Chapitre 3. La production agricole et son évolution
p. 543-580
Texte intégral
1Les conditions naturelles faisaient que la campagne padouane était douée pour trois produits : le blé sur les terres asséchées de la plaine, la vigne un peu partout mais surtout, et de plus en plus, sur les collines, avec l’olivier pour compagnie, enfin le lin dans les basses terres marécageuses. Les maîtres du sol, dont on vient de voir que, à partir de la fin du xiie siècle et sans cesse davantage, ils tendent à jouer un rôle d’agents actifs, voire de décideurs de la production agricole, du fait de l’existence des grands centres de consommation que sont Padoue, Venise et, à un degré non négligeable, des centres subordonnés comme Monselice, vont encourager l’accroissement considérable de la vigne, de l’olivier et, sans doute, des linières. De même la céréale « noble » qu’est le froment, du fait tant des exigences des propriétaires que de la demande des marchés urbains (qui, par un choc en retour, stimulera lesdites exigences), se trouve occuper progressivement une place qui est sans commune mesure avec les besoins du monde rural lui-même.
I–LES CÉRÉALES
2Il est bien connu que, des temps lombards au renouveau qui s’amorce au xe siècle, le froment a cédé la prééminence à des céréales moins exigeantes, alors qu’il en était parfois arrivé, au contraire, à s’installer en une quasi-monoculture à l’époque romaine ; et cela en raison de carences techniques, entre autres. Il semble que le seigle l’ait en général emporté d’assez loin, le froment et le millet venant ensuite1.
3Les Lombards ont privilégié l’élevage et l’on peut admettre que la part de l’inculte a été, du vie au xe siècle, déterminante : on en a alors tiré plus de viande et de poisson que dans les siècles suivants, le jardinage jouant un rôle de complément2. Dans un paysage où l’habitat était moins figé qu’aux temps de l’« incastellamento », et alors qu’on peut parler d’une « compénétration physique du secteur agricole et du secteur agro-pastoral »3, il n’est pas exclu, sans qu’on puisse toutefois imaginer le moins du monde d’évaluer l’importance du phénomène, que l’écobuage ait joué un rôle important sur une jachère dégradée, abandonnée au pâcage plus longtemps que ne l’exigeait le besoin de repos des sols4. Les seuls témoignages, fort indirects et sujets à caution, sont ceux qu’offre la toponymie : ainsi le nom de l’actuel village de Terrassa, dans le sud padouan, viendrait de terra arsa5.
4Toujours est-il que, si l’on admet comme du moins probable que les cultures ont eu, durant plusieurs siècles, une prise incertaine sur les terroirs, dans ces conditions défavorables les céréales mineures, peu exigeantes, s’imposaient en effet au détriment du froment, sans toutefois l’exclure, bien entendu6.
5Peu d’informations avant le xiie siècle : les références documentaires à des redevances sont rarissimes. Il n’y est mention que du seigle (segala)7 et d’un saligo qui est probablement la même chose que le siligo dont M. Montanari a noté l’apparition au ixe siècle et sur la nature duquel il s’interroge : il ne semble pas qu’il s’agisse alors de seigle (dans les documents antérieurs au xie siècle on l’en voit distinguer), mais peut-être de millet ou, plus vraisemblablement, de froment8. Après l’an mil (et seulement à partir du xiie siècle dans le Padouan), par contre, siligo, lors de ses rares apparitions, désignera sans doute le seigle, en alternance avec sigala, ou se-gala, du moins en Italie du nord9.
6Dès la première occurrence documentaire du xiie siècle, en 1130, le tenancier rural doit en redevance un assortiment varié de céréales, et non plus une seule comme cela était le cas dans les quelques exemples fournis par les siècles antérieurs. Et désormais le froment, non seulement est à peu près constamment du lot, mais il est en général exigé en plus grande quantité que les autres10. La céréale qui l’accompagne le plus fréquemment est le sorgho : on le rencontre à partir de 1130, sous deux noms, suricum (ou soricum, voire surgum ou surghum) et medica11.
7Cette constance est une particularité de la Vénétie. Grain de qualité assez inférieure et, sinon tard venu, du moins de tardive utilisation dans l’alimentation humaine (les Romains ne l’employaient guère que comme fourrage)12, le sorgho est en effet demeuré partout une culture peu courante : partout sauf en Vénétie.
8C’est dans la région de Vérone qu’on l’y trouve pour la première fois avec, ce qui est révélateur, son nom le plus ancien, suricum, qui rappelle son origine orientale (de syricum : syriaque) et qui, quelque peu modifié en surgum, sorgum, lui est finalement resté13. Cette particularité lexicale témoigne précisément d’une implantation mieux assurée qu’ailleurs. La région qui m’occupe est, au demeurant, une zone limite d’emploi du terme suricum ; quant à medica, d’usage plus rare, c’est une forme quelque peu altérée de meliga, qui se généralise à l’ouest du Veneto et en Lombardie14.
9Si l’on admet, avec M. Montanari, qu’il s’agit là d’un aliment essentiel aux couches les plus pauvres de la paysannerie, il faudra admettre aussi, soit que les campagnes du Padouan sont particulièrement démunies, soit qu’il y a été accommodé de telle façon qu’il a supplanté d’autres grains « mineurs » (grana minuta). Tel fut probablement le cas : on faisait avec le sorgho une première variété de polenta, ce qui explique qu’il ait disparu après l’arrivée du maïs à partir du xvie siècle15.
10Or il est deux autres céréales pauvres qui, ailleurs en Italie du nord, ont joué un rôle semblable en attendant le maïs, ce sont le millet et le panic. Moins constamment présent que le sorgho, le millet (millum, milium) est cité environ une fois sur deux dans les redevances ; c’est donc le panic (panicum), bien connu et utilisé pourtant depuis le Néolithique, à l’aise dans la plaine du Pô du fait de ses besoins d’humidité (lui aussi a les mêmes exigences que le maïs), qui semble avoir été supplanté, dès le haut Moyen Âge, par le sorgho dans le Veneto16. Non seulement il n’apparaît qu’extrêmement rarement dans la documentation, mais de surcroît en quantité quasiment symbolique : en 1180 un tenancier doit à San Giorgio maggiore de Venise 4 muids de froment, 32 setiers de sorgho et un seul de panic ! Il est manifeste qu’il s’agit d’un choix entre produits concurrents17.
11Le seigle (du moins si l’on admet que, à partir du xiie siècle, siligo est un équivalent de segala) est la seule céréale qui rivalise avec le millet pour la troisième place : on trouve même, à Vigodarzere, au nord du Brenta, en 1154, un loyer dû exclusivement en seigle (segala) ; le cas est unique18. L’orge (ordeum) est assez rare19. Par contre, au moins une fois sur deux, le tenancier ajoute à ces redevances en céréales une certaine quantité de fèves. Semée l’hiver, cette légumineuse est constamment assimilée aux « grani grossi ». Il est bien connu, en effet, que dès l’Antiquité on en faisait une farine panifiable20.
12Quant aux autres légumineuses, semées au printemps, en culture dérobée le plus souvent, sans être absentes des champs, elles sont aussi exceptionnelles que le panic dans les produits dûs en redevances, et il faut croire qu’elles étaient plutôt réservées aux jardins enclos, sur lesquels on est infiniment moins bien renseigné21.
13Les associations de blavae sont donc variées avec toutefois, en dominante, le quatuor froment-sorgho-millet-fèves, le seigle faisant plutôt figure d’appoint, contrairement à ce qui est la situation la plus générale dans la plaine du Pô22 : la position occupée par le sorgho est la grande originalité de la production céréalière dans le Padouan.
14Les conditions naturelles expliquent en partie que des céréales bien connues ailleurs n’apparaissent jamais. L’absence de l’avoine, pour commencer, ne surprend guère : cultivée plutôt sur les terres pauvres des Préalpes, elle est soit absente soit insignifiante dans la plaine23, et il est clair que, sur les pentes des collines euganéennes, on a mieux à faire avec la vigne et l’olivette. Le cheval (et ceci est le corollaire de cela) ne semble guère utilisé pour les travaux des champs24, encore qu’il faille nuancer cette affirmation, puisqu’on le voit représenté dans quelques scènes de dépiquage des « travaux des mois », ainsi dans la célèbre série sculptée par Antelami à Parme, mais aussi, plus près du Veneto, à Ferrare25. D’autres disparitions surprennent davantage : l’épeautre est introuvable, que ce soit sous sa forme la plus répandue de spelta, ou sous le type far (« farro » en italien)26.
15Des conditions climatiques moins hasardeuses que dans l’Italie méditerranéenne et la fertilité du sol aidant, les ruraux avaient moins de raisons de mêler un maximum de grains sur leurs champs, et pouvaient s’en tenir aux plus appropriés. Le sorgho et les autres « blés mineurs », panic et surtout millet, étaient semés au printemps. A en juger par l’importance qu’ils avaient dans les redevances livellaires, la part des terres vouées à une rotation triennale était tout autre que marginale ; peut-être même, sur les terres alluviales fertiles du Bacchiglione, près de la ville (ainsi à Tencarola)27, semait-on l’orge après le froment, soit une céréale d’hiver après l’autre, à la place du sorgho (comme en témoignent aussi les statuts communaux). De tels exemples de « cycles triennaux particulièrement intensifs » sont rares mais non exceptionnels dans l’Italie médiévale28.
16Les statuts de Padoue comme ceux de Pernumia – les uns et les autres rédigés au long du xiiie siècle29 – témoignent de la place occupée par la rotation triennale. Ils sont assez complémentaires : dans ceux de Padoue il est très clairement fait allusion à une moisson de juin et à une moisson de septembre qui est celle des grani minuti30 ; à Pernumia deux céréales de printemps sont mentionnées explicitement, et ce sont évidemment le sorgho et le millet31, ce qui ne constitue d’ailleurs pas une liste exclusive, les statuts, sur ce point, n’étant sensibles qu’à ce qui leur paraît l’essentiel32.
17A cette rotation triennale « franche » il faut ajouter la pratique de la culture dérobée des légumineuses : on en a vu un exemple plus haut, encore que la fève, de loin la plus consommée, ait joué le rôle d’une céréale d‘hiver supplémentaire.
18Toujours est-il que c’est un nombre limité de céréales qui s’est implanté là, sans changements notables avant la découverte de l’Amérique, à cette nuance près, toutefois, qu’avec le xiiie siècle, et sans cesse davantage, la part du froment accentue sa prépondérance, à en juger par les contrats agraires qu’ont laissés les archives des grandes abbayes, tant vénitiennes que locales.
19C’est ainsi que, sur ses terres céréalières de Monselice, le monastère San Zaccaria, à partir de 1220, impose une double nouveauté : non seulement les redevances fixes sont introduites en nombre, au détriment des redevances à part de fruits33, mais toutes sont en froment exclusivement34.
20La tendance peut se manifester ailleurs de façon moins radicale : en 1209, à Corte di Sacco, un tenancier obtient que son livello, de renouvelable qu’il était, devienne perpétuel ; c’est au prix d’une modification avantageuse pour San Zaccaria : la redevance, qui était de 2 setiers de froment, 2 de fèves, 1 de sorgho et 1 de mil, en reste à un total de 6 setiers, mais désormais composé de 3 de froment et 3 de fèves35. On le voit, il s’agit bien d’une politique consciente, menée selon les opportunités.
21Sans vouloir multiplier les exemples je puis signaler la même attitude, patiente et tenace, de la part de San Cipriano :
- dans un petit Catastico de ses biens en Saccisica, daté du 26 juillet 1192, sur 7 redevances fixes, 2 sont dues en froment exclusivement36 ;
- entre 1200 et 1256, sur ses terres à Sacco, j’ai compté 9 mentions de redevances en froment sur un total de 14 redevances fixes. La proportion s’est donc inversée37.
22Je signalerai pour finir que, vers 1250, San Giorgio maggiore perçoit à Vigodarzere, sur 7 manses, des redevances fixes, toutes en froment exclusivement, tandis qu’un autre, situé non loin de là, à Campolino Marcello, ne doit que du millet et du sorgho38.
23Du côté des monastères padouans, la tendance est la même : une petite série de « livellari » de Santa Giustina ne lui doit que du froment, à Maserà, en 123039 ; quant à Praglia, voici le tableau que l’on peut dresser à partir de 1195, quand les redevances fixes se font nombreuses40 :
1) Nombre d’occurrences
24On retrouve ici, et les changements survenus dans la gestion de ses biens par le monastère, et les résistances paysannes déjà remarquées, auxquelles Praglia est plus sensible que les vénitiens41.
25L’inéluctable progression de la céréale la plus exigeante et la meilleure une fois constatée, un problème demeure. Les grands propriétaires (les monastères vénitiens particulièrement) ont certes tout intérêt à fournir les centres urbains en froment. La question est de savoir si leur propre attitude ne fait, au xiiie siècle, que traduire des possibilités de production accrues et si, par conséquent, de ce point de vue les modifications des contrats ne font qu’accompagner les changements dus à un progrès continu, ou si, au contraire, sans qu’il faille nier ce progrès pour autant, ils ont imposé aux tenanciers ruraux des charges qui n’étaient pas justifiées (ou pas complètement) par des modifications spontanées de la production céréalière globale : autrement dit, les ruraux eux-mêmes mangeaient-ils autrement, consommaient-ils du froment à proportion des surplus qu’on en exigeait d’eux ?
26Quant à l’amélioration des techniques, l’Italie du nord suit le mouvement des régions les plus dynamiques d’Europe occidentale : les changements de la traction animale, l’amélioration de la charrue adviennent, là comme ailleurs. On a vu que la jachère s’est faite pratique régulière, triennale, et l’on ne découvre plus guère de traces d’écobuage, ni dans la plaine, ni dans les Euganées, du moins quantitativement significatives42. La documentation padouane n’offre pas là-dessus d’informations originales : je renvoie le lecteur aux ouvrages et articles généraux sur le sujet43.
27Certes, si les grands seigneurs se sont montrés plus exigeants sur la qualité des produits reçus en redevances, c’est que la chose était devenue possible. Mais on peut aller plus loin et montrer que cela a signifié un fardeau de plus pour les ruraux, qui se sont vus exploités plus durement dès que l’esprit spéculateur des maîtres s’est éveillé, c’est-à-dire dès que les profits à réaliser sur des marchés urbains en plein essor leur sont clairement apparus. Il est en effet possible de distinguer, dans la documentation écrite, entre les contrats agraires et d’autres sources.
28Comme l’a fort justement écrit M. Montanari, les contrats agraires, en effet, « ne nous disent pas quelle est la production effective des exploitations mais quel est le prélèvement opéré par le propriétaire à travers la redevance demandée ». Il faut distinguer ce que le paysan cultive pour soi et ce qu’il cultive pour le maître44 : un faisceau d’informations concordantes le montre à partir de documents de nature variée. De quelques mentions de loyers dûs par des meuniers il ressort que le millet et le sorgho se disputent la première place, tandis que le froment vient au troisième rang45. Çà et là, la composition d’une dîme sur les céréales, ou celle des réserves engrangées par une famille de citadins, mène à des conclusions semblables46. De même il est révélateur que le chroniqueur du Liber regiminum, à propos d’une disette en 1181, indique le prix atteint par le seul sorgho47.
