativi della città di Padova nel secolo xiii, Padoue, 1883) et Roberti (Nuove ricerche sopra l’antica costituzione del comune di Padova, « N A V », n. s. 3, 1902, p. 77-97), et les monographies de M. A. Zorzi (L’ordinamento comunale padovano nella seconda metà del secolo xiii, « Miscellanea di storia veneta », s. 4, 5, Venise, 1931, p. 1-245), Hyde (Padua...) et Bortolami (Fra « Alte Domus »...), il convient de signaler : A. Castagnetti, Appunti per una storia sociale e politica delle città della Marca Veronese-Trevigiana (sec. xi-xiv), Aristocrazia citttadina e ceti popolari nel tardo medioevo in Italia e in Germania, Bologne, 1984 (plus particulièrement les pages 53 à 65 sur le grand conseil à Padoue) ; id., Mercanti, società e politica nella Marca Veronese-Trevigiana (sec. xixiv), Mercanti e vita economica nella Repubblica veneta (secoli xiii-xviii), Vérone, 1985, p. 160-176 sur Padoue (une 2e édition : Vérone, 1990 ; je me réfèrerai à la pagination de la première) ; G. M. Varanini, Istituzioni, politica e società nel Veneto dal comune alla signoria (sec. xiii-1329), Il Veneto nel Medioevo, t. 2, p. 263422 (surtout les pages 293 à 347 sur les institutions padouanes). Je rappelle enfin l’utilité, pour une approche générale des problèmes, de la synthèse de A. I. Pini, Città, comuni..., p. 75-76 (sur les conseils), et p. 140-170 (sur l’évolution administrative générale), dotée d’une imposante bibliographie (p. 190-197 et p. 205213).
35 Statuti..., no 1365, p. 424.
36 Une analyse de la composition du grand conseil de 1216 dans A. Castagnetti, Appunti..., p. 60 ; des remarques sur celui de 1235 dans G. M. Varanini, Istituzioni, politica..., p. 326 ; une rapide revue de l’ensemble dans A. Castagnetti, Mercanti..., p. 162-164. La liste des conseillers de 1216 est publiée dans R. Predelli, Documenti relativi alla guerra per fatto del castello d’amore..., p. 439-444 ; celle des conseillers de 1235 dans Mario Pozza, Un trattato tra Venezia e Padova e i proprietari veneziani in terraferma, dans « Studi veneziani », 7, 1983, p. 26-29.
37 En 1252, on en compte 859 (A. Castagnetti, La Marca Veronese..., p. 103104 ; le document, conservé aux archives de Crémone, a été édité partiellement dans S. Simeoni, Nuovi documenti sull’ultimo periodo della signoria di Ezzelino, Studi su Verona nel Medioevo, IV, dans « Studi storici veronesi », 13, 1962, Vérone, 1963, p. 268-269). Après Ezzelino, les chiffres connus sont les suivants : tout d’abord, une légère retombée jusqu’à 600 – entre 1272 et 1276 –, puis la montée à 1000 (M. A. Zorzi, L’ordinamento comunale..., p. 33-34 ; Hyde, Padua..., p. 4).
38 A. I. Pini, Città, comuni..., p. 75 ; Hyde, Padua..., p. 4.
39 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 32. Ce chiffre grimpera à 60 durant les années 1260 (Statuti..., p. 5, note b).
40 L’acte de soumission de Conegliano a été publié dans Verci, Storia della Marca..., t. 1, no 63, p. 81-84. La solennité exceptionnelle de la circonstance avait amené les dirigeants padouans à réunir, à l’occasion de la réception des procuratores de Conegliano, la vieille concio, d’où une affluence du peuple in maxima quantitate. On n’en avait plus guère besoin que pour approuver ostensiblement certaines grandes décisions de politique régionale.
41 Hyde, Padua..., p. 210 ; Statuti..., no 16/1, p. 13-14.
42 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 32-33, note 120. Sur les centenarii et les quartiers, cf. infra, p. 658.
43 M. Roberti, Nuove ricerche..., p. 9.
44 Statuti..., nos 230-231, p. 82.
45 Ibid., no 231.
46 Ibid., no 147, p. 56 : Insuper bona fide adiuvabo potestatem ad faciendum pacem de guerris que sunt in civitate padue vel eius districtu si erunt tempore sui regiminis ; no 120. Cf. aussi S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 33 et note 121.
47 Cf. infra, p. 692.
48 Statuti..., nos 127, 129, 130, 132, p. 51-52. Cf. S. Bortolami, Fra « Alte Do-mus »..., et note 122.
49 S. Bortolami, ibid. ; sur les extimatores cf. Statuti..., nos 601 à 604, et 606 à 608, p. 194-197.
50 On en trouve dès 1190 ; cf. M. Roberti, Nuove ricerche..., p. 10 ; cf. aussi A. Gloria, Intorno al Salone..., p. 48.
51 S. Bortolami, Fra «Alte Domus»..., p. 35-36 (et note 135). En 1230, le changeur Giacomino Murro a été caniparius (ibid., p. 39; sur les Murro cf. aussi infra, p. 682, et p. 689). Les compétences de ce genre de personnage s’accordaient au demeurant assez bien avec cette fonction de gestionnaire : il s’agit de gérer les sommes d’argent, les amendes, les produits des terres de la commune, et aussi d’acheter et de vendre pour le compte de cette dernière (Statuti..., nos 148-149, p. 57-58); de même les caniparii reçoivent les prêts qu’elle peut être amenée à consentir (no 1189, p. 364).
52 Statuti..., nos 609 et 610 (ce dernier est daté – chose rare avant 1236 – de 1228), p. 198-199.
53 Ibid. ; cf. aussi S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 33 et note 123.
54 Le terme est dialectal et associe « catare », qui signifie « enquêter », et « vero ».
55 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 33-34 et note 124.
56 Statuti..., nos 613, p. 201.
57 Statuti..., nos 156, 158, 159, 160, p. 61-62.
58 Cf. infra, p. 664.
59 Statuti..., nos 212 à 216, p. 76-77. C’est en 1232 (no 220, p. 77-78) que leur nombre est fixé à 20.
60 Cf. S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 36, note 135 : « Dei numerosi preconi di cui è ricordo negli atti del primo Duecento, uno, abusivo, è taverniere, un altro, condannato a una forte ammenda pecuniaria, la vede ridotta propter paupertatem, un terzo è genero di un chierico di Arquà ».
61 Statuti..., nos 671 à 676 : la rubrique De saltuariis comunis et privatorum traite les uns et les autres comme un tout (p. 221-222).
62 Ibid., nos 317 et 318, p. 102 : il est notamment spécifié (no 318) que, si un officier de commune rurale demande l’intervention du suprastans pour faire faire un canal ou une digue, le podestat de Padoue doit lui en envoyer un.
63 S. Bortolami, Fra « Alte domus »..., p. 35-36 (note 135).
64 Statuti..., p. 20, note d ; no 283, p. 92.
65 A Gênes, particulièrement précoce, Caffaro parle de l’intervention dans la politique communale dès 1159 des homines civitatis et plebei secundum quarteria ; cf. Giovanna Petti-Balbi, Genesi e composizione di un ceto dirigente : i « populares » a Genova nei secoli xiii e xiv, Spazio, società, potere nell’Italia dei comuni, Naples, 1986, p. 93 ; l’auteur insiste, au sujet des solidarités de quartier, sur le rôle de rassembleur que joue l’église paroissiale (p. 96). A Asti, selon Enrico Artifoni, c’est tout au long du xiiie siècle que les organismes du « popolo », concurrents de la commune puis associés à elle, expriment une réalité fondée sur les quartiers : encore en 1271 apparaissent quattuor societates à base géographique (La società del « popolo » di Asti fra circolazione istituzionale e strategie familiari, « Quaderni storici », 1982, no 51, p. 1042-1048).
66 Pour reprendre l’exemple de Gênes, il y faut attendre les années 12101220 : en 1212 apparaissent des « consuls » des muletiers ( !) et, en 1222, les rectores de tintoria ; et, là comme ailleurs, la reconnaissance explicite des Artes viendra tard : en 1257, quand le « popolo » portera au pouvoir Guglielmo Boccanegra (G. Petti-Balbi, Genesi..., p. 96-97).
67 Je serai amené plus loin à analyser les composantes essentielles de ce populus padouan. Quant aux possibles définitions de la notion, elles ont pour caractéristiques communes d’être négatives : Rolandino, on l’a vu, oppose milites et populares (cf. supra, p. 647, note 15), c’est-à-dire qu’implicitement, pour lui, le populus est constitué de tous les non-aristocrates ; il y a une constatation en positif, il est vrai : il combat à pied. Roberto Cessi (Le corporazioni dei mercanti..., p. 1415) commence par expliquer que le « popolo » n’a aucun rapport avec les associations de métier, tardivement surgies, puis propose une définition positive qui n’est possible que dans la mesure où elle limite son champ à la sphère politique : une élite sociale fondée sur la richesse.
