Peut-on ne pas croire ? Démétrios Poliorcète et Athènes (304-301 a.C.)
p. 51-84
Texte intégral
Nous pourrions imaginer un langage dans lequel tous les énoncés seraient précédés de « je crois » – à la façon dont les Suisses-allemands font précéder les énoncés factuels par « Ich glaube »1.
Introduction : du charisme à la croyance
1Dans le champ des sciences sociales, on a interprété la notion de charisme de deux manières opposées. Les uns y voient un déterminant psychologique, quand les autres en font un déterminé sociologique. Les uns en font la qualité d’un individu éminent lui permettant de subjuguer ses partenaires2 quand les autres y voient le produit d’une culture ou d’un arrangement social qui lui préexiste, s’appuyant pour ce faire sur Durkheim3. Aucune de ces manières n’est satisfaisante.
2En effet, Weber a récusé d’avance l’une et l’autre, en refusant la thèse du grand homme comme un « jugement de valeur » injustifié et en fondant sa sociologie sur le problème de l’action et non de l’ordre, toujours dérivé chez lui4. Au reste, non seulement il est paradoxal de faire reposer une puissance qualifiée de « spécifiquement révolutionnaire » dans un ordre préexistant ou sacré dont on voit mal ce qui le distinguerait de la « domination traditionnelle », mais en plus, le recours à ces notions n’éclaire rien. Car l’explication durkheimienne, quelle est-elle ?
Par autorité, il faut entendre l’ascendant qu’exerce sur nous toute puissance morale que nous reconnaissons comme supérieure à nous. En raison de cet ascendant, nous agissons dans le sens qui nous est prescrit, non parce que l’acte ainsi réclamé nous attire, non parce que nous y sommes enclins par suite de nos dispositions intérieures naturelles ou acquises, mais parce qu’il y a, dans l’autorité qui nous le dicte, je ne sais quoi qui nous l’impose5.
3Bref, ces positions n’expliquent pas davantage le phénomène, ne supposent pas moins une psychologie ou un mécanisme obscur d’échange entre individu et social, et, en définitive, reposent sur une évidence intuitive qui rappelle beaucoup, pour reprendre les mots de R. Laignoux, « ce terme […] couramment employé pour désigner, chez certaines personnes, des qualités hors du commun qui semblent leur conférer une sorte d’autorité naturelle, un “je-ne-sais-quoi” qui leur permettrait de s’imposer comme chefs incontestés et incontestables6 » : le charisme dans sa version populaire.
4Ces deux thèses reposent néanmoins sur une véritable difficulté dans la sociologie wébérienne, liée à une définition double de la croyance. D’abord, il est bien connu que dans le projet plus vaste d’Économie et société, l’introduction d’une « sociologie de la domination » a créé un hiatus : les motifs d’action des concepts fondamentaux étaient au nombre de quatre, les types de domination ne sont plus que trois7. Le passage d’une typologie à l’autre est expliqué ainsi :
L’expérience montre qu’aucune domination ne se contente de bon gré de fonder sa pérennité sur des motifs ou strictement matériels, ou strictement affectuels, ou strictement rationnels en valeur. Au contraire, toutes les dominations cherchent à éveiller et à entretenir la croyance en leur légitimité8.
5Ce « facteur décisif plus large » qui s’ajoute aux motifs d’action, la croyance (Glauben), est néanmoins retiré aussi abruptement qu’il est introduit, comme l’a remarqué Ricœur9, et l’on ne peut lui fournir qu’obliquement une définition. Si la croyance est le médium spécifique par lequel il y a domination et si la domination est la chance pour un ordre de trouver obéissance10, alors il faut dire de la croyance ce que Weber dit de l’obéissance : elle « signifie que l’action de celui qui obéit se déroule, en substance, comme s’il avait fait du contenu de l’ordre la maxime de sa conduite11 ».
6Ensuite, à l’intérieur même de la sociologie de la domination, la notion de charisme introduit un second hiatus. En effet, alors que Weber parle de « croyance » à propos des dominations rationnelles et traditionnelles, il parle de « dévotion » (Hingabe) à propos du charisme12. Le caractère contourné de la définition initiale permettait d’éviter behaviourisme et mentalisme – Weber ne voulait ni réduire l’obéissance au pur comportement observable extérieurement, ni considérer les motifs psychologiques infiniment divers qui poussent les hommes à agir. La seconde définition paraît viser un phénomène directement mental, cet « abandon (Hingabe) à la révélation, à la vénération du héros, à la confiance en la personne du chef13 » qu’est la reconnaissance des qualités charismatiques. Autrement dit, Weber a cru nécessaire de dédoubler sa définition de la croyance : tantôt un comportement objectif (auquel on attribue des raisons subjectives), tantôt une assertion subjective (ayant des conséquences objectives).
7Ainsi, la double définition wébérienne du charisme correspond aux deux positions qu’on peut défendre au sujet de la croyance, tantôt une thèse mentale, tantôt une thèse dispositionnelle. Weber paraît avoir essayé de les articuler à travers la notion de quotidiennisation (Veralltäglichung), en établissant un pont entre la dévotion du charisme pur (événement ponctuel et extraordinaire, impliquant émotionnellement les acteurs) et la croyance plus générale en la légitimité, qui caractérise les dominations traditionnelles et bureaucratiques vers lesquelles retourne tendanciellement le charisme (conduite durable, n’impliquant pas d’adhésion personnelle). On peut alors, pour rendre plus opératoire encore la notion de charisme, chercher à la comprendre d’après la croyance.
8Qu’est-ce, en effet, que croire ? Le problème a suscité une bibliographie infinie chez les Antiquisants, mais ils ont procédé en toute ignorance de cause, si l’on peut dire. On ne rencontre en effet dans ces travaux que des assertions fragiles sur le plan historique14 et inconsistantes sur le plan philosophique15, concentrées de surcroît sur le problème de la croyance spécifiquement religieuse16. Mais avant de dire ce qu’est la croyance religieuse, il faudrait déjà savoir ce qu’est la croyance. À ce sujet, il n’y a que deux options17. Ou bien la croyance est un état dispositionnel, et croire revient à agir comme si p était vrai. Ou bien la croyance est un acte mental où croire revient à asserter que p. Dans cette querelle, la thèse dispositionnelle est supérieure à la thèse mentale. Elle est plus réaliste – car il n’est pas possible d’avoir durablement ses croyances en tête ni de les y avoir toutes – et plus robuste – car les actions d’un individu sont plus probantes que ses mots lorsqu’il s’agit de juger sa sincérité18.
9Elle recèle néanmoins une faiblesse fondamentale, en ce qu’il est possible que tout dans le comportement d’un individu (et notamment ses actes de langage) indique qu’il croit que p, alors qu’il ne le croit pas du tout – c’est même le fondement du raisonnement par l’absurde19. Aussi est-il parfois nécessaire de réintroduire la thèse mentale, en la limitant à des événements bien précis où l’on acquiesce à des propositions20. Pareil mouvement recèle toutefois une nouvelle difficulté, car l’assentiment à une proposition suppose que l’on se mette à croire ce qu’on ne croyait pas auparavant. On débouche alors rapidement sur les paradoxes de la crédulité volontaire (volonté de croire et auto-tromperie)21. Les deux positions ne sont d’ailleurs pas contradictoires, et leur conciliation permet d’éclairer un problème fameux, qui a reçu diverses appellations suivant la discipline qu’on pratique – faiblesse de la volonté (akrasia) en philosophie, sujet clivé en anthropologie, déni de réalité (Verleugnung) en psychanalyse22 –, le problème des demi-croyances. Il est des situations où les individus à la fois croient et ne croient pas : ils assertent que non-p, mais se conduisent comme si p était vrai ; Mme du Deffant : « Je ne crois pas aux fantômes, mais j’en ai peur23. »
10À mon tour, je veux réinvestir le phénomène à propos d’un objet – le caractère divin des souverains d’époque hellénistique – et d’un lieu – Athènes entre 304 et 301 a.C. – en espérant offrir une description plus articulée de ce que Weber appelle « reconnaissance » des qualités charismatiques : librement donnée, elle fonde et justifie l’obéissance en assurant l’exceptionnalité de celui qui en est l’objet. Il s’agira de faire voir comment les acteurs, donnant au souverain des caractères particulièrement valorisés, font en même temps l’épreuve de l’autonomie de ce qu’ils ont donné ; comment la démotivation se conjoint à la motivation, l’action aux convictions ; comment donc s’articulent des assertions et des pratiques, sans qu’on doive recourir excessivement à des entités psychologiques ou collectives.
Le séjour : vues traditionnelles et réfutation
11En 304/3, Démétrios est envoyé par son père soulager les Athéniens, alors assiégés par Cassandre. Une campagne rapide lui permet de repousser les troupes du roi de Macédoine jusqu’aux Thermopyles. Le Poliorcète revient alors à Athènes, où il hiverne24 puis y séjourne de manière intermittente jusqu’à la veille de la bataille d’Ipsos (301). Durant cette période, entrecoupée de diverses campagnes militaires, les Athéniens lui offrent un logement dans le Parthénon, ce qui a suscité un scandale dont plusieurs sources se sont fait l’écho25.
[Les Athéniens] qui pourtant avaient déjà prodigué et épuisé pour lui toutes les marques d’honneur, trouvèrent encore le moyen d’inventer des flatteries nouvelles et inouïes. Ils lui assignèrent pour demeure l’opisthodome du Parthénon, où il séjourna et l’on disait qu’Athéna l’y recevait et lui donnait l’hospitalité, mais c’était un hôte totalement dépourvu de la décence et de la discrétion convenable à une vierge26.
Les Athéniens lui préparaient même un mariage (γάμος) avec Athéna. Mais lui n’avait que dédain pour la déesse, ne pouvant épouser une statue (τὸ ἄγαλμα γῆμαι μὴ δυνάμενος) ; il monte donc à l’Acropole avec la courtisane Lamia et s’unit (ἐνεφυρᾶτο) à elle derrière le voile masquant la statue d’Athéna, exposant aux regards de l’antique vierge les postures impudiques de la jeune courtisane27.
12Excités, si je puis dire, par le séjour de Démétrios sur l’Acropole, quantité de savants ont étudié ces épisodes, produisant deux thèses. D’une part, Démétrios serait devenu synnaos theos d’Athéna, et de l’autre, les Athéniens auraient procédé à un mariage sacré (hieros gamos) entre le roi et la déesse28. Tout cela paraît pourtant erroné ou confus. Démétrios n’a pas pu être synnaos theos : il eût fallu pour cela que le Parthénon soit un temple, et que l’opisthodome fût une cella. Tel n’est pas le cas29. Le débauché faisait bien chambre à part la chaste déesse30. Il ne lui fut pas davantage marié. Les parallèles qu’on allègue pour cette pratique sont sans rapport, sauf pour deux d’entre eux31. Les Suasoires rapportent le mariage d’Antoine et de Minerve, et comment le Romain parvint à extorquer une belle somme en guise de dot. Gaius Granius Licinianus relate la même chose à propos de Hiérapolis, Diane et Antiochos IV32. Aussi a-t-on pensé que Clément d’Alexandrie avait réécrit l’entrée d’Antoine – aidé d’ailleurs par le parallèle offert par Plutarque, entre le Romain et Démétrios33. C’est néanmoins supposer beaucoup, et oublier que si les éléments du récit concordent entre Antoine et Antiochos (mariage et dot), il y manque ce qui fait le sel du récit de Clément : le sexe. En fait de hieros gamos, ni le mot, ni la chose n’y sont. Clément d’Alexandrie utilise habituellement le verbe gamein au sens de coït34. Symétriquement, le mariage sacré désigne bien autre chose qu’un simple rapport sexuel et il est fallacieux de l’y vouloir réduire35. Le plus vraisemblable est alors que Démétrios ait vécu grand train, et transformé son nouveau logement en gigantesque lupanar ; que, couchant partout et tout le temps, il se trouve l’avoir fait devant une statue d’Athéna, suscitant le scandale. De même, le logement au Parthénon n’est qu’une mesure d’accueil ad hoc visant fournir au souverain un local digne de lui36.
Un dérapage dans la culture honorifique ?
13Pareille explication ne rend toutefois pas compte de l’émoi contemporain : il est possible qu’Antiphane y ait fait référence dans certains de ses vers, et il est certain que le séjour du Poliorcète au Parthénon faisait partie des griefs adressés par Philippidès à l’un des hommes politiques en vue de ce moment-là, Stratoklès37.
Celui qui a réduit l’année à un seul mois, | celui qui a pris l’Acropole pour une auberge, | et a introduit les courtisanes auprès de la vierge ; | c’est à cause de lui que la gelée a brûlé les vignes ; | c’est à cause de lui que le péplos s’est rompu par le milieu, | parce qu’il a rendu les honneurs divins à des humains. C’est cela qui renverse un peuple, et pas la comédie38.
14La cohérence de cette charge poétique, douteuse il est vrai, est tout à fait remarquable. Rédigeant son texte dans l’après coup, on ne sait trop quand, Philippidès amalgame des décisions prises les unes en 307/6, les autres en 30439. Cela doit inciter à analyser la période d’un bloc, comme une sorte de dérapage, qui aurait trois dimensions : les rapports de Démétrios avec l’Acropole, avec Athéna, et avec les hommes politiques locaux.
