Chapitre 6. Les communes du contado : organisation et fonctionnement
p. 381-403
Texte intégral
1C’est une fausse unité, purement de superstructure, qui unit en un tout l’ensemble des groupements humains constitués en communes dans le cadre de ce qui devient, entre xe et xiiie siècle, le contado de Padoue. Il est, en un sens, bien abusif de comparer Monselice et le village de Campopremarino ; ce qui les réunit dans ce chapitre est ce qui réunit Paris à un village corse ne dépassant pas 40 habitants en hiver : l’existence d’une municipalité, ou en tout cas d’institutions communales. Il y a des décennies, depuis Volpe au moins, que les historiens italiens distinguent les véritables communes rurales et un certain nombre de centres, tels que Monselice ou Este pour la région qui m’occupe, qui ne sont ni des villages ni même de simples gros bourgs, et qu’on qualifie depuis peu de « quasi città »1.
2Toute entité communale existe par une institution et des organismes qui l’expriment, si rudimentaires soient-ils. De ce point de vue Monselice ne se distingue du plus modeste village que par davantage de complexité, et non point essentiellement. Aussi bien eût-il été absurde de présenter séparément villages et petites villes, d’autant que les exploitants ruraux sont nombreux dans ces dernières. Mais il faut garder à l’esprit que l’évolution sociale des communes à caractère semi-urbain (avant tout Monselice) aura longtemps des caractéristiques assez semblables à celles de Padoue. Dès les dernières décennies du xiie siècle les groupes ruraux, qu’ils soient une composante parmi d’autres de la société diversifiée des « quasi città », ou qu’ils vivent dans de véritables communes rurales, voient les mêmes menaces grandir à l’horizon, et leur destin prendre un autre chemin.
3On verra plus loin comment la seigneurie est entrée dans une période de crise au plus tard durant le dernier tiers du xiie siècle. Il faut rappeler à présent que l’existence même d’un statut communal, et l’autonomie qu’il assure aux communautés villageoises, sont inséparables de la seigneurie banale. Les structures de celle-ci sont trop rudimentaires pour ne pas obliger le maître à trouver des intermédiaires entre lui et ses sujets ; du coup la résistance qu’oppose à l’arbitraire la vieille liberté arimannique débouche, pour l’ensemble des ruraux que mène « l’élite » des alleutiers, sur l’autogestion, solution en fin de compte satisfaisante pour les deux parties.
4Autogestion qui, d’emblée, s’applique à un objet concret, qui la justifie et, au demeurant, lui préexiste : la surveillance et l’utilisation des terres incultes, ou plutôt de la partie de celle-ci, celle qui n’entre pas dans le domaine privé du maître : les biens communaux.
5Car la commune rurale implique l’existence des biens communaux : leur rétrécissement, voire parfois leur quasi-disparition à l’issue de séries d’aliénations, sera le signe de son déclin et, plus profondément, de la paupérisation des masses rurales. Les semi-villes que sont Monselice ou Piove ont aussi leurs communaux, et l’on a vu, à travers l’exemple de Piove (et de la vraie ville qu’est Mantoue), qu’ils jouent là aussi un rôle fondamental dans la prise de conscience de son identité par la communauté. Mais à cause du caractère aristocratique et bourgeois de plus en plus fort de ces entités leur disparition n’y a pas le même sens.
6Ce lien organique a été depuis longtemps mis en évidence pour d’autres régions2. Il a désormais son historien pour celle qui m’occupe : inclus dans une série d’études suscitées et coordonnées par J.-C. Maire-Vigueur sur « les biens communaux dans l’Italie communale », qui est parue dans les « Mélanges de l’École française de Rome », un article de Sante Bortolami en constitue une analyse serrée dans le cadre d’une micro-région représentative, la Scodosia, ce secteur sud-ouest dont les Este ont la seigneurie3 ; le même historien est l’auteur d’autres articles et d’un livre dont la commune rurale est le thème directeur, et où cette question des biens communaux occupe une place centrale4.
7Je me contenterai donc ici d’un rapide survol de l’histoire des institutions communales dans le contado de Padoue, en essayant toutefois de les relier aux faits de société qui en ont permis l’émergence et dont, dans une large mesure, elles sont l’expression.
8Si l’on admet que le fait communal se manifeste par des institutions, il est tout à fait remarquable que le contado précède la ville5. Remarquable mais, en somme, pas surprenant : en ville, le passage à l’organisation communale (et donc à l’institution) signifie qu’il devient impossible d’en rester à la confrontation d’un milieu aulique étroit (curia épiscopale ou comtale) et de la démocratie directe d’une assemblée de tous les citoyens ; le problème est donc résolu avec l’institution du collège consulaire, à maints égards confiscation du pouvoir organisée par les élites aristocratiques. La commune rurale, au contraire, est un organisme assez fruste né d’un accord entre l’assemblée villageoise et le seigneur, et donc entre une démocratie directe et un chef plus ou moins lointain, sur les modalités de choix d’un ou de plusieurs officiers. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que ce stade ait souvent été atteint avant que ne s’organise la commune citadine6.
9On n’est pas surpris non plus de voir le mouvement démarrer à Sacco : l’assemblée des villageois y est, depuis longtemps, menée par une couche d’alleutiers aisés (rappelons le traité avec Venise dès 1005), dont la relation est tout autre que passive avec le détenteur du pouvoir « comtal » sur les lieux, à savoir l’évêque. En ce sens la seigneurie s’avère bien être la créatrice d’institutions représentatives : c’est en 1116 qu’un accord est conclu entre la communauté de Corte et l’évêque. Il prévoit que le maricus du lieu devra être nommé avec l’assentiment de ce dernier, et que le quart des amendes infligées par les saltarii lui reviendra ; il rappelle que le statut du maricus est le même à Piove, d’où il ressort que ces institutions existaient déjà7. Peu de temps après on les voit fonctionner : trois marisi et procuratores istius patrie de Saco représentent en 1129 le comunum qui fait don de la terre de Tombiole à l’évêque. Dans un premier temps, on a donc affaire à une unique commune, à caractère fédératif ; elle ne se maintiendra d’ailleurs pas longtemps, du moins sous cette forme, on le verra8.
10Ailleurs qu’à Sacco, il faut attendre la deuxième moitié du xiie siècle pour avoir des témoignages de mise en place institutionnelle. À Monselice, dont la structure est décidément urbaine, les choses évoluent tardivement : encore en 1157, lorsque le populus de Monselice finit par s’entendre avec le populus de Pernumia sur un partage des communaux, d’une part ce sont 32 habitants de ce lieu qui se rendent collectivement dans la ville voisine, et non pas des villageois représentatifs, et, d’autre part, il n’est pas davantage question de délégués pour Monselice9. C’est quelques années plus tard, en 1162, qu’intervient pour la première fois, à Monselice, un collège de 8 consuls : avec le consentement de tout le populus maior et minor, ils cèdent à un chanoine ferrarais une terre sur laquelle devra être édifié un hospice10.
11L’institution communale se diffuse bientôt dans tout le conta-do : alors que, à Sacco, se complique la structure fédérative, partout ailleurs, semble-t-il, c’est très vite l’éparpillement. Dans une autre seigneurie épiscopale, à savoir dans la curia de San Giorgio delle Pertiche, où l’on aurait pu s’attendre à voir le castrum de ce lieu être le centre d’une unique commune englobant tout le territoire, les villages qui en dépendent, Santa Giustina in Colle, Torre di Burri et Caselle, ont chacun leur maricus ; mieux : c’est San Giorgio, le plus important, qui demeure sous contrôle épiscopal alors que les trois autres communes choisissent leurs marici comme elles l’entendent11. Et cette identification de la commune avec le simple village se produit alors même que tous utilisent ensemble la frata du castrum de San Giorgio !12.
12Éparpillement qui tend plutôt à s’accentuer avec le temps : un document de 1260 montre que s’est constituée une commune de Monterosso, alors que cette modeste colline pouvait sembler n’avoir d’autre destin que d’être une dépendance d’Abano13. Création qu’on peut supposer tardive : l’érection d’une forteresse par Ezzelino da Romano en 1238 a pu être le point de départ d’une existence autonome pour ce petit centre14.
13Il serait sans intérêt de dresser une liste : les hasards des occurrences documentaires montrent avant tout ce pullulement, et la vanité de tout argument a silentio. Tout habitat concentré, à partir des années 1180, semble être doté du minimum de structures qui lui permet de se qualifier de commune. Rien ne laisse penser que les communautés d’habitants aient eu à vaincre une opposition décidée de la part des seigneurs. Je reviens à ce que j’ai avancé en introduisant cette analyse, à savoir au fait que le seigneur banal, lui aussi, trouvait son compte dans une relation coutumière où ceux qui pouvaient faire figure d’élites sociales du village lui servaient d’intermédiaires, rôle qui était, parmi d’autres, celui des officiers communaux.
