Introduction générale
p. 1-21
Texte intégral
1En 48 avant J.-C., après la bataille de Pharsale et la victoire de César sur Pompée, Cicéron, qui après de longues hésitations avait rejoint le camp des pompéiens, prit le chemin du retour vers l’Italie. Quelques mois après, alors qu’il séjournait à Brindes, il rencontra César. Ce dernier ne lui manifesta pas d’animosité et lui accorda son pardon : Cicéron pouvait alors rentrer à Rome. La situation politique y était radicalement changée : le forum était réduit au silence, les lieutenants de César tenaient la ville et la domination du nouveau maître de l’Vrbs s’installait progressivement. Placé devant l’impossibilité de jouer un rôle dans les affaires de l’État et frappé par la dégradation des institutions républicaines, Cicéron se résout alors à se retirer de la vie publique pour se consacrer à l’étude. Dès 46, il entreprend la rédaction d’ouvrages de rhétorique puis de dialogues et traités destinés à doter la langue latine d’une philosophie. Au début de l’une de ces œuvres, les Seconds Académiques, Cicéron revient sur la discipline à laquelle il a décidé de se consacrer dorénavant. Il défend, contre l’opinion de son interlocuteur Varron, l’utilité d’un exposé de la philosophie en langue latine et évoque les raisons qui l’ont amené à l’entreprendre :
Ego autem Varro (dicam enim ut res est), dum me ambitio dum honores dum causae, dum rei publicae non solum cura sed quaedam etiam procuratio multis officiis implicatum et constrictum tenebat, animo haec inclusa habebam et ne obsolescerent renouabam cum licebat legendo; nunc uero et fortunae grauissimo percussus uulnere et administratione rei publicae liberatus doloris medicinam a philosophia peto et otii oblectationem hanc honestissimam iudico.
« Quant à moi, Varron (je dirai les choses comme elles sont), tant que l’ambition, les honneurs, les affaires judiciaires, le souci de la république et plus encore son administration me tenaient enfermé et enserré par de nombreuses obligations, je conservais ces connaissances philosophiques en moi et, pour ne pas qu’elles dépérissent, je les ravivais quand je le pouvais par des lectures. Mais à présent que je suis atteint par la fortune d’une très grave blessure et que je suis libéré de la gestion des affaires publiques, je cherche dans la philosophie un remède à ma douleur et je considère ce doux loisir comme tout à fait honorable1. »
(Cic. Ac. Post. I, 11).
2C’est en raison de la nouveauté du contexte politique que Cicéron s’est tourné vers l’étude et la philosophie. La défaite des pompéiens, la montée en puissance de César et l’effondrement de la république l’ont écarté de la gestion de l’État mais lui ont simultanément ouvert la possibilité de se consacrer au loisir intellectuel, qui adoucit sa retraite forcée et rend moins pénible le douloureux spectacle du naufrage de la république. Ce texte constitue donc une justification par Cicéron de sa nouvelle activité. De ce fait, il met en avant l’aspect problématique, en des circonstances normales, d’une vie tournée vers le travail intellectuel et située hors de l’action publique. Ce n’est pas que la philosophie soit une activité répréhensible en soi mais elle pose problème quand on est, comme Cicéron, un homme public de très haut statut. Ce problème est, pour reprendre les termes employés par Cicéron, une question d’honneur. Ce que Cicéron veut montrer dans ce passage, c’est que la philosophie est, en raison du contexte particulier de la domination césarienne, une pratique qui n’est pas déshonorante mais au contraire tout à fait conforme à l’honneur (honestissimam). L’homme d’État doté d’un fort prestige doit, en temps normal, observer un code de conduite rigoureux ; se tourner vers l’étude serait mettre en péril son honneur. Mais deux choses ont changé : d’une part, Cicéron a renoncé à mener une vie publique, ce qui a pour conséquence d’alléger le poids des contraintes sociales et morales qui pèsent sur lui ; d’autre part, la vie civique est dans un état de déliquescence, ce qui transforme les exigences de l’honneur.
Hommage, prestige, dignité : la notion d’honneur
Aspects et approches de l’honneur
3Le texte des Seconds Académiques est particulièrement intéressant car il témoigne de la représentation que se font les aristocrates romains de la notion d’honneur. Elle est composée de deux aspects fondamentaux. L’honneur apparaît d’abord comme une donnée sociale et politique : Cicéron mentionne au début du texte les honneurs qu’il a accumulés au cours de sa vie, marques d’estime et charges publiques. Ces hommages de nature diverse, ajoutés à ses actions passées, lui ont procuré un très grand prestige. L’honneur est donc la considération de l’homme public, née du regard favorable des autres et des marques d’estime qu’on lui décerne, notamment sous la forme de charges politiques ; cette considération procure influence et autorité. Le second aspect de l’honneur, indissociable du premier, est moral et psychologique. Cicéron articule en effet au statut élevé de l’homme public l’existence de règles de vie contraignantes. Le prestige oblige à se conformer à un code d’honneur. L’honneur est ainsi la dignité qui interdit de se livrer à certaines actions et impose d’observer des normes de conduite pour ne pas perdre la face. Ces normes ne sont pas fixées définitivement puisque des activités nouvelles, comme la philosophie, peuvent y entrer.
4Outre qu’il met bien en avant ces deux aspects de l’honneur, le texte de Cicéron a aussi l’intérêt de montrer qu’au moins deux approches différentes de cette notion sont possibles à Rome. L’honneur peut, en premier lieu, être envisagé comme un vécu : Cicéron connaît les différentes formes d’hommage, les qualités qui y donnent droit ou encore les usages politiques du prestige ; il a ressenti au cours de sa vie les avantages et les contraintes de l’honneur. Le Romain est de ce fait susceptible de rencontrer une « question d’honneur », au sens où l’honneur pose des difficultés pratiques qu’il faut résoudre et peut donner lieu à discussion. Mais l’honneur est aussi, en second lieu, un objet de pensée sur lequel il est possible de spéculer, comme le fait Cicéron quand il cherche à mesurer son évolution à l’aune du changement de la vie publique. L’honneur est une réalité intellectuelle qui fait l’objet d’une réflexion, d’une évaluation et d’une conceptualisation : il peut être à Rome « question d’honneur » au sens où l’on met l’honneur en question, en s’interrogeant sur sa nature, en le soumettant à l’examen, voire en le mettant en cause. Il y a donc une expérience mais aussi une pensée de l’honneur.
Objet de l’étude
5Ce sont ces différents aspects de l’honneur, socio-politique, moral et psychologique, et les diverses façons, pratique et réfléchie, dont il est envisagé à Rome que notre étude voudrait essayer d’approcher. Nous entendons analyser la manière dont les Romains ont formulé, pratiqué et théorisé cet honneur, qu’il s’agisse de la marque d’estime concrète, du prestige social ou de la dignité morale. Nous tenterons d’éclairer la nature de la considération sociale et des marques d’honneur à Rome, leurs mécanismes, leurs soubassements, leurs effets et leur place dans le fonctionnement de la cité. Nous observerons les exigences de la dignité et du code de l’honneur, ses normes, ses archétypes et son évolution. Nous confronterons à la pratique de l’honneur l’élaboration intellectuelle qu’en ont proposé les Romains, en nous interrogeant sur l’usage idéologique, littéraire ou philosophique qui a pu en être fait. Nous interrogerons notamment la place de l’honneur dans l’éthique romaine ainsi que son rapport avec la vertu et le bien moral. La « question d’honneur », si elle se pose pour les Romains, se pose aussi pour nous puisque nous ambitionnons dans cet ouvrage de nous interroger en profondeur sur cette notion afin d’en affiner la compréhension.
