Chapitre 6. L’accès à l’honneur : causes et conditions
p. 299-354
Texte intégral
Introduction
1L’honos étant une rétribution, il ne peut que répondre à un travail, un service, une qualité. Il faut, pour recevoir l’honos, faire preuve de certains mérites. Ce sont ces différentes causes d’accès à l’honos dont il faut à présent éclairer la nature, pour l’honos comme « considération » et comme « hommage »1. Pareille enquête nous conduira à poser différentes questions. La première d’entre elles porte sur la nature de ces mérites : l’honneur se gagne-t-il par des exploits guerriers, des vertus morales ou un statut social privilégié ? Nous dresserons une typologie commentée de ces différentes sources. La détermination précise des motifs de l’honos permet d’appréhender les valeurs de la société romaine à l’époque qui nous intéresse : voir ce qui fait régulièrement l’objet de marques d’honneur, c’est percevoir ce qui est sanctionné positivement à Rome et donc comprendre quelles sont les conduites les plus valorisées. S’interroger sur les sources de l’honos nous impose en second lieu d’étudier son accessibilité. Les textes nous renseignent en effet sur les conduites d’excellence qui donnent lieu à l’honos mais insistent également sur la manière dont l’aristocratie romaine tend à monopoliser le prestige ou les marques d’honneur. L’accès à l’honos peut donc être conditionné par des facteurs sociaux ou politiques qu’il faut expliciter. Cela nous conduira à nous intéresser à deux autres notions romaines essentielles, celles de dignitas et de uirtus : il nous faudra mettre en évidence leur complexité propre, leur rapport à l’honos et la manière dont elles ont fait l’objet de définitions contradictoires et partisanes.
1. Le mérite au fondement de l’honos : dignitas et aequum
2Nous avons vu que la uoluntas joue un rôle dans l’émergence de l’hommage, mais elle est elle-même mise en branle par l’identification d’un mérite particulier chez autrui. C’est perceptible dans ces vers du Truculentus :
Dic ob haec dona quae me miserit,
Me illum amare plurimum omnium hominum merito.
Meque honorem illi habere omnium maxumum.
« Dis-lui que pour ces cadeaux qu’il m’a envoyés,
Je l’aime, à juste titre, plus que tous les hommes du monde
Et que je lui rends le plus grand des honneurs. »
(Pl. Truc. 589-591).
3La courtisane Phronésie demande à Cyame, l’esclave du jeune Diniarque, de remercier son maître pour ses cadeaux ; l’honos qui revient à Diniarque n’existe que parce qu’il a octroyé ces cadeaux (ob haec dona).
4Comment ce mérite à la source de l’honos est-il pensé par les Romains eux-mêmes ? Un texte éloquent sur ce sujet est le climax d’un discours de Scipion Émilien que nous citions précédemment2. La valeur personnelle y est en effet présentée comme la condition absolument nécessaire de l’hommage :
Ex innocentia nascitur dignitas, ex dignitate honor, ex honore imperium, ex imperio libertas.
« De l’intégrité naît le mérite, du mérite l’honneur, de l’honneur le pouvoir, du pouvoir la liberté. »
(Scip. Aem. frg. inc. 32 ORF).
5Le texte est particulièrement intéressant parce qu’il présente un degré d’abstraction qui permet de conceptualiser ce que nous avons qualifié jusqu’alors de « mérites ». L’honneur, dit Émilien, procède de la dignitas. Le mot revêt ici le sens de « mérite », « caractère approprié » d’une personne. Dans notre texte, la dignitas procède d’une qualité, l’innocentia (l’intégrité), et conduit à l’honos. Ce lien entre dignitas et honos est confirmé par la définition que donne Cicéron de la dignitas dans le De inuentione :
dignitas est alicuius honesta et cultu et honore et uerecundia digna auctoritas.
« La dignité est une autorité honnête, digne de respect, d’honneur et de déférence. »
(Cic. Inu. II, 166 ; trad. Achard modifiée).
6La dignitas est définie comme une autorité honorable, qui impose à l’entourage respect et égards. C’est un statut supérieur où l’on est, étymologiquement, « digne » de marques d’honneurs. La dignitas est donc ce qui appelle l’honos de façon légitime. À l’inverse, l’octroi d’honneurs à une personne qui n’a aucune dignitas suscite l’indignation. Il est intolérable à Cicéron que Verrès ait fait nommer Cléomène à la tête de la flotte de Sicile :
O di immortales! quid? si harum ipsarum ciuitatum militibus, nauibus, nauarchis Syracusanus Cleomenes iussus est imperare, non omnis honos ab isto dignitatis, aequitatis, officique sublatus est?
« Ô dieux immortels ! quoi ? si le Syracusain Cléomène a reçu l’ordre de commander aux soldats, aux navires et aux officiers de marine de ces cités, tout honneur n’a-t-il pas été enlevé par Verrès au mérite, à l’équité et aux bons offices ? »
(Cic. Verr. II, V, 84).
7Il est scandaleux aux yeux de Cicéron qu’un simple particulier, sans aucune compétence particulière, reçoive l’honos d’un commandement militaire aussi important. Cléomène est dépourvu de toute dignitas et il a malgré cela reçu une marque d’honneur ; Verrès, l’auteur de cet hommage, est à blâmer pour avoir bouleversé le fonctionnement normal de l’honos.
8La nécessité de fonder l’honos sur la dignitas repose sur l’attention que portent les Romains à une valeur centrale de leur culture, l’équité. On la rencontre dans le Pro Rhodiensibus de Caton3, prononcé en 167 :
Sed si honorem non aequum est haberi ob eam rem, quod bene facere uoluisse quis dicit, neque fecit tamen, Rodiensibus oberit, quod non male fecerunt sed quia uoluisse dicuntur facere?
« Mais s’il n’est pas équitable de recevoir une marque d’honneur quand on a dit qu’on a désiré bien faire et qu’on ne l’a pas fait, les Rhodiens subiront-ils un préjudice de ne pas avoir mal fait, mais de passer pour avoir désiré le faire ? »
(Cat. frg. XLII, 168 ORF).
9La bienveillante neutralité que les Rhodiens ont témoignée au roi Persée pendant la troisième guerre menée par Rome contre la Macédoine leur vaut d’être mis en accusation par les vainqueurs. Un débat s’engage au sénat pour savoir s’il faut punir les Rhodiens (c’est l’avis du préteur Manlius Iuventius Thalna) ou leur pardonner (c’est l’avis de Caton, qui prévaudra). Caton invoque l’indispensable mérite qui doit présider à l’honos et s’en sert comme point de comparaison pour la conduite à tenir envers les Rhodiens. Selon lui, ce n’est pas la volonté d’agir qu’il faut juger, mais l’action elle-même : de même que l’on n’honore pas celui qui déclare vouloir faire le bien mais ne le fait pas, de même il ne faut pas châtier celui qui passe pour vouloir faire le mal mais ne passe pas à l’acte. Le passage est surtout intéressant pour la norme au nom de laquelle il convient, selon Caton, de donner l’honos au mérite, l’aequum. Cette notion juridique est complexe car elle a fait l’objet d’une attention grandissante à partir du IIe siècle et a été enrichie au Ier siècle par Cicéron sous l’influence de la pensée grecque4. L’aequum peut désigner l’égalité pure et simple, comme lorsqu’il est question du ius aequum5, mais le terme renvoie plus fréquemment à l’équité, notamment dans l’expression figée aequum et bonum6. C’est aussi le cas dans le passage de Caton qui nous intéresse. En quoi consiste cet aequum ? À la fin du IIIe siècle et au début du IIe, il est mis en relation avec le ius auquel il est associé mais aussi parfois opposé7. On voit en effet apparaître l’idée que le respect de la loi n’est pas toujours conforme à la justice8. L’aequum sert à corriger la loi pour se rapprocher de l’idéal de justice : il va au-delà de la stricte égalité pour tenir compte des circonstances. La loi recouvre le cas général, l’aequum s’adresse aux situations particulières9. Cet aspect était déjà celui de l’équité chez Aristote : dans l’Éthique à Nicomaque, l’équité est une modification avantageuse de l’égalité parfaite, un correctif apporté au juste selon la loi pour améliorer la justice10. Cicéron a développé cet aspect de l’aequum en même temps qu’il a enrichi la notion en lui donnant le même fondement que le droit naturel et en l’associant en profondeur à la justice11. Dans le texte de Caton, donner l’honos au mérite consiste donc à respecter l’équité car c’est prendre en compte les circonstances particulières et la nature de la personne qu’on honore. Cela revient à donner à chacun ce qui lui est dû. Prendre en compte la dignitas, le mérite, est d’ailleurs un des aspects de l’aequum dans la définition qu’en donne le juriste Ulpien12. On retrouve une semblable exigence d’équité pour l’octroi de l’honos dans le De republica. Scipion rapporte le discours des défenseurs de l’aristocratie qui critiquent l’égalité régnant dans une démocratie :
Cum enim par habetur honos summis et infimis, qui sint in omni populo necesse est, ipsa aequitas iniquissima est ; quod in iis ciuitatibus quae ab optimis reguntur accidere non potest.
« Car quand on donne un honneur semblable à ceux qui sont de la plus haute valeur comme à ceux qui sont de la plus basse, gens qui existent toujours nécessairement dans toutes les cités, cette égalité même est extrêmement inique ; mais cela ne peut arriver dans les cités gouvernées par les meilleurs. »
(Cic. Rep. I, 53).
10Les enjeux de ce texte de philosophie politique sont différents de ceux du Pro Rhodiensibus mais on y retrouve le souci de l’aequitas. Ici encore, l’honos, pour respecter l’aequum et être juste, doit se fonder sur le mérite. La réflexion prend cependant une tournure nettement plus politique : selon Scipion, donner l’honos d’une charge à tout un chacun, de façon indifférenciée, c’est-à-dire sans prise en compte de la dignitas, constitue une violation de l’équité. L’égalité qui règne dans les démocraties, quand les charges sont obtenues par tirage au sort, comme à Athènes, est à rejeter car elle conduit à des catastrophes et ne récompense pas la valeur : elle n’a d’aequitas que le nom. Dans la conception aristocratique, cette égalité est en réalité inique car elle spolie ceux qui ont davantage de mérite, les summi évoqués dans le texte, en les plaçant sur le même plan que les infimi. Ce mode de pensée, qui est celui de Scipion13, est répandu à Rome, comme le montre l’importance attachée à la dignitas dans les textes. Il est admis par une large frange de la population que tous les citoyens ne sont pas égaux en mérite, mais que certains ont plus de dignitas que d’autres et doivent de ce fait obtenir plus d’honores. L’ancrage de l’honos sur la dignitas relève donc, d’une certaine façon, d’une représentation aristocratique de l’honneur, soucieuse d’aequum. Ce mode de pensée repose sur la logique de l’égalité géométrique que l’on observe dans d’autres mécanismes civiques et politiques tels que le census14. À la différence de l’égalité arithmétique qui donne à chacun de manière strictement équivalente, l’égalité géométrique consiste à procurer à chacun ce qui lui revient selon ses qualités : il doit y avoir proportionnalité entre ce que l’on obtient et ce que l’on mérite ainsi qu’entre les avantages que l’on gagne et les contraintes que l’on subit. Cette égalité géométrique est supérieurement juste parce qu’elle n’implique pas un traitement identique pour tous. C’est elle qui est au cœur de l’aequum et structure le fonctionnement de l’honos.
2. Typologie des motifs de l’honos
11Notre étude sémantique a mis en avant l’importance du mérite dans les différents sens d’honos mais aussi la variété de ce mérite. C’est cette variété que nous voudrions maintenant appréhender. Une première distinction, fondamentale, peut être faite entre l’honos appelé par le comportement de celui qui le reçoit et l’honos motivé par son statut. La marque d’honneur ou le prestige d’un individu reposent soit sur une conduite manifestant certaines qualités, soit sur une position sociale occupée par la personne. Pour reprendre le paradigme du capital emprunté à Bourdieu, il nous faut identifier à partir de quel capital se forme le capital symbolique qu’est l’honos. Le prestige n’est en effet rien d’autre qu’une qualité ou propriété publiquement reconnue par les agents sociaux15.
2.1. Comportements et qualités
12Il apparaît qu’à Rome le capital symbolique qu’est l’honos naît de la reconnaissance par la collectivité d’un type de capital qui n’est pas envisagé par Bourdieu dans ses études sur le prestige. L’honneur ne naît pas de la richesse ou de la clientèle, capitaux de type économique et social, mais de la détention de qualités morales valorisées par la tradition. Le capital symbolique provient ainsi de ce que l’on pourrait nommer un « capital moral ».
2.1.1. Mérites militaires
13La guerre est, pour les Romains de la République, une réalité quotidienne : Rome a en effet été engagée dans des conflits de manière presque ininterrompue pendant les premiers siècles de son histoire. Elle n’apparaît cependant pas tant comme une source de contraintes ou de dangers que comme une occasion offerte au citoyen de prouver sa valeur et de gagner du prestige16. C’est en effet au milieu des combats que l’on peut gagner l’honos, comme en témoignent ces vers du Curculio :
Sibi sua habeant regna reges, sibi diuitias diuites,
Sibi honores, sibi uirtutes, sibi pugnas, sibi proelia;
Dum mi abstineant inuidere, sibi quisque habeant quod suum est.
« Qu’ils gardent leurs royaumes, les rois, qu’ils gardent leurs richesses, les riches,
Qu’ils gardent leurs honneurs, leurs exploits, leurs combats, leurs batailles !
Pourvu qu’ils s’abstiennent de me jalouser, qu’ils gardent tous ce qui leur appartient. »
(Pl. Curc. 178-180).
14Phédrome, qui vient de retrouver son amante Planésie, est transporté de joie, et son amour pour la jeune fille le conduit à rejeter tout ce qui est valorisé dans la tradition romaine. Il repousse ainsi, entre autres, les honores ; ces derniers sont associés d’une part aux regna et diuitias, qui sont d’autres biens prestigieux mis sur le même plan que les honores ; d’autre part aux uirtutes, pugnas, proelia, qui, invoqués dans le même vers que les honores, en apparaissent comme des sources possibles. Les honores trouvent donc ici leur origine dans les combats qui permettent d’accomplir des uirtutes, des « actes de bravoure »17. C’est par la conduite de grandes opérations militaires que de nombreux personnages publics romains ont acquis de l’honneur. C’est le cas par exemple de Muréna, comme l’indique le passage où Cicéron se représente son client partir pour l’exil s’il venait à être condamné :
Ibit igitur in exilium miser? Quo? Ad Orientisne partis in quibus annos multos legatus fuit, exercitus duxit, res maximas gessit? At habet magnum dolorem, unde cum honore decesseris, eodem cum ignominia reuerti.
« Il ira donc en exil, le malheureux ? Mais où ? Dans ces contrées de l’Orient où il fut légat pendant plusieurs années, où il a mené des armées, où il a accompli de grandes choses ? Mais c’est une grande douleur de revenir couvert d’opprobre à l’endroit d’où l’on est parti couvert d’honneur. »
(Cic. Mur. 89).
15Muréna s’est acquis de l’honos en prenant part à la campagne d’Asie aux côtés de Lucullus. C’est pour avoir exercé les fonctions de légat et avoir conduit des armées qu’il s’est couvert de gloire. Son départ en exil pour l’Orient, couvert d’ignominia, contrasterait donc de façon pathétique avec son retour à Rome plein d’honos. L’obtention de l’honos en contexte militaire est conditionnée par l’accomplissement de grandes actions : la simple participation aux combats ne suffit pas. Nous avons vu avec l’étude des décorations militaires qu’un soldat doit avoir réalisé un exploit précis pour les obtenir, comme avoir fait lever un siège ou avoir été le premier à entrer dans une ville ennemie18. Pour le général, c’est le fait d’avoir remporté une victoire décisive sur l’ennemi qui est source d’honneur. Ce sont les succès militaires répétés de César en Gaule qui lui valent de nombreuses supplications accomplies en son nom19 ; les vainqueurs de la guerre de Modène méritent quant à eux de grands honores pour avoir largement vaincu les troupes d’Antoine20. La participation à la guerre constitue donc encore au Ier siècle un moyen de prestige auquel les Romains sont sensibles, sans quoi Cicéron ne l’utiliserait pas comme argument pour convaincre ses auditeurs. Aux siècles précédents, la réussite militaire constitue pour les aristocrates un ingrédient essentiel de l’honos, qui leur permet ensuite de s’affirmer dans d’autres domaines de la vie civique21. L’excellence militaire est un élément identitaire central pour l’aristocratie des IIIe et IIe siècles et l’honos est, de ce fait, teinté d’une forte coloration martiale22 : le succès au combat a constitué une source privilégiée de l’honos pendant toute l’histoire de la République.
16La victoire du général et les exploits du soldat sont des sources d’honos car leur obtention est le signe d’une qualité particulière. Il faut en effet différencier, pour comprendre sur quelles bases repose l’honos, l’acte et la qualité manifestée par cet acte. Ce qui appelle l’honos, c’est, au moins autant que l’exploit militaire, ce qui a permis l’exploit, c’est-à-dire, pour les Romains, la uirtus, la vaillance. César le dit explicitement à propos des Allobroges intégrés dans son armée pendant la guerre civile :
Hi propter uirtutem non solum apud Caesarem in honore erant, sed etiam apud exercitum cari habebantur.
« Ces hommes, en raison de leur vaillance, étaient non seulement honorés par César mais aussi appréciés par l’armée. »
(Caes. BC III, 59, 2-3 ; trad. Fabre modifiée).
17L’honos dont jouissent les Gaulois se fonde sur leur uirtus, qui renvoie à une qualité particulièrement appréciée au sein d’un corps militaire23 ; c’est aussi en raison de la uirtus montrée par les soldats qui ont combattu Antoine lors de la guerre de Modène que Cicéron veut leur faire élever un tombeau aux frais publics24. La notion de uirtus est complexe25. Son sémantisme est riche dès les textes les plus anciens et le devient encore plus aux deux derniers siècles de la République. Dans les deux textes précédents, le terme renvoie à la vaillance du soldat au combat. Il est alors sémantiquement proche de uir, mot dont il dérive par un suffixe *-tūt-26. La uirtus est, fondamentalement, la qualité du uir, de l’homme, et entretient donc un rapport de sens avec la virilité. Cet aspect de la notion, qui l’oriente vers l’expression de la bravoure et du courage physique, est ancien et fondamental27. Dans l’œuvre philosophique cicéronienne, la notion a pris un sens éthique nouveau, sous l’influence de l’ἀρετή grecque, mais ce sens inédit n’est pas en contradiction avec la nature première de la uirtus28. Il existe donc entre uirtus et honos un lien étroit de cause à effet, la bravoure étant la source privilégiée, si ce n’est exclusive, de l’honos dans un contexte militaire29. Ce lien est confirmé par le fait que, dans le culte religieux, le dieu Honos est très régulièrement associé à la divinité Virtus, le premier incarnant le juste hommage rendu à la seconde30.
2.1.2. Mérites moraux
18Il est aussi possible pour un Romain d’obtenir des marques d’honneur par ses qualités morales. Trois vertus apparaissent de manière récurrente comme des sources d’honneur, le pudor, la fides et la uirtus. Dans l’Asinaria, le vieux Déménète se réjouit que son fils lui ait confié ses soucis amoureux :
Praesertim quom is me dignum quoi concrederet
Habuit, me habere honorem eius ingenio decet.
Quom me adiit, ut pudentem gnatum aequomst patrem,
Cupio esse amicae quod det argentum suae.
« Surtout, comme il m’a jugé digne de lui servir de confident,
Il convient que je rende hommage à son bon caractère.
Puisqu’il est venu me voir, comme il est juste qu’un fils respectueux le fasse avec son père,
Je désire qu’il ait de l’argent à donner à sa maîtresse. »
(Pl. As. 79-83).
19Déménète souhaite conférer à son fils un honos parce qu’il s’est comporté en fils respectueux (pudentem) : il a fait preuve de pudor, c’est-à-dire de retenue décente, et plus précisément de « respect » envers son père, il n’a pas essayé de le tromper et est venu spontanément vers lui pour se confier31. Le pudor implique, de façon plus générale, une réaction de la conscience morale et, par conséquent, une attitude retenue32 : le fils pudens s’abstient de commettre des actes vils et ne fait pas preuve d’audace ni d’effronterie. C’est en partie l’inexistence de tout pudor chez les acteurs qui explique qu’ils aient été dans l’impossibilité de prétendre à l’honos :
Cum artem ludicram scaenamque totam in probro ducerent, genus id hominum non modo honore ciuium reliquorum carere, sed etiam tribu moueri notatione censoria uoluerunt.
« Comme ils jugeaient déshonorant tout ce qui touche à l’art théâtral et à la scène, ils résolurent non seulement de priver ceux qui s’y adonnaient de toute distinction que pouvaient obtenir les autres citoyens, mais encore de les exclure de leur tribu, en vertu de la note censoriale. »
(Cic. Rep. IV, 13, frg. 1 ; trad. Bréguet).
