Charisme et auctoritas des imperatores et du prince à la fin de la République et sous le Haut-Empire
À propos d’une relation complexe
p. 181-204
Texte intégral
1Le charisme wébérien pose aux historiens un problème central et crucial, qui est celui des modalités d’application de cette notion, voire tout simplement de son applicabilité à un contexte historique spécifique, en l’occurrence celui de la société romaine1. L’emploi de notions contemporaines pour rendre compte de réalités antiques est de nos jours un usage commun, voire banal. Rejetée autrefois – et encore parfois aujourd’hui – au nom d’une tradition scientifique qui n’entendrait recourir qu’à des notions effectivement attestées et utilisées durant l’Antiquité, une telle pratique ne doit surtout pas être condamnée a priori, car une réalité n’a pas nécessairement besoin d’être dénommée pour exister2. Elle ne doit pas non plus faire l’économie d’une mise au point terminologique préalable qui définit les significations contemporaines de tel ou tel terme et détermine s’il est ou non possible de le projeter dans l’Antiquité moyennant des « ajustements ». C’est la seule méthode possible, celle qui permet de faire pour l’Antiquité un usage intelligent d’une notion contemporaine sans la galvauder et, surtout, sans nier la spécificité des sociétés anciennes.
De l’application des notions contemporaines à l’Antiquité (romaine) : propos liminaires
2Un des meilleurs exemples des difficultés posées par l’emploi d’une notion non attestée par les sources antiques est celui du terme « propagande », qui apparaît au début du XVIIe siècle par référence à la volonté du pape Grégoire XV de diffuser la foi chrétienne à travers la congregatio de propaganda fide et sur laquelle se sont greffées au XXe siècle de nouvelles connotations, le plus souvent négatives, quand il s’est agi de désigner une mise en condition des masses populaires par un régime politique autoritaire3. On a pu constater plusieurs réactions à l’égard – ou à l’encontre – d’un tel terme de la part des antiquisants : soit un usage « relâché », de loin le plus fréquent, qui consiste à appliquer cette notion à l’Antiquité sans chercher à mesurer au préalable dans quelle mesure sa perception par les anciens est sur ce point différente ou non de la conception contemporaine ; soit un rejet total et définitif, qui conduit à préférer parler d’« apparat », d’« ostentation », d’« autoreprésentation » ou tout simplement de « représentation4 » ; soit la solution dite « étymologique », qui veille à limiter l’emploi de propagande à son seul sens étymologique de propagare – à savoir la simple diffusion d’idées ou de discours dans le but d’informer et/ou d’éduquer5 ; soit enfin un usage limité à des situations historiques spécifiques pour lesquelles on a constaté de la part des prétendants au pouvoir une volonté d’influer sur l’opinion des différents acteurs politiques et de chercher à les convaincre par différents moyens (discours, images, monnaies…), par exemple à l’époque triumvirale ou encore pendant la crise de 68-69 ap. J.-C.6. La palette des réactions est donc variée. La même analyse vaut pour d’autres notions aussi centrales à l’heure actuelle que « réforme », « prestige » ou encore « opinion publique » : ce sont là autant de notions que j’ai appliquées à l’histoire de l’Antiquité après avoir cherché à en neutraliser au préalable le potentiel anachronique, c’est-à-dire après avoir pris la peine de montrer qu’à un même terme sont attachées des significations différentes et spécifiques en fonction de la période prise en compte7. De tels propos liminaires peuvent apparaître éloignés du sujet à traiter, qui est le charisme, mais ils constituent un préalable jugé ici nécessaire pour définir d’emblée la direction générale adoptée dans le cadre d’une réflexion collective sur le charisme. De manière générale, cette étude défendra sans réserve l’idée selon laquelle l’anachronisme apparent doit être accepté, et exploité8, pourvu qu’il soit maîtrisé et à partir du moment où il met l’accent sur des réalités indéniables auxquelles les anciens ne donnèrent pas toujours de nom.
3Le choix du vocabulaire, dont on mesure à quel point il est déjà en soi compliqué, et de tout ce qu’il implique se complique encore davantage quand un terme spécifiquement contemporain se superpose à un autre terme d’origine antique pour exprimer la même idée, ou en tout cas une idée assez proche. C’est à ce stade de l’enquête qu’entre en scène la notion wébérienne de « charisme » quand on choisit celle-ci non seulement pour caractériser le comportement des aristocrates9, la personnalité des imperatores de la fin de la République et de l’empereur romain ou encore la forme prise par son pouvoir, mais aussi pour rendre compte de l’aptitude d’un individu à se faire accepter comme chef, et donc à se faire obéir. Dans ce cas, la difficulté ne vient pas tant de l’application à l’Antiquité – banale en soi – d’une notion inventée et conçue à l’époque contemporaine que du fait qu’il existait déjà en latin, et aussi en grec, un terme antique que les Romains et les Grecs d’époque romaine utilisaient pour définir une forme de primauté et faire de celle-ci le fondement de l’adhésion de toute une société à un groupe d’individus (l’aristocratie) ou à un seul individu (le prince) : en l’occurrence l’auctoritas, traduite en grec d’ordinaire par ἀξίωμα10.
4L’auctoritas individuelle est sans doute la notion romaine la moins éloignée de la notion wébérienne de charisme. Elle finit par apparaître dans les sources comme le fondement de la place nouvelle prise par un seul homme à la tête de la res publica et de la capacité de ce dernier à se faire reconnaître comme princeps, et donc à se faire obéir. C’est ce qui explique en particulier pourquoi plusieurs juristes et historiens, en particulier Fr. Schulz, M. Stahl et M. Sommer, ont récemment jugé bon de faire du charisme « la traduction wébérienne pour auctoritas11 », point sur lequel je reviendrai plus en détail infra. La notion romaine est toutefois loin d’être un parfait décalque de la notion wébérienne et inversement, chaque société produisant ses propres modèles de comportement dans l’exercice de la domination politique. Il est ainsi évident que les notions contemporaines d’« autorité », d’« authority », d’« autorità » ou encore d’« autoridad » ne sont pas non plus strictement identiques à l’auctoritas romaine, même si elles dérivent directement de cette dernière, car le laps de temps entre l’auctoritas antique et les formes de l’autorité moderne – plus d’un millénaire – sont tels que cette notion a nécessairement évolué.
5Faut-il dès lors penser que le charisme wébérien définit mieux l’auctoritas romaine que les notions contemporaines d’autorité ou, inversement, que les notions contemporaines d’autorité définissent mieux l’auctoritas romaine que le charisme wébérien ? En d’autres termes, faut-il opposer Max Weber à Alexandre Kojève ou à Hannah Arendt, ces deux derniers étant les philosophes contemporains qui ont le mieux contribué à définir ce qu’était l’autorité au XXe siècle12 ? La question est en réalité mal posée, et pour tout dire contaminée par le contexte épistémologique dans lequel s’inscrivent aujourd’hui – ou devraient s’inscrire – les historiens de l’Antiquité spécialistes du politique. Toute étude d’une notion attestée dans l’Antiquité, en l’occurrence l’auctoritas, et de tout ce qu’elle recouvre, en l’occurrence les fondements du pouvoir aristocratique, puis impérial, ne doit pas se rattacher d’emblée à un modèle sociologique plutôt qu’à un autre ; elle doit commencer par rassembler toutes les attestations de ce terme dans les sources et procéder à une analyse interne qui replace chacune de ces attestations dans son contexte d’utilisation et dans son cadre chronologique13. Ce n’est que dans un second temps que l’on peut utiliser la boîte à outils que livre un savant comme Max Weber – ou du reste celles qui sont fournies par Alexandre Kojève et Hannah Arendt – de manière à faire mieux ressortir des aspects qui n’apparaissent qu’en filigrane dans les sources et ainsi à mieux comprendre les fondements et les pratiques du pouvoir à Rome. Bref, la notion de charisme est un moyen efficace de poser aux sources antiques des questions le plus souvent inédites, et de mieux saisir la spécificité du fonctionnement du pouvoir romain quand on le compare aux pratiques nécessairement différentes auxquelles se réfère Max Weber – ou auxquelles il ne se réfère précisément pas, étant donné qu’il parle avant tout d’idéal-type.