Problèmes posés par la notion d’honneur
6La notion d’honneur semble parcourir l’œuvre de Cicéron : ce dernier fustige les manquements à l’honneur de ses ennemis politiques2, souligne l’honorabilité des clients qu’il défend dans les procès3, rappelle qu’il a conquis prestige et marques d’honneur4 ou s’interroge au début de la guerre civile sur le parti qu’il est honorable de suivre5. La thématique de l’honneur se retrouve également chez les autres auteurs de l’époque républicaine, par exemple chez Plaute, qui met en scène la disgrâce de jeunes gens qui fréquentent les courtisanes6, ou chez Salluste, qui fustige le déshonneur de son époque et rappelle la dignité des ancêtres7. La notion d’honneur semble donc présente dans des textes nombreux et de nature extrêmement diverse. Mais cette omniprésence, qui paraît indiquer une importance particulière de l’honneur dans la culture romaine, n’est-elle pas plutôt le signe du caractère flou, et donc peu adapté, de cette notion ? Des pans entiers de la morale et de la vie sociale romaines semblent en effet pouvoir être ramenés sous le concept d’honneur, sans que cela n’éclaire particulièrement leur nature. Il nous faut donc sérieusement interroger la validité épistémologique de cette notion. Il se pose aux modernes une authentique « question d’honneur » car la notion d’honneur, appliquée au monde romain, est sujette à discussion et implique de résoudre des difficultés d’ordre méthodologique. Ces dernières pourront être perçues à travers l’évaluation de deux études de l’honneur à Rome, celle de C. Barton et celle de J. E. Lendon, qui constituent pratiquement, à notre connaissance, les seules monographies d’envergure consacrées à cet objet8.
7Le premier problème posé par la notion d’honneur est un problème de définition. Il s’agit en effet d’un concept complexe, aux sens multiples9. Or les travaux de C. Barton et de J. E. Lendon ne s’attardent guère à éclaircir ce qu’ils entendent par « honour ». C. Barton l’envisage comme un faisceau d’« émotions »10 mais sa définition initiale est loin d’être stable : l’honneur ne possède en réalité pas de contenu précis dans son étude car il épouse la forme de chacune des notions romaines rencontrées, qu’il s’agisse de uirtus, gloria ou pudor. La définition de J. E. Lendon est plus fournie mais pas vraiment plus claire puisque l’auteur parle du « system of thought and emotion we call honour »11. Il semble ainsi l’envisager comme un ensemble organisé de représentations mentales et de sentiments. Cette approche très intellectualisée nous paraît trop réductrice pour rendre compte d’une notion au spectre beaucoup plus large. L’aspect social et politique de l’honneur, sensible dans le texte de Cicéron cité précédemment, ainsi que son articulation à un code de comportement sont totalement occultés. Les deux études consacrées à l’honneur à Rome nous semblent donc n’exploiter qu’un aspect de la notion, sa dimension psychologique, c’est-à-dire l’intuition de règles de conduite organisées, le sens de l’honneur. Et encore cet aspect est-il insuffisamment défini. C’est pourquoi il nous paraît utile, pour mesurer la pertinence d’une application de la notion d’honneur à l’Antiquité romaine, de nous tourner vers les sciences sociales, qui ont formalisé de manière plus satisfaisante cet objet. Dans les années 1960 à 1990, plusieurs sociologues ont travaillé sur le phénomène de l’honneur et tout un courant de l’anthropologie anglo-saxonne a étudié cette notion dans les cultures du bassin méditerranéen12. Deux de ces travaux ont proposé des définitions éclairantes du phénomène abordé. F. Stewart, dans ses travaux sur l’honneur des Bédouins du Sinaï, a théorisé cette notion selon une tripartition13. Il distingue l’honneur externe, trait social, qui est la bonne réputation et le prestige d’un individu, de l’honneur interne, qualité morale, qui est l’intégrité et le respect de règles morales. À ces deux facettes, objectives, s’en ajoute une troisième, l’honneur subjectif, qui est le savoir qu’a un individu de sa propre valeur et le sentiment que cette valeur lui donne droit au respect de son entourage. Une seconde approche théorique de l’honneur est proposée par J. Pitt-Rivers. Elle recoupe en partie la précédente mais a la singularité de prendre davantage en compte les marques d’honneur matérielles et de relier les différents aspects de l’honneur :
« L’honneur est la valeur qu’une personne possède à ses propres yeux mais c’est aussi ce qu’elle vaut au regard de ceux qui constituent sa société. C’est le prix auquel elle s’estime, l’orgueil auquel elle prétend, en même temps que la confirmation de cette revendication par la reconnaissance sociale de son excellence et de son droit à la fierté. »14
8Nous retrouvons ici ce que F. Stewart appelle l’honneur subjectif ainsi que l’honneur externe, le second apparaissant comme la confirmation du premier. Il est aussi question de l’honneur interne, l’honorabilité, qui est la source de l’honneur externe et des marques d’honneur :
« Le sentiment que vous avez de l’honneur vous inspire une conduite honorable qui, reconnue comme telle, vous établit une réputation finalement consacrée par l’octroi d’honneurs. L’honneur ressenti devient l’honneur qu’on brigue et cet honneur brigué vous revient sous forme d’honneurs rendus. »15
9Ces deux approches anthropologiques nous paraissent être parvenues à formaliser de manière claire et systématique la notion d’honneur, qui articule trait social, qualité morale et disposition psychologique.
10Cependant, le fait que l’on puisse donner de l’honneur une définition raisonnée ne signifie pas qu’il soit pertinent d’appliquer ce concept à l’Antiquité romaine. L’honneur pose en effet trois autres difficultés qui rendent son usage problématique. La première réside dans le caractère étranger de cette notion à la culture romaine. S’il est possible de parvenir à une compréhension relativement claire de ce qu’est l’honneur, cette définition est valable pour les modernes qui la formulent et n’a pas a priori de sens pour une culture éloignée dans le temps et l’espace. Parler de « l’honneur des Romains », c’est risquer de projeter des représentations modernes sur l’Antiquité et de tomber dans l’anachronisme et l’ethnocentrisme. On risque ainsi de déformer les réalités antiques en recourant à des présupposés et des schémas de fonctionnement qui leur sont étrangers. Cette altération de l’objet analysé est illustrée par certains aspects de l’étude de C. Barton. En faisant de l’honneur un élément-clef de l’intériorité des Romains et un signe de la richesse de leur vie émotionnelle, elle recourt à une conception de l’honneur comme disposition psychologique intérieure, ce qui l’amène à projeter sur la réalité antique des éléments qui n’en sont pas issus, par exemple quand elle avance que la confession des fautes est un point central de l’honneur, avant même le développement de cette pratique par le christianisme16. L’usage de concepts extérieurs à une culture pour expliquer cette dernière n’est pas en soi illégitime mais il devient hautement problématique lorsqu’il touche l’objet principal de l’étude et qu’il reste, comme chez C. Barton, totalement implicite, sans jamais être envisagé comme une hypothèse de travail17.