14La commune rurale se construit donc généralement lorsque s’est créée une relation dialectique entre un groupe d’hommes et une autorité (le seigneur banal lorsqu’il s’agit du village ou groupe de villages)15. Ce qui implique, au préalable, que ledit groupe d’hommes soit conscient de sa propre cohésion. Il est un terme qui exprime cette conscience, et il y a longtemps que l’on a reconnu tout ce qu’il impliquait : c’est celui de vicini. C’est ainsi qu’en 1132 on le voit figurer comme synonyme de « commune » à Sacco16.
15Ce terme et son usage ont préexisté à toute organisation communale. Depuis Caggese et Pietro Sella, comme l’avait rappelé Pierre Toubert17, on fait de la vicinia l’élément constitutif de la commune rurale ; dans le cas padouan le thème a été repris dès les travaux pionniers de Checchini18. Le mot implique l’habitude de réunions, donc le sentiment déjà ancien de constituer une collectivité, avec ce que cela comporte de « droits et devoirs communs »19. L’usage des variantes vicini, vicinia, vicinatus est d’ailleurs assez ancien et habituel pour demeurer dans le vocabulaire courant après l’apparition des communes : s’il est concurrencé, c’est plutôt par populus – voire, tout simplement, homines – que par comune, qui est utilisé par les notaires avec parcimonie et au bout de quelque temps, lorsqu’ils éprouvent le besoin de distinguer l’idée abstraite d’une personnalité juridique : ainsi, en 1188, c’est le populus de Corte qui se réunit pour aliéner une terre exempte de toute charge et, de façon à mettre en relief la personnalité juridique de la commune, alleutier collectif, l’acte précise qu’elle est vendue avec l’honor, « comme la commune la détenait » (cum omni honore, sicut comunem habuit in se)20. On remarquera combien est cohérent l’usage de la terminologie chez ces tabellions padouans : on retrouve ici la même tendance à réserver un certain vocabulaire à un usage abstrait qu’on a déjà vu se manifester pour le mot castrum21.
16La vicinia, de par son existence même, exprime donc l’unité de la communauté. C’est d’elle, réunie en publicum consilium, qu’émanent des officiers dont le nombre et la nature même varient avec l’importance démographique et le degré d’autonomie de chaque commune. Nuançons : c’est toujours d’elle, mais avec parfois le nécessaire accord d’un seigneur.
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17Les communes à consuls sont d’abord les centres semi-urbains. Mais, tout comme l’institution communale elle-même, le consulat finira par être adopté par de bien modestes habitats : si on le trouve sans trop de surprise à Pernumia (bien peuplée en effet), Este et, sans doute sur le tard, Piove22, il est par contre plus inattendu de le voir diffusé dans des villages de Scodosia qui dépendent du castrum de Montagnana (lequel est, je le rappelle, caput Scodescie), tels que Saletto et Ponso23. La documentation est trop lacunaire pour permettre de risquer une typologie des centres d’habitat du contado du point de vue institutionnel.
18Combien de consuls ? Là encore on demeure perplexe rien qu’à scruter le seul cas relativement bien connu, à savoir celui de Monselice.
19Dans cette ville l’évolution du consulat est conditionnée par une imitation de l’exemple padouan ; les choses sont claires jusque vers la fin des années 1170 : il y a un collège de 8 consuls24 ; puis en 1179 apparaît un podestat25. A partir de là elles le deviennent moins : tantôt on voit des consuls, désormais moins nombreux (trois ou quatre au maximum), subordonnés à un podestat, tantôt ils apparaissent seuls, mais pas plus nombreux. Il n’est guère possible de justifier ces fluctuations qui ne suivent pas vraiment celles de la cité dominante26.
20Les apparitions de consuls dans les autres centres sont trop erratiques pour qu’on puisse en déduire quoi que ce soit : aucune indication de nombre à Piove ; à Pernumia, Este et Saletto ils ne sont, chaque fois, que deux pour nommer d’autres officiers communaux, diviser des bois, etc.
21Quant aux tâches qui, précisément, leur incombent, elles sont bien connues à travers la bibliographie du sujet, et dans le contexte du contado padouan les plus anciens des statuts de Pernumia viennent confirmer ce qu’on sait. Ils ont une autorité contraignante, de justice dans le cadre du castrum (selon une division des compétences avec le seigneur qu’on a précisée dans la mesure du possible au cours du chapitre sur les comitati), et de police27. De ce fait, ce sont plus précisément eux qui contrôlent les poids et mesures, les ventes de vin dans les tavernes, etc.28. Sur le territoire ils sont chargés de la surveillance et du contrôle de l’état des routes et des chemins ; je reviendrai plus loin sur les officiers plus particulièrement chargés du respect de la coutume sur les champs et les incultes, mais il faut noter qu’il arrive aux consuls eux-mêmes de mettre la main à la pâte : c’est ainsi que, à Pernumia, ils doivent exercer des contrôles nocturnes dans les étables et vérifier que les bêtes ne sont pas allées vaguer dans la campagne sans autorisation29. Ils ont aussi à surveiller l’approvisionnement du village en eau potable : c’est à eux (ou au podestat) qu’il incombe d’obliger les groupes de voisins à réparer les puits en cas de besoin30. Leurs compétences sont donc multiformes, au point que les limites apparaissent en fin de compte assez mal entre elles et celles d’autres officiers, notamment celles des marici.
22Les communes rurales n’ont pas nécessairement des consuls (on peut l’avancer, en dépit de ce qu’a de hasardeux la distribution de la documentation). Par contre on rencontre partout des marici (ou marisi ou, parfois, publicani), même là où les consuls sont attestés, ainsi à Pernumia et à Piove31. Curieusement, le recueil de statuts de Pernumia ne leur fait pas de place alors que ce sont eux, bien plus que les consuls, que l’on voit généralement chargés de représenter les communes dans les actes de la pratique32. Il est vrai que la vision que suggèrent les statuts est très spécifique : il s’agit en général de problèmes qui regardent le terroir communal, la gestion des incultes, et donc, de plus en plus, d’actes d’aliénation auxquels sont conduites les communes appauvries ; s’y ajoutent des problèmes de délimitation, de mise en défens, etc. Cela dit, lorsque l’évêque de Padoue cède en livello le castrum de San Giorgio delle Pertiche à la commune de l’endroit, ce sont trois marici castelli qui la représentent officiellement, flanqués de trois notables sans titre particulier, et du gastald épiscopal33 ; mieux encore, lorsque va se généralisant l’institution du podestat, les délégués du même village auprès de l’évêque-comte, auquel ils demandent de leur en donner un, sont aussi des marici34 : il est donc clair que les faits majeurs de la vie « publique » du village passent par eux et qu’on peut, du moins dans ce cas précis, conclure à l’absence de tout corps de consuls35.
23A l’inverse, les statuts de Pernumia font allusion à des iurati dont la fonction, à les lire, est plus rigoureusement circonscrite : ils contrôlent l’état des canaux et des chemins, et ce sont donc eux qui suggèrent aux consuls (qu’on a vus concernés par ces questions) les améliorations à apporter ; ils ont ensuite à vérifier que les travaux qu’ils ont fait décider ont bien été exécutés36 ; ils ont, enfin, la charge de déterminer officiellement les limites de toute parcelle privée37. Les actes de la pratique ne sont pas sans introduire un certain désordre dans cette vision des choses : non seulement on voit souvent les iurati assister les marici dans les actes de vente ou de location des terres communales38, mais il leur arrive de les remplacer, plus rarement il est vrai39.
24Les finances d’une commune d’une certaine importance sont du ressort de deux catégories d’officiers (et ici ce sont de nouveau les statuts de Pernumia qui me serviront de guide). Les caniparii les gèrent, et donc versent le traitement de tous les officiers communaux, du podestat aux délégués les plus occasionnels40 ; le sindicus est celui qui fait payer les amendes (ou, parfois, les paie au nom de sa commune !), dont le produit est déposé dans la canipa comunis41. Au-dessus de tous, les cataveres contrôlent la gestion de l’ensemble des officiers, de même qu’ils veillent à déceler les fraudes éventuelles des particuliers à l’égard de la commune42.
25Consuls (et, bientôt, podestat), marici, sindici, caniparii, etc., ont besoin des services de notaires. Les statuts de Pernumia en prévoient deux pour la commune, l’un qui tiendra les écritures officielles, l’autre qui sera, au coup par coup, à disposition des officiers communaux. Ces notaires sont, avec le podestat, les seuls officiers dont, pour des raisons évidentes, on n’exige pas qu’ils soient des gens du lieu et y payant les taxes43.