L’auctoritas et le charisme wébérien : étude comparée de notions parallèles
6Une étude comparée de l’auctoritas romaine et du charisme wébérien sera ici menée avec l’objectif de mieux comprendre les fondements même du pouvoir dans un jeu constant de va-et-vient entre le terme remontant à l’Antiquité et la notion forgée à l’époque contemporaine. Il s’agira donc de montrer dans cette partie non seulement dans quelle mesure l’auctoritas romaine est la notion permettant de mieux rendre compte des fondements (autres que proprement juridiques) du régime impérial, mais aussi comment les éléments constitutifs du charisme wébérien éclairent en retour, mais aussi et surtout par contraste, les pratiques propres au pouvoir impérial romain, au sein d’un régime que l’on appelle le Principat.
7L’auctoritas est une notion centrale de la culture politique romaine, et ce dès l’époque républicaine. Formée à partir de la racine aug-, elle entretient un rapport de parenté étroit avec le substantif auctor et le verbe augere, « augmenter », qui est l’action et le résultat produits par l’auctor, ainsi qu’avec l’adjectif Augustus, décerné comme surnom à tous les empereurs14. Attachée à une série d’acteurs, au sommet desquels se trouvait à l’époque républicaine l’ensemble des sénateurs, elle fait donc spécifiquement référence au surcroît de pouvoir et à une forme d’ascendance résultant de l’initiative ou de l’action de l’individu ou du groupe auquel est attribuée et reconnue une telle qualité. Il faut préciser que l’auctoritas n’était pas une donnée de fait institutionnelle, qu’il suffisait d’activer dans des circonstances déterminées. Elle constituait plutôt un instrument de domination politique qui se construisait au quotidien dans le jeu des interactions sociales, et qui avait besoin avant tout d’être reconnue pour exister. À ce titre, elle était présente dans tous les actes de la vie publique qui mettaient le magistrat, les sénateurs, le prêtre, l’orateur, le juriste ou encore les dieux en relation avec les autres membres de la communauté civique, en faisant ressortir la supériorité des premiers sur les seconds… ; elle apparaissait aussi, dans un cadre familial, comme un instrument de contrôle sur les mariages et la transmission des biens.
8Un examen approfondi des sources, en particulier des textes de Cicéron, montre que le terme d’auctoritas, loin d’avoir toujours été employé de façon isolée, fonctionnait par référence à d’autres qualités comme la grauitas, la fides, la constantia ou encore la magnitudo animi, dessinant « des nuages sémantiques dont l’association quand ils étaient appliqués à un individu, renvoyait […] de façon plus globale, à un modèle général de l’éthique aristocratique, le même que celui qui était mis en avant dans les laudationes funebres15 ». Le cœur même d’un tel système politique aussi fortement hiérarchisé était à l’époque républicaine le Sénat, où l’auctoritas collective du groupe se combinait avec l’auctoritas individuelle de chacun des membres de ce groupe : l’auctoritas du Sénat était en l’occurrence la somme de l’auctoritas détenue par chaque sénateur et graduée en permanence en fonction du rang et de l’influence de chacun d’entre eux à un moment précis. C’est ce jeu qu’Auguste perturba, mais sans y mettre fin, en faisant valoir une auctoritas de fait supérieure à celle des autres sénateurs et en superposant sa propre auctoritas à celle du Sénat dans le cadre d’un processus que j’ai étudié par ailleurs et dont le résultat fut de rendre invisible l’auctoritas du Sénat. Cette évolution trouve son expression la plus achevée dans le passage bien connu des Res gestae dans lequel Auguste précise qu’à partir des années 28-27 av. J.-C., « [il l’a] emporté sur tous par son auctoritas », ajoutant qu’il « n’avai[t] pas eu en revanche plus de pouvoir que tous ceux qui ont été [s]es collègues dans chaque magistrature16 ». Elle a abouti à ce que la formule auctoritas senatus ou auctore senatu, encore attestée à quelques reprises sous Auguste et Tibère17, finisse par disparaître presque totalement de la documentation pour laisser la place à la formule ex auctoritate principis, très fréquente dans la documentation épigraphique à partir du principat de Claude et à l’échelle de l’Empire romain18.
9Pour ce qui est du charisme, il faut commencer par rappeler succinctement ce dont il s’agit, de manière à mesurer ses ressemblances avec l’auctoritas, mais aussi les différences entre ces deux notions. Tel qu’il a été défini par Max Weber, il apparaît avant tout comme une qualité issue d’un cadre spécifique de domination, qui est la domination charismatique et qui se distingue des deux autres types « purs » (« reine Typen ») que sont la domination légale-rationnelle et la domination traditionnelle. En ce sens, loin d’être une qualité vague dans laquelle le confine souvent un usage commun et relâché, il est plutôt un instrument qui relève de l’idéal-type et qui aide à penser l’exercice du pouvoir de manière théorique et globale19. Une comparaison de la notion de charisme avec celle d’auctoritas contribue ainsi à introduire dans le débat sur l’exercice du pouvoir à Rome plusieurs des éléments constitutifs du charisme auxquels les sources antiques ne font ni directement ni clairement référence ou qu’elles ne font pas ressortir du tout. Le premier d’entre eux est la reconnaissance dont l’individu dit charismatique a besoin pour exister et sans laquelle le charisme ne peut fonctionner. C’est ce que dit Max Weber explicitement : « La validité effective de l’autorité charismatique repose en effet entièrement sur la reconnaissance, à condition que celle-ci soit confirmée, par ceux qui sont dominés20. » L’auctoritas romaine partage sans aucun doute cette caractéristique avec le charisme : comme il a déjà été souligné, elle n’existait elle aussi que si elle était visible. C’est une réalité qui a été mise en avant dès 1963 par Joseph Hellegouarc’h dans un ouvrage qui étudiait le vocabulaire latin des relations politiques sous la République romaine et qui rappelait à propos de l’auctoritas que « son importance n’est que ce que les autres la font et elle n’existe que dans la mesure où ils veulent bien la reconnaître21 ». On peut du reste aller jusqu’à dire que l’élément déterminant du charisme et de l’auctoritas n’est pas tant la qualité individuelle de son détenteur, qui serait ainsi objectivée, que la reconnaissance nécessairement subjective de celle-ci par un groupe dans une situation donnée.
10Mais de quel groupe s’agit-il au juste ? C’est à ce sujet précis que l’analyse de Max Weber ajoute une notion spécifique et complexe, qui a fait couler beaucoup d’encre : la Vergemeinschaftung, terme que l’on traduit par « communauté émotionnelle » ou « communautarisation émotionnelle22 ». Il faut comprendre que, dans sa forme pure, la relation charismatique est avant tout d’ordre personnel en tant qu’elle est fondée sur des relations individuelles et émotionnelles entre le chef reconnu et ceux qui forment son entourage direct23. À partir du moment où une telle analyse théorique est appliquée à une réalité historique concrète, que ce soit pour l’Antiquité ou pour notre époque contemporaine, elle pose deux questions complémentaires sur l’extension du groupe et la nature des liens – les émotions – unissant le groupe au chef : le charisme du chef peut-il être reconnu par l’ensemble de la société, provinces incluses et à l’échelle de l’Empire dans le cas d’un empereur romain, et non seulement par ceux qui avaient une relation directe et personnelle avec ce dernier24, en l’occurrence si l’on reprend le cas de Rome en priorité les membres de la « cour impériale » et l’ensemble des sénateurs dans le sens où ceux-ci formaient une extension de la cour impériale25 ? Si oui, quelles étaient les émotions activées dans un cadre géographique aussi étendu que celui de l’Empire romain ? Non seulement Max Weber a laissé dans l’ombre une telle question, car ce n’était pas le sujet dont il traitait, mais en outre il faut admettre que son analyse ne nous aide pas à y répondre. La teneur des sources antiques, par leur nature même, ne contribue pas non plus à en savoir beaucoup plus : non que l’histoire des émotions, celles ressenties par les gouvernés à l’égard du ou des gouvernant(s), soit illégitime, tant s’en faut, mais elle en est encore à ses débuts pour ce qui concerne l’Antiquité romaine26. Quant à la sincérité des messages envoyés par les gouvernés à l’intention du prince et connus notamment par la documentation épigraphique, elle reste une question ouverte tant il est de toute manière difficile de sonder à deux millénaires de distance leurs motivations profondes à l’égard du pouvoir en place dans une société aussi fortement dominée par la culture – écrite, mais aussi orale – de la rhétorique ; quand bien même on ne pose pas la question de la sincérité ou qu’on refuse de poser cette question, il demeure qu’il faut s’interroger sur la nature du sentiment charismatique, car de ce point de vue tous les sentiments ne se valent pas. La thèse de Weber présuppose en effet une affection et un dévouement (« Hingabe ») à l’égard de la personne charismatique, ce que le contenu des dédicaces au prince ne peut ni confirmer ni infirmer.