29Par contre il faut expliquer les raisons de la discordance de taille déjà remarquée entre ce que disent les statuts communaux et les autres sources, contrats agraires inclus : on a eu l’occasion de le voir, ils sont les seuls, à de rares exemples près, à mettre l’orge – parmi les blés d’hiver (grani grossi) – sur le même plan que le froment et le seigle ; les statuts de Padoue ne font d’ailleurs aucun cas des blés de printemps, à la différence de ceux de Pernumia48.
30Cette contradiction entre les statuts et le reste de la documentation a déjà été constatée49. Il est de fait qu’ils n’ont pas une approche quantitative, mais au contraire purement qualitative ; ils insistent sur ce qui paraît le plus précieux (d’où la référence à l’orge), c’est-àdire sur ce que consomment les notables ; et sur ce point il est révélateur que ceux de Padoue fassent l’impasse sur les grani minuti, à l’inverse de ceux de la plus modeste Pernumia. Ce qu’ils dévoilent, c’est en somme une hiérarchie des céréales prisées en ville : les plus significatifs, de ce point de vue, sont ceux qui séparent le froment et, en vrac, « les autres blés »50.
31On retrouve en fin de compte, à les lire, l’opposition constatée plus haut entre une politique des élites, qui veut promouvoir la céréale noble par excellence et, éventuellement, d’autres grani grossi comme l’orge, là où les terrains s’y prêtent, et les habitudes culturales des ruraux qui privilégient au contraire les céréales de printemps, non panifiables, pour leur propre consommation. Combat inégal du pain et de la polenta...
II – LA VIGNE ET L’OLIVIER
32La caractéristique la plus frappante de la vigne, depuis le haut Moyen Âge, est bien son omniprésence : on la rencontre même là où les conditions pédologiques sont mauvaises. Cette évidence est applicable aux régions les plus variées : P. Toubert, V. Fumagalli et bien d’autres l’ont remarqué51. Certes, encore aujourd’hui, elle est cultivée dans la basse-plaine, ainsi autour de Piove di Sacco ou, près de l’Adige, à Agna et Cavarzere52, mais entre ixe et xiiie siècle ces régions étaient considérablement plus marécageuses, peu ou pas bonifiées, ce qui oblige à s’interroger ; et surtout elle s’avançait, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui (du moins pour ce qui est de l’ancien territoire padouan), jusqu’aux limites extrêmes de la lagune.
33Les mentions de vignes voisines de prairies naturelles, vite inondables pourtant, et de marais ne sont donc pas rares53. Mais l’apparent paradoxe de leur présence, alors, en de tels lieux, là où de nos jours des prairies ou des cultures céréalières ont fini par prévaloir, s’explique par l’état des techniques jusqu’au Moyen Âge central. Le mieux est ici de renvoyer aux explications données par P. Toubert aux phénomènes analogues par lui constatés dans les plaines latiales : la faiblesse des moyens empêcha longtemps de « réduire à la céréaliculture les terres lourdes des fonds de vallées et des conques », écrit-il, et c’est donc, dans un premier temps, le vignoble qui a bénéficié des premières entreprises de bonification de ces zones marécageuses. P. Toubert insiste en effet sur « la supériorité de l’outil manuel sur l’araire pour le travail en profondeur des sols compacts »54. Et l’on verra, çà et là, reculer la vigne en plaine, à partir du xiie siècle, quand la charrue se sera bien diffusée55. Mais le vignoble, ai-je dit, s’aventure jusque dans l’espace lagunaire : ainsi dans l’île de Fogolana, pointe avancée du diocèse de Padoue, les doges Candiano eux-mêmes en entretiennent un assez considérable56. On est ici dans un autre cas de figure : ces terres essentiellement sablonneuses, enrichies par un travail intensif, voire par l’apport d’engrais domestiques, ont très longtemps permis la production de vins, sinon de grande qualité, du moins bien acceptés par les consommateurs locaux57.
34La vigne est donc partout : dans un document de 1027 sont énumérées et rapidement décrites quinze massaritiae, éparpillées entre basse plaine et Euganées, en 5 endroits différents – Carrara, Bovolenta, Pernumia, Arquà et Montegrotto – ; or toutes ont leur espace viticole58. Inutile de multiplier les exemples. Aux xe et xie siècle deux zones sont, cependant, plus caractérisées par la culture de la vigne : les abords de Padoue – voire l’espace urbain lui-même –, dont l’importance va relativement décliner à partir des années 1050, et les Euganées, dont l’essor va au contraire aller croissant59.
35L’aristocratie urbaine du xe siècle hérite d’une situation foncière dont l’une des déterminations semble avoir été la volonté d’avoir ses vignobles quasiment sur place. Les chanoines sont le plus éloquent exemple de cette attitude : c’est depuis les origines qu’ils prétendent détenir des vignobles en ville ou à ses abords immédiats60. On en trouve non seulement dans les faubourgs – ainsi entre la ville murée et Santa Giustina –61mais aussi dans bien des jardins urbains. Encore au milieu du xie siècle un archidiacre en possède une à côté de la cathédrale, en plein centre – la haute aristocratie n’a pas encore afflué au voisinage du palais épiscopal –62.
36Au delà des années 1050, cependant, dans l’espace intra muros, si les enclos potagers jouxtant les maisons demeurent nombreux, les mentions explicites de vignes se font rares. La résistance la plus tenace à l’évolution (c’est-à-dire, en fin de compte, au lotissement des espaces viticoles) est celle du monastère citadin de San Pietro, dont la vigne est encore mentionnée en 1193 ; elle disparaît entre cette date et 122363. Cette exception mise à part, le vignoble cesse d’être mentionné à l’intérieur de la ville murée à la fin des années 114064.
37L’expansion des faubourgs favorise plutôt la multiplication des jardins potagers (étant entendu toutefois que les vignes n’en sont pas forcément exclues) : l’ortus, très souvent, est joint au sedimen bâti ; les références explicites aux vignes ne sont pourtant nullement exceptionnelles. Il est de vastes demeures suburbaines munies à la fois d’une cour, d’un jardin et d’un espace à part où s’alignent les rangées de ceps65. Cela dit les parcelles de vigne suburbaines sont plus fréquemment isolées66. On a affaire, du xie au xiiie siècle, à une sorte de front viticole – en position subordonnée par rapport aux cultures vivrières de jardin mais non négligeable – qui se déplace, comme le font aussi les jardins potagers, au fur et à mesure de l’avancée de l’urbanisation.
38Le vignoble des Euganées est d’emblée d’une autre ampleur. A la fin du xiiie siècle il constituera un secteur vital de l’économie régionale. Rappelons les opportunités et contraintes pédologiques67 : les sols calcaires, ceux des collines méridionales surtout, aux formes de coupole et aux pentes plus douces, les versants exposés au levant et au sud, donc protégés des vents du nord, ainsi que certaines conques marneuses et abritées elles aussi, exceptionnelles dans le nord volcanique, comme celle de Teolo, voici les secteurs où l’on voit prospérer la vigne dès que les témoignages documentaires le permettent. Des premières occurrences, et de leur caractère précoce ou, au contraire, tardif, il ne faut sans doute pas inférer une chronologie de l’apparition de la vigne dans chacun de ces secteurs ; on peut, par contre, sans trop de risques, supposer une hiérarchie. Comme prévisible, c’est sur les collines méridionales qu’on la rencontre le plus vite et le plus souvent : à Monselice et Arquà au xe siècle, puis au xie ; il est vrai que ce sont là les deux habitats les mieux connus, grâce à la documentation vénitienne68. Le vignoble des collines nord-occidentales apparaît ensuite : deux mentions de celui de Zovon au xie siècle69. Quant aux secteurs nord et est, il faut attendre de rares occurrences au xiie siècle, voire au xiiie, mise à part une mention à Montegrotto en 102770. En fin de compte les informations n’abondent guère que sur Monselice, surtout à partir des années 1150. Il est vrai que des données tout objectives témoignent, sinon de l’existence d’une précoce spécialisation viticole, du moins d’un essor particulièrement vigoureux à cet endroit : c’est au moins dès le début du xie siècle que l’actuel Montericco, colline qui surplombe Monselice immédiatement au nord, est appelé, du nom qu’il gardera tout au long du Moyen Âge et au delà, Mons vignalisicus71. Si l’on excepte celle de l’olivier, toute concurrence y est peu à peu éliminée72.
39Cette ubiquité de la vigne dans le Padouan tient largement à ce que, aussi loin que l’on remonte dans le haut Moyen Âge, on voit les maîtres du sol se soucier de sa culture et en orchestrer l’essor73. Souci qui s’exprime notamment par des indications techniques très précises dans certains contrats livellaires du haut Moyen Âge, indications inexistantes lorsqu’il s’agit de terres arables. On se souvient peut-être que les deux premiers livelli connus dans le Padouan datent de 894 et 897 et concernent des biens du monastère San Zeno de Vérone à Campolongo de Sacco. Or le premier, d’une part prévoit l’expansion d’un vignoble déjà existant et, de l’autre, oblige l’exploitant à labourer chaque année et à ablaciare les ceps, c’est-à-dire à « dégager chaque pied de vigne pour tailler les racines superficielles » (je reprends ici la définition que donne J. L. Gaulin de l’ablaqueatio) et enfin, la troisième année, à fumer74.
40Voici donc le témoignage d’un contrôle particulièrement rigoureux : exceptionnel dans la (maigre) documentation padouane, il n’est pas seul de son espèce en Italie du nord au haut Moyen Âge (les spécialistes y insistent), ce qui, au passage, aide à comprendre comment ont pu se transmettre jusqu’aux agronomes des xive et xve siècles tout un savoir technique et tout un vocabulaire antiques75.
41N’y a-t-il pas lieu de se poser le problème des raisons d’un tel contrôle du travail des tenanciers sur le vignoble au ixe siècle ? Car enfin dès le xe il a disparu, ce qui implique, me semble-t-il, que jusque là il s’agissait malgré tout d’une culture sinon rare du moins précieuse, sans doute dans la mesure où elle ne suffisait que difficilement aux besoins d’une société urbaine en plein essor (qu’on pense, précisément, à la Vérone dont l’évêque Ratier vitupère le grouillement d’activités commerçantes aux moments – de son point de vue – les plus intempestifs) et, d’autre part, que les tenanciers n’avaient bientôt plus eu besoin de conseils techniques ; qu’ils aient disparu des contrats pourrait être le signe de la généralisation réalisée de ces savantes cultures viticoles76.
42Il n’est que de feuilleter la documentation éditée par A. Gloria, ou le Codice Lanfranchi de Venise, pour qu’une évidence s’impose : le livello joue, au xiie siècle, un rôle de premier plan dans cet essor. Il est le moyen par excellence, pour les propriétaires, de faire planter des vignes sur les terres défrichées en totalité ou en partie, et cela tout particulièrement à partir des années 115077.
43Les choses dévoilent clairement leur sens durant les trois décennies 1150-1180 : le livello est l’instrument de l’expansion des terroirs. Ensuite, et tout au long du xiiie siècle, tout en continuant (du moins jusque vers 1250) à conclure des processus de défrichement, il se met à jouer concurremment un autre rôle.
44Çà et là, dès le début du xiie siècle, il arrive que la plantation de vignes soit, non pas la première utilisation d’une terre neuve mais un nouveau mode de mise en valeur : ainsi, en 1121, le locataire d’une terre arable reçoit mission de la planter en vignes, en deux temps78.
45De telles modifications demeurent relativement rares jusque vers 1180. Les choses changent brusquement : la date charnière est puissamment symbolique puisque c’est à partir de 1183 que l’on peut distinguer trois types de livelli sur les vignes :
- celui qui est désormais le moins fréquent porte sur des terres neuves : devenus rares à Monselice et dans le sud des Euganées, les défrichements se poursuivent encore jusqu’au milieu du siècle suivant sur les terres de collines de Praglia79 ;
- les occurrences les plus nombreuses concernent des vignobles (souvent accompagnés d’oliviers) déjà anciens pour lesquels on prévoit simplement de nouvelles plantations en cas de besoin – simples clauses d’entretien ou d’aménagement, par conséquent. On est cependant rarement certain qu’il ne s’agisse que de cela et la limite entre ce « deuxième type » et les autres n’est pas nette80 ;
- il y a enfin, en nombre croissant, les contrats qui prévoient, soit que l’on modifiera complètement la destination d’une terre, soit que la vigne viendra s’ajouter à une première forme d’exploitation. Nombreux, bien sûr, à Monselice et sur les collines méridionales, ils sont présents aussi bien dans le nord des Euganées qu’en plaine.
46Les modalités sont variées : le choix est souvent laissé au locataire qui pourra, sur une parcelle sise dans l’agglomération, soit construire soit planter, ou sera libre ailleurs d’exploiter telle autre en céréales ou en vigne (l’alternative peut être tout à fait claire), etc.81 On trouve tout autant d’occurrences où le changement de destination est imposé (transformation d’un sedimen ou d’une terre arable, par exemple)82. Signe des temps nouveaux, enfin : on a vu plus haut comment au xiiie siècle s’est introduite parmi les clauses des livelli, en plaine, l’obligation d’isoler par des fossés, voire éventuellement par des haies d’arbres83 ; une variante, assez rare, de ce nouveau système est la plantation de vignes au bord de l’eau84.
47Le fait que la date de 1183 marque un tournant n’est pas un hasard : c’est toute la dynamique économique qui s’est trouvée revigorée par le retour de la paix : en cette fin du xiie siècle les capitaux urbains s’investissent dans les constructions de ponts et les creusements de canaux, les quartiers d’artisans s’étoffent en ville, bref tout incite les propriétaires à orienter le contado vers l’intensification de productions commercialisables, telles que celles du froment (on l’a vu) et du vin.
48On comprend mieux, dès lors, comment le contrat de livello, si essentiellement lié aux défrichements, prolonge son existence au-delà de la grande période de conquête, ou de reconquête, des sols : dans les collines tout particulièrement, l’essor des cultures spécialisées (vigne et olivier) utilise au xiiie siècle ce vieil instrument juridique, déjà souvent caduc ailleurs, comme la meilleure, sinon la seule, incitation pour l’exploitant : la vieille exigence d’amélioration que répétaient les contrats s’exprime désormais concrètement par la transformation de l’exploitation, rendue possible ou du moins encouragée par la perspective du bail à longue durée. La deuxième jeunesse du vignoble padouan, qui se transforme en culture spéculative en même temps que s’achève son implantation de culture de défrichement, est aussi l’occasion d’une deuxième jeunesse du livello85.