26Au service des officiers compétents – c’est-à-dire de ceux qui ont à voir avec la surveillance du territoire communal –, mais bien souvent plus étroitement contrôlé, on l’a vu, par le seigneur banal (qui, de surcroît, peut avoir les siens propres), il y a le saltarius (ou les saltarii). Je ne reviendrai pas sur cette police de la coutume des champs et des incultes, sinon pour rappeler son omniprésence44.
27Telle ou telle commune particulière a parfois des officiers qui lui sont propres ; le castrum de Pernumia est doté de portenarii dont la fonction est, d’une part fiscale (ils taxent les vendeurs de lin, de blé et de vin qui entrent dans l’enceinte), d’autre part de surveillance, puisqu’il font garder la villa de nuit en cas de danger45.
28Curieusement, il n’est pas si aisé de se prononcer sur la durée de ces offices communaux. De façon générale elle apparaît égale pour tous, des consuls (et, plus tard, du podestat) aux saltarii, et la règle semble être d’un an : à Pernumia, par exemple, un statut qui fixe le salaire du sindicus le fait pour une durée d’un an46. Il semble que, peu à peu, des problèmes dont aucun document ne nous parle soient apparus et que ce laps de temps ait – du moins à Pernumia – semblé trop long ; toujours est-il qu’un statut daté de 1260, et donc relativement tardif, décide que les consuls, le syndic, le caniparius et les cataveres ne devront plus désormais être en charge que durant 6 mois, et ne seront rééligibles aux mêmes offices qu’au bout d’un an47.
29Doit-on considérer comme un cas tout à fait particulier la, puis les fédérations de communes que la documentation laisse apparaître dans le contado padouan, à savoir la Saccisica ? Leur évolution, bien engagée vers les années 1150, et accélérée par les mésaventures du comitatus épiscopal sous Barberousse, n’implique la création d’aucune institution, d’aucun office qui leur soit propre ; leur seul caractère original est une collégialité de marici (je rappelle que l’on peut considérer le consulat – du moins me semble-til – comme une excroissance tardive, et connue seulement à Piove), de iurati, de procuratores en cas de besoin, chaque commune se faisant représenter48.
30Signalons pour finir que, à Piove, l’augmentation de la population a provoqué une évolution semblable à celle qu’avaient connue Padoue et Monselice : transformée en une petite ville, elle se divise en 4 quartiers appelés centenaria, ce qui provoque le passage de 1 à 4 marici : en 1205 les 5 communes du iudicatus ont chacune un publicanus tandis que Piove en a 4, un par centenarium (je rappelle que publicanus est synonyme de maricus)49. Il est donc probable que les consuls désirés par les vicini en 1223 n’étaient autre que le même collège magnifié.
31Sans doute convient-il, au demeurant, de ne pas céder exagérément aux prestiges de la terminologie, et de relativiser l’image de ces administrations de contado, sinon pour les « quasi città » telles que Monselice ou Piove, du moins pour les communes rurales stricto sensu. Souvent manquent les notables instruits (à Boion le maricus vicinorum, Nicolò « Bissa » – « couleuvre », en dialecte ! –, est en 1207 un simple villanus, tenancier de Palma da Baone)50, et, encore davantage, manque une conception un tant soit peu abstraite des « finances » communales : quand les saltarii de Torre avaient affaire à des récalcitrants qui refusaient de payer les amendes, ils agitaient une cloche pour ameuter les gens du village ; puis, comme le précise un témoin à la demande d’un juge, une fois obtenues les dites amendes, tous en cœur en buvaient le produit. Les mêmes saltarii de Torre, à qui s’était approprié frauduleusement une portion de chemin et la labourait, infligeaient le paiement de 12 deniers. « Et qu’en faites-vous ? », demande le juge. « On les boit »51.
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32C’est à voir fonctionner les institutions des communes de conta-do qu’on perçoit les différences sociales, entre les grandes et les petites d’une part, au sein des grandes de l’autre. Différences qui iront s’accentuant.
33Seules les plus petites, entièrement composées de paysans ou presque (l’homogénéité pourrait-elle jamais être absolue ?), fonctionnent comme de véritables démocraties : ainsi lorsque, en 1210, la commune de Campagna (aujourd’hui Campagna Lupia) autorise son maricus à vendre une terre communale à l’évêque, 63 noms de socii, tous castellani du lieu, sont inscrits sur l’acte : on peut penser que ce sont à peu près toutes les familles qui sont représentées, du moins toutes celles qui jouissent des droits collectifs52.
34La situation sera donc très différente, non seulement dans le cas de structures communales complexes comme Monselice ou Piove, mais aussi lorsque s’introduisent dans un village les propriétaires citadins. Ce deuxième cas de figure étant chronologiquement tardif, il convient d’abord de chercher où se manifestent (d’emblée !), dans le premier, les clivages sociaux.
35Les officiers communaux émanent de la communauté, avec ou sans le contrôle d’une autorité seigneuriale. Mais c’est à ce point initial qu’intervient, dans les localités où elle est suffisamment marquée pour se manifester au grand jour, la hiérarchie sociale.
36Les statuts de Pernumia montrent une réalité humaine beaucoup moins homogène que celle de Campagna. L’assemblée des habitants porte un nom bien précis – et bien connu – la concio. On ne se fait pas faute de la convoquer en cas de besoin, c’est-àdire quand il s’agit d’imposer, pour la sécurité de tous, la même discipline à tous, riches ou pauvres. Ainsi l’est-elle, au son de la cloche, à la fin des années 1260, pour une révision des statuts sur les incendies53. De même, pour imposer une nouvelle taxation (colta) devant frapper toute la population, les consuls ont besoin de l’accord de la concio, ou de sa majorité (vel maior pars concionis)54.
37Or, précisément dans le même statut qui établit cette règle au sujet de la colta, il est écrit, par contre, pour ce qui est de la gestion au quotidien, que les consuls peuvent imposer toutes les décisions venues du consilium ou de sa maior pars. D’où il ressort que ces gros bourgs ruraux ont un système de représentation qui, tout comme celui de la commune dominante, donne le pouvoir de fait à une élite sociale. On ignore malheureusement quels sont les critères précis (si tant est qu’il y en ait) qui la distinguent. Mais alors que toute la communauté est appelée à la concio, en revanche l’appartenance au conseil est sélective et se marque par le fait qu’une amende de 5 sous frappe celui qui ne s’y rend pas55.
38Il y a plus : comme, d’ailleurs, dans bien d’autres communes de contado56, entre les autorités consulaires et le conseil « tout court » s’interpose un conseil restreint : la formulation des statuts de Pernumia, généralement floue, ne permet que très rarement de le distinguer ; dans un article élaboré entre 1225 et 1232 on le trouve, exceptionnellement, appelé par son nom, habituel en Italie du nord, de « credenza »57. Un statut tardif (il date de 1283) permet du moins de se faire une idée des proportions entre les 3 organismes : à cette date en effet, de la concio réunie, il est précisé qu’elle est composée de 180 personnes ; elle décide que 12 « conseillers » choisiront les 64 membres du consilium maius, soit 16 par quartier (on retrouve ici la division en quatre déjà constatée à Piove et qui existe aussi à Monselice). Il est donc permis de penser que les 12 « conseillers » initiaux constituent la « credenza »58. On remarquera que ces institutions peuvent connaître des éclipses puis-qu’il s’agit ici de recréer un grand conseil. Je ne saurais aller au-delà de cette constatation. Il apparaît en tout cas que, dans la deuxième moitié du xiiie siècle, la gestion de la commune est aux mains d’un collège d’une douzaine de personnes, soit environ le quinzième de la population présente à la concio, tandis qu’un grand conseil, réuni peut-être dans des circonstances exceptionnelles, en comprend le tiers.
39On est donc amené à constater avec P. Toubert, au sujet des centres semi-urbains, que le pouvoir dans la commune (consuls et/ ou podestat, plus conseil restreint) est, au moins tendantiellement, aristocratique59 ; mais ce milieu ne se laisse guère cerner concrètement, sauf dans les lieux les plus peuplés, comme Monselice où, à lire les listes de consuls, on perçoit fort bien qu’un groupe de milites et/ou d’alleutiers aisés (avec, parmi eux, comme à Padoue, des juges) s’assemble autour des deux ou trois grandes familles du lieu, d’ailleurs apparentées, da Fontana et Paltanieri. C’est ainsi que dans la première liste, celle de 1162, comme par exemple dans une autre de 1233, on trouve un Paltanieri – chaque fois nommé en premier : Frugerio filius Palterii (sic), puis Dominus Odelrico di Dominus Frugerio60. Dans un consilium comunis siègent, le même jour de 1233, Dominus Pesce (un autre Paltanieri), plusieurs autres Domini, dont le juge Aicardino, 6 notaires, etc. Rien là d’inattendu ! Il est manifeste que les Paltanieri, qui se parent du titre comtal à Tribano, mènent à Monselice une politique qui leur est propre, et qui se distinguera brutalement en 1237, au moment de l’arrivée d’Ezzelino61.