11Un deuxième écueil est celui de la circularité. Il est possible, comme on l’a vu, d’arriver à une définition assez fine de l’honneur ; mais prendre pour objet d’étude un concept théorique préalablement défini a tendance à mener celui qui l’utilise à une étude tautologique si des précautions méthodologiques ne sont pas prises. En effet, le savant qui s’intéresse à l’honneur dans la culture romaine à partir d’une définition extérieure cherchera à retrouver dans cette culture des éléments de cette définition. Il est possible d’utiliser des concepts complexes prédéfinis pour l’étude d’une culture passée, mais il faut les employer comme outils annexes et non comme objets centraux de l’investigation, sans quoi on occulte toute l’originalité du phénomène étudié sous des notions préfabriquées et donc inadaptées. Plusieurs pratiques sociales et normes morales romaines peuvent effectivement être rapprochées de l’honneur, mais en faisant de cet objet le cœur de l’enquête, on ne fait que rassembler des objets disparates sous un concept artificiel. L’inconvénient de cette démarche apparaît quand C. Barton déclare que la uirtus est le mot latin le plus proche de la notion d’honneur18 ; en raisonnant ainsi, elle recherche dans la culture antique des éléments qui s’adaptent à sa définition préconçue de l’honneur et les agglomère à cette dernière, sans souligner leur originalité.
12Une dernière difficulté posée par l’usage de la notion d’honneur à propos de l’Antiquité romaine réside dans la simplification outrancière qu’elle donne de la société et de la culture antiques. Parler d’honneur, c’est en effet utiliser un concept unique alors qu’il n’y a pas à Rome d’unité, ni dans la pratique ni dans la pensée, des objets recouverts par ce concept. Recourir à « l’honneur » revient à écraser sous une dénomination faussement élémentaire une très riche constellation de notions composée de dignitas, pudor, uirtus, honos, auctoritas, entre autres. La notion d’honneur unifie des pratiques, des vertus, des idées politiques et des concepts éthiques très variés et très nuancés qui, s’ils ont des points communs, ne peuvent être ramenés à une notion unique. Dans son analyse de l’honneur, J. E. Lendon réunit ainsi sous le concept d’honneur des réalités aussi diverses que le conflit de dignitas entre Pompée et César lors de la guerre civile, la gloria paradoxale des acteurs et l’auctoritas d’Auguste19. De tels rapprochements conduisent à une simplification excessive et à l’élaboration d’un concept artificiel20.
13Pour ces différentes raisons, la notion d’honneur ne nous semble pas pouvoir constituer le point de départ de notre étude. Cela ne signifie pas que nous renoncerons totalement à l’utiliser. Ce concept, pourvu qu’il soit convenablement défini, revêt en effet un réel intérêt mais doit être utilisé avec prudence. Nous le placerons à l’horizon de notre travail et non en son centre : nous le garderons en vue, à titre de modèle de réflexion, d’outil comparatif ainsi que de possible point d’arrivée de notre étude.
Les notions d’honos, honestum et honestas
Intérêt méthodologique
14Pour réaliser une approche pertinente du prestige social et de la dignité morale, sur le plan pratique et théorique, nous avons choisi de recourir à une notion proprement romaine. Si l’on revient au texte de Cicéron que nous citions au début de cette introduction, on remarque en effet la présence de deux termes qui paraissent proches de l’« honneur » : Cicéron évoque au début du passage les honores qu’il a obtenus, ces marques de distinction, notamment politiques, qui le contraignaient à adopter une conduite digne. Puis il souligne que la philosophie est devenue une activité honestissima, très honorable, à cause des bouleversements de la cité et de sa retraite hors de la vie publique. Cicéron recourt ainsi au terme honos et à l’adjectif dérivé honestus pour résoudre la question d’honneur à laquelle il fait face : ce sont les honores qui imposent une conduite honesta. Ce sont ces deux notions, honos et honestum, ainsi que celle d’honestas, qui n’apparaît pas dans le texte mais est étroitement liée aux deux précédentes, que nous avons choisi de placer au centre de notre étude.
15Elles ont, nous semble-t-il, l’intérêt de ne pas tomber sous le coup des difficultés épistémologiques précédemment identifiées et de pouvoir résoudre la « question d’honneur » qui se pose aux modernes. L’honos n’est pas une notion étrangère à la culture romaine ; elle se trouve au contraire solidement ancrée en son sein, étant présente dès les débuts de la littérature latine. Nous risquons donc moins, en nous fondant sur cet objet indigène, de rester totalement dépendants d’un point de vue moderne et de déformer les réalités romaines, puisque nous partirons de l’intérieur de la culture observée.
16Faire de l’honos et de ses dérivés notre objet principal permet aussi de ne pas nous fonder sur une définition préconçue et trop élaborée puisque nous ne connaissons pas ces notions de manière intime ; cette approche nous offre donc la possibilité de prêter une plus grande attention à leur singularité et d’élucider progressivement, au contact des textes, la complexité de leur nature.
17Enfin, ces notions donnent à notre enquête un objet plus restreint que « l’honneur » mais aussi plus précis et dont l’unité n’est pas factice. C’est donc à l’honos, l’honestum et l’honestas que nous nous intéresserons essentiellement. Par commodité, cependant, nous emploierons parfois le terme d’« honneur » pour désigner les trois notions situées au centre de notre travail.
Enjeux de l’étude
18Le faisceau de notions que nous avons pris comme objet central présente un intérêt majeur pour la compréhension de la culture romaine. L’honos et l’honestum sont en effet des termes très fréquents dans les textes anciens : à l’époque républicaine, par exemple, à la notable exception de Catulle, aucun auteur majeur ne les ignore l’un et l’autre. Sur le plan des pratiques, des phénomènes comme l’octroi d’honores par le général à ses soldats ou par une cité à ses bienfaiteurs, la suprématie de l’aristocratie par l’entremise de son honos, la progression dans le cursus honorum, l’honestas des ancêtres ou à l’inverse l’infamie des acteurs, prostituées et gladiateurs constituent des caractéristiques essentielles de la cité romaine.
19Une étude de l’honos, de l’honestum et de l’honestas ne permet pas seulement d’approcher un aspect important de la culture romaine. Elle donne aussi l’occasion de saisir, par un biais extrêmement riche, la romanité dans sa singularité et sa complexité. L’enjeu de notre enquête va donc au-delà de la compréhension des notions qui en sont l’objet principal. Ces dernières se situent en effet au carrefour du social, du politique, de l’éthique et du religieux et permettent d’obtenir, par une sorte de raccourci, une vue en coupe de la culture romaine. L’étude de l’honos nous permettra d’abord d’enrichir notre vision des rouages de la société romaine. L’analyse de l’octroi des marques d’honneur éclairera la complexité des relations entre les individus, leur dynamique et leurs enjeux. Elle nous permettra de pénétrer dans le réseau complexe du don, du bienfait et de la reconnaissance et de voir comment se produit à Rome la cohésion du corps social.
20L’enjeu de cette étude est aussi politique. Il s’agira de voir, à travers l’étude de l’honos, comment le pouvoir s’exerce dans d’autres espaces que les institutions et par d’autres moyens que la coercition. Nous pourrons aussi approcher au plus près de la conception que se font les Romains du service de l’État à travers l’examen de leur représentation des charges du cursus honorum. Nous verrons aussi comment les groupes dominants utilisent les grandes notions sociopolitiques comme armes idéologiques ou instruments d’affirmation identitaire.
