Chapitre 7
Le Saint-Siège et la mobilisation des fidèles en Europe
p. 295-326
Texte intégral
1La diplomatie du Saint-Siège face à la question romaine a fait l’objet de nombreuses études. Principalement centrées sur les dépêches des diplomates, celles-ci ont permis de cerner avec précision la politique suivie sous l’autorité du secrétaire d’État Antonelli à l’égard des puissances, et notamment de la France. Elles ont également mis en évidence les conflits et dissensions qui se firent jour à ce propos au sein de la Curie. Mais, en se focalisant principalement sur les négociations entre le Saint-Siège et les différents États européens, ces travaux sont dans l’ensemble restés prisonniers d’une approche « par le haut », qui a de manière plus générale longtemps caractérisé la plupart des études portant sur l’histoire de la diplomatie pontificale à l’époque contemporaine.
2Si une telle perspective possède bien évidemment une indéniable pertinence – au XIXe siècle, les chancelleries étaient de loin les principaux acteurs des relations internationales –, les renouvellements apportés à l’histoire internationale par l’étude des acteurs non étatiques invitent à chercher à la compléter par une approche « par le bas », plus soucieuse du rôle croissant des opinions publiques dans le système international du deuxième tiers du XIXe siècle1. Dans le sillage de ces travaux, nous voudrions proposer ici une étude croisée de la diplomatie pontificale et des mobilisations en faveur du pouvoir temporel afin de mettre en évidence la façon dont le Saint-Siège a pu utiliser comme une ressource dans le jeu diplomatique l’intérêt que les fidèles portaient à sa cause.
3Après avoir analysé les fondements de la diplomatie suivie par le Saint-Siège à l’égard des puissances et l’importance particulière que les diplomates pontificaux accordaient à la protection de la France, nous montrerons que la mobilisation des catholiques français fut rapidement considérée comme un moyen de pousser Napoléon III à ne pas laisser l’Italie s’emparer de Rome. Les moyens par lesquels le Saint-Siège suscita, organisa ou utilisa a posteriori la mobilisation des catholiques français afin de pallier le relatif désintérêt des gouvernements européens pour sa cause seront par la suite étudiés. Enfin, cette mobilisation sera replacée à une échelle plus large, en tant que composante d’un mouvement transnational de masse dont le Saint-Siège se servit pour donner une légitimité nouvelle à son pouvoir temporel.
I. Le Saint-Siège devant la question romaine
1. La diplomatie pontificale face aux puissances
4En replaçant les questions italienne et romaine au cœur du concert européen, la séance du 8 avril 1856 du congrès de Paris affaiblit considérablement la position du Saint-Siège dans le jeu international. Les débats des plénipotentiaires témoignèrent en effet d’un renversement de la manière dont les puissances appréhendaient les affaires d’Italie.
5Le système international mis en place à Vienne en 1815 s’était, durant toute la première partie du XIXe siècle, attaché à maintenir l’ordre dans la péninsule italienne en réprimant les mouvements libéraux ou nationaux. Les interventions militaires de l’Autriche en 1821 puis en 1831 avaient ainsi été conçues selon une même logique : il s’agissait, par l’action militaire d’une puissance contre l’agitation intérieure que connaissaient alors certains États italiens, de garantir l’ordre européen en assurant le respect du principe de légitimité face aux insurrections populaires. En 1849, plusieurs pays catholiques avaient également cherché à s’entendre au sujet d’une action commune dans l’État pontifical2, avant que la France ne choisît d’intervenir seule à Rome dans le double but de concurrencer l’influence autrichienne en Italie et d’empêcher que la restauration du pouvoir temporel ne fût réalisée dans un sens trop réactionnaire3. Par la suite, des troupes françaises et autrichiennes restèrent dans les États pontificaux pour en assurer la stabilité.
6Même si ce constat peut être nuancé au sujet de l’intervention française de 1849, c’était dans l’ensemble au nom d’un ordre européen menacé par la révolution que les puissances étaient intervenues en Italie durant la première moitié du XIXe siècle. Les débats du congrès de Paris du 8 avril 1856 marquèrent à ce titre une rupture. Après que Walewski eut évoqué la nécessité de mettre un terme aux occupations autrichienne et française et se fut exprimé en faveur de réformes administratives et politiques à Rome et à Naples, Clarendon et Cavour portèrent de virulentes attaques à l’encontre de la politique des gouvernements romain et napolitain. Loin de se trouver associés à la cause de l’ordre européen, les gouvernements de Pie IX et de Ferdinand II étaient au contraire accusés de le mettre en péril, en provoquant, par leur opposition farouche à toute réforme, une agitation grandissante au sein de leurs populations. Certes, une telle position n’était pas suivie par l’ensemble des puissances européennes, mais elle témoignait d’un affaiblissement de la position diplomatique du Saint-Siège, dont Cavour saurait par la suite admirablement jouer en présentant l’unification de l’Italie autour de la monarchie constitutionnelle du Piémont comme une garantie d’ordre face aux mouvements révolutionnaires qui se développaient dans la péninsule.
7Ce nouveau contexte permet d’expliquer les multiples demandes de réformes que firent les puissances – et en premier lieu la France – au gouvernement pontifical4, qui les repoussa invariablement. La diplomatie pontificale chercha ainsi jusqu’en 1859 à affirmer la pleine souveraineté de l’État romain face à l’ingérence des puissances, politique qui conduisit le Saint-Siège à demander en mars 1859 le départ des corps français et autrichien. À partir de 1859, la situation changea. Alors que le Saint-Siège s’était jusque-là opposé à l’immixtion des puissances dans les affaires italiennes parce qu’elle semblait se faire en sa défaveur, la révolte des Romagnes puis la perte des Marches et de l’Ombrie le conduisirent au contraire à réclamer leur intervention. Il condamna ainsi à plusieurs reprises le principe de non-intervention5, mis en avant par la diplomatie britannique et repris par la France6. Pour justifier une intervention des puissances catholiques en sa faveur, la papauté mettait en avant deux arguments principaux. D’une part, les événements italiens de 1859-1861 sapaient le principe de légitimité et menaçaient ainsi non seulement chacune des monarchies européennes mais plus largement l’ordre social dans son ensemble7. D’autre part, les diplomates pontificaux ne manquèrent pas de présenter les événements italiens comme une atteinte au droit des gens. En France, cette idée fut notamment défendue par Albert de Broglie dans un important article paru en janvier 1863 dans Le Correspondant sous le titre « La diplomatie du suffrage universel8 ». Broglie y analysait les événements des années 1859-1861 comme le moment de l’émergence, au détriment de l’ancien droit des gens, d’un nouveau droit, celui du suffrage universel, en vertu duquel les frontières des États ainsi que leurs gouvernements pouvaient désormais se trouver bouleversés par un simple vote des populations. Il mettait en garde contre le danger que représentait une telle conception du droit international, qui risquait de conduire à une révision profonde des frontières européennes susceptible de mettre en péril l’équilibre des puissances, et donc la paix. Il signalait également que les principes au nom desquels les puissances avaient laissé faire l’unité italienne pourraient conduire à une unité allemande dont la France aurait à pâtir.
8Mettant en avant la légitimité de ses droits, la diplomatie vaticane s’attacha officiellement durant toutes les années 1860 à obtenir le rétablissement intégral des États de l’Église, en revendiquant l’application des clauses du traité de Zurich. À ceux de ses interlocuteurs qui lui conseillaient de sacrifier à l’Italie une partie de ses provinces en échange de la garantie des puissances sur le reste9, le pape répondit invariablement par un non possumus. Pour justifier cette position intransigeante, il s’appuyait non seulement sur la légitimité de ses droits sur ses États mais aussi sur le serment que prêtait chaque nouveau pontife au moment de son élection, par lequel il s’engageait à ne céder aucune partie du pouvoir temporel10. Le pape signalait par ailleurs qu’il ne pouvait rien céder du pouvoir temporel puisqu’il n’en était que le simple dépositaire, celui-ci appartenant à l’ensemble des catholiques11.
9La diplomatie pontificale refusa ainsi tout acte qui pouvait être interprété comme une renonciation, même implicite, à ses droits sur les provinces perdues et chercha de même – en vain – à empêcher les puissances de reconnaître la situation nouvelle de l’Italie. L’inamovible secrétaire d’État Antonelli fut le maître d’œuvre de cette politique. Selon lui, il était capital que le Saint-Siège se refusât à toute reconnaissance de ses pertes territoriales car les principes qui les avaient permises pourraient légitimer dans le futur la spoliation de ce qui restait du pouvoir temporel. Pour Antonelli, la force d’un petit État comme l’était l’État pontifical était avant tout morale et résidait dans le droit. Il importait par conséquent de maintenir intacts les droits du Saint-Siège sur les territoires perdus en attendant que des événements vinssent bouleverser la situation de la péninsule et permettre la réintégration de ceux-ci. Pendant longtemps, Rome eut en effet l’espoir que le royaume d’Italie n’aurait qu’une existence éphémère et qu’il finirait par s’effondrer, notamment si une guerre européenne venait à éclater. Une telle pensée ne s’évanouit que tardivement. Après avoir initialement suscité bien des espoirs12, la guerre de 1866 causa certes un important découragement au sein de la Curie – bien connu est le mot attribué à Antonelli : « Le monde s’effondre » (« casca il mondo ») –, mais, à peine un an plus tard, l’intervention française de 1867 laissa à nouveau le secrétaire d’État espérer qu’une solution favorable au Saint-Siège serait apportée à la question romaine. Encore en 1870, certains Romains paraissent avoir espéré qu’une victoire de la Prusse serait bénéfique au pouvoir temporel13.
10Si la diplomatie pontificale réaffirma ainsi constamment la nécessité de rendre à la papauté l’ensemble des provinces qu’elle avait perdues, dans les faits, cependant, sa préoccupation première fut de préserver ce qui restait du pouvoir temporel. Elle se trouvait pour ce faire contrainte de chercher l’appui des puissances, dans un système international qui lui était tout sauf favorable.
11La diplomatie pontificale analysait le champ des relations internationales selon une double grille de lecture, à la fois religieuse et politique. Antonelli – tout comme, du reste, les nonces à Paris successifs – faisait tout d’abord le départ entre les puissances catholiques, considérées comme étant par nature celles auprès desquelles le Saint-Siège devait chercher un appui, et les puissances « schismatiques et protestantes14 », qui lui étaient en théorie hostiles par essence. Mais le secrétaire d’État tendit par moments à distinguer, notamment dans les moments de tension avec la France, les puissances conservatrices, susceptibles de défendre la cause pontificale parce que celle-ci représentait l’ordre menacé par la révolution, des puissances libérales. Selon un tel schéma, la papauté pouvait espérer compter sur le soutien de l’Autriche, mais aussi de la Russie et de la Prusse, tandis que l’Angleterre et la France lui étaient peu favorables.