49Cet essor spéculatif, entamé dès le xiie siècle, a modifié non seulement le paysage mais aussi les pratiques culturales elles-mêmes.
50Autour de 1200 la vigne se fait sans doute un peu moins ubiquiste : tandis que s’affirme la vocation des secteurs les mieux doués – avant tout le sud et l’est des Euganées –, çà et là les terres les moins aptes, où cette culture s’avérait trop aventurée, sont réorientées : on en rencontre quelques témoignages explicites, trop rares il est vrai pour être vraiment significatifs86. Ce qui l’est sans doute davantage, c’est de constater que, vers 1250, le monastère San Giorgio maggiore de Venise, possesseur de centaines d’hectares à Vigodarzere, n’y a aucune vigne, mais qu’y prédominent prairies et parcelles boisées87. Le temps est à la spécialisation.
51De ce point de vue il faut opposer deux tendances profondes qu’expriment la gestion volontiers spéculative des monastères vénitiens d’un côté, et le comportement quelque peu mécaniquement quantitativiste de la commune de Padoue (comme d’ailleurs de l’ensemble des communes, à ce qu’il semble) de l’autre.
52Un statut assez précoce, d’avant 1236, oblige tout tenancier de manse de 20 campi ou plus à planter 1 campo de vigne ; si le manse a 10 campi il pourra se contenter d’un demi campo ; cette mesure vaut pour tout le territoire communal88. Il ne semble pas, à en juger d’après l’exemple cité des biens vénitiens à Vigodarzere, qu’elle ait été rigoureusement respectée. Il est clair que le Padouan jouissait d’un privilège rare avec la présence des fertiles collines volcaniques des Euganées. Point n’était donc besoin d’imposer à tout prix un quota minimal de vignobles n’importe où. Si les quelques indices de spécialisation qu’il m’a semblé repérer correspondent à une réalité, le Padouan se trouvait dans une situation très particulière, futuriste en un certain sens. Le lecteur se souviendra que, en des ouvrages anciens, F. Melis avait montré comment il avait fallu attendre la fin du xive siècle et la « révolution des nolis », c’est-à-dire l’établissement du frêt différencié dans les transports maritimes puis fluviaux, pour que puissent être exportés en grande quantité des produits de consommation courante tels que le vin ; il avait donc fallu attendre les années 1400 pour qu’il « devint possible d’adapter les cultures aux aptitudes des terrains, d’abandonner les moins favorables et d’intensifier au contraire les productions sur les terres les plus propices »89. Il n’est pas exclu que, dans une mesure non précisable, du fait que le voisinage de Venise s’ajoutait à un fort taux d’urbanisation local (des centres mineurs comme Monselice ou Este venant ajouter leur poids à celui de la dominante), les producteurs du Padouan aient donc précédé de 150 ans ce mouvement de spécialisation.
53Spécialisation qui impliquait l’utilisation de toute une gamme technique en fonction des capacités productives des divers secteurs. La viticulture du haut Moyen Âge s’était pratiquée dans des espaces clos, protégés par de hautes haies, ou par des murets90 : on en a vu un exemple plus haut, avec la vigne « dogale » de Fogolana91. Elle était donc, à l’origine, une culture spécialisée, et cela exclusivement : selon A. I. Pini, on avait, aux temps troublés des invasions, abandonné partout les soutiens vifs de tradition étrusque pour ne plus cultiver que « des sarments courts et à soutiens morts », de tradition grecque92. Ce confinement ne pouvait durer : la reconquête des champs ouverts et des pentes des collines par le vignoble allait entraîner, avec le temps, une diversification des pratiques93.
54Au xie siècle coexistent donc la vigne protégée, intégrée à l’enclos habité94, témoin d’un passé frileusement protecteur et, de plus en plus, la parcelle isolée, voisine des terres arables, des prés, des bois, mêlée donc aux autres secteurs d’exploitation.
55La documentation du xie siècle est mince ; toujours est-il qu’il faut attendre le cours du xiie pour voir la pratique du soutien vif se réinstaller de manière significative.
56Sur sa parcelle bien délimitée, la vigne reste donc longtemps seule : au demeurant l’exemple padouan ne ferait sur ce point que confirmer des conclusions déjà formulées au sujet de l’Italie du nord en général, conclusions selon lesquelles, de toute façon, ce mode d’exploitation y est demeuré majoritaire au moins jusqu’au xve siècle95.
57Encore vers 1250, alors pourtant que l’olivier ne cesse d’y gagner de l’espace, les parcelles de vigne du Monte vinearum de Monselice, telles que le Catastico dit « d’Ezzelino » les qualifie avec une précision rare dans la documentation, se présentent très souvent en rangées de ceps (filagni) étayés par des pieux de soutien (des échalas) : ce sont des vinee palestranae96.
58En plaine, cependant (toujours à Monselice vers 1250), on les voit associées aux cultures céréalières, le plus souvent en pergolas, disposées en marge des champs (une pertica sur deux campi, par exemple)97 ; éventuellement elles le sont à des arbres, non autrement désignés98 ; de nos jours les plus répandus sont l’orme, le saule et le peuplier, et ce sont ces trois soutiens vifs que A. I. Pini retrouve au xive siècle dans la région de Bologne99. Il est en tout cas exclu de parler de « coltura promiscua » pour le xiiie siècle : il ne s’agit pas encore d’une association vraiment structurelle entre labours, vigne et arboriculture100.
59Sur les collines, et de plus en plus souvent, avec les parcelles plantées exclusivement en vignes coexistent celles où l’olivier sert de soutien vif101. Si l’on considère comme significative la date d’apparition dans la documentation il faut penser que cette association s’est faite tardivement : on la voit pour la première fois en 1162102. C’est à partir – là encore ! – des années 1180 que les occurrences deviennent fréquentes103. Dans l’immense majorité des cas il s’agit de terres du Monte vinearum de Monselice. Ce serait céder à une illusion due à des hasards archivistiques que d’imaginer l’association limitée à un seul lieu ; cela dit son apparition autre part est rarissime, et je ne puis guère citer qu’une mention, d’ailleurs assez tardive – de 1252 –, à Viminelle, petit village du centre des Euganées, près de Faedo, au lieu-dit Montesello104.
60Deux types seulement de raisins sont cités : le plus fréquent, à lire le Catastico, est celui des vignes sclavae, l’autre vient des vignes garganicae. A. I. Pini, se référant à Pier de’ Crescenzi105, décrit les premières comme produisant un raisin blanc, de maturation assez précoce, cultivé avant tout sur les collines – ce qui explique sa prédominance à Monselice –, et plus capiteux que son concurrent ; le raisin des garganicae a l’avantage de bien vieillir, s’il manque de vigueur106. A Monselice, comme ailleurs dans les Euganées (ainsi à Valsanzibio), plus rare que le premier, il se trouve cependant adapté lui aussi aux colllines107.
61De cette brève revue des diverses techniques d’exploitation il convient avant tout de retenir deux choses :
- la variété des modes d’adaptation au terrain et aux exigences climatiques témoigne d’une recherche de la qualité, ce qu’encourageait la présence de marchés urbains considérables ;
- les deux dernières décennies du xiie siècle voient, avec le retour à la paix, les maîtres du sol, non seulement orienter la production vers une spécialisation viticole sur les terres les plus douées mais, au moins dans les Euganées méridionales, associer cet essor de la vigne à celui de l’olivier.
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62Car, bien plus impérativement que la vigne, l’olivier est un produit qui nécessite un apport initial de capitaux : son implantation dans les Euganées est ancienne et est le fait du climat108 ; l’épanouissement de sa culture sera, dans les années 1180-1230 (une fois de plus), celui des classes dirigeantes – celles de Venise davantage que celles du Padouan.
63C’est qu’en effet, si la vigne n’a besoin que de 5 ans pour devenir rentable, il faut à l’olivier environ 20 ans pour arriver à complète maturation, et une gelée forte peut le tuer109. Si bien que, si le plus modeste tenancier est susceptible de cultiver la vigne, l’olivier est une culture que l’on a pu qualifier de « typiquement domaniale », d’autant que presser l’huile exige un équipement plus complexe que celui des vendanges110.
64Ajoutons que l’un des usages de l’huile a plus particulièrement incité les seigneuries ecclésiastiques à en produire : l’usage liturgique. Il est bien sûr impossible d’évaluer la proportion – au demeurant changeante, selon les périodes – de la production d’huile qui servait, notamment, au luminaire des églises ; mais l’historiographie récente y insiste : pour M. Montanari, au haut Moyen Âge c’était là sa principale destination111. Et cela constituait, manifestement, tant une lourde charge qu’une préoccupation constante : à Padoue, au xiiie siècle, dans un organisme aussi peu sophistiqué que la fratalea des clercs desservant les paroisses urbaines, à laquelle suffisent un primicerius et un ou deux massarii pour gérer les affaires de la communauté, il existe – connu à partir de 1236 – un oliarius spécialement chargé de l’approvisionnement en luminaire112. Signalons enfin que, si l’on en croit Gennari, les revenus du port de Noventa (par lequel on allait à Venise) étaient au xiie siècle consacrés au luminaire de la cathédrale de Padoue113.
65Il est vrai que, dans le contado, on disposait également d‘huile de lin, ce qui devait libérer une partie au moins de la production des olivettes euganéennes pour des usages alimentaires114.
66L’essor de l’olivier sur le territoire de Monselice a suffisamment modifié le paysage pour que le Mons vinearum soit parfois, rarement il est vrai, appelé, à partir de 1227, Mons olivarum et vinearum115, voire Mons olivarum tout court116.
67A y voir de plus près, cependant, cette modification est bien davantage le fait du monastère vénitien de San Zaccaria, sur ses terres de colline, que des propriétaires locaux.
68A la date – déjà relativement tardive – de 1250, le Catastico dit « d’Ezzelino » qui, rappelons-le, énumère les parcelles qui paient la dîme à la « pieve » locale, présente l’image d’une colline qui mérite encore pleinement d’être qualifiée de vinearum. J’ai pratiqué un sondage à partir des mentions de ce lieu signalées dans l’index de l’édition Caberlin117. Le résultat surprend : 221 parcelles de vignes y sont explicitement situées, et elles occupent une superficie de 226 campi, ce qui signifie par conséquent que chacune mesure à peu de choses près 1 campo. Les parcelles où l’olivier et la vigne coexistent ne sont que 38, et leur superficie moyenne est nettement inférieure puisqu’elles totalisent 22,25 campi, soit moins d’un dixième de la place occupée par les vignes isolées ; quant aux parcelles entièrement consacrées à l’olivier, leur place est dérisoire : 23 micro-parcelles qui ne totalisent que 4 campi ! On a le sentiment que les choses en sont à un stade expérimental.
69Il y a donc de quoi s’étonner de voir apparaître en 1227 cette appellation de Mons olivarum. Elle ne s’explique que dans la mesure où l’on prend en compte la superficie occupée sur la colline par les terres du monastère vénitien de San Zaccaria, non répertoriées dans le Catastico pour la simple raison qu’elles ne doivent pas la dîme à la « pieve » de Monselice.
70J’ai interrogé pour ce faire la série des contrats de livello (auxquels j’ai ajouté de très rares achats) consentis par San Zaccaria, sur le Mons vinearum, entre 1200 et 1256118. La superficie des parcelles n’est malheureusement presque jamais indiquée ; du moins il apparaît que, si l’on s’en tient à leur nombre, la situation est complètement différente de celle de la propriété « indigène » telle qu’elle est reflétée par le Catastico : 41 parcelles cultivées en vignes et oliviers contre 25 en vignes seulement (les oliviers ne se trouvent seuls que sur 4 parcelles : ce résultat-ci, du moins, conforte le précédent).
71Bref, seul San Zaccaria semble avoir pratiqué une politique systématique d’association des cultures ; et seul il a vraiment contribué à modifier le paysage de la colline ! On retrouve ici la modernité de gestion des Vénitiens, par rapport à des propriétaires padouans plus conservateurs, constatée une première fois dans l’étude de l’évolution des contrats119. Ce n’est pourtant pas faute d’incitations très officielles que les Padouans sont restés en arrière : un statut communal de 1212 obligeait tout « livellario » à planter au moins 12 pieds (soit 2 perches – perticae –) d’oliviers par campo de vigne sur les collines (rappelons que 1 campo correspond à 14 perches). Cette tentative de généralisation autoritaire n’a pas abouti, manifestement : en 1269 on reviendra sur cette exigence, en la limitant toutefois à 10 pieds120.
72Huile d’olive et vin trouvent à Venise un marché où s’écouler, inépuisablement. Il était d’autant plus avantageux, pour les seigneurs d’Église du lieu installés sur la Terre Ferme, d’y vendre les produits de leurs biens121. L’exemple de l’olivier montre à quel point les perspectives commerciales guidaient davantage leurs choix que ceux de leurs voisins padouans. Ce qui avait été sans doute, au haut Moyen Âge, un simple produit d’échange avec le sel de la lagune tendait à se transformer en instrument d’une colonisation économique rampante.
III – LE LIN
73Rappelons quelques vérités élémentaires et bien connues : d’une part « le lin, comme la laine, est produit et répandu dans toute l’Europe depuis le Néolithique »122 et, dans le cadre plus réduit de l’Italie, « le lin trouve... son optimum écologique dans la plaine padane »123.
74Comme le remarque R. Delort, il y suffit de la présence assez abondante d’eau, et plus particulièrement d’eau stagnante – condition sine qua non – ; le sol le plus convenable est profond, meuble et frais ; enfin, le lin ayant « les mêmes exigences fondamentales que les céréales, le cultiver est donc risquer de renoncer à une année de blé » ; ce qui implique qu’une telle culture, pour être rentable, doit pouvoir aisément trouver à être vendue ou échangée « contre une quantité supérieure de céréales »124. Voici des conditions (hydrologiques, pédologiques et commerciales) qui font d’emblée de Sacco le secteur idéal : l’eau y abonde et les marécages n’y manquent pas, le sol de la basse plaine convient et, surtout, la proximité de Venise pallierait d’emblée le manque à gagner immédiat en céréales, le cas échéant. Rien de surprenant, par conséquent, à ce que la première mention du lin, en 894, apparaisse à Campolongo de Sacco125, ni à ce que l’accord commercial de 1005 entre les gens de Sacco et Venise implique le paiement d’un tribut annuel de lin de la part des « Saccensi »126. Mais c’est à la proximité de tous les cours d’eau de la plaine et des marais au pied des collines qu’on le cultive. V. Lazzarini avait autrefois remarqué la fréquence du mot vadum dans la toponymie, fréquence significative dans la mesure où, dans le Padouan, il a aussi, outre le sens classique de « gué », celui de « lieu où l’on met le lin à macérer »127 ; dans l’appendice à l’article étaient énumérés 23 noms de lieux-dits, où figuraient, entre autres, divers fonds marécageux au pied des Euganées, tels que Vo’ dei Buffi, à Monselice, Vo’ d’Este, et Baone, dont Lazzarini, après Olivieri, fait une transformation de vadone128.