21Notre enquête nous donnera aussi l’occasion d’apprécier l’évolution de la morale romaine. L’étude des motifs pour lesquels l’honos est décerné ou perdu et des jugements sur ce qui est honorable ou déshonorant permet de prendre la mesure des normes morales qui structurent la société et de voir leur changement au cours du temps. L’honos est, en outre, une valeur essentielle du mos maiorum, cet ensemble de règles de conduite et de modèles de comportement ancestraux ; l’évolution de son importance au fil du temps permettra donc d’observer les modulations du jugement porté sur la morale romaine traditionnelle. L’approche des processus d’hommage et de prestige montrera aussi comment une société ancienne parvient à se réguler elle-même.
22Enfin, notre investigation autorisera une étude des modes de pensée romains. Ils seront révélés, d’une part, par les pratiques de l’honneur : les usages, les rites, les pratiques sont les symptômes de certaines conceptions du monde. Ils seront abordés, d’autre part, par la réflexion théorique et savante sur l’honneur. Nous pourrons notamment mesurer, à travers l’évolution de l’approche intellectuelle de l’honestum, devenu au Ier siècle un concept de la philosophie morale, comment une pensée abstraite et spéculative s’est progressivement développée à Rome.
État de la recherche
23Malgré leur importance, les notions d’honos, d’honestum et d’honestas ont été presque totalement délaissées par la science moderne. D’importants travaux ont été consacrés, depuis le début du XXe siècle, à des notions de la culture romaine, notamment par la philologie allemande : les recherches sur les Wertbegriffe sont anciennes dans le monde germanique21 et se sont poursuivies dans la seconde moitié du XXe siècle, sous l’égide notamment de H. Drexler, H. Opperman puis V. Pöschl22. Ils continuent encore aujourd’hui23. Cette approche philologique des notions politiques, sociales et morales de Rome a aussi été adoptée par des savants d’autres pays, comme J. Hellegouarc’h, G. Dumézil, É. Benveniste, D. C. Earl et L. R. Lind, pour ne citer que ceux qui se sont intéressés à des ensembles assez larges de notions24 ; plusieurs autres contributions, portant sur un terme précis, ont également été apportées25. Cependant, si certaines notions, telles que fides, humanitas, auctoritas ou uirtus ont fait l’objet d’investigations très approfondies, honos et ses dérivés ont été beaucoup moins étudiés. Deux dissertations allemandes leur sont consacrées, celle d’I. Stutz et celle de F. Klose26, mais, si elles dessinent des perspectives intéressantes, elles passent trop rapidement sur les problèmes posés et présentent un manque de systématicité. Outre ces monographies, un article d’H. Drexler27 trace à grands traits les sens d’honos, sans étudier honestus. Il faut aussi signaler le développement rapide mais stimulant que consacre J. Hellegouarc’h à honos dans son livre sur le vocabulaire politique républicain, un article de S. Gori qui aborde honos et munus chez Pline le Jeune et quelques remarques d’A. Espigares Pinilla28. Ces différentes études ont toutes leur intérêt mais demandent à être complétées et approfondies, d’autant qu’elles n’abordent les notions que d’un point de vue philologique, sans s’interroger sur les pratiques et les théories de l’honneur. Seul un article de Ph. Moreau sur l’usage de l’expression honoris gratia et un court passage de l’ouvrage de K.-J. Hölkeskamp consacré à la noblesse envisagent l’honos sous ces aspects, mais ils restent très partiels29. Il faut noter, enfin, l’ouvrage que M. S. Milhous a consacré à l’iconographie du dieu Honos ; il propose un important catalogue d’images mais reste, comme il est normal, limité à l’étude des représentations de la divinité et explore peu les autres aspects de la notion30.
Points problématiques et objectifs
24Un premier examen des notions d’honos, d’honestum et d’honestas fait apparaître un certain nombre de problèmes fondamentaux dont le traitement pourra servir de fil directeur à notre enquête. Ces notions semblent, à première vue, malléables et polymorphes. Pour prendre l’exemple d’honos, le terme est employé dans des domaines très différents : il y a un honos privé, celui que l’on fait à l’hôte que l’on reçoit, un honos public, celui dont on jouit dans la cité auprès de ses concitoyens, un honos politique, la charge publique du magistrat, ou encore un honos sacré, celui rendu aux dieux ou aux défunts. Cette plasticité de la notion est aussi perceptible dans la variété des contextes où elle apparaît, puisqu’on la rencontre dans le monde mythique de la tragédie, sur la scène comique, dans les discours politiques, les traités rhétoriques et les textes philosophiques. Il nous faudra donc nous interroger sur sa cohérence : l’unité de la notion est-elle seulement lexicale ? Sa diversité est-elle irréductible ?
25Il ne faut pas non plus perdre de vue que nos trois notions, loin d’être isolées, appartiennent à un ensemble très complexe de concepts et valeurs socio-politiques et morales. L’honos est proche de notions comme la gloria, la laus, le decus, la gratia, la dignitas, l’auctoritas. Quant à l’honestum et l’honestas, ils ne sont pas sans rapport avec la probitas, la uirtus ou le pudor, par exemple. On ne peut, sous peine de fausser notre représentation des modes de pensée romains, extraire l’honos de cette sphère notionnelle propre à la tradition romaine. Nous aurons donc à examiner ce qui fait la singularité de notre objet et la manière dont il s’articule à ces autres notions. Nous chercherons également à voir s’il existe des liens, autres que linguistiques, entre honos et les deux notions connexes, honestas et honestum.
26Nous aurons aussi à apprécier le rapport qui a pu s’installer entre les pratiques concrètes de l’honneur et leur approche réflexive. Nos trois notions se prêtent en effet à une lecture confrontant la pratique et la théorie. Elles désignent, d’une part, des phénomènes sociaux, tels que l’hommage d’une personne à une autre, le prestige au sein de la collectivité ou la conduite conforme aux idéaux de la société. Mais ces notions sont aussi, d’autre part, mobilisées sur le plan théorique : les Romains utilisent l’honestum comme concept technique en rhétorique et en philosophie, s’interrogent sur la valeur réelle de l’honos et réfléchissent sur le contenu des normes de l’honestas. Il y a pour les Romains eux-mêmes une « question d’honneur ». Ce sont des objets à la fois pratiques et théoriques et il nous sera donc loisible de confronter leurs deux facettes. Le phénomène, parce qu’il est à la fois une conduite matérielle et un objet construit par des discours savants, s’est-il scindé en deux objets différents ? Comment la pensée de l’honneur a-t-elle changé la pratique de l’honos et de l’honestum ?
27Les notions qui sont au centre de notre étude évoluent dans le temps. Nous aurons donc également à examiner leur changement historique, dans leur usage et dans l’approche réflexive qu’en font les Romains. Pour ce faire, une attention particulière devra être dévolue à deux facteurs. On s’attachera, d’une part, aux changements des institutions et de la société, dont les bouleversements ont des répercussions sur les divers aspects de la vie romaine. On observera, d’autre part, le rôle joué par l’influence de la culture hellénique, qui se fait de plus en plus forte à l’époque républicaine. La notion d’honestum devra faire l’objet d’un examen particulièrement attentif car elle a été, tout au long des deux derniers siècles de la République, élaborée de manière conceptuelle, au point de devenir un élément central de l’axiologie et de la philosophie morale, notamment chez Cicéron. Enrichi par un contact avec le grec καλόν, l’honestum s’est identifié au Ier siècle au souverain bien moral et s’est écarté de l’honneur.
28Enfin, nous ne pouvons occulter la proximité entre les notions romaines étudiées et le concept anthropologique d’« honneur ». Ce dernier ne peut constituer, comme nous l’avons vu, le point de départ de notre recherche, mais nous aurons à interroger le rapport qu’entretiennent avec lui l’honos et l’honestum.