Sur le « popolo » comme expression politique, cf. la bibliographie proposée dans A. I. Pini, Città, comuni..., p. 195-196, où dominent les ouvrages de De Vergottini, dont certains sont utilisés dans le cours de ce livre (cf. à l’index).
68 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 26, note 87. L’ensemble de ce mien développement sur les quartiers n’est qu’un rappel des conclusions de S. Bortolami (dans l’article cité) et de G. M. Varanini dans son article : Istituzioni, politica e società... (cf. supra, p. 652, note 34). Ce dernier privilégie, en bonne logique, le terme de vicinia, aux résonnances purement « laïques », pour désigner cet organisme originel de gestion de la vie collective, élémentaire sinon informel, que fonde « la contiguïté résidentielle » (p. 293). Quant au traitement (ou, souvent, au non-traitement) de ce thème dans l’historiographie, on citera, comme le fait S. Bortolami, une première tentative de synthèse dans l’ouvrage – par ailleurs souvent discutable car peu nuancé – de J. Koenig, The popolo of northern Italy (1196-1274) : a political analysis, University of California, Los Angeles (thèse reproduite par la University microfilm international, Ann Arbor Michigan-London, 1990, p. 352-391). Il en existe une récente édition italienne : Il « popolo » dell’Italia del Nord nel xiii secolo, Bologne, 1986.
69 Parfois éclate pourtant ouvertement l’opposition entre le notable et le reste de la population du quartier. C’est ainsi que Dominus Gerardus iudex de Gnanfo est l’un des deux opposants aux choix de l’assemblée des paroissiens de San Lorenzo à l’occasion de la désignation du desservant, au début du xiiie siècle (P. Sambin, Note sull’organizzazione parrocchiale in Padova nel sec. xiii, Studi di storia ecclesiastica medioevale, Venise, 1954, p. 15 et 18, note 3 (cité par S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 27, note 89).
70 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 14 et note 38 ; G. M. Varanini, Istituzioni..., p. 293.
71 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 32 et note 115 (où est cité l’ouvrage de A. I. Pini, Le ripartizioni territoriali urbane di Bologna medievale. Quartiere, contrada, borgo, morello e quartirolo, Bologne, 1977, p. 10-11).
72 Cf. supra, p. 653. Il va de soi que cette prévalence, à Padoue, des quartiers comme base d’organisation du « popolo » n’est pas très originale ; elle est encore moins un signe de faible développement économique : lorsque s’institue le « premier peuple » à Florence en 1250 (donc bien plus tard !), il s’organise « en 20 compagnies, fondées sur le groupement des citoyens par le voisinage » (Y. Renouard, Les villes d’Italie de la fin du xe siècle au début du xive siècle, Paris, 1969, t. 2, p. 323 ; on se référera pour plus ample information à Davidsohn, Storia di Firenze – trad. ital. de l’original –, t. 2, p. 506-519).
73 On trouvera un résumé de cette mini-controverse, et les dernières hypothèses de S. Bortolami, dans son article « Honor civitatis »..., p. 185, note 74.
74 Une première tentative dans S. Bortolami (Fra « Alte Domus »... p. 23 sq.), de laquelle il convient encore de partir.
75 La liste se trouve dans R. Predelli, Documenti..., p. 439-444.
76 M. Pozza, Un trattato..., Appendice, p. 26-29.
77 En 1235 c’est un autre fils de Dalesmanino, Uberto, qui y figure (M. Pozza, ibid., p. 29).
78 A. Castagnetti, Appunti..., p. 60. Il faut signaler qu’il n’avait sans doute pas pu alors connaître la publication du traité de 1235 par M. Pozza, qui prive de sens cette remarque.
79 M. Pozza, ibid., p. 27-28 ; «...et ea que dompnus Iordanus prior Sancti Benedicti de Padua statuerat cum tractatoribus Veneciarum dicte pacis » (p. 26).
80 Gnanfo : Lanfranco di Egidio di Sofia et Rolandino di Caroto en 1216 (Predelli, ibid., p. 439), « Gnaffo », juge, Ubertino et Ugo da Vo’ en 1235 (M. Pozza, ibid., p. 29) ; da Vigonza : Dominus Catanius en 1216 (Predelli, p. 440), Corrado da Vigonza en 1235 (M. Pozza, ibid., p. 28) ; Almerico et Zamboneto dei Tadi, Bonifacino di Sintilla (Predelli, p. 440, 441 et 443) ; Lemizzi : Matteo di Vitaliano, Alberto di Dente et Lemizo di Vitaliano (M. Pozza, ibid., p. 27).
81 Cf. l’article de Castagnetti signalé en note 78.
82 Leonardo Cuticella ne déclare pas sa profession (Predelli, ibid., p. 440) ; or il est notaire depuis au moins 1209 (A C P, Villarum, 6 : Mortise, 4) ; Pietro di Corvo (p. 441) est juge depuis au moins 1187 (A S V, San Cipriano, B. 100, R. 129) ; mais surtout Almerico dei Tadi l’est ou le sera (A S P, Dipl., 1263, a. 1225).
Sur la carrière de Leonardo Cuticella, cf. Paolo Marangon, La « Quadriga » e i proverbi di maestro Arsegino. Cultura e scuole a Padova prima del 1222, « Quaderni per la storia dell’Università di Padova », 9-10, 1977, p. 16-17. Le personnage est en effet loin d’être un obscur tabellion. Il travaillait pour le palais épiscopal comme pour la commune : entre autres il a rédigé un statut du 27 juin 1230. L’étroitesse de ses liens, tant avec la classe dirigeante communale qu’avec le milieu ecclésiastique urbain devait lui valoir d’être exécuté sous Ezzelino (Rolandino, Cronica..., p. 102).
83 Cf., entre autres, le cas des Ardenghi, bien étudié par Tiziana Pesenti-Marangon, dans son article, Università, giudici..., p. 1-2, 18 : Viviano degli Ardenghi sera notaire d’Ezzelino.
84 M. Roberti, Le corporazioni padovane d’arti e mestieri. Studio storico-giuridico con documenti e statuti inediti (« Memorie del r. Istituto di scienze, lettere ed arti », 26/8), Venise, 1902, p. 13-14. Il est possible que la corporation des hérauts soit également des plus anciennes (ibid.).
85 A. Castagnetti, Mercanti..., p. 107 et 127. Cette association des marchands, à Vérone, se modèle sur la constitution communale : peu après 1200, elle aura son podestat de la domus mercatorum.
86 Statuti...., no 406, p. 130 : Sacramenta facta per negotiatores. peliparios, sartores, cerdones, solarios, ceterosque artifices cuiuscumque fratalie...
87 Cf. A. Castagnetti, Mercanti..., p. 160-162 ; M. Roberti, Le corporazioni..., p. 14.
88 A. Castagnetti, Mercanti..., ibid. ; R. Cessi, Le corporazioni..., p. 32. Cela dit Cessi signale l’existence, dès la première moitié du xiiie siècle, d’un ars pignolatorum, c’est-à-dire des fabricants de ces draps communs qu’on appelle des « pignolati » (p. 31).
89 M. A. Zorzi, L’ordinamento..., p. 105-108.
90 Ce document, édité autrefois par L. Simeoni, vient d’être réédité par Castagnetti (cf. ibid., p. 183-184 ; 2e édition, 1990, p. 127-129). Le terme misterium est véronais.
91 S. Bortolami, Acque, mulini..., p. 310-311. Sur l’activité cotonnière, cf. M. Fennel-Mazzaoui, The italian cotton industry..., p. 62, 69, 110, 114-115, cité par S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 311, note 153.
92 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 313 ; R. Cessi, Le corporazioni..., p. 32-33. Sur le premier essor ezzélinien de l’industrie textile padouane, cf. infra, p. 757. Curieusement, une synthèse relativement récente sur le textile dans le Veneto médiéval ne tient pas vraiment compte des remarques de S. Bortolami sur le cas padouan (S. Collodo, La produzione tessile nel Veneto medievale, dans l’ouvrage collectif Tessuti nel Veneto. Venezia e la Terraferma, Vérone, 1993, p. 35-56).
93 A. Castagnetti, Mercanti..., p. 170-172. Dans la Padoue post-ezzélinienne, au demeurant, les notaires seront intégrés parmi les Artes.
94 A. I. Pini, Città, comuni..., p. 97. L’auteur développe une vision fort critique de ce moment de l’histoire communale italienne. Cf. le début de sa conclusion à ce sujet : « Nel complesso il giudizio sul comune popolare non può essere che un giudizio negativo » (p. 101).
