Chapitre 1
Les catholiques français et la question italienne à la veille de l’Unité (1856-1858)
p. 31-70
Texte intégral
1Dans l’histoire des relations entre le Second Empire et l’Église, l’année 1856 constitue un tournant dont Jean Maurain a montré la portée. La nomination du gallican Rouland au ministère des Cultes marque le début d’une inflexion de la politique ecclésiastique du régime dans un sens moins favorable aux intérêts de l’Église1. Surtout, Cavour profite de la bienveillance de Napoléon III pour dénoncer la situation politique de l’Italie devant les puissances réunies à Paris après la guerre de Crimée2. Certes, les relations entre le régime et l’Église restent en apparence excellentes. Mais le rapprochement qui s’esquisse dans le même temps avec le Piémont et qui culmine avec l’entrevue secrète de Plombières entre Napoléon III et Cavour les 20 et 21 juillet 1858 témoigne des ambitions italiennes de l’empereur.
2Malgré la présence à Rome depuis 1849 d’un corps militaire français assurant la stabilité de l’État pontifical, le Saint-Siège est loin d’ignorer les ambiguïtés de la position de Napoléon III à son égard. Les idées exprimées par l’empereur dans sa jeunesse à propos de l’Italie et du gouvernement des papes sont connues et la diplomatie romaine n’entretient aucune illusion sur la nature d’un soutien que le nonce Sacconi considère comme principalement dicté par des considérations de politique intérieure3.
3Du congrès de Paris aux premières rumeurs d’une guerre en Italie qui se propagent à la fin de l’année 1858, près de trois années s’écoulent, qui sont marquées en France par une lente détérioration de l’image de la papauté, que Charles de Montalembert rendra a posteriori responsable de l’effondrement du pouvoir temporel des papes au cours des années suivantes4. Les polémiques qui se succèdent alors témoignent non seulement de l’intérêt de la presse française pour les affaires italiennes mais aussi plus généralement de la constitution autour des questions italienne et romaine d’un espace public européen où nouvelles, idées et publications circulent avec rapidité et dont la France est l’un des principaux pôles. Les trois principaux organes de presse catholique, L’Univers, L’Ami de la religion et Le Correspondant prennent alors, aidés par la presse légitimiste, la défense de la papauté face aux journaux libéraux. Au contraire de ce qui se produira au cours des années suivantes, la masse des fidèles reste cependant à l’écart de telles polémiques.
4Il importe de rendre compte dans un premier temps du réveil de la question italienne suscité par les discussions tenues par les représentants des puissances lors du congrès de Paris. L’événement constitue pour les catholiques français une première alerte, dont l’interprétation est largement conditionnée par les représentations de la situation politique de la péninsule qui prévalaient alors chez eux. La position de l’État pontifical auprès de l’opinion publique française sera ensuite étudiée, en montrant d’une part les problèmes religieux et politiques posés par la question romaine, d’autre part les limites de l’unanimité des catholiques français à son égard. Enfin, le chapitre mettra en évidence les enjeux sous-jacents aux débats français autour des affaires italiennes, qui permettent alors de discuter dans une relative liberté des questions nationale et libérale malgré la surveillance exercée d’ordinaire par le régime impérial sur la presse politique.
I. Le congrès de Paris et le réveil de la question italienne
1. La séance du 8 avril 1856 et les critiques portées à l’encontre du gouvernement pontifical
5Convoqué pour mettre fin à la guerre de Crimée, le congrès de Paris constitua une étape fondamentale dans le processus qui conduisit à l’unification italienne. Pour Cavour, l’engagement militaire du Piémont aux côtés de la France et de l’Angleterre devait offrir à son pays des avantages diplomatiques non négligeables au moment où les puissances se réuniraient pour régler les modalités de la paix. En arrivant à Paris, l’homme d’État piémontais pensait ainsi pouvoir obtenir d’une part que les puissances prissent position sur la question italienne, d’autre part que le Piémont fût récompensé de sa participation à la guerre par quelque agrandissement territorial5. Le déroulement du Congrès fut cependant loin de satisfaire l’ensemble des ambitions piémontaises : Cavour dut rapidement renoncer à l’idée d’un agrandissement aux dépens des duchés de Parme et de Modène et, si Walewski et Clarendon, les plénipotentiaires français et anglais, évoquèrent lors de la séance du 8 avril les questions de l’occupation des États romains et du malgoverno napolitain, aucune décision concrète ne fut prise à ce sujet. L’importance du Congrès se jouait cependant sur un autre plan : naguère encore analysée à travers le prisme de la lutte entre l’ordre et la révolution, la situation politique de l’Italie était désormais considérée par une large part du concert européen comme anormale et nécessitant des modifications susceptibles de répondre au moins partiellement aux vœux des populations6.
6À la veille du Congrès, les catholiques ne semblaient toutefois pas avoir pris la mesure des ambitions de la diplomatie piémontaise. À Rome, c’était alors principalement la question de la tutelle des chrétiens d’Orient qui préoccupait Pie IX7 et les dépêches du secrétaire d’État Antonelli8 au nonce Sacconi ne témoignèrent dans un premier temps d’aucune crainte au sujet de la question italienne9. Ce ne fut qu’au bout de plusieurs semaines, le 29 mars, qu’Antonelli informa le nonce de la présence à Paris de Marco Minghetti10 et lui demanda de prêter attention aux démarches réalisées par celui-ci contre le Saint-Siège auprès des plénipotentiaires11. Une telle présence avait d’autant plus de raison d’inquiéter la papauté qu’il était notoire que le gouvernement français était mécontent à la fois de la situation de l’Italie et de celle des États pontificaux12. Malgré l’activité déployée par le nonce, le Saint-Siège ne prit que tardivement connaissance de la teneur des discussions tenues le 8 avril13.
7Dès le début du mois, divers journaux anglais, alimentés en documents par l’ambassadeur piémontais à Londres, Emanuele d’Azeglio, avaient cependant publié des articles signalant que la question italienne était l’objet de discussions de la part des plénipotentiaires14 et, dans les jours qui suivirent la séance du 8 avril, plusieurs articles parurent sur le sujet et furent discutés dans la presse française15. Du côté des journaux catholiques, si Melchior Du Lac remettait en cause dans L’Univers la véracité des informations anglaises reprises par Le Siècle et Le Journal des débats16, L’Ami de la religion et Le Correspondant leur attachèrent davantage d’importance.
8Ce ne fut qu’après la publication officielle du protocole de la séance du 8 avril dans le Moniteur du 1er mai que les journaux catholiques purent se fonder sur des informations fiables17. Le protocole révélait que, sur l’initiative de Walewski, les plénipotentiaires avaient discuté des affaires italiennes, et plus particulièrement des questions romaine et napolitaine. Walewski avait signalé la nécessité de mettre un terme, lorsque cela serait devenu possible, à la présence de troupes autrichiennes et françaises dans les États pontificaux et s’était exprimé en faveur de réformes administratives et politiques à Rome et à Naples. Si Buol, le plénipotentiaire autrichien, avait refusé de discuter des États italiens, Clarendon puis Cavour avaient au contraire profité de l’occasion pour attaquer le gouvernement du pape ainsi que celui de Ferdinand II.
9Le 3 mai, L’Univers publia un article dans lequel Louis Veuillot prenait acte du protocole. Rédigé sur les encouragements du nonce Sacconi, qui avait transmis aux rédacteurs de L’Univers quelques éléments qu’il lui semblait bon d’y voir figurer18, l’article déplorait que « contre les intentions des puissances, le protocole p[ût] devenir une arme aux mains des révolutionnaires romains et napolitains ». Examinant la question d’un point de vue avant tout religieux, Louis Veuillot dénonçait surtout les paroles de Clarendon mais regrettait par ailleurs que les représentants des puissances catholiques, la France et l’Autriche, n’eussent pas pris la défense du Saint-Siège. Prudemment, le journaliste concluait son article par un éloge de l’empereur, qui n’empêcha pas ce dernier d’exprimer son mécontentement19. L’Univers ne reçut cependant pas d’avertissement de la part de l’administration et le nonce y vit la preuve que le gouvernement français tenait à ne pas s’aliéner l’opinion catholique20.
10Les autres journaux catholiques ou légitimistes commentèrent également la publication du protocole. Le 17 mai, le nonce, qui avait l’habitude de transmettre au secrétaire d’État les journaux qui renfermaient des articles, amicaux ou hostiles, sur le Saint-Siège, communiqua à ce sujet à Antonelli des exemplaires de L’Ami de la religion et de L’Assemblée nationale du jour. Ceux-ci contenaient des articles favorables au Saint-Siège dont Sacconi se réjouissait qu’ils eussent été repris par la presse de province et dont il conseillait à Antonelli de les faire reproduire dans la presse romaine21. La Civiltà cattolica, la revue des jésuites fondée en 1850 par le père Curci et qui passait alors pour être l’un des organes officieux de la papauté, se félicita également des réponses données aux journaux britanniques et piémontais par la presse catholique française22.
11Si les journaux catholiques traitèrent de la question italienne dans son ensemble, refusant généralement toute idée de modification des équilibres politiques de la péninsule, ce fut toutefois la question romaine qui attira le plus leur attention, comme celle de la presse française en général23. Face aux journaux qui, comme Le Siècle, souhaitaient ouvertement la disparition du pouvoir temporel et à ceux qui, comme La Revue des deux mondes, appelaient à le réformer en profondeur, L’Univers, L’Ami de la religion et Le Correspondant défendirent le statu quo. Ils s’appuyaient pour cela sur des arguments de natures diverses – juridiques, politiques, religieuses –, destinés à convaincre non seulement les catholiques mais les conservateurs en général.
12Le congrès de Paris fut ainsi marqué par une médiatisation accrue des affaires italiennes. Cette médiatisation restait cependant limitée, comme en témoignait le très faible nombre de brochures parues alors sur le sujet. L’opuscule publié par le comte de Montalembert sous le titre Pie IX et Lord Palmerston24 faisait à cet égard exception – et encore ne s’agissait-il que de la réimpression d’un article initialement publié dans Le Correspondant25. Son retentissement dépassa les frontières de la France puisqu’il fut traduit en italien, en anglais et en hollandais. Montalembert ayant comparé à Carrier le commandant Zambianchi, l’un des protagonistes de la révolution romaine26, ce dernier lui répondit par une brochure en français publiée à Londres27. L’écrit de Montalembert suscita par ailleurs la publication, toujours en français, d’un autre opuscule, paru à Turin et dont l’auteur semble avoir été un sujet du pape exilé au Piémont28. Ainsi, dès cette époque, certains des écrits des catholiques français avaient une audience qui dépassait la seule France et participaient à la construction d’un espace public européen autour des questions italienne et romaine.
13Si le débat autour de la question italienne perdit de son importance au cours des mois qui suivirent29, il ne disparut cependant jamais totalement de la presse. Les inquiétudes soulevées par la séance du 8 avril semblent cependant s’être assez rapidement apaisées chez les catholiques, comme en témoigne l’enthousiasme suscité par le baptême du prince impérial30. Le congrès de Paris avait toutefois confirmé dans leurs craintes les hommes qui, depuis le début des années 1850, dénonçaient la politique intérieure et extérieure du Piémont. Ce dernier, depuis sa guerre contre l’Autriche en 1848-1849 et la conservation du Statuto libéral, tendait en effet à incarner les espoirs des libéraux et des patriotes italiens. Le rôle qu’il avait joué au cours du Congrès renforça considérablement sa position à cet égard31.
2. La dénonciation de la politique piémontaise
14Tout au long des années 1850, la politique conduite par le Piémont suscita l’intérêt de la presse française, et notamment des journaux catholiques. Analysée rétrospectivement par l’historiographie italienne comme la « décennie de préparation » de l’unification, la période fut caractérisée par la montée en puissance du royaume, qui remit en question les équilibres politiques qui avaient jusque-là prévalu dans la péninsule. Parce qu’ils représentaient un danger pour l’Église, deux aspects de la politique piémontaise furent abondamment commentés par la presse catholique : sa politique intérieure, dont le libéralisme laïcisateur remettait en cause la position sociale de l’Église au sein du Royaume32, et sa politique extérieure qui, en promouvant une révision des frontières dans la péninsule, menaçait l’intégrité des États du pape.
15Les différentes étapes de la laïcisation du Piémont sont bien connues. En 1850, les lois Siccardi abolirent le for ecclésiastique ainsi que la quasi-totalité des exemptions dont les clercs jouissaient jusque-là. La mobilisation des catholiques piémontais contre cette législation conduisit notamment à l’arrestation des archevêques de Turin et de Sassari et, par la suite, à une nouvelle arrestation suivie d’un bannissement de Mgr Fransoni33. Par la suite, si en 1852 Cavour dut renoncer à faire adopter une loi sur le mariage civil, la loi Rattazzi supprima en 1855 les corporations religieuses jugées sans utilité sociale et prévit l’incamération de leurs biens.