12La stratégie d’appui sur les puissances catholiques avait déjà été suivie en 1849 par la papauté, lorsque les représentants de l’Autriche, de la France, de l’Espagne et de la Bavière s’étaient réunis à Gaëte pour convenir des moyens de restaurer le pouvoir temporel. Elle le fut encore durant les décennies 1850 et 1860, et le Saint-Siège manifesta à plusieurs reprises son refus de voir des puissances non catholiques se trouver associées à des discussions concernant la question romaine15. Cette stratégie était cependant gênée par plusieurs facteurs. Si la diplomatie pontificale ne manqua pas de chercher leur soutien tout au long de la décennie 1860, les puissances secondaires comme l’Espagne ou la Bavière ne pouvaient constituer dans le jeu diplomatique que des forces d’appoint, certes utiles, mais insuffisantes. Bien plus influentes étaient la France et l’Autriche, mais des rivalités séparaient ces deux puissances. Le Saint-Siège aurait préféré s’appuyer sur l’Autriche, dont la politique extérieure conservatrice suivait davantage ses vues16, mais celle-ci avait été considérablement affaiblie en 1859 et serait définitivement écartée du jeu italien par sa défaite de 1866. Seule la France, que sa victoire en 1859 avait rendue incontournable dans la péninsule, était ainsi en mesure d’exercer une influence réelle et de peser sur la politique extérieure du gouvernement italien – même si une telle influence tendait parfois à être surestimée tant par la papauté que par les catholiques français, qui s’illusionnaient lorsqu’ils pensaient que rien ne pouvait se faire dans la péninsule sans le consentement de Napoléon III17.
2. La diplomatie pontificale face à la France
13La France représentait pour le Saint-Siège un protecteur à la fois indispensable et indélicat. Si l’appui de Napoléon III pouvait paraître nécessaire tant au maintien de la stabilité intérieure de l’État pontifical face au risque de révoltes que, à partir de 1861, à la protection de son territoire face aux ambitions italiennes, il était cependant payé par l’ingérence permanente de la diplomatie française dans les affaires romaines18. Cette dernière s’était manifestée dès le 18 août 1849 à travers la lettre de Louis-Napoléon Bonaparte au lieutenant-colonel Ney, qui avait mis en avant un programme de réformes libérales à appliquer dans l’État pontifical restauré. Elle s’était par la suite poursuivie, puis accentuée à partir de 1856, poussant le nonce Sacconi à conseiller à Antonelli à la fin de l’année 1858 de demander un départ ou tout au moins une diminution des effectifs du corps d’occupation français19.
14Si le gouvernement pontifical finit par demander l’évacuation de son territoire par les troupes françaises et autrichiennes, les événements de 1859 l’empêchèrent et, par la suite, la défaite de Castelfidardo rendit au contraire la présence du corps d’occupation français plus nécessaire que jamais pour le Saint-Siège. Dans le nouveau système européen qui se mit en place entre 1859 et 1861, l’État pontifical, réduit au seul Patrimoine de Pierre, ne pouvait survivre aux ambitions du nouveau royaume d’Italie que grâce au soutien des puissances : l’Autriche ayant été considérablement affaiblie par sa défaite, il devint clair aux yeux de la diplomatie romaine – et notamment du cardinal secrétaire d’État Antonelli, dont ce fut la politique jusqu’en 1870 – qu’il était nécessaire de s’assurer la protection de la France pour permettre la survie de ce qui restait du pouvoir temporel de la papauté. Après avoir cherché à obtenir le retrait des troupes françaises, la diplomatie pontificale aurait désormais pour objectif d’obtenir leur maintien dans la Ville éternelle, pour des raisons moins militaires que diplomatiques : le corps français représentait aux yeux de Rome comme de Turin, dont la diplomatie s’ingénia entre 1861 et 1864 à obtenir son départ, la volonté de la France de ne pas laisser l’Italie s’emparer de la Ville éternelle.
15Ainsi, si Antonelli ne nourrissait aucune illusion au sujet des idées italiennes de Napoléon III, il était cependant bien trop fin politique pour ne pas comprendre que son soutien était indispensable au Saint-Siège. L’empereur n’entendait certes pas aider à la réintégration des provinces perdues par la papauté en 1859-1860, mais il ne paraissait pas non plus disposé – du moins à court terme – à laisser l’Italie s’emparer de Rome. La diplomatie vaticane s’attacha dès lors à s’assurer la protection de la France tout en cédant le moins possible aux revendications que celle-ci pourrait faire en échange de son soutien. À plusieurs reprises, le Saint-Siège chercha ainsi à obtenir du gouvernement impérial ou de ses représentants une déclaration officielle qui engagerait sa conduite future à l’égard du pouvoir temporel, mais les diplomates français se refusèrent toujours à des déclarations qui auraient limité les marges de manœuvre de leur pays face aux événements italiens – et qui auraient enlevé à la France un des moyens de pression dont elle disposait sur Rome20. Rome opposa par ailleurs un refus inébranlable à la plupart des demandes de réformes, au prétexte que celles-ci ne pourraient être accordées par Pie IX qu’une fois que la papauté aurait récupéré l’ensemble de ses provinces – ce qui risquait fort de les repousser aux calendes grecques. De la même manière, Antonelli rejeta plusieurs des offres par lesquelles la diplomatie française s’était proposée de servir d’intermédiaire entre Rome et Turin afin d’aplanir leurs différends, car cela aurait équivalu à une reconnaissance implicite du royaume d’Italie et des pertes territoriales de la papauté. Ce fut notamment le cas en 1862, lorsque le ministre des Affaires étrangères Thouvenel tenta vainement de favoriser un compromis entre la papauté et l’Italie21, puis après la convention de septembre 1864, qui avait prévu que l’Italie assumerait une partie de la dette pontificale proportionnelle aux territoires qu’elle avait pris au pape.
16Dans sa recherche de la protection française, le Saint-Siège se trouvait cependant gêné par les opinions personnelles de Napoléon III, à la fois sympathique à l’Italie et peu favorable au « gouvernement des prêtres », même si l’empereur ne parut jamais disposé à laisser disparaître le pouvoir temporel. Parmi les proches de l’empereur et ses ministres, on trouvait de nombreux partisans de l’Italie, dont les principaux étaient le prince Napoléon et les « italianissimes22 » Thouvenel, ministre des Affaires étrangères de janvier 1860 à octobre 186223, Benedetti, directeur des affaires politiques au Quai d’Orsay de 1855 à 1861 puis représentant du gouvernement impérial à Turin d’août 1861 à octobre 1862, La Valette, ambassadeur à Rome d’août 1861 à octobre 1862 puis ministre des Affaires étrangères de décembre 1868 à juillet 1869, et Rouher24.
17Face à eux, le nonce ne manqua pas de chercher des soutiens dans l’entourage de l’empereur. Walewski, ministre des Affaires étrangères de mai 1855 à janvier 1860, et Drouyn de Lhuys, qui occupa la même fonction entre octobre 1862 et août 1866, étaient connus pour leurs sentiments catholiques et leur bienveillance à l’égard de la papauté. Les représentants du Saint-Siège œuvrèrent par ailleurs auprès de l’impératrice Eugénie. De nombreuses rumeurs – qui contribueraient par la suite à forger sa légende noire – circulaient en effet alors autour de l’influence présumée de l’impératrice sur la politique de Napoléon III, faisant d’elle la principale figure d’un parti ultramontain gravitant autour de l’empereur25. Si de telles affirmations étaient largement exagérées – l’impératrice était une femme pieuse mais nullement fanatique26 et ses idées au sujet de la question romaine ne furent pas toujours éloignées de celles de son époux27 –, la correspondance des nonces avec la secrétairerie d’État témoigne des multiples tentatives des représentants du Saint-Siège pour obtenir d’Eugénie qu’elle influençât la politique italienne de son mari dans un sens favorable à la papauté28. De telles tentatives ne furent cependant pas toujours bien accueillies29.
18Si elle servit de ligne directrice à la diplomatie romaine tout au long de la décennie 1860, la politique d’Antonelli de recherche de la protection de la France fut cependant loin d’obtenir l’adhésion de l’ensemble des milieux romains. Face à elle s’éleva en effet une position intransigeante, incarnée par Mgr de Mérode, camérier secret de Pie IX et pro-ministre des Armes d’avril 1860 à novembre 186530. Ce prélat mêlait l’antibonapartisme de son beau-frère Montalembert à l’intransigeance d’un Veuillot31 et c’était à ces deux courants qu’il puisait la solution qui selon lui pourrait seule sauvegarder le pouvoir temporel. Considérant qu’il était illusoire de fonder quelque espoir dans un soutien durable de Napoléon III, il pensait que la défense du pouvoir temporel devait reposer sur l’armée pontificale, qu’il s’appliqua à réorganiser en faisant notamment appel à des volontaires catholiques venus de l’étranger. Une telle politique revêtait deux inconvénients aux yeux d’Antonelli. Le premier résultait du fait que, parmi les volontaires, vinrent s’enrôler des aristocrates légitimistes qui plaçaient leur engagement sous le signe de l’opposition au régime impérial. À plusieurs reprises, l’ambassade de France eut ainsi à se plaindre auprès du secrétaire d’État de l’attitude de certains soldats du pape. Par ailleurs, Antonelli pouvait juger à la fois coûteux et illusoires les espoirs placés par Mérode en la petite armée pontificale. Alors même que l’entretien de celle-ci grevait des finances pontificales déjà fort affaiblies par la perte des provinces les plus riches de l’État romain, elle ne pourrait jamais rivaliser avec une armée italienne forte de plusieurs centaines de milliers de soldats32. Pendant cinq ans, le secrétaire d’État eut à subir la rivalité de Mérode, dont Pie IX ne choisit de se séparer qu’en 1865, alors que le retrait des troupes françaises de Rome rendait plus que jamais imprudente la stratégie belliqueuse du prélat belge33.
19Tout au long de la décennie 1860, au gré des événements, les relations entre Rome et Paris furent marquées par une alternance de phases d’amélioration et de détérioration. Jamais, cependant, même lorsque les tensions se firent les plus importantes, la rupture ne fut envisagée sérieusement par l’une des deux parties34. La France et le Saint-Siège avaient en effet chacun besoin l’un de l’autre et en étaient conscients. En témoignent des propos qu’Antonelli tint en 1862 à Odo Russell, et que le diplomate britannique rapporta à son ministre :
J’ai demandé à Son Éminence […] sur quoi il fondait sa conviction que l’occupation de Rome serait probablement permanente.
