Chapitre 2. Le nouvel ordre : les structures féodo-vassaliques
p. 117-241
Texte intégral
1Au cours des années 1060-1070 la « société féodale » apparaît tout armée, avec son vocabulaire désormais bien fixé. J’analyserai d’abord cette structure formelle, puis le moment sera venu de présenter les grandes familles au lecteur, autant que possible en distinguant les différences hiérarchiques des unes aux autres : au-dessous de la mince pellicule que constitue le milieu des marquis et des comtes on retrouvera, pour commencer, avec des caractères assez particuliers ici, le célèbre binôme capitanei/vavasseurs. Des réseaux complexes de subordination réciproque – certes assez largement théorique – donnent à ce monde, malgré tout, ses premiers facteurs de cohérence organique, les plus apparents. Il en est d’autres.
2Les relations étroites et variées qui lient cet ensemble de familles servent à maints égards de correctif à un éparpillement accéléré des pouvoirs. A l’issue d’un processus plus ou moins lent selon les cas, au plus tard au début du xiie siècle, à l’intérieur de l’espace de l’ancien comté de Padoue une pluralité de « comtés ruraux » (les comitati des sources), qu’en d’autres lieux les historiens qualifient de « seigneuries banales » (ce qu’il m’est arrivé, et m’arrivera, d’ailleurs, de faire), s’est installée. Dans le même temps se sont progressivement constituées des clientèles de petits vassaux, sans lesquelles les nouvelles structures n’auraient pu fonctionner. Quant à l’exercice concret des pouvoirs « comtaux », il s’effectue à partir du réseau de castra qui s’est alors élaboré.
I–LES INSTITUTIONS ET LEUR VOCABULAIRE
3Le 28 août 1064 un noble de la Terre-Ferme, Uberto da Fontaniva, devient l’avoué du monastère vénitien de Sant’Ilario et San Benedetto ; c’est en raison de cette fonction, et tant qu’il l’exercera, qu’il reçoit un fief1. Une première remarque s’impose : on a vu que c’était précisément cette famille qui avait acquis la même charge auprès de l’évêque de Padoue. Plus directement lié à mon propos : en 1038 Odelrico da Montagnone avait reçu du monastère de Nonantola des terres en « livello » (donc sous la forme d’un bail emphytéotique) pour un service peut-être identique2. Le changement du mode de rétribution se situerait donc autour du milieu du siècle.
4Cette toute première apparition du mot feudum dans le Padouan semblera peut-être tardive3. L’impression se renforce lorsqu’on constate que, de surcroît, elles est isolée : c’est la seule occurrence pour le xie siècle !
5Non point que l’octroi de biens que l’historien d’aujourd’hui désigne sous le nom de « fief » ne se présente qu’une fois durant ce laps de temps. Entre 1075 et 1097 (donc plus tard, ce qui est à noter), voici cinq apparitions du mot rival, beneficium. Il faut ici saluer la précision du lexique notarial, car la différence terminologique avec le texte de 1064 ne semble pas fortuite. Il s’agit d’actes de marquis (les ancêtres des Este), ducs, rois : le vocabulaire est celui de chancelleries ; le pouvoir de la monarchie ou de ses délégués immédiats s’y exprime à travers une formulation demeurée carolingienne4. Avec l’acte de 1064 on se trouve à un degré inférieur de la hiérarchie : le fief y est expressément défini comme le salaire d’un service précis, dû non point à un roi ou à son représentant mais à un simple monastère.
6Par la suite les choses évolueront vers une complète simplification. Après l’acte de 1097 il faut attendre 1113 (11 mars) ; le processus y est en cours : un certain Agicardo di Cono di Guido a vendu sept masariciae au même monastère de Sant’Ilario ; il les reprend en fief, mais seulement en usufruit !5 Quelques remarques :
le notaire ne sait plus désormais distinguer les nuances de vocabulaire (il est vrai qu’il n’est qu’un tabellion de province et qu’on est loin des chancelleries). Il utilise tout d’abord beneficium, puis abandonne ce dernier en fin de rédaction, le jugeant désuet, semble-t-il, au profit de feudum6 ;
le vassal est manifestement issu d’une moyenne ou petite aristocratie locale. Il est en proie à des difficultés d’argent : déjà apparaît, entre le fief et la mobilité du capital immobilier, un lien qu’on aura l’occasion de retrouver et de voir s’approfondir.
7Le mot beneficium étant descendu de plusieurs crans, feudum finira par l’emporter jusque dans les actes des marquis (ainsi, en 1123, dans un jugement de Folco d’Este), une phase d’hésitation se poursuivant toutefois encore assez avant dans le xiie siècle, dans les actes d’investitures émanés de l’évêque aussi bien que de laïcs7. Dès 1128 apparaît une précision qui s’imposera rapidement – et définitivement : le fief au sens strict du mot, compris comme l’expression de certains rapports au sein de l’aristocratie (distinct, par exemple, des fiefs dits « conditionnels » qu’on rencontrera dès la seconde moitié du xiie siècle et qui peuvent concerner de simples serfs domestiques), est très souvent appelé rectum feudum8. Il n’y aura jamais d’autres spécifications, ni le moindre semblant d’apparition d’une autre terminologie.
8Il faut y insister, ce vocabulaire restreint est signe de clarté d’esprit. La présence du notaire dans les investitures a imposé un lexique rigoureux, et pauvre parce que rigoureux.
9Pauvreté encore plus remarquable s’agissant de celui qui reçoit le fief ! Le mot vassus, on l’a vu, n’a guère été utilisé qu’avant l’apparition du fief dans la documentation. Il ne sera jamais vraiment remplacé : il était lié aux structures vassaliques carolingiennes, non à la féodalité. En 1077 (voici le deuxième document révélateur annoncé à la fin du chapitre précédent) il est aisé, bien sûr, de considérer comme un groupe de grands vassaux de l’évêque les châtelains qui l’entourent à Vérone et lui font une honorable escorte face à l’empereur Henri IV. Il y a là, outre son avoué Uberto, Ogerio da Fontaniva, Rustico da Montagnone, Erizo da Carrara, Ugo da Baone : mais ils ne se présentent qu’en tant que témoins, avec quelques autres (rogati testes)9. Les mentions de vassallus sont extrêmement rares dans les documents de la pratique, et se rencontrent plutôt dans des contextes particuliers. Ainsi, en 1152, une décision de la cour féodale de l’évêque est précédée de toute une évocation du litige qui venait d’opposer celui-ci à un de ses vassaux, et de l’énumération d’un ensemble de questions de droit féodal auxquelles la cour répond prélablement à son jugement. C’est dans cet exposé des problèmes, présenté de façon abstraite, que l’on trouve le terme, sans que le vassal concerné soit nommément désigné10. Lorsque, en 1183, la fortune foncière du défunt Albertino da Baone est divisée entre ses filles par un arbitre, on attribue à chacune le vassallaticum d’un certain nombre de personnes11. C’est donc ici le fait vassalique qui est mentionné, et non le vassal !
10En général les aristocrates réunis autour de l’évêque, qu’ils soient châtelains ou patriciens padouans, soit n’éprouvent pas le besoin de s’autodéfinir explicitement, soit se qualifient tout simplement de boni homines (ou, moins souvent, de bone opinionis homines)12. Or cette expression passe-partout sert à l’occasion de toute réunion de notables, quelle qu’en soit la raison d’être (les témoins d’assemblées judiciaires communales ou de décisions consulaires se définissent le plus souvent ainsi).
11Usage modéré d’une terminologie technique restreinte, par conséquent, tant au sujet du fief que de son possesseur. Lorsque les grands, aux xie et xiie siècles, se rassemblent autour de l’un d’entre eux, l’accent est donc mis sur leur égalité fondamentale, sur l’unité du groupe, davantage que sur une hiérarchie formelle.
12Faut-il au fond s’en étonner ? Les seules assemblées de féodaux sur lesquelles on soit relativement bien documenté se tiennent autour de l’évêque, dans un cadre précis, la ville. Or l’évêque est censé être un primus inter pares en ce lieu où, peu à peu, des élites de diverses origines se retrouvent. Comme l’a écrit autrefois E. Dupré-Theseider, même là où il est paré du titre comtal – ce qui n’est pas le cas à Padoue, on l’a vu –, « l’évêque gouverne mais ne règne pas » sur la ville13. Aussi l’accent est-il spontanément mis, lorsque ces hommes se retrouvent dans sa curia, non point sur leur relation personnelle avec lui, mais sur l’appartenance à une communauté. La signification de tout cela s’impose : l’apparition des structures féodo-vassaliques, c’est aussi celle du milieu dirigeant de la commune urbaine in nucleo.
13Doit-on objecter que l’existence même d’une curia vassalique épiscopale est, pour l’instant, postulée14 ? La première référence explicite se trouve dans la rédaction des décisions du procès de 1152 – toujours lui ! Et d’emblée les choses sont claires : les vassaux sont là pour résoudre un problème de droit féodal qui met en cause l’évêque et leur « pair », Rolando da Curano, et sont réunis en une curia15. A quand remonte-t-elle ? Une première référence, implicite il est vrai, dès 1089 : l’évêque Milon vient trouver le duc Liutaldo pour lui demander une terre, tenue auparavant de lui, en bénéfice, par les fils d’un certain Ottone Stornello. Son argument est simple : « je la tiens par un jugement de mes milites »16. On a donc un premier témoignage antérieur à la fin du xie siècle.
14Une remarque incidente : là aussi l’évêque parle, non pas de ses vassalli mais de ses milites. Allusion à un milieu plutôt qu’à une relation, ici encore17.
15Si le thème de l’unité d’un milieu peut se dégager de ces quelques considérations sur le vocabulaire institutionnel, l’étude des familles qui le composent devrait réintroduire le lecteur dans le monde de la diversité, mais non dans un absolu désordre ; des cohésions hiérarchisées vont apparaître.
II–LES FÉODAUX
16La famille comtale padouane a partagé avec celle des marquis d’Este le privilège d’apparaître dès le xe siècle dans la documentation. Mais elle a tout à fait cessé d’être au premier plan, contrairement aux marquis, vers le dernier tiers du xie siècle, une fois constitué (et enfin devenu suffisamment visible au chercheur) le réseau de liens féodovassaliques qui ordonne les nouvelles relations entre les grands. Deux ensembles, deux systèmes de pouvoir cohérents se partagent à nouveau le Padouan : la seigneurie de l’évêque et celle des Este. Curieusement on retrouve une situation où, comme au haut Moyen Âge, le territoire est bicéphale de fait ; un centre de décision potentiellement rival de Padoue s’est fixé à Este – non loin de Monselice ; des fatalités géographiques ne cessent de s’imposer. Une logique, tant de l’éloignement que de la tradition historique (le rôle antique d’Este), redonne aux confins avec le Véronais une autonomie.
17Si l’on s’en tient aux grands laïcs, la bibliographie des dynasties apparues dans le Padouan au xie siècle a longtemps été pauvre. Jusqu’à l’orée des années 1980 il fallait pour l’essentiel s’en tenir à quelques titres antérieurs à 1940, voire au xixe siècle pour les Este18 ! On dispose à présent de la monographie sur les comtes de Padoue et Vicence due à Andrea Castagnetti19, et d’articles et ouvrages variés d’histoire sociale locale qui permettent de glaner çà et là des informations souvent précieuses20 ; il y a enfin les biographies parues dans le Dizionario Biografico degli Italiani.
18Je m’apprête ici, non pas à entamer le récit des aléas de chacune, mais à tenter de représenter un système de relations, à partir d’une relecture des documents étayée par les ouvrages existants.
A) Les marquis
19Les plus hauts seigneurs occupent donc une situation géographiquement marginale. Aussi bien leur statut dans le Padouan demeurera-t-il en fin de compte celui d’une puissance à demi étrangère, et que les autorités locales cherchent à se subordonner, sans y parvenir.
20En 1077 Henri IV leur octroie un diplôme où sont énumérés leurs biens, dispersés dans une bonne partie de l’Italie du nord21. Leur puissance s’étend désormais, pour ce qui est de la région qui m’occupe, au moins nominalement, sur divers lieux d’un vaste territoire de part et d’autre de l’Adige. Il suffit de jeter un œil sur la carte des limites de l’ancienne civitas d’Este aux temps romains, telles que les a retracées Gloria, pour s’en rendre compte : ce territoire englobe l’essentiel de cette ancienne circonscription, un peu écornée au nord, un peu débordée à l’est22 ; il constitue un ensemble assez compact, où l’on retrouve les villages de la Scodosia d’alors ; à l’est seule la possession de Pernumia le fait s’étaler jusque dans l’ancienne civitas de Patavium. C’est au nord, dans les Euganées, que, selon toute vraisemblance, l’implantation – antérieure ou contemporaine – des descendants des Candiano, comtes de Vicence et Padoue, les concurrençait et les empêchait de reconstituer tout à fait le vieil ensemble territorial disparu (ce qui, au demeurant, ne correspondait vraisemblablement pas chez eux à une intention consciente !).
21Les marquis sont à Arquà (et des documents postérieurs nous les montrent à Baone, j’y reviendrai) et ils détiennent un Mons Guiture qui, s’il s’agit de Montegrotto (ce qui n’a rien de sûr), représente lui aussi – comme Pernumia – une avancée de quelques km à l’est de l’ancienne civitas d’Ateste. Avancée peu durable : l’évêque, les comtes de Padoue et Vicence, et tout un milieu citadin y sont tôt présents. Jamais on n’y verra les marquis.
22Monselice ne figure pas dans l’énumération de 1077, ce qui est d’autant plus remarquable que tous les centres de quelque importance entourant cette ville s’y trouvent : Arquà, Pernumia, Tribano et Merendole23.
23Une si vaste seigneurie ne peut exister indéfiniment sans rencontrer l’interventionnisme impérial, à un moment ou l’autre des récurrentes pérégrinations germaniques. D’autre part il lui faut se situer vis-à-vis des autorités régionales dominantes, ici celle de l’évêque, dont elle dépend spirituellement, de surcroît.
24Liens avec l’empereur, tout d’abord : pour commencer, avec le premier diplôme en leur faveur dont nous disposons, celui de 1077, précisément24, le titre de marquis et le très vaste ensemble de terres auxquelles ils prétendent (et où le Padouan occupe une place minoritaire) leur sont reconnus. La relation avec l’Empire s’exprimera longtemps sous la forme la plus traditionnelle : les Este sont des fideles25 (et pas encore des vassaux : cette conception des choses, dans le Padouan comme ailleurs, l’Empire ne commence à l’introduire véritablement qu’au cours du règne de Barberousse). En conséquence, une fois qu’il leur a confirmé leurs biens, l’acte d’Henri IV ne fait autre chose que reprendre la vieille formule interdisant toute intervention aux agents de la puissance publique, comme dans les vieux diplômes d’immunité, et le vocabulaire féodal est absent de cette concession.
25Sous les Staufen, comme on sait, le lien direct entre l’empire et les grands est affirmé de façon plus énergique, avec la revendication impériale d’un droit éminent sur les biens. Sous Barberousse, en 1182, la communauté d’habitants d’Este est en litige avec le marquis au sujet de la possession de marécages et elle fait appel à l’empereur, lequel donnera d’autant plus volontiers raison au marquis que celui-ci argue de la propriété éminente du souverain sur les terres contestées pour justifier son droit26. En 1220 Frédéric II renouvellera cette concession sur les paludes27.
26Barberousse, enfin, donne aux Este le rôle de juge d’appel dans toute la Marche, comme le montre une documentation éparse mais qui concerne toutes les grandes communes. Or on constate que, dans le Padouan du moins, les marquis n’ont guère pu s’acquitter de cette charge. Remontons un peu en arrière pour une meilleure compréhension des choses : où exerce-t-il sa fonction judiciaire, au dire des documents, depuis le début du xiie siècle ? A Pernumia, à la demande d’une communauté dont il est, ou a été, le seigneur, où il arbitre une querelle de limites de communaux avec Monselice28, ou encore dans un procès entre le monastère de Santa Maria delle Carceri (une fondation familiale) et deux laïcs29, etc. On demeure dans les limites géographiques indiquées plus haut.
27Il va de soi que, à Monselice, on peut s’adresser à lui en tant qu’autorité judiciaire suprême de la région. Il y possède une demeure30 et on le voit en effet y présider, selon un formulaire encore carolingien, au xiie siècle, un « plaid général du mois de mai », entouré de l’assemblée des hommes libres du lieu (consilio atque laudatione bonorum hominorum de Montesilice), parmi lesquels trois juges31. En fin de compte il est clair que, au moins jus-qu’au début du xiiie siècle, les autorités padouanes – qu’il s’agisse de l’évêque ou, à partir des années 1130, de la commune –, n’interviennent pas, même en appel, dans le territoire situé, directement ou non, dans l’orbite du pouvoir du marquis. N’est-il pas révélateur qu’à la date relativement tardive de 1182 la communauté d’Este, s’estimant lésée par une décision des juges du marquis, se soit adressée directement à l’empereur et non pas aux autorités padouanes ? De même, encore en 1204, ce n’est pas la commune théoriquement dominante qui intervient pour rendre une sentence de partage de communaux entre Tribano (terre où les Este sont les seigneurs éminents) et la voisine Bagnoli, mais une fois de plus le marquis, autorité surplombant les Paltanieri, leurs vassaux en tant que « comtes » de Tribano, tout comme les Carrara, « comtes » à Pernumia. Le dernier mot reste donc, pour l’instant, à la hiérarchie féodale32.
28A l’inverse – et ceci constitue en somme le corollaire de cela –, l’octroi au marquis, par Barberousse, de la faculté de juger en appel dans la Marche de Vérone, et donc à Padoue, va très vite se heurter à l’opposition des autorités citadines. En décembre 1186 le marquis Obizzo statue effectivement, en appel, sur une cause entre les chanoines de la cathédrale et Gerardo da Vigodarzere, au sujet des dîmes des terres défrichées du village à la limite de l’ancienne forêt de Busiago33. Mais dès 1192 il se voit au contraire opposer un refus absolu par le podestat, alors que le vicomte Guglielmo da Limena voulait faire appel à lui après un jugement défavorable des juges communaux dans un autre procès au sujet de dîmes avec les chanoines34. Et ce refus est assorti d’une condamnation, comme illégale, de toute intervention d’un représentant de l’empereur, au nom de la législation impériale elle-même ! Implicitement la commune se présente comme la plus haute autorité reconnue dans sa sphère.
29Encore incapable d’imposer sa juridiction dans les terres des Este autour des années 1200, elle leur oppose donc vite un tir de barrage là où elle exerce une domination effective35.
30L’affaire de 1192 n’était encore qu’un banal conflit de juridiction. Après 1200 les relations entre la commune et les marquis vont se gâter jusqu’à aboutir, en 1213 au plus tard, à une guerre par laquelle la commune mettra fin à la partition de fait du territoire héritée du haut Moyen Âge (j’ai parlé plus haut de « bicéphalie ») et, durant une période au demeurant assez brève, le marquis sera considéré comme un adversaire. Mais en 1192 on n’en est pas encore là : il est au contraire volontiers accepté comme une autorité dans le cadre des institutions communales, et il sera une dernière fois podestat en 119936. Ce qui n’est pas toléré, c’est qu’il intervienne comme une autorité supérieure à ces institutions elles-mêmes37.
31Jusqu’aux années 1200, donc, bicéphalie de fait de l’institution judiciaire : d’un côté un ensemble seigneurial, de l’autre une autorité qui naît des instances dominantes en ville, et qui va évoluer constamment. Non que ces deux réalités soient demeurées absolument séparées jusqu’au moment où le pouvoir communal s’affirme sur l’ensemble. La réalité était en ces temps plus complexe. En schématisant quelque peu on pourrait arriver à une formule assez simple : les pouvoirs d’essence publique, en tant que tels, sont demeurés longtemps divisés, le facteur de réunion et de cohésion se trouvait dans le système féodo-vassalique, qui transcendait ces instances.
32Jusqu’assez avant dans le xiie siècle l’évêque est le seul véritable élément unificateur de l’ensemble territorial padouan. Le marquis, pour autant qu’on peut le percevoir, ne met pas d’obstacle à l’exercice de son autorité spirituelle : c’est ainsi qu’il sollicite, en 1115, son accord pour faire don d’une église située à Tre Contadi, en Scodosia, à un monastère de Vérone38. L’important, toutefois, est ailleurs.
33Un acte daté de 1174 nous fait savoir que le castrum de Baone, dont les Este ont investi la famille du même nom, avait été acquis par eux en fief de l’évêque39. On a vu plus haut que ce lien vassalique remonterait à Alberto-Azzo II (996 ?-1097)40 ; étant donné qu’un Ugo da Baone apparaît dès 1077, il n’est rien de plus plausible.
34Lien de toute évidence assez ténu : le marquis n’est pratiquement jamais présent parmi les témoins des actes épiscopaux du xiie siècle (à l’inverse des comtes, par exemple). Assez curieusement, c’est au moment où le pouvoir temporel de l’évêque entre dans un déclin irrémédiable que l’on voit les marquis dans la curia, en des circonstances, il est vrai, qui ont un certain caractère de solennité : ainsi lors d’une assemblée où les vassaux fixent le montant de l’aide qu’ils doivent à l’occasion du passage d’Henri VI41. Sans doute les raisons sont multiples : d’une part les institutions féodales ont évolué, comme les rapports entre les dynasties seigneuriales, vers une formalisation accrue ; d’autre part, au xiiie siècle, les marquis se trouvent obligés de s’intéresser de plus près au jeu politique communal, et leur intervention à la curia peut s’expliquer, très simplement, par leur plus fréquente présence en ville.
35Dans ce milieu, plus « choisi » que les instances communales, ce sont les aristocrates de tout le territoire qu’ils retrouvent, y compris des seigneurs dont les domaines sont proches des leurs, ou mêlés aux leurs, ainsi les da Calaone, dont le castrum se trouve dans le sud des Euganées42. Fondateur du monastère de Candiana, dans le sud-est du Padouan, alleutier à Conselve, dans cette même région, Cono da Calaone fait partie de l’entourage de l’évêque dès le dernier tiers du xie siècle43.
36Ils rencontrent aussi les Paltanieri, ces aristocrates de Monselice qui se donnent le titre de « comtes » de Tribano, mais qui leur y laissent un pouvoir de justice supérieur, comme on l’a vu44. Et je n’insiste pas sur d’autres vassaux épiscopaux comme les da Baone et les da Carrara, dont les bases seigneuriales sont diversifiées et qui, s’ils sont quant à eux connus comme vassaux des Este par des documents explicites, le sont sans doute dans le cadre d’une stratégie d’ensemble dont la relation avec les marquis n’est qu’un élément45.
37Et c’est en fin de compte dans le milieu vassalique épiscopal que le marquis trouve malgré tout l’occasion d’exercer, ou au moins de déléguer, cette fonction de magistrat suprême que le podestat lui refuse ! En 1218 on voit les juges de la curia, à l’occasion d’un procès entre un groupe de vassaux modestes et l’évêque (lequel ne peut donc jouer ici son rôle d’arbitre), émettre leur sentence cum consensu et voluntate Marchisii iudicis46. En ces assemblées les vieilles hiérarchies se maintiennent, telles en somme que les empereurs se sont efforcés en vain d’en imposer le respect aux nouvelles institutions communales, et c’est aussi là que s’était sans doute le mieux forgé le sentiment d’un destin régional commun, retenant les forces centrifuges qu’exprimait la multiplicité des châtellenies.
B) Le groupe familial comtal
38Le comte, comme l’évêque et le marquis, mais à un degré en dessous, figure l’héritage du passé dans la structure féodale. Quant au patrimoine qui lui vient de la période précédente, et au peu qui lui reste de ses anciennes fonctions administratives, on peut tenter d’enrichir les données recueillies par A. Castagnetti dans la documentation éditée47.
39a) A partir des années 1060 deux branches issues du tronc commun des Candiano détiennent définitivement, l’une le titre comtal padouan, l’autre le vicentin, avec pour celle-ci la fréquente appellation « de Montebello », du nom de l’un de ses castra dans le Vicentin, et le patronyme de Maltraversi à partir du comte Uberto (1107-1136).
40Leur patrimoine est encore souvent tenu en commun aux xie et xiie siècles (cf. la carte). Dans l’un et l’autre lignage sa double provenance est évidente : l’origine vénitienne d’une part, des acquisitions réalisées sans doute grâce à leur fonction de l’autre.
41Si les Maltraversi n’apparaissent pas au nombre des vassaux des Este, ils se retrouvent avec leurs cousins à la curia de l’évêque de Padoue. Par contre, dans le Vicentin, les Maltraversi l’emportent en puissance sur celui du lieu, comme le souligne A. Castagnetti48, ce qui ne signifie pas que les fondements de cette puissance soient tout à fait extérieurs au Padouan. Ils ont des biens, parmi lesquels plusieurs castra, dans une quinzaine de sites euganéens, soit plus de la moitié des lieux répertoriés sur la carte, et il est révélateur que nombre d’entre eux (Teolo, Zovon, Rovolon, Valnogaredo, etc.) aient fait partie du contado vicentin jusqu’au xiie siècle. Or il en est de même pour les comtes de Padoue (une quinzaine de sites euganéens également) ; de surcroît les uns et les autres sont le plus souvent présents aux mêmes lieux49 – surtout au nord et au nord-ouest des Euganées. Il est clair qu’avant la division des comtés, la famille avait assuré sa double domination en une zone à la fois d’intérêt stratégique et plus ou moins équidistante des deux cités50.
42De même les vieilles possessions venues de l’héritage des doges Candiano au nord-ouest de Chioggia, près de l’embouchure du Bacchiglione, à Fogolana, Conche et, plus avant dans l’intérieur, à Concadalbero et Castel di Brenta, ont sans doute constitué longtemps un patrimoine commun. En 1069 le comte de Padoue Alberto donne une masaricia et une chapelle de Concadalbero à un monastère ; puis il faut attendre l’année 1189 pour voir, non point le comte Manfredino lui-même, mais son épouse en possession de biens à Calcinara et Castel di Brenta ; ce sont là de modestes bribes d’information51. La présence en ces lieux des Maltraversi semble avoir été plus encombrante : on les voit à Fogolana en 1107, à Conche en 1137 et Castel di Brenta en 1110, mais surtout, en 1129, les marici et procuratores des communautés rurales de Saccisica se plaignent à leur seigneur, l’évêque de Padoue, de ces « comtes de Montebello » qui font obstacle à la libre circulation sur la route vers Chioggia, et donc vers le débouché sur la lagune, sans doute pour imposer un prélèvement au florissant commerce local (la région exporte, entre autres, du lin à Venise)52.
43Ces centres essentiels du pouvoir des deux dynasties cousines se détachent clairement. Mais le plus frappant, au vu de la carte, est qu’elles soient présentes presque partout ailleurs. Il est dificile d’évaluer l’importance réciproque de leurs diverses zones d’implantation ; toujours est-il que tout le contado, ou à peu près, est concerné.
44Une mention particulière pour le nord et le nord-est : à Carturo une branche cadette des Maltraversi prendra le nom du castrum local au xiiie siècle : voici donc un point fort de la famille53. Plus à l’est, c’est la branche padouane qui dispose du castrum de Villanova (jusqu’en 1173, date à laquelle le comte Manfredino le vend aux Crespignaga) et enfin, en territoire trévisan, de celui d’Orgnano54. Quant aux origines, sans doute multiples, de cette ubiquité, elles restent pour l’essentiel dans l’ombre.
45Il est quelques cas où le problème peut être résolu ; il se trouve que son élucidation me ramène au centre de mon sujet : le thème des relations entre les grands dans le Padouan.
46Installés à la lisière du vicentin à l’ouest, et de la république de Venise au sud-est, les deux comtes se trouvent en contact direct avec les secteurs seigneuriaux de l’évêque : à Teolo ils sont les voisins de sa curtis de Pendice ; ils le sont, au bord de la lagune, de la Saccisica, comme on l’a vu. N’oublions pas enfin le titre comtal lui-même : la relation avec la ville (où, bien sûr, la branche padouane a des propriétés) passe aussi par là.
47L’insertion dans le groupe vassalique épiscopal est vite réalisée : on s’en souvient, c’est en 1077 que l’on voit un premier groupe de châtelains autour de l’évêque, à Vérone ; dès 1080 Alberto, comte de Padoue, l’accompagne en sa seigneurie de Sacco et figure au nombre des témoins d’une concession de droits de pâturage à un groupe de consortes55. Quant à la branche vicentine, la première apparition du comte Maltraverso parmi les témoins de l’évêque date de 1136, mais les protestations des « Saccensi » en 1129 expriment à leur manière une relation de clientèle sans doute ancienne56.
48La situation géographique des fiefs tenus de lui vient compléter des réseaux, renforcer une implantation régionale : ainsi la famille padouane en détient à San Giorgio delle Pertiche, entre Carturo et Villanova ; elle augmente ses revenus euganéens d’une dîme à Boccon ; mentionnons enfin une terre à Padoue même57. C’était sans doute un fief que la terre cédée avant 1120 au monastère vénitien de San Cipriano à Arzere di Sacco, en pleine Saccisica ; l’évêque, soucieux d’y maintenir l’intégrité de son pouvoir « comtal », en avait gardé la juridiction58. Il est vrai cependant que c’est explicitement en Saccisica que, par exception à sa conduite habituelle de seigneur en ce lieu, il a investi les Maltraversi : d’une terre assez vaste, semble-til, qui va de Saonara in iosum – en descendant –, ce qui désigne un probable prolongement vers la rivière, avec tous les avantages qu’implique une telle situation (quai d’embarquement des produits, voire contrôle des eaux)59. Il reste, à cette exception près, que c’est dans l’est padouan que les biens des deux lignages se font les plus rares : soit l’évêque y domine incontesté, soit ce sont les da Fontaniva, le lignage de ses avoués, et leurs parents, les Dalesmanini.
49Qu’en est-il des relations avec les Este, leurs voisins dans les Euganées, immédiatement au sud de leur ensemble de possessions ? Ni A. Castagnetti ni moi-même n’avons rencontré de témoignage explicite d’une entrée des Maltraversi dans la vassalité des marquis. Un argument a silentio ne prouve rien ; des relations existent en tout cas, qui ne sont peut-être que de voisinage ou d’amitié60. Par contre le voisinage des comtes de Padoue se traduit par des relations formalisées. Le castrum d’Arquà a été concédé en fief, vraisemblablement au comte Manfredo, vers la fin du xie siècle ; c’est donc au point de jonction des deux sphères de pouvoir que s’établit le lien hiérarchique61. Plus compact que le domaine épiscopal, celui des marquis ne souffre pas trop d’être entamé sur ses marges – à Arquà, Tribano, Calaone, ainsi qu’à Baone et Pernumia comme on va le voir –, et cela de telle sorte que les concessions, faites dans la logique qu’impose la géographie, leur attachent les fidélités des plus hauts seigneurs du centre-ouest et du sud : tel est du moins le but poursuivi. Alors qu’ils se délestent de tant d’anciens intérêts en Italie du nord-ouest, d’où ils venaient, ils concrétisent ainsi une position de prédominance au sein de la haute aristocratie laïque du Veneto. Vassaux de l’évêque, ils sont dans le même temps seigneurs de ses plus grands feudataires.
50b) Dans le groupe restreint que constitue la haute aristocratie laïque, une part essentielle est formée de branches cadettes des deux lignages comtaux. J’ai déjà signalé la naissance, vers les années 1200, de l’une des plus tardives, issue des Maltraversi, les da Carturo62. L’ensemble de biens épars et nombreux dont je viens d’analyser la distribution dans le contado apparaissait sans doute suffisant pour permettre l’attribution de pôles de pouvoir à ces rameaux adjacents. Quels sont ces cousins des comtes, attestés ou, parfois, simplement présumés ? Quelle est leur place dans le système des relations entre les grands63 ?
51Ce sont parfois deux chroniques tardives qui nous présentent comme issues d’une même souche un certain nombre de familles châtelaines ; mais la documentation d’archives fait apparaître çà et là des voisinages insistants, des indivisions prolongées de biens-fonds qui invitent aux mêmes conclusions que la tradition. Les preuves absolues manquent, le plus souvent. Les noms des lieux où se fixaient des lignages se sont trop tôt transformés en patronymes (avant le dernier tiers du xiie siècle, en gros).
52Le processus qui mène à cette prolifération est simple : un cadet s’enracine dans l’une des seigneuries familiales, qui lui a été attribuée comme sa part. Dans le cas des da Carturo, la greffe prend ; le contraire peut arriver : au cours du xiie siècle un neveu du comte de Padoue Ugo, dénommé Manfredo, s’installe à Abano, où il détient un ensemble foncier en partie hérité de sa famille, en partie tenu en fief de l’évêque. Mais il ne crée pas, quant à lui, de nouvelle dynastie, n’ayant qu’une fille, Cecilia, pour hériter de ses biens à sa mort en 116864.
53Quels sont les lignages concernés ? Tout d’abord les da Baone, de loin le plus important et, de surcroît, celui pour lequel l’ascendance comtale est la mieux assurée, encore qu’indirectement.
54E. Zorzi était partie d’une constatation : le titre comtal de cette famille ne semblait venir ni d’une concession impériale ni d’une usurpation, comme c’est le cas pour maintes familles châtelaines. Il y a là un argument en partie a silentio qui ne suffit pas, mais qu’elle renforce par la référence aux chroniques, dont elle semble avoir été la première à avoir fait un usage systématique dans ce but.
55L’inconvénient est, je l’ai dit, qu’elles sont tardives, du xive siècle l’une et l’autre : da Nono et le pseudo Favafoschi. Le premier fait descendre les da Baone des comtes de Padoue, l’autre des Maltraversi65. Des différences, comme on voit ; la direction reste la même.
56Autres arguments invoqués : les prénoms, dans cette famille, correspondent à ceux des comtes de Padoue durant la même période (aux xie-xiie siècles) : Alberto, Ugo, Manfredo. Enfin et surtout, les alleux patrimoniaux sont aux mêmes lieux que ceux des comtes de l’une et l’autre branche : E. Zorzi insiste sur les Euganées (Cortelà, Zovone, Boccon, Praglia...), mais il est encore plus révélateur peut-être de voir comment se correspondent les possessions dispersées : au xiie siècle c’est à la fois à Montegalda et à Carturo que l’on retrouve les trois familles (branche padouane, Maltraversi et da Baone) possédant des biens en indivis66 ; et enfin, au début du xiie siècle, Alberto da Baone donnait à un monastère ses biens à Fogolana, au bord de la lagune, là où les Candiano et leurs descendants étaient autrefois possessionnés67. Il n’est pas d’autres arguments, mais cette égalité d’ancienneté dans des lieux identiques, la tradition des chroniques, le port des mêmes prénoms, tout concourt à s’aligner sur les conclusions d’Elda Zorzi, reprises par Sante Bortolami.
57Qu’en est-il des liens entre les da Baone et les deux plus hautes autorités régionales ?
58Leurs relations avec l’évêque sont très suivies, d’autant que dès les premières années du xiie siècle ils se disent citadins (de civitate Padua)68 ; et c’est peut-être là qu’est leur plus grande originalité ! On ignore sans doute l’essentiel sur les fiefs qu’ils tiennent de lui. En 1213, après la mort d’Alberto da Baone, l’évêque en confisque certains, pour des raisons qui ne sont pas dites : il s’agit d’un manse non localisé et de quelques maisons à Padoue. Les plus consistants sont un ensemble de dîmes dans le sud du diocèse, à Gorgo, Bovolenta et Braida et, surtout (mais il n’est pas explicitement dit qu’il s’agit de fiefs) des terres en Saccisica, à Boion et à Corte69.
59C’est cependant au lien vassalique avec les marquis que la famille doit son nom lui-même : le castrum de Baone, tenu en fief de l’Église de Padoue par Alberto-Azzo II au xie siècle, a été sous-inféodé par lui à Ugo « da Baone »70. L’endroit est tout proche aussi bien d’Este (au sud-ouest) que d’Arquà (au nord), que les mêmes marquis ont concédé aux comtes de Padoue. On le voit, la zone méridionale des Euganées est le lieu des connexions hiérarchiques : droit éminent de l’évêque, jamais oublié71 (et celui-ci est un proche voisin, à Galzignano), et, au dessous, redistribution féodale aux grands seigneurs locaux par les Este (comtes de Padoue, Baone, Calaone).
60Le rapport des da Baone avec eux semble avoir été tout autre que purement formel : ils sont témoins d’actes parmi les plus solennels de leurs seigneurs ; dans des périodes critiques ils leur empruntent de l’argent et les chroniques nous montrent les marquis leur octroyant un secours militaire72 ; en 1213 enfin, on verra Alberto da Baone curator d’Aldevrandino d’Este et tuteur de son jeune frère Azzolino73 : à un moment de crise aiguë des relations entre la commune et les Este, les vieux citoyens de Padoue que sont, et qu’ont toujours affirmé être les da Baone choisissent donc la fidélité vassalique74.
***
61Les autres familles châtelaines que la tradition veut d’origine comtale ont longtemps été tenues pour plus obscures. Il s’agit des da Castelnuovo, da Lozzo et da Selvazzano75. Le schéma est toujours le même. Au point de départ il y a trois châteaux ancestraux : la chose est sûre pour Castelnuovo dont, dès 1016, le comte Uberto et son frère Manfredo se disent habitatores76, et pour Selvazzano, où se tient, en 1072, Uberto, comte de Vicence77. Par contre Lozzo est un village dont la documentation ne nous dit rien avant le xiiie siècle. On sait par Rolandino qu’il y a là, en effet, un castrum en 123978. La tradition à son sujet semble partir d’une liste de familles de l’aristocratie et des castra leur appartenant (ou leur ayant appartenu), attribuée à Antonio di Alessio, qui date de 1258 et est une mine d’informations sur laquelle il me sera donné de revenir79 : le lien entre les da Lozzo et les da Castelnuovo s’y trouve explicité, chaque lignage se voyant attribué le lieu dont il porte le nom80.
62Pour le tardif da Nono les choses sont claires : les trois maisons descendent des Maltraversi81. On hésite désormais d’autant moins à prendre ses affirmations au sérieux, en tout cas comme le point de départ d’hypothèses plausibles, que Sante Bortolami a pu démontrer qu’il disait la vérité lorsqu’il affirmait la même chose sur les da Carturo82. Presque toujours on voit les schémas se répéter83.
63L’enquête documentaire peut aboutir à des résultats plus assurés, pour les da Castelnuovo et les da Lozzo au moins (le cas des da Selvazzano est plus sujet à caution). Un document de 1232 montre que, encore à cette date relativement tardive, il peut s’organiser une véritable « consorteria » de familles d’origine comtale, non point de principe et dans l’abstrait, mais au contraire très concrètement, dans le but de sauvegarder des intérêts communs dans des lieux précis : c’est ainsi qu’à Rovolon, castrum dont les Schinelli, descendants bien attestés des comtes de Padoue, font un quasi-patronyme, ils sont alors voisins d’une terre possédée en commun par les da Lozzo et les da Castelnuovo84.
64Et tout concorde, en effet. Il y a :
la fréquence des prénoms familiaux, aux mêmes périodes : Albertino (da Castelnuovo, comtes de Padoue, Maltraversi, da Baone ; sans parler des Alberto qu’on retrouve, outre dans les quatre familles citées, chez les da Lozzo)85, Guido (da Castelnuovo, dei Maltraversi, da Lozzo)86, Nicolo’ (da Castelnuovo, da Lozzo)87 ;
une commune présence dans les actes du monastère familial de Praglia88 : du début du xiie siècle jusqu’aux années 1230 toutes ces familles (la branche aînée, les Maltraversi, fondateurs, étant bien sûr la plus généreuse) donnent et vendent des biens aux abbés89 ;
des situations de voisinage qui témoignent d’indivisions initiales : entre autres, sur le Monte Cenglare, dans les Euganées, Albertino da Baone et Albertino da Castelnuovo ont deux terres accolées, significativement entourées l’une et l’autre de terres du monastère de Praglia90 ;
il suffit enfin de constater sur la carte la similitude des implantations territoriales.
65Il n’est guère qu’au sujet des da Selvazzano que les dires des chroniqueurs ne se recoupent pas avec ce qu’enseigne la documentation : les prénoms sont tout à fait différents, le lien avec Praglia est inexistant, leurs activités même les différencient du groupe comtal : très urbanisés, ils sont éventuellement juges et/ou extimatores de la commune91. En 1183 Pasqualino da Selvazzano est du nombre de ces vassaux de feu Albertino da Baone que l’on répartit entre ses héritières92. Bref, cette famille se situe un cran en dessous. Peut-être est-on en droit de diagnostiquer une confusion faite par les chroniqueurs entre les descendants et, dans ce cas précis, des vassaux auxquels on aurait confié la garde d’un des castra familiaux avec, pourquoi pas, à la clé un mariage avec une fille Maltraversi ?
66A cette exception près le « clan » comtal issu des Candiano constitue dans les Euganées, à la limite du Vicentin, un réseau de pouvoirs seigneuriaux et de biens-fonds singulièrement compact.
67Quant à sa consistance politique, c’est-à-dire à la solidarité plus ou moins lâche qui pouvait unir ces différents lignages, la question demande une analyse des « consorterie » et des relations entre consanguins : elle sera faite plus loin.
68Il ressort de ce qui a été dit que certains – les da Baone – s’intègrent aux deux grands réseaux de clientèles qui se partagent le territoire : membres assidus de la curia épiscopale, ils sont très tôt de civitate Padua, fidèles des Este ils méritent leur aide militaire au moment du péril. L’attitude des comtes de Padoue semble proche de la leur. Leur puissance dans le Vicentin rend les Maltraversi bien plus autonomes ; quant aux branches cadettes, elles s’agrippent au char des lignages aînés. Au vu de la carte de leurs implantations il est clair qu’une relative homogénéité dans l’action politique et dans les alliances – facteur d’ordre, à terme, dans la région – résulte de l’étroite imbrication réciproque des biens et des intérêts de ces diverses familles apparentées.
69En existait-il d’autres d’égale ancienneté et de rang approximativement comparable dans le Padouan ?
C) Trois générations de châtelains
70Aux côtés des lignages issus des représentants de la puissance publique des temps ottoniens, dès les années 1070 on voit se tenir, apparemment sur un pied d’égalité avec eux, un petit groupe de châtelains dont l’origine est moins évidente et, à l’analyse, s’avère assez variée.
71Je rappelle que le vocabulaire, dans sa pauvreté, ne fait apparaître aucune hérarchie. Qu’en est-il, par exemple, dans le Padouan, des capitanei, de ces « seigneurs de pieve » qui ont acquis en Lombardie une place prépondérante au cours du xie siècle ? Le terme est fort ancien : si, dans le Milanais même, ils ne sont mentionnés en tant que tels, chez les chroniqueurs, que dans les années 107093, on les rencontre en Toscane, à Arezzo, dès 104494.
a) Capitanei
72A mettre un peu à part, les da Camposampiero : un document, publié récemment par A. Castagnetti, fait apparaître dans une liste de capitanei qui entourent, en 1123, à Vérone, le duc Henri IV de Carinthie, un probable membre de la famille, Tiso Brenta, aux côtés des comtes de Padoue, de Trévise et de Vérone – Ugo, Rambaldo et Adelperto –95. Il s’agit là d’une famille assez longtemps liée au Trévisan : le castrum de Camposampiero se trouve dans ce diocèse, et elle le tient peut-être en fief du patriarche d’Aquilée dont elle est vassale, comme le montre un document de 114096. Elle ne commence à intervenir dans l’histoire du Padouan qu’assez avant dans le xiie siècle, lorsque précisément Trévise et Padoue se trouvent alliées dans une guerre contre leurs voisines97.
73Si l’on s’en tient au témoignage des sources écrites, le comté de Padoue se distingue doublement :
d’une part les capitanei y sont une espèce rare : quatre familles dont l’une, les da Lendinara, a l’essentiel de sa fortune dans le Polesine (où se trouve Lendinara), et si, dès 1115, un Rodolfo da Lendinara apparaît ainsi qualifié, il faut attendre le dernier tiers du siècle au moins pour la première des trois autres98 ; non qu’il n’y ait des occurrences du mot auparavant, mais seulement in abstracto, pour désigner une haute noblesse féodale en général99 ; et il est, et restera, rarement appliqué à des membres de ces familles nobles, alors que, par contre, on le trouve de temps à autre à l’état de simple prénom100 !
il y a mieux : nos quelques familles « capitanéales » padouanes n’occupent nullement cette place prépondérante qui serait censée être la leur, à un quelconque moment ! Fait symbolique : on ne voit aucun de leurs représentants caracoler aux côtés de l’évêque à Vérone en 1077, en compagnie d’Ugo da Baone et des châtelains qui font cette année là leur apparition.
74Des trois familles proprement padouanes – les da Limena, da Vigonza et da Tergola – une première caractéristique est qu’elles se trouvent au cœur même du territoire, dans la zone par conséquent la mieux contrôlée par les évêques ; c’est particulièrement vrai pour Limena, village intégré à la « pieve » urbaine, et pour les secteurs de Tergola et Villarapa (les da Tergola sont aussi appelés da Villarapa), situés aux marges de la vaste bande forestière de Busiago, possession épiscopale au nord de Padoue où les capitanei, au demeurant, sont ses vassaux101. A Vigonza l’évêque contrôle l’église locale102.
75Je rappelle que les évêques avaient œuvré avec un certain succès à empêcher la formation de sphères de pouvoir seigneurial concurrent dans leur propre zone d’influence ou de domination directe. Et de fait on ne voit pas ces familles détenir de « comtés » ruraux comme en ont les da Baone à Pernumia, puis Conselve, ou comme les da Carrara dans leur village éponyme. Par contre elles s’intègrent très tôt au milieu urbain, du moins les da Limena et les da Vigonza, seuls bien connus ; intégration qui sera finalement symbolisée par l’entrée dans le corps des juges, là où se retrouve toute la moyenne aristocratie urbaine : ce sera fait en 1211 au plus tard pour les da Limena, en 1225 pour les da Vigonza103.
76La signification de leur titre fait donc problème : étant donné sa rareté il est clair qu’on ne peut ici se contenter de reprendre la définition classique, très générale, de « seigneurs de pievi »104. Sinon, pourquoi seulement eux, et précisément là où l’évêque était le moins susceptible d’en céder ? On a le sentiment qu’il s’agit, au moment où le terme apparaît utilisé, dans le courant du xiie siècle, d’une survivance dont la signification n’est plus claire pour personne. Au xive siècle ce sera pis : ainsi da Nono, qui d’ailleurs ignore le titre de capitanei, gratifie les da Limena d’une ascendance royale, au reste tout à fait indéterminée, et fait de leurs ancêtres des amis du légendaire Huon de Bordeaux105.
77Mais cette survivance est d’autant plus significative que ces familles n’ont qu’une puissance relative, et cela dès les premières occurrences documentaires. Il est, surtout, un autre point commun aux da Limena et aux da Vigonza, inaperçu jusqu’ici, me semble-t-il106.
78En 1076 (première occurrence de la famille) Aicardo da Vigonza a le titre de vicomte (vicecomes), et de même, en 1142, parmi les notables de la commune qui, aux côtés du comte et des consuls, cèdent des biens communaux aux chanoines, on rencontre, significativement, un Cono vicecomes qui pourrait fort bien être Cono da Vigonza, apparu pour la première fois en 1141 et déjà mort en 1159107.
79Il se trouve que, en 1192, c’est un vicomte Guglielmo da Limena que l’on voit en procès avec les chanoines ; sans doute le même était-il consul en 1166108.
80Je ne puis aller au delà dans ma conjecture ; on ne connaît pas d’autres occurrences de vicomtes dans le Padouan. Nous voici du moins pourvus d’un élément d’explication de la rareté aussi bien que de la persistance de ces capitanei locaux. Ils ont peut-être été, en somme, la frange inférieure de la noblesse de fonction du xe siècle. Et avec eux se clôt la liste de ce que l’on pourrait appeler la « première génération » de nobles du Padouan109. Ce que l’on connaît des quelques autres aristocrates regroupés autour de l’évêque dans le dernier tiers du xie siècle leur assigne une origine différente d’une part, et sans doute plus tardive d’autre part.
b) Les valvassores : une deuxième génération ?