Méthode adoptée
Trois approches complémentaires
29Pour aborder les différents aspects de l’honos, de l’honestum et de l’honestas, nous associerons trois approches complémentaires sur le plan méthodologique. Les travaux consacrés à l’étude des notions romaines, signalés plus haut31, ne les envisagent, le plus souvent, que comme des mots dont il faut éclairer le sens ; ils se livrent donc à une analyse sémantique de leurs occurrences dans les textes. Une telle approche, si elle est, comme nous allons le voir, indispensable, nous paraît cependant réductrice. Notre objet est en effet constitué par des notions qu’il ne faut pas limiter à des unités lexicales. La notion est un élément riche et complexe : au-delà du mot, elle est aussi un vécu, c’est-à-dire un ensemble de conduites concrètes et d’objets pratiques, ainsi qu’une idée, une réalité intellectuelle susceptible de divers usages plus ou moins théoriques. C’est donc à ces trois niveaux qu’il faut l’aborder.
30Le premier niveau d’approche est de nature sémantique. Pour éviter deux écueils que nous avons identifiés, l’application d’une définition extérieure et la déformation anhistorique et ethnocentrique, il est nécessaire de prêter attention à la signification des mots étudiés par une analyse sémasiologique, qui part des mots pour aller vers les idées32.
31Cette approche sémantique gagnera à être complétée par une étude de l’honos comme pratique. Nous observerons donc les comportements, les usages et les rites concernés par ces notions, ainsi que leurs significations et leurs fonctions33. L’objectif ne sera pas de donner une description exhaustive des pratiques de l’hommage et de l’honorabilité mais d’insister sur leur rôle et leur sens à l’échelle individuelle et collective. Le regard que nous porterons sur ces objets sera de type anthropologique car nous aurons à cœur de placer au centre de l’étude l’homme romain et ses usages de l’honneur et d’étudier ces derniers de l’intérieur, sans employer, ici non plus, de définition préconçue. Nous ne nous interdirons pas, cependant, de recourir à des concepts et des modèles de réflexion empruntés aux sciences sociales qui nous permettront d’aller au-delà d’une simple observation de l’honneur et de nous acheminer vers son interprétation.
32Rome n’est pas une société figée et close sur elle-même. La pratique de l’honos et de l’honestum évolue et connaît des dysfonctionnements ; elle est aussi et surtout constamment interrogée, critiquée, contestée. Il y a à Rome une réflexion de plus en plus poussée sur les notions qui nous intéressent et il est donc nécessaire d’envisager une troisième approche de l’honneur : l’honos et ses dérivés seront analysés comme données intellectuelles et représentations mentales. L’idée d’honneur peut prendre trois formes qu’il nous faudra toutes envisager. Elle peut être concept, dans le domaine de la philosophie et de la rhétorique, et prendre donc place dans la pensée abstraite et savante. Elle peut être valeur, dans la réflexion morale et la pensée politique. Nous aurons donc à l’aborder d’un point de vue axiologique et idéologique chez des auteurs qui l’emploient à d’autres fins que la constitution d’un savoir. Les idées d’honos, d’honestas et d’honestum peuvent enfin être images, quand elles prennent une place importante dans le travail spécifiquement littéraire des auteurs.
Période retenue
33Nous avons choisi de limiter notre investigation à l’époque de la République, et plus précisément à la période qui va de la fin du IIIe siècle, moment de l’apparition dans les textes latins des notions étudiées, à la disparition de cette République. Cette dernière peut être placée à différentes dates ; nous la situons à la fin des années 40 avant notre ère. La période est en effet marquée par deux événements qui en font un tournant historique. En 43, Octave, Antoine et Lépide forment le triumvirat, magistrature qui consacre une nouvelle forme de pouvoir autocratique et personnel, situé en dehors de l’ancien jeu des institutions républicaines34. En 42, la bataille de Philippes voit l’écrasement des dernières forces républicaines, conduites par Brutus et Cassius, et signe la mort de la République. L’usage d’un terme chronologique aussi précis peut paraître peu approprié pour l’étude de notions, éléments difficiles à faire entrer dans un cadre strictement délimité. Il est cependant nécessaire, dans la mesure où nous étudierons essentiellement des textes, de placer une césure assez précise qui permette de sélectionner un corpus bien déterminé d’auteurs. C’est aussi en raison de l’usage important que nous ferons des sources écrites que nous concentrerons notre propos sur la période où Rome voit la naissance et le développement de sa littérature. La période retenue nous conduira donc des œuvres de Plaute et d’Ennius, premiers textes où apparaissent les termes d’honos et d’honestum, aux derniers discours et traités de Cicéron, mort en 43, aux textes du corpus césarien, dont la publication s’achève vers 42, et à l’œuvre de Varron et de Salluste35. Nous laisserons de côté les textes de Cornelius Nepos, qui sont plus tardifs, ainsi que les Bucoliques de Virgile qui, si elles ont été publiées à la fin des années 40, sont d’une inspiration et d’un genre très différents de ceux de nos autres textes et appartiennent déjà, par leur contenu idéologique et intellectuel, à une autre époque. Ce sont donc les deux derniers siècles de la République qui constitueront notre cadre de travail. Nous utiliserons cependant parfois, de manière ponctuelle, des données relatives à la période précédente ou à l’époque impériale.
34La période retenue nous paraît constituer un champ d’observation à la fois cohérent et intéressant. Sur le plan historique, les deux derniers siècles de la République représentent une période de profonde mutation, avec la conquête de nouveaux territoires et d’importants changements sociaux et économiques. C’est aussi l’époque qui voit l’apogée de la res publica, de ses institutions et de son aristocratie, puis leur crise et leur destruction avec la montée des grands imperatores et les déchirements des guerres civiles. L’honos, comme mécanisme social et politique, est situé au cœur de ces bouleversements. Il s’agit aussi d’une période particulièrement riche sur le plan intellectuel, puisqu’elle voit la maturation de la littérature latine et des arts romains, l’essor de disciplines nouvelles, comme la rhétorique et la philosophie, et l’approfondissement des contacts avec la culture hellénique. Les notions que nous étudions ont profité de ces divers enrichissements. La période retenue est aussi caractérisée par l’évolution des mœurs des Romains : de nouvelles pratiques se développent, les règles de conduite se modifient et la crise générale de la cité au Ier siècle touche également le mos maiorum et ses principes. La fin de la République constitue donc un cadre privilégié pour l’étude de cette valeur et de cette norme morale qu’est l’honneur. L’étendue diachronique retenue est, enfin, suffisamment large pour nous permettre d’observer l’honos et l’honestum à leur naissance et d’en voir la maturation. Elle est aussi restreinte à cette durée d’environ deux cents ans pour ne pas donner à notre enquête des proportions démesurées.
Usage des sources
35Notre enquête s’appuiera principalement sur des textes puisque son objet est d’étudier un ensemble de notions qui nous ont été transmises par l’écrit. Nous nous intéresserons donc aux différentes productions de l’époque républicaine, quel que soit le genre auxquelles elles appartiennent. Nous exploiterons aussi les inscriptions où apparaissent honos, honestum et honestas ; elles sont peu nombreuses mais projettent sur ces notions un éclairage original. Nous recourrons aussi, de manière plus occasionnelle, à d’autres types de sources, archéologiques et numismatiques notamment. Elles seront surtout convoquées pour l’étude des formes prises par les marques d’honneurs et pour notre recherche sur le dieu Honos. L’étude de l’ensemble des statues, arcs et autres monuments honorifiques dépasserait les limites de notre travail et ne sera donc pas menée.