L’Acropole
15Le logement de Démétrios, d’abord, a choqué : non pas le fait qu’il soit dans le Parthénon, mais le fait qu’il réside sur l’Acropole. Le scandale s’explique par le viol des interdits propres aux lieux sacrés – l’abstinence40 – et peut-être aussi par ce fait historique propre à Athènes : l’occupation de l’Acropole a toujours signifié la mise au pas de la cité par l’occupant41. Cet aspect acquiert néanmoins une saillance exceptionnelle parce que, au même moment, et sans doute même sous l’impulsion du souverain, l’Acropole devient un conservatoire des valeurs athéniennes. Divers savants ont remarqué que ce lieu était demeuré à l’écart des grandes tendances de la culture honorifique : on a continué à n’y faire que des dédicaces, et à n’y ériger que des statues d’arrhéphores, prêtres et prêtresses, correspondant à la nature sacrée de l’Acropole42. Il y a néanmoins trois exceptions. Lycurgue et ses fils furent représentés dans des statues curieuses – en bois – près de l’Érechthéion, vraisemblablement en 307/6, lorsque Stratoklès a fait voter des honneurs posthumes à l’orateur défunt43. À la même date, des nombreuses statues de Démétrios de Phalère, seule subsistait celle de l’Acropole, épargnée sur décision du Poliorcète afin d’en faire un exemple d’indignité44. Enfin, après la libération des griffes du fils d’Antigone, une statue d’Olympiodôros, inaugurant un style vériste et, en quelque sorte, civique, sera placée sur l’Acropole45. À la charnière du siècle donc, l’Acropole s’est trouvée investie comme symbole des valeurs civiques, et peuplée, par la décision de Démétrios ou de ses affidés, de quelques individus à la conduite honorable ou au contraire détestable, en tout cas toujours des portraits à valeur morale.
16Sans ce contexte immédiat en tête, on ne comprendrait pas le caractère transgressif de la décision des Athéniens en 304/3. Cet égard particulier – et peut-être nouveau puisque d’après Plutarque, Démétrios logeait chez un particulier en 30746 – associait le souverain et un espace conservatoire des modèles de conduite. Un modèle, Démétrios ? C’est du moins ainsi que semblent l’avoir entendu la vingtaine d’Athéniens qui, en 307 ou 306, financèrent de leur poche l’érection de deux statues en l’honneur d’Antigone et Démétrios, dont la base portait un poème. Son avant-dernière strophe parle de paradeigma megiston, « grand modèle47 ».
Athéna
17Deuxième élément stratégique : diversité de la figure d’Athéna, c’est-à-dire diversité des liens unissant Démétrios et la déesse et diversité des médias dans lesquels sont exprimés ces liens.
18Suivant les textes qu’on convoque, Athéna est tantôt hôte, tantôt sœur, tantôt épouse, tantôt partie pour le tout qu’est l’Acropole48. Cette forme de synecdoque se retrouvera d’ailleurs juste après la chute du Poliorcète à propos de Lacharès49. À cela, on peut ajouter que la figure du Poliorcète était brodée sur le péplos destinée à Athéna Polias, liant l’arrivée de Démétrios, la libération de 307 et l’identité d’Athènes50 : c’est encore le cas en 302, lorsque le péplos est déchiré en deux par une bourrasque51. Inversement, ses adversaires jouent précisément aussi sur ce lien. Philippidès, qui brocardait l’impiété de Stratoklès, a obtenu de Lysimaque un nouveau péplos en 299/852. Pyrrhos, en 287 ou 286, se montrera d’un traditionalisme parfait : après avoir sacrifié à Athéna sur l’Acropole, il redescend immédiatement (αὐθημερόν) et met en garde les Athéniens : « ils ne devraient plus laisser entrer aucun roi dans leur ville ni en ouvrir les portes53 ».
19Outre ces liens multiformes, il faut considérer aussi la diversité des vecteurs par lesquels se disent ces relations : des comportements (le logement sur l’Acropole), des images (le péplos), des paroles échangées sur scène (Philippidès et peut-être Antiphane54), dans les maisons (les plaisanteries de Démétrios appelant Athéna sa grande sœur) et dans les rues (les rumeurs sur la colère divine attestée par les phénomènes climatiques et naturels extraordinaires), en somme tout le bruissement de la langue qui accompagne les décisions officielles de la cité, et dont on n’a que des échos assourdis.
20Point n’est besoin de chercher une cohérence dans toutes ces figures. L’important n’est pas ce qui est dit, mais le fait que ce soit dit sous toutes ces formes car ce sont des manières d’agréger par petites touches le souverain au panthéon. Démétrios est fictionnalisé parmi les dieux, et les Athéniens sont en état de croyance. La preuve en est que, ayant propulsé le souverain dans le sacré, ils se mettent à le traiter comme s’il en faisait partie.
[Stratoklès] proposa que les citoyens qu’on enverrait en vertu d’un décret du peuple auprès d’Antigone ou de Démétrios ne seraient pas dénommés ambassadeurs, mais théores, comme ceux qui, lors des fêtes helléniques, conduisent à Delphes et à Olympie de la part des cités les sacrifices traditionnels55.
Dromokleidès de Sphettos fit passer un décret qui, à propos de la consécration des boucliers à Delphes, demandait à Démétrios de rendre un oracle [...] : « À la Bonne Fortune ! Qu’il plaise au peuple d’élire parmi les Athéniens un citoyen qui se rendra auprès du Sauveur et qui, après avoir fait un sacrifice de bon augure, interrogera le Sauveur sur la manière la plus pieuse, la meilleure et la plus rapide dont le peuple pourra mettre en place ces offrandes. Quelle que soit la réponse de l’oracle, le peuple s’y conformera56.
Ils votèrent en outre que, par décision du peuple athénien, tout ce que le roi Démétrios pourrait ordonner était saint envers les dieux et juste envers les hommes57.
21Qu’on veuille dater toutes ces décisions de 304 ou qu’on les désynchronise, un même constat s’impose : les Athéniens ont proposé plusieurs fois la même chose et, chaque fois qu’ils veulent traiter avec Démétrios, ils le font comme avec un dieu58. Tel pourrait être très précisément la définition d’un état de croyance59 : pas un affect, mais le fait d’être affecté, ce qui se produit par un simple dérapage dans les échanges linguistiques. Lorsqu’à l’indigène qui lui demande de venir tuer un dragon, l’anthropologue répond qu’il n’a pas de fusil, il passe pour lâche et non pour sceptique : il joue le jeu60. De même les Athéniens, pris dans les termes du discours qu’ils ont imposé dès l’arrivée de Démétrios et dans lequel ils s’enferrent.
Les possédés
22Troisième élément : les liens entre les élites politiques et Démétrios Poliorcète, où l’on peut observer un phénomène de concurrence et de surenchère qui explique la contagion des idées sur le caractère divin du Poliorcète.
23Discutant du groupe d’hommes politiques ayant porté le Poliorcète au pinacle, Plutarque parle de « ceux autour de Stratoklès et Dromokleidès (οἱ περὶ Στρατοκλέα καὶ Δρομοκλείδην) [qui] s’invitaient mutuellement (ἀλλήλους παρεκάλουν) à venir à la “moisson d’or” (c’est ainsi qu’en plaisantant ils appelaient la tribune)61 ». Il suggère donc l’existence d’un groupe monopolisant la parole publique, une sorte de parti politique.
24Rien n’est plus faux : ce sont des concurrents plutôt qu’un regroupement. Sans doute ont-ils des idées communes – ce sont des nationalistes ou des démocrates comme on voudra – mais les règles de la politique démocratique les poussent à enchérir les uns contre les autres. La chose est sensible dans le gonflement des décrets votés, signe d’un travail accru de l’assemblée. Des dix ans qu’a duré le gouvernement de Démétrios de Phalère, il ne reste que deux décrets62. Des six que dura la domination du Poliorcète, il en reste 37 datés d’après l’archonte63 et, si l’on reprend les corpus de Kirchner et Woodhead, on peut compter plus de 70 inscriptions. Cette explosion de la parole publique concerne les Antigonides et leurs affidés au premier chef, puisqu’on compte 29 décrets honorifiques les concernant64.
25L’accès à la tribune est le signe d’une prééminence politique, d’ailleurs mise en scène jusque dans la graphie caractéristique des inscriptions de cette période : comme l’a noté Tracy, un vacat précède parfois le nom du proposant des décrets, mettant en valeur son identité65. Or, tel est exactement ce que note à plusieurs reprises Plutarque, si l’on accepte de lire platement ses notations outragées comme le signe de l’ingéniosité des uns et des autres pour accéder à la parole publique. Stratoklès est « l’inventeur de ces ingénieuses et excessives flatteries (τῶν σοφῶν τούτων καὶ περιττῶν καινουργὸς ἀρεσκευμάτων) », dont la « trouvaille la plus extraordinaire (ὑπερφυέστατον ἐνθύμημα66) » est de renommer « théories » les ambassades67. Un rhéteur anonyme enchérit en vilénie sur la proposition de Stratoklès68. Dromokleidès invente de son côté le « plus outré et étrange de tous les honneurs (τῶν τιμῶν ὑπερφυὲς ἦν καὶ ἀλλόκοτον69) ».
26Cette inventivité est fonction de deux paramètres, l’un externe et lié au hasard, l’autre interne et profondément structurant. D’abord, la conjoncture politique très volatile de la période, et la faiblesse d’Athènes ou de sa classe politique (sous le joug de Démétrios de Phalère en 307, sous les attaques de Cassandre en 304 ensuite) a conduit les Antigonides à intervenir plusieurs fois70. Il a alors fallu composer avec eux, processus qui impliquait d’une part une forme de calcul concernant les décisions qui conviendraient à la fois au peuple et au souverain, et d’autre part une forme de surenchère concernant les propositions qui paraîtraient surpasser celles des rivaux politiques. Par exemple lorsque Démétrios reprend la ville en 295 :
L’orateur Dromokleidès, voyant la joie de la foule, qui poussait toutes sortes d’acclamations et enchérissait à l’envi sur les éloges prodigués du haut de la tribune par les démagogues (συνιδὼν δὲ Δρομοκλείδης ὁ ῥήτωρ ὑπὸ χαρᾶς τὸν δῆμον ἔν τε φωναῖς ὄντα παντοδαπαῖς καὶ τοὺς ἀπὸ τοῦ βήματος ἐπαίνους τῶν δημαγωγῶν ἁμιλλώμενον ὑπερβαλέσθαι), proposa de remettre au roi Démétrios le Pirée et Mounychie. Ce décret fut adopté, et Démétrios mit en outre, de son propre chef (αὐτὸς), une garnison au Mouséion71.
27Ensuite, cette conjoncture générale et ces effets d’aubaine utilisés par les hommes politiques pour se faire valoir, s’intègrent dans la tendance lourde imposée par le jeu réglé des timai. Comme on n’annule pas les honneurs déjà votés, on est obligé chaque fois d’en inventer de nouveaux et des différents. Or, l’accumulation de ces honneurs, leur extension et leur approfondissement sur un temps court en minent le mécanisme. Un relevé suffira ici :
- En 307, les timai votés (la création d’un culte aux Sauveurs, l’intégration aux éponymes et toutes les mesures liées – ajout de deux tribus, de deux mois au calendrier, de deux statues au monument des éponymes à Athènes et à Delphes, création d’un concours en leur honneur, modification de la boulè – et enfin le tissage des images d’Antigone et Démétrios sur le péplos), n’ont pas paru extravagants à l’historiographie72. De même, seuls quatre décrets honorifiques concernent leurs affidés, et tous sont justifiés, comme c’est l’usage, vérifiant la règle posée par Philippe Gauthier : « Pas d’honneur sans bienfait préalable73. »
- À partir de 304/3 en revanche, la dévolution des honneurs n’obéit plus à ce principe. Certains honneurs décalquent les précédents – un autel à Démétrios Kataibatès est érigé, si l’on adopte la position de Habicht ; les volontaires d’élites vont ériger une statue équestre sur l’Agora74 – tandis que d’autres les surpassent ou les complètent. Démétrios est logé sur l’Acropole ; tout ce qu’il dira sera saint envers les dieux et juste envers les hommes (Stratoklès, 304/3 ou 303/2) ; on lui enverra des théores et non des ambassadeurs (Stratoklès, 304/3 ou plus tard) ; on l’interrogera à la manière d’un oracle (Dromokleidès, 304/3 ou 292/1). La chose est plus nette encore lorsqu’on se tourne vers les honneurs concernant ses lieutenants (plus d’une vingtaine), toujours plus nombreux (entre 13 et 16) et de moins en moins justifiés75. Certains paraissent même directement issus du fiat royal76. Cette extension en quantité s’est doublée d’un palier en quantité, visible à deux choses.
- D’abord, la proxénie officielle, outil classique de communication avec les puissants étrangers, n’est plus que très rarement accordée et se trouve supplantée par l’octroi de la citoyenneté77. Elle n’est octroyée qu’à une occasion, dans un décret pour cinq Chalcidiens qui ont simplement été zélés envers Athènes et alliés de Démétrios Poliorcète78. Inversement, la plupart des autres officiers se voient offrir la citoyenneté, honneur plus rare et prestigieux79. De fait, ou bien il ne s’agissait plus tant de communiquer avec la cour par ces honneurs, tant est frappante l’absence de l’institution classique qui le permettait, ou bien le prix de cette communication a augmenté, de sorte qu’on ne la monnayait plus contre la proxénie, mais avec la politeia. Dans l’un ou l’autre cas, l’usage traditionnel des honneurs est outrepassé.
- Ensuite, les courtisanes du roi et certains de ses hauts dignitaires bénéficient aussi d’honneurs cultuels80 : « Les sanctuaires d’Aphrodite Léaina et Lamia, les autels et les heroon et les libations en l’honneur des flatteurs Bourichos et Adeimantos et Oxythémis. On chantait même des péans pour chacun d’entre eux, de sorte que Démétrios lui-même, étonné par ce qui se passait, dit qu’à son époque, aucun Athénien n’avait l’âme grande et forte81. » On peut certes minorer ce fait de deux manières – ces individus ne sont pas divinisés, mais héroïsés simplement, décalque amoindri des honneurs pour le roi, et ce type d’hommage n’est pas inédit pour l’époque82 – mais il faut aussi reconnaître combien ces honneurs demeurent singuliers et ne trouveront pas d’équivalent avant longtemps83.
