Comparer Rome, Alexandre et Babylone : la question de l’exceptionnalité de l’empire de Rome aux IVe-VIe siècles
Résumés
Le débat sur l’exceptionnalité de l’empire de Rome dura de 200 avant notre ère à 700 après notre ère, dans trois contextes successifs. Le premier fut celui des auteurs classiques, de Polybe à Plutarque, qui comparèrent l’empire de Rome à celui d’Alexandre avec des arguments géographiques et de mœurs. Le deuxième contexte de réflexion fut celui des rabbins qui, du IIe au VIIe siècle, intégrèrent Rome dans une histoire divine dialectique de Rome-Ésaü et d’Israël-Jacob. Le dernier contexte de discussion fut celui des chrétiens, qui comparèrent d’abord l’empire de Rome à celui du Christ, puis qui insistèrent sur sa dimension messianique à cause de la naissance de Jésus de Nazareth sous le règne d’Auguste et qui enfin comparèrent parfois historiquement, et non seulement typologiquement, les empires de Rome et de Babylone. Mais la référence à Alexandre ne disparut pas totalement du discours chrétien, et la comparaison historique entre Rome et Babylone fut une originalité latine entre 417 et 425 avec Orose et Augustin.
The debate over the Roman Empire’s exceptional character lasted from 200 BCE until 700 CE, taking place in three different contexts. Firstly, classical authors from Polybius to Plutarch compared the Roman Empire with that of Alexander, in both geographical and moral terms. Secondly, from the 2nd century CE to the 7th century, the rabbis reflected about Rome through the prism of the divine and dialectical history of the relationship between Rome-Esau and Israel-Jacob. Finally, the Christians compared the Roman Empire to the Kingdom of Christ or insisted on the empire’s messianic dimension embodied in Christ’s birth during the reign of Augustus. Alternatively, Christians compared Rome to Babylon, not only from a typological perspective but also from a historical one. The comparison to Alexander, however, did not completely disappear from Christian discourse, and the historical comparison between Rome and Babylon represents a specific feature in the Latin context of a debate between Orosius and Augustine which took place between 417 and 425.
Entrées d’index
Mots-clés : Empire romain, Alexandre, Aphraate, Augustin, Orose
Keywords : Roman empire, Alexander, Aphraat, Augustine, Orosius
Texte intégral
1La réflexion sur les empires apparut d’abord vers 2150 av. J.-C., en lien avec l’empire d’Akkad, qui se définit comme la première domination universelle1. Mais si la tradition de la translation de la monarchie-une survécut durant deux millénaires à Babylone, jusqu’à Bérose, elle fut ensuite supplantée par une autre conception, celle de la succession des empires. Celle-ci s’appuyait sur les chroniques assyriennes mais fut une création des pouvoirs mède ou perse, successeurs des Assyriens. On la trouve signalée chez Hérodote et peut-être chez Ctésias, et elle prit sa forme canonique après Alexandre sous la forme d’une série grecque de quatre peuples impériaux (Assyriens, Mèdes, Perses, Macédoniens, ceux-ci désignant selon les cas Alexandre et les Séleucides ou Alexandre et les Lagides). On en connaît une variante judéenne, centrée sur Israël, apparue vers 165 avant notre ère en lien avec la révolte des Maccabées, dans le livre de Daniel : elle incluait les Babyloniens, les Mèdes, les Perses et les Macédoniens (Alexandre et les Séleucides). Lorsque l’on prit en compte l’empire de Rome, on obtint soit une série classique de cinq empires (les quatre empires de la tradition grecque et celui de Rome), soit une série classique de quatre empires (ceux des Assyriens, des Mèdes et des Perses, des Macédoniens (séleucides ou plus souvent lagides), des Romains), soit une série juive de quatre empires après la révolte juive de 66-70 (ceux des Babyloniens, des Mèdes et des Perses, des Macédoniens séleucides, des Romains)2.
