Le charme discret de la hiérarchie
Pratiques charismatiques et commandement des troupes à la fin de la République
p. 85-118
Texte intégral
1La notion wébérienne de domination charismatique a connu une certaine faveur parmi les historiens de la fin de la République romaine, en particulier lorsqu’il s’est agi de qualifier le rapport étroit que nouèrent avec leurs soldats les chefs militaires qui, de Marius à Octavien, occupèrent le devant de la scène politique romaine1. Ce que certains ont qualifié, avec quelque exagération, de « culte du chef2 » a conduit à envisager ces personnages comme des figures presque messianiques3. Cette relation si particulière s’incarnait singulièrement dans l’appellatio imperatoria, l’acclamation qui venait sanctionner le rôle du commandant en chef dans la victoire militaire4. En effet, et ainsi que l’a récemment démontré P. Assenmaker, le titre d’imperator, qui avait initialement la signification « juridique » de détenteur d’imperium, prit à partir de la guerre sociale une valeur davantage symbolique. Désormais, « l’appellatio signifiait qu’à l’issue du combat victorieux, l’armée ne voyait plus seulement en son commandant le “simple” détenteur légal de l’imperium, mais qu’elle lui reconnaissait les uirtutes imperatoriae qui faisaient de lui ce que Cicéron appellera, dans le De imperio Cn. Pompei, un summus imperator5 ». Elle disait l’acceptation enthousiaste de l’autorité du détenteur d’imperium qui, au-delà de la stricte légalité républicaine, devenait en quelque sorte le « vrai » chef des soldats6. Le titre d’imperator en vint donc à désigner une figure de type charismatique, capable de mener les soldats à la victoire par ses capacités exceptionnelles, uirtus et felicitas en particulier7.
2À partir des années 60 a.C. cependant, l’acclamation impératoriale devint une pratique très courante8, au point que, dans sa quatorzième Philippique, Cicéron la désigne comme usitatus honos pervulgatusque9. Il faut y voir l’indice d’une routinisation du titre d’imperator, entérinée par son érection en condition préalable à l’octroi de la supplicatio ou du triomphe, ou la confirmation de son octroi par le Sénat, dont la première attestation remonterait à 63 a.C.10 On aurait ainsi affaire à la constitution d’un charisme de fonction (Amtscharisma11), qui sur le temps long prit la forme de l’octroi du praenomen imperatoris à Octavien et peut-être à César lui-même12, tandis que sous l’Empire, l’acte même de l’acclamation impératoriale, par les soldats puis le Sénat, devint la première étape du processus de l’investiture impériale13.
3Le titre d’imperator se caractérisait donc par une dualité sémantique, entre usage régulier par les détenteurs d’imperium, incarnation d’une domination rationnelle-légale, d’un dispositif juridico-technique fondant la compétence du magistrat romain en matière militaire d’un côté, et la dimension charismatique de l’appellatio imperatoria de l’autre. Si l’on ajoute des éléments relevant de la domination traditionnelle tels que la prégnance du mos maiorum ou la nécessaire exemplarité du commandant en chef, par ailleurs toujours issu de l’aristocratie14, force est de constater une intrication entre les trois formes de légitimité wébériennes dans la relation d’autorité telle qu’elle prévalait dans les armées tardo-républicaines. On trouve là une illustration de l’un des principes fondamentaux (et paradoxalement parfois mal compris ou négligé) de la sociologie de la domination de Max Weber : ces avatars de la domination étaient autant d’idéal-types, qui doivent être considérés comme des « accentuations unilatérales » de la réalité, des types idéaux dont aucun « ne se présente historiquement à l’état pur15 ». Il apparaît par conséquent que le charisme ne saurait en aucun cas être conçu comme « un sésame interprétatif16 » dont il suffirait de mettre en évidence les diverses manifestations à travers les rapports entre duces et milites. Cela pose la question de la valeur heuristique du concept, et de son caractère opératoire pour l’analyse des pratiques du commandement dans cette période de troubles.
César sans le césarisme
4Certains des imperatores furent capables d’obtenir beaucoup de leurs soldats, en particulier lors des conflits civils qui marquèrent la fin de la période républicaine : que l’on songe à la prise de pouvoir de Sylla, au passage du Rubicon de César, ou à la marche sur Rome d’Octavien. Cette adhésion du rang à la cause de l’imperator pose la question du consentement des soldats à l’autorité du chef. Celle-ci peut être examinée à l’aune du cas césarien, avec lequel le dévouement des milites à la cause du chef semble avoir atteint un point culminant, au point que Suétone emploie pour désigner les sentiments des césariens envers l’imperator le superlatif devotissimus17. César, en tant que chef de guerre, a cristallisé les réflexions des Modernes du fait de cette capacité supposée à susciter l’adhésion enthousiaste de ses subordonnés18. La fortune de la notion de charisme appliquée à son itinéraire politique trouve son origine dans les écrits mêmes de Weber, en particulier à travers la notion de césarisme, utilisée pour désigner un pouvoir personnel fort s’affirmant dans un contexte de crise en s’appuyant sur la désignation populaire19, qui connut une fortune certaine, notamment à travers les analyses de Gramsci sur le phénomène fasciste20.
5Un épisode fréquemment retenu comme fondateur du charisme de César comme chef de guerre est le mouvement de panique qui s’empara de ses troupes à Vesontio en 58 a.C., à la veille de la bataille contre le chef germain Arioviste. Pour mettre un terme à la sédition, le proconsul des Gaules convoqua un consilium rassemblant ses officiers, devant lesquels il prononça un discours éclairant les ressorts de son autorité sur les troupes dont il venait de prendre le commandement :
Voyant cela, César réunit le conseil, et il y convoqua les centurions de toutes les cohortes ; il commença par leur reprocher avec véhémence leur prétention de savoir où on les menait, ce qu’on se proposait, et de raisonner là-dessus. « Arioviste avait, sous son consulat, recherché avec le plus grand empressement l’amitié des Romains ; quelle raison de penser qu’il manquerait avec tant de légèreté à son devoir ? Pour sa part, il était convaincu que lorsque le Germain connaîtrait ce que César demande et verrait combien ses propositions sont équitables, il ne refuserait pas de vivre en bonne intelligence avec lui et avec le peuple romain. Et si, obéissant à l’impulsion d’une fureur démente, il déclarait la guerre, qu’avaient-ils donc à craindre ? Quelles raisons de désespérer de leur propre valeur ou du zèle attentif de leur chef ? On avait déjà connu cet adversaire du temps de nos pères, quand Marius remporta sur les Cimbres et les Teutons une victoire qui ne fut pas moins glorieuse pour ses soldats que pour lui-même ; on l’avait connu aussi, plus récemment, en Italie, lors de la révolte des esclaves, et encore ceux-ci trouvaient-ils un accroissement de force dans leur expérience militaire et leur discipline, qualités qu’ils nous devaient. Leur exemple permettait de juger ce qu’on pouvait attendre de la fermeté d’âme, puisque des hommes qu’on avait un moment redoutés sans motif quand ils étaient dépourvus d’armes, avaient été battus ensuite alors qu’ils étaient bien armés et avaient des victoires à leur actif. Enfin ces Germains sont les mêmes hommes avec qui, à maintes reprises, les Helvètes se sont mesurés, et dont ils ont presque toujours triomphé non seulement sur leur propre territoire, mais en Germanie même : et pourtant les Helvètes n’ont pu tenir devant nos troupes. Si certains esprits s’alarmaient de l’échec et de la déroute des Gaulois, il leur suffisait de réfléchir pour en découvrir les causes ; à un moment où les Gaulois étaient fatigués de la longueur de la guerre, Arioviste, qui, pendant de longs mois, s’était confiné dans son camp, au milieu des marécages, les avait attaqués soudainement quand ils désespéraient de pouvoir jamais combattre et s’étaient disséminés ; sa victoire était due moins à la valeur des Germains qu’à l’habileté tactique de leur chef. Mais une tactique qui avait été bonne pour combattre des hommes barbares et sans expérience, Arioviste lui-même n’espérait pas que nos armées s’y pussent laisser prendre. Ceux qui déguisaient leur lâcheté en prétextant qu’ils étaient inquiets de la question des vivres et des difficultés de la route, ceux-là étaient des insolents, car ils avaient l’air ou de n’avoir aucune confiance en leur général, ou de lui dicter des ordres. Il s’occupait de ces questions : du blé, les Séquanes, les Leuques, les Lingons en fournissaient, et les moissons étaient déjà mûres dans les champs ; la route, ils en jugeraient sous peu par eux-mêmes. Quant à ce que l’on disait, qu’il ne serait pas obéi et que les enseignes resteraient immobiles, cela ne le troublait nullement : il savait bien, en effet, que tous les chefs à qui leur armée avait refusé l’obéissance ou qui avaient essuyé des échecs et s’étaient vus abandonnés de la fortune ou bien avaient commis quelque mauvaise action dont la découverte les avait convaincus de malhonnêteté. Mais lui, sa vie entière témoignait de son désintéressement, et la guerre des Helvètes avait bien montré quelle était sa chance. Aussi, ce qu’il n’avait d’abord l’intention de faire que dans quelque temps, il l’exécuterait sur-le-champ, et il lèverait le camp cette nuit, avant la fin de la quatrième veille, car il voulait savoir au plus tôt s’ils obéissaient à la voix de l’honneur et du devoir, ou aux conseils de la peur. Si maintenant personne ne le suit, il n’en marchera pas moins, suivi seulement de la dixième légion, dont il était sûr, et qui lui servirait de cohorte prétorienne. » Cette légion était celle à qui César avait témoigné le plus d’affection, et dont la valeur lui inspirait le plus de confiance21.
6Si l’on s’intéresse aux composantes de la légitimité césarienne telles qu’elles apparaissent dans ce discours (l’un des rares que les Commentarii césariens rapportent intégralement), se donne ici à voir l’intrication entre les trois formes de domination webérienne. L’accent est d’abord mis sur la notion de bellum iustum, César justifiant sa campagne contre Arioviste par des arguments d’ordre juridique, ressortissant donc au champ de l’autorité rationnelle-légale22. La référence appuyée à la continuité entre l’action césarienne et des exempla tirés du passé idéalisé de Rome – singulièrement à la figure de Marius, vainqueur des Cimbres et Teutons, qui avait épousé Iulia, la tante de César, et dont ce dernier revendiquait l’héritage politique popularis23 – constitue un élément de domination traditionnelle24. Enfin, un troisième élément serait constitué par la mise en scène des capacités exceptionnelles de César, en particulier sa felicitas. Cette dernière peut être définie comme « la force inhérente à l’individu qui la possède », sa capacité à attirer sur lui le succès. Elle se différencie nettement (y compris dans le discours césarien) de la fortuna, qui se rapportait plutôt à « la protection accordée par les dieux25 » et était plus hasardeuse26. La première était dans les Commentarii un attribut césarien, inaccessible à ses subordonnés27, et pouvait être convoquée pour expliquer des succès militaires, ce qui n’était pas le cas de la fortuna, associée aux échecs28.
7Il s’agissait bien là, en raison de sa dimension irrationnelle et extra-quotidienne, d’un élément fondateur d’une autorité charismatique. Cependant, l’ensemble des qualités césariennes, son consilium29, sa diligentia et son innocentia en particulier peuvent y être associées, en un réseau d’aptitudes topiques, que donne à voir le discours cicéronien de 66 a.C., prononcé en faveur de la rogatio Manilia et évoquant un autre commandant idéal, Pompée le Grand30 :
la scientia rei militaris, exprimée en termes d’expérience, d’usus (§ 28) ;
les virtutes imperatoriae (§ 29-42), divisées en deux groupes, d’un côté quae vulgo existimantur : labor, fortitudo, industria, celeritas et consilium (§ 25-35). De l’autre, les administrae comitesque artes, qui relèvent plutôt du registre moral : innocentia, temperantia, fides, facilitas, ingenium et humanitas (§ 36-42) ;
l’auctoritas (§ 43-46) ;
la felicitas (§ 47-48).
8Ce réseau de compétences topiques était à l’origine de l’aura de Pompée et constitue une grille de lecture à l’aune de laquelle se dessine également celle du proconsul des Gaules. Son exceptionnalité fondait la nature charismatique de l’autorité du proconsul des Gaules, qui partageait un certain nombre de ces qualités de commandant.