- Le troisième séjour du Poliorcète est davantage contrasté, entre les honneurs offerts au souverain, exorbitants, et les honneurs offerts à ses proches, inexistants. Démétrios est accueilli comme un dieu ; le mois de Mounychion est renommé d’après lui, le dernier jour de chaque mois est éponyme, et l’on modifie les Dionysia pour le célébrer ; peut-être vote-t-on le ou les décrets de Dromokleidès. Inversement, seul Hérodôros est honoré par les Athéniens – certes, avec de très grands honneurs.
28Le deuxième séjour de Démétrios Poliorcète, autour de 304, introduit une rupture nette. Avant, les honneurs sont motivés et utilisés de manière modérée. Après, ils ne font que compléter ce qui avait été voté précédemment. Avant, ils concernent le roi et ses proches. Après, ils ne concernent presque plus que le roi. À la charnière entre ces deux périodes, c’est-à-dire les deux années 304/3 et 303/2, la divinisation du Poliorcète touche au paroxysme, pointe émergée d’un mouvement plus large, de multiplication et d’hyperbolisation des timai, où l’on voit Athènes honorer tous les partisans des Antigonides. Le décrochage entre les honneurs pour le roi et ceux pour ses affidés peut bien être l’effet d’un choc traumatique. Tout se passe comme si le ressort des timai s’était brisé en raison de l’excès même avec lequel les Athéniens s’en sont servis autour de 304. C’est du moins très précisément ce que note Plutarque lorsqu’avant de relater le séjour de Démétrios au Parthénon, il écrit que « [les Athéniens], qui pourtant avaient déjà prodigué et épuisé pour lui toutes les marques d’honneur (κατακεχρημένοι πᾶσαν φιλοτιμίαν), trouvèrent encore le moyen d’inventer des flatteries nouvelles et inouïes (πρόσφατοι καὶ καινοὶ ταῖς κολακείαις)84 ».
Croire et agir
29En somme, à la racine du dérapage qu’on décrit, se trouve essentiellement un phénomène structurel. L’accroissement des honneurs, en nombre comme en qualité, s’explique essentiellement par les règles de l’octroi des timai, c’est-à-dire la compétition entre les élites, la nécessité d’offrir davantage au niveau collectif et l’impératif de cohérence au niveau individuel. Le fait qu’on ne puisse se dédire explique que l’on ait persévéré.
30À cet égard, plus les Athéniens en font, plus ils en parlent et plus ils y croient : la multiplication des pratiques cultuelles autour des souverains modifie les termes du débat et place nécessairement les Athéniens dans la position des croyants. Ayant reconnu au premier instant dans les Antigonides des dieux, ils ne peuvent plus ensuite que persévérer dans cette voie, qu’ils enrichissent de toutes les manières possibles. L’attestent la colonisation progressive des esprits par la figure de Démétrios autour de 304 ou, c’en est le signe inverse, la contamination de la critique politique par le thème de l’impiété85.
31Il est bien possible, de surcroît, que le comportement des hommes politiques athéniens ait favorisé le glissement vers la croyance. Stratoklès représente à cet égard un politique pragmatiste.
Lors de la défaite de la flotte athénienne à Amorgos, ce Stratoklès, devançant les messagers, traversa le Céramique avec une couronne sur la tête, et, annonçant que les Athéniens étaient vainqueurs, il proposa de décréter pour la bonne nouvelle des sacrifices, et fit une distribution de viande par tribus ; mais peu après, ceux qui ramenaient les débris de la flotte vaincue étant arrivés, le peuple irrité le cita devant lui. Il soutint sans broncher le tumulte : « Eh quoi, dit-il, est-ce un mal si terrible d’avoir eu deux jours de joie ? »86
32Seul compte pour lui que les agents fassent ce qu’ils font, et non les raisons pour lesquelles ils font. C’est oublier qu’à force de faire, on finit par se donner des raisons, qui deviennent contraignantes. Pareille présentation permet d’accorder le cynisme des hommes politiques, qui utilisent la dévolution d’honneurs pour asseoir leur primauté politique, et la sincérité des croyances, puisque les honneurs représentent ensuite un réel embarras. En somme, on illustre ici la sentence de Pareto : « “Ce peuple agit ainsi parce qu’il croit cela” est rarement vraie ; la proposition inverse : “Le peuple croit cela parce qu’il agit ainsi” renferme généralement une plus grande somme de vérité87. »
À la racine du mal : une crise de foi(e) ?
33Cette dernière assertion peut être vérifiée en étudiant le moment précis où cela dérape, c’est-à-dire autour de 303. On n’observe pas de convictions claires et profondes : au contraire, les hésitations du peuple attestent son manque d’enthousiasme. Il se trouve néanmoins qu’il s’est positionné plusieurs fois en faveur du Poliorcète, de sorte qu’on ne doit pas voir en la croyance une cause, mais un effet.
Il n’en fut pas de même de Cléainétos, fils de Cléomédon : celui-ci, ayant fait ce qu’il fallait pour obtenir que son père fût tenu quitte d’une amende de cinquante talents à laquelle il avait été condamné, apporta au peuple une lettre de Démétrios ; ainsi, non seulement il se couvrit de honte, mais encore il jeta le trouble dans la ville, car les Athéniens, tout en faisant remise à Cléomédon de son amende, prirent un décret interdisant à tout citoyen de présenter une lettre de Démétrios. Lorsque celui-ci l’apprit, loin de garder la mesure, il laissa éclater sa colère, si bien que les Athéniens, effrayés, non seulement révoquèrent leur décret, mais encore mirent à mort ou exilèrent ceux qui l’avaient proposé et ceux qui l’avaient soutenu. Ils votèrent en outre que, par décision du peuple athénien, tout ce que le roi pourrait ordonner était saint envers les dieux et juste envers les hommes. À cette occasion, un bon citoyen ayant dit : « Stratoklès est fou de proposer de tels décrets », Démocharès de Leukonoé déclara : « Dis plutôt qu’il serait fou s’il ne faisait pas ces folies » : Stratoklès en effet tirait grand profit de ses flatteries. Accusé à cause de ce mot, Démocharès fut banni […]. Démétrios pénétra dans le Péloponnèse et n’y rencontra pas de résistance […]. Une réunion commune marquée par une grande affluence, eut lieu à l’Isthme, où il fut proclamé chef de la Grèce […]. Comme il s’apprêtait alors à rentrer à Athènes, il écrivit qu’il voulait dès son arrivée être initié et parcourir le cycle entier depuis les petits mystères jusqu’à l’époptie88.
34Quelques remarques chronologiques s’imposent. Tous ces événements – la campagne dans le Péloponnèse, la création de la Ligue de Corinthe, le retour à Athènes pour s’y faire initier – se déroulent entre 303 et 30289. Néanmoins, il semble nécessaire de modifier quelque peu leur ordre. On sait qu’au mois d’Élaphebolion (mars) 303, Démétrios se trouvait dans le Péloponnèse, où il faisait campagne90. Un autre décret, datant de 303, est érigé lors d’un mois d’Anthestérion « le second » (en fait Mounichion, donc avril), une curiosité calendaire liée aux initiatives athéniennes pour rendre légale l’initiation de Démétrios à Éleusis91. Démétrios n’est alors pas à Athènes, puisqu’il a envoyé l’un de ses amis expliquer au peuple ses décisions concernant les territoires pris à Cassandre. De fait, le souverain a dû quitter Athènes pour le Péloponnèse, où il fonde la Ligue hellénique (avril-juin 303, si jamais l’on adopte une date haute, ou 302) et participe aux Heraia (juin-juillet). Les décisions athéniennes doivent alors être réorganisées. La décision sur le courrier royal date d’une des périodes d’absence de Démétrios, soit du printemps 303, lorsqu’il fait campagne dans le Péloponnèse, soit lorsqu’il y retourne à l’été 303 pour les Heraia, voire jusqu’en 302 pour la fondation de la Ligue hellénique. La décision sur l’époptie, habituellement placée en 302, doit être remontée au printemps 303. Elle est alors suivie – et non précédée – par la décision sur la sainteté des ordres de Démétrios : si, en effet, Démétrios était doté d’une compétence infaillible en matière rituelle, il n’aurait pas été nécessaire de voter l’initiation et la modification calendaire92. De même, comme Démocharès doit son exil à une plaisanterie à propos de cette initiation, il faut placer cet événement quelque part après le printemps 303, sans qu’on sache exactement jusqu’où descendre (été 303 ? été 302 ?). Pareille reconstruction permet de reconsidérer trois éléments rencontrés précédemment : la lutte politique entre les membres des élites, les rapports du roi et de la cité, la fièvre qui s’empare d’Athènes. On les analysera d’abord séparément, avant de réarticuler le tout.
Lutte entre les élites
35L’exil de Démocharès a été interprété comme une forme d’épuration, dont Stratoklès fut le seul responsable93. Une telle thèse est en grande partie exagérée. D’une part, si l’on accepte la reconstruction esquissée plus haut, son exil est très tardif, après la campagne du Péloponnèse et l’initiation à Éleusis94 : il n’était en rien un opposant au régime. D’autre part, rien ne dit que Stratoklès est le responsable de ces décisions95. Davantage, au moment de l’exil de Démocharès, il est possible que divers individus partageant ses convictions soient restés à Athènes, comme Philippidès ou Eucharès. Du premier, on sait simplement qu’il vivait hors d’Athènes en 30196, et on ne peut dire quand il a quitté la cité (entre 303 et 301), ni pour quelle raison. Non seulement son départ a pu être tardif, comme on peut l’inférer de la pièce où il brocardait Stratoklès, mais il ne fut pas même contraint97. Le second, Eucharès, qui fera partie des oligarques à la tête d’Athènes au début du IIIe siècle a.C., était anagrapheus tôn nomôn pour l’année 304/3. Il s’est occupé de publier les lois afin qu’elles soient visibles par tout le monde, ce qui correspond à la volonté du souverain98. Pour légers qu’ils soient, ces décalages démontrent que l’exil des uns et des autres n’était pas le fruit d’une politique, mais plutôt de la concurrence entre les élites, où les gagnants restent et les perdants partent. Cette forme de lutte est visible à deux niveaux.
36Au niveau inférieur, on observe l’intrication entre les élites civiques et le souverain. Le jeune Cléainétos a monnayé ses faveurs contre une remise d’amende : la proximité avec le souverain était une ressource dont on pouvait jouer, ou bien pour faire progresser sa carrière politique, ou bien pour améliorer son statut socio-économique. Ces histoires sont trop connues pour qu’on s’y arrête et il suffira de rappeler le cas de Phaÿllos qui, lorsque Philippe V réside à Argos, tente de lui présenter sa femme afin d’obtenir un poste auprès de lui, suscitant l’opposition de ses adversaires99.
37Au niveau supérieur, on observe une lutte politique pour la prééminence. Malgré l’exil de Démocharès, et même si l’on y ajoute le départ de Philippidès ou Eucharès, il demeure d’autres voix que celle de Stratoklès. Lorsqu’en 304/3, Stratoklès fait passer le même jour de Skirophorion trois décrets en faveur de philoi antigonides, un autre orateur, Kalaidès, a fait passer le sien quelques mois avant (Anthestérion ?)100. De même en 303/2, lorsque Stratoklès fait passer deux décrets, Stratios fait honorer Médéios de Larissa dans un décret au phrasé curieux101. L’honorandus y est mis sur un pied d’égalité avec le Poliorcète, dont on oublie très opportunément le titre de roi102. La formule cherchait à créer peut-être d’autres voies de communication, ou à flatter Médéios, qui se trouvait alors à la tête d’un contingent athénien103 ; elle témoigne en tout cas d’options différentes. Affaire de nuances sans doute, mais signe à la fois que l’opinion politique n’était pas d’un bloc, et qu’il fallait continuer d’innover pour rester à sa tête. Le jeu de surenchère se poursuivait donc, non pas en dépit de la diversité des protagonistes, mais à cause d’elle.
Démétrios et la cité : gouverner en étant éloigné
38On objectera, à raison, que l’opinion publique athénienne se révèle en réalité hostile au souverain. Le texte cité plus haut est ici la meilleure preuve, même si l’on a pu alléguer, grâce aux inscriptions, diverses mesures témoignant d’une volonté de reprendre la main – en particulier, à la fin de l’année 303, Athènes introduit une limite légale à la valeur des couronnes, et réinstalle la dokimasia pour l’octroi de la citoyenneté104. Toutefois, réelles ou supposées, aucune de ces dispositions n’a pu freiner l’octroi des honneurs à Démétrios ou ses partisans, de même que la résolution sur le courrier est rapidement abandonnée. Athènes échoue donc ou, c’est une autre manière de le dire, doit faire avec le souverain. Présent ou absent, Démétrios modifie les équilibres du jeu. Grâce à son courrier ou à ses amis, il demeure dans l’esprit des Athéniens.
39D’abord, les lettres du souverain sont un outil de gouvernement105. La lettre apportée par le jeune Cléainétos trouve des parallèles très frappants dans les inscriptions de ces années. Presque exactement au même moment – le dernier jour du dernier mois de l’année 304/3 – Stratoklès parvient à faire passer trois décrets honorifiques pour des partisans antigonides. Chaque fois, il semble obéir directement à la volonté du roi. L’un des décrets propose d’honorer un groupe d’individus qui ont été dépêchés à Athènes par le Poliorcète – la suite du texte est perdue106. Les deux autres partagent la même formule. On vote « au sujet de ce que le roi a écrit au conseil et au peuple, montrant que [l’individu en question] est son ami et dévoué envers les affaires des rois et la liberté du peuple, et qu’il milite pour la démocratie107 » et on accorde « l’éloge en raison de sa valeur et de son dévouement pour les rois et pour le peuple », manifestant une sorte de double allégeance108. De même pour Cléomédon : il revient de chez le roi et rapporte avec lui ce genre de lettres de recommandation où le roi exposait son amitié pour lui. Inversement, l’Assemblée n’est qu’une chambre d’enregistrement, où les considérants tendent à la répétition de formules creuses. Ces lettres permettaient donc, sinon de garder exactement le contrôle sur les décisions prises par le peuple, du moins faire que le roi demeure à l’ordre du jour.