40La situation de Monselice n’est pas sans rappeler, mutatis mu-tandis, celle d’une autre « quasi città » comme Conegliano, au nord du Trévisan, avec cette nuance que la famille noble dominante y est plus puissante et mène, par moments, une politique d’indépendance hostile à Trévise, avant de s’en emparer : il s’agit des Caminesi. Tout un groupe de gens qui sont leurs vassaux, qui se désignent sous l’appellation très passe-partout de consortes, et qui s’identifient en fait à l’aristocratie militaire locale, feront longtemps la politique communale à Conegliano dans le sens voulu par leur seigneur. Il est significatif que le terme de consortes soit plus fréquemment employé que celui de vicini dans les manifestations de cette commune : il désigne ceux qui y ont le monopole de fait du pouvoir62.
41Il faut être très circonspect devant les occurrences du mot consortes dans le cadre des communes du contado padouan. On peut admettre, avec C. Wickham, mais seulement comme un premier – chronologiquement – de ses sens possibles, que les communautés paysannes villageoises sont formées de groupes, de parents souvent, mais souvent aussi de simples voisins ou encore de descendants de noyaux parentaux initiaux, en effet fréquemment appelés consortes, qui sont reliés les uns aux autres par un usage commun de la propriété, et plus particulièrement, cela va de soi, de celle des incultes63. En ce sens une communauté de vicini, à l’aube du mouvement communal, est sans doute assimilable à une association de consortes. Il est de fait que c’est aux xe-xie siècles et durant la première moitié du xiie que les consortes sont régulièrement mentionnés parmi les confronts. Dans un parcellaire encore en formation les entrées sont parfois communes64. Ensuite tout cela se fait rare65 et, tandis que disparaissent peu à peu les viae consorcium, surviennent au contraire – mais guère avant le xiiie siècle, ce qui est révélateur –, les contestations sur les droits de passage sur des chemins désormais appropriés, alors qu’ils demeurent les seules voies d’accès à des tiers66.
42Au xiiie siècle, dans les statuts de Pernumia comme dans ceux des actes de la pratique qui concernent des travaux d’utilité publique, le mot consortes se retrouve encore, avec un sens certes légèrement modifié par rapport à cette acception des xie-xiie siècles dont je viens de parler, mais qui suppose en elle son origine. Il s’agit tout simplement du groupe de voisins concerné par tout travail d’aménagement ou d’entretien d’un canal, d’un chemin, ou d’un pont d’intérêt purement local : ainsi à Pernumia, lorsque les iurati ont fait décider le creusement d’un canal pour raison d’utilité publique, ils vont ensuite contrôler que les consortes ont fait l’ouvrage67.
43Les choses sont donc, en fin de compte, assez claires : il y a désormais un sens du mot qui est de pure localisation, qui isole un groupe de voisins, tandis que l’on réservera l’usage de vicini, au contraire, pour l’ensemble de la communauté. Quant au sens social – celui que S. Collodo a rencontré à Conegliano –, il isole une élite : soit une aristocratie indigène, telle celle que l’on vient de voir dans le conseil à Monselice, et que l’on rencontrera aussi, bien installée, dans les terroirs de modestes villages (groupes de nobles parents et alliés)68, soit un réseau de citadins d’origine variée, comme les consortes qui se partagent les frais et les bénéfices de la mise en valeur des incultes de Polverara et de Bagnoli. Il est inutile de revenir plus en détail sur la composition de ces groupes à ce niveau de l’analyse ; il faut encore, toutefois, s’interroger : dans quelle mesure ces aristocrates, anciens ou de fraîche date (très fraîche parfois), conditionnent-ils le fonctionnement des institutions communales ? Pour ce qui est des seigneurs châtelains, que les hasards des héritages les aient réunis (ou maintenus) en consorterie ou non, l’étude des comitati a montré qu’il leur suffit d’exercer un contrôle sur la nomination des officiers locaux, si bien qu’ils permettent, voire suscitent, l’autogestion.
44Les défricheurs citadins, devenus propriétaires, et consortes en ce sens qu’ils sont, non seulement intégrés à l’élite locale, mais qu’ils la dominent, ont une attitude plus hypocrite et bien plus dangereuse pour la masse des villageois : ils phagocytent à leur propre profit les offices communaux.
45C’est ainsi, par exemple, qu’en 1204, le maricus comunis de Bagnoli est un Mangiavillano, usurier padouan au nom évocateur69 ; de même, en 1226, l’évêque de Padoue voit devant lui, représentant le village de Legnaro, dans cet ouest de la Saccisica où il n’avait longtemps eu affaire qu’à de modestes tenanciers, un groupe de consortes, tous padouans, et accepte l’un des leurs pour podestat du lieu : il s’agit d’un Dominus Guicemanno, père du juge Spinabello70. Les paysans n’ont plus rien à y voir. Il s’avère que le pouvoir citadin tend à éliminer en même temps les seigneuries et l’auto-gestion des ruraux : les formes de l’institution demeurent, mais les premiers intéressés vont peu à peu être exclus de son fonctionnement concret71.
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46Dernière question, par conséquent : comment réagissent les communes du contado face à l’emprise nouvelle de la ville dominante ? Les réactions, mais aussi cette emprise elle-même, sont directement fonction du contenu social des divers types de commune : autrement dit, Piove n’aura pas du tout les mêmes que San Giorgio delle Pertiche, voire que Corte di Sacco.
47Dans un cadre chronologique qui ne dépasse pas 1237 (là encore l’époque d’Ezzelino provoquera une cassure) il est exclu de parler d’une domination homogène du contado par la commune de Padoue. L’évolution institutionnelle vers le podestariat témoigne de cette diversité des statuts : majoritaire sans doute, elle n’est pas générale dans le contado padouan – du moins pas encore ; d’autre part la commune padouane est loin d’être toujours à l’origine de la nomination du podestat : même après 1213 le marquis gardait, semble-t-il, la juridiction sur Este72. Qu’en était-il ailleurs ?
48A tout seigneur tout honneur : commençons par Monselice, où c’est quelque chose comme un sentiment de rivalité qui pousse à la création précoce du podestariat (le premier témoignage date, je le rappelle, de 1179). Il ne s’agit pas d’une quelconque marque de soumission à Padoue : le podestat Vinicello, le premier connu, est un homme du lieu, et selon toute vraisemblance, il est choisi par l’élite locale73. L’institution semble, on l’a vu, connaître des éclipses, en fonction de problèmes qu’on ignore. Toujours est-il que le cas de Monselice est clair au moins sur un point : pour l’instant, l’autonomie n’est pas remise en question. A Monselice la classe dirigeante a des composantes fondamentalement semblables à celle de Padoue. Le rôle de la commune dominante est, plutôt qu’autre chose, de fédérer les divers noyaux de clientèles aristocratiques de l’ensemble du territoire. Et, bien sûr, les juges du podestat padouan forment, le cas échéant, une cour d’appel74 ; de ce fait, ils ont un pouvoir de décision auquel ils prétendent soumettre les consuls de Monselice75. Mais l’intervention directe s’arrête là.
49L’autonomie de Piove a des caractéristiques différentes. La petite aristocratie locale, d’origine arimannique, n’a pas à sa tête de grandes familles de niveau « comtal », mais un comte-évêque imposé de l’extérieur. L’évolution particulière de cette commune jusqu’à la veille de la domination de da Romano est bien connue depuis un article déjà ancien de Paolo Sambin : durant la première moitié du xiiie siècle elle a, par étapes puis brutalement sur la fin, éliminé la juridiction comtale de l’évêque au profit de ses propres institutions représentatives76 : en 1223, on l’a vu, ses représentants en sont encore à se déplacer jusqu’à Padoue pour demander à l’évêque de confirmer les consuls qu’ils ont choisis77 ; en janvier 1236, le vicarius du podestat de Padoue, qui avait, à la demande de l’évêque, condamné l’élection d’un podestat par la commune de Piove, (élection faite sans l’accord du comte-prélat), se reconnaît en fin de compte incompétent et déclare laisser cette affaire à des « juges délégués » ; c’est sans doute à ces mêmes juges (un certain magister Alberto, un plebanus nommé Enrico et un chanoine de Trévise, Bonifacino), désignés par la cour pontificale, que s’adresse, dans une lettre de datation incomplètement lisible, un sindicus de l’évêque qui dénonce, en termes très généraux, l’appropriation du pouvoir par la commune de Piove78. On ignore l’issue du procès.