95 Y. Renouard, Les villes d’Italie..., t. 1, p. 207.
96 A. Castagnetti, Appunti..., p. 60.
97 C’est ce besoin de notaires qui fait naître et, durant quelque temps, prospérer dans les villes italiennes médiévales la figure du prêtre-notaire : à dire vrai, tôt combattue par l’institution ecclésiastique, elle se fait rare dès le xiiie siècle, à l’exception de Venise où, encore en 1433, une bulle du pape Eugène IV n’est respectée que pour les actes privés, la commune ayant besoin des prêtres qu’elle utilise dans sa chancellerie (G. Cracco, « Relinquere laicis que laicorum sunt ». Un intervento di Eugenio IV contro i preti-notai di Venezia, « Bollettino dell’istituto di storia della società e dello stato veneziano », 3, 1961, p. 179-189).
Cela dit, « dans les décennies centrales du xive siècle », A. Rigon signale, à Padoue, un renouveau du notariat ecclésiastique, au moins jusqu’à une nouvelle interdiction formelle, en 1360 (A. Rigon, Clero e città..., p. 150).
98 Statuti..., no 231, p. 82. De surcroît, ces offices de notaires communaux sont renouvelés tous les trois mois ! Il est difficile de ne pas penser que certains cumulaient, mais rien ne le dit.
99 Quant aux tâches demeurées de nos jours celles des notaires, rappelons que les xiie et xiiie siècles sont ceux « de la renaissance et de la progressive diffusion du testament » (A. Rigon, Orientamenti religiosi e pratica testamentaria a Padova nei secoli xii-xiv. Prime ricerche, dans « Nolens intestatus decedere ». Il testamento come fonte della storia religiosa e sociale ; Atti dell’incontro di studio, Perugia (3 maggio 1983), Pérouse, 1985, p. 43-44.
100 La situation qui est celle des notaires padouans est caractéristique de toute grande ville : on pourra faire la comparaison avec Sienne en lisant l’article d’Odile Redon, Quatre notaires et leur clientèle à Sienne et dans la campagne sien-noise au milieu du xiiie siècle (1221-1271), « MEFRM », 85, 1973, p. 79-141. L’auteur fait remarquer que les notaires « qui arrivaient à se placer dans les services publics..., par là même s’assuraient une honorable clientèle privée ». Cela dit on perçoit, en la lisant, combien être notaire de la commune est une tâche astreignante : à Sienne le notaire Appuliese « voit son activité au service de personnes privées perturbée par l’alternance avec des charges publiques : pendant toute l’année 1222, étant notaire de la commune, il cesse de copier ses minutes sur le cahier de l’année précédente qu’il reprend par contre en 1223 » (p. 86-87).
Entre autres ouvrages plus anciens, que cite O. Redon, on rappellera celui de Ottavio Banti, Ricerche sul notariato a Pisa tra il secolo xiii e il secolo xiv (Note in margine al « Breve collegii notariorum » 1305), « Bollettino storico pisano », 34-35, 1964-66, p. 131-186 ; on trouve là aussi des exemples significatifs de carrières de notaires dans les affaires publiques au-delà de la période « consulaire » des communes.
101 J. K. Hyde, Padua..., p. 160-161.
102 G. Arnaldi, Le origini dello studio di Padova. Dalla migrazione universitaria del 1222 alla fine del periodo ezzeliniano, « La cultura », 15, 1977, p. 388-431.
103 Ibid., p. 431.
104 Ibid., p. 403. Sur Boncompagno da Signa, on consultera désormais, dans le D B I, t. 11, p. 720-725, l’article de V. Pini. On y trouvera l’habituelle bibliographie exhaustive.
Quant au grade universitaire de Rolandino, cf. C. F. Polizzi, « Rolandinus paduanus professor grammatice facultatis », « Quaderni per la storia dell’Università »..., 17, 1984, p. 231-232.
105 J. K. Hyde, Padua..., p. 158. Sur la situation d’avant le milieu du xiie siècle, cf. supra, p. 349-351.
106 Cf. supra, p. 661, note 83. On peut citer aussi, postérieur d’une génération au juge Pietro di Corvo (cf. par exemple A S V, San Cipriano, B. 100, R. 129, 1187), le notaire Alberto Corvo (A S V, S. Michele in Isola di Murano, B. 11, no 474, a. 1220 ; ibid., no 278, a. 1235 ; etc.).
Le notariat demeurera une profession-refuge dans les familles – ou les branches de famille – en déclin. Au xive siècle, après la ruine de leur lignage, des Dalesmanini reviennent à Padoue au terme d’une période d’exil ; ils s’installent dans un quartier périphérique, à Ognissanti, et y exercent le notariat (S. Collodo, Credito..., p. 264).
Bien entendu cet état des choses n’a rien de spécifiquement padouan. Gina Fasoli l’a décrit, assez semblable, à Bologne : vers 1220-1230 le milieu social des notaires y est extrêmement varié ; on y trouve, là aussi, des fils de grandes familles de la ville, des fils de juges, de médecins et, bien sûr, de notaires, mais aussi des fils de forgerons, boulangers, peintres de miniatures, papetiers, bouchers et vendeurs de légumes. On voit même, à cette époque, « quelque juge qui change de métier et se fait notaire », ce que je n’ai pas rencontré pour ma part et qui suggère que la profession pouvait s’avérer singulièrement lucrative pour qui jouissait déjà d’une situation dans les milieux du pouvoir (G. Fasoli, Giuristi, giudici e notai nell’ordinamento comunale e nella vita cittadina, auj. dans Scritti di storia medievale, Bologne, 1974, p. 613).
107 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 36, note 138. Sur le personnage et la carrière de Pietro Boccone, ibid., p. 40 et 51 ; et surtout Id., La città del Santo..., p. 269-270.
108 J. K. Hyde, Padua..., p. 174-5, 184-5. On manque d’exemples probants avant le milieu du xiiie siècle ; en voici un, toutefois : en 1199, le notaire Andrea Bocca di Bue achète, avec des associés, en livello, pour un cens symbolique, à la commune de Padoue, tout un ensemble de terres sises à Vigorovea, en Saccisica (E. Malipiero-Ucropina éd., Ss. Secondo..., no 67). Le même personnage fait partie des investisseurs de Bagnoli.
109 Selon S. Bortolami, le trésorier fondateur de la fortune familiale serait en fait Giovanni, le père d’Alberto (cf. infra, p. 755 et note 135). Le sus-nommé Pietro Boccone prospère au même moment.
110 C D P, 1, no 240. Veut-on un autre exemple ? Voici une donation faite le 7 janvier 1108 par ego in Dei nomine Albertus de Baone à domnum Dominicum priorem sancti Cipriani (C D P, 2/1, no 35). Encore en 1125 on voit un accord conclu entre domnum Bellinum...archipresbiterum..., nec non inter domnum Ribaldum abbatem...de Pratalia, et Maltraversum comitem advocatum eius (C D P, 2/1, no 165). Si l’évêque et l’abbé ont droit au titre, ce n’est pas le cas, on le voit, du comte de Vicence.
111 L. Lanfranchi et B. Strina éd., Ss. Ilario..., no 11 : Signum manus domnus Ubertus advocatus.
112 C D P, 2/1, no 27.
113 Cf. par exemple, en 1109, la comtesse Mathilde (ibid., no 42), en 1117 et 1120 l’épouse du comte de Padoue, Rodolica (nos 90 et 116), ou encore, dès 1114, Elica, mère d’Uguccio et Manfredo da Baone (no 64).
114 N° 70.
115 Ainsi en cette même année 1115 (nos 68 et 71).
116 Dum in Dei nomine resideret domnus Fulco marchio in Montesilice... ad iusticiam faciendam... in generali placito. De même le doge de Venise, au xie siècle, est lui aussi un Dominus (ainsi Domenico Contarini, en 1064, quand Uberto da Fontaniva devient avoué de Sant’Ilario : cf. supra, p. 668, note 111).
117 Dès 1123, avec le marquis Folco, deux de ses conseillers, qui rendent avec lui la justice, les Domini Guglielmo di Marchisella, de Ferrare, et Gerardo « da Nogarola » (C D P, 2/1, no 144). Les châtelains figurent d’abord plus nombreux : le comte en 1138 (ibid., no 355), les da Fontaniva en 1141 (no 395 : Dominus Walwanus da Fiesso), les da Camposampiero en 1147 (2/2, no 1541) et les da Curano (2/1, no 506), ou encore certains grands vassaux de l’évêque, possessionnés au pied des Alpes, les Domini Tebaldo et Guglielmo da Caldonazzo en 1146 (S. Bortolami, Famiglia..., p. 145, note 113), Ponzio da Breganze en 1148 (C D P, 2/1, no 508), par exemple.
Certaines occurrences ne sont pas significatives : en 1127 Marsilio da Carra-ra est appelé Dominus par un vassal qui le désigne ainsi comme son seigneur-lige (no 179). De même, en 1134, on voit un vassal des Este, Azzo di Ubaldo, demander un service vassalique au clergé de San Salvaro de Montagnana, et se qualifier de Dominus pour la circonstance (no 269).