40Ce n’est pas tout car, ensuite, les lettres sont un outil de communication politique109. Elles permettaient de garder la population en état de mobilisation, ou plutôt d’effervescence. De plus, d’une manière générale, il était possible de s’appuyer sur divers individus pour informer la cité distante. On peut s’appuyer ici sur trois documents échelonnés entre février et mai 303 :
- Au mois d’Anthestérion 303, le 10 ( ?), est voté un décret honorifique pour Oxythémis de Larissa, ami de Démétrios Poliorcète, rapportant que des cavaliers athéniens ont été faits prisonniers lors d’un combat de cavalerie. D’après les savants, ce dernier s’est produit en 303 près du Dipylon contre les troupes du lieutenant de Cassandre, Pleistarchos110.
- Au mois d’Élaphébolion, soit le mois suivant de la même année, un décret de la tribu Akamantis contient des informations sur la campagne de Démétrios111 et décide d’instaurer un sacrifice annuel aux dieux Sauveurs en « commémoration des bonnes choses proclamées sous la prytanie de la tribu Akamantis ». On ne sait comment les Athéniens ont été mis au courant de ces nouvelles. Le contexte implique en tout cas que la guerre n’était pas encore finie, et le vote de surcroît d’honneurs pour le Poliorcète indique bien la fébrilité avec laquelle la campagne était suivie112.
- Au mois d’Anthestérion le « second » (donc en réalité Mounichion, deux mois plus tard), la même année, un jour inconnu, est voté un décret honorifique pour Médôn, parce que « le roi l’a envoyé annoncer publiquement ce qui lui plaît à propos des territoires que Cassandre et Pleistarchos ont pris113 ». On ne sait trop à quoi renvoient ces territoires, et en particulier s’ils se situaient en Attique ou non114. De même, on ne peut déterminer précisément le statut de la proclamation (ta areskonta heautô) : on considère que le réfléchi renvoie à Démétrios, mais d’autres semblent le relier au dèmos115. Dans un cas, il s’agit d’un discours unilatéral, dans l’autre, il s’agit d’annoncer de plaisantes nouvelles pour le peuple.
41En somme, pendant la campagne du Péloponnèse, Démétrios ou ses amis, malgré l’éloignement, n’ont cessé d’informer Athènes ou de s’impliquer dans ses affaires, de correspondre avec la cité. Symétriquement, le peuple s’intéressait fortement à cette campagne, et ce d’autant plus que des contingents en étaient partie prenante116. De cette dialectique surgissent des occasions pour attribuer des honneurs supplémentaires, au roi ou à ses amis, multiplication qui colonise les cadres civiques117.
42Pour peu qu’on accepte la datation traditionnelle de la fameuse inscription des « volontaires d’élite », on y trouvera une remarquable confirmation, tout à la fois du dialogue entre Démétrios et la cité, des émotions soulevées par le souverain, et de l’octroi d’honneurs supplémentaires :
Lorsque [les volontaires] lui ont demandé d’être celui qui les guiderait à la liberté et de se joindre aux actions contre le Péloponnèse, il se mit immédiatement en marche avec les volontaires d’élite et expulsa les ennemis du territoire. À la Bonne Fortune, plaise aux volontaires d’élite, d’accorder l’éloge au roi Démétrios fils du roi Antigone en raison de sa valeur et de son dévouement, et d’ériger une statue équestre de lui sur l’agora à côté de la Démocratie, d’exhorter les Athéniens et les autres Grecs à consacrer des autels et des sanctuaires à Démétrios ; que ceux qui sont désignés pour accomplir les sacrifices pour Antigone et Démétrios, sacrifient à Démétrios Sauveur […] prononçant auprès des autels des vœux de la façon la plus sainte et la plus belle, et proclament les honneurs qui ont été octroyés au roi par les volontaires d’élite afin que, de la même façon qu’ils ont honoré leurs bienfaiteurs à leurs frais, de même les autres, leur emboîtant le pas, les honorent par les honneurs les plus manifestes118.
43L’intention prosélyte, si l’on peut dire, est ici caractérisée. Les « volontaires d’élite » visent une publicité maximale et cherchent à entraîner un groupe plus large dans leur sillage. Comme en un cercle, les honneurs en appellent d’autres, piétinant au passage un usage alors établi depuis une trentaine d’années. La fin du texte paraît en effet s’être conclue par une de ces clauses hortatives qu’on observe en épigraphie à partir des années 340119. Ces dernières permettaient de recapturer le zèle des individus autres que l’honorandus au profit de la cité. Ici, comme dans le reste du texte, c’est tout l’inverse : leurs efforts doivent être dirigés vers Démétrios, de façon à augmenter encore son éclat. Le souverain est ainsi placé au cœur du débat public, comme son géométral, le point qui distribue les positions.
44Aussi la réalité de l’opinion athénienne n’oppose-t-elle qu’une apparence de paradoxe. Le décisif n’est pas que les citoyens aient eu plus ou moins confiance en Démétrios, mais que l’essentiel du débat politique se soit progressivement polarisé autour de sa figure, de sorte que les Athéniens ont été forcés de prendre parti, ou pour ou contre. De cette montée aux extrêmes, liée par en haut au processus de surenchère des élites et par en bas à des formes de mobilisations militantes, il découle la nécessité d’une forme de clarification puis de mise en cohérence. Autrement dit, plus il y a débat, plus il faut trancher et, une fois un parti choisi, en faire son parti, vivre selon ses règles. Il n’y a donc pas de contradiction entre l’hostilité des Athéniens et la dévotion. C’est l’une ou l’autre selon qu’on regarde en amont ou en aval du processus de décision : le décret de Stratoklès justifie ex-post les décisions de l’Assemblée, lesquelles manifestent et impliquent une réduction de l’espace politique pour divers hommes politiques, comme Démocharès, qui se mettent à voir dans l’exil une solution plus satisfaisante, simplifiant d’autant le débat politique. Les Athéniens sont sincères, aussi bien dans leur hostilité pour le souverain que dans leur adulation.
À la croisée des chemins
45D’une attitude à l’autre, on trouve une décision qu’il reste à motiver. Elle pourrait avoir été prise en fonction de deux paramètres.
46En politique intérieure, il fallait faire face à la pression exercée par Démétrios Poliorcète. Celle-ci concerne divers domaines : l’économique – Démétrios exige une remise d’amende de 50 talents pour la famille de Cléomédon et, un peu avant son départ pour Ipsos, lève un impôt exceptionnel de 250 talents, sans doute pour financer ses campagnes120 –, le religieux – Démétrios exige d’être initié à Éleusis121 – et en définitive la politique, puisque toutes ces décisions, auxquelles on peut ajouter les lettres concernant ses amis, supposaient le vote de l’assemblée. À chaque fois, donc, la matière des débats était fournie par les demandes de Démétrios.
47En politique extérieure, il fallait mesurer la modification des équilibres géopolitiques. La campagne dans le Péloponnèse, on l’a dit, est extraordinairement rapide, si bien que Plutarque, s’il exagère lorsqu’il dit que le Poliorcète n’y rencontra pas de résistance, capte néanmoins un aspect essentiel de ce changement foudroyant122. Il faut alors mentionner trois moments forts où les initiatives de Démétrios ont bousculé les équilibres politiques en Grèce, et ont été saluées d’honneurs importants, concurrençant les décisions athéniennes.
48D’abord, la libération de Sicyone est suivie de sa refondation ; elle fait alors l’objet des soins de Démétrios ou de ses proches123. Surtout, elle offre au souverain le statut de « fondateur » (ktistès). Diodore de Sicile précise qu’à cette occasion, il « reçut des honneurs divins (τιμῶν ἰσοθέων ἔτυχε)124 ». Or, le statut de ktistès n’offre normalement qu’un culte héroïque et post mortem125. Ce double écart a pu gêner, mais il n’est pas sans parallèles, et doit être vu comme un égard particulier dû aux rois ou le produit de la surenchère contemporaine : lorsque leurs amis sont des héros, eux ne peuvent être que des dieux126. Grâce à un décret malheureusement fragmentaire, on sait en outre qu’Athènes et Sicyone s’allièrent à la fin de l’année 303/2, peu de temps après la libération donc127.
49Ensuite, comme le note Plutarque, « c’était alors le temps de la fête des Heraia à Argos ; il y prit part avec les Grecs, présida (ἀγωνοθετῶν) les concours et épousa […] Déidaméia128 ». La visite paraît avoir été mûrement calculée d’un point de vue calendaire : Démétrios se trouvait à Athènes en mai pour être initié aux Mystères d’Éleusis, procédure qu’il a fait abréger pour se rendre aux Heraia, qui se déroulaient au mois de Panomos (juin-juillet)129. Il y a ici davantage qu’une alliance entre Démétrios et l’Épire130. En tant qu’agonothète, Démétrios finance une partie des réjouissances et octroie les prix à l’issue du concours : il rehausse les festivités de sa présence, mais en même temps infléchit le sens de la fête vers son auto-célébration. À cet égard, il n’y a pas lieu de distinguer entre fête « civique » et « monarchique »131. Joue simplement ici, mais à plein, ce que les psychologues nomment « technique d’amorçage » : les spectateurs venus se réjouir lors des Heraia paraîtront se réjouir aussi pour le roi. En calant leur agenda sur le calendrier de festivités préexistantes, les monarques à la fois se promeuvent à peu de frais et assurent les conditions de félicité d’une propagande efficace : il y aura du public132.
50Enfin, Démétrios crée à Corinthe le conseil commun de la Ligue hellénique, sans doute en lien avec les Isthmia se tenant quelque part entre avril et juin133. L’idée d’inclure les cités grecques dans un système d’alliance paraît remonter à 307/6 ; elle se traduit institutionnellement en 303 ou en 302134. On peut en tout cas la pressentir dans divers décrets honorifiques valorisant la lutte pour la libération des Grecs, avant qu’elle ne se concrétise institutionnellement. À nouveau, cette initiative a pu être suivie du vote d’une série d’honneurs, dont on ne connaît malheureusement pas la nature135.
51À ces deux points de vue, la décision athénienne est éclairée. Elle s’explique d’un côté par les pressions du souverain, et de l’autre par les craintes liées à la guerre et aux bouleversements géopolitiques. Elle représente un choix clair en faveur des Antigonides, dans un contexte où Athènes était concurrencée par d’autres cités et risquait d’être marginalisée, cité parmi toutes les autres, coordonnées au sein de la Ligue hellénique136.
52On peut alors remboîter tous ces niveaux. À la racine du dérapage athénien, une crise de foi : la lutte entre les différents courants à Athènes et une décision – les atermoiements autour du courrier royal – qui pu passer pour une loyauté vacillante. Alors qu’une guerre faisait rage, dans laquelle des compatriotes étaient engagés, alors que le roi demeurait présent dans les esprits par le biais de ses envoyés ou des nouvelles qu’on discutait à l’assemblée, alors que les équilibres politiques de la Grèce se modifiaient, il parut d’autant plus important d’effacer cette hésitation par une affirmation claire et forte. Comme depuis 307 les relations entre Démétrios et Athènes se traduisent dans la sphère religieuse, il fallait demeurer dans ce domaine mais faire preuve d’inventivité : c’est le sens des décisions athéniennes puis de la proposition de Stratoklès, qui n’est surement pas le seul à avoir parlé ce jour-là, mais qui a emporté le morceau par l’outrance de ses mesures. D’où la purge partielle, d’où l’attribution quasi automatique d’honneurs pour les affidés antigonides, d’où le vote de prérogatives nouvelles pour Démétrios, de sorte que le système s’est mis à tourner à vide. La radicalisation n’est que le produit d’une exigence excessive de fidélité à soi, par laquelle on accepte finalement de se dépasser. On meurt parfois pour continuer à vivre137.
Conclusion
53Les raisonnements qui précèdent devraient pousser à réaménager plus ou moins profondément un point crucial de l’historiographie sur l’époque hellénistique. Sans toujours se lire, de nombreux savants ont réarticulé le questionnaire autour de l’efficacité du symbolique, les uns sous une forme culturaliste, les autres sous une forme pragmatique. Ainsi le langage des cités a-t-il le pouvoir d’assigner les rôles et de distribuer les places chez Jean-Marie Bertrand ou John Ma, ainsi les rituels civiques sont-ils des manières de s’accorder (to come to terms) avec le pouvoir exorbitant des rois depuis le livre de Simon Price138. Le thème du culte aux souverains n’a pas échappé à ce renouvellement, qui prend tantôt une forme théorique (le sens ordonne le monde), tantôt une forme pratique (l’assignation de rôles permet d’agir sur le monde). Ainsi, d’après Albert Henrichs, a-t-on intégré Démétrios dans un discours préexistant sur les dieux tandis que, selon Annika Kuhn, la divinisation du Poliorcète visait à ritualiser la communication avec ce souverain toujours plus distant139.
54Ces deux opinions pèchent par excès d’optimisme, et leur confiance dans les ressources du sens ressemble fort à un travers de professeur. En l’occurrence, autour de 304, le moment où Démétrios est le plus divinisé correspond aussi à la période où il fait le plus pression sur Athènes – pour que ses affidés obtiennent la citoyenneté, pour obtenir d’être initié à Éleusis sans respecter le calendrier sacré, pour lever des impôts exceptionnels140. En divinisant Démétrios, les Athéniens se sont simplement donné des raisons d’obéir. Leurs décisions ont eu comme effet d’éloigner le souverain, d’augmenter son éclat, de le mettre à part des hommes ; elles ne sont pas le produit d’une stratégie bien calculée, mais la conséquence du heurt anarchique des intérêts ; elles n’ont pas permis de contrôler ses actions, mais n’ont fait que délier ses mains. Symétriquement, les honneurs, nombreux et excessifs, offerts aux soldats, dignitaires et philoi des Antigonides ne sont pas seulement des manières d’établir des canaux de communication avec le pouvoir, mais surtout le symptôme de ce que la situation échappe. Ayant consumé le stock de timai pour l’un, on les applique aux autres, espérant un lien nouveau, aggravant en réalité les choses.