2Sur ce schéma général de la succession des empires vint se greffer à partir de 168 avant notre ère une autre question, celle de l’exceptionnalité de l’empire de Rome. Celle-ci était par nature fort différente de la première, parce qu’elle concernait un empire contemporain et que la réponse apportée, malgré une argumentation historienne, intégrait forcément un jugement de valeur, d’origine politique, religieuse ou philosophique. On en discuta durant environ neuf siècles, de 200 avant notre ère à 700 après notre ère, dans trois contextes successifs. D’abord, elle fut débattue entre les lettrés grecs et romains durant environ trois siècles, de Polybe3 à Plutarque4, et la discussion porta essentiellement sur la comparaison entre l’empire d’Alexandre et celui de Rome, à partir de deux arguments, celui de l’universalité spatiale (dans le monde connu alors des géographes, de l’Atlantique au Gange) et celui du fondement de la domination. Les opposants à Rome affirmaient que l’empire d’Alexandre avait été plus universel que celui de la Ville et que les Romains ne devaient qu’à la Chance (Tychè, Fortuna) ce qu’Alexandre avait obtenu par son excellence (arétè). Les partisans de Rome pensaient que l’empire de Rome était aussi, voire plus universel que celui du Macédonien, et que les vertus supérieures des Romains justifiaient leur domination. Ils l’emportèrent au IIe siècle de notre ère, lorsque les victoires de Rome contre les Parthes disqualifièrent ces derniers comme potentiels co-héritiers, avec Rome, de l’empire d’Alexandre5.
3Le deuxième contexte de réflexion sur l’exceptionnalité de l’empire de Rome fut celui des rabbins qui, du IIe au VIIe siècle de notre ère, intégrèrent Rome dans une histoire divine dialectique entre Rome-Ésaü et Israël-Jacob6. Ceci était fort différent des critiques de Rome attestées chez les Judéens depuis 63 avant notre ère7 : l’affirmation de Rome comme empire diabolique que Dieu détruirait, les comparaisons avec Babylone ou Tyr, ou l’insertion de Rome dans l’interprétation de la série des quatre empires de Daniel8, car il s’agissait bien de donner un statut exceptionnel, quoique négatif, à l’empire de Rome. Ceci ne passait pas forcément par une comparaison avec les autres empires, même si les remarques sur le pouvoir d’Alexandre allaient en ce sens9.
4Le dernier contexte de discussion sur le statut particulier de l’empire romain fut celui des chrétiens. Ils réfléchirent d’abord à l’exceptionnalité de l’empire du Christ en le comparant géographiquement avec celui de Rome, et ce dès le IIe siècle. Ils pensèrent ensuite la paix et la prospérité romaines en termes messianiques à partir de la naissance de Jésus de Nazareth sous Auguste. Et surtout, héritiers culturels de toutes les théories antérieures, ils synthétisèrent les listes classique et judéenne de la succession des empires, en créant à partir d’Eusèbe de Césarée un empire assyro-babylonien qui n’avait jamais existé, mais qui fut repris par Jérôme et transmis aux Latins. Un siècle plus tard, Orose et Augustin comparèrent historiquement Rome à Babylone, et non seulement typologiquement comme le faisaient les juifs et la plupart des chrétiens grecs10.
5Ainsi, les choses paraissent simples : après une phase classique, où l’on compara les empires de Rome et d’Alexandre sur la base d’arguments fondés sur la géographie et les mœurs, il y eut une phase chrétienne où l’on établit un parallèle entre Rome et Babylone sur la base d’arguments religieux et chronologiques. En réalité, comme on va le voir, le dossier est plus complexe. D’abord, la référence à Alexandre ne disparut pas totalement du discours chrétien, soit pour des raisons exégétiques (chez Aphraate, vers 337), soit pour des raisons culturelles (chez Orose, vers 417), soit pour des raisons politiques (à Constantinople, sous Justinien, vers 536-39). Ensuite, la comparaison historique entre Rome et Babylone fut surtout le fait d’Orose et d’Augustin entre 417 et 420. Les comparaisons chrétiennes explicites entre Rome et les autres empires furent donc peu nombreuses et dispersées dans le temps et les aires culturelles, et il faut expliquer pourquoi.
