Chapitre 8
Mourir pour Rome ? Les zouaves pontificaux et la Légion d’Antibes
p. 327-370
Texte intégral
1Parmi les formes que prit la mobilisation des catholiques européens en faveur de la papauté, celle qui marqua le plus fortement les contemporains et laissa la trace la plus vivace dans la mémoire collective fut incontestablement la mobilisation militaire. Au cours de la décennie 1860, plusieurs milliers de Français s’engagèrent au sein de l’armée pontificale. Ils furent pour la plupart affectés dans deux corps spécialement conçus pour accueillir les recrues étrangères : le bataillon des tirailleurs pontificaux, créé le 1er juin 1860 et devenu le 1er janvier 1861 le bataillon des zouaves pontificaux, et la Légion romaine, également appelée Légion d’Antibes. L’histoire de ces deux corps est inégalement connue. Si les zouaves ont suscité une abondante littérature tant de la part de leurs thuriféraires que des chercheurs1, la Légion d’Antibes n’a encore été que peu étudiée2.
2Le présent chapitre a pour objectif non pas d’étudier pour elle-même l’histoire de ces corps, mais de les envisager selon la perspective de la mobilisation française autour de la question romaine. À ce titre, il faut souligner que l’enrôlement au sein de l’armée pontificale constituait une forme paroxystique de l’engagement, puisque les acteurs y risquaient leur vie, et que, par conséquent, elle ne concerna jamais qu’un nombre d’hommes relativement réduit. Son étude conduit à revenir sur la question du volontariat militaire, qui a été l’objet d’un important renouvellement historiographique au cours des dernières décennies à la suite des travaux de George L. Mosse3. En raison de la multiplicité des circulations de volontaires qui la rejoignirent ou qui en partirent tout au long du siècle, l’Italie du XIXe siècle a constitué un des terrains d’études privilégiés de ce phénomène, qui concerna tant les libéraux que les démocrates ou leurs adversaires. L’engagement au sein de l’armée pontificale s’inscrivait par ailleurs dans une tradition ancienne de mobilisations militaires contre-révolutionnaires transnationales. Les troupes de Dom Miguel au Portugal en 1833-1834 et de Don Carlos en Espagne entre 1833 et 1840 avaient ainsi déjà accueilli, certes en bien moindre nombre, des volontaires européens et la situation se reproduirait entre 1872 et 1876 lors de la seconde guerre carliste.
3La plupart des travaux menés jusque-là sur le volontariat militaire au XIXe siècle ont été conduits selon une approche qualitative, avant tout centrée sur les acteurs, ce qui s’explique notamment par le petit nombre des hommes généralement engagés. Il est cependant possible, en raison d’une importance quantitative qui est l’une des principales caractéristiques de la mobilisation militaire en faveur de la papauté, de suivre également pour le sujet qui est le nôtre une approche quantitative. Celle-ci sera fondée sur deux bases de données réalisées à partir des matricules des zouaves pontificaux et de la Légion romaine, conservées à l’Archivio di Stato de Rome. Ces deux matricules permettent de cerner avec précision les caractéristiques du groupe des soldats français du pape.
4Il conviendra d’abord de retracer la genèse du corps des zouaves pontificaux, en montrant les réticences qu’a longtemps eues le Saint-Siège devant la perspective de recourir à des volontaires étrangers pour renforcer son armée et les difficultés auxquelles furent confrontés les organisateurs du corps. Une fois ce contexte présenté, il faudra mettre en évidence la chronologie de l’engagement, les réseaux de recrutement et les motivations des volontaires. Enfin, la géographie et la sociologie des deux corps seront étudiés, de même que la place des zouaves pontificaux dans l’imaginaire catholique.
I. Du bataillon des tirailleurs pontificaux au régiment des zouaves pontificaux
1. Le recours au volontariat armé transnational
5Au début de l’année 1859, l’armée pontificale était une armée aux dimensions réduites, dont la fonction était davantage d’assurer l’ordre intérieur face aux risques d’insurrection que de protéger le pouvoir temporel de la menace d’une invasion. La présence des corps d’occupation français et autrichien allégeait du reste une telle tâche, si bien que le secrétaire d’État Antonelli n’avait prêté qu’une attention très limitée aux questions militaires au cours de la décennie écoulée4.
6Dès cette époque, des catholiques avaient cependant présenté au Saint-Siège des projets destinés à renforcer son armée par la création d’un corps composé de volontaires recrutés dans les pays européens. L’idée de faire appel à des étrangers n’était en soi pas neuve et ne faisait que développer une pratique déjà en cours dans l’armée pontificale. Sans même évoquer les gardes suisses, dont le recrutement avait commencé au XVIe siècle, la présence de soldats étrangers parmi les troupes du pape remontait à l’époque du cardinal Bernetti, secrétaire d’État de Léon XII et de Grégoire XVI5. Elle avait été confirmée après la restauration de 1849-1850, notamment en raison des réticences que suscitait la conscription tant de la part des populations des États romains que de la part du gouvernement pontifical6.
7Dès mai 1856, l’archevêque d’Avignon transmit au nonce Sacconi un projet du comte de Brunet de La Renaudière7, qui proposait la création, sous le patronage de la Vierge immaculée, d’un nouvel ordre de chevalerie. Il se heurta cependant aux réticences de Sacconi8. Dans les premiers mois de 1859, alors que se développaient les rumeurs d’une guerre entre la France et l’Autriche, les projets de ce type se multiplièrent9. Ces propositions, qui n’émanaient pas exclusivement des catholiques français10, étaient alors reçues avec scepticisme par la secrétairerie d’État11.
8Les événements de 1859 et de 1860 vinrent cependant changer les choses. Alors que la défaite de l’Autriche ôtait au Saint-Siège l’appui de l’un de ses protecteurs, le refus de la France d’intervenir pour rétablir l’autorité pontificale dans les Romagnes insurgées témoignait des limites de la protection qu’accordait Napoléon III au pouvoir temporel. La politique d’Antonelli, fondée sur la recherche de la protection des puissances, se vit par conséquent de plus en plus critiquée au sein des milieux romains. Face à la ligne défendue par le secrétaire d’État, Mérode affirmait ainsi : « L’empereur [Napoléon III] nous soutient comme une maison qu’on étaie pour la démolir12. » Le prélat belge jugeait qu’il était désormais nécessaire, pour assurer la sécurité du pouvoir temporel, de renforcer l’armée pontificale en y enrôlant des volontaires catholiques de toutes les nations.
9Mérode réussit à la fin de l’année 1859 à convaincre Pie IX de faire appel au général de Lamoricière13, qui accepta le commandement en chef des troupes pontificales à la condition de ne jamais avoir à avoir à affronter la France14. Lamoricière étant un opposant notoire au régime impérial, le choix de la papauté de faire appel à ses services fut accueilli froidement par le gouvernement français. L’ambassadeur de France rapporta à son ministre que Mérode avait commenté en des termes peu amènes l’arrivée du général à Rome : « C’est un petit soufflet que nous donnons à l’Empereur15. » En s’engageant dans une armée étrangère sans l’accord de son gouvernement, Lamoricière s’exposait selon les lois françaises au risque de se voir déchoir de sa nationalité. Comme il refusait de demander l’autorisation nécessaire, la papauté s’en chargea après s’être assurée que le gouvernement français répondrait positivement à sa requête16. Le 9 avril, le général prenait possession de son commandement par un ordre du jour à travers lequel il plaçait son action dans la lignée de celle des croisés : « La Révolution, comme autrefois l’islamisme, menace aujourd’hui l’Europe, et aujourd’hui comme autrefois, la cause du Pape est celle de la civilisation et de la liberté du monde17. » Quelques jours plus tard, Pie IX nommait Mérode pro-ministre des Armes. Antonelli était vaincu et prévaudrait désormais en matière militaire la ligne du prélat belge.
10Il ne faut cependant pas exagérer l’opposition du secrétaire d’État au principe du recrutement de volontaires étrangers pour l’armée pontificale. La réorganisation de l’armée pontificale et le recours au volontariat avaient en réalité déjà été esquissés sous Antonelli. Dès le début du mois de février 1860, le secrétaire d’État avait en effet écrit au nonce Sacconi pour lui signaler que la situation politique exigeait de pouvoir disposer d’une importante force capable de s’opposer aux révoltes mais que les réticences suscitées par le service militaire empêchaient d’employer des soldats locaux. Le recours aux Suisses ne suffisant plus, le recrutement en Allemagne s’était avéré très utile, mais il convenait désormais que le nonce cherchât à obtenir du gouvernement impérial l’autorisation pour les Français qui en exprimeraient le souhait de s’enrôler dans l’armée pontificale18.
11À la même époque, Sacconi signala qu’il était fréquemment interrogé par des hommes qui désiraient rejoindre l’armée pontificale comme simples soldats ou comme officiers. Il interrogea Thouvenel en mettant en avant l’idée que la France aurait sans doute intérêt à ce que le pape recrutât des Français plutôt que des Allemands. Thouvenel lui répondit que la prise de service à l’étranger faisait généralement perdre la qualité de Français mais qu’il ne connaissait pas l’opinion de l’empereur sur ce cas particulier. Le lendemain, il écrivit cependant confidentiellement au nonce pour lui signaler que si le service de sujets français n’était pas formellement refusé par lui ou par un autre, de sérieux embarras pourraient surgir19. Tout en gênant considérablement le Saint-Siège, une telle déclaration n’empêcha pas certaines initiatives. Fin mars, Sacconi écrivait ainsi à Antonelli que le duc de La Rochefoucauld-Bisaccia se rendait à Rome pour offrir d’entretenir à ses propres frais pendant deux ans cinq cents hommes20.
12La nomination de Mérode comme pro-ministre des Armes allait considérablement accentuer ce flux naissant. Les premiers Français qui rejoignirent Lamoricière appartenaient à l’aristocratie légitimiste. Il s’agissait en partie de militaires qui avaient choisi l’exil pour poursuivre la carrière des armes sans avoir à servir un souverain illégitime : Georges de Pimodan avait été colonel de cavalerie dans l’armée autrichienne tandis qu’Athanase de Charette et Arthur de Chévigné avaient servi comme officiers le duc de Modène. Lamoricière composa son état-major en y mêlant anciens officiers de l’armée pontificale et nouveaux venus21.
2. L’accueil des volontaires étrangers et la création de nouveaux corps
13Les volontaires français qui arrivaient à Rome furent enrôlés dans différents corps de l’armée pontificale, dont la plupart avaient été créés spécialement par Mérode et Lamoricière. Le principal d’entre eux fut le bataillon des tirailleurs pontificaux22, placé le 1er juin sous l’autorité du commandant Louis de Becdelièvre23. Lamoricière chargea par ailleurs Gaspard de Bourbon-Chalus du commandement d’un corps de cavalerie légère, qui prit le nom de « Volontaires pontificaux à cheval » ou « Guides de Lamoricière ». Ses membres, qui devaient s’équiper, monter et s’entretenir à leurs frais, atteignirent le nombre de quarante-deux en septembre 186024. On trouvait enfin également, quoique plus rarement, des volontaires français dans d’autres corps de l’armée pontificale – le colonel Blumenstihl, qui avait dirigé l’artillerie des troupes françaises à Rome de 1857 à 1860, devint ainsi commandant en chef de l’artillerie pontificale après que Mérode eut réussi à le convaincre de rejoindre l’armée du pape25.
14La formation des nouveaux corps posait cependant un certain nombre de problèmes. Outre les réticences du gouvernement français à permettre les enrôlements, les volontaires ne furent pas toujours accueillis comme ils avaient pu l’espérer. Venu à Rome sur l’invitation de Lamoricière, Becdelièvre y reçut ainsi un accueil très froid, au point qu’il envisagea un temps de rentrer en France. Lors de sa première rencontre avec Mérode, il eut l’impression d’être pris pour un désœuvré cherchant à se faire une position. Cette situation était en réalité due au fait que l’on craignait qu’il fût venu à Rome moins pour défendre la cause du pape que pour y fomenter une nouvelle Vendée26.
15L’organisation du bataillon, qui malgré son surnom de « franco-belge » était ouvert à tous les étrangers27, fut rendue difficile par la grande diversité des volontaires qui l’avaient rejoint28. Les recrues françaises et belges, qui en composaient la grande majorité, étaient en effet difficiles à amalgamer. Les Français étaient principalement des jeunes gens de famille qui n’avaient jamais servi sous les armes tandis que les Belges se divisaient en deux catégories : des paysans pieux, ignorant tant le français que l’italien, et d’anciens militaires de l’armée belge ou de la Légion étrangère d’Afrique, généralement jaloux des grades qui étaient conférés à ceux qui n’avaient pas leur expérience de la chose militaire. Dès l’origine, il fut toutefois décidé de composer des compagnies mixtes plutôt que de créer des compagnies nationales.
16Afin d’encourager les engagements, Becdelièvre s’adressa à toutes les grandes villes de France. Il entra notamment en contact avec le comité de Saint-Pierre de Paris. Le recrutement était cependant difficile. Un grand nombre des hommes envoyés par le comité parisien n’arrivèrent ainsi jamais à Rome, alors même qu’ils avaient reçu de l’argent pour payer leur voyage. Par ailleurs, les rumeurs selon lesquelles la venue de volontaires n’était pas souhaitée à Rome perturbaient les enrôlements. Becdelièvre dut écrire à ce sujet à la Gazette de Lyon. Il mit en avant l’importance de la solde pontificale, plus élevée que celle de l’armée française, qui faisait qu’il n’était nullement nécessaire d’être riche pour s’engager. Au début de l’été 1860, le bataillon des tirailleurs pontificaux pâtit, enfin, de la concurrence que lui faisait un autre corps de volontaires alors en cours de formation.