75Dans les fines de Padoue et la zone centrale, on trouve Vo’ Castellano, à Casal Ser Ugo, mais aussi la curtis (puis village) bien connue de Maserà dont le nom vient du verbe maserare (rouir, macérer), sans parler des fossa de lino, à Mandria, Rovolon, etc.
76Un document daté de 1185, utilisé par Lazzarini et publié depuis par L. Lanfranchi, donne une image concrète du vadum : à Roncaiette, près du Bacchiglione, une eau manifestement stagnante se trouvait au centre d’une vaste parcelle ; les tenanciers l’utilisaient en y installant des vada où les gens de Saonara, Legnaro et d’autres lieux se rendaient pour mettre le lin à macérer ; l’opération consistait surtout à ficher un ensemble de pieux sur lesquels fixer les gerbes de lin129.
77Si le travail agricole que nécessite le lin n’est guère plus accaparant que celui des céréales, de l’arrachage au filage le labeur requis, de même que pour le chanvre, est écrasant, sans commune mesure avec celui qu’impliquent les opérations qui mènent de la récolte du blé au pain. C’est un travail domestique : « femmes, petites filles, vieilles filent en permanence, même en gardant les bêtes ou en veillant à la cuisson des repas »130.
78Voici donc une ressource complémentaire qui mobilise, certes, toutes les énergies familiales chez les producteurs de la basse plaine et des zones marécageuses, mais qui s’avère essentielle : le lin est à peu près la seule fibre végétale tissée131. Si bien que les linières font partie du paysage des terres nouvelles : les défricheurs en exploitent, au long du Brenta, dans l’ancienne forêt de Busiago, au nord de Padoue132. Par contre l’odeur pestilentielle et la pollution de l’eau qu’elles provoquent amènent non seulement la ville mais aussi les communes rurales à en protéger leur espace et leur voisinage immédiat par des mesures d’interdiction133.
79Quant à l’attitude des maîtres du sol, il faut pour le moins nuancer sérieusement certaines idées généralement admises.
80Certes la documentation manque pour le haut Moyen Âge : je dois cependant rappeler que, en 894, le tenancier d’un casale de San Zeno de Vérone doit le tiers du lin (la « troisième gerbe ») en redevance134 ; si bien que l’on est porté à relativiser des affirmations générales, étayées elles aussi d’exemples isolés, selon lesquelles le lin, plus ou moins assimilé aux produits du jardin, n’était pas de ceux que l’on taxait135. Certes la quantité de travail requise constituait une sorte de goulot d’étranglement et les femmes filaient d’abord pour leur propre famille, si bien que les profits à escompter de la vente étaient minces, si l’on en croit les conclusions de W. Endrei, selon qui, au xiiie siècle, le lin valait dix fois moins cher que la laine136. Il est de fait que la rareté relative des mentions de redevances en lin incite à admettre que l’essentiel de cette production demeurait sans doute, en effet, confiné à la sphère domestique.
81La relation privilégiée entretenue, dès les alentours de l’an mil, par les gens de Sacco avec Venise est peut-être à considérer à part : on pourrait être ici en présence d’un cas particulier de production à plus grande échelle.
82Sur les liens de Sacco et Venise, on a conservé deux documents d’autant plus symboliques qu’ils se situent, l’un au début l’autre à la fin de la période considérée :
- il y a tout d’abord l’accord commercial de 1005 en vertu duquel les Saccensi sont exemptés de taxes dans le territoire vénitien, contre le versement annuel de 200 livres de lin137 ;
- au terme de cette histoire il y a ce curieux document vénitien de 1252 cité par V. Lazzarini, qui parle de la regalia annuelle de 100 livres de lin que Corte et Piove devaient chacune (donc toujours 200 en tout !), chaque année, à Venise, et que la dogaresse donnait à filer aux servantes du palais138.
83Bien entendu il s’agit là d’une coutume fossile, dépourvue de signification quant à une éventuelle production commerciale du lin par la Saccisica. Mais, à consulter les archives vénitiennes, on s’aperçoit au contraire que Sacco était devenu un lieu d’approvisionnement pour la noblesse locale (et non pas pour la seule famille ducale), au moins à partir des années 1180 (toujours la même période-charnière !), à ne pas considérer la très forte probabilité d’un commerce tenu par les alleutiers-arimanni, non documenté.
84Les « livellari » de San Cipriano à Melara, Piove et Zignano, ceux de San Zaccaria à Corte, doivent, ceux-là le quart du lin, ceux-ci le tiers139. Attitude systématique, une fois de plus, de la part des monastères vénitiens : dans une autre zone de la basse plaine, à Bagnoli, celui de Brondolo réclame le tiers du lin à ses tenanciers140 ; de même, d’une documentation plus tardive il ressort que San Zaccaria faisait expédier à Venise du lin cultivé et filé sur ses biens de Monselice141.
85On est mal renseigné sur ce qu’il en advenait ensuite : si le marché local en absorbait sans doute une partie, il est possible qu’une autre ait été exportée, à en juger par le sort mieux connu du lin de Dalmatie qui transitait par Venise pour se retrouver en Egypte, comme le font savoir les documents de la Genisa du Caire142. Il faut distinguer, il est vrai, deux utilisations : l’expansion de la liniculture au xiie siècle est liée à la demande croissante de fil – nécessaire entre autres aux futaines – et, de façon générale, à l’industrie cotonnière pour la fabrication de divers tissus mixtes, d’où des courants d’exportation143 ; d’autre part on avait toujours davantage recours à la fibre pure pour la blanchisserie et l’habillement usuel, c’est-à-dire à tout ce qui relevait de l’artisanat local144.
86Un absent de taille, sinon dans le Padouan du moins dans les témoignages documentaires : le chanvre. Quand sa culture a-t-elle commencé à se répandre ? Et quelles initiatives l’ont implantée ? Au xiiie siècle même les entreprenants vénitiens ne semblent pas s’en soucier dans leurs possessions padouanes. Au xve siècle, pourtant, dans son petit ouvrage De laudibus Patavii, Michele Savonarola le mettra sur le même plan que le lin et s’émerveillera des sommes rapportées par la vente de l’un et de l’autre sur le marché de Piove di Sacco145.
IV – LES AUTRES RESSOURCES
1) Le jardin
87Quelle qu’y puisse être la part du lin, le jardin est d’abord précieux par son apport en légumes – avant tout en roboratifs légumes secs146 – et en fruits. Toutefois, dans la mesure où ses produits ne sont pas taxés (sinon éventuellement les poules, poulets et chapons qu’on y élève, mais qui ne sont des « produits du jardin » que par extension !), il n’en est jamais question dans les actes de la pratique. Des ouvrages récents en donnent des listes bien commentées pour l’Italie du nord ; j’y renverrai donc le lecteur147.
88Les tarifs d’amendes des statuts de Pernumia mettent en avant deux catégories de légumes, plus cultivés que d’autres ou considérés comme plus précieux, à savoir les navets et autres raves (un seul terme : rapa, ou rappa) et les choux (cauli)148. Dans un autre article des mêmes statuts, intitulé De plantandis fructuariis, rédigé entre 1225 et 1239, tout habitant de Pernumia possédant un jardin dans le village (ortus) ou dans son terroir (clausura) se voit obligé, au mois de mai, d’une part d’y planter un certain nombre d’arbres fruitiers, d’autre part d’y semer 4 variétés de légumes – oignons (cepe), aulx, poireaux, choux, et enfin des maguderos en lesquels S. Bortolami voit une variété de navets149.
89Pas plus que les légumes les arbres fruitiers ne se trouvent exclusivement dans les jardins150. Dans les Euganées le poirier prospère, à ce qu’il semble : il est le seul (avec le châtaignier) à donner son nom à des lieux-dits et à être explicitement associé à la vigne151 : les travaux spécifiques qu’exigent les arbres fruitiers sont d’ailleurs, pour certains, semblables à ceux que j’ai mentionnés au sujet des ceps : il faut « défoncer et fumer la terre au pied de l’arbre..., retrancher le bois mort et émonder la végétation excessive »152.
90A Pernumia les fruits les plus souhaités, sinon les plus produits, à lire le statut De plantandis fructuariis, sont les pommes, figues, pêches et prunes153. Les enclos isolés (clausurae) abritent des noyers auxquels un autre statut de même époque accorde une protection particulière154.
2) La châtaigneraie
91P. Toubert a pu consacrer des développements nourris à l’expansion du châtaignier et à son exploitation dans le Latium155. Sa présence est ici bien plus discrète. Bien entendu, elle l’est dans son rapport avec la superficie du territoire considéré : seuls les Euganées sont concernées. Je rappellerai tout d’abord que si, dans l’absolu, il peut vivre sur toute l’étendue des collines, c’est, aujourd’hui, seulement dans le nord-ouest, protégé des vents du sud, qu’il est densément implanté, allant jusqu’à descendre à même hauteur que la vigne, avant tout dans la région de Rovolon. Au sud-est on ne le trouve guère que sur les sommets156.
92La situation est sans doute plus nuancée au Moyen Âge, si j’en juge par les rares mentions que fournit la documentation. Rien avant le xiie siècle ; une première mention seulement en 1172. Sa présence paraît assez diffuse : il est à Rovolon, certes, comme à présent, mais on le trouve aussi à Luvigliano, au nord-est, à Galzignano, à l’est, et dans le sud, à Cornoleda (sur le Monte Gemola) et Salarola157.
93Il semble bien – du moins peut-on le conjecturer à Galzignano158 – que, çà et là, le châtaignier est lui aussi, comme l’olivier ou le poirier, associé à la vigne : si je ne puis proposer qu’un exemple il est par ailleurs connu que le fait est diffus, aussi bien en Italie du nord que dans les régions méditerranéennes159.
94La contraction de l’exploitation dans le secteur nord-ouest des Euganées a sans doute été très tardive puisque le géographe F. Milone signalait, encore en 1929, que les châtaigneraies de Calaone, au dessus de Monselice, avaient été longtemps renommées160.
3) Les incultes
95Prés, forêts, marécages ont longtemps fourni un complément de ressources essentiel aux ruraux. On a vu comment ce complément vient à manquer, plus ou moins dramatiquement selon les lieux, dès la deuxième moitié du xiie siècle, et comment certains indices montrent que, du moins dans le sud, le porc tend à se faire rare. Ne parlons pas de la chasse : encore en 1080, les vicini et consortes de Sacco rappelaient à l’évêque leur droit à s’y livrer librement dans leurs incultes, mais que pouvait-il rester de cette coutume, quelque reconnue qu’elle ait pu être, vers 1250161 ? Par un paradoxe apparent déjà constaté plusieurs fois, le régime seigneurial s’avère pourtant le protecteur des intérêts des ruraux : en se préoccupant du sort des forêts surexploitées, l’autorité traditionnelle provoque du moins un temps d’arrêt de la déforestation : dois-je rappeler que c’est précisément le cas à Sacco dans les années 1190162 ?
96Il n’est, en fin de compte, qu’un seul de ces secteurs complémentaires qui demeure, du moins dans la basse-plaine et aux pieds de certaines collines, encore aisément accessible aux ruraux, bien que diminué : la pêche dans ce qui reste de marécages et, bien sûr, dans le réseau, fort enrichi quant à lui, de canaux et de cours d’eau.
97Il faut y insister : à une époque où l’on fait maigre 2 jours sur 5, l’apport des produits de la pêche, et plus particulièrement de la pêche en eau douce, est essentiel. La plus grande partie du poisson consommé en Terre-Ferme provient des zones marécageuses de la basse plaine, des valles, semble-t-il : la chose est en tout cas attestée même au sujet d’une ville pourtant moins bien fournie que Padoue sur ce plan, à savoir Bologne163.
98Si les marécages sont, comme les forêts et avec elles, intégrés dans les réserves seigneuriales ou dans les communaux, le statut des fleuves et rivières est spécifique : tous appartiennent en théorie au souverain, et donc, dans les faits, aux seigneurs banaux164. Plus clairement que celui de la forêt, par contre, l’usage en est accordé à tous, moyennant il est vrai une taxation dont on verra plus loin un exemple165. Longtemps il n’y aura pas de « mise en défens » des eaux courantes.
99Quant aux pêcheries des marais, les cas de figure sont les mêmes que pour la forêt, et de vastes espaces sont longtemps laissés aux collectivités, qu’elles les détiennent en toute liberté comme les arimanni, où qu’elles exploitent, selon la coutume, un bien seigneurial. Dans les réserves incultes de la basse plaine le bois et l’eau, in-dissociés, figurent comme une totalité : encore en 1247, en Scodosia, tout un groupe d’habitants de Vighizzolo et de sa curia s’engage à verser à Santa Maria delle Carceri la dîme des poissons, des abeilles et des oiseaux166. Ailleurs les seigneurs aménagent des zones de pêche (valles) dans leurs palus. Tous les cas de figure sont alors possibles : tantôt ils les cèdent en livello ou en fief à des notables nonexploitants167, tantôt en livello à des tenanciers-exploitants168, tantôt ils les conservent dans leurs réserves et emploient des piscatores professionnels169.
100Si bien qu’on trouve çà et là des situations relativement complexes dans une même seigneurie, voire sur un même tronçon de rivière : ainsi à Anguillara, le long d’un flumen vetus qui est sans doute un ancien cours de l’Adige (encore utilisé par un cours d’eau), en 1171, Iacopino da Carrara, à l’issue d’un procès, investit un certain juge Mainardo, de Cavarzere, et plusieurs autres personnes, d’une cocolaria – c’est-à-dire d’une sorte de piège où le poisson va se prendre – ; cette installation devra être très précisément située entre la rive nord et le milieu de la rivière : c’est qu’en effet les habitants d’Anguillara doivent pouvoir continuer à pêcher du côté sud, où ils se trouvent, ainsi que deux domus, l’une de Cavarzere, l’autre de Venise, lesquelles le font pour Giacomino da Carrara (de quoi il me semble possible de déduire qu’il s’agit de deux familles de pêcheurs employés par le seigneur).
101Le loyer est assez impressionnant : outre 16 livres, les « livellari » doivent en effet chaque année donner 300 anguilles. Tout est prévu : il est précisé que, les années où les anguilles n’arriveront pas (on sait qu’en effet leur fréquentation des rivières, à l’issue d’un long périple, est parfois capricieuse), aucune redevance en poissons ne sera due170. Il convient de rappeler ici que, selon M. Montanari, l’anguille était précisément le poisson le plus recherché171.
102Dès le xiie siècle la documentation laisse deviner l’existence d’une multitude de ces installations de pêche : chaque seigneur a les siennes, chaque collectivité si elle le peut, à quoi s’ajoutent, de plus en plus, les espaces loués à des notables de la ville ou à des grandes communes du contado172.