« Mon ami, dit le Cardinal, les raisons sont évidentes […]. Je ne cède à aucune illusion sur le sujet, l’Empereur ne tient pas Rome et ne protège pas le pape pour nos beaux yeux ou parce qu’il a les intérêts de la religion à cœur. Non, il tient Rome parce qu’il subirait une forte impopularité en France s’il abandonnait le Pape, ce qu’il peut aisément éviter en laissant les choses comme elles sont ; parce que Rome est un lieu stratégique d’une valeur incalculable dans l’éventualité d’une guerre européenne ; parce qu’il tient l’Autriche en échec aussi longtemps qu’il tient Rome ; parce qu’il n’a pas l’intention (et ne l’a jamais eue) d’autoriser l’Italie à s’unifier ; et parce qu’il compte faire gouverner une portion de la future Confédération italienne par un Membre de sa famille »35.
3. Le rôle de la nonciature de France
20Pour mettre en œuvre sa politique extérieure, Antonelli put s’appuyer sur le réseau diplomatique du Saint-Siège, en particulier sur les représentations implantées dans la plupart des pays européens qui abritaient une importante population catholique : Autriche, Bavière, Belgique, Espagne, France, Portugal, mais aussi Suisse et Pays-Bas36. Parmi les représentants du Saint-Siège à l’étranger, le nonce à Paris occupait une position centrale.
21En tant que représentant diplomatique du Saint-Siège, le nonce jouait tout d’abord un rôle de premier plan dans les relations entre les gouvernements romain et français. Ses entrevues régulières avec l’empereur, son épouse et les membres du gouvernement en faisaient un maillon essentiel du dispositif diplomatique de défense du pouvoir temporel. Sa tâche à ce titre était double. Sur le long terme, il devait s’assurer du maintien de bonnes relations entre le Saint-Siège et le gouvernement français afin d’éviter que la France n’abandonnât l’État romain – ce à quoi Antonelli s’attachait dans le même temps à Rome auprès de l’ambassadeur de France et, dans une moindre mesure, du chef du corps d’occupation français. Par ailleurs, en raison de sa présence à Paris, le nonce avait un rôle fondamental durant les moments de crise qui exigeaient une action rapide de la diplomatie pontificale. À l’automne 1867, l’action de Chigi auprès du gouvernement français fut ainsi sans doute déterminante pour accélérer l’intervention militaire française – elle fut d’ailleurs saluée par Antonelli37. Cependant, l’activité diplomatique du nonce n’était pas exclusivement dirigée vers le gouvernement français. La nonciature devait également agir auprès des représentants à Paris des autres États afin de les inciter à défendre la cause du pouvoir temporel auprès de leurs gouvernements respectifs et du gouvernement français. À ce titre, les relations avec les ambassadeurs autrichiens et espagnols furent importantes tout au long de la décennie 1860, notamment dans les moments où le soutien que la France apportait au pouvoir temporel paraissait moins ferme.
22Au-delà de ces tâches, le nonce avait également pour mission d’informer régulièrement Rome de la situation politique et religieuse de la France. À plusieurs reprises, il put rendre compte à Antonelli de l’activité que des exilés de l’État pontifical ou des représentants du Piémont puis de l’Italie déployaient auprès du gouvernement français contre les intérêts de la papauté, qu’il devait défendre face à leurs insinuations. Grâce à sa fréquentation des principales personnalités de la capitale, le nonce devait également être à même d’informer Rome des rumeurs circulant à Paris au sujet de la politique italienne de l’empereur, de manière à permettre à la diplomatie pontificale de ne jamais être prise au dépourvu.
23La tâche du nonce requérait qu’il agît en concertation étroite avec la secrétairerie d’État. À ce titre, la question de la circulation des dépêches et des télégrammes était fondamentale et posait deux problèmes particuliers : celui de leur bon acheminement et celui de leur confidentialité. Certaines dépêches étaient ainsi chiffrées, de manière à empêcher les gouvernements français ou italien d’en prendre connaissance. C’était notamment le cas de celles qui témoignaient du rôle de la nonciature dans la mobilisation des catholiques français. Pour faire parvenir à destination les documents les plus sensibles, la secrétairerie d’État et la nonciature pouvaient profiter du voyage à Paris ou à Rome d’un homme de confiance, qui remettrait en mains propres les plis dont on souhaitait conserver le secret. Un tel procédé n’était cependant pas sans risque, comme le montrent les poursuites dont fut l’objet en novembre 1861 un certain Lemarchand, qui avait été arrêté à Marseille en possession de deux paquets de dépêches adressées par la nonciature aux cardinaux Antonelli et Sacconi ainsi que de dix-sept lettres destinées à des zouaves pontificaux, et qui fut inculpé pour immixtion illicite dans le transport des lettres adressées aux zouaves38. Meglia regretta que la police ait violé à cette occasion le secret de sa correspondance et ait pu prendre connaissance des termes d’une lettre adressée par Mgr Dupanloup à Pie IX39.
24Put également parfois se poser le problème du bon acheminement des correspondances. À plusieurs reprises, durant les moments de crise, le gouvernement piémontais puis italien chercha en effet à faire obstacle aux communications entre la secrétairerie d’État et la nonciature de manière à empêcher à la diplomatie pontificale d’agir promptement. Le 15 septembre 1860, trois jours avant la bataille de Castelfidardo, alors que le Saint-Siège cherchait à obtenir de la France l’assurance qu’elle ne permettrait pas l’entrée des troupes italiennes dans l’État pontifical, Antonelli se plaignit ainsi à Sacconi du fait que deux récentes dépêches télégraphiques chiffrées ne lui étaient parvenues qu’après avoir subi une altération qui les rendait partiellement incompréhensibles. Face à ce problème, il fut décidé que le secrétaire d’État enverrait provisoirement ses télégrammes en empruntant le nom du ministre résidant des Pays-Bas à Rome et en les adressant à son collègue de Paris – le nonce fut invité à agir de même40.
25Le rôle de la nonciature de France ne se restreignait cependant pas à ces simples tâches, qui étaient somme toute celles qu’exerçaient classiquement tous les agents diplomatiques de l’époque. Grâce à ses contacts avec les milieux catholiques français, elle put en effet jouer un rôle fondamental d’intermédiaire entre le Saint-Siège et les hommes les plus impliqués dans la défense du pouvoir temporel.
II. La diplomatie pontificale et la mobilisation des catholiques
1. Une stratégie diplomatique d’appui sur les fidèles
26Si Antonelli rejetait la stratégie de Mérode visant à s’appuyer sur le soutien dont la cause pontificale jouissait auprès des catholiques européens pour constituer une armée de volontaires susceptible de défendre le pouvoir temporel, il était cependant loin de négliger l’atout que pouvait représenter pour la diplomatie romaine la mobilisation des fidèles41.
27Les événements de 1859-1861 témoignaient du fait qu’il était désormais illusoire de compter sur les gouvernements « catholiques » comme sur des soutiens naturels de la cause pontificale. En France, les catholiques intransigeants, dont beaucoup – mais pas tous – avaient cru trouver en Napoléon III un nouveau Charlemagne42, se trouvaient bien obligés de constater qu’il n’existait pas, dans l’Europe des années 1860, de véritables princes chrétiens dévoués filialement à la papauté tels qu’en recélait le Moyen Âge qu’ils s’étaient inventés43. Si les diplomates pontificaux ne manquèrent jamais de rappeler aux puissances catholiques – et notamment à la France, « fille aînée de l’Église » (« figlia primogenita della Chiesa ») – leurs devoirs à l’égard de la papauté, ils avaient cependant conscience que les intérêts de l’Église ne pesaient en réalité que bien peu dans les calculs des chancelleries européennes. La réticence des gouvernements à prendre la défense du pouvoir temporel conduisit ainsi la diplomatie pontificale à chercher à leur forcer la main en utilisant comme moyen de pression l’intérêt croissant que les catholiques portaient à la papauté.
28Une telle stratégie était favorisée par le fait que les pays d’Europe occidentale étaient alors marqués par la structuration d’opinions publiques qui pesaient de plus en plus fortement sur les politiques menées par leurs gouvernements. Dès les années 1820, l’intervention de la France et de l’Angleterre en faveur de la cause des Grecs avait témoigné de la capacité des sociétés civiles à influencer l’action des chancelleries44. En France, ce rôle de l’opinion publique était depuis allé croissant après l’instauration en 1848 du suffrage universel et la mise en place en 1851 d’un empire plébiscitaire dont le souverain tirait en théorie son autorité de sa capacité à incarner les aspirations du peuple45.
29La mobilisation des fidèles se situait par ailleurs dans la continuité d’entreprises antérieures par lesquelles la papauté avait pu chercher à utiliser certaines formes de dévotion dans le but de favoriser la politisation des masses catholiques dans un sens antilibéral. La décennie 1850 avait été fondamentale à cet égard. Avec la proclamation de l’Immaculée Conception en 1854, la papauté n’avait en effet pas seulement tranché une question de dogme débattue depuis plusieurs siècles ; elle avait plus largement enclenché un processus qui permettrait sur le long terme de réorienter vers des combats politiques et sociaux les énergies que recélait le mouvement catholique alors en cours de constitution46. En proclamant que Marie était née sans péché, Pie IX avait en effet réaffirmé par contraste l’importance de la tache que représentait le péché originel pour les hommes et la nécessité pour ceux-ci d’une grâce dont l’Église était la seule médiatrice sur Terre. Une telle affirmation contenait en elle-même la réfutation des principes de 89, puisqu’elle avait pour traduction politique l’impossibilité d’ériger une société sur des bases purement rationnelles en dehors de tout principe religieux, idée à laquelle le renouveau du culte marial devait donner une forme concrète, sensible, capable d’être réappropriée par les masses catholiques47.
30Avec la question romaine, la mobilisation des masses catholiques changeait désormais d’ampleur et se trouvait intégrée dans les plans de la diplomatie pontificale. Celle-ci avait certes déjà pu auparavant accorder une certaine importance à l’opinion publique, comme en témoigne l’attention réservée par la nonciature de Paris aux polémiques des journaux parisiens à propos du gouvernement pontifical à la fin des années 1850. Cependant, à partir de l’automne 1859, une telle préoccupation prit une dimension nouvelle. La nonciature se mit, dans une ampleur sans commune mesure avec ce qu’elle avait pu tenter jusque-là, à encourager la mobilisation des catholiques français, dans le but de contraindre le gouvernement impérial à modifier sa politique italienne.
31Une telle stratégie fut particulièrement suivie lors des moments où le pouvoir temporel de la papauté semblait menacé à cause de l’action – ou de la passivité – de la France. À l’automne 1859, alors qu’il apparaissait désormais clairement que la France n’userait pas de la force pour faire rentrer les Romagnes sous la domination du pape, la nonciature fut ainsi, comme on l’a montré, à l’origine de la campagne de publication de mandements épiscopaux et incita les journalistes parisiens à en redoubler l’écho. Lors de l’hiver 1860, après la publication de la brochure Le Pape et le Congrès, elle encouragea encore la mobilisation catholique, au point de mettre en péril ses rapports avec le gouvernement impérial. Enfin, à l’automne 1867, alors que les garibaldiens menaçaient Rome, elle s’adressa aussi bien aux évêques qu’aux journalistes et aux parlementaires afin d’obtenir dans un premier temps une intervention militaire française puis une déclaration du gouvernement en faveur du pouvoir temporel.