6Depuis Polybe, la plupart des discours insistant sur la supériorité de Rome visaient à renforcer sa domination idéologique et à combattre toute idée de révolte. En ce sens, c’étaient de vrais savoirs-pouvoirs. Toutefois, avec la paix augustéenne et la prospérité impériale, les victoires militaires de Rome face aux révoltes (en particulier des Juifs, écrasés trois fois de 70 à 135) et à ses ennemis extérieurs (en particulier les Parthes, battus trois fois sous Trajan, Marc Aurèle et Septime Sévère) et également à cause de la romanisation juridique des notables de l’Empire (avant celle de la plupart des personnes libres en 212), l’idée de l’exceptionnalité de l’empire de Rome était devenue majoritaire parmi les élites vers 200. On considérait qu’il était non seulement plus puissant que tout autre royaume contemporain, mais également plus que tout autre empire antérieur, y compris celui d’Alexandre. L’extension spatiale de l’imperium sine fine était reconnue comme s’étendant jusqu’aux confins du monde, et si sa durée n’excédait pas encore celle de l’Assyrie, cela adviendrait un jour puisque l’aeternitas lui était promise. De ce fait, on se contenta généralement au IIe siècle de faire des allusions rhétoriques à l’exceptionnalité de Rome, comme dans la préface de l’Histoire romaine d’Appien, en particulier en affirmant son statut de dernier empire, car c’était devenu une évidence partagée et non plus une question qui devait être discutée. Seuls les juifs et les chrétiens refusèrent une durée perpétuelle de Rome au nom d’une fin de ce monde, millénariste ou eschatologique, et contestèrent son expansion géographique universelle au regard de celle de la royauté divine ou ensuite de l’empire du Christ. Après avoir rappelé les perspectives religieuses chrétiennes permettant de penser l’empire de Rome aux Ier-IIIe siècles, on s’intéressera aux réflexions historiennes chrétiennes sur l’exceptionnalité de l’empire de Rome du IVe au VIe siècle, par le biais de la comparaison de l’empire romain avec celui d’Alexandre, et avec celui de Babylone.
Les perspectives religieuses chrétiennes
7Les perspectives religieuses chrétiennes des deux premiers siècles sur la puissance de Rome furent au nombre de quatre. La première affirmait que l’empire de Rome était l’empire du Diable ; cette théorie était un héritage judéen ; elle est attestée à la fin du Ier siècle dans l’Apocalypse de Jean, et on la retrouve dans l’In Danielem du Pseudo-Hippolyte vers 204. Elle est ensuite abandonnée par les responsables des communautés chrétiennes, même si elle a pu être reprise par les fidèles lors de la répression de Dèce (250) et des persécutions de Valérien (257-260) et des Tétrarques (303-311). En revanche, le discours sur les empereurs persécuteurs fut plus durable11, car il perdura après Constantin, soit dans l’hagiographie des martyrs, soit dans les groupes non liés au pouvoir impérial et qui pouvaient dénoncer un empereur chrétien jugé hérétique comme un persécuteur diabolique ; ce discours se retrouve aux IVe-Ve siècles chez les donatistes, les nicéens ou les homéens.
8La position chrétienne affirmant que l’empire du Christ était plus vaste que celui de Rome et qu’il était donc le seul universel, exista dès les années 150, et fut argumentée de diverses façons : listes des régions du monde dans une argumentation fondée sur les missions apostoliques12 ; diffusion de la foi chrétienne parmi les nations du monde vers 200 dans le Traité des lois des Nations de Bardesane d’Édesse (proche des mentions talmudiques des nations où on trouvait les Juifs de la diaspora) ; évolution du thème de l’empire du Christ au IVe siècle lorsqu’on passa de la présence universelle de communautés chrétiennes parmi les nations13 à la conversion des rois et des peuples14 (Arménie, empereurs romains, Géorgie, Axoum, Saracènes). Si Eusèbe de Césarée utilisa également l’argument de la conversion de peuples extérieurs à l’empire romain dans son Histoire ecclésiastique, il utilisa un autre procédé dans les Canons de sa Chronique : en effet, dans ce tableau chronologique synoptique, non seulement l’empire de Rome est le dernier dans le temps, mais il est également le seul à être universel, puisqu’il est l’unique à rassembler tout l’espace des colonnes consacrées précédemment aux autres royaumes.
9L’affirmation chrétienne selon laquelle Rome était le quatrième royaume de Daniel était une reprise d’héritages judéens. Elle est attestée à partir de 180 dans les écrits chrétiens, pour la première fois chez Irénée de Lyon, et devient commune ensuite15. Après la conversion des empereurs, puis la christianisation du pouvoir impérial, cette conception positive envers Rome perdura au moins jusqu’au XVIe siècle, tant à Byzance que dans l’Occident latin avec le Saint Empire Romain Germanique et structura en partie l’écriture des chroniques universelles médiévales. Elle persista chez les chrétiens vivant dans l’empire omeyyade jusqu’à la fin du VIIe siècle, comme le montre la rédaction en syriaque de l’Apocalypse du Pseudo-Méthode.