9La mutinerie de Vesontio, comme d’autres qui émaillèrent la carrière militaire de César31, suggèrent cependant de nuancer cette appréciation : si la domination charismatique réside dans l’abandon (Hingabe) à un individu et à l’ordre révélé ou créé par lui32, le plaçant au centre d’une « communautarisation émotionnelle » (emotionale Vergemeinschaftung33), force est de constater que les soldats césariens ne se soumirent jamais aveuglément à leur chef comme des disciples à un prophète34. Les armées tardo-républicaines ne peuvent être considérées ni comme une « institution d’aide aux sans-terre » (Versorgunganstalt der Besitzlosen35) pour reprendre la formulation de Weber, ni comme des troupes d’affidés servant en toutes circonstances leur chef36. Les signes d’élection charismatique étaient d’ailleurs considérés avec défiance au sein de la cité, en particulier parmi les sénateurs, car ils faussaient la compétition aristocratique. Il y a loin en effet de la conception wébérienne d’un chef héroïque et charismatique aux commentaires acerbes dont Pompée fut l’objet au début du conflit civil, surnommé qu’il était par ses propres partisans « roi des rois » ou « Agamemnon37 ». Par conséquent, et d’une manière générale, s’il existait incontestablement une dimension charismatique dans la relation d’autorité qui prévalait au sein des armées du temps, la question de sa nature et de sa fonction demeure en suspens.
Seigneurs de guerre et convention républicaine
10L’idée d’une disparition de toute forme d’esprit civique, chez les chefs comme les soldats, a été admise un peu trop rapidement par l’historiographie moderne38 : l’image du soldat romain tel que les sources littéraires nous donnent à le connaître, en particulier les derniers livres des Guerres Civiles d’Appien, « est loin d’être celle de légionnaires sans lien avec la militia et indifférents aux maux de la République39 ». Il faut donc aller contre un pan conséquent de l’historiographie contemporaine qui a eu tendance à considérer les imperatores tardo-républicains comme des « seigneurs de guerre » (Kriegfürst/warlords40), figures qui constituent l’une des incarnations de l’autorité charismatique dans l’œuvre de Weber41. De fait, ainsi que l’a récemment remarqué J. Rich, si l’on excepte quelques cas particuliers, tels ceux de Catilina, Q. Caecilius Bassus ou Sextus Pompée42, tous étaient revêtus de charges officielles43. Par ailleurs, la période ne vit pas l’émergence de tendances centrifuges à l’échelle de l’empire romain, ou un quelconque effondrement des institutions civiques44, conditions à l’émergence de tels chefs militaires locaux.
11Encore au début des guerres civiles, en janvier 49 a.C., ce fut avant tout l’argumentaire rationnel-légal et traditionnel, plutôt que charismatique, qui emporta l’adhésion des soldats au moment du passage du Rubicon : César ne s’adressa pas à ses troupes parce qu’elles réclamaient un chef, ne justifia pas son action par une quelconque « mission » (Sendung), mais « par ses propres “exigences”, ainsi que par celles de ses soldats, et par sa dignitas45 », un argumentaire ressortissant une nouvelle fois aux dimensions rationnelle-légale et traditionnelle46. De fait, ainsi qu’il a été de longue date démontré, ce sont ces formes de légitimité qui furent prépondérantes pour les imperatores lors du long conflit civil. Par exemple, dans les années qui suivirent la mort de César, la légitimité des protagonistes du jeu politique reposait sur le respect affiché de l’ordre républicain : ainsi, et de manière révélatrice, triumvirs comme césaricides prétendaient restaurer la res publica47. C’est en tout cas ce qu’illustre le long discours qu’Appien prête à Cassius avant la bataille de Philippes, en 42 a.C., face à des soldats qui, pour nombre d’entre eux, avaient servi sous César :
Car même à cette époque nous n’étions pas en fait les soldats de César mais ceux de la patrie, et les soldes et les gratifications versées n’appartenaient pas à César mais à la res publica, pas plus qu’à présent vous n’êtes l’armée de Cassius ou de Brutus mais celle de Rome ; et nous, les généraux romains, nous sommes vos camarades48.
12Le discours, certes réélaboré, donne selon toute vraisemblance une idée relativement exacte de l’argumentaire employé par Cassius49. Il est certain que le contexte de stasis a pu favoriser des pratiques et comportements en marge du cadre légal50. D’autres passages des Guerres civiles font d’ailleurs apparaître les soldats comme des mercenaires servant le plus offrant51, au point qu’E. Gabba considérait l’œuvre de l’historien alexandrin comme l’une des analyses les plus pertinentes à propos des fondements politico-sociaux, et psychologiques, de l’indiscipline militaire et des rapports entre commandement et troupes52. Toutefois, l’image largement répandue dans l’historiographie d’armées exclusivement dévouées à la cause de leurs chefs et animées par la quête du profit doit être nuancée53. Cassius s’adresse aux troupes comme au peuple romain en armes, c’est-à-dire à une militia civique ayant vocation à défendre la res publica, suivant un idéal républicain qui aurait été perverti par César, puis par les triumvirs54. De fait, les armées étaient principalement composées de conscrits, ne serait-ce que parce qu’ils commandaient des armées levées par des magistrats détenteurs de la puissance publique, temporairement et en fonction des besoins, parmi les adsidui55. Elles demeuraient des exercitus populi Romani, placés en vertu d’une décision officielle sous les ordres de magistrats ou de privati cum imperio56. Les soldats eux-mêmes étaient toujours des citoyens conscients du fait que leur responsabilité principale était la défense de la cité plus que leur intérêt personnel57.
13C’est ainsi que, dans la rhétorique mise en œuvre par Cicéron lors du conflit civil, les armées relèvent du bien commun, les Philippiques en particulier ne cessant de se référer à l’autorité du peuple et du sénat sur l’exercitus populi Romani58. Ce faisant, et dans le but explicite de contrer Antoine, dont la position institutionnelle était alors débattue, l’orateur développait une vision éminemment légaliste du commandement des légions, qui faisait probablement l’objet d’un large consensus dans la cité à laquelle s’adressaient ces discours, à travers deux de ses émanations, le sénat et le peuple. Ainsi dans la quatrième Philippique, prononcée le 20 décembre 44 a.C. lors d’une contio, Cicéron assimile son auditoire, en l’occurrence le populus Romanus, à une armée en ordre de bataille (instructa acies), dont la uirtus est mobilisée en vue de la défense de la res publica et de l’idéal de libertas (ad libertatem reciperandam)59. S’exposer au danger pour le salut commun revient, dans la rhétorique cicéronienne, à suivre l’exemple des générations précédentes (hereditas maiores vestri), mais aussi à agir de façon appropriée, en évitant le déshonneur (dedecus)60. Contrepartie de cette dimension civique du service militaire (bien mise en évidence par Fr. Cadiou), ce dernier impliquait des règles et des droits61 qui demeuraient essentiels aux yeux des légionnaires62 et dont le respect par le commandant cum imperio manifestait la prise en considération de la libertas des citoyens placés sous ses ordres63.
14La « domination » (Herrschaft) exercée par les imperatores sur leurs troupes à la fin de la période républicaine, c’est-à-dire, au sens wébérien du terme, « la probabilité pratique qu’un ordre donné rencontre le succès64 », ne reposait pas sur des fondements nécessairement charismatiques, mais plus essentiellement sur le respect, au moins apparent, de ce que l’on pourrait qualifier de convention républicaine65. Par convention, on entendra une règle de coordination connue de tous et suffisamment enracinée pour que sa mise en pratique soit subconsciente, permettant à l’ensemble des acteurs qui la partagent d’agir ensemble de façon cohérente, au stade en quelque sorte pré-cognitif (car elle relève du non-dit)66, et se définissant par son caractère arbitraire67.
15L’une de ces conventions, par lesquelles se définissait le collectif social, était en particulier celle faisant de la légalité républicaine et du service à la cité l’horizon des citoyens-soldats. Le contenu de cette convention républicaine put connaître des évolutions68, mais elle était encore, à l’époque concernée par notre étude, au fondement de toute coordination réussie de l’effort militaire de la cité et, au-delà, de tout accord durable. Cet accord reposait sur une évaluation collective, organisée autour d’un principe de bien commun, en l’occurrence la sauvegarde de la res publica.
Le charisme au secours de l’autorité
16Il apparaît nécessaire de reprendre la question du charisme des imperatores sous l’angle des pratiques du commandement à la fin de la période républicaine. Le corpus césarien met en scène de façon récurrente le souci que manifestait César de la condition des légionnaires, le lien affectif qu’il développa avec eux69, enfin la volonté de ses soldats de répondre avec empressement aux exigences de leur commandant70. Il était en effet attendu du commandant en chef qu’il partageât le quotidien de ses subordonnés, tel Antoine se joignant à ses hommes lors de banquets71. Un aspect central de la domination charismatique est en effet celle de l’exemplarité, illustrant courage et/ou rectitude morale, suscitant un mouvement social autour de la personne exemplaire72. On sait combien la propagande antonienne cibla le peu d’appétence d’Octavien pour la chose guerrière : le jeune César aurait pris la fuite lors de la bataille de Forum Gallorum en 43, et ne serait « reparu que deux jours après, sans son manteau de commandement ni son cheval73 ». Cette attaque, et d’autres74, mettaient en doute sa virtus et ont probablement contraint Octavien à montrer qu’il était capable de partager les périls du combat. Lors de la seconde bataille autour de Modène, en 43, Suétone rapporte ainsi qu’il « fit son devoir non seulement comme chef, mais aussi comme soldat », portant notamment l’enseigne d’un porte-aigle blessé75. De même, lors de la guerre en Dalmatie, il aurait été blessé à deux reprises, dont une fois au combat par un jet de pierre76. On voit ainsi comment Octavien, ou plutôt sa propagande, s’est attaché à montrer qu’il était capable de se lancer dans la mêlée, au mépris du danger et à l’instar d’un simple miles77. De l’imperator, il était en effet attendu qu’il fît face aux dangers en situation d’urgence et montre d’impassibilité, de maîtrise et de sang-froid en situation de crise78.
17Le détenteur de charisme se devait de prouver (héroïquement ou magiquement) ses dons extraordinaires par des succès, sources de bénéfices matériels ou immatériels pour ses adeptes. C’est dans ce cadre interprétatif général que l’on pourrait resituer la question des interventions des imperatores en première ligne lors de certains engagements armés. Bien que la position du commandant en chef soit d’ordinaire imprécise dans les récits tardo-républicains, celui-ci devait d’ordinaire se tenir un peu en arrière de ses troupes, afin de pouvoir ordonner des manœuvres de grande tactique en disposant d’un regard d’ensemble sur le champ de bataille79. L’accent était alors mis sur ce que les Anglo-Saxons désignent comme la fonction « managériale » du commandement, fonction qui nécessitait que le général veille à sa sécurité et ne combatte donc pas directement80. Dans des contextes de périls extrêmes cependant, l’intervention physique dans les combats était fréquente, rapprochant l’attitude du commandant en chef du comportement guerrier d’époque archaïque, où le chef, placé en première ligne, devait faire preuve de bravoure pour imposer son autorité. Ainsi, en 57 a.C. lors de la bataille de la Sambre, l’arrivée de César au premier rang du combat, tout en permettant des ajustements tactiques, provoqua un changement de comportement chez les soldats81. Une telle attitude, celle d’un manipularis imperator82, ne constituait ni un hapax, ni une innovation césarienne : outre le cas d’Octavien, on en aurait une autre illustration à travers les figures de Marius ou Catilina83. Dans le corpus Caesarianum, l’accent n’est toutefois pas tant mis sur la bravoure physique (virtus) de l’imperator que sur l’utilité tactique immédiate de son intervention, permettant de rétablir une situation compromise et, parfois, d’entraîner un mouvement qui conduit à la victoire84. Ainsi, en 45, lorsque César s’exposa aux traits de l’adversaire lors de la bataille de Munda, ce fut pour engager ses soldats à ne point céder85.
18Cela tendrait à montrer que l’enjeu de l’intervention du chef en première ligne n’était pas, au Ier s. a.C., l’idéal de la prouesse guerrière, contrairement à ce que laissent apparaître les sources postérieures : il s’agissait de s’exposer au danger davantage que de combattre. César, dans son autoreprésentation, insistait moins sur le caractère héroïque de son action que sur l’effet de son adventus sur le cours des combats86. Cet effet relevait précisément de son charisme, notamment en ce qu’il se fondait sur l’auctoritas césarienne, résultant directement de la fama née de ses victoires87. Du reste, son intervention était attendue des soldats : ainsi à propos de la bataille de la Sambre, le récit de César indique que « le reste [des soldats en difficulté] faiblissait, et aux derniers rangs un certain nombre, se sentant abandonnés, quittaient le combat88 ». Ce besoin de la présence du général était particulièrement sensible dans le cas de recrues. Ainsi, lors de la bataille de Ruspina en 46, les tirones, démoralisés, cherchèrent du regard leur imperator89. On retrouve ici certains des éléments fondant la domination charismatique, comme « la valeur exemplaire », la motivation désintéressée de l’action et, surtout, la reconnaissance par les subordonnés de qualités qui distinguaient le chef du commun des mortels.