20Ce propos de Scipion éclaire l’infamie attachée au métier d’acteur. Leur profession était entourée de mépris et des dispositions juridiques les privaient, par conséquent, de certains droits33. Comme les gladiateurs, les lanistes, les prostituées, les proxénètes ainsi que les criminels condamnés selon certaines procédures, les acteurs étaient marqués d’infamia : ils étaient exclus, pour des raisons morales, de l’exercice de certaines fonctions publiques34 et ne pouvaient pas accéder aux magistratures ou au sénat, ni à Rome ni dans les municipes35.
21Ils n’étaient pas protégés des châtiments corporels et de la coercition des magistrats comme les autres citoyens36. Toutes ces limitations, et notamment l’impossibilité de prétendre à l’honos, s’imposent pour des raisons morales : les acteurs sont en effet souillés du probrum attaché à l’art scénique. Paraître sur scène en public constitue une conduite indigne d’un citoyen : l’acteur abandonne en effet toute retenue et gesticule de manière indécente, en s’exhibant devant un large public. En outre, comme le gladiateur et la prostituée, il vend son corps pour le plaisir des autres37. Il lui manque la décence et la réserve qui font le pudor et il ne peut de ce fait prétendre à l’honos.
22Une deuxième qualité morale fréquemment invoquée comme source d’honos est la fides. Au moment de la révolte des Sénons contre Rome, seuls les Héduens et les Rèmes ne changent pas d’attitude vis-à-vis de l’Vrbs, comme l’explique César :
Tantum apud homines barbaros ualuit esse aliquos repertos principes inferendi belli tantamque omnibus uoluntatum commutationem attulit, ut praeter Haeduos et Remos, quos praecipuo semper honore Caesar habuit, alteros pro uetere ac perpetua erga populum Romanum fide, alteros pro recentibus Gallici belli officiis, nulla fere ciuitas fuerit non suspecta nobis.
« L’impression fut si forte sur ces esprits barbares quand on sut qu’il s’était trouvé quelques audacieux pour nous déclarer la guerre et il en résulta un tel changement dans les dispositions de tous les peuples que, sauf les Héduens et les Rèmes, à qui César témoigna toujours des honneurs particuliers, les uns en raison de leur ancienne et durable fidélité envers Rome, les autres à cause de leurs services récents dans la guerre contre les Gaulois, il n’y eut guère de cité qui ne nous donnât lieu de la soupçonner. »
(Caes. BG V, 54, 4 ; trad. Constans modifiée).
23C’est la relation ancienne d’honos instituée entre Rome et les Héduens qui explique la permanence des bonnes dispositions de ces derniers. Cet honos lui-même est justifié par la fides des Héduens qui sont depuis longtemps attachés à Rome et ne se sont pas signalés par des révoltes ou des actes de perfidie. La fides qui leur vaut l’honneur est donc une loyauté, une bonne foi persistante. La notion suppose droiture et absence d’intention maligne : elle s’oppose à la fraus par laquelle on trompe les autres38. C’est une qualité de l’homme d’État que les inscriptions honorent39. C’est en raison de ce lien entre fides et honos que Cicéron estime que les meilleurs accusateurs, ceux qui causent le moins de tort à la république, sont ceux qui se soucient de leur honos : quand leur honneur est en jeu, en effet, ils veillent à ne pas porter d’accusation calomnieuse, à ne pas enfreindre la fides afin de ne pas mettre à mal leur réputation40.
24Une dernière vertu motif d’honneur doit retenir notre attention : différents textes placent, à nouveau, la uirtus à l’origine de l’honos. Néanmoins, le terme ne désigne pas cette fois le courage viril. C’est une autre signification que l’on relève dans le passage du Trinummus où Lysitélès réprimande son ami Lesbonicus pour sa conduite débauchée :
Itan tandem hanc maiiores famam tradiderunt tibi tui,
Vt uirtute eorum anteparta per flagitium perderes?
Atque honori posterorum tuorum ut uindex fieres,
Tibi paterque auosque facilem fecit et planam uiam
Ad quaerundum honorem; tu fecisti ut difficilis foret
Culpa maxime et desidia tuisque stultis moribus.
Praeoptauisti amorem tuum uti uirtuti praeponeres.
« Tes ancêtres t’ont-ils légué cette bonne réputation
Pour que tu ruines par ta débauche les biens acquis autrefois par leur vertu ?
Et pourtant, pour que tu puisses protéger l’honneur de tes descendants,
Ton père et ton ancêtre t’avaient ménagé un chemin facile, tout plat,
Vers l’honneur ; tu l’as rendu difficile
Par ta conduite fautive, surtout, et par ta paresse et tes mœurs stupides.
Tu as choisi de faire primer ton amour sur la vertu. »
(Pl. Trin. 642-648).
25La uirtus, à laquelle Lysitélès fait référence deux fois dans le passage est opposée d’abord au flagitium, au scandale causé par la débauche, puis à l’amor, c’est-à-dire ici à la fréquentation des courtisanes. La uirtus nous paraît donc renvoyer à une valeur spécifiquement morale, à l’excellence des mœurs, même s’il ne s’agit pas encore d’un vrai concept éthique41. Ce qu’entend précisément Lysitélès par uirtus apparaît quelques vers plus loin :
Cape sis uirtutem animo, et corde expelle desidiam tuo.
In foro operam amicis da, ne in lecto amicae, ut solitus es.
« Accueille la vertu dans ton âme, et chasse la paresse de ton cœur.
Consacre tes efforts à tes amis sur le forum, pas à ta maîtresse dans ton lit,
comme tu en as l’habitude. »
(Pl. Trin. 650-651).
26La uirtus consiste donc non seulement à éviter le flagitium mais aussi à tenir dignement sa place dans la cité. C’est une vertu civique et sociale, dont le lieu d’exercice est le forum, et qui trouve son expression dans les services propres à l’amicitia. La conduite qu’impose la uirtus est étroitement liée au service de l’État dans la conception des aristocrates et des homines noui42. Le rapport entre l’honos et la uirtus apparaît à toutes les époques et dans des textes très différents. Une inscription d’un aristocrate, l’épitaphe de Cn. Cornelius Scipion Hispanus, en donne un autre exemple43 :
Cn(aeus) Cornelius Cn(aei) F(ilius) Scipio Hispanus
pr(aetor) aid(ilis) cur(ulis) q(uaestor) tr(ibunus) mil(itum) II Xuir s(t) l(itibus) iudik(andis) Xuir sacr(is) fac(iundis).
Virtutes generis mieis moribus accumulaui,
Progeniem genui, facta patris petiei.
Maiorum optenui laudem, ut sibei me esse creatum
Laetentur: stirpem nobilitauit honor.
« Gnaeus Cornelius Scipio Hispanus, fils de Gnaeus,
préteur, édile curule, questeur, deux fois tribun militaire, décemvir chargé de juger les litiges, décemvir chargé des sacrifices.
J’ai augmenté grâce à mes mœurs les vertus de ma race,
J’ai fondé une descendance et essayé d’égaler les exploits de mon père.
J’ai préservé la gloire de mes ancêtres, de sorte qu’ils se réjouissent de m’avoir engendré :
Mon honneur a ennobli ma lignée. »
(CIL I2, 15 = ILLRP 316).
27L’elogium commence par le terme de uirtutes et s’achève sur celui d’honos. Les uirtutes sont différentes qualités morales, dont un échantillon est donné dans les vers suivants avec la fondation d’une descendance et l’imitation des ancêtres. L’honos, quant à lui, apparaît comme la récompense qui couronne ces vertus. On retrouve cet ancrage de l’honos sur la uirtus quand cette dernière subit, à partir du IIe siècle, l’influence de la philosophie grecque44. Un fragment dramatique anonyme déclare :
Nam sapiens uirtuti honorem praemium, haud praedam petit.
Set quid uideo? ferro saeptus possidet sedis sacras.
« Car le sage recherche pour la vertu un honneur qui soit une récompense,
et non un butin.
Mais que vois-je ? Bardé de fer il envahit la demeure sacrée. »
(TRF inc. frg. 30-31).
28C’est encore ici sur la uirtus, qui désigne la « vertu » éthique, dans la mesure où elle est présentée comme le propre du sage, que repose la prétention à l’honos : l’excellence morale peut rechercher légitimement une récompense (praemium) sous forme d’honos. La uirtus, quand elle touche à l’éthique, conserve donc un lien avec l’honos.
29Cette place importante prise par les qualités morales parmi les motifs d’honos appelle quelques remarques conclusives. L’honos nous est apparu jusqu’alors comme une réalité éminemment sociale, à la fois signe mettant en jeu des relations intersubjectives complexes et prestige accompagné d’une réputation positive. L’examen des motifs de l’honos fait ressortir l’aspect moral de la notion : c’est une sanction, positive, donnée par la collectivité, qui repose sur l’adéquation à des règles morales. Cette conjonction du moral et du social abolit, par conséquent, toute distinction trop tranchée entre sphère privée et sphère publique : les mores, ce que nous appellerions la « vie privée », sont placés sous le regard et le jugement des autres. Briguer un honos implique d’exposer à tous son mode de vie pour qu’il soit examiné : les mœurs du candidat sont évaluées par les électeurs45. Caton justifie l’obtention de sa charge de censeur par l’excellence de ses mores et Scipion Émilien fonde l’accès à l’honos et à l’imperium sur l’innocentia46. Ce n’est pas la détention de compétences particulières ni l’expérience dans les affaires publiques qui sont mises en avant par les candidats, encore moins qu’un programme politique, mais leurs qualités personnelles.
2.1.3. Bienfaits et services
30Parmi les motifs d’honos, les mérites militaires et les mérites moraux sont sans doute les mieux représentés. Mais il arrive que l’honos soit une réponse à une action beaucoup plus ponctuelle comme un bienfait ou un service rendu. L’honos permet alors, de manière pragmatique, de remercier quelqu’un pour un geste généreux et utile. Dans le Trinummus, Lysitélès accepte de prendre pour femme la sœur de son ami Lesbonicus et de l’épouser sans dot, pour ne pas aggraver la situation financière de la famille ; ce geste désintéressé lui vaudra un emolumentum honoris47. Mais ce sont surtout les marques d’honneur octroyées par une cité à un individu qui reposent sur des services rendus. Cicéron décrit en ces termes Sthenius, un Sicilien victime de Verrès :
Estne Sthenius is qui, omnis honores domi suae facillime cum adeptus esset, amplissime ac magnificentissime gessit, qui oppidum non maximum maximis ex pecunia sua locis communibus monumentisque decorauit, cuius de meritis in rem publicam Thermitanorum Siculosque uniuersos fuit aenea tabula fixa Thermis in curia, in qua publice erat de huius beneficiis scriptum et incisum?
« Est-ce ce Sthénius qui chez lui a facilement obtenu tous les honneurs, qu’il a exercés de la façon la plus noble et la plus généreuse qui soit ? qui a orné à ses frais une ville qui n’était pourtant pas très grande de très grands édifices d’usage commun ? est-ce lui qui a mérité par ses actions en faveur de la république de Thermes et de l’ensemble des Siciliens qu’une table de bronze fût fixée dans la curie de Thermes, sur laquelle on grava une inscription publique rappelant ses bienfaits ? »
(Cic. Verr. II, II, 112).
31Sthenius a reçu de ses concitoyens plusieurs honores, dont une inscription gravée sur une table de bronze et affichée dans un lieu prestigieux, la curie. Il les doit à des actes d’évergétisme : il a fait construire, à ses frais, des édifices publics dans sa cité. Ceux qui aident la cité de leur bourse ont droit, en retour, à des distinctions48. C’est peut-être également la raison véritable de l’honos qui a été fait à Bibulus dont nous évoquions précédemment le monument funéraire49. L’inscription indique que c’est la uirtus de Bibulus qui motive la marque d’honneur qu’il a reçue. Il n’est pas impossible que ce terme désigne la vaillance militaire, mais Bibulus paraît s’être illustré dans une carrière plutôt civile. A. Tomassetti, en se fondant sur la position topographique du monument, va plus loin : le monumentum offert à Poplicius Bibulus est situé le long du cliuus Argentarius, près de l’intersection avec la via Lata, à la base du Capitole, à l’extérieur du mur servien, à une centaine de mètres au-delà de l’antique porta Fontinalis50. La position des édifices funéraires n’est en général pas laissée au hasard : les tombes sont placées le long des routes, pour être bien visibles, et auprès de voies de communication qui sont en elles-mêmes significatives51. La position de l’édifice de Bibulus le long du cliuus Argentarius et à proximité du Macellum n’est donc peut-être pas fortuite : l’édile qu’était Bibulus s’est en effet occupé des activités commerciales et il est possible que le monument ait été placé là pour l’honorer après ses interventions dans ce secteur d’activité52. Si l’hypothèse est exacte, c’est pour ces services publics que Bibulus a été honoré, et la uirtus dont parle l’inscription recouvre alors des actions qui ne sont ni du domaine militaire ni du domaine moral. Tout se passe comme si la uirtus était invoquée de manière irrésistible dès lors qu’il y a honos et devenait susceptible de renvoyer aux réalités les plus diverses, y compris des beneficia civiques. L’honos fonctionne ici comme un phénomène économique de rétribution : il constitue un salaire de prestige pour des services concrets.
2.1.4. Bilan : la matrice de ces comportements
32Quand l’origine d’une marque d’honneur ou la source de la considération peuvent être identifiées, on y découvre donc souvent des mérites militaires, moraux ou civiques, qui reposent sur des qualités spécifiques. Mais à quel titre ces qualités sont-elles honorées ? L’expliquer en les identifiant comme des valeurs partagées par tous ne fait que déplacer le problème : il faut essayer de voir pourquoi elles ont été érigées comme valeurs. Pour ce faire, nous allons tâcher de discerner la matrice de ces conduites jugées dignes d’honneur. Les motifs d’honos nous paraissent partager deux caractéristiques communes : ils témoignent, en profondeur, d’un souci de la collectivité, d’une part ; ils ont un référent commun, le mos maiorum, d’autre part. Leur « valeur » est donc à la fois intrinsèque, par l’existence d’une qualité fondamentale, et extrinsèque, par la conformité à des normes morales ancestrales qui servent d’étalon.
33La uirtus est apparue, sous ses différents aspects, comme une source majeure de l’honos. Or elle consiste presque toujours à se mettre au service de la res publica. C’est patent quand il s’agit de la vaillance guerrière qui implique de défendre la patrie. C’est aussi le cas de la vertu morale qui suppose de ne pas être, pour reprendre l’image du Trinummus, dans son lit avec son amica, mais au forum avec ses amis. Le souci de la collectivité s’exprime aussi quand la uirtus conduit à octroyer des bienfaits à sa cité. Cette uirtus source d’honos est caractéristique d’un mode de pensée holistique où l’individu s’efface derrière la collectivité. Le service du groupe est situé au cœur des motifs de l’honos et apparaît de manière très vive dans certains textes. C’est le cas d’un passage de la Rhétorique à Herennius qui donne un exemple de raisonnement utilisant l’expolition :
Etenim uehementer est iniquum uitam, quam a natura acceptam propter patriam conseruaueris, naturae cum cogat reddere, patriae cum roget non dare; et, cum possis cum summa uirtute et honore pro patria interire, malle per dedecus et ignauiam uiuere.
« En effet il est totalement injuste, alors que l’on a reçu la vie de la nature, qu’on l’a conservée grâce à la patrie, de la rendre à la nature quand elle l’exige et de ne pas la donner à la patrie quand elle le demande ; injuste aussi, quand on peut mourir pour la patrie avec le plus grand courage et le plus grand honneur, de préférer vivre dans le déshonneur et la lâcheté. »
(Rhet. Her. IV, 57 ; trad. Achard).
34Il s’agit là d’un passage fictif de discours employé à titre illustratif et dont on peut donc penser qu’il reflète des représentations courantes. Or on y voit que c’est le fait de mourir pro patria, de sacrifier sa personne à l’entité collective, qui est l’incarnation de la plus grande uirtus et, consécutivement, du plus grand honos : le sommet du service de la cité est aussi le sommet de la uirtus et de l’honneur. Plus un comportement est utile à la collectivité, plus il est honoré. On retrouve ici un fonctionnement économique proche de la loi de l’offre et de la demande : plus une conduite est demandée par la collectivité, plus elle est payée cher en terme d’honneur53. C’est ce qui explique que l’octroi d’honneurs pour des exploits accomplis dans un contexte de guerre civile soit si problématique. La quatorzième Philippique montre bien la difficulté : est-il possible de voter des supplications pour Octave et les consuls alors qu’ils ont affronté Antoine, un concitoyen, ce qui va à l’encontre de la définition de la uirtus et des motifs de l’honos comme préservation de la cité et de ses membres ? Devant l’impossibilité d’une telle résolution, Cicéron s’évertue dans son discours à montrer qu’Antoine n’est plus, précisément, un ciuis mais un hostis, ce qui rend possible le vote d’honores pour ses vainqueurs54.
35Il faut à présent nous intéresser à la matrice extrinsèque des motifs d’honos. Si les qualités militaires, morales, sociales valent de l’honos parce qu’elles incarnent l’idéal du service de la république, il nous faut voir comment cet idéal est défini. L’honos est donné pour une conduite jugée excellente, mais quel est le référent, l’étalon de cette excellence ? La dignitas de l’individu est jugée à l’aune de son respect du code de conduite qui régit la communauté, le mos maiorum, la « coutume des ancêtres »55. Il s’agit d’un ensemble de règles coutumières et non juridiques56, dont le contenu est défini par les vertus des maiores, les ancêtres, qui ont été érigées en normes de conduite et sont illustrées par les récits concernant les héros de l’histoire romaine, constitués en exempla à imiter57. Le mos maiorum est un code de conduite qui a cours dans le domaine militaire, religieux et politique et qui est l’étalon grâce auquel les comportements des contemporains sont évalués. Mais il régit aussi pendant longtemps une bonne partie du droit pénal et de la vie politique et institutionnelle58. Son existence est perçue, dès le début du IIe siècle, comme essentielle à la stabilité de la république bien qu’il ait cours surtout pour la nobilitas au sein de laquelle se comptent les maiores les plus illustres59. La grande majorité des comportements à la source de l’honos appartient précisément au code moral qu’est le mos maiorum. La uirtus, source privilégiée de l’honos, occupe une importance particulière au sein du mos maiorum. La vaillance au combat et le courage face au danger sont caractéristiques des Romains de l’ancien temps, tels qu’on les voit par exemple dans le récit historique de Tite Live. Chacun des trois héros qui se sont illustrés lors de la guerre contre Porsenna a fait preuve d’une grande uirtus : à propos d’Horatius Cocles, il est dit que grata erga tantam uirtutem ciuitas fuit60 ; Porsenna déclare à Mucius Scaevola qu’il admire ista uirtus61 ; quant à Clélie, il est fait mention de sa nouam uirtutem62. Cette uirtus donne lieu, dans chacun des trois cas, à des honores : Horatius Cocles reçoit une statue, un champ et des vivres ; Mucius Scaevola est libéré par Porsenna ; Clélie obtient une statue équestre. C’est donc parce que la uirtus est un trait essentiel du mos maiorum qu’elle permet d’obtenir l’honneur.
36Des remarques similaires peuvent être faites pour les autres qualités à l’origine de l’honos. La fides est également une vertu exemplaire des ancêtres, comme on le voit dans la geste de Régulus au cours de la première guerre punique : fait prisonnier par les Carthaginois, puis envoyé par eux à Rome pour négocier un échange de captifs, il retourna, une fois sa mission accomplie, chez les ennemis bien qu’il dût y subir les pires supplices ; il avait en effet donné sa parole qu’il reviendrait, il avait engagé sa fides et respecta donc son engagement63. Cicéron présente ainsi la fin de son histoire :
Cum retinetur a propinquis et ab amicis, ad supplicium redire maluit quam fidem hosti datam fallere.
« Alors que ses proches et ses amis le retenaient, il préféra retourner vers le supplice plutôt que de manquer à la parole donnée à l’ennemi. »
(Cic. Off. I, 39 ; trad. Testard).
37Ce respect de la fides, au péril de sa vie, manifeste toute la grandeur de Régulus et fait de lui un personnage exemplaire, incarnation de la fides Romana. Un autre ancêtre illustre, Camille, a déjà eu, bien avant la première guerre punique, l’occasion de se distinguer par sa fides : lors de la guerre de Rome contre Faléries, il fit renvoyer et battre de verges le maître d’école de la ville qui, trahissant sa patrie, venait lui livrer des enfants en otages. Les Falisques sont les premiers à reconnaître la noblesse du geste de Camille et la grandeur de la fides Romana64.
38Tous ces exemples montrent combien les motifs qui valent l’obtention de l’honos sont étroitement liés à la morale traditionnelle de Rome et à l’image que les Romains se font d’eux-mêmes. Il arrive même que l’imitation des ancêtres soit directement présentée, en tant que telle, comme un motif d’honos. On le constate dans le Trinummus, quand l’esclave Stasime se plaint de la dégradation des mœurs :
St. : Utinam ueteres homin<um mor>es, ueteres parsimoniae
Potius <in> maiore honore hic essent quam mores mali.
Ch. : Di inmortales, basilica hicquidem facinora inceptat loqui;
Vetera quaerit, uetera amare hunc more maiorum scias.
« Stasime : Si seulement les mœurs d’autrefois, les économies d’autrefois Étaient ici plus à l’honneur que les mauvaises mœurs !