103Comment la situation se présente-t-elle au milieu du xiiie siècle, lorsque commencent à apparaître clairement les résultats d’un lent processus d’appropriation des terres par les élites sociales ? Il est clair que l’usage des eaux est moins totalement accaparable, ce qui ne signifie d’ailleurs pas que les puissants ne se soient pas autorisés çà et là quelques abus. On peut en apprécier un exemple, un peu particulier il est vrai, dès la fin du xiie siècle à Corte : Albertino da Baone, de même qu’il s’est emparé de prés, a fait installer une panthera, c’est-à-dire une sorte de filet destiné à capturer les canards173. On retrouve ici la tendance, signalée plus haut, à la monopolisation de la chasse par l’aristocratie, qui aboutira pleinement à la fin de la période médiévale.
104Mais ce sont là menus accrochages. Pour des raisons très différentes de celles qui portent au déclin des incultes et des terres communes, dans le cours du xiiie siècle des limites vont être imposées au droit de pêche :
- le réseau des canaux et des fossés est presque arrivé au terme de son édification dans les années 1220-1230, j’ai eu l’occasion de le dire. Manifestement un problème de surcharge au moins relative se pose pour la pêche aussi dans les zones habitées : à Pernumia, l’un des statuts édictés entre 1225 et 1239 introduit l’obligation d’une autorisation pour pêcher dans les fossés du castrum et des bourgs. Volonté de contrôle qui peut avoir une raison fiscale mais qui, plus probablement, est liée au souci de préserver un vivier dont on s’aperçoit qu’il n’est pas inépuisable174 ;
- en 1260, enfin, c’est la commune de Padoue qui impose aux autorités de Pernumia (comme des autres communes traversées par des cours d’eau navigables) de subordonner à une demande d’autorisation la pêche sur la totalité du territoire communal175. Il s’agit d’éviter la prolifération des installations (filets, etc.) qui, trop nombreuses, tendent à barrer les eaux à la circulation. On le voit, il s’agit ici d’un contrôle destiné à établir un compromis entre deux exigences : les intérêts locaux (le besoin de se procurer une nourriture essentielle) sont subordonnés aux intérêts économiques de toute la région.
***
105Les motivations de la ville dominante, au-delà des vingt années de violence guerrière qu’a impliquée la dictature d’Ezzelino, peuvent enfin s’imposer sur l’ensemble du contado. Ce pouvoir devenu omniprésent exprime les intérêts d’une classe dirigeante dont le personnel ne s’est renouvelé qu’en partie, mais qui désormais pratique une politique d’exploitation du monde rural décidément à la fois plus dure et plus rationnelle, comme le montre assez tout ce qui vient d’être dit sur la production agricole ; le paysan n’est plus libre de l’organiser à sa guise et selon – il faut l’avouer aussi – la routine coutumière. Désormais c’est, de plus en plus, le propriétaire foncier qui l’oriente, en fonction des perspectives de profit qu’il entrevoit : la priorité accrue du froment parmi les céréales, la spécialisation des collines dans les cultures viticoles, l’intérêt porté au lin parmi les redevances, jusqu’aux directives qu’imposent de médiocres notables de village – ainsi à Pernumia – à la production des fruits et des légumes, tout le démontre abondamment.
106Reste à présent à mieux connaître ladite classe dirigeante, à mesurer son relatif renouvellement entre les dernières décennies du xiie siècle et le terrible milieu du xiiie, et à comprendre quel nouvel ordre social elle a imposé sur les ruines du vieux féodalisme, et comment elle l’a imposé.
Notes de bas de page
1 Sur l’agriculture au haut Moyen Âge, sous ses divers A S Pects, je renvoie le lecteur à l’ouvrage désormais classique de Massimo Montanari L’alimentazione..., (p. 110-116 sur les céréales jusqu’au xe siècle), et à sa bibliographie. Des nuances sont peut-être à apporter aux assertions de Montanari sur l’absolue prééminence du froment aux temps romains : selon F. Sartori, par exemple, il était accompagné de l’épeautre, de l’orge et de céréales « mineures » telles que le seigle, l’avoine et le mil (A. Sartori, Padova nello stato romano. Dal secolo iii A. C. all’età dioclezianea, dans Padova antica..., p. 166).
2 C’est ce qui donne à toute la troisième partie de l’ouvrage de Montanari un ton résolument optimiste : une nourriture plus variée était, selon lui, l’heureuse conséquence d’une production moins exclusivement orientée vers les céréales.
3 M. Montanari, L’alimentazione..., p. 65. L’auteur insiste sur la fréquence des mentions de campo et silva insimul tenente.
4 Sur les terres plus pauvres du Latium, P. Toubert le voit même subsister jusqu’au-delà de 1300 (Id., Les structures..., t. 1, p. 242).
5 D. Olivieri, Toponomastica..., p. 76. Cf. aussi « Arsego », dans le nom de l’actuelle Campodarsego. Sur ce thème, cf. p. 506.
6 Cf. les remarques de E. Sereni, Histoire du paysage..., p. 64-65. L’auteur cite un témoignage de l’importance acquise par les miliacées dès le vie siècle : Cassiodore donne des instructions pour faire distribuer au peuple affamé du panic des greniers publics de Pavie et Tortone.
7 C D V, t.2, no42, a.897 : segala bona munda. Il s’agit d’une tenure sise à Campolongo de Sacco.
8 M G H, Dipl. Karol., t. 1, no 134, a. 781 : 100 muids de saligo sont perçus du fisc royal de Sacco, par le monastère de Sesto. Sur le terme siligo, cf., outre M. Montanari (L’alimentazione..., p. 121), l’article de P. Aebischer, Le seigle dans le latin médiéval, dans « Zeitschrift für romanische Philologie », 69, 1953, p. 392-402.
9 M. Montanari, ibid. Dans un document padouan de 1170 (C D P, 2/2, no 979), le siligo est mentionné avec le froment et le millet, et y est un vraisemblable équivalent de segala ; de même, par exemple, en 1215 (où il accompagne froment, orge et sorgho : A S P, Corona, no 1570) et en 1234 (cette fois avec froment, sorgho, panic et millet : A S P, Corp. Soppr, S. Maria della Riviera, t. 10 p. 17) ; etc.
10 Il arrive – rarement toutefois – que le froment soit la seule céréale due en redevance : ainsi en 1154 à Arzere (C D P, 2/1, no 625), ou encore en 1165 à Torreglia (2/2, no 885).
11 Suricum : C D P, 2/1, nos 201 (a. 1130), 529 (a. 1150 env.) ; soricum : no 564(a. 1152) ; surgum : 2/2, nos 979 (a. 1170), 1346 (a. 1180) ; surghum : A S P, Corp. Soppr., S. Maria della Riviera, t. 10, p. 17 (a. 1234) ; medica : C D P, 2/2, no 978 (a. 1170), A S P, Corona, no 1570 (a. 1215) ; etc.
12 M. Montanari, L’alimentazione..., p. 133.
13 Dès 910 (Ibid., p. 134 et note 59). P. Aebischer, dans son article Les noms du sorgho dans les dialectes modernes et le latin médiéval d’Italie (dans Zeitschrift für romanische Philologie, 65, 1949, p. 434-441), signale la présence du sorgho dès le ixe siècle en Lombardie, parmi les composantes des redevances dues par les tenanciers de Santa Giulia de Brescia. Il s’applique à montrer que sa culture remonte à l’antiquité romaine.
14 P. Aebischer, ibid., p. 434. On trouvera une carte des noms du sorgho en Italie, inspirée par le Sprach- und Sachatlas Italiens, de Jud et Jaberg, dans A. G. Haudricourt et L. Hédin, L’homme et les plantes cultivées, Paris, 1943 p. 192. Sur l’identification de medica cf. A. Gloria, C D P, 2/1, Glossaire.
15 M. Montanari, L’alimentazione..., p. 134.
16 A. G. Haudricourt et L. Hédin, ibid., p. 150-152.
17 L. Lanfranchi éd., S. Giorgio maggiore, t.3, no00 (=C D P, 2, no1346). Autre occurrence : en 1234 des citadins ont dans leurs réserves de céréales, significativement, 4 muids de sorgho contre 4 setiers de panic (et la même quantité, chaque fois, de mil et de seigle) : A S P, Corp. Soppr., S. Maria della Riviera t. 10, p. 17.
18 C D P, 2/1, no 626.
19 Il est totalement absent de la documentation avant le xiiie siècle. Puis on le trouve de temps à autre, exclusivement dans la zone la plus centrale de la région, autour de Padoue : dans les fines de la ville (A S P, Dipl., no 1438, a. 1231), à Maserà (A S P, Corona, no 1570, a. 1215) et, surtout, dans plusieurs manses de Praglia à Tencarola (A S P, Corona, nos 3687, a. 1206 ; 3706 et 3707, a. 1212 ; 3712 et 3713, a. 1215 ; ibid., Corp. Soppr., Praglia, no 1097, a. 1221).
Une particularité de ces occurrences à Tencarola : il semble en avoir chassé le sorgho et c’est une combinaison froment-seigle-orge et fèves qu’on y retrouve chaque fois. Par contre orge et sorgho coexistent, en quantités symboliques il est vrai, dans les deux autres lieux. Si l’on passe à d’autres sources que les contrats, cependant, on a la surprise de revoir l’orge mentionné dans les statuts communaux de Padoue et de Pernumia : je reviendrai plus loin sur ce problème (cf. infra p. 552-553) ; pour l’instant il m’importe avant tout de remarquer que, de façon assez significative, l’orge, ici dans sa variété hivernale (ordeum), dont on peut faire des galettes (et qui est donc plus riche que le sorgho) apparaît essentiellement liée aux intérêts des consommateurs urbains : en témoignent les statuts padouans, mais aussi la proximité de Tencarola par rapport à Padoue.
20 M. Montanari, L’alimentazione..., p. 147 et 156-157. L’auteur remarque en outre que des statuts communaux font allusion à un pain composé de farines de froment et de fèves mêlés.
21 Chose curieuse, la seule mention de pois-chiches et de fasoli que j’ai rencontrée figure dans la liste de redevances où l’on trouve aussi le setier symbolique de panic : 3 setiers de pois-chiches et 2 de fasoli (cf. note 17). On remarquera que ces deux produits aussi sont là en petites quantités.
Rappelons que les fasoli (ou faseoli), dont nous avons fait le français « fayot », sont une sorte particulière de fèves, qui ressemble au haricot et sera abandonnée pour celui-ci après la découverte de l’Amérique (cf. A. Maurizio, Histoire de l’alimentation végétale depuis la préhistoire jusqu’à nos jours, trad. fr., Paris, 1932-p. 134).
22 C’est ainsi que, par exemple dans le contado de Verceil, les redevances fixes en céréales portent avant tout sur le seigle et, en moindre proportion, sur le froment (F. Panero, Terre in concessione..., p. 81-83). Il est, du coup, regrettable qu’on soit si peu renseigné sur la production de céréales dans le Padouan avant le xiie siècle : le seigle y fut-il, comme ailleurs en Italie du nord, la céréale la plus cultivée du viiie au xe siècle (cf. M. Montanari, Vegetazione e alimentazione... p. 298) ? Toutefois un document du xe siècle, absolument exceptionnel, l’inventaire du patrimoine de la « pieve » de Tillida, près de Legnago, dans le contado de Vérone, témoigne au contraire d’une implantation précoce du sorgho qui a pour corollaire un relatif effacement du seigle. Les céréales reçues par la « pieve » en perception de la dîme consistent en une majorité (60 muids contre 50) de blés « mineurs ». Voici les proportions : 49 % de sorgho, 20 % de froment, 15 % de millet, 10 % de seigle, 5 % de panic et 1 % de fèves.
On est dans une basse-plaine largement marécageuse et dont les aptitudes naturelles n’ont pas encore été vraiment améliorées par le travail humain. Rien de surprenant. Toujours est-il que, tout isolé qu’il est, ce témoignage est éloquent (M. Montanari, L’alimentazione..., p. 138, qui cite et utilise ici l’édition du document faite par A. Castagnetti dans l’ouvrage collectif Inventari altomedievali di terre, coloni e redditi, 6, Rome, 1979, p. 95-111).
23 P. Racine ne la mentionne pas non plus dans la région de Plaisance. Quant à Claudio Rotelli, dans son ouvrage Una campagna medievale. Storia agraria del Piemonte fra il 1250 e il 1450 (Turin, 1973, p. 52-53), il signale que « le terre che venivano destinate alla coltura dell’avena erano le peggiori... Infatti, abbondante sui terreni di montagna, è coltivata in misura spesso irrilevante in pianura ».
24 Pour P. Racine (Plaisance..., t. 1, p. 129-130), « l’animal de trait pour tirer la charrue est le bœuf ».
25 Perrine Mane, Calendriers et techniques agricoles (France-Italie, xiie-xiiie s.), Paris, 1983, p. 236. Ce qui incite à nuancer ce qu’écrit P. Racine, selon lequel si, au xie siècle, le foulage des grains par les bœufs est abandonné, c’est au profit, non du cheval, mais du battage au fléau (ibid., p. 132).
26 Sur l’épeautre et son usage en Italie du nord, cf. M. Montanari, L’alimentazione..., p. 131.
27 Cf. supra, note 19.
28 P. Toubert, Les structures..., p. 247 : l’auteur signale, dans la conque de Rieti, le cas d’une succession froment-orge (précisément sous la forme de l’escourgeon : ordeum).
29 La rédaction des statuts de Pernumia s’est échelonnée de 1225 au moins jusqu’à 1297, avec quelques adjonctions jusqu’à 1315 (S. Bortolami, Territorio... p. 173). Ils offrent donc l’avantage d’être, à peu de choses près, contemporains de ceux de Padoue et de refléter une même situation.
30 Statuti..., p. 231, no 692 :...ante festum sancti petri de iunio usque ad festum sancte margarite pro facto messium ; et, plus loin :...et a festo sancte marie de septembri usque ad octo dies post festum sancte iustine pro facto messium minutorum.
31 Il s’agit d’une classique référence aux danni dati ; la pâture des animaux est interdite sur les blavae apertae de la Saint-André – donc de novembre – jusqu’aux calendes de mars, exceptis in surgis et mileis postquam fuerint seminata, dum non fuerint exclamata per portenarium in regula (S. Bortolami, Territorio..., p. 185, no 26).
32 Cf. infra, p. 552-553. Au demeurant on trouve incidemment, dans le statut no 15 (p. 173), une mention du panic.
33 Cf. le tableau n. 17 p. 932 (San Zaccaria).
34 A S V, S. Zaccaria, B. 21 : 1220, 18 octobre ; 1221, 19 janvier ; 1222, 26 octobre ; 1224, 11 février, 18 février (3 contrats), 28 février ; 1228, 5 octobre. Deux occurrences antérieures isolées : C D Lanfranchi, 1192, 20 mai ; A S V, B. 21, 1209, 6 décembre.