19C’était donc avant tout dans les situations d’urgence, voire de péril extrême, que ce « charisme guerrier » se donnait à voir, soit lors de ce que L. Boltanski et L. Thévenot qualifient de « mises à l’épreuve »90. La qualité du chef nécessitait alors une révision ponctuelle, opérée par son intervention sur le champ de bataille, reconnue comme légitime par les agents, c’est-à-dire cohérente avec le « principe supérieur commun » de la valeur militaire de l’imperator et de sa reconnaissance par les citoyens91, ce principe découlant de la capacité dudit chef à répondre de manière adéquate à une situation de péril. Il s’agissait là d’un élément crucial de justification de leur prééminence par les imperatores. Ce n’était en aucun cas une spécificité tardo-républicaine, puisque de telles interventions sont attestées à une plus haute époque. Celles-ci restaient cependant exceptionnelles, en sorte que c’était bien la convention républicaine, et non cette forme de charisme, qui demeurait le fondement de la mobilisation des citoyens-soldats.
Charisme et justification
20Parmi les instruments de cette légitimation charismatique, ainsi qu’on l’a introduit plus haut à propos de la mutinerie de Vesontio, étaient les harangues92, soit tout discours qu’un général ou un officier adressait à ses troupes à propos d’un combat à venir, présent ou venant de se terminer93. Le rituel de la harangue manifestait la nécessité pour un général d’établir, de renforcer ou de refonder l’adhésion des commandés à son projet de combat94, répondant à une conception antique selon laquelle la parole était au fondement de l’action. Dans les sources tardo-républicaines, rares sont les mises en scène d’un tel processus de légitimation, sauf en cas de mise en cause de l’autorité de l’imperator. On peut partir du postulat que dans ces situations, l’imperator était amené à se justifier, à expliciter, clarifier, faire valoir son point de vue, en usant d’arguments acceptables par l’ensemble des citoyens placés sous ses ordres. La croyance en ses capacités extraordinaires venait en dernier lieu, en particulier lorsque la convention républicaine était mise à mal. Ce type de mise en cause de l’autorité de l’imperator tendit cependant à se répéter au cours des guerres civiles, expliquant d’ailleurs en grande partie, plus qu’une quelconque transformation de la composition des armées du temps, la multiplication des mutineries. Ainsi, en 49 a.C., alors que Curion, commandant césarien en Afrique, se trouva confronté à un mouvement d’indiscipline de la part de ses troupes, récemment ralliées à César après la prise de Corfinium en janvier de la même année, il prononça face aux soldats, lors d’une contio militaire, un long discours de justification :
Mais, sans doute, satisfaits de César, est-ce de moi que vous êtes mécontents ? Ce n’est pas moi qui parlerai de mes titres à votre reconnaissance, titres qui sont encore bien au-dessous de mes désirs et de votre attente ; mais pourtant les soldats ne demandent jamais la récompense de leurs services que dans l’issue même de la guerre : quelle sera cette issue, vous-mêmes n’avez aucun doute à ce sujet. Quant au zèle attentif que j’ai déployé, et – à en juger par les résultats obtenus jusqu’ici – à ma Fortune, pourquoi ne point en parler ? Regrettez-vous donc que j’aie fait passer ici saine et sauve l’armée entière, sans avoir perdu un seul bâtiment ? Que, dès mon arrivée, j’aie mis en fuite, à la première attaque, la flotte ennemie ? Que, deux fois en deux jours, j’aie eu le dessus dans un engagement de cavalerie ? Que, du port, au sein même de l’ennemi, j’aie attiré à nous deux cents vaisseaux avec leur cargaison, et que je l’aie réduit à l’impossibilité de se ravitailler, par terre comme par mer ? Une telle Fortune, de tels chefs, allez-vous quitter tout cela ? Est-ce donc à la honte de Corfinium, est-ce à la déroute d’Italie, est-ce à la capitulation des Espagnes, présages de la guerre d’Afrique, que vont vos préférences95 ?
21Dans cette partie de l’argumentation, à la fois réfutation et péroraison finale, Curion se livre à un exposé de la situation stratégique, et surtout insiste sur les ressorts charismatiques de son autorité sur les troupes, notamment sur la croyance collective en ses capacités exceptionnelles de chef militaire protégé de la Fortuna96, alors que le contexte est celui d’une quasi-défection de ses troupes. Cette partie du discours contraste avec la précédente, dans laquelle Curion se définit comme soldat de César (Caesaris militem) et affirme :
César m’a confié, moi qui lui suis particulièrement cher, il m’a confié la Sicile et l’Afrique, sans quoi il ne peut garder ni Rome ni l’Italie, à la garde de votre honneur97.
22Curion se livre donc préalablement à un exposé des fondements rationnels-légaux de l’allégeance des soldats à son endroit. Sa légitimité procédait de celle de César, même s’il était alors privatus cum imperio, détenteur d’un imperium pro praetore98 : de fait, la charge de la guerre en Afrique lui avait été confiée par le proconsul César, auquel il n’était lié par aucune relation de subordination du point de vue du droit. Les fondements rationnels-légaux de son autorité sur les soldats pouvaient donc apparaître faibles, d’autant que ces derniers avaient prêté un sacramentum, de surcroît contesté, entre les mains de César, et non de Curion. C’est parce qu’il avait conscience des limites de son autorité que le jeune aristocrate eut recours à des arguments ressortissant à son charisme personnel. Les réactions du rang confirment à notre sens la validité de la lecture wébérienne de cet épisode de mutinerie :
Ce discours émut très vivement les soldats, au point même qu’ils interrompaient fréquemment l’orateur : il était visible qu’ils avaient beaucoup de peine à supporter ce soupçon de déloyauté. Puis, lorsque Curion quitte le rassemblement, tous le pressent de ne pas perdre courage et de ne pas hésiter à livrer bataille où que ce fût et à mettre à l’épreuve leur loyauté et leur valeur. Ayant ainsi par son initiative transformé les sentiments et les idées de tous, il décide à l’approbation unanime de risquer le combat dès que la possibilité s’en présenterait99…
23Se créa autour de Curion ce que l’on peut identifier comme une forme de communauté émotionnelle. De fait, les motifs pour lesquels les soldats considérèrent l’ordre charismatique mis en œuvre par Curion comme légitime apparaissent comme affectifs, et plus généralement subjectifs. Au-delà, cet épisode, comme les précédents, constitue un exemple de désaccords (ou de « disputes ») entre agents, en l’occurrence entre le commandant et ses troupes, ce que la sociologie pragmatique définirait sous le terme d’épreuve de grandeur100. L’épreuve est, dans le cas des mutineries, liée à un état d’incertitude sur le bien-fondé de l’action du commandant. Une telle dispute se traduit normalement par une explicitation des principes sur lesquels reposent la coordination : sont alors invoqués des principes de justice qui permettent l’accord, la poursuite de la relation, ou le désaccord, et sa rupture. Le principe de justification habituel dans le cas des exercitus tardo-républicains était, ainsi qu’on l’a rappelé, celui de la cité, de la res publica et du droit. Curion ne pouvant y faire appel sans mettre en lumière la faiblesse des fondations rationnelles-légales de son autorité, il choisit en conséquence de situer son argumentation dans un autre monde commun, celui du prestige césarien, de la valeur martiale et du renom, de l’imperator comme des siens propres101. On retrouve ici l’articulation entre les deux conventions (républicaine et charismatique), la seconde n’agissant usuellement qu’en arrière-plan102, mais pouvant également produire le consensus attendu au sein de l’armée.
24Les mutineries ou défections, fréquentes lors du conflit civil, montrent clairement que les intérêts du rang et ceux du commandement pouvaient diverger103 et que les soldats doivent être considérés non pas comme les simples agents d’une volonté extérieure – celle de l’imperator – mais plutôt comme des sujets répondant à des motivations individuelles104 dont il s’agissait d’obtenir l’accord, ici incarné par le consentement à la guerre105. En dépassant quelque peu le cadre idéaltypique wébérien, on pourrait donc désigner la légitimité des imperatores à la fin de la République comme une légitimité « rationnelle négociée », fondée sur la position institutionnelle et sur la compétence des commandants, mais aussi sur les négociations qu’ils opéraient ponctuellement, à partir d’une base charismatique, avec leurs subordonnés106. La convention charismatique se fondait sur la reconnaissance par les subordonnés de la compétence militaire de leur chef, ce qui n’écartait pas toute forme de routinisation du charisme des commandants : outre le fait qu’un charisme de fonction semble devoir être attaché au titre même d’imperator, il faut considérer l’émergence, dans le cas d’Octavien comme dans celui des fils de Pompée, Cnaeus et Sextus, de ce que l’on peut appeler charisme gentilice (Gentilcharisma107), visible à travers l’utilisation de l’image paternelle sur leurs monnayages. Il s’agissait, autant que de manifester sa pietas filiale, d’une volonté manifeste d’appropriation des qualités exceptionnelles de l’ascendant (ainsi la qualité de divi filius d’Octavien, ou la filiation neptunienne de Sextus Pompée). C’était aussi une manière d’établir au sein des troupes, à la rémunération desquelles ces émissions étaient (au moins en partie) destinées, la croyance dans le lien entre le charisme et l’appartenance au même sang108. Il s’agissait donc d’un mouvement d’objectivation du charisme, dont on pourrait distinguer l’origine dans les années précédant le conflit civil109 et dont cette croyance ne constitue qu’un aspect parmi d’autres. On le voit en particulier à travers l’exemple d’Octavien : la réification de son charisme passait aussi par la mise en place de normes de mises à l’épreuve (Erprobung) qui servait à valider sa position de détenteur de charisme110.
Aux origines du charisme
25On sait que l’éducation militaire aristocratique romaine111 consistait surtout à préparer les iuvenes à manifester, en actes, leur aptitude à commander, composante essentielle de légitimation de leur prééminence socio-politique face au populus Romanus qui constituait une instance d’évaluation112. Il ne suffisait pas d’être né aristocrate, encore fallait-il se préparer à le devenir113. Le De Officiis de Cicéron insiste ainsi sur la nécessaire intériorisation par le iuvenis de son rôle et de ses devoirs civiques, qui ne pouvait s’effectuer qu’au prix d’un exercice régulier (exercitium) depuis son plus jeune âge114. Dans le cadre d’une vita honesta, il s’agit pour un adulescens de choisir un rôle (persona), de se préparer à ce qu’il requiert et de s’y conformer afin de susciter la confiance de la cité : la véritable gloria naissait de la mise en cohérence entre la vie extérieure et le rôle que s’est assigné l’aristocrate115. Pour Cicéron, cela passait notamment par l’inculcation de règles de comportements, de codes moraux et sociaux116 correspondant à la formation d’un habitus militaire aristocratique117. Or, ce qui constituait le premier des dix devoirs primordiaux auxquels devait s’attacher l’aristocrate sapiens, selon la laudatio funebris prononcée par Q. Caecilius Metellus (cos. 206 ?) en l’honneur de son père L. Caecilius Metellus (cos. 251 et 247) était primarium bellatorem esse118.
26Il en résulte que la composante charismatique de l’autorité des imperatores à la fin de la période républicaine ne reposait pas sur les qualités innées et exceptionnelles d’un individu. Loin de cette conception « naturalisée » et « essentialisée » du charisme comme « don » ou « grâce » (au sens littéral)119, il faut le concevoir comme le résultat d’une éducation militaire, ou tirocinium militiae, que l’on peut à bien des égards considérer comme une éducation charismatique. Elle ne prenait pas la forme d’un enseignement rationnel ou empirique, ou d’une acquisition de capacités via une forme inhabituelle d’entraînement au leadership. La qualification charismatique passait plutôt par un processus ritualisé d’imitation des aînés, dont Pline le Jeune se fait l’écho dans sa correspondance :
Voilà pourquoi les tout jeunes gens étaient dès le début formés à la vie des camps, afin de s’habituer à commander en obéissant, à se comporter en chefs à force d’être des subalternes120.