17En juillet, en effet, Henri de Cathelineau29, petit-fils du « Saint de l’Anjou30 », arrivait à Rome, accompagné d’une cinquantaine d’hommes. Il était porteur d’un projet de création d’un ordre militaire religieux au service du Saint-Siège, composé de soldats de toutes les nations, qui prendrait le nom de Croisés ou de Chevaliers de Saint-Pierre31. Il invitait par ailleurs Pie IX à lancer un appel aux catholiques pour qu’ils vinssent défendre ses États. L’initiative de Cathelineau mêlait emprunts à un Moyen Âge mythifié et prise en compte des formes de religiosité contemporaines que représentaient le culte marial et une dévotion au pape de type doloriste. Dans le but d’examiner le projet, Pie IX nomma une commission spéciale32.
18Rapidement, cependant, une rivalité se fit jour entre Becdelièvre et Cathelineau. Alors que Cathelineau paraissait incarner le soutien des légitimistes français à la cause de la papauté, certains soldats du bataillon des Franco-Belges reprochaient à leur chef de porter sa croix de la Légion d’honneur33. Becdelièvre se plaignait également du fait que Cathelineau détournait à son profit le meilleur des volontaires arrivés à Rome, transformant le bataillon des tirailleurs pontificaux en simple « égout » de son corps. Becdelièvre pouvait cependant compter sur le soutien de Mérode. L’arrivée de Cathelineau causa ainsi une transposition, au sein de la Curie, de la rivalité française entre légitimistes et orléanistes, Mérode étant accusé de favoriser les seconds34. Le prélat belge traita par ailleurs en public les hommes de Cathelineau de voleurs, au prétexte qu’ils détournaient selon lui vers eux les secours destinés au Saint-Siège. Comme l’expliquait un des adversaires de Mérode – sans doute le cardinal Villecourt – dans une note adressée à Pie IX, il était cependant difficile de renvoyer Cathelineau : « Ce sont les catholiques les plus fervents qui s’occupent du denier de Saint-Pierre, pas les orléanistes. Il n’est pas possible que M. de Cathelineau retourne en France sans quelque mot bienveillant envers lui et les siens35. »
19Le projet de Cathelineau se heurtait également aux réticences de Lamoricière. Le général y voyait en effet deux graves problèmes. Il refusait tout d’abord la création d’un corps qui aurait le privilège de posséder son propre drapeau car il lui paraissait indispensable que, dans une armée composée d’éléments aussi divers que ceux que comptait l’armée pontificale, il y eût une règle commune qui s’appliquât à tous. Par ailleurs, d’après ce qu’en rapporta Becdelièvre, Lamoricière se montrait pour le moins perplexe devant l’idée de s’inscrire aussi directement dans la lignée des croisades. Le général aurait ainsi refusé que les volontaires prissent le titre de croisés et qu’ils portassent sur leur poitrine une croix « afin de ne pas tomber dans différents inconvénients dont le moindre serait le ridicule36 ». À supposer qu’elle ait été réellement prononcée par Lamoricière, la remarque témoignait bien des réticences que suscitait à Rome l’élan romantique qui poussait certains volontaires à se présenter comme les successeurs des croisés
20Face à ces réticences, Cathelineau transforma son projet. Il proposa d’offrir à la papauté une simple compagnie de soldats pourvus de tout le nécessaire et entretenus par les soins d’une commission de catholiques des différents pays. Malgré ces modifications, il fut finalement invité à dissoudre son corps. Tandis qu’il rentrait en France avec la croix de commandeur de l’ordre de Pie IX, qui lui avait été décernée en guise de compensation, la plupart de ses hommes étaient intégrés au bataillon des tirailleurs pontificaux.
21La grande majorité des volontaires français rejoignirent donc les Franco-Belges. S’inspirant à la fois du costume des zouaves d’Afrique et de celui de l’infanterie française, Becdelièvre donna à cette époque, avec l’assentiment de Pie IX, un uniforme au bataillon. Son initiative ne fut cependant pas du goût de l’ensemble des cardinaux – l’un d’entre eux aurait dit non sans malice qu’il fallait bien être français pour vouloir habiller en musulmans les soldats du pape37. De cet uniforme, les volontaires devaient cependant tirer le surnom qui assurerait leur renommée : celui de zouaves pontificaux.
3. La défaite de Castelfidardo et la création du bataillon des zouaves pontificaux
22Exception faite de la petite escarmouche des Grottes (mai 1860), Lamoricière put pendant les premiers mois de son commandement se consacrer à la réorganisation de l’armée pontificale sans avoir à craindre pour la sécurité de l’État romain. Cette réorganisation était cependant toujours en cours lorsque, le 8 septembre, Cavour envoya au gouvernement pontifical un ultimatum lui enjoignant de licencier ses troupes étrangères. Deux jours plus tard, le capitaine d’état-major Farini, aide-de-camp du général Fanti, se présentait devant Lamoricière, avec un nouvel ultimatum, qui précisait que l’armée piémontaise occuperait les Marches et l’Ombrie si les troupes pontificales venaient à être utilisées pour réprimer une manifestation nationale. Le soir même, le général recevait un télégramme de Mérode, lui signalant que Napoléon III avait écrit à Victor-Emmanuel II pour le prévenir qu’en cas d’agression contre l’État pontifical, la France « s’y opposerait par la force ». Cette nouvelle était de nature à rassurer Lamoricière. Cependant les termes de la dépêche avaient en réalité été altérés par Mérode, qui avait substitué la formule « s’y opposerait par la force » à « serait forcée de s’y opposer ». La nuance était de taille : alors que Lamoricière crut pouvoir compter sur le soutien français, aucune puissance n’empêcha l’invasion des États de l’Église. Le 18 septembre, les troupes pontificales affrontèrent l’armée piémontaise près de Castelfidardo et furent vaincues. Lamoricière rejoignit Ancône avec les débris de son armée afin de préparer la ville à un siège. Le 28, soumise à un double bombardement depuis la terre et depuis la mer, Ancône capitulait. Le Piémont annexait les Marches et l’Ombrie. Le général rentra à Rome pour rédiger un rapport sur son activité38 puis demanda un congé de dix mois. Il refusa le ministère des Armes que Pie IX lui offrait39 et rentra en France.
23Castelfidardo ne marquait pas la fin des projets de Mérode. L’armée pontificale fut réorganisée par le pro-ministre des Armes et Becdelièvre, devenu lieutenant-colonel. Dans le but notamment d’en expurger les éléments indignes, le bataillon des tirailleurs pontificaux et plusieurs autres bataillons étrangers furent licenciés puis reconstitués, le 1er janvier 1861, dans un corps unique, qui prit le nom de zouaves pontificaux40. En parallèle de cet effort de réorganisation militaire, Mérode chercha rapidement à reconquérir une partie des territoires que le Saint-Siège avait perdus. En janvier 1861, il ordonna dans ce but, malgré les vives réticences que nourrissait à cet égard Becdelièvre41, une expédition dans la Sabine42. Le corps pontifical put enlever dans la nuit du 24 au 25 le poste de Passo di Corese mais, alors qu’il continuait à progresser sans rencontrer de résistance, il reçut de Rome l’ordre de renoncer à ses objectifs. La France avait exprimé son opposition à une telle aventure et annoncé qu’elle enverrait des troupes afin de veiller à ce que la frontière pontificale ne fût pas menacée sur ce point.
24L’expédition, considérée par Antonelli comme une « fanfaronnade imprudente43 », avait accentué les dissentiments entre Mérode et Becdelièvre, qui jugeait désormais illusoires les projets du pro-ministre des Armes. Les choses empirèrent lorsque le commandant des zouaves apprit que Pie IX, recevant en audience l’archevêque de Rennes, Mgr Brossais Saint-Marc, lui avait dit qu’il n’engageait aucun catholique à venir à Rome pour défendre sa cause. Malgré l’interdiction de Mérode, Becdelièvre obtint une audience avec le pape, qui lui confirma ses dires. En guise de sanction pour lui avoir désobéi, Mérode le plaça quelques jours aux arrêts.
25En février, Becdelièvre écrivit une lettre à l’un de ses correspondants français pour lui dire que l’on recevait toujours à Rome les personnes qui voulaient rejoindre l’armée pontificale mais que, puisque le pape lui avait fait connaître sa pensée sur une telle question, il refusait désormais que l’on usât de son nom et de son influence pour encourager le recrutement. Quelques temps plus tard, le lieutenant-colonel envoya par ailleurs son secrétaire, Paul de Malijay, s’entretenir avec Antonelli de l’avenir des zouaves. Mérode ayant eu vent de cet entretien ainsi que de la lettre, il déchargea Becdelièvre du commandement des zouaves. Le lieutenant-colonel quitta Rome, suivi par quelques officiers – il lui fut reproché par ses ennemis d’avoir voulu faire finir le bataillon avec lui44 et il dut s’en défendre45. Un officier suisse, le lieutenant-colonel Allet, le remplaça à la tête des zouaves.
26Après celui de Lamoricière, le départ de Becdelièvre marquait la fin de la première phase de l’engagement militaire des catholiques français en faveur de la papauté, marquée par une mobilisation relativement réduite quoique loin d’être négligeable – en septembre 1860, au moment de Castelfidardo, l’armée pontificale comptait moins de quatre cents Français46, largement issus d’anciennes familles nobles47.
II. Les volontaires du pape
1. Chronologie et ampleur de l’engagement
27L’histoire du bataillon des zouaves pontificaux, devenu un régiment en janvier 1867, est dans l’ensemble connue48. Le corps passa la plus grande partie de son existence à attendre un combat qui n’arrivait pas, au point que ses hommes ont parfois été comparés au héros d’un célèbre roman de Dino Buzzati. Ils menèrent une vie de garnison monotone, furent employés à partir de 1865 dans la lutte contre le brigandage et eurent en 1867 à accomplir une mission sanitaire face à une épidémie de choléra49. Or, comme Becdelièvre l’avait pressenti, une telle inaction ne pouvait que nuire au recrutement des volontaires, en décourageant ceux qui étaient venus dans le but de défendre la papauté face à une menace considérée comme imminente50. De fait, les recrutements pâtirent rapidement de cette situation.
28Comme le montre le graphique 3, le recrutement des zouaves pontificaux au cours de la décennie 1860 suivit une logique qui lui fut propre et qui ne correspondait que de très loin à la chronologie des autres formes d’engagement en faveur du pouvoir temporel. L’importance du nombre des recrues de l’année 1861 était liée en grande partie à l’affectation des soldats de la plupart des anciens corps de volontaires de l’armée pontificale au nouveau bataillon52. Les années suivantes furent au contraire marquées par un très faible nombre de nouveaux enrôlements – environ deux cents par an jusqu’en 1865 –, notamment parce que, dès la fin de l’année 1860, le Saint-Siège dut freiner le recrutement pour des raisons financières53. La convention de septembre 1864 provoqua à ce titre une rupture. Elle prévoyait l’évacuation des troupes françaises de Rome dans un délai de deux ans et reconnaissait à la papauté le droit de former, pour assurer sa sécurité, une armée de volontaires catholiques étrangers. Initialement, Antonelli considéra inutile de renforcer l’armée pontificale. Il écrivit à Chigi en mai 1865 que les huit mille soldats qui composaient l’armée pontificale suffisaient largement pour assurer l’ordre dans un pays de six cent mille habitants et que, en ce qui concernait la sécurité extérieure du pouvoir temporel, aucune augmentation ne pourrait rendre l’armée pontificale de taille à lutter contre des agitations qui seraient suscitées depuis l’étranger54. Les choses changèrent à l’automne, lorsque commença l’évacuation du corps d’occupation français et qu’il devint par conséquent clair que, contrairement à ce que nombre de catholiques avaient espéré, la France appliquerait les clauses de la convention de septembre. En octobre, Mérode se trouva contraint par Pie IX d’abandonner sa charge de pro-ministre des Armes au profit du général Hermann Kanzler. À la même époque, Antonelli écrivait au nonce Chigi pour l’informer que le Saint-Siège avait besoin de cinq cents nouvelles recrues afin de combler les vides au sein des zouaves. Il l’invitait à signaler cette situation aux comités français qui aidaient le recrutement55. Ces événements correspondirent de fait à une remontée des recrutements du corps, sensible dès le mois d’octobre56 et qui culmina lors de l’hiver 1866 (834 recrues en seulement trois mois). En raison de son importance numérique nouvelle, le bataillon devint un régiment en janvier 1867.
29À l’automne 1867, l’expédition manquée de Garibaldi contre le pouvoir temporel fut à l’origine d’une nouvelle vague d’engagements, qui fut la plus importante de l’histoire des zouaves. Cette vague s’inscrivait dans le contexte plus général d’une vaste remobilisation des catholiques européens face aux menaces qui touchaient le pouvoir temporel, qui se traduisit également par une forte hausse des dons des fidèles en faveur de la papauté57. En octobre, le régiment des zouaves compta ainsi 312 nouvelles recrues et, surtout, en novembre elles furent 1 036 et en décembre 1 038. Cette remobilisation des catholiques eut des conséquences sur le long terme puisque, par la suite, si le recrutement diminua, il se stabilisa cependant à un niveau bien plus élevé que par le passé (autour de cent recrues par mois).