11On conclura donc sur ce point complexe par un non liquet, peut-être par prudence excessive, en soulignant qu’il est difficile de mesurer précisément le degré d’allégeance et d’intériorisation d’un tel sentiment à l’égard de la figure même du prince romain27. Des émotions positives et sincères pouvaient bien entendu être ressenties par les provinciaux à l’égard du prince et en sa faveur, mais il ne faut pas exclure que leurs relations avec le prince aient été aussi, voire avant tout, marquées par un sentiment profond de défense de leurs propres intérêts – non exempt de calculs et de stratégies. Il a, par exemple, été récemment souligné que l’affichage des décisions impériales dans les lieux publics des cités provinciales se justifiait par la volonté d’assurer la plus grande publicité possible à un arbitrage favorable du prince28. Une telle interprétation pragmatique d’une telle pratique est toutefois loin d’être incompatible avec l’existence d’émotions ressenties par les provinciaux à l’égard du prince, même s’il est difficile de déterminer de quelles émotions il s’agissait et quelle était leur intensité (haute ? basse ?). Quoi qu’il en soit, il semble de toute façon difficile a priori d’identifier à toute force l’auctoritas à coup sûr reconnue au prince par les gouvernés à l’échelle de l’Empire romain avec des sentiments affectifs impliqués par un charisme à l’état pur, dont la portée (courte ou longue ?) et l’intensité ne sont précisément pas déterminées. L’assimilation de l’auctoritas au charisme est donc loin d’aller de soi, d’autant que l’emploi fréquent de l’expression ex auctoritate principis dans les inscriptions provenant des provinces relève à notre connaissance plutôt d’un formulaire administratif ne laissant, officiellement au moins, aucune place aux émotions proprement dites.
12Deux autres caractéristiques du charisme wébérien sont encore plus difficilement assimilables au premier abord à la notion romaine d’auctoritas, du moins sans un effort de clarification, et nécessitent à ce titre une définition préalable pour déterminer jusqu’à quel point elles peuvent être ou non « ajustées » et, en conséquence, transférées. La première d’entre elles est ce que Max Weber appelle la « Veralltäglichung », qu’on traduit en français par « quotidiennisation » – plutôt que par « routinisation » du charisme –, en l’occurrence le processus paradoxal et à première vue contradictoire consistant à installer dans la durée une forme de domination qui était née dans des circonstances extraordinaires, donc à la « traditionnaliser » ou à la « légaliser »29. Il faut faire à ce sujet deux remarques. D’une part, quand Max Weber rappelle que le charisme est amené inévitablement à s’institutionnaliser, il ne présente pas ce que le charisme est en tant que forme « pure » de la domination légitime, mais il souligne qu’il évolue en changeant de caractère et en devenant ainsi une forme mixte : c’est ce qu’il appelle l’« Amtscharisma », le charisme de fonction30. D’autre part, la mise en évidence d’un tel processus place l’accent sur une réalité qui a du sens pour le Haut-Empire romain en renvoyant à la transformation progressive d’un régime issu d’une victoire militaire – un coup d’État – en une dynastie d’essence divine, bref en montrant comment on est passé d’un jeune Auguste belliqueux à un sage empereur qui a réussi à transmettre ses pouvoirs à son fils adoptif.
13La dernière caractéristique du charisme wébérien dont il sera ici question dans l’optique de vérifier la pertinence ou non de son ajustement au pouvoir des empereurs romains est le caractère révolutionnaire de cette forme de domination : que l’homme charismatique soit à l’origine de la révolution ou qu’il n’en soit que le produit et l’effet d’une situation (le « charisme situationnel »), Max Weber n’en a pas moins clairement écrit que « la domination charismatique bouleverse (dans son domaine propre) le passé et elle est, en ce sens, spécifiquement révolutionnaire31 ». C’est sans doute sur ce point que le charisme wébérien est le plus éloigné de tout ce que l’auctoritas augustéenne et impériale impliquait. Telle qu’elle est définie par Max Weber, la notion de charisme est en effet marquée par la conception d’une révolution faisant table rase du passé ou en tout cas le remettant en cause dans sa légitimité à influer sur le futur, alors que les Romains ne concevaient le changement, politique et social, que sous la forme d’une restauration censée revenir aux origines et éliminer ainsi toutes les imperfections qui s’étaient accumulées avec le temps32. Loin de vouloir « bouleverser le passé », pour reprendre la formule de Max Weber, Auguste et ses successeurs inscrivirent au contraire tous leurs pouvoirs, d’ordre institutionnel ou sociologique, dans le prolongement d’une tradition, le mos maiorum, qui n’est rien d’autre qu’un passé mis en forme et qu’ils reconfigurèrent à leur profit33. L’histoire de l’auctoritas romaine est à ce titre l’histoire d’un transfert, celui qui conduisit Auguste et ses successeurs immédiats à s’emparer d’une vertu ancestrale traditionnellement détenue par le Sénat et à finir par la monopoliser34. Il n’y a là rien de révolutionnaire à proprement parler35.
14La mise au point qui précède en dit long sur la manière d’utiliser le charisme : il faut donner à cette notion un sens non plus commun et général, qui ne serait d’aucune utilité pour les historiens de l’Antiquité, mais heuristique, dans le sens où cette notion viendrait éclairer toute définition du régime impérial en nous aidant à penser de manière inédite la place du prince et le fondement de sa domination. Il ressort de ces propos liminaires non pas que la domination d’Auguste et des autres empereurs était de nature charismatique ou qu’elle ne l’était pas, ce qui irait à rebours de l’emploi que Max Weber lui-même réservait à cette notion, mais plutôt qu’elle était hybride dans le sens où elle combinait les différentes formes de domination telles qu’elles ont été définies par Max Weber. Tout indique en effet qu’il n’y eut jamais à Rome à l’époque impériale de forme de domination charismatique pure dans le sens où la position du prince se serait totalement affranchie de toute autre forme de domination légale et traditionnelle. À de rares exceptions près, les études consacrées aux pouvoirs du prince depuis Theodor Mommsen, si elles ont pu prendre des voies différentes, concordent en effet pour rappeler que le régime impérial reposait aussi sur des pouvoirs définis avec précision par une loi, systématiquement renouvelés sous une forme ou une autre et cautionnés par la tradition dans le sens où Auguste n’inventa rien : il fut investi de pouvoirs qui existaient déjà à l’époque républicaine et qu’il accapara en les cumulant, en l’occurrence l’imperium, qui devint maius, la puissance tribunicienne et le grand pontificat36. Si l’on reprend les catégories wébériennes, on dira à propos du pouvoir impérial créé par Auguste que, sans être pour autant une structure de type bureaucratique (du moins pas avant le IIIe siècle ap. J.-C.37), il relevait à la fois des formes de domination légale-rationnelle et traditionnelle.