Après celle de 1123 que j’ai signalée pour commencer, voici quelques occurrences antérieures à 1160, ou apparaissent des Domini de l’aristocratie citadine : en 1138, le fils d’un juge, Todemario q. Manfredo, qui achète une terre près de Cona, mais il s’agit sans doute d’un Trévisan (no 348) ; en 1141, à Monselice, figure parmi les témoins d’une vente un Dominus Beraldus (no 398), lequel était déjà apparu parmi les boni homines présents au plaid présidé par Folco d’Este (cf. supra, p. 669, note 114). Il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’un da Fontana ou d’un Paltanieri, lesquels sont certes des citadins les uns et les autres, mais qui ont, on l’a vu, un statut un peu particulier.
Après l’année 1156, première irruption du groupe consulaire padouan : les di Malpilio (plus précisément Ottaviano, père du Malpilio qui deviendra l’ancêtre éponyme ; il est vicedominus épiscopal et futur consul : C D P, 2/2, no 668), les Ongarelli et les di Compagno (no 655).
118 Cf. la note précédente.
119 S. Gasparri, I « milites » cittadini..., p. 89 pour la définition en question.
120 Dominus Lemizo de Dominico de Aicha (C D P, 2/2, no 750) ; Dominus Absalon (ibid., no 1054) ; Dominus Tanselgardinus (no 1209).
121 Dominus Enriginus de Tado (A S P, Dipl., no 771).
122 A S P, Corona, no 3690 ; Praglia, 757 ; Corona, nos 3695 (a. 1208), 3697 (a. 1210) ; Praglia, nos 827 (a. 1211), 863 (a. 1212).
123 Dans le document de cette date cité infra, à la note 122.
124 De même, voici, parmi d’autres, en 1210, un certain Dominus Nicolò di Lorenzo, de Corte, gastald du monastère San Zaccaria de Venise (A S V, San Zaccaria, B. 17, 31 mai : sa qualité de gastald est signalée dans un document de 1209, sans indication de jour ni de mois, ibid.).
125 C’est en effet le cas de Pietro Buono, fils du Nicolò di Lorenzo signalé à la note précédente (a. 1209) ; en 1221, c’est au tour de Pietro Buono di Sacheto di Nicolò (ibid., 9 août et 9 décembre).
126 A S P, Praglia, no 1033 : il paie au monastère deux ans d’arriérés d’un loyer de livello pourtant symbolique (1 sou par an). Le père, Schiavon, forgeron lui ausi, est témoin d’actes du monastère San Pietro en 1191 (G. Brunacci, C D P, 1, p. 1275), et en 1205 (A S P, Corona, no 3121) ; son fils Martino apparaît en 1215 (A S P, Corona, no 3148).
127 A S V, San Zaccaria, B. 21, 5 mai.
128 A S P, Corona, no 39 (30).
129 A S P, Praglia, no 1091 ; Corona, no 3169.
130 Cf. infra, p. 682, et appendice prosopographique.
131 Cf. appendice prosopographique.
132 Cf. infra, p. 684.
133 Cf. appendice prosopographique.
134 A S V, S. Michele in isola..., B. 11, no 390 ; cf. appendice prosopographique.
135 Cf. infra, p. 682.
136 En 1230 le juge Guglielmo se dit fils de feu Ordano, merçator (A S P, San Bernardo, no 22) ; cf. appendice prosopographique.
137 Cf. infra, p. 686.
138 Cf. infra, p. 683.
139 Pour l’instant un dominus de petite extraction tend à la faire oublier. La deuxième moitié du siècle, durant laquelle les métiers participent bien plus effectivement à la direction politique, ne connaît plus cette mauvaise conscience : dans le Catastico de Monselice, vers 1300, on rencontre une Domina Iacoba filia Gambarini becarii, fille de boucher, donc, et un Dominus Tisio ferrator (L. Caberlin éd., Catastico..., p. 60 sq.).
140 Bien entendu cette progressive intégration de nouveaux riches dans le cadre des domini, donc des milites, est un fait très général dans l’Italie communale durant le Duecento. Il est des exemples bien connus, tels ceux que cite – après d’autres – S. Gasparri dans son ouvrage I « milites » cittadini..., p. 85 : le fameux chevalier-forgeron de San Gimignano (1231), ou le chevalier de Parme fils d’un chirurgien (1291).
141 A S P, Corona, no 3721 ; a. 1235.
142 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 62, note 259 ; le même auteur signale aussi quelques autres exemples d’emploi de nobilis dans la documentation d’archives.
143 Le même processus de lente dévalorisation jouera à son tour pour le titre de nobilis. Voici un exemple significatif, parmi bien d’autres : en 1309, Nicolò di Anselmino degli Enghelfredi, fils d’un juge et podestat, mais petit-fils d’un tailleur, est qualifié de nobilis vir (J. K. Hyde, Padua..., p. 117-118). Du moins faut-il attendre les années autour de 1300. Et tous ne sont pas si laxistes : on a vu comment, au contraire, les chroniqueurs (da Nono et quelques autres) vont à contre-courant de cette tendance.
144 La remarque est de Jean-Luc Sarrazin et se trouve dans l’ouvrage collectif, L’économie médiévale, p. 218.
145 Sur la doctrine de l’Église au sujet de l’usure, et la conception qu’elle s’en fait, on consultera la récente mise au point de J. Le Goff, La bourse et la vie. Economie et religion au Moyen Âge, Paris, 1986. Je renvoie le lecteur, pour ce qui est de la bibliographie, à celle qui se trouve à la fin de ce même ouvrage.
146 J. Le Goff, La bourse et la vie..., p. 35.
147 G. Nahon, Le crédit et les juifs dans la France du xiiie siècle, « Annales, E S C », 1969, p. 1137 ; cité par J. Le Goff, ibid., p. 75-76.
148 Ibid., p. 76.
149 Une mise au point sur ces techniques, assortie de nombreux exemples, dans S. Collodo, Credito..., p. 195-275. Il convient ici de rappeler le travail pionnier de C. Violante, tout particulièrement son article, Les prêts sur gage foncier dans la vie économique et sociale de Milan au xie siècle, « C C M », 5, 1962, p. 147168 et p. 437-459.
150 C. Violante, ibid., p. 148 ; le document est édité dans P. Sambin, Nuovi..., no25 :...ad pignus pro.XII. libris, tali pacto quod predicta creditrix debet habere fruam pignoris pro usuris. Le débiteur appartient à une famille noble rapidement désargentée : c’est Odelrico da Celsano.
151 S. Collodo, Credito..., p. 210-211. Il est vrai que, en cas de non-remboursement, le créancier s’empare du bien gagé, et que le gain se fait alors énorme.
152 Le 28 août 1225, Bartolomeo q. Nonno lui prête 285 livres pour 6 mois, après lesquels la pena sera de 16 livres pro quolibet centum ; le 17 décembre Danisio dei Guarnerini (d’une famille de notables lui aussi) lui prête 200 livres, le taux de la pena étant, pour la totalité de la somme, de 36 livres, soit un peu plus de 16 % ; le 3 octobre 1226, deux frères habitants de Roncaiette, Alberto et Pietro di Facina, lui prêtent 250 livres, la pena prévue est de 40, soit 16 % ; le 24 octobre, enfin, le même Bartolomeo q. Nonno renouvelle le prêt de 285 livres à 16 livres in racione centum (A S V, San Giorgio maggiore, B. 82, Proc. 321). Sur la pena comme taux réel d’intérêt, cf. S. Collodo, Credito..., p. 211, note 52.
Dans un document du 28 mars 1226, Aimerico est explicitement dit de Canna-volis (A S V, San Giorgio maggiore, ibid.) ; neveu de Dominus Prosdocimo di Lanfranco, il est encore mineur, et orphelin de surcroît, en 1220, et a pour curator Ugo dei Canavoli (Ibid., 12 septembre) ; des séries d’emprunts témoignent d’une crise patrimoniale révélée par la mort du père, comme souvent. Quant au niveau social de la famille, rappelons que, selon le Liber regiminum, Ugo dei Canavoli avait été consul, en compagnie de Transelgardino, en 1176 et en 1188 (ibid., p. 293-294).
Sur les Guarnerini, cf. l’appendice prosopographique.
153 Dans un même document se trouvent inscrites les dettes, contractées entre le 15 janvier 1225 et le 23 février 1226 : à Giovanni di Viviano di Nerbone sont dues 30,5 livres, avec une pena de 5 livres, soit 16,39 % ; à Alberto di Aldrigetto di Tealdo 160 livres, au notaire Marsilio q. Almerico Capistrano 60 livres, à Gerardo q. Dominus Ottolino 60 livres, à Ainardino di Stella 100 livres, la pena étant chaque fois de libras sexdecim in racione centum (A S V, San Giorgio maggiore, B. 82, Proc. 322).