16Ces mesures nuisirent très fortement à l’image du Royaume auprès des catholiques français, notamment du clergé. Une anecdote le montre bien : en décembre 1852, le prêtre de la paroisse de La Penne (Bouches-du-Rhône) défendit en chaire à ses paroissiens d’accepter les pièces à l’effigie du roi de Piémont34. Plus généralement, la politique piémontaise à l’égard de l’Église fut vivement attaquée par la presse catholique française. Les journaux religieux rapportèrent ainsi régulièrement les difficultés posées par l’application de la nouvelle législation, en particulier par la procédure d’incamération. Catholiques intransigeants et catholiques libéraux dénonçaient une telle politique en employant un même vocabulaire, qui tendait à la présenter comme une forme de persécution religieuse. Le 4 juillet 1858, Louis Rupert décrivait ainsi dans L’Univers une situation de « persécution contre l’Église ». Dans L’Ami de la religion, Henry de Riancey, qui rendait compte régulièrement de la situation religieuse dans les États sardes, attaquait quant à lui la « loi spoliatrice du 29 mai35 », évoquait « un système d’oppression auquel le ministère soumet[tait] les Catholiques des États de la maison de Savoie36 » et reprochait à Cavour de vouloir frapper le clergé « d’ilotisme et de proscription37 ». Dans le même journal, l’abbé Sisson dénonçait une circulaire de Rattazzi datée du 9 juin 1856 comme un « véritable édit de persécution38 » et Ranc allait même jusqu’à comparer la politique du Piémont à celle de Julien l’Apostat39. Seul Le Correspondant conserva à ce sujet un ton modéré, ce qui n’empêchait pas Bettencourt d’y dénoncer des « actes d’oppression contre la première des libertés de ce monde, la liberté de la conscience chrétienne40 ».
17Au-delà des différences de ton, cette dernière citation illustrait les divergences qui opposaient intransigeants et libéraux dans leur dénonciation de la législation piémontaise. Alors que les critiques de L’Univers étaient surtout fondées sur des arguments de type religieux et sur la nécessité de conserver à l’Église ses privilèges et sa position dominante au sein de la société, les catholiques libéraux quant à eux cherchaient plutôt à rattacher la question de la laïcisation à la question plus générale du libéralisme politique. C’était ainsi au nom de la liberté, du respect de la propriété et du Statuto que Bettencourt dénonçait dans Le Correspondant les lois de laïcisation :
Ce fut une triste inauguration pour une constitution qui garantit la liberté individuelle et le droit de la propriété privée, que de débuter par l’exil arbitraire d’un archevêque, la confiscation des propriétés acquises en vertu de la volonté des mourants aux serviteurs de Dieu et des pauvres, la violation des concordats41, enfin l’immixtion violente et intéressée de la force dans le domaine de la conscience. Les mesures faussement décorées depuis tant d’années du nom de libéralisme, et auxquelles il faut restituer avec leur caractère leur vrai nom, celui de despotisme révolutionnaire, ont toujours porté malheur à la liberté véritable42.
18En portant ainsi la critique de la législation piémontaise sur le terrain de la défense de la liberté et de la propriété, les catholiques libéraux reprenaient une stratégie qu’ils avaient déjà faite leur dans les années 1840, lors de leur campagne en faveur de la liberté d’enseignement43. Ils cherchaient à déconfessionnaliser les enjeux posés par les lois de laïcisation et à montrer qu’ils ne réclamaient pour l’Église que le bénéfice du droit commun, de manière à offrir à leur argumentation une portée générale, susceptible de susciter l’adhésion au-delà des seuls milieux catholiques.
19La deuxième critique portée régulièrement contre la politique piémontaise par la presse catholique touchait aux ambitions extérieures du Royaume. Cette dénonciation de la politique étrangère piémontaise témoignait tout d’abord du rejet par une grande partie des catholiques de toute remise en cause des équilibres politiques de la péninsule italienne. Une telle défense du statu quo reposait sur des raisons politiques diverses : attachement au principe de légitimité44 – d’autant plus fort chez les légitimistes que plusieurs souverains italiens (le roi Ferdinand II à Naples et la duchesse régente Marie à Parme) appartenaient à la dynastie des Bourbons –, rejet des principes de 1789 et notamment de celui de souveraineté du peuple, refus de la violence comme moyen de transformation politique, celle-ci étant considérée par principe comme illégitime par des hommes attachés au respect des pouvoirs établis. À ces motifs politiques s’ajoutaient des considérations d’ordre religieux, qui renvoyaient à la question du pouvoir temporel de la papauté, et notamment aux projets piémontais d’instauration d’un gouvernement laïc dans les Romagnes.
20Si les journaux catholiques s’entendaient ainsi pour dénoncer la politique piémontaise, Le Correspondant, tout en critiquant la législation religieuse de Cavour, signala à plusieurs reprises son espoir d’une réconciliation entre le Piémont et l’Église. Ce fut notamment le cas au moment du procès en béatification de Marie-Christine de Savoie45 et, surtout, lors des élections législatives de 1857, dont il rendit compte avec intérêt comme les autres journaux catholiques. L’importante minorité obtenue alors à la Chambre par les conservateurs cléricaux46 dominés par la figure de Solaro della Margarita fut à ce titre saluée, car elle était susceptible de favoriser une réorientation de la politique piémontaise dans un sens favorable à l’Église47. Une telle position s’expliquait sans doute par le désir des rédacteurs de la revue d’assister en Italie, à travers une normalisation des relations entre le Piémont et la papauté, à la validation de leur positionnement politico-religieux fondé sur l’idée d’une conciliation entre le libéralisme et le catholicisme48.
3. La défense des souverains légitimes de la péninsule
21Si l’attention que les journaux catholiques français portèrent durant la décennie 1850 à la péninsule italienne concerna en premier lieu les États du pape et le Piémont, les autres États de la péninsule ne furent cependant pas absents de leurs colonnes. Des considérations à la fois politiques et religieuses expliquaient un tel intérêt et conduisaient à modeler les représentations de ceux-ci, qui apparaissaient à bien des égards comme des miroirs inversés du Piémont49. Sans nécessairement nier les problèmes que rencontraient ces États, la presse catholique tendit dès lors à en donner une image positive.
22Cette image était tout d’abord nourrie par le contraste entre la politique de laïcisation menée par le Piémont et la politique religieuse favorable à l’Église menée dans plusieurs États de la péninsule. Une telle politique rompait alors avec des législations juridictionnalistes qui s’étaient souvent imposées au XVIIIe siècle et qui visaient à subordonner les affaires religieuses à la tutelle de l’État. Alors même qu’après 1815 les concordats et conventions entre les États de la péninsule et le Saint-Siège n’avaient que modérément amendé ces législations50, les événements de 1848-1849 favorisèrent une remise en cause de celles-ci51. En Autriche, l’inflexion avait même commencé plus tôt, sous la direction de Metternich. Le chancelier, qui voyait dans l’appui de l’Église à la fois un rempart contre la progression des idées libérales et un facteur d’unité pour un empire multinational, avait en effet été progressivement amené à considérer comme nécessaire le sacrifice du joséphisme afin de bâtir des relations plus solides avec le Saint-Siège52. Une telle réorientation de la politique ecclésiastique autrichienne trouva son achèvement dans la conclusion en 1855 d’un nouveau concordat, dont l’annonce suscita un vif intérêt de la part de la presse catholique française53. Le traité détruisait en effet les derniers vestiges du joséphisme : en plus d’offrir à l’Église une protection particulière de l’État, il plaçait notamment l’éducation des enfants catholiques sous son contrôle et prévoyait une censure des ouvrages anticléricaux54.
23La situation religieuse des autres États de la péninsule était également l’objet d’attention. En juin 1857, L’Ami de la religion se réjouit ainsi – à tort55 – de la signature prochaine d’un concordat toscan devant mettre fin à la législation léopoldine56. Quelques jours plus tard, la presse catholique signalait avec enthousiasme la parution de huit décrets amendant le concordat napolitain de 1818. La mesure, commentait L’Univers, allait dans le sens du concordat autrichien57. Ces divers éloges rendus à des mesures annonçant un renforcement de la position sociale de l’Église par une législation de privilèges témoignaient de la persistance d’un idéal de collaboration de l’État et de l’Église chez nombre des principaux penseurs catholiques de l’époque. Les catholiques libéraux qui, à l’image de Montalembert, considéraient que ce type de législation était désormais inutile voire néfaste en dernier ressort à l’Église étaient à ce titre minoritaires58.
24Aux considérations religieuses venaient par ailleurs s’ajouter des motifs politiques pour rendre compte de l’attitude de la presse catholique française à l’égard des États italiens. Le souvenir des mouvements de 1848-1849 et la crainte de nouveaux soulèvements révolutionnaires dans la péninsule – crainte régulièrement avivée par les tentatives d’insurrection mazziniennes – conduisaient en effet les catholiques, au-delà des réserves qu’ils pouvaient nourrir envers les régimes en place, à soutenir l’ordre établi au nom du principe de légitimité. Dans le cas de la duchesse de Parme, un tel attachement était d’ailleurs renforcé par son lien de parenté direct avec le comte de Chambord, dont elle était la sœur. C’était sans nul doute un tel lien qui expliquait l’intérêt avec lequel L’Ami de la religion, qui comptait parmi ses rédacteurs nombre de légitimistes, rendait compte de son action et se plaisait à en faire l’éloge, la présentant comme une duchesse soucieuse d’améliorer le sort des classes pauvres de ses États59, en conformité avec les stéréotypes de genre de l’époque, qui faisaient de l’attention envers les pauvres une des principales vertus des femmes de l’aristocratie.
25Ce fut cependant surtout à la question napolitaine que la presse catholique française porta son attention. Depuis le début des années 1850, la monarchie napolitaine pâtissait en effet d’une mauvaise réputation au sein de l’opinion publique libérale européenne60. Cette réputation était d’abord liée à la violence de la répression du mouvement de 1848 mais, par la suite, les dénonciations de la politique napolitaine avaient pris encore davantage d’importance, notamment au Royaume-Uni61. Le libéral Carlo Poerio, emprisonné en 1848, fut ainsi érigé en véritable martyr laïc révolutionnaire durant toute la décennie 185062. Après avoir assisté à son procès et constaté la dureté de ses conditions de détention, Gladstone publia en 1851 ses Two letters to the earl of Aberdeen on the State prosecutions of the Neapolitain governement, qui concoururent à modeler les représentations du malgoverno napolitain en Angleterre et plus largement en Europe63. L’ouvrage connut en effet un retentissement important sur le continent, favorisé par sa traduction en italien et en français64 l’année même de sa sortie. En France, sa parution suscita une polémique particulièrement vive65 dans laquelle le journaliste de L’Univers Jules Gondon prit une place importante66.
26Durant la décennie 1850, ce fut dès lors principalement sur les abus dénoncés par Gladstone que revinrent les polémistes lors des retours réguliers de la question napolitaine dans le débat public. Deux moments principaux peuvent être distingués à ce sujet. Le premier fit suite aux critiques portées à l’encontre du gouvernement napolitain par les plénipotentiaires français, britannique et piémontais lors du congrès de Paris. Si les journaux catholiques cherchèrent en premier lieu à prendre la défense des États pontificaux, la polémique se déporta à partir du mois de juin sur les affaires de Naples, en raison de la détérioration des relations diplomatiques du royaume des Deux-Siciles avec la France et le Royaume-Uni67, qui fit craindre une intervention militaire68 et conduisit en octobre au rappel des représentants à Naples de ces deux États69. La presse catholique choisit alors de placer la défense du royaume de Naples sur deux plans, celui du droit des gens et celui des intérêts français. Du point de vue du droit des gens, elle rappelait que la volonté des puissances d’obtenir une modification de la politique napolitaine à l’égard des libéraux constituait une atteinte à la souveraineté du royaume des Deux-Siciles ; les journalistes catholiques s’opposaient ainsi au nom de la légalité internationale à toute idée de diplomatie humanitaire. Sous le rapport des intérêts français, ils concentraient leurs critiques sur l’Angleterre – ce qui constituait par ailleurs un moyen habile d’éviter la censure impériale –, en mettant en avant ses ambitions sur la Sicile, qui menaçaient la position de la France en Méditerranée.