32En dehors de ces moments, la recherche du soutien de l’opinion publique française ne cessa jamais totalement et passa notamment par la mobilisation financière et militaire des fidèles. Après 1870 et la disparition du pouvoir temporel, une telle mobilisation changea de portée, parce qu’il apparaissait désormais clairement qu’aucun gouvernement ne pourrait prendre à court terme la défense des intérêts temporels de l’Église. Divers hommes d’Église et laïcs invitèrent par conséquent la papauté à accentuer la mobilisation des catholiques. Mgr Mermillod, évêque d’Hébron et auxiliaire de Lausanne et de Genève, écrivit ainsi à Antonelli dès le 12 octobre 1870 en ce sens48. La mobilisation catholique connut alors une structuration bien plus forte à l’échelle européenne, à travers la mise en place du comité de Genève, sorte d’internationale noire composée de laïcs qui, sous la tutelle de la papauté, devait organiser la mobilisation des fidèles en faveur du rétablissement de l’État pontifical49. La situation de la France en 1870-1871 plaçait cependant désormais ce pays au second plan d’un tel mouvement, alors qu’il en avait été jusque-là le cœur.
33Dans le déploiement de cette stratégie diplomatique d’appui sur les fidèles, la nonciature de France joua un rôle central tout au long de la décennie 1860, en raison des liens qu’elle avait tissés avec les catholiques français.
2. Le nonce en France : représentant diplomatique officiel, délégué apostolique officieux
34Sous l’Ancien Régime, les nonces du Saint-Siège en France possédaient une double mission, à la fois diplomatique et religieuse. Ambassadeurs du Saint-Siège, ils représentaient la papauté auprès du roi de France ; délégués apostoliques, ils la représentaient auprès de l’Église de France50. Les articles organiques du 18 germinal an X vinrent cependant limiter les pouvoirs des représentants du Saint-Siège en France en prescrivant qu’« aucune bulle, bref, rescrit, décret, mandat, provision, signature servant de provision, ni autres expéditions de la cour de Rome, même ne concernant que les particuliers, ne pourront être reçues, publiées, imprimées, ni autrement mises à exécution, sans l’autorisation du Gouvernement » (art. 1) et qu’« aucun individu se disant nonce, légat, vicaire ou commissaire apostolique, ou se prévalant de toute autre dénomination, ne pourra, sans la même autorisation, exercer sur le sol français ni ailleurs, aucune fonction relative aux affaires de l’Église gallicane » (art. 2).
35Dès Napoléon Bonaparte, le gouvernement français avait ainsi affiché sa méfiance à l’égard des représentants du Saint-Siège et de la tentation qui pouvait être la leur de quitter leur rôle diplomatique pour s’ingérer dans les affaires de l’Église de France. Si les lois organiques – dont le Saint-Siège ne reconnut jamais la validité – furent appliquées avec une sévérité variable tout au long du XIXe siècle, elles ne furent abandonnées par aucun gouvernement. Comme le résume Philippe Boutry, « le nonce de Paris demeure au XIXe siècle, de la part de l’État, un homme sous surveillance51 ».
36Une telle situation explique assez largement que, soucieux de ne pas être responsables d’une dégradation des relations entre Rome et Paris, les différents nonces qui s’étaient succédé au cours de la première partie du XIXe siècle s’étaient gardés d’intervenir dans les affaires politiques de la France. Au cours de la décennie 1840, le nonce Fornari avait ainsi conservé une attitude de prudente réserve face à la mobilisation des catholiques français en faveur de la liberté d’enseignement52. À la même époque cependant, la nonciature avait commencé à prendre l’habitude d’encourager ceux des catholiques qui prônaient une plus forte soumission de l’Église de France à la papauté. On la vit ainsi à partir de la fin des années 1840 et, surtout, dans les années 1850, soutenir les courants du catholicisme français qui agissaient en faveur du resserrement des liens avec Rome et de la destruction de tout ce qui pouvait s’apparenter à des vestiges du gallicanisme53. Au moment où éclatait la question romaine, l’ingérence de la nonciature de France dans les débats suscités par la situation de l’Église en France n’était ainsi pas un phénomène à proprement parler nouveau, mais elle était jusque-là restée cantonnée aux affaires purement religieuses et n’avait pas concerné les luttes politiques. Comme question mixte, à la fois politique et religieuse, la question romaine conduisit à réduire à néant cette frontière.
37Les trois représentants successifs que le Saint-Siège eut à Paris en 1856 et 1871 œuvrèrent ainsi tous afin que la diplomatie pontificale pût trouver à la fois un relais et un soutien dans la mobilisation des catholiques français. Il importe cependant de distinguer leur action. Si tous étaient des hommes d’Antonelli, dont ils devaient suivre la politique, l’étude de leurs correspondances avec le secrétaire d’État laisse voir des conceptions différentes de leur mission. À ce titre, Carlo Sacconi, nonce de 1853 à 1861, fut sans doute celui qui manifesta la plus grande autonomie à l’égard du secrétaire d’État, en ne se contentant pas d’appliquer les consignes de celui-ci mais en se permettant, parfois de manière précise, d’exposer la façon dont la papauté devait selon lui procéder afin de peser sur la politique de Napoléon III. Ainsi, le 17 juin 1859, après l’insurrection des Romagnes, il écrivait à Antonelli que la situation du Saint-Siège ne se serait pas trouvée aussi dégradée si l’on avait usé de la fermeté dont il avait, depuis les premières complications, conseillé l’usage. Signalant que les catholiques français attendaient que le Saint-Père s’exprimât, il conseillait la publication d’une encyclique :
Il s’agirait d’une encyclique aux évêques du monde catholique, dans laquelle le Saint-Père leur exposerait les calamités nouvelles, inattendues, et imméritées qui le menacent, et qui tendent à compromettre la liberté et l’indépendance du Chef de l’Église, et qui demanderait des prières publiques. Un tel acte, conçu d’une façon et dans des termes tels que sa publication ne pourrait être empêchée, mais qui dans le même temps toucherait les fidèles, et ferait entrevoir la fermeté avec laquelle le Saint-Père saura faire ce que ses devoirs et les circonstances lui imposeront, susciterait sans doute chez les fidèles des sentiments et des sympathies tels qu’ils imposeront de sérieuses réflexions à ce Gouvernement en ce qui concerne la résolution définitive à prendre. Des conversations que j’ai déjà eues avec divers évêques, je dois déduire que, parmi eux, très nombreux sont ceux qui n’oseraient pas, sans une telle excitation, prendre dans cet empire l’initiative d’ordonner des prières dans le but que je viens de signaler. Il conviendrait à mon avis que cet acte, ou tout autre acte que le Saint-Siège jugerait bon de faire, ne tardât pas à être rendu public54.
38Jusqu’à son départ de Paris, Sacconi ne cessa ainsi d’exprimer à Antonelli ses sentiments sur la conduite qu’il convenait que le Saint-Siège adoptât face à la France, notamment en n’hésitant pas à user du magistère spirituel de la papauté pour contraindre Napoléon III à amender sa politique italienne. Ainsi, le 1er septembre 1860, face à la menace d’une entrée des troupes piémontaises sur le territoire pontifical :
Je pense qu’après ce qui s’est fait pour pourvoir à la défense matérielle la meilleure attitude à adopter serait que le Saint-Père écrive immédiatement une lettre à tous les princes catholiques ainsi qu’une nouvelle encyclique aux évêques. Dans la première […], il me semblerait que le Saint-Père aurait droit de demander que les princes catholiques s’entendent afin de prêter un appui valide à la conservation des États de l’Église, ou tout au moins pour empêcher que le prétendu principe de non-intervention ne devienne un bouclier pour la révolution, et puisse être librement et impunément violé au détriment du Saint-Siège par une tourbe cosmopolite de révolutionnaires favorisés par quelque Gouvernement ambitieux et intéressé. […]
L’Encyclique, ensuite, pourrait servir à dire ces choses qui, dans les circonstances actuelles, peuvent faire la plus grande impression, et plus particulièrement à exprimer à l’épiscopat, en le chargeant de la communiquer aux fidèles, l’émotion forte et les sentiments de vive gratitude éprouvés par le Saint-Père pour les manifestations simultanées d’intérêt et de dévotion envers lui et le Saint-Siège faites par les évêques, par le clergé inférieur et par les fidèles, à la fois par l’empressement déployé par les uns pour accourir spontanément à la défense des États de l’Église, et par les importants dons volontaires des autres et leurs souscriptions à l’emprunt, contractées en des temps particulièrement difficiles et à des conditions bien loin de correspondre à l’esprit de spéculation du jour ; à instruire les catholiques du fait qu’ont été prises toutes les mesures aptes à assurer la défense interne des États de l’Église […]. Comme il faut tenir compte d’un parti libéral modéré et de bonne foi, il serait peut-être utile de trouver un moyen de faire sentir dans l’encyclique que les fauteurs du désordre paralysent les déterminations, déjà prises depuis quelque temps par le Saint-Père, de faire et d’accorder des choses qui seraient utiles aux bons sujets et profitables à l’administration55.
39La précision de tels avis témoignait bien du fait que Sacconi, loin de se considérer comme le simple instrument d’Antonelli à Paris, envisageait également son rôle comme celui d’un conseiller, en raison de sa connaissance du gouvernement français et des milieux catholiques, ecclésiastiques et laïcs. Le nonce fut ainsi, dès l’origine, un défenseur zélé de l’idée selon laquelle le Saint-Siège devait susciter et orienter une mobilisation des catholiques afin de peser sur les gouvernements. Sur cette question, il se montrait d’ailleurs moins prudent qu’Antonelli, en exprimant au début de l’année 1860 l’avis qu’il vaudrait mieux pour le Saint-Siège sacrifier ses bons rapports avec le gouvernement français que perdre l’opinion catholique du pays56.
40Le départ de Sacconi de Paris en octobre 1860, rendu inévitable par ses mauvaises relations avec le gouvernement, laissa de facto pendant un an la nonciature entre les mains de son auditeur, Pier Francesco Meglia. Un an plus tard, en janvier 1862, un nouveau nonce, appartenant à une illustre famille romaine, Flavio Chigi, arrivait à Paris. Il y resterait pendant treize ans et six mois, jusqu’en 1874. La durée même de sa nonciature – la plus longue pour un nonce à Paris au cours du XIXe siècle – paraît témoigner du fait qu’Antonelli fut satisfait de la façon dont il s’acquitta de sa mission.