Sur les Borselli, cf. l’appendice prosopographique. Les créanciers ne sont pas autrement connus de moi.
154 Patavino di Fiordiglia, de Pernumia, emprunte 200 livres à Stefano di Guido di Marcio, également de Pernumia, la pena prévue étant de 12 livres pour 100 livres non remboursées à temps ; le délai n’est, au demeurant, pas précisé (A S V, San Zaccaria, B. 25, 12 juillet 1220).
155 Un petit noble de Monselice, Giovanni di Gerardaccio, avec ses fils, emprunte 12 livres à Dominus Negro q. Gualpertino, de Strà, et la pena est cette fois de 3 livres (ibid. : 26 avril 1236). Il est probable que les choses dépendaient aussi de la crédibilité du débiteur. Sur les di Gerardaccio cf. l’appendice prosopographique, avec son arbre généalogique. Quant au prêteur de Strà, en dépit du niveau social qu’il affiche, je ne dispose d’aucun élément me permettant de le lier à la famille des Negri, juges et usuriers connus.
156 S Collodo, Credito..., p. 211, note 52.
157 Aux xie-xiie siècles il y a un taux d’intérêt considéré comme normal à Venise (secundum usum patriae nostrae) qui est d’environ 20 % par an mais peut grimper jusqu’à 25 %, ainsi qu’on le constate, par exemple, vers 1140 ; dans cette période ancienne il est toujours garanti par un gage foncier. La vraie différence entre les deux villes tient surtout à ce qu’à Venise c’est de très loin le prêt maritime, non considéré comme usuraire et, en effet, fondamentalement différent, qui est le plus fréquent (G. Luzzatto, Capitale e lavoro nel commercio veneziano dei secoli xi e xii, Studi di storia economica veneziana, Padoue, 1954, p. 98-99 ; sur la prééminence du prêt maritime, cf. aussi supra, p. 641). Les taux baissent – de même qu’à Padoue, comme le montre l’étude citée de S. Collodo – du xiiie au xive siècle : Sebastiano Ziani, doge de 1172 à 1178, puis son fils Pietro, doge de 1205 à 1229, consentent encore des prêts à 20 % sur gages fonciers (F.C. Lane, Investment and usury..., p. 63-64 ; l’auteur s’appuie sur une documentation publiée dans A. Morozzo della Rocca et A. Lombardo, Documenti del commercio..., nos 220 et 463 ; sur la fortune des Ziani cf. l’ouvrage déjà cité de I. Fees, Reichtum und Macht...) ; en 1281, on verra le Grand Conseil condamner les usures à 25 % que pratiquent les Florentins (il est vrai qu’on veut surtout leur interdire par ce biais l’activité usuraire) ; un peu plus tard, au début du xive siècle, les Scrovegni, padouans plus que notoires (voire « notorious » au sens infamant du mot dans l’un des films d’Alfred Hitchcock !), ont sur la place de Venise des créances à 8 % seulement (G. Luzzatto, Tasso d’interesse e usura a Venezia nei secoli xiii e xiv ?, dans Miscellanea in onore di Roberto Cessi, t. 1, Rome, 1958, p. 194-197). Sur l’évolution au cours du Trecento on consultera l’ouvrage de R. C. Mueller, The Procuratori di San Marco and the Venetian Credit Market. A study of development of Credit and Banking in the Trecento, Baltimore, 1969, p. 78-79, 271-278.
158 Cf. supra les alleutiers du contado créanciers des da Carrara, p. 622 ; cf. aussi C D P, 2/2, no 1470, a. 1183 : Alberto da Baone cède le castrum de Baone en gage au marquis, ainsi que ses biens à Conselve, en garantie de 820 livres et 5 sous ( !) qu’il a reçus de lui.
159 Sur cette dimension non économique du prêt sur gage, cf. les remarques de Dominique Barthélemy dans son ouvrage, La société dans le comté de Vendôme de l’an mil au xive siècle, Paris, 1993, p. 701-705.
160 Cf. supra, p. 605. Rappelons que le parent ou l’allié peut être aussi fidéjusseur : dans les années 1220, on l’a vu, Schinella est à la fois emprunteur et fidéjusseur ; de même tel était le rôle joué à l’origine par les da Camposampiero dans la malheureuse histoire de Iacopo da Sant’Andrea.
161 Cf. supra, p. 641, note 225.
162 Des exemples ailleurs qu’en Italie : cf. entre autres R. Génestal, Le rôle des monastères comme établissements de crédit, étudié en Normandie du xie à la fin du xiiie siècle, Paris, 1901 ; ou encore, mettant l’accent, on l’a vu, sur les aspects non économiques de la question, les considérations de D. Barthélemy dans l’ouvrage cité supra en note 159. Pour une première approche d’ensemble du problème du crédit jusqu’au xiiie siècle, on pourra consulter R. Fossier, Enfance de l’Europe..., t. 2, p. 796-799 (avec bibliographie).
163 En Italie, où le commerce de l’argent s’est précocement développé, la grande période d’activité des hommes d’Église dans ce domaine a plutôt été le xie siècle – et alors, on l’a vu, les opérations de crédit étaient en général pudiquement travesties en ventes ou en donations-. « Après 1050, remarque C. Violante (Les prêts sur gage foncier..., p. 454-455), tendent à diminuer les concessions de prêts sur gages fonciers faites par les églises, les marchands et les monnayeurs commençant à effectuer du crédit pour leur propre compte » ; et d’autre part « apparaissent parmi les débiteurs les établissements ecclésiastiques eux-mêmes ». Cette dernière tendance s’exaspère, on l’a vu, dans le cours du xiie siècle, particulièrement chez les évêques, confrontés aux mêmes problèmes que toute la haute aristocratie.
Rappelons ici qu’un article de Gabriella Rossetti, postérieur de quelques années à celui de C. Violante, s’est efforcé de restituer toute la gamme des nuances dans les motivations des actes de cession à des églises, des prêts dissimulés aux véritables aliénations (en précaire ou autrement) à motivation religieuse (G. Rossetti, Motivi economico-sociali e religiosi in atti di cessione di beni a chiese del territorio milanese nei secoli xi e xii, dans Contributi dell’Istituto di Storia medioevale dell’Università del Sacro Cuore, 3e s., t. 1 : Raccolta di studi in memoria di Giovanni Soranzo, Milan, 1968, p. 349-410).
164 Ce « commerce des droits de créance avec garantie foncière » continuera bien sûr à proliférer au xive siècle, comme le montrent des exemples signalés dans l’article de S. Collodo, Credito..., p. 213-215.
165 En 1193, Amerigoto da Montagnone tient des biens en gage de la famille comtale à Arquà, pour une dette de 100 livres (A C P, Villarum, 1 : Arquà, 3 ; cf. aussi E. Zorzi, Il territorio..., doc. 3, p. 267-268, et surtout p. 270 : témoignage du dit Amerigoto). En 1213, un petit seigneur du contado, Boneto di Bernardo da Concadalbero, est créancier de Forzatè pour 850 et 450 livres et le traduit devant l’autorité judiciaire (A C P, Diversa, 1, 64-65). En 1216 Guglielmo da Carturo a prêté 2500 livres à la veuve d’Azzo d’Este (A S P, Dipl., no 971) ; une autre branche des Maltraversi, les da Lozzo, prêtent à l’évêque dans les années 1227-1228 (S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 42, note 163) ; de même les da Limena (ibid.).
166 A S V, San Giorgio maggiore, B. 81, Proc. 316, 1er novembre (non édité par Luigi Lanfranchi). Les liens entre les deux familles ne sont pas connus dans le détail, mais ils sont anciens : dès 1105, Odelrico da Celsano est du nombre des boni homines qui assistent à un accord entre Alberto da Baone et San Cipriano de Murano (C D P, 2/1, no 13). En 1167, Pietro da Celsano est témoin d’un échange entre Albertino da Baone et Praglia (ibid., 2/2, no 909) en 1183, enfin, le même Pietro (le dit créancier, précisément) est témoin du partage des biens d’Albertino entre ses héritiers par Tisolino da Camposampiero (no 1480).
167 En 1226, Giacomino Falerotto, cependant, consent un probable prêt dissimulé (100 livres pour 1/4 de moulin) au juge Leopardo Petenario. Mais, s’il s’agit d’un Tanselgardini, il est d’une branche cadette, d’un lignage segmenté, plus totalement citadin de par son rayon d’action et, sans doute, sa mentalité, que les brillants Forzatè (A S P, Dipl., no 1572 ; cité par T. Pesenti-Marangon, Università, giudici..., p. 44 et note 184).