36Les textes que nous utiliserons seront majoritairement issus de la période qui constitue le cadre de notre étude. Afin de ne pas accroître de façon exagérée le volume de cet ouvrage et d’éviter de projeter sur l’honneur de la République des éléments étrangers, nous limiterons l’utilisation des textes qui évoquent cette époque mais n’ont été rédigés qu’après qu’elle fut révolue. Pour l’étude des représentations intellectuelles de l’honos, nous n’utiliserons pas d’auteurs comme Tite Live, Valère Maxime ou Aulu Gelle. Bien que la période républicaine fasse, par exemple, l’objet du récit de Tite Live, l’historien est imprégné d’une idéologie, d’une morale et de représentations appartenant à une autre époque. Pour l’étude de l’honos et de l’honestum en tant que pratiques, l’usage de ces sources plus tardives est moins problématique car il s’agit d’approcher des éléments objectifs. Malgré tout, nous n’y recourrons que de manière prudente car une distorsion des pratiques et faits relatés est toujours possible36.
37Les sources de langue grecque seront aussi sollicitées, mais dans un esprit différent. Les auteurs qui traitent de l’histoire romaine pourront être utilisés, de façon ponctuelle, pour éclairer certains faits ou comportements. Mais les notions romaines qui font l’objet de notre recherche n’apparaissent naturellement pas dans ces textes qui seront donc moins mobilisés que les œuvres latines. Chez les écrivains grecs qui, comme Polybe, rédigent leur œuvre à la période qui nous intéresse, nous aurions pu chercher à étudier une notion équivalente à l’honos, comme la τιμή qui en semble proche à première vue. Mais l’établissement d’une telle identité est discutable, comme nous le verrons, et pose des difficultés méthodologiques. L’étude des notions grecques de l’honneur constitue un problème à part entière qu’il ne s’agit pas de traiter ici. En revanche, ces sources pourront utilement être exploitées à un autre niveau. Elles nous serviront à établir une comparaison entre des notions grecques et romaines perçues comme proches par les locuteurs anciens, comme l’honestum et le καλόν. Elles permettront aussi d’évaluer l’influence de la pensée grecque sur la réflexion romaine, dans des champs tels que l’évaluation du prix des marques d’honneur ou encore la définition de l’honorabilité. Il nous reste à préciser la manière dont nous solliciterons les textes latins. Le texte littéraire n’est pas un objet monolithique, mais peut revêtir plusieurs statuts. Il peut être envisagé comme document historique susceptible de nous renseigner sur une pratique ou un ensemble de realia. C’est aussi un texte littéraire, inscrit dans son époque, qui poursuit des fins esthétiques. Il révèle également une pensée, voire une idéologie. Il peut enfin receler un niveau discursif par lequel l’auteur juge et construit un objet au moment où il le représente à ses lecteurs. Nous solliciterons donc les textes de manière plurielle, du point de vue linguistique, historique, littéraire, philosophique et culturel. Une telle démarche pose cependant un problème dont il faut être conscient, à défaut de pouvoir totalement le résoudre. Si l’approche linguistique, littéraire et philosophique des textes antiques paraît assez légitime, il en va autrement de l’approche historique qui consiste à les exploiter comme témoignages sur des comportements disparus. Est-il justifié d’utiliser les sources textuelles comme indices sur les pratiques de l’honos ? S’agissant de sources littéraires, leur rapport au réel est plus complexe qu’un rapport de pure reproduction. Les sources sont en outre l’expression de la subjectivité de leur auteur. Faut-il donc renoncer à les exploiter pour étudier les formes concrètes de l’honos ? Cela ne nous semble pas devoir être le cas. Les œuvres historiques et les discours des orateurs, qui représentent une part importante de notre corpus, obéissent certes à des intentions qui peuvent les amener à présenter les faits sous un certain jour mais non à les déformer totalement. Les pratiques sociales décrites, les événements historiques mentionnés ne sont pas le fruit de l’imagination des auteurs. Ces derniers les interprètent – et il nous appartient d’apprécier cette interprétation – mais n’en bouleversent pas radicalement les contours. Même les œuvres de fiction comme les comédies ne sont pas de pures fantaisies. Il y a un horizon d’attente auquel le dramaturge est sensible, ainsi qu’un « horizon de compréhension »37 qui impose des références connues et des points d’ancrage dans le réel. Le théâtre plautinien, par exemple, est un théâtre du jeu qui ne cherche pas à donner un reflet du réel, mais ce jeu doit rester compréhensible et entretient donc un rapport avec la réalité. Pour reprendre les propos tenus par Pseudolus dans la pièce du même nom, le poète compose un mendacium, une histoire qui n’a pas existé, mais a le souci de rendre ce « mensonge » ueri simile, vraisemblable38. Une approche des conduites sociales et morales de Rome à travers les textes littéraires ne nous paraît donc pas illégitime. Il faut cependant garder à l’esprit que notre étude de la pratique de l’honos et de l’honestum sera surtout une étude des représentations de cette pratique par les Romains. Nous n’accéderons pas de manière directe à l’honos romain mais plutôt à une image de l’honos. Nous appréhenderons la manière dont les anciens s’attendaient à ce que l’honneur fonctionne, au moins autant que son fonctionnement réel. C’est aussi en ce sens que notre étude concernera les mentalités et non seulement les comportements. Cependant, pour nous rapprocher de la pratique effective de l’honneur et tenter de pallier la vision subjective des textes, notre étude opérera un croisement des différentes sources et une observation panoramique des auteurs de la période, afin de dégager, par une vue d’ensemble, des constantes véridiques. C’est pourquoi nous aurons à associer, dans un premier temps, des textes d’époque et de nature différentes. Ce mélange n’est pas exempt d’inconvénients mais il nous permettra de déceler un noyau dur d’éléments concernant nos notions. Ce n’est qu’ensuite que nous reviendrons sur les variations propres à chaque auteur et à chaque genre littéraire.
Plan adopté
38Conformément aux principes méthodologiques que nous avons posés, notre recherche est construite autour de trois approches successives. La première partie sera consacrée à l’étude du lexique de l’honneur : nous nous intéresserons aux mots honos, honestum et honestas et à leur sémantisme. Chacun de ces termes sera abordé dans un chapitre dédié (chapitres 1, 2 et 3).
39Une fois établi le sens précis de chacune de ces notions, nous nous intéresserons, dans une deuxième partie, à la pratique de l’honneur.
40Nous placerons au centre de l’enquête les fonctionnements de l’honos, de l’honestum et de l’honestas, et les usages qu’en font les Romains dans leur vie. Nous commencerons par en établir les structures essentielles, de nature symbolique et économique (chapitre 4). Nous étudierons ensuite les formes concrètes prises par l’honos et en proposerons une typologie et une interprétation d’ensemble (chapitre 5). Les deux chapitres suivants (6 et 7) envisageront les préalables et les conséquences de l’honneur : ils seront consacrés, respectivement, aux motifs et conditions d’accès à l’honneur, puis à ses effets positifs et négatifs. La mise en avant des avantages et contraintes apportés par l’honos nous amènera à nous interroger sur l’utilisation qui peut en être faite. Nous étudierons donc les fonctions de l’honneur, qui sont morales, sociales et politiques (chapitre 8). Nous resterons ensuite dans le domaine des usages de l’honneur, mais en déplaçant le regard vers la personne qui bénéficie de l’honos : nous envisagerons la manière dont le sujet s’y rapporte, pour le conquérir, le préserver ou le transmettre (chapitre 9). Nous placerons ensuite l’accent sur l’honestum et l’honestas : nous nous interrogerons sur leur place au sein de la morale romaine et sur la possibilité d’analyser leur fonctionnement comme celui d’un « code d’honneur ». Nous aborderons pour cela les normes de l’honestas, leur diversité, leurs archétypes et leurs fondements sociaux (chapitre 10). Notre étude de la pratique de l’honneur s’achèvera avec une enquête sur le dieu Honos, sa nature, son culte et sa signification idéologique et politique (chapitre 11).