27Si les événements de décembre 1856 – tentative d’assassinat de Ferdinand II le 8 décembre et soulèvement de la Sicile – furent par la suite commentés par la presse catholique, ce ne fut qu’à partir de juin 1857 que les affaires napolitaines furent à nouveau largement suivies par les journaux, en raison de l’affaire du Cagliari70, navire piémontais qui avait été détourné en juin 1857 par le mazzinien Pisacane dans le but de lancer une insurrection dans le sud de l’Italie. Après le débarquement des patriotes italiens à Sapri et alors que le capitaine avait repris le contrôle de son navire, celui-ci fut capturé par la marine napolitaine, qui emprisonna son équipage en prévision d’un procès et déclara le Cagliari butin de guerre. L’affaire prit rapidement une dimension internationale en raison de la présence à bord de deux machinistes britanniques, que la diplomatie anglaise s’employa à faire libérer – ce qui fut obtenu en mars-avril 1858 – puis pour lesquels elle réclama une compensation de trois mille livres sterling71, en même temps qu’elle exigeait qu’il fût donné satisfaction aux demandes piémontaises de restitution du navire et de son équipage. Prenant acte de sa faiblesse, le gouvernement napolitain céda. L’analyse faite de cette affaire par la presse catholique française, et notamment par L’Ami de la religion, qui rendit compte de manière très régulière de ses développements, fut assez proche de celle qu’en avait fait le gouvernement des Deux-Siciles lui-même72 : l’expédition de Pisacane avait bénéficié du soutien officieux de Cavour, ce qui justifiait la capture du Cagliari et de son équipage. Une telle analyse témoignait d’une grille de lecture des événements italiens déjà repérable en 1856, selon laquelle libéraux partisans d’une monarchie représentative et démocrate aux idées socialisantes formaient ensemble contre l’ordre établi ce qu’il était convenu d’appeler le camp de la « révolution », interprétation par ailleurs largement partagée par la diplomatie pontificale73. Cette analyse négligeait les divergences qui existaient alors entre ces deux tendances, dont témoignait pourtant à la même époque la tentative manquée d’insurrection mazzinienne à Gênes. Elle surestimait par ailleurs le soutien apporté par l’Angleterre au Piémont, alors même que les conservateurs, qui étaient revenus au pouvoir en février 1858, remettaient en question la politique d’ingérence en Italie menée par Palmerston74.
28Si les catholiques français portaient ainsi leur intérêt sur les affaires des différents États italiens, c’était cependant la situation des États de l’Église qui attirait le plus leur attention.
II. Les catholiques français et l’État pontifical
1. La mémoire des événements de 1848-1849
29Durant la décennie 1850, l’appréhension de la question italienne par les catholiques français fut conditionnée par la mémoire encore vive des révolutions de 1848-1849, et notamment de la révolution romaine, qui en avait constitué à leurs yeux l’épicentre.
30Dès les lendemains des événements italiens parurent ainsi plusieurs ouvrages qui adoptaient une démarche que l’on qualifierait aujourd’hui d’histoire immédiate. Prit alors forme une interprétation conservatrice des mouvements de 1848-1849, au sein de laquelle les écrits catholiques formaient une sous-catégorie répondant à des logiques argumentatives spécifiques. En 1850, le vicomte d’Arlincourt, auteur aujourd’hui bien oublié mais à l’époque célèbre dans toute l’Europe pour son roman Le Solitaire (1821), publia ainsi L’Italie rouge ou Histoire des révolutions de Rome, Naples, Palerme, Messine, Florence, Parme, Modène, Turin, Milan, Venise depuis l’avènement du pape Pie IX, en juin 1846 jusqu’à sa rentrée dans sa capitale, en avril 185075. L’ouvrage n’appartenait pas à proprement parler à ce que l’on pourrait qualifier d’historiographie catholique des événements de 1848-1849 car son appréhension des faits était avant tout politique – le point de vue était celui d’un monarchiste – et la religion n’y jouait qu’une place marginale. Les représentations de l’Italie qui étaient celles de l’auteur devaient ainsi davantage à une sensibilité intellectuelle et artistique exaltant les vestiges et souvenirs de l’Antiquité païenne qu’à un sentiment religieux de déférence à l’égard du centre du catholicisme. L’analyse d’Arlincourt se rapprochait cependant sur plusieurs points de celle qui prévaudrait dans les années suivantes chez les catholiques. En témoignait ainsi l’emploi d’une grille d’interprétation des événements tendant à dépolitiser et à criminaliser le camp des révolutionnaires, décrits comme mus moins par la volonté de changement politique que par une pulsion meurtrière ou un désir d’enrichissement. La notion de complot76 jouait par ailleurs un rôle explicatif fondamental dans l’économie de l’ouvrage. Celui-ci se fondait notamment sur une lettre de Mazzini datée de 1846, qui appelait à obtenir des réformes de la part des souverains italiens avant de déclencher une insurrection77, pour démontrer que les événements de 1848-1849 avaient répondu à un dessein mûrement planifié. Un tel document fut par la suite massivement utilisé dans ce sens par la polémique antirisorgimentale78.
31Cette lettre était ainsi également citée dans ce qui fut en France la première tentative d’écriture d’une histoire catholique des événements italiens de 1848-1849 : l’Histoire de la révolution de Rome. Tableau religieux, politique et militaire des années 1846, 1847, 1848, 1849 et 1850 en Italie, qu’Alphonse Balleydier publia en 185179. Homme de lettres lyonnais, Balleydier avait écrit à la suite des révolutions européennes plusieurs ouvrages d’esprit contre-révolutionnaire et, l’année même de la publication de l’Histoire de la révolution de Rome, il ferait également paraître une réfutation de Gladstone80. L’Histoire de la révolution de Rome semble avoir connu un certain succès, dont attestent les rééditions successives – la cinquième en 1854. Au contraire du vicomte d’Arlincourt, Balleydier choisissait de faire de la papauté le cœur de son analyse. La chronologie adoptée venait d’ailleurs conforter cette position. En débutant son ouvrage en 1846 par l’élection de Pie IX et en le terminant en 1850 par le retour du pape à Rome, Balleydier plaçait les événements romains au centre des révolutions italiennes81. Une telle chronologie, reprise par la suite par la plupart des écrivains catholiques, permettait de construire un récit des événements qui justifiait l’hostilité de la papauté à l’égard des réformes politiques et administratives que certaines puissances la pressaient d’adopter durant les années 1850. En mettant en avant les réformes réalisées par Pie IX à la suite de son accession au trône de Pierre, Balleydier entendait montrer que la révolution de 1848-1849, malgré la rhétorique de ses acteurs, n’avait pas tant visé l’obtention de libertés politiques, que Pie IX était en train d’accorder, que le renversement du pouvoir temporel82. La question nationale – et notamment les réactions suscitées par le refus du pape de participer à la guerre contre l’Autriche – apparaissait à ce titre comme un des points aveugles de l’analyse que l’historien et d’autres catholiques à sa suite faisaient des événements de 1848-1849. Si Montalembert, quelques années plus tard, fit de l’allocution consistoriale du 29 avril 1848, par laquelle Pie IX avait refusé de participer à la guerre contre l’Autriche, la principale cause de la révolution romaine, c’était pour mieux réfuter l’idée selon laquelle le mouvement avait été lancé au nom de revendications libérales, ce qui l’autorisait par conséquent, tout libéral qu’il fût, à le condamner sans nuances83.
32Si les catholiques français – ou du moins ceux qui prirent la plume – s’entendaient ainsi pour condamner la révolution romaine84, d’importants désaccords existaient cependant entre eux à propos des modalités de la restauration du pouvoir temporel en 184985. Durant les décennies 1850 et 1860, catholiques libéraux et catholiques intransigeants polémiquèrent ainsi au sujet de la paternité de l’expédition de Rome. Au lendemain de la mort de Cavaignac, le 28 octobre 1857, L’Ami de la religion et Le Correspondant saluèrent l’aide apportée par le général au pape. Francisque de Corcelle, qui avait été chargé d’une mission diplomatique à Rome en 1848-1849, publia ainsi dans les deux journaux des souvenirs de l’année 184886, où il faisait l’éloge de Cavaignac87. À l’inverse, Louis Veuillot prit soin de souligner les limites du soutien apporté par le général à Pie IX, en rappelant qu’il n’avait envoyé une escadre française à Civitavecchia que pour assurer la protection de la personne du pape et permettre à celui-ci de rejoindre la France s’il le souhaitait, et non pour rétablir le pouvoir temporel88. Le journaliste opposait à cette attitude celle de Louis-Napoléon Bonaparte qui, dans une lettre adressée au nonce peu avant l’élection présidentielle de 1848, avait écrit que « le maintien de la souveraineté temporelle du chef vénérable de l’Église était intimement lié à l’éclat du catholicisme comme à la liberté et à l’indépendance de l’Italie ». La question était importante : en attribuant au seul Louis-Napoléon Bonaparte le mérite de l’expédition de Rome, les catholiques intransigeants légitimaient implicitement leur soutien à l’Empire ; à l’inverse, les libéraux, en soulignant les rôles de Cavaignac, de Falloux et de Corcelle dans la restauration du pouvoir pontifical, atténuaient l’importance du futur Napoléon III et mettaient en avant leur propre rôle.
33Le clivage le plus important au sujet de l’expédition de 1849 n’opposait cependant pas catholiques intransigeants et catholiques libéraux, mais passait au milieu de ce dernier camp. Il portait sur les conditions politiques dans lesquelles s’était effectuée la restauration du pouvoir temporel. En intervenant à Rome, la diplomatie française avait initialement visé deux grands objectifs89. Le premier était d’ordre géopolitique et renvoyait à la question des rapports de force entre puissances au sein de la péninsule italienne : par son intervention, la France devait empêcher un rétablissement du pape par l’Autriche, qui aurait assuré à cette dernière une influence accrue en Italie – sur ce point, l’expédition fut un succès. Le second objectif était d’obtenir de la papauté un certain nombre de réformes libérales alors que l’on craignait qu’une restauration par l’Autriche ne vînt rétablir l’absolutisme à Rome. Malgré de longues tractations diplomatiques, cet objectif ne put quant à lui être atteint en raison de l’intransigeance de la papauté. Le 12 septembre 1849, Pie IX publia en effet un motu proprio qui annonçait la nature des institutions dans l’État pontifical restauré et marquait un net retrait par rapport aux réformes des années 1846-1848. Le texte déçut nombre de libéraux en France, dont le ministre des Affaires étrangères Tocqueville90, mais il fut défendu à l’Assemblée législative le 19 octobre par le comte de Montalembert.
34Dans son discours, Montalembert affirmait que la France ne devait pas profiter de son intervention pour imposer au pape des réformes supplémentaires91. Prenant acte des événements qui s’étaient déroulés depuis un an, il déclarait que la souveraineté temporelle du pape n’était pas compatible avec la souveraineté du peuple, que la liberté de la presse n’était pas souhaitable à Rome et qu’il serait mauvais que la consulte dont le motu proprio annonçait la future création disposât du suffrage délibératif en matière d’impôts92. La prise de position de Montalembert s’appuyait ainsi sur une lecture des événements qui déduisait de la révolution romaine qui avait suivi les premières réformes de Pie IX l’impossibilité de libéraliser sinon marginalement l’État romain sans remettre en cause le pouvoir temporel du pape.
35D’autres catholiques libéraux firent cependant une interprétation opposée des événements de 1848-1849. Au contraire des intransigeants, dont L’Univers était l’organe, et des libéraux à la façon de Montalembert ou de Dupanloup, dont Le Correspondant93 et L’Ami de la religion94 portaient les idées, ils ne disposaient toutefois d’aucun titre de presse durable qui leur fût propre, ce qui limita l’expression de leurs opinions. Ancien collaborateur de L’Ère nouvelle, le journal fondé en 1848 dans le but de favoriser l’entente entre les catholiques et la démocratie95, Eugène Rendu96 publia en 1849 dans la Revue des réformes et du progrès97 un article où il plaidait en faveur d’une réforme des États pontificaux. Traduit en italien et diffusé dans la péninsule, où Rendu disposait de nombreuses amitiés parmi les catholiques libéraux, l’article fut par ailleurs l’objet la même année d’une réédition augmentée sous forme de petit livre98. Le motu proprio du 12 décembre 1849 était décrit comme inutile pour assurer la stabilité des États de l’Église parce qu’il conduisait à rejeter les libéraux romains dans le camp de la révolution en remettant en cause toutes les réformes réalisées par Pie IX depuis 1846. Pour cette raison, Rendu dénonça tout au long des décennies 1850 et 1860 le rôle de Montalembert, dont il faisait, à cause de son discours du 19 octobre 1849, le principal responsable de la réaction qui avait suivi la restauration romaine99, et par conséquent le principal responsable des troubles politiques qui menaçaient constamment le pouvoir temporel.
2. L’État pontifical : archaïsme ou modernité ?
36L’opposition entre Charles de Montalembert et Eugène Rendu s’inscrivait plus généralement au sein d’un débat plus vaste autour de la question de la modernisation des États de l’Église. Pour les adversaires du pouvoir temporel, les États du pape apparaissaient en effet comme une survivance anachronique des temps anciens, destinée à se réformer en profondeur ou à disparaître. Une telle analyse reposait sur une vision de la modernité qui mêlait dans le domaine politique sécularisation, libéralisation et satisfaction des aspirations nationales et, dans le domaine économique, libéralisation et développement industriel. Ce fut dès lors principalement autour de quatre questions que les adversaires du pouvoir temporel de l’Église portèrent leurs critiques. Ils reprochaient au Saint-Siège de ne pas avoir accordé aux sujets pontificaux des libertés politiques semblables à celles en vigueur dans les autres États européens, de s’opposer aux revendications nationales des Italiens, d’avoir placé le gouvernement et l’administration entre les mains des ecclésiastiques et de mener une politique économique et financière inefficace100.