168 Voici quelques exemples de leurs activités de prêteurs. Peut-être le fait est-il dû à la nature de la documentation, toujours est-il que leurs créances concernent en général des gens de leur milieu, ou plus élevés encore. Je commencerai par rappeler que, parmi les créanciers des da Carrara, on trouve un Gnanfo, des Zopelli (cf. chap. 1, tableau « Vassaux-créanciers... ») et bien d’autres, dont un Capodivacca, un Guarnerini, un dei Gizi et sans doute un da Limena.
Autres occurrences de noms prestigieux : un Lemizzi, Alberto Dente, créancier des fils (insolvables) du défunt Enrigeto Pizolo (A S P, Dipl., no 1263, 1225) ; Bartolomeo et Ottaviano degli Ongarelli, créanciers d’un Tadi (A S P, Dipl., no 924, a. 1214) ; Gerardo, fils du juge Otolino, créancier des Borselli (A S V, San Giorgio maggiore, B. 82, Proc. 322, 28 janvier 1226) ; etc.
Qui sont les créanciers de l’évêque ? Tout d’abord des di Aldigerio, Borselli, Capineri, Flabiani, da Limena, da Saonara, dal Fiume (A C P, Episcopi, 2, no 131, 1215 ; ibid., Feuda episc., no 84, a. 1219 ; Dondi, Diss. 7, nos 69 et 70, a. 1230 ; S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 42, note 163, a. 1227 ; Dondi, Diss. 7, no 52, 1228 ; ibid., no 70). Puis viennent les gens du populus, quand la clientèle vassalique n’y suffit plus (cf. S. Bortolami, ibid.).
169 Encore en 1199 Dominus Mesalduco est de Piove (B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 2, no 342) ; par contre, en 1230, Zamboneto di Mesalduco est procurator et extimator de la commune de Padoue (A S P, San Bernardo, no 22 ; Dondi, Dissert. 7, no 77). Ils sont vassaux des Bonizzi pour une terre à Codevigo (L. Lanfranchi éd., San Giorgio maggiore, t. 3, no 503, a. 1188). En 1225 un Mesalduco est fidéjusseur des dettes des Borselli (A S V, San Giorgio maggiore, B. 82, Proc. 322, 4 mars).
170 Il est dommage qu’on en sache peu à leur sujet car leur activité politique (ou leurs liens de clientèle) vaudra à l’un des leurs d’être exilé en 1239 (Rolandino, Cronica..., p. 65). Ils participent aux affaires des groupes de consortes à Bagnoli sur les terres des da Carrara (cf. tableau n. 21.2 p. 939).
171 Cf. S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 49, note 201. Selon da Nono (R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 157-158) ils étaient parentes et amici des Lemizzi. On les voit membres de la curia épiscopale en 1209 (A C P, Episcopi, 1, no 102).
172 Sur cette famille, à distinguer, selon moi, de la branche homonyme des Tanselgardini, cf. infra, l’appendice prosopographique.
173 Ces notables tard apparus ont donné à la commune de Padoue, en 1208, un extimator, Guido di Pizzo (S. Bortolami, ibid., p. 68), que l’on retrouve la même année envoyé du podestat lors de la signature du traité d’alliance avec Trévise (Verci, Storia della Marca..., t. 1, no 43).
174 Cf. A. Rigon, Francescanesimo e società a Padova nel Duecento. Minoritismo e centri veneti nel Duecento nell’ottavo centenario della nascità di Francesco d’Assisi (1182-1982), Civis studi e testi, Trento, 1983, p. 19 et note 51. Selon une tradition dont, comme souvent, da Nono se fait le porte-parole (tout en signalant qu’il en est une autre selon laquelle ils descendaient de pelliparii !), eux aussi auraient été des descendants des Tanselgardini (P. Marangon, La famiglia della beata Enselmini nel secolo xiii, dans « Il Santo », 14, 1974, p. 234 et note 4, p. 236, note 5) ; ils seront de plus en plus fréquemment, dans le cours du xiiie siècle, dénommés Enselmini. En 1208 un Alberto di Rufo fait partie des fidéjusseurs des da Carrara (cf. tableau « Liste des créanciers... », 1) ; en 1230 il le sera aussi d’un emprunt du juge Schinella (A C P, Diverse, no 102).
175 Cf. infra, appendice prosopographique.
176 Cf. ibid. Parmi les les non-domini.
177 A S P, Dipl., no 378.
178 A S P, Dipl., no 836, a. 1211.
179 Dondi, Dissert. 7, no 69-70.
180 A S P, Dipl., no 1545.
181 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 39.
182 B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 503 ; A S P, Dipl., nos 12231224, a. 1225.
183 B. Lanfranchi-Strina, ibid., nos 492 (a. 1214), 503, 504, 508 (a. 1215) ; P. Sambin éd., Candiana..., nos 50, 53, 55-61 (a. 1228 à 1235).
184 Sur l’anthroponymie des chansons de geste on consultera G. Folena, Gli antichi nomi di persona e la storia civile di Venezia, Culture e lingue..., p. 175-209 (et, sur le couple Roland-Olivier, p. 190 et note 30).
185 Cf. infra, appendice prosopographique et arbre généalogique.
186 R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 223 : Isti qui de Mancio prenominantur fuerunt macelatores et divites populares ; pour la période postérieure à 1256, cf. J. K. Hyde, Padua..., p. 179 : « There were two or three well-known families of butchers, including the De Manzio, we were also negotiatores and moneylenders ».
187 C D P, 2/1, no 623. Sur les Nespolo, cf. infra, l’appendice prosopographique.
188 G. Brunacci, C D P, t. 1, p. 1275. On sait par da Nono qu’ils habitent à cet endroit. L’hypothèse ne me semble pas trop risquée : il y a, en outre, la similitude des prénoms (cf. infra l’arbre généalogique, dans l’appendice prosopographique, les non-domini ).
189 Cf. par exemple A S P, Santa Maria della Riviera, t. 1, p. 30 a-b. : en 1234, Giacomo de Mancio Vitulo se dit negociator.
190 Sur cette efflorescence mystique d’une famille a priori peu appelée à ce genre de destin, cf. A. Rigon, Dévotion et patriotisme communal dans la Genèse et la diffusion d’un culte : le bienheureux Antoine de Padoue surnommé le « Pellegrino » (+ 1267), dans Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du xiie au xve siècle ; Table ronde, Rome, 22-23 juin 1979, Ecole française de Rome, Rome, 1981, p. 259-278. Le pape refusa la demande de canonisation avec cet argument de uno vobis sufficiat Antonio ! A. Rigon, tout en reconnaissant que l’ensemble de la tradition écrite le concernant – chroniques et hagiographie – fait du « beato Antonio » un Manzi, précise cependant que la chose est « fort probable » mais non prouvée (p. 260 et note 8).
191 R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 156 : Macharuffi ab antiquo fuerunt dicti Vicedomini, quos sapiens, Çambonus Andree aiebat fuisse macelatores. Et hoc non est impossibile, quoniam isto tempore Patrus filius Berni Vitaliani tabernarii factus fuit primus defensor populi Paduani et alii plures vilis conditionis, licet aliqui eorum fuerunt divites. Sed quicquid fuerint antiquitus obmitto »... On aura remarqué la volonté de malveillance.
Entraîné peut-être par ce mauvais esprit j’avais autrefois risqué une hypothèse quant à l’origine de leur nom dans un article sur l’onomastique padouane : il pourrait venir du verbe « macare » – piler, fouler au pied – et du mot dialectal « rufa » – la crasse –, masculinisé ; on aurait là une allusion assez claire à une occupation essentiellement plébéienne (cf. G. Rippe, L’onomastique dans la Vénétie du xiiie siècle : l’exemple de Monselice, dans Les cadastres anciens des villes et leur traitement par l’informatique, Rome, 1989, p. 279).
192 J. K. Hyde, Padua..., p. 87-88, 118-120. Selon lui, autour des années 1250, « probably the Maccaruffi had attained a moderate standing » ; le meilleur était encore à venir.
193 A S P, Dipl., no 1174, a. 1223 ; A S V, San Giorgio maggiore, B. 81, Proc. 316, 29 juillet 1223 ; Dominus Egidiolo Macaruffo est témoin d’un acte de l’évêque, établi dans la chambre de celui-ci (A C P, Villarum, 6 : Legnaro, 4, a. 1226) ; B. Lanfranchi-Strina, Ss. Trinità..., t. 3, no 502, a. 1215.
194 R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 263-264 : Sanguinacci fuerunt ho-mines populares vilisque conditionis qui, ut fertur, super plateas civitatis Padue erant soliti vendere animalium interiora et fenori mutuare. Une forte nuance de mépris distingue cette présentation de celle des Manzi dont le ton apparaît, par rapport à celui qui est employé ici, tout objectif (cf. note 186 et texte correspondant).