35 A S V, S. Zaccaria, B. 17 : 17 octobre 1209.
36 A S V, S. Cipriano, B. 99, R. 10.
37 Ibid., B. 99, R. 21 (a. 1209), 22 (1214), 23 (1216), 26 (1252) ; B. 100 : R. 94 (1214), 96 (1232) ; B. 101 : R. 187 (1210), 188 (1211), 189 (1213), 190 (1235) ; B. 103 : R. 367 (1232) ; B. 106 : R. 586, 587, 588 (1230).
38 A S V, S. Giorgio maggiore, B. 107, Proc. 419.
39 A S P, Dipl., nos 1410, 1413, 1414 et 1415.
40 Cf. les contrats présents dans A S P, Dipl., B. 12 et 13.
41 Cf. supra, p. 467.
42 Reste cependant le problème de l’arsedentia rencontrée au détour d’un document de 1191 (cf. supra, note 286, p. 487). D’autre part, lors des grandes entreprises de bonification des décennies 1180-1230, il est clair que l’on pouvait déblayer le terrain de cette façon : en 1215 la part du monastère de Brondolo sur les terres défrichées du palus maior de Bagnoli traverse une Arsura (B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 489).
43 Avant tout l’ouvrage classique de G. Duby, L’économie rurale... Des généralités sur le cas italien dans P. J. Jones, The agrarian development of medieval Italy, dans la 2ème Conférence internationale d’Histoire économique, Aix-en-Provence, 1962 (cf. surtout p. 74-76).
Au sujet de la charrue à roue, je rappelle que c’est sur une des portes de bronze de San Zeno de Vérone qu’on en trouve la plus ancienne représentation figurée.
44 M. Montanari, L’alimentazione..., p. 117. Il ajoute que « le indicazioni... (sono) un po’ “sfasate” a favore dei grani migliori ». Cette différence entre ce qui est cultivé et ce qui est exigé par les seigneurs a été bien remarquée aussi par les historiens français : André Chédeville la signale pour le Chartrain (Id., Chartres et ses campagnes. xie-xiiie siècles, Paris, 1973, p. 192) et Georges Duby l’avait notée dans sa synthèse, L’économie rurale... (t. 1, p. 175).
45 A San Giorgio delle Pertiche, en 1199, un moulin doit 10 muids et 4 setiers de mil, la même quantité de sorgho, 6 muids et 4 setiers de froment (A C P, Episcopi, t. 1, no 77) ; en 1208, au même lieu : 24,5 muids de millet, 21 de sorgho et 21 de froment (ibid., no 91). Mieux encore, à Torre, en 1214, un autre moulin n’est taxé qu’en millet et en sorgho (A CP, Villarum, t. 10 : Torre, 2). Cela dit, en 1232, à Montagnana, la dîme perçue par l’église de Santa Maria delle Carceri sur un moulin que le marquis d’Este vient de faire édifier n’est composée que de 2 setiers de froment : on est ici (à l’inverse des exemples précédents) dans un milieu quasi-urbain, et ce sont peut-être précisément surtout les produits de redevances qui y sont moulus. De plus ce montant dérisoire, sans doute parce que l’installation commence à peine à fonctionner, n’est pas représentatif d’une production normale (S. Bortolami, Gli Estensi, Padova..., doct. 8, p. 51).
46 En 1181 des villani des chanoines de Padoue à Brusegana leur doivent, pour la dîme, 1 muid de sorgho et 2 setiers de millet (C D P, 2/2, no 1424). En 1234 les héritiers de Gerardo di Gabriele, du quartier de Santa Sofia, à Padoue, ont en réserve 4 muids de sorgho contre seulement 8 setiers de froment, 4 de seigle (vel circa !), 4 de panic et 4 de millet (A S P, S. Maria della Riviera, t. 10, p. 17).
47 Liber regiminum..., p. 294.
48 Cf. supra, note 19. Dans un statut padouan daté de 1212, qui concerne les livellarii, on trouve la liste suivante : frumentum, fabam, siliginem, et ordeum (Statuti..., p. 215, no 652). A Pernumia, voici une rubrique qui porte sur les vols dans les champs...in alieno frumento vel siligine aut ordeo seu legumine vel mileo aut panigo (S. Bortolami, Territorio..., p. 182, no 15). Puis une autre, datée (chose rare) de 1273, qui précise le taux de l’amende infligée à qui laisse errer ses bêtes dans les champs entre la Saint-André et la fin mars : on retrouve la trilogie frumentum, siligo, ordeum (p. 220, no 219).
49 C’est ainsi que P. Toubert écrit, à propos des campagnes du Latium, que « la culture du lin n’est mentionnée, à notre connaissance, que dans les statuts communaux, jamais dans les actes de la pratique » (Id., Les structures..., t. 1 p. 219).
50 Statuti..., p. 223, no 678 : pro plaustro frumenti... et aliarum blavarum.
51 P. Toubert note qu’« un trait essentiel » du vignoble latial médiéval « est son indifférence aux conditions topographiques » (Les structures..., t. 1, p. 223). V. Fumagalli insiste sur son ubiquité en Italie du nord et sur sa présence même là où les conditions naturelles ne la favorisent pas (Id., Terra e società..., p. 21). Dans la région de Plaisance, par contre, P. Racine verrait plutôt la demande urbaine le faire sortir aux xiie-xiiie siècles d’un relatif cantonnement initial (cf. par exemple, dans Id., Plaisance..., t. 2, p. 603-604).
52 Carta della utilizzazione del suolo d’Italia, foglio 5 (Touring Club italiano), Milan, 1966.
53 Le long de prairies inondables, cf. par exemple : C D P, 1, no 101 (a. 1016) : une terra cum vites et prato insimul se tenente à Monselice, au lieu-dit Valle di San Martino, au nom révélateur ; ibid., 2/1, no 200 (a. 1130) : une vigne à Melara di Sacco, au lieu-dit Prato maior ; 2/2, no 1363 (a. 1180) : encore à Monselice, au lieudit in Prato de le fosse (dans l’un de ces fonds marécageux nombreux aux pieds des collines – ici le Monte Vignalesco –), une pecia de terra prativa et in parte cum vineis, etc. Au bord de marais, cf. par exemple C D P, 1, no 253 (a. 1078) : à Campo Siplone de Sacco, infra villa, de alio caput palude abente ; C D P, 2/1, no 191(a. 1129) : à Codevigo, parmi les confronts d’une peciola cum vinea,... de alio ca-pite firmante palude ; etc.
54 P. Toubert, Les structures..., t. 1, p. 223-224. Là aussi, dans la conque de Rieti par exemple, on voit des vignobles plantés in Palude.
55 Cf. infra, p. 561.
56 A Fogolana, au début du xie siècle, une vigne située au lieu-dit Muradlia leur appartient (C D P, 1, no 100, a. 1015). Intégrée à une réserve de curtis elle est vaste, puisque s’étendant sur 10 jugères, soit près de 8 hectares (cf. M. Montanari, L’alimentazione..., p. 33, qui cite A. Mazzi, Nota metrologica..., p. 351-369. Le jugère médiéval mesure, selon ses estimations, 7900 m2).
Avec les bâtiments d’exploitation (le sedimen) elle est ceinte de murs et entourée de salines (...de iam dicta vinea que dicitur Muradlia cum muro circumdata cum vineis et puteis cum casas et salinas insimul cum se tinente). Cette situation aventurée ne semble pas lui avoir nui : encore en 1223 des habitants de Chioggia cèdent des vignes de Fogolana au monastère de la Trinité de Brondolo (B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, nos 648 et 651).
57 En 1969, pour l’ensemble de la lagune de Venise, on comptait 2447 hectares de vigne, auxquels il fallait ajouter des espaces en « coltura promiscua » (L. Candida, Memoria illustrativa della carta..., p. 131). Encore à présent les touristes en longent une dans la petite île de Torcello, entre le débarcadère et les églises.
58 C D P, 1, no 118.
59 Que l’on m’entende bien : il ne s’agit pas d’une plus grande précocité de ces deux zones. Les premières mentions de vignes concernent au contraire la Saccisica (C D V, t. 2, no 29, a. 894, et no 42, a. 897). Puis viennent les Euganées (ibid., no 78, a. 906). S’il me semble pouvoir parler d’un déclin relatif dans le cas padouan, signalons que A. I. Pini, à propos de la Bologne du xiiie siècle, qualifie au contraire d’« intensissima la diffusione del vigneto nei sobborghi urbani », volontiers montueux il est vrai (Id., La viticoltura italiana..., p. 834).
60 C D P, 1, no 47, a. 964 :...et terris cum vineis quamque et aratoriis cultis et incultis infra eandem civitatem ;... terra cum vineis extra eandem civitatem ubi dicitur Pontem Curvum quae ab antiquitus vinea celle canonicae dicebatur.
61 Dans le quartier dit de Rutena, en 970 (C D P, 1, no 55).
62 Ibid., no148, a. 1047 : pecia de terra cum vites infra civitate Patavi prope Domo.
63 A S P, Dipl., nos 1048 et 1166 : une pecia de terra est mentionnée prope ecclesiam Sancti Petri..., que fuit de vinea.
64 En 1140 une terra arabilis cum vinea, près de la porte des Torricelle, jouxte la muraille : ab uno latere murus civitatis. Cas classique ! (C D P, 2/1, no 383). La mention la plus tardive que j’ai trouvée est de 1147, et elle est sujette à caution : le sedimen concerné est situé in Padua, mais dans un braidum qui pourrait fort bien être hors les murs (P. Sambin éd., Nuovi..., no 14).
65 Voici une description-type :...foris civitate Patavensis... casa una cum area sua et curte et orto et area cum vinea (C D P, 1, no 150, a. 1048). On en rencontre de plus expéditives, ainsi :...de quodam sedimine sive sediminibus cum vinea, à Rudena (A S V, C D Lanfranchi, 14 mars 1199).
66 Cf. par exemple, dans le quartier de Rudena, déjà cité, entre les murs et Santa Giustina, en 1117 (C D P, 2/1, no 86) ; ou encore au Ponte Corvo, à proximité immédiate des murailles, en 1118 (ibid., no 99) ; dans le bourg de Santa Sofia, près de Sant ’Eufemia, en 1154 (no 608) ; à Porciglia, plus loin vers le nord-est, le long du Bacchiglione, en 1197 (A S V, S. Michele in isola, B. 11, no 292) ; à Vanzo, en 1224 (A S P, Corp. soppr., S. Agata, Catastico 1, f. 2r.) : ici se mêlent, dans une parcelle enclose, des arbres fruitiers et des vignes ; etc.
Bien entendu il arrive que ces vignes coexistent encore assez longtemps avec des terres arables. Même des terre-pleins fortifiés, ouvrages avancés des défenses de la ville, peuvent trouver une utilisation agricole, au moins momentanée : en 1212, dans le bourg de Santa Croce, voici une pecia terre, partim cum vitibus, partim aratoria...in hora qui dicitur Spaldus (A S P, Corona, no 4088).
67 Cf. supra, p. 36-37.
68 Voici les occurrences des Xe et xie siècles dans la zone méridionale : C D V, 2, nos 78 et 126 (a. 906 et 914) : Monselice ; C D P, 1, nos 53 (a. 969) : Cinto ; 70 (a. 985) : Arquà ; 94 (a. 1013) et 101 (a. 1016) : Monselice ; 118 (a. 1027) : Arquà ; 128 et 134 (a. 1033 et 1038) : Monselice ; 140 (a. 1040) : Arquà ; 279 et 330 (a. 1085 et 1099) : Monselice.
69 C D P, 1, nos 84 et 220 (a. 1006 et 1073). En 1149 (C D P, 2/1, no 523), à Rovolon, tout un lieu-dit consacré à la vigne porte le nom explicite de Vignola.
70 C D P, 1, no 118 (a. 1027) : Montegrotto ; 2/1, no 206 (a. 1130) : Teolo ; no 478 (a. 1147) : Luvigliano ; etc.
71 C D P, 1, no 94, a. 1013.
72 Les mentions de terres arables y sont rarissimes : on trouve encore en 1175, cependant, une pecia aratoria...ad montem Vignalisigum ubi dicitur Costaldolo (ibid., 2/2, no 1191).
73 P. Toubert écrit que « les premières mentions explicites de défrichement pour implanter des vignes se trouvent dans des documents du milieu du viiie siècle » (Id., Il sistema curtense..., p. 11), soit, en somme, dès que les documents écrits commencent à prendre un peu de consistance.
74 C D V, 2, no 29 : Rasiles (c’est-à-dire les rangs de ceps : cf. A. Gloria, C D P, 1, Glossaire) plantare debeas ubi pars domino insignaverit ; un peu plus loin il est fait allusion aux vineas que ibidem modo sunt. Et voici les instructions techniques : semel in anno arare et terciam vicem ad radices ablaciare et in tercio anno bene letaminare debeas. On trouvera la définition de l’ablaqueatio dans J. L. Gaulin, Viticulture et vinification..., p. 110.
75 V. Fumagalli, à diverses occasions, remarque qu’on ne trouve de telles consignes techniques précises qu’au sujet de la vigne : ainsi dans son livre Terra e società..., p. 22 (où il utilise précisément ce document), et dans son article L’evoluzione dell’economia agraria..., p. 465.
Dans une communication faite à Spolète, J.-L. Gaulin utilise d’autres documents véronais du ixe siècle où l’on fait allusion au provignage (propaginatio) et, comme en 894, au déchaussement, dans le but de mettre en évidence la continuité d’un vocabulaire demeuré substantiellement celui du latin classique des traités d’agronomie (Id., Tradition et pratiques de la littérature agronomique pendant le haut Moyen Âge, dans Sett. Sp., 1989, éd. 1990, L’ambiente vegetale..., p. 121). De l’article du même auteur cité en note précédente il ressort que ce vocabulaire et les connaissances qu’il exprime se sont transmis à Piero de’ Crescenzi et aux auteurs des xive et xve siècles.
76 Rappelons, avec M. Montanari (L’alimentazione..., p. 384-385) que, de surcroît, il n’est pas de produit de substitution : la bière (cervisa) est absente de l’Italie du nord.
77 Je rappelle que le processus du défrichement lui-même s’est en général effectué avant le contrat ; parfois il s’agit d’achever ou de parfaire celui de telle ou telle parcelle (cf. supra, p. 482). Avant le milieu du xiie siècle on rencontre encore peu de ces contrats dans le Codice de Gloria (lequel n’est pas absolument exaustif, on le sait, mais je ne veux ici que rendre compte d’une tendance) : 2/1, nos 478 (a. 1147) : reliquam vero partem frate roncare debeat et vineam plantare ; 523 (a. 1149) : de una pecia terre ad vineam plantandam (dans ce lieu-dit, déjà accueillant, qui se nomme Vignola ; cf. note 69). Puis les mentions se font plus nombreuses : cf., ibid., 2/2, nos 825, 829, 836 (a. 1163), 858 (a. 1164), 903, 905 (a. 1167), 926 (a. 1168)... La formule est toujours la même : terra ad vineam plantandam.