15Est-ce à dire qu’il n’y eut jamais à l’époque impériale de forme de domination qui était apparentée à la forme de domination charismatique ou qui s’en rapprochait d’une manière ou d’une autre ? C’est précisément à ce stade que le recours à l’instrument heuristique de la domination charismatique peut se révéler utile, car il permet d’ajouter à la définition du pouvoir impérial une dimension que les seules dominations légale-rationnelle et traditionnelle ne parviennent pas à prendre en compte : à savoir qu’Auguste et les autres empereurs pouvaient, le cas échéant, être dotés d’un « charisme » dans le sens donné par Max Weber : « une qualité extraordinaire… d’un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains38 ». Cette citation nous conduit immanquablement à établir un lien direct d’une part avec l’octroi le 16 janvier 27 av. J.-C. à Octave du surnom religieux Augustus39 et à la reprise systématique de ce surnom par tous les empereurs romains, d’autre part avec le fait qu’Auguste était le fils d’un Diuus, en l’occurrence César, et que tous les empereurs romains étaient des hommes potentiellement destinés à devenir à leur tour des Diui après leur décès. La conséquence de ce statut, que l’on peut effectivement définir comme étant bel et bien « extraordinaire », était que les empereurs romains, s’ils n’étaient pas des dieux de leur vivant – du moins ni officiellement ni à Rome –, n’en étaient pas moins des hommes sortant de l’ordinaire parce qu’ils étaient dotés de leur vivant d’une essence divine caractérisée dans les sources par les références à leur numen ou à leur genius. L’auctoritas n’était toutefois pas non plus étrangère à la mise en valeur d’un tel statut, dans le sens où il a été rappelé supra que l’adjectif augustus était formé précisément à partir de la même racine qu’augere et entretenait, à ce titre, des liens étroits avec l’auctoritas elle-même. C’est dire à quel point la relation entre auctoritas et charisme est d’une grande complexité, ne se limitant pas plus à leur convergence qu’à leur divergence.
16La suite de la définition générale et le plus souvent citée donnée par Max Weber, insistant sur la qualité extraordinaire de la qualité charismatique, rappelle toutefois à quel point la notion de domination charismatique ne relève de rien d’autre que d’un idéal-type, qui ne peut à ce titre être uniformément appliqué aux situations historiques. Le sociologue poursuit en effet à propos de ce personnage charismatique « doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains » en précisant que ces forces ou caractères sont en outre « inaccessibles au commun des mortels40 ». Il faut rappeler à ce stade de l’enquête que les qualités revendiquées par l’empereur, loin d’être pour leur part de nature et d’essence divine, n’étaient rien d’autre que les vertus aristocratiques traditionnelles, que le pouvoir impérial s’était arrogées et avait cumulées pour accroître ainsi une légitimité qui est, quant à elle, d’ordre pleinement aristocratique. Tel est le sens à donner à l’octroi à Auguste du clipeus uirtutis, ce bouclier sur lequel étaient gravées les quatre vertus cardinales que devait posséder tout princeps : la vertu proprement dite (militaire), la piété, la justice et la clémence41. Le charisme du prince s’inscrit donc dans la tradition républicaine, et revendique en particulier l’héritage des imperatores républicains, le cumul de toutes ces vertus restant malgré tout exceptionnel, et par conséquent distinctif. Il est à ce titre à l’origine de l’évergétisme impérial comme forme de pouvoir. C’est l’idée que l’empereur Titus exprima à travers un propos de table rapporté par Suétone, qu’il vaut la peine de citer : « un soir même, à table, se rappelant que, pendant toute la journée, il n’avait accordé de bienfait à personne, il prononça cette parole mémorable, que l’on célèbre avec raison : “Mes amis, j’ai perdu ma journée”42 ».
17Si l’on veut, au bout du compte, chercher à mieux comprendre les spécificités de l’auctoritas et du charisme autant que les différences entre ces deux notions sous la République et le Haut-Empire romain, on dira que la première se présente comme étant le support d’une supériorité et au fondement de celle-ci, tandis que la seconde se définit dans un sens plus dynamique, conformément à l’idée selon laquelle la personne charismatique mobilisait autour d’elle toute une série d’individus qui croyaient en elle. En d’autres termes, le modèle aristocratique et impérial de l’auctoritas se réalise pleinement dans le charisme qui était reconnu – et donc conféré – à l’aristocrate ou au prince par tous ses proches.
Le charisme sous toutes ses formes : limites et utilité de la notion wébérienne
18L’application du modèle wébérien à la définition du Principat a débouché sur l’idée selon laquelle un tel régime politique comprenait des éléments des trois formes pures de domination. Le parcours suivi jusqu’ici a donc abouti à des résultats dont il faut savoir reconnaître qu’ils restent pour l’heure encore très généraux et trop vagues pour permettre de progresser dans l’analyse proprement historique. Nous savions en effet déjà depuis longtemps que le régime fondé par Auguste combinait une incontestable personnalisation du pouvoir avec le respect de la tradition et de la légalité ; quant à la raison pour laquelle les différents acteurs de la vie politique sous le Haut-Empire – soldats, sénateurs, plèbe romaine et élites provinciales – croyaient au prince et lui obéissaient, elle n’est pas éclairée par le recours au modèle wébérien43. Les historiens doivent-ils, dès lors, cesser d’utiliser les catégories wébériennes et, en conséquence, éviter de parler de charisme à propos d’Auguste et de ses successeurs ? Comme il a été précisé dans les remarques terminologiques liminaires, la question est d’autant plus compliquée que l’on peut aussi parler de l’auctoritas – ou de « l’autorité » – d’Auguste ou du prince, formule qui présente l’avantage d’être couramment utilisée par les Romains pour rendre compte de ce que les historiens d’aujourd’hui appellent les fondements sociologiques du pouvoir impérial. Il faut ainsi établir, à propos du charisme, une distinction nette entre la décision d’introduire une fois pour toutes un tel terme dans le langage des historiens et celle d’utiliser les potentialités heuristiques de cette notion44.
On peut ainsi formuler en trois points les remarques suivantes, qui constitueront les principaux résultats de cette étude.
191. L’emploi de charisme à propos d’un individu ne doit pas nécessairement être condamné quand il s’agit de mettre en avant des qualités personnelles propres qui sortent de l’ordinaire, mais il ne va malgré tout pas de soi. Un premier problème est que cette notion ne peut être utilisée avec le sens commun de séduction sous peine d’être galvaudée ; elle a donc besoin d’être définie, à l’instar du terme auctoritas, qui requiert lui aussi une mise à distance pour le distinguer de la notion contemporaine d’« autorité ». Dans la mesure où le charisme comme l’auctoritas ne peuvent être employés sans un effort préalable de définition, le second terme est tout compte fait préférable, au sens où il renvoie à un univers mental antique (qui plus est proprement romain), à moins de penser que le charisme ajoute quelque chose à l’auctoritas, ce « je-ne-sais-quoi45 » qu’englobe moins la notion d’auctoritas.