Charmidès : Dieux immortels, voilà qu’il entame un discours rempli de paroles divines ;
Il cherche à retrouver le temps d’autrefois ; c’est la preuve qu’il aime le temps d’autrefois, à la manière de nos ancêtres.
(Pl. Trin. 1028-1032).
39Il est possible que ce discours soit quelque peu parodique, dans la mesure où c’est un esclave, personnage traditionnellement peu regardant des normes morales, qui fait l’éloge des mœurs à l’ancienne. Mais s’il y a moquerie de la part de Plaute, la raillerie, pour avoir son sens, doit renvoyer à une réalité romaine de l’époque. Stasime regrette que l’honos ne soit plus adressé aux ueteres hominum mores65, c’est-à-dire que la conformité au mos maiorum ne soit plus un motif d’honneur. Cette déploration reflète une vision du monde conservatrice qui fait de la fidélité aux coutumes ancestrales la clef de la morale et le socle de l’honos66.
2.2. Statut et identité
40Le mérite qui provoque l’honneur peut être attaché à la personne de manière plus intime, en étant lié à l’identité profonde ou à la place occupée dans la société. C’est alors ce que l’individu est, plutôt que ce qu’il fait, qui est à la source de l’honos. La chose est d’importance, car cela signifie que les marques d’honneur ou la considération dont jouit un Romain peuvent lui être attachées d’office, sans action particulière, et être légitimement revendiquées sur la simple foi de son identité et de son rang.
2.2.1. Identité sociale distinctive
41Dans le cadre de l’honos privé, les marques d’honneur peuvent être conférées en raison de l’identité spécifique de celui qui les reçoit et pour l’existence de liens sociaux entre les individus concernés. Quand le mari confère des honores à sa femme, l’honos se fonde sur l’identité de l’épouse et, à travers elle, sur le lien social du mariage qui impose aux deux parties certaines obligations67. L’honos peut aussi être adressé au frère ou à la sœur, ou encore au père ou au fils, et procède dans ce cas des liens du sang68. C’est aussi l’existence de liens sociaux qui motivent l’honos conféré par un Romain à un ami. En septembre 44, Cicéron écrit à Munatius Plancus et justifie son absence au sénat :
Meum studium honori tuo pro necessitudine nostra non defuisset, si aut tuto in senatum aut honeste uenire potuissem.
« Pour t’honorer, mon dévouement ne t’aurait pas fait défaut, en raison des liens qui nous unissent, si j’avais pu me rendre au sénat en sécurité et dans l’honneur. »
(Cic. Fam. X, 2, 1 ; trad. Beaujeu).
42Cicéron se serait volontiers rendu au sénat pour rendre honneur à Munatius Plancus mais les circonstances, après la mort de César, ont été défavorables à sa venue. Il était cependant bien décidé à travailler à l’honos de Plancus en raison des liens étroits qui les unissent (pro necessitudine). C’est le lien social d’amitié qui conduit à des manifestations symboliques d’estime69. Pour expliquer ce qui l’a poussé à voter l’honos d’une supplication en l’honneur de Sulpicius Rufus, Cicéron mentionne explicitement l’amicitia qui les unit70. Cette marque d’honneur, déclare-t-il, fait partie des officia attendus de deux amis. L’honos relève donc ici des « bons offices », des devoirs qui s’imposent au sujet à l’égard de son entourage et qui peuvent prendre la forme de bienfaits71. L’amicitia ne saurait prendre tout son sens sans l’existence entre les amis de prestations réciproques ; soutenir un ami candidat, lui prêter assistance en justice font partie de ces obligations essentielles dont l’honos peut relever72. L’amicitia entre peuples donne aussi lieu à des honores de part et d’autre. Il en est plusieurs fois question dans les textes qui évoquent les alliances nouées par Rome aux IVe et IIIe siècles de la République, comme dans ce discours des Campaniens devant le sénat romain rapporté par Tite Live :
Neque hercule, quod Samnites priores amici sociique uobis facti sunt, ad id ualere arbitror ne nos in amicitiam accipiamur, sed ut ii uetustate et gradu honoris nos praestent; neque enim foedere Samnitium, ne qua noua iungeretis foedera, cautum est.
« Et, par Hercule, l’antériorité de l’amitié et de l’alliance que les Samnites ont nouées avec vous n’est pas, à mon avis, raison valable pour nous refuser votre amitié : elle leur donne seulement sur nous l’avantage de l’ancienneté et du degré d’honneur ; et en effet le traité avec les Samnites ne stipule pas qu’il vous est interdit de conclure de nouvelles alliances. »
(Liv. VII, 30, 4 ; trad. Bloch).
43Les Samnites ont attaqué les Sidicins puis les Campaniens qui viennent demander l’aide des Romains : ils souhaitent rentrer dans leur amicitia. Cette amicitia relève davantage de la diplomatie que de l’amitié telle que nous la comprenons : il s’agit d’une des formes d’alliance reconnues par le droit international romain. Elle donne cependant lieu, tout comme l’amitié entre particuliers, à des honneurs : les Samnites, qui sont déjà dans une relation d’amicitia avec les Romains, bénéficient de ce fait d’un plus important gradus honoris que les Campaniens : ils sont placés plus haut sur l’échelle romaine du prestige. L’honos est donc ici aussi en rapport avec l’amicitia, mais sur une modalité beaucoup plus pragmatique : plutôt qu’une position de prestige, il désigne une situation diplomatiquement privilégiée assurant un comportement neutre de la part des Romains73.
44Après le membre de la famille et l’ami, l’hôte est la dernière des identités sociales à constituer en soi un motif d’honos : l’hospitium priuatum, intervenant entre un citoyen et un étranger contraint en effet à recevoir son hospes lorsqu’il voyage loin de sa demeure, à lui procurer logement et repas, à le protéger et éventuellement à l’assister juridiquement si quelqu’un lui intente un procès74. Comme dans le cas des époux ou des amis, c’est donc un lien social, l’hospitium, qui est à la source de l’honos. Pour les Romains, en effet, l’hospitium unit étroitement deux personnes et ce lien est symbolisé par l’échange des tesserae hospitales, un objet séparé en deux fragments qui se rejoignent parfaitement75. Ce rôle joué par l’association des deux hospites dans l’émergence de l’honneur est également visible chez Ennius, à la faveur de l’explication qu’il donne, dans l’Évhémère, de l’apparition des temples consacrés à Jupiter :
Nam cum terras circumiret, ut in quamque regionem uenerat, reges principesue populorum hospitio sibi et amicitia copulabat et cum a quoque digrederetur iubebat sibi fanum creari hospitis sui nomine, quasi ut posset amicitiae ac foederis memoria conseruari. Sic constituta sunt templa Ioui Ataburio, Ioui Labryandio […]. Quod ille astutissime excogitauit, ut et sibi honorem diuinum et hospitibus suis perpetuum nomen adquireret cum religione coniunctum.
« Car lorsqu’il parcourait la terre, dans chaque pays où il était venu, il s’associait les rois ou les princes de ces peuples par des liens d’hospitalité et d’amitié et, chaque fois qu’il les quittait, il ordonnait qu’un sanctuaire lui fût élevé au nom de leurs liens d’hospitalité, comme s’il avait l’intention de conserver le souvenir de leur amitié et de leur alliance. C’est ainsi que furent édifiés des temples à Jupiter Ataburien, à Jupiter Labryandien […]. Et ce procédé qu’il imagina était très astucieux car il procurait un honneur divin à lui-même et à ses hôtes un nom éternellement lié à la religion. »
(Enn. Evh. frg. X Vahlen ; nous soulignons).
45Ce texte, qui raconte comment Jupiter, à l’occasion de visites auprès de souverains, les a convaincus de construire des temples en son nom, montre sur quelles bases s’est développé l’honos divin. Ce prestige, rendu visible par des temples, procède de l’amicitia et de l’hospitium qui unissaient Jupiter aux peuples qu’il a fréquentés : c’est hospitis sui nomine, au nom de leurs liens d’hospitalité, que les édifices religieux, forme alors inédite d’honos, ont été bâtis. L’honos émerge donc d’un processus de singularisation sociale, établi à travers différents liens (familiaux, amicaux, d’hospitalité) entre des égaux.
2.2.2. Statut social supérieur
46La nature fortement hiérarchisée de la société romaine nous invite cependant à interroger l’existence, au-delà des marques d’honneur échangées entre égaux, d’un prestige qui s’appuierait sur l’ascendant social qu’un individu peut avoir sur les autres. Il s’agit, ici encore, de conférer l’honos en vertu d’une identité sociale spécifique, mais dont la spécificité est liée au rang, à la position « verticale » dans la société, et non à une relation privilégiée et « horizontale » avec ses semblables. Trois statuts supérieurs donnent accès à l’honos : le fait d’être un dominus, un patronus ou un homme âgé.
47Le dominus jouit d’une position supérieure et privilégiée dans la domus, consacrée par la coutume mais aussi par la loi : il détient la potestas qui lui permet d’exercer un pouvoir fort sur les habitants de sa demeure, épouse, enfants et esclaves76. Ces derniers apparaissent dans les textes comme les principaux donateurs de l’honos au dominus. Dans le Stichus, le seruus Pinacion déclare ainsi agir au profit de son maître honoris causa, pour lui faire honneur et lui montrer ainsi son dévouement77. Dans d’autres cas, on assiste à une inversion comique de ce rapport entre maître et esclave puisque le seruus s’emploie à flouer le vieux dominus qui devrait avoir autorité sur lui78. Ce jeu avec une convention est symptomatique d’une différence de position génératrice d’honos en temps habituel. Il arrive d’ailleurs, et cela dans les pièces de Plaute elles-mêmes, que l’honos de l’esclave à son maître soit pris très au sérieux, comme c’est le cas dans les Captifs. Philocrate, avant d’échanger son rôle avec celui de son serviteur Tyndare, lui adresse ces ultimes recommandations :
Per fortunam incertam et per mei te erga bonitatem patris,
Perque conseruitium commune quod hostica euenit manu
Ne me secus honore honestes quam quom seruibas mihi,
Atque ut qui fueris et qui nunc sis meminisse ut memineris.
« Par la fortune capricieuse et par la bonté que mon père t’a manifestée,
Par la servitude commune où le bras de l’ennemi nous a placés,
Ne va pas m’honorer par moins d’honneurs que lorsque tu étais à mon service,
Et qui tu as été et qui tu es à présent, fais en sorte de t’en souvenir, de ne pas l’oublier. »
(Pl. Cap. 245-248).
48Sur un ton solennel, Philocrate demande à Tyndare de continuer à l’honorer (honestare) malgré l’échange apparent de leurs positions sociales, de persister à respecter le statut du maître et de se souvenir qu’il n’est en réalité qu’un esclave. Le dernier vers où Philocrate demande à Tyndare de ne pas oublier qui il est suggère bien que l’identité est, ici encore, fondatrice. Ce qui motive et justifie l’honos, c’est ce qu’est le dominus pour l’esclave, c’est-à-dire un homme libre, supérieur en tant que tel au seruus. Il y a aussi à la source de cet honos un lien social, comme pour les époux ou les hôtes, mais qui est ici différent puisqu’il instaure une supériorité de l’un sur l’autre : c’est un lien de propriété d’abord, puisque l’esclave fait partie des res mancipi au même titre que les autres possessions ; c’est un lien de pouvoir ensuite car le maître peut traiter l’esclave comme bon lui semble.
49Le patronus, qui accorde sa protection ou des biens matériels à ses clients, bénéficie lui aussi par son statut de l’honos79. Dans sa défense de Roscius d’Amérie, Cicéron représente par une puissante hypotypose la scène du crime commis par Glaucia au profit de Roscius Magnus et Roscius Capito. Il souligne que l’empressement pris par Glaucia à commettre le meurtre et à venir le rapporter aux commanditaires s’explique par la volonté de Glaucia d’accorder un honos à ces derniers. Or Glaucia est le cliens de T. Roscius : l’honos apparaît ainsi motivé par le lien de clientèle entre ces hommes80. C’est aussi cette volonté d’honorer un patron que l’on décèle quand des collectivités locales décernent une statue à leur protecteur81. Il est notable que, dans ce cas de figure, comme quand une marque d’honneur est donnée par un esclave à son maître, l’honos est beaucoup moins libre que lorsqu’il est octroyé pour des mérites moraux ou militaires car celui qui le donne est dans une situation de dépendance et d’infériorité.
50Une dernière caractéristique relevant du statut social permet de prétendre légitimement à l’honos de la part de son entourage : il s’agit de l’âge. Les personnes âgées font en effet à Rome l’objet d’un respect particulier82. Nous avons vu à propos du Cato maior de Cicéron que différents gestes d’estime devaient être octroyés aux anciens83. Il n’est pas besoin d’ailleurs d’être un vieillard pour avoir droit à des honores : il suffit de l’emporter sur son entourage du point de vue de l’âge. Dans sa description du camp pompéien, César montre les chefs préoccupés, avant la bataille, de se partager les dépouilles de leur ennemi qu’ils imaginent déjà vaincu :
Iam de sacerdotio Caesaris Domitius, Scipio Spintherque Lentulus cotidianis contentionibus ad grauissimas uerborum contumelias palam descenderunt, cum Lentulus aetatis honorem ostentaret, […].
« Bientôt, à propos du sacerdoce de César, Domitius, Scipion et Lentulus Spinther, dans des discussions journalières, en arrivèrent à échanger publiquement les plus graves insultes, Lentulus faisant valoir l’honneur dû à son âge, […]. »
(Caes. BC III, 83, 1 ; trad. Fabre modifiée).
51Les pompéiens espèrent chacun pouvoir obtenir, après leur victoire, le sacerdoce de César, c’est-à-dire le grand pontificat, et se disputent pour savoir lequel d’entre eux pourra l’exercer. Lentulus Spinther fait valoir qu’il est plus âgé que les autres, ce qui lui donne certaines prérogatives. On remarque d’ailleurs, plus généralement, que le prestige se constitue progressivement, au cours d’un processus temporel pouvant être très étendu. L’homme âgé a plus de prestige que le jeune car il a pu, au cours de sa vie, accumuler les marques d’honneur. Cette sédimentation temporelle des honores accroît la considération et donne droit à de nouvelles distinctions. Il existe cependant des cas de figure où des marques d’honneur sont octroyées par des personnes âgées à des jeunes. Il est ainsi question, dans une lettre de Cicéron, des honores que le propréteur P. Silius a octroyé à Ti. Claudius Nero qui est plus jeune que lui84. Une telle situation s’explique en réalité par la complexité des protagonistes de l’hommage : à travers Claudius Nero, c’est en fait Cicéron qui est visé par les hommages de P. Silius car c’est l’Arpinate qui a recommandé le jeune homme à P. Silius et en a fait son protégé. En outre, Nero est un nobilis et a de bonnes chances d’accéder à un statut élevé dans l’avenir ; il possède donc une quantité virtuelle d’honos qui ne demande qu’à être actualisée par un tiers85. L’honos est ainsi donné à un jeune homme parce qu’il est protégé par un autre individu d’âge mûr et parce qu’il est fortement prometteur. Un second cas d’honos conféré par quelqu’un à plus jeune que lui concerne Cicéron et Octave. Cicéron a en effet œuvré en 43 à ce que des honores importants soient octroyés à Octave. À Brutus qui le blâme de ce manque de mesure, Cicéron répond en invoquant la nécessité de ces marques d’honneur pour essayer d’attacher Octave au camp du sénat et de stabiliser ainsi la res publica86. Octave est encore un puer, comme l’écrit Cicéron, et ces marques d’honneur sont donc exceptionnelles : elles sont un moyen de salut public en une période très troublée. L’octroi d’un honos à un tout jeune homme reste donc un geste très particulier, qui s’explique par la destruction des cadres traditionnels de la pratique politique romaine87.
2.2.3. Statut civique et politique supérieur
52La supériorité sociale qui donne droit à l’honos doit être distinguée de la supériorité civique qui confère aussi de la dignitas en raison de l’exercice de certaines fonctions au sein de la cité ou de l’appartenance à un ordo. Il y a en effet à Rome une hiérarchie civique qui redouble la hiérarchie sociale et peut se confondre avec elle. Le fait d’être citoyen donne ainsi droit à certains égards auxquels les non-citoyens ne peuvent prétendre. Parlant des marchands romains qui ont été maltraités puis exécutés à l’instigation de Verrès, Cicéron s’exclame :
[…] ut qui usque ex ultima Syria atque Aegypto nauigarent, qui apud barbaros propter togae nomen in honore aliquo fuissent, qui ex praedonum insidiis, qui ex tempestatum periculis profugissent, in Sicilia securi ferirentur, cum se iam domum uenisse arbitrarentur?
« […] au point que ceux qui débarquaient du fin fond de la Syrie et de l’Égypte, qui avaient joui de quelque honneur chez les barbares en raison du renom de la toge, qui avaient échappé aux embuscades des pirates et aux dangers des tempêtes, étaient frappés de la hache en Sicile, alors qu’ils pensaient être enfin rentrés chez eux ? »
(Cic. Verr. II, V, 157).
53La citoyenneté, représentée symboliquement par la toge, permet à ceux qui la possèdent de bénéficier d’honos chez des peuples étrangers, les Syriens et les Égyptiens. La ciuitas impose le respect à ces barbari de même qu’elle donne droit à des égards particuliers à Rome, tels que la possibilité de participer à la vie politique, d’être candidat aux charges publiques ou de faire appel au peuple contre l’action coercitive d’un magistrat (prouocatio) ; la citoyenneté protège ainsi de l’arbitraire et offre des garanties judiciaires88. Ce sont ces garanties que Verrès n’a pas respectées en faisant emprisonner puis exécuter des citoyens romains, se montrant ainsi plus barbare que des barbari. La citoyenneté ne constitue cependant que la plus modeste des catégories politiques prestigieuses car le statut de magistrat donne droit à de plus grands honores. Lorsqu’un citoyen se trouvait en présence d’un magistrat, il lui fallait par exemple se lever89. L’appartenance au sénat est également un motif récurrent d’honos, fondé sur l’appartenance à un groupe au statut particulier au sein de la cité90.
2.2.4. Statut sacré
54Dans la religion romaine, les dieux vivent avec les hommes, et non dans un monde à part qui leur est propre, mais ils occupent les sommets de cette communauté. Et c’est cette supériorité qui leur donne le droit de recevoir les hommages des hommes :
Domi cum auspicamus, honorem me dium immortalium uelim habuisse. Serui, ancillae, si quis eorum sub centone crepuit, quod ego non sensi, nullum mihi uitium facit. Si cui ibidem seruo aut ancillae dormienti euenit, quod comitia prohibere solet, ne is quidem mihi uitium facit.
« Quand je prends les auspices domestiques, je voudrais honorer les dieux immortels. Si l’un des esclaves ou l’une des servantes laisse échapper un bruit sous sa tunique sans que je m’en aperçoive, il n’y a là pour moi nulle irrégularité. Et s’il arrive là-même à un esclave ou une servante pendant leur sommeil quelque chose qui, habituellement, interdit la tenue des comices, il n’y a pas là non plus d’irrégularité pour moi. »
(Cat. frg. XII, 73 ORF).
55L’honos évoqué par Caton paraît être un rite d’auspicium nocturne où le silence est essentiel91. Cette prise d’auspices domestiques donne lieu à l’octroi aux dieux d’un honos, et ce dernier ne répond qu’à la nature des destinataires, les « dieux immortels ». Cet honos est récurrent car lié à un rituel qui rythme la vie de la domus, ce qui indique bien qu’il n’est pas appelé par une conduite précise de la part de celui qui le reçoit, mais par son rang de divinité.
56Le statut des morts est, comme celui des dieux, spécifique, et appelle de ce fait des honneurs. À sa mort, le défunt rejoint en effet les rangs des Dieux Mânes, il n’appartient plus à la communauté des vivants mais revêt une nouvelle identité, sacrée. C’est ce nouveau statut qui justifie qu’on lui octroie des honneurs comme les funérailles puis les rites funéraires réguliers92. La mort appelle de façon particulièrement impérieuse l’honos de la sépulture afin que l’âme du défunt trouve le repos et ne connaisse pas l’errance93. Le simple fait de quitter les rangs des vivants, d’avoir cette nouvelle identité de mort, est un motif suffisant de l’honos. Les inscriptions funéraires évoquent certes parfois les actions méritoires du mort mais ces motifs ne nous paraissent pas essentiels pour expliquer l’honos. Les qualités mentionnées par l’épitaphe de Bibulus94 n’expliquent que le caractère remarquable du monument qui lui est consacré ; elles ne sont pas à l’origine de la décision de lui octroyer des funérailles. C’est donc sur la base d’un statut différencié et supérieur que l’honos est octroyé. Le cas de Bibulus montre cependant que des motifs de nature différente peuvent se combiner pour donner naissance à l’honos. Le monumentum offert à Bibulus découle ainsi de trois sources, une qualité (la uirtus), associée à un bienfait (envers les commerçants), et à un statut (celui de défunt).