41Notre troisième partie sera consacrée à la pensée de l’honneur chez les auteurs latins. Elle envisagera l’honos, l’honestum et l’honestas comme idées, images, valeurs et concepts chez les écrivains qui présentent un usage suffisamment significatif de ces notions39. Elle s’intéressera aux représentations mentales qu’en ont les auteurs et aux approches intellectuelles qu’ils en font. L’accent sera mis sur l’élaboration progressive de concepts et l’émergence d’une théorie sur ces objets. Pour ce faire, nous suivrons dans les chapitres 12 à 20 un fil chronologique, en traitant des écrivains des deux derniers siècles de la République, de Plaute à Salluste. Cette approche fera ressortir des lignes de force dans l’histoire intellectuelle de l’honos et de l’honestum et mettra en valeur les évolutions sur une période assez longue. Un auteur de premier plan, Cicéron, sera cependant absent de ce panorama. Nous aurons fréquemment à utiliser les textes de l’Arpinate comme sources dans la première puis la deuxième partie, mais l’analyse de la pensée cicéronienne de l’honneur ne sera pas menée dans la troisième partie de cet ouvrage : l’ampleur de l’œuvre oratoire et théorique de Cicéron, ainsi que la richesse et la complexité de ses analyses de l’honos et de l’honestum réclament en effet la convocation de nombreux textes et la présentation de développements assez amples, toutes choses qui excèderaient les limites de notre livre. L’étude de la pensée cicéronienne fait encore l’objet de notre travail de recherche actuel et donnera lieu ultérieurement à une publication sous forme de volume indépendant.
Notes de bas de page
1 Sauf mention contraire, toutes les traductions sont nôtres.
2 Verrès : Cic. Verr. II, I, 32 ; Catilina : Cic. Catil. I, 13 ; Pison : Cic. Pis. 65 ; Antoine : Cic. Phil. II, 47.
3 Cic. Rab. Perd. 27 ; Flac. 100 ; Sest. 86.
4 Cic. Mur. 17 ; Sest. 73.
5 Cic. Att. VIII, 15, 2.
6 Le déshonneur du jeune homme de comédie est un thème récurrent. Voir par exemple les réprimandes du pédagogue Lydus à Pistoclère (Pl. Bac. 158-162).
7 L’idée court dans le proœmium du De coniuratione Catilinae.
8 C. A. Barton, Roman Honor : the Fire in the Bones, Berkeley, University of California Press, 2001 ; J. E. Lendon, Empire of Honour. The Art of Government in the Roman World, Oxford, Clarendon Press, 1997. Un article de ce dernier auteur, paru en 2011, n’a pas pu être consulté à la date où nous achevons cet ouvrage (J. E. Lendon, « Roman Honor » in Peachin, M., The Oxford Handbook of Social Relations in the Roman World, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 377-403). L’étude de F. Stippel, Ehre und Ehrerziehung in der Antike, Würzburg, K. Triltsch, 1939, est extrêmement brève et consacrée presque exclusivement à l’Antiquité grecque ; on n’y trouve que quelques pages sur les hommages dans le monde romain (p. 44-47). Les travaux sur des marques d’honneur particulières (triomphes, statues, décorations militaires, etc.), sur des notions d’envergure plus limitée, comme la pudeur ou l’infamie, ou sur la morale romaine et le mos maiorum en général, sont en revanche très nombreux et seront indiqués au fur et à mesure de notre travail.
9 C’est ce que mettent bien en avant différentes contributions de l’ouvrage de H. Drévillon et D. Venturino (éds.), Vivre et penser l’honneur à l’époque moderne, Rennes, P.U.R., 2011.
10 Barton, Roman Honor, p. 9.
11 Lendon, Empire of Honour, p. 1.
12 L’approche sociologique est représentée, notamment, par G. C. Homans, Social Behaviour : its Elementary Forms, Londres, Routledge, 1961 ; W. J. Goode, The Celebration of Heroes. Prestige as a Social Control System, Berkeley, University of California Press, 1978 et P. Bourdieu, Trois études d’ethnologie kabyle, Paris, Seuil, 2000. Voir l’analyse rétrospective de ces études par E. Hatch, « Theories of Social Honor », American Anthropologist, 91, 1989, p. 341-353. L’approche anthropologique a porté sur des sociétés grecque (J. K. Campbell, Honour, Family and Patronage, Oxford, Clarendon Press, 1964), andalouse (J. A. Pitt-Rivers, Anthropologie de l’honneur : la mésaventure de Sichem, Paris, Le Sycomore, 1983), galicienne (C. L. Tolosana, « The Ever-Changing Faces of Honour », in Albera, D., Blok, A. et Bromberger, C. (éds.), L’Anthropologie de la Méditerranée, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, p. 133-147), berbère (R. Jamous, Honneur et baraka. Les structures sociales traditionnelles dans le Rif, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1981) et bédouine (L. Abu-Lughod, Veiled Sentiments : Honor and Poetry in a Bedouin Society, Berkeley, University of California Press, 1986 ; F. H. Stewart, Honor, Chicago, University of Chicago Press, 1994). Plusieurs autres contributions sont rassemblées dans l’ouvrage de J. G. Peristiany (éd.), Honour and Shame : the Values of Mediterranean Society, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1966.
13 Stewart, Honor, p. 13-30.
14 Pitt-Rivers, Anthropologie de l’honneur, p. 18.
15 Ibid., p. 19.
16 Voir Barton, Roman Honor, p. 1-2 et l’ensemble du chapitre 5, « The spirit speaking ». Un problème similaire apparaît dans le traitement de la notion d’αἰδώς par D. L. Cairns. Ce dernier commence par poser une définition moderne de la honte, nourrie des apports de l’anthropologie et de la psychanalyse, et cherche ensuite à retrouver cette dernière dans les textes qu’il parcourt au lieu de tâcher de dégager progressivement les singularités de l’αἰδώς grec (D. L. Cairns, Aidôs. The Psychology and Ethics of Honour and Shame in Ancient Greek Literature, Oxford, Clarendon Press, 1993, p. 1-47).
17 Certains des anthropologues ayant travaillé sur l’honneur ont eux-mêmes pris conscience de la difficulté méthodologique posée par ce concept : M. Herzfeld a souligné que l’usage de notions comme « honour » ou « shame » par les savants anglo-saxons pour identifier des normes et des pratiques étrangères très différentes de la culture des observateurs a occasionné l’instillation d’éléments absents de la culture observée. Voir M. Herzfeld, « Honour and Shame : Some Problems in the Comparative Analysis of Moral Systems », Man, 15, 1980, p. 339-351 : « it is however reduced and obscured by the apriorism, circularity and ethnocentrism inherent in the use of such inefficient Englishlanguage glosses for the purpose of cross-cultural analysis » (p. 339).