10L’idée chrétienne des liens entre les deux réalités, jugées exceptionnelles et positives, qu’étaient l’empire romain et le christianisme fut développée à partir de 180, sous trois formes différentes. La première insista sur le synchronisme entre le règne d’Auguste et la naissance du Christ : la paix romaine fut définie comme la paix messianique chez Méliton de Sardes ; Origène d’Alexandrie (Contre Celse II, 30) affirma que l’empire de Rome avait été voulu par Dieu pour permettre le rassemblement des nations et faciliter leur évangélisation par les apôtres ; et Eusèbe de Césarée fit le parallèle entre la monarchie divine du monothéisme et la monarchie augustéenne de Rome, les deux manifestant la victoire de l’unité sur la division16. La deuxième thématique fut celle, religieuse et politique, des relations entre l’empire romain et l’Église, posée dès la fin de 312 avec la conversion de Constantin, et attestée ensuite chez Donat le Grand, Ossius de Cordoue, Optat de Milev, Ambroise de Milan, Augustin d’Hippone et le pape Gélase ; le débat allait perdurer durant tout le Moyen-Âge17. Le troisième aspect fut en revanche marginal : il s’agit du lien établi entre l’Empire romain et le royaume messianique de Daniel par Cosmas Indicopleustès (Constantin d’Antioche) vers 548 dans la Topographie chrétienne (II, 74 et 75).
Les comparaisons chrétiennes entre l’empire d’Alexandre et l’empire de Rome (337-539)
11Dans ces réflexions sur les relations entre empire romain et christianisme, l’empire d’Alexandre joua parfois un rôle d’argument dans le cadre d’une comparaison chrétienne entre l’empire d’Alexandre et l’empire de Rome. Si cela reste rare, on la retrouve ponctuellement chez des chrétiens syriaques, latins et grecs, de manière indépendante et dans des contextes différents, soit pour des raisons exégétiques (chez Aphraate, vers 337), soit pour des raisons culturelles (chez Orose, vers 417), soit pour des raisons politiques (à Constantinople, sous Justinien, vers 536-39).
12En 337, alors que la guerre semblait imminente entre l’empereur romain Constantin et le roi des rois sassanide Shapour II, un chrétien de Perse, nommé ensuite Aphraate dans la tradition manuscrite, écrivit un poème didactique syriaque, un memrè18, dans lequel il interprétait les visions sur les empires du livre de Daniel dans un sens favorable aux Romains. Il développa trois arguments principaux. Le premier était que puisqu’Alexandre avait battu les Perses achéménides, les Romains présentés comme les successeurs d’Alexandre battraient les Perses sassanides. Le deuxième était que les Romains l’emporteraient car ils étaient protégés par le Christ qui était Romain19. Le troisième était que les Romains, fils d’Ésaü20, étaient les gardiens du pouvoir universel en attendant la Parousie21.
13L’auteur développe deux points importants pour notre propos. D’abord, l’empire d’Alexandre est posé comme étant le même que celui des Romains, de deux manières : par une formule générale, puis par la chronologie successives des rois des Grecs puis des Césars22. Cela correspond à la conception du monde vue de la Mésopotamie. Pour des araméophones soumis aux Parthes, la Syrie conquise par Alexandre avait bien été dirigée par les Séleucides puis par les Romains. De plus, l’utilisation en Mésopotamie d’une même ère depuis 312 av. J.-C., dite « ère des Grecs » ou ère d’Alexandre (mais en fait de Séleucos), employée par Aphraate puis par les Syriaques, amenait à concevoir une continuité chronologique, voire une unité de nature entre l’empire d’Alexandre et celui de Rome. Toutefois, la supposition de l’existence d’un empire gréco-romain se heurtait en partie à la définition des rabbins et d’Aphraate concevant les Romains comme « fils d’Ésaü », et donc comme descendants de Sem, alors que les Grecs (Yavan) étaient considérés comme des descendants de Japhet. C’était enfin une prise de position idéologique, puisque cela écartait les Parthes puis les Sassanides de la prétention à l’empire universel : seule Rome avait succédé à Alexandre.