2.2.5. Bilan : la matrice de ces statuts
57Toutes ces sources d’honos possèdent deux caractéristiques : elles reposent sur des liens sociaux qui sont, d’une part, essentiels à la stabilité de la collectivité et, d’autre part, valorisés par la tradition. On retrouve ainsi, mutatis mutandis, deux traits identifiés à propos des comportements sources d’honneur, à savoir le souci de la communauté et l’adéquation au mos maiorum. En premier lieu, l’honos est octroyé en vertu de rapports d’égalité ou de supériorité qui sont au cœur de la structure civique et contribuent à son équilibre. L’honneur décerné aux dieux relève d’un lien contractuel entre hommes et divinités, ce qu’est proprement pour les Anciens la religio, substantif rattaché à religare, « relier »95. Ce lien puissant entre hommes et dieux doit être cultivé par les rites et sa préservation permet la stabilité de la cité. Il en va de même pour l’honos décerné aux défunts : il serait dangereux pour la cité de ne pas honorer les morts car ces derniers pourraient devenir malfaisants. Les honores décernés à l’hôte ou au patronus procèdent aussi de l’observation de liens sociaux qui créent des solidarités au sein de la cité et unissent des individus de statut très différent.
58En second lieu, l’honos accordé à ces statuts procède de l’observation scrupuleuse de valeurs du mos maiorum. Si le statut de dominus ou de père de famille provoque l’honos, c’est en vertu de la potestas détenue par ces derniers. Il en va de même pour l’honos des magistrats supérieurs fondé sur leur imperium, ou des égards dus au patron en vertu de la fides que le client doit lui témoigner. Quant aux honneurs octroyés aux dieux et aux défunts, c’est la pietas, caractéristique de l’excellence romaine aux yeux des Romains eux-mêmes, qui se situe en leur cœur. Quand l’honos s’appuie sur l’identité sociale ou le statut, il persiste à trouver sa source dans la conformité au mos maiorum. Mais il y a une différence de taille avec l’honos appelé par un comportement : c’est cette fois la conformité du destinateur à la coutume sociale et morale, et non plus celle du destinataire, qui explique l’honos. Le respect pour l’hospitium, l’amicitia, la fides, la pietas est à la source du geste de celui qui honore.
59C’est ce qui explique que les contraintes qui s’exercent sur l’honos soient plus fortes que lorsqu’il repose sur un comportement valorisé. L’honos adressé aux défunts se fonde sur le respect d’une règle sacrée : tout mort doit être enterré conformément aux rites funèbres sans quoi il devient dangereux pour la communauté. Il en va de même pour l’honos aux dieux qui fait partie d’un rite qui doit être observé. Dans d’autres cas, l’honos est lié à des contraintes non seulement religieuses mais aussi juridiques. Ce peut être le cas des marques d’honneur accordées à un hôte par exemple : l’hospitium est un lien religieux, placé sous la protection de Jupiter hospitalis, et dont la violation est considérée comme un crime96. Mais l’hospitium tombe aussi dans le domaine du droit privé et des contraintes légales. On voit en effet chez Tite Live que l’hospitalité relève des priuata iura, que sa nature est contractuelle, et qu’il n’est possible de se défaire de ces engagements que par un acte précis, celui de la renuntiatio97. Le recours à la poignée de main98, qui scelle un accord tout en le plaçant sous le regard de la divinité Fides99, est également symptomatique de cette double nature juridique et religieuse de l’hospitium. Le mariage crée lui aussi des liens de nature juridique entre les époux : le matrimonium est régi par le droit privé, et l’une des étapes importantes de la cérémonie est la signature des tablettes de mariage, devant des témoins. Les implications juridiques et contractuelles du matrimonium imposent donc elles aussi des témoignages d’attention et d’estime entre les conjoints. Dans une certaine mesure, les honores de l’esclave à son maître, appelés par la potestas de ce dernier, répondent également à des contraintes juridiques, puisque le statut de l’esclave est réglé par le dominium, le droit de propriété du maître.
60Les différentes sources d’honneurs liées au statut ne sont plus de l’ordre du « capital moral » que nous avions précédemment observé mais constituent un capital social, au sens large du terme : c’est le statut social et identitaire qui provoque la reconnaissance de la collectivité et permet le développement d’un capital symbolique de prestige. Il faut noter, au terme de cette typologie des motifs d’honos, que la richesse, si elle peut faciliter, comme on va le voir, l’accès à l’honos, n’est pas en soi un motif de prestige. Le capital économique n’est pas, comme c’est le cas dans d’autres sociétés, un moyen direct de constitution d’un capital symbolique100.
3. Ouverture ou fermeture de l’accès à l’honos ?
61Identifier les sources d’honos ne nous donne qu’une vision partielle de l’accès à l’honos : il nous reste à nous interroger sur les conditions pratiques de cet accès, sur les obstacles rencontrés, sur les privilèges existant en ce domaine. La présence d’un mérite ne suffit pas en effet à gagner immédiatement un honneur. Cela doit nous amener à reconsidérer la nature de la dignitas en rapport avec l’honos : la notion désigne bien le mérite, mais renvoie aussi à un rang social qui entre en ligne de compte dans l’obtention de l’honos. Il n’est pas certain, en effet, que tout Romain méritant puisse facilement se procurer l’honos. L’accès à ce dernier est-il ouvert à tous ou restreint ?
3.1. L’accès privilégié de l’aristocratie
62L’observation de l’identité des Romains qui parviennent à obtenir des honores ou à se distinguer par une situation de prestige montre une nette prééminence en ce domaine de l’aristocratie. Nous désignons de ce terme les membres des grandes familles romaines qui possèdent des moyens importants en termes d’argent et de clientèle et exercent souvent des charges publiques telles que les prêtrises ou les magistratures. La nobilitas, qui constitue l’élite de cette aristocratie, exerce une emprise particulière sur les différentes marques d’honneur101. Les études statistiques et prosopographiques fournissent des renseignements importants sur ce sujet mais nous nous intéresserons surtout à la représentation que se font les Romains de cette mainmise de l’aristocratie sur l’honos plutôt qu’à ses modalités concrètes.
3.1.1. Le prestige comme bien propre de l’aristocratie
63L’honos comme « considération » est conçu comme un bien appartenant principalement à l’aristocratie. Si on peut gagner l’honos par différents moyens, comme l’excellence militaire, morale ou civique, cet honneur est, dans les faits, perçu comme attaché aux grandes familles de Rome. Dans le Pro Roscio Amerino, Cicéron se défend, à la fin de la « confirmation » de son discours, de s’en prendre à la noblesse en défendant Roscius contre un affranchi de Sylla. Il approuve au contraire la victoire passée de la nobilitas lors de la guerre civile :
Quo in certamine perditi ciuis erat non se ad eos iungere quibus incolumibus et domi dignitas et foris auctoritas retineretur. Quae perfecta esse et suum cuique honorem et gradum redditum gaudeo, iudices, uehementerque laetor, eaque omnia deorum uoluntate, studio populi Romani, consilio et imperio et felicitate L. Sullae gesta esse intellego.
« Dans ce combat, c’était faire acte de citoyen pervers que de ne pas se joindre à ceux dont le salut assurait la dignité de la république à l’intérieur et son autorité au dehors. C’est ce qui a été réalisé et chacun a retrouvé son honneur et son rang ; je m’en réjouis, juges, j’en suis profondément heureux, et je me rends compte que tous ces résultats sont dus à la volonté des dieux, au zèle du peuple romain, à la sagesse, à l’autorité et au bonheur de L. Sylla. »
(Cic. Rosc. Amer. 136 ; trad. De La Ville de Mirmont modifiée).
64Cicéron déclare avoir soutenu le parti de la noblesse parce que son succès permettait de rétablir la stabilité et la dignité de la république. Mais le texte montre aussi que le retour à l’ordre assuré par Sylla a permis de rendre à chacun suum honorem et gradum. Vu la restauration conservatrice mise en œuvre par Sylla, il faut sans doute comprendre ici que c’est la noblesse qui a retrouvé son honos et son gradus, mis à mal par les mesures d’inspiration popularis prises antérieurement. L’honneur et le rang sont donc des biens qui appartiennent surtout à la nobilitas. Un passage similaire des Verrines le confirme. Cicéron y dénonce les malversations de Verrès lors de sa questure et déclare que c’est pour truquer ses comptes qu’il s’est fait syllanien :
Vt hoc pacto rationem referre liceret, eo Sullanus repente factus est, non ut honos et dignitas nobilitati restitueretur.
« C’est pour qu’il lui fût permis de remettre ses comptes de cette façon qu’il s’est subitement transformé en soutien de Sylla ; ce n’est pas pour que soient restitués à la noblesse son honneur et son rang. »
(Cic. Verr. II, I, 37).
65Verrès a soutenu Sylla par intérêt personnel et non pas pour que la nobilitas retrouve son honos et sa dignitas. L’aristocratie bénéficie donc d’un authentique prestige que les Romains se représentent comme attaché de façon intime à ce groupe social.
3.1.2. La mainmise sur les marques d’honneur
66Les différentes marques d’honneur apparaissent de même comme un privilège de l’aristocratie. Deux facteurs expliquent cette emprise de l’élite romaine. Le premier réside dans le rôle de la fortune, le capital économique, dans l’accès à l’honneur. Les textes ne parlent qu’assez rarement de l’argent comme d’un motif d’honos mais ce dernier possède bien des fondements matériels : les sources tendent à occulter le rôle de la richesse derrière la mise en avant de qualités morales et sociales comme piliers de l’honneur. Certains éléments nous permettent de mesurer ce rôle du capital économique dans la constitution du capital symbolique. Quelques textes, d’abord, l’évoquent directement. C’est le cas du passage du Curculio que nous citions à propos des motifs militaires de l’honos :
Sibi sua habeant regna reges, sibi diuitias diuites,
Sibi honores, sibi uirtutes, sibi pugnas, sibi proelia;
Dum mi abstineant inuidere, sibi quisque habeant quod suum est.
« Qu’ils gardent leurs royaumes, les rois, qu’ils gardent leurs richesses, les riches,
Qu’ils gardent leurs honneurs, leurs exploits, leurs combats, leurs batailles !
Pourvu qu’ils s’abstiennent de me jalouser, qu’ils gardent tous ce qui leur appartient. »
(Pl. Curc. 178-180).
67Le jeune homme rejette tous les biens, pourtant précieux, des rois et des riches, au profit de son seul amour. Le second vers, simplement juxtaposé au premier, en est l’expansion logique : les reges ont leurs regna et les diuites leur diuitias, et Phédrome énumère ensuite leurs autres privilèges que sont les succès militaires ainsi que les honneurs qui en découlent. Pour le jeune homme, les honores appartiennent en propre aux rois et aux riches. La richesse n’est pas présentée comme un motif d’honneur, puisque le riche doit encore accomplir des uirtutes, des « actions d’éclat », mais cette supériorité économique paraît conditionner l’accès à l’honos. Il est également significatif que, dans les comédies, le déshonneur du jeune homme soit causé par sa débauche sexuelle parce que cette dernière implique une dilapidation du patrimoine. C’est le déclassement économique qui mène à la disgrâce sociale102. La richesse, quand elle est bien acquise et constituée de biens valorisés par la tradition, comme les propriétés agricoles, permet d’accéder à l’honneur103. Ce rapport entre la fortune et l’accès à l’honneur s’explique par l’armature censitaire de la société romaine. Par le biais du census, l’ensemble des citoyens est recensé et hiérarchisé, à des fins fiscales, politiques et militaires104. C’est ce dernier aspect qui nous intéresse ici : lors du cens, les citoyens sont répartis, en fonction de la valeur de leur patrimoine déclaré, en adsidui, ceux qui ont une fortune suffisante pour servir dans la légion, et en capite censi (recensés pour leur « tête ») et proletarii (qui n’ont que des enfants) qui ne sont pas aptes à être mobilisés. À l’intérieur des adsidui, les citoyens sont répartis en cinq classes à nouveau délimitées par des critères de fortune et à chacune desquelles correspond un armement spécial. Pour participer à la guerre, il faut donc être non seulement citoyen mais aussi posséder un certain niveau de fortune ; on comprend dès lors que l’obtention des honores au combat dont parle le Curculio ne soit possible que pour les individus possédant une certaine richesse. En outre, les honores militaires prestigieux comme le triomphe ou la supplication d’action de grâces étaient réservés aux généraux, exerçant comme consul ou comme préteur, charges elles-mêmes difficilement accessibles à ceux qui n’appartenaient pas à l’aristocratie. L’examen des fastes triomphaux montre que la nobilitas exerce une très grande emprise sur l’honos du triomphe105.
3.1.3. La mainmise sur les charges publiques
68L’emprise la plus nette et aussi la mieux connue de l’aristocratie dans le domaine des marques d’honneur concerne les charges publiques. Ici encore, la fortune conditionne en effet l’accès à l’honos. Un passage du Trinummus dresse ce constat sur un mode plaisant. Philton demande à l’esclave Stasime comment il se comporterait s’il était invité à un banquet public aux côtés d’un riche, et Stasime répond :
Decedam ego illi de uia, de semita,
De honore populi; uerum quod ad uentrem attinet,
Non hercle hoc longe, nisi me pugnis uicerit.
« Je lui céderais le pas sur la chaussée, sur le trottoir,
Je lui abandonne les honneurs publics ; mais pour ce qui touche à mon ventre,
Je ne lui céderais pas de ça, sauf s’il triomphe de moi aux poings. »
(Pl. Trin. 481-483 ; trad. Ernout modifiée).
69L’esclave glouton ne pense qu’à satisfaire son estomac et laisse volontiers au riche ce qu’il considère comme des objets qui lui sont dus, la préséance sur le trottoir et l’honos populi, c’est-à-dire la magistrature. Comme pour l’accès à la légion, c’est la fortune qui détermine en effet la possibilité d’être candidat aux honores publics : pour pouvoir être questeur, la première des magistratures civiles du cursus honorum, il fallait posséder au moins le cens équestre, c’est-à-dire appartenir aux centuries les plus riches de la première classe, celles qui devaient, à l’origine, le service à cheval106. La richesse, le capital économique, est donc une condition indispensable pour l’accès aux honores. De nombreux textes font état, au premier siècle, de la mainmise de la nobilitas sur les charges publiques. Le thème est traité de manière particulièrement étendue par Cicéron, homo nouus qui s’est hissé jusqu’au consulat. Dans la prosopopée de la première Catilinaire, la patrie s’adresse en ces termes à Cicéron pour l’exhorter à agir contre les conjurés :
An inuidiam posteritatis times? Praeclaram uero populo Romano refers gratiam, qui te, hominem per te cognitum, nulla commendatione maiorum, tam mature ad summum imperium per omnis honorum gradus extulit, si propter inuidiam aut alicuius periculi metum salutem ciuium tuorum neglegis.
« Est-ce le blâme de l’avenir que tu redoutes ? Admirable reconnaissance vraiment dont tu paies ce peuple romain qui, alors que tu n’étais connu que par toi-même, que tu ne te recommandais d’aucun aïeul, t’a porté si promptement, par tous les degrés des honneurs, jusqu’à la magistrature suprême, si la haine des partis, si la peur d’un danger te font mépriser le salut de tes concitoyens ! »
(Cic. Catil. I, 28 ; trad. Bailly).
70Le passage souligne le caractère exceptionnel de l’élection de Cicéron au consulat en 63 : il a atteint le degré suprême de l’honneur nulla commendatione maiorum, sans bénéficier de la « recommandation » que constituent des ancêtres consulaires. Il apparaît tout à fait inhabituel qu’un homme qui ne soit pas descendant de consul, c’est-à-dire nobilis, parvienne lui-même au consulat. Cette idée réapparaît dans d’autres passages, modalisée selon des images révélatrices : les nobles sont « saturés d’honneurs » tant ils les monopolisent depuis des générations ; ils représentent une « place forte » que Cicéron a prise d’assaut à l’aide du peuple en obtenant l’honos du consulat107. L’homo nouus apparaît ainsi comme celui qui introduit une brèche dans le monopole absolu des honores de la nobilitas représentée comme une caste qui fait circuler les honores en cercle fermé108. Des idées similaires apparaissent à plusieurs reprises dans l’œuvre historique de Salluste, qui utilise une image récurrente, celle de la pureté que croit détenir la noblesse et qui ne doit pas être entachée par l’accès au pouvoir suprême d’un homo nouus. Dans un passage du Bellum Iugurthinum, l’historien s’exprime en son nom propre :
Etiam tum alios magistratus plebes, consulatum nobilitas inter se per manus tradebat. Nouos nemo tam clarus neque tam egregiis factis erat, quin is indignus illo honore et quasi pollutus haberetur.
« C’était encore le temps où, si la plèbe avait accès aux autres magistratures, la noblesse se réservait le consulat qu’elle se passait de main en main. Il n’y avait pas d’homme nouveau, si grand fût-il par sa gloire et ses exploits, qui ne fût jugé indigne de cet honneur et comme entaché de quelque souillure. »
(Sall. Iug. 63, 6-7 ; trad. Ernout modifiée).
71Salluste remarque que les mérites de Marius lui ont permis de gravir les échelons du cursus honorum mais que le consulat lui reste, encore pour un moment, inaccessible car la noblesse se le passe inter se per manus. La nobilitas considère que l’homme nouveau qu’est Marius porte une souillure (pollutus) qui ne lui ouvre pas la voie de l’honos109. Le cas de Marius montre que les mérites personnels, comme les qualités militaires, ne suffisent nullement pour accéder à certains honores.
72Ces représentations littéraires correspondent-elles aux faits ? Dans l’histoire de Rome, les charges publiques ont été effectivement accaparées périodiquement par un groupe de la population. Ce fut d’abord le cas des patriciens110 qui ont graduellement développé un monopole sur les magistratures au cours du Ve siècle111. Ce n’est que progressivement que la plèbe a ensuite réussi au cours des Ve et IVe siècles à ouvrir des brèches dans ce contrôle, d’abord en obtenant des magistrats particuliers, les tribuns de la plèbe, et ensuite en parvenant à accéder aux autres honores. Les lois licinio-sextiennes de 367 ont joué de ce point de vue un rôle considérable en ouvrant l’accès au consulat et à certains grands collèges religieux aux plébéiens et en donnant ainsi naissance à une nouvelle noblesse, la nobilitas112. Les patriciens, après la fin de leur monopole sur les magistratures, ont continué de bénéficier d’un accès privilégié à certains honores : les flamines majeurs, les saliens et le rex sacrorum étaient toujours des patriciens, et la moitié des places des grands collèges de prêtres leur était réservée113. La nouvelle nobilitas parvint ensuite à son tour à se réserver l’accès aux magistratures les plus élevées et notamment au consulat. Plusieurs études prosopographiques et statistiques ont confirmé, en les nuançant, les données apportées sur ce point par les textes114 : entre 178 et 82, environ 75 % des consuls viennent de familles consulaires. Entre 78 et 49, c’est le cas de 88,5 % des consuls115. Il y a donc une réelle emprise de la noblesse sur les honores politiques, mais il ne s’agit pas d’un monopole, contrairement à l’image qu’en donnent Cicéron et Salluste116. L’accès des homines noui au consulat est certes difficile, mais pas impossible, comme le montrent les exemples célèbres de Caton, Marius ou Cicéron. Les magistratures inférieures au consulat sont encore plus accessibles : entre 78 et 49, 51 % des préteurs et 56 % des édiles ne sont pas issus de familles consulaires117. Il convient donc de nuancer l’image d’une nobilitas totalement fermée aux hommes nouveaux et se passant les honores de main en main. Il faut distinguer dans la nobilitas un noyau restreint de familles qui parvient effectivement à garder pendant des générations les honores et un cercle plus large qui n’y parvient que de façon beaucoup plus irrégulière et dont l’appartenance à la noblesse est donc plus précaire118.
3.1.4. L’honos source de l’honos
73L’accès privilégié de l’aristocratie à l’honos s’explique en partie par les modalités d’accès aux honores les plus grands, reposant sur l’exercice d’une charge publique élevée ; c’est dans ce cas un premier honos qui ouvre la voie à un second. Cet aspect relève d’un mode de pensée fréquent qui tend à faire de l’honos lui-même une source d’honos, ce qui donne l’impression d’un système fermé119. Quand Salluste évoque les raisons qui ont poussé des hommes politiques à vouloir impliquer César dans la conjuration de Catilina, il écrit à propos de deux d’entre eux :
Nam uterque cum illo grauis inimicitias exercebat: Piso oppugnatus in iudicio pecuniarum repetundarum propter cuiusdam Transpadani supplicium iniustum, Catulus ex petitione pontificatus odio incensus quod extrema aetate, maxumis honoribus usus, ab adulescentulo Caesare uictus discesserat.
« Tous deux en effet avaient contre lui de graves motifs d’inimitié : Pison parce qu’il avait été, au cours d’un procès de concussion, attaqué par lui à propos du supplice injustement infligé à un habitant de la Gaule Transpadane ; Catulus, depuis sa candidature au pontificat, brûlait de haine contre César pour avoir été, à la fin d’une carrière comblée des plus grands honneurs, battu par ce tout jeune homme, auquel il avait dû céder la place. »
(Sall. Cat. 49, 2 ; trad. Ernout).