55La notion de croyance permet une description fine de ce phénomène. Ce n’est ni la résultante d’une psychologie – les hésitations des Athéniens ou l’absence de motivation présidant à certaines de leurs décisions le prouvent trop bien – ni d’un ordre préexistant – la cité demeure divisée, la divinisation est le produit de la politique d’un petit nombre d’activistes, tandis que certaines décisions prises paraissent inédites. La croyance est d’abord un travail, jamais une certitude, qui pourrait sans doute se documenter finement par la description des « mille fluctuations des attitudes indigènes141 », si l’on disposait ici de sources différentes. Faite d’assertions ou de comportements, c’est d’abord une manière d’articuler les individus ; à la racine du social donc, la croyance, de même que le charisme était par rapport aux autres types de domination dans un rapport d’extériorité et de fondation.
Notes de bas de page
1 Wittgenstein 1992b, p. 190.
2 Voir par exemple Dorna 1998.
3 Voir ainsi Shils 1975, p. 3 ou 127 ; Eisenstadt 1968, p. xix ou p. xxiii-xxiv ; Geertz 1986 ; en français, Bourdieu 1971, p. 15-16 ; à l’origine de toutes ces thèses, Parsons 1968, p. 661-669.
4 Sur le caractère axiologiquement neutre du charisme, Weber 1995 [1971], p. 321 (sed contra Strauss 1986, p. 58 sq. et p. 62). Sur le problème de la dérivation des ordres collectifs, Weber 1995 [1971], p. 40 (mais, là encore, contra Castoriadis 1990, p. 73).
5 Durkheim 1992, p. 25.
6 Laignoux 2014, p. 13.
7 Voir par exemple dans le manuel classique d’Aron 1982, p. 558-559.
8 Weber 1995 [1971], p. 286.
9 Ricœur 2005, p. 266-267.
10 Weber 1995 [1971], p. 285-286 pour cette définition.
11 Weber 1995 [1971], p. 288.
12 Weber 1995 [1971], p. 289. Cette opposition peut paraître forcée. Elle peut néanmoins trouver appui dans un passage important où Weber distingue deux modalités de la croyance, l’une correspondant à l’acceptation de certaines propositions, l’autre à une disposition d’esprit (Gesinnung) propre à faire confiance, une éthique de l’intériorité (Gesinnungsethik) impliquant un abandon absolu (Hingabe) ; la dévotion correspond à la croyance lorsqu’elle est devenue qualité intérieure (Gesinnungsqualität). Cf. Weber 2006, p. 355. Se joue ici le partage entre acte et état mental.
13 Weber 1995 [1971], p. 321.
14 En première analyse, cf. Versnel 2011, p. 545-546.
15 Versnel 2011, p. 539, note que les critiques de la notion de croyance ne s’appuient que sur deux textes (Pouillon 1979 et Needham 1972 ; on peut y ajouter Certeau 1981). Je n’ai trouvé de définition élaborée de la croyance spécifiquement moderne que chez Giordano-Secharya 2005 : croire c’est 1) asserter la vérité ou l’existence de quelque chose ; 2) tenir subjectivement une opinion ; 3) avoir confiance. Outre que ces distinctions reprennent sans le dire Thomas d’Aquin, Somme théologique IIa, IIae, quaest. 2 art. 2, on peut les critiquer. D’abord, la deuxième est illusoire : dire que l’on croit ne donne pas d’information sur ma subjectivité (Wittgenstein 2004 II-x, p. 273), mais plutôt sur le monde (Descombes 2014, p. 219-240). On n’est jamais le sujet de ses croyances, mais on les observe de la même manière que celles des autres (voir Wittgenstein 2004 II-x, p. 272 avec Gnassounou 2010, p. 74-75). Ensuite, il n’y a pas de différences entre 1) et 3) : « je te crois » (au sens où j’ai confiance) veut dire en pratique « je crois que ce que tu dis est vrai », et inversement (Price 1969, p. 431 sq.). Ainsi, non seulement toutes ces définitions se ramènent à la première, croire revenant à asserter que p, mais elles n’illustrent en réalité que la thèse ancienne sur la croyance, et non la thèse moderne, qui est dispositionnelle.
16 Voir par exemple la curieuse et subite réduction chez Vernant 2007, p. 1929.
17 On trouvera de remarquables présentations de ces deux options dans les conférences de Price 1969 ou dans la version condensée (et amendée grâce à la grammaire de l’assentiment du cardinal Newman concernant la thèse classique) chez Engel 1995. Il existe une présentation concernant la sociologie chez Lamine 2010, mais les limites de nos sources ne nous permettent pas de la suivre.
18 Price 1969 p. 259 : “Acts speak louder than words”. Comme le note Wittgenstein 1992a, p. 107, il ne sert à rien de demander au croyant les raisons qu’il a de croire : « il dira probablement qu’il a des preuves. Mais ce qu’il a, c’est ce que vous pourriez appeler une croyance inébranlable. Cela ressortira non pas d’un raisonnement ou d’une référence aux raisons habituelles que l’on invoque à l’appui d’une croyance, mais bien plutôt du fait que tout dans sa vie obéit à la règle de cette croyance. » Pour une version sociologique de ce problème, cf. Héran 1986, p. 262. De ce fait, comme le notent Quine 1992, p. 52 ou déjà Kant 1980, p. 1379, le plus sûr moyen de vérifier la croyance d’un individu, est de parier de l’argent avec lui. J’ajouterais aussi volontiers que la thèse dispositionnelle est plus « inclusive », au sens où elle permet de faire des animaux aussi des sujets de croyance. Sur ce point, voir le débat entre Malcolm 1972 et Davidson 1991 ; cf. Lenclud 2013, p. 183-188.
19 Voir Price 1969, p. 256-257.
20 Price 1969, p. 296-299.
21 D’un côté, il devient possible de décider de croire selon le schéma suivant : S accepte p et met en ordre sa vie selon cette vérité (Pascal : il est raisonnable de miser un investissement fini pour des profits infinis ; la croyance en Dieu s’impose donc ; une fois la proposition acceptée, il est possible de se mettre à croire en faisant comme si l’on croyait : en prenant de l’eau bénite, etc.). Ce type de raisonnement pose problème : on ne peut pas à la fois croire que p et croire que la croyance que p est une conséquence de la décision de croire que p ; pour que l’opération pascalienne réussisse, il faut réussir à oublier la décision de croire que p. Autrement dit, la décision de croire ne fonctionne que si elle s’accompagne de la décision d’oublier qu’on a décidé de croire, ce qui est absurde (Williams 1973). D’un autre côté, puisqu’il est possible de croire volontairement, il est aussi possible de croire des choses qu’on ne croit pas. Il faut alors expliquer non seulement les mécanismes de ce type de comportement (comment il est possible à la fois de croire et ne pas croire), et sa rationalité. Comme le note Peirce 2002, « l’autruche, lorsqu’elle enfonce la tête dans le sable à l’approche du danger, tient vraisemblablement la conduite qui la rend la plus heureuse » : il y a des inconvénients à cette conduite, mais les avantages la surpassent. Il est par exemple rationnel, lorsqu’on est libéral, de refuser de lire un journal socialiste car cela pourrait nous faire changer d’avis. Un anthropologue, à l’occasion d’un deuil ayant entraîné un renouveau de sa croyance en Dieu, note par exemple : « Je fais partie des êtres qui préfèrent garder des habitudes acquises au fil du temps, et maintenir la confiance le plus souvent accordée. Je ne suis d’ailleurs pas dupe de l’effet positif immédiat de mon attitude » (Piette 1997, p. 33, je souligne).
22 Sur l’akrasia, voir les intéressantes réflexions de J. Elster, depuis Elster 1986. En anthropologie, on renverra au fameux texte de Lévi-Strauss 2008, p. 191 sq.
sur le sorcier et sa magie (même type de problèmes chez, par exemple, Evans-Pritchard 1972 au sujet de l’imposture des exorciseurs). Ce genre de thèse suppose généralement de diviser le sujet en plusieurs instances, ce qui est toujours fâcheux. Aussi renverra-t-on à la remarquable thèse de Clément 2006, qui évite élégamment ces problèmes. Concernant la psychanalyse, on pense au fameux article de Mannoni 1969, p. 9-33.
23 Sur cette expression, voir les réflexions de Lenclud 1990 et Bazin 1991.
24 Will 1979, p. 77.
25 Voir également Plut., Démétr., 24, 1 et Comparaison entre Démétrios et Antoine, 4, 3.
26 Plut., Démétr., 23, 5.
27 Clém. d’Alex., Protrept., 4, 54, 6.
28 Synnaos theos : Scott 1928, p. 219-220 ; Nock 1930, p. 3 [ = Nock 1972a, p. 204] cum dubitanter ; Taeger 1957-1960 (I), p. 269 (mais il parle assez vaguement de Tempelgenosse) ; Kertész 1978, p. 166 ; Ehling 2000, p. 157 ; Kuhn 2006, p. 272-275 ; Buraselis 2008, p. 216-217 ; Ogden 2009, p. 359 ; Bayliss 2011, p. 167 ; Chaniotis 2011, p. 181. Hieros gamos : Habicht 1970b, p. 49 ; Philipp 1973, p. 505 ; Kertész 1978, p. 166 ; Mastrocinque 1978, p. 78 ; Ogden 1999, p. 263 qui est d’ailleurs revenu plusieurs fois sur la chose, tantôt pour y voir en réalité une parodie de mariage sacré, tantôt au contraire une tentative tout à fait sérieuse (Ogden 2009, p. 358-359 ; Ogden 2011, p. 229-230) ; Müller 2009, p. 44-45 ou Müller 2010, p. 569 ; Versnel 2011, p. 452.
29 Sur le Parthénon, qui n’est pas un temple, cf. Holtzmann 2003, p. 106-107. Sur la différence entre opisthodome et naos, voir surtout Kuhn 2006, p. 272-273. Scheer 2000, p. 277-279 fournit une vue exagérément critique de l’épisode. Dernièrement, voir Mari 2016, p. 160 n. 13.
30 Nock 1930, p. 3 n. 6 [ = Nock 1972a, p. 204 n. 6] pensait ainsi proposer un parallèle avec Pausanias 1, 27, 3 où les arrhéphores auraient habité (dwelt) avec Athéna. Mais le passage ne dit rien de tel – elles habitent non loin du naos (τοῦ ναοῦ τῆς Πολιάδος οἰκοῦσιν οὐ πόρρω) et n’y pénètrent que le temps de certaines fêtes nocturnes – et ne concerne d’ailleurs pas le Parthénon.
31 Peu de savants donnent en réalité des parallèles. Mastrocinque 1978, p. 78 en fait partie, et ce sont les mêmes qui sont repris par Ogden 1999, p. 263 (de même que dans ses autres publications ; il est suivi par Müller 2009, p. 44-45 et Müller 2010, p. 569) apparemment sans connaître l’article du savant italien. Concernant les épisodes historiques, il est question du retour de Pisistrate à Athènes avec Phyè (Hérodote 1, 60 et Ps.-Arist., Const. Ath., 1, 14). En réalité, rien ne dit que Phyé – mariée avec le fils du tyran, cf. FGrHist 323 F 15 – s’est unie avec Pisistrate. Dans les faits, l’idée de mariage est inférée d’après la valeur symbolique du chariot par Gernet 1968, p. 344-359, et devient sous la plume de Berve 1967, p. 545 (qui glose Gernet) un hieros gamos. Pour les mythes, on est condamné à une référence vague à Burkert 1985, p. 132-135 (qui traite du mariage de Zeus et d’Héra). Ogden renvoie aussi au hieros gamos lors des Anthestéries (Ps.-Arist., Const. Ath., 3, 5 ; Démosth., Contre Nééra [59], 73 et 76, Hésychius s.v. Dionysiou gamou ; cf. Burkert 1985, p. 109). Il est intéressant sur ce point de remarquer que la femme de l’archonte parvient (peut-être) à coucher avec une statue. Versnel 2011, p. 452 convoque, quant à lui, deux exemples montrant que les rois voulaient coucher avec des déesses (e.g. Théopompe dans Athénée 12, 531f [ = FGrHist
F 31]) : la différence est qu’ils n’y parviennent pas).
32 Sén. Mai., Suas., 1, 6 et Gaius Granius Licinianus, Flemisch éd., p. 5. Scott 1928, p. 219 renvoie ainsi aux Suasoires. Nock 1930, p. 3 et n. 7 [ = Nock 1972a, p. 204 et n. 7] y ajoute le témoignage de Licinianus. M. Flemisch, l’éditeur de ce dernier dans la Teubner, renvoyait au passage de Sénèque dans sa préface (p. XIII).
33 O’Sullivan 2008, voir déjà Cappellano 1954, p. 22 ; on notera aussi que Nock 1930, p. 3 [ = Nock 1972a p. 204] faisait de l’ensemble du dossier une blague ou un morceau de propagande octavienne.
34 Pour la liste, Van Tilborg 2002, p. 807-809 ; voir déjà les remarques de Robert 1977, p. 79-80 [ = Robert 1989, p. 420] sur l’usage de gamein par les Pères de l’Église, avec un renvoi (faussé) à Clém. d’Alex., Stromates, 7 (et non 8), 12, 78.
