Chapitre 5. Les pouvoirs en ville : de la commune consulaire à la crise de 1200
p. 323-357
Texte intégral
1Les comites de toutes origines ont un lieu de rencontre qui est la ville, et une référence commune qui est leur relation vassalique avec l’évêque ; le marquis lui-même est intégré à cette structure. À Padoue, et dans la curia épiscopale, les seigneurs côtoient la petite et moyenne aristocratie, au sein de laquelle ils retrouvent certains de leurs propres vassaux : les Gnanfo, on l’a vu, tiennent des fiefs, non seulement de l’évêque, mais aussi des Este, des da Baone et des da Carrara1.
2Padoue est un centre de décision dont l’espace englobe, au moins potentiellement, toutes les seigneuries jusqu’à présent considérées. L’histoire de la maturation progressive et de l’apparition de la commune ne saurait être distinguée de celle du groupe aristocratique2.
I – LES ORIGINES
3Les temps ne sont plus aux théories générales sur les origines des communes ; c’en est du moins fini des tentatives d’explication monolithiques, comme à l’époque du match Gabotto-Volpe. A dire la vérité, certains s’étaient aperçus très tôt de leur vanité : si, dans les années 1815, Von Savigny – le premier vrai historien de la question – avait été porté par toute la culture de son temps à engager les recherches sur la fausse piste de la continuité entre communes médiévales et tradition romaine antique3, quelques décennies plus tard Karl Hegel aboutissait à la juste conclusion que, même dans le champ institutionnel, on ne peut pas vraiment écrire une histoire générale des villes italiennes4.
4Ne demeurent, pour fondements stables, que quelques constatations : la présence peu à peu généralisée d’un corps de consuls s’explique comme la réponse des élites sociales dominant en ville aux sollicitations d’un développement qu’il devient nécessaire de mieux encadrer. Restons-en pour l’instant à ce schéma général, quelque abstrait qu’il soit, et bien qu’il s’arrête à la surface des choses ; il convient au demeurant de le justifier, en dépit de sa banalité apparente. A l’heure actuelle, entre autres questions sur lesquelles un accord global s’est fait entre historiens, règne un consensus – auquel l’auteur de ces lignes ne peut que s’associer – pour refuser l’idée d’une opposition entre les époques pré-communale et communale, et insister au contraire sur la continuité d’un développement social, créateur progressif de ses propres instances politiques5.
5Si la commune italienne ne naît pas dans les douleurs d’une révolution, mais est plutôt l’expression d’une continuité, c’est donc qu’elle est la création de l’aristocratie, classe dirigeante sur la longue durée6 ; d’une aristocratie dont la composition est susceptible de mille nuances de détail (et ici se fait évidente l’absolue nécessité de réponses au coup par coup, ville après ville), étant entendu qu’on pourra distinguer bien des catégories dans les élites sociales, sauf une « bourgeoisie » au sens strict : quant aux rôles respectifs des négociants, voire des maîtres artisans intégrés au milieu dirigeant, et des aristocrates d’origine – avec à leur tête les seigneurs châtelains –, tout se ramène, comme dans une recette de cuisine, à une question de dosage des ingrédients.
6Au point de départ il y a donc la relation entre l’aristocratie locale et le représentant sur place de la puissance publique, le comte ou, le plus souvent, l’évêque, même si celui-ci n’a pas reçu de l’empereur le titre de comte, ce qui est le cas le plus fréquent, ainsi à Padoue7.
7Car si, bien sûr, il y a fort longtemps qu’a été abandonnée l’idée d’un maintien continu de la tradition romaine dans les villes italiennes, celles-ci ont tout de même une caractéristique qui, de loin, les relie au passé romain : « les villes (en Italie) n’ont jamais été concédées en fief et n’ont jamais perdu leur caractère public, même quand elles furent cédées in perpetuo à leurs évêques, lesquels les administrèrent comme fonctionnaires publics, de même que les comtes »8.
8Cette remarque de Gina Fasoli apparaît à l’historien de l’Italie, aujourd’hui, comme une quasi-évidence : elle a, en outre, le mérite de faire comprendre comment, du fait de la conscience claire qu’ils avaient de la nature de leur pouvoir dans la cité, les évêques et les comtes gardaient aussi la conscience, là où ils étaient seigneurs, dans les campagnes, de la division du public et du patrimonial, comme le montre assez bien, en fin de compte (et quelques tentations qu’ils aient pu éprouver parfois au xie siècle), leurs relations avec les arimanni dans le Padouan9.
9Revenons à la ville : l’évêque, defensor civitatis (n’oublions pas que c’est le plus souvent à lui que revient, très concrètement, l’entretien des murs, ce qui longtemps justifiera qu’il prélève les tonlieux aux portes), bien loin d’y être un autocrate, est le garant de sa liberté, et collabore avec les citadins, les cives, que certains diplômes royaux appellent, à juste titre, ses concives10. Bien loin d’être un instrument de domination personnelle, la cour épiscopale est un organe de gouvernement : « l’évêque gouverne, mais ne règne pas sur la ville »11.
10Qui sont les cives ? La réponse sera double : à une définition formelle s’en oppose une autre, celle qui, dans le concret, délimite le noyau de ceux que, durant la Révolution française, on devait appeler les « citoyens actifs ».
11Dans le principe, les cives sont tous les citadins, la résidence en ville étant une condition suffisante12. Tout au plus convient-il sans doute de préciser, comme le suggérait, entre autres, S. Bertelli, que ne sont concernés, du moins au haut Moyen Âge, que ceux qui vivent à l’intérieur des murailles13.
12Quant à mieux les connaître à l’époque pré-communale, il faut, non point sans doute y renoncer absolument, mais en rester à des conclusions très générales. Les citadins-résidents de villes qui, comme Padoue, n’abritent pas précocement de milieu négociant, sont, outre le noyau clérical présent dès l’origine, pour l’essentiel des alleutiers soit locaux, soit immigrés, milites/vassaux pour les plus huppés14. Se demander comment ils ont peu à peu constitué un milieu homogène – au moins relativement –, revient à se poser la question insoluble de « l’intégration entre Romains et Lombards », à se demander aussi comment les arimanni sont devenus des cives15, bref, à se heurter à l’impossible dans le cas d’une ville aussi tardivement documentée que Padoue.
13Les résultats, cependant, sont là : l’unité s’est faite. Avant l’apparition de l’institution consulaire il est impossible (les historiens n’ont cessé de le répéter) de trouver une organisation officielle hiérarchiquement articulée : les lettres des papes et des empereurs sont adressées aux cives ou aux habitatores (à Mantoue, aux arimanni), jamais à des représentants, preuve d’une faible diversification des intérêts16. L’unité de tous les citoyens se manifeste dans le concret par leur réunion, chaque fois qu’il en est besoin, en assemblée : c’est dès l’édit de Rotari (643) qu’il est question du conventus ante ecclesiam, qui n’élit aucun représentant permanent ; l’église cathédrale symbolise l’unité, l’évêque, quant à lui (ou le comte), fait dans un tel contexte figure de primus inter pares17. Encore en 1077, à l’occasion d’un litige – déjà mentionné – entre les citadins et Santa Giustina, c’est un corps compact de cives que deux missi impériaux ont devant eux ; seuls l’évêque et le comte en sont distingués18.
14C’est au xiie siècle que la documentation permet de voir, à Padoue (rarement), la concio se réunir, sur convocation des autorités de la commune, pour approuver des décisions exceptionnelles : en 1142 le comte Ugo et les consuls investissent les chanoines d’une terre boisée qui est de propriété communale19 ; en 1180, puis en 1233, les circonstances ont plus de solennité : il s’agit de ratifier une alliance avec Conegliano et Ceneda, dans le premier cas, l’acte de soumission de Conegliano dans le second20. L’historien ne la rencontre, par conséquent, qu’alors que son rôle est devenu purement formel et qu’elle n’est plus qu’une survivance ; il va de soi que le caractère tardif des occurrences n’est nullement significatif21.
15L’unité fondamentale du groupe des cives, c’est-à-dire d’une collectivité considérée comme un tout homogène, est notre seul point de départ possible, pour ce qui est de l’origine de la commune22. Rien ne permet de supposer l’existence d’instances intermédiaires entre l’évêque et eux. Au quotidien, il gouverne depuis son palais où, avant même de constituer, plus ou moins tard, une curia de vassaux (avec tout ce que cela implique d’encadrement formel et de règles du jeu désormais, au moins relativement, contraignantes), les aristocrates présents en ville le retrouvent et le conseillent. Seuls ils sont les véritables « citoyens actifs ».
16Parmi eux, réunis et consultés au cas par cas, en fonction des problèmes à résoudre, les plus directement concernés, ou les plus compétents pour la résolution de telle ou telle question : les boni ho-mines des documents d’archives23 ; avec le temps, parmi ces derniers, un noyau stable se forme cependant, constitué des experts en droit, juges, causidici, notaires ; j’aurai l’occasion d’y revenir.
17Le développement progressif de la ville impliquait que ces instances dirigeantes informelles fussent peu à peu sollicitées par des problèmes de plus en plus nombreux et complexes. J’ai désigné plus haut la nécessité d’encadrer ce développement comme l’une des déterminations fondamentales de l’organisation communale (c’est-à dire du passage de l’informel à l’institutionnel). Aux causes profondes s’ajoutent généralement des raisons immédiates, le plus souvent d’un autre ordre, qui viennent accélérer l’évolution. Tout le monde semble d’accord, en l’état actuel de la recherche sur l’origine des communes italiennes, pour voir dans la réforme grégorienne ce catalyseur. Malheureusement la documentation ne permet pas véritablement de passer de l’intuition à une démonstration rigoureuse24. Essayons de caractériser la situation padouane.
18Toutes les villes vénètes sont prises, depuis la fondation du Saint Empire, dans une structure hérarchique que j’ai décrite au début de cette première partie. La Marche est le cadre politique qui les englobe : elles n’ont pas un rapport immédiat avec l’empereur, à l’inverse, par exemple, de Ferrare ou Mantoue. Encore en 1123 Henri, duc de Carinthie et marquis de Vérone, arbitre en cette ville un litige portant sur des fiefs de son chapitre cathédral, en présence, avec les juges, des comtes Alberto de Vérone, Ugo de Padoue et Rambaldo de Trévise, ses représentants permanents, au moins sur un plan théorique25.
19Le pouvoir du duc et marquis sur les divers comtés a son symétrique en celui du patriarche d’Aquilée sur les évêques de la Marche, dont il est le métropolitain : comptant parmi les « piliers de la politique impériale en Italie », comme l’a remarqué Daniela Rando, il garantit le lien de ses suffragants avec les souverains allemands26. C’est ainsi que le patriarche Poppone, qui est, de 1019 à 1042, le constant serviteur de l’Empire, les oblige, lorsqu’ils lui prêtent serment, à jurer également obéissance à Conrad II puis à Henri III27. Padoue et ses voisines sont donc, davantage que les autres villes italiennes, sous contrôle impérial.
20La fidélité de l’évêque est d’autant mieux garantie qu’il est souvent allemand : Burcardo, ex-chanoine d’Eichstätt, présent à Padoue de 1034 à 1045, se déclare alaman à l’occasion d’une donation au chapitre cathédral ; Arnaldo (1046-1047) avait été chanoine à Goslar, et Waltolfo (1059-1064) à Augst28. Lorsqu’il est italien, il va de soi qu’il est dûment choisi, et les faveurs ne lui manquent pas : c’est au Padouan Bernardo, ancien archidiacre de la cathédrale et évêque de 1048 à 1060 environ, qu’Henri II puis Henri IV accordent l’investiture de pouvoirs régaliens nouveaux, avant tout celui de battre monnaie en 1049 (pouvoir dont, au demeurant, aucun n’usera)29.
21Au temps de la réforme grégorienne et de la querelle des investitures Padoue, plus violemment et plus longtemps que bien d’autres (tout comme sa voisine Trévise, dont Daniela Rando a retracé l’évolution)30, sera donc philo-impériale, sous trois évêques successifs, Odelrico (1064-1080), Milon (1080 ?-1095) et Pietro (1096-1106/1115) ; si l’on n’a pas de certitude sur Milon, allemand selon une tradition que rapporte Gennari mais qui n’est pas admise par Gloria31, en revanche Odelrico était italien32, et la tradition fait sortir Pietro d’une famille de « popolani » padouans, les Cisarella33.
22Odelrico semble avoir, aussi longtemps que possible, joué une sorte de double jeu : Grégoire VII, qui le sait fidèle à l’Empire mais lui garde sa confiance, en fait l’un des deux légats qu’il envoie à Ratisbonne en 1079 ; là il prend, semble-t-il, décidément le parti d’Henri IV, qui lui confirme ses biens et sa protection. Déposé et excommunié une deuxième fois, le 7 mars 1080, l’empereur envoie, pour plaider sa cause à Rome, Odelrico, qui est tué en route par un homme de sa suite. L’attitude de ses deux successeurs n’aura pas cette ambiguïté : en 1086 Milon est à Ravenne, auprès de l’antipape Clément III34. Il faudra attendre 1106, et la déposition de Pietro par Pascal II lors du concile de Guastalla, pour qu’une partie du clergé padouan rompe avec l’évêque « schismatique » et suive Sinibaldo, désigné par le pape. Celui-ci finit par l’emporter mais en 1115 seulement – et après bien des aléas35.