27Cette composante de l’éducation aristocratique reposait donc sur l’inculcation d’une capacité à susciter la confiance et l’adhésion des « adeptes », ici les subalternes121. L’imitation des aînés et l’exemplum qui était proposé aux iuvenes en la personne du commandant sous les ordres duquel ils servaient122, permettaient de se conformer à cette dimension éthique du commandement militaire. Il devenait, par cet apprentissage mimétique, porteur d’une forme de charisme, indépendamment de ses qualités personnelles initiales. On sait que Cicéron lui-même espérait que son fils apprît de Brutus, sous les ordres duquel il servit en 43-42 a.C., la virtus et la diligentia123, autant de qualités propres au summus imperator. Ce charisme préexistait à l’état latent en tout iuvenis, puisque tout aristocrate était socialement qualifié pour commander des troupes : il s’agissait seulement pour lui de manifester, face à la fraction de la collectivité civique que constituait l’exercitus, les signes de cette « élection » ou de cette « prédestination124 ». Il s’agissait d’une métamorphose, qui cependant avait pour but de confirmer à l’individu, aux yeux de la cité, une vocation initiale [Berufung] que chacun des imperatores tardo-républicains incarnait pleinement. On aurait donc affaire à un style de représentation charismatique proche de celles que M.E. Spencer désigne comme des « symboles », qui présentent une adéquation « naturelle » et passive entre les valeurs attendues et celles du leader charismatique125. On peut rapprocher cette conception romaine d’une « éducation charismatique » de l’appréciation de Weber selon laquelle ce ne sont pas les qualités intrinsèques du chef qui importent en premier lieu, mais d’abord le travail destiné à les faire reconnaître et à conquérir la foi des adeptes qui constituent la communauté émotionnelle126. In fine, c’étaient les succès remportés sur le champ de bataille qui devaient révéler, en ce même lieu, la maîtrise des aptitudes aristocratiques valorisées en contexte guerrier : on retrouve ici, à bien des égards, le sens initial de l’appellatio imperatoria. Ainsi se trouvent réconciliés, dans la lignée des considérations wébériennes, le point de vue de l’individu, celui des qualités incorporées, mais aussi celui de l’organisation, puisque ces capacités étaient également attribuées par le jugement de la communauté127.
Charisme et hiérarchie militaire
28Il faut, de ce point de vue, considérer l’importance cardinale de l’encadrement des armées dans le phénomène charismatique. En effet, la domination charismatique produit des structures d’organisation, que Weber appelait charismatisch qualifizierte Verwaltunsstäbe, et la hiérarchie des armées tardo-républicaines était, elle aussi, qualifiée de façon charismatique : c’était là une condition indispensable pour imposer la soumission des troupes aux imperatores. Les exemples ne manquent pas, notamment dans les rangs césariens, de centurions capables de galvaniser les soldats pour les mener au combat, tels Crastinus qui trouva la mort à la tête de ses hommes lors de la bataille de Pharsale en 48 a.C., ou encore les centurions qui, en 52 a.C., conduisirent l’assaut désastreux contre Gergovie128. L’ascendant que pouvaient exercer les officiers supérieurs est également indéniable, d’autant que ces personnages, issus de l’aristocratie équestre ou sénatoriale, voire de la notabilité italienne, avaient suivi ou suivaient la même « éducation charismatique » que leur chef, et étaient donc également tenus de manifester en actes leur excellence guerrière. Une lettre de Cicéron adressée en 49 a.C. à son affranchi Tiron évoque ainsi en des termes choisis la défection de T. Labienus, légat césarien : « qui summam auctoritatem in illius exercitu habebat129. » L’auctoritas « [était] fondée sur la conviction que celui qui en est pourvu possède des “capacités”, qui le rendent digne de leur soumission et de leur confiance : elle [supposait] l’approbation et l’adhésion volontaire de ceux sur lesquels elle s’exerce130 ». Elle procédait donc d’une capacité supérieure manifestée par un individu dans le domaine qui était le sien, ce qui la rapproche du charisme. Cette auctoritas n’existait en effet que dans la mesure où les autres voulaient bien reconnaître cette capacité et en conséquence accorder leur confiance, donc leur fides : elle n’était donc pas fixée une fois pour toutes, mais pouvait grossir ou décroître, sous l’effet de la virtus de l’individu131.
29Le terme d’auctoritas n’apparaît que fort rarement pour qualifier les rapports qu’entretenaient les officiers et la troupe au Ier s. a.C.132 : on en connaît une seule autre occurrence parmi les officiers supérieurs, au moment de l’évocation, par Cicéron dans le Pro Sestio, des qualités de commandant du legatus M. Petreius, qui lors de la bataille de Pistoia face à Catilina en janvier 62 a.C., suppléa à la défaillance du consul C. Antonius et emporta la victoire133. Petreius comme Labienus furent à bien des égards des officiers d’exception, qui agirent avec une grande autonomie et qui gagnèrent l’estime de leurs hommes, sans doute là aussi par leurs mérites sur le champ de bataille. On en trouverait un parallèle à des échelons plus subalternes de l’exercitus : César désigne ainsi son centurion T. Balventius, en 54 a.C., comme vir fortis et magnae auctoritate134. Outre son grade, ce personnage avait fait la preuve de son excellence au combat, source d’un prestige particulier parmi les soldats de l’exercitus gaulois.
30En allant plus loin, on peut estimer que la longueur de certaines campagnes militaires à la fin de la période républicaine et l’engagement continu qu’elles supposaient de la part des troupes comme des officiers ont permis l’émergence d’un « appareil » organisé, dont l’une des fonctions essentielles était de mobiliser le rang, notamment en manifestant une ostensible dévotion à la cause de l’imperator lors des périls de la guerre. Dans son récit de la conjuration des ides de mars, Appien fait ainsi état de la popularité particulière dont aurait joui Antoine parmi les soldats de César135. Le discours qu’il aurait tenu, en décembre 44, à ses troupes assemblées à Brundisium, même largement reconstruit, nous donne une idée de la source de cette popularité :
Quels étaient ma loyauté et mon zèle pour César de son vivant, moi qui plus que tout autre me suis exposé au danger pour son service, vous le savez clairement, vous qui avez fait campagne avec moi et avez assisté aux événements136.
31Virtus137, labor partagé avec les soldats et dévouement au chef en situation de danger fondaient l’exemplarité des officiers sur le champ de bataille, alimentant leur prestige auprès de la troupe et faisant d’eux des relais du charisme de l’imperator.
32C’est ainsi que, lors de la campagne qu’il mena en 52 a.C. dans le bassin parisien, Labienus fut en mesure de demander à ses troupes de combattre comme si César lui-même était présent : on pourrait presque parler, dans ce cas, de « charisme par ricochet », découlant de celui de l’imperator. Pour autant, le dévouement personnel des officiers – et le charisme qui en découlait – n’étaient pas des critères fondamentaux de leur recrutement : leur capital social, leur naissance, leur réseau personnel, leur richesse ou leur prestige politique constituaient des raisons autrement plus importantes pour nommer un aristocrate à une charge de légat, de tribun militaire ou de préfet138. Ainsi, à tous les niveaux de l’encadrement supérieur des armées romaines, le prestige et l’honorabilité personnelle étaient des éléments cruciaux de cooptation puis de hiérarchisation.
33Faisaient exception, au moins en partie, les forces essentiellement navales de Sextus Pompée, second fils du Grand Pompée, qui entre 43 et 36 a.C. menaça la prééminence des triumvirs depuis sa base sicilienne. La place que ce dernier accordait à ses affranchis, qui lui étaient étroitement attachés par les liens de la fides, pourrait s’expliquer par la conscience de la fragilité de son autorité autant que par les aptitudes navales extraordinaires d’un Menas ou d’un Menodoros139. Cette prééminence des liberti ne laissa cependant pas de susciter des oppositions140, symptômes d’une contestation latente de la part des partisans de Sextus Pompée face à la négation de leur être social représentée par la promotion de ces affranchis141. Toutefois, c’est la fragilité de la position institutionnelle de Sextus Pompée qui le mena vers une impasse politique : son autorité était essentiellement charismatique, et ne pouvait donc être durable, même au cours des guerres civiles.
L’effondrement d’un charisme situationnel : le cas de Sextus Pompée
34La légitimité charismatique est toujours risquée, improbable, et peut s’effondrer sans crier gare le jour où les capacités extraordinaires de son détenteur sont mises en cause142. L’ordre de domination (ou convention) charismatique est en particulier mis en péril lorsque le chef porteur de charisme échoue, ou passe pour un imposteur. Cette fragilité, tout autant que le légalisme des Romains, explique la place cruciale accordée à la cité et à la légalité républicaine en tant que principe supérieur commun dans les armées, encore au temps des guerres civiles. À partir de là, on comprend par exemple l’importance pour Octavien de se voir attribuer un imperium légal au lendemain de la mort de César, alors qu’il avait levé des troupes sur la base du charisme gentilice que lui conférait son adoption ex testamento par César143.
35Toutefois, pour ceux des imperatores dont la position institutionnelle était fragile, un recours plus fréquent et plus marqué à la composante charismatique de leur légitimité s’imposait. Tel fut le cas de Sextus Pompée, dont l’originalité de la position résidait dans son statut d’imperator hors-la-loi, le rapprochant sur ce point d’un seigneur de la guerre. Le titre de praef. class. et orae marit. ex s.c. dont il se para au début de l’année 42, et qui figure sur ses émissions monétaires, n’avait en effet aucune consistance officielle, ainsi que j’ai récemment tenté de le démontrer144. Sextus avait été formellement déchu de son commandement dès le mois d’août 43 et, par conséquent, l’autorité charismatique à laquelle se réfère notamment son iconographie monétaire constituait le fondement presque exclusif de sa légitimité, à travers notamment son assimilation à Neptune145. C’était là manifester sa capacité surnaturelle à dominer les mers, donc l’approvisionnement de Rome, face aux triumvirs. La capacité de Sextus à appuyer son autorité sur une autorité principalement charismatique – qui lui permit d’ailleurs d’éliminer physiquement ceux de ses alliés qui, du fait de leur position institutionnelle plus assurée, pouvait menacer sa prééminence, tels Pompeius Bithynicus ou Staius Murcus – constitue à mon sens une originalité fondamentale de la construction de sa légitimité politique. Plus encore que pour ses contemporains, cette légitimité reposait sur sa capacité, dans la configuration politique du temps, à devenir le point de focalisation et de cristallisation d’aspirations multiples, dans le cadre de ce qu’il convient de désigner comme un « charisme situationnel146 ». Si l’exceptionnalité de Sextus Pompée en tant qu’imperator était mise en avant, notamment par le biais de l’assimilation neptunienne, ce qui fondait son charisme était avant tout sa capacité à se présenter comme offrant refuge aux victimes des proscriptions de 43147, et à s’ériger en principale alternative à la domination des triumvirs148. Il faut rapprocher cette conclusion, portant sur un cas extrême de légitimité charismatique, des réflexions de M. Dobry sur les crises politiques149, réinvesties dans le champ de l’histoire ancienne par V. Azoulay, notamment à propos de Périclès150 : si les imperatores purent être considérés comme les hommes de la situation, c’était également dans la mesure où la situation les faisait151. Le chef charismatique ne peut surgir dans n’importe quel contexte : l’irrationalité du mode de domination charismatique signifie certes qu’il ne se plie pas à une règle universelle et impersonnelle, mais il découle en revanche, dans son mode d’émergence comme dans ses modalités de fonctionnement, d’un contexte politique analysé et exploité rationnellement par le chef charismatique152.