20Une autre difficulté spécifique tient dans l’idée selon laquelle le sens premier renvoyant aux qualités individuelles extraordinaires d’un individu contamine de toute manière l’usage que l’on peut faire du charisme et de son application à la personne du prince romain46, quel qu’il soit, car certains de ces princes ne brillaient précisément pas par l’éclat de leur personnalité : que l’on songe à la figure d’Auguste, qui passait pour un piètre général47, à celle de Tibère, dont le comportement se caractérisait selon Tacite par un goût certain pour la dissimulatio, ou encore à celle de Claude, dont les défauts physiques – il était bègue et boîtait – étaient réels, même si leurs conséquences sur le mode de gouvernement de l’Empire ont été exagérées par nos sources. En revanche, la personnalité de César revêtait, par bien des aspects, un caractère charismatique dans le sens de manifestation de qualités exceptionnelles et de séduction soulignées par les sources, en particulier en ce qui concerne ses talents oratoires et ses relations avec ses soldats. Faut-il penser dans ces conditions que certains empereurs avaient plus de charisme que d’autres ou, si l’on se rappelle à juste titre que César n’était pas un empereur, que les empereurs julio-claudiens ne jouissaient plus du charisme qui avait été celui de l’ancêtre de leur dynastie, ou tout cas d’un charisme identique ? Dans ce cas, ce terme n’est d’aucune aide pour nous aider à définir le pouvoir impérial en tant que tel : à partir du moment où il est utilisé pour tout expliquer d’individus pourtant foncièrement différents et se comportant différemment, il n’explique plus rien du tout, et en tout cas pas la dimension personnelle du pouvoir impérial. Max Weber aurait peut-être répondu que le charisme des « mauvais » empereurs romains, Caligula, Néron, Domitien et Commode en premier lieu, était « un charisme de fonction » (« Amtscharisma »), mais ce faisant il dénaturait – consciemment du reste – l’autre charisme, « le charisme personnel », en insistant sur le fait que celui-ci devait immanquablement connaître un processus de « quotidiennisation » ; on pourrait également suggérer l’idée que le charisme de ces empereurs était fondé avant tout, voire seulement, sur le soutien de la plèbe. Le maniement de cette notion délicate et complexe a été obscurci par l’usage qu’en a fait Weber lui-même et par l’évolution de la pensée de celui-ci sur le sujet.
212. Si le terme charisme peut à la rigueur être utilisé pour caractériser un personnage auquel les sources attribuent des qualités hors du commun reconnues par les contemporains de ce personnage, il est en revanche exclu de penser un seul instant que le pouvoir impérial puisse être rangé au nombre des dominations charismatiques telles qu’elles ont été définies par Max Weber. Comme il a déjà été dit supra, cette idée d’inscrire le Principat dans le cadre de l’une ou l’autre des trois catégories wébériennes de la domination est non seulement fausse parce que tout indique que bien des aspects de l’auctoritas impériale ne relèvent précisément pas de la domination charismatique, mais elle est en outre et surtout absurde. Se demander en effet si le pouvoir impérial relève de la forme rationnelle-légale, traditionnelle ou charismatique de la domination n’a aucun sens dans l’horizon de la sociologie wébérienne. Comme l’a souligné Egon Flaig dans la réédition récente de son ouvrage sur l’usurpation, ces trois catégories, loin d’être empiriques, relèvent de l’idéal-type et n’ont jamais existé dans la réalité historique48. Tout ce que l’on peut affirmer est qu’un pouvoir qui est inscrit dans le temps comme celui de l’empereur romain peut revêtir une forme charismatique à côté de l’une ou l’autre forme de domination, et combiner ces différentes formes de manière si spécifique qu’il forme un exemple historique nécessairement hybride et toujours unique. Mais ne s’agit-il pas là d’une conclusion dont il faut redire à quel point elle est banale et qui n’avait peut-être pas besoin de toute la sociologie wébérienne pour pouvoir être ainsi formulée49 ? Dans son œuvre, Weber fait en réalité plus que le simple constat de la forme mixte des différentes expériences historiques en termes de sociologie de la domination. C’est sur ce point qu’il faut désormais insister.
223. La notion même de domination charismatique n’est finalement rien d’autre qu’un instrument conceptuel qui permet de mieux comprendre la nature d’un pouvoir : c’est en tant que tel et uniquement en tant que tel qu’elle peut être d’une certaine utilité pour comprendre les formes revêtues par l’exercice du pouvoir impérial romain dans ses pratiques. Appliquer la grille de lecture wébérienne à la période impériale de l’histoire romaine n’est cependant pas une tâche aisée. Il existe en effet différentes manières de se tromper. Il faut dans un premier temps aller au-delà de l’idée simpliste selon laquelle le charisme n’est qu’une traduction de l’auctoritas. Cette idée, développée en particulier par Fr. Schulz et, plus récemment, par M. Stahl et M. Sommer50, doit être résolument écartée parce qu’elle confond deux niveaux d’analyse qui peuvent sans doute se superposer, mais qu’il ne faut en tout cas pas mettre sur le même plan : d’une part la notion proprement romaine d’auctoritas, qui est la manière émique de penser toutes les formes de la hiérarchie et leur application ; d’autre part une notion contemporaine (et donc étique), qui aide à mettre en lumière certains des impensés du passé51. S’y ajoute un autre problème, à savoir la difficulté – déjà présente chez Weber – à distinguer la domination de l’autorité, ou au moins à poser le problème52. Un dernier piège à éviter consiste à présenter l’histoire politique du Haut-Empire romain prioritairement sous l’angle du charisme. C’est l’interprétation contestable que défend là encore M. Sommer quand il explique la succession des différentes dynasties impériales par l’effet d’un charisme familial hérité dont le réservoir se serait épuisé au fil des règnes et qui aurait eu régulièrement besoin d’être revivifié par l’avènement d’une nouvelle dynastie53. Ce faisant, il commet la même erreur de perspective que Chr. Hatscher qui, dans un ouvrage publié en 2000 et fortement critiqué au moment de sa parution, a présenté la fin de la République indistinctement comme « une époque charismatique » et fait des dictatures de Sylla et de César des exemples de domination charismatique54.
23L’intérêt de l’analyse de Max Weber ne réside pas tant dans l’emploi complexe du terme charisme et de son application à une période déterminée, quelle qu’elle soit, que dans tout l’outillage conceptuel qui lui est attaché. C’est en effet à partir de toutes les notions qui gravitent autour du charisme comme l’une des trois formes pures de la domination qu’une relecture de l’œuvre de Max Weber aide à affiner notre compréhension du fonctionnement du pouvoir impérial romain. Les notions de « Erbcharisma » (« charisme hérité »), de « Amtscharisma55 » (« charisme de fonction ») et de « Gentilcharisma56 » (« charisme de clan ») sont intéressantes précisément et avant tout parce qu’elles semblent paradoxales. Le charisme en tant que qualité individuelle effective dans des circonstances extraordinaires ne se transmet en effet pas par « héritage » ni comme « fonction », comme le savait très bien Max Weber, qui définissait le charisme comme étant « labil57 », mais il peut être adapté en fonction des circonstances. Une question permanente – et insoluble – qui se pose dans toute forme dynastique du pouvoir est précisément d’assurer la continuité familiale à la tête de la res publica, alors même que les individus placés à la tête de la res publica sont nécessairement différents, et qu’ils n’ont pas, du reste, absolument besoin de charisme en tant que qualité « extra-ordinaire » pour rester au pouvoir – et survivre. Dans ces conditions, le plus important pour le prince, le roi ou le chef quel que soit son titre n’est pas tant de faire montre en permanence de talents exceptionnels que de faire croire aux gouvernés qu’il les possède. Dans le cas d’une monarchie héréditaire comme l’était dans les faits le régime impérial romain, le prince en fonction devait se conformer au modèle élaboré par Auguste, qui lui-même se réclamait du modèle romain du primus inter pares, fondé sur le principe de l’empereur-citoyen et de l’excellence dans le conformisme58 : il lui fallait être en adéquation avec les règles convenues du comportement aristocratique, accepter le pouvoir tout en faisant mine de le décliner, afficher son auctoritas en particulier dans ses relations avec les sénateurs et revendiquer la possession des vertus impériales, quand bien même les victoires militaires étaient remportées par ses subordonnés59. De ce point de vue, la forme charismatique de la domination était moins la conséquence de pratiques à proprement parler extraordinaires qu’une affaire de communication – domaine dans lequel nous savons que le pouvoir impérial romain a excellé.