Avec les années 1180 les séries documentaires se font de plus en plus serrées, mais dans un contexte plus complexe, comme on va le voir.
78 P. Sambin éd., Nuovi..., no6 : debet...in hoc presenti anno in media parte vineam plantare, in proximo quidem futuro anno in altera medietate similiter vineam plantare. Cf. aussi C D P, 2/1, no 319 (a. 1137) : une pecia de terra aratoria in parte cum vitibus super se habente et in parte sine vitibus ad vineam plantandam.
79 Cf. par exemple : A S V, C D Lanfranchi, 1191, 22 décembre : une pecia ad vineam plantandam, à Monselice ; A S V, S. Zaccaria, B. 21, 1203, 26 janvier : sur une terre du Monte Vignalesco en partie occupée par des vignes et des oliviers, il est prévu d’en planter de nouveaux, a superiori latere ; manifestement il s’agit de gagner sur le bois.
Sur les domaines de Praglia : A S P, Dipl., no 1231 (a. 1225) : une pecia à planter en vignes, à côté des incultes communaux de Torreglia ; no 1255 (a. 1225) : une pecia terre partim vineate et partim warbe et buscalive à Valsanzibio ; no 1324 (a. 1227) : une pecia terre partim buscaliva, partim warba à Tramonte, sur le Monte Cengiari. Cela dit, dans ces deux derniers exemples, seule la partie warba doit être plantée ; il s’agit donc d’une simple récupération. Par contre dans deux textes tardifs, de 1250 et 1251, il est précisé, au sujet de deux parcelles de bois, à Carbonara et Tramonte, que le « livellario » de la première pourra éventuellement la défricher pour y planter des vignes ou des oliviers, et que celui de la seconde devra tout planter en vignes (ibid., nos 1765 et 1766). Sur ces deux modalités différentes, cf. la suite du texte.
80 Cf. par exemple : A S V, C D Lanfranchi, 19 juillet 1187 : dans une pecia cum vineis de Monselice, le locataire devra plantare ubi convenerit ; ibid., 24 octobre 1199 : dans une terre en vignes et oliviers de Monselice, le locataire pourra éventuellement planter de nouvelles vignes. En 1206 toute une série de livelli de S. Zaccaria à Monselice stipule que le locataire devra vineas plantare et arfossare ubi necesse fuerit. Il ne s’agit manifestement pas de terres neuves, et il est ici difficile de savoir si l’on améliore ou si l’on modifie du tout au tout l’exploitation (A S V, S. Zaccaria, B. 21 : 16, 20, 21 et 30 avril, et 3, 8, 12, 14 et 15 mai ; dans certains cas il y a plusieurs contrats par jour). Etc.
81 Cf. par exemple : A C P, Villarum, t. 1 : Abano, 3 (a. 1183) : sur une pecia située à Abano, in villa, et déjà en partie en vignes, le locataire pourra, soit construire des bâtiments, soit achever la transformation du lieu en vignoble ; L. Lanfranchi éd., S. Giorgio maggiore, t. 3, no 539 (a. 1191) : des vignes seront plantées dans un sedimen tenu en indivis, si alii consortes plantaverint, et cela à Rosara de Sacco ; A S V, S. Zaccaria, B. 21, 6 décembre 1209 : une terre arable pourra désormais être cultivée ad blavam vel ad vineas, au gré du locataire ; encore en 1231 (A S P, Catastico San Daniele, 1, f. 5v. – 6r) le livello de trois peciae à Montaone (près d’Abano) prévoit une redevance en vin pour le locataire, si vineam plantaverit, etc.
82 Cf. par exemple : A S V, C D Lanfranchi, 18 octobre 1193 : une terra aratoria de Monselice est à planter en vigne ; A S P, Corp. Soppr., Praglia, no 789 a. 1210 : même chose pour un ancien sedimen à Tramonte ; A S P, Dipl., nos 847 et 858, a. 1212) : une terra aratoria de Valnogaredo est ad vineas plantandas ; ACP, Villarum, t. 6 : Lova, 2 (a. 1246) : une terre, déjà en partie viticole, à Lova, le deviendra totalement, et le contrat spécifie qu’elle devra toujours être maintenue en cet état. Dans certains cas le propriétaire, ainsi l’abbé de Praglia à Tramonte, va jusqu’à spécifier que, pendant les 5 premières années, il percevra le tiers des fruges (ce qui laisse penser que des cultures dérobées sont pratiquées sur le sol dans la période de croissance de la plantation), puis ensuite le tiers du vin (A S P, Dipl., no 1661, a. 1242).
83 Cf. supra, p. 483-484.
84 Cf. A. Vat., Fondo Veneto, 1, S. Giacomo di Monselice, no 5922, a. 1221 ; et A S V, S. Zaccaria, B. 21, 16 octobre 1222 : deux parcelles, à Monselice, en plaine, seront entourées de fossés, à la suite de quoi le locataire devra in ripis vites plantare.
85 En fin de compte le contrat de livello, aux xiie-xiiie siècles, joue un rôle comparable à celui du contrat de complant en France à la même époque (P. Mane, Les calendriers..., p. 169-170).
86 Ainsi en Saccisica : dès 1140, à Piove, une parcelle olim de vitibus. De qua modo factus est unus campus (C D P, 2/2, no 381) ; de même à Melara en 1148 : peciola una...que quondam fuit ordines tres de vinea (ibid., no 505). Même à Monselice des cas de reconversion peuvent se présenter : en 1216, dans un braidum de San Zaccaria, une terre a cessé d’être cum vinea (A S V, S. Zaccaria, B. 21, 27 octobre).
87 A S V, S. Giorgio maggiore, B. 107, Proc. 419.
88 Statuti..., p. 216, no 656. De même à Bologne, un peu plus tard (en 1259) et dans une zone limitée (entre Castel San Pietro et les confins avec Imola) on oblige tous les propriétaires à élever une certaine superficie de vigne, ainsi que 10 arbres fruitiers (A. I. Pini, La viticoltura..., p. 841). La commune se fait l’auxiliaire du propriétaire pour châtier le viticulteur négligent (Statuti..., p. 215, no 652 ; p. 216, no 658), fixe la date des vendanges dans les Euganées (p. 220, no 670), interdit la vente prématurée du raisin (nos 669 et 670), etc. Toutes décisions qui se retrouvent dans la plupart des statuts (A. I. Pini, ibid., p. 843-844).
On peut rappeler, sur un plan plus général, les remarques d’Enrico Fiumi : « A mano a mano che il comune allarga la sua penetrazione in contado, si estendono e meglio si definiscono le norme dirette ad intensificare la produzione, ad adeguare l’economia agraria alla crescente richiesta dei prodotti » ; cf. Id., Sui rapporti economici..., p. 41.
89 A. I. Pini, La viticulture italienne au Moyen Âge : recherches et acquis de l’historiographie récente, dans Le vigneron, la viticulture..., Flaran, 11, p. 77. Tout ce passage de l’article constitue une mise au point sur l’apport des travaux de Me-lis sur ce sujet.
90 « Quasi uno spazio sacro », écrit non sans enthousiasme A. I. Pini dans son article Vite e olivo nell’alto Medievo, dans L’ambiente vegetale..., Sett. Sp., t.1 p. 349.
91 Cf. supra, note 56, et texte correspondant.
92 A. I. Pini, ibid., p. 349-350.
93 Dès l’époque carolingienne selon Pini (ibid., p. 343).
94 Cf. par exemple, en 1048, hors les murs de Padoue, une casa... cum area sua et curte et orto et area cum vinea... insimul se tenente (C D P, 1, no 150). Cela dit on en trouve encore vers 1250, ainsi à Monselice : unum casamentum cum vineis et domo de palea (Catastico..., p. 297).
95 Perrine Mane voit, dans les calendriers figurés, les vignes soit, la plupart du temps, montrées sans aucun soutien, soit, parfois (ainsi dans la proche Ferrare) attachées à un échalas. Elle ne mentionne pas de représentations de soutiens vifs. Quant à C. Parrain, dont elle cite l’ouvrage Outils, ethnies et développement historique (Paris, 1979, p. 112), il écrit que « l’on dresse habituellement la vigne sur des échalas » dans les régions méditerranéennes (P. Mane, Calendriers..., p. 170-171). Il faut, certes, relativiser, et ces considérations très rapides, et le degré de fidélité au réel des représentations figurées : l’espace y manquait et la représentation d’arbres et de ceps mêlés devait être peu commode.
96 Cf., par exemple : Catastico..., p. 111 :... de circa II. perticis de vineis pales-tris ; p. 160 : de circa I. pertica terre cum vineis palestranis et filagnis ; p. 270 : de circa II. perticis terre cum vineis palestris sive filagnis ; et passim.
97 Cf., par exemple : Catastico..., p. 67 :...de circa IIII canpis terre aratorie et cum pergulis ; p.98 : de circa II. canpis et medio terre aratorie... cum I. pergula (donc, ici, la place de la vigne est marginale) ; p. 311 : medium campum terre aratorie... de qua est in vitibus media pertica (même remarque) ; et passim...
98 Cf. par exemple : Catastico..., p. 288 :...canpos II. et perticas X. terre aratorie et cum una pergula... de qua est in vineis pertica I. et arbores cum vineis sunt XX ; p. 290 : canpum I. et perticas VIIII. Terre aratorie... et sunt in dicta terra XV. Arbores cum vineis ; etc. Assez curieusement ces mentions d’arbres ne se trouvent guère que dans la dernière partie du Catastico, en général plus précis, qui décrit les terres appartenant à la « pieve » de Monselice : doit-on en inférer qu’il pouvait s’en trouver ailleurs, non mentionnés ? Encore au xive siècle, toutefois, Piero de’ Crescenzi « ne conseille de marier la vigne aux arbres qu’en bordure des champs, ou dans les jardins (J.-L. Gaulin, Viticulture et vinification... p. 108).
99 A. I. Pini, La viticoltura..., p. 868, note 301. Sur la situation récente, cf. E. Migliorini, Veneto..., p. 273.
100 Cf. à ce sujet les remarques de P. Toubert (Les structures..., p. 258-262) avec, en note, la référence aux ouvrages classiques de H. Desplanques.
101 Quelques rares occurrences au xiiie siècle, cependant, d’associations vigne-poiriers et vigne-châtaigniers : en 1254 une pecia terre cum perariis et vitibus à Boccon (G. Carraro éd., Il « Liber »..., p. 370) ; de même des vignes à des lieux-dits a Perariis, ou a Perario (A S P, Corona, no 3179, a. 1223 : à Galzignano) ; en 1215 une terra que est nemus et castegnedis et vitibus (ibid., no3147 : à Galzignano également).
102 C D P, 2/2, no 795.
103 Avant 1180 deux mentions seulement : ibid., nos 888 et 1239 (a. 1166 et 1176). Ensuite on n’a que l’embarras du choix : cf. nos 1435, 1436 et 1439 (a. 1182) ; A S V, C D Lanfranchi : 7 mai et 24 août 1185 ; 24 octobre 1189 ; 5 décembre 1193 ; 10 février 1198 ; 24 octobre 1199 ; etc.
104 G. Carraro éd., Il « Liber »..., p. 316.
105 Sur cet agronome on consultera P. Toubert, Pietro de’ Crescenzi, dans D B I, t. 30, Rome, 1984, p. 649-657.
106 A. I. Pini, La viticoltura..., p. 855-856. Pier de’ Crescenzi en cite jusqu’à 21 types !
107 On retrouve constamment les deux termes en parcourant le Catastico. A Valsanzibio, en 1250, on voit ensemble, sur une même parcelle, des vites garganicae et sclavae (A. Vat., Fondo Veneto, 1, S. Giovanni Decollato, no 5553).
108 Si l’association à la vigne n’apparaît que sur le tard, dès 914 San Zaccaria de Venise en possède dans sa curtis de Petriolo, à Monselice, in costa. Ils sont dans des jardins enclos, en compagnie d’arbres fruitiers :...ortos et viridarios cum olivetas et pomiferas supra se habente (C D V, 2, no 126, p. 163-166). Puis il faut attendre 1162 pour voir, se succédant à peu d’intervalle, la mention d’une peciola de terra cum olivis sur le Mons vinearum, au-dessous des pâtures communales (C D P, 2/2, no 781), puis la première apparition de l’olivier comme soutien vif, déjà signalée (en note 102).
Quant à l’extension de cette culture dans les Euganées, il va de soi que seules les collines exposées au sud et au sud-est, ou bien abritées à l’intérieur du massif comme le « Montesello » de Viminelle (cf. le texte correspondant à la note 104) étaient susceptibles d’y être consacrées, du moins en partie. Je signale ici une mention indirecte à Abano : en 1204 le livellarius de deux terre aratorie doit le tiersomnium frugum, puis on précise, incidemment, que les olives seront à porter ad tegetem monasterii (A S P, Catastico San Daniele, 1, f. 4v).
109 A. I. Pini, Due colture specialistiche del Medioevo : la vite e l’ulivo nell’Italia padana, dans Medievo rurale. Sulle tracce della civiltà contadina, éd. V. Fumagalli et G. Rossetti, Bologne, 1980, p. 132-133 (auj. dans A. I. Pini, Vite e vino...). Le même auteur remarque cependant que l’olivier peut demeurer des siècles sans être cultivé : parmi ceux des Euganées, certains pourraient donc avoir été récupérés de plantations antérieures (A. I. Pini, La viticoltura..., p. 806, note 38).
110 A. I. Pini, Vite e olivo..., p. 351, note 84, et p. 363.
111 M. Montanari, L’alimentazione..., p. 396.
112 A. Rigon, Clero e città..., p. 36.
113 G. Gennari, Dell’antico corso dei fiumi... ; cité par G. Pavanello éd., Marco Cornaro, Scritture sulla laguna, t. 1, Venise, 1819, p. 120.
114 En Piémont on utilise l’huile de noix : ainsi à Asti en 1173 (M. Montanari, L’alimentazione..., p. 397).
115 A V, Fondo Veneto, 1, S. Giovanni Decollato, no 5540 : le monastère San Giovanni Evangelista y acquiert, de l’église San Daniele de Monselice, la dîme d’une peciola cum olivis en livello, contre un loyer tout symbolique de 2 deniers, que San Daniele remet au monastère précisément pro luminaria.
116 A S V, S. Zaccaria, B. 21 : 1227, 22 septembre ; 1233, 12 janvier. Il n’est pas sans intérêt de noter (eu égard au texte qui va suivre cette note) que c’est la documentation de San Zaccaria qui nous fournit cette appellation.
117 Aux occurrences des termes Mons vinearum, Mons vitum, Mons ricum ; j’y ai ajouté Montesello, bien connu comme étant une partie de ce tout. Ce qui signifie qu’il s’agit bien d’un sondage et non d’un relevé exaustif : sur le Mons se situe une quantité de lieux-dits ; mais ceux-ci sont souvent difficiles à repérer, si bien que d’un certain nombre on ne sait s’ils sont en plaine ou sur la colline.