36Ce dernier est obligé d’exhiber continuellement ses dons, afin de maintenir les relations spéciales qu’il a nouées avec son public. Weber « ne soulign[ait] pas seulement la capacité unique du pouvoir charismatique à faire naître de nouvelles configurations de l’action ; il en pointe aussi la fragilité153 ». Propriété friable et éphémère, le charisme est victime de la déception, des promesses non tenues, des fautes154. « La chute d’un grand homme est lourde » selon Metternich155 : dans le cas de Sextus Pompée, ce furent les accords de Misène, conclus au printemps 39 avec Octavien et Antoine156, qui portèrent le premier coup à sa légitimité. Ils aboutirent certes à la reconnaissance du contrôle qu’il exerçait sur la Sicile, la Sardaigne et la Corse, alors que l’Achaïe et le Péloponnèse furent ajoutés à sa provincia jusqu’au terme du mandat des triumvirs157. Le jeune Pompée obtint également le consulat, dont il fut admis qu’il pourrait l’exercer in absentia, ainsi que l’augurat158. Peut-être se vit-il même conférer un imperium consulaire159. Quoi qu’il en soit, à la suite de cet accord, la formule litigieuse praef. clas. et orae marit. ex s.c. disparut des émissions monétaires et de l’épigraphie officielle, conséquence probable de la régularisation de sa position institutionnelle160. Ainsi, alors même que son autorité rationnelle-légale se renforçait, les deux fondements de son charisme situationnel furent mis en péril : à la suite de ces accords161, la restitutio des proscrits, qui formaient le cœur de son parti, mena nombre d’entre eux à se désolidariser de sa cause, tandis qu’il cessait d’apparaître comme une alternative aux triumvirs, avec lesquels il avait conclu la paix. La fragilité de sa légitimité charismatique apparut au grand jour à travers sa trajectoire politique ultérieure, notamment lors de sa défaite finale à Nauloque en 36 a.C., après avoir perdu l’essentiel des acquis de Misène, ce qui provoqua la défection de ses derniers partisans et de la Sicile, précipitant sa fin.
Conclusion
37Les dernières décennies de la période républicaine virent, à notre sens, une évolution de la convention charismatique, toujours en arrière-plan et englobée plus largement dans une convention républicaine en perpétuelle redéfinition. Alors que les imperatores incarnaient chacun une solution politique dans le cadre de conjonctures critiques caractérisées par leur fluidité, le contenu donné à leur charisme tendit à varier : ainsi, à l’aura guerrière d’Antoine répondit l’accent mis par Octavien sur l’ultio, la vengeance de son père adoptif assassiné. C’était en grande partie sur le plan du contenu de la convention charismatique, ouverte désormais à une pluralité interprétative, que se distinguèrent ces imperatores qui tous se réclamaient d’une légalité républicaine désormais fluctuante162. Émergèrent alors ce que l’on pourrait qualifier de stratégies charismatiques, au sens que M. Dobry donne à la notion, soit « la recherche, au profit d’un individu donné, d’une attestation sociale de sa qualification charismatique ou, si l’on préfère une formulation un peu plus sécularisée, de son aptitude personnelle à offrir une issue, un débouché, une “solution” à la crise dans laquelle il intervient163 ». Dans ce cadre, et en dissonance avec les conceptions wébériennes, il ne faut pas restreindre le travail d’attestation charismatique aux performances strictement personnelles du chef charismatique. Le charisme situationnel de Sextus Pompée était le fruit, davantage que de ses dons extraordinaires, d’un calcul opéré en pleine conscience des réalités politiques du temps, résultant de sa qualité de saillance situationnelle et de son capital politique.
38On aurait cependant tort de réduire le charisme des imperatores à leur aptitude à exploiter les « malaises » ou les « attentes » de certaines catégories sociales, ou de rationaliser rétrospectivement les actions du chef charismatique comme le simple reflet d’une conception idéalisée du rôle du chef militaire164. Il pouvait exister un écart entre les pratiques et les prescriptions normatives attachées aux fonctions de commandement militaire, et cet écart, manifeste par exemple en cas de défaite, ne se traduisit pas nécessairement ou immédiatement par l’érosion du charisme de l’imperator : ainsi après l’échec de César à Dyrrachium, en 48 a.C., une harangue de l’imperator suscita – certes selon César lui-même – l’enthousiasme et un regain de combativité au sein de ses troupes165. En particulier lors des guerres civiles, le lien ainsi créé avec les subordonnés, plus qu’une « communauté émotionnelle » (même si on en connaît des attestations), était l’expression d’un (fragile) consensus politique qui mettait les imperatores au défi d’imposer leur volonté à leurs partenaires, parfois réticents ou prompts à la négociation. De ce point de vue, le réagencement permanent de la légitimité des imperatores et la conflictualité des allégeances partisanes étaient également déterminés par des logiques inhérentes au politique166. Finalement, prêter attention à ces facettes du charisme politique pose plus largement la question de savoir comment une convention nouvelle naît et se diffuse au sein d’un groupe, notamment dans un contexte d’incertitude politique167 : sans doute serait-ce là un axe fructueux pour l’étude de la crise, ou plutôt des crises, qui caractérisèrent la fin de la période républicaine.
Notes de bas de page
1 Christ 1984 [1979], p. 157-164 ; Vanderbroeck 1987 ; de Blois 2007 ; Rosenstein 2007. Ce charisme des grands hommes a suscité l’intérêt de l’historiographie jusque dans les ouvrages les plus récents : c’est ainsi qu’Hatscher 2000, p. 219 et 222 est allé (à tort selon nous) jusqu’à caractériser toute la période tardo-républicaine comme une « époque charismatique ».
2 Cosme 2007, p. 58.
3 On trouve l’expression sous la plume de Sommer 2011, p. 173 : “Rome’s most successful generals – men like Marius, Sulla, Pompey, Julius Caesar and Mark Antony – were soon to become quasi-messianic figures.”
4 Combès 1966.
5 Assenmaker 2012, p. 131. Sur la notion de summus imperator : Cic., Imp. Pomp., 28.
6 Assenmaker 2012, p. 134.
7 Assenmaker 2012, p. 131.
8 L’acclamation, dans les dernières décennies de la période républicaine, découlait le plus souvent d’une attente de la gratification, et était donc de plus en plus dénuée de signification du point de vue strictement militaire (Harmand 1967, p. 442 et 444-445 ; Harmand 1969, p. 64-65).
9 Cic., Phil., 14, 11. Cf. Assenmaker 2012, p. 134-138.
10 L’intervention sénatoriale reste toutefois rare : elle n’est attestée que pour l’acclamation impératoriale de L. Manlius Torquatus (cos. 65 a.C.) lors de son proconsulat en Macédoine, en 63 (Cic., In Pis., 19, 44), et pour celles de Hirtius, Pansa et Octavien après Mutina en 43 (Cic., Phil., 14, 11-12). Sur le triomphe, Assenmaker 2012, p. 136-137.
11 Séguy 1982, p. 40 : le charisme de fonction peut être défini comme « une qualité exceptionnelle reconnue par une institution [i.e. ici l’armée, voire le Sénat] qui la porte à plénitude par confirmation rituelle [i.e. l’acclamation ou le vote d’un sénatus-consulte] ; celle-ci fonde la légitimité du pouvoir auquel elle prétend faire accéder ceux qui l’ont reçue [i.e. la reconnaissance du rôle de l’imperator dans la victoire] ; elle les oblige à reproduire les obligations articulées par l’institution [i.e. la uirtus et la felicitas attendues du chef], propriétaire du charisme de fonction ; ce dernier tire sa légitimité, en dernière analyse, de l’appropriation par une institution, d’un charisme personnel fondateur. »
12 Assenmaker 2012, p. 113 n. 9 et p. 138-139.
13 Jacques – Scheid 1990, p. 22-25.
14 Rosenstein 2007, p. 140-141 (cf. McDonnell 2006).
15 Weber 1995 [1971], p. 290, qui consacre d’ailleurs une section de l’œuvre à la « combinaison des différents types de domination » (Weber 1995 [1971], p. 345-349 ; cf. Chazel 2016, p. 271-272).
16 Azoulay 2014, p. 169.
17 Suét., Iul., 68, 1 (cf. 65-70) ; Harmand 1967, p. 449 et n. 70.
18 Ainsi, pour Étienne 1997, p. 66 : « S’il savait enchaîner les cœurs et les corps, […] il se préparait, grâce à son charisme, à dominer le monde et à y installer son regnum. » La formule illustre à la fois la fascination exercée par le grand homme sur les Modernes et l’insuffisante précision conceptuelle avec laquelle nombre de spécialistes de l’Antiquité ont recours à la notion de charisme, sous laquelle sont rassemblés de manière indistincte séduction, charisme et autorité politique (Yavetz 1990, p. 210 ; cf. déjà Friedrich 1961, p. 14 et Tucker 1968, p. 731).
19 La première occurrence du terme « césarisme » dans les écrits de Weber date de 1917, dans Parlement et gouvernement dans l’Allemagne réorganisée (Weber 2004, p. 402 ; Monod 2014, p. 120).
20 Gramsci 2011, p. 226-231 interprète précisément l’établissement du régime fasciste en Italie comme résolution d’une situation de crise par le recours à un homme providentiel.
21 Cés., BG, 1, 40 : Haec cum animadvertisset, convocato consilio omniumque ordinum ad id consilium adhibitis centurionibus, vehementer eos incusavit : primum, quod aut quam in partem aut quo consilio ducerentur sibi quaerendum aut cogitandum putarent. Ariovistum se consule cupidissime populi Romani amicitiam adpetisse ; cur hunc tam temere quisquam ab officio discessurum iudicaret ? Sibi quidem persuaderi cognitis suis poslulatis atque aequitate condicionum perspecta eum neque suam neque populi Romani gratiam repudiaturum. Quod si furore atque amentia impulsum bellum intulisset, quid tandem vererentur ? Aut cur de sua virtute aut de ipsius diligentia desperarent ? Factum eius hostis periculum patrum nostrorum memoria Cimbris et Teutonis a C. Mario pulsis {cum non minorem laudem exercitus quam ipse imperator meritus videbatur} ; factum etiam nuper in Italia servili tumultu, quos tamen aliquid usus ac disciplina, quam a nobis accepissent, sublevarint. Ex quo iudicari posse quantum haberet in se boni constantia, propterea quod quos aliquam diu inermes sine causa timuissent hos postea armatos ac victores superassent. Denique hos esse eosdem Germanos quibuscum saepe numero Helvetii congressi non solum in suis sed etiam in illorum finibus plerumque superarint, qui tamen pares esse nostro exercitui non potuerint. Si quos adversum proelium et fuga Gallorum commoveret, hos, si quaererent, reperire posse diuturnitate belli defatigatis Gallis Ariovistum, cum multos menses castris se ac paludibus tenuisset neque sui potestatem fecisset, desperantes iam de pugna et dispersos subito adortum magis ratione et consilio quam virtute vicisse. Cui rationi contra homines barbaros atque imperitos locus fuisset, hac ne ipsum quidem sperare nostros exercitus capi posse. Qui suum timorem in rei frumentariae simulationem angustiasque itineris conferrent, facere arroganter, cum aut de officio imperatoris desperare aut praescribere viderentur. Haec sibi esse curae ; frumentum Sequanos, Leucos, Lingones subministrare, iamque esse in agris frumenta matura ; de itinere ipsos brevi tempore iudicaturos. Quod non fore dicto audientes neque signa laturi dicantur, nihil se ea re commoveri : scire enim, quibuscumque exercitus dicto audiens non fuerit, aut male re gesta fortunam defuisse aut aliquo facinore comperto avaritiam esse convictam. Suam innocentiam perpetua vita, felicitatem Helvetiorum bello esse perspectam. Itaque se quod in longiorem diem conlaturus fuisset repraesentaturum et proxima nocte de quarta, vigilia castra moturum, ut quam primum intellegere posset utrum apud eos pudor atque officium an timor plus valeret. Quod si praeterea nemo sequatur, tamen se cum sola decima legione iturum, de qua non dubitet, sibique eam praetoriam cohortem futuram. Huic legioni Caesar et indulserat praecipue et propter virtutem confidebat maxime. Toutes les traductions sont tirées de la CUF.
22 Sur l’idéologie du iustum bellum dans ce passage : Zecchini 2001, p. 42-43.
23 Suét., Iul., 6 ; Plut., Ces., 5.
24 Tout en altérant les lois de la guerre romaine, et en entraînant ses soldats dans une périlleuse aventure militaire, César se réclamait de la cognition d’une règle ancestrale, qui aurait été toujours valable (« Erkenntnis » eines Satzes als « von jeher geltend ») (voir Weber 2014b, p. 294). Sur le mos maiorum comme ensemble de règles résistant à l’innovation et confirmant le pouvoir d’un acteur politique : Hölkeskamp 2010, p. 17-18.
25 Combès 1966, p. 210-215 et 243, qui souligne également que la felicitas se développa dans les inscriptions triomphales (il y voit la conséquence d’une influence hellénistique) qui, à partir du IIe s. a.C., évoquent le bonheur personnel des imperatores, expliquant ainsi leur succès militaire. Cette dimension est notamment développée dans le corpus cicéronien, où l’Arpinate explique l’efficacité de Pompée par la faveur divine (Cic., Imp. Cn. Pomp., 16, 48), alors que celle de César est attribuée par le narrateur du Bellum Alexandrinum à sa seule fortuna (B. Alex., 43, 1).