81Le vocabulaire des sources padouanes est calqué sur celui des feudistes, en fin de compte plus strict que celui des chroniqueurs du xiie siècle : les capitanei n’y sont que ceux des nobles qui ont eu un lien direct avec le roi, jusqu’aux vicomtes inclus. Tous les autres sont des valvassores, les châtelains y compris. Dans le Milanais on a désigné un moment ces derniers comme des valvassores maiores110. Les chroniques padouanes, tardives (xiiie et xive siècles), ignorent l’usage de l’adjectif. Ainsi da Nono lorsqu’il parle des familles châtelaines dont la fortune est due à leur lien vassalique avec l’évêque ou les grands monastères du lieu : pour lui les da Fontaniva, par exemple, dont la fonction d’avoué a fait l’importance, sont des valvassores111. La pauvreté du vocabulaire gomme les nuances : de simples alleutiers enrichis sont aussi des valvassores, sans autre spécification112.
82Ni les origines des da Fontaniva, ni le détail de l’évolution de l’avouerie aux xe et xie siècles ne sont suffisamment documentés pour qu’on soit à même de connaître les tenants et aboutissants de l’ascension de cette famille.
83L’institution avait été diffusée dès le viiie siècle par l’autorité carolingienne, et l’on avait tout naturellement désigné les échevins les plus compétents puis, au xe siècle, les juges et notaires (les mêmes personnes exerçant alors les deux fonctions), en raison du savoir juridique qu’ils étaient censés posséder113. D’emblée on était donc en milieu aristocratique114. En 1017 encore, l’abbé de Santa Giustina fait représenter ses intérêts à Monselice par un notaire du lieu, Giovanni115. Tout seigneur ecclésiastique, durant cette première période, se devant d’avoir deux ou plusieurs avoués, ceux-ci se trouvaient choisis en fonction des secteurs géographiques concernés.
84Il reste que l’inféodation de 1064, par laquelle Uberto da Fontaniva reçoit le salaire de sa charge d’avoué du monastère de Sant’Ilario, nous introduit dans un autre monde, et que l’on ignore tout de la façon dont s’est produite cette « dérive seigneuriale », pour reprendre une expression de François Bougard. On ne dispose guère que de deux points de repère : en amont l’ancêtre Siticherio a été vassal et avoué de l’évêque de Padoue116, puis – en aval : en 1077 –, voici qu’Ugerio da Fontaniva caracole aux côtés de l’évêque à Vérone, en compagnie d’Ugo da Baone et de quelques autres, tandis que l’avoué dudit évêque est un Uberto, plus que probablement identifiable avec le personnage investi par Sant’Ilario en 1064117. La charge passe désormais d’un parent à l’autre, en effet : en 1137 est mentionné Uberto de Fontaniva, advocator episcopi, descendant du précédent ou d’un collatéral118. Il y a mieux : on en vient à se demander si le même personnage ne collectionne pas les avoueries puisque, également en 1077, un Uberto est aussi avoué du monastère de Santa Giustina (celui-là même qui recourait aux services d’un notaire cinquante ans plus tôt)119. Il est douteux qu’il s’agisse d’une simple homonymie : on incline plutôt à penser que la fonction a fini, dans le cours du xie siècle, par être reconnue comme relevant d’une famille particulière, et susceptible d’être exercée par elle pour tout établissement ecclésiastique ayant des intérêts dans le Padouan ! Le prestige qu’elle en retire est illustré, à ce qu’il semble, par l’octroi à Uberto, en 1064, du titre de Dominus, très exceptionnel à pareille date120. Mais d’où lui est venue cette importance ?
85Le patronyme – « da Fontaniva » – n’aide pas à y voir clair. Il s’agit d’un castrum peu documenté du nord padouan (qui apparaît pour la première fois dans le document de 1064). On ignore si Uberto et Ogerio le tiennent en alleu ou en fief : certes la famille est vassale de l’évêque, mais c’est en Saccisica qu’on la voit alors inféodée121. On ne peut donc savoir dans quelle mesure elle détenait ou non, auparavant, les fondements d’une puissance seigneuriale. La suite, par contre, est claire.
86L’une de ses branches se dénomme da Fiesso, du nom de l’un des lieux-dits concédés en fief par Sant’Ilario en 1064122. A proximité immédiate se trouvait Peraga, curtis reçue en donation par Sant’Ilario en 1025 ; or dès 1110 est mentionné un défunt Giovanni « da Peraga », lui aussi issu des da Fontaniva123. Il est probable qu’ils avaient assez vite obtenu un augment de fief124. L’avouerie était porteuse de surcroît de puissance.
87Il y a mieux : on ignore par quel biais, mais il apparaît que, dans la première moitié du xiie siècle, c’est, avec l’avouerie, le fief de gonfalon, c’est-à-dire l’autre charge liée au service de l’évêque, qui est aux mains des descendants de Siticherio. La mort, en août 1147, d’un dernier Giovanni Sicherio qui ne laisse de descendance que féminine est l’occasion d’une crise à l’issue de laquelle, tandis que l’avouerie va à un parent mâle du défunt, le fief de gonfalon revient à l’ultime héritière directe, Speronella. Elle n’est alors qu’une enfant ; lorsqu’on la retrouve, dans les années 1180, elle a grandi : on la voit faire couper les seins et le nez à une femme accusée de sorcellerie...125.
88Le cas des Sicherii/Fontaniva n’est pas unique mais il est de loin le moins mal connu. D’autres avoués, rares d’ailleurs (ce qui n’est pas pour surprendre étant donnée la tendance au monopole qui les caractérise), apparus dès le xie siècle, devront aussi un surcroît de puissance à l’exercice de la charge, mais les commencements en sont encore plus mystérieux.
89L’histoire de la fortune des da Montagnone, seule véritablement comparable, est une plage obscure trouée de clartés vives mais, en quelque sorte, indirectes. Sur eux aussi le jugement généalogique de da Nono est critique : leur noblesse n’est pas des plus anciennes, bien que non sujette à caution126. Le locus – bientôt castrum – patronymique, Montagnone, colline isolée en avant des Euganées, entre Montegrotto et Abano, est tenu par eux, non point en fief mais, selon un procédé devenu rare entre seigneurs, en emphytéose, de la lointaine abbaye de Nonantola : un document fort tardif (de 1275) nous montre deux frères, Tanselgardo et Corrado da Montagnone, investis de ce castrum par l’abbé ; si l’on rapproche ce témoignage d’un autre beaucoup plus ancien (de 1038) où Odelrico da Montagnone reçoit en livello des terres arables du même monastère à Mason, dans le nord du vicentin, on voit ce qui rapproche le cas de cette famille de celui des da Fontaniva127. D’autant que là aussi une avouerie en appelle une autre : en 1206 Guitaclino da Montagnone cède à Forzatè di Tanselgardino, pour 525 livres, ses droits d’avouerie sur Santa Giustina de Padoue, sauf sur ceux des biens du monastère à Vicence et à Mason (n.b. : là où la famille avait reçu un livello de Nonantola !), déjà inféodés par lui à un Maltraversi128. Depuis quand les avait-il ? On l’ignore et, précisément, c’était sans doute, comme je l’ai dit, Uberto da Fontaniva que l’on avait vu avoué de Santa Giustina en 1077 !
90Toujours est-il que la similitude des profils explique qu’en mars 1077 Rustico da Montagnone soit, avec Ogerio da Fontaniva, dans la suite de l’évêque à Vérone129. Au total ces deux lignages fournissent, me semble-t-il, un bon exemple de l’ascension, dans le cours du xie siècle, de ce que je propose d’appeler – faute de mieux – une « deuxième génération » de féodaux : à partir de probables bases alleutières solides, ils doivent – à la différence des comtes et vicomtes – à une vassalité elle-même associée à un service effectif auprès des grands (de l’Église, dans ces cas précis) d’être, dès la décennie 1070, mis sur le même plan que la vieille noblesse de fonction des temps ottoniens.
c) Châtelains « adultérins »
91S’en tenir à ce seul schéma d’explication et de présentation serait néanmoins édulcorer la réalité, sans doute assez brutale, le plus souvent, d’une telle ascension. A cette même époque où certains lignages obtiennent de l’Église des titres légitimants, il me semble voir se constituer au moins une seigneurie franchement « adultérine », née peut-être de l’usurpation pure et simple des droits et des pouvoirs publics : avec les da Carrara, on serait donc devant un autre cas de figure de noblesse de deuxième génération.
92Hypothèse, il me faut y insister. Les débuts de cette famille sont rien moins que clairs : la documentation pose peut-être autant de problèmes qu’elle en résout.
93Les da Carrara en émergent durant le premier tiers du xie siècle. D’emblée leur comportement est celui de seigneurs bien installés : ne voit-on pas, en 1027, Litolfo da Carrara faire une donation pieuse au monastère de Santo Stefano, fondé par l’un de ses ancêtres, sur le territoire de la villa éponyme ? L’« Eigenkirche » n’est certes pas le fait de petits alleutiers130.
94Litolfo détient en effet des biens, d’importance variée, outre à Carrara, à Bovolenta, Pernumia, Arquà, Montegrotto ; dans les années 1060-1080 ses héritiers en acquièrent à Padoue et dans ses fines131. Voici donc une seigneurie foncière qui pousse ses ramifications dans une zone en fin de compte assez homogène, immédiatement au sud-sud-ouest de Padoue, de part et d’autre des limites du périmètre de la « pieve » urbaine.
95La présence d’Erizo da Carrara à Vérone, dès 1077, parmi les châtelains compagnons de l’évêque de Padoue, est symbolique du rang qu’il a acquis dans la noblesse locale : le premier.
96Le problème demeure posé de l’origine de cette fortune. Pas de lien familial perceptible avec le clan comtal132 ; aucune fonction connue justifiant un fief-salaire. Le castrum de Carrara, la richesse foncière, tout cela se présente comme un fait brut, ce qui constitue une situation unique dans le Padouan.
97Or il est loin d’être impossible que telle ait été l’impression des contemporains. Ledit castrum, dont la première mention est de 1068133, n’a apparemment d’autres seigneurs que les membres de la famille ; nul lien n’est revendiqué avec aucune autorité, quelle qu’elle soit. Cessi voyait certainement juste en décrivant les da Carrara comme des alleutiers grandis sur place. La problématique castrale ne l’arrêtait pas : il me semble logique de diagnostiquer ici une fondation osée hors de toute légitimation (« adultérine », donc, selon l’expression consacrée). S’il en était besoin le diplôme qu’en 1114 Enrico et ses frères obtiennent d’Henri V suffirait à le démontrer134. L’empereur place le castrum, le monastère de Santo Stefano et tous leurs biens présents et futurs sous sa protection, ce qui fait, du noyau initial au moins, un alleu. Le lien direct ainsi créé avec l’Empire se formalisera différemment, en une vassalité, sous les Staufen135. Mieux encore : certains détails de l’acte de 1114 montrent que les da Carrara avaient besoin de l’aval de cette suprême autorité pour assurer leur indépendance face à ses représentants locaux, à commencer sans doute par l’évêque. La mainbour est assortie, bien sûr, de l’habituelle immunité, et donc de l’interdiction faite aux évêques, comtes, etc., de contester leurs biens aux bénéficiaires mais, plus précisément, il leur est interdit, d’une part de les traduire aux plaids, eux et leurs dépendants, ou de leur imposer quelque publica functio que ce soit et, d’autre part, de les empêcher de construire des moulins.
98Voici donc des personnages qui, bien qu’ils figurent au milieu des plus grands feudataires laïcs du Padouan dès 1077, éprouvent encore, plus de 30 ans après, le besoin de trouver des garanties contre une sujétion dont il est, certes, évident qu’elle n’est plus susceptible de s’exercer sur eux, mais dont la nature même les ravale au rang de n’importe quel alleutier, riche ou non : assujettissement à une fiscalité, à une juridiction et, ce qui me semble le plus révélateur, aux droits de la puissance publique sur les cours d’eau136. Si l’on veut la preuve qu’il s’agit bien de simples riches propriétaires fonciers qui ont imposé aux autorités locales la reconnaissance d’une seigneurie banale sans autre justification que la force, on la tient, me semble-t-il, avec ces clauses particulières du diplôme impérial. Peut-être cette famille a-t-elle bénéficié d’une situation géographique favorable, étant située aux marges des zones de pouvoir de l’évêque aussi bien que du marquis. Sur les origines on en reste, quoi qu’il en soit, aux conjectures.
99Bien sûr, elle entre dans la vassalité de l’un et de l’autre137, mais il y a malgré tout dans son histoire, jusqu’à la fin du xiie siècle, un ensemble de traits qui la mettent un peu à part, voire dans une situation de conflit avec les lignages féodaux de plus ancienne origine.
100J’ai déjà eu l’occasion d’y faire allusion à propos des da Baone138 : on a vu comment sa mainmise sur le comitatus de Pernumia a peut-être été la cause d’une première guerre entre les deux maisons – guerre où les Este ont, entre leurs deux vassaux, choisi le camp des da Baone –. Sante Bortolami, élargissant le débat, s’est demandé (non sans raison) si Frédéric Barberousse n’avait pas eu de responsabilités dans cette affaire : l’empereur se trouvait en effet tout près de là, à Monselice, en 1161, et il n’est pas impossible qu’il ait, jouant sur les rivalités locales, hâté le passage de Pernumia de la tutelle des Este à un contrôle plus direct de l’empire139. Il faut en effet rappeler qu’il eut en Iacopino da Carrara un fidèle entre les fidèles, ce qui s’explique mieux si l’on voit en ce dernier et en sa famille des trouble-fête dans le jeu des vieux lignages : les choses iront au point que Iacopino, après avoir vu son épouse Speronella divorcer pour convoler avec le vicaire impérial, le comte Pagano, suivra néanmoins celui-ci dans sa fuite hors de Vénétie en 1164, après le soulèvement des Padouans, lesquels, guidés par leurs consuls, détruiront le castrum de Carrara !
101Avec l’exemplaire histoire de ce lignage se termine le tour d’horizon sur ce que j’ai appelé la noblesse de deuxième génération. Non qu’il ait été exaustif, mais les autres familles nobles apparues au xie siècle dans le Padouan, soit sont liées aussi et/ou surtout à d’autres régions et ne jouent pas, du moins avant la fin du xiie siècle, un rôle important (c’est le cas des da Camposampiero, déja caractérisé), soit sont fort mal connues (c’est le cas des da Celsano)140, soit disparaissent (les da Calaone)141, soit perdent toute importance (les da Celsano, déjà cités), soit enfin sont de petites dynasties du contado demeurées en marge du jeu des pouvoirs dans le Padouan (ainsi les da Concadalbero, au sud-est, ou même les da Urbana, vassaux des Este)142.
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102Mis à part les Paltanieri, la plus prestigieuse dynastie de Monselice, auxquels j’ai fait une brève allusion143, les nobles de deuxième génération que sont valvassores et châtelains « adultérins », portent le nom des castra sur lesquels ils ont fondé leur puissance. Au long du xiie siècle se met en place une féodalité plus nombreuse, « troisième génération » aux origines et aux destins variés, mais dont une première caractéristique commune est précisément de porter des patronymes personnels : la mainmise sur les châteaux viendra plus tard, ou ne viendra pas. En voici une seconde : à leur sujet on doit tout à la documentation qui concerne l’évêque.
d) La troisième génération
103Les Dalesmanini comptent parmi les plus puissants féodaux de la région dès les années 1150. Ils n’apparaissent qu’à partir de 1132144 : un Dalismano est au nombre des boni homines présents lors d’un accord de l’évêque et des da Baone avec les gens de Sacco. Le lien avec l’évêque est éventuellement conflictuel : il est sans doute le malus vassallus qui, avant 1152, a guerroyé contre lui pour conserver à sa fille mineure, Speronella, l’héritage des charges des da Fontaniva – avouerie et fief de gonfalon –, qui venait à celle-ci de Mabilia, petite fille de Giovanni Sicherio et sa probable deuxième épouse145. Ajoutons ici que le père de Mabilia – et donc sans doute le second beau-père de Dalismano – est un noble de l’est padouan, peu connu mais, semble-t-il, assez considérable, Rolando da Curano, qui devait léguer à sa fille et à son gendre son castrum de Sant’Andrea, destiné à devenir le centre du pouvoir seigneurial de Speronella et de son célèbre fils, Iacopo da Sant’Andrea146. C’est à lui que Dalismano semble avoir dû ses biens en Saccisica et aux limites nord de cette région : en 1148 il en reçoit, en fief, un tiers de la curia de Campagna, c’est-àdire des villages de Cornio (sur la rivière du même nom), Lova et Prozzolo147. Le même document suggère la différence de statut entre ces deux hommes, un châtelain d’un côté, un simple notable citadin (de civitate Padua) de l’autre : l’ascension de la célèbre famille commence avec ce lien tant féodal que matrimonial !
104Son fils Dalesmanino épousera Cecilia, fille de Manfredo d’Abano, cousin des comtes de Padoue, la plus riche héritière de la Marche de Trévise selon Rolandino148. Avec ce personnage, dans les années 1180, la famille a des biens au nord et à l’est de Padoue (le long du Brenta, de Noventa à la lagune), dans les Euganées et à Sacco. Et n’oublions pas que Speronella, détentrice du fief de gonfalon épiscopal, est sa demi-sœur.
105Or il n’est pas absolument impossible qu’à l’origine de ce haut lignage il y ait de simples ministériaux.
106Dans son ouvrage, I cognomi della Venezia euganea, Dante Olivieri reprend du Cange, pour qui Dalismano, c’est-à-dire dolesmanus : « celui qui doit le service au seigneur », équivaudrait à un « Dienstmannus » (« l’homme du service »)149. Et en effet Dalismano est un nom rare, certes, mais point exceptionnel qui, porté hors de cette famille, n’est nullement un signe de distinction sociale. Deux exemples parmi d’autres : en 1192 Gerardino da Camposampiero, dans son testament, affranchit une serve, épouse d’un Dalismano ; dans une liste d’exploitants de terres nouvelles à Torre dont les chanoines disputent la dîme aux di Steno, on trouve un Dalesmaninus filius Boni Iohannis...150. On peut également glaner dans l’index de Gloria151.
107Une telle origine n’a en soi rien de surprenant ; en d’autres lieux elle est, non seulement facilement constatable, mais commune à beaucoup de familles féodales. Dans le Padouan, qu’il s’agisse des hasards de la documentation ou d’un souci particulièrement pressant, chez les intéressés, de voiler l’humilité de leurs débuts, elle n’est pratiquement jamais dite. Je n’ai guère qu’un seul exemple explicite à proposer au lecteur : il s’agit d’une lignée de notables au demeurant relativement bien connue, les di Giso. Ils apparaissent plus tard que les Dalesmanini, sans doute parce que plus tard dégagés de leur dépendance originelle : en 1214 encore un certain Aicardo di Giso, témoin d’un acte de l’évêque, est de familia episcopi152. Et le cursus de la famille la mènera moins loin : citadine avant tout, elle n’entrera pas dans la noblesse châtelaine mais connaîtra les honneurs du consulat153, et restera longtemps liée au milieu cathédral154.
108Quant aux Dalesmanini, un passage de la chronique de da Nono corrobore l’hypothèse ministériale, tout en la compliquant ! Non seulement il attribue à l’usure l’énormité de leur fortune (confondant des époques successives), mais il rapporte qu’une tradition frioulane en faisait des famuli du patriarche d’Aquilée – et non pas, par conséquent, de l’évêque de Padoue. En même temps il insiste, non sur une qualité de chevaliers ou de vavasseurs, mais sur leur insertion dans le milieu urbain, ce qui est une caractéristique de ces autres famuli qu’étaient à l’origine les di Giso : « ils furent de riches et puissants citoyens (cives) de Padoue »155.
109Venus peut-être d’ailleurs, en tout cas émancipés très tôt (si l’hypothèse est juste), ils parviendront bien plus haut que les di Giso, jusqu’à la reconnaissance de pouvoirs comtaux dans le contado par Otton IV, en 1212156, mais leurs débuts nous resteront vraisemblablement brumeux, du fait de cette précocité même. D’après un document de 1140 le père de Dalismanino (s’il s’agit bien du même personnage, et non d’un homonyme) était déjà intégré au milieu dirigeant citadin : c’était en effet un juge nommé Aldrico157. La carrière « féodale » de la famille est en tout cas liée, selon un schéma bien connu, à des mariages avec de riches héritières, Mabilia, petite-fille d’un da Fontaniva et fille de Rolando da Curano, qu’épouse Dalismano, puis Cecilia d’Abano, à la génération suivante. Un cas classique d’hypergamie permettant l’entrée dans le milieu châtelain qui s’était constitué au siècle précédent158.
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110Avec les Dalesmanini on a un premier cas de figure : une aristocratie d’origine récente que sa réussite a émancipée de l’autorité dominante en ville, à savoir l’évêque. D’autres familles, plus nombreuses, les riches héritières n’étant pas légion, jouent au contraire pleinement, au long du xiie siècle, la carte du service vassalique. Il en est deux, aux destins finalement fort dissemblables, qui illustrent à cette époque de façon exemplaire ce second cas de figure et ses différents développements possibles : les Tanselgardini (ou, parfois, Transelgardini) et les Gnanfo159.
111Les Tanselgardini apparaissent les premiers dans la documentation160 : en 1073 un « Tasalgardo » est témoin d’une vente entre deux personnages non autrement connus ; en 1078 un « Tanselgardo » assiste, à côté d’un notaire, à l’achat d’un bien par un orfèvre. Rien n’interdit de penser que c’est le même individu que l’on retrouve, ensuite, dans l’entourage de l’évêque et des chanoines161. Il évolue donc, pour l’instant, dans un milieu aisé, certes, mais non aristocratique : en 1095 il est de nouveau en compagnie d’un orfèvre, à l’occasion d’un acte des chanoines. Il se dit de loi romaine, ce qui est significatif162. De même il n’est pas sans intérêt de constater que, jusqu’en 1130, lors d’une assemblée où figurent des membres de la vieille noblesse (da Carrara, da Baone), Pietro di Tanselgardo figure, non point parmi eux, mais avec des notables citadins comme les di Aica (que l’on retrouvera dans le milieu consulaire des premiers temps)163. En somme, de simples cives à l’origine, selon toute vraisemblance. Hypothèse que tend à corroborer ce qu’écrira da Nono au xive siècle : qu’ils étaient « de nobles et puissants populares » ; l’apparente contradiction du vocabulaire recèle, en fin de compte, une excellente distinction entre des origines et un point d’arrivée164.
112Les Gnanfo sont plus tardifs et, au demeurant, ils iront moins loin. En 1148 un certain Rolando di Sofia est propriétaire d’une vigne à Abano ; en 1160 son fils, Alberico Gnanfo, tient des chanoines des terres en livello, situées dans les alentours immédiats de Padoue, auxquelles il renonce, tout en devant encore les exploiter durant cinq ans165 !
113La question des origines ne peut être tranchée avec certitude mais en somme, avec les Gnanfo comme avec les Tanselgardini, c’est un même noyau de propriétaires citadins, de souche non aristocratique mais où l’évêque va pouvoir puiser une clientèle, que, semble-til, on atteint pour la première fois. Sous d’autres cieux on parlerait de construction du milieu chevaleresque, dans ce cadre urbain les choses sont un peu plus compliquées : bien sûr on verra au moins une fois les Gnanfo qualifiés de milites, mais ce sera en 1215, et l’utilisation de ce terme est à signaler comme une insigne rareté dans ce groupe de notables dont ils font partie166.
114Gnanfo et Tanselgardini ont en commun d’être, plus constamment et plus longuement que bien d’autres, présents parmi les vassaux de l’évêque, en sa curia. C’est là que se forgent le bien et le mal de leurs destinées. J’avais autrefois tenté de montrer que, à partir des années 1160, le déclin du rôle dirigeant de l’évêque dans la commune avait fini par se traduire, avec en somme beaucoup de retard, par une moindre fréquentation de la curia vassalique167. Nous sommes ici, de ce point de vue, en présence de deux cas d’exception. Giovanni da Vo’ (autre dénomination des Gnanfo) y remplit encore une fonction de juge en 1215 et 1218168, et en 1220 il est témoin de l’investiture féodale de l’évêque Giordano par Frédéric II169. Les Tanselgardini s’y trouvent dès 1088, on l’a vu170. Sans manifester, semble-t-il, autant d’assiduité que les Gnanfo, ils n’ont pas déserté tout à fait, à la fin du xiie siècle : en 1190 Tanselgardino est chargé de recueillir les 100 marcs qui doivent constituer le cadeau de l’évêque à Henri VI, et son associé dans cette tâche est Gnanfo ! En 1209 Forzatè et Guitaclino di Corrado sont dans l’assemblée vassalique qui fixe le montant de l’adiutorium épiscopal pour le couronnement impérial d’Otton IV171. Certes il s’agit là de circonstances exceptionnelles (les occasions de présence étaient, avant les années 1160, souvent bien plus modestes) ; elles mettent en tout cas ces deux lignages au premier plan.
115Mais la « promotion » des Tanselgardini est allée au-delà. Gnanfo, on vient de le voir, exerce au xiiie siècle une fonction de juge de la curia qui, bien sûr, l’honore, mais qui ne le distingue pas de tant d’autres notables citadins. Les Tanselgardini, au contraire, ont pris leur essor à partir du moment où l’un d’eux est devenu le représentant de l’évêque en sa seigneurie de Sacco, son vicedominus, en 1185. Jusque-là la fonction avait été attribuée à diverses personnes ; c’est avec Tanselgardino qu’elle devient héréditaire, fournissant à la famille une base de pouvoir dans le contado : dès 1207 – donc après une vingtaine d’années seulement – le voila désigné par un témoin, lors d’un procès, comme le « comte de Piove » (comes Plebis), alors même que l’évêque est loin d’avoir renoncé à intervenir dans la région172. Au demeurant cette dénomination n’a rien d’officiel, et elle ne remet pas en question une sorte de partage de fait de la seigneurie qui laisse à l’évêque une prépondérance honorifique : encore en 1214 Forzatè di Tanselgardino assiste en témoin aux serments de fidélité que lui prêtent ses vassaux de Piove173. Dans la deuxième moitié du siècle on finira cependant par considérer que le castrum de Piove appartient au lignage, dont le vicedominatus a de toute façon modifié le statut à la fin du xiie siècle. Et dès lors les caractéristiques de chacune des deux familles que je considère se différencient considérablement. Pour faire bref : la carrière des Gnanfo se poursuit dans un cadre avant tout citadin et, du point de vue institutionnel, communal, alors que les Tanselgardini-Forzatè rejoignent la noblesse seigneuriale. Le titre comtal que leur donne la vox populi dès le début du xiiie siècle est révélateur : issus sans doute du milieu des cives, ils finissent par être assez comparables aux Dalesmanini, au fief de gonfalon de ceux-ci répondant le vicedominatus de ceux-là.
116Castra : la documentation ne dit pas toujours tout. Nos informations sur la fortune et la puissance des Gnanfo-da Vo’ ne sont certainement pas exaustives. Peut-être ont-ils acquis à leur tour une seigneurie châtelaine : une allusion, dans les Statuts communaux de Padoue antérieurs à 1236, leur attribue une motta dans le territoire d’Abano, là où était apparu le premier attesté d’entre eux en 1148174. Durant la tourmente ezzélinienne la famille disparaît du paysage politique local et il est significatif qu’aucune forteresse ne leur soit attribuée (fût-ce au passé) dans la fameuse liste de 1258.
117Ce qui n’est pas le cas des Tanselgardini : l’auteur de la tardive chronique qui utilise (et sans doute remanie) ladite liste est l’un de leurs descendants, et le problème est de démêler le vrai du faux dans l’impressionnante série dont il gratifie son lignage ! A côté d’un fortilicium de « Transelgardo » purement fictif175 il y a du moins une référence à Piove (et donc, implicitement, au comitatus de Sacco) et à Montemerlo ; on a déjà vu ce castrum euganéen tenu, à la fin du xiie siècle, par les Maltraversi de Vicence ; or, en 1237, Giordano Forzatè, prieur du monastère de San Benedetto à Padoue, menacé par Ezzelino, s’y réfugiera un moment176.
118On voit ce que cela représente : au xiiie siècle les Tanselgardini sont intégrés à la noblesse de rang comtal. De quand date la probable création de liens de parenté entre les deux lignages, il est malheureusement impossible de le savoir177. Toujours est-il que, bien avant 1237, dès 1124 pour le premier exemple connu, les Tanselgardini se lient avec l’une des meilleures familles, les da Fontaniva178.
119On en sait moins sur les alliances matrimoniales des Gnanfo. On les devine liés (ce en quoi ils sont très loin des Tanselgardini) à la fois à l’aristocratie et aux nouveaux riches des milieux usuriers. En 1212 un Gnanfo, Baialardo di Egidio di Sofia, épouse la fille de feu Enrigetto di Pietro Toco179 : le défunt était un homme du populus, un usurier originaire de Cartura, village proche de Carrara180, sans doute récemment monté à la ville, qui faisait des affaires aussi bien à Padoue que dans sa campagne et s’enrichissait, tant aux dépens d’une veuve d’épicier de Pernumia que des nobles seigneurs da Carrara eux-mêmes181. Mais dès la génération suivante l’intégration au milieu dirigeant est faite : en 1227 un Dominus Pietro Toco est juge182. Le mariage d’Osana, fille d’Enrigeto, signifie l’alliance de ces nouveaux riches avec l’une des plus éminentes familles de notables des temps de la commune consulaire.
120Parallèlement à cet ancrage dans une bourgeoisie montante (d’autant plus utile aux Gnanfo que leurs intérêts dans le contado n’ont pas une ampleur telle qu’ils puissent négliger leur position financière à un moment où le jeu des factions citadines se fait plus violent), et durant la même période, leurs relations avec la vieille noblesse châtelaine se resserrent de façon significative : Rolandino nous apprend incidemment qu’ils sont parents des da Camposampiero par les femmes, ce qui les situe aux côtés de « leaders » du jeu politique du moment183.
121Les destins de ces deux lignages sont exemplaires en ce qu’ils figurent deux types de réussite sociale dans le milieu des vassaux citadins de l’évêque. Les Tanselgardini, qui ont émergé dès le xie siècle, rejoignent la noblesse châtelaine tout en gardant des attaches solides avec l’aristocratie citadine. Les Gnanfo demeurent plus représentatifs d’une couche sociale demeurée dans sa très grande majorité hors de ce milieu restreint, même si, comme le montrent certaines alliances matrimoniales, il n’y a pas de cloisons étanches : n’ayant pas accaparé de pouvoirs « comtaux » dans le contado, ils demeurent par là-même plus intimement liés aux instances communales.
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122Trois générations de châtelains, avais-je annoncé : au-dessous du milieu comtal on a pu caractériser les gardiens de forteresses du xie siècle, dont j’ai tenté de faire apparaître la diversité d’origine : avouerie des da Fontaniva, châtellenie «adultérine» d’alleutiers comme les da Carrara; la troisième génération est multiforme, éventuellement d’origine ministériale avec les Dalesmanini, issue du service vassalique de l’évêque avec les Tanselgardini; mais, tout bien pesé, ces châtelains tardifs sont un peu des exceptions. Ce qui apparaît massivement avec le xiie siècle, c’est la couche de ces petits et moyens vassaux de l’évêque et des châtelains, dont les Gnanfo sont des représentants parmi les plus éminents, et qui constitue l’aristocratie urbaine. Il faut tenter de mieux définir ce milieu à la fois compact et complexe : ce sera l’objet du développement qui va suivre, sur les arimanni.
123Avant de l’aborder je voudrais répondre à une éventuelle objection. On me reprochera peut-être d’avoir cristallisé, durci, certains éléments d’explication du processus d’émergence des grandes familles seigneuriales dans ma petite région. Je n’ai rien voulu faire d’autre qu’insister sur celles des caractéristiques de leur ascension qui me semblaient déterminantes. On pourra nuancer tant qu’on voudra les analyses de détail. L’important était à mes yeux d’étaler en éventail la diversité des situations initiales et, par voie de conséquence, des processus d’accaparement de la fortune et du pouvoir. En bref, j’ai tenté de présenter des types d’évolution, éventuellement transposables. L’analyse de chaque situation concrète devrait pouvoir se moduler en fonction de la typologie proposée, en une combinatoire assez souple. Ici tel modèle ne conviendra que nuancé par les apports de tel autre, là au contraire on en verra un se reproduire jusqu’à l’exaspération, sans mélange184.
III–LA FÉODALISATION DES ALLEUTIERS RURAUX ET URBAINS : CIVES ET ARIMANNI
A) Un état de la question en général
124La documentation padouane abonde, du xie au xiiie siècle, en mentions d’arimanni et d’arimanniae. Impossible de faire l’économie d’une analyse qui mène à se mesurer avec l’une des problématiques les plus complexes de l’histoire du haut Moyen Âge italien : j’invite ici le lecteur à un long détour.
125Sur la question il existe une mise au point désormais classique, due à Giovanni Tabacco185. Une tentative de retour partiel aux hypothèses antérieures, pour ce qui est du moins de l’époque des rois lombards, due à Adriano Cavanna, non négligeable, est quelque peu affectée des mêmes causes de fragilité que les dites hypothèses : avant tout l’obligation de s’appuyer essentiellement sur la toponymie186.
126Rappelons brièvement les termes du débat. Une tradition historique qui mène de P. S. Leicht et F. Schneider à Bognetti faisait des arimanni, dont le nom apparaît assez tardivement dans les recueils de lois lombards187 (et, de surcroît, fort rarement) des groupes de guerriers installés par le roi sur des terres fiscales, et cela à des fins militaires. Ils lui auraient été liés plus directement que les autres hommes libres, avec des obligations spécifiques188. Tels étaient les points d’accord entre des auteurs dont les analyses, par ailleurs, divergeaient parfois fortement. Le propos de G. Tabacco a d’abord été de retrouver, fût-ce au prix d’une véritable entreprise de démolition, les quelques rares certitudes par-delà les constructions d’un florissant imaginaire historique. Il les a donc soumises « à l’épreuve de l’analyse textuelle » (comme l’a écrit P. Toubert, qui caractérise ainsi, brièvement et suffisamment, l’exigence critique de l’auteur)189. Que reste-t-il, au terme d’un réexamen des traces documentaires immédiates, à l’exclusion des autres ?
127G. Tabacco considère l’objet du débat à un point d’arrivée, mieux éclairé, la fin du ixe siècle. A ce moment les capitulaires de Guy et Lambert (891 et 898) permettent de définir les arimanni comme des hommes libres devant le service militaire, donc jouissant des moyens de l’accomplir, c’est-à-dire de biens fonciers à suffisance, qu’il leur faut éventuellement défendre face aux grands (c’est l’objet des capitulaires)190.
128Si l’on s’en tient aux sources écrites, nous fait savoir Tabacco, on ne saurait aller au delà de cette définition. Donc, plus question d’un groupe de libres distingué des autres par une implantation systématique sur terre fiscale ; tout propriétaire susceptible de servir à l’armée est un arimannus. Bref, il s’agit, du moins au ixe siècle, de « cette couche si mal connue des propriétaires moyens, hommes libres soumis à la districtio comtale »191, que la tradition carolingienne qualifie, d’une manière qui ne doit pas abuser le lecteur, de « libres pauvres » (pauperes liberi homines). Non pas des « pauvres » au sens actuel (bien loin de là souvent : on va bientôt le constater) mais, tout simplement, des propriétaires auxquels l’absence des moyens que donne la délégation de la puissance publique ne permet ni de se défendre seuls, ni – a fortiori – de s’emparer du bien d’autrui, comme le font abusivement des délégués du roi192.
129Le devenir des arimanni va donc s’identifier, à partir du xe siècle, avec celui des alleutiers en général. Le lecteur non familiarisé avec la question peut donc ici comprendre que le problème que pose l’identification d’un groupe social remontant aux temps du royaume lombard rejoint, à la fois, celui des petits vassaux et celui, plus général, des élites urbaines et rurales, et de leur intégration (ou non-intégration !) aux structures féodo-vassaliques, entre xie et xiiie siècle.
130Et c’est bien ce lien, d’apparence paradoxale, entre les temps « barbares » et le Moyen Âge central, qui oblige à poser la question fondamentale, comme le fait G. Tabacco lui-même dès la première page de son maître-livre : les autonomies communales (et dans le cas qui m’occupe il ne s’agit pas de la seule Padoue mais aussi de tous les centres importants de son contado) procèdent-elles, pour reprendre une formule de Gino Luzzatto, d’une « transformation interne du monde féodal lui-même » ?
131Le problème posé est toujours le même, depuis l’historiographie du début de ce siècle en Italie : à l’origine des libertés communales, mais aussi bien à l’origine du groupe des milites castri – des chevaliers – des campagnes, il y a sans doute cette sorte de « classe moyenne » d’alleutiers, venue, à travers de multiples transformations, adjonctions et appauvrissements, des temps lombards puis carolingiens193.
132Sur les origines et le cycle de transformations qui a permis la survivance d’un terme lombard jusqu’aux approches du xive siècle, G. Tabacco lui-même s’est attaché à préciser et, éventuellement, à nuancer sa pensée dans des articles postérieurs.
133Comment a pu perdurer un groupe de propriétaires-guerriers dans une société lombarde qui, depuis le temps de la conquête jusqu’à 774, n’était certes pas restée immobile ? Avec le temps l’armée du royaume exclut les Lombards tombés dans la pauvreté (au sens moderne !) et, au contraire, intègre des éléments ethniques « romains » aisés : au viiie siècle ce sont bien tous les possédants qui servent, encadrés par l’aristocratie. Mais, G. Tabacco est le premier à l’admettre, cette armée demeure majoritairement composée de Lombards et de lombardisés194. De même il ne nie pas qu’il y ait eu, ici ou là, des groupes arimanniques relativement plus compacts qu’ailleurs, dans des zones – éventuellement – de plus dense colonisation lombarde : la concession est d’importance pour ce qui est du Padouan, où la Saccisica est particulièrement mise en relief de ce point de vue par la documentation. Il faut simplement ne pas en faire des catégories à part, des « colonies militaires » isolées d’autres guerriers (exercitales) supposés, mais « y voir les signes d’une ancienne présence plus massive du peuple dominateur »195. En conséquence le lien direct (indubitable et dont la mémoire s’est longtemps conservée, on le verra) entre les exercitales et le roi n’est concrétisé par rien d’autre que par le serment prêté au moment d’entrer dans la vie militaire196.
134Le paradoxe est bien dans la persistance du souvenir de ce lien, souvenir mobilisateur encore en plein xiie siècle ; il ne s’explique que dans la mesure où le groupe social concerné est, au moins dans certains lieux, demeuré suffisamment compact et conscient de son unité. Car enfin la levée des exercitales au service du roi cesse d’être une réalité dès la fin du ixe siècle : la dernière tentative de réunion des propriétaires libres en vue d’un effort militaire collectif a été l’appel de Bérenger Ier contre les Hongrois en 899197.
135Dès lors, ce milieu que les capitulaires de 891 et 898 présentent déjà comme menacé par les grands, dans la mesure où le pouvoir royal n’est précisément plus susceptible, ni de lui demander grand-chose, ni de le soutenir en tant que groupe social, ce milieu va connaître une évolution extrêmement diversifiée, et le destin du terme arimanni lui-même en témoigne : comme l’écrit G. Tabacco, il est en effet « abandonné à la variété des situations et des coutumes régionales et locales »198. La consistance numérique, garantie par la solidité des assises foncières des familles qui en prennent la tête, permet à certains groupes d’alleutiers de demeurer les interlocuteurs directs du pouvoir royal ; l’usage du vieux mot lombard a, dans de tels cas, en dépit de son aspect passéiste, une fonction très précise qui est, en rappelant l’ancien rapport immédiat entre les libres et le monarque, de faire de celui-ci l’arbitre dans les oppositions avec des autorités seigneuriales, auxquelles on rappelle opportunément qu’elles ne sont que des pouvoirs délégués : telle sera l’attitude des arimanni de Sacco comme des cives de Mantoue au xie siècle. On peut, avec G. Tabacco, en tirer la conclusion (essentielle !) que les cives sont les arimanni des villes. Conclusion générale qui, comme j’espère pouvoir le montrer avec plus de précision, vaut pour le cas padouan. « Groupes citadins hégémoniques » d’un côté, « communautés rurales entreprenantes » de l’autre199 : en émergent des représentants, vite intégrés aux clientèles vassaliques des grands, auprès desquels ils se trouvent ainsi d’autant mieux à même de faire entendre leur voix et celle de leurs compatriotes et égaux200. Mais il s’agit là des cas les plus favorables : le plus souvent, comme le rappelle G. Tabacco, les arimanni ne seront bientôt plus que des consorzi grevés de charges quasi serviles par les héritiers du pouvoir comtal !201 Les uns, appauvris très tôt, se réfugient dans la clientèle de monastères ou d’églises, salva libertate, les autres sont transférés par la monarchie elle-même aux grandes seigneuries, immunistes ou comtales. La majorité des arimanni va donc peu à peu s’intégrer « au monde des dépendants de la seigneurie rurale »202.
136Bref, toute la gamme des possibles entre deux extrêmes203. Dans le Padouan règne la diversité, comme j’espère à présent pouvoir le montrer : non seulement, d’une micro-région à l’autre, on va suivre les traces d’évolutions contrastées mais, sur la longue durée, l’exemple de Sacco va montrer comment on passe d’une progressive différenciation sociale au sein du groupe à la dissolution à terme de ce groupe.
B) Etat de la question dans le Padouan : le problème des origines
137L’exemple de la Saccisica a servi mainte et mainte fois aux faiseurs d’hypothèses et à leurs contradicteurs, sur le double thème des origines et de l’évolution de l’arimannia.
138Leicht, puis Checchini l’utilisaient pour étayer leur théorie de la concession de terres du fisc à un groupe particulier204. Checchini allait plus loin : le thème de la situation frontalière de Sacco, durant une trentaine d’années, entre l’invasion de 569 et la prise de Padoue (602), qu’il développe, va dans le sens de sa théorie générale des arimanni comme organisation systématique de colons militaires de confins, calquée sur celle des limitanei romains et de leurs successeurs prétendus, les stratiotes byzantins205. L’interdiction d’aliéner, imposée par l’empereur Henri III dans un diplôme de 1055 aux Saccensi – et donc dans un contexte bien différent ! – devient le signe, pour Checchini, que la terre des arimanni, concédée aux temps de la conquête lombarde, était demeurée propriété du souverain206. Partant de Checchini, dont il estime que les recherches ont poussé l’explication beaucoup plus loin que ne l’avait fait Leicht – plus prudent en effet – Fedor Schneider enfonce le clou207, et là commencent les affirmations gratuites. Non seulement Sacco, face à la Padoue byzantine, devient un archétype de la marche militaire lombarde, mais il en fait une sculdasia, tout en reconnaissant lui-même qu’on n’a aucune preuve formelle de la présence d’un sculdahis en ce lieu, et en se fondant sur une analogie de situation frontalière avec la Scodosia, plus à l’ouest208.
139Ces vues anciennes ont donc été exhumées dans l’ouvrage d’A. Cavanna. De nouveau Sacco est mis en avant : l’auteur polémique avec G. Tabacco, pour qui les arimanni de 1055 résident sur leurs propres alleux, et ne sont censés avoir de rapport avec la curtis royale (concédée depuis 897 à l’évêque de Padoue) que dans la mesure où celle-ci est le siège du représentant de l’autorité publique ; pour Cavanna, au contraire, dans la mesure où, en 1055, ils sont dits « habitants de Sacco » (habitantes in valle qui vocatur Sacco), ils vivent dans la curtis209.
140L’argumentation d’A. Cavanna souffre de tendances à l’anachronisme qui sont celles des historiens dont il s’inspire210 : il insiste en effet sur le fait que la Saccisica a des limites bien précises, mais, à la vérité, elles ne sont connues qu’au xiie siècle, par la documentation ; et elles sont alors celles d’un district public, d’un comitatus rural, tandis qu’on ignore tout de celles de la curtis du ixe siècle. Ce qui ne veut pas dire, reconnaissons-le, que l’hypothèse d’une très vaste circonscription fiscale, à l’intérieur de laquelle auraient été à l’origine fixés les arimanni soit a priori erronée, et c’est pourquoi je la mentionne : elle est surtout indémontrable. La thèse sous-jacente est celle d’une totale immobilité de trois siècles au moins : il n’est que de voir combien fut complexe l’histoire du territoire dépendant immédiatement de la « pieve » et de la ville de Padoue, retracée par S. Bortolami211, pour douter d’une telle immobilité à Sacco.
141Je n’ai passé en revue cet ensemble d’hypothèses surannées ou discutables ni par excès de scrupule, ni par vanité d’érudition. Sur ce que sont les arimanni de Sacco des premiers temps vis-à-vis du pouvoir royal, il est sage de s’en tenir aux vues de G. Tabacco. Il reste que les interprétations, forcées sans nul doute, que ses analyses textuelles incitent à écarter étaient provoquées par la conscience que l’on avait de séries de problèmes que la critique contemporaine ne nie pas, mais qu’elle incite, en fin de compte, à considérer dorénavant comme insolubles !
142Il en est un auquel on se heurte indéniablement, à Sacco : celui de l’éventuelle installation systématique de groupes de guerriers lombards dans une zone de confins. A son sujet, la conséquence essentielle de l’œuvre de démolition « tabacchienne » est l’abandon, non point de l’hypothèse elle-même, mais de l’idée que cette installation correspondait à une institution particulière.
143En 897 Bérenger Ier avait donc cédé à l’évêque, avec Sacco, des pouvoirs (placita et districtiones) qui étaient liés à la possession de la curtis fiscale212. Dès le début, estime G. Tabacco, ces mentions se réfèrent probablement (on notera la prudence du propos), outre à la districtio (au pouvoir de commander) sur les résidents de la terre royale, également au service public des arimanni sur leurs alleux, dans la mesure où, en tant que guerriers (exercitales), ils ont cette curtis pour point de rassemblement et dépendent d’elle en tant que mobilisables213. La curtis est donc la tête d’une circonscription bien plus vaste qu’elle. Que la terminologie soit ambiguë n’est pas niable : on remarquera simplement que c’est le seul vocabulaire fossilisé des diplômes impériaux qui maintient l’usage du mot curtis jusque très avant dans le xie siècle214. Une impresssion fallacieuse d’immobilité s’en dégage, qui a pu être pour quelque chose dans les hypothèses hasardées des prédécesseurs et adversaires de G. Tabacco. Très vite « Sacco » va désigner la petite patrie commune à toute une libre communauté215.
144C’est sur l’origine et l’évolution de cette communauté jusqu’à l’aube des temps féodaux qu’il importe à présent de revenir.
145Retenir comme possible, sinon probable, l’homogénéité ethnique initiale de la collectivité des hommes libres de Sacco n’implique nullement un retour aux fantasmagories historiographiques du début du siècle. Premier problème, toutefois : à quand faut-il faire remonter l’implantation de cette collectivité ? Depuis Checchini toute la tradition érudite locale a présenté comme une certitude le thème de la Saccisica zone-frontière, entre 568 et 602, face à la fois à Padoue – à l’ouest – et à la lagune – à l’est –. De ce côté une chose est sûre : elle l’est demeurée ! L’installation, en masse compacte, de guerriers lombards dans ce secteur névralgique, d’abord enfoncé en coin, à la fin du vie siècle, entre deux têtes de pont ennemies, s’ensuivrait donc, sans doute possible, et serait l’origine effective de l’existence de la solide communauté arimannique que l’on verra apparaître au grand jour en deux étapes, en 1005 et 1055.
146Or il faut commencer par rappeler qu’on est en présence ici, non point de données de fait, mais d’hypothèses !
147Hypothèses qui viennent essentiellement de deux facteurs : la présence même du groupe arimannique (et l’on voit que c’est la définition qu’en donnent ces auteurs anciens qui porte d’elle-même à en repousser l’origine le plus loin possible dans le temps), et l’appartenance initiale de la Saccisica au diocèse et au comté de Trévise (le démembrement du territoire padouan étant, très logiquement, rapporté à son occupation partielle par les Lombards). Bien sûr, rien dans Paul Diacre sur une occupation du sud-est padouan ; et quand Checchini et Schneider citent une documentation, elle ne remonte jamais plus haut que la fin du ixe siècle. Plus prudent, Cessi se contentera de présenter comme la plus logique (en raison des deux facteurs susdits) l’hypothèse d’une frontière arrivant jusqu’au Bren-ta, « con tutta probabilità »216. Au siècle précédent, avant que ne s’échafaudent les théories, A. Gloria ne liait la fondation d’une « colonie militaire lombarde » qu’à la seule surveillance de la lagune (laquelle fondation, de ce fait, aurait aussi bien pu avoir lieu plus tard, au viie siècle)217.