37Face à ces critiques, les réactions des catholiques furent diverses, reflétant les divisions de ceux-ci à l’égard de la société moderne. Les intransigeants acceptaient ainsi l’idée d’une opposition radicale entre les États de l’Église et les autres États européens, mais rejetaient les conclusions qu’en tiraient leurs adversaires, qui analysaient de manière téléologique cet écart comme un retard, et par conséquent comme un défaut auquel il fallait remédier. Une telle position fut défendue par L’Univers ainsi que par plusieurs évêques. Tout à fait représentative de ce courant fut la lettre pastorale que Mgr Parisis, l’évêque d’Arras101, écrivit au lendemain de son voyage à Rome en mai 1856, à un moment où le congrès de Paris avait porté dans l’espace public la question du pouvoir temporel. Adressée en premier lieu aux fidèles de son diocèse, la lettre eut en réalité un retentissement plus important puisqu’elle fut publiée ou commentée par plusieurs journaux102. Insistant sur le fait que la critique du pouvoir temporel n’était pour les adversaires de l’Église qu’un moyen indirect employé pour atteindre le pouvoir spirituel103, l’évêque brossait un portrait irénique de la situation à Rome :
Le peuple de Rome est certainement un des plus heureux du monde entier. Sous la main calme et douce d’un Gouvernement auquel on ne pourrait reprocher que d’être trop paternel, tandis que partout ailleurs les esprits s’abaissent et se matérialisent, Rome continue à cultiver les lettres, les sciences et les arts104.
38L’évêque d’Arras analysait dès lors les revendications de réformes comme un moyen d’affaiblir l’autorité du pape et remettait en cause l’idée même de progrès. En témoignait notamment le retournement qu’il opérait dans le domaine économique et social. Alors que les adversaires du pouvoir temporel dénonçaient la faible industrialisation des États du pape comme un signe de leur arriération, Mgr Parisis, dans une perspective tout à fait classique au sein d’un catholicisme intransigeant dont on connaît l’influence sur la naissance et le développement du catholicisme social105, en faisait une vertu :
Est-ce que le bonheur de l’homme consiste dans ce travail abrutissant de jour et de nuit auquel sont condamnés les ouvriers, hélas ! et les enfants de nos usines et de nos manufactures106 ?
39Les catholiques intransigeants acceptaient ainsi dans l’ensemble le constat d’une faible modernisation des États du pape mais en tiraient des conclusions inverses de celles que mettaient en avant les adversaires de la papauté, pour la présenter comme une bonne chose.
40Tous les catholiques étaient cependant loin de reprendre à leur compte une telle analyse. La plupart des catholiques libéraux cherchèrent au contraire à démontrer que le pouvoir temporel n’était pas incompatible avec la civilisation moderne. Ancien représentant de la France auprès du Saint-Siège et, pour cette raison, bon connaisseur de l’État romain, Francisque de Corcelle joua à ce titre un rôle déterminant en publiant en 1856 et 1857 dans Le Correspondant, à la suite des prières insistantes de Montalembert et de Falloux107, une série de trois articles intitulée « Du gouvernement pontifical108 ». Corcelle cherchait, comme Mgr Parisis, à répondre aux attaques lancées contre le gouvernement pontifical à l’occasion du congrès de Paris ; mais son argumentation divergeait totalement de celle de l’évêque d’Arras. L’ancien diplomate cherchait en effet à réfuter, faits à l’appui – Augustin Cochin avait à ce titre recueilli pour lui des renseignements auprès du nonce, dont l’aide ne fut bien évidemment pas rendue publique109 –, les critiques portées par les libéraux contre l’État pontifical110. Il s’attachait notamment à défendre le système judiciaire111 et plus généralement les institutions pontificales112 et justifiait ainsi les limites du motu proprio de septembre 1849 par la situation spécifique des États du pape, qui rendait pour l’heure impossible des réformes plus approfondies sans mettre en péril la sécurité du pouvoir temporel113. Face aux critiques portant sur la mainmise des ecclésiastiques sur le gouvernement et sur l’administration, il citait, d’après les chiffres officiels, le nombre des employés laïcs, qui s’élevait à 6 835, contre 289 employés ecclésiastiques. Sur le plan économique, il signalait la modernisation, sous l’impulsion de l’État, de l’agriculture, l’introduction au cours du pontificat de Pie IX du télégraphe électrique et de l’éclairage au gaz et insistait sur le développement du réseau ferré114. Enfin, il montrait l’assainissement progressif du budget de l’État115.
41Les catholiques libéraux n’étaient cependant pas tous aussi optimistes quant à la situation des États pontificaux. Nous l’avons dit, Eugène Rendu s’était montré particulièrement critique à l’égard du motu proprio de septembre 1849. Les catholiques qui, à son instar, n’étaient pas pleinement satisfaits de la situation des États pontificaux évitèrent cependant généralement de prendre la plume pour les exprimer, sans doute à la fois pour ne pas donner prise aux adversaires de la papauté et pour ne pas risquer d’encourir un blâme de la part de celle-ci116, ce qui rend l’appréhension de leur positionnement complexe. Certains écrits privés permettent cependant de pallier partiellement ce problème. Il en est ainsi de la lettre adressée le 9 août 1856 par Lacordaire à Montalembert à propos de son article « Pie IX et Lord Palmerston ». Le document permet de cerner les points de désaccord existant au sein même des catholiques libéraux, dont l’historiographie a souligné l’importante diversité117. Lacordaire disait ainsi s’accorder avec Montalembert sur le fait qu’il était nécessaire que le pape fût souverain afin d’être indépendant. De même, il se disait convaincu que l’administration pontificale était généralement débonnaire. Mais, ces points concédés, il prenait d’importantes distances avec le comte et condamnait l’inefficacité et les abus de l’administration, l’état des relations entre le spirituel et le temporel ainsi que l’incapacité du pouvoir à se soutenir sans l’aide d’armées étrangères118. Il concluait ainsi :
Pour moi, je soutiendrai publiquement, tant qu’on le voudra, que le pape doit être souverain ; mais jamais que le régime actuel des États romains doive satisfaire ni un honnête homme, ni un homme de bon sens119.
42Au travers de la question romaine, se rejouait ainsi partiellement le clivage qui avait déjà séparé les catholiques libéraux en 1848, lorsqu’une partie d’entre eux avaient fait le choix d’accepter sincèrement la République et la démocratie et avaient fondé L’Ère nouvelle, tandis que d’autres avaient participé à la formation de ce qui allait devenir le parti de l’ordre. En 1856, presque tous cependant se retrouvaient pour considérer que la révolution romaine de 1849 était condamnable et que Rome devait rester au pape. À ce titre, un homme comme l’abbé Jean-Hippolyte Michon120, qui prônait, si la situation venait à empêcher le pape de se maintenir à Rome, le transfert de la papauté à Jérusalem121, était fort singulier.
43Ce fut lors des polémiques suscitées par l’affaire Mortara que le débat autour de l’État pontifical fut le plus vigoureux en France122. En juin 1858, Edgardo Mortara, l’un des enfants d’une famille juive de Bologne, fut enlevé à ses parents par les autorités pontificales après que l’on eut appris que, cinq ans auparavant, en proie à une maladie qui semblait devoir lui être fatale, il avait été baptisé secrètement par la domestique de la famille. Âgé de six ans, l’enfant fut confié à la maison des Catéchumènes. L’activité déployée par son père, Salomone Mortara, afin de récupérer le petit Edgardo conduisit à la diffusion de la nouvelle au sein des diverses communautés juives d’Italie, puis de l’Europe entière et des États-Unis. Comme le note Philippe Boutry, « l’affaire Mortara change dès lors de nature : de drame domestique et familial, elle devient une affaire européenne aux enjeux confessionnels, juridiques, politiques et diplomatiques immenses, dans un contexte de très forte tension internationale où sont impliquées la papauté et l’Église catholique, les communautés juives de toute l’Europe, les agents de toutes les puissances, les gouvernements européens (en premier lieu Cavour et son allié Napoléon III), enfin la presse et l’opinion123. »
44En France, l’affaire scandalisa les milieux libéraux et de nombreux articles et brochures dénoncèrent l’attitude de la papauté. Dans la Revue des deux mondes, Forcade concluait de l’affaire qu’elle montrait la nécessité de séparer pouvoir temporel et pouvoir spirituel124. La polémique en venait donc à dépasser le simple cas Mortara, en raison des enjeux religieux et politiques qui la sous-tendaient. Elle conduisait plus largement à déconsidérer le pouvoir temporel dans son principe même aux yeux d’une partie de l’opinion libérale. Ce faisant, elle pouvait permettre à la France et au Piémont de faire valoir leurs vues sur une réorganisation politique de l’Italie, comme Cavour le notait dans une lettre à Villamarina le 25 novembre :
L’Empereur a été enchanté de l’affaire Mortara comme de tout ce qui peut compromettre le Pape aux yeux de l’Europe et des Catholiques modérés. Plus il aura de griefs à faire valoir contre lui, plus il lui sera facile de lui imposer les sacrifices que la réorganisation de l’Italie réclame125.
45L’effet de l’affaire sur les masses catholiques est difficile à évaluer. La plupart des rapports des procureurs généraux pour le dernier trimestre 1858 n’en firent pas mention. Le procureur général de Colmar signala toutefois que l’affaire avait eu dans son ressort un grand retentissement, en raison de l’importance de sa population juive, et parce que les protestants s’étaient saisis de l’occasion pour attaquer Rome. Aucune polémique locale n’était cependant survenue, car les catholiques eux-mêmes blâmaient selon lui la conduite du gouvernement romain126. Dans l’Empire, rares furent toutefois parmi ces derniers ceux qui osèrent prendre ouvertement position en faveur de la famille Mortara. L’abbé Delacouture, chanoine honoraire de Notre-Dame de Paris, fit tout de même paraître des lettres sur la question dans le Journal des débats les 18 et 20 octobre 1858 puis publia un ouvrage intitulé Le droit canon et le droit naturel dans l’affaire Mortara, où il affirmait « qu’il est très-permis à un catholique, en s’appuyant non-seulement sur la raison, mais sur les principes mêmes de la religion, de ne pas approuver ce qui s’est fait à Bologne, et de décliner à cet égard, autant qu’il est possible, une fâcheuse solidarité127 ». Dans l’ensemble, le clergé conserva une prudente réserve. Il semble que, au sein de l’épiscopat, seul l’archevêque de Tours, Mgr Guibert, consacra, à une époque d’ailleurs tardive, une lettre pastorale à la question128. Encore cette lettre n’était-elle pas destinée à être lue en chaire mais devait-elle simplement aider les prêtres à répondre prudemment aux inquiétudes suscitées par l’affaire au sein des couches supérieures de la société129.
46La presse catholique fut quant à elle partagée entre deux tendances. Comme à son habitude, L’Univers, loin de se contenter de prendre la défense de la papauté, choisit au contraire d’attaquer frontalement ses adversaires. Louis Veuillot publia ainsi une série d’articles où il dénonçait la presse juive et plus généralement le Talmud. Les catholiques libéraux furent au contraire particulièrement gênés par l’affaire. Le Correspondant garda à son sujet un silence complet et Montalembert regretta tout particulièrement un article de Dom Guéranger130 publié dans L’Univers et repris dans le Giornale di Roma, dans lequel le restaurateur des bénédictins avait affirmé que, dans l’affaire Mortara, l’autorité paternelle et la liberté naturelle n’étaient que des « chimères naturalistes131 ». On ne trouve par ailleurs pas trace de l’affaire dans L’Ami de la religion avant le 4 novembre, c’est-à-dire à un moment où la polémique, qui avait débuté en septembre, commençait à s’affaiblir. L’abbé Sisson renvoyait alors dos à dos L’Univers et les adversaires de la papauté en déclarant que les débats conduits sur le sujet avaient été inopportuns132. Il concluait cependant en disant qu’il était légitime que le régime de liberté des cultes qui prévalait en Europe ne fût pas en vigueur dans les États du pape133. Sa défense de la papauté était ainsi fondée sur l’idée, partagée alors par nombre de catholiques, selon laquelle l’État pontifical était un État qui se distinguait par sa nature même des autres États européens.
3. Nécessité du pouvoir temporel et exceptionnalité de l’État romain
47À quelques rares exceptions près, les catholiques défendaient l’idée d’une exceptionnalité de l’État pontifical. Au milieu du XIXe siècle, cette exceptionnalité était avant tout fondée sur l’idée selon laquelle la Providence avait donné à la papauté son pouvoir temporel dans le but de garantir l’indépendance de son pouvoir spirituel. On considérait en effet que la soumission du pape à l’autorité d’un souverain européen risquerait de conduire à des tentatives d’ingérence du pouvoir politique dans les affaires religieuses, comme il en existait dans les pays protestants ou orthodoxes. Par ailleurs, ajoutait-on, une telle situation pourrait également provoquer en retour, dans divers pays catholiques, une action des gouvernements visant à limiter les liens entre les différentes Églises nationales et la papauté, par crainte que celle-ci ne défendît les intérêts d’une puissance étrangère134.