74L’inimitié de Catulus pour César vient de son échec lorsque tous deux briguèrent le grand honos du pontificat. Catulus n’a pas supporté d’être battu par César qui, outre qu’il était plus jeune, était surtout moins avancé dans sa carrière politique. Catulus, lui, avait déjà exercé de très grands honneurs (maxumis honoribus), ce qui légitimait sa prétention à un autre honos. C’est l’accumulation d’honores qui donne un droit supérieur à une marque d’honneur supplémentaire120. Il y a donc une circularité de tous les honores, circularité vertueuse pour le détenteur : plus il accumule les marques d’honneur, plus d’autres honores sont susceptibles de lui échoir. C’est la même logique qui apparaît pour la magistrature et l’éloge funèbre : il s’agit d’un honos exceptionnel, mais qui n’est octroyé que lorsque le défunt a lui-même déjà obtenu l’honos d’une magistrature121. Il en va de même pour le triomphe et le consulat : entre 227 et 79, on voit que parmi les 19 préteurs qui ont triomphé, 15 ont ensuite atteint le summus honos du consulat122.
3.2. La controverse sur la nature du mérite
75Les luttes entre aristocrates et non-aristocrates pour l’accès à l’honos ne sont pas seulement politiques mais aussi idéologiques puisque chacun a tenté de définir à son avantage la nature de la dignitas, le mérite donnant droit à l’honos. Ce dernier a fait l’objet de caractérisations rivales, qui se résument en général à un clivage majeur : l’honneur est fondé tantôt sur l’appartenance à une famille prestigieuse, tantôt sur le mérite personnel123. Ce clivage entre l’honneur conçu comme possession héritée ou comme bien mérité se retrouve dans d’autres sociétés où l’honneur occupe une place importante124.
3.2.1. Genus contre uirtus
76Pour les aristocrates, c’est l’appartenance à une grande famille au riche passé politique qui justifie la prétention aux honores. L’honneur se fonde ainsi sur la naissance et l’extraction, c’est-à-dire le genus. Les nobles, utilisant à leur profit le fonctionnement circulaire des honores, soulignent qu’avoir des ancêtres prestigieux, ayant exercé des charges publiques, constitue un moyen privilégié d’atteindre les honneurs. Dans une lettre adressée à Cicéron, Brutus, issu d’une haute lignée, tient un raisonnement caractéristique de l’aristocratie. Parlant à Cicéron de son fils Marcus en termes élogieux, il lui écrit
[…] tibi persuadeas non fore illi abutendum gloria tua ut adipiscatur honores paternos.
« […] sois persuadé qu’il n’aura pas à utiliser ta gloire pour atteindre les honneurs de son père. »
(Brut. = Cic. Ad Brut. II, 3, 6).
77Pour Brutus, le jeune Marcus, dont le père est ancien consul et père de la patrie, pourrait parfaitement s’appuyer sur la gloria paternelle pour atteindre les honneurs : sa prétention est légitimée par la lignée dont il est issu. Brutus remarque que cela ne sera pas nécessaire, tant Marcus montre de talents, mais cette remarque flatteuse ne change pas le fond de sa pensée. De façon significative, Brutus parle, à propos des marques d’honneur que pourrait obtenir Marcus, d’honores paternos : les honneurs du père sont susceptibles de devenir ceux du fils. Pour l’aristocratie, l’honos des ancêtres se retrouve dans l’honos des descendants125. Les exploits et les charges publiques exercées par les ascendants sont pour un jeune noble un solide moyen d’accès à l’honos : c’est ce que Cicéron appelle la commendatio maiorum126. Les ancêtres d’un noble, rendus présents dans sa demeure par les imagines, constituent une « recommandation » qu’il est possible de faire valoir, notamment pendant les élections : c’est l’excellence des ancêtres et leur importance politique qui sont au cœur de la dignitas de la noblesse. L’aristocratie romaine tend plus généralement à considérer qu’elle bénéficie, de par son statut, d’un authentique droit à l’honos. Marius reproche ainsi aux nobles d’exiger du peuple tous les honneurs quasi debitos127, « comme s’ils leur étaient dus ». Catilina, après son échec au consulat, se sent, dans la représentation qu’en donne Salluste, injustement écarté de l’honos dont il est, dit-il, alienatus, « tenu à l’écart » alors qu’il estime, en patricien qu’il est, y avoir droit128 : il s’en prend à Cicéron, homo nouus, devenu consul, et à Silanus, plébéien, qui est consul désigné. Ces deux hommes, selon lui, ne sont pas digni honore.
78À cette définition du mérite par l’appartenance à une grande famille et le prestige des ancêtres, s’oppose une conception reposant sur l’excellence personnelle et les réalisations individuelles. C’est notamment le point de vue des homines noui. L’impossibilité de faire appel à la commendatio maiorum amène ces derniers à mettre en avant d’autres mérites pour justifier leur prétention à l’honos, parmi lesquels se rencontre surtout la uirtus129. Cela apparaît bien chez Cicéron. À la fin du dernier discours des Verrines, il explique que toutes les peines qu’il a prises pour défendre la cause des Siciliens viennent de sa volonté de gagner l’honos : n’étant pas issu d’une famille aristocratique, il ne peut compter que sur ses efforts, ses labores, et sa valeur personnelle, sa uirtus. Il n’est pas d’ailleurs en cela le seul :
Q. Pompeius, humili atque obscuro loco natus, nonne plurimis inimicitiis maximisque suis periculis ac laboribus amplissimos honores est adeptus? Modo C. Fimbriam, C. Marium, C. Caelium uidimus non mediocribus inimicitiis ac laboribus contendere ut ad istos honores peruenirent ad quos uos per ludum et per neglegentiam peruenistis.
« Quintus Pompéius, né dans une famille humble et obscure, n’a-t-il pas, au prix de nombreuses inimitiés et de très grands dangers et efforts, obtenu les honneurs les plus importants ? Nous avons vu il y a peu Gaius Fimbria, Gaius Marius, Gaius Caelius aux prises avec des inimitiés et des peines qui étaient tout sauf minimes, pour parvenir à ces honneurs auxquels vous êtes parvenus en vous amusant et en négligeant tout. »
(Cic. Verr. II, V, 181).
79Cicéron oppose la situation des nobles, qui parviennent aux honneurs grâce à leur naissance, à celle des Romains d’extraction obscure qui obtiennent les honneurs periculis et laboribus : c’est par des exploits personnels que l’honos se gagne quand on n’est pas noble. À propos de Caton, Cicéron écrit quelques lignes plus haut : uirtute, non genere populo Romano commendari putaret, « il pensait que c’était son mérite et non sa naissance qui le recommandait au peuple romain »130. Cicéron reprend, à propos de l’homo nouus qu’est Caton l’Ancien, la notion aristocratique de commendatio mais remplace les ancêtres par la uirtus : c’est l’excellence personnelle, au service de la république, qui sert de « recommandation » auprès du peuple pour accéder à l’honos131. Plusieurs années après son élection, dans son discours contre Pison, Cicéron rejette avec une mordante raillerie la définition nobiliaire du mérite :
Numquam erat audita uox in foro, numquam periculum factum consili, nullum non modo inlustre sed ne notum quidem factum aut militiae aut domi. Obrepsisti ad honores errore hominum, commendatione fumosarum imaginum, quarum simile habes nihil praeter colorem.
« Jamais l’on n’avait entendu ta voix sur le forum, jamais l’on n’avait fait l’épreuve de ton jugement, aucune action, je ne dis pas d’éclat, mais même connue, n’avait été accomplie, ni à l’armée, ni à l’intérieur. Tu t’es glissé jusqu’aux honneurs grâce à l’erreur générale, grâce à l’appui d’images enfumées, auxquelles, en toi, rien ne ressemble que le teint. »
(Cic. Pis. 1 ; trad. Grimal).
80Pison n’a dû son élection, dit Cicéron, qu’à l’appui d’« images enfumées », c’est-à-dire les imagines situées dans l’atrium de la maison, insignes de la nobilitas. Cicéron oppose l’accès à l’honos par la naissance à un accès par l’action méritante, à l’armée et au forum, militiae aut domi. Le mérite ne peut se définir par la naissance car cette dernière ne garantit en rien l’excellence personnelle : même si les ancêtres de Pison sont des hommes de valeur, cette valeur ne se transmet pas et Pison ne leur ressemble nullement. Seul son teint, altéré par la fréquentation des lieux de débauche, est semblable aux imagines des ancêtres132.
81Une conception semblable apparaît dans le discours hostile à la noblesse que Salluste fait tenir à Marius dans le Bellum Iugurthinum. Un passage est particulièrement révélateur de la place prise par la uirtus dans la définition du mérite133 :
Quod si iure me despiciunt, faciant item maioribus suis quibus, uti mihi, ex uirtute nobilitas coepit. Inuident honori meo; ergo inuideant labori, innocentiae, periculis etiam meis, quoniam per haec illum cepi. Verum homines corrupti superbia ita aetatem agunt quasi uostros honores contemnant; ita hos petunt, quasi honeste uixerint. Ne illi falsi sunt, qui diuorsissumas res pariter expectant, ignauiae uoluptatem et praemia uirtutis.
« Si les nobles ont le droit de me mépriser, qu’ils en fassent autant pour leurs ancêtres qui n’ont dû, comme moi, leur noblesse qu’à leur mérite. Ils m’envient l’honneur qui m’est fait ; qu’ils m’envient donc mon labeur, mon intégrité, les dangers même que j’ai courus, puisque c’est à ce prix que je l’ai obtenu. Mais ces hommes corrompus par leur orgueil vivent comme s’ils méprisaient vos honneurs ; et ils les briguent comme s’ils vivaient honorablement. Ils sont totalement dans l’erreur en voulant obtenir simultanément ces choses incompatibles, le plaisir de la paresse et les récompenses dues au mérite. »
(Sall. Iug. 85, 17-20 ; trad. Ernout modifiée).
82Marius, après avoir obtenu le consulat, fustige la noblesse à laquelle il reproche de ne rien faire pour mériter les honneurs qu’elle brigue. Pour l’homo nouus qu’est Marius, seule l’action peut valoir de l’honos : ce dernier s’obtient à force de peine et l’on retrouve le labor et les pericula déjà mentionnés par Cicéron. L’image que se fait Marius de la recherche de l’honos est celle d’une quête : rien n’est donné, il faut prendre (cepi). C’est donc l’action et la peine, le labor, qui permettent d’accéder à l’honos. Le mérite de Marius se concentre, ici encore de manière parallèle à la pensée cicéronienne, dans la uirtus. Celle-ci concerne la vaillance militaire, dont Marius est un des meilleurs représentants, mais aussi les qualités morales telles que l’innocentia et une vie menée honeste. Ce sont aussi des vertus qui constituent le mérite, vertus qui s’opposent à la conduite des nobles qui sombrent dans la corruption et la paresse, se rendant ainsi indignes de l’honos134. Marius oppose une dignitas de l’action et de la droiture morale à une prétention à l’honos fondée sur la naissance et le prestige familial135. Les homines noui comme la nobilitas tentent donc de donner du mérite une définition en adéquation avec leur statut ainsi qu’avec l’idéologie du groupe auquel ils appartiennent, en ramenant la dignitas du côté de la uirtus ou du genus136.
3.2.2. Les limites de cette opposition idéologique
83Cependant, il ne faut pas opposer de manière trop tranchée ces deux conceptions des sources de l’honos car chacune d’elles n’est pas aussi fermement attachée qu’il y paraît au groupe qui s’en réclame. Il y a bien eu, notamment au Ier siècle, une controverse sur la nature du mérite, mais la ligne de partage entre genus et uirtus, ainsi qu’entre nobles et hommes nouveaux, est en réalité difficile à dessiner. Du côté des nobles, d’abord, la place accordée aux maiores et à la naissance ne doit pas occulter l’importance de la notion de uirtus au sein de l’aristocratie et son rôle dans la prétention à l’honos. C’est principalement sous l’égide de la nobilitas que la uirtus est devenue à Rome une valeur prisée ; elle a été mobilisée par cette noblesse pour se constituer une image d’elle-même cohérente parallèlement à la consolidation des critères objectifs d’appartenance à l’aristocratie : la uirtus est une de ces qualités morales qui donnent une stabilité à la nouvelle élite patricio-plébéienne émergeant à partir du IVe siècle137. La place prépondérante de la uirtus et du service de la cité comme sources de l’honos est une trace de cette idéologie nobiliaire, encore bien perceptible au Ier siècle. Les deux notions jouent en effet un rôle crucial pour l’aristocratie nouvelle qui naît après les lois licinio-sextiennes : la première parce qu’elle permet à la nobilitas de se différencier du patriciat, l’ancienne noblesse, la seconde parce qu’elle est le socle sur lequel la nobilitas, noblesse de charge publique, s’édifie. Plusieurs textes mettent d’ailleurs en avant les vertus de la nobilitas pour montrer que cette dernière a droit à l’honos : Marius soulignait son innocentia dans le texte précédent, mais c’est aussi de cette innocentia que naît, selon Scipion Émilien, la dignitas qui ouvre sur l’honos138. Dans l’épitaphe de Scipion Hispanus, l’honor dont le défunt s’enorgueillit est la conséquence logique des uirtutes dont la mention inaugure l’elogium139. La uirtus apparaît donc comme une valeur attachée initialement à la nobilitas puis étendue aux milieux non aristocratiques : elle devient alors, pour les uns et les autres, un fondement de l’honos140. Cependant, dans la conception des homines noui, la noblesse du Ier siècle ne peut plus utiliser la uirtus pour prétendre à la dignitas car elle a déchu moralement : Marius reconnaît dans son discours qu’autrefois la nobilitas était étayée sur la uirtus mais que ce n’est plus le cas à son époque141. C’est dès lors sur le genus que les nobles se sont rabattus, pervertissant la seule définition légitime, aux yeux des hommes nouveaux, du mérite142. Ce sont ainsi, paradoxalement, les homines noui qui se considèrent comme les héritiers des ancêtres de la nobilitas car ils ont perpétué l’idéal de uirtus. Ils n’ont donc pas fait que s’emparer de la uirtus, ils l’ont aussi retournée contre les nobles qui en étaient à l’origine et ont pu prétendre incarner alors la véritable noblesse, comme le fait le Marius de Salluste143.
84L’opposition entre uirtus et genus doit aussi être relativisée en raison de la nature particulière de l’homo nouus. Ce dernier possède en effet un statut ambigu : il parvient, par sa uirtus et son labor, à conquérir l’honos et à briser les barrières posées par la noblesse. Mais en atteignant l’honneur suprême du consulat, il devient à son tour créateur de noblesse pour ses descendants. Et ces derniers pourront dès lors se prévaloir de leur genus pour briguer d’autres honores. Cette position charnière de l’homo nouus apparaît avec éclat quand Cicéron parle de son fils, comme dans ce passage du Pro Plancio :
Quaesisti utrum mihi putarem, equitis Romani filio, faciliorem fuisse ad adipiscendos honores uiam an futuram esse filio meo, quia esset familia consulari. Ego uero quamquam illi omnia malo quam mihi, tamen honorum aditus numquam illi faciliores optaui quam mihi fuerunt.
« Tu as demandé si je pensais que le chemin m’avait été plus facile, pour parvenir aux magistratures, à moi, fils d’un chevalier romain, qu’il ne le serait à mon fils, parce qu’il était d’une famille consulaire. Eh bien, vois-tu, j’ai beau préférer en tout son bien au mien, je n’ai jamais pourtant souhaité que l’accès aux honneurs lui fût plus facile qu’il ne le fut pour moi. »
(Cic. Planc. 59 ; trad. Grimal modifiée).
85Cicéron a eu du mal à se ménager un accès aux honneurs car il n’appartenait pas à la noblesse. Mais maintenant qu’il est consulaire, il ouvre à son fils une voie bien plus facile pour obtenir les charges publiques : son fils, devenu nobilis, pourra bénéficier du prestige de son père. Cicéron reste cependant marqué par les valeurs de l’homo nouus et souhaite que son fils parvienne comme lui aux honores par l’effort personne.
3.3. La réglementation de l’accès à l’honos
86Si la délimitation des statuts à l’origine de l’honos est assez simple, puisque le fait d’être citoyen, sénateur ou patronus répond à des critères précis, bien des qualités reconnues comme motifs d’honneur, telles que la vaillance militaire ou le pudor, ne sont pas définies de manière objective. C’est pourquoi s’est développée progressivement une réglementation concernant les modalités d’accès à certains honores. Une autre raison de ce souci de normativité réside dans la grande valeur attachée à certains honores militaires et politiques et dans l’augmentation consécutive du nombre de prétendants : il est dès lors devenu nécessaire de contrôler l’accès à certains honores par des dispositions contraignantes.
87Deux types de marques d’honneur ont fait l’objet de réglementations bien connues : les honores militaires et les charges publiques. Certaines décorations honorant la bravoure au combat ne pouvaient être octroyées que si le soldat répondait à des exigences très précises. La couronne civique, donnée à celui qui a sauvé la vie d’un citoyen romain, n’était conférée que si le soldat avait tué l’adversaire qui menaçait le citoyen en question et s’il occupait pendant un jour entier l’endroit où le combat avait eu lieu144. L’obtention d’une supplicatio était contrôlée par le sénat145 : le général devait jouir de l’imperium et du droit d’auspices majeurs, et avoir vaincu des ennemis en grand nombre au cours d’un affrontement régulier, dans le cadre d’un bellum iustum. La réglementation du triomphe est celle qui nous est la mieux connue, grâce aux passages de l’histoire livienne où des débats s’élèvent sur son octroi et à des textes d’Aulu Gelle et de Valère Maxime146. Pour triompher, il faut avant tout détenir l’imperium et avoir mené la guerre suis auspiciis147. Comme pour la supplicatio, la guerre doit avoir été un bellum iustum conforme au droit fétial148 ; une victoire dans une guerre civile ne donne pas droit, en principe, au triomphe149. Le général devait aussi avoir fait au moins 5000 morts du côté ennemi, et la victoire devait être décisive et avoir étendu l’empire de Rome150.
88L’accès à l’honos des magistratures a lui aussi été progressivement régulé. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer la lex Villia Annalis qui prévoyait un âge minimal pour accéder à la préture et au consulat, imposait un intervalle de deux ans entre l’exercice de deux honores et fixait l’ordre de leur succession151. D’autres dispositions légales visaient à interdire l’accès aux charges politiques à certaines catégories de personnes. La table d’Héraclée, qui contient le texte d’une loi du Ier siècle avant notre ère152, définit, entre autres dispositions, les conditions d’accès au duumvirat et au quattuorvirat en interdisant leur exercice, sauf exception, à ceux qui ont moins de trente ans et à ceux qui sont crieurs publics ou entrepreneurs de pompes funèbres. L’honos municipal était aussi interdit aux soldats dégradés pour lâcheté, aux lanistes, aux comédiens et aux proxénètes153. Le Digeste présente aussi plusieurs dispositions légales réglant l’accès à l’honos : il y avait, par exemple, un âge minimal et maximal pour être décurion et il n’était pas possible d’exercer en même temps deux honores dans deux cités différentes154.
89Les modalités de désignation des prêtres ont également été plus nettement contrôlées avec le temps. Jusqu’au IIIe siècle, les membres des collèges et des sodalités sont renouvelés, à quelques exceptions près, par cooptation155. Puis, depuis le milieu du IIIe siècle, le grand pontife est élu parmi trois candidats désignés par les pontifes, par une assemblée spéciale réunissant dix-sept tribus, tirées au sort parmi les trente-cinq156. Ce processus électoral est étendu à la fin du IIe siècle par la lex Domitia aux prêtres des collèges pontifical, augural, décemviral et septemviral, les sodalités continuant de pratiquer la cooptation157. La loi sera brièvement abolie à l’époque de Sylla puis remise en place en 63.
90Plusieurs règles délimitent donc les conditions dans lesquelles l’honos peut être octroyé. Mais cette réglementation n’est que très partielle : les conditions d’obtention des services, éloges, dons et d’autres marques d’honneur ne font l’objet d’aucune définition158. En outre, les règles que nous avons observées ont été, pour la plupart, élaborées progressivement pour faire face à des situations problématiques. Les conditions d’obtention du triomphe, par exemple, se sont empiriquement ajoutées les unes aux autres et ne forment pas un système concerté de régulations159. Il faut également garder à l’esprit que, à l’exception des dispositions concernant les magistratures, les conditions posées pour accéder aux honores ne sont pas des règles juridiques très précises. Le sénat peut faire preuve de flexibilité dans l’octroi du triomphe et l’accorder quand certaines exigences ne sont pas satisfaites160. Les règles qui contrôlent l’honos relèvent plus de la coutume, du mos, que du droit, du ius. On le perçoit dans un texte de Tite Live qui fait état du retour du proconsul d’Espagne Lucius Manlius, en 185. Ce dernier demande le triomphe mais il lui est refusé car il n’a pas mené l’assaut final lors de la bataille et a été obligé de rentrer à Rome sans ses troupes161 :
L. Manlius proconsul ex Hispania redierat; cui postulanti ab senatu in aede Bellonae triumphum rerum gestarum magnitudo impetrabilem faciebat, exemplum obstabat quod ita comparatum more maiorum erat ne quis qui exercitum non deportasset triumpharet nisi perdomitam pacatamque prouinciam tradidisset successori. Medius tamen honos Manlio habitus ut ouans Vrbem iniret.