30L’origine géographique des recrues varia fortement dans le temps. Les volontaires français virent ainsi au fur et à mesure des années leur part décroître. Alors qu’ils représentaient plus de 70 % des enrôlements en 1861, ils n’en représentaient plus que 42 % en 1865, 30 % en 1867 et 20 % en 1870.
31Le corps connut ainsi une internationalisation progressive, qui fut notamment sensible dans les recrutements qui suivirent la bataille de Mentana, où l’élément hollandais était largement dominant et où les Canadiens furent nombreux58.
32À partir de 1866, cependant, un autre corps de l’armée pontificale accueillit en masse des soldats français. Dans le but d’aider le Saint-Siège à assurer la protection de son territoire une fois que les troupes d’occupation française l’auraient évacué, le gouvernement impérial permit en effet la création d’un corps qui, recruté et formé en France, serait mis à disposition du pape : la Légion romaine, aussi connue sous le nom de « Légion d’Antibes », qu’elle tirait de son lieu de formation. La Légion était ouverte aux volontaires français et étrangers59, mais ses officiers et sous-officiers étaient des Français détachés sur leur demande60. Son recrutement s’avéra initialement difficile, notamment parce qu’elle pâtissait de la concurrence du bataillon des zouaves, dans lequel les volontaires préféraient s’engager61. Pour pallier ces difficultés, le gouvernement impérial décida en avril 1866 d’ouvrir le corps aux réservistes de l’armée française des classes 1861, 1862 et 186362. La mesure paraît avoir eu une certaine efficacité.
33Le 9 septembre, le général d’Aurelle de Paladines remettait la Légion au délégué pontifical, le général comte de Courten. Elle comptait alors un peu plus de mille hommes63. Par la suite, le recrutement fut ouvert aux soldats français qui désiraient y finir leur temps de service, ce qui permit d’accroître les enrôlements au début de l’année 1867 et d’améliorer la qualité générale des troupes64. Dans les États pontificaux, le corps fut cependant confronté à d’importants problèmes de désertion : entre septembre 1866 et juin 1867, on en compta plus de 30065 pour moins de 1 900 recrues, soit près d’un homme sur six. Face à cette situation, le gouvernement français envoya le général Dumont l’inspecter en juillet 1867. Plusieurs journaux italiens dénoncèrent cette mission comme une violation de la convention de septembre66. Les adversaires de la papauté voyaient en effet la Légion comme un moyen détourné de maintenir l’occupation française de Rome, ce qui allait à l’encontre de l’esprit de la convention. Le gouvernement français dut rassurer le gouvernement italien en annonçant que seuls les Français ayant accompli leurs obligations militaires pourraient désormais s’y engager67. Cela ne pouvait manquer de rendre plus difficiles les recrutements. Si, à partir de l’automne, ceux-ci bénéficièrent de l’action de plusieurs évêques français68, le nombre des enrôlements n’en continua pas moins à décliner jusqu’en 1870.
34Au total, en comptant les recrues des zouaves pontificaux et celles de la Légion romaine, ce furent près de 7 000 Français qui s’enrôlèrent dans l’armée pontificale entre 1861 et 1870 : 3 210 au sein des zouaves et 3 766 au sein de la Légion69. Il s’agit d’un chiffre considérable, sans commune mesure avec les autres expériences contemporaines de volontariat militaire transnational. Ce chiffre s’explique notamment par les spécificités du recrutement des soldats, en particulier dans le cas de la Légion, qui profita de l’appui actif du gouvernement français – situation qui peut du reste conduire à interroger la pertinence de la notion de volontariat à propos de ce corps. Les zouaves, quant à eux, ne bénéficièrent pas d’un tel soutien et, bien au contraire, leur recrutement fut longtemps gêné par les autorités. Mais ils purent s’appuyer sur l’efficacité de leur réseau de recrutement, qui étendait ses ramifications sur l’ensemble du pays.
2. Les réseaux de recrutement et d’équipement
35L’attitude différente qu’adopta le gouvernement impérial à l’égard des deux corps eut des conséquences directes sur leurs réseaux de recrutement. Le gouvernement s’occupa en bonne partie du recrutement de la Légion et assura dès l’origine du corps ses hommes qu’ils pourraient servir dans l’armée du pape sans être déchus de leur citoyenneté française. Il fournit par ailleurs à la Légion ses officiers, qui conservaient en intégrant l’armée pontificale leurs droits à l’avancement. Enfin, par diverses mesures, il facilita l’enrôlement de Français qui n’avaient pourtant pas terminé de satisfaire à leurs obligations militaires. Initialement ouverte à toutes les nationalités, la Légion finit, d’après un règlement du recrutement daté du 18 février 1869, par être réservée aux seuls Français. À la fin de l’année 1867, le gouvernement pontifical obtint du gouvernement impérial l’autorisation d’ouvrir des bureaux de recrutement en France afin de compléter les effectifs du corps70. En 1869, on comptait ainsi un dépôt principal à Marseille et une succursale à Altkirch (Haut-Rhin). L’année suivante, il existait par ailleurs un troisième centre, à Lyon71. Le centre d’Altkirch témoignait de l’aide qu’apporta une partie de l’épiscopat au recrutement des légionnaires. Il fut en effet ouvert à la demande de l’archevêque de Besançon, le cardinal Mathieu72, qui se montra à partir de l’automne 1867 un promoteur inlassable de la Légion73. Dès la fin de l’année 1866, le gouvernement avait d’ailleurs invité les généraux à demander aux évêques leur secours pour le recrutement74. Le gouvernement pontifical paraît par ailleurs avoir encouragé dans chaque département la création de comités destinés au recrutement75, mais, à en juger par les difficultés connues par le recrutement en 1869-1870, il paraît douteux qu’il y soit parvenu partout.
36Le recrutement des zouaves pontificaux fut quant à lui beaucoup plus difficile à mener durant la première partie de la décennie 1860 en raison de l’hostilité du gouvernement français. En 1860, alors même que le nonce avait échoué à obtenir de Thouvenel l’autorisation pour le Saint-Siège de recruter des volontaires français, l’ambassadeur Gramont exprima à plusieurs reprises à Antonelli des doléances au sujet des recruteurs pontificaux qui œuvraient en France et n’étaient que tolérés par les autorités. En février, deux sous-officiers pontificaux furent ainsi expulsés du territoire français pour avoir entraîné à la désertion huit soldats allemands qui s’étaient déjà engagés au sein du 1er régiment étranger de l’armée française76. Quelques mois plus tard, en juillet, un homme attaché au bureau de recrutement pontifical de Pontarlier77 fut arrêté et expulsé pour avoir enrôlé des sujets français qu’il faisait passer, avec l’aide de faux papiers, pour des ouvriers suisses78.
37Les difficultés du recrutement se trouvaient redoublées par la législation française. Dès 1860, le gouvernement rappela ainsi que les Français qui s’enrôlaient dans une armée étrangère sans l’accord de leur gouvernement se trouvaient déchus de leur nationalité en vertu de l’article 21 du Code civil. La mesure fut alors appliquée à plusieurs volontaires, parmi lesquels Becdelièvre lui-même79. Le 1er mai 1862, le ministre de l’Intérieur Persigny adressa aux préfets une circulaire dans laquelle il signalait que les personnes qui avaient pris du service dans l’armée pontificale étaient de facto déchues de leur nationalité et devaient par conséquent être rayées des listes électorales par les maires. Un ancien zouave, le baron de Wolbock, obtint cependant par la voie des tribunaux sa réintégration dans les listes électorales de sa commune80. La circulaire paraît dès lors être devenue caduque. Quelques années plus tard, quand le préfet de la Vendée s’adressa au ministre de l’Intérieur pour savoir s’il convenait de rayer des listes électorales les légitimistes qui partaient prendre du service dans l’armée du pape, il lui fut répondu que la mesure serait inopportune, d’autant plus que le gouvernement impérial entendait désormais favoriser les recrutements dans l’armée pontificale81. La déchéance de nationalité se révéla ainsi dans les faits une mesure complexe alors même que son efficacité était somme toute fort limitée82.
38Le recrutement des zouaves pontificaux fut principalement en France l’œuvre de laïcs. Dépendants d’Antonelli, qui se montrait peu soucieux de voir arriver de nouvelles recrues à Rome, et désireux de ne pas irriter le gouvernement impérial, les nonces se gardèrent d’y prendre directement part. Interrogé en 1862 par l’archevêque de Bordeaux, le cardinal Donnet, sur les modalités du recrutement des zouaves, Chigi répondit ainsi :
Quant aux zouaves pontificaux, c’est une affaire dont je ne m’occupe pas et sur laquelle je n’ai aucune instruction ; cependant je sais qu’il existe ici un comité formé de bons catholiques et présidé par M. le Vicomte Anatole Le Mercier qui se charge de diriger et d’aider, soit pour les formalités à remplir auprès du gouvernement impérial, soit pour être acceptés par le ministère des Armes à Rome, soit pour le voyage, tous ceux qui […] ont le louable désir de se consacrer à la défense des droits de l’Église et du St Père83.
39Une telle lettre témoignait des difficultés que, près de deux ans après la création des zouaves pontificaux, connaissait encore le recrutement des volontaires, au point qu’un archevêque français pouvait ignorer les démarches nécessaires pour envoyer des soldats à Rome. Elle laissait également entendre que le comité de Saint-Pierre parisien jouait un rôle central dans l’envoi des volontaires à Rome. De fait, celui-ci s’occupa bien vite d’organiser la sélection et l’envoi des nouvelles recrues84 ainsi que d’acheter des fournitures militaires. Dès 1860, il envoya des armes pour les troupes que réorganisait Lamoricière et, entre 1868 et 1869, il s’occupa de l’achat de onze mille carabines Remington85. Le comité palliait ainsi l’impossibilité pour les agents diplomatiques pontificaux de se mêler officiellement du recrutement86. Il servait par ailleurs d’intermédiaire entre les zouaves et leurs familles et finançait le rapatriement des soldats qui rentraient en France87. Il se montrait également soucieux de préserver les volontaires des dangers de l’oisiveté et envoyait régulièrement de bons journaux et de bons livres à leur intention. Enfin, il soutint l’infirmerie des zouaves pontificaux, aida des zouaves convalescents et paya les funérailles des morts88.
40D’après un document daté de 1865, le recrutement des volontaires fut organisé de manière centralisée. Les hommes désirant s’engager au sein des zouaves pontificaux étaient envoyés par les comités de province à Paris. Là, ils devaient se rendre chez Henri Poussielgue, qui les recevait tous les jours entre midi et 14 heures avant de les envoyer, avec un mot de sa part, voir le vendredi suivant le docteur Ozanam, qui s’assurait qu’ils étaient aptes au service. Le comité fournissait par la suite aux personnes retenues les fonds nécessaires pour se rendre à Rome et informait le bureau de recrutement pontifical du départ de chaque volontaire89.
41À l’automne 1867, le comité joua un rôle majeur dans le renforcement de l’armée pontificale, d’une part en envoyant un nombre croissant de recrues à Rome, d’autre part en récoltant d’importants fonds destinés à financer l’effort militaire. À la fin du mois d’octobre, il envoya par ailleurs le docteur Ozanam et quelques-uns de ses membres à Rome, avec trois internes et trois filles de la Charité, afin d’aider le Saint-Siège face aux périls qui le menaçaient90. Quelques mois plus tard, alors que la taille de l’armée pontificale avait fortement augmenté à la suite des nouveaux recrutements, il demanda à la société de Saint-Vincent-de-Paul de fonder à Rome deux cercles destinés à offrir aux soldats français des zouaves et de la Légion d’honnêtes distractions – le premier fut placé sous le patronage de saint Michel Archange et le second sous celui de saint Maurice91.
42Si son rôle dans le recrutement des zouaves fut central, le comité de Saint-Pierre ne fut pas la seule association qui s’occupa en France d’aider l’armée pontificale. À partir de 1866, alors que le Saint-Siège avait fait connaître sa volonté de relancer les recrutements pour son armée, diverses initiatives surgirent en province, principalement dans l’Ouest. Au lendemain du départ des dernières troupes françaises de Rome, un noble nantais, le baron Onffroy, lança ainsi dans le quotidien L’Espérance du peuple un « Appel d’un Breton à la France chrétienne en faveur du Saint-Siège », par lequel il invitait chaque paroisse de France à participer à la nouvelle croisade en envoyant un volontaire à l’armée pontificale92. Précisant sa pensée dans une lettre au directeur du journal L’Union, Onffroy écrivait :
Il serait bien […] que les paroisses contribuassent elles-mêmes aux dépenses du voyage à Rome […]. Les propriétaires aisés de la paroisse pourraient se partager cette somme en grande partie, et laisser les bons habitants des campagnes y contribuer pour une petite part. Quand même ils donneraient seulement 50 cent., ou même 10 cent., il serait bon qu’il en fût ainsi, afin qu’ils pussent dire : « Ce volontaire est bien notre représentant, c’est nous-mêmes qui l’avons envoyé au Pape. »
Nous voudrions aussi que les mandataires de ces paroisses fussent choisis seulement parmi les fils de cultivateurs ou de bons artisans. Les jeunes gens aisés, pouvant aller pour leur compte ou au nom de leur famille, doivent laisser aux premiers l’honneur de représenter la paroisse93.