48Comme l’a montré Gaetano Salvemini, la doctrine faisant du pouvoir temporel des papes une garantie de l’indépendance de leur pouvoir spirituel, régulièrement invoquée par la papauté et par les catholiques tout au long des années 1850 et 1860, n’était alors que de diffusion récente135. Le premier pape à l’avoir mise en avant fut Pie VII (allocution Illuxisse, 16 mars 1808)136 et il fallut en fait attendre la révolution romaine de 1848-1849 pour qu’une telle idée se répandît au point de devenir la justification première de la souveraineté des papes. Elle n’eut cependant jamais valeur de dogme et l’avis le plus largement partagé était celui, déjà défendu au moment de la Révolution et de l’Empire par le jésuite Muzzarelli137, d’une nécessité non pas absolue mais relative aux conditions particulières de l’époque.
49Une telle pensée eut un important écho en France, et ce d’autant plus qu’elle fut assez vite laïcisée afin de pouvoir convaincre au-delà des seuls catholiques. Les défenseurs du pouvoir temporel mirent en effet en avant le fait que l’indépendance du pape était également nécessaire au maintien de l’équilibre des puissances en Europe. Ils se fondaient pour cela sur des réflexions de Napoléon citées dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire d’Adolphe Thiers, qui devinrent rapidement un lieu commun de la littérature temporaliste138 :
Le Pape est hors de Paris, et cela est bien. Il n’est ni à Madrid, ni à Vienne, et c’est pourquoi nous supportons son autorité spirituelle. À Vienne, à Madrid, on est fondé à en dire autant.
Croit-on que, s’il était à Paris, les Viennois, les Espagnols consentiraient à recevoir ses décisions ? On est donc trop heureux qu’il réside hors de chez nous, et qu’en résidant hors de chez nous il ne réside pas chez des rivaux, qu’il habite dans cette vieille Rome, loin de la main des empereurs d’Allemagne, loin de celle des rois de France ou des rois d’Espagne, tenant la balance entre les souverains catholiques.
Ces sont les siècles qui ont fait cela, et ils ont bien fait. Pour le gouvernement des âmes, c’est la meilleure, la plus bienfaisante institution qu’on puisse imaginer.
Je ne soutiens pas ces choses par entêtement de dévot, mais par raison.
50La nécessité du pouvoir temporel était ainsi fondée non plus sur des considérations religieuses mais sur des motifs de nature géopolitique. Afin qu’aucun souverain catholique ne prît le pas sur ses rivaux, il était nécessaire que le pape ne dépendît de personne. Mis en avant en 1848-1849, dans le contexte de l’expédition de Rome, un tel argument avait d’autant plus de force que l’on avait envoyé des troupes françaises à Rome afin d’empêcher une restauration de la papauté par l’Autriche. Dès cette époque, cependant, il était possible de percevoir l’ambivalence d’un tel discours. Utilisé jusque-là contre les ambitions d’une puissance rivale, il allait tendre désormais à être employé contre les aspirations du peuple romain.
51Les débats parlementaires autour de l’expédition romaine donnèrent ainsi lieu, en France, à une première formalisation des arguments en faveur du pouvoir temporel des papes et cette formalisation se fit très largement – révolution romaine oblige – dans un sens conservateur et hostile à l’idée de souveraineté du peuple. Le discours d’Adolphe Thiers à cette occasion mettait par ailleurs en évidence le fait que la question romaine était dès cette époque loin de ne préoccuper que les seuls catholiques, puisque le traumatisme suscité par les événements de 1848 poussait alors nombre de libéraux à renier l’hostilité qu’ils avaient pu manifester à l’égard de l’Église au cours des décennies précédentes pour voir en elle une institution susceptible de favoriser la cause de l’ordre139.
52S’exprimant le 8 août 1849, Falloux avait notamment fondé son argumentation sur les propos de Napoléon cités plus haut ainsi que sur d’autres, qui permettaient de mettre en avant l’idée d’une défense du pouvoir temporel au nom du libéralisme :
L’institution qui maintient l’unité de la foi, c’est-à-dire le Pape, gardien de l’unité catholique, est une institution admirable. On reproche à ce chef d’être un souverain étranger. Ce chef est étranger, en effet, et il faut en remercier le ciel.
Quoi ! dans le même pays se figure-t-on une autorité pareille à côté du gouvernement de l’État ? Réunie au gouvernement, cette autorité deviendrait le despotisme des sultans. Séparée, hostile peut-être, elle produirait une rivalité affreuse, intolérable140.
53L’idée exprimée par Napoléon et reprise par Falloux était ainsi fondée sur la nécessité d’une séparation des pouvoirs politique et religieux afin d’éviter l’émergence d’un souverain despotique dont la force reposerait sur la fusion des pouvoirs temporel et spirituel. Si Napoléon évoquait à cet égard l’exemple des sultans, pour un catholique du milieu du XIXe siècle influencé par les écrits de penseurs comme Joseph de Maistre, c’était sans doute moins à l’Islam qu’aux autres religions chrétiennes qu’une telle idée pouvait faire allusion. Les polémiques menées depuis plusieurs décennies contre les protestants141 et les orthodoxes142 avaient en effet largement fait fond sur la subordination dans laquelle le pouvoir politique tenait le pouvoir religieux dans les pays où ces religions étaient dominantes. Le césaropapisme byzantin était ainsi mis en avant pour montrer le danger que faisait naître la confusion des pouvoirs temporel et spirituel, qui risquait de conduire à l’émergence d’un despotisme d’autant plus puissant qu’il commandait à la fois aux corps et aux esprits143. Dès lors, le pouvoir temporel de la papauté pouvait apparaître aux catholiques comme la meilleure garantie pour empêcher une telle situation et préserver la liberté : pour qu’aucun souverain ne fût pape chez lui, il fallait que le pape fût lui-même souverain.
54Si un tel argument reposait sur une conception assez classiquement libérale visant à séparer les pouvoirs pour éviter tout risque de despotisme, les autres justifications du pouvoir temporel mises en avant au cours des discussions parlementaires sur l’expédition de Rome furent bien plus conservatrices. Ancien diplomate à Rome, Thuriot de la Rosière chercha ainsi à démontrer que l’État romain n’était pas un État comme les autres car, loin d’être l’émanation d’un peuple, il était au contraire une création de l’ensemble des catholiques, ce qui permettait de dénier au peuple romain le droit de l’abolir ou de le transformer144. Le représentant de la Marne mettait ainsi en avant une argumentation visant à établir que, de la même manière qu’il est normal que l’intérêt général prévale sur l’intérêt individuel, il était logique que la souveraineté collective de la catholicité prévalût sur la souveraineté du peuple romain. Montalembert, quant à lui, tirant les leçons des révoltes qui avaient suivi les réformes de Pie IX, rappela à la tribune, dans un discours où se faisait sentir toute l’influence qu’exerçait Joseph de Maistre sur sa pensée, que diviser une souveraineté revenait à l’anéantir et que, par conséquent, il était nécessaire non seulement que le pape fût souverain, mais qu’il n’eût pas à partager ses pouvoirs avec une Chambre élue, sous peine d’abolir son principat145.
55Dès 1849, les fondements de l’argumentation temporaliste qui prévaudrait dans les années 1860, étaient ainsi partiellement posés. Les principaux leaders de ce que l’on appelait encore le parti catholique avaient pris position en faveur de la papauté et les dissensions qui avaient commencé à les diviser au sujet de la question de la liberté d’enseignement semblaient disparaître lorsqu’il s’agissait de défendre la papauté146. À dire vrai, une telle situation était due au fait que la question romaine tenait lieu de révélateur de la tension qui existait chez les catholiques libéraux français, et en premier lieu chez leur chef de file Charles de Montalembert, entre les deux principes qu’ils cherchaient à concilier : le catholicisme et le libéralisme ou, pour le dire à la manière de L’Avenir, Dieu et la Liberté. Leur attitude face aux événements romains témoignait bien du fait que ces deux principes n’avaient généralement pas le même poids dans leur esprit147. C’était cette hiérarchie établie entre catholicisme et libéralisme qui expliquait également la position qu’ils adoptèrent à l’égard du mouvement national italien.
III. La question italienne dans le débat politique français
1. Un moyen détourné de faire de la politique sous un régime autoritaire
56Parce que la question italienne n’était pas une simple question nationale, mais renvoyait aussi à des enjeux dont la portée dépassait largement le cadre de la seule péninsule – sécularisation, libéralisation, souveraineté populaire, principe de légitimité, etc. –, elle fit l’objet d’une attention marquée de la part de la presse française. Journalistes et publicistes y trouvèrent un moyen de traiter de sujets qu’il était difficile d’évoquer lorsqu’ils concernaient directement la politique intérieure française, en raison de la surveillance des différents types de publications par le pouvoir.
57Le régime de la presse alors en vigueur avait été établi par plusieurs décrets pris dans les mois qui avaient suivi le coup d’État. Dès le 31 décembre 1851, les délits de presse furent placés non plus sous la compétence des jurys d’assises mais sous celle des tribunaux correctionnels. Surtout, le décret organique du 17 février 1852 et les décrets complémentaires qui le suivirent les 25 février, 1er et 28 mars accentuaient le contrôle des autorités148. Une autorisation du gouvernement était désormais requise pour créer un journal ainsi que pour changer son propriétaire ou son rédacteur en chef. Par ailleurs, interdiction était faite de rendre compte des séances des assemblées autrement que par la reproduction des procès-verbaux officiels. Enfin, était mis en place un nouveau système de surveillance extra-judiciaire : un journal pouvait désormais être suspendu sur décision ministérielle pour une durée maximale de deux mois, alors même qu’il n’avait fait l’objet d’aucune condamnation judiciaire, s’il avait reçu deux avertissements motivés149. La suppression était par ailleurs possible à l’issue d’une suspension judiciaire ou administrative ainsi que par mesure de sûreté générale. Un tel système faisait continuellement peser une épée de Damoclès au-dessus des journalistes et les contraignait à des formes d’autocensure.
58Cette législation de contrôle des publications périodiques et non périodiques fut cependant appliquée de manière assez libérale aux catholiques. Ceux-ci jouissaient d’une liberté d’expression dans l’ensemble plus grande que celle de leurs adversaires, puisqu’ils bénéficiaient du régime de faveur dont le gouvernement impérial avait entouré l’Église depuis son avènement150. Les mandements épiscopaux se trouvaient ainsi de facto dispensés, quel que fût leur sujet, des formalités du timbre et du dépôt, pourtant obligatoires pour toute publication de nature politique. De même, L’Univers – au contraire cependant du Correspondant, dont l’hostilité à l’égard du Second Empire était notoire – semble avoir un temps bénéficié d’une certaine mansuétude de la part du pouvoir impérial, que le nonce attribuait à sa volonté de ne pas troubler l’opinion catholique151.
59Importante pour les questions de politique intérieure, la surveillance de la presse se faisait moins forte à propos des affaires extérieures. Au cours des années 1850, le régime impérial tendit ainsi, en dehors de quelques moments critiques, à laisser une liberté non négligeable aux journalistes et publicistes qui traitaient de la question italienne. Les journaux politiques surent par conséquent s’emparer des questions extérieures pour traiter de sujets sur lesquels ils ne pouvaient écrire qu’avec une grande prudence à propos de la France. À ce titre, les affaires italiennes donnèrent lieu à des débats concernant des sujets aussi importants que la souveraineté populaire, le libéralisme ou encore le rôle de la religion dans les sociétés modernes. À travers ces débats, c’était la situation politique de la France qui était également évoquée de manière indirecte. L’éloge des institutions libérales piémontaises permettait de blâmer implicitement la restriction des libertés politiques par l’Empire autoritaire152 et la question romaine était l’occasion de discuter de la place de l’Église dans la société. Une telle situation expliquait le développement régulier de polémiques parfois violentes au sujet des affaires italiennes, dans lesquelles le gouvernement se gardait généralement d’intervenir directement. La presse pouvait dès lors apparaître aux yeux des catholiques comme un espace de liberté relative où il était possible de porter la défense de leurs intérêts, alors même que l’activité parlementaire sur laquelle ils avaient partiellement fondé leur action dans les années 1840 était désormais stérile, en raison non seulement du contrôle des élections par le gouvernement mais aussi de l’affaiblissement du pouvoir des parlementaires153.
60Journalistes catholiques et anticléricaux avaient d’ailleurs appris à profiter des moindres espaces de liberté pour exprimer leurs opinions sans pour autant risquer un avertissement ou une condamnation judiciaire. Les plus habiles pouvaient ainsi porter de manière voilée des critiques contre la politique du gouvernement. L’un des moyens les plus utilisés pour ce faire était de prendre pour cible un journal officieux dont il était notoire qu’il exprimait l’avis du gouvernement et d’en dénoncer les idées sans pour autant jamais attaquer nommément le pouvoir. Les journalistes savaient par ailleurs user de la prétérition pour exprimer implicitement leur désaccord avec la politique impériale.
61Si les interventions du gouvernement impérial étaient ainsi dans l’ensemble bien plus rares au sujet des affaires extérieures que de la politique intérieure, elles n’étaient cependant pas inexistantes. Profitant de la protection dont ils bénéficiaient de la part du pouvoir, les catholiques purent d’ailleurs par moments tenter, avec des résultats inégaux, d’obtenir de celui-ci la censure de leurs rivaux. Une telle stratégie n’était cependant pas sans limites, comme le montre le caractère contreproductif des démarches entreprises par le nonce Sacconi pour faire cesser la publication des écrits sur Rome d’Edmond About.