35 Avagianou 1991, p. 201.
36 Voir en particulier Ferguson 1911, p. 118 sur ce dernier point. Il est possible que la statue d’Athéna ait dû être réparée (IG II2 482 avec Dinsmoor 1931, p. 37 n. 2, repris par von den Hoff 2003, p. 182 n. 74). On a longtemps fait un parallèle avec IG IX 2, 146, A, l. 76, où des dépenses importantes sont engagées pour nettoyer le sanctuaire des ordures laissées par Démétrios après la bataille d’Ipsos (53 jour-hommes d’après Homolle 1887, p. 67 n. 1). Néanmoins, le lien entre les ordures et le séjour du Poliorcète est assez ténu (Cappellano 1954, p. 22 n. 58) tandis qu’il n’est pas nécessaire d’en faire le témoignage d’une vie de débauche. D’après Tréheux 1946, p. 573-574, il s’agirait plutôt d’ordures liées à des sacrifices après la défaite d’Ipsos : loin d’être un débauché, Démétrios aurait fait montre d’une piété un peu dépensière.
37 Antiphane dans Athénée 10, 423c [ = PCG fr. 81]. L’interprétation de ce dernier passage dépend de la déesse qu’on identifie derrière τῆς σεμνῆς θεᾶς. Parce que l’épithète semnè a paru caractéristique d’Athéna, c’est cette déesse qu’ont identifié divers savants (ainsi de Casaubon [voir PCG loc. cit.], de Ferguson 1911, p. 118 n. 3 ou de Wilhelm – Kaibel 1906, p. 57). En revanche, Scott 1928, p. 233-234 remarque que l’épithète est plus souvent employée à propos de Déméter (et qu’il se trouve aussi à propos de cette déesse dans l’hymne ithyphallique : τὰ σεμνὰ τῆς Κόρης μυστήρια). Il veut donc plutôt y voir Déméter. Cerfaux – Tondriau 1957, p. 176 n. 2 et 4 reprennent son opinion avec prudence (« destinataire difficile à préciser »), de même que Mastrocinque 1978, p. 77 n. 34. Habicht 1970b, p. 47 place ce poème dans le contexte de l’arrivée de Démétrios en 307, ce qui interdit d’y voir une référence à Déméter. Pour ma part, je ne crois pas qu’il soit possible d’identifier la déesse, ne serait-ce que parce que ce genre de toast est commun, et se prête à tous les jeux de mots (voir par comparaison Alexis dans Athénée 6, 254a [ = PCG fr. 116] ; sur cette pratique e.g. Tarn 1928, p. 212-213). Ainsi Weber 1995, p. 302 a-t-il raison de maintenir les deux possibilités ouvertes.
38 Philippidès PCG fr. 25 (qui réunit, d’après l’idée de Meineke, Plut., Démétr., 26, 5 et 12, 7, traduction CUF légèrement modifiée). Peut-être ces vers n’étaient-ils pas juxtaposés (comme le remarque Kock apud CAF) τὸν ἐνιαυτὸν συντεμὼν εἰς μῆν' ἕνα, | ὁ τὴν ἀκρόπολιν πανδοκεῖον ὑπολαβών,| καὶ τὰς ἑταίρας εἰσαγαγὼν τῇ παρθένῳ. | δι' ὃν ἀπέκαυσεν ἡ πάχνη τὰς ἀμπέλους, | δι' ὃν ἀσεβοῦνθ' ὁ πέπλος ἐρράγη μέσος, | ποιοῦντα τιμὰς τὰς [τῶν] θεῶν ἀνθρωπίνας. | ταῦτα καταλύει δῆμον, οὐ κωμῳδία.
39 O’Sullivan 2009a, p. 65.
40 Voir en particulier Plut., Comparaison entre Démétrios et Antoine, 4, 3 ; pour des attestations épigraphiques, voir I. Lindos 487 l. 17 (il est d’ailleurs intéressant de remarquer que les rapports sexuels sont les moins polluants des comportements dans cette inscription, et qu’il y a une hiérarchie de pollution entre les rapports avec une prostituée et les rapports avec sa femme légitime : dans un cas, il suffit de se laver, dans l’autre il suffit d’attendre un jour) ou IG XII 1, 789 l. 14.
41 On pense par exemple à Cylon (Thuc., 1, 126-127) ou à Pisistrate (Hérod., 1, 59 ; Ps.-Arist., Const. Ath., 15, 4). Le bâtiment F sur l’Acropole a ainsi pu être interprété comme le quartier général du tyran (voir le débat dans Libero 1996, p. 100-101). Sur l’acropole comme espace neutre réservé aux dieux, Platon, Lois 5, 745b ; sur l’acropole comme lieu monarchique, Arist., Pol., 7, 11, 1330b.
42 Voir ainsi von den Hoff 2003, p. 173-174, Krumeich – Witschel 2009, p. 187 ; d’après Shear 2007, le décalage entre l’Acropole et l’agora est plus ancien, et remonte à 390.
43 Ps.-Plut., Vie des dix orateurs, Moralia, 843e-f et 851f-852e, ainsi que IG II2 457+3207. Cf. von den Hoff 2003, p. 179.
44 Diogène-Laërce 5, 77 avec Azoulay 2009, p. 335-338 pour l’interprétation (contra von den Hoff 2003, p. 183 : elle serait épargnée en raison de la nature sacrée des lieux).
45 von den Hoff 2003, p. 177 sur cette statue, avec renvoi aux sources.
46 Plut., Démétr., 12, 1 ; sur les dispositifs assurant le séjour des hôtes de marque, voir Hennig 1997 ; Perrin-Saminadayar 2004, p. 364 sq. et Flamment 2008, p. 110-115. Habicht 1970b, p. 51 sq. situe néanmoins cet épisode en 295/4.
47 IG II2 3434 [ = Hansen 1989 n° 777] l. 18. Le texte est daté de 307, d’après Wilhelm 1937 [ = Wilhelm 1984b, p. 181-185], mais de 306 pour Paschidis 2008, p. 106-107 et n. 1 (voir aussi Paschidis 2013). Pour la critique de ce dernier, BE 2015 224. J’ajoute que la datation traditionnelle permet de relier ce texte prosélyte avec l’effort similaire des « volontaires d’élite », ces notables athéniens ayant pris les armes pour Démétrios Poliorcète (SEG 25 149). Voir à cet égard Mikalson 1998, p. 84-85.
48 Hôte : Plut., Démétr., 23, 5. Sœur : Plut., Démétr., 24, 1. Épouse : Clém. d’Alex., Protrep., 4, 54, 6. Partie pour le tout : Philippidès, PCG fr. 25.
49 Pour dire la même chose, les uns accusent Lacharès d’avoir pillé les richesses de l’Acropole, les autres d’avoir dévêtu Athéna. Voir respectivement Pausanias 1, 25, 7 et 29, 16 ; Plut., Isis et Osiris, Moralia, 379d (voir aussi Thompson 1940, p. 207-208 et Habicht 2006, p. 104). Scheer 2000, p. 279-283 offre une interprétation minimale de ces événements.
50 Plut., Démétr., 10, 5 ; Diod., 20, 46, 2. La chose est encore valable en 302. Je me permets des termes très vagues pour éviter d’avoir à interpréter la scène figurant sur le péplos (voir Simon, 1983, p. 39 et 71, ainsi que Mansfield 1985, p. 58-68). On y a vu un combat de la civilisation contre la barbarie (e.g. Mikalson 1998, p. 81 et n. 16, Buraselis 2008, p. 215 ou encore Holton 2014, p. 16).
51 Plut., Démétr., 12, 3 avec la datation proposée par Ferguson 1905, p. 163 n. 2, reprise par tous. Il me paraît hasardeux d’interpréter l’épisode, à la manière de Kuhn 2006, comme un échec de communication puisque, en réalité, les conditions climatiques extrêmes n’empêchaient pas qu’on mène les rites à bien (cf. Shear 2010, p. 144). Très prosaïquement, c’est une pure exagération de nos sources.
52 IG II3 877 l. 14-16.
53 Plut., Pyrrh., 12, 7.
54 Weber 1995, p. 301 remarque dans ce sens que le Poliorcète est le souverain le plus représenté et caricaturé au théâtre.
55 Plut., Démétr., 11, 1 ; variante dans Sur la fortune d’Alexandre II, Moralia 338a.
56 Plut., Démétr., 13, 1-2.
57 Plut., Démétr., 24, 9.
58 Habicht 1970b synchronise les trois, en raison de leurs ressemblances. Habicht 1979, p. 34-44 date le décret de Dromokleidès de 292 ou 291. Il est approuvé par J. et L. Robert (BE 1981 229), mais critiqué par Dreyer 1999, p. 128-135. Habicht 2006, p. 109 maintient son opinion. Erskine 2014, p. 593-594 propose une alternative séduisante : le décret de Dromokleidès aurait été proposé, mais non voté. De fait, que Plutarque ait interpolé 4 chapitres (10-13) au milieu du récit de la première domination du Poliorcète serait pour le moins difficile. On notera au passage qu’Osborne 1975, p. 153 n. 1 proposait de retrouver Dromokleidès dans IG II2 553, ce qui fournirait une base épigraphique à l’attribution de son décret en 304. Sed contra Tracy 1995, p. 119 n. 1.
59 Favret-Saada 2009, p. 145-160.
60 Sperber 1982, p. 80-83.
61 Plut., Préceptes politiques 2, Moralia 798e-f.
62 Tracy 2000, p. 229.
63 Tracy 2000, p. 230.
64 Woodhead 1997 n° 120, 122, IG II2 385, 469, 471, 486, 491, 492, 495+709, 538 + Add., p. 662 [ = Osborne 1981 D59], 550, 553, 555, 558, 559+568, 560, 561, 773, 774, Schweigert 1937 n° 4, SEG 16 58, 16 59, 35 80, 36 164, 36 165, 52 102, Syll.3 347, à quoi l’on ajoute les statues offertes par les citoyens (IG II2 3424) et le décret des volontaires d’élite (SEG 25 149).
65 Tracy 2000, p. 232.
66 Plut., Démétr., 11, 1.
67 Il faut d’ailleurs insister sur le caractère inédit de cette décision pace Kuhn 2006, p. 278, qui allègue trois parallèles, mais dont un seul est correct à mon avis. P. Lond. VII, 1973 n’est pas une théorie adressée à Ptolémée, mais une théorie venant pour les Nemeia ou les Ptolemaia (thèses de Bergmans 1979 et Orrieux 1983, p. 93) faisant du tourisme à Philadelphie en attendant. Persaios de Kition dans Athénée 13, 607c [ = SVF I n° 451] est sans contexte, et donc inutilisable. Reste le cas d’Arr., Anab., 7, 23, 2, où les ambassades adressées à Alexandre étaient vêtues « comme (ὡς) s’ils étaient venus en députation sacrée pour honorer un dieu ». Mais entre la comparaison et l’identification, il y a tout de même une différence.
68 Plut., Démétr., 12, 1.
69 Plut., Démétr., 13, 1.
70 D’après Marasco 1984, p. 48 sq., la guerre de Quatre Ans démontre l’échec de la politique des « nationalistes », favorables à une défense purement athénienne, qui se sont révélés impuissants contre Cassandre.
71 Plut., Démétr., 34, 6-7.
72 Diod., 20, 46, 2 et Plut., Démétr., 10, 3-6, cf. Habicht 1970b, p. 44-48 ; Knoepfler 2012, p. 441 parle d’honneurs simplement « héroïques » : la chose s’applique cependant à l’éponymie, mais non au culte.
73 Gauthier 1985, p. 46. Voir IG II2 471, 469, 553, 773. On peut peut-être aussi ajouter IG II2 550 à condition d’accepter la datation de Maier 1959, p. 199-200 n. 54.
74 Plut., Démétr., 10, 5 et Clém. d’Alex., Protrept., 4, 54, 6 notamment, avec Habicht 1970b, p. 49. Voir aussi Woodhead 1997 n° 114 + SEG 58 119. La statue des volontaires d’élite : SEG 25 149, si l’on adopte la datation traditionnelle (Kyparissis – Peek 1941, p. 222 – BE 1942 29, Wilhelm 1943) et non celle de Moretti 1976 n° 7 (294). Il est possible que cette dernière statue ait été érigée non loin de la Stoa du roi (Mikalson 1998, p. 84 avec bibliographie antérieure, contra Shear 1984 qui la lie plutôt avec le trophée mentionné par Pausanias 1, 15, 1).
75 Deux années sont très riches ici : 304/3 et 303/2. On compte 14 inscriptions datables avec certitude. Parmi elles, en 304/3, sont votés 6 décrets (peut-être 7) pour les proches des Anti onides : SEG 16 58 pour des Ténédiens envoyés à Athènes, SEG 36 165 pour Médon, qui vient annoncer les décisions du roi, SEG 36 164 pour Sôtimos en raison de sa valeur et de son dévouement envers les rois et Athènes, IG II2 486 pour Eupolis, parce qu’il est ami de Démétrios, IG II2 558 pour Oxythémis en raison de son dévouement envers les rois et Athènes, enfin Schweigert 1937 n° 4 pour des Chalcidiens alliés de Démétrios. On peut peut-être y rajouter IG II2 553 + SEG 58 120 (si l’on accepte la datation de Paschidis 2008, p. 95-96 n. 3). En 303/2 sont votés 7 décrets (voire 8) : IG II2 491 pour des Chalcidiens ayant fait campagne avec Démétrios, IG II2 492 pour Apollonidès, ayant aidé précédemment les Athéniens et transmettant désormais leurs requêtes aux souverains, IG II2 495 + 709 pour Alkaios qui relaie de même les demandes athéniennes, IG II2 559 + 568 pour Philippos qui a combattu au profit des Athéniens, IG II2 496 + 507 pour Solon de Bargylia qui transmets les demandes athéniennes, IG II2 498 + SEG 52 102 pour Médéios, auparavant relai des intérêts athéniens à la cour, et qui a combattu pour Athènes et enfin Woodhead 1997 n° 122 pour Adeimantos, proèdre de la Ligue hellénique. On peut y ajouter Woodhead 1997 n° 120 (datation de cet éditeur). À toutes ces inscriptions, on peut ajouter le décret pour Asklépiadès (IG II2 555) habituellement daté de 307-302, mais qu’on peut rapporter à la période 304-302.