43L’œuvre visait donc tout particulièrement à inclure dans la défense du Saint-Siège les classes populaires rurales. Elle devait ainsi permettre de resserrer les liens entre les paysans et les artisans et la papauté, à travers les dons et, surtout, grâce à l’envoi par chaque paroisse d’un zouave qui serait perçu comme le représentant de la communauté à Rome94. Onffroy appelait par ailleurs les familles les plus riches à faire des dons de cinq cents francs, somme alors considérée comme nécessaire à l’entretien pendant un an d’un volontaire. L’Œuvre des volontaires pontificaux fut ainsi fondée, avec un règlement qui prévoyait une organisation extrêmement décentralisée, ne donnant aucun rôle directeur à son initiateur95.
44Bien plus centralisée et structurée fut au contraire une autre association, formée à Poitiers par Henri Libault de La Chevasnerie. En novembre 1867, peu de temps après la bataille de Mentana, celui-ci établit un comité dont le but était d’obtenir des secours pour l’artillerie pontificale96. Il se mit en relation avec le général Kanzler et lança avec succès, auprès d’un public qui paraît avoir surtout appartenu aux couches supérieures de la société et au clergé97, plusieurs souscriptions destinées à pourvoir aux besoins en matériel de l’armée pontificale. L’œuvre se développa d’abord dans les dix diocèses de la Bretagne et de la Vendée historiques, puis plus largement dans un grand Ouest.
45L’œuvre était organisée autour du comité central de Poitiers et de sous-comités mis en place à l’échelle des diocèses. Son succès fut important : en octobre 1869, elle était implantée dans une trentaine de départements et avait recueilli plus de deux cent mille francs afin de répondre aux demandes multiples du général Kanzler. Les laïcs y jouaient un rôle prépondérant, même si les clercs n’étaient pas totalement absents des sous-comités diocésains. La présence de l’abbé Héline, secrétaire de l’évêché de Poitiers, dans le comité directeur, laisse par ailleurs penser que l’œuvre bénéficia de l’approbation de Mgr Pie. Les laïcs qui composaient la majorité des comités étaient principalement des nobles. On note par ailleurs dans quelques rares cas la présence de femmes – à Toulouse et à Bourges –, qui n’occupaient cependant jamais la présidence du comité local. Une telle présence peut sembler assez exceptionnelle, dans une association dont le but premier était militaire, et qui relevait par conséquent d’une sphère en théorie réservée aux hommes. Elle était sans doute liée au fait que les sous-comités avaient avant tout comme rôle de recueillir des dons et qu’une telle action se trouvait quant à elle pleinement conforme à l’un des rôles assignés aux femmes de la noblesse et de la grande bourgeoisie urbaine, largement impliquées à cette époque dans des activités de charité. La province vit par ailleurs s’établir d’autres comités, qui ne connurent cependant pas un développement aussi important.
3. Soldats de l’Idéal ou mercenaires ? Les causes de l’engagement
46Parmi les interrogations mises en avant par l’historiographie du volontariat militaire depuis une vingtaine d’années, la question des causes de l’engagement occupe une place privilégiée. Le geste du volontaire, en ce qu’il implique une rupture franche avec sa vie passée et l’acceptation du risque de sa mort, apparaît en effet comme une forme paroxystique de l’engagement, qui pose peut-être plus que toute autre la question de ses motivations.
47Il est possible de distinguer schématiquement à ce sujet deux types de causalités, qu’il convient cependant de ne pas séparer trop fortement car la frontière entre eux pouvait dans la réalité s’avérer poreuse : des motivations internes, dépendant de chaque individu, et des déterminants externes, permettant de rendre compte de l’action des volontaires à partir de leurs situations sociales. S’appuyant sur certaines mutations qui ont touché les sciences sociales ces dernières décennies – recul des paradigmes holistes à tendance déterministe et mise en avant des marges de liberté d’action dont jouissent les acteurs –, les historiens du volontariat militaire ont bien souvent cherché à adopter à l’égard de leur objet une démarche compréhensive, davantage soucieuse de la manière dont les acteurs percevaient et justifiaient eux-mêmes leur engagement99. Celle-ci implique cependant de garder à l’esprit que, incapable de sonder les cœurs et les reins, le chercheur ne peut étudier les motivations des individus que de manière indirecte, en se fondant sur des documents dont la véracité est toujours suspecte.
48La prudence est d’autant plus nécessaire face à cette question qu’elle est loin d’être un objet neutre. Dès les années 1860, les motivations des engagés furent en effet l’objet de vives polémiques entre les partisans et les adversaires du pouvoir temporel de la papauté. Dans les mémoires des zouaves et dans les récits de leurs partisans, la dimension religieuse de leur engagement était bien souvent mise en avant, ce qui contribuait à magnifier leur action, présentée comme un pur geste de sacrifice dénué de toute considération personnelle. Pour leurs adversaires, les étrangers venus s’enrôler dans l’armée du pape n’étaient au contraire que des mercenaires100, qui avaient accouru à Rome guidés par la soif du gain et le désir d’aventure. Cette antinomie du soldat de l’Idéal et du mercenaire est du reste un lieu commun que l’on retrouve dans la plupart des expériences de volontariat militaire. Peu originale était également la façon par laquelle les adversaires de la papauté insistaient sur le fait que les soldats de l’armée pontificale étaient principalement des étrangers, ce qui ne pouvait que montrer que le pape était contraint de chercher au dehors un soutien qu’il ne trouvait pas dans ses États101.
49Ces figures du soldat de l’Idéal et du mercenaire ont pendant longtemps été reprises par l’historiographie, qu’il s’agît des récits de nature hagiographique visant à présenter les zouaves comme des modèles pour la jeunesse catholique102 ou de certains travaux sur le Risorgimento marqués par l’optique patriotique de leurs auteurs. Depuis deux décennies, les recherches sur le volontariat militaire tendent cependant à dépasser l’antinomie et à montrer que ces deux figures renvoient davantage à des idéaux-types abstraits qu’à des cas concrets. Elles mettent notamment en avant la multiplicité des situations individuelles et la pluralité des causes qui purent être à l’origine de l’engagement. Une telle approche a notamment été portée en France par les travaux de Gilles Pécout103, qui a défini le volontariat militaire international comme :
un mouvement spontané d’hommes qui n’appartiennent pas, ou tout du moins pas encore, à une armée régulière et qui sont partis d’un pays pour participer à un affrontement militaire et politique en cours dans un autre pays, dans un autre État-nation ou dans une région ethniquement, politiquement et/ou administrativement différente de celle de départ104.
50Une telle définition conduit à s’éloigner de la perspective romantique selon laquelle le véritable engagement serait absolument gratuit et pur de toute intention autre qu’idéaliste. Elle permet de prendre en compte les ambivalences du phénomène du volontariat et de montrer la porosité de la frontière séparant volontaires et mercenaires105. Se battre pour des idées n’exclut ainsi pas nécessairement le fait de pouvoir dans le même temps y trouver récompenses et honneurs.
51Pour étudier les motivations des soldats français de l’armée pontificale, il importe d’abord de distinguer les zouaves des légionnaires en raison des modalités différentes du recrutement des deux corps. Le facteur religieux paraît ainsi avoir joué un rôle bien plus important dans le recrutement des premiers que dans celui des seconds. Il est mis en avant dans une très grande partie des lettres et des récits a posteriori des zouaves et se trouve souvent lié à leur patriotisme, à travers une inscription dans les Gesta Dei per Francos106. Après 1870, cette dimension religieuse de l’engagement fut largement mise en avant dans la construction de la mémoire des zouaves.
52Dans l’ordre des discours, elle fit notamment fond sur une rhétorique tendant à assimiler la communauté des fidèles à une famille, dont le pape était le père. Une telle rhétorique, qui n’est pas sans rappeler les formes du discours patriotique italien mises en évidence par Alberto Mario Banti107, n’était pas à proprement parler nouvelle dans les années 1860 mais elle paraît avoir alors connu un important développement. Le concept de « fraternité », dont plusieurs travaux ont montré ces dernières années le caractère opératoire pour l’étude du XIXe siècle108, fut notamment mis en avant pour qualifier les liens qui unissaient les zouaves109.
53Les motivations religieuses ne suffisent cependant pas à rendre compte des engagements. Parfois s’y ajoutaient des considérations politiques, qui leur étaient partiellement liées. Le bataillon des zouaves pontificaux, notamment à ses débuts, accueillit en effet un nombre important de légitimistes français, particulièrement bien représentés parmi les officiers du corps110. Rome apparaissait en effet alors comme la clef de voûte de la société européenne et le centre du combat qui opposait dans toute l’Europe la légitimité à ses adversaires. Dans une lettre qu’il écrivit à l’un de ses amis en janvier 1861, alors qu’il venait d’arriver à Rome, Henri Le Chauff de Kerguenec signalait ainsi que sa décision de partir pour Rome avait été confortée par une lettre du comte de Chambord à Athanase de Charette111. Cette dimension fut là encore bien plus perceptible au sein du corps des zouaves qu’au sein de la Légion d’Antibes.
54À côté de ces motivations d’ordre idéologique, des raisons matérielles expliquèrent également les engagements. S’il convient de se garder de reprendre tel quel le discours des adversaires de la papauté, il n’est guère douteux que derrière bien des enrôlements au sein de l’armée pontificale se trouvait le désir de s’enrichir ou, tout au moins, d’améliorer son existence. La solde de l’armée pontificale était en effet à cette époque l’une des plus élevées d’Europe112. Jusqu’en 1866, les soldats étrangers y furent mieux payés que les indigènes. Ils bénéficiaient par ailleurs de diverses primes, tant au moment de leur enrôlement que lors des garnisons à Rome ou durant les campagnes militaires113. Le grand nombre des désertions auxquelles les zouaves pontificaux comme la Légion d’Antibes furent confrontés au cours de leur existence tend à montrer que l’ensemble des nouvelles recrues étaient loin d’être venues à Rome par pur idéalisme114. Sans nécessairement rechercher la fortune, certains zouaves paraissent par ailleurs avoir intégré l’armée du pape dans l’espoir de récompenses honorifiques. En 1860, plusieurs fils de bonnes familles espéraient ainsi qu’un tel engagement leur permettrait d’obtenir rapidement des galons d’officiers – la plupart virent cependant leurs espérances déçues115. Pour certains légitimistes, l’engagement dans l’armée pontificale était également un moyen de suivre la carrière des armes sans pour autant servir un souverain considéré comme illégitime. Les frères Athanase et Alain de Charette avaient ainsi servi jusqu’en 1859 dans l’armée du duc de Modène et leur enrôlement au sein des zouaves se situait dans la continuité directe de cette action. Le service du pape se trouvait ainsi chez eux au croisement de motivations religieuses et politiques et de considérations plus personnelles.
55Les déterminants externes de l’engagement étaient quant à eux multiples et l’on ne prétendra pas en donner une liste exhaustive. Il importe cependant d’en mettre en avant les principaux. Depuis plusieurs décennies, l’intégration à l’histoire militaire de considérations d’ordre culturel a permis de mettre en évidence le rôle de déterminants anthropologiques dans le phénomène du volontariat militaire. George L. Mosse avait ainsi insisté sur le développement au cours du XIXe siècle d’une véritable mythification de la guerre. Si cette réflexion demande à être nuancée car le XIXe siècle fut aussi celui d’un développement sans précédent du pacifisme et de l’antimilitarisme, il faut tout de même prendre en compte l’indéniable prégnance d’une sensibilité romantique exaltant goût de l’aventure et esprit de sacrifice. Byron, mort à Missolonghi alors qu’il était parti aider les Grecs dans leur lutte pour l’indépendance116, en fut peut-être la principale incarnation. Comme l’a noté Simon Sarlin, cette sensibilité, perceptible aussi bien chez les libéraux que chez les contre-révolutionnaires, trouvait chez ces derniers une résonance particulière car elle pouvait faire fond sur un certain idéal de l’héroïsme chevaleresque ainsi que sur l’esprit de croisade, en bref, sur ce « romantisme légitimiste » que Benedetto Croce avait mis en évidence à propos de la défense du royaume des Deux-Siciles117.
56Les déterminants de l’engagement pouvaient également être sociaux. À ce titre, il faut souligner le poids des réseaux de sociabilité dans lesquels les volontaires se trouvaient insérés. Bien connu est le cas de la commune de Campbon (Loire-Inférieure), qui fournit à l’armée pontificale vingt-deux zouaves118, issus essentiellement de la paysannerie. Guingamp (Côtes-du-Nord) en envoya dix-neuf, Guérande (Loire-Inférieure) treize, Moustoir-Ac (Morbihan) douze. À Guingamp, la chronologie et la sociologie des enrôlements laissent penser que jouèrent des liens clientélaires, qui pourraient expliquer l’arrivée concomitante à Rome de nobles et d’hommes issus des catégories sociales inférieures. À Guérande, il semble que le petit-séminaire local ait joué un rôle fondamental dans les enrôlements119. Le rôle des établissements d’enseignement catholique est du reste à souligner. Près de cent-cinquante élèves ou anciens élèves du collège Saint-François-Xavier de Vannes, qui accueillait nombre d’enfants des familles de l’aristocratie foncière bretonne, auraient ainsi rejoint l’armée pontificale durant la décennie 1860120.