118 Cette série se trouve dans la « busta » 21 du dossier S. Zaccaria à l’A S V, ainsi que, très accessoirement, dans le « busta » 25.
119 J’avoue d’ailleurs avoir été surpris de la constater aussi nette au vu de mes deux petites séries statistiques sur les olivettes. Cette modernité vénitienne, subodorée lors des dépouillements d’archives, s’est avérée beaucoup plus flagrante, en fin de compte, que je ne l’aurais imaginée, avec toutes les conséquences que cela implique pour l’histoire générale de la région.
120 Statuti..., p. 215, no 651 (a. 1212) et p. 216, no 657 (a. 1269).
121 Il est, de ce point de vue, révélateur de constater que les loyers payés à San Zaccaria ne le sont pas en olives mais en huile : on les voit évalués en « bozzoli » ; le « bozzolo » équivaut à 99 centièmes de litre (A. Gloria, Territorio padovano, t. 1 p. 153). En théorie le « bozzolo » sert pour le vin et tous autres liquides ; dans les actes de la pratique seul le « congio » est utilisé pour le vin et le « bozzolo » est réservé à l’huile.
122 Walter Endrei, L’évolution des techniques du filage et du tissage du Moyen Âge à la révolution industrielle, Paris-La Haye, 1968, p. 12. Sur le lin et sa culture au Moyen Âge, le travail le plus récent et le plus accessible est celui de Robert Delort, Fibres textiles et plantes tinctoriales, dans Sett. Sp., 37, L’ambiente vegetale... t. 2, p. 821-863.
123 P. Toubert, Les structures..., p. 219, note 1.
124 R. Delort, ibid., p. 838-842. Dans le Latium du bas Moyen Âge A. Cortone si constate en effet que le lin est semé au printemps et qu’on le voit alterner avec le froment (Id., Terre e signori nel Lazio medievale, Naples, 1988, p. 122. Cf. aussi des remarques sur le même thème dans Id., Il lavoro del contadino, Bologne, 1988, p. 23-24).
125 C D V, 2, no 29.
126 Cf. supra, p. 179.
127 V. Lazzarini, Della voce « vadum » nei documenti padovani, dans Id., Scritti di paleografia..., p. 308-326.
128 Un autre exemple de cette culture au pied des Euganées : en 1217, à Rovolon, les exploitants de 7 peciae situées in amplis de palude Faedi doivent pour chacune une redevance de decem falias lini (A S P, Dipl., no 1029).
129 V. Lazzarini, ibid., p. 310 ; L. Lanfranchi éd., S. Giorgio maggiore, t. 3, no 457 ; cf. aussi no 459. Des homines d’Albertino Zillo paient une redevance (aquaticum) sur une aqua que est per medium suam terram, dont faciebant vada. Des palones ad linum maserandum sont évoqués au no 459.
130 R. Delort, Fibres textiles..., p. 841-842.
131 Ibid., p. 855-856.
132 S. Bortolami, Pieve e « territorium »..., Appendice, doc. 1, p. 71-75, a. 1188 : dès avant 1160, parmi les dîmes des terres défrichées, on y distingue – de façon significative – le froment et le lin, le reste compte moins (et alia, sans plus).
133 Cf., à Padoue, le statut no 797 (Statuti..., p. 264 ; avant 1236) : Linum nemo aptet vel aptari faciat in civitate Padue intus a muris. A Pernumia c’est le rouissage qui est plus précisément concerné : Et quod nemo mitat nec ponat linum ad maserandum in fluminibus et fossatis circa castrum et circa burgos Pernumie (S. Bortolami, Territorio..., p. 187, no 37). De telles prescriptions se retrouvent à peu près dans tous les statuts communaux d’Italie du nord.
134 Cf. supra, note 125. La redevance est clairement formulée : de lino falia tercia.
135 Cf. B. Andreolli, Il ruolo della viticoltura e della frutticoltura nelle campagne dell’alto medioevo, dans Sett. Sp., L’ambiente vegetale..., t. 1, p. 185. L’auteur cite un document placentin de 951 : « dal canone vengono esclusi il lino, la rapa, la canapa, i fagioli et ortiva ». Dans des zones de basse plaine l’ampleur de la production la situait sans doute très au-delà du cadre de l’orticulture.
136 W. Endrei, L’évolution des techniques..., p. 90.
137 C D P, 1, no 82. Document à tous égards exceptionnel : la campagne du Padouan est la seule, à ma connaissance, à offrir un témoignage aussi précoce de commercialisation interrégionale du lin.
138 V. Lazzarini, Della voce « vadum »..., p. 309.
139 A S V, San Cipriano, B. 104, R. 458, a. 1191 ; B. 105, R. 568, a. 1193 ; B. 101, R. 186, a. 1203. San Zaccaria, B. 17, a. 1205, 16 juin.
140 B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 439, a. 1212.
141 K. Modzelewski, Le vicende..., p. 50.
142 R. Delort, Fibres textiles..., p. 840. Cela dit, A. Cortonesi (Terre e signori... p. 106, note 6) écrit que le lin italien était de qualité modeste et ne s’exportait pas, contrairement aux lins d’outre-mont. Affirmation très générale et qui pourrait souffrir des exceptions.
143 Au xiiie siècle des étoffes de lin et de coton mêlés, les « pignolati », fabriqués à Plaisance, sont exportées, mais dans le cadre plus limité de l’Italie du nord (P. Racine, Plaisance..., t. 2, p. 553). A Padoue des draps grèges sont produits sous ce même nom à partir des années 1200, mais demeurent, semble-il, d’usage local (cf. infra, p. 662, note 88 ; des éléments bibliographiques dans S. Bortolami, Acque, mulini..., p. 310). Sur les liens entre liniculture et production cotonnière, cf. M. Fennel-Mazzaoui, The Italian cotton industry in the later Middle Ages, 1100-1600, Cambridge, 1981, p. 138 ; cité par A. Cortonesi, Terre e signori..., p. 105-106).
144 M. Fennel-Mazzaoui, ibid., cité par A. Cortonesi, ibid., p. 106, note 6 : « local flax formed the basis for a growing production of coarse linen cloth for clothing, bedding and other uses in modest middle and lower-class households ».
145 M. Savonarola, De laudibus Patavii, dans Muratori, R I S, t. 24, col. 1183 : Quid de lino, et canaba dicam ? Ut quodam in die Nicolai Sancti, qui in Castro est Plebis, nundinalis dies est, adusque quinque millia Ducatorum venale conduciture temitur.
146 Encore que ces derniers soient également cultivés extensivement : les fèves, on l’a vu, sont assimilées aux céréales, et les autres (pois chiches, faseoli), sont en cultures dérobées. Il est significatif que les statuts de Pernumia mettent sur le même plan, à propos des vols comme des errances de troupeaux, blava vel legumina (S. Bortolami, Territorio... : p. 182, no 15 ; 184, no 20 ; 185, no 25 ; cf. aussi les remarques de l’auteur en p. 78).
147 Avant tout, bien entendu, M. Montanari, L’alimentazione... (p. 351-371), d’autant que, sur ce thème précis, il poursuit l’enquête au delà du seul haut Moyen Âge et puise dans Salimbene, Pier de’ Crescenzi, etc. D’utiles remarques parsemées dans d’autres ouvrages : ainsi dans celui de Perrine Mane, Calendriers... (p. 210 sq.), sur les légumes, et notamment sur l’importance des raves et navets avant l’introduction de la pomme de terre ; de même dans R. Bordone, Paesaggi, possesso... ; auj. dans Id., Città e territorio..., p. 112-113), sur les arbres fruitiers ; ou encore dans A. Cortonesi, Il lavoro del contadino... (p. 42 sq.) sur les légumes ; etc.
Le récent ouvrage collectif du Centre culturel de l’abbaye de Flaran, 1987, Jardins et vergers en Europe occidentale (viiie-xviiie siècles), Auch, 1989, ne comporte malheureusement aucune communication sur l’Italie du nord. On trouvera des éléments de comparaison dans celle de A. Higounet-Nadal, Les jardins urbains dans la France médiévale (p. 115-144).
148 S. Bortolami, Territorio..., p. 184, no 23, et 185, no 24. Cela dit les raves sont également cultivées en plein champ. En Piémont, dans la région de Saluzzo, les champs de raves étaient l’objet de contrats spéciaux, ou ravera (F. Gabotto, L’agricoltura nella regione saluzzese dal secolo xi al xv, dans « Miscellanea Saluzzese », 15, 1902, p. 1-154 ; cité par P. Mane, Calendriers..., p. 210).
149 S. Bortolami, ibid., p. 201, no 103.
150 La documentation padouane ne différencie pas le jardin potager du verger. On vient de le voir, la seule distinction est spatiale et se fait entre l’ortus intégré à l’habitat et la clausura hors du village. Sur celle qui est faite, dans certains documents du haut Moyen Âge, entre l’ortus et le viridarium (ou ortus pommarius), généralement intégré aux réserves seigneuriales, cf. M. Montanari, L’alimentazione..., p. 367. Sur la difficulté à bien distinguer une différence de sens entre les deux termes dans le cadre français, cf. l’article, cité en note 2, de A. Higounet-Nadal.
151 Cf. supra, note 101.
152 P. Mane, Calendriers..., p. 205. Elle considère le poirier comme l’arbre fruitier le plus répandu en Italie du nord, avec le cerisier – sur lequel, par contre, je n’ai rien à dire.
153 Cf. supra, note 149 : pomarios, ficus, persegarios et subcinarios, brunbarios. Ces deux derniers termes désignent deux variétés de pruniers, la première étant la plus commune (cf. l’italien « susina »), la seconde une variété locale, comme le remarque S. Bortolami (p. 79).
154 S. Bortolami, Territorio..., p. 182, no 13 : De invento alienas nuces auferendo.
155 P. Toubert, Les structures..., t. 1, p. 177-183, 190-192, 259-266, etc.
156 Cf. supra, p. 36-37.
157 A S P, Corona, no 3120, a. 1205 : Pecia... una de terra cum vinea, et parumper sine vinea, in qua sunt due castegnare, à Rovolon. C D P, 2/2, no 1085, a. 1172 : Pecia cum castaneis supra se habente, au lieu-dit Costa Saracina à Luvigliano ; A S P, Corona, no 3661, a. 1201 : une allusion – de castagnedis – sur un bien monastique, également à Luvigliano ; A S P, Corona, no 3147, a. 1215 : (terra) que est nemus et castagnedis et vitibus, à Galzignano ; A S V, C D Lanfranchi, 8 décembre 1184 : mention de duobus castagnetis à Cornoleda, dont l’un sur le Monte Gemola ; A S P, Corona, no 2464, a. 1213 : il s’agit de l’une de ces regulae par lesquelles la commune de Padoue accorde sa protection aux incultes en défens d’établissements ecclésiastiques (cf. supra, 539 et note 138), ici le monastère de Salarola : les châtaigniers y sont mentionnés avec d’autres espèces forestières, chênes, frênes, etc.
158 Cf. la note précédente.
159 Cf. supra, p. 565, note 101. Des occurrences bolognaises dans A. I. Pini, La viticoltura italiana..., p. 861-863 : dans deux terroirs des Apennins, l’un situé à une altitude de 407 m et à 50 kms de Bologne, l’autre à 700 m et à environ 70 kms de cette même ville, on trouve un « arativo promiscuo con querceto e castagneto » ; sur le cas latial, cf. P. Toubert, Les structures..., t. 1, p. 259-260. Quant à l’association vigne-chênaie, également rencontrée par P. Toubert, quoique plus rarement, je n’en ai trouvé aucune trace, ce qui, étant donnée la rareté des sources disponibles, n’en implique pas fatalement l’inexistence.
160 F. Milone, Provincia di Padova..., p. 104.
161 C D P, 1, no 262. Sur la chasse paysanne au haut Moyen Âge, on consultera M. Montanari, L’alimentazione..., p. 254-270. Au xie siècle la chasse est libre dans les terres communes (l’auteur cite d’ailleurs le document padouan de 1080) ; les paysans pratiquent même la chasse au gros gibier en organisant des battues collectives. Il faudra attendre le xvie siècle pour que s’achève tout-à-fait ce que Montanari appelle « un processus multiséculaire d’expropriation des ruraux », la chasse devenant alors le privilège exclusif des nobles.
162 Cf. supra, sur l’action de l’évêque, p. 539.
163 A. I. Pini, Pesce, pescivendoli e mercanti di pesce in Bologna medievale, dans « Il Carrobio », 1, 1976, p. 347 ; cité par M. Montanari, L’alimentazione... p. 293.
164 Sur les pouvoirs de l’évêque de Padoue sur les cours d’eau, cf. supra p. 108.
165 Sur ce thème, cf. M. Montanari, L’alimentazione..., p. 281-282.
166 Privilegia, B. Civ. ms., B. P. 2244, f. 46 v. et 47., nos 17, 18, 19.
167 Ainsi en 1188 un petit seigneur sous-inféode 3 valles à Bagnoli, le service vassalique consistant en un cadeau annuel, à savoir sacam unam pisium (B. Lanfranchi-Strina, Ss. Trinità..., t. 2, no 255).
168 En 1191 Marsilio da Carrara recevra, pour un livello sur une pecia de aqua, chaque samedi, sacham unam piscium, de illis quod Deus in illa valle dederit, videlicet non deteriores nec meliores (R. Cessi éd., Gesta magnifica..., p. 176).
169 En 1163 le monastère des Carceri reçoit, sur le terroir d’Este et en Scodosia, de nouveaux droits de pêche de la part des marquis : il est prévu qu’il y installera des cogolaras et utilisera des piscatores (C D P, 2/2, no 805). En fait le document de 1247 cité plus haut montre qu’une partie au moins des zones concédées est restée aux mains des habitants des lieux concernés.
170 C D P, 2/2, no 1055.
171 M. Montanari, L’alimentazione..., p. 293.
172 Quelques autres exemples : C D P, 2/1, no 369, a. 1139 : le monastère des Carceri reçoit du marquis une aqua à Villa di Este, avec pouvoir de cogolaras faciendi ; no 556, a. 1152 : mention d’une cogolara de l’évêque à la buca de Curano ; 2/2, no 755, a. 1161 : toute une série de cocolarie sur le Cornio, appartenant à divers propriétaires non spécifiés, sauf Sant’Ilario, près du débouché dans la lagune ; etc.
173 A C P, Villarum, t. 3 : Corte, 6 : témoignages de 1205. Albertino créait-il une mode ? A l’époque moderne la chasse aux canards sera l’un des divertissements de la noblesse vénitienne dans la lagune : au xviiie siècle l’un des meilleurs tableaux de Pietro Longhi a immortalisé ce passe-temps.
174 S. Bortolami, Territorio..., p. 206, no 134.
175 Ibid., p. 216, no 196 : la limitation est explicitement imposée à la commune de Pernumia ad honorem et voluntatem comunis Padue.
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