76 Kralli 2000, p. 123.
77 Marek 1984, p. 357-358 ; Mack 2015, p. 119-122 sur le rôle de la proxénie.
78 IG II2 491 l. 24-27.
79 IG II2 486, 492, 553, 558, SEG 36 164, Woodhead 1997 n° 120, Syll.3 347. Voir Gauthier 1985, p. 155.
80 Habicht 1970b, p. 55 (Kultische Ehren). De même dans Habicht 1970a, p. 267 [ = Habicht 2006, p. 61].
81 Démocharès dans Athénée 6, 253a-b [ = FGrHist 75 F 1] : ἐλύπει μὲν καὶ τούτων ἔνια αὐτὸν, ὡς ἔοικεν, οὐ μὴν ἀλλὰ καὶ ἄλλα γε παντελῶς αἰσχρὰ καὶ ταπεινά, Λεαίνης μὲν καὶ Λαμίας Ἀφροδίτης ἱερὰ καὶ Βουρίχου καὶ Ἀδειμάντου καὶ Ὀξυθέμιδος τῶν κολάκων αὐτοῦ καὶ βωμοὶ καὶ ἡρῷα καὶ σπονδαί. τούτων ἑκάστῳ καὶ παιᾶνες ᾔδοντο, ὥστε καὶ αὐτὸν τὸν Δημήτριον θαυμάζειν ἐπὶ τοῖς γινομένοις καὶ λέγειν ὅτι ἐπ’ αὐτοῦ οὐδεὶς Ἀθηναίων γέγονε μέγας καὶ ἁδρὸς τὴν ψυχήν.
82 Mikalson 1998, p. 88. Sur l’idée des héros comme divinités inférieures, Nock 1944, p. 163 [ = Nock 1972b, p. 593]. Les péans qu’on leur chante peuvent être vus comme des décalques de ceux offerts précédemment en 307, cf. Philochore dans Athénée 15, 697a [ = FGrHist 328 F 165]. Pour des précédents, l’historiographie rappelle le cas d’Héphaestion (Habicht 1970b, p. 204 n. 48 et Mari 2016, p. 165), à quoi on peut aussi ajouter celui d’Aristonikos, jongleur à la cour d’Alexandre le Grand, naturalisé à Athènes (Athénée 1, 19a et IG II2 385), qui fait l’objet en Eubée d’une fête, les Ἀριστονίκ[ει]α, impliquant des honneurs héroïques (IG XII 9, 207 l. 41, cf. Knoepfler 2001, p. 87 n. 382-383 et Paschidis 2008, p. 457-458).
83 Mari 2016, p. 165-166.
84 Plut., Démétr., 23, 4. Il faut remarquer en outre que la grammaire des honneurs à Athènes semble avoir été codifiée entre la fin du IVe et le début du IIIe siècle a.C., comme l’avait relevé Gauthier 1985, p. 105 sq. D’après lui, cette réforme est l’effet d’un choc traumatique lié à l’octroi d’honneurs à Démade (p. 109-112). Néanmoins, il est possible qu’elle soit en réalité plus tardive, et qu’au lieu des années 330, il faille plutôt penser au règne de Démétrios de Phalère, tandis que la recodification a pu avoir lieu en 305/4 (Azoulay 2009, p. 308 sq. et p. 339). La chose ne concerne certes que les honneurs pour les citoyens athéniens, mais le décrochage entre les honneurs pour le roi et ses amis la même année conduirait à y voir à une recodification d’ampleur.
85 Landucci Gattinoni 1981 sur les deux registres de critiques adressées à Démétrios.
86 Plut., Démétr., 12, 1.
87 Pareto 1968, p. 79.
88 Plut., Démétr., 24, 6-26, 1.
89 Voir aussi Diod., 20, 102-103.
90 Woodhead 1997 n° 114.
91 SEG 36 165, avec les commentaires de Woodhead 1989.
92 Plut., Démétr., 26, 3 : « les Athéniens, sur la proposition (γνώμην) de Stratoklès, décrétèrent (ψηφισαμένους) » de faire du mois de Mounichion Anthestérion. Telle me paraît être la conséquence de l’argument de Diefenbach 2015, p. 133 et n. 85 (avec bibliographie antérieure).
93 Quelques exemples : Ferguson 1911, p. 122-123, Shear 1978, p. 51, Marasco 1984, p. 54, Habicht 2006, p. 96 ou encore O’Sullivan 2009b, p. 72.
94 Pour le rôle de Démocharès à Athènes entre 307 et 303 : IG II2 643 (à propos de la restauration des fortifications), IG II2 1492b l. 125 sq. (en faveur de la restauration des finances d’Athènes), Pol., Hist., 12, 13, 5 (à propos de sa stratégie). Pour son rôle auprès de Sophoklès voir Athénée 11, 508f-509b, Eusèbe, Préparation évangélique 15, 2, 6 et Athénée 5, 215c. Sur le lien entre Démétrios Poliorcète et ce décret, Athénée 13, 601e [ = PCG fr. 99]. Encore autour de 304, Démocharès paraît un individu important, puisqu’il a signé un traité de paix avec la Béotie, qui doit appartenir à la période de la guerre de Quatre ans. De la même manière, Démétrios a signé un traité de paix avec la Béotie (cf. Plut., Démétr., 23, 3 et Diod., 20, 100, 6 ; Smith 1962, p. 115 sur ce moment de la carrière de Démocharès, et Gullath 1982, p. 178-179 sur le contexte).
95 Bayliss 2011, p. 173-175 pour cet argument.
96 IG II3 877 l. 9-10 et 16-17.
97 Pour le lien entre Philippidès et Démocharès, comparer Philippidès dans Plut., Démétr., 12, 7 [ = PCG fr. 25] et Ps.-Plut., Vie des dix orateurs, Moralia, 851e. Paschidis 2008, p. 117 n. 2 dit que « a date in 303 or 302 for his exile is unanimously assumed ». À considérer les références qu’il donne, c’est faux (infra). L’essentiel du problème tourne ici autour du moment où l’on veut que Philippidès ait présenté ses vers moqueurs contre Stratoklès (PCG fr. 25), aux Lenaia ou aux Dionysia. À ma connaissance, seuls Habicht 1970b, p. 271, Paschidis 2008, p. 117 et Diefenbach 2015, p. 136 à sa suite, placent ces vers à une date ultérieure à Ipsos. Ferguson 1911, p. 123-124, qui les date de 301, songe à un départ légèrement postérieur. Tarn 1913, p. 95 et n. 12 place l’exil entre 307 et 301. Shear 1978, p. 49 le situe autour de 301, Mastrocinque 1979, p. 265 entre 302 et 301 (attribuant les pièces contre Stratoklès à la période 303-301 [p. 263]). De même chez Lund 1992, p. 86, qui date l’exil d’un peu avant la bataille d’Ipsos. Seul Habicht 1970b, p. 215 connecte l’exil de Démocharès et celui de Philippidès. On mentionnera aussi l’opinion de Philipp 1973, p. 506-507, qui exclut une date du IIIe siècle (il serait absurde de brocarder Stratoklès, alors vraisemblablement mort), et veut placer les vers en 301. De même, si O’Sullivan 2009a, p. 65-66 envisage une représentation en 284/3, elle n’exclut pas la date de 302/1 ; elle suppose en outre que Philippidès pouvait ne pas être à Athènes au moment de la représentation. Ce dernier argument est rejeté par Luraghi 2012, p. 365, qui revient à l’opinion de Philipp.
98 Cf. IG II3 911, décret honorifique pour Kallias de Sphettos proposé par Eucharès ; sur son appartenance au cercle des oligarques, cf. Habicht 1979, p. 23. Pour son rôle en 303, cf. IG II2 487 l. 4-10 et les commentaires de Hedrick 1999, p. 412. Pour le lien avec la politique de Démétrios, cf. Plut., Démétr., 8, 7 et Alexis dans Athénée 13, 601e [ = PCG fr. 99].
99 Plut., Dialogue sur l’amour, Moralia, 760a-b.
100 Pour Stratoklès, IG II2 486, SEG 16 58 et 36 164 ; pour Kalaidès, SEG 36 165.
101 Pour Stratoklès, IG II2 492, Syll.3 347 ; pour Stratios, IG II2 498 + SEG 52 102.
102 IG II2 498 + SEG 52 102 l. 10 sq. : « Attendu que Médeios, vivant auparavant à la cour d’Antigone, n’a cessé d’agir et de dire ce qui était le mieux pour les rois et pour le peuple des Athéniens, et [lui aussi] envoyé lorsque le roi Antigone a envoyé son fils, Démétrios, libérer la cité et les autres Grecs, il fut utile (ἐπει|δὴ Μήδειος πρότερόν τε παρὰ τῶι βασ|ιλεῖ Ἀντιγόνωι διατρίβων λέγων κα|ὶ πράττων τὰ ἄριστα διετέλει τοῖς τ|ε βασιλεῦσιν καὶ τῶι δήμωι τῶι Ἀθην|αίων καὶ συναποσταλεὶς ὅτε ὁ βασιλ|εὺς Ἀντίγονος ἀπέστελλεν τὸν ὑὸν α|ὐτοῦ Δημήτριον ἐλευθερώσο[ντ]α τ[ήν] | τε πόλιν καὶ τοὺς ἄλλους Ἕλ[ληνας, χρ]|ήσιμος ἦν). »
103 Thèses respectives de Paschidis 2008, p. 110-112 et Bayliss 2002.
104 On reprend l’idée de Paschidis 2008, p. 95-98 (avec bibliographie antérieure), qui ajoute plusieurs autres témoignages, procédant de manière à mon avis trop systématique. Le vandalisme sur le décret pour Néaios (cf. Osborne 1975) ne saurait être daté aussi précisément de 304 – on voit mal d’ailleurs pourquoi ce vandalisme, s’il était le produit d’une opinion publique hostile, n’aurait pas concerné les autres partisans des Antigonides. De même, il est difficile de voir dans la précision sur le contrôle des lois par les citoyens dans le décret pour Eucharès (IG II2 487) un élément d’hostilité contre Démétrios, d’abord parce que la réfection du corpus législatif s’est faite sous son autorité et ensuite parce que, précisément, les décisions de Stratoklès sont avalisées par l’assemblée, et donc légales. Enfin, je ne me risquerais pas à donner une explication intentionnaliste aux anomalies dans le cycle de rotation des tribus. Concernant les deux éléments que l’on reprend, ils sont d’ailleurs loin d’être certains. La dokimasia est certes une mesure démocratique, mais elle plaisait aux partisans de Démétrios, comme Stratoklès : non seulement il est l’homme politique le plus influent de la période, mais il a fait passer un certain nombre de décrets mentionnant ce contrôle. Cela ne le dérangeait pas et, par conséquent, pouvait bien n’être pas dirigé contre le roi (cf. Osborne 1983, p. 165). La précision sur la valeur légale des couronnes paraît de même contestable : il y a manifestement eu une phase d’incertitude (cf. Henry 1983, p. 26 à propos d’IG II2 493), tandis qu’on ne voit pas pourquoi il ne faudrait pas réintégrer cette précision dans la tendance plus générale à dire les procédures conformes à la loi (cf. Osborne 1972, p. 134-135, avec bibliographie antérieure en note).
105 Voir à cet égard Ferguson 1948, p. 124.
106 Voir les différentes versions du texte : Schweigert 1938 n° 22 (SEG 16 58) ou Koumanoudes – Matthaiou 1986, p. 14-17 (SEG 36 162) l. 13-17.
107 Koumanoudes 1986 l. 10-15 : περὶ οὗ ὁ βασιλεὺς ἐπέ[σ|τειλεν] τ̣ῆι βουλῆι καὶ τῶι δήμωι, ἀποφ|[αίνων φ]ίλον εἶναι αὐτῶι καὶ εὔνουν ε|[ἰς τὰ τῶν] βασιλέων πράγματα καὶ τὴν τ|[οῦ δήμο]υ τοῦ Ἀθηναίων ἐλευθερίαν καὶ | [συναγ]ωνιστὴν ὑπὲρ τῆς δημοκρατίας. Voir aussi IG II2 486.
108 Koumanoudes 1986 l. 18-20 : ἐπαινέσαι αὐτὸν ἀρετῆς | [ἕνεκα] καὶ εὐνοίας τῆς εἰς τοὺς βασιλ|[έας καὶ] τὸν δῆμον.
109 De fait, il est certain que les souverains utilisaient les lettres afin de communiquer aux cités la nouvelle de certaines victoires (Syll.3 352) ou certaines de leurs décisions (Syll.3 572), de même que leur revenaient par leurs amis les échos de la situation dans les cités, ainsi que les honneurs qui leur étaient votés (CID IV 11).
110 IG II2 484 + 558 (cf. Walbank 1990, p. 445-446) avec Burstein 1977 (SEG 26 89) renvoyant au combat de cavalerie décrit par Pausanias 1, 15, 1.
111 Woodhead 1997 n° 114 l. 2-9 : « Par mer [...] du peuple des Athéniens [...] des Grecs [...] Pleistarchos et [...] les cités grecques [...] asservies, les prenant de force [Démétrios] les fit libres et autonomes » ([․․․ κ]ατὰ θάλ[ατταν ․․․․․․․․․21․․․․․․․․․․|․․․]υούσης κα[․․․․․․․․․․․25․․․․․․․․․․․․|․ το]ῦ δήμου τοῦ Ἀ[θηναίων ․․․․․․․16․․․․․․․|․․]ι τῶν Ἑλλήνων π[․․․․․․․․․․22․․․․․․․․․․|αι Πλείσταρχον καὶ̣ [․․․․․․․․․20․․․․․․․․․|αι πόλεις Ἑλληνίδα[ς ․․․․․․․․18․․․․․․․․ ἐ]| πὶ δουλείαι λαβὼν κατὰ [κράτος ἐλευθέρας κα]|ὶ αὐτονόμους πεπόηκεν).