26 Cf. Cic., Att., 5, 9, 1 (Parthus velim quiescat et fortuna nos iuvet, nostra praestabimus) ; Cés., BG, 6, 30, 2 (Multum eum in omnibus rebus tum in re militari potest Fortuna). Sur les rapports entre fortuna et felicitas : Cés., BG, 1, 40, 12-13 ; B. Alex., 25, 4.
27 Sur la fortuna Caesaris : Weinstock 1971 et Champeaux 1982.
28 Combès 1966, p. 423 et 430 n. 103 : si le thème de la fortuna apparaît de manière récurrente dans l’éloquence militaire césarienne, Rambaud 1966 (p. 257-264 et 431-433) a montré que les récits césariens ne réservent au hasard qu’un rôle modeste, presque uniquement consacré à dissimuler les erreurs et échecs du vainqueur des Gaules (ainsi dans le récit de la bataille de Dyrrachium : Cés., BC, 3, 73, 1-4). Ce sont les écrivains postérieurs qui évoquent la fortuna Caesaris. Cicéron utilise le même motif pour évoquer les échecs de Lucullus (Cic., Imp. Pomp., 10). La fortuna n’apparaît pas, dans les Commentarii césariens, comme une divinité qui serait attachée à la personne de César. En cela, César semble s’être nettement distingué de Sylla ou de Pompée, du moins avant Pharsale (Combès 1966, p. 419-427). Notons à l’inverse, à la suite de Lapray 2010, p. 881, que la tradition antimarianiste attribuait les victoires de C. Marius à sa fortuna plus qu’à ses compétences de commandant.
29 Soit à la fois ses « plans » et sa « réflexion », le consilium étant étroitement associé à la ratio (Combès 1966, p. 315).
30 Cic., Imp. Pomp., 28 : Ego enim sic existimo, in summo imperatore quattuor has res inesse oportere, scientiam rei militaris, virtutem, auctoritatem, felicitatem (cf. Rambaud 1966, p. 250-264 ; Combès 1966, p. 279-325 ; Grüber 1988, p. 244-245).
31 Messer 1920 ; Gabba 1975 ; Hinard 1990 ; Chrissanthos 2001.
32 Weber 1995 [1971], p. 289.
33 Weber 1995 [1971], p. 322 ; cf. Bruhns 2014b, p. 153.
34 Yavetz 1990 a de longue date mis en évidence que César ne fut jamais à proprement parler l’homme de confiance des masses dans la cité. Le terme est employé par Weber 2004, p. 403-404 à propos du césarisme.
35 Weber 2001 [1998], p. 351.
36 Contra Sommer 2011, p. 173
37 Plut., Pomp., 67, 4-5 et Ces., 41, 2.
38 Bloch – Carcopino 1952, p. 122 ; Harmand 1965, p. 65 ; Nicolet 1976, p. 510 ; Nicolet 1979, p. 330 ; Gabba 1973, p. 67 ; De Blois 1987, p. 12 et 58 ; Patterson 1993, p. 107 ; Erdkamp 2006, p. 294 ; De Blois 2007, p. 169 ; Alston 2007, p. 182-183.
39 Cadiou 2018, p. 265-266 et n. 672. Plusieurs passages des Guerres civiles attestent l’attachement des soldats à la res publica, ou du moins à un certain idéal civique : App. , BC, 5, 25 ; 39 ; 40 ; 57.
40 Ainsi Keaveney 2007, p. 4-7, 35, 41 et 97 désigne les triumvirs comme des seigneurs de la guerre (mais refuse cette appellation pour Sylla : Keaveney 2005) et leurs soldats comme des mercenaires. Cette assimilation est fréquente dans l’historiographie anglo-saxonne : Holland 2004, p. 90-91, 315, 353, 380, 410 ; Sheppard 2006, p. 7, 29 ; Fields 2008 ; Mackay 2009, p. 337 ; Capogrossi Colognesi 2014, p. 214 ; Zarecki 2014, p. 162.
41 Sans évoquer les acceptions plus récentes du terme, notamment dans le cadre des sciences politiques, tel qu’il fut en particulier appliqué aux États faillis, la notion de « seigneur de la guerre » doit être considérée comme un terme générique, désignant un acteur non-étatique, avec une force militaire sous son contrôle, et capable d’agir avec une relative autonomie. De tels individus peuvent s’affirmer sur la scène politique en raison d’un affaiblissement ou d’un développement incomplet de l’État central, ou parce que l’État trouve son compte à coopérer avec eux (comme dans le cas des condottieri) (Rich 2017, p. 269).
42 Cf. infra.
43 Sur les positions officielles détenues par les protagonistes du conflit civil : Rich 2007, p. 280-281.
44 Morstein-Marx – Rosenstein 2006, p. 635 ; Rich 2017, p. 278, 281.
45 Bruhns 2014b, p. 156-157. Cf. Cés., BC, 1, 7.
46 Sur la guerre civile comme dignitatis contentio : Raaflaub 1974.
47 Cadiou 2018, p. 262. Lange 2009 montre que le but officiel du triumvirat était la fin des guerres civiles, la punition des meurtriers de César et la restauration de la res publica, de sorte que, dans l’idéologie augustéenne, étape triumvirale, victoire d’Actium et fondation du principat demeurent indissociables (cf. Laignoux 2010 sur les revendications de légitimité et leur réception).
48 App. , BC, 4, 98 : Οὐ γὰρ ἐκείνου γε ἦμεν οὐδὲ τότε, ἀλλὰ τῆς πατρίδος, οὐδ’ οἱ διδόμενοι μισθοὶ καὶ δωρεαὶ Καίσαρος ἦσαν, ἀλλὰ τοῦ κοινοῦ, ἐπεὶ οὐδὲ νῦν ἐστε Κασσίου στρατὸς οὐδὲ Βρούτου μᾶλλον ἢ Ῥωμαίων· ἡμεῖς δ’ ἐσμὲν ὑμῖν συστρατιῶται, Ῥωμαίων στρατηγοί.
49 Certes, ce discours a, d’un point de vue littéraire, pour fonction de faire ressortir le destin tragique de Cassius, et celui du régime républicain à travers lui (Gabba 1956, p. 180-182 ; Gowing 1990, p. 180 ; Gowing 1992, p. 245 ; Westall 2016, p. 153). Cependant, Appien a pu rester proche de la source sur laquelle il s’appuie (Welch 2015, p. 295 ; cf. Cadiou 2018, p. 265 n. 671) et le passage ne doit pas être interprété dans le sens d’un aveuglement de Cassius, dont le légalisme aurait été anachronique.
50 Cf. D.C., Hist. Rom., 43, 21, 4.
51 App. , BC, 3, 48.
52 Gabba 1970, p. xxiii, cf. p. 40.
53 Ainsi Appien, en insistant aux livres IV et V des Guerres civiles sur les désordres et violences de l’époque triumvirale, souhaitait exalter, par contraste, la stabilité et la sécurité de son propre temps (Gowing 1992, p. 280-282 ; cf. Cadiou 2018, p. 258-259).
54 App. , BC, 4, 90-100 pour la totalité du discours ; cf. Cadiou 2018, p. 264 n. 665.
55 Cadiou 2018, p. 119.
56 Dans les sources tardo-républicaines, le lien traditionnel entre les légions et le corps civique est constamment rappelé (cf. par exemple Cic., Cat., 2, 24 : uester exercitus). « Les entorses à ces principes essentiels étaient ressenties comme autant d’atteintes intolérables portées à la res publica et à la libertas et elles étaient susceptibles de mettre leurs auteurs au ban de la collectivité » (Cadiou 2018, p. 202). C’est ainsi que toute forme de « privatisation » des armées romaines est dénoncée, en particulier à travers la rhétorique cicéronienne (cf. Cadiou 2018, p. 188-191). Ainsi, pour Cadiou 2018, p. 192, « … en insistant sur la notion d’un exercitus populi Romani comme expression de la collectivité civique, Cicéron ne formule pas une théorie personnelle ou un lieu commun vide de sens ».
57 Ainsi le discours prononcé en 107 a.C. par Marius face aux cives, au moment de procéder à l’enrôlement du supplementum destiné à la guerre contre Jugurtha, s’achève sur un appel vibrant aux valeurs civiques de son auditoire (Sall., Iug., 85, 47-50 ; cf. Cadiou 2018, p. 211-212 qui en donne d’autres illustrations, notamment tirées du corpus césarien).
58 Cadiou 2018, p. 194.
59 Cic., Phil., 4, 11 : « Il ne vous reste plus, Quirites, qu’à persévérer dans les sentiments que vous manifestez aujourd’hui. Je ferai donc ce que d’ordinaire font les généraux, quand leur armée est rangée en bataille : ils ont beau voir leurs soldats bien disposés à combattre, ils ne laissent pas néanmoins de leur adresser des exhortations : moi, de même, si ardents, si animés que vous soyez à reconquérir la liberté, je vais vous adresser des exhortations » (Reliquum est, Quirites, ut vos in ista sententia, quam prae vobis fertis, perseveretis. Faciam igitur, ut imperatores instructa acie solent, quamquam paratissimos milites ad proeliandum videant, ut eos tamen adhortentur, sic ergo vos ardentis et erectos ad libertatem reciperandam cohortabor). Remarquons que le discours de Cicéron suscite l’enthousiasme de la foule, sans que l’on puisse pour autant y déceler l’émergence d’une communauté émotionnelle (cf. Cic., Phil., 4, 12).
60 Cic., Phil., 4, 13 : « La nature, il est vrai, a donné à tous les hommes la perspective de la mort, mais la cruauté et le déshonneur de la mort sont habituellement repoussés par la vertu, qui est le privilège de la race et du sang romains. Conservez-la, je vous prie, Quirites, cette vertu, que vos ancêtres vous ont transmise comme un héritage ; tout le reste est faux, incertain, précaire, changeant, seule la vertu est attachée par de très profondes racines, que nulle force ne saurait jamais ébranler ni arracher. C’est par elle que vos ancêtres ont d’abord soumis l’Italie entière, puis détruit Carthage, renversé Numance, assujetti à notre domination les rois les plus puissants, les nations les plus belliqueuses » (Quamquam mortem quidem natura omnibus proposuit, crudelitatem mortis et dedecus virtus propulsare solet, quae propria est Romani generis et seminis. Hanc retinete, quaeso, Quirites, quam vobis tamquam hereditatem maiores vestri reliquerunt ; [quamquam] alia omnia falsa, incerta sunt, caduca, mobilia, virtus est una altissimis defixa radicibus ; quae numquam vi ulla labefactari potest, numquam demoveri loco. Hac virtute maiores vestri primum universam Italiam devicerunt, deinde Karthaginem exciderunt, Numantiam everterunt, potentissimos reges, bellicosissimas gentes in dicionem huius imperi redegerunt). Cf. Sall., Iug., 85, 48-49 pour un discours largement similaire. L’enthousiasme des cives fut d’ailleurs, en décembre 43 a.C., le même qu’en 107 a.C. selon Cic., Fam., 11, 6a, 2 (Cadiou 2018, p. 214).
61 Cadiou 2018, p. 207-208.
62 Que l’on songe aux congés (commeatus) que les commandants veillaient à respecter encore pendant la guerre civile (B. Afr., 77, 3)
63 Cadiou 2018, p. 209 (cf. Cic., Fam., 8, 8, 7 ; App. , BC, 2, 115-117 ; Plut., Pomp., 57, 3 et Plut., Ces., 29, 2-3).
64 Guinchard 2006, p. 82.
65 Pour une utilisation du concept de convention appliqué à l’histoire moderne espagnole : Dedieu 2010. Le concept se rapproche à bien des égards de celui des économies de la grandeur, développé par Boltanski – Thévenot 1991, pour qui les individus s’appuient pour se coordonner sur des principes d’équivalence, ou « cités », de nature très différente.
66 Elle relève du non-dit, et n’a d’autre origine que mythique, dépourvue qu’elle est d’histoire, de début et de fin. On rappellera ici la définition donnée par Favereau 1999, p. 4 : la convention est « un type particulier de règles, empreintes d’un certain arbitraire, la plupart du temps non assorties de sanctions juridiques, d’origine obscure, et de formulation relativement vague ou alors éventuellement précise mais sans version officielle ».