50Le passage du consulat au podestariat est donc, dans les années 1230 à Piove, l’expression d’une volonté d’émancipation complète vis-à-vis de la seigneurie locale ; non seulement l’autorité de la commune urbaine n’a rien à y voir, mais ses plus hautes instances elles-mêmes le reconnaissent. Quant à la nature aristocratique du milieu qui impose ce coup de force, elle peut se déduire du nom du podestat choisi : celui-ci n’est autre que Marsilio di Gualperto, c’est-à-dire un parent du vicedominus Forzatè ; il ne fait pas de doute qu’une clientèle de consortes joue le jeu de la famille désormais dominante à Sacco, au détriment du pouvoir seigneurial de l’évêque qu’un membre de cette même famille était censé représenter depuis désormais deux générations79.
51Dans de plus modestes communes certaines évidences apparentes peuvent être trompeuses : Pernumia, en 1224, est dotée d’un podestat qui est un notable padouan, Dominus Pietro di Enrigeto Pizolo80. Mais est-il déjà nommé par l’autorité communale urbaine ? Il est d’une famille assez intégrée à l’endroit81. Il faut revenir ici sur l’exemple de Legnaro, cité plus haut : en 1226 c’est l’évêque-comte qui consent à la nomination d’un podestat qui est lui aussi un notable padouan, par des propriétaires qui le sont également82. Bref, domination sociale citadine ne signifie pas assujettissement politique, du moins avant Ezzelino : le jeu des institutions locales continue de s’exercer librement.
52Deux choses, décidément, frappent à la lecture des documents : la longue résistance des seigneuries d’une part, l’hostilité des ruraux à la domination citadine et leur attachement conservateur, et sans doute justifié, au maître traditionnel, d’autre part. En effet, si les noyaux aristocratiques tendent à s’en émanciper, comme on vient de le voir à Piove, les paysans des communes rurales stricto sensu ont à l’occasion une attitude inverse.
53C’est ainsi que, à San Giorgio delle Pertiche, où la commune urbaine s’efforce d’imposer sa juridiction83, il apparaît clairement que les habitants tiennent à voir maintenue l’autorité du comte-évêque, en dépit des prétentions citadines. En 1224, au cours d’un procès, un témoin déclare que désormais c’est la commune de Padoue qui y a le comitatus, mais, comme l’a remarqué P. Sambin, il s’agit de l’un de ceux qui parlent pour l’adversaire de l’évêque84. On est sans doute dans une situation de conflit : dans un document antérieur d’un an seulement, on voit un prêtre du lieu déclarer que le podestat de Padoue s’oppose à l’exercice du pouvoir épiscopal, tandis que l’archiprêtre, quant à lui, continue à dire que l’évêque y a segnoriam et dominacionem85. La population semble répondre aux prétentions citadines par une sorte de résistance passive ou, pour être plus précis, en faisant la sourde oreille : en 1235 encore, ses représentants viennent à Padoue demander à l’évêque, en tant que comte du lieu, de désigner leur podestat pour l’année à venir, ce qu’il fait, en choisissant un notaire, Bartolomeo di Pietro « Romano »86.
54Il semblerait donc, à en juger par cet exemple, à vrai dire le seul à fournir des données si précises, que, là où elle rencontrait les résistances conjointes de la population et du maître traditionnel, la commune urbaine pouvait finir par tolérer le maintien de l’ancienne seigneurie, dernier rempart de l’autogestion des communautés rurales : encore en 1260, je le rappelle, l’évêque sera en mesure, par l’intermédiaire de son gastald, de désigner, avec l’accord des habitants, le maricus de Monterosso comme sindicus de cette même commune pour en défendre les droits87. Pragmatiques, les autorités padouanes ne se souciaient pas d’imposer leur juridiction a priori : elles le faisaient là où cela correspondait à l’avancée des intérêts immédiats de la classe dirigeante urbaine (on le voit bien dans des villages proches comme Busiago et Polverara). Et même cette assertion va peut-être trop loin : comme le montrent les exemples de Bagnoli et Legnaro – et aussi, dans une certaine mesure, celui de Pernumia, avec son podestat commerçant padouan –, il pouvait suffire à cette classe dirigeante de s’introduire dans les instances représentatives de ces communes pour assurer ses intérêts. Dans la mesure où, d’une part, elle était moins directement concernée, et où le seigneur n’avait pas les moyens de se poser en rival (seul le marquis avait de quoi le faire) ainsi que le suggère l’exemple de San Giorgio delle Pertiche, elle pouvait laisser la seigneurie persister. En fin de compte, entrent dans ce jeu, d’une part la composition sociale plus ou moins complexe (ou devrait-on dire plus ou moins « urbaine » ?) de chaque lieu, d’autre part le niveau plus ou moins élevé de pénétration des fortunes citadines. C’est ce second facteur qui s’avèrera déterminant en dernière instance88.
Notes de bas de page
1 G. Chittolini, « Quasi città ». Borghi e terre in area lombarda nel tardo medioevo, dans « Società e storia », 47, 1990, p. 3-26. Dans un article récent, Silvana Collodo utilise l’expression de « comuni di contado » pour désigner ce qui unifie les simples villages et les petits centres urbains face à la commune dominante – celle de Trévise dans ce cas précis – (S. Collodo, I « vicini »..., p. 271-297).
2 Ainsi P. Toubert (dans son article Les statuts communaux et l’histoire des campagnes lombardes au xive siècle, dans Id., Études sur l’Italie..., p. 413) parle, dans le cadre des campagnes du nord de la Lombardie, d’une collectivité fondée sur la solidarité économique née de la coexistence de la propriété privée et de la propriété collective » : quand naîtront les difficultés pour la collectivité, elles provoqueront, et la fin de la propriété collective, et celle de la solidarité.
3 S. Bortolami, Comuni e beni comunali..., p. 555-584 (avec des documents en appendice).
4 Le livre de S. Bortolami, Territorio e società..., bien que centré sur l’exemple de Pernumia, contient une synthèse sur le fait communal dans le conta-do padouan (plus particulièrement, bien sûr, le chapitre 4, « Contadini e signori », où est prise en compte, entre autres, la dialectique des relations entre seigneur et arimanni). Cf. aussi, du même auteur : Per Abano medievale..., p. 107-218 ; Signoria cittadina e comuni rurali... On trouvera la bibliographie antérieure sur le sujet, pour le Veneto, dans le livre sur Pernumia (notes des pages 11 à 15). Pour le présent, il convient d’ajouter aux travaux de Bortolami le récent article de S. Collodo, cité en note 1.
5 C’est, sinon plus vrai, du moins encore mieux mis en évidence par la documentation dans le contado de Vérone : dès 1091 les vicini de Bionde obtiennent du chapitre cathédral la reconnaissance de l’élection d’un officier local, le gastald qualifié pour juger des délits mineurs ; il s’agit là, remarque A. Castagnetti, de l’une des premières conventions de ce genre connues pour l’Italie du nord (A. Castagnetti, « Ut nullus incipiat hedificare forticiam ». Comune veronese e signorie rurali nell’età di Federico I, Vérone, 1984, p. 10). Je rappelle que la première apparition des consuls à Vérone date de 1136 et que, encore en 1107, lors d’un traité avec Venise, 44 citadins sans aucun titre représentent leur ville (cf. supra, p. 336). Peut-être a-t-on des témoignages presque aussi anciens, dans le Padouan, pour Montagnana et Megliadino, si l’on admet avec S. Bortolami que le Giso decanus, tenancier du marquis à Megliadino, et le Baruza decanus, tenancier à Montagnana, qui apparaissent dans une liste de biens de 1097, sont effectivement des officiers communaux de ces lieux et à ce moment, ce qui est possible mais, me semble-t-il, incertain (S. Bortolami, Comuni e beni comunali..., p. 562, note 11).
6 Sur le nécessaire dépassement du stade de la démocratie d’assemblée dans les villes, et sur son caractère inévitablement tardif, cf. G. Dilcher, I comuni italiani come movimento sociale e forma giuridica, dans L’evoluzione delle città italiane nell’xi secolo, Bologne, 1988, p. 71-98. L’auteur, qui se fonde surtout sur l’exemple de Milan, insiste sur le fait que la commune est le dépassement de ce qu’il appelle « lo stimolo emozionale e la democrazia carismatica dell’assemblea plenaria » (p. 82). C’est ainsi que les unions de paix jurées entre les citoyens durant la Pataria sont une forme préparatoire, ou anticipatrice, mais ne sont pas encore la commune (p. 92).