41Sans rompre à proprement parler avec la pratique de Sacconi, Meglia et Chigi paraissent avoir renoncé à peser aussi fortement que leur prédécesseur sur la mobilisation des catholiques. L’échec de l’action de Sacconi avait en effet montré que cette mobilisation ne suffirait pas seule à sauver le pouvoir temporel et qu’un engagement trop visible de la nonciature risquait au contraire, en accroissant la méfiance du gouvernement impérial à l’égard de la papauté, de fragiliser encore un peu plus la position du Saint-Siège. Les deux hommes furent cependant loin de se désintéresser totalement de la mobilisation des catholiques, qu’ils continuèrent d’influencer avec prudence.
3. La nonciature de France et la mobilisation des catholiques en France
42L’action de la nonciature en faveur de la mobilisation des catholiques en France s’exerça principalement en direction de trois groupes : les évêques, les journalistes et publicistes et les parlementaires.
43Dès la fin des années 1850, la nonciature avait pris l’habitude de communiquer aux journalistes catholiques des informations ou argumentaires susceptibles de leur permettre de défendre l’État pontifical face aux critiques. Cette situation perdura au moment de la guerre d’Italie, à l’occasion de laquelle Sacconi agit par ailleurs à la fois auprès des parlementaires catholiques et des évêques. De telles initiatives restaient cependant à cette époque encore ponctuelles. Convaincu depuis plusieurs années que Napoléon III était freiné dans ses projets italiens par la crainte de s’aliéner l’opinion catholique, Sacconi leur donna pour la première fois une ampleur inédite à l’automne 1859, en suscitant la vaste campagne de publications de mandements épiscopaux sur la situation des Romagnes. Pour la première fois, la nonciature se plaçait – sans que la chose fût affirmée ouvertement, de manière à ne pas donner prise aux critiques du gouvernement français – à la tête d’une mobilisation de dimension nationale dont, en l’absence de concert épiscopal, elle constituait le facteur unifiant. Cette action se perpétua par la suite au gré des événements.
44À en juger par la correspondance entre la secrétairerie d’État et la nonciature de France tout au long de la décennie 1860, Antonelli paraît avoir accordé un grand intérêt à cette action. Il invita ainsi régulièrement la nonciature, à la veille de chaque discussion de l’adresse, à se concerter avec les députés les plus dévoués à la cause du Saint-Siège afin qu’ils prissent la parole en faveur de la papauté. Abonnée à plusieurs des principaux journaux français57 et par ailleurs très régulièrement informée par la nonciature des polémiques qui concernaient en France le pouvoir temporel, la secrétairerie d’État ne manqua par ailleurs pas d’inviter à maintes reprises le nonce à faire publier dans des journaux favorables tel ou tel document susceptible de contrer les arguments des adversaires de la papauté.
45L’immixtion du nonce dans la mobilisation des catholiques français contre la politique italienne de Napoléon III était ainsi en partie le résultat de la volonté de Rome de diriger celle-ci afin d’en faire un point d’appui pour sa diplomatie. Mais, loin d’avoir été simplement imposée par le Saint-Siège, elle était également la conséquence des sollicitations multiples de nombre de catholiques, qui interrogeaient spontanément la nonciature sur la conduite à tenir à propos de la question romaine. Dès janvier 1860, alors que la brochure Le Pape et le Congrès suscitait un début d’agitation, Sacconi pouvait ainsi écrire à Antonelli : « Très nombreux sont ceux qui s’adressent à moi non seulement pour m’exprimer leurs sympathies, mais pour me demander des indications et des conseils sur ce qu’il convient de faire58. »
46Parmi ces hommes qui demandaient des conseils et des directives au nonce, se trouvaient aussi bien des laïcs que des ecclésiastiques. Pour certains, la concertation avec la nonciature n’était alors pas une chose nouvelle. La rédaction de L’Univers avait ainsi, dès la décennie 1850, pris l’habitude de demander des conseils aux nonces lors des multiples polémiques qui l’avaient opposée à ses adversaires catholiques libéraux. De même, les liens entre l’épiscopat – et notamment sa frange intransigeante – et la nonciature étaient anciens. À l’inverse, il semble que le rapprochement entre les parlementaires catholiques et la nonciature ait alors été quelque chose de relativement neuf.
47Dans l’esprit d’Antonelli comme dans celui des représentants successifs du Saint-Siège à Paris, évêques, journalistes et parlementaires devaient servir de relais principaux à la diplomatie pontificale en France. À travers ces trois groupes, le Saint-Siège pouvait espérer voir sa cause être défendue avec une certaine efficacité auprès du gouvernement français. Évêques et journalistes offraient à la cause du pape une résonance plus large. Ils étaient les véritables intermédiaires à partir desquels l’articulation entre diplomatie et mobilisation des masses devenait possible, puisqu’ils pouvaient s’adresser, directement ou indirectement, via le bas clergé, à des populations que ni Rome ni la nonciature n’étaient en mesure d’atteindre directement.
48À en juger par les archives, les rapports entre la nonciature et le bas clergé étaient de fait ténus et ce fut l’épiscopat qui servit de principal interlocuteur des nonces dans le clergé français. En quelques occasions, la nonciature fut cependant sollicitée par des clercs qui se trouvaient en conflit avec leurs évêques – en 1860, l’abbé Lemeur, prêtre du diocèse de Saint-Brieuc, écrivit ainsi à Chigi pour lui demander conseil sur l’attitude à adopter dans le cas où son ordinaire lui demanderait de renoncer à la brochure qu’il venait de publier en faveur des droits de la papauté59. Sacconi paraît par ailleurs avoir joué un rôle de premier plan dans la rédaction d’un discours adressé par le clergé du diocèse de Paris à son archevêque pour la nouvelle année, discours où fut exprimée la sympathie des prêtres pour la cause de Pie IX60 – il n’est pas impossible que le nonce, ce faisant, ait cherché à peser sur la conduite d’un archevêque, Mgr Morlot, qui n’avait jusque-là montré que fort peu d’empressement à défendre la cause du pouvoir temporel. Un tel épisode restait cependant exceptionnel et ne fut sans doute possible que parce qu’il s’agissait du clergé parisien, dont le nonce pouvait à l’occasion côtoyer certains des membres. Dans les deux cas cités, il apparaît en tout cas que l’établissement de rapports directs entre la nonciature et le bas clergé était réalisé dans des diocèses dont l’évêque, proche du gouvernement61, s’était peu impliqué dans la défense de la papauté. L’échelon épiscopal de la hiérarchie catholique se trouvait ainsi comme court-circuité par l’établissement de relations directes entre la nonciature et le bas clergé.
49Ces liens directs entre la nonciature et le bas clergé restèrent somme toute fort rares, sans commune mesure avec les relations qui s’établirent avec les évêques, les journalistes et les parlementaires. Cependant, même sur ces dernières catégories, l’influence des nonces n’était pas sans limites.
4. Les limites de l’action de la nonciature
50L’influence du nonce connaissait des limites dues à la fois à la surveillance exercée par les autorités françaises à son encontre et aux réticences d’un certain nombre de catholiques français à appliquer l’ensemble des directives romaines.
51Dès octobre 1859, alors que la nonciature avait encouragé en sous-main les publications épiscopales au sujet des Romagnes, Sacconi se vit ainsi reprocher par le ministre des Cultes son action en direction de l’épiscopat et du journalisme religieux62. Une telle plainte resta cependant un simple avertissement sans frais. Ce fut la publication de l’encyclique Nullis certe, par laquelle Pie IX avait appelé clercs et fidèles à prendre la défense de l’Église, qui provoqua une nette détérioration des relations entre Rome et Paris. Craignant que la publication d’un tel document ne fût interdite, Sacconi s’était en effet abstenu, contrairement aux usages – et aux prescriptions des articles organiques –, de communiquer le texte de l’encyclique au gouvernement avant de le transmettre aux évêques et aux journaux. Un tel procédé avait encore accru le ressentiment que le contenu même de l’encyclique avait suscité au sein du gouvernement français. Rendant compte d’un entretien qu’il avait eu à ce propos avec Thouvenel, Sacconi écrivait ainsi à Antonelli :
Il s’est plaint du Saint-Père, de Votre Éminence Révérendissime, et peut-être encore plus amèrement de moi, m’accusant de vouloir dominer et régir les évêques pour qu’ils s’affranchissent de la légitime influence du Gouvernement, et d’œuvrer dans le but de faire prévaloir des principes peu conformes aux intérêts nationaux, alors que je devrais circonscrire mon action à l’intérieur de la sphère diplomatique63.
52De fait, le gouvernement français paraît avoir à cette époque accentué sa surveillance autour des activités de la nonciature. En témoigne en particulier la mésaventure qui arriva à Louis Veuillot au retour du voyage romain qu’il avait entrepris après la suppression de L’Univers64. Lorsqu’il quitta la Ville éternelle, le journaliste emporta avec lui un certain nombre de plis destinés au nonce. Or, à peine de retour à Paris, il reçut la visite de trois policiers qui confisquèrent l’ensemble des papiers qu’il transportait. Il apprit un peu plus tard qu’il avait été surveillé dans la cité pontificale par un agent du gouvernement impérial puis suivi tout au long de son voyage de retour. Si les plis destinés au nonce furent rapidement rendus à Sacconi, ils avaient entretemps été examinés par les autorités, qui craignaient apparemment qu’il s’y trouvât des documents destinés à favoriser l’agitation religieuse dans l’Empire65.
53Au cours des mois qui suivirent, les relations entre la nonciature et le gouvernement impérial ne connurent pas d’améliorations. Au lendemain de Castelfidardo, Thouvenel eut à nouveau à se plaindre de n’avoir eu qu’après les évêques et les journaux le texte de l’allocution consistoriale par laquelle Pie IX avait condamné la violation de ses États et il laissa entendre que la conduite du nonce risquait de donner lieu à la « plus affreuse persécution66 ». De telles menaces ne paraissent pas avoir été sans influence puisque, quelques semaines plus tard, sans qu’un lien de cause à effet ne puisse cependant être établi avec certitude, Antonelli invitait Sacconi à rentrer à Rome, d’où il ne reviendrait jamais, et la nonciature fut dès lors plus prudente. Encore en 1865, cependant, le gouvernement eut à se plaindre de l’action de Chigi à l’égard de l’épiscopat. Pour féliciter Mgr Dupanloup et Mgr Pie des écrits par lesquels ils avaient défendu l’encyclique Quanta Cura et le Syllabus des attaques dont ces documents avaient été l’objet, le nonce avait en effet adressé une lettre à chacun de ces prélats, lettres qui furent imprudemment publiées dans la presse67.