62Journaliste et écrivain bénéficiant alors d’une certaine renommée, About avait commencé en juin 1858 à faire paraître en feuilleton dans Le Moniteur plusieurs articles sur Rome154. Ces textes, qui s’inscrivaient au sein d’une série d’articles intitulée « L’Italie contemporaine », ne pouvaient qu’inquiéter le nonce puisqu’About était notamment connu pour avoir publié, quelques années auparavant, un ouvrage intitulé La Grèce contemporaine, dans lequel il s’était montré particulièrement critique à l’égard d’un pays dont il avait pointé l’arriération politique et sociale. Le parallélisme des titres faisait ainsi craindre au nonce qu’About ne récidivât aux dépens de l’Italie en général et de la papauté en particulier. Faisant part de sa méfiance à Antonelli et signalant que les articles déjà publiés sur Rome contenaient un certain nombre d’inexactitudes susceptibles de nuire à l’image du Saint-Siège auprès de l’opinion publique, Sacconi disait avoir attiré l’attention du ministre des Affaires étrangères sur cette question. De fait, le ministre informa quelques jours plus tard le nonce que la publication des articles d’About avait été interdite, tout en manifestant son agacement à l’égard des lignes que le gouvernement pontifical avait fait insérer dans le Giornale di Roma sur cette question155.
63Dans cette affaire, la censure impériale ne profita cependant pas au Saint-Siège. En effet, mécontent d’avoir vu ses articles être interdits à la suite de l’intervention de la papauté, About choisit de faire paraître l’année suivante sous le titre La Question romaine un pamphlet contre le gouvernement pontifical156. L’écrit, remarquable en ce qu’il condensait la quasi-totalité des arguments et lieux communs utilisés par la presse anticléricale, menaçait la papauté dans ses intérêts temporels comme dans son pouvoir spirituel puisqu’il se concluait par un plaidoyer en faveur non seulement de l’affranchissement des provinces adriatiques des États romains157 mais également du renforcement du poids de l’archevêché de Paris au sein de l’Église de France158. N’ayant pas reçu du gouvernement l’autorisation nécessaire pour publier son ouvrage en France, About l’avait fait éditer à Bruxelles, d’où le livre avait ensuite pu circuler librement dans l’Empire. Une telle situation suscita l’indignation de Louis Veuillot, qui publia dans L’Univers plusieurs articles où il attaquait non seulement l’écrivain, accusé de diffamer le gouvernement pontifical, mais également le journal officieux Le Pays, qui avait écrit regretter que le livre fût en vente à Paris, tout en précisant que le gouvernement impérial avait fait tout ce qui était en son pouvoir en empêchant l’impression de l’ouvrage en France159. Comparant le livre d’About à Napoléon le Petit et aux Châtiments, également publiés en Belgique, Veuillot remarquait que le gouvernement avait bien réussi à empêcher l’entrée de ces derniers en France. Le journaliste alla même jusqu’à lancer un avertissement aux hommes d’État qui avaient permis la circulation d’un écrit comme celui d’About : « Vous passerez sous la plume », leur annonçait-il, en les prévenant que de tels écrits pourraient un jour se retourner contre eux160. De tels propos poussèrent le gouvernement impérial à réagir. Louis Veuillot fut convoqué par le ministre de l’Intérieur, le duc de Padoue, qui infligea à L’Univers un avertissement officieux, tandis que, le lendemain, Le Constitutionnel, journal officieux, annonçait que l’ouvrage d’About avait été saisi et déféré aux tribunaux161.
64Une telle affaire était révélatrice à la fois de la portée et des limites de la censure impériale qui s’exerçait sur les publications touchant la question italienne. Loin de bénéficier au Saint-Siège, la censure des articles d’About lui avait au contraire nui puisque l’ouvrage publié in fine par About, et qu’il avait pu un temps faire circuler en France, était incomparablement plus hostile au gouvernement pontifical que les articles qu’il avait fait paraître dans Le Moniteur l’année précédente, qui critiquaient bien davantage le peuple romain que le gouvernement pontifical, dont ils donnaient au contraire une représentation dans l’ensemble assez débonnaire162. L’attitude du gouvernement impérial montrait par ailleurs sa volonté de n’intervenir dans les polémiques qui opposaient catholiques et libéraux qu’en dernier ressort, lorsque son inaction risquait de lui aliéner une partie de l’opinion publique.
65En dehors de tels cas extrêmes, il laissa dans l’ensemble se développer les débats autour des affaires italiennes, permettant notamment à la presse de discuter de sujets tels que les questions nationale et libérale.
2. Les catholiques français face au mouvement national italien
66Au milieu du XIXe siècle, le rapport des catholiques français à l’idée nationale était marqué par un certain nombre de caractéristiques dont atteste le fameux discours de Lacordaire sur la vocation de la nation française, prononcé à Notre-Dame de Paris en 1841163. Ce patriotisme était fondé sur l’idée selon laquelle il existait, pour pasticher une formule célèbre, un pacte pluriséculaire entre la grandeur de la France et la liberté de l’Église. Intérêt national et intérêt du catholicisme étaient considérés comme intimement liés, et la France ne pouvait dès lors qu’affaiblir sa position en Europe en abandonnant le pape. En plus de justifier l’adoption d’une politique étrangère favorable aux intérêts de la religion, l’articulation entre patriotisme et dévouement à l’Église permettait aux catholiques de mettre à distance celles des implications politiques du concept de nation, tel qu’il avait été pensé au moment des Lumières et de la Révolution, qui étaient inconciliables avec la doctrine chrétienne. Les catholiques tendaient dès lors à distinguer un bon patriotisme, qui mêlait dévouement à la patrie et défense de l’Église164, d’un mauvais, au nom duquel se faisaient les attaques contre l’Église et la papauté. La conception catholique de la nation s’opposait ainsi à l’autonomisation que supposait ce terme pour les hommes de gauche. Chez ces derniers, la nation était considérée comme la source du droit, comme en témoignait le concept de « souveraineté nationale », et se trouvait ainsi émancipée de toute instance normative extérieure : selon eux, la nation ne pouvait vivre que selon les lois qu’elle s’était elle-même prescrites et c’était d’elle-même que les gouvernants tiraient leur pouvoir. Était ainsi fondée la conception d’un État superiorem non recognoscens.
67Une telle conception était rejetée par les catholiques, comme l’illustrerait éloquemment la dénonciation par Pie IX, à travers la trente-neuvième proposition du Syllabus, de l’idée selon laquelle « l’État étant l’origine et la source de tous les droits, jouit d’un droit sans limites165 ». En effet, si le catholicisme reconnaissait la distinction entre le spirituel et le temporel, il n’allait pas jusqu’à accepter leur complète séparation. Tout pouvoir, selon la formule célèbre de saint Paul, tire son origine de Dieu et non des hommes. Par ailleurs, la reconnaissance du fait national ne conduisait pas nécessairement à faire de celui-ci une instance supérieure de légitimité dans le domaine politique. En Italie, le problème avait été posé en 1847, lors d’une controverse qui avait opposé Vincenzo Gioberti et Luigi Taparelli d’Azeglio166. Gioberti, en effet, considérait l’indépendance comme une nécessité vitale pour la nationalité et affirmait par conséquent que le droit de nationalité prévalait sur tout autre droit. Dans un opuscule intitulé Della nazionalità, Taparelli d’Azeglio avait affirmé au contraire, d’une part, que l’indépendance n’était pas un attribut nécessaire de la nationalité, d’autre part, que la poursuite de celle-ci ne pouvait être réalisée au détriment du système des droits universels et naturels167. Il en résultait que la soumission à des princes étrangers n’était pas considérée par le penseur jésuite comme un mal en soi et, surtout, qu’il n’était pas permis de renverser un souverain légitime au nom du principe de nationalité. C’était une idée semblable qui fut rappelée par Pie IX en avril 1849 dans son allocution Quibus quantisque, lorsqu’il dénonça, dans une formule qui serait par la suite reprise dans le Syllabus (proposition 64), ceux qui affirmaient que « la violation du serment le plus sacré, que l’action la plus criminelle, la plus honteuse, et en opposition avec la nature elle-même de la loi éternelle, non seulement n’est pas condamnable, mais même est entièrement licite, ou mieux encore digne de toute espèce de louanges, lorsque, pour parler leur langage, elle est entreprise pour l’amour de la patrie168 ». Au milieu du XIXe siècle, ce fut de fait autour de cette question des limites du principe des nationalités comme fondement d’une réorganisation politique de l’Europe que se nouèrent les difficultés des catholiques français à se positionner à l’égard des différents mouvements nationaux en général et de la question italienne en particulier.
68Une telle question avait été posée dès les années 1830 par les différents mouvements nationaux qui avaient alors émergé en Europe. On sait que la papauté fut très largement méfiante à leur égard, comme en témoignèrent les prises de position de Grégoire XVI, qui accordait davantage d’importance au principe d’obéissance à l’égard des pouvoirs légitimes, de quelque religion qu’ils fussent, qu’à un principe des nationalités à l’égard duquel – à l’inverse de son successeur – il était largement insensible. Grégoire XVI condamna ainsi l’insurrection polonaise de 1830-1831, ne montra guère d’enthousiasme pour la cause belge et n’offrit aucun soutien aux mouvements irlandais et grecs169. À cette occasion, certains catholiques français avaient toutefois manifesté leur sympathie, pouvant par moments donner lieu à une véritable mobilisation politique, à l’égard de plusieurs mouvements nationaux. Ce n’était cependant pas un simple attachement au principe des nationalités qui guidait leur bienveillance. Lorsque L’Avenir reprit à son compte le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce fut ainsi avant tout pour défendre les causes des Belges contre les Pays-Bas, des Irlandais contre l’Angleterre et des Polonais contre la Russie. Autrement dit, il n’avait encouragé les mouvements nationaux que là où ils représentaient des mobilisations de peuples catholiques opposés à une domination non-catholique. Dans le même temps, le journal n’avait pas montré une sympathie comparable à l’égard des mouvements révolutionnaires italiens, comme ceux qui agitaient alors les États pontificaux170.
69Au cours des décennies 1850 et 1860, on retrouva de la même manière, chez des hommes qui avaient pu manifester publiquement leur soutien à certains mouvements nationaux171, une profonde méfiance à l’égard de la question italienne, dont Montalembert résumait clairement la raison principale dans une lettre écrite le 6 novembre 1855 à Lacordaire :
Cette souveraineté temporelle du pape […] est la grande difficulté de la question italienne. Qu’on me montre un moyen de la résoudre et je deviens aussitôt le partisan déclaré de l’émancipation italienne172.
70Une telle méfiance était par ailleurs renforcée par le fait que le pays qui semblait le plus à même de porter les aspirations nationales des Italiens avait adopté une législation anticléricale dont on pouvait craindre qu’elle ne fût étendue aux différents territoires qu’il réussirait à annexer. Dès lors, dans l’esprit des contemporains, la question italienne ne pouvait être résumée à une simple question nationale, mais renvoyait également à la question des formes du libéralisme et de la sécularisation.
3. Rejet d’une Italie unitaire et méfiance à l’égard du libéralisme
71Les événements de 1848-1849, en mettant fin au mythe d’un Pie IX libéral susceptible de devenir le pontife que Gioberti avait appelé de ses vœux dans son Primato, eurent notamment pour conséquence de rendre obsolète aux yeux de nombre de patriotes italiens le projet d’une solution fédérale à la question italienne. Dès lors, la solution unitaire, jusque-là principalement portée par les révolutionnaires mazziniens, gagna davantage de soutiens en Italie. Dans l’esprit des catholiques qui refusaient de faire du principe des nationalités le fondement exclusif des transformations à apporter à l’organisation politique de la péninsule, une telle solution posait néanmoins le grave problème de menacer les droits des souverains légitimes. Elle tendait par ailleurs à remettre en cause une conception néo-guelfe largement diffusée tant en France qu’en Italie, et qui faisait de la papauté le cœur même de l’Italie. « Nul ne peut nier, écrivait ainsi Charles de Montalembert en 1856 face aux attaques lancées par Cavour contre le pouvoir temporel, que la véritable unité de l’Italie, son unité morale, inébranlablement fondée sur sa langue, sa gloire et sa religion, n’ait pour clef de voûte, pour symbole et pour garantie l’établissement du Saint-Siège à Rome173. »
72Chez les catholiques libéraux, l’hostilité à l’égard de la conception unitaire de l’Italie reposait par ailleurs sur la méfiance qu’ils nourrissaient à l’égard de la centralisation. Celle-ci se situait en effet à l’opposé de leur vision de la politique et ils l’analysaient, en se référant tant au souvenir de la Révolution qu’à l’actualité du Second Empire, comme une source de despotisme, puisqu’elle renforçait démesurément l’État au détriment des corps intermédiaires, qu’ils considéraient comme de légitimes instances de régulation de la société.