23Quelle est l’attitude des laïcs durant tout ce temps ? La plupart des châtelains (da Baone, da Carrara, da Calaone...) sont philoimpériaux36 ; au moins à partir de 1095, le comte de Padoue l’est aussi, à l’inverse de son cousin Maltraverso, comte de Vicence37. La position du marquis d’Este est fluctuante : partisan décidé du pape et allié actif de la comtesse Mathilde jusqu’en 1091, il se rapproche ensuite peu à peu de l’Empire puis, après 1100, les revendications de la branche bavaroise de la famille sur la succession d’Azzo feront de ses fils, à nouveau, des soutiens actifs (et intéressés) du parti réformateur38.
24Qu’en est-il de la petite aristocratie « arimannique » peu à peu urbanisée ? Qu’en est-il des milieux populaires ? Manifestement les schémas traditionnels – « patarins » contre aristocrates –, même en y introduisant toutes les nuances qu’on voudra, ne fonctionnent pas ici. En 1097, très peu de temps après le retour définitif d’Henri IV en Germanie, le pape envoie des légats à Padoue pour déposer le « schismatique » Pietro : un soulèvement populaire s’ensuit et l’un des légats est tué39 !
25Finalement déposé en 1106, Pietro trouve refuge, avec son archiprêtre Alberto, à Piove di Sacco, où l’un et l’autre demeurent de 1106 à 1110 ; ce séjour comme hôte des arimanni est sans doute ce qui a précipité l’achèvement de la collégiale de San Martino, commencée en 109040. En 1110 l’arrivée d’Henri V lui permet de se réinstaller à Padoue tandis que l’évêque grégorien, Sinibaldo, et l’archiprêtre Bel-lino, son futur successeur, trouvent refuge... chez le plus grand seigneur de la région, le marquis Folco, à Este. Après l’échec de la dernière tentative d’Henri V on aboutit, non pas sans doute à l’écrasement du parti impérial, mais à une victoire modérée, tenant du compromis : en 1115, Sinibaldo et Bellino retrouvent définitivement leur siège41.
26Voici les faits : comment les interpréter ? La noblesse est divisée : ainsi, dans le « clan » comtal Uberto Maltraverso s’oppose à son cousin Ugo ; le marquis d’Este, à part un moment de fléchissement, est philo-pontifical, à l’inverse de son vassal da Baone ; les petits aristocrates de Sacco, tout comme, semble-t-il, une majorité de milieux populaires, soutiennent le « schismatique » Pietro. Il est impossible de percevoir des clivages à caractère social dans les prises de position antagonistes (parfois hésitantes au demeurant, on l’a vu pour les marquis). Longtemps l’aristocratie citadine, dont l’action est en fin de compte décisive, a manifestement soutenu, dans sa majorité, l’évêque local, quelles que soient ses origines, et cela dans la mesure même où pleuvaient sur la ville les privilèges et confirmations de l’empereur. Rien n’est plus révélateur, à cet égard, que les traditions sur le « carroccio » padouan.
27Toute armée communale s’encombrait, on le sait, de ce « genre de char destiné à porter l’étendard pendant les batailles »42. On sait aussi que le premier « carroccio » connu, celui de Milan, avait été une invention de l’archevêque Aribert, qui en avait fait un symbole civique après une victoire sur les troupes impériales. Or à Padoue la situation de départ est inverse : une peinture longtemps conservée à la cathédrale représentait l’empereur Henri IV concédant, en présence de son fils Conrad et par l’intercession de son épouse Berta, à l’évêque Milon et aux cives padouans, le droit de se faire un « carroccio » ; et ce « carroccio » était appelé Berta !43
28La querelle des investitures a donc pour premier effet, à Padoue, d’assurer à une communauté urbaine solidaire, pour l’essentiel, de son évêque, des privilèges impériaux et une reconnaissance qui en raffermissent en fin de compte la cohésion ! Il faut attendre l’année 1106 pour voir les choses changer, et le chapitre cathédral et l’aristocratie citadine clairement divisés en factions antagonistes : c’est seulement à ce moment que les liens solides tissés avec l’Empire dans le cadre de la Marche (cadre tout autre que formel !) vont se briser. Il faut encore attendre 10 ans (jusqu’en 1115) pour que soit définitive une victoire des grégoriens qui passe de surcroît, dans la tradition locale, pour une réconciliation.
29On ignore malheureusement tout du processus qui, en ville, a rendu ce changement possible : toujours est-il que Bellino, le successeur de Sinibaldo, avec lequel s’enracine la réforme, est membre du milieu aristocratique qui dirige bientôt la première commune : ses quatre frères – Valperto (ou Gualperto), Butrigello, Odo et Rolando –, figurent à partir des années 1100 parmi les boni homines, et l’un d’eux – Valperto – est l’un des consuls de la première liste connue, en 113844. Cet accord final du milieu des alleutiers-citadins avec le clergé réformateur témoigne de l’aboutissement probable d’un travail, sans doute lent, de retournement des esprits après des décennies de fidélité à l’Église impériale. On n’en connaîtra jamais les étapes : le cas padouan se rapproche peut-être de celui de Trévise, elle aussi assujettie, dans le cadre traditionnel de la Marche, à des instances – tant laïques qu’ecclésiastiques – qui garantissaient la fidélité à l’Empire : une bonne partie de la noblesse (ainsi les Camposampiero) y était passée à la cause pontificale dès les années 1080, mais on voit coexister, dans la curia épiscopale, les partisans des deux partis, apparemment sans violence45.
30Il avait donc fallu, d’abord vivre éventuellement sans l’évêque que l’on reconnaissait comme légitime, négocier avec l’adversaire, s’entendre. Une fracture progressive au sein de la classe dirigeante, provoquée par le problème du choix de l’évêque – sans « pataria » aucune –, voilà ce que signifiaient ces décennies à Padoue et à Trévise46. Du coup la fidélité vassalique à l’évêque cessait d’être une donnée immédiate.
31C’est en cela que la réforme créait, du point de vue de la classe dirigeante (inchangée), une rupture révolutionnaire47. Auparavant l’Empire garantissait la légitimité épiscopale : duc de Carinthie et patriarche d’Aquilée assuraient le relais avec le pouvoir monarchique. Tout cela vole en éclats du fait de la victoire de la réforme : la Marche cesse d’être une structure d’encadrement pour n’être plus qu’une coquille vide.
32Durant les années indécises, quand deux concurrents se heurtaient – avant 1115 –, il leur fallait faire reconnaître leur légitimité par les classes dirigeantes laïques locales : d’où la formation de clientèles opposées et pourtant appelées à gérer collectivement les affaires de la communauté en crise, et donc, inévitablement, à se constituer en groupes de pression autonomes. Avant la réforme, l’autorité morale de l’évêque allait de soi ; la crise l’a obligé à parvenir à des ententes négociées avec ses vassaux et ses administrés. La naissance de la commune est en somme la mise en forme institutionnelle de ces ententes, du retour à l’unité48.
33Dans un tel schéma « évolutionniste », le thème classique de la coniuratio n’a plus de place. Au contraire, les consuls semblent bel et bien, dans un premier temps, avoir été considérés comme des auxiliaires de l’évêque : à Milan les consules urbis de 1117 sont aussi désignés par Landolf Junior comme « consuls de l’archevêque » (consules eius, consules sui) ; de même à Asti où, « à ses débuts, la commune s’intègre comme partie d’un tout culminant avec l’évêque »49.
34Bien qu’une telle évidence du vocabulaire manque à Padoue, la naissante commune y obéit, on le sait, à la même logique50. Voici un témoignage de la symbiose initiale entre elle et son Église, unique en son genre à ce qu’il semble, et d’autant plus révélateur qu’il est relativement tardif : tout palais communal est doté d’une église ; à Padoue, construite à l’étage supérieur de l’édifice, elle est dédiée à San Prosdocimo, le proto-évêque du lieu selon la tradition et, mieux encore, c’est un prêtre de San Martino, la paroisse où se situe le palais, qui en est le desservant. Padoue semble être la seule ville de l’Italie communale à avoir eu recours au clergé paroissial pour ce service. Manifestement la commune avait tenu à souligner son union avec l’Église et les curés de la cité51.
35On comprend mieux, à partir de telles origines, comment l’idéologie de la première commune a pu se fonder sur un patriotisme où le civique et le religieux sont inséparables : c’est au nom du saint patron qu’on défend l’honor civitatis, notion chargée, du coup, de valeurs charismatiques52.
II – LES CONSULS
36C’est donc en 1115 que se fait définitive l’installation d’un épiscopat grégorien à Padoue. Il faut attendre 1138 pour qu’une première liste de consuls apparaisse dans les sources écrites : dans cette liste, je l’ai dit, Valperto, frère de l’évêque Bellino53. Le caractère tardif de cette date est-il le fait d’un hasard documentaire ou reflète-t-il, au contraire, la spécificité d’une situation ?
37Pour répondre à cette question la comparaison s’impose avec les autres villes vénètes de Terre Ferme, dont on a vu l’analogie de statut avec Padoue. Manifestement, un premier signe est la généralité de ce caractère tardif. A Vérone il faut attendre presque autant, soit l’année 1136 ; rien à Vicence avant 1147 et, à Trévise, la première mention – indirecte – est de 1162.
38Pour ce qui est de Vérone il y a longtemps que Simeoni, suivi depuis par A. Castagnetti (sans états d’âme), a donné une réponse claire : il est plus que probable que les consuls de 1136 ont été les premiers. Dès 1107 la ville avait conclu un traité de commerce avec Venise, et 42 individus sans qualification explicite la représentaient alors ; le passage au consulat, c’est-à-dire la fin d’un système provisoire et temporaire de représentation de la cité au profit d’un autre, stable et définitif, aurait été retardé ensuite par la présence – et l’autorité – du comte Alberto da San Bonifacio (1116-1135) ; le fait que les consuls soient là dès l’année suivant sa mort, et en partie en raison des problèmes qu’elle cause, ne devrait donc rien au hasard54.
39Dans les cas de Vicence et, surtout, de Trévise, la domination à peu près exclusive de la ville par les grandes familles seigneuriales du territoire semble avoir longtemps été capable de perdurer sans qu’ait été ressenti le besoin d’institutions particulières. En 1147, mettant fin à un dur conflit qui avait opposé Vicence, alliée à Vérone, et Padoue, alliée à Trévise ainsi qu’à Ceneda et Conegliano, est signée la paix de Fontaniva ; or, si c’est là l’occasion de découvrir une première liste de consuls de Vicence, qui jurent la paix comme le font de leur côté les consuls de Padoue, Trévise est, par contre, représentée par trois aristocrates – Ezzelino Ier da Romano et son frère Odelrico « Sclavo », et un da Cavaso. Il est patent que la ville ne s’était point encore dotée d’un consulat55.
40Padoue ne fait donc pas exception. Il y est toutefois moins facile qu’à Vérone d’avancer un schéma explicatif. On a vu qu’une petite et moyenne aristocratie, urbaine ou urbanisée, groupée autour de l’évêque, y occupe une place qui, par voie de conséquence, fait apparaître quelque peu en retrait la noblesse châtelaine.
41Goetz utilise à son sujet une expression assez heureuse : il parle d’un condominium de l’évêque et des consuls, dont témoigne en effet la présence d’un frère de Bellino parmi ceux-ci56. Il reste que, si l’on admet que la date de 1138 peut correspondre à l’une de leurs premières apparitions effectives, cette belle entente s’était longtemps passée de forme institutionnelle. Il nous manque les raisons immédiates : effet d’entraînement de Vérone, sans parler d’exemples plus lointains ?
42La première liste – celle de 1138 – présente une particularité par rapport aux 5 suivantes : elle ne comporte le nom d’aucun seigneur57 ; et il convient d’ajouter que cette catégorie sociale restera très minoritaire jusqu’à la fin de l’institution.
43Deuxième particularité : on a de bonnes raisons de penser qu’ils figurent au complet en 1138 : leur nombre est alors de 17 ; par la suite cela va d’un minimum de 7 en 1147 (pour jurer la paix de Fontaniva) à un second maximum de 17 en 1182 (mais qui n’apparaît qu’au vu de 3 listes, chacune lacunaire)58. A aucun moment il n’est écrit que manque une partie d’entre eux : les 12 consuls qui, à une date non précisée (que Gloria situe, « vers » 1181, un peu trop tôt selon moi), figurent lors d’un procès entre le monastère Santa Giustina et un particulier déclarent s’exprimer unanimiter ; or, le 15 juillet 1182, à l’occasion d’un arbitrage entre les da Camino et la commune de Conegliano, à ces mêmes personnages s’en adjoignent deux autres. De même, le 2 septembre 1166, une neuvième personne vient s’ajouter à un groupe apparu une première fois le 16 mars. Manifestement il suffisait d’une présence minimale pour prendre les décisions et aucun souci d’unanimité n’habite les consuls, sinon sans doute aux débuts de l’institution, à en juger par le document de 1138.
44Le chiffre de 17 consuls présents à cette date semble quelque peu hors norme : P. S. Leicht avait constaté que 12 était en général un maximum59. Cela peut tenir aux critères de choix. Comme l’avait déjà subodoré A. Bonardi à la fin du siècle dernier, leur nombre, à Padoue, correspond à celui des quartiers60, ou, plus précisément, comme l’a précisé P. Sambin, des paroisses que constituent les 16 « cappelle » citadines dotées de la cura animarum, et la cathédrale61.