57Un certain nombre de familles de Campbon envoyèrent plusieurs de leurs fils à Rome : les Lemarié furent cinq, cultivateurs ou meuniers, les Judic trois, tous cultivateurs, les Briand deux. Ce fait met en évidence le poids des logiques familiales dans les engagements. Le rôle des mères, gardiennes de la religion au sein des foyers, a notamment pu être mis en avant pour expliquer la décision de certains zouaves de rejoindre l’armée du pape121. Certaines familles nobles fournirent par ailleurs plusieurs zouaves : on compte ainsi cinq Charette, quatre Villèle, deux Raffelis, deux Jerphanion, deux Le Gonidec de Traissan ou encore deux Tinguy. Le service au sein des zouaves pouvait alors s’inscrire plus largement dans la continuité d’engagements familiaux en faveur de la légitimité. Les frères Athanase et Alain de Charette étaient ainsi les petits-neveux du chef de l’Armée catholique et royale et leur père avait pris part à l’expédition manquée de la duchesse de Berry en 1832. Plusieurs autres zouaves étaient d’ailleurs apparentés à des protagonistes de l’insurrection de 1832 et l’on comptait également au sein du corps plusieurs descendants de Cathelineau et un de Cadoudal122.
58Le facteur familial pouvait cependant être parfois un frein dans l’engagement. Plusieurs récits de zouaves signalent les réticences des parents à voir leurs fils partir pour Rome123. Les travaux sur le volontariat militaire ont par ailleurs montré que, pour des raisons évidentes, celui-ci fut un phénomène qui concernait avant tout des hommes jeunes n’ayant pas encore fondé un foyer. La législation pontificale interdisait du reste en théorie le recrutement de volontaires étrangers qui ne seraient ni célibataires ni veufs sans enfants124.
III. Une mobilisation impliquant toutes les classes de la société
1. Socio-géographie des zouaves pontificaux
59Les catholiques français fournirent aux zouaves pontificaux leur contingent de recrues le plus important. Sur 10 145 zouaves, on compte en effet 3 210 Français (31,6 % de l’ensemble), 3 138 Hollandais et 1 667 Belges125. La part des Français connut cependant une baisse constante au cours de la décennie.
60En termes absolus, on peut distinguer cinq principaux bassins de recrutement. Le premier fut de très loin l’Ouest, plus précisément les cinq départements bretons, le Maine-et-Loire, la Mayenne, la Vendée et la Vienne. Moins important, mais loin d’être négligeable, fut l’apport de plusieurs départements méridionaux : les Bouches-du-Rhône, le Gard et le Vaucluse ainsi que, plus à l’ouest, la Haute-Garonne, le Tarn et la Gironde. Les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais fournirent à eux seuls 170 zouaves. Enfin, les départements de la Seine et du Rhône en envoyèrent respectivement 344 et 132. Sans être totalement négligeable, l’apport de l’Est, de la Côte d’Or au Bas-Rhin, fut bien moindre.
61Si l’on rapporte le nombre de zouaves à la population départementale, cette géographie des recrutements ne change qu’assez peu mais met davantage en évidence la contribution de l’Est, du couloir rhodanien et du Sud. La domination de l’Ouest reste cependant indéniable.
62Une telle géographie ne correspond qu’imparfaitement à la géographie de la France religieuse telle qu’elle a été mise en évidence par Fernand Boulard – que l’on songe au faible apport de l’Ouest normand et du pays de Caux, de la Lorraine ou encore du Pays basque et, à l’inverse, à l’importance de régions peu croyantes : littoral méditerranéen, Vienne, Allier et Nièvre, Gironde, Lot-et-Garonne et Gers, Côte d’Or. Elle correspond bien davantage, Est excepté, à celle du légitimisme. Faut-il en déduire que le facteur politique joua davantage que le facteur religieux dans les enrôlements ? On ne peut l’affirmer avec certitude. Dans les faits, si chez nombre d’officiers, le légitimisme est indéniable, il est impossible de prouver qu’il en était de même chez les zouaves issus des catégories les plus modestes. Les études qui ont insisté sur le légitimisme des zouaves sont souvent tombées dans un biais qui les portait à généraliser ce que l’on savait des zouaves les mieux connus, qui n’étaient cependant pas forcément représentatifs du groupe.
63Le département qui envoya le plus de recrues aux zouaves fut la Loire-Inférieure et, comme l’a montré Marius Faugeras, les volontaires provenaient d’un grand nombre de paroisses126. Parmi les départements qui envoyèrent le plus de zouaves (plus de cinquante), les situations diffèrent. Dans certains départements, principalement du Sud, le recrutement est essentiellement centré sur le chef-lieu : c’est le cas dans les Bouches-du-Rhône, dont plus de 90 % des 165 zouaves venaient de Marseille, du Rhône (plus de 90 % pour Lyon), de la Haute-Garonne (plus de 90 % pour Toulouse), de la Gironde (90 % pour Bordeaux) et, bien entendu, de la Seine. Plus généralement, il faut signaler que les villes127, notamment les plus grandes d’entre elles, fournirent une part des zouaves bien supérieure à leur part dans la population française128.
Tableau 6 – Nombre de zouaves issus des villes moyennes et grandes.
Population totale | Part de la population française | Nombre de zouaves envoyés | Part au sein des zouaves français | Coefficient de surreprésentation | |
Plus de 500 000 habitants (Paris) | 1,8 million | 4,79 % | 340 | 11,59 % | 2,2 |
Entre 100 000 et 500 000 habitants | 1,3 million | 3,45 % | 730 | 22,74 % | 6,6 |
Entre 50 000 et 100 000 habitants | 1 million | 2,59 % | 191 | 5,95 % | 2,3 |
Entre 20 000 et 50 000 habitants | 1,5 million | 4,03 % | 330 | 10,28 % | 2,5 |
Total | 5,66 millions | 14,87 % | 1 591 | 49,56 % | 3,3 |
64Ces statistiques montrent que le recrutement des zouaves fut, en France, un phénomène principalement urbain et qu’il concerna plus précisément surtout les villes moyennes et grandes. Cette situation s’explique sans doute en bonne partie par le meilleur développement des réseaux de recrutement dans ces villes que dans les campagnes. Les villes de plus de vingt mille habitants fournirent ainsi près de la moitié des zouaves français alors qu’elles ne représentaient que 15 % de la population du pays. Au sein de ces villes, le groupe de celles comptant entre cent mille et cinq cent mille habitants se détachait nettement du reste, avec un coefficient de surreprésentation de 6,6. Nantes envoya 222 zouaves, Marseille 153, Toulouse 123, Lyon 121 et Bordeaux 83. Seules Lille (23) et Rouen (5) étaient en retrait.
65Si l’on élargit l’analyse à l’ensemble des villes, on constate que les campagnes sont dans bien des départements très minoritaires dans le recrutement. Les 8 zouaves du Loiret viennent tous d’Orléans. 15 des 19 zouaves du Doubs sont originaires de Besançon. Seuls 9 des 117 zouaves du Gard proviennent de communes rurales : 69 viennent de Nîmes, 24 d’Alais et 6 du Vigan. En Haute-Garonne, sur les 131 zouaves, seuls 4 viennent de communes rurales. Les 13 zouaves de l’Hérault viennent tous de communes urbaines (Montpellier en fournit 6). Dans ces trois départements, la géographie des recrutements recoupe ainsi assez largement celle du légitimisme méridional qui, à l’inverse de celui de l’Ouest, était un phénomène principalement urbain. Sans que la règle soit partout respectée, on constate par ailleurs que les villes sont souvent très surreprésentées dans les départements où les campagnes sont peu religieuses. Ainsi, 83 des 94 zouaves de Gironde proviennent de Bordeaux. Les 6 zouaves de l’Oise viennent de Beauvais (3), Compiègne (2) et Noyon (1). Sur les 59 zouaves de la Vienne, 37 proviennent de Poitiers, 10 de Montmorillon et 2 de Châtellerault. Dans ce département, la situation témoigne de la géographie locale d’un catholicisme qui était demeuré bien plus fort dans les villes que dans les campagnes, notamment grâce à la noblesse et à la bourgeoisie citadine – le nombre important de propriétaires (12) et d’étudiants (26) confirme du reste une origine sociale plus élevée qu’ailleurs des zouaves locaux. Plus précisément, cette géographie témoigne du poids du clergé dans le recrutement local des zouaves, à travers l’influence de Mgr Pie dans sa cité épiscopale et du clergé à Montmorillon, où se trouvait un petit séminaire signalé à plusieurs reprises par les autorités pour être un des hauts-lieux de l’agitation autour de la question romaine129.
66La sociologie des zouaves français a longtemps été réduite à l’aristocratie légitimiste de province. En 1861, dans la nouvelle préface qu’il rédigeait pour son ouvrage Le Prêtre, la Femme et la Famille, Jules Michelet moquait ainsi l’absence d’ancrage des cléricaux au sein du peuple et notait à propos des enrôlements au sein des zouaves pontificaux :
Et le peuple ? Pour la croisade de Rome, ils ont eu deux cents hommes (dont quatre-vingt bretons qui ne parlaient pas le français). Ils n’ont aucun appui dans le peuple de France, prudent, au fond rieur, Voltairien depuis dix mille ans130.
67Une telle réduction des zouaves pontificaux à un groupe issu de la noblesse sans véritable soutien au sein des classes populaires était typique du discours des adversaires de la papauté et a, depuis, été assez largement reprise par l’historiographie. Cette assimilation était favorisée par la présence au sein des zouaves, et notamment de leurs officiers, de grands noms de l’armorial français. Parce qu’elle fournit la profession de la plupart des zouaves au moment de leur entrée dans le corps, la matricule romaine du corps permet cependant de mettre en évidence une sociologie plus contrastée131.
68Ces statistiques montrent une relative proximité de la sociologie des zouaves belges et hollandais et à l’inverse un profil plus singulier des français. L’agriculture, l’industrie, le monde du commerce et de l’artisanat étaient très clairement les secteurs dominants chez les premiers (83 % des Hollandais et 64 % des Belges) alors que seul un gros tiers (34 %) des zouaves français appartenaient à ces catégories. À l’inverse, les propriétaires et les étudiants se trouvaient surreprésentés puisqu’ils constituaient 40 % des zouaves français contre 3,6 % des zouaves hollandais et 15 % des zouaves belges132. La sociologie des zouaves français se distinguait ainsi par une part bien plus importante qu’ailleurs faite aux couches supérieures de la société. Cependant, si les zouaves français issus des milieux aisés étaient particulièrement nombreux, ils restaient minoritaires.
69La sociologie élitaire des recrues françaises tendit du reste à s’amoindrir au cours de la décennie, sans remettre cependant jamais en cause la claire surreprésentation des catégories supérieures par rapport à leur part dans la population du pays. En 1861, celles-ci représentaient près de 45 % des recrues et ce chiffre monta à 55 % en 1863, signe qu’à ses débuts le recrutement du bataillon fut clairement dominé par la noblesse et la bourgeoisie légitimistes. En 1866, alors que les recrutements avaient été relancés, elles correspondaient encore à 52 % des recrues, mais ce chiffre descendit par la suite à 39 % en 1867 et à 34 % en 1870, ce qui témoignait d’une importance croissante donnée aux classes populaires dans le recrutement.
70Surtout, la situation globale à l’échelle de la France masque des écarts parfois importants entre départements. Eu égard à l’origine assez largement urbaine du recrutement des zouaves, la faible part des paysans parmi les recrues (10 %) est peu surprenante. Il existait cependant de forts contrastes régionaux. Parmi les départements qui fournirent un nombre de zouaves conséquents, les départements bretons connaissaient une surreprésentation de l’élément paysan par rapport à la moyenne nationale133, sans cependant que celui-ci ne fût jamais dominant : les paysans formaient ainsi 16 % des recrues du Finistère, 18 % de celles des Côtes-du-Nord, près de 20 % des recrues de la Loire-Inférieure, 26 % de celles d’Ille-et-Vilaine et plus de 33 % de celles du Morbihan.
71La faible part d’ouvriers parmi les recrues (7,4 %) n’est guère surprenante puisqu’il s’agissait d’une classe sociale alors encore en cours de développement et dans l’ensemble assez largement déchristianisée. Les ouvriers étaient clairement surreprésentés parmi les soldats envoyés par le Gard (26,5 % des recrues), la Haute-Garonne (19 %), la Gironde (15 %), les deux départements alsaciens (21 % pour le Bas-Rhin, 16 % pour le Haut-Rhin) et le Nord (12 %). Ce furent bien souvent les mêmes départements qui fournirent la plupart des zouaves issus du commerce et de l’artisanat.
72La part des zouaves issus des catégories supérieures était quant à elle supérieure à 50 % dans environ deux-tiers des départements134. Elle était particulièrement importante dans ceux qui n’envoyèrent que très peu de zouaves. Dans les départements qui fournirent le plus de zouaves, elle était au contraire généralement plus faible : 36,5 % pour la Bretagne, 28 % pour le Nord, 13 % pour l’Alsace, 31 % pour les Bouches-du-Rhône et 21 % pour le Gard. Ce département, dont la plupart des volontaires rejoignirent Rome en 1867 au moment de Mentana, apparaissait ainsi comme l’un de ceux où le recrutement toucha le plus largement les classes populaires, et plus précisément les classes populaires urbaines. Un tel succès fut permis par l’implication du clergé local dans le recrutement, sous l’impulsion de l’abbé d’Alzon. Les recrues se rendirent d’ailleurs à Rome en deux groupes d’une quarantaine d’hommes, encadrés chacun par un prêtre choisi par le vicaire général de l’évêque de Nîmes135.