73Respect des souverains légitimes, prégnance d’une conception néo-guelfe de l’Italie, liant inextricablement grandeur de la péninsule et présence de la papauté, et rejet de la centralisation conduisaient ainsi nombre de catholiques à rejeter l’idée d’une unification de l’Italie, à laquelle était généralement préférée sa simple indépendance. Celle-ci permettait de réduire la question italienne à une pure question nationale et de passer sous silence les questions plus spécifiquement politiques des modifications territoriales auxquelles il convenait de procéder et de la libéralisation des institutions. Le problème italien se trouvait dès lors limité à celui de la domination autrichienne sur la péninsule. Une telle reformulation de la question italienne posait cependant toujours la question des moyens acceptables pour conduire à l’expulsion de l’Autriche, et notamment de la légitimité d’un rapprochement franco-piémontais dans ce but, dont la possibilité fut évoquée dans plusieurs correspondances au milieu des années 1850, alors que l’Autriche avait refusé de rejoindre le camp franco-britannique lors de la guerre de Crimée. La démission du ministre de l’Intérieur Drouyn de Lhuys semblait d’ailleurs à cette époque accréditer un tel rapprochement174.
74Sur cette question également, la ligne de partage entre catholiques ne passait pas entre intransigeants et libéraux, mais séparait les plus conservateurs de ceux qui étaient favorables à une modification de la situation de l’Italie. Les premiers craignaient avant tout qu’une intervention de la France en Italie n’accentuât encore davantage les difficultés du Saint-Siège en expulsant de la péninsule le pays qui, depuis 1815, y apparaissait comme le principal garant de l’ordre. Dans l’esprit de Montalembert, par ailleurs, l’opposition à toute intervention française en Italie était également liée à l’horreur que lui inspirait le régime impérial, dont il craignait qu’une victoire militaire en Italie n’achevât de le renforcer en France, au détriment des libertés qui avaient jusque-là subsisté175. Lacordaire, au contraire, considérait que la guerre contre l’Autriche serait juste, puisqu’elle aurait pour but de rendre la liberté à une nationalité opprimée176 et Eugène Rendu trouvait également nécessaire tant pour des raisons religieuses – l’influence exercée par l’Autriche sur la papauté dans un sens réactionnaire – que pour des raisons politiques – l’influence de l’Autriche en Italie – que la France mît un terme à la domination autrichienne sur la péninsule177.
75Cette dernière position était très minoritaire parmi les catholiques influents en France, et il faut noter à ce sujet l’écart existant entre les catholiques libéraux italiens qui, comme Alessandro Manzoni, Gino Capponi ou Massimo d’Azeglio, considéraient avec bienveillance le mouvement national qui se développait dans la péninsule, et la plupart des catholiques libéraux français, qui au contraire le regardaient avec méfiance. Les catholiques italiens purent à ce sujet regretter la méconnaissance de la situation réelle de la péninsule de la part des catholiques français, jugement qui trouve sa confirmation dans la vision très largement stéréotypée de l’Italie – et des Italiens – qui se dégageait de nombre d’écrits. Les vices italiens178 – notamment romains – étaient ainsi très régulièrement signalés par la presse catholique française et servaient de justifications aux réticences qu’elle affichait alors à l’égard d’une libéralisation des institutions des États de la péninsule, qui ne pourrait conduire, en raison de l’immaturité des populations, qu’à déstabiliser davantage l’Italie179. Commentant dans Le Correspondant un ouvrage du député irlandais John-Francis Maguire sur le gouvernement et les institutions de l’État romain, Charles-Félix Audley insistait ainsi sur « les défauts du caractère italien, si disposé à condamner dans ses gouvernants les résultats de sa propre inertie et de son manque d’initiative180 ».
76Qu’ils fussent favorables au maintien du statu quo ou qu’ils défendissent des réformes en Italie, les catholiques français se retrouvaient pour considérer que la situation politique italienne était une question dont l’importance dépassait largement la seule péninsule. Le souvenir des révolutions de 1789, 1830 et 1848, dont les conséquences avaient rapidement dépassé les pays où elles avaient d’abord éclaté, était encore fortement présent dans les esprits et conduisait à analyser les événements italiens en les réinsérant dans un cadre européen et en pensant leurs répercussions en France. L’attentat du Romagnol Felice Orsini, survenu en janvier 1858, favorisa ce type d’analyses. Il témoignait en effet à la fois de l’état d’ébullition permanent dans lequel se trouvait l’Italie et des risques qu’une telle situation faisait courir au reste de l’Europe. Si, dans un premier temps, il parut jouer en faveur de l’Église en montrant que les ennemis de Napoléon III étaient les mêmes que ceux de la papauté, la publication de la lettre d’Orsini à l’empereur montra que la situation était en réalité loin d’être aussi claire. Le document, dans lequel le Romagnol adjurait Napoléon III de libérer l’Italie, fut en effet lu par son avocat, Jules Favre, au cours de son procès, puis reproduit avec l’assentiment de l’empereur dans Le Moniteur. Une telle publication montrait que Napoléon III n’avait pas perdu ses sympathies italiennes et qu’il conservait toujours le désir d’intervenir dans les affaires de la péninsule.
Notes de bas de page
1 Maurain 1930, p. 175‑179.
2 Réuni à Paris du 25 février au 16 avril 1856 pour mettre un terme à la guerre de Crimée, le congrès de Paris fut plus largement l’occasion pour les puissances d’examiner d’autres problèmes européens. Cf. Ameil – Nathan – Soutou 2009 et Bruley 2012, p. 161-178.
3 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 96, Sacconi à Antonelli, 6 août 1857 (la lecture de la dépêche montre que sa datation est mauvaise et qu’il faut sans doute lire « 6 septembre »).
4 Voir sa lettre à Mgr de Mérode du 21 janvier 1860, reproduite dans : Montalembert 1970, p. 225.
5 Romeo 1984, p. 222.
6 Ibid., p. 245.
7 Voir sa lettre à Napoléon III du 8 février 1856, reproduite dans : Pirri 1951a, p. 5-6.
8 Sur Antonelli : Falconi 1983 ; Coppa 1990.
9 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 95, Antonelli à Sacconi, 9 février 1856.
10 Devenu ministre des Travaux publics de Pie IX en mars 1848, Minghetti s’était retiré au lendemain de l’allocution du 29 avril. Il s’était rapproché de Cavour à partir de 1852.
11 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 95, Antonelli à Sacconi, 29 mars 1856.
12 Ibid., b. 95, Sacconi à Antonelli, 13 avril 1856.
13 Sacconi signala le 13 avril avoir appris de source sûre qu’Anglais et Piémontais avaient appelé l’attention des puissances sur les questions romaine et napolitaine. Ce ne fut cependant qu’au début du mois de mai que le secrétaire d’État Antonelli dit avoir la certitude que l’on avait bien parlé des affaires italiennes lors du Congrès. Ibid., b. 95, Antonelli à Sacconi, 7 mai 1856.
14 Romeo 1984, p. 246
15 Sur l’attitude générale de la presse française face à l’évocation de la question italienne lors du congrès de Paris : Gut 1970.
16 L’Univers, 15 avril 1856.
17 Encore faut-il signaler que, en raison des exigences du plénipotentiaire autrichien Buol, le protocole publié ne reflétait que partiellement la teneur réelle des discussions. Romeo 1984, p. 246.
18 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 95, Sacconi à Antonelli, 13 avril 1856.
19 Veuillot 1899-1913, III, p. 33.
20 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 95, Sacconi à Antonelli, 13 avril 1856.
21 Ibid., b. 95, Sacconi à Antonelli, 17 mai 1856.
22 La Civiltà cattolica, série 3, II, 1856, p. 591.
23 Gut 1971.
24 Montalembert 1856.
25 Le Correspondant, 25 juin 1856.
26 Sur les massacres perpétrés par Callimaco Zambianchi, commandant du corpo dei finanzieri, lors de la révolution romaine : Monsagrati 2014, p. 88-93.
27 Zambianchi 1856.
28 Réponse à Montalembert 1856.
29 Comme le remarque Philippe Gut, la question romaine occupe une place centrale dans la presse française jusqu’en juin 1856, date à laquelle elle est remplacée pour un temps par la question napolitaine. Gut 1971, p. 556.
30 Boudon 2001, p. 321‑323.
31 Romeo 1984, p. 245.
32 Traniello 2011.
33 Romeo 1984, p. 437.
34 AD Bouches-du-Rhône, 4 M 2374, lettre du commissaire de police d’Aubagne, 10 décembre 1852. Je remercie Pierre-Marie Delpu de m’avoir signalé ce document.
35 Il s’agit de la loi Rattazzi.
36 L’Ami de la religion, 24 avril 1856.
37 Ibid., 7 janvier 1858.
38 Ibid., 26 juin 1856.
39 Ibid., 25 décembre 1856.
40 Le Correspondant, avril 1856.
41 La législation des années 1850 remettait en cause le concordat de 1841.
42 Le Correspondant, avril 1856.
43 Milbach 2015.
44 Boutry 1995.
45 Le Correspondant, novembre 1856.
46 Sur ces élections, on se reportera à Romeo 1984, p. 377-386. Le centre libéral remporta 90 sièges, la droite 75 et la gauche 21. Si les libéraux conservaient donc la majorité, le succès des cléricaux dépassait toutes leurs attentes.
47 Le Correspondant, décembre 1857.
48 « Le Correspondant a des faiblesses pour le Piémont », notait ainsi non sans malice Louis Veuillot le 10 novembre 1857.
49 L’Ami de la religion, 25 décembre 1856 : « Dans le reste de la péninsule, le catholicisme est respecté et le Saint-Siège honoré : en Piémont, l’un est poursuivi, l’autre méprisé. Là, les œuvres chrétiennes se multiplient, ici elles sont détruites. À Naples, depuis longues années [sic], les charges publiques ne se sont pas accrues d’un centime ; ici, en neuf ans, elles ont augmenté du triple. […] Les voyageurs trouvent dans les États de l’Église et des Deux-Siciles la vie à bon marché, la sincérité et la paix ; le Piémont ne leur offre plus aucun de ces avantages. »
50 Minnerath 2012, p. 36.
51 Martina 1985, p. 63.
52 Minnerath 2012, p. 49.
53 L’Univers, 21 octobre 1851.
54 Minnerath 2012, p. 49-51.
55 Sur l’échec de l’accord de 1857 : Martina 1967, p. 305-309.
56 L’Ami de la religion, 13 juin 1857
57 L’Univers, 7 juillet 1857. Voir aussi L’Ami de la religion, 8 août 1857.
58 Dans le droit fil des réflexions qu’il avait publiées en 1852 dans Des intérêts catholiques au XIXe siècle, Montalembert écrivit à Cesare Cantù à propos du concordat autrichien : « Quant à moi je trouve qu’on oublie beaucoup trop que toutes les libertés garanties à l’Église par ce traité, et d’autres beaucoup plus étendues ont été assurées au Catholicisme, il y a vingt-cinq ans, par la Constitution Belge. Je crains que la censure exercée par les ecclésiastiques et le monopole de l’enseignement confié aux évêques ne provoque contre la religion une formidable réaction, même dans les États allemands de l’Autriche. » Lettre reproduite dans : Kaucisvili Melzi d’Eril 1969, p. 127.
59 L’Ami de la religion, 7 mai, 6 octobre et 20 octobre 1857.
60 Voir à ce sujet, dans une perspective articulant dénonciation du régime des Bourbons et renforcement des stéréotypes dépréciatifs sur le sud de l’Italie : Moe 2002, p. 126-155. Sur la situation politique du royaume des Deux-Siciles au milieu du XIXe siècle, la principale référence est De Lorenzo 2013.
61 Delpu 2019, p. 393-397.
62 Id. 2021.
63 Sur l’écho des lettres de Gladstone en Europe : Gajo 1973, p. 31-47.
64 Gladstone 1851.
65 C’est en France que les critiques des lettres de Gladstone furent les plus importantes, en raison à la fois des liens entre le royaume de Naples et les États pontificaux et de la rivalité des politiques française et anglaise en Italie. Gajo 1973, p. 38.
66 Les articles de Gondon furent reproduits sous forme d’ouvrage : Gondon 1851.
67 Di Rienzo 2012.
68 La question est évoquée dans la quasi-totalité des numéros de L’Ami de la religion d’octobre 1856.
69 Sur l’attitude de la diplomatie pontificale, qui, tout en désapprouvant l’ingérence de la France et de l’Angleterre, chercha à obtenir des concessions de la part de Ferdinand II de manière à éviter une intervention des puissances à Naples : Cummings 1990.
70 Hearder 1960.
71 Ibid., p. 228.
72 Ibid., p. 229.
73 Le nonce Sacconi analysa la solution donnée à l’affaire du Cagliari comme une victoire de la Révolution sur l’ordre. AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 96, Sacconi à Antonelli, 18 juin 1858.
74 Hearder 1960, p. 234.
75 Arlincourt 1850.
76 La place du thème de la conspiration dans les imaginaires politiques a été mise en évidence par l’étude classique de Raoul Girardet : Girardet 1986. Dans le cas de la culture politique contre-révolutionnaire, sa prégnance doit beaucoup aux Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme de l’abbé Barruel.
77 Arlincourt 1850, p. 9.
78 Encore à la fin du XIXe siècle, l’abbé Staub le cite dans l’ouvrage qu’il consacre à la Légion romaine. Staub 1894, p. 34-35.