148Or les témoignages archéologiques inciteraient plutôt à revenir à l’attitude circonspecte de Gloria, tellement ils s’avèrent peu probants. Dans des régions où l’implantation des Lombards au vie siècle est assurée, ainsi à Vérone et autour, les nécropoles ne manquent pas. Au contraire on n’a fait dans le Padouan, jusqu’à présent, que des trouvailles isolées. Lot de consolation : la Saccisica a fourni l’un des très rares témoignages dont on dispose, à savoir une pointe de lance, découverte à Codevigo. C’est guerrier, certes, mais c’est peu, il faut l’avouer ! Si bien que les archéologues, quant à eux, s’en tiennent à une hypothèse de départ assez négative : pas de site de peuplement lombard connu dans le Padouan avant le viie siècle, et donc rien avant la prise de Padoue218.
149Retenons de ces considérations pessimistes que, si la future Saccisica a pu être une zone de confins guerriers dès le vie siècle, il convient sans doute de ne pas situer avant le viie siècle l’organisation d’un habitat lombard stable.
150Reste maintenant à indiquer quelles raisons on peut avoir de ne pas renoncer tout à fait à l’idée d’une « lombardisation » plus prononcée en Saccisica qu’ailleurs dans le Padouan.
151On verra plus loin comment le groupe arimannique des xie-xiie siècles semble avoir conservé une claire conscience de lui-même, en tant que communauté, à travers la défense de terres communes, d’incultes destinés aux pâtures219. Or A. Cavanna n’a sans doute pas tort d’insister sur le fait que de vastes espaces boisés étaient nécessaires aux Lombards des premiers temps, pas forcément tous cavaliers mais, de toute façon, sans doute plus volontiers éleveurs que cultivateurs220. Le retour en force de la forêt au temps des invasions n’est pas uniquement une conséquence passive de l’écroulement démographique et des bouleversements hydrographiques : on peut, me semble-t-il, accepter avec P. J. Jones l’idée que, « sous l’influence germanique », il y aurait eu, dans certaines régions, un retour à l’élevage221, ce petit secteur de basse-plaine s’y prêtant mieux que d’autres de surcroît.
152Une sorte de « Markgenossenschaft » se serait donc constituée, contrôlée par toute la collectivité des hommes libres.
153Il me faut ici inférer – à mon tour ! – un passé ancien d’un passé plus proche. Des documents du xiie siècle montrent encore, d’abord l’ensemble des villages qui constituent Sacco, puis, à une époque où la vieille unité se désagrège, tout un groupe de communes rurales, autour de Piove et avec celle-ci, contrôlant en commun des incultes :
en 1129 ce sont tous les marici et procuratores istius patrie de Sacco qui offrent, sous certaines conditions, une terra comunis à l’évêque, donc une terre qui était propriété de tous les villages du territoire où les arimanni jouissaient de ce droit de libre parcours que l’évêque, en 1080, leur avait reconnu222 ;
en 1188 cette unité d’exploitation n’est plus qu’un souvenir, néanmoins un arbitrage oblige la commune de Piove à agir de concert, pour le contrôle des bois, avec les comunia de sa circonscription plébane : Codevigo, Arzere, Corte Folverto, Vallonga et Tognana, soit environ le tiers du territoire223.
154Une certaine logique de la disposition de l’habitat semble avoir correspondu, jusqu’aux bouleversements des xe-xie siècles, à cette prédominance des terres de pâture et des incultes, mais les traces documentaires sont peu nombreuses, parfois tardives là encore, et l’on ne peut que tenter de suggérer une esquisse assez hypothétique.
155Dans deux documents datés de 894 et 897, le monastère San Zeno de Vérone cède des terres lui appartenant, situées à Campolongo, en location à longue durée : en 894 le tiers d’un casale est concédé en livello à 29 ans, et en 897 ce sont 4 tenures, appelées successivement coloniae et casalae, que 4 personnes ont en emphytéose à 19 ans, chaque exploitation étant composée de l’ensemble constitué par casa et casale224.
156Baux emphytéotiques et casalia, on retrouve ici le binôme caractéristique, selon V. Fumagalli, de la première reconquête agraire de la basse-plaine marécageuse et boisée à partir du viiie siècle225. Néanmoins un problème se pose : il est rare que le casale y apparaisse comme la dépendance de grands propriétaires, étant au contraire en général l’expression de l’expansion de groupes d’hommes, non seulement libres (ce que sont les locataires de ces deux ensembles de contrats) mais petits et moyens propriétaires226. On peut risquer ici l’hypothèse de l’entrée dans le cadre domanial de possédants modestes en difficulté, d’autant qu’ils habitent déjà leurs exploitations.
157Reste enfin à se représenter ces casalia. Des documents à la terminologie précise ont amené P. Toubert à définir le casale de la Sabine en défrichement, non pas comme une simple tenure, mais plutôt comme une curtis de dimensions réduites, un petit domaine (curticella)227. Or il se trouve que le mot casale réapparaît, au xie siècle, en Saccisica, mais pour désigner des lieux-dits qui ont ensuite disparu ou ont été intégrés au terroir d’autres villages : Casa Bertaldo, Casa Pagana, Casisildo, Casa Merlai (ou Camerlago)228. Il s’agit, pour l’instant, de centres d’habitat : on ne les voit point encore subordonnés. Il est à noter que trois d’entre eux relèvent d’un cas de figure fréquent : ils portent les noms d’individus, à savoir les anthroponymes germaniques Bertald et Sisald pour les uns, le latin Merula pour le dernier229. De simples tenures paysannes n’auraient guère été susceptibles d’engendrer des toponymes : on trouvera plausible de voir là la trace des curticellae, des villae de dimension médiocre de moyens propriétaires230.
158On comprendra dès lors où je veux en venir : l’association défrichements-casalia ne devrait pas s’entendre, à Sacco, comme une entreprise menée seulement, par les ruraux, au bénéfice de l’évêque installé dans sa curtis fiscale ou d’autres établissements ecclésiastiques. De plus modestes réserves domaniales auront été constituées par les plus aisés des descendants des exercitales, laissant disponibles, pour les pâtures et la coupe, de vastes espaces contrôlés en commun avec le reste du groupe. Même si l’on peut volontiers admettre que, selon un processus que l’on voit démarrer dès le ixe siècle (sinon le viiie !), certains, à la frange inférieure, se retrouvent peu à peu absorbés dans la masse des dépendants231, l’image que donnent ces arimanni est celle d’une collectivité qui, au seuil du xie siècle, est suffisamment prospère pour obtenir, sans aucune intervention de l’évêque, un privilège commercial du doge de Venise232. Particulièrement révélateur est le fait que les Saccensi sont, à cette occasion, représentés par douze habitants du « castrum de Sacco » (sans nul doute Piove), qui sont chargés de prêter serment au nom de tous233. Ce détail, unique dans la documentation régionale, témoigne peut-être lui aussi, à sa manière, du long maintien de traditions lombardes (et, plus généralement, germaniques, au demeurant) par cette communauté solide. En son temps, en effet, Volpe avait remarqué, à propos des traces de droit lombard dans la législation communale, « la curieuse fréquence du chiffre 12 que l’on retrouve dans tant d’institutions collégiales et de légendes des anciens peuples germaniques »234. Un ouvrage de G. Waitz, cité par le même Volpe, sur le chiffre 12 chez les Germains, qui promène en effet le lecteur à travers la mythologie germanique aussi bien que le droit et les usages politiques, insiste précisément sur un fait juridique : il semble bien qu’ait existé partout une règle selon laquelle douze personnes devaient être réunies pour conclure procès et affaires importantes, avec un rôle variable – de juges, conseillers ou, comme ici, témoins235. C’est ainsi que, dans un document nord-italien plus tardif que le mien (il est daté de 1101), on voit douze jureurs faire office de garants pour la comtesse Mathilde236.
159On remarquera pour finir combien sont nombreux à Sacco les gens qui se disent de loi lombarde. En 1079 un groupe d’hommes du lieu conclut un accord avec l’évêque sur l’usage des incultes : sont présentes 31 personnes de loi lombarde et 3 seulement de loi romaine, auxquelles s’ajoutent 5 clercs qui, de façon significative, bien que de loi romaine du fait de leur état, apparaissent disséminés parmi les membres du groupe « lombard », énumérés auparavant237. De même, dans les 37 actes notariés (ventes, donations, etc.) conservés dans le Codice diplomatico de Gloria, faits à Sacco sur environ 120 ans (des années 980 à 1100), on trouve, comme donateurs, vendeurs et – surtout – témoins, 122 personnes de loi lombarde contre 49 de loi romaine238. Il n’y a aucune référence à une autre loi.
160Il va de soi, étant donné ce qui a été dit sur l’état de la question, que cette référence massivement majoritaire a perdu, sans doute bien avant le xie siècle, toute signification ethnique. Elle demeure, par contre, très révélatrice comme témoignage de la présence d’une population aisée, l’héritière des « libres du roi », « lombarde » désormais, par assimilation aussi bien que d’origine. Car enfin ce qui est ainsi désigné, au long d’un siècle, c’est un milieu de propriétaires, le seul qui prenne l’initiative de faire rédiger nos documents et de réunir les témoins dont les noms s’alignent au bas des actes. Un peu plus tard leurs descendants se qualifieront de boni homines ; pour l’instant leur qualité de longobardi ou, parfois, de lambardi (car le terme a ici aussi ses occurrences) est l’indice implicite d’une différence, de ce qui désormais est un signe de « distinction »239.
161« Différence », « distinction »... : on ne peut guère, dans le contexte du xie siècle, trop mal connu, trop indécis aussi, user de qualificatifs plus précis. Volpe avait, bien sûr, raison lorsque, critiquant Caggese, il écrivait que le thème à développer au sujet des lambardi devait être celui de « la formation de la petite aristocratie rurale dans ses rapports avec les paysans »240. Et c’est en somme de quoi je parle. Mais il se trouve que les étapes de cette formation se laissent malaisément percevoir. A Sacco l’un insistera sur sa qualité de lambardus (qui sait ? ce Mauro qui, en 1058, est cité parmi des voisins, par exemple) avec d’autant plus d’âpreté qu’il ne lui reste plus que cela pour se différencier des paysans avec lesquels le naufrage d’une ancienne aisance le fait à présent se confondre ; tel autre, au terme d’une ascension familiale de plusieurs générations est désormais un aristocrate. La même ambiguïté caractérise le nom d’arimanni, et il faudra en rendre compte, car elle a une raison d’être.
C) Les arimanni du Padouan : la situation d’ensemble à l’issue du haut Moyen Âge
162L’exemple de Sacco était le seul suffisamment bien connu pour autoriser un raisonnement sur une possible évolution, des origines à la fin du xie siècle. L’installation de petits noyaux de guerriers lombards autour d’une forêt d’usage commun a pu engendrer l’organisation collective de toute une région rurale. Ce schéma n’est pas le seul possible : n’oublions pas, entre autres, l’essentiel à long terme, à savoir l’existence de ceux que G. Tabacco dénomme les « arimanni des villes ».
163Quelles sont les autres secteurs d’implantation arimannique repérables dans le Padouan ? Certains sont assez bien documentés à partir du xie siècle, d’autres n’ont laissé que des traces.
164Au sud, tout d’abord, là où, directement ou non, domine le marquis d’Este : un diplôme, déjà signalé, d’Henri IV, daté de 1077, lui reconnaît les curtes241 d’Arquà, Este, Ponso, Vighizzolo, Solesino, Finale, Tribano, Olesia, Saletto, Megliadino, ainsi que de Montagnana, et celles qui dépendent de cette dernière et constituent la Scodosia, plus quelques autres qui ont disparu. Avec ces curtes est aussi confirmée la possession de toutes les arimannie qui en dépendent242. Certes, rien ne dit qu’il y ait des arimannie dans chacun de ces lieux. Toujours est-il que c’est, à partir des villages les plus méridionaux des Euganées et en descendant jusqu’aux habitats les plus proches de l’Adige, d’un secteur compact, bien plus vaste que Sacco, qu’il s’agit. Mieux encore, non loin d’Arquà et de Tribano, d’une part Pernumia est bien connu, par des documents peu nombreux mais riches d’informations, comme un centre d’arimanni, et d’autre part, dans le même secteur géographique, à Monselice, des allusions assez précises (sur lesquelles je m’attarderai plus avant) font référence à ce qui est au moins un passé encore proche. Enfin, encore en 1177, une vieille fondation de la famille, le monastère des Carceri, se fait confirmer par l’empereur les arimannie de tout un ensemble de biens qu’il a reçu d’elle243.
165Immédiatement à l’est de ce secteur, non loin de Tribano, dans le territoire de la commune rurale de Conselve, on apprend d’un document tardif (1243) qu’une terre est vendue au lieu-dit Arimanis244. Bref, c’est un bon quart sud-ouest du Padouan qui est concerné.
166La thématique des implantations militaires frontalières, chère à Checchini et Schneider, s’en trouve-t-elle confortée ? Certes on peut considérer que la Scodosia est bordée par l’Adige, longtemps frontière byzantine245, mais avec Arquà, Monselice, Pernumia, jusqu’où irait la notion de zone-frontière ?
167Sacco, Monselice et, jusqu’à un certain point, Pernumia et Arquà, sont des territoires ou des habitats particulièrement bien documentés. Là où manquent les informations (et notamment les témoignages d’interventions impériales), c’est-à-dire dans l’est et, surtout, dans le nord, la situation était-elle si différente ? N’y avait-il pas eu une présence plus ou moins capillaire des groupes d’alleutiers libres à l’issue des temps carolingiens ? Je suis le premier à accepter de considérer le cas de Sacco comme celui d’une présence arimannique exceptionnellement dense, et j’espère avoir avancé quelques arguments, mais il semblerait que, au moins dans tous les centres d’habitat ayant eu une certaine importance au haut Moyen Âge et l’ayant conservée par la suite, on peut trouver, ne serait-ce que furtivement, comme à Conselve, la trace d’arimanni. Il se trouve que le nord-nord-est était plus pauvre, que les centres habités y étaient le plus souvent moins peuplés et que (ceci est en partie la conséquence de cela) la documentation y est très lacunaire246. Et pourtant, même là ça n’est pas tout à fait le désert. Des traces demeurent : au nord-est de Padoue, au delà du Brenta, en 1136, c’est un bois qui porte le nom significatif d’arimannia sur les territoires de Carpanè et Vigonza : une fois de plus le terme est associé à l’usage des incultes247. Dans la même micro-région, sur le territoire de Pianiga, on trouve en 1198, parmi les confronts de terres des capitanei da Vigonza, à deux reprises, une Rimania, puis en 1233 une publica rimanorum qui longe un pré (le souvenir d’un groupe d’exploitants est donc ici explicite) ; mieux encore, dans un document non daté, de la fin du xiiie siècle, un lieu-dit du territoire de Pianiga est appelé « Piovega degli Arimanni »248. Quelque méfiance qu’inspire la toponymie, les témoignages me semblent concorder à suffisance249.
168Dans le nord des Euganées, enfin, l’acte de restitution, par Barberousse, de l’arx de Pendice à l’évêque, daté de 1177, qui serait un faux du xiiie siècle, mentionne, parmi les prérogatives du comitatus sur les villages environnants, l’arimannia250. Compte tenu de la maigreur de la documentation sur ce secteur il convient d’être prudent : le fait qu’il s’agit d’un faux élaboré localement élimine en tout cas l’objection de l’automatisme de chancellerie. Cela dit cette mention est unique.
169De ces arimanni du contado « hors Sacco » il y a peu à dire une fois qu’on en a exhumé les traces, du moins avant le xiie siècle où, à Pernumia surtout, les sources se font plus explicites. Toutefois un document qui concerne Tribano – l’un des villages cités dans le diplôme d’Henri IV aux marquis – suggère, comme le font plus indirectement les allusions rencontrées au sujet de Carpanè et Pianiga, une analogie de situation avec Sacco à la fin du haut Moyen Âge : en 954 le marquis Amelrico possède, à la limite de sa curtis de Bagnolo, une forêt en commun avec les homines de Tribano. Voici donc – comme à Sacco en effet – le témoignage d’une coexistence entre, d’un côté un grand domaine détenu par un représentant de la puissance publique, de l’autre une libre communauté d’alleutiers251. Le destin de Tribano n’aura pas l’éclat de celui du territoire dévolu à l’évêque : on peut du moins hypothétiser des situations de départ comparables.
170Quid des arimanni des villes ? A Padoue un privilège d’Henri IV, que les faits ne devaient pas concrétiser, au demeurant, fait don à l’évêque Milon, son fidèle dans la lutte anti-grégorienne, de la ville elle-même, et de son arimannia252 ; beaucoup plus tard, en 1188, le chapitre cathédral prétend recevoir la dîme des terres nouvellement défrichées de Busiago, que la commune s’est appropriée, parce que lui revient de droit la dîme de consortavolis et de arimanis et communibus Padue253. L’allusion du texte de 1090 n’était donc pas de pure forme et, comme à l’habitude, c’est à propos d’incultes – ou du moins de terres qui le furent – qu’on voit réapparaître sur le tard, incidemment, la terminologie archaïque qui m’occupe.
171La documentation abonde sur la ville, dira-t-on. Comment y expliquer l’extrême rareté des occurrences de la susdite terminologie, dès lors qu’à Sacco on l’a vu foisonnante ? C’est qu’à Padoue l’usage du mot cives, et l’organisation collective plus complexe qui y correspond, la rendent caduque et inutile. A Sacco, on va le voir, il se trouve que les alleutiers ont eu besoin, à un moment historique défini, de la réemployer et que, le succès ayant couronné leur entreprise, elle s’est littéralement fossilisée sur place.
172Voila qui me ramène au seul vrai problème : il importe moins de repérer les groupes d’alleutiers du haut Moyen Âge (on vient de constater qu’il a dû s’agir d’une diffusion capillaire avec, çà et là, des zones de plus dense concentration), que de savoir où ils ont formé des communautés suffisamment prospères, et donc solides, pour dépasser le cap fatidique du xe siècle, et comment s’est exprimée leur vitalité aux temps féodaux. C’est alors que l’on verra intervenir les élites qu’elles avaient engendrées et que se formulera, chemin faisant, la réponse à la question qui était à l’origine de ce développement : d’où vient le personnel de la petite et moyenne aristocratie, cliente de l’évêque et des châtelains ?
D) Arimanni et cives : des communautés dans la société féodale
173Jusqu’à la fin du xiie siècle il ne sera pas nécessaire de définir les arimanni, et le temps des définitions viendra précisément quand le mot aura pris une signification plus restreinte, et discutée.
174Que voit-on à Sacco au xie siècle ? A la fois un essor économique porteur d’autonomie (déterminant en dernière instance) et la nécessité pour le groupe de protéger celle-ci des prétentions épiscopales. C’est justement dans son unité face à l’évêque-seigneur que se manifestera sa force. De Checchini à G. Tabacco et A. Cavanna, les historiens se sont souvent penchés sur le document de 1055 où l’on voit l’empereur Henri III intervenir en faveur des arimanni pour les protéger de l’évêque-seigneur254. Or ce document prend tout son sens dès lors qu’on le met en relation avec un autre qui le précède d’exactement 50 ans, et auquel j’ai déjà fait allusion255. En 1005 les gens de Sacco agissent avec une parfaite indépendance en concluant directement avec le doge de Venise – sans que soit, ne serait-ce que mentionné l’évêque, délégué de la puissance publique – un accord commercial qui consiste en une exemption de taxes pour leurs marchandises moyennant le don annuel de 200 livres de lin. Le courant d’échanges est sans doute déjà ancien puisqu’ils ont évoqué la coutume. Parmi leurs 12 représentants, un gastald (Astulpho gastaldio) : ces gens sont sans doute la melior pars, le noyau d’une élite bien affirmée au sein du groupe256.
175Que se passe-t-il en 1055 ? Les Saccensi interviennent une deuxième fois en tant que collectivité dans la documentation : ils se plaignent auprès d’Henri III des charges injustes – entendons par là qu’elle sont nouvelles – que leur impose l’évêque. Ils invoquent donc la tradition et rappellent leur condition d’arimanni : qu’est-ce à dire sinon que, en tant que libres alleutiers, ils peuvent prétendre à un lien direct avec le pouvoir impérial ? Au nom de quoi ils réclament, comme un acte de justice de sa part, le retour à la situation antérieure. L’empereur, sans remettre en cause la juridiction de l’évêque, tenue de la monarchie depuis plus d’un siècle et demi, rappelle à ce-lui-ci qu’il se doit en effet de respecter la coutume. Comme le veut l’usage, le lien particulier entre le monarque et les arimanni devra se concrétiser par un tribut de 7 livres, lors de ses descentes en Italie (on a ici une définition implicite du fodrum, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir). Puis il interdit aux arimanni d’aliéner leurs biens aux puissants. Suit enfin un passage d’interprétation délicate257. Celle, classique, de G. Tabacco, est la plus logique si l’on accepte la lecture du texte proposée par les éditeurs : l’arimannus pourra, par exception, l’aliéner si cela lui est nécessaire pour s’acquitter auprès de l’évêque du debitum arimannie ; lequel debitum est défini par Tabacco comme le service public normal, devenu désormais, sans doute, une redevance pour la majorité, et un service militaire à cheval pour les plus riches, selon un processus évident de différenciation des élites au sein du groupe.
176Quoi qu’il en soit le service est clairement lié à une terre « arimannique » dont le possesseur se voit interdire de disposer selon son gré258. Riches et pauvres demeurent encore, de ce fait, solidaires au moins formellement ; de surcroît une telle mesure peut avoir pour but implicite d’éviter que des puissants de l’extérieur n’entrent dans le groupe à la suite d’achats, et n’en dévorent du dedans la substance259. Bref, même si l’on tient compte du fait qu’il s’agit là d’un milieu déjà socialement différencié, sa cohésion est demeurée intacte face à l’offensive épiscopale.
177Mais le plus gros problème est là : nous ignorons de quoi, précisément, se plaint la collectivité. Elle se lamente « de l’oppression d’une injuste servitude » (de iniuste servitutis oppressione) ; il est aussi question de cartae que l’évêque l’aurait obligée de remplir, et Henri III déclare qu’il faudra rendre aux gens de Sacco ce qui leur appartient. Quels abus seigneuriaux ont donc provoqué cette réaction unanime de la communauté ?
178Il se trouve que le diplôme impérial de 1055 n’est pas unique en son genre mais semble s’inscrire dans le cadre d’une politique systématique d’Henri III en faveur des petits vassaux, voire du populus. A Milan, un chroniqueur remarque cette attitude260. Or à Mantoue, en cette même année 1055, il renouvelle une vieille concession d’Henri II en faveur des « citoyens de Mantoue, c’estdire des arimanni habitant la cité de Mantoue »261. L’assimilation cives-arimanni, essentielle pour mon propos, a donné à ce texte une relative célébrité.
179Les Mantouans ont à se plaindre des exactions de seigneurs bien plus redoutables que ledit évêque : les Canossa262. Leurs récriminations sont plus précises : l’empereur entend les garantir contre toute aliénation, tant de leurs biens individuels que de leurs biens collectifs, ces derniers étant explicitement désignés comme « appartenant à la cité » !263 De même qu’à Sacco il fait référence au nécessaire retour à la bonne et juste coutume. Avec encore plus d’évidence ici qu’à Sacco le nom d’arimanni désigne une classe de propriétaires.
180En 1090, nouvelles précisions : Mathilde de Canossa est assiégée dans Mantoue, avec son mari Welf de Bavière, par Henri IV. Dans une ultime tentative pour se concilier des citadins plutôt hostiles, les deux époux leur restituent « tous les eremani et tous les biens collectifs accaparés par (leurs) prédécesseurs », et l’on voit ensuite expressément désignés les lieux où se trouvent ces biens communs – Sacca, Sustinente, Romanore, tous très voisins de Mantoue264. Les Mantouans ouvriront malgré tout à Henri IV les portes de leur ville, après avoir chassé Welf et Mathilde. D’où une ultime confirmation, impériale cette fois, en 1091, et qui n’ajoutera rien265.
181L’important, du point de vue qui est le mien, est la pression exercée par les seigneurs, à Mantoue comme à Sacco, sur les biens arimanniques – et tout particulièrement, à Mantoue, sur les biens collectifs ; la défense de ces biens contre les accaparements est l’occasion qui porte à s’exprimer au grand jour une conscience de groupe. Comme le notait Colorni, ces biens collectifs des arimanni mantouans deviendront, quand leur communauté se transformera en une commune urbaine, les biens communaux : on peut signaler ici que cinq des premiers consuls connus à Mantoue, en 1126, sont explicitement appelés arimanni dans la documentation266.
182Piove di Sacco deviendra, bien plus tard – au xiiie siècle –, l’une des communes du contado padouan. Mais la lutte pour les biens collectifs y a sans doute été tout aussi déterminante : qu’elle ait été l’une des raisons majeures de la requête à l’empereur de 1055, au centre de l’affrontement avec l’évêque, une série de documents postérieurs autorise à le penser. En 1080 un accord entre lui et les consortes de toute la Saccisica délimite de façon précise et simple une zone épiscopale, à l’ouest d’un lieu-dit nommé Pozzo Cavaliolo, et une zone alleutière à l’est, caractérisée par la présence de terres communes nommément citées267. Bien plus, les dépendants de l’évêque n’auront pas le droit de faire paître leurs troupeaux, ni de prendre du bois, à l’est de Pozzo Cavaliolo, sans l’accord des consortes de Sacco, lesquels, à l’inverse, comme l’a toujours voulu la coutume, au dire de l’acte, pourront prendre du bois, faire paître leurs animaux, et chasser (capulare, pasculare et cazare) sur tout le territoire de Sacco, du Brenta à la mer, donc y compris dans les incultes de la zone épiscopale, et cela sans rien devoir à l’évêque ni à ses successeurs. En somme, un traitement assez semblable à celui qu’ont obtenu, non sans mal, les Mantouans. Certes les proportions différent, mais non les problèmes. Dans le cours du xiie siècle encore, la collectivité des consortes usera de telle ou telle des terres communes comme d’un moyen de transaction avec l’évêque : dans un document, déjà signalé, de 1129, les marici, ses représentants, lui offrent la terre inculte de Tombiole, à la condition qu’il ne l’aliènera pas aux « comtes de Montebello » – ces Maltraversi de Vicence qui, installés au débouché de la lagune, gênent leur commerce avec Chioggia – ni à d’autres capitanei268 : en somme on monnaye les services du protecteur traditionnel269. En 1132 un nouvel accord précise que, sur cette terre concédée, les gens de Sacco peuvent continuer à faire paître le bétail et à prendre le bois270.
183Conscience de groupe, défense de biens communs conçus comme le nécessaire complément des alleux, nous voici apparemment très loin du thème qui est censé justifier le long détour par l’étude des arimanni que j’impose au lecteur : à savoir celui de l’origine et de la formation de la petite et moyenne aristocratie, c’està-dire des groupes vassaliques de l’évêque, des comtes, marquis et châtelains271. Mais la forme, de surcroît délibérément passéiste, du diplôme impérial de 1055 ne doit pas abuser. Ce rappel d’un souvenir, celui du rapport direct avec le roi aux temps lointains des exercitales carolingiens, que l’on feint de prendre pour une réalité institutionnelle vivante, masque l’opposition de forces locales neuves, et bien présentes, à des conséquences jugées inacceptables de la transformation en seigneurie, aux mains de l’évêque, de la vieille délégation de pouvoir qu’il avait obtenue à la fin du ixe siècle. Il ne faut pas que la réaction unanime des arimanni induise à croire qu’on a encore affaire à un milieu homogène et, à proprement parler, « rural » : ce serait oublier ce qu’a fait apparaître l’accord, vieux de 50 ans, avec Venise. Cette communauté enrichie par le commerce peut résister parce que, de longue date, comme à Mantoue, elle a sécrété des élites capables de la représenter et de la défendre (on a vu ce qu’étaient à cet égard les douze castellenses de 1005).
184Déjà au xviiie siècle Giovanni Brunacci avait eu l’intuition que, non seulement les arimanni de 1055 ne pouvaient être assimilés à une simple communauté de paysans (étant entendu, toutefois, qu’il demeure une majorité d’exploitants ruraux parmi eux), mais qu’un certain nombre d’entre eux étaient déjà devenus des vassalli minores de l’évêque272. Disons-le dès à présent : les luttes de la deuxième moitié du xie siècle, où les plus riches alleutiers de Sacco ont agi pour l’ensemble de leur communauté d’origine, leur ont permis de consolider leurs assises foncières (et ici l’analogie avec Mantoue me semble éclairante). Telle était la condition préalable à la réussite de leur futur « inurbamento », et l’on verra, au xiie siècle, certains représentants officiels des consortes de Sacco parfaitement intégrés, tant à la curia vassalique de l’évêque qu’aux équipes dirigeantes de la commune de Padoue, tout en demeurant actifs dans leur lieu d’origine273. A la vérité, l’évêque et le groupe d’alleutiers aisés qui lui faisait face devaient à la force des choses de se mettre d’accord : l’évêque avait besoin de cette élite des arimanni pour peupler son entourage vassalique. Dès lors la capacité de résistance et d’affirmation de certains au nom du groupe était aussi ce qui les distinguait de ce même groupe et les attirait vers le haut, c’est-à-dire vers l’élargissement de leur champ d’action : vers la ville274.
185Ce qui vient d’être dit de la seule collectivité arimannique bien connue du xie siècle padouan peut-il être appliqué aux autres, dispersées sur le territoire ? Si rien n’interdit d’imaginer les grands laïcs attirant de façon assez comparable d’autres groupes d’alleutiers dans leur vassalité, l’analyse est par contre impossible. Trop rares et trop indirectes sont les traces, on l’a vu.
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186Restent les deux cas, très inégalement éclairés, de Padoue et de Monselice.
187Les cives constituent-ils, à Padoue, une communauté organisée? Les voit-on agir, eux aussi, pour défendre des intérêts collectifs? Oui, mais dans un contexte bien particulier!
188En 1077 des boni viri, qui en sont les représentants (avant tout des juges et un advocatus non autrement spécifié – rien de surprenant –), contestent à l’abbaye suburbaine de Santa Giustina la propriété du «Prato della Valle», espace autrefois vide mais que commencent à envahir jardins et constructions, où se tient depuis longtemps un marché et où, enfin, les ruines du théâtre romain (que les Padouans appellent le Zairo) servent manifestement de carrière : l’évêque lui-même va, comme ses concitoyens, s’y fournir en matériaux de construction275. Il semble donc que la ville ait alors entamé une expansion, sinon « sauvage », du moins sans doute désordonnée, dans cette chasse gardée monastique276. Le procès se tient devant deux missi impériaux, en présence de l’évêque et du comte (dont c’est l’une des toutes premières apparitions dans le Padouan) ; l’un et l’autre s’en tiennent à une attitude de neutralité. Les cives perdent : occupants de fait des lieux, ils ne disposaient pas de justifications à présenter en justice.
189Or il se trouve que, bien que n’étant pas officiellement partie concernée en cette affaire, l’évêque Odelrico renonce à son tour, après que les cives l’eurent fait collectivement277, à toute prétention sur le Prato. Du moins tire-t-il un peu mieux son épingle du jeu : pour s’acquitter d’une dette envers les Vénitiens il obtient le droit de continuer à prendre des pierres au Zairo !
190Je me suis attardé sur ce document dans la mesure où il révèle la spécificité de la situation padouane. Si l’évêque est, à Sacco, un châtelain virtuellement – voire effectivement – oppressif, en ville sa situation n’a rien de comparable. Loin d’être une puissance autoritaire et mal supportée, comme à Mantoue les Canossa, il se contente d’y faire figure de primus inter pares.
191C’est bien pourquoi la donation de la ville, que lui consent Henri IV en 1090, ne saurait avoir d’effet. Il siège au milieu des cives : nombre de ces arimanni des villes seront ses très probables vassaux, après le comte et les châtelains. Mais on ne peut pour l’instant (pas avant les années 1130) évoquer aucun exemple concret. La collectivité apparaît encore homogène : chacun vient renoncer à ses prétentions, selon le même cérémonial, dans les mains de l’abbé. De même il n’est point encore de différence de statut entre ville et campagne, à cela près, toutefois, que la relation avec le pouvoir épiscopal n’est pas la même – ce qui n’est pas négligeable.
192Quant à Monselice, les traces de l’existence d’une collectivité comparable y sont tout à fait indirectes. Il est plus aisé de dire ce que Monselice n’est pas, entre autres dans son rapport – assurément distancié – avec la ville dominante, que d’en retracer l’évolution concrète. Voici donc une argumentation « en creux ».
193On se souviendra que j’avais rejeté l’hypothèse qui y attribuait aux Este un pouvoir reconnu278, et que j’avais brièvement signalé que s’y heurtaient en réalité des prétentions pontificales et une plus effective présence impériale, au moins à partir des Staufen279, si l’on excepte une tentative, faite en 1207, de confier la ville au patriarche d’Aquilée, dont on ne voit pas qu’elle ait été suivie d’effet280.
194Or il se trouve que la classe dirigeante de Monselice semble avoir bel et bien suivi l’empereur en ses desseins : il n’est pas indifférent de constater que, en 1236, on voit pour le moins certains des notables les plus consistants de ce lieu, parmi lesquels Pesce dei Paltanieri (dont la famille détenait des droits « comtaux » dans la voisine Tribano), soutenir avec décision Ezzelino da Romano, alors chef reconnu du parti impérial281. Outre que cela en dit long sur les limites de l’influence des Este dans la petite ville (je rappelle qu’ils étaient les chefs du parti adverse), la remarquable capacité qu’elle garde encore de décider seule de son destin implique l’existence d’un milieu aristocratique local jouant son propre jeu. A sa tête, les deux familles, apparentées sans doute, des Paltanieri et des da Fontana, confondues souvent l’une et l’autre par les notaires eux-mêmes, sous l’identique appellation de Montesilicis (si bien que parfois on ne sait pas trop à laquelle des deux on a affaire)282 : il pourrait s’agir là, si l’on en croit la tradition locale, des descendants de comtes de Monselice des temps carolingiens (qui nous sont totalement inconnus par ailleurs, en admettant qu’en effet ils aient existé !), ou du moins de ses châtelains d’origine283. Les notables qui les suivent (certains sont consuls à leur côté, à partir de 1162)284 sont des boni homines qui ne diffèrent guère des cives padouans, sinon que leur rayon d’action ne peut qu’être plus étroit. Qu’on les appelle comme on voudra, arimanni comme à Mantoue ou Piove, cives comme à Padoue, la dénomination importe moins que les similitudes de fait.
195Toujours est-il qu’il arrive de rencontrer, au détour d’un document, la curieuse mention d’un porticus Arimannorum285. S’agirait-il de quelque maison commune, devenue siège de nos notables ? Il est difficile de se prononcer car une famille de juges, bien connue à Monselice, a pour patronyme Arimanni, et l’ancêtre est attesté dès les années 1160 : cette maison a donc des chances d’être simplement la leur286.
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196L’esquisse d’histoire des groupes arimanniques tentée ici m’a obligé, me semble-t-il, à m’engager non pas sur une piste (celle qu’il m’importait de suivre pour mes considérations sur les origines de la clientèle vassalique des grands) mais simultanément sur deux à la fois : car la petite et moyenne aristocratie qui émerge d’un milieu demeuré compact d’alleutiers, curieusement, durant la période que j’ai embrassée (jusqu’au temps des guerres de Frédéric II), se refuse à se détacher complètement de ce milieu ; si bien que l’émergence des groupes vassaliques est inséparable de l’affirmation des plus fortes communautés organisées du territoire padouan de ce temps : les communes de Padoue et de Monselice, la communauté des vicini de Piove et de la Saccisica. Les nécessités de l’analyse pourront m’obliger à considérer à présent séparément ces deux réalités : il convient que le lecteur n’oublie pas que, dans la pratique concrète de ces temps, elles allaient de pair. Il faut d’autant moins l’oublier qu’on tient là l’un des plus remarquables « caractères originaux » de la « société féodale » en Italie du nord-est : il n’est ici aucune marque de nette séparation entre les « chevaliers » et les plus aisés de ceux qu’ailleurs on appelle les rustici – les rustres. Voila qui oppose assez radicalement cette structure articulée, où les différences de classe semblent s’opérer par nuances (dans un contexte juridique largement hérité des temps carolingiens où le lexique, des chancelleries aux notaires, ne porte pas à exagérer les hiérarchies), à d’autres où la violence des luttes de classe semble s’exercer sans masque, ainsi dans la Catalogne, telle que la décrit Pierre Bonnassie. Où réside l’opposition ? Les « cabalers » des châteaux catalans sont au fond des libres passés absolument « de l’autre côté » : c’est à eux de « soumettre (les paysans) aux exactions banales », et cela « en leur appliquant un régime de terreur mesurée »287. Les communautés arimanniques, là où elles ont conservé leur cohésion, ont longtemps continué d’être défendues par ceux de leurs membres qui étaient entrés dans la mouvance et le service des grands. De là (on aura l’occasion d’y revenir) l’originalité de certaines des communes du contado, qu’il s’agisse de communes rurales ou de ce réseau de petites villes (« quasi città », pour reprendre une expression devenue à la mode en Italie) qui couvre l’espace entre les cités dominantes288. Lorsque ces élites féodalisées perdront l’antique lien avec la campagne, alors naîtront vraiment les oppositions, alors commencera le processus d’assujettissement d’un contado dominé par la ville parasitaire289.
E) Un épilogue : l’évolution de l’alleu vers 1200
197Cette non-séparation, qui reflète des « contradictions non encore antagonistes », pour reprendre la terminologie d’Althusser, n’empêche nullement, cela va de soi, un progressif élargissement de l’éventail des situations de fortune. Tandis que quelques privilégiés s’approchent de la haute aristocratie, le plus grand nombre stagne et, aux niveaux inférieurs de la communauté, les habituels processus de marginalisation se déroulent. C’est ce mouvement social continu qui explique l’évolution progressivement négative – mais sur le tard, et c’est là le plus remarquable – du mot arimanni. La fin du xiie siècle est, dans le Padouan, le moment où les notaires commencent à éprouver le besoin de définir les arimanni.
198A Pernumia, gros bourg rural au destin soudain bien éclairé par la documentation, la communauté est jusque là demeurée efficacement soudée, le même groupe de libres s’y qualifie tantôt comme une « commune » (collectivité organisée), tantôt comme un rassemblement d’individus – arimanni290. Ces hommes sont des alleutiers qui tiennent le castrum, jugent tout vol ayant eu lieu dans son enceinte, et donc y jouissent d’une sorte de co-seigneurie avec la famille détentrice des pouvoirs « comtaux » sur place, les da Carrara291. Mais désormais le temps n’est plus où le même vocabulaire désignait indifféremment petits aristocrates et groupe de ruraux. Là est la nouveauté qui rend nécessaire aux rédacteurs des actes une définition précise : tout alleutier, à Pernumia, est un arimannus s’il est sujet aux charges d’origine publique que sont le fodrum et l’arimannia292. De même à Arquà en 1196, où deux hommes doivent le fodrum et l’arimannia pour leur alleu293 : c’est la famille comtale de Padoue (la famille comtale « tout court » !) qui a conservé le comitatus (rural) à cet endroit précis294.
199Au seuil du xiiie siècle, les notaires, tout comme les témoins des procès s’ils ont à s’en expliquer, se mettent donc à noter avec insistance le lien entre l’alleu et des charges spécifiques : « il a entendu dire que tous ceux qui ont un alleu dans le Padouan donnent chaque année quelque chose pour l’arimannia », écrit le rédacteur de la déposition de l’un de ces témoins en 1196295. On a désormais affaire à une double équivalence : arimannus = alleutier = taxé de l’arimannia. On voit bien la nouveauté : du groupe des arimanni d’antan se sont à présent détachées les élites vassalisées, les privilégiés qui, eux, bien sûr, sont désormais dispensés des charges. L’usage du terme s’est restreint à la masse des non-nobles, assujettie aux redevances. L’alleu a été durablement préservé, mais l’antique solidarité est morte.
200Au passage, l’assimilation des arimanni et des alleutiers non intégrés à l’aristocratie dirigeante, à laquelle on aboutit en cette fin du xiie siècle, va permettre d’évacuer la vieille hypothèse de F. Schneider selon laquelle, à un groupe spécifique de guerriers (les arimanni, précisément), auraient correspondu deux redevances particulières, le fodrum et l’arimannia. On se retrouve en fin de compte sur une position semblable à celle de C. Brühl296. Dire comme F. Schneider que seuls les arimanni payaient le fodrum est abusif, car les preuves manquent. Si, dans le Padouan, fodrum et arimannia marchent en effet de pair, c’est que, dans le vocabulaire des années 1150-1200, arimannus était devenu l’équivalent d’alleutier non noble. Bref, il s’agit d’une réalité bien plus diluée que ne l’avait cru Schneider, qui avait fait des arimanni un groupe particulier dans la société des libres, auquel, de surcroît, il attribuait une action historique démesurée297. La Saccisica est, une fois de plus, le meilleur observatoire : on y voit clairement comment l’entrée dans la vassalité épiscopale est d’abord synonyme d’exemption fiscale. Ainsi en 1186 l’évêque réinvestit de leurs fiefs deux notables de Piove, Guitaclino di Fariseo et un notaire nommé Martino : il est expressément rappelé que ces deux vassaux sont dispensés du fodrum et de l’arimannia, et de toutes les charges que doivent les arimanni de Sacco (on a ici, au passage, une première formulation nette de leur nouvelle définition)298.
201Le tableau sera complet lorsque le lecteur saura que ces mêmes vassaux, qu’il faut à présent caractériser comme d’origine arimannique (et donc sortis du groupe), non seulement sont dispensés pour eux-mêmes du fodrum et de l’arimannia, mais reçoivent le droit de les percevoir sur leurs tenanciers : la justification originelle de ces charges tend donc à se perdre, quelque exceptionnelles que soient sans doute ces nouvelles occurrences. Ainsi, en 1191, un certain Egidiolo, de Corte di Sacco, est investi de tous les « bans » et de toutes les arimanniae dûs par les gens vivant sur ses biens299. Mieux encore, il est expressément prévu que, si des terres venaient à y être défrichées, leurs tenanciers lui devraient l’arimannia. Ainsi, à l’époque même où l’on désigne le paiement de cette charge comme caractéristique de l’alleutier non noble, on la voit commencer à s’appliquer aux dépendants !
202Il devient plus aisé de comprendre comment les arimanni, tant qu’ils ont été le vivier d’où surgissait toute une aristocratie, ont pu constituer des communautés relativement protégées, et comment, à long terme, la masse demeurée composée d’alleutiers ruraux petits et moyens allait finir par être identifiée à une collectivité chargée de redevances spécifiques, soit, à maints égards, à son contraire. A son dernier stade l’évolution jouait tout à fait en sa défaveur.
203Et manifestement elle s’accélérait dans les premières décennies du xiiie siècle. Dans un document de 1213 l’assujettissement au fodrum et à l’arimannia en arrive à signifier l’inverse de son sens initial : lors d’un échange de biens entre le monastère San Giorgio maggiore de Venise et un certain Onestino di Martino, de Melara (en Saccisica), les deux terres concernées sont déclarées l’une et l’autre libres du fodrum, de l’arimannia, de toute charge publique et de tout autre « servitude »300 ! Bien sûr, le terme n’est ici employé que comme une image forte, et hors de tout sens juridique, pour exclure toutes les possibilités ; la formule est d’ailleurs très rare et, on le verra, il ne se rencontre point en Vénétie d’autres serfs que les « hommes de mesnie ». Mais l’analogie n’en est pas moins peu flatteuse, et significative.
204Cela dit notre Onestino, simple alleutier aisé de Melara, en est dispensé. Un mouvement, sinon mal connu, du moins absolument non quantifiable, de libération de cette charge tend peut-être à la marginaliser et à ne plus la faire peser que sur la part la plus pauvre de l’ancienne population arimannique. Couche inférieure dont la condition apparaît d’autant plus déprimée que les seigneurs banaux qui l’assujettissent sont sans doute aussi, désormais, des figures archaïques : dans le statut no 482 de la commune de Padoue, antérieur à 1236, il est interdit à un certain nombre de seigneurs d’Église, explicitement désignés (l’évêque et les monastères de Candiana, de Praglia et de Santa Giustina de Padoue) d’imposer des taxes, d’exercer aucune forme de violence, ni aucun droit de gîte sur les ruraux qui ne vivent ni dans leurs arimanniae ni dans leurs albergarie301. L’arimannia finit donc, au terme d’un parcours descendant étonnamment bref, par définir une terre dont les obligations évoquent la condition de simples tenanciers.
205Arrêtons-nous un instant sur cette rapidité du déclin et sur la véritable inversion sémantique du mot arimanni qui la traduit.
206En 1055, et encore dans une bonne partie du xiie siècle, il est chargé d’une valeur active : une collectivité s’en aide pour affermir sa position face aux puissants. Dans le statut padouan no 482, dont on ne saurait assez regretter l’impossibilité où l’on se trouve de le dater, il est, non plus actif mais, pourrait-on dire, « réactif », désignant des lambeaux d’un passé, sinon des vaincus de l’histoire. Comment une telle involution a-t-elle été possible ? Les seuls faits objectifs n’expliquent pas tout : encore en 1196 les habitants de Pernumia qui figurent comme témoins au procès entre les da Carrara et le chapitre cathédral chargent le mot arimanni d’une valeur positive (ils sont des alleutiers) ; or rien ne dit que le statut no 482 soit postérieur à ce procès. Il faut donc comprendre que, dans cette période critique (autour de 1200), le sens attribué au mot varie, voire s’inverse, selon celui qui l’énonce.
207Qu’en est-il, en effet ? Les paysans, petits et moyens propriétaires de Pernumia, vivent et pensent encore dans le monde restreint de la coutume féodale, où leur place était au fond bien délimitée. L’univers mental des rédacteurs des statuts communaux, leurs contemporains, est tout autre : on est à Padoue, ville de juristes formés à Bologne, qu’ils quittent à la même époque pour créer chez eux une université dissidente. Ils se meuvent dans l’espace juridique uniformisateur du droit romain : leur conception de la puissance publique surplombe de haut les anciennes conceptions féodales. Ils ne comprennent simplement plus les tenants et aboutissants de cette réalité ancienne que sont les arimanni, et ils assimilent l’arimannia aux charges des paysans dépendants ; bref, ils la rejettent dans la sphère du privé, du foncier. Concluons : autour de 1200 le même mot a deux sens quasi opposés selon les locuteurs. Les ruraux de Pernumia et les magistrats de la commune dominante ne parlent plus le même langage. La voix des puissants recouvrira vite celle des petits alleutiers « résiduels » du contado, dont la déchéance se trouvera du coup accélérée302.
208En effet, faire glisser implicitement des charges comme l’arimannia de la sphère du public à celle du privé, c’est aussi une manière de nier l’existence d’un rapport direct des ruraux concernés avec une autorité locale d’essence publique, rapport qu’exprimait précisément cette vieille redevance ; ainsi peut-on leur imposer la dacia communale, stricto sensu comme si de rien n’était, alors qu’en somme on ajoute une fiscalité nouvelle à une autre, qui était moins redoutable.
209On n’a pas eu, et pour cause ! à parler des « arimanni des villes » au sujet de cette évolution. On a vu que rares, et très générales, étaient les mentions d’arimannia à Padoue et dans ses fines303. Jamais ne se sont présentées d’allusions concrètes à son versement effectif : il est clair que le statut des cives avait de lui-même impliqué une totale libération de ce type de charges, à la différence de ce qui se passait dans les seigneuries – à Sacco, Pernumia, Arquà, ou même Este304. De ce point de vue, du moins, il a vite existé un privilège de la ville par rapport au contado305.