73La part relativement faible des classes populaires, notamment rurales, au sein des recrues contrastait avec la situation d’autres pays. Elle paraît en bonne part causée par le fait que les réseaux de recrutement des zouaves étaient avant tout organisés par des laïcs. Or si ces derniers avaient alors largement développé leur action dans les villes, et notamment les plus grandes d’entre elles, leur influence ne pénétrait encore que difficilement les campagnes. Il manqua sans doute, pour que le recrutement pût toucher véritablement les classes populaires rurales, la participation active du bas clergé. Du reste, comme on le verra, la collecte du denier de Saint-Pierre, à laquelle les prêtres participèrent activement, eut quant à elle un indéniable succès dans certaines campagnes.
2. Socio-géographie de la Légion d’Antibes
74Au contraire du recrutement des zouaves pontificaux, le recrutement de la Légion d’Antibes fut quasi exclusivement français. Sur 4 097 recrues, on compte en effet au moins 3 758 Français, soit plus de 90 % du total. À l’échelle de l’Empire, la géographie du recrutement différait par ailleurs très largement de celle des zouaves.
75Le recrutement de la Légion fut ainsi centré autour de trois sous-ensembles régionaux. Alors que sa part était relativement faible dans le recrutement des zouaves pontificaux, l’Est apparaît très clairement comme la région qui fournit le plus de légionnaires. L’Alsace en envoya plus de 600 et le Doubs 266. Dans une moindre mesure, la Lorraine, le Jura et la Côte d’Or participèrent également à ce mouvement. Cette situation s’expliquait notamment par la présence du centre de recrutement pontifical d’Altkirch et par l’action de Mgr Mathieu. Un second espace de recrutement était formé des départements du Sud, autour des Bouches-du-Rhône. Ici, le gradient observé – plus les départements sont proches des Bouches-du-Rhône et plus ils fournissent de légionnaires – atteste le poids du centre de recrutement de Marseille dans les enrôlements. Enfin, le Nord fournit également un nombre de recrues non négligeable. À côté de ces trois principaux espaces de recrutement, il faut souligner le poids des grandes villes (Paris, Lyon, Bordeaux et Rouen en particulier) ainsi que celui de la Bretagne (Côtes-du-Nord exceptées), qui furent des pôles secondaires du recrutement. Cette géographie ne correspondait pas à la géographie du catholicisme français, même si on peut supposer que des considérations de type religieux expliquent le poids de la Bretagne. Elle ne renvoyait pas non plus véritablement à celle du légitimisme et il faut par conséquent insister sur le poids d’autres facteurs dans le recrutement, à commencer par la localisation des centres de recrutement.
76La sociologie des légionnaires français différait également très fortement de celle des zouaves. L’origine des recrues était ainsi bien plus populaire. Près d’un tiers d’entre elles (32 %) venaient du monde du commerce et de l’artisanat, près d’un quart (23 %) étaient des paysans, 15 % des ouvriers et 8 % des employés. Les étudiants et les propriétaires ne représentaient que 4 % et 0,3 % des légionnaires. Le recrutement était par ailleurs encore plus urbain que celui des zouaves.
77Si certains contemporains considérèrent les légionnaires comme des « volontaires du pape » au même titre que les zouaves137, l’important écart existant entre la géographie et la sociologie des zouaves et celles de la Légion tend à confirmer l’idée d’une réelle différence entre ces corps. Sans qu’elle en soit une preuve indubitable, elle laisse penser que les motivations qui expliquaient l’enrôlement au sein des zouaves et celles qui rendaient compte de celui au sein de la Légion étaient distinctes. Cette situation était du reste perçue par les contemporains, comme l’atteste la place occupée très tôt par les seuls zouaves dans l’imaginaire catholique138.
3. Les zouaves pontificaux dans l’imaginaire catholique
78À partir des années 1860 s’élabora un mythe zouave, qui fut perpétué au cours des décennies suivantes. La construction de ce mythe commença dès l’époque du bataillon des Franco-Belges, en 1860. Loin de l’affaiblir, la défaite de Castelfidardo ne fit au contraire que renforcer ce processus. Elle entrait en effet en résonance avec un imaginaire à la fois chrétien et aristocratique du martyre et de la défaite héroïque, exemplifiés par le sort des Macchabées ou des vaincus des Thermopyles. Nombre de mandements et d’ouvrages contemporains placèrent ainsi explicitement l’action des zouaves dans la continuité de ces épisodes bibliques ou historiques. Si l’assistance des cérémonies funèbres organisées en l’honneur des soldats tombés en défendant la papauté fut surtout composée de notables légitimistes, la bataille eut cependant indéniablement un écho auprès d’une partie des classes populaires. L’atteste en particulier le processus de canonisation populaire139 qui se développa autour de la dépouille d’un zouave breton, Joseph Guérin, blessé à Castelfidardo et décédé à Osimo le 30 octobre 1860 à la suite d’une longue agonie140.
79Né à Sainte-Pazanne (Loire-Inférieure) dans une famille modeste, Joseph-Louis Guérin avait grandi sur l’île de Noirmoutier, puis suivi des études au petit séminaire de Guérande et au grand séminaire de Nantes, où il se trouvait encore lorsqu’il apprit que Lamoricière avait rejoint Rome pour réorganiser l’armée du pape. Il partit alors pour les États pontificaux, où il arriva en août 1860. Là, il intégra d’abord le corps de Cathelineau puis, après sa dissolution, fut reversé au sein du bataillon des Franco-Belges. Ce fut en tant que soldat de ce corps qu’il participa à la bataille de Castelfidardo, à l’occasion de laquelle il fut mortellement blessé.
80Peu de temps après l’annonce de sa mort, l’abbé Féret, supérieur du grand séminaire de Nantes, sentit le bénéfice que la cause du pape pourrait tirer du rapatriement de la dépouille de « ce petit martyr qui s’[était] attiré un intérêt si universel141 ». Non sans difficultés, son corps fut ramené quelques mois plus tard en Loire-Inférieure et les obsèques du zouave eurent lieu le 7 février. Dès l’avant-veille, sa dépouille avait été exposée dans une des salles du grand séminaire : là, d’après le préfet de la Loire-Inférieure, « une foule assez considérable était allée le visiter et un certain nombre de personnes avaient tenu à faire toucher aux restes du défunt les unes un livre, d’autres, un bijou, d’autres enfin, un vêtement142 ». Les premiers signes d’une dévotion populaire pour le zouave se faisaient ainsi jour sous l’égide du bas-clergé diocésain, qui avait organisé les funérailles. Le phénomène paraît cependant par la suite avoir dépassé ses instigateurs. Malgré les réticences des directeurs du grand séminaire, la tombe de Guérin, située dans le cimetière de La Barberie, fut en effet rapidement l’objet d’un pèlerinage. En avril 1861, plus de cinq cents personnes s’y pressaient ainsi chaque dimanche143.
81L’intérêt suscité par Guérin était alors d’autant plus grand qu’avait commencé à se propager la rumeur de premières guérisons miraculeuses opérées grâce à son intercession144. On rapporta ainsi qu’à Gétigné, la sœur d’un prêtre du diocèse, Marie Bassé, qui souffrait d’un « cancer intérieur » qui lui faisait éprouver de très violentes douleurs, avait été guérie par le saint. L’apposition de cheveux de celui-ci sur son corps avait provisoirement supprimé les douleurs et, par la suite, elle avait complètement guéri après avoir fait une neuvaine pour demander à Dieu sa guérison par l’intercession du zouave, tandis que des prêtres s’étaient réunis dans le même but à son tombeau145. Le récit de cette guérison témoigne du rôle du bas clergé dans la diffusion de la dévotion à Guérin. Lors des funérailles de celui-ci, ses cheveux avaient été coupés comme autant de reliques et emportés par plusieurs prêtres dans leurs paroisses. L’abbé Coquet, vicaire de Gétigné, en avait ainsi rapporté avec lui et les avait donnés à la malade, en l’invitant à demander l’intercession de Guérin. Des rôles semblables du bas clergé se retrouvent dans nombre de récits de guérisons miraculeuses attribuées au zouave146.
82La dévotion profita des premières rumeurs de guérison. Elle se trouva encore amplifiée par la rédaction rapide d’une biographie de nature hagiographique par un prêtre du diocèse, l’abbé Allard147, ainsi que par la diffusion d’images du zouave sous l’impulsion du grand séminaire148 ou encore d’hymnes149. En s’appuyant sur les archives diocésaines, Marius Faugeras a repéré trente-neuf cas de guérisons, auxquels il faut ajouter trois cas retrouvés par Laurent Gruaz. Ces faits s’étendirent de 1861 à 1873 et concernèrent principalement des femmes et des enfants issus de milieux populaires à la piété prononcée150. Ils se produisirent principalement dans le diocèse de Nantes, mais quelques cas furent signalés dans le Maine-et-Loire, en Vendée, à Paris et à Rome. Il s’agissait principalement de miracles provoqués par l’attouchement des reliques du saint151.
83Le succès de la dévotion au zouave Guérin dut sans doute beaucoup au terreau favorable que constituait la Loire-Inférieure. La Bretagne fut en effet pendant longtemps une terre où perdurèrent des processus de canonisations populaires centrés autour de saints thaumaturges152. La dévotion se développa cependant en dehors du diocèse de Nantes, comme l’attestent les quelques cas de guérisons miraculeuses rapportés ailleurs en France. Les Archives diocésaines de Nantes conservent ainsi un ensemble de lettres envoyées au supérieur du grand séminaire de Nantes de divers points du pays153 pour lui demander des cheveux – « un petit bout de l’un de ses cheveux, ne fusse [sic] que long comme une épingle », écrit l’abbé Cherbonnier, vicaire de Morannes (Maine-et-Loire) –, d’autres reliques ou une photo du zouave ainsi que pour faire dire des prières ou célébrer des neuvaines dans le but de solliciter l’intercession de Guérin154. Ces demandes venaient principalement du clergé mais quelques-unes émanaient de membres de la noblesse155. L’intérêt suscité par Joseph Guérin à Rome est par ailleurs attesté par le journal de l’aumônier des zouaves156. Si elle constitua un phénomène tout à fait exceptionnel par sa diffusion, la dévotion autour de Joseph Guérin témoignait du fait que le mythe zouave était loin de ne concerner que la seule noblesse légitimiste en quête d’une nouvelle croisade qui trancherait avec le dépit que lui inspirait la société du temps.
84Durant toute la décennie 1860, ce mythe prit une ampleur considérable. Mandements épiscopaux, articles de la presse catholique, récits d’anciens zouaves, livres d’édification destinés notamment à la jeunesse des écoles ainsi que quelques romans157 contribuèrent à forger et à diffuser auprès des catholiques les éléments d’un imaginaire exaltant les zouaves comme de nouveaux croisés. Deux événements en particulier donnèrent lieu à un grand nombre de publications : Castelfidardo158 et Mentana159. La littérature zouave devint ainsi un puissant vecteur de romanisation à destination tant des classes supérieures que des masses. Par leurs logiques narratives, les romans et certains récits favorisaient chez leurs lecteurs l’identification aux soldats du pape ou à leurs familles. Ils invitaient à partager les souffrances des combattants et de leurs proches, et par conséquent à s’impliquer émotionnellement dans leur combat en faveur du pouvoir temporel du pape. En accordant une place importante à la famille des zouaves, ces ouvrages permettaient tant aux femmes qu’aux hommes de se sentir concernés par les événements romains160. Une telle littérature participa à la diffusion contemporaine d’une piété de type doloriste et de la dévotion au pape, auxquelles le combat des zouaves pouvait servir de modèle. En témoignent notamment les initiatives de type « zouaves de la prière » qui fleurirent en divers diocèses à cette époque. Ne pouvant partir se battre à Rome, hommes, femmes et enfants qui y adhéraient s’engageaient à combattre spirituellement pour la papauté, au moyen notamment d’un certain nombre de prières récitées chaque jour161.
85L’exaltation de la geste des zouaves ne passa pas uniquement par l’écrit. Elle prit également, dès les années 1860, une forme monumentale. Peu après la mort de Lamoricière, en septembre 1865, un comité de notables catholiques fut formé afin de lancer une souscription destinée à l’érection d’un monument au général162. Il recueillit plus de cent cinquante mille francs163 et le monument, œuvre de l’architecte Louis Boitte et du sculpteur Paul Dubois, fut inauguré en 1879 dans l’une des chapelles de la cathédrale de Nantes.
86Après 1870 et la prise de Rome, le mythe zouave perdura et se trouva même renforcé par la participation à la guerre contre la Prusse de nombre d’anciens soldats du pape. Regroupés au sein de la légion des Volontaires de l’Ouest sous le commandement de Charette164, ils s’illustrèrent en particulier lors de la bataille de Loigny. Par la suite, la mémoire des zouaves fut entretenue durant toute la fin du siècle par des biographies, éditions de correspondance et récits divers à destination d’un public relativement large. Plusieurs de ces écrits montraient la volonté des légitimistes de capter à leur profit l’héritage du corps165. L’art en fut également un vecteur important : davantage que les quelques tableaux représentant les soldats du pape, il faut signaler à cet égard l’installation dans plusieurs églises de vitraux les prenant pour thème166. Enfin, la mémoire des zouaves put être entretenue par les noms de rue167 : la petite commune de Réquista, dans l’Aveyron, possède encore aujourd’hui une « place du Vatican », nommée ainsi en l’honneur d’un de ses habitants parti s’engager au sein de l’armée du pape168.