« Le proconsul Lucius Manlius était revenu d’Espagne ; il demandait le triomphe au sénat réuni dans le temple de Bellone, demande que rendait légitime l’ampleur de son œuvre accomplie, mais les exemples précédents s’y opposaient parce qu’il avait été établi dans la coutume ancestrale que celui qui ne ramenait pas son armée ne pouvait triompher à moins d’avoir transmis à son successeur une province totalement soumise et pacifiée. On octroya cependant à Manlius un honneur intermédiaire, le droit d’entrer dans la Ville avec l’ovation. »
(Liv. XXXIX, 29, 4-5).
91L. Manlius ne remplit pas l’une des conditions du triomphe et ne peut de ce fait recevoir l’honos. L’historien indique que cette condition n’est pas une règle de droit mais une norme établie more maiorum, par la coutume ancestrale. On ne connaît de fait aucun texte juridique, mis à part la lex Marcia Porcia de 62, qui réglemente l’octroi du triomphe162. Comme l’indique le texte de Tite Live, ce sont les exempla anciens qui établissent les normes de fonctionnement. Cela explique que ces normes puissent faire l’objet d’ajustements : le mos maiorum est un code ancestral qui régule la conduite des contemporains mais est susceptible de variations et d’enrichissements progressifs163. Les magistratures elles-mêmes ne sont, avant la lex Villia Annalis, régulées par aucun droit constitutionnel : c’est la coutume ancestrale qui sert ici encore de guide164.
Conclusion et mise en perspective historique
92L’étude des sources de l’honos et de ses conditions d’accès a permis de préciser le fonctionnement de ce dernier ainsi que la représentation que s’en font les Romains. Le prestige et les marques d’honneur reposent sur des mérites particuliers, pensés sous le terme générique de dignitas. Cette dernière est à la fois l’origine et le fondement de l’honos : elle motive son octroi tout en le légitimant car l’honos qui répond à la dignitas se conforme ainsi à la norme de l’aequum. On ne rencontre pas à Rome de définition officielle et objective des motifs d’honos165 mais l’observation des textes permet de dégager deux catégories principales. L’honos peut d’abord reposer sur des comportements et des qualités, tels que la valeur militaire, l’excellence morale ou les bienfaits aux concitoyens. Tous ont en commun de prendre en compte l’intérêt de la collectivité et d’incarner la uirtus, sous des aspects différents. Ces qualités sont aussi toutes conformes au mos maiorum, le code de conduite ancestral qui régit la vie des Romains de la République. L’autre catégorie de motifs d’honos concerne le statut ou l’identité : avoir une position familiale, sociale, civique ou sacrée distincte est une source de prestige et d’hommages. Il en est ainsi car toutes ces situations impliquent l’existence de liens sociaux qui contribuent à la cohérence de la collectivité romaine. Ces liens familiaux, amicaux, sacrés,… reposent en outre sur le respect de valeurs essentielles, issues elles aussi du mos maiorum, telles que la fides ou la pietas. Le capital symbolique qu’est l’honos provient ainsi de la reconnaissance publique de deux types de capitaux, le capital moral et le capital social. Ces différentes sources d’honos ne suffisent cependant pas à rendre compte de l’accès des Romains à l’honneur : il y a en ce domaine des prérogatives et des obstacles particuliers. L’aristocratie se procure en effet plus facilement l’honos et tend à établir dessus un monopole régulièrement contesté au cours de l’histoire. Si tous estiment que la dignitas est à l’origine de l’honos, cette notion de mérite a fait l’objet d’appropriations rivales, la noblesse la tirant vers le genus alors que ceux qui n’appartenaient pas à l’aristocratie la rapprochaient de la uirtus. Cet antagonisme idéologique doit cependant être nuancé par l’origine aristocratique de la notion de uirtus et par la proximité sociale des homines noui et de la nobilitas. L’accès à l’honos, enfin, a fait l’objet de différentes réglementations. Mais ces dernières, de toute manière peu étendues, restent du domaine de la coutume et non du droit.
93Pour terminer l’étude des sources et conditions de l’honos, nous proposons un rapide aperçu de l’évolution historique de l’accès à l’honneur. On constate d’abord qu’à partir du milieu du IIe siècle de nouvelles sources d’honos font leur apparition. Des activités plus intellectuelles donnent un nouvel accès à l’honneur. On le voit par exemple avec la place faite à la poésie, dans le Pro Archia notamment. Cicéron a naturellement intérêt à insister sur l’honorabilité de cette pratique puisqu’il défend un poète mais son argumentation témoigne aussi de la dignité nouvelle de la poésie aux yeux des juges de son époque : la valeur de la poésie et des lettres en général est affirmée dans l’excursus sur les litterae, où Cicéron déclare qu’il ne faut pas rougir de s’adonner à ce type d’activités166, et avant cela quand l’orateur souligne qu’Archias bénéficie d’un réel honos dans la société romaine167. La philosophie bénéficie elle aussi au Ier siècle d’une certaine considération : au début du De natura deorum, il est question de l’honos dont jouissent les principales écoles philosophiques, épicurienne, stoïcienne, académicienne et antiochéenne, au milieu du Ier siècle. Le dialogue met d’ailleurs en scène des hommes politiques romains tels que Cotta, Velleius et Balbus, qui s’y intéressent vivement168. La poésie et la philosophie sont ainsi intégrées parmi les motifs d’honos à côté des qualités militaires, morales et civiques. Il faut reconnaître là la marque de l’hellénisme et les conséquences de l’ouverture croissante de l’aristocratie romaine à la culture grecque au cours des IIe et Ier siècles : la place prise par la poésie et la philosophie comme moyen d’accès à l’honos correspond à la dernière phase d’hellénisation, choisie, des couches supérieures de la société romaine169. Cette ouverture à des valeurs culturelles grecques offrait à la nobilitas un nouveau terrain de compétition, par la recherche de l’excellence dans des activités et des modes de vie innovants par rapport à l’antique mos maiorum ; cela a conduit, corrélativement, les sources d’honos à évoluer depuis la pratique politique et militaire traditionnelle vers des activités plus intellectuelles170.
94Ces nouveaux motifs d’honos ne doivent pourtant pas nous amener à considérer que les fondements de ce dernier ont radicalement changé à partir du milieu du IIe siècle. On remarque, d’abord, une persistance d’éléments traditionnels de prestige. Le développement, après les Gracques, d’une nouvelle figure politique centrale, celle de l’imperator, en témoigne. Les victoires remportées par Marius, Sylla, Pompée et César constituent un élément essentiel de leur notoriété et de leur suprématie politique. Le cas de Marius est exemplaire : son élévation à l’honos suprême du consulat, qu’il exerça sept fois, repose non pas sur la maîtrise d’une culture raffinée, mais sur son éclatante carrière militaire : sa uirtus reste martiale, sans entrer en contact avec l’hellénisme171. Même Cicéron, parvenu aux honores par une carrière civile, a recherché à augmenter son prestige par des victoires militaires. Lors de son proconsulat de Cilicie, à l’occasion de luttes victorieuses menées contre les ennemis de Rome dans la zone frontière du mont Amanus, entre Syrie et Cilicie, il fut salué imperator par ses troupes et rechercha ensuite à obtenir les honores d’une supplication, qui lui fut octroyée, puis d’un triomphe qu’il n’obtint jamais, entre autres à cause du début de la guerre civile172. L’honos reste donc étroitement lié à l’excellence militaire. La continuité des sources de l’honos apparaît également quand on observe ce qui fait, en profondeur, l’honorabilité de la poésie et de la philosophie. Cette dernière, par exemple, est devenue honorable en tant que discipline, contenu intellectuel, mais la posture du philosophe reste problématique : se présenter comme un philosophe qui tient école est encore à la fin de la République une conduite très originale ; c’est ce qui fait toute la particularité de l’attitude de Cicéron dans les Tusculanes, lorsqu’il se met à dispenser des leçons de philosophie173. La philosophie est parfaitement honorable, en revanche, quand ceux qui s’y intéressent restent des hommes d’État et assument principalement des fonctions civiques et politiques. On retrouve donc ici la matrice des motifs traditionnels d’honos, c’est-à-dire le service de la cité174. L’otium litteratum vanté par Cicéron dans le Pro Archia est du même ordre : les poètes méritent l’honos car leur œuvre exalte la grandeur de Rome et attise chez les lecteurs l’amour de la uirtus au bénéfice de la cité entière175.
95Une seconde évolution historique remarquable des motifs d’honos consiste dans l’accroissement des honores donnés sans mérite manifeste ou contrairement aux réglementations. Un des aspects de la crise qui touche la République romaine au dernier siècle de son existence est la multiplication des infractions au fonctionnement traditionnel de l’honos ou l’indignité manifeste des individus qui en bénéficient. Cette dernière caractéristique est isolée par Polybe, dans son analyse des cycles des régimes politiques, comme la cause de la décadence d’une aristocratie176 : les gouvernants de l’aristocratie se montrent initialement dignes des honneurs qui leur sont faits après la chute de la royauté mais leurs descendants, qui bénéficient aussi de ces honneurs, n’ont pas une conduite en accord. L’honneur ne repose plus sur le mérite, ce qui précipite la chute du régime. Cette analyse ne peut pas être transposée telle quelle dans la Rome tardo-républicaine mais elle a l’intérêt de replacer l’effacement des motifs à la source de l’honos dans un processus historique de décadence qui n’est pas totalement étranger à la situation romaine. Nous en avons un exemple avec l’affaire de Plancius, accusé de fraude lors de son élection à l’édilité : dans son plaidoyer pour Plancius, Cicéron essaie de contrecarrer les accusations des adversaires qui mettent en avant l’indignité morale de son client177. La vie et les mœurs de Plancius font l’objet d’une grande attention car si l’accusation parvient à établir leur indignité, elle délégitimera du même coup l’octroi de l’honos. Cicéron met donc en avant la fides, la uirtus et la misericordia de celui qu’il défend178. Cependant, nous savons que c’est plus vraisemblablement le soutien des triumvirs, et notamment de Crassus, ainsi que l’appui des chevaliers qui avaient valu à Plancius son élection179. Cicéron essaie d’étayer l’honos sur des motifs moraux mais il est probable que leur invocation soit purement oratoire ; ils continuent à fonder l’honos, mais dans les représentations, de manière conventionnelle. À cette fossilisation des motifs de l’honos s’ajoute le développement d’honores extraordinarii, octroyés contrairement aux règles que nous avons identifiées180. Brutus reproche ainsi à Cicéron d’avoir fait accorder des honneurs démesurés à Octave et redoute que cela ne l’encourage à convoiter de grands pouvoirs181. De façon clairvoyante, Brutus relie le dysfonctionnement des honores à la décadence de la République. Cicéron reconnaît qu’octroyer l’imperium à Octave malgré son jeune âge est un honos très inhabituel mais le justifie par la nécessité pour lui d’avoir ce pouvoir puisqu’une armée est sous ses ordres182. D’autres anomalies touchent l’octroi du triomphe et constituent encore un exemple du délabrement des institutions républicaines183. Ces perturbations affectant l’honos ne datent pas cependant du Ier siècle. Scipion l’Africain semble avoir été un des premiers à se singulariser par l’obtention ou l’octroi d’honores extraordinarii : il reçut en 210 avant notre ère l’imperium, alors qu’il n’avait été qu’édile curule, pour commander les opérations en Espagne184. Tite Live le représente, après la victoire sur Syphax, donnant des distinctions considérables à Massinissa : il lui octroie une chaise curule, insigne réservé aux magistrats supérieurs, ainsi que les distinctions des triomphateurs185. Ces innovations dans l’usage des marques d’honneur confèrent à Scipion un prestige exceptionnel et signent l’émergence de la figure nouvelle de l’imperator ; elles sont également à mettre en rapport avec le développement de la « légende de Scipion » qui le présente comme un favori des dieux186. Ici encore, le dysfonctionnement de l’honos va de pair avec la montée en puissance d’un individu dont l’affirmation met en péril l’équilibre de la res publica et les règles de la compétition aristocratique.
Notes de bas de page
1 Sur l’importance du sème du /mérite/ pour ces deux sens du mot, et sur son caractère assez imprécis, voir supra p. 51 sqq. et 68 sqq.
2 Voir p. 292.
3 Sur ce texte, voir l’édition commentée de Calboli, Catonis Pro Rhodiensibus.
4 Voir M. Ducos, Les Romains et la loi, Paris, Les Belles Lettres, 1984, p. 303-338 ; F. Callier, « Einige Bemerkungen über das ius und das aequum bei Terenz », in Blänsdorf, J.(éd.), Theater und Gesellschaft im Imperium Romanum, Tübingen, 1990, p. 81-92 ; G. Ciulei, L’Équité chez Cicéron, Amsterdam, A. M. Hakkert, 1972 ; P. Cerami, « Aequum iudicium e ‘giusto processo’ : prospettive romane e moderne », ASGP, 46, 2000, p. 115-130.
5 Cic. Off. I, 124 ; Rep. III, 16 ; Verr. II, III, 6. Voir Ducos, Les Romains et la loi, p. 50.
6 Sur les actions in aequum et bonum conceptae, voir Ciulei, L’Équité chez Cicéron, p. 9.
7 Par exemple chez Plaute : Pl. Curc. 64 ; Men. 580 ; Most. 682 ; Pers. 399 ; St. 423 ; Trin. 97. Voir Ducos, Les Romains et la loi, p. 325.
8 Ter. Heaut. 796.
9 Ducos, Les Romains et la loi, p. 307 et 328.
10 Arstt. EN, livre V et notamment 1137b.
11 Ducos, Les Romains et la loi, p. 331-335. Pour Cicéron, l’équité est notamment liée à l’interprétation de la loi : elle consiste à s’attacher à l’esprit plutôt qu’à la lettre (Cic. Caecin. 65).
12 Dig. XI, 7, 14, 6.
13 Scipion, parlant en son nom propre, développe un raisonnement similaire en Rep. I, 43 où l’aequabilitas est qualifiée d’iniqua.
14 Sur l’égalité géométrique, voir Nicolet, Métier, p. 81 sqq ; C. Nicolet, « L’idéologie du système centuriate et l’influence de la philosophie politique grecque » in La filosofia greca e il diritto romano, Rome, Accademia nazionale dei Lincei, 1976, p. 111-137 ; J.-L. Ferrary, « Le idee politiche a Roma nell’epoca repubblicana », in Firpo, L. (éd.), Storia delle idee politiche, economiche e sociali, Turin, UTET, 1982, vol. 1, p. 723-804, aux p. 738-739 ; Ducos, Les Romains et la loi, p. 327-331 ; M. Humm, Appius Claudius Caecus, Rome, E.F.R., 2005, p. 584-600. Il s’agit d’un principe ancien, que l’on rencontre chez les Pythagoriciens (A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, Liège, Vaillant-Carmanne, 1922, p. 100-106), chez Platon (Gorg. 508a ; Lois VI, 757a-e) qui la préfère à l’égalité arithmétique et chez Aristote (EN 1131b-1133b) qui en fait le socle de la justice distributive.
15 Sur le capital symbolique comme capital reconnu par les agents sociaux, voir supra p. 231-232 et Bourdieu, Raisons pratiques, p. 161 : « J’appelle capital symbolique n’importe quelle espèce de capital (économique, culturel, scolaire ou social) lorsqu’elle est perçue selon des catégories de perception, des principes de vision et de division, des systèmes de classement, des schèmes classificatoires, des schèmes cognitifs, qui sont, au moins pour une part, le produit de l’incorporation des structures objectives du champ considéré, c’est-à-dire de la structure de la distribution du capital dans le champ considéré. »
16 Sur l’évolution de l’opinion du peuple romain face à la guerre, voir W. V. Harris, War and Imperialism in Republican Rome 327-70 B. C., Oxford, Clarendon Press, 1985, p. 43 sqq.
17 Sur ce sens de uirtus, voir Eisenhut, Virtus romana, p. 28.
18 Voir supra p. 257.
19 Cic. Prou. 25.
20 Cic. Phil. XIV, 12.
21 « Military success was not only highly advantageous to the Roman state, it was of vital importance to the personal aims and interests of many, probably most, Roman aristocrats » (Harris, War and Imperialism, p. 17).
22 Voir par exemple la place occupée par les succès militaires dans les épitaphes des Scipions (chapitre 14). L’idéal de la pax ne devint réel qu’au milieu du Ier siècle, avec la génération de Cicéron, et parmi les Romains de condition élevée. Voir par exemple Lucr. DRN I, 29-40 et Cic. Att. I, 20, 5. Sur ce point, Ibid., p. 36.
23 Le fait de prendre la fuite, de manquer de courage, constitue à l’inverse une action turpis, c’est-à-dire déshonorante (Caes. BC II, 31, 4).
24 Cic. Phil. XIV, 33.
25 La notion de uirtus a fait l’objet de plusieurs études, de nature surtout philologique. Voir E. W. Webster, Virtus and Libertas. The Ideals and Spirit of the Roman Senatorial Aristocracy from the Punic Wars through the Time of Augustus, Diss., University of Chicago, Chicago, 1934 ; Van Omme, Virtus. Een semantiese studie ; Büchner, « Altrömische und horazische virtus » ; Eisenhut, Virtus romana ; H. Steinmeyer, « Der virtus-Begriff bei Cicero und Seneca », AU, 17, 1974, p. 50-59 ; J. Sarsila, « Some Notes on Virtus in Sallust and Cicero », Arctos, 12, 1978, p. 135-143 ; Mutschler, « Virtus und kein Ende ? » ; Mutschler, « Virtus 2002 : zur Rolle der ‘römischen Werte’ in der Altertumswissenschaft » ; McDonnell, Roman Manliness ; C. E. Balmaceda, « ‘Virtus Romana’ en el siglo I a.C. », Gerión, 25 (1), 2007, p. 285-303.
26 DELL p. 739 s. v. uir ; Eisenhut, Virtus romana, p. 12 et McDonnell, Roman Manliness, p. 2.
27 Sur le lien entre uir et uirtus, voir Cic. Tusc. II, 43. Contra Eisenhut, Virtus romana (p. 23-24 et 219) considère que le sens premier est plus large et désigne l’« excellence » et la « capacité ». Sur le rapport à la virilité et au courage, voir Büchner, « Altrömische und horazische virtus », p. 377 et Hellegouarc’h, Vocabulaire, p. 244. Voir surtout la démonstration de M. McDonnell sur l’importance de la virilité et du courage physique dans la uirtus des IIIe et IIe siècles (McDonnell, Roman Manliness, p. 12-71). Le sens de « valeur », « capacité » se rencontre à l’époque de Plaute, mais il est moins fréquent que celui de « courage » ou « vaillance ». C’est aussi de cette bravoure qu’il est question dans le tout premier texte où apparaît la notion, un fragment de la loi des XII Tables (= Plin. NH XXI, 7 ; Cic. Leg. II, 24, 60) qui règle l’usage des couronnes militaires lors des funérailles de celui qui les a obtenues. Le fait qu’il soit question d’une corona, décoration obtenue à l’armée, oriente la notion de uirtus vers la « bravoure » du soldat et montre son lien précoce avec les honores (McDonnell, Roman Manliness, p. 14 rejette avec raison, pour le texte des XII Tables, la traduction d’Eisenhut par « valeur, capacité »).
28 Sur l’influence d’ἀρετή, voir Eisenhut, Virtus romana, p. 14-22 et McDonnell, Roman Manliness, p. 72-141.
29 Sur le lien entre uirtus et reconnaissance de la communauté, sous forme d’honos ou de fama, se reporter à Büchner, « Altrömische und horazische virtus », p. 380.
30 Sur le rapprochement des deux divinités et les temples communs qui leur sont consacrés voir infra chapitre 11.
31 Sur ce sens de pudor, voir Thomas, Déshonneur et honte, p. 337. Outre cet ouvrage, voir, sur la notion de pudor, E. Vaubel, Pudor, verecundia, reverentia. Untersuchungen zur Psychologie von Scham und Ehrfurcht bei den Römern bis Augustin, Münster, 1969 ; K. Hopkins, « From Shamelesness to Guilt. The Roman Moral Revolution », PCA, 81, 1984, p. 23-24 ; A. Wlosok, « Nihil nisi pudorem. Über die Rolle der Scham in der römischen Rechtskultur », in Heck, E. et Schmidt, E. A. (éds.), Res humanae - res divinae. Kleine Schriften, Heidelberg, C. Winter, 1990, p. 84-100 ; Kaster, Emotion, Restraint and Community in Ancient Rome, p. 28-65 ; R. Alexandre, C. Guérin et M. Jacotot (éds.), Rubor et pudor. Vivre et penser la honte à Rome, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2012.
32 Thomas, Déshonneur et honte, p. 398.
33 Sur la condition juridique des acteurs, W. M. Green, « The Status of Actors at Rome », CPh, 28, 1983, p. 301-304 ; M. Ducos, « La condition des acteurs à Rome. Données juridiques et sociales », in Blänsdorf, J. (éd.), Theater und Gesellschaft im Imperium Romanum, Tübingen, 1990, p. 19-33 ; C. Edwards, « Unspeakable Professions : Public Performance and Prostitution in Ancient Rome », in Hallett, J. P. et Skinner, M. B. (éds.), Roman Sexualities, Princeton, Princeton University Press, 1997, p. 66-95 ; C. Hugoniot, « De l’infamie à la contrainte. Évolution de la condition sociale des comédiens sous l’Empire romain », in Hugoniot, C., Hurlet, F. et Milanezi, S. (éds.), Le Statut de l’acteur dans l’Antiquité grecque et romaine, Tours, P.U.F.R., 2004, p. 213-240.