7 C D P, 2/1, no 74. Cf. supra, p. 299, note 118 (on y trouvera le texte du document concerné).
8 Ibid., no 192. Ce que cette union, sous des officiers agissant en commun, a de fugitif interdit d’aller loin dans la comparaison avec les fédérations montagnardes de la haute Lombardie étudiées par P. Toubert, qui ont pu durer des siècles (P. Toubert, Les statuts communaux..., p. 433-444). Sur les subdivisions de Sacco, cf. supra, p. 299-301.
9 C D P, 2/2, no 685. Il est fait mention, vers la fin du texte, de ministrales Pernumie : il s’agit sans doute de saltarii (au demeurant Pernumia n’a pas le caractère urbain de sa voisine). Il est en effet prévu que, si bestias popullus Montissilicis ministrales Pernumie ibi invenerint, pignorare debere et nil aliud facere. Comme le remarque S. Bortolami (Territorio..., p. 114), une solidarité d’intérêts rassemble le populus autour des communia.
10 C D P, 2/2, no 775.
11 E. Zorzi, Il territorio..., doc. 11, p. 304 : Interrogatus si comune et homines Sancti Georgii de perticis et Sancte Iustine in Collo et de Budris et Casellis pro suis comunibus solum modo habent ius ponendi maricos in suis villis et territoriis, un témoin répond, sic, excepto comuni Sancti Georgii de perticis qui ponit maricum consilio gastaldionis domini episcopi.
12 Ibid.
13 A C P, Villarum, 6 : Monterosso, 1.
14 S. Bortolami, Per Abano medioevale..., p. 127-128. Si mon hypothèse était juste elle infirmerait celle de l’auteur, pour lequel ces « elementi fortificati che sono attestati nella campagna aponense... non ebbero mai alcuna rilevanza sotto il profilo della organizzazione territoriale ».
15 Il arrive, exceptionnellement, que l’autorité en question se situe à un niveau très supérieur : A. Castagnetti a rappelé comment la communauté de Lazise, au bord du lac de Garde, s’était toujours maintenue libre de toute juridiction seigneuriale et n’avait affaire, depuis le xe siècle, qu’à l’empereur lui-même, qui lui avait cédé puis confirmé le droit de se fortifier, de pêcher et de commercer sans ingérence des pouvoirs publics (A. Castagnetti, « Ut nullus incipiat »..., p. 2224).
16 C D P, 2/1, no 232 : les vendeurs d’une terre tenue en livello de la commune déclarent à l’acheteur (en l’occurrence San Giorgio maggiore de Venise) : debetis solvere vicinis vel comuno ipsius terre de Sacco in die sancti Martini vel antea denarios sex Veronenses (c’est moi qui souligne).
17 On trouvera dans l’article de P. Toubert, Les statuts communaux..., un rappel historiographique (p. 412-413).
18 A. Checchini, Comuni rurali..., p. 131-184 ; sur les vicini, cf. les p. 141 et 145 et suivantes. De même l’organisation des collectivités en vicinie est la norme dans le Trévisan voisin – norme qui se manifeste dès les premiers documents où apparaissent des communautés – (S. Collodo, I vicini..., p. 271-273).
19 P. Toubert, Les statuts communaux..., p. 412-413.
20 A S V, C D Lanfranchi, 25 avril 1188.
21 Voici quelques occurrences des divers termes signalés : en 1137 les « Saccensi » cèdent en location (ad fictum) une terra communis iuris viciniorum Saccensium (C D P, 2/1, no 318 : c’est ici le cas de rappeler que communis a été employé comme adjectif longtemps avant de désigner une institution) ; en 1188, à Rosara-Melara, se réunissent 2 marici, 7 personnes qui se dénomment convicini, et alii omnes pro nostro comuni (L. Lanfranchi éd., San Giorgio maggiore, t. 3, no 492 et no 493) ; à Galzignano, en 1220, 4 electi concèdent une terre en livello, in plena vicinancia comunis, et il est précisé que les 2 deniers du loyer seront versés au massarius comunis : le terme comunis englobe vicinancia et massarius comme les parties (concrètes) d’un tout (abstrait) : A S P, Corp. Soppr., Santa Maria della Riviera, t. 12, p. 7d ; de même en 1255 on retrouve les publicum consilium et vicinancia comunis de Galçignano 6f ; à Bagnoli, en 1213, environ 40 personnes constituent le consilium comunis qui vend une terre, mais une parabola omnium vicinorum est ensuite jugée nécessaire pour la confirmer (B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 452) ; à Pernumia, en 1224, des venditores de terra comunis agissent in plena concione, et pleno populo (A S P, Corona, no 39/ 42) ; à Boion, en 1207, le maricus se dit maricus vicinorum de Bullone, mais il est vrai que dans ce cas la commune englobe un ensemble de lieux ayant Corte à leur tête (A C P, Villarum, 3 : Corte, 7). Cette série d’exemples me semble suffisante pour conclure que le maintien des termes vicini ou vicinatus n’est pas un archaïsme lié à une habitude de langage, comme le suggère S. Collodo à partir de documents qui concernent la commune de Conegliano (S. Collodo, I « vicini »..., p. 278), mais relève plutôt d’un usage conscient de la terminologie.
22 A S P, Corona, no 39/42 (cf. note précédente) ; S. Bortolami, Comuni e beni comunali..., doc. 2, p. 582-583, a. 1192 ; Dondi, Dissert., 7, no 30, a. 1223. Dans le cas de Piove il semble bien qu’il s’agisse d’une innovation institutionnelle tardive : on a vu plus haut que, dans la première moitié du xiie siècle, l’évêque n’autorise explicitement que des marici dont, de surcroît, il contrôle la nomination, tant à Piove qu’à Corte. Longtemps on ne voit qu’eux. Par conséquent lorsque, en 1223, plusieurs délégués venus de Piove se présentent au palais épiscopal, déclarent nos de Plebe elegimus consules, et demandent à l’évêque d’en confirmer le choix, il s’agit très vraisemblablement d’une innovation.
23 Cf. note précédente : S. Bortolami, ibid. ; A S V, C D Lanfranchi, 15 juin 1197.
24 On a trois listes échelonnées dans le temps : en 1162 (cf. supra, note 10), 1165 (C D P, 2/2, no 864) et 1174 (no 1139). Sur le consulat et le podestariat à Monselice, on consultera désormais l’article de S. Bortolami, Monselice, « Oppidum opulentissimum »..., p. 118-120.
25 Ibid., no 1337.
26 En 1208 deux consuls se voient signifier une décision des autorités de Padoue (A S V, San Zaccaria, B. 21, 7 mars) ; en 1216, lors de la délimitation, par la commune, de la domus de San Zaccaria à Monselice, le podestat est absent mais nommé, et un consul (unique) le représente officiellement (ibid., 12 juin). En 1179 c’était à l’occasion d’une cession de biens communaux en livello qu’on voyait le podestat pour la première fois ; ensuite, dans des circonstances semblables, il n’apparaît plus : en 1206 ce sont 4 consuls qui se chargent de la même transaction, flanqués de 3 venditores, et, en 1227, ils sont 3 avec un caniparius (ibid., B. 25, 16 juin 1226 ; A Vat., Fondo Veneto, 1, San Giacomo de Monselice, no 5951).
27 A Pernumia l’article 148 du statut donne aux consuls (ou au podestat) la tâche de tenir le liber forbannitorum et d’y inscrire qui tombe sous le coup de la loi (S. Bortolami, Territorio..., p. 208). De même ils peuvent mobiliser des habitants ad capiendum aliquos forbanitos (ibid., no 180, p. 213).
28 Ibid., art. 44, p. 189 (De falso pondere et mensura) ; art. 43, p. 188-189 (De vino taberne vendendo et de ipso vino ad modum ponendum).
29 Ibid., art. 207, p. 218.
30 Ibid., art. 151, p. 208-209 : De reformatione cuiusque putei. Dans les quelques articles des statuts de San Giorgio delle Pertiche (fin xiiie siècle) qui nous sont restés, c’est un massarius qui taxe les ventes de vin et de pain des taverniers, alors qu’à Pernumia c’est une tâche des consuls. On le voit, il serait vain de tenter de prêter à cette terminologie une rigueur qu’elle n’a pas (A. Checchini, Comuni rurali...., appendice, art. 5, p. 176).
31 A Pernumia, en 1205 (publicani et iurati : A S P, Corona, no 39/28) ; à Piove, la même année, 4 publicani, qui correspondent aux 4 quartiers de la ville (ibid., Dipl., no 671). Pour ce qui est de l’assimilation des plovegani aux marici, cf.