87Les anciens zouaves eux-mêmes contribuèrent à entretenir le souvenir de leur combat. Ils se réunirent à plusieurs reprises, comme par exemple à l’occasion des noces d’argent du régiment, en 1885. En 1892, par ailleurs, fut créée une revue, L’Avant-Garde, qui joua jusqu’en 1932 le rôle d’hebdomadaire d’information et de bulletin de liaison169. Pour nombre d’anciens soldats du pape, l’appartenance passée au corps des zouaves représenta un signe de distinction, qui pouvait être affiché tant sur les cartes de visite que sur les faire-part et, plus tard, sur la tombe170. Certains cherchèrent par ailleurs à poursuivre en France, sous d’autres formes, le combat qu’ils avaient mené à Rome pour la religion171. Après une éclipse dans la seconde partie du XXe siècle, la mémoire du corps semble aujourd’hui connaître un renouveau. Une Association des descendants des zouaves pontificaux et des Volontaires de l’Ouest a été créée dans les années 1990 et L’Avant-Garde a été ressuscitée en 1997172.
88La défense des États du pape donna lieu à l’un des phénomènes de volontariat militaire transnational les plus importants du XIXe siècle, à la fois par le nombre de soldats concernés et par sa durée. Même en en excluant les soldats de la Légion d’Antibes, que leurs modalités d’engagement éloignent partiellement du modèle du volontariat militaire, les volontaires français furent plus de trois mille en dix ans. Si la noblesse légitimiste y fut clairement surreprésentée, les zouaves accueillirent dans leurs rangs des soldats issus de toutes les couches de la société. En chiffres absolus, les hommes issus des classes populaires étaient ainsi en nombre considérable. Il faut donc fortement réviser l’image, répandue dès la décennie 1860, d’un corps de composition essentiellement aristocratique. Une telle image était née au moment de Castelfidardo et, de fait, les volontaires français du bataillon des tirailleurs pontificaux étaient en très grande majorité issus de l’aristocratie légitimiste. Lorsque, par la suite, le recrutement des zouaves s’était élargi à d’autres milieux, l’image était cependant restée. Elle fut confortée à la fois par les récits des zouaves, généralement publiés par des hommes qui appartenaient effectivement à la noblesse légitimiste, et par ceux de leurs adversaires, qui avaient intérêt à dénier à la cause du pape un soutien populaire et à la rattacher exclusivement à une couche sociale sur le déclin. La mobilisation militaire en faveur de la papauté témoignait en réalité, tout en contribuant à le renforcer, du lien de plus en plus étroit qui liait la papauté aux fidèles. Elle put être utilisée par les défenseurs de l’État pontifical comme preuve du soutien que les fidèles de toute l’Europe apportaient à la cause du pouvoir temporel.
89En raison de cet afflux de soldats étrangers, l’État pontifical pouvait apparaître, durant les années 1860, comme un État à la fois surarmé et sous-armé. Rapporté à la population des États romains, le nombre de soldats que comptait l’armée pontificale faisait des États de l’Église un des États les plus militarisés de son temps173. Pourtant, même surdimensionnée, cette armée restait bien insuffisante face à la menace italienne. De ce point de vue, Antonelli était sans doute plus avisé que Mérode. Peu utile du point de vue militaire, la surmilitarisation de l’État pontifical avait par ailleurs pour conséquence d’aggraver la situation des finances pontificales, déjà considérablement affaiblies par les pertes territoriales de 1859-1860. Là encore, la papauté chercha à répondre aux défis posés par une telle situation en recourant à la mobilisation des fidèles.
Notes de bas de page
1 Parmi les principales synthèses, on peut citer : Cerbelaud-Salagnac 1963 ; Boutry 1994b ; Guenel 1998 ; Coulombe 2009 ; Gruaz 2017a.
2 L’ouvrage de l’abbé Staub, réalisé à partir de documents confiés par le dernier commandant de la Légion, le lieutenant-colonel Pévot, donne à ce sujet des informations intéressantes mais il a été écrit dans une visée apologétique : Staub 1894. Une étude de la genèse du corps a été menée à partir de sources diplomatiques dans Scott 1971. Plus récemment, les papiers de l’archevêque de Besançon, le cardinal Mathieu, ont par ailleurs permis d’éclairer les modalités du recrutement du corps : Petit 2015a. Sur les tensions internes au corps, voir Capone 2021.
3 Mosse 1999.
4 Vigevano 1920, p. 8.
5 Mancini Barbieri 1986, p. 161.
6 Ibid., p. 162. Les soldats indigènes étaient jugés à la fois peu efficaces et peu sûrs.
7 Le comte de Brunet s’était déjà distingué par des services rendus à la cause pontificale puisqu’il était chevalier des ordres de Saint-Grégoire-le-Grand, de Saint-Jean-de-Jérusalem et du Saint-Sépulcre.
8 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 146, Sacconi à l’archevêque d’Avignon, 14 mai 1856.
9 Des projets du comte Maurice du Parc et du comte de Lannoy sont signalés en mai et juin 1859 par Sacconi. Ibid., b. 148.
10 Voir le projet non signé envoyé de Turin le 15 septembre 1859 contenu en : AAV, Arch. part. Pio IX, Oggetti vari, 1537, Progetto di un’armata pontificia cattolica di volontari.
11 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 97, Antonelli à Saconni, 15 mars 1859.
12 Besson 1898, p. 99.
13 Né à Nantes en 1806 dans une famille de la petite noblesse bretonne, Christophe-Louis-Léon Juchault de Lamoricière était entré en 1824 à l’École polytechnique puis avait rejoint l’armée. À partir de 1830, il s’illustra au sein de l’armée d’Afrique et joua un rôle de premier plan dans la victoire sur Abd-el-Kader, dont il obtint la reddition en 1847. Élu député en 1846, il appartenait alors à l’opposition libérale. En février 1848, il adhéra à la République et participa à la répression de l’insurrection de juin, à l’issue de laquelle il devint ministre de la Guerre, conservant ce poste jusqu’à l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte. Après le coup d’État, il fut arrêté puis banni. Il connut alors pendant plusieurs années l’exil, d’abord en Allemagne puis en Belgique, où il retourna au catholicisme, ne rentrant en France qu’en 1859.
14 Antonelli à Sacconi, 3 mars 1860. Publié dans Gabriele 1962b, p. 486-487.
15 Aubert 1956b, p. 1112.
16 Antonelli à Sacconi, 4 avril 1860. Publié dans Gabriele 1962b, p. 489.
17 L’Ami de la religion, 17 avril 1860.
18 AAV, Segr. Stato, anno 1860, rubr. 165, fasc. 50, Antonelli à Sacconi, 4 février 1860.
19 Sacconi à Antonelli, 12 février 1860. Publié dans Gabriele 1962b, p. 420-421.
20 AAV, Segr. Stato, anno 1860, rubr. 165, fasc. 50, Antonelli à Sacconi, 30 mars 1860.
21 Besson 1898, p. 108.
22 En mai, avant de devenir un bataillon, le corps avait été commandé par Charette, qui avait été l’un des premiers Français à rejoindre Rome. Besson 1898, p. 1.
23 Saint-cyrien, Louis-Aimé de Becdelièvre avait participé à la campagne de Crimée, à l’issue de laquelle il était devenu capitaine. Il avait cependant démissionné de l’armée en 1858 après son mariage et vivait retiré à la campagne lorsqu’il décida de rejoindre l’armée pontificale. Becdelièvre 1867, p. 3.
24 Tournon 1860.
25 Foessel – Stehlé 1984.
26 Becdelièvre 1867, p. 6-11.
27 D’autres corps étaient ouverts au recrutement étranger, si bien que peu nombreux furent les soldats ni français ni belges au sein du bataillon des tirailleurs franco-belges. Au 1er septembre 1860, les recrues étrangères se trouvaient principalement engagées au sein des deux régiments d’infanterie étrangère, du bataillon de carabiniers étrangers, du bataillon des tirailleurs pontificaux, du bataillon de Saint-Patrick et des cinq bataillons de bersagliers autrichiens. Vigevano 1920, p. 15.
28 Près de sept cents hommes le rejoignirent au cours de l’année 1860. Cf. Matricule des tirailleurs franco-belges 1925.
29 Pour une analyse des pérégrinations armées de Cathelineau au profit de nombre de mouvements contre-révolutionnaires de l’époque, voir Sarlin 2011b.
30 Jacques Cathelineau (1759-1793) avait été le généralissime de l’Armée catholique et royale.
31 Le projet de Cathelineau est évoqué dans plusieurs mémoires d’anciens zouaves. Un point de vue très critique sur l’entreprise a été donnée par Becdelièvre : Becdelièvre 1867, p. 40-57. Oscar de Poli, qui avait fait partie des hommes de Cathelineau, y a en quelque sorte répondu dans : Poli 1868, p. 78-91. La source d’information la plus précise sur cette question reste cependant le dossier conservé au sein des archives de Pie IX : AAV, Arch. part. Pio IX, Oggetti vari, 1638.
32 En firent notamment partie le cardinal Villecourt et Mgr Franchi. Poli 1868, p. 88.
33 Becdelièvre 1867, p. 47.
34 Beau-frère de Montalembert, parent de Corcelle, Mérode était – excepté à Rome – un soutien du régime parlementaire.
35 AAV, Arch. part. Pio IX, Oggetti vari, 1638. Le document n’est pas daté mais il paraît avoir été écrit au cours du mois d’août, peu avant la dissolution du corps de Cathelineau.
36 Becdelièvre 1867, p. 49.
37 Guenel 1998, p. 51.
38 Lamoricière 1860.
39 Besson 1898, p. 130.
40 Becdelièvre 1867, p. 105.
41 Ibid., p. 106.
42 D’après Roger Aubert, cette expédition avait pour objectif inavoué d’entraîner l’armée française dans un conflit avec les troupes piémontaises. Aubert 1956b, p. 1319.
43 Becdelièvre 1867, p. 177.
44 Ibid., p. 190
45 Les archives de Lamoricière (AN, 289AP 78) et les archives de Mgr Pie (AHDi Poitiers, A5) contiennent un exemplaire d’un rapport, que Becdelièvre paraît avoir écrit afin de se défendre des attaques portées contre lui par ses adversaires. Ses Souvenirs, publiés en 1867, le reprennent en partie.
46 Besson 1898, p. 294.
47 Bien connue est à ce sujet la formule prêtée à un général piémontais qui, devant la liste des blessés de Castelfidardo, se serait exclamé : « On dirait une invitation de bal à la cour de Louis XIV ». Le nombre particulièrement important de noms à particule parmi les soldats du bataillon des Franco-Belges confirme cette idée.
48 Guenel 1998.
49 Gruaz 2016.
50 Becdelièvre 1867, p. 45 : « On ne se fait volontaire qu’en face d’un danger ; l’action dans le péril est l’élément essentiel de vitalité de cette arme. »
51 Ce graphique, comme tous ceux de ce chapitre, a été fait à partir des informations contenues dans la matricule des zouaves pontificaux conservée à l’Archivio di Stato de Rome. Des informations sur la base de données réalisée à partir de ce fonds sont données en annexe, p. 495-498.
52 On compte ainsi 574 recrues pour le seul mois de janvier, 146 en février et 101 en mars. Par la suite, leur nombre chute.
53 Faugeras 1984, p. 395.
54 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 152, Antonelli à Chigi, 23 mai 1865.
55 Ibid., b. 152, Antonelli à Chigi, 7 octobre 1865.
56 Entre juin 1861 et septembre 1865, le total mensuel des enrôlements n’avait jamais dépassé 32. On compta 36 nouvelles recrues en octobre 1865, 49 en novembre et 65 en décembre.
57 Hérisson 2021a.
58 La bibliographie sur les zouaves pontificaux canadiens est extrêmement riche. Voir en particulier : Lodolini 1969 ; Hardy 1980 ; Audy 2003 ; Sanfilippo 2007 ; Warren – Dumons 2015.
59 L’ouverture du corps aux volontaires non français devait, selon le gouvernement impérial, empêcher les autorités piémontaises de pouvoir soutenir que, à travers la Légion romaine, l’armée française était toujours présente à Rome. AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 152, Chigi à Antonelli, 21 novembre 1865.
60 Petit 2015a, p. 40.
61 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 153, Chigi à Antonelli, 2 avril 1866.
62 Staub 1894, p. 18.
63 Elle comptait plus précisément 33 officiers et 1054 sous-officiers et soldats. Staub 1894, p. 25.
64 Ibid., p. 31.
65 AAV, Segr. di Stato, anno 1869, rubr. 165, fasc. 15, Kanzler à Antonelli, 20 juin 1867.
66 Sur l’incident : Mori 1967, p. 177-191.
67 Maurain 1930, p. 747.
68 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 154, Antonelli à Chigi, 12 octobre 1867.
69 Des statistiques sur l’origine géographique des recrues des zouaves et de la Légion d’Antibes ont été placées en annexe, p. 498-499 et 516.
70 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 154, Chigi à Antonelli, 23 novembre 1867.