45On ne peut, cette constatation faite, qu’être frappé par la contemporanéité (peut-être plus symbolique qu’autre chose, et due au hasard, mais qui sait ?) de la première apparition des consuls en 1138 et de celle de la confrérie (congregatio) des desservants de paroisses de Padoue (avec la donation d’une certaine Maconia) en 1136. L’hypothèse, formulée autrefois par Dondi Orologio, d’une impulsion de l’évêque Bellino à la création de cette confrérie ne se trouve-t-elle pas confortée d’une telle rencontre ? Si tel était le cas, on pourrait voir en lui un organisateur capital des structures d’encadrement à Padoue, avec cette promotion de la paroisse sur les plans tant politique et administratif que religieux62.
46Cette corrélation entre le nombre des consuls et celui des paroisses implique une indifférence au moins relative à d’autres critères63 : entre autres, ne relègue-t-elle pas au second plan le souci d’équilibrer la représentation des diverses couches sociales ?
47Une connaissance au moins relative du « milieu » consulaire est possible. Il y a quelques années Renato Bordone appelait de ses vœux, pour une meilleure compréhension de la composition sociale des élites dirigeantes des communes italiennes, la confection systématique de corpus de fiches prosopographiques – une par personnage ayant exercé le consulat64. On trouvera un tel corpus en appendice au présent chapitre, confectionné à partir des 6 listes que la documentation fournit entre 1138 et 118265 ; on pourra parfois en compléter les informations en consultant, sur certaines familles, l’appendice plus général qui termine cet ouvrage.
48A quelles conclusions d’ensemble sur le consulat padouan peut-on aboutir ? Voici quelques réflexions.
49Une chose me semble essentielle : l’évolution de la composition du personnel consulaire témoigne d’une progressive transformation de l’institution elle-même. Comme l’a remarqué Hagen Keller, on a souvent eu le tort de considérer, implicitement, que les consuls avaient eu dès leur apparition des pouvoirs et des attributions identiques, et d’emblée aussi complets que ceux des années 1150-117066. A dire vrai, dès le début du siècle, Volpe avait à sa manière perçu cette nature évolutive du consulat (comme celle du podestariat, au demeurant), lorsqu’il insistait sur le fait que, durant plusieurs décennies, l’évêque avait continué à accomplir des actes publics, comme si l’institution avait longtemps été juridiquement insuffisante à couvrir seule tout le champ de la vie publique (d’autant qu’il analysait l’exemple de Pise, précoce entre tous)67. J’ajouterai que, au-delà même de l’évolution institutionnelle, à partir des années 1170 les consuls sont amenés à représenter des groupes de pression, voire des factions, dont le jeu, qui se fait toujours plus complexe, n’avait pas encore, dans la première moitié du siècle, investi le récent exécutif communal ; on en aura sous peu une démonstration.
50La liste de 1138 est manifestement composée de techniciens choisis dans l’entourage de l’évêque. S’il y a, sur 17 consuls, 2 personnages que l’on ne voit pas apparaître dans sa curia, c’est simplement qu’ils nous sont, de toute façon, à peu près complètement inconnus68. Il me semble licite, par conséquent, de voir dans ce premier collège de consuls une pure et simple émanation de l’assemblée des vassaux du grand prélat grégorien Bellino. Des techniciens, ai-je écrit : 4 sont des juges, 2 sont nommés, tantôt causidici, tantôt notaires (parmi les juges aussi on en rencontre qui, comme par exemple Giovanni di Tado, sont également appelés parfois causidici, ou encore legis periti), et un seul simplement notaire ; signalons d’autre part que 3 autres sont parents de juristes (pères, fils...). Bref, c’est par excellence dans cette première liste que l’on trouvera un personnel correspondant à ce « portrait-robot » du vassal épiscopal que j’avais tracé, d’autant que, de surcroît, 5 d’entre eux sont propriétaires fonciers aussi bien à Sacco qu’à Padoue et autour, ce qui constitue une minorité d’autant moins négligeable que la famille de Bellino et de Galperto – consul en 1138 –, était vraisemblablement d’origine arimannique (elle posssédait un alleu à Codevigo, en Saccisica)69.
51Ce collège consulaire de 1138 est le témoignage éclatant d’une continuité dans la direction de la ville (continuité qui sera le caractère dominant de la décennie suivante). Juristes ou milites sans qualification particulière, ces hommes, auparavant, non seulement assistaient Bellino dans les décisions prises au palais épiscopal, mais le suivaient dans ses tournées à Piove di Sacco : l’année précédente s’y trouvaient, autour de lui, Giovanni di Tado, Jonas, Ugo, Lemizzo di Aica et Gualdino, frère de Nicolò di Pietro, tous consuls en 1138, ainsi que Ongarello, qui sera consul en 1142, et un Enrico qui est sans doute le juge consul de 114770.
52L’institution évoluera vite, et d’autant plus qu’elle est née tard, mais il faut d’abord insister sur ce qui lui confère une stabilité : en amont, cette continuité avec le milieu vassalique épiscopal, en aval la permanence, d’une liste à l’autre et à travers tout le xiie siècle, de personnages ou de lignages – avant tout de lignages de juristes – : le juge (et causidicus) Ingelfredo, et Lemizo di Aica sont membres des collèges de 1138 et 1142. Mainardino, Ottaviano di Malpilio et le juge Lazaro le sont en 1166 et 1173, Absalon (ou Arsalon) en 1142 et 1173, etc. Manifestement le « suivi » des affaires est assuré par la présence continue d’un petit noyau de spécialistes. Mais il y a mieux : milites citadins et aristocrates juristes se succèdent de père en fils et/ou d’oncle à neveu : Compagno est consul en 1138, Guglielmo di Compagno en 1173 ; Teupo da Crespano en 1138, Giovanni di Teupo en 1166 ; Lemizo di Aica en 1138 et 1142 (on l’a vu), Matteo di Lemizo en 1182 ; Adamo di Lazaro, en 1138, précède son parent Lazaro, consul en 1166 et 1173 (je viens de le dire) ; Marcoardo en 1142, son fils Corrado en 1166, son petit-fils Guitaclino di Corrado en 1182 ; Ongarello en 1142, Saza degli Ongarelli en 1182 ; Ottaviano en 1166, son fils Malpilio en 1182 ; Guglielmo da Limena (vicecomes) en 1166, Giacomino en 1182 ; Ecelino, parent des Zopelli, en 1173, Giovanni Zopello en 1182.
53On pourrait qualifier de « petit monde » le milieu restreint qui incarne véritablement l’institution : songeons que, en 1182, sur 17 consuls, 6 nous apparaissent comme des « héritiers », alors que l’on ne peut juger qu’à partir de 6 listes, pas toutes complètes sans doute, sur 5 décennies !
54En 1182, dans la dernière liste, comme en 1138 dans la première, on compte 4 juges sur 17 consuls. A comparer ces deux témoignages extrêmes on éprouve une impression de permanence dans la composition du collège. Par contre, sur les 4 autres listes, il en est 3 (celles de 1142, 1147 et 1173) où est représenté un tout autre milieu, celui des châtelains : en 1142 figure Rolando da Curano, en 1147 Folco da Montagnone et Ariprando da Camposampiero, d’un lignage jusqu’alors bien plus lié au Trévisan, et en 1173 rien de moins qu’Albertino da Baone. C’est Andrea Castagnetti qui a, le premier, insisté sur le soudain impact de cette noblesse guerrière dans l’institution ; faut-il y voir, avec lui, le signe d’une entrée en force, imposée à une aristocratie citadine d’abord rétive ? On verra que, en 1182, cette même noblesse sait fort bien dominer le jeu politique citadin sans intervenir directement. J’en reviens ici aux suggestions de Hagen Keller : en 1138 les problèmes à résoudre sont d’ordre interne et l’évêque Bellino s’entoure, pour ce faire, de vassaux immédiatement disponibles car vivant dans son voisinage, qui sont souvent des techniciens du droit. Entre 1142 et 1147 la classe dirigeante dans son ensemble (et non plus l’évêque en premier lieu) a besoin de techniciens d’un autre ordre, militaire. Avec la guerre entre Padoue et ses voisines – Venise jusqu’en 1144 et Vicence (alliée à Vérone) jusqu’en 1147 –, l’institution consulaire est confrontée à des problèmes nouveaux, plus complexes, et la diversification du collège en est la conséquence immédiate71. En 1173, il est vrai, les choses sont moins claires : toutefois la ligue lombarde est dans l’attente d’une guerre annoncée ; la cinquième et dernière expédition de Barberousse se fera l’année suivante. La présence d’Albertino da Baone témoigne peut-être d’une vigilance armée72.
55De ce fait l’institution a, d’elle-même, peu à peu échappé au contrôle épiscopal : dès 1142 la présence de Rolando da Curano modifie, et la fonction du consulat et, implicitement, son rapport à l’évêque, désormais plus distancié : rappelons que ce châtelain et son gendre Dalismano livreront, peu après, une véritable guerre au prélat leur seigneur pour le fief d’avouerie73. Le consul Arderico da Vigonza est lié aux da Curano, semble-t-il74. On ne voit pas, d’autre part, la politique extérieure de Padoue, en ce qu’elle a d’agressif, dirigée durablement par l’évêque : tout au plus les prélats des diverses villes interviennent-ils en 1147 pour ménager une paix générale75.
56Dès 1164 l’inquiétude de Venise l’a portée à s’employer, avec force arguments sonnants et trébuchants, à détacher de la soumission à l’Empire Vérone, Vicence et Padoue : les Padouans ont même été les premiers à chasser le podestat impérial, le comte Pagano, et, à cette occasion le philo-impérial Giacomino da Carrara doit fuir et son château est détruit par la milice communale76. Au printemps 1167, quelques mois après le retour de l’empereur en Italie, la ligue vénète s’unit à la ligue lombarde77 ; Trévise, jusque-là demeurée seule philo-impériale en Vénétie, vient s’y joindre78.
57Expansionnisme et foucades belliqueuses envers les voisines, résistance à l’Empire, cette action est menée par le cercle, assez restreint et relativement stable, des familles citadines que l’on peut qualifier de « consulaires » (et dont l’action se prolongera d’ailleurs jusqu’à l’embrasement final, sous Frédéric II), sous la direction militaire de lignages châtelains : on retrouve les Tadi en 1147, parmi les signataires de la paix de Fontaniva (Giovanni qui, semble-t-il, meurt peu après), et en 1180, à l’occasion de l’alliance avec Conegliano (Vitaliano di Giovanni)79 ; les dell’Arena en 1144, lors de la paix avec Venise, et en 118080 ; les Lemizi en 1144 et 1181, lors de la confirmation de l’alliance avec Ceneda et Conegliano81. Cette dernière alliance, avec ses corollaires, l’alliance entre Conegliano et les seigneurs da Camino, puis la paix entre Padoue et Trévise, conclue sous les auspices de la ligue lombarde82, est menée de front avec l’engagement guelfe de Padoue : en 1183, deux des signataires padouans de la paix de Constance, Gnanfo et le juge Ecelino (le troisième étant un da Fontaniva), sont aussi d’anciens auteurs de l’accord entre Conegliano et les da Camino83.
58Voici donc une aristocratie citadine mise en place en bloc, semble-t-il, dans l’institution communale par l’intervention, ou pour le moins avec le plein accord de l’évêque mais qui, très vite, est affrontée à des problèmes régionaux de rayon progressivement plus vaste ; la part du prélat dans le jeu politique se trouve, par la force des choses, relativisée84.
59Il est manifeste qu’il n’y a d’intervention directe de la noblesse châtelaine qu’en cas de nécessité guerrière : pour des raisons techniques, donc, et non du fait d’un nouveau rapport de forces. Or la stabilité même du milieu consulaire constitue, pour l’historien, comme un écran qui voile une évolution longtemps souterraine, celle par laquelle les conflits familiaux au sein de cette noblesse intéressent peu à peu toute l’aristocratie citadine par le jeu des clientèles vassaliques ; en s’aggravant, ces conflits vont transformer le collège des consuls en une assemblée de représentants des factions85. La preuve en est donnée par la composition même de celui de 1182, totalement conditionné par le problème de l’héritage de feu Alberti-no da Baone.
60Sur cette affaire, dans toute sa complexité, je renvoie le lecteur à l’analyse fort détaillée qu’en avait faite autrefois Elda Zorzi86. Je tenterai simplement un bref rappel des données essentielles : Albertino meurt en laissant une veuve et huit filles, mariées pour la plupart à des châtelains de premier choix (Bonifacio d’Este, un Maltraversi, un da Carrara, un da Romano...) ; son cousin, Alberto, n’est pas a priori concerné. En mars 1182 la veuve, Bertolina, parvient à un accord de principe avec ses gendres, chacun jurant de ne pas chercher querelle à ses cohéritiers (ou plus exactement aux époux des cohéritières) ; or les usurpations ne cessent pas ; après une vaine tentative menée par 3 arbitres (dont Guiduccio da Carrara) en octobre 1182, la division finale des biens du défunt sera effectuée par Tisolino da Camposampiero le 23 mai 118387. Mais dès l’été 1182 le devant de la scène est occupé par des heurts violents, qui dégénèrent vite en une guerre féodale exaspérée, entre Alberto da Baone – le dernier représentant mâle de la famille – et Giacomino da Carrara, époux de Maria, l’une des huit héritières. Les deux familles s’étaient déjà opposées, on s’en souvient, dans les années 116088. On se livrera aux pires violences jusqu’en 118589.