F) Les clientèles vassaliques des grands et leur évolution
210A présent que l’on sait d’où viennent les vassaux de l’évêque et des autres seigneurs – comtes, abbés, châtelains –, retrouvons-les au grand jour des cours féodales.
211Les mieux connus, de très loin, sont les vassaux épiscopaux : sur les 157 groupes familiaux suffisamment documentés pour que j’aie pu soumettre leur cas à l’ordinateur, 58 (donc un bon tiers), sont explicitement concernés. Il s’agit d’un minimum, pour deux raisons : les lacunes de ma propre information tout d’abord, le fait, d’autre part, que bien d’autres, que l’on rencontre dans des listes de témoins, dans la mesure même où ils fréquentent plus ou moins assidûment la curia épiscopale, sont probablement à ranger au nombre de ces vassaux : au total, 91 noms sur 157, c’est-à-dire la grande majorité des élites sociales de la commune avant 1237 (l’analyse statistique ayant été poussée, je le précise, jusqu’à la veille de la dictature d’Ezzelino).
212Si je m’en tiens à ma liste minimale, une fois soustraite du nombre la noblesse d’origine carolingienne ou ottonienne et les châtelains, 43 noms demeurent (sur 58). Comment les caractériser ?
213La liste reflète assez bien – et voilà qui n’est pas pour surprendre – la composition de la petite et moyenne aristocratie des temps de la commune « consulaire »306. Mieux encore : sur ces 43 noms de familles intégrées à la curia épiscopale, 16 seulement font leur apparition après 1150 : soit 13 entre 1151 et 1200, et 3 après 1200. C’est dire qu’il s’agit donc essentiellement des plus vieilles familles307. Ce qui correspond assez bien, au demeurant, au moment historique de la prééminence de l’évêque à Padoue : au plus tard avec le démarrage de l’institution du podestat en 1176, mais sans doute dès les années 1160 la curia est moins régulièrement fréquentée, et il est vraisemblable qu’y faire son entrée n’est plus, comme autrefois, l’équivalent d’un brevet d’intégration à la classe dirigeante, mais sans doute de plus en plus une satisfaction de snobisme, comme l’entrée dans quelque club mondain308.
214On peut esquisser quelque chose comme un portrait-robot du vassal non châtelain : il apparaît de préférence entre les années 1060 (ainsi les Ongarelli en 1067, les Gizi en 1069)309 et 1150 (les Gnanfo en 1148, les di Malpilio en 1149)310. Ses biens fonciers sont pour l’essentiel, et parfois exclusivement, situés soit dans la campagne voisine de Padoue (en gros, les fines de la « pieve » urbaine), soit là où l’évêque est seigneur exclusif, en Saccisica, soit dans l’un et l’autre secteurs. Il s’agit donc d’alleutiers urbains ou urbanisés (précisément, en ce cas, nos propriétaires des deux secteurs), ou même d’alleutiers demeurés cantonnés à leur bourg de Saccisica. Mais ceux-ci sont voués à un avenir moins brillant : les carrières de juges sont le fait des représentants des deux premières catégories, a fortiori l’entrée dans le collège des consuls de la commune.
215Illustrons ce schéma : sur 27 noms de vassaux non-châtelains connus entre 1067 et 1150 on trouve en effet 14 juges et 14 consuls ; dans 8 de ces familles, à la fois des juges et des consuls (il ne s’agit pas forcément des mêmes personnes dans une même famille). Il est donc évident que la commune urbaine est une émanation directe de la curia épiscopale : à peine était-il besoin de le rappeler, ces faits étant bien connus.
216De même, sur 27, 21 sont propriétaires avant tout dans les deux régions indiquées : 10 surtout dans la campagne proche de Padoue, 8 d’abord à Sacco, voire exclusivement, et 4 à peu près également à Sacco et autour de la ville311.
217Le profil ne se modifie guère, au demeurant, avec les 16 noms apparus dans la période suivante (entre 1151 et 1236) : 8 familles de juges (soit la moitié), 3 consuls seulement, mais il faut se souvenir que l’institution se raréfie à partir de 1176 (date du premier podestat). On peut constater, tout au plus, que lesdites familles sont plus obscures (à nos yeux du moins), sans doute plus modestes, en tout cas à cette époque. Comme les précédentes, elles sont majoritairement possessionnées autour de Padoue et/ou à Sacco (soit 10 sur 16).
218Bref, voici un ensemble d’une belle homogénéité spatio-temporelle : la deuxième moitié du xie siècle est le temps où s’agglutinent déjà autour de l’évêque, en même temps que les châtelains et grands féodaux, les familles alleutières les mieux assises : souvenons-nous de la manifeste complicité objective des cives et du prélat lors du procès de 1077 avec Santa Giustina. Elles se retrouvent en masse à la curia durant les 50 années suivantes. Après 1200 cette assemblée figure comme une survivance du passé : la politique communale se fait désormais sans elle.
Quelques exemples représentatifs
219Je ne reviendrai pas ici, sinon pour en souligner quelques traits caractéristiques, sur les Gnanfo, volontairement comparés – et opposés – plus haut aux Tanselgardini : à l’inverse de ces derniers, qui se sont élevés jusqu’au niveau des châtelains, ils représentent on ne peut mieux le milieu consulaire, et l’on aura l’occasion de les voir actifs dans la politique communale. Propriétaires avant tout dans la campagne proche, ils sont présents en plusieurs lieux de Saccisica. Ils ont une particularité, symbolique, sans doute, de leurs liens avec les marquis et les lignages comtaux, et donc d’une situation de premier plan, à leur échelle : ils sont aussi dans les Euganées.
220Les Tadi, autre famille bien connue312, fournissent la meilleure démonstration qui soit que l’intégration d’arimanni de Sacco aux élites féodo-vassaliques urbaines n’implique absolument pas, avant le dernier tiers du xiie siècle au plus tôt (et bien après dans leur cas), de détachement du milieu d’origine. Le personnage-clé est Giovanni di Tado, actif de 1102 à 1147, juriste et membre du premier collège de consuls padouans connu (en 1138)313 : non seulement il est propriétaire avant tout à Sacco, comme le montre le tableau informatique (il a des biens dans 11 villages de cette petite région, et dans 5 des fines de Padoue), non seulement c’est là qu’il tient un fief de l’évêque mais, à l’occasion, il est celui que la communauté des consortes choisit comme son représentant officiel auprès du seigneur-prélat ; ainsi en 1132, lorsqu’ils obtiennent le droit de prendre du bois et de continuer à faire paître leur bétail (capulum et pasculum) sur la terre épiscopale de Tombiole314. Cette double appartenance à la ville et au lieu d’origine ne se démentira pas : en 1199 Enrigino, fils du précédent, obtient du sindicus de Codevigo, au nom d’un groupe de consortes du même lieu, la garantie que leur sera assignée la portion de terre commune à laquelle ils ont droit315. Et, autour de 1210, à en juger par divers actes notariés rédigés en sa présence dans la demeure qu’il y possède, le même personnage vit une partie de l’année à Arzere di Sacco316.
221Parmi les destinées, moins brillantes, de familles demeurées plus longtemps, voire exclusivement, ancrées dans leur contado originel, voici par exemple les Farisei et les Danisii. Les premiers apparaissent bien plus tôt que les seconds (respectivement 1079 et 1169)317, mais les caractéristiques des uns et des autres sont comparables. Les propriétés connues sont situées en Saccisica exclusivement, et même, dans le cas des Farisei, seulement à Piove318. L’ascension sociale de ces derniers a été concrétisée par la cession en fief du fodrum, de l’arimannia et de toute charge sur leurs biens, que l’évêque confirme à Guitaclino dei Farisei en 1186319. Les uns comme les autres exercent des fonctions purement locales : en 1203 Guitaclino est procurator des communes du iudicatus de Piove320 ; en 1186 Enrico di Danisio a été iuratus de Piove et, en 1192, Danisio di Danisio est chargé, en tant que sindicus et procurator de l’évêque, d’exiger fodrum et arimannia d’un groupe de gens de Sacco321. Leur intégration au milieu vassalique passe également par des modalités qui ne concernent guère que les Saccensi (du moins si l’on en juge par la documentation), et sur lesquelles j’aurai bientôt à revenir : le service n’est pas dû par des individus mais par des groupes familiaux, les culmelli (ou encore colonelli)322. Ces petits vassaux semblent d’ailleurs avoir constitué pour l’évêque une réserve plus longtemps mobilisable que l’aristocratie urbaine323.
222On a bien moins à dire sur les vassaux des autres zones de domination épiscopale, infiniment moins documentées (si l’on excepte le secteur non padouan des Préalpes, dont je ne parlerai pas). Un exemple assez original, toutefois : les da Curtarolo-Musso324.
223Ni juges ni consuls parmi eux. Ils ont des biens dans 6 villages du centre-nord, à Curtarolo et dans des lieux avoisinants, c’est-à-dire près du Brenta, dans un secteur qui avait fini par passer de l’évêque à la commune vers la fin du xiie siècle. Selon le chroniqueur da Nono il s’agit d’une branche quelque peu déchue de l’illustre famille des da Fontaniva325. A l’origine du processus de segmentation dont ce nouveau lignage serait issu il y aurait eu, selon da Nono, une mésalliance : un da Curtarolo avait eu 2 enfants de la petite-fille d’un certain Viviano « di Musso » (« musso » : « âne » en dialecte) ; lequel Musso était du faubourg padouan de Codalunga (un comble !)326.
224Ceci explique cela : voici une famille de petits seigneurs du centre-nord facilement happée dans la clientèle épiscopale, d’une part du fait de ses origines géographiques, d’autre part dans la mesure où l’intégration citadine pouvait compenser, jusqu’à un certain point, sa déchéance relative.
225Entre les Gnanfo et les Tadi d’un côté, les Farisei, Danisii ou da Curtarolo de l’autre, tout un éventail de situations pourrait être déployé. Néanmoins on retrouverait presque toujours, en amalgames diversement organisés, les composantes qui sont apparues à travers ces quelques exemples. D’un côté, une aristocratie urbaine ou urbanisée, de l’autre, moins souvent, des gens attachés à leur terroir, de plus modeste fortune. Cette dichotomie est révélatrice d’une tension qui est essentielle au pouvoir de l’évêque lui-même : d’un côté le prestige d’un primus inter pares en ville, de l’autre des seigneuries dans plusieurs zones du contado, la Saccisica étant la seule d’une certaine importance où il ait pu demeurer le maître au seuil du xiiie siècle.
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226Avant de tenter une comparaison avec le peu que l’on sait des clientèles vassaliques des grands laïcs327, je voudrais ouvrir une rapide parenthèse sur un type de vassaux dont la spécificité ne peut apparaître à travers les tableaux que je commente. Il s’agit des petits officiers seigneuriaux : ceux dont l’exercice de fonctions au service d’un grand était rétribué par l’octroi d’un fief-salaire étaient sans doute nombreux. On les connaît mal, et la documentation ne laisse guère percevoir ce que pouvait être leur poids sur la population rurale qu’ils contrôlaient et, selon toute vraisemblance, contribuaient à opprimer.
227Toujours est-il que peu d’entre eux atteignent un niveau social tel qu’ils apparaissent parmi les familles que j’ai pu intégrer dans le tableau des élites. Il est vrai, cependant, que je ne sais que peu de choses – voire rien – sur les origines de la plupart328.
228Parmi les vassaux épiscopaux, une carrière est à peu près connue : celle des Canevaro. Leur apparition est relativement précoce (1115), et les lieux de leur fortune sont ceux de la majorité : on les trouve dans un village proche de la ville, et dans un autre à Sacco. Modestie relative : je ne les ai point vus entrer dans la prestigieuse carrière judiciaire, ni – encore moins – dans les collèges de consuls.
229Les origines, pour une fois, sont claires : « Canevaro » est un nom de métier ; le canevarius est le gardien de la « caneva » (latin : canipa), l’entrepôt où viennent s’accumuler les redevances des ruraux (tout s’explique !)329. Dès 1150 Martino Canevaro est officier de l’évêque à Sacco, où il perçoit l’arimannia330. Il dispose d’un fief qui consiste en la dîme de 10 campi331. Dès avant 1200 sa promotion sociale est doublement évidente : sa fille épouse Patavino di Ardengo, c’est-à-dire un membre de la vieille aristocratie urbaine (d’une famille de juges)332 ; dès 1188, surtout, il a droit au qualificatif de dominus333. Le voici donc intégré à l’aristocratie.
230Il n’est guère d’exemples aussi bien documentés. Au début du xiiie siècle, toutefois, on voit un certain Rolandino, gastald du monastère de Praglia à Brusegana, édifier manifestement une solide fortune aux dépens du seigneur : il acquiert en effet des biens du monastère en livello, pour un loyer dérisoire, après versement d’un lourd droit d’entrée, dans les Euganées, à Tramonte et aux alentours334. Et il arrondit encore son domaine en achetant à un aristocrate laïc, Gomberto da Vigodarzere, une terre à Tencarola, le village voisin de Brusegana335. Dès 1210 lui aussi se fait appeler Dominus336. Ces officiers enrichis peuvent donc en arriver à se fondre, qui dans la frange inférieure de l’aristocratie, qui dans les classes moyennes des bourgs du contado : vers 1209 un certain Pietro Buono, fils d’un gastald du monastère vénitien de San Zaccaria à Corte di Sacco, est notaire au même endroit337.
231Résumons-nous : il n’est en somme pas de raison majeure d’isoler une catégorie, intitulée « officiers seigneuriaux », de l’ensemble du milieu vassalique des grands. Il s’agit tout au plus de cerner une origine : s’il n’est pas impossible que les Dalesmanini soient issus de la ministérialité, si de leur côté les Tanselgardini voient le couronnement de leur fortune avec l’accession au vicedominatus de Sacco, on doit logiquement s’attendre à rencontrer des exemples comparables à un niveau inférieur. Au point d’arrivée on retrouve des notables de plus ou moins d’envergure, parfaitement semblables à tous ceux qui les entourent et dont j’essaie de tracer le profil d’ensemble.
232Il est temps, à présent, de confronter ce que l’on sait du milieu vassalique épiscopal avec les résultats de l’enquête effectuée du côté de la noblesse châtelaine.
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233Rien à dire sur les vassaux des comtes : aucun nom dont on soit sûr pour l’entourage de ceux de Padoue, 4 seulement pour celui des Maltraversi. Les clientèles des da Baone (14 noms), des da Carrara (14), des Este (13) et même des Dalesmanini (5 seulement) ont en tout cas des composantes assez comparables à celles de l’évêque. Elles aussi témoignent, d’une part, de l’intégration de ces châtelains à un jeu politique dont la ville est devenue le centre de décision, et malgré tout, d’autre part, de l’existence d’organismes parallèles, expression d’autonomies locales bien vivantes durant toute la période antérieure à la catastrophe guerrière qui clôt l’histoire de la première commune. Jusqu’à quel point les listes établies rendent-t-elles compte de cette tension entre le centre et les périphéries ?
234Les da Baone sont les plus citadins, peut-être, de ces féodaux. Et le profil de leur clientèle est en effet le plus proche de celui de la curia épiscopale. Même la chronologie des dates d’apparition des familles qui la composent lui est très comparable (cf. le tableau). La majorité de leurs vassaux (10 sur 14) le sont aussi de l’évêque, de façon assurée – ce qui veut dire encore davantage dans les faits. Avec 8 consuls et 7 juges parmi eux on retrouve le schéma précédent.
235Les exceptions seront d’autant plus révélatrices : il s’agit de deux familles assez peu connues, les da Concadalbero et les Gattari. Les possessions de la première, au vu d’informations il est vrai maigrelettes, sont exclusivement situées dans l’extrémité sud-est (à Concadalbero, Brenta dell’Abbà et Villa del Bosco) ; celles des Gattari, de localisation plus variée, s’y trouvent majoritairement (dans 4 villages du sud-est, puis dans 1 de Sacco, 1 de la campagne proche de Padoue, 1 au sud)338. On ne connaît pas de juge ni, a fortiori, de consul, sorti de l’une ou l’autre de ces familles. On est en droit d’interpréter ces deux présences dans la clientèle des da Baone comme un héritage des ancêtres Candiano, dont ils sont issus tout comme les comtes, et dont les biens fonciers étaient, en Terre-Ferme, d’abord dans ce secteur du sud-est. Toujours est-il qu’il s’agit là de deux exceptions, et l’intégration au milieu urbain reste la caractéristique majeure de ce lignage.
236A l’opposé des da Baone, voici les da Carrara et, plus encore, les Este.
237Je rappelle que les da Carrara, durant les xie et xiie siècles, ont eu avec la commune des relations pour le moins contrastées, et que l’échec du podestat de Barberousse leur avait valu des déboires339. Leur puissance repose sur des biens et des pouvoirs accumulés dans le sud du contado. Quant aux marquis, la Scodosia et Este sont pour eux la limite-nord d’une sphère plus vaste, et leurs ambitions les orientent de plus en plus vers Ferrare. Longtemps bonnes, les relations avec Padoue vont s’envenimer au début du xiiie siècle, avant que la menace, communément ressentie, des da Romano, ne vienne inciter à une nouvelle alliance340.
238Les niveaux d’information sont assez semblables : 13 familles de vassaux connus (dans le Padouan) pour les Este, 14 pour les da Carrara. Certes, une fois de plus, dans l’une et l’autre liste, la majorité correspond au schéma mis en évidence précédemment. Le milieu est plus huppé encore, peut-être, autour des Este : outre les dynasties châtelaines (da Baone, comtes de Padoue, et da Carrara eux-mêmes, on l’a vu), on rencontre au moins 4 familles de notables urbains qui accumulent les marques de prestige et les responsabilités politiques : les Azoco, Gnanfo, Malpilio, Steno sont d’ancienne aristocratie consulaire (Malpilio, Gnanfo) ou liée à ce monde, et participent à la diplomatie communale (en 1180 un Azoco est l’un des jureurs de l’alliance de Conegliano et Ceneda avec Padoue, et un Steno figure parmi les Padouans présents à l’accord entre les gens de Conegliano et les seigneurs da Camino – accord qui est largement dû à leur entremise)341. Les Roberti, moins connus, sont une famille de juges342.
239On retrouve, parmi les vassaux des da Carrara, des notables aussi représentatifs que les Tadi, les Gnanfo (encore eux !) et les Ongarelli ; un di Marcoardo, d’une branche des Tanselgardini, leur jure fidélité343.
240Plus nettement que dans le cas des da Baone, toutefois, un milieu étranger à la cité dominante est lié à l’un et l’autre lignage. Les 5 vassaux des Este non encore considérés – les Amigeto, da Lusia, da Lendinara, da Urbana, da Villa – sont possessionnés exclusivement, à ce que l’on voit, dans le sud-sud-ouest ; parfois ils ont, comme leurs maîtres, des intérêts au-delà de l’Adige : ainsi les capitanei da Lendinara et, sans doute, les da Urbana, mais le lecteur connaît déjà ces deux familles et je n’y insisterai pas. Les da Lusia, qui tirent leur nom d’un village des bords de l’Adige, sont de probables, mais obscurs, petits seigneurs locaux auxquels les marquis ont attribué un fief à Montagnana344. Les da Villa ont le leur à Villa Estense, à mi-chemin entre Este et l’Adige345, mais c’est à Monselice qu’on les rencontre346.
241Au moins 4 des vassaux des da Carrara disposent de biens-fonds dans le sud exclusivement, là où dominent leurs seigneurs. Il s’agit des Gerardacci, Foscoli, Tendilaccio (ces deux dernières familles, apparues sur le tard, en 1200, sont relativement peu connues) et, last but not least, des Paltanieri. Leur autre caractéristique commune est d’être des notables de Monselice. On a vu plus haut que l’aristocratie locale gardait ses distances, tant vis-à-vis de Padoue que vis-à-vis des Este. Peut-être la fidélité aux da Carrara est-elle, entre autres choses, une expression de cette distance ? Il faut nuancer, bien sur. Les Paltanieri, châtelains déjà connus, sont moins des clients que des voisins, pour l’un et l’autre lignage, et ont leur propre conduite politique347. De même les Gerardacci sont aussi vassaux de l’évêque348.
242Les rares clients identifiables des Dalesmanini s’accordent eux aussi à certaines particularités de ce lignage qui, certes nanti de biens dans de nombreux secteurs du contado et puissant en ville, au point même d’y paraître parfois dangereux349, est avant tout une puissance du centre-nord (dans 16 villages) et de l’est (15). Or les notables urbains bien connus que sont les Lemizzi, ou même les capitanei da Limena et da Vigonza, tous représentés dans les listes de consuls, sont eux aussi avant tout des propriétaires de ces régions plutôt que des fines de Padoue, ou même de la Saccisica350. Double appartenance, par conséquent, qui accompagne celle des Dalesmanini351.
243Les clientèles des châtelains sont donc, pour autant qu’on puisse en juger, constituées de deux réseaux complémentaires : le premier est pris dans le milieu des notables urbains ou urbanisés, sur lesquels ils s’appuient pour fonder leur influence en ville, le faisant jouer comme un groupe de pression en faveur de leurs intérêts ; le second est un ensemble au demeurant assez varié dans ses composantes, mais qui est enraciné dans le secteur du contado où ils dominent. Les autonomies locales sont donc préservées par les structures féodo-vassaliques et les groupements qu’elles créent autour des plus grands seigneurs, de l’évêque – à Sacco – aux Dalesmanini ; cela durera jusqu’aux bouleversements du milieu du Duecento352.
CONCLUSION
244A l’issue de ce tour d’horizon il apparaît que, non seulement les hiérarchies initiales au sein de l’aristocratie se sont profondément modifiées, mais qu’elles sont en évolution constante.
245Le petit monde des seigneurs munis de pouvoirs « comtaux » ne correspond que partiellement à la vieille noblesse des environs de l’an Mil : les rares familles de capitanei n’en font pas partie et présentent désormais toutes les caractéristiques de la notabilité alleutière urbaine. A l’inverse, des châtelains de troisième génération – ainsi les Tanselgardini – peuvent être issus de cette même notabilité, voire être d’une origine bien plus modeste – c’est peut-être le cas des Dalesmanini.
246Les clientèles vassaliques de ces seigneurs émanent, quant à elles, pour l’essentiel, d’un milieu complexe d’alleutiers, très vite socialement hiérarchisé, celui des arimanni des campagnes (tout particulièrement de Sacco) et des cives de la ville. L’intégration à la commune urbaine des élites « arimanniques » issues du contado ne les amène pas à se couper de leurs racines avant la fin du xiie siècle : longtemps elles jouent le rôle de courroies de transmission entre le centre dirigeant et les volontés des communautés d’habitants qu’elles continuent de représenter. Si bien qu’il ne saurait être question d’opposer la ville et son contado, ni même, trop radicalement, les nobles aux « rustres » : la commune de Padoue semble plutôt constituer, comme la curia épiscopale avant elle (et même, dans un premier temps, avec elle), quelque chose comme l’organe de représentation des milieux aisés de diverses micro-régions, dont celle que forme la ville et ses fines n’est en somme que la plus importante.
247Pourtant certains secteurs seigneuriaux, un peu plus lointains, y sont peu représentés : les domaines des Este surtout, mais aussi, au nord, ceux des da Camposampiero, longtemps attachés plutôt au Trévisan, ou, à plus forte raison, des da Romano. La sporadicité de la présence en ville de ces châtelains ne doit pas faire croire, pourtant, à un désintérêt. On verra plus loin comment les réseaux de clientèle (dont la documentation que je viens d’utiliser ne donne qu’une faible idée) ont fait entrer à peu près toute l’aristocratie citadine dans le jeu politique des grands. L’autonomie locale l’emporte cependant tout au long des xie et xiie siècles, pour autant qu’on puisse en juger. C’est ainsi qu’on a vu, dans tout le sud-ouest, la justice des marquis d’Este conserver une sorte de monopole.
248La haute noblesse féodale n’est pas la seule à conserver une relative liberté d’action : le centre urbain (la « quasi-città ») que Monselice ne cesse d’être, en somme, depuis sa provisoire accession au rôle de chef-lieu de comté, a conservé sa propre aristocratie, dirigée par deux familles à prétentions comtales, et dont la relation, aussi bien avec le milieu vassalique épiscopal que, plus tard, avec la commune de Padoue, est volontiers distanciée. En forçant un peu, on pourrait presque retrouver ici le schéma, habituel en Italie, des deux villes voisines ennemies, et opposer Monselice, bientôt gibeline, à Padoue, bientôt guelfe.
249Au total : une région qui, à l’orée du xiiie siècle, se présente comme un assemblage complexe de « pays » et de réseaux de relations féodo-vassaliques correspondants, autonomes les uns par rapport aux autres, et où la ville, avec sa proche campagne, constitue tout à la fois le lieu du plus dense de ces réseaux (en même temps que le « pays » prédominant), et le point où convergent les représentants les plus autorisés de tous les autres, un certain nombre de familles se trouvant ainsi occuper une position-clé dans la mesure même où elles ont des attaches tant urbaines et suburbaines que rurales – donc avec tel ou tel des réseaux extérieurs. Il en est ainsi, par exemple, des Tadi, famille de juges, de consuls, et de représentants autorisés des arimanni de Sacco. De telles familles sont au fond l’élément unificateur de cette confédération assez lâche.
250Ce subtil équilibre est menacé : dès la deuxième décennie du xiiie siècle, la commune va commencer à s’imposer par la violence aux Este. La dictature ezzélinienne le mettra définitivement à bas.
IV – L’ARISTOCRATIE : UNE STRUCTURE DE PARENTÉ
251Jusqu’ici, tant le réseau des relations entre les nobles que le système hiérarchique qui, jusqu’à un certain point, ordonne ces relations, ont été considérés sous un angle institutionnel. Il est d’autres points de vue.
252Comme le remarque Dominique Barthélemy au sujet de la noblesse châtelaine française, du haut en bas, des comtes aux simples sires, tous « font partie du même réseau de parenté »353. Si l’on considère l’aristocratie au sens le plus large (l’ensemble des familles entrées dans la catégorie des domini) les choses sont évidemment moins simples. Malgré tout, des politiques matrimoniales, à rayon d’action plus ou moins large, se laissent bien voir, avec toujours un même but, qui est de conserver des solidarités et, de ce fait, de maintenir fortune et pouvoir au sein du groupe familial. L’Italie du nord et du centre a ses spécificités : il me sera donné de rencontrer une pratique qui y constitue l’un des « caractères originaux » de l’histoire de la famille noble et bourgeoise, la « consorteria ».
253Dans l’ancien royaume d’Italie les régles successorales de l’aristocratie ne se différencient pas fondamentalement de celles du commun : pas d’élaboration d’une clause favorisant l’un des enfants comme, par exemple, dans la Catalogne de tradition wisigothique, ni de solution empirique du type mâconnais (avec le célibat des cadets)354. La descendance masculine est privilégiée (contrairement à ce qui se passe en Catalogne), mais ce sont tous les fils légitimes qui reçoivent une part égale de l’héritage. Tel est l’usage dans la plus haute noblesse aussi bien que chez les notables urbains : à la mort du marquis d’Este, Folco maior, la Scodosia est divisée entre ses cinq fils – Folco, Obizo, Alberto, Bonifacio et Azzo – et ce sont les vassaux (vassalli predictorum fratrum) qui se chargent de l’opération355 ; de même le testament du juge Manzio témoigne d’un souci scrupuleux de faire jouer la règle de l’égalité dans le détail : ne se contentant pas de diviser également ses biens entre les quatre fils, il ordonne à l’aîné de partager, selon cette même règle d’égalité, avec ses frères, les bénéfices qu’il fera durant les cinq premières années de sa vie active (au moment de la rédaction de l’acte l’intéressé est étudiant à Bologne)356. Et, si l’épouse est encore suffisamment jeune, la coutume est de prévoir la part à réserver à un éventuel héritier postume357.
254Une progéniture nombreuse est donc une menace pour le patrimoine familial et, dans les lignages nobles, ce sont les fondements même du pouvoir politique qui peuvent se trouver remis en cause au fil des générations. Des parades au danger existent, toutes d’une efficacité relative.
255Il va de soi, tout d’abord, que le privilège des mâles ira se renforçant à partir du xiie siècle, précisément au moment où la fragilité de leurs assises apparaît aux élites dirigeantes. Lorsque la pratique testamentaire cesse d’être une rareté, vers les années 1170, le vieux morgincap lombardo-franc, ce douaire équivalent au tiers ou au quart de la fortune du mari, a déjà disparu au profit des agnats358.
256Les documents padouans ont cette particularité qu’ils font apparaître une rupture chronologique très nette entre deux pratiques juridiques. Jusqu’au milieu du xiie siècle, tandis qu’ils nous laissent tout ignorer des usages patrimoniaux dans les familles de loi romaine – pourtant majoritaires sans doute –, les mentions du morgincap (le vieux « don du matin » – morgengabe –) de la tradition lombarde reviennent avec régularité, et cela depuis la fin du xe siècle. Les milieux sociaux concernés sont variés : les premiers exemples connus concernent des arimanni de Sacco, alleutiers obscurs359 ; au xiie siècle les derniers, fort rares, la seule aristocratie châtelaine360, et les documents ont changé de nature : il ne s’agit plus d’assignations maritales mises par écrit à l’occasion du mariage, mais de testaments (ce qui, d’emblée, cantonne le champ d’observation à la noblesse).
257Durant cette première période, par conséquent, la part réservée aux femmes de loi lombarde, dans le patrimoine du couple, leur donne une position économiquement avantageuse361 ; d’autant que cette institution proche de la dot, et moins favorable, qu’est le faderfium est ignorée des sources padouanes (mais jusqu’à quel point cette absence de la documentation est-elle significative ?).
258Dans la deuxième moitié du xiie siècle s’opère une rapide réduction à la portion congrue. Un assez curieux document, daté de 1153 et, au demeurant, totalement isolé, offre un mélange bizarre de l’ancien et du futur usage : on y voit un mari, habitant de Monselice et de droit lombard, recevoir directement de sa femme (chose inhabituelle puisqu’en général c’est le beau-père qui s’en charge) une dot de 50 livres et céder, « selon sa loi », précise-t-il comme s’il avait conscience d’un catapultage juridique, en morgincap, le quart de ses biens. Mais voici qu’en sus du morgincap (à noter au passage : c’est la dernière apparition du mot), il ajoute la contre-dot prévue par le code de Justinien, selon la logique juridique romaine, à savoir une donacio propter nuptias de 15 livres ! Tout se passe comme si les dispositions des deux droits, le lombard et le romain, s’ajoutaient l’une à l’autre362.
259Puis il faut attendre les années 1180-1190 : à partir de là, aussi bien les testaments que les cessions de dot qui commencent à se presser dans la documentation témoignent d’une pratique juridique unifiée, selon les règles du droit justinien. Quels sont désormais les usages ?
260Le principe suivi, sans jamais de fantaisie, est celui de l’exclusio propter dotem des juristes romanistes. A la dot, dédommagement consenti aux filles évincées du patrimoine paternel, correspond la contre-dot maritale, cette donatio propter nuptias qu’on a vu faire une apparition incongrue – et isolée – en 1153, qui devient, à partir des années 1190, de règle dans les rapports patrimoniaux entre époux, et n’est en somme qu’une garantie, d’une valeur équivalente à celle de la dot (ce qui n’était pas le cas en 1153), sur la fortune du mari363. A la mort de l’un des conjoints, le survivant reprend sa mise (entendons que la veuve dispose librement de sa dot et le veuf de sa donatio), augmentée en général d’un legs équivalent à un apport le plus souvent (mais pas toujours) relativement faible, pris sur la dot ou sur la contre-dot – entre un dixième et un quart364. Dans ce nouveau contexte la dot n’est pas loin de se présenter à la famille du mari comme une dette, et l’épouse comme une créancière : un document de 1190 manifeste, chez les contractants, une claire conscience de cet état de fait puisque la donacio propter nuptias, correspondant à une dot de 25 livres, est garantie explicitement par la mise en gage de tous les biens du mari365.
261En cas de débacle financière (et les exemples n’en manquent pas dans la plus vieille noblesse, on y reviendra) l’épouse figure en tête sur la liste des créanciers du débiteur insolvable, et les officiers communaux veillent à ce qu’elle soit effectivement dédommagée366. A l’inverse il est vrai que si, à la mort du père, une fille n’est pas encore dotée, elle est en droit de réclamer sa dot aux héritiers. La législation communale le prévoit367, et on peut la voir effectivement appliquée ; c’est alors de sa propre famille que la fille à doter devient momentanément la créancière, et un Tanselgardini, dominus Forzatè, connaît en 1213 le désagrément de se trouver dans l’obligation de mettre des biens-fonds aux enchères pour payer, sur l’ordre du juge du podestat, les 250 livres de dot de sa sœur368.
262Quelle est l’attitude de l’aristocratie, jusque là le plus souvent de droit lombard, voire franc, à partir de ces années 1190, où le raz-demarée romaniste submerge le régime matrimonial des Padouans ? Il va de soi que, avec çà et là des hésitations ou des correctifs de détail que les circonstances peuvent justifier, elle suit d’autant mieux le mouvement qu’il est dicté par le souci de protéger les fondements de sa propre puissance. J’ai fait une allusion à la législation de la commune de Padoue. Or c’est dans toutes les républiques citadines que des dispositions statutaires protègent ainsi les biens des mâles au détriment de la part des épouses, c’est-à-dire veillent en fin de compte à éviter un élément de dispersion des patrimoines aristocratiques, et donc à garantir le maintien des élites fondatrices, et dirigeantes, des communes. Comme l’a bien montré Paolo Cammarosano, le don du mari, dès lors que l’on persiste à l’ajouter à la restitution de la dot à la veuve, est fixé par les autorités urbaines le plus bas possible ; bien mieux, il devient courant que la législation interdise explicitement qu’il égale le montant de la dot (une hostilité de juristes, férus des principes enseignés à Bologne, envers les vieilles coutumes lombardes, a sans doute accéléré le mouvement dicté par la prudence aux classes dirigeantes)369.
263Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que la vieille noblesse féodale, comme la petite et moyenne aristocratie urbaine, ait suivi le mouvement sans marquer de temps de retard. Des exceptions ou, plutôt, des dispositions particulières, peuvent nuancer le tableau, très rarement d’ailleurs370 ; dans l’ensemble les aristocrates auraient plutôt tendance, à partir des années 1180, à renforcer les duretés de l’exclusio propter dotem : en 1181 Aldrigeto di Rolando, membre d’une famille de « cavaliers » (equites) urbains, prévoit dans son testament que sa femme ne recevra, outre sa dot de 400 livres (ou du moins, comme il est de règle, outre un équivalent de cette somme – ici en manses et moulins-), qu’un supplément de 50 livres371. Mieux encore, en 1208 Uguccio da Carrara lui-même ne laisse à sa femme que sa dot de 1500 livres, moins 6 livres !372 En 1261, enfin, Bonifacio di Sintilla, issu d’une vieille famille consulaire, n’accorde à la sienne que 10 livres en surplus d’une dot dont il n’avait jamais reçu tout le montant mais « seulement » 473 livres373. La législation épouse donc les intérêts des lignages dominants, et ceux-ci s’y conforment éventuellement jusqu’à l’outrance.
264La question de la place des femmes n’est pas évacuée pour autant : on la verra se poser à nouveau à propos des systèmes d’alliances qui lient, ou opposent, les familles, du moins dans l’aristocratie.
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265Les règles successorales assurent donc un quasi-monopole aux agnats, et à ceux-ci collectivement. Et l’on retrouve ici le problème posé : la cohésion des lignages demeure menacée par l’égalitarisme des règles d’héritage. Quels palliatifs peut utiliser une noblesse plus intéressée que toute autre classe sociale à conserver cette cohésion, garante de son pouvoir ?
266Un premier palliatif, le plus simple, consiste à s’en tenir le plus longtemps possible à une gestion commune des biens, d’autant que la division en quotes-parts égales d’une fortune foncière constituée à la fois de biens-fonds souvent extrêmement variés – de nature, de taille et de valeur –, de pouvoirs, de clientèles vassaliques aussi, est un acte très complexe, pouvant nécessiter l’intervention d’un arbitre compétent et reconnu pour éviter d’interminables querelles, chacun s’estimant lésé ou craignant de l’être. La frérèche, assortie bien souvent, si les fils sont encore jeunes, d’une direction effective de la gestion par la veuve et mère, est donc une solution d’attente extrêmement fréquente : dans le cadre du Padouan, sur les 157 familles dont j’ai plus particulièrement suivi les destinées, c’est le cas pour environ 70, soit pas loin de la moitié374, ce qui constitue, bien entendu, un chiffre minimal ne préjugeant pas de la solution adoptée par les familles pour lesquelles on demeure sans informations à ce sujet.
267Tout cela est bien connu : il me suffit de renvoyer aussi bien à des études de groupes familiaux particuliers, ainsi l’ouvrage de P. Cammarosano sur les Berardenghi, qu’à des articles de synthèse comme ceux de C. Violante375. La durée de l’indivision semble extrêmement variable, déterminée qu’elle est par de multiples paramètres qui nous échappent (degré d’entente ou de mésentente entre les frères, nombre de frères, difficulté plus ou moins grande à opérer un partage équitable, sans compter, de plus en plus, le délicat problème des créances et des dettes, que les fils se doivent de résoudre avant toute chose, etc.)376. Bref, cela peut aller de quelques mois à plusieurs décennies.
268Dans l’un des nombreux lignages qui constituent le groupe familial toscan des Berardenghi, P. Cammarosano a suivi le destin de deux frères, Alberto et Ranieri (di Ugo di Ildebrando di Berardo II). Entre 1102 et 1116 on les voit faire tout ensemble : en particulier on a conservé 10 actes de tous les deux en faveur du monastère familial de Fontebona ; et une fois qu’Alberto est marié, son épouse Gasdia signe avec eux. En 1116, Ranieri meurt célibataire : voici un cas de frérèche en quelque sorte idéal, qui a permis d’éviter les difficultés d’un partage en ayant duré 14 ans : Alberto hérite de la quote-part abstraite de son frère, dont il soustrait le nécessaire pour une donation pro remedio anime377.
269Je ne dispose d’aucun exemple aussi quintessencié. Voici néanmoins le cas, dans la deuxième moitié du xiie siècle, des héritiers du juge Giovanni di Tado. Il meurt en 1147378, laissant quatre fils, Nicolò et Vitaliano379, Enrigino380, Amelrico, qui est chanoine381. Or, encore en 1181, Amelrico, Vitaliano et leur neveu Arloto, fils d’Enrigino, qui agit pour lui-même et pour ses frères, font ensemble une donation à un monastère vénitien. On ne connaît pas d’héritier à Nicolò, disparu après 1156382. Voici donc une frérèche qui dure plus de 30 ans (ce qui, pour commencer, a sans doute permis de récupérer la part de Nicolò), et qui s’étend, avec les fils d’Enrigino, à une deuxième génération. Mieux encore, on la voit se prolonger quelque temps après la mort de Vitaliano : en 1183 le chanoine Amelrico, les fils de feu Vitaliano et ceux d’Enrigino échangent avec Santa Giustina de Padoue une terre, tenue par eux collectivement en fief de ce même monastère, contre d’autres, équivalentes383. Quelques années plus tard, en 1189, l’indivision a vécu384. Peut-être la mort du chanoine a-t-elle permis un partage souhaité, toujours est-il qu’on voit Pietro, fils de Vitaliano, et ses quatre frères diviser leur part, sans qu’il soit fait mention de celle de leurs cousins : un partage qui s’est donc produit au bout d’une quarantaine d’années !
270Il s’agit d’un cas-limite. Les avantages du système y dévoilent leur évidence : sur quatre frères, deux seulement semblent avoir eu des héritiers. Par conséquent une parcellisation destinée à n’être que momentanée a été évitée par la première génération. Ensuite l’éclatement est inévitable : on le voit, cette solution est à terme insuffisante, si longtemps qu’on parvienne à s’y tenir385.
271Avec ses qualités et ses limites évidentes, la pratique de la frérèche temporaire concerne également toutes les familles que l’état des sources permet peu ou prou de suivre, c’est-à-dire à partir d’un certain niveau de fortune : des comtes Maltraversi (dès le xie siècle)386 aux petits notables du populus. Les durées, je l’ai dit, sont extrêmement variables : de la période de quelques mois nécessaire pour apurer les comptes et rembourser les créanciers387 jusqu’aux 40 ans des Tadi388. Il n’y a pas de périodicité-type.
272De surcroît le partage des biens peut s’effectuer, le cas échéant, par étapes : en 1202 les 4 fils de Rolandino di Malpilio, mort au plus tôt en 1200, se partagent les biens paternels en ville ; c’est en 1205 seulement qu’ils le font pour ceux du contado389. Bref, la variété des situations est extrême mais on en finit toujours par la division ; sauf séries de morts providentielles.
273Avant d’aborder le thème (rebattu) des « consorterie » – une tentative de solution, non moins partielle mais sans doute plus durable, du problème de l’émiettement des fortunes aristocratiques –, il convient de s’arrêter un instant sur deux types particuliers d’indivision entre frères : celle des fiefs et celle des titres.
274Dans la coutume de tradition lombarde les règles de succession sur les fiefs sont identiques à celles qui régissent les alleux : alors que le fief est, en France, indivisible et inaliénable, il est ici, au contraire, divisible selon les normes qui règlent tout patrimoine, c’est-à-dire que tous les fils doivent profiter également des revenus qu’il procure. Comme les alleux, l’épée de Damoclès de l’éparpillement le menace donc aussi390.
275Cette règle de libre circulation joue en faveur de toute femme qui se retrouve en position d’unique héritière : les investitures le précisent souvent expressément391. Aussi bien la solution provisoire qu’est la frérèche les intègre-t-elle. En bonne logique, la même règle joue pour les seigneurs : s’ils ne demeurent pas en frérèche, ou si elle vient à cesser, il est d’usage de se diviser les vassaux entre héritiers392. La notion de fidélité en est doublement menacée : peut-on envisager des « parts » de fidélité correspondant à des parts de fief ? Les successions seigneuriales ne sont-elles pas susceptibles de faire éclater en mini-cours vassaliques sans consistance des ensembles qui étaient les soutiens effectifs d’une puissance châtelaine ?
276Devant cette menace, des solutions s’élaborent dans le cours du xiie siècle. De même que les modalités de la frérèche, elles s’avèrent assez variées. En fait, dans le Padouan, ni les seigneurs ni les vassaux ne semblent accepter facilement la règle de la division.
277On a conservé des listes de vassaux, tant des chanoines que de l’évêque. Ainsi, entre 1203 et 1208, avec régularité, des vassaux des chanoines se présentent au chapitre, auxquels on demande de jurer fidélité (ce à quoi certains se refusent) : le parchemin où leurs noms ont été enregistrés, en mauvais état, m’en a laissé déchiffrer 94393. Rares y sont les traces de division des fiefs, mais elles existent : Viviano dei Gualperti en possède un avec son neveu à Sermazza, et un autre seul, en un lieu indéterminé. De même Bernardino di Solimano est inféodé avec ses fils et un certain Giacomino à un endroit, et il l’est ailleurs sans ce dernier. Ces deux exemples sont les seuls à m’être apparus clairement : nombreux sont, au contraire, les cas d’indivision, 25 au total (non seulement des frères, mais des associations oncle-neveux, comme on en a déjà vu).
278La divisibilité du fief en moitiés, quarts, huitièmes, et ainsi jusqu’à l’infini, signifie division correspondante des profits à en attendre. Dès lors naît une étrange contradiction : le seigneur est-il en droit de demander le service vassalique dans sa complétude à quatre personnes qui ne constituent, dans la logique du système, que des quarts de vassaux, à huit qui n’en sont que des huitièmes, etc. ? En bref, le service vassalique exigible va-t-il croître en proportion inverse de la rentabilité du fief ? On voit apparaître, avant la fin du xiie siècle, une formule de résolution de cette contradiction : le vassal qui jure fidélité pour lui-même et pour ses frères (ou ses frères et neveux, etc.) précise parfois que le fief ne doit « qu’une seule fidélité et un seul service », ou éventuellement deux (feudum ad unam fidelitatem et unum servicium ; ad duas fidelitates et duos servicios)394. Cette solution devient fréquente au xiiie siècle, sinon dès les années 1180395 ; et elle se diffuse des plus humbles vassaux (puisqu’elle concerne même des fiefs conditionnels tenus par de modestes ruraux)396, jusqu’aux plus grands : ainsi des Este vis-à-vis de l’évêque397. Toutefois il convient de signaler qu’on ne trouve bon de la formuler explicitement que dans une minorité de cas : la majorité des fratries de vassaux s’en passe, semble-t-il ; les raisons qui poussent certains à exiger cette précision, et d’autres à ne pas le faire, n’apparaissent pas ouvertement.
279Au problème des liens féodo-vassaliques s’ajoute celui du titre chez les seigneurs les plus puissants : s’il n’est pas a priori difficile de partager les revenus d’une ou de plusieurs seigneuries castrales, d’un ou de plusieurs fiefs, peut-on en faire de même avec un titre de comte ou de marquis ? Autant de questions auxquelles les nobles padouans ont apporté une pluralité de réponses, selon les situations et les hiérarchies.
280L’usage n’est pas unifié. Voici deux exemples significatifs. Dans la famille comtale, les choses sont claires : comme l’a déjà signalé A. Castagnetti, « la qualification de comte se transmettait seulement au premier-né »398. Durant toute leur vie, semble-t-il, le comte Giacomo (comte de 1149 à 1168) et son frère Alberto Terzo (connu de 1145 à 1178) maintiennent leur patrimoine en indivis, mais seul l’aîné a le titre comtal399. A l’inverse, chez les Este, celui de marquis sera porté collectivement400.
281Les raisons sont relativement simples : la dignité comtale, liée à un territoire précis, est à l’origine octroyée par le souverain à un représentant de la puissance publique, et un seul. Les ancêtres des Este étaient certes marquis en Ligurie (les Obertenghi), mais la branche vénète ne devait guère son titre qu’à une prééminence de fait, hors d’une quelconque référence à une circonscription publique : ils sont en somme des marquis à titre privé401. Et les règles du droit privé allaient donc s’appliquer à leur titre402.
282Dans le cours du xiie siècle il peut donc arriver de voir, d’une famille à l’autre, des situations inversées : chez les comtes, un titre réservé à l’aîné et une indivision des biens ; chez les Este, des frères qui portent tous le titre de marquis mais qui divisent les leurs403.
283A y regarder de plus près, cependant, c’est le domaine des Este qui demeure compact, des rassemblements succédant aux divisions : certes les hasards des naissances et des décès ont sans nul doute été déterminants, mais le maintien d’une politique de « condominium », tel que le marque l’indivision du titre, a dû jouer son rôle. A l’inverse, la frérèche entre le comte Giacomo et Alberto terzo, dans les années 1150-1160, est un phénomène tardif autant qu’isolé. Ce qui caractérise les deux lignages comtaux (Padoue et Vicence) est au contraire, comme on l’a vu plus haut, l’éclatement en une pluralité de lignées châtelaines, et cela a commencé au xie siècle, avec les da Baone, puis les Castelnuovo, et se continuera encore au xiiie avec les Schinella « da Rovolon ». La politique, généralement suivie, de monopole du titre à l’aîné404, a pour corollaire le plus fréquent, autant qu’il est possible, l’implantation des branches cadettes sur des seigneuries castrales particulières.
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284Ce qui a été dit des frérèches les montre tendant d’elles-mêmes à constituer des agrégats plus complexes, qui associent oncles et neveux, mais qui semblent s’effondrer vite sous leur propre poids.
285S’il est donc à peu près impossible de laisser dans l’indivision l’ensemble d’une fortune au delà d’une génération, une solution partielle peut s’avérer suffisante à préserver plus longuement la cohésion des diverses branches d’un lignage : l’indivision conservée d’un point fort – non plus, par conséquent, de toute la fortune mais d’un de ses éléments-piliers (château, église, maison-forte en ville, etc.) –, par laquelle toute une symbolique de l’unité du clan vient s’ajouter au sens des intérêts bien compris de chacun. Voilà ce qu’est, fondamentalement, la « consorteria »405.