54L’action du nonce en faveur du pouvoir temporel n’était pas seulement gênée par la surveillance du gouvernement français. Elle rencontra également un certain nombre de résistances de la part des évêques français, parmi lesquels certains se montraient réticents à suivre les directives romaines. La ligne de partage ne passait du reste pas nécessairement entre les évêques les plus dévoués à Rome et les néogallicans gouvernementaux. En février 1860, Sacconi se plaignit ainsi de ce que l’archevêque de Reims, Mgr Gousset, qu’il avait déjà sollicité en vain le mois précédent pour qu’il lançât une adresse collective de l’épiscopat français au sujet de la question romaine68, s’était contenté, plutôt que de communiquer l’ensemble de l’encyclique Nullis certe à ses diocésains, de leur livrer seulement la dernière partie du document, qui appelait à des prières pour le pape. Sacconi précisait avoir fait prévenir l’archevêque qu’une telle attitude n’était pas conforme à ce que le pape avait réclamé dans l’encyclique et qu’il attendait donc que celle-ci fût publiée intégralement. Or Mgr Gousset, loin d’appartenir à la frange néo-gallicane de l’épiscopat, s’était au contraire depuis longtemps distingué par son action en faveur d’un resserrement des liens entre l’Église de France et Rome69, en étant à la fois, dans le domaine de la théologie morale, l’un des principaux acteurs de l’introduction en France du liguorisme au détriment du rigorisme gallican70 et en annonçant dès 1848 l’établissement de la liturgie romaine dans son diocèse71.
55Si la nonciature fut ainsi loin de contrôler l’ensemble de la mobilisation des catholiques en faveur du pouvoir temporel de la papauté, elle l’influença indéniablement et contribua à renforcer son caractère transnational. Cette mobilisation ne peut en effet être analysée comme la simple version française d’une multiplicité de mobilisations nationales en faveur du Saint-Siège sans liens les unes avec les autres, mais doit au contraire être considérée plus largement dans ses relations avec le centre romain et avec les autres mouvements européens, avec lesquels elle put avoir à se coordonner pour gagner en efficacité.
III. Une mobilisation transnationale au service du Saint-Siège
1. Un internationalisme catholique ?
56La mobilisation des catholiques français en faveur du pouvoir temporel possédait trois caractéristiques qui permettent de l’analyser comme une mobilisation transnationale : elle était fondée sur le sentiment de ses acteurs d’appartenir à une communauté dépassant les frontières des États-nations constitués ; elle visait un objectif extérieur au pays dans lequel elle se déroulait ; elle n’était pas organisée sur une base étroitement locale ou nationale mais donnait lieu à des coopérations avec des mouvements étrangers, avec lesquelles elle formait un ensemble cohérent susceptible d’être analysé en tant que système.
57Le processus qui conduisit les catholiques à se considérer comme les membres d’une communauté transnationale dont l’élément unificateur était la religion n’était pas à proprement parler original : protestantisme et judaïsme étaient également affectés par des mutations semblables au milieu du XIXe siècle72. Dans le cas du catholicisme, ce processus se fondait sur deux éléments principaux. Il était tout d’abord le résultat du mouvement vers Rome qui avait touché durant la première moitié du siècle l’ensemble des catholiques en Europe – et tout particulièrement en France73 – et en Amérique74. Il se situait par ailleurs dans la continuité de l’intérêt que les fidèles avaient manifesté pour les mouvements catholiques de certains pays européens (questions polonaise et irlandaise, Sonderbund suisse, etc.), intérêt qui avait cependant surtout concerné une élite sociale75. La question romaine porta à son paroxysme cette structuration d’une identité politique catholique, tout en l’élargissant à des catégories sociales nouvelles. Elle la renforça considérablement car elle touchait au cœur même de la catholicité ou, pour employer une expression loin d’être anodine de plus en plus fréquemment utilisée à cette époque, du « monde catholique ». Les argumentaires déployés dès 1859-1861 témoignaient ainsi d’une dénationalisation de la question italienne, la rendant à même de toucher l’ensemble des catholiques européens. La question romaine accentua par ailleurs la dimension antilibérale de cette identité politique catholique, alors que nombre de mobilisations catholiques avaient pu être jusque-là conduites dans une perspective libérale. Désormais, le raidissement intransigeant de la papauté ancrait sur le long terme les mobilisations transnationales catholiques dans une opposition aux progrès du libéralisme en Europe76.
58Transnationale, la mobilisation des catholiques français l’était également par ses modalités d’organisation, d’abord parce qu’elle participait d’une stratégie d’ensemble de la diplomatie pontificale, ensuite parce que des collaborations concrètes se nouèrent par-delà les frontières, tantôt à l’initiative du centre romain, tantôt à l’initiative des catholiques des différents pays. Les liens entre journalistes et publicistes européens ayant déjà été étudiés au cours du chapitre 4, il est inutile d’y revenir ici. Il faut par contre signaler les relations que les principales nonciatures entretinrent entre elles, notamment au sujet de la collecte du denier de Saint-Pierre77 et du placement des emprunts pontificaux78. Des relations directes, enfin, furent tissées entre le comité de Saint-Pierre parisien et d’autres associations du même type en Europe, qui témoignaient d’une volonté des laïcs militants de coordonner leur action à l’échelle de l’Europe du Nord-Ouest. Dès 1860, le comité était ainsi en relation avec les évêques d’Irlande et il prit en charge les frais de voyage de plusieurs centaines de volontaires irlandais qui se rendaient à Rome pour s’engager dans l’armée du pape79. Plusieurs années plus tard, le comité d’artillerie pontificale créé à Poitiers entretint quant à lui des contacts étroits avec divers notables catholiques belges, auquel il conféra parfois le titre de membre80, dans le but d’acheter en Belgique le matériel destiné à l’armée du pape. Le réseau de la mobilisation en faveur du pouvoir temporel ne saurait ainsi être décrit comme une simple étoile dont chaque extrémité ne serait reliée qu’au centre romain ; il prenait plutôt la forme d’un maillage à travers lequel des liens plus ou moins forts, dépendant de facteurs divers (proximité géographique, langue, etc.)81, unissaient les différents espaces de la mobilisation entre eux82.
59Ce caractère transnational de la mobilisation n’était cependant pas sans limites. La dimension locale ou nationale de l’engagement restait en effet bien souvent prépondérante, notamment parce que les formes concrètes qu’il prenait étaient conditionnées par des facteurs dépendant assez largement de ces échelles : langue, législation, réseaux de connaissances interpersonnelles des acteurs, etc. La mobilisation n’en témoignait pas moins de l’existence d’une véritable solidarité transnationale qui se faisait jour entre les catholiques temporalistes européens. Le fait n’est du reste guère surprenant si l’on considère que le milieu du XIXe siècle fut marqué par l’essor de nombreux phénomènes de solidarités transnationales fondées sur des idéologies politiques. Si un tel phénomène a depuis plusieurs décennies suscité un intérêt accru des chercheurs83, l’historiographie a cependant tendu jusqu’à présent à accorder un poids prépondérant aux mobilisations transnationales situées à la gauche du champ politique84. Les contemporains paraissent toutefois avoir été conscients de l’importance des formes de solidarité transnationale à droite. Le mythe ancien du complot jésuite puis, dans sa continuité, la dénonciation plus générale d’une « internationale noire85 » par la gauche anticléricale attestent ainsi la perception – souvent largement exagérée et fantasmée – des capacités d’organisation à une échelle supranationale d’un catholicisme à dimension politique. La mobilisation des catholiques en faveur du pouvoir temporel fut d’ailleurs interprétée dans cette continuité. À l’automne 1867, alors que les journaux catholiques avaient lancé une vaste souscription destinée à financer les efforts militaires que devait consentir la papauté pour répondre à la menace garibaldienne, le socialiste Auguste Vermorel annonçait ainsi dans Le Courrier français une collecte pour soutenir Garibaldi et notait : « Montrons enfin que nous, révolutionnaires, nous avons un sentiment aussi complet que nos adversaires, de la solidarité qui doit nous unir dans la lutte86. » On ne saurait mieux exprimer la conscience des contemporains du fait que, des mobilisations transnationales suscitées par le Risorgimento, ce fut bien – et de loin – celle de ses opposants et non celle de ses soutiens qui fut la plus forte dans la France de la décennie 1860.
60Peut-on à cet égard parler d’un « internationalisme » catholique ? Emprunté au vocabulaire socialiste, le concept suscite depuis quelques années un intérêt croissant de la part de l’historiographie et a été utilisé pour décrire la structuration à une échelle transnationale de plusieurs mouvements politiques aux XIXe et XXe siècles87. Le terme n’est cependant pas sans faire débat. La principale critique portée à son emploi renvoie à la question des modalités de coordination de ces mouvements88. Il a ainsi pu être souligné que ce qui caractérisait les différentes internationales socialistes était l’importance de leur structuration formelle verticale, centrée autour d’une organisation donnant consignes et directives aux différents mouvements nationaux s’y rattachant. Or un telle formalisation n’existe par exemple pas dans le cas de l’« internationale libérale » du XIXe siècle qu’un nombre croissant de travaux ont récemment cherché à mettre en évidence89. En ce qui concerne la mobilisation transnationale des catholiques en faveur du pouvoir temporel, il faut signaler qu’elle se situait à ce sujet dans un entre-deux. Avec la formation du comité de Genève, il exista bien une tentative de structuration formelle de la mobilisation à l’échelle européenne, mais celle-ci ne fut réalisée que tardivement, après le 20 septembre, et elle ne dura que quelques années : elle fut donc un échec qui ne saurait être comparé aux internationales socialistes. Le catholicisme politique se distinguait cependant du socialisme par le fait que, avec la papauté, il bénéficiait en réalité d’une institution préexistante susceptible d’encadrer la mobilisation à une échelle transnationale, même s’il ne s’agissait pas de sa fin première.
61Cette mobilisation transnationale des catholiques, partiellement spontanée, partiellement suscitée et encadrée par la papauté, ne fut pas simplement utilisée par celle-ci pour peser sur les chancelleries européennes. Elle fut également mise en avant pour donner une légitimité nouvelle au pouvoir temporel.
2. La mise en scène de l’unanimité des catholiques derrière la papauté
62Durant la décennie 1860, la papauté chercha à donner à voir l’unanimité des clercs et des fidèles derrière elle afin de renforcer la légitimité de sa cause. Les grandes cérémonies épiscopales de 1862 et de 1867, à l’occasion desquelles se rassemblèrent autour de Pie IX la plus grande partie de l’épiscopat – près de trois cents évêques en 1862 et plus de cinq cents en 1867 – ainsi qu’un très grand nombre de prêtres et de pèlerins, furent sans doute les manifestations les plus éclatantes d’une telle politique.
63Celle-ci fut cependant suivie avant même la naissance du royaume d’Italie, comme en témoigne la série de publications faites à partir de 1860 sous le titre La sovranità temporale dei romani pontefici propugnata nella sua integrità dal suffragio dell’orbe cattolico, éditées à Rome par les presses de la Civiltà cattolica90. Dans ces volumes se trouvaient réunis une grande partie des écrits épiscopaux, des brochures laïques et des adresses au pape émanés de l’ensemble du monde catholique, de manière à montrer le soutien unanime dont jouissait la cause du pouvoir temporel91. Le discours préliminaire qui en ouvrait le premier volume, vraisemblablement écrit par le jésuite Carlo Curci, donnait le sens de l’entreprise, dont il était précisé qu’elle était réalisée selon un dessein du pape lui-même92. Il permet de saisir la façon dont la papauté put s’appuyer sur la mobilisation transnationale des catholiques pour en faire une instance de légitimation de son pouvoir temporel.