67 Au sens où son efficacité réside dans le fait d’être partagée plus que dans son contenu même, et qu’elle trouve en elle-même, aux yeux de ses porteurs, sa propre justification.
68 Cette convention connut d’importantes évolutions : Moatti 2018. Cependant, « si les conventions évoluent, elles ne se renouvellent jamais ex nihilo. Les acteurs qui en créent de nouvelles sont plongés dans le monde des anciennes et les utilisent comme matériaux ou comme outils » (Dedieu 2010, p. 169). Ainsi, « les idées ne naissent pas d’elles-mêmes, mais des problèmes de ceux qui les portent et de leurs efforts pour les résoudre » (Bitterling 2009, p. 23).
69 Flaig 2019 [1992], p. 180-182 sur la « proximité affective » (affektive Nähe) que les soldats exigeaient de leurs chefs à la fin de la période républicaine.
70 Cés., BG, 7, 16, 3-8 (siège d’Avaricum) ; 7, 19, 4-6 (bataille avortée contre Vercingétorix) ou BC, 1, 72 (bataille d’Ilerda).
71 Plut., Ant., 8.
72 Weber 1985, p. 482 ; Ouedraogo 1993, p. 144.
73 Suét., Aug., 10, 6 : Priore Antonius fugisse eum scribit ac sine paludamento equoque post biduum demum apparuisse.
74 À l’occasion de la guerre de Sicile, Antoine le raille ainsi « de n’avoir pas eu même le courage de regarder en face une armée rangée en bataille » (Suét., Aug., 16, 4 : Ne rectis quidem oculis eum aspicere potuisse instructam aciem).
75 Suét., Aug., 10, 6 : Sequenti satis constat non modo ducis sed etiam militis functum munere atque in media dimicatione aquilifero legionis suae graviter saucio aquilam umeris subisse diuque portasse. Cf. Flor., 2, 15, 5 et 4, 4 : « C’est bien alors qu’il montra aussi pour son courage physique la beauté de sa conduite : ensanglanté et blessé en effet, il rapportait au camp, sur ses épaules, l’aigle qu’il avait reçue des mains d’un porte-enseigne mourant » (Tunc quidem etiam manu pulcher apparuit. Nam cruentus et saucius aquilam a moriente signifero traditam suis umeris in castra referebat).
76 Suét., Aug., 20, 2 : Dalmatio etiam uulnera excepit, una acie dextrum genu lapide ictus. Sur ces derniers exploits, qui datent de 35-34 a.C., voir aussi Plin., HN, 7, 148 et App. , Ill., 26, 56-58 ; 27, 79.
77 Lapray 2010, p. 773.
78 Lapray 2010, p. 735.
79 Goldsworthy 1996, p. 154-156.
80 Cette attitude caractérisa un certain nombre de commandants de la Rome républicaine : la taille croissante de leur entourage, destiné à les protéger, l’atteste incontestablement selon Lapray 2010, p. 768.
81 Cés., BG, 2, 25.
82 Plin., HN, 33, 150 sur l’expression (cf. Combès 1966, p. 260).
83 Sall., Iug., 85 (Marius) ; Sall., Cat., 61 (Catilina).
84 Lapray 2010, p. 770.
85 Combats d’Alexandrie : B. Alex., 21, 1-2. Bataille de Munda : Vell., 2, 55, 3-4 ; Front., Str., 2, 8, 13 ; Plut., Ces., 56, 2-4 ; App. , BC, 2, 104, 432 ; Flor., 2, 18, 83 ; Eutrop., Abr. Hist. Rom., 6, 24 ; Oros., 6, 16, 6.
86 McDonnell 2006, p. 309-310.
87 Ramage 2003, p. 335-337. Plus encore qu’au niveau tactique, au cours de la bataille, l’adventus s’exprime au niveau stratégique (Cés., BG, 3, 9, 3). Cf. infra sur l’auctoritas.
88 Cés., BG., 2, 25, 1 : Reliquos esse tardiores et non nullos ab novissimis deserto loco proelio excedere. Pour d’autres attestations de ce comportement attendu : Lapray 2010, p. 719.
89 B. Afr., 16,4 : « Cependant tous étaient démoralisés, surtout les recrues ; ils cherchaient César du regard et se bornaient à éviter les armes lancées par l’ennemi » (Omnium tamen animi in terrorem coniecti, et maxime tironum ; circumspicere enim Caesarem neque amplius facere nisi hostium iacula vitare). Cf. également B. Afr., 10, 2-4.
90 L’hypothèse de ces chercheurs est que les individus sont dotés de compétences pragmatiques, leur permettant d’agir de façon acceptable et pertinente dans un monde commun, ou dans plusieurs univers sociaux, en reconnaissant et en s’ajustant aux situations qui relèvent de chacun de ces univers (Boltanski – Thévenot 1991, p. 266-267). En effet, l’univers social peut être décrit comme une série de « mondes », chacun étant régi par un système propre de règles et dans le cadre desquels les individus cherchent à justifier leurs actes et à s’ajuster aux situations (Boltanski – Thévenot 1991, p. 182). Dans chacun de ces mondes existe donc une grammaire de l’agir, un « ensemble des règles à suivre pour agir d’une façon suffisamment correcte aux yeux des partenaires de l’action » (Lemieux 2000, p. 110, cf. p. 112). Ces règles permettent, dans chacun de ces univers sociaux, le classement hiérarchique des acteurs en fonction de la plus ou moins grande efficacité avec laquelle ils les mettent en œuvre, soit l’attribution à chaque acteur, dans chaque monde, d’un degré de grandeur, qui implique l’attribution de ressources de commandement dans le contexte du monde concerné (Boltanski – Thévenot 1991, p. 162-165). Dans cette perspective, la notion centrale est celle d’épreuve, qui par l’indétermination et l’incertitude qui la caractérise, sous-tend l’idée d’un acteur capable d’ajuster son action aux situations, en tenant compte des contraintes inhérentes à cette situation. L’épreuve peut être conçue comme un moment au cours duquel les personnes font preuve de leurs compétences, pour agir, désigner, qualifier, juger ou justifier quelque chose ou quelqu’un. À travers l’épreuve, se révèle l’importance relative des êtres engagés dans la situation, ainsi que les propriétés qui leur sont attachées, qui se donnent à voir dans le cours de l’action et s’expriment dans les jugements de qualification (Boltanski – Thévenot 1991, p. 58 et 432).
91 Batifoulier 2001, p. 214 : ces questions de prestige se situent dans le cadre de ce principe supérieur commun que L. Boltanski et L. Thévenot qualifient de « cité du renom ». De fait, une inaptitude au commandement pouvait être considérée comme une trahison des citoyens, dont la conscription avait confié la responsabilité et la sécurité à l’imperator.
92 Il y en aurait d’autres, telles que les promesses de donativa ou les serments exceptionnels.
93 Lapray 2010, p. 643.
94 David 1995, p. 35-42.
95 Cés., BC, 2, 32, 11-12 : At, credo, si Caesarem probatis, in me offenditis. Qui de meis in vos meritis praedicaturus non sum, quae sunt adhuc et mea voluntate et vestra exspectatione leviora ; sed tamen sui laboris milites semper eventu belli praemia petiverunt, qui qualis sit futurus, ne vos quidem dubitatis : diligentiam quidem nostram aut, quem ad finem adhuc res processit, fortunam cur praeteream ? An paenitet vos, quod salvum atque incolumem exercitum nulla omnino nave desiderata traduxerim ? Quod classem hostium primo impetu adveniens profligaverim ? Quod bis per biduum equestri proelio superaverim ? Quod ex portu sinuque adversariorum CC naves oneratas abduxerim eoque illos compulerim, ut neque pedestri itinere neque navibus commeatu iuvari possint ? Hac vos fortuna atque his ducibus repudiatis Corfiniensem ignominiam, Italiae fugam, Hispaniarum deditionem, Africi belli praeiudicia, sequimini ?
96 Et non la felicitas, ce qui dans la langue césarienne annonce le résultat désastreux du combat (cf. supra).
97 Cés., BC, 2, 32, 3 : … Caesar me, quem sibi carissimum habuit, provinciam Siciliam atque Africam, sine quibus urbem atque Italiamtueri non potest, vestrae fidei commisit.
98 Cic., Att., 10, 4, 8-11 ; Cés., BC, 1, 30, 2 (cf. Suét., Iul., 36 qui le désigne comme legatus). Cf. MRR 2, p. 263-264.
99 Cés., BC, 2, 33, 1 : Qua oratione permoti milites crebro etiam dicentem interpellabant, ut magno cum dolore infidelitatis suspicionem sustinere viderentur ; discedentem vero ex contione universi cohortantur, magno sit animo, necubi dubitet proelium committere et suam fidem virtutemque experiri. Quo facto commutata omnium et voluntate et opinione consensu summo constituit Curio, cum primum sit data potestas, proelio rem committere…
100 Nachi 2006, p. 61.
101 C’est donc dans le cadre de l’épreuve, voire, plus précisément, en manière de sortie d’épreuve que se constitue la communauté émotionnelle de l’imperator.
102 Bruhns 2014b, p. 151.
103 MacMullen 1984, p. 452 ; cf. Messer 1920, p. 162-165 ; Gabba 1975 ; Hinard 1990 ; Keaveney 2007, p. 77-90.
104 On retrouve ici une distinction opérée de façon similaire dans le champ de la psychanalyse par Milgram 1974, p. 167 entre l’état agentique et l’état autonome : « C’est ce que j’appellerai l’état “agentique”, par quoi je désigne la condition de l’individu qui se considère comme l’agent exécutif d’une volonté étrangère, par opposition à l’état “autonome” dans lequel il estime être l’auteur de ses actes. »
105 Cette notion de « consentement » est directement inspirée par certains ouvrages appartenant au courant de l’histoire culturelle de la guerre (cf. notamment Audoin-Rouzeau – Becker 1995 et 2000).
106 On retrouve ici la vision de la relation d’autorité développée par Smith 1994 à propos de la 5e division d’infanterie au cours de la Première Guerre mondiale.
107 Shills 1965, p. 202. Sous le double effet de la différenciation sociale (communauté familiale, ethnique, territoriale) et d’une division naissante des activités professionnelles (l’exercice de certaines supposant une influence magique), des groupes, des clans, construits autour de la parentèle (et donc du sang) se verront attribuer un prestige social, un honneur, une dignité [Würde] particulière et des qualités charismatiques (Weber 1972, p. 772-774). Cette forme de charisme caractérise la noblesse et annonce la naissance d’ordres [Stände]. Cf. Martin – Pajon 2011, p. 386.
108 Weber 1995 [1971], p. 329-330.
109 Suspène 2008, p. 464-469, qui évoque en particulier le monnayage de D. Brutus.
110 » L’ascèse du “guerrier de la maison des hommes” appartient à ce type, ainsi que l’initiation des jeunes et les classes d’âge ; celui qui n’a pas subi l’épreuve de la guerre demeure une “femme”, c’est-à-dire qu’il reste exclu de la suite armée » (Weber 1995 [1971], p. 330).
111 La notion de « formation militaire » est sans doute anachronique, en l’absence de tout lieu d’apprentissage de savoirs et de savoir-faire spécifiquement militaires, à l’image des académies militaires modernes ; surtout, ce n’est qu’à la fin du XIXe s. que le terme « formation » est employé pour désigner l’éducation d’un individu (sur cette question, Rameix 2013, nott. p. 9-10).
112 Scholz 2011, p. 23-24.
113 La naissance était une condition nécessaire, mais non suffisante, pour faire partie de l’élite aristocratique. Velleius Paterculus écrit ainsi, pour le déconsidérer, que Sex. Pompée était ignare et que son langage était grossier : Hic adulescens erat studiis rudis, sermone barbarus (Vell., 2, 73, 1).
114 Cic., Off., 1, 60.
115 Cf. Cic., Off., 2, 43-44 : « Celui qui aura le plus de succès est celui en qui le peuple aura confiance, qui n’abuse pas de son pouvoir et de sa domination politique pour des buts personnels, et qui incarne un type de politicien crédible. » La formule tamen quaedam praecepta danda sunt (§ 2, 44) se réfère à des règles éthiques auxquelles étaient liés les aristocrates romains dans la vie publique.
116 Les qualités morales étaient donc primordiales, mais Cicéron ne néglige pas pour autant l’entraînement physique, comme action rationnelle de la volonté produisant une dominatio nécessaire de l’esprit sur le corps : Cic., Off., 1, 79.