195 G. Carraro, Il « Liber »..., p. 135 : il s’agit du testament d’un certain « frate » Manzio, frère prêcheur, dont le notaire qui recopie l’acte en 1304 nous dit qu’il était un Sanguinacci, sans doute entré âgé au couvent car il laisse une partie de ses biens à son fils Giovanni ; il est intéressant de noter que celui-ci hérite entre autres de créances et de contrats de soccida, contractés les uns et les autres avec des personnages non autrement connus.
196 Rolandino, Cronica..., p. 148.
197 R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 177-178 : Buçacharinus, pater magistri Salionis... panem coquebat convicinis. Sur la famille, cf. l’appendice prosopographique : les non-domini.
198 Cf. infra, p. 754.
199 En 1233, magister Salion, le chanoine, est fidéjusseur d’un emprunt de 300 livres par Alberto di Ruffo (A C P, Diverse, no 106) ; cela n’est pas suffisant pour justifier une réputation.
200 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 40.
201 R. Ciola éd., ibid., p. 239 : Fuerunt ultrabrentani vilici, qui buschos Busigagi et ville Boçe runcaverunt ; A C P, Diverse, no 60 : Marco di Andrea de Runco se paie sur les fidéjusseurs de Forzatè ; A S V, S. Michele in Isola, B. 11, no 390, 1231 : Andrea, q. Dominus Manzio di Andrea da Ronco, vend des biens à Sacco, et parmi les témoins un certain Matteo di Alberto da Ronco se dit negociator.
202 R. Ciola éd., ibid., p. 264-265 : Hii qui dicuntur de Fricimeliga sunt ho-mines populares et feneratores de progenie rusticana Campi longi. Le même da Nono réfute leur prétention d’avoir eu des ancêtres cives Padue sous le prétexte qu’on trouve leur nom parmi les témoins d’un acte comtal ; avec un rude bon sens il rétorque : nihil prohibet quin etiam rustici liberi in instrumentis nobilium possint esse testes. Un certain « Frizio Melega » est le confront d’une terre à Campolongo (A S V, San Cipriano, B. 101, R. 190, 1) ; Marco q. Enrigino Frigimelica est créancier d’un débiteur insolvable de Valle dell’Abate en 1229 (A S P, Santa Maria della Riviera, t. 10, p. 15 b.), et des chanoines de Piove en 1235 (A S P, Dipl., no 1545).
203 R. Ciola éd., ibid., p. 266-267 : Isti qui nominantur a Bandis fuerunt servi-lis conditionis, qui hodie facti sunt divites ex usuris. Voici, parmi d’autres, le document le plus explicite : Arnoardo de Bandis est créancier d’un débiteur insolvable – et non autrement connu – dont les biens sont vendus aux enchères (A S P, Dipl. no 1224).
204 R. Cessi, La condizione degli ebrei banchieri in Padova nel secolo xiv, auj. Padova medioevale, t. 1, p. 319 : à Padoue, « il mercante, allorchè l’industria cittadina taceva, era soprattutto usuraio, poichè le operazioni commerciali del secolo xiii in una città di provincia... non assurgeva (sic) a quella grandiosità di speculazione che poteva trovare una giustificazione anche presso le leggi canoniche ». Rappelons qu’il convient de nuancer quelque peu ce jugement très négatif, à la suite de Sante Bortolami : cf. infra, p. 663.
205 Existe-t-il de petits usuriers de village ? J’aurais plutôt tendance à insister sur la double appartenance de certains au monde rural et au milieu urbain à la fois (sans parler du fait qu’on ne peut appeler « villages » des « quasi città » comme Monselice ou même Piove) : je viens de mentionner les Frigimelica, prêteurs aussi à Sacco, et Pietro Boccone à Curtarolo. Mais il ne faudrait pas que cette remarque elle-même incite le lecteur à se faire une idée trop rigide d’une réalité manifestement fluide et multiple : on a vu plus haut que les da Carrara, dans l’affaire de Bagnoli, avaient emprunté de l’argent, dès la fin du xiie siècle, à de modestespersonnages.
206 Outre l’article de Cessi cité en note 204, on verra, sur la situation des Juifs dans le cadre général du Veneto, l’article de Pier-Cesare Ioly Zorattini, Gli Ebrei a Venezia, Padova e Verona, dans la Storia della cultura veneta, t. 3/1, Vicence, 1980, p. 537-576. La situation de Venise et Vérone apparaît assez différente : on trouve des Juifs à Venise dès le xe siècle, à Vérone aussi mais Ratier les fait expulser et ils y réapparaissent au xiie (p. 537-545). Quant à Padoue, comme l’avait bien vu Cessi, leur arrivée, autour de 1350, est liée à la prospérité enfin acquise des activités textiles où, désormais, l’argent « indigène » s’investit. Les banques juives font dès lors figure d’inexorable nécessité, en ville comme dans les bourgs du contado.
207 J. K. Hyde, Padua..., p. 183. S. Bortolami (« Honor civitatis »..., p. 223) émet l’hypothèse de l’arrivée d’une « avant-garde » sous Ezzelino, et cite l’exemple de ce Giovanni di S’cianta, tué lors du sac de 1256 alors qu’il tentait de cacher son or. Les Toscans des années 1270-1280 sont, cela dit, présentés plutôt comme de petits usuriers (Hyde parle de « lowest class of professionnal moneylenders »). Il est révélateur que la famille des Bentacordi, qui constitue un cas un peu exceptionnel de réussite, soit aussi une exception dans la mesure où elle s’est faite padouane : l’un d’eux est admis dans le collège des juges en 1302. De même S. Collodo, dans son article, Credito... (p. 241, note 152), signale incidemment l’origine florentine des Lotto, apparentés par mariage aux Naseri. Voici une précision que je puis ajouter à leur sujet : en 1300, on voit un certain Dominus Guercio de Montagnana, bien implanté à Monselice (19 occurrences dans le Catastico « ezzeliniano » ; cf. index) ; ce notable de contado est le fils d’un certain Lotto de Florence : lui et son père se sont fixés à Montagnana au plus tard à partir de 1285, et ils y pratiquent le prêt d’argent ; le transfert à Padoue se fera vers 1320.
Les Toscans sont concernés par le chapitre XXVIII du troisième livre des Statuts de Padoue : De Tuscis et aliis forensibus mutuatoribus receptis et recipiendis in cives (nos 864-866, p. 232). Ces trois rubriques datent de 1263, 1267 et 1262.
208 Qu’en est-il, avant 1237, de la famille qui allait devenir le symbole même de l’usure padouane, les Scrovegni ? Peu connus alors, ils apparaissent pour la première fois dans un milieu où l’on ne les eût point attendus, le chapitre cathédral, ce qui incite à les classer d’emblée parmi les notables et à relativiser les malveillances de da Nono qui fait de Rainaldo, le fondateur de la dynastie, un quasi ioculator (R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 142). Dès 1225, Pietro Scrovegni est chanoine (Dondi, Serie cronologico-istorica dei canonici di Padova, Padoue, 1805, p. 192-193) ; il sera archiprêtre en 1256, après la « croisade », avec l’installation de l’évêque Giovanni Forzatè ; or il est le frère du dit Rainaldo (cf. infra, p. 848). De même un Guglielmo Scrovegni est également connu comme chanoine entre 1260 et 1263 (Dondi, ibid.). Bref, à l’origine de l’essor de cette famille, il y a ses liens avec l’Église et son attitude guelfe pendant les années de la dictature.
209 Cf. supra, p. 682.
210 L’expression se retrouve dans S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 31.
211 Cf supra, p. 667.
212 Cf. tableau n. 24 p. 945.
213 Pietro Corvo est locataire de la commune à Polverara : A S P, Santa Maria della Riviera, t. 1, p. 20 a.c., a. 1229 ; sur les investissements de la commune à Polverara cf. S. Bortolami, Pieve..., p. 26, 37, 60-61. Le même personnage à Porciglia : A S V, S. Michele in Isola, B. 11, nos 272 (a. 1226) et 278 (a. 1235 : 2 documents). Dodo, frère de Tealdo dal Pozzo, offre dès 1154, en donation pieuse aux chanoines, une terre cum amplo dans les fines de Padoue, super Stortam (C D P, 2/1, no 627). Enrico de Bandis est confront d’une terra aratoria située in confinio Padue, ubi dicitur Vancium (A S P, Dipl., no 520 ; a. 1198). Bernardino de Vitulo auri est confront d’une pecia, à Volta Brusegana (A S P, Corona, no 3141 ; a. 1214) ; en 1222, le même vend une pecia au même lieu (ibid., no 3173) ; Zamboneto di Pietro Manzio est confront d’une pecia à Albignasego (A CP, Villarum, 1 : Albignasego, 2, a. 1202) ; Benedetto de Vitulo auri est confront d’une pecia à Tencarola (A S P, Corona, no 3698 ; a. 1210).