24La notion de « quotidiennisation du charisme » est un autre paradoxe apparent qui renvoie à une autre réalité inéluctable rencontrée par toute forme de domination, même celle qui est issue d’une révolution : à savoir son institutionnalisation. Même si le régime créé par Auguste fut loin d’être « révolutionnaire » au sens que nous donnons aujourd’hui à ce terme, il était inédit dans la mesure où il combinait une restauration de la res publica traditionnelle avec la présence à la tête de cette res publica d’une nouvelle autorité incontestablement monarchique. Une des obsessions d’Auguste fut d’assurer la survie de ce régime hybride et unique en son genre60, ce qui impliquait qu’il le « traditionnalise » en inscrivant cette nouvelle organisation du pouvoir dans la tradition. C’est ce qu’il dit explicitement dans les Res gestae quand il explique qu’il a « restauré les nombreux exempla de maiores qui tombaient en désuétude à l’issue de notre siècle et livré à la postérité des exemples à imiter dans de nombreux domaines61 ». C’est la même idée qui ressort d’un édit dans lequel il précise que, comme lui, les princes à venir devaient prendre exemple sur la vie des grands hommes de l’histoire romaine, dont les statues avaient été érigées le long des deux portiques de son Forum62. De ce point de vue, ce que Max Weber appelle la « quotidiennisation du charisme » n’est rien d’autre que la nécessité ressentie par tout pouvoir de faire entrer dans un cadre légal et traditionnel une domination qui avait résulté, dans le cas d’Auguste, d’un coup de force militaire, et qui s’inscrivait dans le prolongement extrême des commandements extraordinaires de la fin de la République. Une telle notion est donc riche de sens, dans la mesure où elle est adaptable à différentes périodes et désigne le défi qui se pose à tout nouveau pouvoir bouleversant d’une manière ou d’une autre un pouvoir préalablement établi. Il est en effet bien connu que tout changement politique significatif ou toute révolution débouche au bout du compte sur une stabilisation du nouveau régime, sous une forme ou une autre. C’est l’idée que Max Weber a exprimée dans l’un des rares passages où il parle d’Auguste et du régime que celui-ci a créé et auquel il attribue un « Amtscharakter ». L’intérêt, l’originalité et le bien-fondé de l’analyse qu’il y présente justifient que l’on cite ici l’extrait dans son intégralité :
Wurde in der Nachfolge durch Adoption der Gedanke der Erblichkeit des Charisma mit herangezogen, ohne übrigens in dem genuinen römischen Heerkaisertum jemals wirklich als Prinzip anerkannt zu sein, so blieb auf der anderen Seite dem Prinzipat doch stets der Charakter des Amts : der princeps ist ein Beamter mit geordneter, auf Regeln beruhender bürokratischer Zuständigkeit geblieben, solange das Heerkaisertum seinen römischen Charakter behielt. Ihm diesen Amtscharakter verliehen zu haben, ist das Werk des Augustus, welches, im Gegensatz stehend zu dem Gedanken einer hellenistischen Monarchie, wie er Cäsar vorgeschwebt haben dürfte, von den Zeitgenossen als die Erhaltung und Herstellung römischer Tradition und Freiheit angesehen wurde63.
25Plus que le charisme lui-même comme forme pure de domination, ce sont donc les différents sous-types élaborés par Max Weber qui peuvent être les plus utiles à l’historien, dans le sens où c’est leur combinaison nécessairement spécifique qui permet de mieux rendre compte d’une réalité empirique. La rude tâche des historiens n’est-elle pas finalement de toujours chercher à comparer des situations historiques qui ne sont a priori pas comparables ? C’est un type de questionnement comparatiste qui est nécessaire pour permettre à l’histoire de garder son statut de science sociale dans un contexte qui ne permet désormais plus aux historiens de Rome de penser que la connaissance de l’histoire de la Rome antique se suffit à elle-même en raison du prestige de cette période : il est maintenant un fait que l’expérience impériale romaine n’est qu’une expérience historique parmi tant d’autres, ni plus ni moins64. Raison de plus pour lui appliquer la grille de lecture wébérienne, et mettre celle-ci à l’épreuve des faits historiques.
En guise de conclusion : pourquoi obéit-on au prince romain ?
26Une dernière question, sans doute insoluble dans l’état actuel des connaissances et étant donné sa complexité, doit être posée au terme de cette série de réflexions croisant des thématiques aussi centrales que le charisme, les formes de domination, la légitimité, la hiérarchie et l’autorité : qu’est-ce qui fait qu’on obéit finalement au prince romain ? Quel est ce « je-ne-sais-quoi » qui conduisit plusieurs groupes sociaux à obéir à une seule personne – et à ceux qui étaient à ses côtés et le représentaient ? C’est une question qui a déjà été posée à propos de la République romaine quand il s’est agi de s’interroger sur le degré d’obéissance du peuple romain à l’égard de l’aristocratie – et sur le lien entre l’étiolement de cette vocation traditionnelle du peuple à obéir et la crise de la République65. Pour l’époque impériale, le progrès principal enregistré dans l’historiographie de ces trois dernières décennies est d’avoir montré à quel point cette relation entre gouvernant(s) et gouvernés ou commandant(s) et commandés était instable, au sens où elle pouvait être à tout moment remise en question66. Il n’en reste pas moins qu’un prince qui avait été accepté en tant que tel et qui réussissait à maintenir une cohésion autour de sa personne – et non autour de l’institution impériale en tant que telle – suscitait en retour obéissance et adhésion, quelle que soit la profondeur de cette adhésion dans l’esprit et le cœur des gouvernés. La raison principale de l’obéissance ne résidait donc pas dans l’existence d’une forme charismatique de domination, même s’il n’était pas à exclure que le prince soit lui-même doté d’un charisme en tant que personnalité d’exception, ni non plus dans l’efficacité – fortement limitée à cette époque – de l’appareil administratif et militaire qui était encore loin de prendre la forme de ce que Max Weber a appelé une « bureaucratie ». Elle résultait plutôt de la structure fortement hiérarchisée de la société romaine et du besoin permanent qu’avaient les Romains de respecter et de faire respecter les hiérarchies en vigueur. C’est à ce titre que l’auctoritas, autant et sinon plus que le charisme, est l’un des mots-clés du politique dans la Rome antique, sinon le mot-clé (s’il fallait en choisir finalement un), et ce quelle que soit la période de l’histoire romaine considérée.
Notes de bas de page
1 Nous avons utilisé pour cette étude deux éditions de l’œuvre de Weber qui traite du charisme comme forme de domination, Économie et société : d’une part l’œuvre complète en allemand, qui est la 5e édition datée de 1972 (Weber 1972) et dont les extraits analysés sont reproduits in extenso dans les notes ; d’autre part la traduction française de 1971 citée dans son édition de 1995 (Weber 1995 [1971]). Nous avons toujours cité l’édition allemande, avec la traduction française quand celle-ci existe.
2 Cf. dans ce sens Le Doze 2010, p. 259-260 qui souligne à juste titre, dans le cas du terme d’idéologie, que « la chose peut préexister au mot » ; cf. aussi Le Doze 2014, p. 35 qui précise dans le même sens à propos de la notion de propagande qu’« il y a des exemples où la chose existe sans le mot ».
3 Sur la notion de propagande et son histoire, cf. Weber – Zimmermann 2003.
4 Cf. dans ce sens Veyne 2002a et Veyne 2005b, p. 379-418 ; cf. aussi Eich 2003.
5 Le Doze 2014, p. 36 ; Assenmaker 2014, p. 19, n. 5.
6 Cf. récemment Borgies 2016 pour l’époque triumvirale.
7 Cf. Hurlet 2012a à propos de la notion de réforme à Rome ; cf. Hurlet – Rivoal – Sidéra 2014 et Baudry – Hurlet 2016 à propos de la notion de prestige ; Hurlet – Montlahuc 2018 et Hurlet 2019 à propos de la notion d’opinion publique à Rome.