117 Soit un schéma toujours sous-jacent aux actions et pensées des membres de ce groupe social. L’habitus est immanent à toute action et surtout non conscient. Il nous faut ici distinguer le concept d’habitus de celui d’ethos. Ce dernier se réfère également à un ensemble de valeurs qui déterminent les actions, mais elles sont l’objet d’évaluations et d’interprétations de la part du sujet lui-même. Si l’ethos peut dans une certaine mesure être considéré comme l’expression de l’habitus, les deux notions ne sauraient être absolument confondues (Bourdieu 1980, p. 91 et 100).
118 Plin., HN, 7, 140. D’autres objectifs évoqués par le texte de Pline sont plus directement en rapport avec le commandement militaire, ainsi fortissimum imperatorem, auspicio suo maximas res geri […] (« [être] le général le plus valeureux, diriger les plus grandes opérations […] »).
119 Ouedraogo 1993 : d’une manière générale, les mécanismes de transmission et d’« éducation charismatique » n’ont pas suscité un grand intérêt, dans la littérature historique comme sociologique.
120 Plin. le J., Ep., 8, 14, 4-5 : Inde adulescentuli statim castrensibus stipendiis imbuebantur ut imperare parendo, duces agere dum sequuntur adsuescerent […]. On en trouverait un écho dans l’affirmation cicéronienne selon laquelle qui bene imperat, parvenit aliquando necesse est (Cic., Leg., 3, 5 : « celui qui exerce bien le commandement, il est nécessaire qu’il ait un jour obéi »).
121 Sur la guerre, et en particulier le commandement militaire comme principe central de la définition de l’aristocratie romaine à l’époque républicaine : Harris 1979, p. 10-41. Sur les transformations (relatives) que connut l’aristocratie romaine dans son rapport au commandement militaire : Hölkeskamp 1993. Sur la question de la responsabilité du commandant en chef lors de la bataille, en particulier en ce qui concernait la motivation et la discipline des troupes : Goldsworthy 1996, p. 116-170 et 250-286.
122 Voir notamment Hölkeskamp 1996.
123 Cic., Ad. Br., 2, 5, 6 : l’apprentissage se fait par la contemplatio et l’imitatio.
124 Pajon 2009. Il s’agissait donc de sélectionner les iuvenes, qui doivent être considérés comme de nouveaux entrants dans le champ politico-militaire, de façon « à obtenir qu’ils accordent aux présupposés fondamentaux du champ l’adhésion indiscutée, préréflexive, naïve, native, qui définit la doxa comme croyance originaire ».
125 Spencer 1973, p. 348.
126 Ainsi la conception a priori essentialiste du charisme comme qualité extraordinaire d’un individu est, chez Weber, immédiatement tempérée par un relativisme conceptuel : « bien entendu, conceptuellement, il est tout à fait indifférent de savoir comment la qualité en question devrait être jugée correctement sur le plan “objectif”, d’un point de vue éthique, esthétique ou autre ; ce qui importe seulement c’est de savoir comment la considèrent effectivement ceux qui sont dominés charismatiquement, les adeptes [Anhänger] » (Weber 1995 [1971], p. 320-321).
127 Ainsi pour Weber, le chef charismatique est choisi non pas en fonction de telle qualité, mais pour sa personne, qui a le dessus sur toute autre considération, certes dans le cadre d’une cause (Sache), mais indépendamment et parfois contre les éléments de programme qu’il porte. Cf. Weber 1963, p. 142, 147. La notion sociologique de charisme se singularise très exactement là, dans ce constat pragmatique, et non pas dans le jeu des qualités reconnues, attribuées ou non.
128 Lendon 2005, p. 212-232.
129 Cic., Fam., 16, 12, 4 : « L’homme qui dans son armée avait la plus grande autorité. »
130 Hellegouarc’h 1963, p. 302 ; cf. Cic., Top., 78 et Imp. Pomp., 43, 45.
131 Cicéron met à plusieurs reprises en évidence cette dimension, notamment dans Cic., Inu., 1, 5 : […] quibus in hominibus erat summa virtus et summa virtute amplificata auctoritas […] (« […] ils étaient d’un très grand mérite, d’un prestige que renforçait ce très grand mérite […] ») ou Cic., Balb., 4, 10 : Quid dicam de auctoritate [Pompei] ? Quae tanta est quanta in his tantis uirtutibus ac laudibus esse debet (« Que dirai-je de son autorité ? Elle est aussi grande qu’elle doit être avec de telles vertus et de tels mérites »). Cf. Hellegouarc’h 1963, p. 298-299. Sur les convergences et les divergences entre l’auctoritas et le charisme à Rome, voir la contribution de F. Hurlet dans ce volume.
132 Pour la période antérieure à 49 a.C., les exemples sont également rares. En ce qui concerne les échelons supérieurs de l’exercitus, Cicéron évoque en 56, entre autres qualités, le prestige de M. Petreius parmi les soldats, qui lui permit, alors qu’il était legatus de C. Antonius Hybrida, de remporter la bataille de Pistoia en 62, face aux troupes de Catilina (Cic., Sest., 5, 12). Sur l’auctoritas des magistrats ou promagistrats cum imperio et leurs rapports avec les troupes : Combès 1966, p. 233-234, qui note que le chef, en temps normal, impose plutôt l’obéissance aux soldats en vertu des pouvoirs que sa charge lui confère.
133 Cic., Sest., 5, 12 : [...] si M. Petrei non excellens animus et amor rei publicae, non praestans in re publica virtus, non summa auctoritas apud milites, non mirificus usus in re militari exstitisset […] (« […] si M. Petreius n’avait pas eu un courage et un patriotisme hors de pair, une valeur supérieure dans des affaires civiles, un ascendant considérable sur ses soldats, une expérience étonnante de l’art militaire […] »).
134 Cés., BG, 5, 35, 6.
135 App. , BC, 2, 114 : « Les uns soutenaient qu’il fallait aussi éliminer Antoine, collègue de César au consulat, le plus puissant de ses amis et le plus populaire auprès des soldats. »
136 App. , BC., 3, 33 : Ὅσῃ μὲν εὐνοίᾳ καὶ σπουδῇ πρὸς Καίσαρα περιόντα ἐχρώμην, φιλοκινδυνότατος ἐκ πάντων ἐς τὰς ἐκείνου χρείας γενόμενος, ἴστε σαφῶς, συστρατευσάμενοί τε καὶ <τοῖς> γιγνομένοις παρατυχόντες […].
137 On retrouverait une illustration de cette virtus à travers l’évocation du rôle d’Antoine à Pharsale, évoqué par Plutarque : César lui aurait confié l’aile gauche de son armée « comme au meilleur guerrier d’entre ses lieutenants » (Plut., Ant., 8, 3 : […] ὡς πολεμικωτάτῳ τῶν ὑφ’ ἑαυτῷ).
138 Augier à paraître b. Par ailleurs, rien n’indique que les cadres des exercitus croyaient aux qualités supposées du chef (à supposer que ce fût déjà le cas dans les rangs de l’exercitus). La mobilisation primait sur le programme (pour un point de comparaison avec l’histoire contemporaine : Cohen 2013, p. 151-152).
139 De manière révélatrice, aucun des aristocrates qui rallièrent le camp de Sextus Pompée en 43-42 ne se vit confier de commandement d’importance.
140 On songe aux accusations contre Menodoros auxquelles Appien fait allusion (BC, 5, 78). Ces accusations font partie de la tradition hostile à Sextus Pompée, élaborée dès les années de la guerre civile (cf. Gowing 1992, p. 186-187).
141 On retrouve ici un mécanisme proche de celui de la contentio dignitatis qui pouvait opposer les sénateurs romains, particulièrement dans un contexte politique (Badel 2014, p. 112, qui évoque par ailleurs p. 113-116 la crainte obsessionnelle de la perte de la dignitas de l’aristocratie romaine). Pour une vue d’ensemble et un bilan historiographique sur le déclassement social des sénateurs : Hurlet 2014.
142 C’est toujours le cas le jour où il meurt et où se pose la question de sa « succession ».
143 App. , BC, 3, 11-12.
144 Augier 2019.
145 Ainsi, au droit des monnaies célébrant les victoires du Scyllaeum, est parfois figuré le portrait de Pompée le Grand (RRC 511/3), souvent le portrait de Sextus Pompée lui-même (RRC 511/1), mais aussi d’autres portraits l’assimilant au dieu des mers auquel il prête ses traits (RRC 511/2). D’autres types figurent le phare de Messine surmonté de la statue de Neptune (RRC 511/4) et Hor., Epod., 9, 7-8 l’appelle même Neptunius dux. Cette personnalisation du monnayage de Sextus coïncide avec l’évolution de sa position en Sicile dans les semaines qui suivirent sa victoire de l’été 42, après laquelle il avait éliminé Pompeius Bithynicus (Liv., Per., 123 ; D.C., Hist. Rom., 48, 19, 1. Cf. Hadas 1930, p. 79).
146 Bernadou 2014, p. 198-199. On retrouve ici l’interprétation que donne Kershaw 1995, p. 12 du charisme hitlérien, dont l’explication serait à rechercher « dans une société qui vit quelque chose de spécial en Hitler, ainsi que dans un ensemble extraordinaire de circonstances qui permirent à un outsider d’accéder aux plus hautes charges de l’État ».
147 Vell., 2, 77 ; App. , BC, 4, 36 et 5, 25 ; D.C., Hist. Rom., 47, 12-13. Nombre de vaincus à Philippes rallièrent également la Sicile : Vell., 2, 72, 4-5 ; App. , BC, 5, 2 ; D.C., Hist. Rom., 48, 19. Ce fut également le cas de victimes des confiscations triumvirales (App. , BC, 5, 25) et de la plupart de ceux qui s’étaient opposés à Octavien lors de la guerre de Pérouse en 42-41 (Vell., 2, 72, 4-5 ; App. , BC, 5, 51 ; D.C., Hist. Rom., 48, 15, 2-3).
148 App. , BC, 4, 85 et D.C., Hist. Rom., 47, 13.
149 Dobry 2003a, qui rappelle que le charisme se développerait principalement en situation de crise.
150 Azoulay 2014.
151 Gaïti 1998, p. 19 ; Bernadou 2014, p. 199.
152 Colas 2006 [1994], p. 119.
153 Kalberg 2002, p. 172
154 Yavetz 1990, p. 211.
155 On en trouverait des équivalents romains chez Tac., Ann., 2, 41, 3 ou Macr., Sat., 2, 7, 9.
156 Sur l’accord, voir en dernier lieu Welch 2012, p. 241-251.
157 App. , BC, 5, 73 ; D.C., Hist. Rom., 48, 36.
158 App. , BC, 5, 72.
159 Ce que prouverait la nomination de Plinius Rufus comme legatus pro praetore (MRR 2, p. 405 et 3, p. 159). Cf. Silvestrini 2014, p. 215-220 pour l’identification d’un autre legatus pro praetore qui servit sous Sextus Pompée.
160 Augier 2019.
161 Welch 2002, p. 53-54 et 2012, p. 238-251.
162 Le ralliement partisan à ces conventions diffusées par les imperatores, en situation d’incertitude, s’opérait suivant interactions dont la théorie des jeux rend assez bien compte (Stanziani 2000 p. 117-155 ; Batifoulier 2001, p. 98-190).
163 Dobry 1986, p. 228 ; cf. Cohen 2013, p. 133.
164 Dobry 2002, p. 103-120. Or, ainsi que le souligne Briquet 2007, p. 20 à propos de la crise de la Ire République italienne, il est périlleux d’estimer « que les processus de légitimation politique se confondent avec leur dimension normative, c’est-à-dire qu’ils procèdent avant tout de l’adhésion collective à des normes idéales. Ce serait faire de la légitimité des gouvernants le produit de l’adéquation entre leurs pratiques et les prescriptions supérieures (idéologiques, éthiques, juridiques) auxquelles ils se réfèrent pour prétendre à l’exercice de la domination – et considérer ainsi que tout écart entre ces pratiques et ces prescriptions, quand il est porté à la connaissance du public, se traduit inévitablement par l’érosion des soutiens envers le pouvoir et ses représentants. »
165 Cés., BC, 3, 74.
166 Sur la question du politique à Rome, voir les mises au point de Montlahuc 2019 et 2020 ; cf. Flaig 1994, p. 17.
167 Dedieu 2010, p. 92 ; cf. p. 181.
Auteur
Nantes Université – EA 1163 CRHIA – bertrand.augier@univ-nantes.fr
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