71 Ibid., b. 155, Antonelli à Chigi, 10 juin 1870.
72 Staub 1894, p. 18.
73 Petit 2015a.
74 Maurain 1930, p. 744.
75 À Poitiers, un tel comité fut établi. Son président était J. de Mauvise, un lieutenant-colonel en retraite, et il comptait comme membres des représentants de la noblesse locale (de Bizemont, de Montenon et de Coursac). AHDi Poitiers, A5, lettre de J. de Mauvise aux curés, 1868.
76 AAV, Segr. Stato, anno 1860, rubr. 165, fasc. 50, Gramont à Antonelli, 8 mars 1860.
77 Ce bureau de recrutement servait à l’enrôlement de citoyens suisses dans l’armée pontificale.
78 AAV, Segr. Stato, anno 1860, rubr. 165, fasc. 50, Gramont à Antonelli, 24 juillet 1860.
79 Celui-ci affirme dans ses mémoires qu’il avait sollicité du gouvernement l’autorisation de s’enrôler dans l’armée pontificale mais n’avait jamais reçu de réponse. Becdelièvre 1867, p. 4-5.
80 Poli 1868, p. 206.
81 AN, F1c III Vendée 8, ministre de l’Intérieur au préfet de la Vendée, 23 janvier 1867.
82 Le même problème se produisit à nouveau quelques années plus tard au sujet des Français partis combattre du côté des carlistes espagnols. Cette fois encore, le gouvernement renonça à déchoir les volontaires de leur nationalité. Dupont 2017b.
83 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 196, Chigi à Donnet, 9 décembre 1862.
84 Interrogé en juin 1860 par Mgr Pie, Lemercier lui répondit que l’évêque pouvait envoyer à Paris les volontaires et que le comité se chargerait du nécessaire et financerait le voyage jusqu’à Marseille et Rome. AHDi Poitiers, A5, Lemercier à Mgr Pie, 22 juin 1860.
85 Assemblée générale des comités 1873, p. 309-310.
86 AAV, Arch. part. Pio IX, Sovrani e particolari, 402, Lemercier à Villecourt, 3 juillet 1860.
87 AHDi Poitiers, A5, comité de Saint-Pierre à Mgr Pie, septembre 1862.
88 Ibid., comité de Saint-Pierre à Mgr Pie, 1er décembre 1863.
89 Ibid., comité de Saint-Pierre à Mgr Pie, 11 septembre 1865.
90 Ozanam 1868.
91 Un exemplaire d’une brochure présentant l’activité de ces cercles se trouve en AHDi Poitiers, A5.
92 L’appel fut publié le 19 décembre 1866 puis reproduit sous forme de brochure : Onffroy 1867.
93 Ibid., p. 8.
94 Comme l’a montré René Hardy, une stratégie semblable fut adoptée quelques temps plus tard par le clergé québécois, qui chercha à resserrer les liens entre les fidèles et Rome en faisant en sorte que chaque paroisse envoyât un zouave et, par conséquent, que chacun connût un soldat du pape et eût une raison de se préoccuper du sort des États pontificaux. Hardy 1980.
95 Le lien entre les comités départementaux et le baron Onffroy devait, d’après le règlement, se limiter à l’envoi, à la fin de chaque trimestre ou de chaque année, d’une note indiquant le nombre de volontaires envoyés à Rome et de souscriptions de cinq cents francs réalisées.
96 AHDi Poitiers, A5, rapport du comité pour l’artillerie pontificale.
97 C’est en tout cas ce dont témoigne la liste des souscripteurs dans la Sarthe. Sur 130 noms, on compte 42 nobles et 24 religieux. Lorgeril 1968.
98 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 155, Henri de La Chevasnerie à Chigi, 2 septembre 1869.
99 Une telle démarche est illustrée, dans le cas du volontariat philhellène, par Mazurel 2013, p. 150-200.
100 Sur la dégradation de l’image du mercenaire après la Révolution française : Bruyère-Ostells 2011, p. 9-14.
101 À la même époque, les catholiques adoptaient une argumentation semblable lorsqu’ils dénonçaient les étrangers comme étant les fomenteurs des insurrections qui touchaient les États du pape.
102 Ces récits sont fort nombreux. On citera plus particulièrement : Bittard des Portes 1894 ; Barral 1932 ; Briollet 1963-1969.
103 Pécout 2004a, 2008, 2009. Gilles Pécout a par ailleurs joué un rôle important dans la diffusion de ce thème de recherches, notamment à travers l’encadrement de plusieurs travaux de doctorat portant sur ces questions. Voir, en plus des travaux déjà cités de Simon Sarlin : Ignace 2010 ; Bron 2013.
104 Pécout 2008, p. 188.
105 Sanfilippo 2007 ; Sarlin 2017b.
106 En inscrivant leur combat dans la lignée de celui des grands souverains français qui avaient servi l’Église, les zouaves proposaient à leurs contemporains un discours sur la nation susceptible de rivaliser avec les constructions concurrentes des bonapartistes et des républicains. Simpson 2013.
107 Banti 2000.
108 Bertrand – Brice – Montègre 2012 ; Aprile – Brice 2013 ; Brice 2017.
109 Sarlin 2017a.
110 Gruaz 2017a.
111 Le Chauff de Kerguenec 1890, p. 4-5.
112 Vigevano 1920, p. 104.
113 Göhde 2014, p. 205-209.
114 Si l’on se gardera de reprendre sans nuances le raisonnement d’Alessandro Mancini Barbieri, déduisant du taux élevé de désertion que les soldats étrangers du pape étaient surtout mus par leur instinct guerrier, le désir d’aventure et la soif de gains, il est indéniable que ces motivations purent exister. Mancini Barbieri 1986, p. 164.
115 Bach à Rechberg, 17 août 1860. Publié dans Jacini 1931, p. 30-31.
116 Mazurel 2013.
117 Sarlin 2013b, p. 9-12 et 24.
118 Marius Faugeras et Marcel Launay donnent des chiffres plus élevés. L’écart s’explique par le fait qu’ils se fondent sur les lieux de naissance signalés sur la matricule imprimée à Lille tandis que nous nous appuyons sur les communes de domicile mentionnées par la matricule romaine.
119 Sur les zouaves du pays guérandais : Legrand 1970 ; Nouaille-Degorce 2014.
120 Chiffre donné dans : Devailly 1980, p. 338. Le 24 juin 1861, Henri Le Chauff de Kerguenec compte plus de soixante anciens élèves de l’établissement parmi les zouaves, dont une part importante parmi les officiers du bataillon. Le Chauff de Kerguenec 1890, p. 126.
121 Harrison 2007 ; Tafuro 2017.
122 Faugeras 1986.
123 La correspondance de Henri Le Chauff de Kerguenec signale ainsi que son père l’avait empêché de se rendre à Rome en mai 1860 car il devait encore passer l’examen de deuxième année de droit : il ne put partir, avec la bénédiction de ses parents, qu’en décembre, après avoir manqué le combat de Castelfidardo. Le Chauff de Kerguenec 1890, p. 2-7.
124 Mancini Barbieri 1986, p. 166-167.
125 Sur les zouaves belges, on se reportera à la synthèse réalisée par Balace 2020.
126 Faugeras 1984.
127 Les historiens divergent sur la définition de la ville au XIXe siècle. On reprend ici le seuil aujourd’hui retenu des deux mille habitants agglomérés, même si ce critère n’est pas sans défaut.
128 Les statistiques sur la population urbaine et les suivantes sont fondées sur les chiffres donnés par la Statistique de la France. Cf. Statistique de la France 1869.
129 Voir les rapports du procureur général de la Vienne en AN, BB30 385.
130 Cité dans Faugeras 1984, p. 401.
131 Sur la manière dont le codage des professions a été réalisé, voir les explications placées en annexe, p. 495-498.
132 Parmi les zouaves belges, les Flamands, plus nombreux, furent dans l’ensemble proches du profil sociologique des Hollandais tandis que les Wallons furent plus proches de celui des Français. Ce furent du reste ces derniers qui fournirent les officiers belges du corps.
133 Sur les zouaves bretons : Lagrée 1992, p. 158-165.
134 Voir la carte placée en annexe, p. 515.
135 Voir sa correspondance pour la période : Lettres du père d’Alzon 1993, p. 392-416.
136 Pour des statistiques précises, on pourra se reporter au tableau placé en annexe, p. 516-517.
137 Le père Delaporte les intègre ainsi à son étude : Delaporte 1868, p. 13.
138 Seul l’ouvrage de l’abbé Staub vint magnifier l’histoire de la Légion romaine à la fin du XIXe siècle : Staub 1894.
139 Sur le culte des saints au XIXe siècle, on renverra à Fattorini 1997.
140 La biographie du zouave a été très tôt écrite dans une perspective hagiographique par un prêtre du diocèse de Nantes : Allard 1860. Dans sa thèse sur l’épiscopat de Mgr Jaquemet, Marcel Launay lui consacre par ailleurs quelques lignes : Launay 1982, I, p. 738-740. La première étude spécifique sur la dévotion envers Guérin est celle de Marius Faugeras : Faugeras 1983b. Plus récemment : Gruaz 2017b ; Sarlin 2018.
141 Archives historiques du diocèse de Paris [désormais abrégé : AHDi Paris], 1 D 10, 1, abbé Féret à Mgr Jaquemet, 19 octobre 1860.
142 AN, F1c III Loire-inférieure 12, préfet de la Loire au ministre de l’Intérieur, 8 février 1861.
143 Launay 1982, II, p. 738.
144 Sur la place des miracles dans le catholicisme français du XIXe siècle, voir Kselman 1983.
145 AHDi Nantes, 4F 10, dossier 11, lettre de C. M. Joyau du 30 décembre 1861.
146 Voir par exemple le récit de la guérison d’une ancienne domestique de la paroisse de Montbert (Loire-Inférieure), Marie-Anne Moriceau, rendue quasiment incapable de se déplacer ou de parler par plusieurs attaques d’apoplexie et dont la guérison était attribuée à une mèche de cheveux du zouave, que le vicaire de sa paroisse lui avait montrée puis prêtée afin qu’elle la renfermât dans son scapulaire. AHDi Poitiers, G8.
147 L’ouvrage valut à son auteur un bref de Pie IX, daté du 18 janvier 1862. Le dossier sur la guérison en janvier 1862 d’Anne Chénaux, dans la paroisse du Bignon, atteste le rôle de cette biographie dans la diffusion de la dévotion et précise que le curé en avait diffusé plusieurs exemplaires dans la paroisse. AHDi Nantes, 4F 10, dossier 11.
148 Une facture datée du 19 septembre 1862 témoigne de la commande passée par l’abbé Martel, directeur du grand séminaire, de deux mille tailles-douces et deux mille lithographies représentant Guérin en séminariste ou en zouave. AHDi Nantes, 4F 10, dossier 9.
149 Hommage à Joseph Guérin 1861.
150 Faugeras 1983b, p. 132.
151 Sur ce point, les miracles italiens se distinguaient des français puisqu’ils se produisaient après l’apparition de Guérin aux malades.
152 Lagrée 2002, p. 105-120.
153 Les lettres proviennent du Maine-et-Loire, de la Mayenne, de l’Ille-et-Vilaine, de la Vendée, de la Vienne de l’Allier, de la Saône-et-Loire, de la Haute-Marne et de Paris.
154 AHDi Nantes, 4F 10, dossier 10.
155 On signalera le fait qu’une des lettres du dossier est de la comtesse de Pimodan, veuve d’un des officiers décédés à Castelfidardo.
156 Allard 1880.
157 L’ouvrage en italien d’Antonio Bresciani Olderico ovvero il Zuavo pontificio, paru en 1861, connut dès l’année suivante une traduction en français. Dix ans plus tard, la comtesse de Ségur centra l’intrigue de son roman Après la pluie le beau temps sur un jeune volontaire parti défendre le pape : Ségur 1871.
158 Parmi bien d’autres ouvrages, on citera plus particulièrement : La Vausserie 1860 ; Poli 1861 ; Ségur 1861a ; Symon de Latreiche 1861 ; Veuillot 1861a ; Lafond 1862 ; Quatrebarbes 1866.
159 Fontaine de Resbecq 1868 ; Ozanam 1868 ; Glorieuse victoire de Mentana 1868.
160 Harrison 2007.
161 Cette question sera étudiée plus précisément au cours du chapitre 10.
162 Un dossier qui témoigne de la surveillance exercée par le ministère des Cultes sur cette collecte est contenu en AN, F19 1935.
163 Le Normand-Romain 2013.
164 Nouaille-Degorce 2015.
165 Jules Delmas commence son histoire de la « neuvième croisade » par une dédicace à Henri V, où il affirme que seuls les légitimistes aidèrent Pie IX contre ses ennemis : Delmas 1881.
166 L’église de Campbon, paroisse dont on a signalé qu’elle avait fourni de nombreux zouaves, possède un vitrail de ce type.
167 Sur les rapports entre odonymie et politisation, on pourra se reporter à : Agulhon 1988.
168 Trinquier 1986, p. 21.
169 Gruaz 2017a, p. 523-563.
170 Dumons 2021, p. 149.
171 D’anciens zouaves envisagèrent de conduire un soulèvement légitimiste en 1882-1883 : Dupont 2020, p. 316. Bruno Dumons a par ailleurs montré qu’un certain nombre d’anciens zouaves du Midi reportèrent par la suite leur combat en investissant le syndicalisme agrarien : Dumons 2006b, 2011b, 2016.
172 Gruaz 2017a, p. 563.
173 Vigevano 1920, p. 123.
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