8 Cf. à ce sujet l’analyse de Loraux 1993.
9 J.-M. David est l’un des rares historiens français à avoir eu recours à la notion de charisme pour l’époque tardo-républicaine. Cf. à ce sujet ses propos dans David 1992, p. XII : « Une des caractéristiques du pouvoir charismatique tient à ce qu’il s’épuise dans la routine. Or l’éloquence judiciaire, à la fin de la République, fut dans une situation qui la rendait susceptible de renouveler constamment l’émotion d’où jaillissaient l’enthousiasme et la confiance des citoyens » ; cf. aussi David 1992, p. 394, 396, 641 où il est question de « charisme oratoire » et p. 659 avec l’emploi de la notion de « charisme civique ». Il parle dans le titre de l’une de ses grandes parties de « conflit des charismes » (David 1992, p. 277). Cf. aussi Berthelet 2015, p. 38 qui parle quant à lui du « charisme auspicial du magistrat ».
10 Sur la question de la traduction en grec de la notion latine d’auctoritas, cf. de manière détaillée Famerie 2020 ; pour une analyse récente de l’autorité dans le monde grec, cf. Pisano 2019.
11 Schulz 1936, p. 180-181 : “The authority of the princeps is of a peculiar kind. The term ‘charismatic authority’ in the sense used by Max Weber must be applied here […] This kind of authority – which may of course assume many forms – was enjoyed by Augustus” ; Stahl 2005, p. 31 : « Die auctoritas principis ist die spezifische historische Ausprägung eines Charismas » ; Sommer 2011, p. 172 qui affirme que “The Weberian translation for auctoritas is simply ‘charisma’.”
12 Kojève 2004 [1942] ; Arendt 1972 [1954].
13 Cf. dans ce sens et de manière générale Dan 2018, p. 225 à propos de l’usage des concepts : « Le concept ne compense jamais l’absence d’enquête, il permet simplement de l’analyser ou de modéliser son interprétation historique. »
14 Sur la notion d’auctoritas, ses origines et son étymologie, cf. Heinze 1925 ; Hellegouarc’h 1963, p. 295-320 ; Biscardi 1987 ; Hiltbrunner 1988 ; Bettini 2005 ; Nippel 2007 ; Stahl 2008 ; Clemente Fernández 2013 ; Berthelet 2015 ; enfin les études réunies dans David – Hurlet 2020.
15 David – Hurlet 2020, p. 417.
16 RGDA, 34, 3 : Post id tem[pus a]uctoritate [omnibus praestiti, potest]atis au[tem n]ihilo ampliu[s habu]i quam cet[eri qui m]ihi quoque in ma[gis]tra[t]u conlegae f[uerunt].
17 RGDA, 20, 4 : Duo et octoginta templa deum in urbe consul sex[tu]m ex [auctori]tate senatus refeci ; Tabula Siarensis, frg. 1, l. 23-24 : [in iis regionibus quarum]/ curam et tutelam Germanico Caesari ex auctori[tate huius ordinis ipse mandasset] (sur le bien-fondé de cette restitution, cf. la démonstration de Lebek 1991) ; Senatus consultum de Cn. Pisone patre : Germanico Caesari, qui a principe nostro ex auctoritate huius ordinis ad / rerum transmarinarum statum componendum missus esset (AE 1996, 885 et CIL, II2, 5, 900). Pour la formule senatu auctore, cf. Vell., 2, 129, 3.
18 Attestations rassemblées par Hurlet 2020.
19 Cf. notamment à ce sujet Bruhns 2000a.
20 Weber 1972, p. 655 : « Erkennen sie ihn an, so ist er ihr Herr, solange er sich durch “Bewährung” die anerkennung zu erhalten weiß. »
21 Hellegouarc’h 1963, p. 302.
22 Weber 1972, p. 141 : « Der Herrschaftsverband Gemeinde : ist eine emotionale Vergemeinschaftung. Der Verwaltungsstab des charismatischen Herren ist kein „Beamtentum'’ am wenigsten ein fachmäßig eingeschultes » ( = Weber 1995 [1971], p. 322 : « Le groupement de domination est une communauté émotionnelle. La direction administrative du seigneur charismatique n’est pas un « fonctionnariat », du moins pas un fonctionnariat pourvu d’une formation spécialisée »). Cf. aussi Weber 1972, p. 657 : « Das Charisma dagegen ruht in seiner Macht auf Offenbarungs- und Heroenglauben, auf der emotionalen Überzeugung von der Wichtigkeit und dem Wert einer Manifestation religiöser, ethischer, künstlerischer, wissenschaftlicher, politischer oder welcher Art immer, auf Heldentum sei es der Askese oder des Krieges, der richterlichen Weisheit der magischen Begnadung oder welcher Art sonst » ; p. 662 : « Sobald die charismatische Herrschaft den sie vor der Traditionsgebundenheit des Alltags auszeichnenden akut emotionalen Glaubenscharakter und die rein persönliche Unterlage einbüßt, ist das Bündnis mit der Tradition zwar nicht das einzig Mögliche » et 701 : « […] ihres charismatisch-emotionalen Charakters […]. »
23 Weber 1972, p. 140 : « Charisma soll eine als außeralltäglich (ursprünglich, sowohl bei Propheten wie bei therapeutischen wie bei Rechts-Weisen wie bei Jagdführern wie bei Kriegshelden : als magisch bedingt) geltende Qualität einer Persönlichkeit heißen » ( = Weber 1995 [1971], p. 320 : « nous appelons charisme la qualité extraordinaire (à l’origine déterminée de façon magique tant chez les prophètes et les sages, thérapeutes et juristes, que chez les chefs des peuples chasseurs et les héros guerriers) d’un personnage » ; cf. aussi p. 142 : « In ihrer genuinen Form ist die charismatische Herrschaft spezifisch außeralltäglichen Charakters und stellt eine streng persönlich, an die Charisma-Geltung persönlicher Qualitäten und deren Bewährung, geknüpfte soziale Beziehung dar » (Weber 1995 [1971], p. 326 : « Dans sa forme authentique, la domination charismatique est de caractère spécifiquement extraordinaire et elle présente une relation sociale strictement personnelle, liée à la valeur charismatique des qualités personnelles et à leur confirmation ».)
24 Sur les difficultés méthodologiques que pose l’extension de l’efficacité du charisme à plus grande échelle qu’une communauté réduite (« le charisme à longue portée »), cf. Laignoux 2014, p. 17 et Roa Bastos 2014, p. 226-227.
25 La notion de « cour » peut être liée à la relation personnelle que suppose le charisme wébérien, précisément parce qu’elle repose principalement sur l’idée de proximité avec le souverain. Pour une analyse faisant du Sénat une extension de la cour, cf. Hurlet 2000.
26 C’est là une piste de recherche pourtant prometteuse qui a déjà été explorée par les médiévistes, les modernistes et les contemporanéistes. L’histoire de l’Antiquité est actuellement en train de pleinement s’engager dans un « emotive turn », ainsi qu’en témoigne la multiplication des travaux récents sur ce sujet ; cf. par exemple les travaux de A. Chaniotis (notamment Chaniotis – Ducrey 2013) et l’ouvrage récent de Rey 2017 sur les larmes de Rome ; voir aussi Cairns – Nelis 2017, Allard – Montlahuc 2018 ou le dossier sur « le prince ému » paru aux DHA en 2022 (dir. S. Rey).
27 C’est pour cette raison qu’il est difficile de souscrire sans discussion préalable à l’idée, exprimée par Clifford Ando, selon laquelle “the population of the provinces viewed him [the emperor] as a charismatic figure in Weber’s sense” (Ando 2000, p. 25).
28 Sur la question de l’affichage, cf. l’ouvrage collectif coordonné par R. Haensch (Haensch 2009).
29 Weber 1972, p. 143 : « so muß die charismatische Herrschaft, die sozusagen nur in statu nascendi in idealtypischer Reinheit bestand, ihren Charakter wesentlich ändern : sie wird traditionalisiert oder rationalisiert (legalisiert) oder : beides in verschiedenen Hinsichten » ( = Weber 1995 [1971], p. 326 : « La domination charismatique qui n’existe pour ainsi dire, dans la pureté du type idéal, que statu nascendi, est amenée, dans son essence, à changer de caractère : elle se traditionnalise ou se rationalise (se légalise), ou les deux en même temps, à des points de vue différents ».)