61La liste des consuls de 1182 a été élaborée par moi à partir de trois documents successifs ; si les deux premiers ne concernent pas le conflit, le troisième, daté du 5 novembre 1182, est une tentative de solution par ces mêmes consuls, préparée au palais épiscopal (l’évêque est donc encore là, mais à l’arrière-plan). Qui sont-ils ? A voir les choses de près, on s’aperçoit qu’ils ne peuvent absolument pas être définis comme une instance arbitrale extérieure au conflit, bien au contraire.
62J’ai rappelé il y a peu qu’en 1164 Giacomino da Carrara s’était trouvé en mauvaise posture du fait de ses choix philo-impériaux ; en 1182 sa situation s’est manifestement améliorée : certains des consuls sont ses vassaux et/ou clients. Ainsi en est-il du miles Maineto, originaire de Carrara90, et du juge Rogato, que l’on verra à plusieurs reprises, au début du xiiie siècle, choisi comme arbitre par les da Carrara dans leurs querelles familiales ou leurs litiges avec le monastère de Brondolo, leur voisin et, pour beaucoup, successeur à Bagnoli ; Rogato se verra gratifié, en remerciement, d’un fief sans fidélité. De même, depuis les années 1160 au moins, les da Limena sont leurs voisins à Bagnoli91.
63Il se trouve d’autre part que presque tous les autres consuls connus sont liés de plus ou moins près à Bertolina da Baone, veuve d’Albertino (après l’avoir été à son mari), et certains sont très vite clients de Palma, l’épouse de Marcio dei Maltraversi. Qu’on en juge : Malpilio, Rainaldino dei Gisi, Giovanni Zopello ont été témoins de l’inventaire des biens d’Albertino par Bertolina ; les da Vigodarzere, Guitaclino da Corrado, Matteo di Lemizzo, Saza degli Ongarelli avaient été liés à Albertino à des titres divers92 ; quant à Ottolino, il est l’exécuteur testamentaire de Palma, et enfin Matteo di Pegoloto, non seulement fait à l’occasion office de juge de la cour vassalique de Palma, mais fréquente aussi celles de ses sœurs Béatrice et India. Parmi les personnalités connues, les seules qu’il soit difficile de mettre en relation avec les familles en litige sont Gnanfo et Guglielmino : cependant ce dernier participe avec Malpilio à des arrangements préliminaires à l’accord (précaire) du 5 novembre 118293, et Gnanfo apparaît, en 1213, parmi les vassaux de Giacomino da Carra-ra à Bagnoli mais, en l’absence de tout témoignage antérieur, on ne peut rien en déduire de sûr94 ; toujours est-il que lui aussi, cette fois avec Guitaclino da Corrado, a tenté un arbitrage entre les deux parties en présence.
64Il est clair que, pris dans la trame des fidélités multiples, de l’appartenance à des clientèles variées, beaucoup devaient se trouver dans des situations gênantes face à ces lignages rivaux : Saza degli Ongarelli, par exemple, se retrouve vassal de Giacomino da Carrara pour le fief qu’il tient d’Albertino, mais Marcio dei Maltraversi le réclame. Bref, tout le milieu aristocratique citadin était, sous la pression des circonstances, dans l’urgente nécessité d’exercer une fonction d’arbitrage. Dans ce cas précis la documentation fait apparaître un milieu consulaire plus massivement lié aux héritières, alors qu’on ne voit guère d’alliés directs d’Alberto. Mais les choses étaient sans doute plus complexes ; outre qu’il y avait un vieux réseau clientélaire autour d’une famille longtemps unie – les da Baone –, il faut se souvenir d’un fait essentiel, à savoir que c’est le milieu des seigneurs-châtelains dans son ensemble qui est divisé par cette affaire en deux factions. Le document de novembre 1182 en fait connaître les chefs : si tout le « clan » Maltraversi soutient, avec Marcio, les autres cohéritiers (et donc surtout l’irascible Giacomino da Carrara), Speronella Dalesmanini et Gerardo da Calaone appuient Alberto da Baone95.
65Il appert de cette dernière observation qu’aucun des grands seigneurs concernés, immédiatement comme Giacomino ou en tant qu’alliés comme Gerardo da Calaone, n’intervient directement sur la scène communale.
66Concluons : ce qui était à l’origine un groupe de techniciens, choisi à l’intérieur de la cour vassalique épiscopale, s’est très vite transformé en une institution autonome du fait de la complexité croissante des affaires à régler ; mais l’effacement du pouvoir décisionnel de l’évêque allait avoir pour conséquence le libre développement du jeu des factions nobiliaires. En 1182 la composition du collège des consuls en fait la vitrine institutionnelle des conflits féodaux. Si les châtelains sont, en dehors des périodes de guerre avec l’extérieur, absents de ce champ clos, ce n’est pas par faiblesse : loin d’en être écartés, ils s’y combattent par délégués interposés, à fleurets mouchetés.
67La fragilité de la commune consulaire vient de là : les conflits tendant à s’exacerber, les modalités d’un équilibre contrôlé entre les factions deviennent trop complexes, ou impossibles à conserver. On en arrivera à la solution, longtemps ambiguë au demeurant, du podestat.
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68Dans ce deuxième stade chronologique de l’organisation communale, la même aristocratie citadine va se trouver au service du podestat96, si bien que c’est décidément toujours le même milieu qui fait fonctionner la Cité-État à Padoue (jusqu’à l’apocalypse ezzélinienne), à savoir un groupe de familles qu’il serait un peu restrictif de définir comme une « petite noblesse »97, qui, en tout cas, n’est pas la noblesse châtelaine, sauf à des moments exceptionnels où il faut faire appel à celle-ci98.
69Ce milieu a pu conserver un quasi-monopole de la gestion de la commune parce qu’en lui coexistaient harmonieusement deux sortes de compétences, la militaire et, chez beaucoup, la juridique. Ce qui distingue la noblesse citadine du royaume d’Italie, c’est un certain niveau général de culture.
70Rien ne différencie les iudices et les causidici des autres milites durant la période consulaire99. Les juristes sont des milites, même si tous ces derniers ne sont pas juristes100. Tout le démontre : leur appartenance pleine et entière aux structures féodo-vassaliques, leurs alliances matrimoniales, le titre de dominus qu’ils utilisent dès les années 1120-1130101. Les guerres des xiie et xiiie siècles les verront combattre, dans les rangs de la militia, à cheval, tandis que le populus formera la masse des pedites102. S’il est malheureusement impossible de connaître des « profils de carrière » d’hommes du milieu juridique avant le xiie siècle dans le cas padouan, en Lombardie c’est dès le xe que l’on voit des juges, seigneurs fonciers ruraux, devenir vassaux des évêques103, et c’est dès les temps carolingiens que les scabini – les spécialistes du droit – y étaient tenus pour nobles104.
71Si une partie de l’aristocratie italienne ne rechigne pas à l’acquisition d’un savoir juridique, c’est – et il n’y a là qu’en apparence une lapalissade – qu’il s’agit d’un savoir noble105. La ville est le lieu d’un contact permanent, quotidien, entre des égaux qui détiennent le monopole de l’activité politique et se disputent les postes de pouvoir : il va de soi, comme l’a remarqué Renato Bordone, que la connaissance, au moins relative, du droit et la maîtrise de l’éloquence politique, d’une part vont de pair, et sont d’autre part une nécessité si l’on veut jouer son rôle106. De ce fait le droit est une « valeur municipale » dès les temps pré-communaux et le demeure, cela va de soi, au xiiie siècle107 ; l’idéologie des nouveaux riches en est suffisamment pénétrée pour qu’ils se trouvent incapables de s’opposer au fond à la vieille aristocratie. Rappelons au passage que, dès la première moitié du xiie siècle, les juristes savent manier tout aussi savamment le droit romain que le droit féodal108.
72La culture juridique, en somme, est à la fois une nécessité de la gestion de l’entité « commune » et un moyen de pouvoir. Les juges des xiie et xiiie siècles, composante majeure du milieu dirigeant citadin, en sont, comme aurait pu l’écrire Gramsci, les « intellectuels organiques »109.
73Les juges, mais aussi, avant les années 1150, les notaires. Sur ce point il y a une différence considérable entre le début du xiie siècle et sa fin. Des travaux récents y ont insisté, le personnage du notaire a été déterminant, au point de départ, dans la mesure où il a assuré la continuité administrative entre la civitas des temps « féodaux » et la première commune110.
74Ce notaire des temps pré-communaux et des premières décennies de la période consulaire fait partie « de l’élite dont s’entourent les comtes et les évêques », et participe au gouvernement de la cité111. Et cela d’autant plus naturellement qu’il n’y a point encore de frontière établie entre les divers aspects de l’activité juridique. Parmi les consuls de la liste de 1138 le second personnage désigné, Jonas, est qualifié tantôt de notaire, tantôt de causidicus, tantôt de juge112 ; pluralité des compétences et appartenance au collège exécutif communal n’ont alors rien d’original113. L’usage même du terme causidicus, tout comme celui, plus rare, de legis peritus, témoigne à sa manière de cette pluralité114. Le causidicus était manifestement un professionnel d’un niveau de qualification variable : de la même façon on ne sait guère aujourd’hui ce qu’est précisément une personne qu’on n’entend désigner que comme un « juriste »115.
75Après 1150 au contraire on est juge ou notaire, on cesse de se dire causidicus ; tout au plus de rares vieux notaires s’attardent-ils à cet usage : ainsi en est-il de Faletro, souvent employé par l’évêque, qui exerce depuis les années 1130 au moins et jusqu’en 1173, et qui n’abandonne la double dénomination (notarius et causidicus) – mais brusquement – qu’en 1160116.
76Que s’est-il passé ? Précisément, la diversification rapide des fonctions consulaires, durant les décennies 1140-1150117, a pour conséquence, entre autres, la multiplication des notaires, et leur cantonnement plus rigoureux dans ce qui constitue leur compétence particulière : dans le cas de Pise, mieux connu, c’est aussi autour de 1150 que l’on voit la commune faire appel, de plus en plus régulièrement, à des équipes de notaires – équipes qui, très vite, alternent –, et les brefs des consuls de 1162 et 1164 font référence à une première organisation de bureaux118.
77Or cette séparation des fonctions a de rapides conséquences sociales : face au « happy few » qu’est le corps des juges, les notaires représentent bientôt une masse, donc une profession au prestige dévalué. Il n’y a donc aucune comparaison entre le notaire des années 1200, relégué le plus souvent au niveau du populus, et donc faisant quelque peu figure de déclassé s’il est – comme cela arrive encore – issu de l’aristocratie citadine et du milieu des juges, et son lointain prédécesseur des temps pré-communaux et des débuts de la commune consulaire, membre à part entière de l’élite dirigeante119.
III – CRISE DU SYSTÈME : LES PREMIERS TEMPS DU PODESTARIAT (1175-1200)
78Il ne s’agit pas ici d’analyser les raisons d’être et la dynamique interne des factions citadines. La chose sera tentée plus loin, dans la dernière partie de cet ouvrage, après étude des facteurs de crise des classes dirigeantes, et donc une fois considérée l’évolution de l’économie et des rapports de production. Je m’en tiendrai pour l’instant au thème du devenir des institutions communales au xiie siècle, et donc à un bref rappel des faits.
79En 1175 le premier podestat que se donne Padoue est un Milanais, Alberto di Osa ; puis, pendant une trentaine d’années, vont alterner, avec une irrégularité dont il me faudra rendre compte, non seulement podestats étrangers et podestats indigènes, mais consuls et podestats ! Parfois même, 2 ou 3 personnages se donnent indifféremment l’un et l’autre titre.
80Avant d’analyser le cas padouan il faut rappeler que c’est l’ensemble de l’Italie communale qui est concernée : partout la même période d’alternance chaotique inaugure le nouveau système. Mieux encore, partout ou à peu près il y a eu auparavant une préhistoire du podestariat.
81C’est donc que l’institution consulaire a engendré de nouveaux problèmes, auxquels une réponse est progressivement donnée, et une réponse partout identique120.
82Très tôt, dès les années 1140-1150, les instances consulaires ont été, dans un grand nombre de communes, confrontées à des urgences guerrières. Constituées à l’origine autour de l’évêque pour gérer des affaires internes, elles ont alors été entraînées, selon les lieux, soit à distinguer une sorte de « premier consul » plus spécifiquement désigné pour diriger les opérations militaires, soit à créer un « dictateur » au sens qu’avait ce mot dans la république romaine, c’est-à-dire un exécutif exceptionnel, librement instauré et accepté pour une durée limitée. Rien, dans tout cela, qui préfigure véritablement le podestat, institution permanente121.
83Dans certains cas l’évêque lui-même prenait la tête de ses vassaux, ainsi Balduino (1135-1145) à Pise ; Vérone, en 1151 et 1152, est dirigée par un rector, Alberto Tenca. La solution du primus consul est celle de Pise de 1156 à 1160, et celle de Padoue où, dès 1147, Folco da Montagnone avait été désigné comme prior ex consulibus122. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler les raisons militaires de l’entrée des châtelains dans les équipes consulaires padouanes ; dans ce cas précis on est donc allé jusqu’à donner un qualificatif particulier à l’un d’entre eux123.