286Préalablement à tout discours sur ce thème, une distinction doit être faite : les consortes que l’on rencontre dans la documentation n’appartiennent pas toujours à un même groupe familial, même large ! Il faut distinguer, avec C. Violante, qui utilise des expressions de la fin du xiiie siècle exprimant une dualité essentielle à l’institution, des « consorti di ceppo », c’est-à-dire appartenant à un même lignage, et des « consorti per carta », groupes d’associés de nature et d’ampleur extrêmement variées406.
287Il se trouve que, dans le Padouan, le mot consortes ne désigne guère que des associations extra-familiales, per carta407, voire des collectivités entières : ainsi ce sont tous les alleutiers de Saccisica qui se désignent comme tels lorsque, en 1132, ils concluent avec l’évêque et les da Baone un accord sur des terres de pâture408.
288Les « consorterie » familiales, comme les autres, naissent d’une convention, souvent jurée, établissant des conditions précises pour chacun, écrit C. Violante409, mais, dans le contexte padouan, on n’en trouve nulle trace. Elles y constituent en quelque sorte – du moins pour nous – des communautés « taisibles ». De surcroît leur étude s’avère doublement décevante : d’une part il faut les traquer dans des allusions rarissimes, et d’autre part, la documentation en montre, d’emblée ou presque, l’échec410.
289Il se trouve en effet que l’on ne peut avoir de témoignage (indirect !) de l’existence de cette ultime structure protectrice qu’au temps où elle entre dans un déclin lent mais irrémédiable.
290Dans la noblesse châtelaine, longtemps seule concernée, les lignages apparentés se rassemblent autour de biens variés, le plus souvent des incultes ou des groupes de bâtiments. Le « clan » comtal, tout particulièrement, semble s’y ressouder : encore en 1232 on verra un Castelnuovo et un da Lozzo détenir en commun des terres in hora Castelli, à Rovolon ; leur voisin (mais non leur associé !) est Schinella, autre descendant de la souche comtale, dont la famille fera elle-même souche en ce lieu411. Les Euganées sont d’ailleurs une probable « poche de résistance » de cette structure : c’est là que les féodaux sont le plus solidement implantés, c’est là, dans une zone limitrophe de deux communes urbaines, que l’une et l’autre les gênent le moins412. Ailleurs il est révélateur qu’aucun castrum ni aucune tour n’apparaisse clairement comme un lieu de rassemblement de groupes familiaux larges : tout au plus telle ou telle maison-forte en ville se trouve çà et là attribuée aux filii ou heredes de tel ou tel notable, mais on a vu ce que cela signifiait en général413. L’indivision reste donc marginale et fragile. Quant à ce qui avait constitué, dans l’Italie du xie siècle, le point d’ancrage par excellence des solidarités familiales, à savoir le patronage en commun d’un établissement ecclésiastique, le succès de la réforme grégorienne le prive de l’essentiel de son intérêt pour la préservation du patrimoine.
291On ne peut malheureusement pas suivre l’évolution des rapports du monastère Sant’Eufemia et San Pietro de Villanova avec ses fondateurs, les da Camposampiero et les da Romano, futurs ennemis, apparentés de longue date et, pour lors, étroitement liés414. Toujours est-il que, au plus tard peu avant les années 1150, les aristocrates les plus réticents renoncent à ce qu’ils pouvaient encore maintenir du vieux système de l’« Eigenkirche » : en 1138 le comte de Padoue Ugo, Uguccio da Baone et les fils du comte Maltraverso renoncent ensemble, en faveur de l’évêque de Padoue, à la possession de la chapelle Santa Croce de Montegalda. C’était là, sans doute, le dernier reste d’une domination « consorteriale » qu’il faut renoncer à mieux connaître415.
292Les préoccupations patrimoniales, indéniables, n’ont sans doute pas été déterminantes lorsque, peu avant l’année 1117 semble-t-il, le monastère de Praglia fut fondé par Maltraverso di Montebello, comte de Vicence, « et par ses frères et ses autres consanguins »416. Ces derniers sont-ils ici tous les membres des lignages de la souche comtale primitive ? Il semble que oui417.
293Dès 1122 (ou 1123) il y a bel et bien eu donation du comte à l’Église romaine : Praglia est un monastère exempt418. Et ce « centre de cohésion » familiale, pour reprendre une expression de A. Castagnetti, n’a d’intérêt patrimonial que dans la mesure où les Maltraversi et leurs cousins et parents en conservent, à ce qu’il semble, l’avouerie : le premier à se charger de cette fonction est, bien entendu, le comte Maltraverso lui-même419 ; encore en 1302 c’est un da Lozzo qui l’exerce420. Mais pour le reste, à l’issue d’une série de donations, achats et échanges qui s’échelonne sur plus d’un siècle, Praglia se trouve à la tête d’une seigneurie considérable, et très vite le monastère a été « à même de conduire sa propre politique foncière »421. Les comtes de Padoue, les da Baone, Manfredo d’Abano s’étaient, comme les Maltraversi, montrés généreux422. Si bien que, au fur et à mesure que la créature croissait en puissance, le lien avec les créateurs s’amenuisait, comme le remarque S. Bortolami, en « un fil toujours plus ténu à la vérité »423. Des heurts surviennent, peu évitables dans la mesure où les biens concédés sont taillés dans les alleux familiaux, et l’on voit, en 1222, l’abbé n’accorder l’extrême-onction à Marcio di Montemerlo que contre la confession d’abus sur des terres monastiques et le serment d’y faire mettre fin !424
294En fin de compte, c’est une unité plus symbolique qu’autre chose, spirituelle pour être plus exact, que retrouvent à Praglia les descendants multipliés des Candiano. C’est là que, en 1180, Albertino da Baone déclare vouloir être inhumé425 ; c’est là aussi que l’on cache éventuellement les bâtards de ces nobles lignages : S. Bortolami y signale un Bertoloxius bastardus, fils du défunt comte Schinella, en 1261426. Si bien que, si « consorteria » fondatrice il y a peut-être eu, à la longue il n’est guère possible de parler que d’une référence floue à un « lieu de mémoire ».
295En règle générale, lorsque des groupes familiaux larges ont conservé des terres en indivis, les ventes et aliénations, dues aux difficultés de chacun des co-possesseurs, finissent par transformer le pôle d’intérêt familial en une association d’étrangers liés par le hasard, et cela alors que l’évolution des structures ecclésiastiques a condamné, dès le début du xiie siècle, le patronage des églises, c’est-à-dire la forme de « consorteria » qui aurait pu être la plus durable. Cette solution aussi s’avérait donc non seulement partielle mais fragile427.
296Avant de clore sur les avatars d’un ultime palliatif, il convient d’examiner une arborescence tardive de la « consorteria » ; tardive et, semble-t-il, assez particulière à l’Italie du nord-est : le culmellus. On retrouve ici le problème du fief et de sa divisibilité, propre au royaume d’Italie.
Un cas particulier : les « culmelli » du Padouan
297En 1190 la cour de l’évêque de Padoue fixe le montant de l’aide financière due par les vassaux à l’occasion du passage d’Henri VI, en route pour Rome avec son armée428. Or un groupe est considéré à part, et sa charge est d’une autre nature : les détenteurs d’un fief de « colmello » devront obligatoirement se rendre à Rome, soit avec la dite armée, soit dans la compagnie de l’évêque429.
298Vingt ans plus tard, en 1209, c’est Otton IV qui traverse la Vénétie sur la route du couronnement impérial. Le scénario se reproduit : une redevance en espèces est déterminée par les « pairs » de la curia pour tous les vassaux, excepté, de nouveau, pour ceux qui tiennent un feudum colmelli, dont il est dit seulement, cette fois, qu’ils iront avec l’évêque (l’insertion dans l’armée teutonne n’étant plus mentionnée)430.
299Le terme colmellum (-us), ou colonellum (us) était dès cette époque (et par la suite s’est avéré encore davantage) susceptible d’une étonnante variété de sens, comme l’a montré un article de Sante Bortolami431. Il couvre en outre une aire géographique bien plus vaste que le Veneto, puisqu’on le retrouve du Piémont et de la Toscane à la Dalmatie. Pour en rester à la région et à l’époque qui m’occupent, la première occurrence du terme semble remonter à 1180, et elle désigne un quartier d’un faubourg de Padoue, le culmellus de Tomba, à Ponteglese432. Assez curieusement, cet exemple reste isolé. Le champ sémantique occupé à la fin du xiie siècle et durant le premier tiers du xiiie se réduit à deux acceptions, l’une spatiale, mais en relation avec des indivisions familiales, l’autre féodale. Assez curieusement, les exemples de l’une et de l’autre ont des localisations différentes.
300Dans quelques documents très groupés et qui, tous, concernent des bois du territoire de Monselice, les vendeurs de petites pièces boisées (cum nemore) allant d’un quart de campo à 1,5, déclarent qu’elles se trouvent, l’un in suo culmello, l’autre in certis colonellis, un autre encore in pluribus colonellis, etc. Deux femmes en détenaient une in culmello avec un juge du lieu, Giovanni di Borseto433.
301A retenir, un caractère commun avec les acceptions suivantes : l’indivision, l’appartenance à un groupe. Ce groupe, à ce qu’il semble, est familial, en tout cas limité à quelques personnes. Voici donc des incultes qui ne sont plus la propriété de communautés entières (de consortes), mais plutôt, comme le suggère S. Bortolami, en voie de privatisation434, devenus le bien de parentèles plus ou moins larges.
302Voici maintenant les usages du terme dans sa relation avec les institutions féodo-vassaliques.
303Je rappellerai brièvement, pour commencer, une découverte de Sante Bortolami : la plus haute noblesse peut se trouver concernée. En 1190, toute la curia de l’évêque de Trente est divisée en cinq columnelli, dont chacun comprend à la fois des individus et des groupes familiaux ; parmi ceux-ci, la domus de Tisolino da Camposampiero (dont la seigneurie mord, en effet, sur plusieurs territoires). Le colonellus est donc, ici, une réalité supra-familiale.
304L’acception padouane du terme est différente. Elle s’avère complexe : par exemple en 1226, à l’occasion d’un partage d’héritage entre les descendants des comtes de Padoue, le colonellus désigne à la fois chacune des trois lignées également intéressées, et chacune des trois parts qu’elles s’attribuent435.
305Dans le Padouan la limite extrême de l’entité culmellus est le groupe familial large. A l’intérieur de cette limite, des flottements. En 1186 les représentants de deux branches de la famille des Farisei, Guitaclino di Fariseo et le notaire Martino di Bruscula, petits vassaux de l’évêque, sont investis par lui pour eux-mêmes et leur culmellus, lequel comprend plus d’une dizaine de personnes, la plu-part accompagnées d’un ou plusieurs frères. En ce cas, ce n’est donc pas chaque lignée qui est désignée, mais bien l’ensemble de la parentèle436.
306Il est, pour le présent, impossible d’aller plus loin dans la compréhension du phénomène : peut-être que la multiplication des diverses branches dans une famille tendait à faire se perdre, dans la représentation que les contemporains se faisaient de la parentèle, la perception de son unité originelle au profit d’une pluralité de nouveaux groupes.
307La documentation ne fait connaître, ainsi organisés en culmelli, dans le Padouan, que fort peu de familles nobles ou disposant de fiefs nobles, tels que les dîmes dans le cas des Farisei, gros alleutiers de Sacco. Je ne me serais donc pas attardé outre mesure sur une curiosité mineure du vocabulaire de la parenté437 si, à partir de la fin du xiie siècle, le culmellus n’était devenu le mode de rassemblement systématique et le cadre dans lequel s’effectuait le service de tout un groupe particulier de petits vassaux, inopinément apparu à Sacco, et exclusivement là, munis de « fiefs de cheval » (feuda equi)438.
308Les contemporains en font, manifestement, des fiefs conditionnels parmi d’autres : c’est-à-dire des fiefs qui constituent le salaire d’un service, non pas le service du vassal noble qui peut se résumer par les termes d’« aide et conseil », mais une prestation beaucoup plus précise. La condition de l’octroi du fief consiste en telle ou telle charge. Dans le contexte padouan les premiers sont de nature servile : ainsi des domestiques, vers 1170, doivent, par exemple, faire la cuisine pour les chanoines439. Mais bientôt le fief conditionnel se fait protéiforme, déborde très largement le cadre de la familia des grands, et en vient à concerner la frange inférieure des classes dirigeantes (comme avant lui le fief « noble » pour les simples chevaliers/ alleutiers). C’est ainsi que deux listes de vassaux conditionnels, tous gens de Saccisica, datées de 1214, mêlent à quelques personnages manifestement modestes et devant un travail manuel, tel que de maçon ou de tonnelier440, une majorité relative (13 sur 44) de vassaux munis de feuda equi, lesquels sont, comme on va le voir, d’un niveau social nettement supérieur. Il se trouve d’autre part que, parmi ces derniers (et seulement parmi eux), certains doivent le service avec leur culmellus, et apparaissent à ce titre comme les chefs ou, plus simplement, les représentants de tout un groupe familial441.
309Dans un cas au moins la raison du service à cheval est spécifiée, et elle est très particulière : il est dû lorsque l’évêque doit se rendre auprès de l’empereur442. Voici donc mieux identifié ce groupe de vassaux qu’on a vus mis à part lors des grandes occasions de 1190 et 1209, point de départ de ce développement.
310Les feuda equi constituent en somme, pour l’évêque de Padoue, la garantie de toujours disposer d’une honorable escorte en cas de besoin443. En ce sens, le fait de signaler expressément le voyage de Rome pour l’un d’eux a sans doute une signification restrictive : Vainanzio da Pigna, contrairement à tout le monde, n’est tenu de servir qu’à ces rares moments.
311Deux questions se posent :
Hasard ou non ? On ne rencontre de feuda equi qu’à Sacco444. D’autres listes de vassaux, parfois conditionnels, datent de la même année 1214 : on y trouve des gens d’un peu partout (dans un cas ils sont exclusivement d’Abano), mais plus aucun feudum equi ni, ce qui est révélateur, aucun culmellus445. Pourquoi ?
A quand remontent les feuda equi et les culmelli de Sacco ? La documentation, on l’a vu, ne livre rien avant les années 1180. J’avais autrefois attribué leur apparition à la nécessité, pour l’évêque de Padoue, de s’assurer une escorte vassalique dans un contexte de raréfaction des vassaux nobles autour de lui – raréfaction concomitante au déclin de son importance politique en ville446. Je maintiens l’hypothèse dans la mesure notamment où, à bien scruter la documentation, il me semble qu’on peut isoler, au début du xiiie siècle, une période, non pas de formation mais de progressive coagulation de ces culmelli de Sacco.
312En 1214 Enrico di Danisio est cité seul à la tête d’un culmellus, et ses neveux, Giovanni Buono et Pietro di Danisio à la tête d’un autre ; leur parent, Enrico Bastardo, est mentionné à part, avec son propre feudum equi447. Or, dans un document plus tardif, les mêmes Giovanni Buono et Pietro, et le fils d’Enrico Bastardo, Benedetto, sont, en compagnie d’autres personnages, tous regroupés sous la rubrique « de culmello Enrici Dionisii »448. C’est d’ailleurs la première fois que le classement par culmelli est systématique : on peut émettre l’hypothèse d’une progressive organisation de groupes familiaux cohérents parmi une couche récente de petits vassaux de l’évêque, sur un modèle plus ancien, et qui, auparavant, concernait plutôt la vieille noblesse449.
313La question « pourquoi Sacco ? » demeure posée. La réponse est double. D’abord une évidence : l’évêque est seigneur de Sacco et, durant la période concernée, il y jouit encore de l’essentiel de ses pouvoirs comtaux. Rien d’étonnant à ce que ce soit là qu’il ait opéré une sorte de ratissage des vassaux possibles dans le milieu des petits notables encore non urbanisés et, par là même, demeurés mieux assujettis, donc susceptibles de se plier aux exigences de ce service particulier.
314Voici d’autre part une hypothèse. Peut-être l’origine première de la formation de ce groupe original s’explique-t-elle par l’une des descentes impériales – de Barberousse ou de son successeur. La chancellerie des Staufen était douée sans nul doute d’une « longue mémoire ». En 1161 Barberousse avait privé l’évêque (momentanément) de la juridiction de plusieurs terres, dont la Saccisica. La raison de cette confiscation était claire : l’Empire était censé réaffirmer ainsi un droit éminent sur ce qui avait été, dans le cas de Sacco, une curtis royale (donnée pourtant en toute propriété au ixe siècle) et, par ricochet, sur les hommes libres du lieu, dont n’avait pas encore tout à fait disparu la qualification d’arimanni, même si elle était certes devenue fort « inactuelle » (pour reprendre une expression de Sante Bortolami).
315Le choix de colmelli de gens de Sacco pour escorter l’évêque dans son service vassalique envers l’empereur, ou, mieux encore, pour les intégrer à l’armée impériale sur le « Römerzug », rappelle l’antique service des « libres du roi », et l’on peut penser qu’il n’est pas dû au hasard. Si cette interprétation est juste on aurait là le dernier avatar d’une institution fossile.
316Car enfin ces colmelli sont bien constitués d’alleutiers aisés, et non pas de ruraux dépendants. Dans les listes apparaissent un notaire, un tailleur et un forgeron450, mais certains sont de plus haute volée. On peut suivre un peu le cursus de deux familles : les di Danisio et les da Pigna451. C’est, pour l’une et l’autre, le temps de l’ascension sociale avec, à la clé, l’intégration à l’aristocratie dirigeante.
317J’ai déjà évoqué les Danisii452. Au début du xiiie siècle un da Pigna est chanoine à Piove453, un autre est déjà un notable à Padoue454. Les uns comme les autres ont, ce qui est dans la logique des choses, des liens avec les Farisei, ces vassaux inféodés de dîmes et issus, comme eux et avant eux, du milieu « arimannique »455. Un jour arrive où ils sont des domini : c’est chose faite en 1221, au plus tard, pour Enrico di Danisio et pour Giovanni di Bonifacio da Pigna456, soit dès la deuxième génération d’appartenance au milieu des notables.
318Dès lors que cette ultime tranche d’élite sociale s’est dégagée, au début du xiiie siècle, du groupe arimannique, ses destins se confondent avec ceux de la petite et moyenne aristocratie padouane. Les destins du feudum equi également : il obéit à la règle commune de l’aliénabilité457. La cohésion du culmellus, pour revenir au thème général, est sans doute l’expression d’un moment des lignages, tout comme les autres formes de « consorterie ».
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319Une dernière interrogation, à caractère annexe, sur le feudum equi. Quel rapport y-a-t-il entre ces culmelli de Saccensi qui en sont pourvus, et les scutiferi lombards décrits dans un article de François Menant458 ? La différence commence avec le cheval : « l’écuyer, écrit F. Menant, monte un roncin, alors que le chevalier monte un destrier ou un palefroi » (p. 287). Ils tiennent, eux aussi, un fief conditionnel, mais ils demeureront toujours de simples ruraux, éventuellement soumis à des corvées agricoles ; et « les amendes pleuvent » s’ils n’ont pas acheté un cheval (p. 295). Si bien que leur réaction, rapidement, est de fuir leur charge, et de tenter « de faire passer le fief pour une terre à cens » (p. 296). On est situé un cran au-dessous de la catégorie sociale dont je viens de parler.
320Et en effet, à de très rares occasions, on trouve à Padoue des feu-da runçini : en 1227 trois personnes, Giovanni Pleto, Vivianello et Aicardino, tous du village de Camino, près de Padoue, sont condamnés par jugement à s’acquitter du service dû aux chanoines pour leur feudum a Runcino, ce qui signifie en premier lieu, pour deux d’entre eux, acheter un roncin, après avoir payé 25 livres d’amende ! C’est le massarius du chapitre qui fixera les occasions où ces « vassaux » devront s’exécuter. Il s’agit donc de simples dépendants, traités comme tels ; rien à voir, par conséquent, avec les petits notables de Sacco !459 Et en somme tout est dit avec une allusion que l’on peut cueillir dans la liste des feuda equi de 1214 : trois vassaux, dont le forgeron Oliverio, déjà rencontré, doivent, s’ils escortent l’évêque dans ses voyages vers Rome, être accompagnés chacun d’un scutifer460.
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321Le bilan de ce que l’on peut dire des « consorterie » est maigre, en fin de compte. C’est d’ailleurs le Veneto dans son ensemble qui semble, sinon avoir infiniment moins connu que d’autres régions cette forme d’organisation des familles, du moins en avoir infiniment moins poussé l’élaboration. Je le rappelle, le terme même de consortes n’apparaît que pour désigner des associations collectives, voire des groupes sociaux comme les arimanni de Sacco. N’est-il pas révélateur que l’étude classique de Franco Niccolai, si riche d’exemples pris dans les aires géographiques les plus diverses (tout particulièrement le Piémont et la Toscane, il est vrai) ignore à peu près complètement le Veneto, à une exception près, mais qui, précisément, ne constitue pas un exemple pertinent !461
322Nulle part, entre Vérone et Trévise, de ces statuts qui définissent des relations codifiées et une discipline entre parents462 ; aucun exemple, non plus, de ces énormes associations de cousins capables d’aligner des dizaines d’hommes armés en cas d’alerte. Encore à la fin du Moyen Âge, nous rappelle Niccolai – citant la chronique de Dino Compagni – les Cavalcanti de Florence étaient une centaine d’hommes à porter les armes463. A côté d’eux les da Romano seront bien seuls : quand périssent les deux frères, quels parents sont concernés ? Qu’il s’agisse d’eux ou de leurs adversaires da Camposampiero, le lignage réunit autour de lui une masnada plutôt qu’une parenté. Quant à savoir d’où provient cette particularité vénète, j’avoue l’ignorer.
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323J’avais annoncé, avant d’ouvrir la parenthèse sur les culmelli, l’étude des avatars d’un ultime palliatif. Les stratégies matrimoniales sont, pour les lignées aristocratiques, le moyen, ultime en effet, de préserver ou refaire leurs forces, ou de conforter des situations politiques. Elles tendent à la réalisation de ce but de multiples façons, à travers mille incidents aussi : les nobles padouans ne semblent pas faire exagérément de cas des préceptes de leur sainte mère l’Église en matière matrimoniale. Si les rois sont sans doute situés trop haut pour qu’on puisse leur permettre de répudier leurs épouses, le scrupule n’étouffe guère nos châtelains, et l’on n’entend point dire que le clergé les ait tant poursuivis de son ire.
324Les exemples sont nombreux et les raisons variées. C’est ainsi que, dans les années 1220, Ezzelino da Romano répudie assez vite sa première épouse, Zilia, sœur de Rizzardo da San Bonifacio. Les deux familles sont ennemies et, de surcroît, chacune est à la tête des deux factions antagonistes qui se disputent Vérone : l’union, réalisée à l’occasion d’une réconciliation et d’une tentative de gouvernement en commun de la dite ville, ne dure évidemment pas464. Rizzardo da San Bonifacio avait, de son côté, épousé Cunizza, sœur d’Ezzelino, puis divorcé465. En cette première moitié du xiiie siècle, si troublée, les occasions de remise en cause d’unions matrimoniales à caractère politique ne manquaient certes pas466, mais des motivations plus particulières peuvent jouer, et l’on sort fréquemment des schémas explicatifs généraux sur les stratégies nobiliaires. L’honneur offensé est motif à répudier : rappelons brièvement la triste histoire de Ceci-lia, unique héritière du très riche Manfredo d’Abano, de la famille comtale de Padoue, dans les années 1170. Le tuteur de l’orpheline, un ministérial vénal, la promet à Gerardo da Camposampiero, fils de Tiso, lequel est gendre d’Ezzelino Ier « Balbo » (« le bègue ») ; celui-ci double la somme promise au tuteur et obtient Cecilia pour son fils, divorcé d’avec Speronella Dalesmanini (sur laquelle il faudra revenir), Ezzelino II. Gerardo, le prétendant évincé, viole sa tante par alliance un jour qu’elle se trouve de passage sur ses terres. L’époux la répudie, et c’est ainsi que commence l’histoire de la haine inextinguible entre les da Romano et les da Camposampiero, dont Rolandino a fait le point de départ de sa chronique et le premier moteur des guerres qui ont ensanglanté le xiiie siècle en Vénétie. Quant à Cecilia, elle se remariera deux fois : avec le richissime vénitien Pietro Ziani, puis avec Dalesmanino467.
325L’historien se sent en terrain connu avec ce thème de l’héritièrevictime, objet qui subit passivement les aléas des politiques d’enrichissement des grands lignages. Cecilia conforte presque trop parfaitement une vision de la condition féminine au Moyen Âge qui tend à se fossiliser en idée reçue.
326Speronella Dalesmanini est d’une autre trempe. Elle aussi évoque, il est vrai, une image connue, inverse de la précédente, celle qu’incarne la ravageuse Aliénor d’Aquitaine. Très jeune épouse d’un da Carrara, elle cède aux charmes du comte Pagano, podestat impérial, pour divorcer quand la faillite de la politique de Barberousse l’oblige à quitter la Vénétie468. Elle aura six maris : le cinquième n’est autre qu’Ezzelino II avec qui, selon la tradition, elle se serait enfuie après trois ans passés avec le quatrième, un da Celsano. Plus tard elle aurait fui à nouveau pour épouser le jeune Odelrico da Fontana, de Monselice469.
327L’un des attraits de Speronella vient de ce qu’elle dispose de l’énorme fortune qui est liée à l’héritage des da Curano et au fief de gonfalon de l’évêché de Padoue, mais en somme en cela elle ne se différencie pas de la riche Cecilia. Les témoignages contemporains esquissent le portrait d’un personnage énergique et peu commode, qui se comporte sur ses terres en seigneur banal prépotent et abusif, oppresseur de communautés rurales, et juge impitoyable, on l’a vu470.
328Séductrice et/ou tempérament difficile ? Il m’importait surtout, en développant cet exemple après celui de Cecilia, de rappeler que le mariage n’est pas une donnée abstraite. La mécanique des stratégies politiques peut être troublée par les réactions individuelles. En dernière analyse, cependant, ces deux destins, opposés et voisins tout ensemble, de riches héritières confortent ce que tout le monde savait sur les enjeux des politiques matrimoniales dans les milieux aristocratiques de ces temps. Face à la multiplication des partages entre héritiers, à la dispersion vers laquelle tendent inévitablement les lignages, le mariage réussi apparaît comme un « anti-destin ».
329Sur une quarantaine de familles m’ayant fourni un minimum d’informations à ce sujet, presque toutes se sont liées les unes aux autres. Si l’on veut aboutir à caractériser une majorité statistique, il est en somme possible de dire que ces élites padouanes pratiquent en général une isogamie de voisinage. Les cas de mariage avec des femmes d’un rang plus élevé existent, on le verra, mais ils sont rares. De même sont très minoritaires les mariages lointains, mis à part chez les Este471. Chez les notables urbains le maximum d’exotisme est une épouse venue d’une commune voisine472.
330Si les châtelains, plus ouvertement que les petits aristocrates (ou peut-être a-t-on cette impression parce qu’on les connaît mieux ?), divorcent avec une déconcertante facilité, la règle de prohibition des unions entre cousins est davantage suivie. L’endogamie de lignage est donc un moyen de préservation des patrimoines familiaux que les Padouans pratiquent peu. On en trouve encore quelques traces au xiie siècle, tant en ville que chez les seigneurs.
331Toute une tradition fait des da Camposampiero un lignage issu de même souche que les da Romano, comme j’ai déjà eu l’occasion de le signaler à propos d’une commune fondation monastique473. Le mariage de Tiso da Camposampiero avec Cunizza, fille d’Ezzelino Ier, constitue donc, jusqu’à un certain point, un exemple d’endogamie de lignage – jusqu’à un certain point seulement dans la mesure où, en cette seconde moitié du xiie siècle, les uns et les autres ne sont plus guère que des voisins à souvenirs communs474. Les degrés de parenté étaient sans doute assez lointains : les intéressés situaient-ils clairement le moment de la séparation des deux branches ?475. En ce sens cette union relève elle aussi de l’isogamie de voisinage, et donc du cas général.
332De rares cas, aussi peu probants, chez les notables urbains. Selon da Nono les Ardenghi et les Ongarelli étaient issus des mêmes ancêtres, les peu connus da Santa Lucia476. Or une fille d’Antonio Ardengi († 1256), nommée Elica, épouse Minoto degli Ongarelli. Mais cette mention est isolée, et la référence à l’origine commune devait alors moins compter que l’appartenance à un même milieu citadin de juges et qu’une certaine communauté d’intérêts. La dispersion est une fatalité non entravée.
333Les nobles châtelains se marieront donc entre voisins de même rang. Reprenons l’exemple des da Camposampiero : Tiso épouse Gardionisia da Peraga, d’une famille de seigneurs du nord-est issue des da Fontaniva, Cunizza est la femme du comte de Padoue, Giacomo477. Les mariages des nombreuses filles d’Albertino da Baone, qui héritent de sa fortune en 1182, relèvent de ce schéma : Marie épouse un da Carrara, voisin encombrant des biens euganéens et méridionaux de la famille, Béatrice un da Romano, Palma un Maltraversi (de même souche, par conséquent), Elica Giacomo dei Dalesmanini. Seule India va chercher plus loin le Ferrarais Arvero di Torello. Dans l’ensemble : homogénéité sociale et géographique478.
334Aux temps troublés du xiiie siècle se dessine une double évolution. Le mariage se fait plus fréquemment (mais peut-être est-ce une impression due à un surcroît d’informations) en fonction d’alliances politiques, qu’on les recherche, qu’on veuille les créer (mais l’exemple du double mariage da Romano-da San Bonifacio, déjà cité, montre que ces tentatives étaient risquées), ou qu’on veuille les renforcer : Bontraverso dei Maltraversi, guelfe longtemps ménagé par Ezzelino et passé définitivement de son côté en 1241, lui donne en mariage sa fille Béatrice en 1249 (ce qui n’empêchera pas son gendre de le faire arrêter et tuer en 1252, « avec ses enfants et sa mesnie »)479.
335Autre fait nouveau qui, au demeurant, peut être lié au précédent et se produire en fonction d’affinités politiques : une famille châtelaine peut désormais s’allier à un lignage d’origine urbaine en ascension ou occupant une position éminente qui la situe parmi les magnats dans le cadre communal : incidemment Rolandino nous fait connaître un mariage Camposampiero-Gnanfo, auxquel ces derniers devront d’ailleurs, selon lui, d’être massacrés480.
336Avec le xiiie siècle, enfin, le temps des Georges Dandin est venu pour les fortunes châtelaines les plus endommagées : S. Bortolami a été le premier à repérer le mariage d’une fille da Celsano avec un certain Albertino, de la famille du boucher Belloncino, dès 1202481.
337Chez les notables urbains la même règle d’isogamie de voisinage et d’affinités d’intérêts prévaut, avec cette même tendance à une relative diversification, tant vers le haut que vers le bas au xiiie siècle. On se marie entre juges : en 1227 une Flabiani épouse un Borselli (affinités d’intérêts : l’une et l’autre famille pratique l’usure)482 ; les Manzi della Torre sont parents des Manfredi483 : ici, à l’identité du cursus, s’ajoutent des affinités politiques, les deux familles étant clientes des da Baone, entre autres484 ; de même les Lazerini sont liés à d’autres magistrats, les Rogati485.
338Certaines unions sont plus difficiles à caractériser : une fille de Vitaliano dei Lemizzi épouse le fils d’Azzolino da Curlo, miles quelque peu désargenté, semble-t-il, de Galzignano dans les Euganées, où il détient (ou prétend détenir) des pouvoirs seigneuriaux486.
339Diversification : dans le clan Tanselgardini, désormais lié aux milieux seigneuriaux, une domina Richeldina q. Gualperto épouse un Bellegrassi, ce qui peut s’expliquer, entre autres, par des affinités politiques : le juge Egidiolo dei Bellegrassi sera, comme eux, au nombre des adversaires décidés d’Ezzelino487. Les Gnanfo, s’ils se haussent jusqu’à la parenté avec les da Camposampiero, renflouent peut-être leur trésorerie en s’alliant aussi aux Toco, notoires usuriers488. Autour de 1200 les voies de l’hypergamie commencent à s’ouvrir aux enrichis du populus, qui arrivent à point pour munir d’argent frais la vieille aristocratie.
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340Les xiie et xiiie siècles ont en fin de compte vu l’effacement progressif des solidarités lignagères. Les groupements d’intérêts de parentèles, ce que l’historiographie qualifie du terme un peu général de « consorterie », soit n’ont jamais qu’un temps du fait de la multiplication inéluctable des lignées au sein du lignage, ou encore de la segmentation de celui-ci489, soit, là où un point de référence stable comme l’église privée existe, n’ont plus en cette dernière qu’un « lieu de mémoire ». Reste le mariage : la solution de l’endogamie étant écartée, nos aristocrates, petits et grands, tentent le plus souvent de renforcer leurs assises patrimoniales en se mariant dans le voisinage. Peu à peu, alors que se manifeste (on en parlera plus loin), une crise des revenus des plus vieilles familles, les unions se diversifient. Le xiiie siècle voit dès le début l’isogamie écornée par des mariages entre nobles et nouveaux riches ; mais surtout, dans une société urbaine où l’identité des trains de vie tend à effacer le souvenir des inégalités d’origine, le durcissement des luttes de faction accentue l’aspect politique des stratégies matrimoniales, et l’appartenance à la même pars peut rendre moins strict sur les critères de classe.
341En dernière analyse, le xiiie siècle sera le temps de l’éclatement et, à la suite de la multiplication des lignées, très souvent le temps de la crise dans l’aristocratie. Les multiples pratiques de regroupement ou de renforcement de la parentèle ayant échoué, la « solution » ultime se trouvera dans les catastrophes guerrières du temps de Frédéric II.
CONCLUSION DU CHAPITRE 2
342Le lecteur connaît à présent les acteurs essentiels du jeu sociopolitique, du xe siècle à 1200, les aristocrates. J’ai tenté de mettre en évidence leur organisation en réseaux d’une complexe hiérarchie, leur structure familiale, largement conditionnée par la volonté de préserver leurs pouvoirs, leur fortune et, pour chaque lignage, la place occupée dans ces réseaux. Il est apparu, au fil de l’analyse, qu’il eût été sommaire de les opposer, comme une mince pellicule de milites oppresseurs, à la masse dominée des « rustres ». S’il a été relativement aisé de désigner un petit groupe de familles châtelaines d’origine variée, les contours de leurs clientèles vassaliques ne sont pas fixement délimités, d’autant qu’on les voit demeurer solidaires d’un milieu rural très tôt profondément diversifié mais qui demeure guidé par une couche dynamique d’alleutiers.
343La question est à présent de comprendre comment s’organise concrètement la domination du territoire – et sa division – au profit des seigneurs. Le castrum, château-résidence parfois, habitat fortifié le plus souvent, et toujours structure d’encadrement des hommes, va donc être envisagé ici avant tout comme le symbole et l’instrument du pouvoir.
344De tout ce qui précède, et plus particulièrement de l’étude des arimanni, il ressort que, dans le Padouan, l’histoire de l’évolution de cet habitat, dans la mesure où elle est inséparable de celle de groupes sociaux aux caractéristiques originales, en sera directement conditionnée. On demande en somme au lecteur d’avoir constamment à l’esprit que, face aux seigneurs-édificateurs, les ruraux n’étant pas un monde homogène, les degrés d’assujettissement sont susceptibles de profondes nuances. Le rapport des uns et des autres avec le castrum est inséparable de la manière dont s’articulent les rapports de pouvoir.
Notes de bas de page
1 L. Lanfranchi et B. Strina éd., Ss. Ilario e Benedetto e S. Gregorio, no 11 : Nam vero per vestrum honorem et mee fidelitatis usque dum advocator sum de prefato vestro cenobio propter feudum concedistis michi in loco qui dicitur Nogaroila...
2 C D P, 1, no 135. Cf. infra, p. 163-164, sur l’hypothèse concernant les rapports de la famille avec Nonantola.
3 La lecture du Glossaire du C D P de Gloria pourrait induire en erreur : le terme feudum y est en effet signalé dans un document que présente Gloria en le datant du 2 juin de la même année 1064 ; mais il s’agit en fait de la mention d’un feudum antiquum, tenu depuis longtemps, dans un acte rédigé en 1153 ! On peut penser que le lexique utilisé est celui du xiie siècle. Au demeurant la différence de date est plus que négligeable.
4 C D P, 1, no 225, a. 1075 : donation au monastère de Santa Maria di Vangadizza, par le marquis Azzo, avec interdiction de céder les biens reçus en beneficium ; C. Manaresi éd., I Placiti..., t. 3/2, no 468, a. 1089 : plaid ducal, à Trévise, établissant que les fils d’un certain Ottone Stornello détenaient effectivement in beneficio certains biens de l’évêque de Padoue ; M G H, Heinrici IV Dipl..., t. 2, no 415 et 444, a. 1090 et 1095 : bannum impérial sur les biens de deux monastères padouans ; M G H, ibid., Conradi..., no 2, a. 1097 : le marquis Folco reçoit en beneficium l’exemption du paiement du bannum royal.
5 L. Lanfranchi et B. Strina éd., Ss. Ilario..., no 17.
6 Dedit in beneficio ; feudum... quod beneficium appellatur ; in feodo dare. En fin de compte le mot beneficium avait servi à trop d’occasions, et pour des usages trop variés. Un exemple suggestif dans un article de A. Castagnetti : encore au xie siècle on voit l’évêque de Bologne concéder au comte du même lieu des terres en beneficium sans que celui-ci ait à jurer fidélité, l’évêque lui-même devant verser 6 livres d’or s’il voulait reprendre le bien. Castagnetti rappelle que ce caractère extrêmement général, sinon flou, du mot, avait déjà frappé P. Brancoli-Busdraghi dans la documentation du ixe siècle (A. Castagnetti, Aspetti feudali e conservativi della società ferrarese dal dominio dei Canossa alla signoria degli Estensi (secoli xi-xiii), dans Spazio, società, potere nell’Italia dei comuni, éd. G. Rossetti, Liguori, 1986, p. 62). Sur le même thème on pourra consulter aussi A. L. Trombetti-Budriesi, Prime ricerche sul vocabolario feudale italiano, dans « Atti dell’Accademia delle scienze dell’istituto di Bologna. Classe di scienze morali », 62 (1973-74), p. 83-102.
7 C D P, 2/1, nos 144 (a. 1123), 213 (a. 1130 : in beneficio et nomine recti feudi), 217 (a. 1131), 230 (a. 1132), etc. Encore en 1148, Rolando da Curano investit Dalesmanino in beneficio feudi (no 506).
8 C D P, 2/1, no 182 (a. 1128). Multiples occurrences à partir surtout des années 1150 : Episcopus vero dicebat quod non debebat eum investire, nisi de suo recto feudo (no 555, a. 1152 env.) ; Iohannes Dei Gracia Paduanus episcopus... ad rectum feudum... investivit Iohannem Pizolum (no 635, a. 1155) ; 2/2, no 723 (a. 1159), 806 (a. 1163), 966 (a. 1169), etc.
9 C D P, 1, no 240.
10 C D P, 2/1, no 555 : Vasallus episcopi sine prole masculina decessit ;...Quero itaque utrum vasallus (etc.) ; Idem malus vasallus postea cepit in commitatu et disstrictu (sic) episcopi castrum edificare ; etc.
11 C D P, 2/2, no 1480 : par exemple vasallaticum Dalismanini.
12 C’est, par exemple, cette dernière expression qu’ils emploient en 1152, lorsqu’est prise la décision qui tente de régler le litige auquel j’ai fait allusion (C D P, 2/1, no 556).
13 E. Dupré-Theseider, Vescovi e città nell’Italia precomunale, dans Vescovi e diocesi in Italia nel Medioevo, Padoue, 1964, p. 91.
14 Dans la discussion qui avait suivi la communication que j’avais faite à Rome en 1978, lors du congrès sur « Structures féodales et féodalisme dans l’Occident méditerranéen (xie-xiie s.) » (p. 427-428), Thomas Bisson s’était déjà interrogé sur la réalité de l’existence de la curia comme « assemblée vassalique ou féodale » – cela en fonction de son expérience de la Catalogne et du midi français.
15 Document cité en note 10 : Rolandus de Curano querebat investituram ab episcopo. ut investituret eum simul cum filia sua ; après un exposé des deux points de vue l’assemblée répond, donnant raison à l’évêque : Nec per illas rationes quas audivit curia debebat investire filiam.
16 C D P, 1, no 298 : Et ego per iudicium meis militibus teneo.
17 Bien sûr, çà et là, on trouvera des mentions de vassaux. Beaucoup plus tard, en 1176, on verra l’évêque vendre des biens cum consilio et auctoritate et laudamento vassallorum (C D P, 2/2, no 1217). Cela dit le terme miles lui-même est extrêmement rare ! En dehors de la mention du groupe en général que l’on vient de voir il n’en est, à ma connaissance, que deux occurrences avant 1183, et on les trouve dans le même document : en 1115, parmi les témoins d’un acte du marquis d’Este (dans un milieu malheureusement trop peu souvent représenté pour qu’on puisse comparer le vocabulaire qu’il pratique avec celui de l’entourage épiscopal), on trouve un Rainerius miles suprascripti marchionis, suivi d’un Isnardus paré du plus spécieux qualificatif de praeclarus miles (C D P, 2/1, no 71).
18 Comme l’avait remarqué S. Bortolami (Id., Territorio e società..., p. 131, note 157), malgré une « vaste littérature historique » les concernant, sur leur destin durant la période qui m’occupe, l’ouvrage de référence sur les Este demeure celui de Muratori, Delle Antichità Estensi... Sur la noblesse plus spécifiquement liée au Padouan, quelques premières indications – encore utiles – se grapillent dans A. Bonardi, Le origini del comune... Le meilleur, et le plus utile encore aujourd’hui, de ces ouvrages de référence est celui d’E. Zorzi, Il territorio padovano... (cf., sur les comtes, à présent dépassé par l’ouvrage d’A. Castagnetti cité en note suivante, p. 43-65 ; p. 88-92 sur les avoués épiscopaux ; et surtout p. 98-193, sur les da Baone, da Carrara, etc., et sur les Este).
19 A. Castagnetti, I conti...
20 On les trouvera cités en leur lieu dans la suite de cet ouvrage.
21 M G H, Heinrici IV Dipl., t. 2, no 289.
22 Cf. la carte jointe. De même, dans le sud du Vicentin, Albaredo et Cologna Veneta – les principaux centres tenus par les Este – se trouvaient à l’intérieur des limites du territoire de l’Ateste antique.
23 Sur la non-domination des marquis à Monselice, cf. supra, p. 96-97. Il est décidément impossible de suivre A. Castagnetti lorsqu’il écrit (dans La Marca..., p. 21) : « Il marchese Adalberto-Azzo ed il fratello Ugo furono investiti fin dal 1013 almeno, della giurisdizione della iudiciaria di Monselice ».
24 Le seul émanant directement du pouvoir monarchique avant Frédéric II, si j’excepte un pardon que Folco d’Este s’est un moment vu contraint de solliciter de Conrad, le fils révolté d’Henri IV, en 1097 (document cité en note 4).
25 Cf., en 1077 : Si iustis nostrorum fidelium peticionibus pietatis nostre aures inclinaverimus, etc.
26 M G H, Friderici I Dipl., t. 4, no 824 : Marchiones... dicebant (palludes) fore regales et per imperium ad se pertinere. A signaler : sous Barberousse, du point de vue du droit féodal le plus strict, les marquis d’Este sont des arrière-vassaux. A deux reprises, en effet, dès 1154 puis en 1159, ils ont reçu l’investiture féodale de leurs cousins de la branche aînée de la famille, les descendants de Guelfo, ce fils aîné d’Alberto-Azzo II qui était devenu duc de Bavière à la fin du xie siècle : en 1154 c’est le duc Henri de Saxe, alors à Vérone avec Frédéric, qui leur concède ad feudum les territoires de Este et Suresino, Arquada et Merendola, et toute terre relevant d’eux (C D P, 2/1, no 628) ; en 1159 le duc Welf, qui se trouve avec l’empereur au siège de Crema, les réinvestit des mêmes lieux dans les mêmes termes (C D P, 2/2, no 710).
27 H. Br, Hist Dipl..., t. 1/2, p. 833-835.
28 C D P, 2/2, no 685, a. 1157 : ex mandato namque voluntate tocius populi Pernumie.
29 Ibid., no 962, a. 1169.
30 C D P, 2/1, no 378, a. 1140 : le marquis Bonifacio se dit habitator in Monte-silice.
31 Ibid., no 70, a. 1115 : la cause concerne d’ailleurs une chapelle située à Monselice même, et que se disputent, non point des établissements locaux, mais Santa Giustina de Padoue et S. Cipriano de Venise.
32 B. Lanfranchi-Strina, Ss. Trinità..., t. 2, no 376.
33 A C P, Villarum, 11 : Vigodarzere, 3 ; publié par Muratori, Antiquitates italicae Medii Evi, t. 4, Milan, 1740, col. 477-480. Cf. : Ego Marchio Opizo, commissis nobis per Imperatorem Appellationibus totius Padue atque eius districtus.
34 S. Bortolami, Pieve..., doc. 7, p. 89-90. Pour l’identification du vicomte Guglielmo, je me fie à l’hypothèse de l’éditeur (p. 63, note 200).
35 Révélatrice est l’attitude de communes du contado comme celles de Saccisica ; encore autonomes vis-à-vis de la cité, elles peuvent se permettre de jouer une autorité contre l’autre : en 1205 les gens de Corte, en litige avec Palma da Baone, déboutés en appel par la justice du podestat de Padoue, s’adressent à Azzo d’Este. On n’a malheureusement conservé que la citation à comparaître à la cour de justice du marquis (A C P, Diversa, no 29 et 31). Au demeurant il semble bien que la commune dominante ait fini par avoir le dernier mot : quelques années plus tard, en 1211, on voit le podestat de Padoue fixer des tarifs de composition pour toutes les infractions susceptibles d’être commises in omnibus nemoribus et postillis et clausuris et pratis clausuratis domine Palme, ubicumque habeat in districto Padue. L’intervention du marquis, manifestement, n’avait rien résolu (ibid., no 50).
36 Sur le schéma événementiel la bibliographie ne manque pas mais elle est rapide en général, à moins de s’adresser directement à Muratori. On trouvera un résumé des faits essentiels dans Gloria (Monumenti della Università di Padova, 1222-1318), Padoue, 1884, réimpr. anast., Bologne, 1972, p. 12-21) ; plus récent, un survol dans A. Castagnetti, La Marca..., p. 58-59.
37 A l’inverse on ne voit pas la même opposition à sa juridiction d’appel dans les autres villes de la Marche : en 1187 il l’exerce à Vérone, en 1192 à Trévise, et en 1222 à Vicence. En 1207, au demeurant, le roi Philippe de Souabe a renouvelé la reconnaissance officielle de cette juridiction dans toute la Marche. Sur les diplômes octroyés aux Este et les quelques occurrences de sentences rendues par eux en tant que juges d’appel, on consultera J. Ficker, Forschungen zur Reichsund Rechtgeschichte Italiens, 4 vol., Innsbruck, 1868-74, t. 2, p. 63-64.
La différence entre le cas padouan et les autres s’explique peut-être par le fait que le marquis est alors directement intégré à la vie politique, et donc aux luttes internes de la cité, et que cette implication même s’oppose au rôle d’arbitre que doit jouer un juge en appel. Non point, à dire vrai, qu’il n’intervienne pas ailleurs, mais il le fait par l’intermédiaire de familles alliées, comme les San Bonifacio à Vérone.
38 C D P, 2/1, no 71 : l’acte est rédigé à Este, in presentia Paduensis episcopi. On conçoit que le marquis ait éprouvé le besoin de cette garantie, dans la mesure où une donation pieuse à un établissement religieux extérieur au diocèse entraînait de fait une soustraction au contrôle du prélat.
39 C D P, 2/2, no 1135.
40 Cf. supra, p. 114.
41 A C P, Episcopi, 1, no 62, a. 1190. Par contre en 1209, lors d’une réunion du même type, occasionnée par la venue d’Otton IV, ils n’y seront pas (ibid., no 102).
42 A. Castagnetti, L’organizzazione del territorio rurale nel Medioevo. Circoscrizioni ecclesiastiche e civili nella « Langobardia » e nella « Romania », 2e éd., Bologne, 1982, p. 189-197. Comme les marquis, les da Calaone partagent leurs intérêts entre le Veneto et le Ferrarais.