30 Weber 1972, p. 675 : « Das Amtscharisma – der Glaube an die spezifische Begnadung einer sozialen Institution als solcher – ist keineswegs eine nur den Kirchen und noch weniger eine nur primitiven Verhältnissen eigene Erscheinung. Es äußert sich auch unter modernen Bedingungen in politisch wichtiger Art in den innerlichen Beziehungen der Gewaltunterworfenen zur staatlichen Gewalt […] mit ihrer strengen Scheidung von Amtscharisma und persönlicher Würdigkeit. »
31 Weber 1972, p. 141 : « […] die charismatische (Herrschaft) stürzt (innerhalb ihres Bereichs) die Vergangenheit um und ist in diesem Sinn spezifisch revolutionär » ( = Weber 1995 [1971], p. 323-324 : « […] la domination charismatique bouleverse le passé et elle est, en ce sens, spécifiquement révolutionnaire ».)
32 Sur la notion de changement à l’époque augustéenne et sur ses modalités, cf. Hurlet 2012a.
33 Cf. Sommer 2011, p. 170 qui rappelle à juste titre que “the mos maiorum was the only framework available for any act of constitutional innovationˮ. C’est pour cette raison que le mos maiorum se figea précisément à partir d’Auguste (Blösel 2000, p. 85-91). Sur « le pouvoir de la traditio », cf. les études de Eder 1990 et 2005.
34 Cf. Hurlet 2020 ; cf. aussi dans ce sens Stahl 2005.
35 Il y a en effet bien longtemps que l’on a abandonné la définition mommsénienne du principat en tant qu’« autocratie tempérée par la révolution légalement permanente » (Mommsen 1896, V, p. 446).
36 Sur la naissance des pouvoirs impériaux, cf. Ferrary 2001. Sur la nécessité d’une loi d’investiture, cf. Mantovani 2009.
37 Sur le processus de « bureaucratisation », cf. Eich 2005.
38 Weber 1995 [1971], p. 320 (Weber 1972, p. 140 : « geltende qualität einer Persönlichkeit […] um derentwillen sie als mit übernaturlichen or übermenschlichen oder mindestens spezifisch außeralltäglichen »). Il est à noter que le qualificatif extraordinaire traduit l’adjectif allemand « außeralltäglich », qui est le contraire de la notion de « Veralltäglichung » (quotidiennisation) : en l’occurrence extraordinaire dans le sens de « sortir de l’ordinaire, du quotidien ».
39 RGDA, 34, 1 ; Suét., Aug., 7, 2 ; Vell., 2, 91, 1 ; D.C., Hist. Rom., 53, 16, 8 ; Censor., De die natali, 21, 8. Sur le titre et surnom Augustus, cf. en dernier lieu Berthelet 2015, p. 285-312.
40 Weber 1972, p. 140.
41 RGDA, 34, 2.
42 Suét., Tit., 8, 2 : Atque etiam recordatus quondam super cenam, quod nihil cuiquam toto die praestitisset, memorabilem illam meritoque laudatam vocem edidit : « Amici, diem perdidi. »
43 Sur une telle limite du modèle wébérien quand il est appliqué à l’histoire du Haut-Empire romain, cf. Lendon 2006, p. 57.
44 C’est sur ce point – les potentialités heuristiques du charisme – que mon analyse s’écarte de l’étude plus sceptique de Lendon 2006, qui est par ailleurs excellente et dont je partage la plupart des conclusions.
45 Laignoux 2014, p. 13 et 23.
46 Pour une condamnation – justifiée – d’un usage relâché de la notion de charisme, cf. Bruhns 2014b.
47 Au point de s’endormir pendant la bataille de Nauloque, selon des témoignages malveillants rapportés par Suétone (Aug., 16, 3-4), et de laisser ainsi le commandement effectif à son ami, le fidèle Agrippa.
48 Flaig 2019 [1992], p. 63-64 ; cf. aussi dans ce sens Lendon 2006, p. 57 qui précise que le problème surgit quand les historiens utilisent les catégories transcendantales de Max Weber pour les appliquer à des situations empiriques.
49 Cf. dans ce sens Nippel 2014, p. 114 qui précise que c’est « un truisme que d’affirmer qu’appliquer sa catégorie de domination charismatique à des exemples historiques portera au jour, presque immanquablement, des combinaisons variables d’éléments traditionnels et d’éléments légaux ».
50 Schulz 1936, p. 180-181 ; Stahl 2005, p. 31 et Sommer 2011, p. 172 (cf. supra, n. 11).
51 Cf. dans ce sens Nippel 2007, p. 31 qui juge l’identification entre l’auctoritas augustéenne et l’autorité charismatique « only partly convincing » ; cf. aussi Nippel 2000b.
52 Cf. à ce sujet les remarques de Heurtin 2014, p. 77.
53 Sommer 2011, p. 177-180. Pour une critique justifiée de l’application de l’« Erbcharisma » à l’histoire des dynasties impériales du Haut-Empire romain, cf. déjà Lendon 2006, p. 57 (“to suggest that Nero enjoyed charisma inherited from Augustus, so many emperors before, stretches any definition of charisma to the point of absurdity”).
54 Hatscher 2000. Pour une critique sévère, mais juste, de la thèse de Hatscher, cf. le c.r. de Flaig 2004 ; cf. aussi David 2002 et Bruhns 2014b, p. 155-156.
55 Sur la notion de « Erbcharisma », cf. Weber 1972, p. 145 : « Die charismatischen Normen können leicht in traditional ständische (erbcharismatische) umschlagen » ( = Weber 1995 [1971], p. 330 : « Les normes charismatiques se transforment volontiers brusquement en normes traditionnelles d’un ordre [charismatiques héréditaires] ») ; cf. aussi Weber 1972, p. 680 : « Ist die Legitimität des Herrschers selbst nicht durch Erbcharisma nach eindeutigen Regeln feststellbar, so bedarf er der Legitimation durch eine andere charismatische Macht. »
56 Sur le « Gentilcharisma », cf. Weber 1972, p. 672-673.
57 Sur la labilité du charisme, cf. Weber 1972, p. 656 : « Der Bestand der charismatischen Autorität ist ihrem Wesen entsprechend spezifisch labil. »
58 Sur le poids politique du conformisme, cf. David 1982 et Mouritsen 2017, p. 67 (« compliance and conformity »).
59 Sur l’effet dit PIP (primus inter pares), cf. l’étude dans ce volume de P. Montlahuc, qui applique à l’histoire romaine la théorie de Codol sur « le principe de conformité supérieure de soi », aboutissant à l’idée que « c’était dans le conformisme qu’il fallait exceller » (David 2007, p. 226).
60 Cf. à ce sujet Hurlet 2015a, p. 129-151.
61 RGDA, 8, 2.
62 Suét., Aug., 31, 5.
63 Weber 1972, p. 664.
64 Hurlet 2011.
65 Sur cette vocation traditionnelle du peuple à obéir à l’aristocratie romaine, cf. Hölkeskamp 2008, p. 53, qui parle de la « profondeur d’obéissance » (« Gehorsamstiefe ») du peuple romain en reprenant cette idée à Christian Meier ; sur les difficultés que les aristocrates romains rencontrèrent pour se faire obéir pendant la crise de la République, cf. notamment Zecchini 2006.
66 Cf. dans ce sens Flaig 2019 [1992] ; Hurlet 2002, p. 164-169 ; Veyne 2002b et 2005a, p. 15-78.
Auteur
Université Paris Nanterre– UMR 7041 ArScAn – fhurlet@parisnanterre.fr
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