64Le discours mettait tout d’abord en avant l’unanimité de l’épiscopat, personnification de l’Église enseignante, au sujet du pouvoir temporel. Il signalait ensuite que s’y ajoutait le « suffrage de la science », rendu manifeste par les œuvres et les brochures publiées par les écrivains. Si les prises de position des évêques devaient suffire aux catholiques, celles des écrivains étaient à même de convaincre ceux qui, catholiques ou non, désiraient considérer la question du pouvoir temporel dans ses seuls termes naturels et humains. L’auteur du discours ne manquait pas de signaler à ce titre – non sans exagération – que tous les plus grands écrivains, même non catholiques, avaient pris la défense du Saint-Siège93. Enfin, le discours précisait que, pour ceux qui considéraient qu’il valait mieux compter les voix que les peser, le suffrage des peuples en faveur du pouvoir temporel avait été largement manifesté par les très nombreuses adresses qui étaient parvenues à Pie IX depuis l’ensemble de l’Europe, par les dons au denier de Saint-Pierre ainsi que par les prières des fidèles pour la papauté. Le discours prenait à ce sujet soin de faire le départ entre un bon suffrage populaire, qui était celui qui était exprimé par l’universalité des fidèles éclairée par le magistère ecclésiastique, et qui était donc l’écho fidèle de l’Église enseignante, et un mauvais, par lequel les multitudes ignares et inexpertes (« ignare ed imperite ») s’imposaient aux détenteurs du savoir94. Et de continuer :
Puisque chaque fois que, dans une affaire touchant à la foi ou à la coutume, un sentiment très partagé se confirme et se reconnaît au sein de l’universalité des Fidèles, sentiment dont pendant peu de temps on ignore les origines, se manifestant de manière quasi spontanée et par instinct, sans qu’il ne soit contraire à aucun autre enseignement de l’Église, alors les sacrés Docteurs en prennent argument, ce sentiment doit venir de plus haut et ne relève pas de la simple nature […]. Ce sentiment, attesté par la parole pleine d’autorité de l’Épiscopat catholique, ne dut pas être, à ce qu’il nous paraît, le dernier fondement de cette Définition dogmatique par laquelle le Pontife qui règne aujourd’hui déclara, il y a désormais six ans, que l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge se trouvait dans le trésor de la Révélation. Ce ne fut pas le suffrage des Fidèles qui définit le dogme : celui-ci fut défini par l’Église dans la personne de son Chef visible ; mais cela n’empêche pas que, parmi les autres motifs qui furent pris en considération avant d’en venir à ce grand acte, on accorda un intérêt – et pas le moindre – au sentiment universel des Fidèles, lesquels depuis déjà longtemps professaient cette croyance. […]
Aujourd’hui […], quelque chose de semblable nous paraît être intervenu en ce qui concerne le sujet que nous traitons ; sur lequel est venu se prononcer un sentiment des Fidèles si universel, si spontané que, après celui de la Conception sans tache, on peut le dire désormais unique95.
65Une telle argumentation avait pour conséquence de faire participer plus directement le peuple chrétien à la définition de la vérité par l’Église. Elle conduisait à réaliser une intégration à l’Église du suffrage des masses, tout en l’insérant dans la conception verticale de l’autorité qui était celle de l’Église post-tridentine, au sein de laquelle la distinction entre Église enseignante et Église enseignée était fondamentale. Si la masse des fidèles ne pouvait être considérée comme une instance de décision, elle devenait un des groupes à partir desquels pouvait se manifester la vérité religieuse. Une telle conception de l’Église permettait de répondre, en retournant leurs propres armes contre eux, à ceux des adversaires du pouvoir temporel qui s’appuyaient sur les vœux des populations pour justifier les événements italiens. Le discours continuait ainsi :
Si le respect que l’on professe au suffrage de l’opinion publique et l’autorité que l’on attribue au vote populaire n’étaient pas une plaisanterie et une nouvelle trouvaille de vieilles tyrannies, le seul moyen dont disposeraient, dans le cas présent, les dépositaires du pouvoir humain de montrer ce respect et de faire valoir cette autorité serait de conserver dans son intégrité la Souveraineté temporelle des Pontifes romains96.
66Les évêques, les écrivains et les peuples ; la hiérarchie religieuse, la science, les masses : la publication de La sovranità temporale propugnata témoignait du fait que, loin de se réduire à une simple défense du pouvoir temporel au nom de la religion ou du principe de légitimité, le discours temporaliste pouvait prendre des formes diverses et notamment s’appuyer sur le poids grandissant des opinions publiques. Celles-ci étaient du reste ici visées dans leur double acception. C’étaient en effet à la fois l’opinion éclairée, celle des élites éduquées, formant ce que l’on appelait traditionnellement la sanior pars, et l’opinion du plus grand nombre, celle de la major pars, qui étaient montrées comme des soutiens de la cause pontificale. En embrassant des formes aussi différentes de légitimation, le discours temporaliste pouvait s’adresser formellement aussi bien aux catholiques qu’aux non-catholiques, aux tenants d’une vision censitaire ou capacitaire de la politique qu’à ceux qui en avaient une conception plus démocratique.
3. Une modernisation antimoderne
67En fondant une partie de sa stratégie diplomatique sur la mobilisation transnationale des fidèles, la papauté témoignait d’une indéniable capacité d’adaptation à cette société moderne dont elle condamnait inlassablement les principes. Face aux plébiscites qui avaient été organisés par le Piémont pour légitimer l’unification des territoires italiens autour de la dynastie des Savoie, la diplomatie pontificale ne se contenta ainsi pas de remettre en cause la validité d’un vote qui n’avait selon elle pas été réalisé sans contraintes97 ou de réaffirmer la supériorité du principe de légitimité sur le suffrage universel. Elle chercha également à montrer que la cause du pouvoir temporel bénéficiait, bien davantage que celle de l’Italie, du soutien des masses.
68À la suite du Saint-Siège, clercs et publicistes ne manquèrent ainsi pas de présenter la mobilisation transnationale des catholiques autour de la papauté comme une sorte de suffrage universel de la chrétienté en faveur du maintien du pouvoir temporel, suffrage qui, parce qu’il était celui de deux cents millions de fidèles, était nécessairement d’une valeur supérieure à celui des seuls Italiens qui voulaient faire de Rome leur capitale. Une telle argumentation permettait de dénationaliser la question romaine pour en faire un enjeu de portée bien plus vaste, que le suffrage des Italiens ne pouvait par conséquent trancher. Mais surtout, à travers elle, l’Église prenait acte du fait que, quel que fût l’attachement qu’elle conservait pour celui-ci, le principe de légitimité des souverains tendait désormais à devenir insuffisant pour assurer la stabilité d’un trône et qu’il était désormais nécessaire de montrer aux gouvernements et aux opinions publiques européennes que celui-ci disposait également du soutien des masses.
69L’intransigeance du Saint-Siège à l’égard de la question romaine s’avérait ainsi être un vecteur paradoxal de modernisation pour l’Église. Elle favorisa dans une ampleur jusque-là inédite une mobilisation d’un laïcat militant qui ne se limitait pas aux seuls notables déjà impliqués depuis plusieurs décennies dans les initiatives du catholicisme social. L’Église pouvait en effet se prévaloir de l’existence d’une véritable mobilisation de masse en sa faveur, dont témoignaient à la fois les adresses collectives envoyées de toute l’Europe à la papauté – plus de 5,5 millions de signatures entre 1859 et 1862 et plus de 5 millions en 1870-187198 –, les dons au denier de Saint-Pierre et les enrôlements de volontaires au sein de l’armée pontificale, sur lesquels nous reviendrons au cours des deux prochains chapitres.
Notes de bas de page
1 Meltz 2014 ; Meltz – Dasque 2014.
2 En 1849, à Gaëte, des représentants de l’Autriche, de la France, de l’Espagne et de Naples s’étaient réunis pour discuter d’une restauration du pape à Rome. Jolicœur 2008, p. 281.
3 Bourgeois – Clermont 1907, p. 10.
4 Pirri 1951a, p. 129-136.
5 L’allocution Novos et ante du 28 septembre 1860 dénonça le principe au lendemain de Castelfidardo et cette condamnation constitua la soixante-deuxième proposition du Syllabus.
6 Évidente dès l’automne 1859, alors que le pays ne paraissait pas disposée à intervenir en faveur de l’application des clauses des préliminaires de Villafranca concernant l’Italie centrale, une telle adhésion de la France au principe de non-intervention fut rendue officielle par la lettre que Napoléon III adressa à Persigny, alors ambassadeur à Londres, le 25 juillet 1860, dans le contexte de l’expédition des Mille.
7 Une telle argumentation fut largement reprise par les catholiques intransigeants, qui voyaient, dans la continuité de Joseph de Maistre, la papauté comme la clef de voûte de la société européenne.
8 Le Correspondant, janvier 1863. Cet article fut par la suite édité sous forme de brochure.
9 Une telle transaction fut notamment proposée par Napoléon III au pape dans sa lettre du 31 décembre 1859.
10 À partir de 1567, la bulle Admonet vos de Pie V avait imposé aux cardinaux réunis en conclave de s’engager à n’aliéner aucune partie du pouvoir temporel s’ils venaient à être élus papes. Pie IX fit notamment référence à ce serment dans ses lettres à Napoléon III du 8 janvier 1860 et à Victor-Emmanuel II du 2 avril de la même année. Martina 1985, p. 110.
11 L’idée fut exprimée par Pie IX dans sa lettre à Napoléon III du 8 janvier 1860.
12 Voir par exemple la dépêche du diplomate britannique Odo Russell du 10 juillet 1866, qui signalait qu’Antonelli avait espéré qu’une victoire de l’Autriche permettrait l’établissement d’une confédération en Italie selon les bases du traité de Zurich. Blakiston 1962, p. 330.
13 Voir à ce sujet la dépêche du chargé d’affaires autrichien à Rome Palomba à son ministre des Affaires étrangères, Friedrich Ferdinand von Beust, datée du 13 août 1870 et reproduite dans Jacini 1931, p. 315-316.
14 L’expression revient à plusieurs reprises dans la correspondance entre secrétaire d’État et nonce à Paris.
15 En mars 1859, alors qu’un congrès semblait devoir se réunir pour éviter une guerre en Italie, Sacconi manifesta ainsi son incompréhension devant l’idée de réunir, pour traiter notamment de la papauté, « un congrès composé d’une puissance schismatique, de deux protestantes systématiquement hostiles au Saint-Siège, et de seulement deux catholiques, actuellement en désaccord entre elles ». Sacconi à Antonelli, 22 mars 1859. Publié dans Gabriele 1962a, p. 55.