43 On n’a pas de témoignage explicite de sa vassalité, mais en 1080 on le trouve du moins avec l’évêque à Piove di Sacco (C D P, 1, no 262). Sur l’alleu de Cono à Conselve, cf. E. Zorzi, Il territorio..., doc. 1, p. 257 (vers 1184).
44 Cf. supra, p. 125.
45 Cf. infra, les développements sur ces deux familles, dans le cadre du présent chapitre.
46 A C P, Episcopi, t. 2, no 151.
47 A. Castagnetti, I conti... ; sur la fortune des deux branches, la vicentine et la padouane, cf. surtout p. 76-88 ; à compléter par S. Bortolami, Fra « alte Do-mus »..., p. 8-9 et 18-19.
48 A. Castagnetti, La Marca..., p. 7 : « furono in grado di contrastare all’inizio del secolo xii l’azione dell’episcopio ».
49 A Valnogaredo, Rovolon, Carbonara, Montemerlo, Torreglia, Luvigliano, Montegrotto, Teolo et Villa di Teolo.
50 Dans la plaine, au nord des Euganées, l’implantation à Lissaro, Montegalda et Selvazzano complète le dispositif.
51 C D P, 1, no 205 ; A S V, San Cipriano, B. 110, R. 821.
52 C D P, 2/1, no 192 :... fecerunt virtutem hominibus de Saco de via eundi vel redeundi ad Cluzam. Le castrum de Castel di Brenta, attesté dès 1110, était sans doute fort bien placé pour exercer une abusive fonction péagère.
53 Sur Carturo et ce rameau des Maltraversi, cf. S. Bortolami, Fra « alte Do-mus »..., p. 18-19, note 54.
54 Sur les biens des comtes de Padoue dans cette région, cf. : 1o) E. Cristiani, La consorteria da Crespignaga e l’origine degli Alvarotti di Padova (secoli xii-xiv), dans « Annali dell’Istituto italiano per gli studi storici », 1, 1967-68, doc. 3, p. 197 ; 2o) les remarques de S. Bortolami dans Fra « alte Domus »..., p. 8-9, note 21. On retiendra, avec lui, que la richesse des comtes de Padoue dans les années 1180 a certainement été longtemps sous-évaluée.
55 C D P, 1, no 262.
56 C D P, 2/1, no 287. Une donnée à ne pas négliger : les Maltraversi et d’autres grandes familles ont pu avoir été, avant les temps grégoriens, favorisés par des prélats de leur parenté : Bernardo, évêque entre 1048 et 1064, était un Maltraversi, au dire de toute une tradition, peu vérifiable (cf. les remarques de S. Bortolami dans son ouvrage, Territorio e società..., p. 92-93).
57 C D P, 2/2, no 932, a. 1168.
58 C D P, 2/1, no 116.
59 Ibid., no 340, a. 1138 : de terra Saccensi quae iacet a Savonaria in iosum.
60 En 1146 Alberto di Maltraverso est témoin, aux côtés des marquis, d’un accord entre les monastères de Pomposa et de San Cipriano, conclu à Costa, sur l’Adige, c’est-à-dire dans les terres des Este, dans l’actuelle province de Rovigo (C D P, 2/1, no 474) ; en 1178 le comte Uguccio est témoin d’un arbitrage entre les trois marquis, Alberto, Obizzo et Bonifacio d’Este (C D P, 2/2, no 1300).
61 A. Castagnetti, I conti..., p. 86. Le premier témoignage sur les comtes à Arquà date d’une déposition de témoin, lors d’un procès, en 1196, mais qui relate des faits antérieurs (E. Zorzi, Il territorio..., doc. 3, p. 266-267).
62 Cf. supra, p. 130 et note 53.
63 A. Castagnetti s’est montré exagérément critique envers toute démarche qui, comme celle de S. Bortolami (dans Territorio e società..., tout d’abord puis, de façon plus approfondie, du fait même de ces critiques, dans Fra « alte Do-mus »...), enquêtait sur l’unité originelle d’un « ceppo comitale » (cf. Id., I conti..., p. 80). Le problème qui est posé, au delà des difficultés d’identification des ancêtres communs, est celui de la conscience, conservée ou non, de cette communauté d’origine, et par là d’une communauté d’intérêts. J’y reviendrai plus loin, à propos du thème des « consorterie ».
64 Sur Manfredo et ses biens à Abano, cf. S. Bortolami, Per Abano medioevale, dans Per una storia di Abano terme, t. 1, p. 135-140.
65 Cités par E. Zorzi (Il territorio..., p. 104-105) : 1o) da Nono : Comites Bahonis ut ex quibusdam scripturis comprehendere possum, fuerunt de domo comitum Paduane urbis ; 2o) Pseudo-Favafoschi : De Baone comites domini magni et potentes, ad praesens nullus, auraient tenu le castrum Baonis des Maltraversi. C’est la descendance des Maltraversi que la tradition locale a fini par retenir : E. Zorzi cite Benedetto Bertoldi, qui écrit dans sa Cronica delle famiglie di Padova antiche e moderne, « Li conti di Baone discesero dei Maltraversi ».
66 Cf. S. Bortolami, Fra « alte Domus »..., p. 18-19, note 54. C’est cette indivision longtemps préservée qui amène E. Zorzi à parler de « consorzio comitale » (p. 108).
67 C D P, 2/1, no 35, a. 1108. Un peu plus tard des biens à Castel di Brenta, près de là, sont engagés par sa veuve au monastère de San Cipriano, dans un contrat de vente simulée (no 130, a. 1122).
68 C D P, 2/1, no 10, a. 1105.
69 A C P, Feuda episcopi, no 53 (a. 1213) ; ibid., Villarum, 5 : Gorgo, 2, a. 1211 (édition partielle par E. Zorzi, Il territorio..., doc. 6). Sur la présence de Palma da Baone à Boion, cf. par exemple A S V, C D Lanfranchi : 18 juillet 1188, 29 janvier 1192, 10 juillet 1195, etc. Si l’on ne sait rien sur l’origine de sa présence en ce lieu, toujours est-il qu’elle se renforce par une politique d’achats ; cf. A C P, Villarum, 2 : Boion, 1, a. 1199 ; à Corte, cf. ibid., 3 : Corte, 6, a. 1205.
70 Muratori, Antichità..., t. 1, p. 374. On remarquera que dès sa première apparition, en 1077, Ugo se dit « da Baone », et qu’ensuite lui et ses descendants seront toujours désignés ainsi (C D P, 1, no 240).
71 C D P, 2/2, no 1135. En 1174 l’évêque Gerardo confirme la donation d’une terre faite au monastère Santa Maria delle Carceri par les da Baone, à la demande du prieur : Pistor eiusdem loci venerabilis prior... domino episcopo cepit humiliter supplicare ut quarumdam possessionum proprietatem ecclesie sue tradere dignaretur, quas utique possessiones, licet essent iuris Paduani episcopatus, marchiones tamen ab episcopo. Albertinus autem de Baone a marchionibus habebat.
72 C D P, 1, no 314, a. 1095 : Ugo da Baone témoin du serment de fidélité d’Ugo d’Este à son frère ainé Folco ; C D P, 2/2, no 805, a. 1163 : Albertino da Baone témoin d’une donation des marquis à Santa Maria delle Carceri ; no 1335, a. 1179 : le même participe, avec Obizzo d’Este, à la fondation par celui-ci du monastère de Salarola, en donnant une terre qu’il tenait en fief du marquis ; encore en 1203, puis 1213, Alberto fait une donation pieuse à Salarola (A S P, Dipl., no 633 et 629). En 1183 Alberto da Baone cède en gage au marquis le castrum de Baone et tous ses biens de Conselve, pour 820 livres et 5 sous (C D P, 2/2, no 1470). On est alors dans la période d’affrontements violents entre lui et les da Carrara, héritiers d’une part des biens d’Albertino. Si, comme l’écrit E. Zorzi, les terres respectives des deux ennemis furent mises à feu et à sang entre 1182 et 1185, ce document témoigne, d’une part des embarras économiques nés pour Alberto de cette situation, mais aussi, à sa manière, de l’engagement du marquis en sa faveur (alors que les da Carrara étaient aussi ses vassaux, mais plus tardifs sans nul doute).
Déjà, lors d’une première guerre féodale entre les deux familles, vers 1160, les Este avaient rassemblé des hommes de toute la Scodosia pour aider les da Baone (cf. E. Zorzi, Il territorio..., p. 123-124 ; sur les origines de ce premier conflit, cf. ci-dessous la note 74).
73 A S P, Dipl., no 889.
74 Une hypothèse : on a vu plus haut que, en 1077, le marquis Alberto-Azzo tenait Pernumia (ou du moins l’empereur lui y avait reconnu des droits). Comme le remarque S. Bortolami, on ne sait pas comment, ni dans quel contexte, les da Baone se sont retrouvés en possession du comitatus de Pernumia durant une vingtaine d’années, entre 1140 et 1160 (Territorio e società..., p. 113-114). On ne voit pas clairement non plus comment s’est effectué le transfert du pouvoir et des biens aux da Carrara vers 1160. Il a sans doute été précédé de l’échange d’un groupe de manses, les da Baone en ayant cédé à Pernumia et les da Carrara à Conselve et Arre (ibidem). Il me semble plausible d’admettre que des biens à Pernumia aient pu, au départ, être tenus par la famille en fief des marquis ; si l’on tient compte, d’autre part, du fait qu’une courte guerre féodale a eu lieu vers 1160 entre Albertino da Baone et Marsilio da Carrara, et que le marquis d’Este avait alors pris parti pour les da Baone (cf. supra, note 72), n’est-ce pas que les da Carrara, nouveaux venus empêcheurs de danser en rond entre vieilles familles des temps pré-féodaux, s’étaient rendus maîtres plus ou moins brutalement, une fois dans la place, de pouvoirs de commandement que les da Baone n’avaient point forcément entendu leur abandonner ?
75 Je ne mets pas ici les Schinella « da Rovolon », branche de la famille comtale de Padoue suffisamment tardive (encore davantage que les da Carturo) pour que ses origines soient absolument sans mystère.
76 C D P, 1, no101 : Ego Ubertus comes et Mainfredus germani filii quondam Ugonis comitis de comitatu Vicentino atque Patavino.
77 C D P, 1, no215 : Actum in castro Selvazano.
78 Rolandino, Cronica in factis et circa facta Marchie Trivixane, A. Bonardi éd., dans RI S2, 8/1, Città di Castello, 1916, p. 68.
79 Sur cette liste, cf. infra, p. 244-245.
80 De Lucio et Castronovo : in dictis montibus duo fortilicia... (V. Lazzarini, Un antico elenco di fonti storiche padovane, dans Id., Scritti di paleografia e diplomatica, 2e éd., Padoue, 1969, p. 297-298).
81 R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 88 : De Maltraversis de Lucio olim de comitibus Montisbelli ; p.90 : De Maltraversis de Castro Novo etiam comitibus Montisbelli (tel est l’intitulé des deux chapitres consacrés à l’une et à l’autre famille) ; p. 204 : Proceres Silvaçani fuerunt nobiles et potentes homines, qui descendentes a Maltraversis, iurisdicionem sanguinis exercendam habuerunt. Cette dynastie s’est vite éteinte : Hii nobiles viri semper inter se gueram habuerunt, qui propter illam iam in totum destructi sunt (p. 205).
82 Da Nono cite même les da Carturo en premier, avant les da Castelnuovo et les da Lozzo (p. 80 ; cf. aussi p. 162 : A Maltraversis originem habuerunt).
83 Somme toute la réduction de sept familles châtelaines (comtes de Padoue, Maltraversi, da Baone, da Carturo, da Lozzo, da Castelnuovo et da Selvazzano) à une souche unique, non seulement ne saurait, si elle était vérifiée, être considérée comme un fait original, mais rentrerait au contraire dans une norme : pensons aux familles comtales catalanes presque toutes issues « du même ancêtre, Bellon, comte de Carcassonne sous Charlemagne » (P. Bonnassie, La Catalogne du milieu du xe à la fin du xiie siècle. Croissance et mutations d’une société, t. 1, Toulouse, 1975, p. 164). Mieux encore – car là les choses se situent à une échelle plus semblable à la nôtre –, pensons à ces dizaines de lignages du Mâconnais de la fin du xie siècle que Georges Duby fait descendre de six familles-souches (G. Duby, Lignage, noblesse et chevalerie..., p. 405-406).
84 A S P, Corona. Santa Giustina, no 1578.
85 Cf. les tables généalogiques des deux familles comtales dans A. Castagnetti, I conti..., p. 188-189 ; celle de da Baone dans E. Zorzi, Il territorio..., p. 112. En 1215 un Alberto de Lucio voisin d’une terre à Padoue (A C P, Feuda episc., no 65). Quant à Albertino da Castelnuovo, cf. C D P, 2/2, index, pour les premières apparitions du prénom, puis par exemple, Dondi, Dissert. 6, no166, a. 1204, ou A S P, Corona, no 4120, a. 1232.
86 Da Castelnuovo : A C P, Episcopi, no 69/4, a. 1195 ; A S P, Dipl., no 577, a. 1200. Da Lozzo : P. Sambin éd., Documenti inediti dei monasteri benedettini padovani (1183-1237), 1 : San Michele di Candiana, no 10, a. 1197 ; A S P, Corona, no 3147 (mention de sa veuve), a. 1215, etc.
87 Da Castelnuovo : A S P, Praglia, no 890, a. 1213 ; Corona, cité en note 85 ; etc. Da Lozzo : Corona, no 3169, a. 1221 ; Santo Stefano, b. 19, no 30, a. 1233 ; etc.
88 Cf. A. Castagnetti, I conti..., p. 59-71, sur sa fondation par Uberto Maltraverso vers 1107. Sur les interventions, donations, etc., des Maltraversi à Praglia, cf. ibid., p. 72-75.
89 Cf. S. Bortolami, Formazione, consistenza e conduzione del patrimonio fondiario. Dalle origini al 1448, dans L’abbazia di Santa Maria di Praglia, Milan, 1985, p. 29-30. Seuls les da Lozzo font exception, et de fait on ne les voit pas cités dans la riche documentation qu’utilise l’auteur. Leur présence foncière dans le secteur homogène où la famille a peu à peu édifié la fortune de sa fondation se manifeste à sa manière : à Tencarola, en 1235, Nicolò da Lozzo dispute à l’abbé la possession de dîmes (A S P, Corona, no 3721).
90 C D P, 2/2, no 909, a. 1167 ; autres mentions de voisinage, toutes dans des villages des Euganées : en 1171 Albertino da Castelnuovo est voisin, sur deux côtés, du comte de Padoue, à Carbonara (C D P, 2/2, no 1039) ; il l’est, à nouveau, d’Albertino da Baone, à Torreglia en 1172 (no 1078), et à Tramonte en 1174 (no 1166). En 1213 Nicolo’ da Castelnuovo est voisin de Traversino da Carturo (donc d’un Maltraversi) à Galzignano (A S P, Dipl., no 920) ; etc.
91 Dominus Giovanni da Selvazzano, juge en 1211 : A C P, Episcopi, 1, no 109 ; A S P, Dipl., no 841 et 842. Dominus Giacomo, juge et extimator en 1208 : A S P, Dipl., no 752 ; B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 402. Pasqualino, extimator en 1225 : A S P, Dipl., no 1260.
92 C D P, 2/2, no 1480 : il devient vassal de Sofia da Baone.
93 Cf. C. Violante, Pievi e parrocchie nell’Italia centro-settentrionale dalla fine del x all’inizio del xiii secolo, dans Le istituzioni ecclesiastiche della « Societas christiana » dei secoli xi-xii : diocesi, pievi e parrocchie, Milan, 1977 (« Miscellanea del Centro di studi medioevali dell’Università Cattolica del Sacro Cuore », 8), p. 713.
94 H. Keller, Adelsherrschaft..., p. 57.
95 A. Castagnetti, Le città della Marca..., p. 39-41. Il avait déjà commenté le dit document, après l’avoir découvert, dans I conti..., p. 37-39.
96 C D P, 2/1, no 388. Gloria émet l’hypothèse que Camposampiero est tenu en fief du patriarche dans son ouvrage Territorio padovano, t. 2, p. 206.
97 En l’absence d’un ouvrage sur l’histoire de cette famille (mise à part une compilation par un descendant, G. Camposampiero, « Domus de Campo Sancti Petri ». Storia geneologica dei Camposampiero, « Boll. M. C. Pad », 58, 1969, 372 p.) on dispose des articles d’Elisabetta Barile sur ses membres les plus marquants dans le DBI, t.17 : Camposampiero (da), Gherardo, Giovanni, Guglielmo, Tiso (pour les temps qui m’occupent), p. 604-609, 614-619. Sur l’apparition des da Camposampiero dans la vie politique et militaire padouane, cf. infra, chap. 5, et l’appendice sur les consuls, p. 359.
98 C D P, 2/1, no 71 : Redulfus capitaneus de Lendenaria ; 2/2, no 1310, a. 1178 : Zanello vilicus domini Enrici Catanii (da Vigonza).
99 En 1129 les gens de Sacco désignent, à côté des Maltraversi, les capitanei sans autre précision, parmi ceux qui font obstacle à leurs relations avec Chioggia (C D P, 2/1, no 192). Le sens du terme, ici, est clair : il s’agit des seigneurs les plus puissants, les châtelains ; acception sociale tardive, certes, mais qui est celle que privilégie de toute façon la documentation, comme le signale H. Keller dans son ouvrage (cité en note 94 ; cf. aussi les remarques de F. Menant dans son compte-rendu, La société d’ordre en Lombardie, dans « C C M », 26, 1983, p. 232). Rappelons que le droit féodal s’était longtemps contenté, quant à lui, de distinguer, non point des capitanei et des valvassores, mais des valvassores maiores (le futur ordo capitaneorum de H. Keller) et leurs milites (le futur ordo valvassorum) (H. Keller, ibid., p. 360).
100 Parmi un groupe de témoins, à Venise, un Catanio (abréviation courante de capitaneo) figure entre un Martino et un Giovanni (C D P, 2/2, no 763, a. 1161) ; un manse est rectum per Catanium (no 787, a. 1162).
101 Cf. ce qu’écrit S. Bortolami sur les da Tergola, dans son article Pieve e « territorium »..., p. 63.
102 En 1155 le pape Hadrien IV lui confirme la canonica de Viguncia cum capellis et omnibus ad ipsam pertinentibus : C D P, 2/1, no 638.
103 A S P, Dipl., no 842 et 1253.
104 C. Violante, Pievi e parrocchie..., p. 719.
105 R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 151-155 ; cf. notamment le passage suivant : ab Ivone rege Bordele stipendium habuerunt (p. 152). Sur l’influence de la tradition littéraire dans les mythes d’origine de certaines familles chez da Nono, cf. l’article déjà cité de P. Rajna, Le origini delle famiglie padovane.
106 J’avais tout d’abord, assez légèrement peut-être, considéré les da Tergola comme une branche des da Limena. A voir les choses de plus près cette famille fort peu documentée garde son mystère. Mes minimes arguments sont – étaient ? les suivants : dans la vaste entreprise de défrichement et de mise en valeur des bois épiscopaux de Busiago ils exploitent le même territoire, les da Limena détenant les terres d’Arsego et de Non, qu’ils inféodent tandis que les da Tergola en percoivent les dîmes (S. Bortolami, Pieve e « territorium »..., doc. 1, p. 73 et doc. 3, 81) ; de surcroît il semble que l’on soit parti d’une indivision initiale, puisqu’on voit un témoin déclarer :...quod Lovesinus et Guilielmus de Limina et consortavoli dederant tunc ad roncandum prefatis qui roncaverunt, tamen dominus Albertinus (da Tergola) contendebat. La tardive apparition de celui-ci, premier membre connu de la famille (en 1166 : C D P, 2/2, no 893) est également surprenante si la dite famille est ancienne, étant donné son rapport étroit avec le milieu qui, lui, au contraire, est bien connu, et elle s’expliquerait mieux si, comme dans le cas des da Carturo vis-à-vis des Maltraversi, il s’agissait de la poussée d’un rameau devenu autonome.
107 C D P, 1, no 229, a. 1076 ; 2/1, no 409, a. 1142. Cono da Vigonza : no 395 et 399, a. 1141 ; 2/2, no 716, a. 1159 : mention d’un Guicemanno q. Cono da Vigonza.
108 Je ne puis ici que me ranger au côté de S. Bortolami pour identifier le vicomte Guglielmo avec un da Limena (S. Bortolami, Fra « alte Domus »..., p. 12, note 30 ; Id., Pieve e « territorium »..., doc. 6) ; toute la documentation y pousse.
109 L’est de la plaine padane n’est pas la Lombardie. On retrouve à Ferrare un exemple assez comparable de famille de capitanei devenue beaucoup plus citadine que « féodale », et dont A. Castagnetti a rappelé le destin : il s’agit des Marchesella, issus des Adelardi, dont les ancêtres avaient été comtes à l’époque ottonienne. Là ce n’est point l’évêque qui a empêché la formation d’une seigneurie, mais des maîtres bien plus puissants, les Canossa (A. Castagnetti, Società e politica a Ferrara dall’età post-carolingia alla signoria estense (sec. x-xiii), Bologne, 1985, p. 102-125 ; cité par R. Bordone, La società cittadina del regno d’Italia. Formazione e sviluppo delle caratteristiche urbane nei secoli xi e xii, Turin, 1987, p. 72-74).
110 H. Keller, Adelsherrschaft..., p. 53-55.
111 Cf. supra, p. 114, et note 105. La fonction d’avoué a tellement caractérisé la famille que l’une de ses multiples branches porte le patronyme d’« Avogari » : Ex hac domo descenderunt vocatores seu Avogari (R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 101-102).
112 Cf. par exemple E. Zorzi, Il territorio..., p. 86-87 : les Giustini, famille de Saccisica, d’origine arimannique, sunt vavassores dans la mesure où l’évêque leur a en effet cédé en fief ses propres droits de seigneur banal sur eux (fodrum, arimannia, et juridiction sur leurs dépendants).
113 F. Bougard, La justice..., p. 265, 283-284.
114 Ibid., p. 153 : « ils font partie du groupe restreint des nobiles ».
115 C D P, 1, no 102.
116 Cf. supra, référence en note 111.
117 C D P, 1, no 240 ; même chose en 1080 (ibid., no 261).
118 C D P, 2/1, no 317.
119 Ibid., no 237.
120 La chose est même tellement exceptionnelle que, à dire vrai, on en vient à se demander si le mot n’est pas extrapolé. Au xie siècle Dominus ne qualifie guère que des ecclésiastiques. Dans le contexte padouan il faut attendre 1115 pour voir le marquis d’Este s’en parer, très en avance sur les autres nobles (C D P, 2/1, no 70). Faut-il croire qu’ici la fonction a suggéré, du rapport avec l’Église qu’elle implique, l’usage du titre par le notaire ? Sur la généralisation à l’ensemble du monde aristocratique, cf. infra, 3e partie, chap. 2, p. 668-674.
121 C D P, 2/1, no 74, a. 1116.
122 Gualguano da Fiesso (Walwanus de loco Fiesso) : C D P, 2/1, no 304, a. 1136.
123 Cf. infra, l’Appendice en fin de volume : Prosopographie des élites sociales padouanes, p. 885.
124 C D P, 2, no 45. En 1025 (L. Lanfranchi et B. Strina éd., Ss. Ilario..., no 8) le monastère avait reçu 24 massariciae iuxta Pedraga cum curti donicata et capella sancte Marie de Pedraga.
125 Sur le procès entre les héritiers de Sicherio et l’évêque, et sur la décision de compromis de la curia vassalique, cf. C D P, 2/1, no 555-556, a. 1152.
126 R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 135 : Domini de Montagnone fuerunt nobiles et potentes homines in montibus Padue versus terram Montisilicis, sed, ut fertur, non ita sunt nobiles ab antiquo sic alii.
127 En 1275 : G. Tiraboschi, Storia della Badia di S. Silvestro di Nonantola, Modène, 1785, t. 2, p. 389 : precario et emphiteotico iure... quartam partem et medietatem unius alterius quarte partis, que scilicet medietas fuit... scilicet castri et loci et curie montagnonis, à quoi s’ajoutait une massaritia à Pernumia et une partie des biens du monastère dans le Vicentin. A. 1038 : C D P, 1, no 135. On remarquera que, quelque symbolique qu’ait été la relation avec cette abbaye non vénète, elle a donc duré : en 1275 le prix de la location est de 4,5 sous.
128 Catastico verde del monastero di S. Giustina, ms. 43, Archivio privato Papafava, f. 39 r ; cité par A. Rigon, Un abate e il suo monastero nell’età di Ezzelino da Romano : Arnaldo da Limena e S. Giustina di Padova, dans S. Benedetto e otto secoli (xii-xix) di vita monastica nel Padovano, Padoue, 1980, p. 56.
129 Et c’est, comme les da Fontaniva, en Saccisica qu’on voit les da Montagnone tenir un fief de l’évêque (C D P, 2/1, no 74).
130 C D P, 1, no 118. Sur les débuts de cette célèbre dynastie féodale on consultera l’article de R. Cessi, La signoria comitale dei Carraresi nel secolo xii, dans Id., Padova medioevale..., t. 1, p. 125-137. Les articles du D B I à leur sujet ne concernent que le bas Moyen Âge.
On n’a pas de documentation sur les premiers temps de l’église de Santo Stefano ; on peut cependant suivre sans risque Cessi (p. 127-128), lequel écrivait : « Questa potente famiglia ha... il diritto di giuspatronato sul monastero di S. Stefano, probabilmente fondato da qualche ascendente ». La preuve est fournie par le diplôme accordé à la famille par Henri V, où la maimbour impériale, qui porte sur l’ensemble de ses biens (quos et quas habent vel habituri sunt), énumère successivement, en les mettant sur le même plan, le castrum de Carrara, cum omnibus allodiis et beneficiis, et insuper etiam monasterium sancti Steffani cum omnibus rebus quas nunc habent vel habituri sunt. On comprend bien, dès lors, les séries régulières de donations pieuses des châtelains (C D P, 1, no 118, a. 1027, cité ; 201, a. 1068 ; 244, a. 1077 ; C D P, 2/1, no 41, a. 1109). Signalons enfin un procès de 1154, à l’occasion duquel un témoin déclare : domini de Carraria fecerunt monasterium de Carraria, et dederunt eidem monasterio quarta parte de suo proprio (C D P, 2/1, no 604).
131 C D P, 1, no 201, a. 1068 : à Bertipaglia ; no 250 et 251, a. 1078 : au lieu-dit Verzegnano ; no 267, a. 1082 : au lieu-dit Martinese ; no 268, a. 1083 : près de Spasano. Cf. la carte ci-jointe.
132 Encore que... Comme Sante Bortolami le fait remarquer (Territorio e società..., p. 125), une chronique vicentine, celle d’Antonio Godi, fait descendre aussi cette famille des comtes de Padoue et Vicence. On ne prête qu’aux riches.
133 C D P, 1, no 201. En 1027 Litolfo se dit de loco Carrarie, ce qui ne signifie pas, au demeurant, que le castrum n’était pas déjà une réalité ; encore en 1130, par exemple, un acte de la famille est rédigé in loco Carrarie (C D P, 1, no 118 ; 2/1, no 209).
134 C D P, 2/1, no 61.
135 C’est avec le second diplôme frédéricien, en 1184 (le premier, de 1160, reprenait celui de 1114), que les da Carrara figurent pour la première fois comme des « Reichsvassallen ». On y voit Iacopino da Carrara se faire reconnaître des biens qui lui sont venus de sa femme, Maria da Baone, comme des fiefs tenus de l’empereur au même titre que ceux qu’il déclare en tenir déjà (beneficio preter alia eius feuda eum investivimus) : M G H, Friderici I. Dipl., t. 2, H. Appelt éd., Hanovre, 1979, no 319 ; t. 4, 1990, no 871.
136 R. Cessi remarquait qu’en somme les exemptions de 1114 étaient de celles qu’obtenaient souvent les simples arimanni de la région (Id., La signoria comitale..., p. 126-127 ; sur les arimanni, cf. infra, le chapitre 3.
137 En 1149 on voit Marsilio réinvesti du fief, non autrement précisé, qu’il tient de l’évêque (ex toto feudo quod habet ab episcopatu Paduano : C D P, 2/1, no 521). Dès 1097 Erizo était témoin d’un acte du marquis (ibid., 1, no 321) ; on apprend, au hasard d’un partage entre trois membres de la famille, en 1202, que celle-ci détient de lui un fief, non autrement précisé là encore, sinon toutefois qu’il est à l’ouest de Monselice (B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 361 : a Montesilice ultra, versus Scodosiam). Le chroniqueur Rolandino enfin, écrit que Giacomino Papafava, fils d’Albertino da Carrara, en 1238, tenait Anguillara pro parte dompni Marchionis. L’expression ne fait que rendre compte d’une alliance entre lui et le parti des Este contre Ezzelino, mais il peut s’agir d’un fief. La situation même du lieu, à la limite sud-est des territoires dominés par les marquis, va dans le sens de cette hypothèse (Rolandino, Cronica..., p. 61).
138 Cf. supra, notes 72 et 74.
139 S. Bortolami, Territorio e società..., p. 142.
140 Le premier à s’être occupé des da Celsano a été A. Castagnetti, de façon incidente, dans son ouvrage, I conti... (p. 31-32 et 167-170). Le problème s’est trouvé plutôt compliqué de son intervention. Il en fait une famille puissante à Vicence et détentrice des deux castra de Sossano et Orgiano, voisins l’un de l’autre et situés en effet dans le contado vicentin, au sud des Monti Berici. Mais il s’appuie sur un document publié par Gloria où un certain Odelrico se dit de loco Zausani et Orgnani : or Salzano et Orgnano existent également, sont aussi voisins l’un de l’autre, mais sont situés dans le Trévisan, à la limite du Padouan médiéval, près de Mirano (C D P, 2/2, no 1131, a. 1173).
On a pour le moins l’impression d’un double destin : à Vicence les da Celsano sont liés par mariage aux comtes Maltraversi et, dans les années 1200-1220, aux di Pilio, c’est-à-dire au milieu dirigeant local et, pour être plus précis, aux chefs de l’une des deux factions qui s’y disputent le pouvoir (Castagnetti revient sur ces liens de parenté avec Pilio et ses descendants dans la Storia di Vicenza, t. 2, p. 41-42). Comment, dès lors, comprendre que, en 1202, une héritière de feu Albertino da Celsano, Almengarda, épouse à Padoue un certain Albertino di Belloncino, fils de boucher (cf. infra, p. 239), et cela après une série d’aliénations de biens qui n’a cessé d’appauvrir le patrimoine familial au moins dans l’est du Padouan ? De deux choses l’une : ou bien il faut distinguer deux familles de châtelains (au demeurant il est impossible d’établir un arbre généalogique dans l’avalanche de prénoms que fournit la documentation, ce qui pourrait être un signe), l’une brillante et vicentine, l’autre déclinante dès les années 1120 et située entre Padoue et Trévise, ou bien l’interprétation d’A. Castagnetti est tout à fait juste et il y a un rameau en voie d’appauvrissement accéléré dans le Padouan, dont le destin s’est promptement dissocié de celui d’une branche maîtresse vicentine, le problème des deux castra restant posé.
141 Si l’on en croit le formulaire du notaire Corradino, le dernier des da Calaone, Gerardo di Gerardo, est, en 1218, un clerc, ce qui expliquerait sa mort sans descendance directe. Il est vrai que ce document, qui le met en scène dans le rôle de tuteur d’un supposé fils de feu Alberto da Baone, Tiso, est sujet à caution. Toujours est-il que cette famille encore prospère au début du xiiie siècle disparaît soudainement (M. Roberti, Un formulario inedito di un notaio padovano del 1223, Venise, 1906, p. 60-62).
142 Sur ces deux familles je renvoie le lecteur tout d’abord à l’index du C D P de Gloria. Sur les da Urbana, importants vassaux des Este en Scodosia, cf. aussi S. Bortolami, Territorio e società..., p. 125-126 et p. 141, note 192. En 1161 un diplôme de Barberousse accorde aux fils d’Odelrico da Urbana la tuitio impériale, et fait d’eux des vassaux directs de l’Empire (M G H, Friderici I Dipl., t. 2, p. 147148, no 323). On n’est donc pas surpris de les voir entrer dans la famille des marquis : dès 1164 Alberto da Urbana est beau-père de Manfredino d’Este et tuteur de ses enfants (C D P, 2/2, no 849). De même ils sont liés par mariage aux Paltanieri, soit à la plus prestigieuse famille de l’élite aristocratique de Monselice (A C P, Diversa, no 16, a. 1191).
143 Cf. supra, p. 125. L’origine de ce patronyme est curieuse : la « paltana » (ou « pantana ») est, en dialecte, le marais. Allusion à des alleux dans l’un ou plusieurs de ces vastes espaces déprimés qui bordent souvent les collines au sud des Euganées ?
144 C D P, 2/1, no 239.
145 Cf. supra, p. 120 et 121, notes 10 et 15. Je rappelle que, en fin de compte, Speronella garde le fief de gonfalon. Sur la fortune de Speronella et les erreurs faites longtemps sur son arbre généalogique, cf. S. Bortolami, Fra « alte Domus »..., p. 8, note 17. Cf. leur arbre généalogique dans l’appendice prosopographique.
146 Rolando da Curano réside in castello Sancti Andree en 1148 (C D P, 2/1, no 506) ; l’année suivante le même personnage apparaît dans sa fonction d’avoué du monastère de Santa Lucia de Fontaniva (C D P, 2/1, no 516), ce qui pose, au passage, le problème des relations de ce personnage avec la famille du même nom. Sur les pouvoirs de Speronella à Sant’Andrea et sur l’origine alleutière de ces pouvoirs, cf. A C P, Diversa, no 48, vers 1235 : dépositions de témoins.
147 Document cité à la note précédente. Cette investiture est sans doute en fait une sous-inféodation car l’évêque de Padoue est, par ailleurs, connu comme muni des pouvoirs comtaux à Campagna et dans sa curia. Cf. C D P, 2/2, no 1389, p. 429-430, a. 1181.
148 La description de l’énorme fortune de Dalesmanino se trouve, fort bien détaillée, dans S. Bortolami, Fra « alte Domus »..., p. 7 et 8 (note 15).
149 D. Olivieri, I cognomi della Venezia euganea. Saggio di uno studio storicoetimologico, Genève, 1924, p. 201 (qui domino servitium prestare tenetur : du Cange).
150 A S P, Dipl., no 548 A ; A C P, Villarum, 8 : Ronchi Nuovi, 9 (entre 1198 et 1203).
151 Cf. par exemple, C D P, 2/1, no 529 : parmi les tenanciers de San Cipriano de Murano à Piove, vers 1150, un Dalismanus de Guagnapa.
152 On m’autorisera à évoquer à leur sujet un développement de mon article, Commune urbaine et féodalité..., p. 693. Ce m’est l’occasion d’une mise au point : j’avais alors écrit que, sur la fin du xiie siècle, « il ne semble pas que la curia soit plus qu’auparavant envahie par un groupe de ministériaux enrichis ». Il me paraît à présent, comme on vient de le lire, qu’on ignore, tout simplement, qui sont les anciens ministériaux parmi les vassaux épiscopaux, et que le silence des sources ne signifie pas qu’ils soient absents, ni même si rares.
153 C D P, 2/2, no 1387 et 1453, a. 1181-1182.
154 Vers 1190 l’évêque reçoit dans sa chambre des prêtres de Montagnana venus lui présenter une requête : avec lui se trouvent là un Dominus Vitaliano et Lanfranco di Giso (G. Rippe, ibid.). Le même Lanfranco est l’un des consortes nobles qui tiennent de l’évêque, dans le dernier tiers du xiie siècle, la garde des bois du territoire de Torre, au long du Brenta ; or ces consortes prennent encore à tour de rôle la charge de gastald épiscopal, surveillant pour eux-mêmes et leur seigneur les espaces mis en défens (A C P, Villarum, 8 : Ronchi Nuovi, 10).
155 R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 129-130.
156 Acta imperii selecta saeculi xiii (1198-1273), E. Winkelmann éd., t. 1, Innsbruck, 1880, no 66. Significativement ils sont désignés comme de Padua : ils viennent trop tard pour s’enraciner là où ils se sont taillés une seigneurie, à No-venta et autour.
157 C D P, 2/1, no 380. S. Bortolami remarque que le prénom Ardrico (l’orthographe, comme souvent, hésite) est de tradition chez les di Rolando, famille patricienne padouane dont en effet da Nono fait des parents des Dalesmanini (S. Bortolami, Fra « alte Domus »..., p. 10, note 25).
158 Sur le thème de la riche héritière on se reportera aux travaux bien connus de Georges Duby, et tout particulièrement à son célèbre article, Les « jeunes » dans la société aristocratique dans la France du Nord-Ouest au xiie siècle, dans Id., Hommes et structures..., p. 213-225.
159 La famille des Tanselgardini s’est divisée, dans le dernier tiers du xiie siècle, en plusieurs branches bien différenciées. La plus célèbre dans l’histoire padouane est celle des Forzatè : S. Bortolami a démontré la véracité des assertions de da Nono, qui fait des Gualperti des descendants de Tanselgardino (S. Bortolami, Fra « alte Domus »..., p. 31, note 114). Il me semble qu’on peut agréger à cet ensemble familial une autre dynastie de milites, les di Corrado. Prudent, Bortolami considère comme simplement probable que l’ancêtre, Corrado, connu comme consul en 1166, est identifiable à Corrado di Marcoardo, lequel Marcoardo avait été consul en 1142 (ibid., p. 13, note 34). Il y a de fortes présomptions, non seulement pour qu’en effet Corrado soit le fils de ce Marcoardo mais surtout, me semble-t-il, pour que ce dernier soit l’un des oncles de Tanselgardino ! J’ai risqué un arbre généalogique qu’on trouvera dans l’Appendice prosopographique en fin de volume. Voici les arguments dont je dispose.
Un Marcoardo di q. Pietro di Tanselgardo cotôie, dès 1124, la noblesse comtale : on le voit promettre son fils en mariage à la fille d’un da Fontaniva ; le même est témoin d’un acte des da Baone en 1131 (C DP, 2/1, nos 149 et 224). On ne voit pas pourquoi il serait interdit de l’identifier au Marcoardo consul de 1142 : le prénom n’est pas si fréquent ! Tanselgardo devient le patronyme durant cette période, et Pietro est oublié peu à peu (Rainaldo « di Tanselgardo » en 1134 : C D P, 2/1, no 261 ; Marcoardo « di Transelgardo » en 1144 : no 431). Corrado (ou plutôt « Corradino ») di Marcoardo a les mêmes entrées chez les nobles de rang comtal que son père : il est témoin de Manfredo d’Abano (C D P, 2/2, no 681, a. 1157), d’Alberto terzo, frère du comte de Padoue (no 707, a. 1158), des da Baone (no 964, a. 1169). Le lien entre Corrado et Marcoardo dei Tanselgardi me paraît donc hors de doute : on voit ensemble son fils, Guitaclino (di Corrado) et Ubertino di Marcoardo dans un acte du monastère citadin de San Pietro en 1174 (no 1161). De même, en 1211, illi de Ubertino de Marcoardo sont consortes de Guitaclino di Corrado (ACP, Episcopi, 1, no 109). Des liens continuent d’exister avec la branche « maîtresse » des Tanselgardini : en 1168 Ubertino di Marcoardo est témoin d’un échange entre l’évêque et Tanselgardino (C D P, 2/2, no 937) ; en 1185 il l’est de l’investiture de Tanselgardino comme vicedominus de Sacco par l’évêque (Dondi, Dissert. 6, no 116) ; en 1190 Guitaclino di Corrado l’est d’un autre échange entre l’évêque et Tanselgardino (A C P, Episcopi, 1, no 63). Cela dit, comme le montre par exemple la différence des prénoms familiaux, la branche des di Corrado semble avoir mené une existence vite séparée du reste de sa famille d’origine.
Un seul vrai problème demeure : on ne sait duquel des fils de Pietro di Tanselgardo est issu Tanselgardino, le vrai fondateur de la fortune de son lignage.
160 Sur les origines de la famille, j’avais écris quelques remarques dans mon article, Commune urbaine..., p. 687 et note 126. On en retrouvera ici la substance.
161 Il reste que ce vieux prénom lombard, bien que rare, pourrait, en ces premiers temps, avoir été porté par d’autres. Je ne puis afficher aucune certitude. Les occurrences, au xie siècle, sont les suivantes : C D P, 1, no 216, a. 1073 ; 246, a. 1078 ; 295 et 302, a. 1088 et 1090 : témoin de l’évêque ; 310 et 313, a. 1092 et 1095 : témoin des chanoines. Le « Traselgardo » qui est témoin, à Carbonara, d’une donation au monastère de San Benedetto del Pò est-il le même (no 315, 1095) ?
162 Les seigneurs se déclarent toujours de loi germanique, salique (pour les plus grands) ou lombarde.
163 C D P, 2/1, no 213.
164 R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 133 : Reperio eos fuisse ab antiquo nobiles et potentes populares. Sur le vocabulaire social de da Nono, cf. infra, p. 646.
165 P. Sambin éd., Nuovi..., no 15 ; C D P, 2/2, no 733. La même année les héritiers d’un certain Alberto di Adamo Gnanfo ont un bien à Este (no 741). Il peut s’agir d’une branche de la même famille : on aura plus loin l’occasion de voir les Este seigneurs des Gnanfo.
166 A C P, Feuda episcopi, no 63.
167 G. Rippe, Commune urbaine..., notamment p. 681.
168 A C P, Episcopi, no 130 et 151.
169 H. Br., Hist. Dipl., t. 1/2, p. 835-836.
170 Cf. supra, note 161.
171 Dondi, Dissert. 6, no134, a.1190 ; ACP, Episcopi, 1, no 102, a. 1209.
172 Dondi, Dissert. 6, no 116 ; cf. S. Bortolami, Fra « alte Domus »..., p. 8, note 20, sur le document de 1207.
173 A C P, Feuda episcopi, no 54.
174 Cf. supra, p. 174. Statuti..., no 961, p. 312 : Mota quondam domini Egidii de Sophia (cité par S. Bortolami, Per una storia di Abano..., p. 127, note 45). S’agit-il au demeurant d’une tour fortifiée ? Bortolami renvoie aux remarques de A. A. Settia, pour lequel le terme motta n’a pas forcément un tel sens. Si bien qu’en somme la seule tour sûrement attestée des Gnanfo est celle qu’ils avaient en ville, comme tant d’autres aristocrates, et que fait détruire Ezzelino dans les années 1240 (S. Bortolami, Fra « alte Domus »..., p. 38, note 147).
175 Cf. infra, chapitre 3, p. 248.
176 I. Rosa, Il B. Giordano Forzatè, abate e priore di S. Benedetto in Padova (1158-1248), Padoue, 1932, p. 4. Sur Giordano, cf. infra, p. 715-716.
177 C’est un document très tardif – de 1303 – qui témoigne de cette alliance avec les Maltraversi : Palma et Elica di Marcio dei Maltraversi di Montemerlo, et Marcio di Giovanni di Forzatè vendent des biens. On a en somme l’impression qu’existe une « consorteria » des deux familles sur le castrum (A. Gloria, Monumenti... (1222-1318), Padoue, 1884, paragr. 622, p. 59).
178 Promesse de mariage avec une fille de Milone : C D P, 2/1, no 149. De même, au début du xiiie siècle, on les voit devenus parents des da Vigonza : S. Bortolami, Fra « alte Domus »..., p. 37, note 146.
179 A S P, Corona, no 3133.
180 A S P, Corona, no 39 (42), a. 1224.
181 Enrigetto figure, en 1197, parmi les créanciers qui se partagent les bénéfices de la vente de la maison d’un débiteur à Padoue (R. Morozzo della Rocca – A. Lombardo éd., Documenti del commercio veneziano nei secoli xi-xiii, Turin, 1940, t. 1, no 431) ; en 1205 il est fidéjusseur de la veuve Paltineria, de Pernumia (A S P, Corona, no 39 (27)) ; en 1208 il l’est de Marsilio da Carrara (A C P, Diversa, no 46). Au xiiie siècle le fidéjusseur est d’abord un ayant droit sur les biens du débiteur au cas où il s’avèrerait insolvable (cf. infra, 3e partie, chap. 1, p. 623).
182 A S P, Dipl., no 1314.
183 Cf. G. Rippe, La logica della proscrizione : la « pars » degli Estensi a Padova, dans N S Ezz, t. 1, p. 257, note 45. Cette position a priori enviable leur sera au demeurant fatale aux temps ezzéliniens, puisque Rolandino y voit la raison de leur extermination.
184 La division de la noblesse padouane, de pure commodité certes, en trois « générations », se rapproche, cela dit, des trois tranches chronologiques distinguées par P. Cammarosano au sujet de la noblesse siennoise : « dignitari d’ufficio » établis jusqu’aux années 950 (« mes » comtes étant ottoniens, il faut pousser la première tranche un peu plus bas dans le cas padouan), « aristocrazia militare » ensuite (v. 950-v. 1130), puis une noblesse distinguée par des « poteri cittadini » (v. 1120-v. 1200) : c’est avec cette troisième tranche que, dans le Padouan, la diversité des destins n’autorise plus de qualification trop précise (P. Cammarosano, La nobiltà del senese dal secolo viii agli inizi del secolo xii, dans I ceti dirigenti in Tosca-na nell’età pre-comunale. Atti del I convegno, Firenze, 2 dicembre 1978, Pise, 1981, p. 223-225).
185 G. Tabacco, I liberi del re nell’Italia carolingia e post-carolingia, Spolète, 1966.
186 A. Cavanna, Fara, sala, arimannia nella storia di un vico longobardo, Milan, 1967.
187 En 723, dans les lois de Liutprand (A. Cavanna, Fara, sala..., p. 318).
188 On peut renvoyer aux deux premiers chapitres du livre de G. Tabacco, qui résume l’historiographie antérieure. Cf. aussi A. Cavanna, Fara, sala..., p. 233 (où l’auteur propose de revenir à l’acceptation des hypothèses « pré-tabacchiennes », du moins quant à l’origine du groupe).
189 P. Toubert, La liberté personnelle au haut Moyen Âge et le problème des arimanni. A propos d’un livre récent, dans Id., Etudes sur l’Italie médiévale (ixe-xive s.), IV, p. 127.
190 G. Tabacco, I liberi..., p. 43-47.
191 P. Toubert, La liberté..., p. 137.
192 Cf. G. Tabacco, I liberi..., p. 50 : « Si tratta di una relativa paupertas, che si concilia benissimo con un piccolo possesso fondiario, sufficiente al mantenimento dell’homo liber e della sua famiglia ».
193 Je reconnais ce qu’a de sommaire la qualification de « classe moyenne ». Elle a le mérite d’être expressive, outre qu’elle est en fin de compte d’un emploi inévitable s’agissant d’une société dont la caractéristique majeure est, quoi qu’on en pense, l’existence de villes. Volpe l’avait autrefois utilisée (« ceto medio ») à propos des lambardi toscans, fort assimilables à mes arimanni (G. Volpe, Lambardi e romani nelle campagne e nelle città. Per la storia delle classi sociali, della nazione e del Rinascimento italiano (sec. xi-xv), dans « Studi storici », 13, 1904, p. 63-64 ; réimpr. dans Id., Origine e primo svolgimento dei comuni nell’Italia longobarda, Rome, 1976.
194 G. Tabacco, Dai possessori dell’età carolingia agli esercitali dell’età longobarda, dans « S. M. », 3e s., 10, 1969, p. 221-268 (sur le problème ethnique, cf. surtout p. 227-233). De même, pour A. Cavanna, dès le viiie siècle le mot arimanni ne s’applique plus aux hommes libres en général (Id., Fara, sala..., p. 342).
195 G. Tabacco, ibid., p. 268.
196 Ibid., p. 237.
197 Id., Il regno italico nei secoli ix-xi, dans Ordinamenti militari in Occidente nell’alto medioevo (30 marzo-5 aprile 1967), Sett. Sp., t. 15, 2, Spolète, 1968, p. 779.