84Avec la création du podestariat à partir des années 1170 se produit une institutionnalisation de l’exceptionnel. L’époque de Barberousse a engendré, au suprême degré, de ces moments où le salut de la cité exigeait la protection du glaive mais, au-delà de l’exaspération de situations déjà expérimentées, d’une part les familles dirigeantes se sont trouvées au moins momentanément divisées entre philo-impériaux (une minorité le plus souvent : ainsi les da Carrara à Padoue) et anti-impériaux, d’autre part souvent – et ce fut le cas à Padoue – l’évêque a subi de plein fouet l’hostilité impériale124, et son pouvoir a pu s’en trouver affaibli125. On a vu comment, en partie de ce fait, l’instance consulaire, privée d’un arbitre en quelque sorte naturel, s’était transformée assez vite en un champ clos où s’affrontaient, non pas les chefs des factions nobiliaires, mais leurs représentants dans l’aristocratie citadine. Les faits relatés de 1182 sont déjà tardifs puisque depuis 1175 le système du podestat était à l’essai, sous ses deux espèces, étrangère et indigène.
85Les facteurs externes – et la guerre – ont donc été un catalyseur de crise, mais la mutation institutionnelle est d’abord due à la montée des tensions internes. Dans un petit chapitre de synthèse sur le système du podestat, auquel je renvoie le lecteur pour toute première approche, Daniel Waley cite les Annales Genuenses pour l’année 1190, qui lui semblent présenter un cas de figure emblématique : «...des discordes, des divisions et des conspirations haineuses s’étaient élevées dans la ville en raison de la mutuelle jalousie d’un grand nombre qui souhaitaient vivement remplir les fonctions de consuls dans la commune. C’est pourquoi les sapientes et les conseillers de la cité se réunirent... et presque tous furent d’accord pour avoir un podestat »126. A Gênes, comme auparavant à Padoue, le consulat est donc devenu incapable de remplir sa fonction première, qui était de faire régner « la paix et la concorde » dans la cité127. Avec le podestat la commune était censée parvenir au « dépassement des contradictions » au sein des milieux dirigeants128. Désormais, dans une atmosphère conflictuelle qui tend à s’exacerber, ce qui était participation pacifique, en commun, à la gestion du pouvoir, se transforme dans toutes les villes en confrontation des représentants de groupes antagonistes129.
86Dans un tel contexte le podestat – du moins dans sa conception idéale, c’est-à-dire le podestat étranger – apparaît, selon la jolie formule d’Antonio-Ivan Pini, comme une « solution technocratique »130. Citoyen d’une autre commune, il est un professionnel, réunissant en lui-même les qualités des consuls les plus qualifiés, c’est-à-dire à la fois de juriste et d’homme de guerre (lui aussi est un aristocrate) ; il exerce sa fonction pendant un temps limité, en théorie six mois – mais dans les faits les durées sont plus élastiques. Certaines familles apparaissent spécialisées : c’est le cas pour les di Osa, milanais, présents deux fois à Padoue avant 1237, avec Alberto en 1175 (il inaugure la série) et Guglielmo de 1189 à 1191131 ; ça l’est encore davantage pour une autre famille milanaise, les di Mandello, eux aussi présents à Padoue à diverses reprises132.
87Sa qualité d’étranger est censée lui permettre de se tenir au dessus de la mêlée, de demeurer impartial face aux factions. Mais sur ce point il faut se laisser rattraper par le réel.
88Tout d’abord, comme Volpe l’avait, le premier, fait remarquer, de même que celle des consuls avant lui, la fonction de podestat n’est pas à l’origine si bien définie : l’institution, dont l’une des origines immédiates, curieusement, est le représentant que Barberousse avait voulu imposer aux communes, et que celles-ci avaient généralement chassé (Padoue dès 1164), devait subir un inévitable temps de rodage, tant pour ce qui était de la définition de ses attributions que pour parvenir à se faire admettre comme une instance arbitrale entre les diverses factions133. A Padoue il faut 30 ans (de 1175 à 1205) avant que l’on passe d’une alternance malsaine au système intangible du podestat étranger (intangible... jusqu’à Ezzelino, avec lequel le jeu est totalement faussé)134.
89L’enjeu était clair : la stabilisation d’un podestat indigène aurait signifié, non seulement le monopole du pouvoir à un parti, mais à terme la seigneurie du chef de ce parti135. L’instabilité même qui caractérise cette période est signe que les temps n’étaient pas mûrs. Pour ce qui est de Padoue une analyse a été faite par S. Bortolami ; je ne ferai qu’en reprendre l’essentiel, quitte à apporter çà et là quelques précisions136.
90Le choix du milanais Alberto di Osa en 1175 signifie deux choses : d’une part les fractures au sein de la classe dirigeante étaient suffisamment graves pour empêcher la formation d’une équipe fiable de consuls, d’autre part l’urgence de la guerre contre Barberousse primait, et le choix de ce diplomate de la ligue lombarde était celui d’un chef unique acceptable, sinon par tous, du moins par la majorité anti-impériale de l’aristocratie dirigeante. Et des Padouans participent à la victoire de Legnano l’année suivante.
91La menace impériale s’éloignant, les querelles internes reprennent le dessus et l’instabilité, marquée par une alternance de consuls et de podestats padouans, s’installe pour huit ans (jusqu’en 1184). C’est dans ce contexte qu’est établi le collège consulaire de 1182, considéré plus haut.
92Cette instabilité, comme l’a remarqué le premier S. Bortolami, a pu avoir des manifestations extra-institutionnelles, telles que la création de deux associations de nobles (societates) qui seraient apparues, au dire d’une chronique, précisément sous Barberousse, avec leurs propres enseignes et leurs chefs137. Ces organismes à caractère mi-ludique mi-politique sont fréquents dans les villes du royaume d’Italie, et ils regroupent en fait les « jeunes » (iuvenes) de l’aristocratie. En 1214, à l’occasion d’une grande fête organisée à Trévise, et dite du « Castello d’Amore » (sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir), l’un des meneurs du jeu (rectores), le dompnus Paolo da Sarmeola, est rex militum à Padoue138. Quelque festives qu’en aient été les raisons d’être, de tels groupements ne pouvaient qu’alourdir une atmosphère d’agressivité chronique dans la ville.
93La grande nouveauté qui s’établit, durant cette période où domine de loin la solution du podestat local, est la montée en première ligne de cette noblesse châtelaine à laquelle le système du consulat avait jusque-là permis de ne pas s’exposer directement. Il ne s’agit pas d’une nouveauté absolue, comme on a déjà pu le voir avec l’exemple de 1147139, mais cette fois le châtelain chef de faction est, pour un moment, seul au pouvoir : c’est le cas du plus considérable de tous, Obizzo d’Este, en 1177, peut-être en 1178, en 1180-1181, puis d’Azzo en 1199 ; Alberto da Baone l’est en 1184, ce qui est hautement significatif puisqu’à ce moment le conflit avec les da Carrara n’est pas véritablement apaisé140, et il sera le dernier d’origine locale, en 1204. Parfois est adoptée une solution bâtarde d’exécutif à deux ou trois : ainsi, d’après le Chronicon de potestatibus Padue, en 1183 Dalesmanino et Tanselgardino, ou encore, d’après le Liber regiminum, en 1204, Alberto flanqué de Dalesmanino141. Quant aux titres, ils sont incertains : en général le chroniqueur se contente d’écrire « ils dirigèrent Padoue » (rexerunt Paduam).
94Répétons-le, c’est avant tout entre 1177 et 1184 que prévaut la solution du podestat indigène (avec çà et là quelque intermède consulaire). Sante Bortolami donne une plausible raison du retour au podestat étranger en 1185 : après le traité de Constance le retour à la paix rendait possible l’exercice plus normal du gouvernement ; il reste que, pour préparer la campagne décisive, en 1175, Padoue s’était confiée à un Lombard, mais dans un premier temps la fin des tensions et la prospérité qui – à voir le programme de grands travaux mis en route – semble avoir alors caractérisé les villes vénètes, ont pu apporter un adoucissement momentané au jeu des factions et permettre à un chef de l’exécutif étranger de jouer le rôle d’arbitre que celles-ci attendaient de lui. Pas toujours avec succès, au demeurant, puisque, en 1187, le Brescian Aposazio est chassé pour avoir adopté une attitude partisane142. Une constante : Padoue fait appel à des magistrats venus de villes de la ligue lombarde, alliées depuis 1167 : avant tout Milan et Plaisance, mais aussi, Brescia et Mantoue (plus rarement, Venise).
95Deux faits révélateurs : les retours de podestats locaux, Azzo d’Este en 1199, et le duo Alberto da Baone/Dalesmanino en 1204, sont l’un et l’autre suivis de deux modifications institutionnelles que des chroniques en fait tardives attribuent au « popolo », et à l’issue de la seconde le système du podestat étranger se trouve établi pour 32 ans, désormais sans secousses143. Sur cet effacement obtenu des châtelains, ses raisons, les événements qui l’ont causé, je renvoie le lecteur à la troisième partie de cet ouvrage.
96Toujours est-il que l’on peut provisoirement conclure qu’après une trentaine d’années d’expérimentations, d’hésitations et de retours en arrière, le podestat étranger s’avérait, du moins à Padoue, la meilleure réponse institutionnelle au problème posé par la défaillance du système consulaire : les factions aristocratiques reconnaissaient en lui un arbitre efficace pour apaiser les tensions entre elles, du moins dans le cadre de la cité et de son territoire. Car, on le verra, le jeu était devenu tellement complexe que désormais s’était instauré une sorte de réseau de ramifié qui englobait toute la Marche. Et, dans la mesure où l’on constate que les factions continuent au contraire à se déchirer à Vicence et Vérone, il est loisible de conclure que la paix obtenue à Padoue signifie, plus qu’autre chose, qu’elle n’est pas située à l’épicentre du séisme.
Notes de bas de page
1 Cf. supra, p. 202-203.
2 Les lignes qui vont suivre insisteront sur la difficulté qu’il y a à proposer des schémas explicatifs qui aillent au-delà de remarques extrêmement prudentes et générales. Les synthèses sont pourtant nécessaires. Elles existent et les plus récentes entendent combiner les vues d’ensemble et l’usage des nuances. Il faut citer au moins certains articles des « Storie d’Italia » publiées par Einaudi puis par l’UTET. Le cadre communal est situé dans celui, plus vaste, de la péninsule par l’article de G. Tabacco, La storia politica e sociale... Le thème « communal » est plus spécifiquement considéré dans la Storia d’Italia UTET, 1981, t. 4, Comuni e signorie, par Ovidio Capitani, dans son article Città e comuni, p. 1-57. En dépit de son titre quelque peu restrictif, l’ouvrage de S. Bertelli, Il potere oligarchico nello stato-città medievale (Florence, 1978), est une excellente histoire du fait communal des origines à la seigneurie. Il faut signaler – rapide sur les problèmes d’histoire des institutions, mais présentant une bibliographie très complète à la date de sa parution – de Antonio-Ivan Pini, Città, comuni e corporazioni nel medioevo italiano, Bologne, 1986 (cf. surtout la bibliographie du 2e chapitre, p. 182 à 218). Pour finir je rappelle l’existence de l’excellent petit manuel, traduit en français, de D. Waley, Les républiques médiévales italiennes, Paris, 1969. Il va de soi que ces ouvrages relativement récents ne dispensent pas absolument d’en lire de plus anciens (comme par exemple la synthèse de Goetz signalée à la note suivante), toujours profitables une fois qu’on a pris la mesure de ce qu’ils peuvent garder d’actuel et de suggestif. On s’aperçoit vite que ceux qui les suivent, bien souvent, les répètent, le mien non excepté.
3 Cf. W. Goetz, Le origini dei comuni italiani (trad. ital.), Milan, 1965, p. 19.
4 Cf. E. Sestan, La città comunale italiana dei secoli xi-xiii nelle sue note caratteristiche rispetto al movimento comunale europeo, dans Id., Italia medioevale, Naples, 1968, p. 91-92.
5 Cf., par exemple, les remarques de R. Bordone, dans son ouvrage La società cittadina..., p. 18. Pour l’auteur, l’opposition entre ces deux époques venait de ce qu’on attribuait une prééminence au fait politique au détriment du fait social urbain.
6 Cf. E. Sestan, dans l’ouvrage cité en note 4, supra : « Il comune italiano... nasce non dall’urto, ma dalla progressiva modificazione del mondo feudale », et cela même dans des villes où l’on s’attendrait à autre chose : « Persino a Genova..., all’origine del comune è la nobiltà cittadina proprietaria di terra e di diritti viscontili » (p. 110-111). L’historiographie récente tendrait plutôt à durcir ce schéma : avec Hagen Keller ce n’est plus d’un « monde féodal progressivement édifié » qu’il s’agit, mais la commune est plus précisément « un produit du féodalisme dans son expression italienne post-carolingienne » (H. Keller, Adelsherrschaft..., p. 382). Moins portée à proposer un modèle plus ou moins généralisable, G. Rossetti conclut de même, de ses études et de celles du groupe qu’elle animait sur Pise, que, avec la mise en place de la commune, un vieux groupe dirigeant y occupe une fonction nouvelle (G. Rossetti, Storia familiare e struttura sociale e politica di Pisa nei secoli xi e xii, dans l’ouvrage collectif Forme di potere e struttura sociale in Italia nel Medioevo, Bologne, 1977, p. 234). Inutile de multiplier les exemples.
7 L’un des points de départ de l’étude de Goetz (cf. note 3) était la constatation que, dans la plupart des cas, c’est l’évêque qui a les pouvoirs, « qu’il détienne ou non tous les droits comtaux » (p. 31). C’est lorsqu’il écrit que la commune naît d’une « défaite » de l’évêque ou du comte qu’il est dépassé (p. 38). Le rejet de ce thème de l’opposition caractérise les analyses les plus récentes.