16 Jacini 1931, p. x.
17 Si le gouvernement français possédait indéniablement une influence réelle sur les affaires italiennes, il était loin d’en être le maître, d’autant plus qu’il dut régulièrement ménager le gouvernement italien afin d’éviter qu’une autre puissance – l’Angleterre au début des années 1860, la Prusse à la fin de la décennie – ne substituât son influence à la sienne dans la péninsule.
18 Capone 2019.
19 Sacconi à Antonelli, 27 juillet 1858. Publié dans Gabriele 1962a, p. 2.
20 On le sait, une telle déclaration ne serait en réalité obtenue qu’en 1867, non par la diplomatie pontificale mais par les parlementaires catholiques, lorsque Rouher prononça son fameux « jamais ». Jusque-là, la France avait inlassablement esquivé les demandes du Saint-Siège en ce sens.
21 Bruley 2012, p. 254.
22 Ibid., p. 249-252. Les « italianissimes » n’étaient pas favorables aux révolutionnaires italiens mais défendaient l’Italie libérale telle que Cavour l’avait fondée. En 1861, Benedetti regretta ainsi la proclamation de Rome capitale comme une « déplorable concession au parti révolutionnaire ». La crise entre l’Italie et la France provoquée par la circulaire Durando d’octobre 1862 causa une perte d’influence durable pour ces hommes : Thouvenel fut remplacé par son adversaire conservateur Drouyn de Lhuys et La Valette et Benedetti démissionnèrent de leurs fonctions.
23 Case 1976.
24 Jusqu’en 1867, Rouher fut l’un des principaux soutiens de l’Italie au sein du gouvernement et son influence fut constamment dénoncée par la nonciature. Ce ne fut qu’après Mentana que cette situation changea.
25 Après le départ de Thouvenel du ministère des Affaires étrangères, le nonce Chigi rapporta à Antonelli que l’ancien ministre lui avait présenté son départ comme un triomphe de l’impératrice et du parti clérical. AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 150, Chigi à Antonelli, 21 octobre 1862.
26 Sur l’influence de l’impératrice Eugénie sur la diplomatie impériale : Bruley 2013, p. 269-284.
27 Yves Bruley cite à ce sujet une lettre du 14 février 1860, qui témoigne du soutien qu’elle apportait alors à la politique de son époux : Bruley 2013, p. 274. Diverses lettres du nonce paraissent cependant attester le fait qu’il n’en fut pas toujours ainsi. En octobre 1860, Eugénie aurait interprété la mort de sa sœur, la duchesse d’Albe, comme le prélude d’un châtiment divin venant punir ce qui avait été fait contre le pape. AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 98, Meglia à Antonelli, 30 octobre 1860.
28 Voir par exemple la dépêche d’Antonelli à Sacconi du 24 juin 1859 (AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 97).
29 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 155, Chigi à Antonelli, 28 mai 1869. Chigi signalait avoir profité d’une discussion avec l’impératrice pour la prier d’user de son influence pour que le corps d’occupation français ne fût pas retiré de Rome et rapportait que celle-ci lui avait répondu qu’elle ne pouvait le faire parce qu’elle s’était fait un devoir de ne pas s’ingérer dans les affaires politiques.
30 Aubert 1956b.
31 Voir à ce sujet la très intéressante correspondance Montalembert-Mérode, publiée dans Montalembert 1970, p. 203-306.
32 Antonelli affirma ainsi à l’ambassadeur Gramont au lendemain de Castelfidardo : « La force des petits États est tout entière, pour ce qui regarde les agressions du dehors, dans les garanties du droit international, et leur armée ne peut avoir d’autre but ni d’autre effet que de maintenir l’ordre à l’intérieur ». Cité dans Aubert 1956b, p. 1113.
33 Aubert 1955.
34 À la fin du mois de décembre 1859, alors que Sacconi conseillait de faire condamner la brochure Le Pape et le Congrès par un bref pontifical qu’il faudrait transmettre aux évêques français avant même de le rendre public, Antonelli lui répondit qu’il avait été jugé préférable de se contenter de publier une critique de la brochure dans le Giornale di Roma, afin de ne pas envenimer la situation. Voir leur correspondance éditée dans : Gabriele 1962b, p. 327-331.
35 Odo Russell à John Russell, 7 mars 1862. Publié dans Blakiston 1962, p. 211 La fin de l’extrait cité faisait sans doute allusion aux rumeurs selon lesquelles le prince Murat pourrait se voir attribuer un État en Italie.
36 Si la guerre de Sonderbund mit fin à la présence d’un nonce à Lucerne jusqu’en 1920, le Saint-Siège y maintint un chargé d’affaires. La Haye abritait quant à elle un internonce. Marchi 1957.
37 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 154, Antonelli à Chigi, 3 novembre 1867.
38 Ibid., b. 99, directeur des affaires politiques à Meglia, 15 novembre 1861.
39 Ibid., b. 99, Meglia à Antonelli, 17 novembre 1861.
40 Ibid., b. 98, Antonelli à Sacconi, 15 septembre 1860.
41 Hérisson 2021d.
42 Ce mouvement avait culminé au moment de la guerre de Crimée, qui avait pu être assimilée à une croisade.
43 Voir par exemple, comme typique de cet imaginaire politico-historique : Veuillot 1859. Sur le mythe de la cristianitas médiévale, qui avait très largement émergé au début du siècle en réponse au processus de sécularisation, voir les travaux fondamentaux de Giovanni Miccoli et de Daniele Menozzi : Miccoli 1985 ; Menozzi 1986 ; id. 2000, p. 34-43.
44 Barau 2009 ; Mazurel 2013.
45 Sur le césarisme démocratique : Rosanvallon 2000, p. 201-218 ; Anceau 2008, p. 249-251 ; Glikman 2014.
46 Viaene 2002a, p. 140-141.
47 Menozzi 1997, p. 161. Sur les usages politiques du culte marial : Di Stefano – Ramón Solans 2016.
48 AAV, Segr. Stato, anno 1870, rubr. 165, fasc. 1 : « De l’aveu de plusieurs hommes très importants et de quelques diplomates nous ne pouvons espérer la revendication des droits du Saint-Siège que par une grande manifestation de l’opinion catholique du monde. »
49 Lamberts 2002c.
50 Blet 1974.
51 Poncet 2006, p. xiii.
52 Martin 1949, p. 315-327.
53 Gough 1996.
54 Sacconi à Antonelli, 17 juin 1859. Publié dans Gabriele 1962a, p. 137-138.
55 Gabriele 1962b, p. 579-580.
56 Voir par exemple sa dépêche du 12 février 1860, publiée ibid., p. 420.
57 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 99 contient une liste des journaux publiés en France auquel la nonciature payait en 1856 un abonnement pour qu’ils fussent livrés à la secrétairerie d’État. Il s’agit du Moniteur, de L’Univers, de La Patrie, du Siècle, de La Presse, du Journal des débats et de La Gazette de France. On aura noté la grande diversité de ces titres en matière d’opinions politiques et religieuses.
58 Sacconi à Antonelli, 5 janvier 1860. Publié dans Gabriele 1962b, p. 339.
59 Cf. chapitre 4, p. 198.
60 Sacconi à Antonelli, 5 janvier 1860. Publié dans Gabriele 1962b, p. 339.
61 Mgr Morlot était notamment le grand aumônier de Napoléon III.
62 Sacconi à Antonelli, 7 octobre 1859. Publié dans Gabriele 1962a, p. 248.
63 Sacconi à Antonelli, 3 février 1860. Publié ibid., p. 401-402.
64 Veuillot 1899-1913, III, p. 359‑375.
65 D’après Sacconi, qui en fut informé par un fonctionnaire important, les agents du gouvernement furent surpris de trouver les diplomates pontificaux plus modérés qu’ils ne l’avaient pensé. Sacconi à Antonelli, 8 avril 1860. Publié dans Gabriele 1962b, p. 493.
66 Ibid., p. 616.
67 AN, F19 1924.
68 Sacconi à Antonelli, 24 février 1860. Publié dans Gabriele 1962b, p. 376.
69 La place de Mgr Gousset dans le mouvement vers Rome est notamment mise en avant par Gough 1996.
70 Guerber 1973 ; Boutry 1986, p. 408-422 ; Gibson 1989.
71 Petit 2010, p. 120.
72 L’Alliance évangélique date de 1846, l’Alliance israélite universelle de 1860. Sur les internationales religieuses : Green – Viaene 2012.
73 Boutry 1991, p. 423-445.
74 D’Agostino 2004 ; Ramón Solans 2020.
75 Viaene 2012, p. 95.
76 Clark – Kaiser 2003.
77 Les registres de la nonciature de Paris témoignent du fait que le nonce de Munich lui transmettait les sommes qui lui avaient été remises. AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 186 et 192.
78 La nonciature de Bruxelles joua notamment un rôle de coordination à l’échelle européenne pour l’emprunt de 1860.
79 AAV, Arch. part. Pio IX, Sovrani e particolari, 402, Lemercier au cardinal Villecourt, 3 juillet 1860.
80 Ce fut le cas du comte de Villermont, président du comité des œuvres pontificales de Belgique, de Léopold Fabri, président du comité pontifical de Liège, et d’Émile et Léon Nogant, membres de ce même comité. AHDi Poitiers, A5, prospectus sur le comité pour l’artillerie pontificale.
81 On ne s’étonnera guère à ce titre que ce fut avec les catholiques belges que les Français furent le plus liés.
82 Sur la centralité de la Belgique dans ce réseau, voir Hérisson 2021e.
83 Parmi des multiples exemples : Pécout 2009 ; Aprile 2010 ; Diaz 2014 ; Delpu 2015 ; Delalande 2019.
84 Depuis une décennie, plusieurs travaux importants ont cependant commencé à faire évoluer la situation : Canal 2011 ; Dumons – Multon 2011 ; Sarlin 2013b ; Dupont 2020 ; Di Fiore – Rújula 2021.
85 Pollio 1872.
86 Le Courrier français, 17 octobre 1867.
87 Anceau – Boudon – Dard 2017.
88 Bruyère-Ostells 2015.
89 Isabella 2009 ; Bruyère-Ostells 2017.
90 La sovranità temporale propugnata 1860-1864.
91 Les conditions de la publication de ce recueil ont été étudiées au cours du chapitre 4, p. 209-210.
92 La sovranità temporale propugnata 1860-1864, I, vol. 1, p. lv.
93 Ibid., p. xxii‑xxiii, xxx, xxxii.
94 Ibid., p. xxxv.
95 Ibid., p. xxxv‑xxxvi.
96 Ibid., p. xli.
97 Sacconi s’en plaignit à Thouvenel en avril 1860. Voir sa dépêche à Antonelli du 15 avril, publiée dans Gabriele 1962b, p. 501.
98 Horaist 1995, p. 82‑91.
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