214 Cf. les tableaux n. 20 p. 936 concernant les opérations à Bagnoli, entre autres sur les Bocca di Bue et les Mangiavillano à Bagnoli. Une pecia aratoria à Bovolenta, est située iuxta ripam salgariorum Iohannis de Cabaldu : A S P, Santa Maria della Riviera, t. 1, p. 16 a, a. 1225. Nuançons notre propos : les occasions d’investissements dans la région peuvent, bien sûr, venir d’ailleurs que de la commune : c’est ainsi qu’en 1232 Giacomino Murro, créancier du fort mal géré monastère de Candiana, en reçoit, en gage pour 16 ans, 500 campi à Pontelongo (P. Sambin éd., Candiana..., no 56 ; sur l’endettement du monastère envers Giacomino, cf. aussi les nos 50, a. 1228 ; 53, a. 1229 ; 55, a. 1230 ; 57 à 61, a. 1234-1235).
215 Enrigetto Cuticella est confront d’une terre à Luvigliano : A C P, Feuda episc., no 104, a. 1227. En 1229, le frère prêcheur Manzio, de la famille des Sanguinacci (selon le notaire qui recopie l’acte en 1304), laisse par testament au monastère de Sant’Agata in Vanzo des terres sises à Viminelle, Valnogaredo et Faedo : (G. Carraro éd., Il « Liber »..., p. 132-136). En 1214, Trevisio di Alessio Mangiavillano achète aux enchères le manse d’un débiteur insolvable, à Torreglia : A S P, Praglia, no 932.
216 Cf. supra, p. 686.
217 On n’est que très rarement renseigné sur des investissements fonciers en ville. Ils existent mais les attestations sont trop isolées pour qu’on puisse discourir à leur sujet. Tout au plus constaterait-on plutôt la permanence de la propriété ecclésiastique : en 1220, Pellegrino dei Cuticelli tient une maison, in androna bastardorum, en livello du monastère Santa Giustina : A S P, Dipl., 1071. Dans le testament de frère Manzio des Sanguinacci sont mentionnés, in hora omnium sanctorum, dans un quartier périphérique, 2 clausurae et 2 peciolae nemoris ( !) qu’il cède à un fils qu’il avait eu avant d’entrer dans les ordres ; il s’agit donc ici de terres situées dans une zone non encore urbanisée. Le plus souvent on ne peut aller au-delà de la constatation que ces notables vivent en ville ! Sur la faiblesse de la spéculation immobilière chez les laïcs, d’une part, et, d’autre part, sur la maigreur de la documentation à ce sujet – maigreur dont est largement responsable le fait que la propriété du bâti était distincte de celle du sol, laquelle demeurait le plus souvent aux églises, dont les archives se sont incomparablement mieux conservées –, on pourra consulter le récent article de J.-C. Maire-Vigueur, L’essor urbain dans l’Italie médiévale : aspects et modalités de la croissance, dans Europa en los umbrales de la crisis : 1250-1350, Pampelune, 1995, p. 186-187.
218 Et cela restera vrai dans la commune post-ezzélinienne, en dépit du renforcement substantiel de la présence des nouveaux riches dans les milieux dirigeants. On ne peut, sur ce point, qu’être en accord avec les remarques de P. J. Jones dans son célèbre article sur la « leggenda della borghesia » : « Per quanto potenzialmente sovversiva, la subcultura mercantile, dove esisteva, rimase inferiore, più subordinata che antagonistica, ai valori stabiliti, all’ideale di vita sacro e profano « des christlichmittelalerlichen Adelswelt » (Economia e società..., p. 77). On a vite, et beaucoup, critiqué cet essai présenté de façon volontairement provocatrice (cf. par exemple, parmi d’autres, F. Angiolini, I ceti dominanti in Italia tra Medioevo ed’età moderna : continuità e mutamenti ? « Società e storia », 10, 1980, p. 909-918 ; cf. aussi, dans le même numéro de la revue, M. Nobili, L’equazione città antica-città comunale ed il « mancato sviluppo italiano » nel saggio di Philip Jones, p. 891-907 ; mais, ici, l’auteur ne critique pas et s’efforce simplement de rattacher Jones à un courant de pensée). Il reste que, en débarrassant le paysage historiographique de scories qui semblaient devoir l’encombrer indéfiniment, il a fait pousser, lors de sa parution, à moi et sans doute à bien d’autres, un grand soupir de soulagement.
219 Cf. l’appendice prosopographique.
220 A C P, Feuda canon., no 23 (non daté : entre 1203 et 1208).
221 Sur les liens avec les da Carrara, cf. le dossier signalé plus haut. C’est en tant qu’anciens vassaux des da Carrara à Bagnoli que les Bocca di Bue et les Mangiavillano le deviennent de Palma da Baone (B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 424, a. 1210 : Enginolfo Bocca di Bue ; no 433, a. 1211 : Severio di Trevisio Mangiavillano). Le juge Beltrame di Ordano reçoit en 1216, de Iacopo da Sant’Andrea, un fief sans fidélité pour services rendus (pro serviciis quos ei fecerat) : cf. supra, p. 614.
222 Cf. supra, p. 655.
223 Alessio Mangiavillano : A S P, Santa Maria della Riviera, t. 1, p. 28 a, 1233 ; Bertrame di Ordano : L. Lanfranchi et B. Strina éd., Ss. Ilario..., no 41, 1199 ; Pietro di Corvo : A S V, San Cipriano, B. 100, R. 129, a. 1187 Benedetto da Ronco : A S P, Dipl., no 1416, a. 1230. S. Bortolami aurait ajouté à cette liste les di Zacco (cf. Id., Fra « Alte Domus »..., p. 35) : Bartolomeo di Vano di Zacco est juge en 1215 : ACP, Feuda episc., no 59 ; j’ai, pour ma part, admis l’hypothèse qu’un Zacco qui figure comme vassal de l’évêque dès 1146 est l’ancêtre de la dynastie (cf. l’appendice prosopographique), auquel cas on ne saurait parler de « parvenus », d’autant qu’on leur connaît une tour à Padoue dès 1192 (Dondi, Dissert. 6, no 139).
224 Statuti..., p. 82, no 230 : les autres juges-officiers sont un catavere ? un ingrossator et 8 juges ad palatium ; sur les 12, au demeurant, il n’en est que deux qui doivent obligatoirement être nouveaux ou renouvelés.
225 Ibid., p. 194, no 601.
226 Bartolomeo di Egidio di Macaruffo : A S V, San Giorgio maggiore, B. 81, Proc. 316, 29 juillet 1223 ; Bartolomeo di Pietrobuono dal Pozzo : A S P, Dipl., no 1526, a. 1235. Sur les Macaruffo, cf. supra, p. 684 et note 191 ; sur les dal Pozzo, cf. ibid., p. 719. Je rappelle que c’est S. Bortolami qui a le premier songé à confectionner puis utiliser les listes d’extimatores et de procuratores qui, dans une certaine mesure, permettent de compenser la disparition des listes de consuls réguliers, et de donner davantage d’épaisseur concrète au fait communal, plutôt connu, en somme, par ses œuvres, c’est-à-dire en fin de compte abstraitement. La consultation de ces listes montre parfaitement bien comment les vieilles dynasties de la commune consulaire maintiennent une continuité : on y retrouve les Gnanfo, Guarnerini, Lemizzi, da Limena, Sintilla, Tadi, Tanselgardini et bien d’autres (cf. S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., Appendice, p. 68-73). Quelques adjonctions, bien entendu, sont possibles ; en voici (je reprends la présentation de Bortolami : p. = procurator ; s.= extimator) :
1197 15/XII Leone p. s. (A S V, C D Lanfranchi).
1219 16/II Otolino, juge s.
Enrigino da Saonara s. (A S V, San Zaccaria, B. 25)
1220 15/VII Alberto di Belondo, juge s.
8/VIII Guglielmo di Lovesino s. (A S V, San Zaccaria, B. 25 ; A S P, San Stefano, 19, p. 39).
1227 23/I Giacomo di Alessio s.
Matteo di Copa s. (A S P, San Stefano, 19, p. 22).
1228 14/X Matteo di Pilio, juge s.
Gaido q. Giovanni di Parino s. (A S V, S. Michele in isola, B. 11, no 274).
227 Ce résultat de mon analyse ne fait guère que rejoindre, à l’issue d’une démonstration qui partait d’autres fondements, les conclusions déjà tirées, en son temps, par Cessi qui concevait la « révolution » de 1200 comme un simple élargissement de la participation au pouvoir ; il se trouve avant tout que l’argent est désormais, plus clairement qu’auparavant, ce qui fait entrer dans l’aristocratie (R. Cessi, Le corporazioni..., p. 14).
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Rome, ville technique (1870-1925)
Une modernisation conflictuelle de l’espace urbain
Denis Bocquet
2007