8 G. Fasoli, Ceti dominanti nelle città dell’Italia centro-settentrionale fra x e xii secolo, dans N S Ezz, t.1, p.5.
9 Telle est aussi la conception de l’auteur de la plus récente monographie sur le Veneto médiéval : « La giurisdizione del vescovo non ebbe a manifestarsi in forme di « signoria locale », ma mantenne sempre uno spiccato carattere pubblico » (cela dans les villes) ; et les évêques, « in quanto signori rurali, tesero a conferire (questo carattere) anche alle loro giurisdizioni nei confronti delle comunità rurali » (A. Castagnetti, La Marca..., p. 38). Cette remarque est parfaitement bien illustrée par l’exemple de Sacco.
10 E. Dupré-Theseider, Vescovi e città..., p. 85-86. L’auteur cite des diplômes royaux aux évêques de Bergame (904) et Crémone (916).
11 E. Dupré-Theseider, ibid., p. 91.
12 Sur la définition du civis comme habitator, cf. Roberto Celli, Pour l’histoire des origines du pouvoir populaire. L’expérience des villes-États italiennes (xie-xiie siècles), Louvain, 1980, p. 10-11. Il semble par contre impossible, contrairement à ce qu’on a cru longtemps pouvoir affirmer, que les cives du haut Moyen Âge aient constitué un corps organiquement défini : ainsi le document véronais mis en avant par V. Cavallari, où l’on voit des iudices, porte-paroles institutionnels des cives, en conflit avec l’évêque au sujet des charges respectives à supporter pour la réfection des murs de la ville, ce document s’avère être un faux du xiie siècle (V. Cavallari, Raterio e Verona. Qualche aspetto di vita cittadina nel x secolo, Vérone, 1967, p. 80, 82-83. On trouvera la critique détaillée de cette source dans l’ouvrage récent de C. La Rocca, Pacifico di Verona. Il passato carolingio nella costruzione della memoria urbana, Rome, 1995, p. 27-34 et 184-203. Une critique, plus ancienne et plus dictée par l’intuition, dans l’article de G. Tabacco, Vescovi e comune in Italia, dans I poteri temporali dei vescovi in Italia e in Germania nel Medioevo. Annali dell’Istituto storico italo-germanico, 3, Bologne, 1979, p. 254).
13 S. Bertelli, Il potere oligarchico..., p. 4. L’auteur reprend, il est vrai, lui aussi, l’exemple de Vérone, et cite la formule fameuse d’Isidore de Séville : Urbs ipsa moenia sunt, civitas autem non saxa sed habitatores vocatur.
14 C’est ainsi que, dans le cas de Plaisance, plus tôt documenté que celui de Padoue, on voit le milieu seigneurial, lié féodalement à l’évêque, affluer du conta-do dès le début du xie siècle (P. Racine, La nascità del comune, dans Storia di Piacenza, t. 2, Plaisance, 1984, p. 58 ; cité par R. Bordone, La società cittadina..., p. 161).
15 Cf. G. Fasoli, R. Manselli, G. Tabacco, Le strutture sociali delle città italiane dal v al xii secolo, dans « Vorträge und Forschungen », 11, 1966, p. 294, 300-303.
16 W. Goetz, Le origini..., p. 81. Signalons que cet auteur déjà ancien avait insisté sur le rôle des arimanni/vassaux épiscopaux. Il avait clairement vu en eux « une sorte de pont entre les éléments élevés socialement de la ville et ceux de la campagne » (p. 64).
17 W. Goetz, ibid. De même, à Mantoue, en 945, dans un diplôme de Lothaire qui ordonne que la monnaie frappée dans cette ville ait cours aussi à Brescia et Vérone, il est fait allusion au conventus civium predictarum urbium.
18 Cf. supra, p. 185. De même, aux alentours de l’an 1100, une lettre écrite à l’empereur par un comte « M » (qui ne peut guère être que Manfredo, comte de Padoue) dénonce une alliance, assortie d’un accord commercial, passée entre les cives de Vicence et Padoue ; les tenants et aboutissants de ce document sont peu clairs : le comte s’en plaint comme d’une insubordination envers lui-même et les « fidèles » de l’empereur (C D P, 1, no 331).
19 C D P, 2/1, no 409. La raison de la réunion de tous les citadins ressort de la formulation même de l’acte : le bois cédé est iuris tocius civitatis ; tous doivent donc être présents pour approuver la donation. De même, en 1190, la concio maxima, réunie par le podestat Guglielmo di Osa dans la cathédrale, accepte de revendre à l’église d’Ognissanti 20 campi à Frassenedo, dont ladite église avait été expropriée peu auparavant, et cela pour une somme inchangée (A. Gloria, Intorno al Salone di Padova, Padoue, 1879, doc. 9, p. 47-48).
20 C D P, 2/2, no 1371 ; G. B. Verci, Storia della Marca..., t. 1, doc. 63. L’acte de 1233 accorde la citoyenneté padouane aux gens de Conegliano : c’est sans doute ce qui explique qu’on ait jugé nécessaire l’accord de tous les Padouans.
21 Il est cependant une occurrence tardive où son rôle est tout autre que formel ; mais le caractère de cette occurrence est absolument exceptionnel : le 17 mars 1231, à l’issue de la prédication du Carême où il a prononcé des discours d’une extrême violence contre l’usure, saint Antoine obtient la convocation de la concio au palais communal ; il y présente lui-même le fameux statut sur les dettes dont il est l’inspirateur immédiat (Statuti..., no 551, p. 178-179), que l’assemblée approuve à l’unanimité (C. Gasparotto, Padova ecclesiastica..., p. 49).
22 Il va de soi que cette conception du corps des cives ne vaut que dans le cas de villes qui n’ont pas connu de précoce développement commercial à longue distance. Pour parler clair, Padoue n’est pas Milan, et il est hors de question d’y opposer les nobles « féodaux » à des cives dont les negotiatores seraient le « fermento vitale » (C. Violante, La società milanese..., p. 261-265).
23 W. Goetz, Le origini..., p. 47-56. Il faut rappeler, avec cet auteur, qu’il s’agit de gens réunis selon les occasions, et non d’un corps remplissant une charge fixe ; à l’inverse, l’article classique d’Antonio Bonardi, Le origini del comune di Padova, avait fait des boni homines une première assemblée de délégués agissant au nom de la commune (p. 65-69 du tiré à part). Il suivait, ce faisant, une théorie de Davidsohn que, d’emblée, Carlo Cipolla avait réfutée dans la recension qu’il avait faite de son article dans la « Rivista storica italiana » (16, 1899, p. 131-134). La même réfutation des présupposés « davidsohniens » de Bonardi sur ce point précis se retrouve dans le gros article de C. Giardina, I « boni homines » in Italia, dans « Rivista di storia del Diritto italiano », 5, 1938, p. 337-347 sur Bonardi ; l’auteur, qui se place d’un point de vue strictement juridique, insiste sur le fait que toutes les classes sociales peuvent être représentées dans l’exercice de cette activité.
24 Sur le cadre événementiel général, dans la mesure où les articles des « Histoires d’Italie » récentes en impliquent la connaissance préalable, l’ouvrage de référence demeure celui de C. Violante, L’età della riforma della Chiesa in Italia, dans Storia d’Italia, dirigée par N. Valeri, Turin, UTET, 1965 (2e éd.), t. 1, p. 67-276. La contribution de G. Miccoli, La storia religiosa, dans la Storia d’Italia Einaudi (t. 2, p. 431-1079, avec un chapitre sur « La riforma gregoriana », p. 480516), apporte peu sur les implications politiques et les liens avec le mouvement communal.
25 A. Castagnetti, La Marca..., p. 43-44. Ce sera, au demeurant, « forse l’ultimo atto di una unità politico-amministrativa che, pur nello sviluppo delle autonomie signorili e cittadine, sopravviveva ».
26 D. Rando, Dall’età del particularismo..., p. 51. A défaut d’une bonne monographie récente sur le patriarcat d’Aquilée on consultera l’ouvrage ancien de P. Paschini, Storia del Friuli, Udine, 1975 (3e éd.), ainsi que le livre plus récent de P. Cammarosano, P. De Vitt et D. Degrassi, Storia della società friulana. Il Medioevo, Udine, 1988, p. 59-115, 159-166. Sur le patriarche d’Aquilée comme seigneur temporel, cf. H. Schmidinger, Patriarch und Landesherr. Die Weltliche Herrschaft der Patriarchen von Aquileia bis zum Ende der Staufer, Graz-Cologne, 1954 (très rapide sur les liens avec Padoue) ; Id., Il patriarcato di Aquileia, dans I poteri temporali dei vescovi..., p. 141-175. Sur la spécificité de l’attitude du patriarcat dans la querelle des Investitures, cf. G. Fornasari, La riforma gregoriana nel Regnum Italiae, dans « Studi gregoriani », 13, 1989 : l’auteur oppose radicalement des exemples comme ceux de Milan et Plaisance à celui du patriarcat, défini comme « un’area di confine » (p. 310-318).
27 D. Rando, Dall’età del particolarismo..., p. 51 ; sur la politique régionale de Poppone, cf. P. Cammarosano, L’alto Medioevo, verso la formazione regionale, dans la Storia della società..., p. 81-87.
28 C D P, 1, no 144, a. 1045. Sur Burcardo et les autres prélats allemands à Padoue au xie siècle, cf. A. Castagnetti, Minoranze etniche..., p. 164-165.
29 G. Cracco, Bernardo, vescovo di Padova, dans DBI, t. 9, p. 235-236. Sur les problèmes monétaires, infra, p. 704-706.
30 D. Rando, Dall’età del particolarismo..., p. 51-59.
31 G. Gennari, Annali della città di Padova, Bassano, 1804, réimpr. anast. Bologne, 1967, p. 73 ; A. Gloria, C D P, 1, Dissert., p. lxxxvi-lxxxvii.
32 Sur Odelrico, cf. G. B. Borino, Odelrico vescovo di Padova (1064-1080), legato di Gregorio VII in Germania (1079), dans Miscellanea in onore di Roberto Ces-si, t. 1, Rome, 1958, p. 63-79.
33 A. Gloria, ibid., p. lxxxvii, d’après Dondi, Dissert. 3, p. 34. Cela dit le tout récent ouvrage d’A. Tilatti, Istituzioni e culto..., vient infirmer cette tradition (cf. supra, à la fin de la Préface).
34 C D P, 1, no 290.
35 C D P, 2/1, Dissert., p. lxxii-lxxiv ; G. Cracco, Bellino, vescovo di Padova, dans D B I, t. 7, p. 741-743.
36 A. Castagnetti, La Marca..., p. 37.
37 G. Fasoli, Per la storia di Vicenza dal ix al xii secolo. Conti, vescovi, vescovi-conti, dans « A V », ser. 5a, 36-37, 1945, p. 229-230. En 1107 Ugo, fils du comte de Padoue, est à Este avec le duc de Bavière ; en 1116 il figure dans la suite d’Henri V (A. Castagnetti, I conti..., p. 50-51).
38 A. Castagnetti, La Marca..., p. 36-37 ; Id., I conti..., p. 119.
39 A. Gloria, C D P, 2/1, Dissert., p. lxxii-lxxiii.
40 Un document épigraphique publié par Salomonio témoigne de cet achèvement : Praesulis est templi finitio tempore petri / Milo fundavit vir praesul et imperialis / MXC-MCX (Salomonii Iacopi. Agri Patavini inscriptiones sacrae et prophanae, Padoue, 1696, p. 297 ; cité par P. Pinton, Codice diplomatico saccense, Rome, 1894, réimpr. Este, 1990, no 576, p. 207). Sur la collégiale San Martino, cf. P. Pin-ton, La più antica chiesa di Piove di Sacco. Nota archeologica, « N A V », 2/2, 1891, p. 279-319 ; I. Daniele, Parrocchie, dans La diocesi di Padova 1972, Padoue, 1973, p. 416-418. Vite terminée, la collégiale ne sera consacrée, par Bellino, qu’en 1129.
41 Sur ces événements, cf. G. Cracco, Bellino... P. Racine considère tardive la date de la victoire des Grégoriens à Plaisance, qui date de 1093 ! (P. Racine, Plaisance..., t. 1, p. 216). C’est dire à quel point la position de départ de l’Empire était plus forte dans la Marche, à quel point aussi le contexte social y était différent, et moins susceptible d’agitations du type de la « Pataria ». Sur Bellino, cf. aussi G. Tilatti, Bellino vescovo, la leggenda e la storia, dans « Quaderni storici », n. s., 93, 1996, p. 583-605 (avant tout, cependant, sur le culte et la tradition hagiographique).
42 D. Waley, Les républiques..., p. 140.
43 Sur le thème du « carroccio », on se reportera désormais à l’article de H. Zug-Tucci, Il carroccio nella vita comunale italiana, dans « Quellen und Forschungen »..., 65, 1985, p. 1-104 (sur celui de Padoue, cf. p. 97-98). Sans renier tout-à-fait la tradition initiale, Rolandino, à l’aube de la deuxième époque de liberté communale, s’est fait le colporteur d’une mythologie qui donnait plus de place à la cité : Padoue possédait de toute antiquité un « carroccio », et n’en avait été privé que durant les périodes de tyrannie d’Attila et d’Ezzelino ; il attribue à Conrad II la restitution à la ville de son droit ancestral à cette possession.