34 L’édit du préteur déclare marqué d’infamie (infamia notatur) celui qui se produit sur une scène pour jouer ou déclamer (Dig. III, 2, 1 et 2, 2, 5). Sur l’infamia en général, A. H. J. Greenidge, Infamia. Its Place in Roman Public and Private Law, Oxford, Clarendon Press, 1894 ; L. Pommeray, Études sur l’infamie en droit romain, Paris, Sirey, 1937 ; Kaser, « Infamia und ignominia in den römischen Rechtsquellen ».
35 Liv. VII, 2, 12 ; Tertul. Spect. 22. La table d’Héraclée montre que les comédiens, comme les autres gens du spectacle, ne peuvent accéder aux magistratures municipales ni à l’ordre des décurions (CIL I2, 593 = FIRA I, no 13, l. 108 sqq.). Voir Ducos, « La condition des acteurs à Rome », p. 20-21.
36 Tac. Ann. I, 77.
37 Sur le caractère déviant de l’acteur, F. Dupont, Le Théâtre latin, Paris, A. Colin, 1988, p. 23, ainsi qu’Edwards, « Unspeakable Professions : Public Performance and Prostitution in Ancient Rome ». Sur le lien entre pudeur et honneur, voir infra p. 476-479.
38 Sur ces aspects de la fides, Freyburger, Fides. Étude sémantique et religieuse depuis les origines jusqu’à l’époque augustéenne, Paris, Les Belles Lettres, 1986, p. 49 sqq. et p. 85 sqq. Sur la notion en général, voir aussi Heinze, « Fides » ; V. D’Agostino, « La Fides Romana », RSC, 9 (1), 1945, p. 73-86 ; Hellegouarc’h, Vocabulaire, p. 23-35 ; P. Boyancé, « Les Romains peuple de la Fides » in Études sur la religion romaine, Paris, 1972, p. 135-152 ; Pöschl, « Politische Wertbegriffe in Rom » ; Thome, Zentrale Wertvorstellungen der Römer, vol. 2, p. 50-84.
39 E. Forbis, Municipal Virtues in the Roman Empire. The Evidence of Italian Honorary Inscriptions, Stuttgart, Teubner, 1996, p. 62 sqq.
40 Cic. Diu. Caec. 71.
41 Sur cette évolution morale de la notion de uirtus, voir McDonnell, Roman Manliness, p. 105-141.
42 Cic. Rep. I, 1 et I, 7. Voir Earl, Tradition, p. 34 ; Webster, Virtus and Libertas, p. 29 ; Steinmeyer, « Der virtus-Begriff bei Cicero und Seneca » et Sarsila, « Some Notes on Virtus in Sallust and Cicero ». Sur le rapport comparé de l’aristocrate et de l’homo nouus à la uirtus, voir p. 339-343.
43 L’inscription ne mentionnant pas de charge supérieure à celle de préteur, Hispanus est sans doute mort peu après l’avoir exercée, en 139. Selon Coarelli, l’inscription daterait des années 130. (F. Coarelli, « Il sepolcro degli Scipioni », DArch, 6 (1), 1972, p. 36-106 et F. Coarelli, Guide archéologique de Rome, Paris, Hachette, 1998, p. 116).
44 L’assomption éthique de la uirtus est notamment sensible dans le célèbre fragment sur la vertu de Lucilius, marqué par la pensée stoïcienne. Sur ce passage, voir le chapitre 16. Sur l’aspect éthique de la uirtus et le rapprochement notamment avec les quatre vertus cardinales de la pensée grecque, voir McDonnell, Roman Manliness, p. 105-141.
45 La notoriété des candidats et la professio faite avant le vote permettaient aux électeurs d’examiner leurs mérites (Nicolet, Métier, p. 328).
46 Cat. frg. XVIII, 93 ORF ; Scip. Aem. frg. inc. 32 ORF.
47 Pl. Trin. 684.
48 Voir les inscriptions qui honorent la générosité des bienfaiteurs d’une cité (Forbis, Municipal Virtues, p. 29-43). Il faut donc relativiser l’affirmation de P. Veyne selon laquelle « Rome ne cultivera pas les honneurs aux évergètes comme faisait la Grèce » (Veyne, Le Pain et le cirque, p. 348). Il est exact que les hommes publics aspirent surtout à des honores politiques fondés sur leur mérite, mais les bienfaiteurs reçoivent également des distinctions concrètes. Sur les honores rendus aux évergètes dans le monde grec, voir Veyne, Le Pain et le cirque, p. 268-272.
49 Voir supra p. 279-280.
50 Tomassetti, « Un edificio antico » : « l’area era fuori dalle cosiddette mura Serviane, nel fondo della sella tra Quirinale e Campidoglio » (p. 39). Voir aussi S. B. Platner et T. Ashby, A Topographical Dictionary of Ancient Rome, Oxford, Oxford University Press, 1929, p. 477 ; Nash, Bildlexikon zur Topographie des Antiken Rom, p. 319 ; A. Golfetto, « Das Grabmal des C. Publicius Bibulus in Rom », AW, 10 (4), 1979, p. 56-57 et G. Lugli, I monumenti antichi di Roma e suburbio, Rome, G. Bardi, 1930, au vol. 1, p. 262.
51 Le tombeau des Scipions était ainsi placé auprès de la via Appia, la route vers le monde hellénique de l’Italie du Sud, localisation bien en accord avec l’ouverture de la famille à l’hellénisme. Voir F. Zevi, « Considerazioni sull’elogio di Scipione Barbato », Studi Miscellanei, 15, 1969-1970, p. 63-73 et J. Van Sickle, « The Elogia of the Cornelii Scipiones and the Origin of Epigram at Rome », AJPh, 108 (1), 1987, p. 41-55, à la page 41.
52 Tomassetti, « Un edificio antico », p. 70.
53 Pour une application de la loi de l’offre et de la demande au phénomène du prestige social, Goode, The Celebration of Heroes, p. 46-48. Le cas du sacrifice pour la patrie montre aussi que l’honorabilité se situe là où est la dépense la plus grande, celle de sa propre vie. Il y a une analogie entre le coût d’une conduite et son potentiel de prestige. Pour une analogie comparable entre coût et beauté, voir T. Veblen, Théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, 1970, p. 84 sqq.
54 Cic. Phil. XIV, 12. Les triomphes et les supplications ne pouvaient être octroyés que lorsque la victoire avait été remportée sur des ennemis extérieurs. Sur cette règle régissant les supplications, voir Halkin, La Supplication, p. 93. On connaît cependant une exception : César a obtenu une supplication en son nom pour sa victoire sur les fils de Pompée à Munda. Pour le triomphe, la règle est la même : la guerre doit avoir été menée contre l’étranger (Künzl, Der römische Triumph, p. 30 ; Mommsen, DPR, vol. 1, p. 152). Elle a cependant été contournée à plusieurs reprises : Sylla triomphe par exemple en 81, officiellement sur Mithridate et les Samnites, mais en fait sur les Italiens après la guerre sociale (Auliard, Victoires et triomphes à Rome, p. 53).
55 Sur le mos maiorum, voir H. Rech, Mos maiorum. Wesen und Wirkung der Tradition in Rom, Diss., Marburg, 1936 ; J. Schmidt, Ethos. Beiträge zum antiken Wertempfinden, Leipzig, R. Noske, 1941, p. 35-59 ; Lind, « The Tradition of Roman Moral Conservatism », p. 48-56 ; M. Bettini, « Mos, mores und mos maiorum : Die Erfindung der ‘Sittlichkeit’ in der römischen Kultur », in Braun, M., Haltenhoff, A. et Mutschler, F.-H. (éds.), Moribus antiquis res stat Romana. Römische Werte und römische Literatur im 3. und 2. Jh. v. Chr., Munich, K. G. Saur, 2000, p. 303-352 ; W. Blösel, « Von der Familientradition zum Nobilitätsethos. Die Geschichte des Begriffes mos maiorum von den Anfängen bis zu Cicero », in Linke, B. et Stemmler, M. (éd.), Mos maiorum. Untersuchungen zu den Formen der Identitätsstiftung und Stabilisierung in der römischen Republik, Stuttgart, F. Steiner, 2000, p. 25-97.
56 Le mos est distinct du ius car il n’est pas écrit et ne tire sa valeur contraignante que du poids de la tradition. Voir les définitions anciennes du mos comme coutume ancestrale : Fest. 146, 3-5 et Isid. Orig. V, 3, 2. Voir aussi Rech, Mos maiorum, p. 9-10 et Bettini, « Mos, mores und mos maiorum ». Sur la distinction entre mos et ius, voir Blösel, « Von der Familientradition zum Nobilitätsethos » ; W. Kunkel, « Gesetzesrecht und Gewohnheitsrecht in der Verfassung der römischen Republik », Romanitas, 9, 1971, p. 357-375 ; J. Bleicken, Lex publica. Gesetz und Recht in der römischen Republik, Berlin, W. De Gruyter, 1975.
57 Sur les vertus des maiores, Lind, « The Tradition of Roman Moral Conservatism », p. 51. Le mos maiorum est un réservoir d’exemples mais possède aussi une force contraignante, comme le signalent les expressions telles que mos maiorum postulat, uetat, praescribit (Rech, Mos maiorum, p. 15). Sur les exempla, voir infra p. 410 sqq.
58 Meier, Res publica amissa. Eine Studie zu Verfassung und Geschichte der späten römischen Republik, p. 54-57 ; Hölkeskamp, Reconstruire une République, p. 20.
59 La stabilité politique qu’apporte le mos maiorum est reflétée par le célèbre vers d’Ennius moribus antiquis res stat Romana uirisque (Annales, V, 1 Skutsch). Sur l’importance du mos maiorum pour la nobilitas, Blösel, « Von der Familientradition zum Nobilitätsethos », p. 35.
60 « La cité fut reconnaissante d’une si grande vaillance » (Liv. II, 10, 12).
61 Liv. II, 12, 14.
62 Liv. II, 13, 11.
63 C’est la version de Cicéron et Tite Live (Cic. Pis. 43 ; Fin. V, 82 ; Off. III, 99 ; Liv. Per. XXVIII, 43, 1 ; XXX, 30, 23) qui sont suivis par plusieurs auteurs postérieurs. Mais il est possible que l’histoire de Régulus ait été embellie : Diodore mentionne qu’il mourut en prison et que sa veuve vengea cette mort sur deux Carthaginois (DS. XXIV, 12 ; voir aussi Gell. VII, 4). Sur Régulus comme modèle moral, voir M. Gendre et C. Loutsch, « C. Duilius et M. Atilius Regulus », in Coudry, M. et Späth, T. (éds.), L’Invention des grands hommes de la Rome ancienne, Paris, De Boccard, 2001, p. 131-172.
64 Liv. V, 27, 11.
65 Nous suivons la correction proposée par Lindemann ; elle est nécessaire pour que le septénaire trochaïque soit complet, et nous paraît vraisemblable car le terme de mores est un vrai leitmotiv comique du passage.
66 Ce mode de pensée se retrouve chez Cicéron, quand il souligne, dans le Pro Roscio Amerino, l’honos de Caecilia, la fille du Baléarique, qui reste attachée aux obligations de l’officium ancestral (Cic. Rosc. Amer. 27).
67 Pl. St. 48-50.
68 Voir par exemple Pl. Cist. 1-7 ou Cic. Quinct. 14.
69 Voir aussi Cic. Att. XVI, 16a où la coniunctio de Cicéron et Plancus est le motif de l’honos. Dans les lettres où Cicéron recommande quelqu’un à un de ses amis, il lui demande souvent de faire bon accueil à la personne recommandée honoris mei causa, « pour [lui] faire honneur » ; l’honos est justifié par les liens qui l’unissent au destinataire de la lettre (voir par exemple Fam. XIII, 27, 1 ; XIII, 31, 1 et XIII, 69, 2). L’amicitia romaine n’est pas une amitié éthérée et désintéressée. Même dans le Laelius, qui en donne une image assez idéalisée, Cicéron reconnaît que l’un des devoirs des amis est de s’aider dans leur carrière politique (Cic. Lael. 73). Sur l’utilité, notamment politique, de l’amicitia, voir P. A. Brunt, « Amicitia in the Late Roman Republic », PCPhS, 11, 1965, p. 1-20 et B. Fiore, « The Theory and Practice of Friendship in Cicero », in Fitzgerald, J. T. (éd.), Greco-Roman Perspectives on Friendship, Atlanta, Scholars Press, 1997, p. 59-76. Sur les services réciproques des amici et sur le fonctionnement de l’amicitia en général, voir aussi J. Powell, « Friendship and its Problems in Greek and Roman Thought », in Innes, D., Hine, H. et Pelling, C. (éds.), Ethics and Rhetoric : Classical Essays for Donald Russell on his Seventy-fifth Birthday, Oxford, Clarendon Press, 1995, p. 31-45.
70 Fam. XIII, 77, 1.
71 Sur l’aspect social de l’officium, voir F. Cancelli, « Saggio sul concetto di officium in diritto romano », RISG, 1957-1958, p. 351-402 et B. F. Scherer, « Metamorphosis of Officium. Late Roman Republic to Early empire », CB, 41, 1964, p. 1-4. Sur la place des bienfaits dans l’officium, voir les passages que consacre Cicéron aux bienfaits dans le De officiis (Cic. Off. I, 14-17 et 42-60). Voir aussi Cancelli, « Saggio sul concetto di officium in diritto romano », p. 356 et Hellegouarc’h, Vocabulaire, p. 153 sqq.
72 Sur les bons offices propres à l’amicitia, voir Cic. Brut. 245 ; Mur. 86 ; Cato mai. 49. Voir aussi sur ce point Cancelli, « Saggio sul concetto di officium in diritto romano », p. 359-360 ; Thome, Zentrale Wertvorstellungen der Römer, vol. 1, p. 108 sqq.
73 Il semblerait que l’amicitia n’obligeait pas les contractants à une assistance militaire mutuelle (Liv. XLV, 25). Sur l’amicitia diplomatique, voir l’étude de P. J. Burton, Amicitia in Roman Social and International Relations (350-146 B.C.), Ph. D., University of Maryland, College Park, 2000. Pour un autre exemple d’une « amitié » de ce genre impliquant des honores de la part de Rome, voir Liv. XXVI, 24, 4 où M. Valerius Laevinus promet des honores aux Étoliens s’ils rentrent dans l’amicitia romaine.
74 Sur ces aspects de l’hospitium, voir Pl. Pers. 512 ; Cic. Diu. Caec. 41 et 66 ; Caes. BG. I, 47.
75 Il en est question à plusieurs reprises chez Plaute dans le Poenulus, v. 958 et 1047. Sur ces tesserae, voir DAGR III, 1, p. 298.
76 Sur la patria potestas, voir l’article d’E. Sachers, « Potestas patria » (RE XXII, 1, col. 1046-1175) ; W. K. Lacey, « Patria potestas », in Rawson, B. (éd.), The Family in Ancient Rome : New Perspectives, Londres, 1986, p. 121-144 ; Y. Thomas, « Vitae necisque potestas. Le père, la cité, la mort » Du châtiment dans la cité. Supplices corporels et peine de mort dans le monde antique, Paris, De Boccard, 1984, p. 499-548 et l’analyse nuancée de Saller, R. P., Patriarchy, Property and Death in the Roman Family, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 102-132.
77 Pl. St. 337-338. Il est de même question, dans le Miles Gloriosus, d’un seruus inventant des stratagèmes au profit de son maître honoris gratia (Mil. 617).
78 Sur l’inversion du fonctionnement de l’honos sur la scène de la comédie, voir le chapitre 12.
79 Sur les bienfaits et devoirs réciproques du patron et de ses clients, voir Nicolet, Rome et la conquête, p. 233 sqq.
80 Cic. Rosc. Amer. 96.
81 Voir par exemple la statue octroyée par les habitants de Thourioi à C. Aelius (Plin. NH XXXIV, 32). Pour d’autres exemples, Lahusen, Untersuchungen zur Ehrenstatue in Rom, p. 84 sqq.
82 Sur le statut de la vieillesse à Rome, voir B. Bakhouche (éd.), L’Ancienneté chez les anciens, Montpellier, Université de Montpellier III, 2003 et U. Mattioli (éd.), Senectus. La vecchiaia nel mondo classico, Bologne, Pàtron, 1995.
83 Voir supra p. 264 (Cic. Cato mai. 63). Cicéron précise cependant que ces derniers doivent se conformer au rôle social qui est le leur pour mériter pleinement les marques d’honneur (Cato mai. 38).
84 Cic. Fam. XIII, 64, 1.
85 Cic. Fam. XIII, 64, 2 évoque les clientèles de ses ancêtres qui seront consolidées par ses soins.
86 Cic. Ad Brut. I, 15, 3.
87 Le dernier exemple d’un honos conféré par un homme âgé à plus jeune que lui se rencontre dans un contexte lui aussi très particulier, puisqu’il s’agit d’une comédie de Plaute où un père honore son fils (Pl. As. 81). Ici encore, ce type d’honos est un cas limite, situé en dehors du quotidien, dans le temps du spectacle et des ludi.
88 Selon la tradition, la prouocatio ad populum remonterait à l’époque royale (Liv. I, 26, 6). Ce droit a été régulièrement réaffirmé et précisé. Une lex Valeria de 300 interdisait notamment la mise à mort d’un citoyen romain s’il avait fait usage de son droit de prouocatio (Liv. III, 55, 4) ; une des leges Porciae du IIe siècle aurait interdit la flagellation des citoyens (Liv. X, 9, 6 ; Cic. Rab. Perd. 12). Voir Gaudemet, Institutions de l’Antiquité, p. 320-323 ; A. Lintott, « Prouocatio. From the Struggle of the Orders to the Principate », ANRW, I, 2, 1972, p. 226-267 et Ducos, Les Romains et la loi, p. 71-79.
89 Liv. IX, 46, 9. Voir Mommsen, DPR vol. II, p. 31.
90 Cicéron montre comment Verrès a bafoué l’honos dû au sénat (Cic. Verr. II, III, 96-97). Voir aussi Cic. Leg. III, 19 où Quintus Cicéron reproche aux tribuns de la plèbe d’avoir voulu arracher l’honneur des sénateurs.
91 La prise des auspices n’est pas réservée aux magistrats : elle peut être faite par le paterfamilias, qui est lui aussi, à l’échelle de la domus, prêtre et chef de culte.
92 Comme ceux de la fête des Parentalia, où la famille faisait un sacrifice auprès de la tombe du mort, sur le sol. Sur les rites funèbres autres que ceux des funérailles elles-mêmes, Scheid, Quand faire c’est croire, p. 165-188.
93 Les défunts qui n’étaient pas honorés par des funérailles appropriées devenaient des lémures, esprits errants dangereux pour les vivants. Il est remarquable que même ces défunts frustrés de l’honos suprême reçoivent tout de même une forme de marque d’honneur, montrant par là que leur identité de morts l’exige, puisqu’ils sont honorés et simultanément exorcisés lors de la fête des Lemuria ; voir la description qu’en donne Ovide dans Fastes, V, 419 sqq. Sur la nécessité des rites funéraires, voir Cic. Inu. I, 108.
94 Voir supra p. 279.
95 Étymologie mise en avant par Lact. Inst. IV, 28, 2 et Serv. Aen. VIII, 349. D’autres auteurs rattachent le mot à relegere, « contrôler, reprendre » (Cic. ND II, 72). Voir DELL p. 569. Pour une analyse sémantique de religio, Thome, Zentrale Wertvorstellungen der Römer, vol. 2, p. 4-28.
96 Voir Cic. Verr. II, 4, 22 et Ov. Met. X, 224.
97 Tout ce vocabulaire apparaît dans Liv. XXV, 18.
98 Attesté par Cic. Deiot. 8 et Verg. Aen. III, 83.
99 Sur la valeur de la poignée de main et le rapport entre dextram dare et fidem dare, voir Freyburger, Fides, p. 136 sqq.
100 L’échelle du prestige n’est donc pas à Rome isomorphe de celle de la fortune, comme certains sociologues et anthropologues l’ont montré à propos d’autres sociétés. Sur les théories matérialistes du prestige, voir Hatch, « Theories of Social Honor ». Sur les cultures où la fortune est un critère d’honneur important, voir Campbell, Honour, Family and Patronage ; A. A. M. Zeid, « Honour and Shame Among the Bedouins of Egypt », in Peristiany, J. G. (éd.), Honour and Shame. The Values of Mediterranean Society, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1966, p. 243-259.
101 Pour notre conception de la nobilitas, voir supra p. 294-295.
102 Voir aussi Pl. Trin. 257 où une corrélation est établie entre le pretium au sens économique (le prix, l’argent) et au sens figuré (la valeur de l’individu) et Trin. 272 où la res va de pair avec la gloria, le decus et l’honos. Cf. le rôle de la richesse comme composant de l’existimatio (Yavetz, « Existimatio, Fama, and the Ides of March »).
103 Sur la valeur positive de la richesse foncière et agricole, voir Cat. Agr. praef. 1-2 ; Cic. Cato mai. 51 et Off. I, 151. Sur l’honorabilité des différents métiers, voir infra p. 470-471 et 476 sqq.