79 Balleydier 1851a.
80 Id. 1851b.
81 Si le vicomte d’Arlincourt avait lui aussi adopté ces mêmes bornes chronologiques, elles ne l’avaient cependant pas conduit à accorder la même place centrale à la papauté.
82 Cette idée avait déjà été exprimée par Pie IX dans l’allocution Quibus quantisque (20 avril 1849).
83 Montalembert 1856, p. 41-42.
84 Dès 1848-1849, l’ensemble des quotidiens catholiques avaient condamné – avec des arguments variant en fonction de leur positionnement politique et religieux – la révolution et la république romaines. Cf. Reverso 2008.
85 Sur l’expédition de Rome : Jolicœur 2008, p. 273-320.
86 Le Correspondant, décembre 1857 et L’Ami de la religion, 16 janvier, 2 et 9 février 1858.
87 L’Ami de la religion, 16 janvier.
88 L’Univers, 7 novembre 1857.
89 Bourgeois – Clermont 1907, p. 10.
90 Tocqueville qualifia le motu proprio de la manière suivante : « un modèle accompli d’astuce politique ; pas une promesse à côté de laquelle on n’ait placé le moyen d’y manquer ; pas une concession qui ne recèle une facilité pour se rétracter, pas une institution libérale dont la valeur ne soit annulée par un commentaire ou une addition qui peut la réduire à rien. » Cité dans Jolicœur 2008, p. 180.
91 Discussion sur les affaires de Rome 1849, p. 91.
92 Ibid., p. 92‑93.
93 Montalembert avait pris le contrôle du Correspondant en 1855. Sur la situation de la presse catholique libérale en France jusqu’à cette date, on se réfèrera à Milbach 2006.
94 Dougherty 1991.
95 Sur L’Ère nouvelle, on se réfèrera à : Morel 1977 ; Bressolette 1999. Sur le positionnement du journal à l’égard du mouvement national Italien : Ferrari 1959.
96 Sur Eugène Rendu et son positionnement au sujet de la question nationale italienne : Gay 1931b, p. 27-100.
97 Après la disparition de L’Ère nouvelle en avril 1849, la Revue des réformes et du progrès avait regroupé sous la direction de l’abbé Chantôme plusieurs des rédacteurs les plus avancés politiquement de l’ancien quotidien. Dans son premier numéro, l’abbé Chantôme affirmait probable la disparition du pouvoir temporel de la papauté et allait jusqu’à préciser : « Dans les circonstances actuelles, la rentrée à Rome de Pie IX, comme roi, est moralement impossible. »
98 Rendu 1849.
99 Voir sa lettre du 2 avril 1853 à Gino Capponi, publiée dans : Carraresi 1884, p. 77.
100 Exemplaire de cette littérature est l’ouvrage publié en 1859 par Edmond About sous le titre La Question romaine.
101 Évêque de Langres (1834-1851) puis d’Arras (1851-1866), Pierre-Louis Parisis joua un rôle fondamental au moment de la lutte en faveur de l’enseignement en soutenant l’action de Montalembert, à une époque où bien des prélats se montraient pourtant réticents face à l’immixtion des laïcs dans les affaires de l’Église. Il apparaissait alors comme l’un des principaux soutiens du catholicisme libéral au sein de l’épiscopat français. Les discussions autour de la loi Falloux, en laquelle il ne voyait qu’une loi de compromis insatisfaisante, le conduisirent cependant à se séparer de Montalembert. Sa sympathie pour l’Empire acheva par la suite de l’éloigner des catholiques libéraux. Au cours des années suivantes, il fut l’un des principaux appuis de Louis Veuillot et de L’Univers dans l’épiscopat. Guillemant 1916.
102 Elle fut ainsi intégralement reproduite dans L’Univers le 24 juin et dans L’Ami de la religion du 26 juin.
103 Parisis 1858, p. 342-343.
104 Ibid., p. 343
105 Duroselle 1951 ; Levillain 1983 ; Mayeur 1986.
106 Parisis 1858, p. 348.
107 Voir à ce sujet la lettre de Falloux à Corcelle du 2 juin 1856, dans la correspondance d’Alfred de Falloux dont Jean-Louis Ormières a réalisé une édition électronique : http://correspondance-falloux.ehess.fr/index.php?2964 (consultée le 31 mars 2017).
108 Le Correspondant, juillet et août 1856, et septembre 1857. Ces articles furent publiés sous la forme de deux brochures en 1856 et 1857.
109 Voir à ce sujet la lettre de Cochin à Falloux du 26 juillet 1856, publiée dans : Ormières 2003, p. 35.
110 On retrouve une argumentation semblable dans les articles qu’Henry de Riancey publia les 3 et 10 juin 1856 dans L’Ami de la religion sous le titre « La souveraineté temporelle du pape ».
111 Le Correspondant, juillet 1856.
112 Ibid., août 1856.
113 Ibid., septembre 1857.
114 Parce qu’elle rompait avec le refus de son prédécesseur de permettre le développement de ce qu’il nommait le « chemin d’enfer » dans les États romains, la décision de Pie IX de permettre la construction de plusieurs lignes ferroviaires quelques semaines seulement après son élection au trône de saint Pierre avait frappé les contemporains. Lagrée 1999, p. 223-224.
115 Le Correspondant, août 1856 et septembre 1857.
116 Les années 1850 furent marquées par une surveillance renforcée de la papauté à l’égard des prises de position des catholiques français dans l’espace public, dont témoigna l’intervention accrue des congrégations romaines. Cf. Gough 1996.
117 Les catholiques libéraux 1974.
118 Montalembert 1970, p. 99-100.
119 Ibid., p. 101.
120 Savart 1971.
121 Michon 1856.
122 Sur l’affaire Mortara : Kertzer 2001. Pour une étude des enjeux religieux, juridiques et politiques de l’affaire : Boutry 2009. Enfin, sur les polémiques suscitées en France : Winock 2003.
123 Boutry 2009, p. 64.
124 Revue des deux mondes, 1er novembre 1858.
125 Carteggio Cavour-Nigra 1926-1929, I, p. 213.
126 AN, BB30 376, rapport trimestriel du procureur général de Colmar, 6 janvier 1859.
127 Delacouture 1858, p. 6.
128 Guibert 1858. La lettre est datée du 28 décembre 1858.
129 Ibid., p. 9.
130 Né en 1806, Prosper Guéranger fut l’un des principaux représentants du catholicisme intransigeant dans la France du milieu du XIXe siècle. Son intérêt pour l’histoire, et notamment pour le Moyen Âge, ainsi que la ferveur romaine qu’il avait tirée de la lecture de Lamennais, le conduisirent à défendre l’adoption de la liturgie romaine au sein des diocèses de France. Dans cet esprit, il restaura l’ordre des bénédictins en 1837 et publia de 1840 à 1851 son œuvre majeure : les Institutions liturgiques. Petit 2010, p. 39-50.
131 Lettre à Mgr de Mérode du 21 janvier 1860. Reproduite dans : Montalembert 1970, p. 225.
132 L’Ami de la religion, 4 novembre 1858.
133 Ibid., 6 novembre 1858.
134 Pie IX exprima une telle idée le 20 avril 1849, au cours de l’allocution Quibus quantisque.
135 Salvemini 1969, p. 94-107.
136 Ibid., p. 300.
137 Camaiani 1973, p. 68.
138 À titre d’exemples, Falloux cita ce passage dans son discours devant l’Assemblée législative du 7 août 1849, Henri de Riancey dans L’Ami de la religion du 26 mai 1856 et Montalembert dans son article du Correspondant « Pie IX et Lord Palmerston en 1856 ». Il fut par la suite largement utilisé dans les brochures temporalistes des années 1860.
139 Agulhon 1973, p. 145-146.
140 Discussion sur les affaires de Rome 1849, p. 21-22.
141 Sacquin 1998.
142 Tamborra 1992.
143 En France, le thème serait largement exploité par Louis Veuillot au cours des années 1860.
144 Discussion sur les affaires de Rome 1849, p. 46‑50.
145 Ibid., p. 94.
146 Alors que les relations entre Louis Veuillot et Charles de Montalembert étaient déjà teintées de rivalité, le journaliste publia un vibrant éloge du discours du comte devant l’assemblée dans L’Univers du 20 octobre 1849.
147 Montalembert le reconnaissait lui-même. Voir à ce sujet sa lettre du 12 décembre 1848 citée dans Lecanuet 1895-1902, II, p. 445 : « Je suis à mille lieues d’admettre qu’il y ait la moindre contradiction entre la liberté, la vraie liberté (non démocratique) que j’ai toujours servie, que je compte servir toujours, et la souveraineté temporelle des Papes. Mais si l’on venait à bout de me démontrer qu’il y a incompatibilité, mon choix serait bientôt fait. J’irais là où me conduit l’autorité de dix siècles catholiques, d’accord avec la logique, le bon sens et le respect des choses saintes. »
148 Charle 2004, p. 91-92.
149 Sur le système des avertissements, voir : Godechot et al. 1969, p. 249-250 ; Robert 2011, p. 76-81.
150 Maurain 1930, p. 52‑82.
151 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 96, Sacconi à Antonelli, 17 juillet 1858.
152 C’est ce qu’avait très bien perçu La Civiltà cattolica, dont la « Cronoca contemporanea » de la fin mai 1857 signalait que l’un des moyens par lesquels les journaux et écrivains hostiles à Napoléon III pouvaient le combattre en sécurité était de comparer la France à l’Angleterre, à l’Amérique, à la Belgique ou encore au Piémont, en mettant en évidence les bienfaits du système représentatif et de la liberté dans ces pays. La Civiltà cattolica, série 3, VI, 1857, p. 626.
153 Voir la lettre envoyée par le cardinal Donnet à Charles de Montalembert, le 12 août 1856, citée dans Le Correspondant de septembre 1856 : « Ce sera l’un des titres d’honneur de notre temps, si peu fécond en œuvres vraiment littéraires, que l’unanimité et l’énergie déployée dans la presse catholique, en faveur de la souveraineté et de la liberté des États d’Italie, en faveur surtout du Siège apostolique. Là où la tribune a manqué, la presse a suppléé ; les orateurs devenus publicistes ont confié à des recueils ou à des livres l’écho de ces voix qui vibraient sous les voûtes retentissantes de la représentation nationale. »
154 Le Moniteur, 11, 19, 25 et 26 juin et 3, 10, 18, 25 et 26 juillet 1858.
155 AAV, Arch. Nunz. Parigi, b. 96, Sacconi à Antonelli, 30 juillet 1858.
156 About 1859.
157 Ibid., p. 304.
158 Ibid., p. 306.
159 L’Univers, 14 mai 1859.
160 Ibid., 15 mai 1859.
161 Veuillot 1899-1913, III, p. 263-264.
162 Voir par exemple l’article du 3 juillet, intitulé « Le jeu des couteaux », où l’on retrouvait nombre de stéréotypes sur la violence du peuple romain tandis que le seul reproche qui était adressé au gouvernement pontifical était de ne pas être, en raison de ses vertus chrétiennes, assez dur à l’égard des assassins.
163 Lacordaire 1841.
164 Ibid., p. 3.
165 Reipublicae status, ut pote omnium jurium origo e fons, jure quodam pollet nullis circumscripto limitibus. Traduction française reprise de : Armogathe 1967, p. 62.
166 Traniello 1990a.
167 Ibid., p. 43.
168 Traduction reprise de : Recueil 1865, p. 231.
169 Formigoni 1998, p. 18.
170 Aubert 1958, p. 340-341 : « L’incompréhension persistante de la plupart des catholiques libéraux français du milieu du siècle à l’égard du Risorgimento apparaît déjà ici », note fort justement l’historien belge.
171 Sous la monarchie de Juillet, Montalembert avait ainsi notamment défendu la cause des Polonais à la Chambre des pairs. Il fut par ailleurs l’auteur d’une traduction en français du Livre des pèlerins polonais de Mickiewicz.
172 Montalembert 1970, p. 74.
173 Id. 1856, p. 21.
174 Voir les réflexions d’Eugène Rendu dans sa lettre à Gino Capponi du 20 mai 1855, publiée dans Carraresi 1884, p. 145.
175 Voir sa lettre à Lacordaire du 6 novembre 1855, reproduite dans Montalembert 1970, p. 74.
176 Lacordaire à Montalembert, 8 septembre 1855 : « Qu’y a-t-il de plus juste que de restaurer des nationalités opprimées ? […] Si jamais la France passe les Alpes pour arracher l’Italie à l’Autriche, ce sera, depuis les croisades, une des guerres les plus glorieuses et les plus sacrées qu’elle aura faites. » Reproduit dans Montalembert 1970, p. 67.
177 Voir sa lettre à Gino Capponi du 20 mai 1855, publiée dans Carraresi 1884, p. 145-146.
178 La formation des stéréotypes dépréciatifs nationaux a été étudiée pour le cas italien par Patriarca 2010.
179 Voir par exemple la « Revue politique » du Correspondant de mai 1856.
180 Le Correspondant, janvier 1858.
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