44 Cf. G. Cracco, Bellino..., p. 741.
45 D. Rando, Dall’età del particolarismo..., p. 56-57.
46 Quant au « modèle patarin », je renvoie le lecteur aux ouvrages classiques de C. Violante, La pataria milanese e la riforma ecclesiastica, 1. Le premesse (10451057), Rome, 1955 ; et, Id., I laici nel movimento patarino, dans I laici nella « societas christiana » dei secoli xi e xii (Atti della terza settimana internazionale di studio), Milan, 1968, p. 597-697. Un bon exemple aussi dans P. Racine, Plaisance..., t. 1, p. 204-235.
47 Il est des villes où le lien entre la querelle des investitures et les origines de la commune est plus clair : ainsi à Crémone où, à la fin du xie siècle, le siège épiscopal fut vacant un certain temps, la curia épiscopale sans chef se transforma en organe du gouvernement de la ville, indépendance qui préparait au consulat (F. Menant, Aspetti delle relazioni feudo-vassallatiche nelle città lombarde del secolo xi : l’esempio cremonese, dans Id., Lombardia feudale..., p. 304).
48 Cf. les remarques de O. Capitani, dans son article Città e comuni..., p. 22-30. L’auteur parle d’une « cogestion » initiale entre évêque et consuls (p. 29-30).
49 G. Tabacco, Vescovi e comuni..., p. 273.
50 A. Castagnetti, La Marca..., p. 49-50 ; ou encore G. Rippe, Commune urbaine..., p. 682-683.
51 A. Rigon, Clero e città..., p. 37 ; l’auteur cite au passage M. Ronzani, La « chiesa del comune » nelle città dell’Italia centro-settentrionale (secoli xii-xiv), dans « Società e storia », 21, 1983, p. 523 ; c’est là que se trouve la remarque sur l’originalité du cas padouan.
52 M. C. De Matteis, « Societas christiana » e funzionalità ideologica della città in Italia : linee di uno sviluppo, dans Le città in Italia e in Germania nel Medioevo : cultura, istituzioni, vita religiosa (Annali dell’Istituto storico italo-germanico, 8), Bologne, 1981, p. 22-23. Sur le thème général du « christianisme civique », cf. P. J. Jones, Economia e società nell’Italia medievale : la leggenda della borghesia, dans la Storia d’Italia Einaudi, Annali, 1, 1978, avec un chapitre précisément intitulé « Il cristianesimo civico », p. 259-266 (auj. réédité dans Id., Economia e società nell’Italia medievale Turin, 1986, p. 76-83 : les titres, assez malencontreusement à mon avis, ont disparu). Jones définit cette notion comme « un insieme, troppo compatto per separarlo, di patriottismo civico e religioso – non « borghese », ma urbano, rinato con la civitas – (p. 79 de la réédition). Il illustre, en note, cette union et cette « compacité » précisément par la collaboration initiale entre évêque et consuls, et par l’utilisation, longtemps prolongée, des édifices sacrés par les instances communales.
53 C D P, 2/1, no 339.
54 L. Simeoni, Le origini del comune di Verona, dans Id., Studi su Verona..., 1, Vérone, 1959, p. 87-151 (sur ce problème précis, cf. p. 87-88, et 143-145) ; A. Castagnetti, La Marca..., p. 46-47.
55 Sur Trévise, cf. D. Rando, Dall’età del particolarismo..., p. 59-61. Sur Vicence, dans la Storia di Vicenza, t. 2, A. Castagnetti, Vicenza nell’età del particolarismo..., p. 25-58 ; cf. aussi les remarques de G. Cracco, Da comune di famiglie..., p. 73-74, dans le même volume. A. Castagnetti invoque « l’arretratezza delle strutture sociali ed economiche » à Vicence, Padoue et Trévise, comme la raison de la naissance tardive du consulat dans ces trois villes (p. 51).
56 W. Goetz, Le origini..., p. 112.
57 La remarque a été faite, plus nettement que par ses prédécesseurs – dont moi-même –, par A. Castagnetti (I conti..., p. 125-130). Cela dit Teupo da Crespano (le no 15 sur la liste ci-jointe) est bel et bien d’une famille de « féodaux », mais il est manifestement devenu un citadin (cf. infra, appendice en fin de chapitre).
58 Cf. le tableau n. 14 p. 923.
59 P. S. Leicht, Console, Medioevo, dans l’Enciclopedia italiana, t. 11, 1949 : « Il numero di questi consoli varia : ve n’ha talvolta 12, talvolta un numero minore, sino a due » (p. 206). Le chiffre de 12 sera celui, fixé par les statuts, des consuls subordonnés au podestat au xiiie siècle ; mais ils n’auront plus grand-chose à voir avec le collège exécutif de la commune du xiie siècle (cf. infra, p. 654).
60 A. Bonardi, Le origini..., p. 74-76 (du tiré à part). Sur ce point aussi Bonardi reprend et applique à Padoue les conclusions de Davidsohn sur Florence ; du moins, à l’inverse de celles qui concernaient les boni homines, ne sont-elles pas obsolètes.
61 P. Sambin, L’ordinamento parrocchiale..., p. 23-42.
62 Sur le clergé paroissial et le document de 1136, cf. A. Rigon, Clero e città..., p. 19-23.
63 Curieusement, le même Leicht, qui fait percevoir le chiffre de 1138 à Padoue comme exceptionnellement élevé, écrivait dans le même article : « Sembra che in molte città ci fosse una relazione fra il numero dei consoli e i quartieri ». Il me semble qu’il faut admettre que, le plus souvent, là où les consuls sont nombreux car choisis selon des critères topographiques, ils ne figurent pas souvent au complet, ce qui expliquerait le chiffre plus bas du maximum habituel relevé par Leicht. Dans le cadre vénète il faut remarquer qu’à Vérone, où le milieu dirigeant était socialement plus complexe en raison du développement de l’économie, les critères étaient sans doute différents. Les chiffres dont on dispose donnent l’impression (est-ce un hasard ?) d’une augmentation régulière du nombre des consuls : 1136, 4 consuls ; 1140, 7 ; 1151, 8 ; 1181, 9 ; 1184, 10 ; 1192, 13 (L. Simeoni, Il comune veronese sino a Ezzelino e il suo primo statuto, dans Id., Studi su Verona..., t. 2, Vérone, 1960, p. 63-65).
64 R. Bordone, Le « élites » cittadine nell’Italia comunale (xi-xii secolo), dans « MEFRM », 100, 1, 1988, p. 47.
65 Les 3 premières et la cinquième sont fournies telles quelles. Pour la quatrième – celle de 1166 – il faut compléter le document no 892 du Codice de Gloria par le no 896, qui est le seul à citer Rolandino dal Borgo (le dernier sur le tableau). La dernière offre un cas de figure plus complexe : le premier personnage cité l’est aux no 1387 et 1463 ; les 11 suivants (de Giacomino da Limena à Armanno) le sont aux no 1387 et 1453 ; 4 le sont au seul no 1453 (de Gerardino da Vigodarzere à Guglielmino) ; le dernier – Rogato – ne l’est qu’au no 1463.
66 H. Keller, Gli inizi del comune in Lombardia : limiti della documentazione e metodi di ricerca, dans L’evoluzione delle città italiane nell’xi secolo (Annali dell’Istituto storico italo-germanico, 25), Bologne, 1988, p. 55.
67 Dans sa monographie sur Pise, Volpe montre fort bien comment, jusqu’aux années 1160 (et donc très tard) l’évêque accomplit des actes que la commune ne peut, selon la « loi féodale », accomplir elle-même, par exemple recevoir le serment de vassalité de seigneurs châtelains : ceux-ci deviennent officiellement les homines de l’évêque. Ainsi en 1109 un seigneur engage des biens en garantie de paix à l’évêque et aux consuls, et en 1160 un autre jure fidélité à l’évêque et au populus. « Si direbbe, concluait Volpe, che la personalità civile del comune non sia ancora pienamente costituita, ma esso si trovi ed agisca come in un consorzio col capo spirituale della città (G. Volpe, Studi sulle istituzioni comunali a Pisa, Pise, 1902 ; nouv. éd. 1970, p. 10-12).
68 Ce sont les 8e et 13e de la liste.
69 Cf. infra, l’appendice de ce chapitre, Gualperto « del Vescovo » (no 16) ; et l’appendice prosopographique en fin de volume (Bertaldi).
70 C D P, 2/1, no 317. Sur les liens du juge Enrico avec Sacco, cf. infra, l’appendice en fin de chapitre.
71 A. Castagnetti, I conti..., p. 125-130 ; Id., La Marca..., p. 50.
72 Sur la problématique générale on trouvera, en français, un manuel commode avec l’ouvrage de M. Pacaut, Frédéric Barberousse, Paris, nouv. éd. 1990, surtout p. 150-229. Encore utilisable : E. Jordan, L’Allemagne et l’Italie de 1125 à 1273, t. 4 de la série « Moyen Âge » de l’Histoire générale dirigée par G. Glotz, Paris, 1939, p. 66-90 et 96-116. Plus précisément sur les rapports entre Barberousse et Padoue, une mise au point commode et récente dans F. Opll, Stadt und Reich im 12. Jahrundert (1125-1190), Cologne-Graz, 1986, p. 358-362. L’auteur rappelle comment, pendant une longue période, les autorités padouanes suivent l’empereur : en 1154 l’évêque Giovanni avait obtenu de payer une somme forfaitaire pour le fodrum ; en 1158 des troupes padouanes participent aux combats contre Milan, et encore en 1160 l’évêque est présent au synode convoqué par l’empereur à Pavie. Le pouvoir autoritaire exercé par le comte Pagano, légat de Frédéric et rector civitatis, allait largement contribuer à la disparition de ces bonnes dispositions. Sur Pagano et son activité dès septembre 1160 à Monselice, cf. A. Haverkamp, Herrschaftsformen..., p. 460.
73 Cf. infra, appendice en fin de chapitre.
74 Cf. infra, ibid. Cette famille de capitanei a des liens aussi bien avec les châtelains qu’avec le milieu citadin.
75 A. Castagnetti, I conti..., p. 126.
76 Un rappel des faits dans E. Zorzi, Il territorio..., p. 153.
77 Sur ces événements on trouvera un bon résumé dans E. Jordan, L’Allemagne et l’Italie..., p. 100-101.
78 Trévise adhère le 1er décembre à la ligue lombarde (D. Rando, Dall’età del particolarismo..., p. 61).
79 C D P, 2/2, no 1541 et no 1371.
80 Ibid., 2/1, no 440, et 2/2, no 1371.
81 Ibid., no 1414.
82 Ibid., no 1370 (a. 1180) et no 1393 (a. 1181).
83 Ibid., no 1483 et no 1393. En 1178 (no 1309) un Albericus de Padua, qui est sans doute Alberico Gnanfo, est recteur de la ligue lombarde.
84 On peut aussi, avec F. Opll, estimer que Frédéric Barberousse s’était employé de façon systématique à affaiblir la puissance de l’évêque à Padoue, entre autres en favorisant contre lui d’autres forces ; il interprète en ce sens un diplôme accordé, depuis Piove, par son envoyé, l’évêque de Verden Hermann, au chapitre cathédral, et qui lui reconnaît des biens à Camino (F. Opll, Das Itinerar Kaiser Friedrich Barbarossas (1152-1190), Vienne-Cologne-Graz, 1978, p. 29 ; cf. aussi Id., Stadt und Reich..., p. 362).
85 Cf. supra, mes remarques introductives, p. 340.
86 E. Zorzi, Il territorio..., p. 121-129.
87 C D P, 2/2, no 1441, no 1457 et no 1480.
88 Cf. supra, p. 135, note 72. Une première trêve, non respectée, dès l’automne 1182 (C D P, 2/2, no 1463).
89 Giacomino incendie Conselve durant une trêve, Alberto massacre les habitants de Calcinara.
90 Si, du moins, mon hypothèse est exacte ; cf. infra l’appendice en fin de chapitre.
91 B. Lanfranchi-Strina éd., Ss Trinità..., t. 2, no 145, a. 1165 ; en 1215 l’un d’eux est témoin des da Carrara à Bagnoli (ibid., t. 3, no 576).
92 Saza était son vassal, Guitaclino figure parmi les témoins de son testament, les deux autres se sont montrés dans son entourage à titre de témoins. Sur tous les consuls de 1182, je renvoie le lecteur à l’appendice en fin de chapitre.
93 C D P, 2/2, no 1463.
94 B. Lanfranchi-Strina éd., ibid., no 445.
95 C D P, 2/2, no 1463.
96 Cf. infra, des exemples dans l’appendice en fin de chapitre : par exemple Mainardino, Lazaro, Ottolino.
97 Cf. G. Cherubini, Qualche considerazione sulle campagne dell’Italia centro settentrionale tra l’xi e il xv secolo, dans Id., Signori, contadini, borghesi, Florence, 1974, p. 64 : « Nei primi tempi dell’età comunale, che trovano espressione nel governo consolare, sono soprattutto gli elementi della nobiltà minore ad unir-si e a mettere in comune... i loro diritti ». Précisons : ils gèrent la commune plutôt qu’ils ne la dirigent. Le châtelain est en coulisse.
98 Cf. les remarques, qui vont dans le même sens, de G. Volpe, Questioni fondamentali sull’origine e svolgimento dei comuni italiani, dans Id., Medioevo italiano, p. 100-101. Si l’on ne peut qu’être d’accord avec Volpe sur cette caractérisation sociale du milieu consulaire, il est par contre impossible de continuer à le suivre (comme le montre ce qui précède) quand il imagine la petite aristocratie opposée à la grande (« in lotta contro la maggiore » : p. 90).