198 G. Tabacco, I liberi..., p. 151.
199 Id., Dai possessori..., p. 221.
200 Comme le remarque P. Toubert dans le compte-rendu, cité plus haut, du livre de Tabacco, les lambardi de Toscane et d’Italie centrale sont l’équivalent exact des arimanni du nord : à Farfa les exercitales sont le noyau où se recrutent les boni homines de l’époque ottonienne, et c’est de ce même milieu qu’est issue la petite noblesse des milites castri (P. Toubert, La liberté..., p. 143-144).
201 G. Tabacco, Dai possessori..., p. 221.
202 P. Toubert, La liberté..., p. 139. On trouvera, dans deux ouvrages récents d’A. Castagnetti, une sorte de compte-rendu, avant tout descriptif, de cette évolution. L’auteur ne s’attarde pas sur le Padouan et ne s’attache pas, au demeurant, à la mettre en relation avec la situation de pouvoir spécifique de cette région, ce qui est ici mon objet. Cf. A. Castagnetti, Arimanni in « Romania » fra conti e signori, Vérone, 1988 (sur la propagation du mot en territoire autrefois byzantin, en liaison avec la formation de l’institution comtale) ; Arimanni in « Langobardia » e in « Romania » dall’età carolingia all’età comunale, Vérone, 1996 (un panorama général).
203 Volpe avait présenté le même schéma diversifié à propos des lambardi toscans ; certains deviennent de simples « massari » qui n’ont conservé des jours heureux que la liberté personnelle, d’autres constituent au contraire la petite aristocratie rurale (Lambardi e romani..., p. 58).
204 Leicht est le premier à imaginer que « l’arimannia non è la proprietà dell’arimanno, bensì il diritto che egli gode su terre prative e boschive, originariamente concesse dal pubblico al gruppo di cui egli fa parte » (P. S. Leicht, Studi sulla proprietà fondiaria nel medioevo, t. 1, Vérone-Padoue, 1903, p. 41-42).
205 A. Checchini, I fondi militari romano-bizantini considerati in relazione con l’arimannia, dans Archivio giuridico « Filippo Serafini », t. 78, 1907 (cf., sur Sacco comme exemple, p. 459-462).
206 Ibid., p. 464. L’auteur notait que Leicht n’avait pas remarqué l’interdiction d’aliéner dans l’acte de 1055, et concluait à une originalité de Sacco sur ce point.
207 Cf., sur ce rapport de F. Schneider à Checchini, G. Tabacco, I liberi..., p. 14, note 42.
208 F. Schneider, Die Entstehung von Burg und Landgemeinschaft in Italien, Berlin, 1924, p. 124 : « an der Front gegenüber dem byzantinischen Padua, dem venetianischen Littorale und Ferrara-Adria die Sculdasien Sacco und Scodosia ». Un peu plus loin il reconnaît qu’il n’y a aucune présence documentée de sculdahis à Sacco mais estime son hypothèse étayée par quelques mentions de decani (p. 127). Certes, mais ils apparaissent bien tard (en 988 et 1073 : C D P, 1, no 72 et 221 ; cf. supra, p. 120).
L’historiographie la plus récente s’avère, quant à l’utilisation de la toponymie, extrêmement critique. Pour A. A. Settia, même la « lombardicité » d’un territoire dénommé « Scodosia » pose problème, on l’a vu (Introduction, p. 101-102, note 199). Le même auteur tord également le cou, avec une jubilation manifeste, à la définition du toponyme « fara » (et de ses dérivés) comme ancienne zone de campement de groupes lombards au moment de la conquête : le terme étant tombé en désuétude après une attestation unique dans le code de Rotari, comment se fait-il, demande Settia, que, jusqu’à des temps récents, dans certains dialectes nord-italiques, le mot « fara » ait désigné la ferme ? Pour lui ce toponyme n’a pas plus de valeur que bien d’autres noms communs d’origine lombarde (p. 11).
209 A. Cavanna, Fara, sala..., p. 236-238.
210 Cf. la critique de A. A. Settia à la thèse de F. Schneider dans la note 208.
211 S. Bortolami, Pieve e « territorium »...
212 Cf. supra, chap. 1, p. 110-111.
213 G. Tabacco, I liberi..., p. 158 :... « Arimanni residenti in terra propria, ma facenti capo, come esercitali, a quella corte regia ».
214 Encore en 1058 Henri IV confirme la curtis de Sacco à l’évêque en des termes à peu près identiques à ceux d’un diplôme d’Henri III, daté de 1040 : M G H, Heinrici IV Dipl., t. 1, no 34 ; Heinrici III Dipl., no 31. En 1161, par contre, Barberousse parlera du comitatus de Saccho (M G H, Friderici I Dipl., t. 2, no 343).
215 En 1005, mention des homines habitantes Sacco castellumque pene posito (C D P, 1, no 82).
216 R. Cessi, L’ordinamento..., dans Id., Padova medioevale, Padoue, 1985, p. 49-50.
217 A. Gloria, C D P, 1, p. xviii. Plus rigoureux que ses successeurs, il dit ne rien savoir de précis avant le xie siècle (Id., Territorio padovano, t. 3, p. 318-319). Cette hypothèse plus modeste n’explique pas l’appartenance de la Saccisica au Trévisan par la suite et, pour cette raison, Cessi la rejette, trouvant « incompréhensible » une installation postérieure à 602 face aux seuls Vénitiens (R. Cessi, L’ordinamento..., p. 50, note 7).
218 Cristina La Rocca, Le fonti archeologiche..., p. 146-149.
219 Cf. infra, p. 182.
220 A. Cavanna, Fara, sala..., p. 303.
221 P. J. Jones, L’Italia agraria..., p. 250.
222 C D P, 2/1, no 192 ; 1, no 262 : le droit de parcours est confirmé ubique in Sacco usque ad salsum mare.
223 A C P, Villarum, 7 : Piove, 2.
224 C D V, t. 2, nos 29 et 42.
225 V. Fumagalli, Il regno italico, p. 101-102.
226 Ibid., p. 103.
227 P. Toubert, Les structures..., t. 1, p. 456-457.
228 In fine Sacisica et in loco et fundo Casa Bertaldo : C D P, 1, no 127, a. 1033 ; de Casa Pagana dépendait un bois, la silva de Casa Pagana : no 184, a. 1061 ; infra fine Sacisica et in fundo loco qui dicitur Casisildo : no 221, a. 1073 ; infra finem Sacisica et in fundo loco qui dicitur Casa Merllai et in loco qui dicitur Casalegelo : no 277, a. 1084 ; infra finem Sacisica et in fundo loci qui dicitur Camerlagi : no 270, a. 1084. En 1078 Codevigo a absorbé Casa Bertaldo (no 252).
229 D. Olivieri, Toponomastica..., p. 29, 35 et 21. A moins que Camerlago ne vienne de Camerilius, autre nom latin, comme Olivieri le remarque (p. 14) ; mais le Casa Merlai ne s’expliquerait plus guère.
230 Bien entendu d’autres mentions de casalia, plus nombreuses, apparaissent au xiie siècle, et cette fois pas seulement à Sacco. Désormais il ne s’agit plus que de lieux-dits de terroirs villageois. Les origines peuvent en être récentes et l’on voit parfois les dénominations naître : un Casale connu dès le xie siècle, au sud de Padoue, devient à la fin du xiie siècle Casale Ser Ugo, du nom d’un récent propriétaire local.
231 V. Fumagalli donne l’exemple du casale Ermenfrit en Lombardie (au nom significatif !), devenu au ixe siècle possession de San Salvatore de Brescia, constitué alors de huit noyaux familiaux et divisé en autant de tenures. La logique du processus (division, puis perte de l’indépendance économique) est ici assez claire (Il regno..., p. 102).
232 C D P, 1, no 82, a. 1005 ; cf. infra, p. 179.
233 Ils doivent jurer qu’ils n’ont jamais eu de tonlieu à payer à Venise et ne devaient qu’une simple livraison de lin à la place.
234 G. Volpe, Lambardi e Romani..., p. 306-307.
235 G. Waitz, Die Verfassung des deutschen Völker, Kiel, 1880, t. 1, p. 497-510 « Ueber die Zwölfzahl bei den Germanen » (cf. p. 500-502, sur l’usage juridique).
236 Bien entendu de très nombreux exemples du maintien de la tradition des 12 juges ou des 12 témoins se retrouvent dans les ouvrages ayant trait au droit médiéval : en 847 le concile de Mayence prescrit que 12 co-jureurs éviteront l’ordalie à un libre, tandis que 12 socs portés au rouge sont l’épreuve du serf en cas de meurtre d’un prêtre (J. Gaudemet, Les ordalies au moyen-âge : doctrine, législation et pratique canonique, dans Recueils de la société Jean Bodin : La preuve, 2, t. 17, Bruxelles, 1965, p. 105) ; la présence de 12 chevaliers jurés intervient au moins à deux reprises dans la Grande Charte (W.S. Mac Kechnie, « Magna Char-ta » A commentary on the Great Charter of King John, Glasgow, 1914, p. 438-440 et p. 471) ; on retrouve des exemples du même type dans le droit wisigothique, etc. Je tiens ici à remercier mon collègue François Delpech à qui je dois cette bibliographie complémentaire sur le thème du chiffre 12.
237 C D P, 1, no 261. Cf. par exemple : et suprascripto Ingezo notarius. Adam. Leo. Dominicus et suprascripti clerici lege vivere romana.
238 Cf. le tableau n. 1 p. 906. Encore est-il intéressant de remarquer que c’est seulement à partir de 1060 que les mentions de loi romaine commencent à devenir relativement fréquentes : soit 44 sur 49 ! Les listes de témoins se présentent le plus souvent de la façon suivante : les 3 premiers figurent avec mention de leur personnalité juridique, qui est aussi celle du vendeur, donateur ou concédant (d’où la fréquence du chiffre 4 dans le tableau : 1 concédant et 3 témoins). Ensuite viennent des témoins pour lesquels cette précision manque. La situation change (signe d’une vraisemblable moindre importance accordée à la personnalité des lois) à partir d’un acte de 1078 : se succèdent 3 romani testes et 5 lambardi testes, pour une vente dont les auteurs sont de loi romaine (C D P, 1, no 252). Par la suite on retrouve de temps à autre de ces panachages.
239 Dans les documents de Sacco (les seuls dans le Padouan où l’on en trouve quelques occurrences) le mot lambardus est un simple synonyme de longobardus (ou, plus précisément, langobardus ; cf. par exemple, cette orthographe dans C D P, 1, no 90, a. 1010), à en juger d’après les listes de témoins. Une seule occurrence hors d’un témoignage : la mention d’un Mauro lambardus, voisin d’une terre, en 1058 (no 175).
240 G. Volpe, Classi e comuni rurali, dans Id., Medioevo italiano, Florence, 1961, p. 161.
241 On n’insistera jamais assez sur l’archaïsme du vocabulaire des chancelleries.
242 M G H, Heinrici IV Dipl., t. 2, no 289.
243 M G H, Friderici I, t. 3, no 701 : cum bannis, fodris, placitis, districtis, arimaniis.
244 A S V, San Giorgio maggiore, B 104, Proc. 390 D (29 octobre).
245 Cf. supra, p. 167 et note 208.
246 Dès qu’on aborde, au delà des limites du contado de Padoue, la région plus fertile et mieux peuplée du piedmont alpestre, on retrouve, de façon très significative, des mentions d’arimanni. En 915 Bérenger Ier, on l’a vu, avait soumis ceux de Solagna, au débouché du Brenta en plaine, au pouvoir de l’évêque de Padoue ; dans cette même région du nord vicentin, on voit en l’an 1200 les arimanni de Schio tenter (en vain, au demeurant) de forcer un alleutier du nom d’Onesto Gazi, de participer avec eux au paiement du fodrum exigé par le comte de Vicence, Uguccio dei Maltraversi (A S P, Corona, no 4066). Il existe, sur les traces de peuplement lombard dans cette région des Préalpes vénètes, un article de G. Fasoli assez ancien et dont les conclusions seraient sans doute à nuancer très fortement, comme celles de toute une littérature ayant fait un usage optimiste des toponymes, mais qui fournit du moins un dossier : Tracce d’insediamenti longobardi nella zona pedemontana tra il Piave e l’Astico e nella pianura tra Vicenza, Treviso e Padova, dans Atti del 1o Congresso internazionale di studi longobardi, Spolète, 1951, 1952, p. 303-315.
247 C D P, 2/1, no 290 : une porcio de busco qui dicitur Arimannia.
248 A S V, San Cipriano, B. 114, S. 39 et 40, S. 54 ; B. 115, S. 63 c.
249 Il faut par contre renoncer à voir des arimanni à Vigodarzere, à quelques kilomètres au nord de Padoue. A. Gloria avait édité un diplôme de Barberousse où une curtis Vicoaderis cum... liberis hominibus qui vulgo Arimanni dicuntur était confirmée à San Zeno de Vérone (M G H, Friderici I Dipl., t. 2, no 422). On pouvait avoir des doutes sur l’hypothèse de Gloria (reprise dans l’article de G. Fa-soli cité en note 246) dans la mesure où le monastère ne réapparaissait jamais dans la documentation assez riche qui concerne ce village. De même l’orthographe était inusuelle. La récente édition des M G H identifie Vicoaderis avec un habitat du contado de Vérone.
250 M G H, Friderici I Dipl., t. 4, no 1069.
251 B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t.2, no2 : iusta silva Maiore, que est comunitate mea cum homines de Tribano.
252 M G H, Heinrici IV Dipl., t. 2, no 414 : prefatam urbem... atque omnem arimanniam civitatis.
253 S. Bortolami, Pieve..., doc. 2, p. 76.
254 M G H, Heinrici III Dipl., H. Bresslau et P. Kehr éd., Berlin, 1931, no 352.
255 Cf. supra, p. 173.
256 C D P, 1, no 82 ; cf. aussi, supra, p. 173, l’intervention de 12 représentants.
257 Statuimus quoque partibus autem ecclesie secundum iuticiam faventes, ut predictis hominibus non liceat ipsam eremanniam suam vendere aut archiepiscopo (...), nisi quod secundum eandem consuetudinem debitum eremanie predicte Pataviensi ecclesie iusticiam suam persolvere velint.
258 G. Tabacco, I liberi..., p. 158.
259 L’interdiction d’aliéner a-t-elle pu être autre chose qu’une clause purement formelle ? Bien sûr, une réaction de gros bon sens porterait à le croire, et il est plus que probable que les plus puissants des Saccensi agissaient avec leurs biens comme ils l’entendaient. Voici pourtant, en 1154, deux frères que l’on voit, à Padoue, s’adresser à l’évêque non pas comme propriétaire éminent de leurs biens, mais comme le « comte » de Sacco, le représentant – par conséquent – de l’autorité publique (ante domnum Paduanum episcopum. et terre Saccensis comitem). Il leur faut payer les dettes de leur père et il ne leur reste qu’à vendre des biens (lesquels sont à Sacco : à Campo Gisello, Boion et Corte) : or, s’ils se sont ainsi déplacés, c’est qu’ils veulent en demander l’autorisation au seigneur-prélat (C D P, 2/1, no 623). N’aurions-nous pas ici un témoignage – certes isolé – d’une survivance des prescritions impériales de 1055 ?
260 Noviter surrexerat, noviterque populum ipsum a maiorum manibus liberaverat : cité par P. S. Leicht, I diplomi regi ed imperiali a favore delle città nei secoli x-xi, ed il sorgere dell’« Universitas civium », dans Id., Scritti vari di storia del diritto italiano, t. 1, Milan, 1943, p. 542, note 9.
261 M G H, Heinrici III Dipl., no356 (...Mantuani cives, videlicet eremanos in Mantua civitate habitantes).
262 N’est-il pas remarquable que, toujours en 1055, les cives de Ferrare aient obtenu eux aussi, de l’empereur, la reconnaissance de leur autonomie et de leurs coutumes contre les Canossa. La ville retombera d’ailleurs sous leur contrôle dès 1067 ! (A. Castagnetti, Aspetti feudali e conservativi..., p. 63).
263 De suis personis sive de illorum servis et ancillis vel de liberis hominibus in eorum residentibus terra, vel de eremania et communibus rebus. Ici, deux interprétations : pour Leicht l’arimannia désigne les biens collectifs (P. S. Leicht, Studi e frammenti, Udine, 1903, p. 12 ss.) ; G. Tabacco, comme d’autres avant lui, propose de comprendre le mot comme désignant le patrimoine des arimanni en général, et donc à la fois les biens individuels et les biens collectifs. L’essentiel est que ces arimanni de Mantoue apparaissent d’emblée comme des propriétaires (G. Tabacco, I liberi..., p. 179).
264 V. Colorni, Il territorio mantovano nel sacro romano impero, t. 1 : Periodo comitale e periodo comunale (800-1274), Milan, 1959, p. 135-136 (omnes eremanos et comunes res a nostris predecessoribus illis ablatas).
265 M G H, Heinrici IV Dipl., t. 2, no 421.
266 V. Colorni, Il territorio mantovano..., p. 76, note 29. Encore en 1160 – car telle est la fixité du lexique de la chancellerie impériale – un diplôme de Barberousse sera adressé aux arimanni de Mantoue (A. Haverkamp, Herrschaftsformen der Frühstaufer in Reichsitalien, t. 2, Stuttgart, 1971, p. 626 : l’auteur y remarque en effet que la forme est celle des diplômes antérieurs).
267 De uno latere communia iacente, de alio latere episcopatus detinente : C D P, 1, no 262 ; cf. aussi no 261 : accord préalable sur Pozzo Cavaliolo.
268 Cf. supra, p. 130.
269 C D P, 2/1, no 192 : quod ipse Bellinus episcopus vel suos successores non debet dare vel alienare predictam terram ullis ex comitibus de Montebello vel capitaneis, etc. De quoi A. Castagnetti a déduit que le comte Uberto Maltraverso exerçait sans doute alors une activité de juridiction à Sacco, en vertu d’une délégation de pouvoir consentie par l’évêque, laquelle s’expliquerait par ses prises de position constamment philo-grégoriennes (A. Castagnetti, I conti..., p. 65). A dire vrai les représentants de l’évêque à Sacco étaient, pour autant qu’on les connaisse, généralement des gens de plus modeste origine ; et les grands féodaux avaient-ils besoin de l’octroi de fonctions officielles pour être importuns aux collectivités voisines ? On peut en douter.
270 C D P, 2/1, no 239.
271 Avant d’en finir avec la comparaison Mantoue-Sacco, il convient peut-être de signaler que toute tentative d’ériger un modèle à partir de là est, soit à repousser, soit pour le moins à considérer avec une extrême prudence. En effet, si j’en crois A. Castagnetti, pas plus loin qu’à Vérone, on ne trouve pas de mentions de terres communes des citadins (pour ne pas parler d’arimanni !) avant une série d’appropriations effectuées dans les années 1170. Il faut aller dans les collines des Préalpes – là aussi ! – pour trouver, dès le xe siècle, une silva arimannorum (A. Castagnetti, La « campanea » e i beni comuni della città, dans L’ambiente vegetale..., Sett. Sp., t. 1, p. 158-160). Au demeurant l’auteur tendrait, quant à lui, à poser en modèle un schéma inverse, notamment en minimisant la portée des documents mantouans, ce qui me semble tout aussi abusif.
272 G. Brunacci, Storia ecclesiastica..., p. 323-327. Cette interprétation ancienne, méconnue et d’accès difficile, s’avère plus pertinente que celle, bien plus récente, de Gina Fasoli, qui faisait des arimanni une simple communauté de paysans libres (G. Fasoli, Castelli e signorie rurali, dans Agricoltura e mondo rurale..., Sett. Sp., t. 13, Spolète, 1966, p. 560).
273 Cf. infra, p. 197.
274 Allons plus loin : les arimanni du Padouan de 1055 ne sont-ils pas, jusqu’à un certain point, dans leur protestation contre l’évêque, leur seigneur, comparables aux valvassores minores révoltés de la Milan de 1037, à cette (grosse !) nuance près qu’ils demeurent en même temps les représentants officiels d’une communauté rurale ?
275 C. Manaresi éd., I placiti..., t. 3/1, no 439.
276 Dans un ouvrage d’histoire de l’urbanisme il est question, non sans une certaine exagération rhétorique, d’une « funzione anti-urbana » de l’abbaye (L. Puppi et M. Universo, Padova, 1982, Bari, p. 28).
277 Tunc iudices omnes dixerunt sentenciam legis et firmaverunt. Venite vos omnes cives et refutate in manu domni abbatis istam Vallem cum illo Zairo.
278 Cf. supra, p. 97.
279 Cf. p. 97 et note 31. Sur l’action de Barberousse pour concrétiser ses prétentions sur Monselice, cf. A. Haverkamp, Herrschaftsformen..., t. 2, p. 462, note 336. Quant à Frédéric II, non seulement il y séjourne en 1239 mais, pour mieux y marquer son autorité, il donne l’ordre de construire une fortification sur la colline, ce qui entraîne la destruction de l’église plébane de Santa Giustina, située à mi-pente (Rolandino, Cronica..., p. 50, 63-64 ; cf. aussi les remarques de S. Bortolami, Monselice, « Oppidum »..., p. 122-125, sur l’action de Frédéric II et d’Ezzelino). Tout un ensemble de biens fonciers, sur le territoire communal, est alors de propriété impériale, comme en témoignent de nombreuses mentions dans le « Catastico » dit d’Ezzelino (cf. L. Caberlin éd., Il Catastico..., index, p. 370-371, à Imperator).
280 Donation du castrum de Monselice au patriarche d’Aquilée par Philippe de Souabe (J. Ficker, Forschungen..., t. 4, no 214).
281 Quidam maiores de Montesilice : Rolandino, Cronica..., p. 52.
282 Odelrico q. Frugerio, un Paltanieri (les deux prénoms sont caractéristiques), est régulièrement dénommé de Montesilice, sans autre précision ; cf., par exemple, en 1208 (où on le voit en compagnie de son célèbre fils, Iacopo da Sant’Andrea : A C P, Villarum, 4 : Carturo, 1), et encore en 1227 (A S P, Dipl., no 1302). Mais Odo da Fontana se trouve appelé, en 1206, Dominus Odo de Monte-silice (B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 393). Parfois le notaire précise, mais rarement : ainsi, en 1220 : illi de Paltineria de Montesilice (A V, Fondo Veneto, 1, S. Giovanni Decollato, no 5538)
283 J.K. Hyde, Padua..., p. 77. L’auteur s’appuie sur une remarque de Rolandino (Cronica..., p. 52) sur les Paltanieri. Da Nono, de son côté, écrit : Cumani, Veschevelli et illi a Fontana, de eadem sunt progenie, et ab antiquo fuerunt comites Montisilicis (R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 205).
284 Frugerius filius Palteriii (sic) est consul de Monselice en 1162 (C D P, 2/2, no 775) ; Frugerino en 1183 (P. Sambin éd., Nuovi..., no 76), Atisio et Nicolo’ de Panteneriis en 1227 (A S V, San Zaccaria, B. 21, 2 mai).
285 A S P, Corp. Soppr. : Capitolo di Monselice, b. 32 : 8 mai 1222 ; en 1239 un juge, de imperiali mandato, rend une sentence, à Monselice, in domo arimannorum (A V, Fondo Veneto, 1, S. Giacomo di Monselice, no 6026 A) ; de même, encore en 1241, une sentence d’arbitrage y est rendue (A S V, San Zaccaria, B. 25, 29 avril).
286 C D P, 2/2, no 908 : Armanus, iudex (a. 1167). Nombreuses occurrences ensuite, cf. par exemple : A S V, C D Lanfranchi, a. 1198, 16 avril : Armanno ; ibid., San Zaccaria, B. 25, a. 1206, 5 février : Arimanno achète une vigne ; ibid., a 1214, 27 janvier : Arimanno q. Alperio achète deux terres à Monselice ; ibid., 1220, 22 mai : Berga, fils d’Arimanno, fait son testament (sa fortune semble modeste : les rares legs particuliers ne portent que sur des sommes de quelques livres) ; ibid., a. 1232, 27 mars : Patavina q. Arimano tient une maison en livello du monastère de San Zaccaria ; etc. Cette famille semble disparaître ensuite : on ne voit pas le toponyme dans le Catastico d’Ezzelino, et en 1262 le monastère de San Zaccaria hérite de tous les biens en ville d’Agnello q. Patavina di Arimanno (ibid., B. 22, les 14 et 19 mai) ; mais S. Bortolami signale des di Berga qui pourraient être les descendants du Berga di Arimanno rencontré en 1220 (S. Bortolami, Monselice, « Oppidum »..., p. 138).
Arimanno (ou Armanno) est un nom de personne assez fréquent à partir des années 1140 (premières occurrences en 1146 : C D P, 2/1, no 476). On le rencontre à Padoue (dans le document cité, mais aussi, par exemple, en 1181, où un juge Armannus est consul de Padoue ; il n’est pas tout à fait exclu qu’il s’agisse du personnage exerçant la fonction à Monselice que j’ai signalé en tête de liste : C D P, 2/2, no 1387), à Piove (assez souvent : cf. par exemple P. Sambin éd., Nuovi..., no 16, a. 1149 ; C D P, 2/2, no 1025, a. 1171 ; A S V, C D Lanfranchi, a. 1190, 27 février) et ailleurs en Saccisica (à Corte : C D P, 2/2, no 701, a. 1158 ; à Boion : ibid., no 1355, 1180 ; à Campolongo : no 728, a. 1160), mais aussi à Peraga (L. Lanfranchi, San Giorgio maggiore, t. 3, no 440, a. 1184) ou à Este (A S P, Dipl., no 1095, a. 1221 : un certain Armanno di Gerardo y est pelletier). Voici donc un prénom assez volontiers porté en milieu urbain, des artisans aux notables.
287 P. Bonnassie, La Catalogne..., p. 599.
288 Il y a bien longtemps déjà, Volpe rappelait quelques évidences : la commune rurale a été une organisation (en Italie !) de propriétaires-paysans, et non pas de cultivateurs des biens d’autrui ; de même la commune urbaine est née comme une « défense de la moyenne propriété suburbaine contre le grand fief qui presse alentour de la ville » (Volpe, Classi e comuni rurali..., p. 155). Il est de ces remarques synthétiques où tout est dit et qui laisse à qui s’efforce d’être un honnête successeur le sentiment d’arriver trop tard, quoi qu’il ait à écrire !
289 Cf. infra, 3e partie, chap. 1, II.
290 A C P, Villarum, 7 : Pernumia, 12, a. 1203.
291 Ibid. : Si aliquis invenitur furans in castro Pernumie..., publicani auferunt ei pro banno pro comuni terre Pernumie. Sur la commune et ses relations avec les da Carrara, on consultera S. Bortolami, Territorio..., p. 104-114.
292 Ibid. : Homines qui habent alodium in Pernumia et eius territorium bis in anno dant fodrum et arimanniam faciunt domini de Carraria pro comitatu. On ignore malheureusement ce que signifie concrètement cet « arimanniam faciunt ».
293 A CP, Villarum, 1 : Arquà, 3 ; édition partielle dans E. Zorzi, Il territorio..., doc. 3, p. 270 : reddiderunt pro eorum alodio tantum foidrum et arimaniam.
294 ...comitatus Arquade est comitum (éloquente expression, qui distingue bien une dignité générale et un pouvoir purement local) : ibid., p. 267.
295 Audit dici quia omnes qui habent alodium in paduana, dant certum quod annuatim pro arimannia. Il est même spécifié que cette taxe est à verser aux comtes, dans ce cas précis, non seulement par les alleutiers d’Arquà, mais aussi par ceux de Monselice qui possèdent des biens à Arquà (illi de Montesilice qui habent allodium in Arquada) : ibid.
296 Rappelons brièvement les mises au point de C. Brühl (dans son ouvrage, « Fodrum, Gistum, Servitium Regis’ » Studien zu den wirtschaftlichen Grundlagen des Königtums im Frankenreich und in den fränkischen Nachfolgestaaten Deutschland, Frankreich und Italien vom 6. bis zur Mitte des 14. Jahrhunderts, t. 1, Cologne-Graz-Vienne, 1968, p. 551-554). L’empereur réclamait une taxe, le fodrum, aux comtes et aux évêques, une autre était versée par les cives des villes (du moins aux temps pré-communaux). Les arimanni étaient, quant à eux, soumis à un fodrum « indirect » (C. Brühl reprend ici une expression de l’historienne Gertrud Deibel) que percevait le comte ou l’évêque.
Fait remarquable : j’ai pu relever 63 mentions du fodrum, entre 1100 et 1237, en Saccisica. Il s’agit le plus souvent d’exemptions accordées, soit par l’évêque, notamment à des monastères vénitiens lorsqu’ils acquièrent des biens fonciers (cf., entre autres, C D P, 2/1, no 372, a. 1140 environ ; 2/2, no 1165, a. 1174), soit directement par les vendeurs, éventuellement sous forme de cession en fief sans fidélité (ainsi, par exemple, en 1166 et en 1181 : nos 897 et 1397). En dehors de cette micro-région, seulement 3 ! En 1136 l’empereur Lothaire III confirme au monastère vénitien de Sant’Ilario ses biens (dont beaucoup sont dans le Padouan) et ses privilèges, parmi lesquels une exemption du fodrum qui lui avait été accordée dès 1008 (L. Lanfranchi et B. Strina éd., Ss. Ilario..., nos 19 et 6). En 1177 Barberousse prend sous sa protection le monastère des Carceri et l’exempte des bannis, fodris, placitis, districtis, arimaniis, etc. (M G H, Friderici I Dipl., t. 3, no 701). La plus révélatrice est la troisième, déjà connue : en 1203 les arimanni de Pernumia versent aux da Carrara, pro comitatu, bis in anno... fodrum et arimanniam (A C P, Villarum, 7 : Pernumia, 12). Et rien d’autre.
297 C’est avec raison, remarque C. Brühl, que Schneider avait fait observer le lien entre arimanni et castrum, mais il s’empresse d’ajouter qu’il faut se garder de conclure en généralisant et en faisant de tout fodrum de castello le signe d’une occupation arimannique (ibid., p. 554).
298 A C P, Feuda episcopi, 1, no 34.
299 A C P, Feuda episcopi, 1, no39 : de omnibus feudis et de omnibus bannis, asaltis, angariis, albergariis, perangariis et omnibus erimanis, tam veterum terrarum quam novalium (...) et omnium habitatorum qui super illas terras habitant vel habitabunt.
300 A S V, San Giorgio magg., B. 101, Proc. 384 :...a conditione foidri et erimannie et ab omni publica functione, et ab omni alia servitute. Quelques occurrences dans des documents postérieurs ; cf. par exemple : ibid., B. 91, Proc. 372, a. 1224.
301 Statuti..., no 482, p. 158 : Non liceat domino episcopo (...) in aliqua villa paduani districtus contra voluntatem illorum. nec penes aliquem habitatorem vel vasallum non suum hospitari. nec aliquam violentiam facere. salvo eis iure in suis arimaniis et suis albergariis... De même, dans les statuts no 601 (p. 194) et 603 (p. 196), la terra arimanie est celle qui paie une charge à un dominus.
302 Qu’y a-t-il derrière ces oppositions sur des notions juridiques ? Un phénomène dont on verra l’expression dans la troisième partie de cet ouvrage : la classe dirigeante urbaine modifie, par petites touches mais radicalement en fin de compte, les rapports sociaux. Comme l’a écrit Sergio Bertelli, « la città porta nel contado dei rapporti sociali di tipo borghese » : on peut le suivre, à la condition d’ajouter que ce sont des aristocrates citadins qui imposent ces rapports, le mot « bourgeois », évocateur, étant ici à prendre dans une acception tout abstraite (S. Bertelli, Il potere oligarchico nello stato-città medievale, Florence, 1978, p. 29).
303 Cf. supra, p. 178.
304 En 1188 le monastère de Santa Giustina de Padoue achète deux ensembles de maisons avec leurs enclos (sedimina) à Este : les deux vendeurs sont de milieu noble, à ce que l’on voit, car ils cèdent leurs biens cum omni honore omnique segnoratico, et ils assurent qu’ils sont a fodro et gravamine iuris arimannie immunes (A S P, Dipl., no 404).
305 Privilège que, dans certaines villes, on voit octroyer par l’empereur lui-même qui, non seulement au xie siècle mais encore dans les premiers temps communaux, se fait volontiers (on l’a vu déjà avec les diplômes d’Henri III) le protecteur des citadins, comme l’avait justement noté P.S. Leicht (I diplomi regi..., p. 541-542). Il cite particulièrement (p. 537-538) un diplôme d’Henri IV aux civespisans, qui sont exemptés, entre autres charges, du fodrum.
306 Comme le montre clairement le graphique (cf. p. 905), la courbe du nombre des vassaux épiscopaux part d’un chiffre (18 noms) qui correspond à la majorité des familles connues vers 1100. Puis elle suit l’ascendance du nombre total, mais plus mollement, durant 50 ans (de 1101 à 1150). Ensuite c’est le déclin des entrées à la curia, continu et irrémédiable, en contradiction avec la courbe globale, du moins jusqu’en 1200 environ.
De même la comparaison avec la ligne sans cesse ascendante de l’apparition du qualificatif de dominus dans les familles (dans la plupart, soit 126 sur 157) témoigne à sa manière du déclin de l’influence politique de la curia épiscopale. Il est clair que les nouvelles élites sociales, et notamment celles qui viennent prendre leur part de pouvoir à partir des années 1200 (lorsque les nouveaux riches commencent à forcer l’entrée : j’aurai l’occasion d’y insister), entrent beaucoup moins dans ce circuit. La commune en son âge mûr correspond à un assemblage quelque peu différent des hiérarchies sociales, plus riche, plus complexe et, surtout, plus complet.
Je me suis hasardé à inscrire également dans ce graphique la courbe, certes plus symbolique qu’autre chose, de l’apparition des familles de vassaux des da Baone, dans la mesure où elle semble, bien que constituée d’un très petit nombre de noms, épouser, dans son ascendance comme son déclin, l’allure de celle de la curia épiscopale. Son modeste témoignage renforce l’idée que l’aristocratie qui s’est constituée au xie siècle et a incarné la commune consulaire n’est plus, peu à peu, à dater des années 1150-1160, qu’un des éléments – certes essentiel, et encore pour longtemps – du jeu politique.
307 Je parle ici de la toute première apparition dans la documentation : à de très rares exceptions près (ainsi l’investiture de Guido Tempesta en 1160 : C D P, 2/2, no 745) on n’a pas l’occasion de connaître la date de la première investiture d’un vassal.
308 Je me permets ici de renvoyer le lecteur à mon article, Commune urbaine..., p. 681-683.
309 C D P, 1, nos 198 et 206.
310 P. Sambin éd., Nuovi..., no 15 ; C D P, 2/1, no 521 : le vicedominus Ottaviano, père de Malpilio (lequel apparaît en 1153 : C D P, 2/1, no 591).
311 Cf. le tableau n. 2 p. 906 (groupe vassalique épiscopal) obtenu de l’ordinateur, et ceux des vassaux des seigneurs les mieux connus.
312 ...et dont il faut bien reconnaître qu’elle a beaucoup servi ! L’exemple a été utilisé d’abord par Bonardi, puis par d’autres dont moi-même. Je me dois pourtant de le reprendre ici car son lien avec Sacco a une valeur quasi emblématique et il n’en est point d’aussi éloquent. Cf. A. Bonardi, Le origini del comune..., p. 4344 ; G. Rippe, Commune urbaine..., p. 678-681 ; Id., Dans le Padouan des xe-xie siècles : évêques, vavasseurs, « cives », dans « C C M », 27, 1984, p. 148 ; A. Castagnetti, I conti..., p. 110-115.
313 C D P, 2/1, no 339.
314 C D P, 2/1, no 239.
315 A S P, Dipl., no 547.
316 A S P, Dipl., no 771, 805, 806, 824, etc.
317 C D P, 1, no 261 ; 2/1, no 972.
318 Un Domenico Fariseo et son fils Giovanni sont connus, il est vrai, à Monselice, mais on ne les voit que là ; il s’agit sans doute d’une autre famille. Cf. par exemple : A S V, San Zaccaria, B. 21, 2 novembre 1201 (Domenico) ; A V, Fondo Veneto, 1 : San Giacomo di Monselice, no 5906 et 5979, a. 1217 et 1232 (Giovanni).
319 A C P, Feuda episcopi, 1, no 34. Ces concessions, en quelque sorte « en creux », d’exemptions en guise de fiefs sont fréquentes à Sacco ; on en a vu un autre exemple plus haut (cf. le texte correspondant à la note 299). Concrètement, le bénéficiaire, alleutier aisé, reçoit le pouvoir de percevoir sur ses dépendants, par une perversion du système que j’ai signalée, ces charges propres, dans leur principe, aux alleutiers.
320 A S P, Dipl., no 639.
321 Ibid., no384 ; ACP, Episcopi, 1, no 66.
322 Cf. infra, p. 227-232. Mention du culmellus des Farisei dès 1186, au sujet du fief tenu de l’évêque (cf. le document cité en note 319).
323 Cf., à ce sujet, G. Rippe, Commune urbaine..., p. 694-696.
324 Cf. infra, l’Appendice prosopographique.
325 R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 106-108. Il les dit de stirpe Fontaniva, ou encore de valvassoribus Fontanive.
326 Toujours selon da Nono, ces Musso fuerunt navarii et molendarii (p. 226).
327 On est trop mal renseigné sur celles des établissements ecclésiastiques, sauf sur celle du chapitre cathédral qui, à tant d’égards, s’identifie à celle de l’évêque. Au demeurant elles n’ont pas la même signification politique.
328 Le lecteur aura compris que je ne parle pas ici des officiers seigneuriaux de haut rang, comme Tanselgardino à Sacco.
329 En 1115 (C D P, 2/1, no 73) on rencontre un Iohannes canevarius de la masnada (sic) des chanoines et, avec lui, un Domenico Canevario : Gloria interprète cette seconde occurrence du mot, à la différence de la première, comme un nom propre.
330 C D P, 2/1, no 526. Il déclare : Ego inveni Adam iudicem et Albericum de Solario in curte Alberti de Multafava, pro intromittenda arimannia.
331 C D P, 2/1, no 527.
332 A S P, Dipl., no 505, a. 1195. Sur les Ardenghi, cf. l’article de T. Pesenti-Marangon, Università, giudici, notai a Padova nei primi anni del dominio ezzeliniano (1237-1241), dans « Quaderni per la storia dell’Università di Padova », 12, 1979, p. 1-62.
333 A S P, Dipl., no 408.
334 A S P, Corona, no 3690, a. 1208 : acquisition de 7 campi en partie plantés en vignes, pour un droit d’entrée de 100 livres, et avec un loyer de 3 sous (il pourrait s’agir d’un prêt dissimulé au monastère : un chiffre rond, comme ici ces 100 livres, en est souvent le signe). La même année il acquiert une terra boscaliva pour 20 livres, et il devra en loyer une livre de cire, et rien d’autre : ibid., Corona : Santa Maria di Praglia, no 757. En 1211, deux petites pièces en partie en vignes, d’un loyer de 6 deniers (on n’a pas le chiffre du droit d’entrée) : ibid., no 827. En 1212 il paie 60 livres pour un sedimen cum domo, curte, area et vinea à Tramonte, dans les Euganées (à une dizaine de kms de Brusegana), dont le loyer sera de 2 sous : ibid., no 863.
335 Ibid., Corona, no 3695.
336 Ibid., no 3697. De même, en 1205, un certain Giovanni di Anguillacio, témoin dans un procès entre des gens de la commune rurale de Corte et Palma da Baone, gastald de cette dernière, nomme son propre père, gastald avant lui, do-minus Anguillacio (A C P, Villarum, 3 : Corte, 6 : Giovanni est le premier témoin de la série).
337 A S V, San Zaccaria, B. 17.
338 Cf. l’Appendice prosopographique, s.v. Concadalbero et Gattari.
339 Cf. supra, p. 150.
340 Cf. infra, 3e partie, p. 649.
341 C D P, 2/2, no 1371 et 1370.
342 En 1207 le juge Roberto – le probable éponyme – figure dans un groupe de vassaux qui donne son accord à l’aliénation d’un bien par le marquis : A S P, Dipl., no 732.
343 A dire la vérité, c’est par le rachat du ius eminens d’un bien jusque là tenu en fief, par Rosso di Ubertino di Marcoardo, qu’on est informé de ce lien – de façon quelque peu négative, donc – : A S P, Dipl., no 1059.
344 E. Zorzi, Il territorio..., doc. 4, p. 281.
345 Dondi, Dissert. 6, no 149, a. 1198.
346 Cf. par exemple A S P, Corp. Soppr., Capitolo di Monselice, B. 32, no 32, a. 1233 : Dominus Michele da Villa et son frère Pellegrino y échangent des biens avec l’église plébane ; A S V, San Zaccaria, B. 21, a. 1212, 14 mai : Dominus Bartolomeo da Villa est témoin d’un échange entre les Paltanieri et le monastère San Zaccaria de Venise. Finit-on par les voir se pousser jusqu’à Padoue ? En 1234 un juge Alberto da Villa se trouve au palais communal (A S P, Corp. Soppr., Santa Maria della Riviera, t. 1, no 30 a et b). Il pourrait toutefois aussi bien s’agir d’un homonyme que d’un membre de notre famille.
347 Cf. supra, p. 186.
348 C D P, 2/2, no 948, a. 1169 ; A C P, Feuda episcopi, no 60, a. 1214. En 1210 Giovanni di Gerardaccio, à la suite de transactions des da Carrara sur les terres de Bagnoli, passe de leur vassalité à celle de Palma da Baone, épouse d’un Maltraversi (B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 424).
349 Cf. les remarques de S. Bortolami, Fra « alte Domus »..., p. 64.
350 Les Lemizzi, certes présents à Sacco (dans 4 villages) se rencontrent avant tout dans l’est (5 villages) ; les da Limena, comme les da Vigonza, sont puissants d’abord dans les secteurs des villages dont ils portent le nom (un groupement de 10 villages pour les da Limena ; de 8 pour les da Vigonza).
351 De même les Gualperti sont à la fois dans 3 villages de Sacco et dans 3 de l’est.
352 Je n’ai pas mentionné ces autres grands seigneurs que sont les da Camposampiero, longtemps assez extérieurs, je l’ai dit. Le peu qu’on en sait tend à les ramener au cas général. Ils ont pour vassaux aussi bien les Lemizzi, notables urbains, que les da Selvazzano, seigneurs des Euganées, ou les Fisoli, notables ruraux du nord.
353 D. Barthélemy, L’ordre seigneurial..., p. 43.
354 Sur la clause de melioratio en Catalogne, et son évolution dans ce sens, cf. P. Bonnassie, La Catalogne..., t. 1, p. 264-265, et t. 2, p. 548-549 ; sur le célibat des cadets dans la noblesse du Mâconnais, cf. l’article de G. Duby, Lignage, noblesse et chevalerie..., p. 395-422.
355 L’information, qui relate des faits alors déjà anciens, est donnée par un témoin, lors d’assises judiciaires tenues en 1199 (E. Zorzi, Il territorio..., doc. 4, p. 280). Au demeurant l’un des intéressés au moins, Bonifacio, s’est avéré mécontent des résultats (vidi quod predicti marchiones, preter Bonifacinum, acceperunt brevia diviscionum factarum inter eos...).
356 Le texte, daté du 8 novembre 1221 (A S P, Dipl., no 1329), est analysé par P. Marangon dans son article, Scuole e Università a Padova dal 1221 al 1256. Nuovi documenti, dans « Quaderni per la storia dell’Università di Padova », 12, 1979, p. 131.
357 Un cas exemplaire – un peu particulier il est vrai – dans le testament du marquis Manfredino, en 1164. Il n’a qu’une fille et laisse tout à son épouse. Cependant filium vel filiam quae in utero suae uxoris est, sibi heredem instituit in omnibus suis bonis et rationibus, si masculus est, si femina, centum et quinquaginta soldos illi reliquit (C D P, 2/2, no 849).
358 La bibliographie sur le droit lombard et ses particularités – morgincap, mundoald – est ancienne et multiple. La lecture du développement sur « la place de la femme dans la famille et dans la société », dans le chapitre que consacre P. Toubert aux structures familiales dans sa thèse (Les structures..., t. 1, p. 734775) permet, au fil des notes, d’en connaître l’état dans les années 1970 (cf. plus particulièrement les notes des p. 734-735, 757 et 769). On peut citer, postérieur à cet ouvrage, l’article de G. Vismara, I rapporti patrimoniali tra coniugi nell’alto Medievo, dans Il matrimonio nella società altomedievale, 22-28 aprile 1976, « Sett. Sp. », 24, t. 2, Spolète, 1977, p. 633-700.
359 En 999 un certain Giovanni, de Sacco, cède à sa femme en morgincap le quart de sa fortune, selon le schéma classique (C D P, 1, no 79) ; en 1001 un autre Saccense, Domenico q. Sambolo, fait de même (no 81), tout comme, en 1049, Lazaro di Martino Bertani, également de Sacco (no 154) ; etc. Tous, bien sûr, sont de loi lombarde.
360 Exemples : en 1127 Milone da Fontaniva lègue à sa femme un pingnus de libris CCC (...) cum donacione et morgincap (C D P, 2/1, no 176) ; en 1142 le marquis Azzo d’Este énumère toute une série de biens-fonds qui iront à son épouse pro quarta porcione – le mot morgincap n’y est pas (no 407) ; par contre, encore en 1145, le marquis Tancredo mentionne celui de sa femme Gota (no 448).
361 Position avantageuse qui, comme on sait, n’est que le corollaire d’une situation juridique déprimée, la femme lombarde étant une perpétuelle mineure, incapable de se livrer à une quelconque opération d’achat ou d’aliénation, non plus qu’à une action en justice, sans l’assistance de ce protecteur obligé qu’est, dans le droit lombard, le « mundoald ». Au contraire la veuve ou la femme seule de loi romaine peut agir librement et ne s’en prive pas, comme le montrent moult exemples de donations pieuses dans le cours du xie siècle : en 1021 (C D P, 1, no 106), 1031 (no 123), 1062 (no 185), 1079 (no 258) ; de même au xiie siècle : en 1117 (C D P, 2/1, no 86), 1122 (no 122 = L. Lanfranchi éd., S. Giorgio maggiore, t. 2, no 00), etc. Le « mundoald », rappelons-le, est d’abord le mari, puis en cas de veuvage c’est tout naturellement le fils qui remplit cette fonction ; si l’un et l’autre manquent, ce peut être un oncle ou tout autre parent proche. Cf. : iugalis et mundoaldus meus (B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità... t. 2, no 2, a. 954) ; ipso iugale meo et mundoaldo mihi consenciente (C D P, 2/1, no 329, a. 1137) ; constat nos Ugocionem de Bahone et Helicam matrem et filium, ipso filio ac mundoaldo meo mihi consenciente (no 128, a. 1122) ; consenciente Iohanne clerico patruo meo (no 618, a. 1154) ; etc.
La terminologie lombarde disparaît d’un bloc au milieu du siècle : dernière mention du morgincap en 1153 (cf. la suite du texte), dernière mention du « mundoald » en 1141 (no 392). Les usages concrets, cependant, demeurent bien plus longtemps dans la noblesse (et elle seule, si l’on en croit la documentation). C’est ainsi que, en 1182, Bertolina, veuve d’Albertino da Baone, s’entend avec trois de ses gendres, Bonifacio d’Este, Marcio, fils du comte Guido, et Arvero di Torello. Un serment d’entraide réciproque vient sceller l’alliance : or c’est un homme, Renaldino « del Vescovo », qui prête serment pour elle (C D P, 2/2, no 1441). De même, quelques mois plus tard, lorsqu’il s’agit de promettre de respecter un arbitrage, le juge Solimano le fera pour elle (no 1457). De tels exemples ne se retrouvent plus après la fin du siècle, sous l’influence d’une unification de la législation.