B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 376, a. 1204 : les mêmes hommes ont tantôt un titre, tantôt un autre. Cela dit, tout se confond dans les villages dont les besoins en officiers communaux sont parfois limités : à Cartura, un même homme est à la fois massarius, pluvicanus et iuratus comuni Carture, tandis que d’autres l’assistent, qui ne sont que iurati (A S P, Dipl., no 936 et no 958, a. 1214).
32 De même, dans le voisin Trévisan, S. Collodo montre que le maricus tient la première place parmi les officiers communaux des villes et villages du contado (S. Collodo, « I vicini »..., p. 283-284 et 290).
33 Dondi, Dissert. 6, no 145, a. 1195.
34 Id., Dissert. 7, no 82, a. 1235.
35 Le cas de San Giorgio delle Pertiche étant mis à part, voici quelques exemples d’interventions des marici, dont on pourra constater que les occasions sont assez constamment semblables : en 1199, à Urbana, ils sont chargés de mettre le pré communal en défens d’avril à août, de façon que la commune puisse ensuite vendre le foin (S. Bortolami, Comuni e beni comunali..., doc. 1, p. 570) ; en 1188, à Rosara-Melara, ils vendent des biens communaux (L. Lanfranchi éd., San Giorgio maggiore, t. 3, no 492 et no 493) ; en 1204 ceux de Tribano sont en procès avec celui de Bagnoli (seul mais, il est vrai, flanqué d’Uguccio da Carrara) au sujet des espaces de pâture des deux communes et, plus précisément, des revenus de la saltaria (B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 376) ; en 1210 les 63 castellani de Campagna autorisent le maricus de leur commune à vendre une terre à l’évêque (A C P, Episcopi, t. 1, non numéroté) ; en 1215, ce sont les publicani de Conselve et Bagnoli qui reçoivent pour leurs communes l’interdiction, par le podestat padouan, d’utiliser les terres défrichées par le monastère de Brondolo (B. Lanfranchi-Strina éd., ibid., no 501) ; en 1218 un publicanus, avec 5 procura-tores et venditores nommés pour l’occasion, cède une parcelle boisée du monte Salarola au monastère de ce lieu, au nom de la commune de Valle San Giorgio (A S P, Dipl., no 996) ; etc. On remarquera que, en général, il n’y a qu’un maricus ou deux.
36 S. Bortolami, Territorio..., les articles 77, 78 et 79, p. 194-195. Ils passent huit jours par an, de la Saint-Martin à la Sainte-Justine, à faire une tournée d’inspection du territoire communal (art. 77).
37 Ibid., no 81, p. 195-196. En 1186 on voit les iurati de Piove identifier le parcours d’une fossa faisant limite (E. Malipiero-Ucropina éd., S. Secondo..., no 42).
38 A Rosara-Melara en 1204 (A S V, San Giorgio maggiore, B. 91, Proc. 372, 10 avril) ; à Pernumia en 1205 (A S P, Corona, 39/28) ; à Corte en 1212 (Dondi, Dis-sert. 6, no 174) ; etc.
39 Ainsi à Corte, en 1188, ce sont 4 iurati (le chiffre est lui aussi exceptionnel) qui aliènent une terre communale (cf. supra, note 20).
40 S. Bortolami, Territorio..., par exemple l’article 182, p. 213, sur le salaire du podestat. Dans la logique de cette fonction, c’est le caniparius qui, à Galzignano, reçoit le loyer d’une vigne de propriété communale (A S P, Corp. Soppr., Santa Maria della Riviera, t. 12, p. 7e, a. 1235).
41 Ibid., art. 157, p. 209 (De pignoribus qualiter debeat facere luere). Cela dit, le terme sindicus semble parfois utilisé pour désigner des délégués occasionnels de la commune, notamment pour la représenter à l’occasion d’une vente : ainsi, en 1205, une terre communale de Piove est aliénée par 2 sindici, actores et procura-tores comunis Plebis et villarum illius iudicatus (A S P, Corona, no 5115 a). Par contre on est dans la logique de la fonction, telle que nous la font connaître les statuts de Pernumia, lorsqu’on voit le sindicus de Roncaiette désigné comme procurator par la vicinancia pour payer une amende à San Giorgio maggiore, sur l’ordre du podestat de Padoue ; de même le procurator apparaît bien ici pour ce qu’il est en général, à savoir quelqu’un qui est chargé de régler une affaire particulière (A S V, San Giorgio maggiore, B. 81, Proc. 316, A ; 14 et 16 janvier 1236).
42 S. Bortolami, ibid. : art. 169, p. 211 (daté de 1232) : les cataveres enquêtent sur la gestion des officiers communaux, et ce statut envisage plus particulièrement le cas de qui s’est fait payer deux fois ! Art. 170 : sur les fraudes des particuliers ; art. 171 : serment exigé des cataveres ; art. 172, p. 212 : sur l’obligation de se rendre aux convocations des cataveres lors de leurs enquêtes, etc.
43 Ibid., articles 88 (p. 197) et 109 (p. 202).
44 Curieusement, à Pernumia, on distingue pour cette besogne les saltarii et les scamberani (ou scamberarii), sans qu’il soit possible de voir ce qui les distingue : au demeurant les gens de Pernumia, avec le temps, avaient eux aussi fini par ne plus faire la différence puisqu’un statut édicté entre 1234 et 1239 supprime le second terme et décide qu’il n’y aura plus désormais que des saltarii (art. 192, p. 215).
45 Ibid., art. 64, p. 192 ; 128, p. 205.
46 Art. 55, p. 191.
47 Art. 195, p. 216.
48 Sur ces subdivisions de Sacco, cf. supra, p. 299-300.
49 A S P, Dipl., no 671. Les centenaria de Piove sont : Santa Giustina, Pozzo Bruno, San Martino (le centre pléban) et San Nicolò.
50 A C P, Villarum, 3 : Corte, 7.
51 A C P, Villarum, 8 : Ronchi nuovi, 3, a. 1198 : et postea pro comuni Turri, bibebant illa pignora ; Feuda episcopi, 1, no 171, a. 1198 : et eos bibimus.
52 A C P, Episcopi, 1, non numéroté : il y a, cela dit, un magister parmi les signataires.
53 S. Bortolami, Territorio..., art. 212, 213 et 214, p. 219 :...comune et ho-mines Pernumie in plena et magna concione ad sonum campane et voce preconia more solito congrega(tus).
54 Art. 117, p. 204 :...tamen... quod non possint imponere coltam hominibus Pernumie nisi fuerit dictum et affirmatum in concione vel per maiorem partem concionis.
55 Art. 89, p. 192-193.
56 Ainsi en Lombardie : cf. P. Toubert, Les statuts communaux..., p. 421-423.
57 Je rappelle que les statuts de Pernumia suivent un ordre purement chronologique (S. Bortolami, Territorio..., p. 113) : 1225 (article 91, p. 198) est la première date consignée, suivie de 1232 (no 169, p. 211) ; c’est dans l’article 118 (p. 204) qu’apparaît le mot credencia. Bien entendu il est exclu d’en déduire quoi que ce soit quant à la date de création du conseil restreint. En général les rédacteurs se contentent de distinguer consilium maior et consilium minor (cf., par exemple, l’art. 242, p. 225).
58 Article 239, p. 223-224. Ce nouveau grand conseil est nommé pour répartir les dettes de la commune.
59 P. Toubert, Les statuts communaux..., p. 421 (où il s’agit de l’exemple d’une commune de toute façon nettement plus peuplée : Lecco, au bord du lac de Côme).
60 C D P, 2/2, no 775 ; A Vat., Fondo Veneto, 1, San Giacomo de Monselice, no 5988.
61 Cf. infra, p. 744.
62 S. Collodo, I « vicini »..., p. 279-280.
63 C. Wickham, Early Medieval Italy..., p. 121 : l’auteur clarifie assez bien cette théorie lorsqu’il développe l’exemple (repris, au demeurant, de Salvioli : cf. infra, note 65) des copropriétaires ruraux de Flexo, aux xe-xie siècles, dont il remarque qu’il s’agit le plus souvent d’extensions de groupes parentaux plus ou moins artificiels.
64 Cf., parmi bien des exemples : C D P, 1, no 40, a. 950 : Terra casalina... de alio latus nostris consortes abente... ; de uno capite gresso (sic) commune percurrentem (et on est à Padoue !) ; no 62, a. 976 : sur un côté d’une terra arba à Rovolon,...consortes abet ; no 84, a. 1006 : de alio caput ingreso cummuno percurrente (il s’agit d’une vigne à Zovon) ; no 85, a. 1008 : de ambabus lateribus meis consortes (vigne à Arzere di Sacco) ; no 123, a. 1031 : une terra aratoria à Verzegnano, aux environs de Padoue, a pour confronts de uno latus nostris consortes, uno capite nostris consortes ; no 263, a. 1081 : de alio latere et uno capite consortes (vigne à Arzerello di Sacco) ; 2/1, no 197, a. 1130 : 3 terre aratorie sont vendues ensemble à Rivale (dans l’est), et 2 ont pour confronts in circum nostri consortes, in circuitu nostri consortes ; 2/2, no 944, a. 1168 : à Savelone, lieu-dit de Monselice, parmi les confronts d’une terre de 1,5 campo, entourée de fossés mais encore boscalia et paludicia, on trouve ex alio latere Presbiterellus cum Coitarella et aliis consortibus, de alio via consorcium, etc.