99 G. De Vergottini avait cru à une prééminence absolue d’un ordo militum et, pour lui, les iudices et causidici venaient après les milites dont, croyait-il, on les distinguait : il écrivait donc des juges : « sono l’unica classe non feudale che partecipi effettivamente al governo del comune consolare a Modena » ; et il étayait sa démonstration par l’exemple de Padoue (G. De Vergottini, Il « popolo » nella costituzione del comune di Modena sino alla metà del xiii secolo, dans Id., Scritti di storia del diritto italiano, Milan, 1977, t. 1, p. 266-267). Pour un état de la question à l’heure actuelle, on consultera l’article de J.-C. Maire-Vigueur, Gli « iudices » nelle città comunali : identità culturale ed esperienze politiche, dans Federico II e le città italiane, P. Toubert et A. Paravicini-Bagliani éd., Palerme, 1994, p. 161176 (cf., entre autres, cette remarque : « gli iudices sono pure loro dei milites – à part entière – », p. 167).
100 On verra un peu plus loin que, à partir des années 1150, des nuances sont à introduire, dans la mesure où le fonctionnement même de l’institution a engendré une rapide évolution – notamment la séparation entre divers niveaux de compétence.
101 Cf. infra, p. 669-671.
102 Les sources narratives sont claires à ce sujet, comme le rappelle S. Bortolami, Per la storia della storiografia comunale : Il « Chronicon de potestatibus Padue », dans A V, ser. 5, 105, 1975, p. 85.
103 « Die Richter kamen oft aus dem grundherrlischen Adel,... (sie) waren zugleich als Vasallen an den Bischof gebunden » (H. Keller, Adelsherrschaft..., p. 355).
104 Id., ibid., p. 310 ; cf. aussi, supra, p. 101, note 48.
105 Des exemples aussi éloquents que celui qui va suivre (tardif, il est vrai) manquent malheureusement à Padoue : en 1302 Ugolino Galluzzi, fils d’un défunt chevalier très aimé et considéré à Bologne, est fait chevalier avec son frère et, à la même époque, il obtient le doctorat en droit (S. Gasparri, I milites cittadini. Studi sulla cavalleria in Italia, Rome, 1992, p. 68).
106 R. Bordone, La società cittadina..., p. 32-51. Au sujet de l’éloquence politique, Bordone cite le grammairien Papien qui, au xie siècle, définit la rhétorique comme ratio dicendi et iurisperitorum, que maxime in civilibus questionibus necessaria est. (p. 32). Bref, dans le royaume d’Italie, l’école a des finalités pas seulement religieuses, mais aussi civiles.
107 R. Bordone va jusqu’à parler d’un « prestige quasi sacral » du ius dans les mentalités urbaines au début du xiie siècle (ibid., p. 51).
108 Cf. par exemple les remarques d’Antonio Padoa-Schioppa, dans son article Il ruolo della cultura giuridica in alcuni atti giudiziari italiani dei secoli xi e xii, dans « Nuova rivista storica », 64, 1980, p. 265-289. A partir d’un procès tenu à Vérone en 1145-1147, l’auteur montre comment les parties en présence, tout comme les juges, jonglent en connaisseurs avec les deux droits. Il parle, pour cette période, d’une « sorprendente penetrazione della nuova scienza giuridica nella pratica » (p. 287).
109 Deux remarques à ce sujet : 1. non seulement on insiste aujourd’hui sur le fait que les juges sont membres à part entière de l’aristocratie mais, pour certains historiens (qui prennent le contrepied de ce qu’écrivait De Vergottini), dans la hiérarchie sociale citadine, les juristes occupaient, encore vers 1250, une place entre les magnats et la bourgeoise naissante et étaient supérieurs aux simples milites (J. Fried, Die Entstehung des Juristenstandes im 12. Jahrundert. Zur sozialen Stellung und politischen Bedeutung gelehrter Juristen in Bologna und Modena, Cologne-Vienne, 1974, p. 250-251) ; 2. quant au concept gramscien, T. Pesenti-Marangon l’avait déja employé à propos, précisément, des juges padouans, lors-qu’elle écrivait qu’ils avaient « un ruolo di uomini di cultura organici alla società e alla politica dei secoli xii-xiv » (T. Pesenti-Marangon, Università, giudici..., p. 6).
110 Cf. O. Banti, Il notaio e l’amministrazione del comune a Pisa (sec. xii-xiv), dans Civiltà comunale. Libro, scrittura, documento. Atti del Convegno di Genova, 8-11 novembre 1988, Gènes, 1989, p. 131. Cf. aussi l’ouvrage de G. G. Fissore, Autonomia notarile e organizzazione cancelleresca nel comune di Asti. I modi e le forme dell’intervento notarile nella costituzione del documento comunale, Spolète, 1977. On en trouvera un résumé (avec la mise à jour de certaines données), plus immédiatement utilisable pour qui s’intéresse à l’histoire sociale, dans Id., La diplomatica del documento medievale fra notariato e cancelleria. Gli atti del comune di Asti e la loro collocazione nel quadro dei rapporti fra notai e potere, dans « S M », 19, 1978 ; l’auteur y insiste notamment sur le fait que le document notarial des temps communaux conserve et enrichit les apports de l’époque où le pouvoir était celui du comte ou de l’évêque et de l’entourage de l’un ou de l’autre, et cela du fait même que les notaires épiscopaux sont aussi des membres de la commune consulaire à ses débuts (p. 212-215) : ce qui est vrai à Asti l’est aussi à Padoue, comme on peut le voir en feuilletant l’appendice prosopographique de ce chapitre sur le personnel consulaire.
111 G. G. Fissore y insiste dans un autre article, Il notariato urbano tra funzionariato e professionismo nell’area subalpina, dans L’evoluzione delle città italiane nell’xi secolo (Annali dell’Istituto storico italo-germanico, 25), Bologne, 1988, p. 140. Un cas exemplaire est celui de Lucques où, dès l’époque carolingienne, « famiglie di tradizione notarile e famiglie di tradizione giudiziaria si intrecciano » (G. Tabacco, La genesi culturale del movimento comunale italiano, dans Civiltà comunale..., p. 23-24).
112 Si du moins est juste mon hypothèse selon laquelle le juge Jonas est le même personnage que le notaire et causidicus. Cf. l’appendice en fin de chapitre.
113 Dans un acte de concession à la commune d’Asti on rencontre un Ubertus iudex et notarius palatinus, connu comme rogataire de l’évêque en 1095, qui est en même temps consul de cette commune (G. G. Fissore, La diplomatica..., p. 215).
114 Cf., dans l’appendice en fin de chapitre : les désignations de Giovanni di Tado. Comme l’écrivait M. Roberti, « la stessa persona prendeva il titolo che in quel momento e forse per quell’ufficio più le sembrava opportuno, altre volte ne prendeva anche due » (M. Roberti, Diritto romano e coltura giuridica in Padova sulla fine del secolo xii, dans « N A V », n. s. 4, 1902, p. 180.
115 Sur le sens de causidicus par rapport à iudex, cf. J. Fried, Die Enstehung..., p. 39-41.
116 M. Roberti, Diritto romano..., p. 180-181. Autre exemple de persistance : Mainfredo, juge et consul, dénommé encore causidicus en 1152 et 1158 (cf. infra, appendice en fin de chapitre).
117 Les choses évoluent bien entendu plus vite dans les villes vénètes que dans d’autres comme Pise qui, dotées de consuls dès la fin du xie siècle, ont eu une cinquantaine d’années pour mettre en place les structures communales dans toute leur complexité (cf. note suivante).
118 O. Banti, Il notaio e l’amministrazione..., p. 131-134. Les officiers, dès ce moment, ont un ou plusieurs notaires pour enregistrer leurs actes.
119 Sur les notaires des années 1200, cf. infra, p. 664-668.
120 Comme on l’a opportunément rappelé, seules Venise et Rome n’ont pas connu le podestariat (E. Crouzet-Pavan, Venise et le monde communal : recherches sur les podestats vénitiens 1200-1350, dans « Journal des Savants », juillet-décembre 1992, p. 278, note 4).
121 Sur ces lointaines origines du podestat, cf. l’article d’O. Banti, Forme di governo personale nei comuni dell’Italia centro-settentrionale nel periodo consolare (sec. xi-xii), dans Studi sul medioevo cristiano offerti a Raffaello Morghen, t. 1, Rome, 1974, p. 29-56.
122 Id., ibid., p. 39 et 50-52. A Bologne, en 1151, il y a un rector et potestas (p. 32). L’usage du terme « podestat » démarre donc bien durant cette première période, dans un autre contexte que dans les années 1170-1180, comme on le voit.
123 Cf. supra, p. 342 ; voir aussi l’appendice en fin de chapitre.
124 Dès 1161, il est privé de la juridiction sur la Saccisica et sur la rocca de Pendice et son territoire. Il les retrouvera, de fait sinon de droit, dès 1164.
125 Cf. les hypothèses de F. Opll à ce sujet, rappelées en note 84. A dire la vérité, comme l’avait remarqué O. Banti, déjà Muratori avait perçu que ce changement de la situation de l’évêque était contemporain de Barberousse (O. Banti, Forme di governo..., p. 37, note 18).
126 D. Waley, Les républiques... : sur le podestat, p. 66-74 ; l’extrait cité est p. 68.
127 Pour reprendre l’exemple génois, en 1161, selon Caffaro, les consuls civitatem et populum in pace et concordia tenuerunt. Il est clair que, pour lui comme pour tout chroniqueur, telle est leur tâche primordiale ; ensuite viennent, en ordre décroissant, « la défense de la patrie, la garde des murs, l’envoi d’ambassadeurs et l’accueil de nouveaux habitants » (R. Bordone, La società cittadina..., p. 193).
128 Id., ibid.
129 Sur ce thème général, cf. par exemple les remarques de S. Bertelli, Il potere oligarchico..., p. 51-53.
130 A.I. Pini, Città, comuni..., p. 98.
131 Une première liste des podestats de Padoue se trouve dans Gloria, Degl’illustri italiani che avanti la dominazione carrarese furono podestà in Padova, Padoue, 1889, réimpr. anast., Bologne, 1977. Le même auteur a ensuite établi un tableau de la succession des podestats et consuls, de 1175 à 1237, dans ses Monumenti della Università (1222-1318), Venise, 1884, p. 12-24. D’un ouvrage à l’autre on trouve çà et là des repentirs et l’expression de doutes ; sur ce point cf. S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 6, note 11.
132 Alberto di Mandello : 1203 ; Ottone di Mandello : 1225, 1234, 1235 (cf. A. Gloria, Monumenti..., p. 17, 22, 24). Je rappelle, au sujet de ces 2 familles de podestats, que les Milanais ont une sorte de prédominance initiale dans cet emploi, du fait de leur rôle dans la ligue lombarde ; cf. A. Haverkamp, La lega lombarda sotto la guida di Milano (1175-1183), dans La pace di Costanza, 1183. Un difficile equilibrio di poteri fra società italiana ed impero. Milano-Piacenza, 27-30 aprile 1983, Bologne, 1984, p. 159-178.
133 G. Volpe, Il podestà nei comuni italiani del ’200, dans Id., Medioevo italiano, p. 235-237.
134 Le cas padouan rentre dans la norme, comme le montre la lecture de l’article classique d’E. Cristiani, Le alternanze tra consoli e podestà e i podestà cittadini, dans l’ouvrage collectif I problemi della civiltà comunale, Bergame, 1971, p. 47-57. Sur une soixantaine de communes examinées par l’auteur, en effet, plus de 40 ont connu une période d’alternance oscillant entre 10 et 40 ans (p. 48).
135 Cf., à ce sujet, les remarques de G. de Vergottini, dans son article Problemi di storia della costituzione comunale, dans Id., Scritti di storia del diritto italiano, Milan, 1977, p. 363.
136 S. Bortolami, Fra « Alte Domus »..., p. 4-6 et 15-20.
137 S. Bortolami, ibid., p. 6, note 10.
138 S. Gasparri, I « milites »..., p. 32-38.
139 Curieusement, ni S. Bortolami, ni A. Castagnetti, n’ont accordé à l’article de Banti (Forme di governo personale...), sur ce point, l’attention que, me semble-t-il, il méritait.
140 Alberto a alors l’opinion pour lui, comme le montre une intervention épiscopale, qui condamne le fils de Giacomino da Carrara et ses hommes pour avoir détruit Arre.
141 Chronicon de potestatibus..., p. 94 ; Liber regiminum..., p. 299 (idem dans les Annales patavini..., p. 184). En 1181 ils avaient été trois : Giovanni dei Lemizi, Ziliolo di Sintilla et Guglielmo di Compagno (Liber regiminum..., p. 294).
142 Dominus Aposatius de Brixia potestas Padue... fuit expulsus de regimine, quoniam male exercebat officium suum cum magnatibus et potentibus (Liber regiminum..., p. 295). L’auteur anonyme écrivait fort longtemps après les faits, et l’on n’en sait pas davantage.
143 Ce fait est essentiel, comme l’a noté S. Bortolami (Fra « Alte Domus »..., p. 20-21). Ailleurs les magistratures s’imposent souvent, et finissent mal ; très fréquemment le podestat, même étranger, finit par représenter un parti, ou par être accusé de le faire. La paix obtenue à Padoue est une rareté.
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