112 Ferguson 1948 n° 68 l. 22 sq. semble comprendre que la tribu fournissait de l’argent pour réaliser une procession en souvenir de ce qui avait été accordé ( ?) par Démétrios. Woodhead 1981 ou Woodhead 1997 n° 114 comprend qu’il s’agit de se souvenir des luttes (alors en cours) qu’on vient d’annoncer (ὑπόμνημα τῶν [νῦν ἀγγελθέ]ντων ἀγ[ώνων], cf. déjà J. et L. Robert, BE 1949 51 : en souvenir des victoires annoncées). Acceptée par certains (e.g. J. et L. Robert BE 1984 178, Rosivach 1987, p. 271), l’hypothèse est critiquée par Habicht 1984, p. 707 puis, plus en détail, dans Habicht 1990, p. 465-466, que l’on suivra ici (ἀγ[αθῶν] plutôt qu’ἀγ[ώνων]).
113 Matthaiou 1986 (SEG 36 165) l. 18-22 : ἀπέσταλκεν αὐτ[ὸν] | [ὁ βασιλεὺς ἀπαγ]γ̣ελοῦντα τῶι δήμω[ι τ|ὰ ἀρέσκοντα ἑαυ]τ̣ῶι ὑπέρ τε τῶν χωρί̣[ω|ν, ἃ κατέλαβεν Κάσσα]νδρος καὶ Πλείσ̣[τ|αρχος].
114 Matthaiou 1986, p. 21 (d’après la suggestion de Koumanoudes) y a vu une référence aux forts de Phylè et Panakton (de même, Paschidis 2008, p. 93 y voit une référence à Phylè, Panakton et peut-être Oropos, cf. Moretti 1976 n° 8 et le commentaire ad. loc.). Néanmoins, on peut faire remarquer que Plut., Démétr., 23, 3 rapporte que ces forts ont été libérés et rendus à la cité avant que Démétrios hiverne. Cela revient en outre à forcer le texte, en posant l’équivalence entre chôra et phrouria (BE 1988 430) : il s’agit de territoires, et non pas de forts. Dès lors, je ne vois pas pourquoi ces territoires correspondraient nécessairement à des sites en Attique. Ne serait-ce pas une proclamation concernant les cités libérées dans le Péloponnèse ?
115 Paschidis 2008, p. 93. La deuxième option est proposée par Gregory 1995, p. 16.
116 Outre Woodhead 1997 n° 114 pour Athènes spécifiquement, Diod., 20, 110, 4 rapporte la présence de 25 000 hoplites grecs dans l’armée de Démétrios Poliorcète en 302. L’émoi suscité par les assauts de Pleistarchos peut aussi être documenté à partir d’une tablette de malédiction, cf. Braun 1970, p. 197 et Jordan 1980, p. 234.
117 Il y a ici deux aspects : espace et temps. Multiplication des lieux de culte : si Habicht 1970b, p. 48-50 a raison, le retour de Démétrios en 304 (cf. Plut., Démétr., 23, 1-3) a été salué par l’érection d’un autel au Kataibatès, là où il était descendu de cheval. Multiplication des moments du culte : les honneurs de 307 impliquent un culte d’État aux Sauveurs tenu de manière régulière (cf. Habicht 1970b, p. 45 et n. 12). À cela peut s’ajouter une dévotion en quelque sorte privée, qui se produit à d’autres moments (cf. IG II2 3424 si l’on veut y voir mention d’un autel ; voir de même les exhortations finales de Moretti 1976 n° 7). À cela il faut ajouter les cultes décidés par les tribus, comme celle d’Akamantis ici.
118 Moretti 1976 n° 7 l. 8-20 : τούτων δὲ] | καὶ δεηθέντων ἡγεῖσθαι τῆ[ς ἐλευθερίας καὶ συναντιλαμβάνεσθαι τῶν] | κατὰ Πελοπόννησον πράξεων πο[ρευθεὶς εὐθὺς σὺν τοῖς ἐθελονταῖς ἐπιλέ]|κτοις ἐξέβαλεν ἐκ τῆς χώρας τοὺ[ς ὑπεναντίους, v τύχηι οὖν ἀγαθῆι δεδό|χ]θαι τοῖς ἐθελονταῖς ἐπιλέκτοι[ς ἐπαινέσαι ἀρετῆς ἕνεκα καὶ εὐνοίας | Δ]ημήτριον Ἀντιγόνου βασιλέα β[ασιλέως υἱὸν καὶ στῆσαι αὐτοῦ εἰκόνα | ἐ]φ’ ἵππου ἐν ἀγορᾶι παρὰ τὴν Δημο[κρατίαν· παρακαλέσαι δὲ Ἀθηναίους καὶ | τ]οὺς ἄλλους Ἕλληνας ἱδρύσασθαι Δ[ημητρίωι βωμοὺς καὶ τεμένη· τοὺς δὲ κα]|θισταμένους εἰς τὰς θυσίας τὰς [συντελουμένας ὑπὲρ Ἀντιγόνου καὶ Δημητ]|ρίου καὶ Δημητρίωι Σωτῆρι θύειν [. . . . . . .ἐπευχομένους ἐπὶ τῶν βωμῶ]|ν ὡς σεμνότατα καὶ κάλλιστα κα[ὶ ἀνειπεῖν τὰς τιμὰς τὰς ὑπὸ τῶν ἐθελον]|τῶν ἐπιλέκτων τῶι βασιλεῖ δεδ[ομένας, ὅπως ἂν, καθάπερ αὐτοὶ ἐκ τῶν ἰδί]|ων τετιμήκασιν τοὺς εὐεργέτ[ας, καὶ ἄλλοι αὐτοὺς ἐπιφανεστάταις τι]|μαῖς τιμῶσιν ἐπ[α]κο[λουθο]ῦντ[ες. Concernant la datation : Kyparissis – Peek 1941 ainsi que Wilhelm 1943 [ = Wilhelm 1984a, p. 819-825] attribuent ce texte à l’année 304, mais Moretti 1976 n° 7 pense que les l. 5 sq. font référence aux événements de 295/4, en raison d’un balancement temporel, et de la référence à Démétrios Sauveur seul, impliquant qu’Antigone est mort.
119 Sur le rôle des clauses hortatives dans les décrets honorifiques, voir Lambert 2011.
120 Plut., Démétr., 24, 7 cité plus haut (où il est à noter que les Athéniens accordent la remise) et 27, 1. Cette dernière référence est tout à fait douteuse. Si toutefois on lui cherche un contexte, on rapportera qu’Él., Histoire variée 9, 9 mentionne que les cités payaient à Démétrios 1 200 talents. Une telle somme ne pouvait servir à financer les frais de cosmétique de ses compagnes (de ce point de vue, l’anecdote ressemble à une reprise d’un topos élaboré par Douris à propos de Démétrios de Phalère, cf. dans Athénée 12, 542b-e [ = FGrHist 76 F 10] ; sur la confusion des deux personnages, cf. O’Sullivan 2009b, p. 309 n. 11). On y verra plutôt la contribution à un effort de guerre, qui n’est pas inédite concernant les Antigonides.
121 Plut., Démétr., 26, 1 et Diod., 20, 110, 1.
122 Plut., Démétr., 25, 1. Sur cette campagne, voir Dimitrakos 1937, p. 63-64, Elkeles 1941, p. 25-26, Manni 1951, p. 34, Wehrli 1968, p. 65-66 et 149, Will 1979, p. 78. Le Béotien oublie la prise de plusieurs cités par les armes avant que le sort réservé au gouverneur d’Orchomène en Arcadie, Strombichos, ne fasse plier les autres (voir Diod., 20, 102, 2 avec Polyen, 4, 7, 3 et Woodhead 1997 n° 114 pour la prise vraisemblablement navale de Sicyone ; de même voir Diod., 20, 103, 1 pour la prise de Corinthe, et Diod., 20, 103, 4-5 pour Bura en Achaïe et Orchomène en Arcadie). Il y a une part de vrai néanmoins, puisque, à Argos, la garnison macédonienne s’est littéralement évaporée (pour sa présence voir Piérart 2000, p. 309, qui mentionne une inscription non publiée). En effet, une épigramme locale dit qu’on y célèbre des sacrifices en souvenir chaque mois de S… depuis qu’une nuit Pleistarchos, le lieutenant de Cassandre, a été chassé par Apollon – en qui il faudrait reconnaître Démétrios (Moretti 1976 n° 39 ; pour l’identification Apollon-Démétrios, cf. Vollgraff 1908, p. 240, Moretti 1976, p. 90, Piérart 1987, p. 177). Je laisse de côté le problème de savoir si Argos n’a pas été quand même prise par les armes (cf. Beloch 1927, p. 367 n. 1).
123 Sur le rôle de Démétrios dans la reconstruction de la cité, Pausanias 2, 7, 1 ; Strab., Géogr., 8, 382, et sur le rôle évergétique de Lamia, Polémon dans Athénée 13, 577c [ = fr. 14 Preller].
124 Diod., 20, 102, 2-3.
125 Leschhorn 1984, p. 98 sq. et 260 sur le cas de Démétrios à Sicyone.
126 Habicht 1970b, p. 75 avec bibliographie antérieure. Sur la hiérarchisation, voir Hypéride, Oraison funèbre 21, et en général les raisonnements de Buraselis 2003.
127 Woodhead 1997 n° 115 avec Camp II 2003 (SEG 53 101) qui permet d’assurer la date. Le fragment B, mentionnant les honneurs votés aux ambassadeurs de Sicyone, est très mutilé. Le fragment A qui le suit, non jointif, mentionne Démétrios et les Sauveurs au datif : on aimerait y voir des honneurs votés, mais là encore le texte est trop mutilé.
128 Plut., Démétr., 2, 2.
129 Cf. Boëthius 1922, p. 1 et Charneux 1957, p. 200.
130 Plut., Pyrrh., 4, 3 et les commentaires de Lévêque 1957, p. 104. Sur ce mariage, voir la synthèse chez Seibert 1967, p. 28-29.
131 Wiemer 2009 pour cette distinction.
132 De fait, il est possible que Démétrios ait eu recours à cet expédient à plusieurs reprises : son retour à Athènes en 295 paraît avoir coïncidé avec les Dionysia (Thonemann 2005, p. 82 sq.) et son arrivée telle que présentée dans l’hymne ithyphallique a, d’après certains savants, coïncidé avec des rites pour Déméter (voir d’ailleurs le lien postulé avec Plut., Démétr., 12, 1 par une historiographie pléthorique, depuis Ferguson 1948, p. 132 n. 43 jusqu’à Chaniotis 2011, p. 163). Il ne paraît pas non plus invraisemblable que Démétrios ait présidé les jeux néméens dans la foulée. En tout cas, deux de ses successeurs le feront. Antigone Dôson s’y rend après Sellasie, et y obtient de grands honneurs (Pol., Hist., 9, 36, 5 ; cf. en général Le Bohec 1993, p. 459-460) et Philippe V s’y rend aussi plus tard pour valoriser sa figure de philhellène, après s’être rendu aux Heraia (Pol., Hist., 10, 26 et Liv., Hist. Rom., 27, 31, 3-8).
133 Plut., Démétr., 25, 4. Cf. Robert 1946, p. 27 n. 3 et Ferguson 1948, p. 122-123.
134 Voir Diod., 20, 46, 5, Schmitt 1969, p. 75 ; d’après Buraselis 1982, p. 73 sq., cette première alliance s’articulait autour de la Ligue des nésiotes (cf. IG XI 4, 1036). Pour la participation d’Athènes à la Ligue, cf. Woodhead 1997 n° 122. Sur la Ligue elle-même, Schmitt 1969 n° 446 et dernièrement Harter-Uibopuu 2003. Sur la date de cette fondation (303 ou 302), cf. Paschidis 2008, p. 92 n. 1. La deuxième date est généralement choisie par les savants depuis l’étude de Louis Robert sur Adeimantos.
135 CID IV 11 et les commentaires de l’éditeur.
136 On rappellera d’ailleurs que Dimitrakos 1937, p. 62 n. 125 avait relevé dans l’épigraphie contemporaine l’existence de formules introduisant, à côté de l’intérêt du peuple, celui des rois, manifestant comme une double allégeance. Ainsi par exemple IG II2 486 l. 12-14 (idem dans SEG 36 164 et 165), IG II2 558 l. 12-14 (idem dans IG II2 495 + 709 l. 18-20 et Syll.3 347 l. 19-21), Woodhead 1997 n° 122 l. 10-12 (idem dans IG II2 492 l. 20-21 et IG II2 498 l. 13-15) et IG II2 491 l. 23-27. On ajoutera peut-être Schweigert 1937 n° 4 l. 28-30.
137 À titre de comparaison, voir les raisonnements de Mariot 2017 à propos de la mort volontaire de Robert Hertz, convaincu en tant que Juif de devoir faire plus que les autres, piégé peu à peu par ce qu’il écrivait à ses proches.
138 Bertrand 1990, p. 108-112, Ma 2004 ou Ma 2013, p. 45 sq. sur la « politique de l’accusatif ». De même, Price 1984, p. 29 sq., dont les idées ont été reprises récemment par Wiemer 2009 à propos des festivités civiques et appliquées par Mari 2016, p. 168 au problème de l’apantèsis.
139 Henrichs 1999, Kuhn 2006.
140 Voir à cet égard Kralli 2000, p. 122. Sur la situation d’Athènes, Dreyer 1999, p. 150-152.
141 Favret-Saada 2011.
Auteur
Université Bordeaux Montaigne – UMR 5607 Ausonius – paul.cournarie@gmail.com
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