65 G. Salvioli, l’un des tout premiers à s’être proposé de clarifier les origines des consortes ruraux, avait bien vu que le Duecento était le moment de leur disparition. Il écrivait en effet : « I consorzi agrari si mantennero per molti secoli, ma dopo il 1200 cominciarono a scomparire », et cela du fait des « successive alienazioni delle quote consorziali che si trasformarono in proprietà private, o per le divisioni che volontariamente fecero i consortes »(G. Salvioli, « Consortes e colliberti » secondo il diritto longobardo, dans « Atti e memorie delle RR. deputazioni di storia patria per le provincie modenesi e parmensi », 2, ser. 3, 1884, p. 219).
66 Cf., parmi d’autres : A S P, Corona, no 3153, a. 1217 : le monastère San Pietro de Padoue réclame quadam via à Arzere di Sacco, que lui refusent deux voisins, alors qu’il s’agit d’un chemin (qui) vadit ad quandam vineam Sancti Petri, et le juge lui donne raison ; ibid., no 3154 : au cours de l’échange de deux terres à Piove, il est signalé que le même monastère habet viam per terram Iacobini de Aldericis, veniendo ad viam de presbitero Bernardo. Ces deux exemples font comprendre cette raison essentielle de la disparition des viae consorcium qu’avait bien perçue Salvioli : le jeu continu des échanges, ventes, achats, etc., en disloquant l’unité initiale du groupe de terres relevant d’un noyau de consortes, rend intenable le maintien des servitudes de passage.
67 S. Bortolami, Territorio..., art. 78, p. 194 : utrum illi dosones erunt vel fuerint per consortes ad terminum ; ou encore l’article 79, p. 195 :...quod ille consors qui habet suam terram supra vel iusta dosonem statutum debeat medietatem illius dosonis iusta suam terram a suo latere... cavare et curare.
68 A Sermazza deux familles châtelaines, les da Fontaniva et les da Marostica, et les cattanei da Vigonza, sont consortes des communia du lieu (C D P, 2/1, no 79 et no 237, a. 1116 et 1132). A Urbana les milites, on l’a vu, ont reçu en fief du marquis la colta due par le village (cf. supra, p. 343).
69 B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 376.
70 A C P, Villarum, 6 : Legnaro, 3 et 4.
71 En fin de compte, on a longtemps mal posé le problème de la « sujétion » des villages à la commune urbaine, dans la mesure où on l’a considéré seulement du point de vue institutionnel. Dans son article sur « la polizia campestre » dans le contado de Trévise (élaboré à partir des statuts), Biscaro écrivait ceci : « il capitolo (sui merigi) dimostra come l’accentramento dei poteri, giudiziario e legislativo, nel Comune-Città non avesse del tutto annullato le antiche autonomie delle piccole comunità del territorio » (G. Biscaro, La polizia campestre negli statuti del comune di Treviso, dans « Rivista italiana per le scienze giuridiche », 33, 1902, p. 29). Il avait raison du point de vue de l’histoire du droit mais, de même que, lorsqu’un jugement de valeur est porté, il faut savoir qui parle pour évaluer ce jugement, de même il faut savoir qui incarne l’institution, qui parle et agit au nom du village, bref, qui s’est installé dans le cadre institutionnel : de ce point de vue les villages les plus éloignés ou les plus isolés par rapport à la ville sont ceux où ce cadre aura le plus de chances de demeurer rempli par ceux qui l’avaient bâti (c’est ce qui explique la nature durablement démocratique de maintes vallées montagnardes). Je me permets de rappeler ici qu’on a vu à quel point était fondamentale cette question du locuteur dans le cas de l’usage du terme arimanni autour de 1200, lorsqu’il signifiait désormais « liberté » pour les intéressés, et presque l’inverse pour les notables juristes.
72 I. Alessi, Ricerche istorico-critiche delle Antichità d’Este, Este, 1776 (réimpr. anast., 1982), p. 706. A aucun moment on ne voit de statut padouan interdire au marquis d’exercer sa juridiction. Ce qui est sans doute imposé est le contrôle du podestat padouan, autorité supérieure. C’est sans doute aussi pour cette raison, selon Alessi, que le compromis de 1260 pourra laisser le marquis retrouver cette juridiction sur ses terres du Padouan, criminelle incluse, étant toutefois entendu que toute violence d’un de ses sujets envers un Padouan devrait être jugée à Padoue par le podestat. De même le marquis paierait la colta communale, guerroierait avec la commune et ne commercerait pas avec ses ennemis. Sans doute y avait-il, dans ces dispositions, aussi bien la reprise d’un état de choses ancien pour l’essentiel que des nouveautés de détail (p. 707-709).
73 C D P, 2/2, no 1337 : Vinicellus potestas communitatis Montissilicis pro ipso eodem comuno... Il semble que le même personnage (sauf possible homonymie) soit un notable lié de près au monastère de San Zaccaria : il est arbitre, en tant qu’ami des deux parties, dans un litige entre celui-ci et le fils d’un certain Armanno di Cisiulla (ibid., no 1106, a. 1173) ; il est son voisin au lieu-dit « dal Solco » (no 1124, a. 1173) ; il lui vend des parcelles de terre arable, toujours à Monselice (no 1333, a. 1179 : à l’occasion lui-même est dit de loco Montesilicis) ; on le voit également acheter un bien communal (no 853, a. 1164), et enfin il est au nombre des témoins d’un accord entre les consuls – pour la commune de Monselice – et San Zaccaria (no 1139, a. 1174).
74 A S V, San Zaccaria, B. 21, 30 janvier 1202 : Magister Ardoino, juge du podestat de Padoue Pietro Ziani, donne raison au monastère au sujet d’un bien contesté à Monselice.
75 Un héraut de la commune de Padoue, envoyé par le podestat, ordonne à deux consuls de Monselice, Giovanni di Boneto et Pietro di Sigisprando, de faire libérer les terres que le monastère doit légalement récupérer de Sospergo (ibid., 7 mars 1208).
76 P. Sambin, Aspetti dell’organizzazione..., p. 1-5.
77 Cf. supra, note 22.
78 A C P, Villarum, 7 : Piove di Sacco, 5 ; P. Sambin, Aspetti dell’organizzazione..., Doc. 2, p. 11 (et commentaire p. 4-5) : dominum episcopum Paduanum pro ipso episcopatu et ipsum episcopatum esse spoliatum possessione vel quasi committatus, etc.
79 Sur Marsilio di Gualperto, cf. S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 31, note 114.
80 A S P, Corona, no 39 (42).
81 Comme l’avait remarqué S. Bortolami (Territorio..., p. 162, note 18), les Pizolo sont de ces citadins auxquels les publicani de Pernumia louent des terres communales. Mais dès 1181 (C D P, 2/2, no 1403) on les y voit installés. Cela dit ce podestat lui-même est commerçant à Padoue : en 1222 une vente y est faite in comuni foro, apud tabulam... Petri de Henrigeto Piçolo (A S P, Dipl., no 1120).
82 Cf. supra, p. 398.
83 San Giorgio est voisin immédiat, au nord-est, de la zone forestière de Busiago, sur une grande partie de laquelle la commune de Padoue a imposé sa juridiction (S. Bortolami, Pieve e « territorium »..., p. 63).
84 P. Sambin, Aspetti dell’organizzazione..., p. 4 (et note 2).
85 E. Zorzi, Il territorio..., doc. 11, p. 300 : set potestas Padue non permettit ibi facere rationem. Le même parle au passé de la justice épiscopale lorsqu’il raconte que ses gastalds capiebant latrones. La déposition de l’archiprêtre Uberto vient ensuite (p. 301). Un notaire dit la même chose (p. 303).
86 Dondi, Dissert. 7, no 82 : tamquam comite et Domino illius Villae. Parmi les délégués, un maricus et sindicus. L’évêque agit, habito consilio sapientum, cum magna deliberatione. Le salaire du podestat est fixé à cette occasion, ce qui peut signifier qu’il est le premier nommé : il reçoit 25 livres pro salario, auxquelles s’ajoutera la tertiam partem banni.
87 Cf. supra, note 13, et texte correspondant.
88 Cf. infra, 3e partie, chap. 1, II.
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