104 Sur le census et ses fonctions, voir Nicolet, Métier, chap. 2 et Pieri, L’Histoire du cens.
105 Bastien, Le Triomphe romain, p. 207 sqq.
106 Il a longtemps été dit, dans la lignée de T. Mommsen, qu’il n’y avait pas de conditions de fortune pour devenir magistrat, mais C. Nicolet a montré l’inexactitude de ce jugement : les sources ne sont pas très claires, mais un examen serré permet de dire qu’il faut appartenir à l’ordre équestre pour devenir magistrat. Or, l’accès à ce dernier est soumis, entre autres, à des conditions de fortune, fixées à 400.000 sesterces à la fin de la République (C. Nicolet, « Le cens sénatorial sous la République et sous Auguste », JRS, 66, 1976, p. 20-38).
107 Cic. Planc. 21 et Agr. II, 2-3. Voir aussi Cic. Mur. 17 où Cicéron dit avoir brisé les barrières posées par la noblesse pour empêcher l’accès au consulat.
108 La définition précise de ce qu’est un homo nouus pose deux difficultés. Celle de l’origine des homines noui d’abord : on considère généralement que ce sont des fils de chevaliers ou de citoyens plébéiens (Brunt, « Nobilitas and Nouitas ») mais Cicéron parle de la nouitas de personnages qui descendent de préteurs (Muréna dans le Pro Murena et Cn. Octavius dans les Philippiques et le De officiis). La nouitas semble donc dès lors s’opposer exactement à la nobilitas. La seconde difficulté est celle de la délimitation de la nouitas : on considère tantôt (T. P. Wiseman, « Competition and Co-operation », in Wiseman, T. P. (éd.), Roman Political Life, 90 BC - AD 69, Exeter, University of Exeter Press, 1985, p. 3-19) que tous ceux qui entrent au sénat sont des homines noui, tantôt (M. Dondin-Payre, « Homo novus : un slogan de Caton à César ? », Historia, 30, 1981, p. 22-81) que seuls les consulaires et prétoriens susceptibles de devenir consuls reçoivent cette dénomination. L’approche de M. Dondin-Payre, fondée sur un relevé systématique des occurrences du terme homo nouus, nous paraît la plus convaincante.
109 L’image apparaît déjà en Sall. Cat. 23, 6.
110 La nature et l’origine exactes du patriciat restent controversées. Pour un état de la question avec bibliographie, Nicolet, Rome et la conquête, p. 196 et Hinard (éd.), Histoire romaine, p. 188. La tradition fait des patriciens les descendants du « sénat » créé par Romulus (Liv. I, 8, 7) et suggère que leur nombre a été augmenté de membres des clans aristocratiques. Un critère important de leur définition semble avoir été la détention du ius auspicii, la capacité de prendre les auspices majeurs. Voir P.-C. Ranouil, Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris, Les Belles Lettres, 1975 ; J.-C. Richard, Les Origines de la plèbe romaine : essai sur la formation du dualisme patricio-plébéien, Rome, E.F.R., 1978 ; R. E. Mitchell, Patricians and Plebeians : the Origin of the Roman State, Ithaca, Cornell University Press, 1990.
111 Ce n’est que progressivement que se sont installés le monopole des honneurs et la « fermeture du patriciat ». L’expression, due à G. de Sanctis, est reprise et développée par D. Briquel in Hinard (éd.), Histoire romaine (p. 188 sqq.). Ce dernier insiste notamment sur la vision erronée des sources anciennes présentant la plèbe et le patriciat comme deux entités dont l’existence est consubstantielle à la République. Leur constitution, leur opposition et le monopole des honneurs du patriciat ne se sont établis que progressivement. Les patriciens n’ont donc pas eu, de tout temps, l’exclusivité des honores, comme l’indiquent d’ailleurs les fastes consulaires : on y trouve, de 509 à 486 avant notre ère, un nombre important de noms connus ultérieurement comme plébéiens ; ce n’est qu’ensuite que s’accroît considérablement la présence de familles patriciennes ; le patriciat n’est véritablement clos que dans les années 430.
112 Gelzer, Die Nobilität der römischen Republik et Hölkeskamp, Die Entstehung der Nobilität.
113 Pour un exemple d’affrontement entre plébéiens et patriciens au sujet de l’honos des prêtrises, voir Liv. X, 7, 9. Sur l’ouverture progressive, voir H. D. Jocelyn, « The Roman Nobility and the Religion of the Republican State », JRH, 4 (2), 1966, p. 89-104.
114 H. H. Scullard, Roman Politics, 220-150 B.C, 2e éd., Oxford, Clarendon Press, 1973 ; Hopkins, Death and Renewal ; Beck, Karriere und Hierarchie, p. 114 sqq. Voir aussi sur le monopole des charges publiques R. Develin, Patterns in Office-Holding 366-49 B.C, Bruxelles, Latomus, 1979 et Develin, The Practice of Politics at Rome, 366-167 B.C., chapitre 5.
115 Lintott, The Constitution of the Roman Republic, p. 167.
116 Earl, Tradition, p. 13. Sur la mobilité au sein de la nobilitas, voir Lintott, The Constitution of the Roman Republic, p. 168 et Hopkins, Death and Renewal, p. 32.
117 E. S. Gruen, The Last Generation of the Roman Republic, Berkeley, University of California Press, 1974, p. 522-523.
118 Lintott, The Constitution of the Roman Republic, p. 167 sqq. ; Hölkeskamp, Reconstruire une République, p. 75-79.
119 La sociologie a mis en avant ce phénomène où les honneurs sont adressés plus facilement à ceux qui en détiennent déjà. Voir la relecture du « Matthew Effect » par Goode, The Celebration of Heroes, p. 116 sqq.
120 C’est aussi ce qui transparaît dans le discours de Marius tel que le recompose Salluste dans le Bellum Iugurthinum : la prétention de la nobilitas à l’exercice des plus grandes charges repose sur une accumulation ancienne de magistratures et de triomphes, c’est-à-dire d’honores (Sall. Iug. 85, 28-30).
121 Voir les remarques de Cicéron sur ce sujet (Cic. Leg. II, 62). L’honos de l’éloge funèbre mentionne d’ailleurs les honores politiques obtenus par le défunt. Voir par exemple la laudatio de L. Caecilius Metellus qui mentionne que ce dernier a obtenu le maximus honos (Plin. NH VII, 139-140). Sur les avantages liés à l’exercice d’une magistrature, voir Mommsen, DPR, vol. 2, p. 76-98.
122 Harris, War and Imperialism, p. 32.
123 Voir sur ce point Ferrary, « Le idee politiche a Roma nell’epoca repubblicana », p. 741. L’auteur souligne aussi que la philosophie politique a notamment interrogé la part respective de la richesse et du mérite (Arstt. EN 1131a ; Pol. 1280a et 1294a). Sur la justification du fondement économique de l’honos politique à Rome, voir Cic. Rep. II, 39-40 et Sall. Cat. 37, 3.
124 Pitt-Rivers, Anthropologie de l’honneur, p. 20. Les ethnologues ont observé, plus généralement, que le prestige dans une société pouvait être hérité ou mérité. Voir par exemple l’étude de M. Godelier sur les Baruya de Nouvelle-Guinée, (M. Godelier, La Production des grands hommes. Pouvoir et domination masculine chez les Baruya de Nouvelle-Guinée, Paris, Flammarion, 1996, p. 11 et 261). Voir aussi, en Espagne, à partir de la Renaissance, la manière dont se heurtent la valeur militaire et la richesse financière comme sources d’honneur (Baroja, « Honour and Shame : A Historical Account of Several Conflicts », p. 106).
125 Sur la transmission de l’honos, voir infra p. 451-458.
126 Cic. Catil. I, 28 ; Brut. 96. Sur cette notion, voir Hölkeskamp, Die Entstehung der Nobilität, p. 205-206 et Flower, Ancestor Masks, p. 65 et 90.
127 Sall. Iug. 85, 37.
128 Sall. Cat. 35, 3-4. Catilina est patricien mais sa famille ne s’est pas distinguée dans la vie publique depuis longtemps. Voir l’article de la RE par F. Münzer, « Sergius » no 1 (vol. II, A).
129 Les homines noui ne constituent pas un groupe cohérent à l’image de la nobilitas (Dondin-Payre, « Homo novus : un slogan de Caton à César ? », p. 52), mais on relève cependant chez eux quelques constantes idéologiques (T. P. Wiseman, New Men in the Roman Senate 139 B.C. - 14 A.D., Oxford, Oxford University Press, 1971, p. 107-116). Sur leur revendication de uirtus, McDonnell, Roman Manliness, p. 320-332.
130 Cic. Verr. II, V, 180.
131 L’importance de la uirtus pour la définition de la dignitas apparaît également dans le Commentariolum petitionis : Quintus est bien conscient du problème posé par la nouitas de son frère lors de sa candidature au consulat mais considère qu’il peut la compenser de trois façons, par sa gloire d’orateur, par l’appui de ses amis, et surtout par sa uirtus (Q. Cic. Comm. 2 ; 3 et surtout 7 : nemo sit qui audeat dicere plus illis nobilitatem quam tibi uirtutem prodesse oportere : « Personne n’oserait dire que leur noblesse leur est plus utile à eux [i. e. les nobles] que ta valeur personnelle à toi »).
132 Voir aussi Cic. Pis. 2 qui oppose homo et genus, mores et maiores, uirtus et nobilitas. Sur la définition cicéronienne des motifs de l’honos, voir Earl, Tradition, p. 47 sqq.
133 Sur la uirtus chez Salluste, McDonnell, Roman Manliness, p. 356-384.
134 Sur l’opposition entre noblesse sociale et noblesse morale chez Salluste, voir Badel, La Noblesse de l’Empire romain, p. 182.
135 Cette idée est récurrente dans le discours de Marius (voir Iug. 85, 14 et 37-38). Sur le rapport de Marius à la uirtus, voir McDonnell, Roman Manliness, p. 266-267. Sur la figure d’homo nouus que représente Marius dans l’œuvre de Salluste, voir Earl, Tradition, p. 49 sqq. (notamment sur l’authenticité de cette prise de position par le Marius historique).
136 Cette définition des qualités à la source de l’honneur en accord avec l’idéologie du groupe se retrouve à l’époque contemporaine (voir Stewart, Honor, p. 32 sqq). Cf. les définitions des fondements de l’honneur données par les nazis (M. Brezina, Ehre und Ehrenschutz im nationalsozialistischen Recht, Augsburg, AV, 1987) ou par les communistes soviétiques après la seconde guerre mondiale (S. Tackmann, « Die moralische Begriffe Ehre und Würde in der sowjetischen Ethikliteratur », Deutsche Zeitschrift für Philosophie, 23, 1975, p. 172-177).
137 Hölkeskamp, Die Entstehung der Nobilität, p. 204-240. Il est possible que ce soient surtout les plébéiens intégrés à la nouvelle noblesse qui aient fait usage de cette notion de uirtus, dépourvus qu’ils étaient de prestige familial, mais elle est devenue ensuite une valeur du groupe dans son entier. Sur le rôle des plébéiens dans la constitution idéologique de la nouvelle nobilitas, voir K.-J. Hölkeskamp, « Krieg, Konkurrenz und Konsens : die Expansion in Italien und die Entstehung der Nobilität » in Senatus Populusque Romanus. Die politische Kultur der Republik, Stuttgart, F. Steiner, 2004, p. 11-48.
138 Comme nous l’avons vu avec le fragment Ex innocentia nascitur dignitas, ex dignitate honor, ex honore imperium, ex imperio libertas. « De l’intégrité naît le mérite, du mérite l’honneur, de l’honneur le pouvoir, du pouvoir la liberté » (Scip. Aem. frg. inc. 32 ORF).
139 CIL I2, 15 = ILLRP 316.
140 C’est pourquoi l’autonomie idéologique des hommes nouveaux n’est pas totale (Badel, La Noblesse de l’Empire romain, p. 42 ; McDonnell, Roman Manliness, p. 329).
141 Sall. Iug. 85, 17.
142 Pour Cicéron, c’est la définition même de la nobilitas sur la naissance qui est une perversion de l’ancienne conception unissant nobilitas et uirtus : Cic. Sest. 136 ; Balb. 51 ; Mur. 17.
143 « Le modèle idéologique de la nobilitas pouvait sans cesse être retourné contre le groupe social des nobiles » (Badel, La Noblesse de l’Empire romain, p. 42).
144 Gell. V, 6, 13-14 et Plin. NH XVI, 12. Voir Maxfield, The Military Decorations, p. 70.
145 Voir Halkin, La Supplication, p. 90-93 sur les conditions requises.
146 Gell. V, 6, 21 évoque la différence entre ouatio et triomphe. Val. Max. II, 8 traite de iure triumphandi. Sur ces règles, voir J. S. Richardson, « The Triumph, the Praetors and the Senate in the Early Second Century B. C. », JRS, 65, 1975, p. 50-63 ; Brennan, « Triumphus in Monte Albano », à la p. 317 surtout, et Auliard, Victoires et triomphes à Rome.
147 Val. Max. II, 8, 2. Un débat s’est élevé parmi les historiens sur l’importance relative de l’auspicium et de l’imperium pour l’obtention du triomphe. R. Laqueur, « Über das Wesen des römischen Triumphs », Hermes, 44, 1909, p. 215-236 considérait que l’auspicium était primordial, mais Versnel a réhabilité la lecture traditionnelle de Mommsen qui accordait la part la plus importante à l’imperium (Versnel, Triumphus, p. 164-195). Voir le résumé historiographique de Bastien, Le Triomphe romain, p. 129.
148 Liv. XXXVII, 47, 5 ; Val. Max. II, 8, 7 ; Gell. V, 6, 21.
149 Cette disposition a cependant été contournée (voir supra p. 317 n. 54).
150 Liv. XXVI, 21, 1-3 et XXXIX, 29, 4-5 ; Gell. V, 6, 21 ; Val. Max. II, 8, 1 et 5 ; Brennan, « Triumphus in Monte Albano », p. 318 ; Richardson, « The Triumph, the Praetors and the Senate in the Early Second Century B. C. », p. 61.
151 Voir supra p. 248-249.
152 CIL I2, 593. La nature et la date exactes de cette loi, dite aussi, sans doute de manière erronée, lex Iulia municipalis, font encore débat. Sur ce texte, voir FIRA I, p. 140, n. 13 et Crawford, Roman Statutes, vol. 1, p. 355-391, n. 24.
153 CIL I2, 593, l. 121-123. Voir Mommsen, DPR, vol. 2, p. 144. Sur l’infamia attachée à certaines professions, Kaser, « Infamia und ignominia in den römischen Rechtsquellen » et Edwards, « Unspeakable Professions : Public Performance and Prostitution in Ancient Rome ». Sur les acteurs en particulier, cf. p. 362-363.
154 Dig. L, 2, 2, 8 et L, 4, 8 ; Dig. L, 1, 17. Voir tout le Dig. L, 4 sur la législation de muneribus et honoribus.
155 DH. II, 73 ; Liv. III, 32, 3 ; XXXIII, 44, 3. Voir Mommsen, DPR, vol. 3, p. 26-27 ; Scheid, « Le prêtre » et Jocelyn, « The Roman Nobility and the Religion of the Republican State », p. 94. Exceptions : le rex sacrorum, les flamines et les Vestales étaient choisis par le grand pontife (G. J. Szemler, The Priests of the Roman Republic, Bruxelles, Latomus, 1972, p. 30 ; M. Beard, « Priesthood in the Roman Republic », in Beard, M. et North, J.(éds.), Pagan Priests : Religion and Power in the Ancient World, Ithaca, Cornell University Press, 1990, p. 17-48).
156 Mommsen DPR, vol. 3, p. 28-31 ; Szemler, The Priests of the Roman Republic, p. 30 ; Scheid, « Le prêtre », p. 82.
157 Rotondi, Leges publicae populi Romani, p. 329.
158 À la notable exception de l’honos dû par le client à son patron : l’édit du préteur a limité la nature de ce qui pouvait être exigé du client (Dig. XXXVIII, 2, 1).
159 Le tableau qu’en donne Valère Maxime ne doit pas, à cet égard, nous abuser : il s’agit d’une récapitulation, réalisée au début de l’époque impériale, de différentes dispositions, comme le montre la diversité des exemples cités par l’auteur (Val. Max. II, 8).
160 Sur ce point, voir Beard, The Roman Triumph, p. 207-210.
161 Pour le détail des opérations de L. Manlius en Espagne, voir Liv. XXXIX, 21, 6-10.
162 Val. Max. II, 8, 1. Sur la lex Marcia Porcia, voir Rotondi, Leges publicae populi Romani, p. 382 et Auliard, Victoires et triomphes à Rome, p. 10. Il n’est pas certain que la lex dont parle Valère Maxime à propos de la règle des 5000 morts ait été une vraie loi. Sur l’absence de lois et le rôle du mos, voir Naudet, De la noblesse et des récompenses d’honneur chez les Romains, p. 185-188 et Auliard, Victoires et triomphes à Rome, passim.
163 Voir Bettini, « Mos, mores und mos maiorum », p. 329-330.
164 Beck, Karriere und Hierarchie, p. 33.
165 La situation est parallèle pour l’ignominia censoriale, marque de déshonneur inverse de l’honos. On connaît les motifs pour lesquels les censeurs infligeaient cette punition, mais ils ne sont pas constitués en un code officiel ou légal de comportements répréhensibles (voir Pieri, L’Histoire du cens, p. 99 sqq.).
166 Cic. Arch. 12-16.
167 Cic. Arch. 6.
168 Cic. ND I, 16.
169 Sur cette acculturation, voir P. Grimal, Le Siècle des Scipions. Rome et l’hellénisme au temps des guerres puniques, 2e éd., Paris, Aubier, 1975, p. 250 sqq. et E. S. Gruen, Culture and National Identity in Republican Rome, Ithaca, Cornell University Press, 1992, chap. 6 « The appeal of Hellas ».
170 Les aristocrates se sont livrés à « une nouvelle compétition pour la légitimation de traits culturels et de valeurs dont la possession ouvrait un champ nouveau à la définition de la vertu aristocratique » (David, La République romaine, p. 77). Sur l’investissement de la nobilitas dans des valeurs nouvelles, voir Badel, La Noblesse de l’Empire romain, p. 170-175. Les sources identifiées de la gloria ont évolué dans le même sens (voir Knoche, « Der römische Ruhmesgedanke » et Thomas, Gloria et laus, p. 47-48).
171 Sur la distance, réelle ou affectée, prise par Marius vis-à-vis de l’hellénisme, voir Sall. Iug. 63, 3 et 85 ; Plut. Mar. 2, 2 ; Cic. Arch. 19 ; Val. Max. II, 2, 3. Voir aussi Gruen, Culture and National Identity, p. 268-269 et McDonnell, Roman Manliness, p. 273-274.
172 Sur les opérations menées par Cicéron, voir Cic. Att. V, 20 et Fam. XV, 4.
173 Sur la singularité de cette posture, voir C. Lévy, « L’âme et le moi dans les Tusculanes », REL, 80, 2002, p. 78-94 et I. Gildenhard, Paideia Romana. Cicero’s Tusculan Disputations, Cambridge, Cambridge Philological Society, 2007, p. 21-34.
174 L’utilité de l’éloquence pour la cité et le prestige qui en résulte pour l’orateur apparaît ailleurs dans le De oratore (I, 117) et dans le Brutus (voir M. Jacotot, « De re publica esset silentium. Pensée politique et histoire de l’éloquence dans le Brutus », in Aubert, S. (éd.), Prosopographie et rhétorique : le Brutus, paradigme de l’histoire culturelle, Louvain, Peeters, à paraître).
175 Cic. Arch. 14 et 22.
176 Pol. VI, 8, 4-6.
177 Voir notamment Cic. Planc. 30-31.
178 Cic. Planc. 26.
179 Plancius était le fils d’un publicain important et Cicéron évoque lui-même l’appui des chevaliers (Planc. 23 et 24). Sur les liens de Plancius avec les triumvirs, voir P. Grimal (éd.), Cicéron. Discours (tome XVI, 2e partie). Pour Cn. Plancius. Pour M. Aemilius Scaurus, p. 16-18.
180 L’expression d’honores extraordinarii est utilisée à plusieurs reprises par Cicéron et ses correspondants en 43 (Cic. Ad Brut. I, 4a et I, 10, 3 par exemple).
181 Cic. Ad Brut. I, 4a, 2-3. Brutus appelle Cicéron à plus de modus dans l’octroi des honneurs.
182 Cic. Ad Brut. I, 15, 7.
183 Voir Auliard, Victoires et triomphes à Rome, p. 39 sqq. On va jusqu’à rencontrer des triomphes octroyés sans qu’un combat ait été livré.
184 MRR vol. 1, p. 301. Sur ces irrégularités et les innovations propres à Scipion dans différents domaines, voir M. A. Levi, « Inizi di Scipione Africano e di una età di cambiamento » DHA, 23 (1), 1997, p. 145-153 et CAH vol. 8, p. 174-176.
185 Liv. XXX, 15, 12-14.
186 Walbank, « The Scipionic Legend ». J. R. Fears, « The Theology of Victory at Rome : Approaches and Problems », ANRW, II, 17, 2, 1981, p. 736-826 voit en lui la première étape dans la personnalisation de la théologie de la victoire (p. 780).
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