362 C D P, 2/1, no 602.
363 Les exemples affluent à partir de 1190. Il est remarquable que les caractères des cartae dotis soient dès ce moment fixés une fois pour toutes. En 1190 (A C P, Diversa, no 15) la donatio propter nuptias est équivalente à une dot de 25 livres ; en 1191 (ibid., no 16) il en est de même dans un milieu noble, pour la dot de 300 livres offerte par un da Urbana à un Paltanieri, père de son futur gendre. Deux générations plus tard la situation reste inchangée : en 1251 (A S P, Corona, no 2925 b), une donacio est égale à une dot de 45 livres ; en 1254, même échange de bons procédés dans une famille de juges, portant sur 200 livres (A S P, Corp. Soppr., Santa Maria della Riviera, t. 2, no 6 g) ; en 1256, même apport réciproque de 300 livres (ibid., t. 1, no 55 d) ; etc.
364 Entre 1190 et 1210 environ il arrive encore que la part conservée par le conjoint survivant s’élève à la moitié de la dot ou de la contre-dot. Quelques exemples : c’est le cas dans les deux cartae dotis citées en note précédente, de 1190 et 1191 ; ce l’est encore dans un acte de 1208, où le survivant reprendra, outre son apport de 250 livres, la moitié de cette somme (A S P, Dipl. no 755) ; etc. Dès les années suivantes la règle limitant cet apport supplémentaire ne souffre plus d’exceptions. Donnons des exemples, là encore : en 1195, déjà, dans un contrat entre deux familles de notables, les Ardenghi et les Canevaro, il était prévu que le conjoint survivant disposerait, outre de son apport de 88 livres, de 10 livres soustraites à l’apport du défunt (A S P, Dipl., no 505) ; avec le temps la proportion diminuerait plutôt : en 1223, à un apport de 135 livres s’ajoute pour le survivant la modeste somme de 25 livres prélevées sur celui du défunt (A S P, Dipl., no 1159) ; en 1254 il ne s’agit plus que de 25 livres pour 200, et de même, en 1256, de 25 pour 300 (cf. : fin de la note précédente) ; etc. Les clauses testamentaires respectent ces prévisions (en 1240, 20 livres à la veuve pour une dot de 120 : A S P, Dipl., no 1634), selon parfois des modalités originales. La plus fréquente consiste à ajouter, à la restitution de sa dot à la veuve, la cession d’objets d’usage quotidien. En voici un bel exemple : en 1245 dominus Giacomino Murro rétrocède à sa femme sa dot de 525 livres, plus unam culcitram et unum plumacium et unum scrineum turnatum et unam pellem de morello foderata de variis et unam pellem a collo de stanferte foderata de dossi et omnia sua drapamenta (...) in lintheamina de domo (A S P, Corp. Soppr., Santa Maria della Riviera, t. 16, no 7). Plus expéditif, Adamo dei Murfi, en 1233, lègue à sa femme sa dot et omnes suos pannos (ASV, S. Michele in Isola di Murano, B. 11, no 134).
365 A C P, Diversa, no 15. Autres exemples : contre une dot de 40 livres, le mari n’offre plus rien sinon une obligation sur l’ensemble de ses biens (ibid., no 17, a. 1193) ; à une dot de 150 livres correspond une somme équivalente iure pignoris (A S P, Dipl., no 1160, a. 1223) ; la donacio propter nuptias, de 49,5 livres, soit le montant de la dot, est garantie sur les biens de la famille du mari (A S P, Corona, no 2925 a, a. 1245) ; etc.
366 En 1234 les extimatores déclarent que l’épouse du juge Cataldo est le seul créancier ayant droit, après la vente aux enchères des biens de celui-ci, pour 281 livres, plus 12 % de pena (A S P, Corp. Soppr., Santa Maria della Riviera, t. 1, no 28 b). De même, en 1241, un jugement donne à une épouse le droit de prendre possession des biens du mari, jusqu’à équivalent de sa dot de 40 livres (ibid., t. 10, no 22). Au moment du partage de l’héritage, la veuve se transforme donc en une créancière potentielle de l’héritier principal, fils ou beau-fils : en 1251 le fils de do-minus Albertino da Picacapra demande un procurator aux autorités communales, pour régler les opérations de vente des biens paternels nécessaires pour payer sa dot à la veuve (A C P, Diversa, no 120).
367 Statuti..., XVI, De mulieribus, no 582, p. 189 (a. 1222) : Idem servetur de (filiis) non maritatis a patre vel matre mortuo vel mortua ab intestato. dum frater vel fratres teneantur eas maritare et dotare secundum facultates suas et dignitates et more civitatis. La législation padouane est particulièrement précise sur le problème : M. Bellomo la cite à plusieurs reprises dans son ouvrage, Ricerche sui rapporti patrimoniali tra coniugi, Milan (Giuffrè), 1961 (p. 180 pour l’exemple cité).
368 A C P, Diversa, no 65.
369 Dans les statuts d’Alexandrie de 1179, il est décidé que, pour une livre de dot reçue, le mari ne donnera à sa femme que 5 sous (P. Cammarosano, Aspetti delle strutture familiari nelle città dell’Italia comunale (sec. xii-xiv), dans « S M », 1975, 16/1, p. 419-420). Ce sujet particulier n’est pas abordé dans ceux de Padoue : on a vu dans les pages qui précèdent que les sources mettent en évidence, surtout après les années 1210, des usages proches des normes fixées dans la cité piémontaise.
370 Signalons le cas de ce châtelain des Euganées, Leonardo da Selvazzano qui, en 1220, laisse à sa femme un tiers de sa fortune, mais seulement en viager, le reste étant partagé également entre une fille et un neveu. Il y a des juges dans sa famille et il ne convient pas forcément de voir en lui un féodal réactionnaire ; des raisons particulières (nécessité de protéger la veuve ?) ont pu jouer, et le retour prévu des biens aux héritiers à la mort de l’épouse montre que l’application de la norme du temps n’est que différée (A C P, Testamenta, 1, no 12).
371 P. Sambin éd., Nuovi..., no 72.
372 B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 400.
373 A C P, Testamenta, 1, no 16 et 18.
374 Elle se manifeste de plusieurs façons : frères vendant ensemble (parfois avec leur mère) une terre, ou au contraire l’achetant, etc. Le plus souvent on voit indiqués ensemble, parmi les confronts d’une parcelle, les heredes d’une personne morte une ou plusieurs années auparavant. Parfois on a la chance de connaître la durée exacte de l’indivision (cf. un exemple dans la suite du texte).
375 P. Cammarosano, La famiglia dei Berardenghi, Spolète, 1974 ; C. Violante, Quelques caractéristiques des structures familiales en Lombardie, Emilie et Toscane (xie-xiie s.), dans Famille et parenté dans l’Occident médiéval, Actes du Colloque de Paris, 6-8 juin 1974, Rome, 1977, p. 83-148 ; à compléter par : Id., Le strutture familiari, parentali e consortili delle aristocrazie in Toscana (sec. x-xii), dans I ceti dirigenti in Toscana nell’età precomunale, Atti del I Convegno, Firenze, 2 dicembre 1978, Pise, 1981, p. 1-58 (sur les frérèches, cf. plus particulièrement p. 19-21).
376 Sur le problème de l’usure et des dettes à assumer au moment de l’héritage, cf. infra, 3e partie, un bon exemple, p. 594.
377 P. Cammarosano, La famiglia..., p. 122-127 (et p. 102, note 84, sur leur identité).
378 Il est encore vivant le 28 mars (C D P, 2/2, no 1541) : il figure parmi les signataires de la paix de Fontaniva, entre Padoue et Vicence ; et il est déjà mort le 10 juin (2/1, no 490).
379 Cf. le no 490, cité ci-dessus.
380 P. Sambin éd., Nuovi..., no 45, a. 1173 : mention d’Arloto di Enrigino.
381 C D P, 2/2, no 1404, a. 1181 : Dominus Aimelricus Paduanus canonicus et Vitalianus de Tao eius frater insimul cum Arloto pro se et fratribus suis nepotes eorum.
382 Dernière mention : C D P, 2/2, no 666. Pour la donation de 1181, cf. la note précédente.
383 C D P, 2/2, no 1472 : cum dominus Amelricus Paduanus canonicus et nepotes eius filii quondam Vitaliani et filii Inrigini habeant per feodum a monasterio Sancte Iustine terram in Melaria. Ex ipsa terra idem Amelricus et Petrus et Tadus et Arlotus et Ugo sui nepotes pro se et aliis suis fratribus et coheredibus...
384 A S P, Dipl., no 420.
385 Revenons, au terme de cette analyse, sur une question de méthode. Il me semble que l’on peut faire confiance aux mentions de collectivités d’héritiers dans les listes de confronts : on rencontre cinq fois les expressions filii ou heredes de Giovanni di Tado entre 1149 et 1174 (P. Sambin, Nuovi..., no 16, a. 1149 ; C D P, 2/2, no 1004, 1006, 1163 et 1164, a. 1170 et 1174). Le notaire padouan est généralement soucieux d’exactitude : ses indications correspondent à une situation réelle (ici, l’indivision).
D’autres exemples confortent mon optimisme. En 1230 les fils d’un dominus Parialto da Vigodarzere sont cités parmi les confronts d’une terre de ce lieu ; il se trouve que, trois ans plus tard, on voit les domini Alberto et Ugolino di Parialto vendre ensemble une petiola. L’indivision était donc bien réelle (A S V, San Giorgio maggiore, B. 107, Proc. 418, a. 1230, 24 février, et 1233, 13 février). En 1230 encore, les heredes de dominus Alcherio sont confronts à Campolongo di Liettoli (A S P, Corona, no 1162 f) ; l’année suivante une terre sise à Campolongo maggiore est vendue par la veuve d’Alcherio, en tant que mère et tutrice des fils du défunt : l’indication du document précédent était donc exacte (A S P, Corona., Beato Pellegrino, no 3017). On pourrait continuer d’accumuler les cas démonstratifs : il est clair que filii et heredes ne sont pas, dans les actes notariés, des notations approximatives, mais désignent des frérèches bien vivantes.
386 C D P, 1, no 255, a. 1079.
387 L’inverse existe, la frérèche usurière : en 1211 trois frères, de la famille des dal Pozzo, sont ensemble créanciers d’un même failli dont les biens sont mis aux enchères (A S P, Dipl., no 836).
388 L’indivision entre des frères et un ou plusieurs neveux, constatée chez les Tadi, n’a rien de rare ; elle est sans doute le meilleur témoignage, là où elle apparaît, d’une situation de longue durée : en 1200 deux frères, Andrea et Giovanni dei Gerardacci, et leur neveu Pietro Buono, perdent ensemble un procès pour une terre à Monselice (A S V, San Zaccaria, B. 21, 29 janvier). Dans d’autres cas la mort d’un frère entraîne au contraire le partage des biens avec son héritier, neveu du survivant : c’est ce qui se passe, en 1226, entre Prosdocimo dei Canavoli et son neveu Americo (A S V, San Giorgio maggiore, B. 84, Proc. 344, 19 décembre). Encore a-t-il fallu attendre que celui-ci, orphelin dès 1220 (cf. ibid., B. 82, Proc. 321, 12 septembre), devienne majeur.
389 A S V, San Giorgio maggiore, B. 107, Proc. 419, 18 juin, a. 1200 : dernière apparition de Rolandino connue de moi ; ibid., 9 décembre 1202 ; A C P, Diversa, no 27, a. 1205. Chose remarquable, le partage est incomplet, puisqu’on voit chaque fois deux frères prendre ensemble une moitié, et deux autres l’autre moitié (s’agirait-il de deux paires de demi-frères ?).
390 Parmi les ouvrages d’histoire du droit disponibles, ceux dont j’ai tiré le plus de profit sur ce problème précis ont été : F. Calasso, Medioevo del Diritto, 1 : Le fonti, Milan, 1954, p. 193-194 ; et C. Pecorella, article « Feudo » dans le Novissimo Digesto, t. 7, 1961, p. 263.
391 En voici un exemple daté de 1149 : l’évêque investit Marsilio da Carrara, ut quamdiu masculi fuerint, ipsi succedant in feudo. Quod si omnes masculi rebus humanis fuerint exempti deinde femine in predicto feudo succedant (C D P, 2/1, no 521).
392 C’est ainsi que, en 1183, Tisolino da Camposampiero, choisi pour opérer, entre six des huit filles d’Albertino da Baone, la division de leur héritage, attribue un groupe de vassaux à chacune ; et l’on voit le vasallaticum du puissant Dalesmanino échoir à Beatrice, épouse de Giovanni di Ezzelino da Romano, qui le reçoit au nom de sa femme (C D P, 2/2, no 1480).
393 A C P, Feuda canonicorum, no 23.
394 Cf., par exemple : A C P, Feuda varia, no 50, a. 1224 : deux groupes de deux frères (Domenico et son frère Pietro, Bonifacino et son frère Pietro), tous les quatre habitant Villa del Bosco, sont investis ad feudum ad duas fidelitates et duo servicia. On voit bien ici la raison du dédoublement : un service vassalique par fratrie.
395 Des exemples dans le document no 23 des Feuda canonicorum, cité en note 393 : Guglielmino di Ilario, pour lui-même et deux autres personnes, se présente aux chanoines, et il est précisé qu’un seul est tenu de jurer fidélité ; les héritiers de Guidoto dei Tadi précisent qu’un seul d’entre eux jurera, etc. En 1222 Giovanni dei Bertaldi, vassal de l’évêque avec son frère Sicherio, est seul à prêter serment (A C P, Feuda episcopi, no 96). L’évolution ne se fait pas, semble-t-il, sans résistance seigneuriale : en 1204 Egidio dei Lazeroni doit expliquer aux chanoines quod tantum unus ex eis debebat facere fidelitatem archipresbitero... pro omnibus de sua parentela habente de hoc feudo (A C P, Feuda canonicorum, no 25).
396 Un cas particulier, certes, mais non moins logique : un tenancier de l’évêque, Gomberto, de Corte di Sacco, détient un fief conditionnel recta conditione muri faciendi ; il acquiert en livello une terre dont l’évêque lui octroie le loyer en fief (in beneficio recti feudi). C’est alors que l’acte précise : ad unam fidelitatem et unum servicium cum alio suo feudo (A C P, Episcopi, 1, no 56).
Ce texte est daté de 1185 et il demeure l’un des premiers, voire le premier, où m’est apparue cette formule, laquelle ne se diffuse vraiment, me semble-il, qu’au siècle suivant (mais la perspective peut être faussée par la multiplication des documents). On peut se demander si elle n’a pas pris naissance dans ce contexte un peu particulier et si, née pour éviter au vassal des conséquences négatives de ce qui est en somme un augment de fief conditionnel, elle n’a pas ensuite seulement trouvé un plus vaste champ d’application.
Dans un premier article (G. Rippe, « Feudum sine fidelitate ». Formes féodales et structures sociales dans la région de Padoue à l’époque de la première commune (1131-1236), dans « M E F R M », 87, 1975, p. 202), n’ayant encore qu’une connaissance fragmentaire de la documentation, j’avais confiné aux fiefs conditionnels (tel celui qu’on vient de considérer) l’emploi de la formule ad unam fidelitatem. En fait, l’usage est général, ou le devient vite. Sur les fiefs conditionnels en général, cf. infra, p. 249-250.
397 A C P, Feuda episcopi, 1, no 102, a. 1225. Le scénario est révélateur : Bonifacio d’Este commence par refuser de jurer fidélité, précisément pour la raison que le feudum marchionum (on aura noté l’usage du pluriel) est cum una fidelitate tantum, et que dominus Aço marchio fecerat fidelitatem pro illo feudo. En effet Azzo avait été investi et avait prêté serment en 1218 (ibid., no 77). Mais l’évêque Giordano insiste et Bonifacio finit par jurer, salvo eo quod si feudum marchionum quod habet ab episcopo debeat esse cum una fidelitate, quod non preiudicet eius domus. On le voit, les choses ne sont en fin de compte pas si claires, ni pour une partie, ni pour l’autre.
398 A. Castagnetti, I conti..., p. 80.
399 En 1149, investissant ensemble un « livellario », ils se présentent comme suit : Comes Iacobus et Albertus tercius frater eius... (C D P, 2/2, no 1532). En 1168, alors qu’ils récupèrent des fiefs (toujours ensemble) : comitem Iacobum et Albertum tercium (ibid., no 932).
400 Cf. par exemple C D P, 2/1, no 474, a. 1146 : testes presentes Bonifacius et Albertus germani marchiones ; 2/2, no 1300, a. 1178 : causa... inter marchiones Albertum, Opizum et Bonifacium.
401 En 1077 Henri IV, de façon significative, confirme la possession de quicquid ipse Marchio Aczo iure possidet... in omnibus supradictis comitatibus et locis (M G H, Heinrici IV Dipl., t. 2, no 289).
402 L’indivision du titre présuppose un minimum d’harmonie entre aîné et cadet. Si bien qu’on n’en était pas arrivé tout de suite à cette solution dans la famille : Ugo, second fils d’Alberto-Azzo, s’entendait également mal avec son père et avec Folco, son frère aîné. Entre 1093 et 1095 il avait été amené à entrer dans le parti impérial, contre ses proches. En 1095, il se réconcilie avec eux mais la méfiance règne sans doute : Alberto-Azzo, toujours vivant et quasi centenaire, se trouvant vraisemblablement fort décrépi, c’est Folco qui mène le jeu : les biens des deux frères, divisés également, seront séparés et Ugo devient son vassal et lui jure fidélité (per rectam fidem adiutor ero : C D P, 1, no 314). A vrai dire la question de savoir si le titre était échu au seul Folco reste posée : Ugo n’apparaît plus dans la documentation, et l’on voit toujours Folco agir seul, avec la dénomination de Folco marchio. Est-ce parce qu’Ugo est mort peu après, comme le suppose M. G. Bertolini, ou par suite de hasards documentaires ? En 1097, en tout cas, un diplôme d’immunité du roi Conrad est octroyé à Folco seul, ce qui peut aussi bien être dû à l’état subordonné d’Ugo qu’à son décès (M G H, Heinrici IV Dipl., t.2 : Regis Conradi Dipl., no 2).
403 Cf. supra, note 355 et texte correspondant.
404 Il faut pourtant signaler que, sur le tard, et quand le titre comtal ne signifie plus grand-chose, cette règle est peut-être négligée ; un document de 1232 qualifie Schinella, membre d’une branche cadette, comme on vient de le voir, de comes, mais dans un contexte un peu particulier : il est en effet appelé dominus Scinella comes de Burgo Turisellorum, et la mention d’origine vient là, semble-il, pour rappeler qu’il est davantage qu’un simple habitant de la périphérie sud de Padoue (A C P, Diversa, no 104). Ce document avait échappé à A. Castagnetti, qui, ayant justement remarqué que, à cette période tardive, les sources narratives donnaient cette qualification à Schinella, avait ajouté qu’elles étaient seules à le faire (A. Castagnetti, I conti..., p. 157).
405 Cf., par exemple, les conclusions, très proches de ce qui vient d’être dit, de P. Cammarosano, dans son article, Aspetti delle strutture..., p. 432.
406 C. Violante, Le strutture familiari..., p. 30. La distinction avait été, avant C. Violante, clairement établie dans l’ouvrage, toujours utile, de Franco Niccolai, I consorzi nobiliari ed il comune nell’alta e media Italia, Bologne, 1940, p. 38.
407 Les familles nobles (Gnanfo, da Limena et d’autres) associées à l’évêque dans le bois de Busiago, par exemple (S. Bortolami, Pieve e « territorium »..., p. 58 et 67).
408 C D P, 2/1, no 239 : consortes de Saco debent habere capulum et pasculum in terra de Tumbiule.
409 C. Violante, Le strutture familiari..., p. 28.
410 L’une des très rares occurrences du mot consortes qui pourrait avoir une signification familiale, dans un document de 1189, nous montre les parts du groupe initial déjà en partie aliénées à des étrangers : des biens d’Alberto da Baone ont été vendus par lui au monastère San Cipriano de Venise ; il les détenait en indivis avec sa cousine Béatrice, l’épouse du comte de Padoue, Imperatrice, et avec deux étrangers au clan, Clemente di Giuliana et les fils de Scardevella. Il s’agit donc d’extraire de l’ensemble la part qui doit revenir au monastère ; les parties concernées sont explicitement désignées sous le terme de consortes (ASV, San Cipriano, B. 110, R. 821).
Il est bien plus fréquent de voir des groupes familiaux entiers être eux-mêmes intégrés à un ensemble de consortes « per carta » : ainsi, parmi plus de 25 familles ou individus isolés constituant l’association des consortes des bois de Carpenedo, dans le territoire de Monselice, on trouve, collectivement désignés, il-li de Bullis, illi de Petenariis (les Paltanieri), illi de Magistris, etc. (A V, Fondo Veneto, 1 : San Giacomo di Monselice, no 5992, a. 1233).
411 A S P, Corona, no 1578.
412 En 1187 le comte de Padoue, Manfredino, son cousin Ugolino di Alberto terzo, et leur parent de la branche vicentine, Marcio dei Maltraversi, ont en commun des droits sur les incultes des communes euganéennes de Montemerlo, Teolo et Villa di Teolo ; mais ils n’y sont pas seuls consortes : l’évêque les partage avec eux – témoignage probable d’un vieux compromis sur la domination d’une micro-région où la mainmise comtale est contrecarrée par celle de l’évêque sur la vieille curtis fortifiée de Pendice – (A C P, Episcopi, 1, no 59 : cité par S. Bortolami, Fra « alte Domus »..., p. 9, note 21).
413 C’est ainsi que, dans les années 1210-1213, les podestats de Padoue séjournaient in domo filiorum Petri de Bonicis (A C P, Villarum, 5 : Gorgo, no2 et 4 d ; A S P, Corona, no 2464).
414 C D P, 1, no 285. Toute une solide tradition fait des da Camposampiero une lignée de même souche que les da Romano, comme le rapporte Verci dans son encore indispensable Storia degli Ecelini (t. 1, XXXVII-XXXIX). Da Nono s’en fait l’écho dans le « De Generatione » (R. Ciola éd., p. 17-18).
415 C D P, 2/1, no 355.
416 C D P, 2/1, no 83 : première mention du monastère. L’allusion à la famille fondatrice se trouve dans une bulle pontificale de 1122 ou 1123 (C D P, 2/1, no 140).
417 Sur Praglia et le « clan » comtal on dispose désormais d’aperçus dans A. Castagnetti, I conti..., p. 59-75, et surtout dans S. Bortolami, Formazione, consistenza..., p. 29-31.
418 A. Castagnetti, I conti..., p. 69. C’est pratiquement dès ses débuts que Praglia, tout en constituant une abbaye et non un simple prieuré, se trouve dépendre spirituellement du monastère de San Benedetto du Polirone (près de Mantoue), lui-même lié à Cluny depuis 1077. Cf. aussi, sur ce sujet, deux articles : le premier, spécifiquement consacré au cas de Praglia, mais quelque peu rapide et pas toujours bien informé, de P. Golinelli, Sui rapporti tra il monastero di San Benedetto di Polirone e l’abbazia di Praglia nel Medioevo, dans San Benedetto e otto secoli (xii-xix) di vita monastica nel Padovano, Padoue, 1980, p. 37-54 ; plus général mais plus sûr, A. Castagnetti, Le dipendenze polironiane nella Marca veronese fra xi e xii secolo, dans L’Italia nel quadro della espansione europea del monachesimo cluniacense, Atti del Convegno internazionale di storia medioevale, Pescia, 2628 novembre, 1981, « Italia Benedettina », 8, 1985, p. 111-113 sur Praglia.
419 A. Castagnetti, I conti..., p. 73.
420 S. Bortolami, Formazione..., p. 41, note 12.
421 A. Castagnetti, I conti..., p. 75.
422 Quelques donations : la famille comtale de Padoue en 1123 (C D P, 2/1, no 142), Manfredo d’Abano en 1162 (C D P, 2/2, nos 787 et 791), Albertino da Baone en 1180 (ibid., no 1386), etc.
423 S. Bortolami, Formazione, consistenza..., p. 29.
424 Ibid., p. 30.
425 C D P, 2/2, no 1386. De même, en 1162, Manfredo d’Abano y a assisté, cum suis vassalis et servis (n.b.), à la traditionnelle cérémonie du trentième jour suivant la mort de son fils Artusino et, à l’occasion, il a fait une donation au monastère, alors qu’il avait déjà offert un manse auparavant pour le repos de l’âme de son fils et de la sienne (cf. note 422). On insistera sur l’occasion que ce type de cérémonie offre d’exprimer les fidélités vassaliques et clientélaires.
426 S. Bortolami, ibid., p. 41, note 10.
427 Il est une cause de fragilité des patrimoines, et non des moindres, qu’une étude à caractère structurel ne fait pas apparaître, et qu’il faut néanmoins garder présente à l’esprit. On en trouvera un bel exemple avec un récit de Rolandino, complété par un chroniqueur, mal vu il est vrai car tardif, Pietro Gerardo (cf. infra, troisième partie, p. 737, n. 36). Vraie ou fausse, l’anecdote a, quoi qu’il en soit, valeur de rappel des distorsions que provoquent dans les schémas les plus solides les imprévisibles réalités individuelles.
Dans les années 1180 le castrum de Campretto était tenu par une jeune veuve, Maria, parente des da Camposampiero, en indivis avec ceux-ci. Or il advint qu’elle se sentit menacée par eux dans sa sécurité. Connaissant la haine qui existait entre eux et Ezzelino II da Romano, elle lui céda sa part du castrum, et bien d’autres choses, et alla demeurer avec lui à Romano. L’épisode ne fit qu’aggraver encore la haine réciproque. Gerardo et Tiso Novello da Camposampiero s’emparèrent d’ailleurs du castrum, tuant les gardes qu’Ezzelino y avait mis. Puis Ezzelino chassa la concubine en prétextant une infidélité, ce qui ne l’empêcha pas d’obtenir des juges délégués de l’empereur la proclamation de ses droits sur la moitié de Campretto, en tant que père d’une fille qu’il en avait eu, dont Rolandino nous dit qu’elle se nommait Adelasia. A la suite d’une longue série d’escarmouches entre les deux parties autour de Campretto, la commune de Padoue intervint officiellement en conciliatrice. Elle donna raison aux da Camposampiero, provoquant la rancœur d’Ezzelino. Ce drame familial avait donc eu pour conséquence, non seulement d’approfondir la haine entre les deux maisons, mais de faire d’une commune urbaine, en fin de compte, l’un des éléments du conflit.
428 A C P, Episcopi, 1, no 62.
429 Illi qui habent feudum de colmellis : le texte précise bien qu’ils iront, soit cum exercitu, soit cum domino episcopo. Et cela sous peine de perdre leur fief.
430 A C P, Episcopi, no 102 : debent facere illud servitium domini episcopi eundi Romam cum eo pro feudis suis.
431 S. Bortolami, « Colmellum, colonellum » : realtà sociali e dinamismo territoriale dietro un fossile del vocabolario medioevale del Veneto, dans Istituzioni, società e potere... p. 221-234. Encore à la mi-septembre 1986 une sentence de la cour de cassation du Commissariat régional du Veneto était prononcée sur le sort de certaines terres du Cadore (dans la province de Belluno), rappelant leur nature originelle de « colonelli », c’est-à-dire de parts inaliénables de propriété collective (ibid., p. 223).
432 C D P, 2/2, no 1382. Cf. S. Bortolami, « Colmellum »..., p. 226, note 19.
433 A V, Fondo Veneto, 1 : San Giacomo di Monselice, no 5933 a, 5934 (2 documents), 5936, 5937 ; a. 1225.
434 S. Bortolami, « Colmellum »..., p. 230.
435 S. Bortolami, « Colmellum »..., p. 226-228. Une famille du piémont vicentin, qui tenait des fiefs de l’évêque de Padoue, les da Pedaula, a été étudiée par lui dans son article, Famiglia e parentela nei secoli xii-xiii : due esempi di « memoria lunga » dal Veneto, dans « Viridarium floridum »..., p. 140-155. Là aussi le colmellus désigne une branche de la famille, à l’occasion d’un procès avec l’évêque au sujet d’un feudum hereditarium de colmello.
436 A C P, Feuda episcopi, 1, no 34.
437 Encore que... S. Bortolami a raison de remarquer que l’historiographie regroupe, un peu paresseusement, sous le mot « consorteria » (voire « clan », ou « lignage ») des réalités complexes, sans assez analyser le vocabulaire du temps (Id., « Colmellum »..., p. 231-232).
438 Outre l’article de Bortolami (qui ne s’intéresse pas aux feuda equi en tant que tels), on pourra voir une première approche du problème dans G. Rippe, Commune urbaine..., p. 694-696.
439 C D P, 2/2, no 946 : des vassalli canonicorum (debent) recipere feudum sicut homines de masnata ipsius ecclesie. et tali condicione quod ipsi (debent) facere coquinam canonicorum. De même, dès 1158, des serviteurs de l’évêque doivent, en échange de leur « fief », certaines charges domestiques : feudum quod famuli Paduane ecclesiae episcopatus... tenebant conditione. sive pro furno. sive pro parapsidibus. sive pro aliis conditionibus ab ipso episcopo. Les parapsides cités sont des plats : s’agit-il de faire la vaisselle ? (C D P, 2/2, no 706). Fiefs de plongeurs...
440 A C P, Feuda episcopi, 1, no 54 et 56. On trouve, parmi la minorité de « vassaux domestiques” » trois hommes de Piove qui détiennent un feudum talis conditionis quod debent ligare vegetes ; un groupe de frères, à Corte, doit facere muros.
441 Giovanni Buono et son frère Pietro q. Danisio, pour eux-mêmes et leur neveu Desiderio, ont un feudum de colmello... qualis est feudum patrui sui Henrici de Danisio. Or il a été dit peu avant, de celui-ci, qu’il a un feudum equi (no 54). A signaler : les mêmes Danisii tiennent aussi un feudum equi des chanoines de Padoue (ACP, Feuda canonicorum, no 31, a. 1211).
442 Ibid., Feuda episcopi, no 56 : Vainanzio da Pigna (petit notable, au demeurant pas trop mal connu ; cf. infra) debet cum illis de suo colmello servire cum equo, lorsque le prélat doit ire ad imperatorem.
443 On remarquera que, lors de la première descente de Frédéric Barberousse en Italie, en 1154, les grands vassaux avaient bel et bien accompagné l’évêque à Rome : on y retrouvait avec lui Manfredo d’Abano et Ugolino da Baone pour la noblesse châtelaine, ainsi que Lanfranchino di Giso, Nicolò di Tado et le juge Anselmo (C D P, 2/1, no 616). Comme quoi, entre cette date et 1190, le prestige de l’évêque n’était plus le même.
444 Une mention dans le nord padouan, mais négative ! Une terre, située à San Giorgio delle Pertiche, est cédée en fief sans fidélité et sine servicio equi et sine ullo servicio. Simple précaution ? (A C P, Feuda varia, no 48).
445 Ibid., Feuda episcopi, no 55, 57, 58, 59 et 60. Trois fiefs de saltaria à San Giorgio delle Pertiche : le salaire d’officiers seigneuriaux, par conséquent (no 57). Sur les fiefs des gens d’Abano (no 55) on n’a aucune précision particulière.
446 G. Rippe, Commune urbaine..., p. 692-695.
447 A C P, Feuda episcopi, 1, no 54.
448 Ibid., no 52. On a daté, au xviiie siècle, ce document des environs de 1212. Il est manifestement plus tardif car plusieurs personnes y apparaissent qui sont les fils des vassaux de 1214 : ainsi, outre Benedetto di Bastardo, les fils de Giacomino di Tresmondo et les héritiers de Frugerio di Giovanni Stralla.
449 S’il est plus que probable que l’expression feudum equi, et l’organisation des culmelli qui y correspond à Sacco, ne remontent pas plus haut que le xiie siècle (du moins dans le Padouan), et que, dans ce contexte précis, ce type de fief était considéré comme conditionnel (comme il ressort des listes dans lesquelles on le voit mentionné), cela n’implique pas que la limitation du service vassalique au voyage à Rome en compagnie du seigneur ait été, quant à elle, chose nouvelle. Il semblerait au contraire que, dans le moment de crise des fidélités nobles où l’évêque a suscité la formation de ce nouveau groupe parmi les alleutiers aisés de Sacco, on ait exhumé (consciemment ou non ?) des formes anciennes, peut-être disparues, de service délimité. S’il n’en est pas d’exemple dans le Padouan, en voici un d’une région voisine : en 1077 l’évêque de Ferrare, Rolando, avait investi un fidelis, Bucco, d’un petit fief (le terraticum des novalia provenant de 4 manses), avec pour service l’obligation de l’accompagner à Pavie ou à Rome (A. Castagnetti, Aspetti feudali e conservativi..., p. 63). On peut même remonter bien plus haut dans le temps, lorsque se développaient les liens de clientèle, sous les derniers rois lombards : des possessores de la région de Lucques, en 770, doivent une caballicatura aux prêtres de San Martino in Colline, auxquels ils ont donné leurs biens contre garantie de les conserver en usufruit héréditaire (S. Gasparri, Strutture militari e legami di dipendenza in Italia in età longobarda e carolingia, dans « Rivista storica italiana », 98, 1986, p. 686-687). Mais il est exclu de voir là autre chose qu’une analogie et d’en déduire je ne sais quelle continuité. De surcroît la signification de caballicatura demeure problématique, comme le remarque S. Gasparri : escorte ou expédition armée ?
450 A C P, Feuda varia, no 77 : Oliverius faber ; un notaire du nom de Daniele ; Paganino, sartor.
451 Pigna est le nom d’un nouveau quartier de Campolongo maggiore, qui apparaît peuplé au début du xiiie siècle (cf. par exemple A S P, Corona, no 3011 a et b, a. 1205 : mentions d’habitants du lieu, et de la via que dicitur de Pigna).
452 Cf. supra, p. 198.
453 Giovanni Pigna, archiprêtre du chapitre de Piove : A S P, Dipl., no 939 (a. 1214), 957 (a. 1215), 972 (a. 1217), 1036 et 1037 (a. 1218), etc.
454 Manfredino Pigna est, en 1227, extimator de la commune de Padoue (A S P, Corp. Soppr., Santa Maria della Riviera, t. 1, no 17 a) ; Pietro Pigna est locataire de biens de la dite commune à Polverara (du moins le trouve-on régulièrement parmi des confronts de terres communales : ibid., nos20 a et c, 22, 25, 24 ; (a. 1229-1230).
455 En 1207 Giovanni di Enrico di Danisio rappelle qu’il a été témoin de l’octroi, par l’évêque, d’un nouveau privilegium aux Farisei, probablement celui de 1186, que j’ai signalé plus haut (A C P, Episcopi, 1, no 88, partiellement édité dans E. Zorzi, Il territorio..., doc. 5, p. 286-287 ; sur le document de 1186, cf. note 436 et texte correspondant). En 1199 Giovanni Pigna est témoin, à Piove, d’une vente par un Farisei (F. Gaeta éd., San Lorenzo, Venise, 1959, no 60).
456 Di Danisio : A S V, San Zaccaria, B. 17, 7 mars 1221 ; da Pigna : A S P, Corona, no 3015. J’avais cru pouvoir écrire dans un ancien article (Commune urbaine..., p. 696) qu’aucun des vassaux munis de feuda equi n’avait le titre de do-minus : ici aussi une connaissance plus complète des archives m’oblige à corriger mon erreur.
457 C’est ce que montre, à sa manière – négativement –, le document de San Giorgio delle Pertiche cité plus haut (note 444) ; on voit ici une terre cédée en fief sans fidélité ni servicium equi : quelle que soit ici la nature, sans doute toute formelle, de la précision, il en résulte qu’une telle aliénation était concevable.
458 F. Menant, Les écuyers (« scutiferi ») vassaux paysans d’Italie du nord au xiie siècle, dans Structures féodales et féodalisme dans l’Occident méditerranéen (xe-xiiie s.), Rome, 1980, p. 285-297 ; réédité, en italien, dans F. Menant, Lombardia feudale. Studi sull’aristocrazia padana nei secoli x-xiii, Milan, 1992, p. 277-293.
459 A C P, Feuda canonicorum, no 39 : ils devront servire cum ipso runcino bene infrenato et insellato et ferrato in omnibus que necesse fuerint predicte canonice.
460 A C P, Feuda episcopi, t. 1, no 54.
461 L’auteur a reproduit, parmi les documents figurant en appendice à son ouvrage, le serment prononcé en 1218 par les consortes castri de Conegliano à la commune du lieu ; il s’agit en fait de l’acte d’union du castrum et des burgi de Conegliano. C’était une erreur de faire des consortes castri un simple groupe familial et non pas une communauté d’habitants. Des expressions rencontrées au fil du texte, comme homines et consortes habitantes in castro et burgis Coneglani, ou encore salvabo castrum et burgos Coneglani, ne laissent guère de doutes (F. Niccolai, I consorzi nobiliari..., doc. 10, p. 132-135 ; il ne s’agit d’aillleurs là que d’une reproduction de l’édition de Verci dans sa Storia della Marca trevigiana, t. 1, doc. 46). Sur ces consortes de Conegliano on verra désormais S. Collodo, I « vicini » e i comuni di contado, dans Storia di Treviso, t. 2, Il Medioevo, p. 279-281 et 290-291.
462 Des exemples éclairants dans F. Niccolai : ainsi ceux des piémontais San Nazario, domus réunissant une cinquantaine de chefs de famille, dirigée par huit « anziani », avec une justice interne prévoyant les cas de crimes, punis de mort, etc. (ibid., p. 24-26, et doc. 9, p. 126-132), ou encore des toscans da Ripafratta, parenté gérée par des consules et rectores (p. 28-29, et doc. 14, p. 143-147).
463 F. Niccolai, ibid., p. 45. Cela dit, de tels exemples ne se retrouvent pas forcément hors du Piémont et de la Toscane. En Ligurie J. Heers remarque que « les clans très puissants sont tous nés de l’alliance de plusieurs familles » (J. Heers, Le clan familial au Moyen Âge, Paris, 1974, p. 93). Il faut, au demeurant, regarder d’un œil critique certaines conclusions générales de cet ouvrage, qui n’utilise pas Niccolai, bien qu’il le cite dans une bibliographie générale.
464 La liste des épouses successives d’Ezzelino III se trouve dans Verci, Storia degli Ecelini, t. 1, p. 149.
465 Ibid., p. 116.
466 Les femmes peuvent aussi mourir en couches : la résultante de la conjonction des périls naturels et politiques est claire : chez les da Romano, Ezzelino II s’est marié quatre fois, Ezzelino III également, et son frère Alberico deux fois (G. Cracco, Famiglie e comuni nella Marca dei da Romano, dans Istituzioni, società..., p. 144).
467 L’histoire emplit les trois premières pages de la Chronique de Rolandino. On en trouve un bon résumé dans Verci, Storia degli Ecelini, p. 83-86.
468 Curieusement, toute une légende a fleuri au xixe siècle, dans l’atmosphère du Risorgimento, sur Speronella, devenue symbole de la liberté retrouvée avec l’expulsion du vicaire impérial, présenté comme le ravisseur de la « vierge » Speronella (« gloria della femminile virtù, vittima della brutale lascivia di feroce amante »), dont l’enlèvement aurait provoqué la révolte des Padouans ! Cet avatar de l’histoire du fils de Tarquin et de Lucrèce a été démystifié par le travail d’A. Gloria, Speronella e la riscossa dei Padovani. Cenni storici, Padoue, 1880. Un rappel de la légende dans le spirituel petit article de S. Bortolami, Speronella torna a scuola, dans Un libro per la Bassa, Padoue, 1980, p. 11-17.
On retrouve ailleurs ce genre de mythe civique, ainsi à Bergame, Brescia, Ivrée, comme l’a montré F. Menant (Id., Come si forma una leggenda familiare : l’esempio dei Bonghi, dans Id., Lombardia feudale..., p. 226-228 sur la diffusion de cette mythologie).
469 C’est à la suite de cette déconvenue qu’Ezzelino II épouse Cecilia. La liste des conjoints successifs de Speronella se trouve dans un document publié par Verci (Codice ezzeliniano, no 86, a. 1216).
470 Vers 1165 elle enlève aux hommes de Campopremarino le quart des revenus du ban dont la coutume les laissait jusque là disposer (A C P, Episcopi, 1, no 58, publié dans E. Zorzi, Il territorio..., doc. 2, p. 260). Sur les cruautés de la justice de Speronella, cf. supra, p. 146.
471 Les mariages des hommes de la plus grande famille du Padouan sont parfois, du fait même de cette grandeur, sans doute, atypiques. On cherche au loin ce qui valorise la maison : Azzo VI épouse une fille du prince d’Antioche Rinaldo, après son veuvage d’une fille du comte de Savoie. Signalons que la fille d’Aldovrandino, Béatrice, épousera le roi André de Hongrie. Quand des marquis se marient dans leur région, leurs femmes sont de moindre rang : Villa, celle de Manfredo († 1164), est une da Urbana, c’est-à-dire de la famille de ses plus importants vassaux du Padouan ; celle d’Azzo V († 1193) est une Adelardi, d’une famille patricienne de Ferrare, cliente des marquis (L. A. Muratori, Delle Antichità Estensi..., t. 1, p. 335, 355, 378, 404-405, 419-420).
472 Un des rares cas repérés : en 1218 Enrigino dei Tadi se marie avec une vénitienne non autrement connue, Alessandrina di Gabriele (A S P, Dipl., no 1000).
473 Cf. supra, note 414.
474 Rappelons que la définition de la notion d’endogamie est extrêmement extensible. Elle désigne tous mariages effectués « à l’intérieur d’un groupe défini objectivement ». En ce sens, les habitants des Etats-Unis pratiquent une exogamie familiale, mais – en général – une endogamie de race ! (C. Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté2, Paris, 1967, p. 53). L’expression « endogamie de lignage » délimite donc le groupe concerné : les descendants d’un ancêtre commun dans le cas qui m’occupe.
Encore qu’il faille s’entendre sur la notion de lignage, elle-même assez souple. Un petit ouvrage de Marc Augé, Les domaines de la parenté (Maspero, 1975), m’a servi de manuel de référence. Le lignage y est défini comme un « groupe de filiation unilinéaire dont tous les membres se considèrent comme descendants » (en ligne agnatique dans les familles italiennes qui m’occupent), et est donc d’une extension très variable (p. 22). Aussi, « le nombre de descendants croissant continuellement, il arrive un moment où le lignage doit se scinder ». Du fait d’un processus de « segmentation », la référence se fait désormais à un ascendant plus proche (p. 23). Ainsi, d’un lignage originel unique, au dire de da Nono, trois sont issus : les da Romano, les da Camposampiero et les da Camino, installés dans le Trévisan (R. Ciola éd., Il « De Generatione »..., p. 17-18). De même, de celui des Lemizzi, notables padouans du xiie siècle, sont issus, par segmentation, plusieurs lignages : les Linguadivacca, les Mondi, Dente, Vitaliani et Ariberti (S. Bortolami, Famiglie..., p. 139, et arbre généalogique de la page 156). Dès lors les termes synonymes de « branches » ou de « lignées » désigneront les divisions d’un lignage en expansion, où l’on peut distinguer les descendances d’aînés et de cadets sans que la référence à l’ancêtre commun ait été abandonnée, et donc où la segmentation ne s’est pas encore faite (M. Augé, ibid., p. 25).
475 Il est vrai que la mémoire peut remonter loin, comme le montre un exemple florentin que détaille C. Klapisch-Zuber (La maison et le nom. Stratégies et rituels dans l’Italie de la Renaissance, Paris, 1990, p. 48-50). Encore vers 1400, Lapo dei Niccolini se reconnaît parent de gens qu’il appelle ses « consorti », les Sirigatti, tronc duquel s’est détaché un Niccolino mort en 1312 ; et Lapo connaît le nom du bisaïeul de celui-ci, et remonte donc jusque vers 1230. Un problème pas vraiment résolu (S. Bortolami n’en parle pas à propos des Lemizzi, dans l’ouvrage cité en note précédente) : voit-on demeurer une solidarité entre ces lignages de même origine ? Dans l’exemple florentin, plus tardif et mieux connu, la réponse est en gros négative, sauf cas d’espèce.
476 T. Pesenti-Marangon, Università, giudici..., p. 2-3, et tableau généalogique p. 63.
477 A C P, Diversa, no 48, vers 1235 : Gardionisia est veuve. A. Castagnetti, I conti..., p. 189 : arbre généalogique (autour de 1150).
478 Sur cet ensemble de mariages, cf. E. Zorzi, Il territorio..., p. 112.
479 Rolandino, Cronica..., p. 90 ; Liber regiminum..., p. 323.
480 Rolandino, Cronica..., p. 72.
481 S. Bortolami, Fra « alte Domus »..., p. 39 et note 155.
482 A S V, San Giorgio maggiore, B. 82, Proc. 322, 20 janvier 1227. Dominus Biaggio dei Borselli, juge : C D Brunacci, t. 3, p. 1739, a. 1225 ; Enrigetto di Azzo di Borsello créancier de l’évêque : A C P, Feuda episcopi, no 84, a. 1219 ; Nicolò di Matteo di Flaviano, juge : B. Lanfranchi-Strina éd., Ss. Trinità..., t. 3, no 628, a. 1220 ; Pietro di Flaviano créancier d’un forgeron : A C P, Diversa, no 23, 1202 ; Marsilio di Flaviano, créancier : ibid., no 55, a. 1211 ; Iacopo di Marsilio di Flaviano créancier de l’évêque : Dondi, Dissert. 7, no 69-70, a. 1230 ; etc.
483 Dans son testament le juge Betlemme, fils de feu Manzio, désigne un Pietro di Manfredo, qui est manifestement un parent de sa mère, comme exécuteur testamentaire (A S P, Dipl., no 1377). Sur la famille cf. P. Marangon, Scuole e università..., p. 131.
484 Un juge Manfredo dès 1146 (C D P, 2/1, no 476), qui est consul en 1166 (ibid., 2/2, no 892) ; un juge Manzio en 1189 (A S P, Dipl., no 416). En 1180 le juge Manfredo est témoin du testament d’Albertino da Baone puis, en 1182, de l’inventaire de l’héritage fait à la demande de sa veuve (C D P, 2/2, no 1386 et 1438). En 1200 le juge Manzio est témoin d’un arbitrage entre Palma da Baone et l’un de ses vassaux (A C P, Feuda varia, no 29) ; mieux encore, c’est lui qui, en 1205, en tant que juge du podestat, émet une sentence favorable à Palma lors de son différent avec les villageois de Corte (ibid., Diversa, no 28) : les liens de clientèle vont ici jusqu’à l’indécence.
485 En 1224 le juge Eleazario (des Lazerini) apparaît en tant que nepos du défunt juge Rogato : A S V, San Giorgio maggiore, B. 104, Proc. 390 d, 23 octobre.
486 A S P, Corona, no 3135 ; ibid., Dipl., no 902 : la famille da Curlo cède au monastère de San Pietro, en prêt dissimulé dirait-on, un ensemble de terres situées à Galzignano et dans sa curia, cum districta... et honore, et cum comitatu, si quid in eis habent.
487 G. Carraro éd., Il « Liber » di S. Agata di Padova, Padoue, 1997, p. 115 : la remarque sur le mariage est de la main d’un notaire de 1304, en marge d’un acte de 1225 recopié par lui. En 1235 Egidiolo dei Bellegrassi est juge du podestat milanais Ottone di Mandello, et donc membre d’un groupe dirigeant résolument an-ti-ezzélinien (P. Sambin éd., Documenti inediti dei monasteri benedettini padovani (1183-1237), 1 : San Michele di Candiana, Padoue, 1961, no 53) ; en 1249 la famille sera décimée (Rolandino, Cronica..., p. 92).
488 Osana, fille de feu Enrigetto di Pietro Toco, a épousé Baialardo di Egidio di Sofia (A S P, Corona, no 3133). Les Toco apparaissent comme créanciers dès 1197, à Padoue, où il s’agit encore d’un petit débiteur (R. Morozzo della Rocca et A. Lombardo éd., Documenti..., t. 1, no 431) ; en 1227 ils ont rejoint le groupe des juges (A S P, Dipl., no 1314 : sentence rendue par Pietro di Zaccaria, lequel est identifiable à Pietro Toco, comme le montre un document de 1225 où il apparaît avec un Americo di Zaccaria, qui se trouve être son frère – A S P, Corona, no 39/ 41).
489 Sur cette terminologie, cf. supra la note 474.
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