18 C. A. Barton, « Savage Miracles : the Redemption of Lost Honor in Roman Society and the Sacrament of the Gladiator and the Martyr », Representations, 45, 1994, p. 41-71, à la p. 63.
19 Lendon, Empire of Honour, p. 35, 99-100 et 129.
20 Ce problème est aussi apparu dans les études anthropologiques de l’honneur méditerranéen où la notion d’honneur a tendu à recouvrir de façon abusive celles de chasteté, noblesse, courage et vengeance. Voir Herzfeld, « Honour and Shame », p. 343 sqq.
21 Voir le bilan rétrospectif établi par G. Thome, Zentrale Wertvorstellungen der Römer, Bamberg, C. C. Buchner, 2000, p. 7 sqq. Sur l’histoire de l’étude des notions en Allemagne et sur son rapport avec les événements contemporains, voir P. L. Schmidt, « Zwischen Werttheorie, Begriffsgeschichte und Römertum. Zur Politisierung eines wissenschaftlichen Paradigmas », in Haltenhoff, A., Heil, A. et Mutschler, F.-H. (éds.), Römische Werte als Gegenstand der Altertumswissenschaft, Munich, K. G. Saur, 2005, p. 3-21 ainsi que S. Rebenich, « Römische Wertbegriffe : Wissenschaftsgeschichtliche Anmerkungen aus althistorischer Sicht », in Haltenhoff, A., Heil, A. et Mutschler, F.-H. (éds.), Römische Werte als Gegenstand der Altertumswissenschaft, Munich, K. G. Saur, 2005, p. 23-46.
22 H. Oppermann (éd.), Römische Wertbegriffe, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1967 ; V. Pöschl, « Politische Wertbegriffe in Rom », A&A, 26, 1980, p. 1-17 ; H. Drexler, Politische Grundbegriffe der Römer, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1988.
23 Thome, Zentrale Wertvorstellungen der Römer ; M. Braun, A. Haltenhoff et F. -H. Mutschler (éds.), Moribus antiquis res stat Romana. Römische Werte und römische Literatur im 3. und 2. Jh. v. Chr., Munich, K. G. Saur, 2000.
24 J. Hellegouarc’h, Le Vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris, Les Belles Lettres, 1963 ; G. Dumézil, Idées romaines, Paris, Gallimard, 1969 ; É. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, Minuit, 1969 ; D. C. Earl, The Moral and Political Tradition of Rome, Londres, Thames & Hudson, 1967 ; L. R. Lind, « The Tradition of Roman Moral Conservatism », in Deroux, C. (éd.), Studies in Latin Literature and Roman History 1, Bruxelles, Latomus, 1979, p. 7-58.
25 Il serait trop long de toutes les citer ici. Nous nous permettons de renvoyer sur ce point à la suite de notre développement, où plusieurs d’entre elles apparaîtront, ainsi qu’à notre bibliographie.
26 I. Stutz, Honos. De vocabuli significatione Romana, Diss., Berlin, 1924 ; F. Klose, Die Bedeutung von honos und honestus, Diss., Breslau, 1933.
27 H. Drexler, « Honos », in Oppermann, H. (éd.), Römische Wertbegriffe, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1967, p. 446-467.
28 Hellegouarc’h, Vocabulaire, p. 383-388 ; S. Gori, « Le nozioni di honos e munus in Plinio il Giovane », in Pani, M. (éd.), Epigrafia e territorio, Bari, Edipuglia, 1994, vol. 3, p. 353-373 ; A. Espigares Pinilla, « Claves para la historia de un cultismo : ‘honesto’. 1, Antigüedad y Edad Media », CFC(L), 28 (2), 2008, p. 65-81.
29 P. Moreau, « Quem honoris causa appello. L’usage public des noms de personne et ses règles à Rome », in Champeaux, J. et Chassignet, M. (éds.), Aere perennius. Hommage à Hubert Zehnacker, Paris, P.U.P.S., 2006, p. 293-308 ; K.-J. Hölkeskamp, Die Entstehung der Nobilität. Studien zur sozialen und politischen Geschichte der Römischen Republik im 4. Jhdt. v. Chr., Stuttgart, F. Steiner, 1987, p. 210-211.
30 M. S. Milhous, Honos and Virtus in Roman Art, Ph. D., Boston University, Boston, 1992.
31 Voir supra p. 11.
32 Dans son étude de la honte à Rome, R. A. Kaster, Emotion, Restraint and Community in Ancient Rome, Oxford, Oxford University Press, 2005, a le souci de partir de la notion romaine de pudor mais n’élucide pas préalablement les sens du mot. Son analyse se révèle par conséquent flottante car il passe régulièrement de la « honte » au « sens de l’honneur » et à la « retenue » que désigne pudor sans jamais distinguer ces différents aspects de la notion. Nous tâcherons de nous souvenir de l’avertissement sensé formulé par G. Dumézil : « Avant d’engager un mot latin au service de quelque théorie que ce soit, il faut l’analyser dans ses contextes, avec ses résonances spécifiques, et sans idée préconçue » (Dumézil, Idées romaines, p. 152).
33 Notre méthode sera proche de celle suivie par M. McDonnell, Roman Manliness. Virtus and the Roman Republic, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, qui unit à l’étude des sens du mot uirtus une investigation sur ses formes concrètes et ses usages pratiques. Voir aussi la manière dont R. Langlands, Sexual morality in Ancient Rome, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, analyse la pudicitia dans le domaine du lexique et dans celui de la morale sexuelle.
34 Sur l’importance du triumvirat comme césure historique, voir J.-M. David, La République romaine de la deuxième guerre punique à la bataille d’Actium. 218-31, Paris, Seuil, 2000, p. 252 et F. Hinard (éd.), Histoire romaine. Tome I. Des origines à Auguste, Paris, Fayard, 2000, p. 842.
35 Par souci de cohérence, et pour ne pas scinder le corpus d’un seul et même auteur, nous inclurons dans notre ensemble de textes le De re rustica de Varron, publié en 37 et les Histoires de Salluste, parues entre 39 et 36. Sur les dates de publication de ces œuvres, voir les notices consacrées à chaque auteur par R. Herzog et P. L. Schmidt (éds.), Handbuch der lateinischen Literatur der Antike, Munich, C. H. Beck, 1989-.
36 Voir par exemple, à propos d’un honos, les aspects problématiques de la représentation livienne du triomphe républicain (T. Itgenshorst, Tota illa pompa. Der Triumph in der römischen Republik, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2005, p. 148-158).
37 Nous empruntons la notion à Herzog et Schmidt (éds.), Handbuch der lateinischen Literatur der Antike, p. 21. Face aux problèmes posés par l’étude des realia chez Plaute, les auteurs notent : « er ist ein authentisches Zeugnis für den nicht zu unterschätzenden Verständnishorizont seines Publikums. »
38 Pl. Pseud. 403. Voir aussi la Rhet. Her. I, 13 : Argumentum est ficta res, quae tamen fieri potuit, uelut argumenta comoediarum ; « la fiction est un récit inventé qui aurait pu cependant se produire, comme les sujets de comédie » (trad. Achard).
39 Des auteurs utilisés pour notre étude sémantique et pratique ne réapparaîtront donc pas dans notre troisième partie. Ce sera le cas, par exemple, d’Ennius, Accius, Sisenna ou Publilius Syrus.
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