14La seconde idée d’Aphraate est que la Parousie sera une passation de pouvoir pacifique, lorsque les Romains chrétiens remettront le royaume au Christ glorieux, ce pouvoir ayant été successivement aux mains des fils de Cham (Assyriens), des fils de Japhet (Mèdes, Perses, Grecs) et des fils de Sem (les Romains). Ainsi, l’empire de Rome, sémitique et chrétien, était-il bien exceptionnel. Ce texte extrêmement riche empruntait à des traditions diverses : celle des chroniques gréco-romaines pour les listes de dirigeants séleucides et romains, celles des Juifs pour la succession des empires de Daniel incluant les Séleucides et non les Lagides, celle des rabbins pour les Romains fils d’Ésaü et celle de la propagande romaine chrétienne de Constantin pour le lien entre Rome et le Christ.
15En 417, Orose publiait ses Histoires contre les païens. Cet ouvrage, prévu à l’origine pour être un complément d’érudition historique aux thèses théologiques du De la cité de Dieu contre les païens d’Augustin d’Hippone, développa en réalité des idées très peu augustiniennes. Orose, dans la lignée des thèses d’Eusèbe de Césarée et de l’idéologie de l’empire chrétien théodosien, affirma l’existence d’un lien nécessaire entre Rome et le christianisme depuis Auguste. Il développa également une théorie originale des quatre empires de Daniel, en lien avec les points cardinaux et structurée par une combinaison chronologique complexe. Alors que les empires de Babylone (à l’est) et de Rome (à l’ouest) devaient durer 14 siècles, ceux de Macédoine (au nord) et de Carthage (au sud) ne devaient durer que 7 siècles23. L’empire macédonien n’était donc qu’un quart d’empire spatial et un demi-empire temporel, et la succession du regnum universel se faisait en réalité directement de Babylone à Rome (tab. 1).
16Néanmoins, Orose reprit tout de même un argument ancien, présent quatre siècles plus tôt chez Trogue Pompée, qui affirmait que l’empire d’Alexandre avait bien été universel, voire le seul universel, puisque revenu à Babylone après avoir conquis l’Orient, il y avait reçu les ambassades des peuples occidentaux qui venaient lui faire leur soumission24. Mais cet empire universel25 n’avait duré que quelques mois et n’était resté que potentiel, puisqu’Alexandre n’avait pas eu le temps de conquérir l’Occident avant sa mort. Or, Orose affirma que l’empire d’Auguste avait été tout aussi universel, puisque Rome avait conquis l’Occident et reçu les ambassades des puissances orientales qui venaient faire leur soumission26, reprenant ainsi un thème important de la propagande augustéenne (Res gestae 31), développé ensuite jusqu’au IVe siècle. Enfin, l’empire de Rome, qui relevait des tempora christiana depuis Auguste selon le modèle eusébien suivi par Orose, était forcément plus heureux et pacifique que celui d’Alexandre, maître de la guerre et de la ruine, puisqu’il participait de l’ère messianique27. Ceci explique que les Parthes rendent les étendards pris à Crassus et qu’Auguste, maître de la paix et de la prospérité, puisse fermer les portes du temple de Janus en signe de paix universelle28.
Tab. 1 – chronologie du devenir des quatre empires de Daniel en relation avec les points cardinaux, selon Orose, Histoires contre les païens (417).
Regnum babylonien (est) | Regnum macédonien (nord) | Regnum carthaginois (sud) | Regnum romain (ouest) | |
Début du règne de Ninus | ||||
54 ans après le début du règne de Ninus | Début du règne de Sémiramis, épouse de Ninus | |||
64 ans après le début du règne de Ninus | Fondation de Babylone par Sémiramis et début du regnum babylonien | |||
Année 1164 du regnum babylonien = 817 av. J.-C. | Déchéance de Babylone (suicide de Sardanapale) | Début du regnum macédonien | Début du regnum carthaginois | Début du règne de Procas |
64 ans après le début du règne de Procas Année 1228 du regnum babylonien = 753 av. J.-C. | An 64 du regnum macédonien | An 64 du regnum carthaginois | Fondation de Rome par Romulus et début du regnum romain | |
Année 1400 du regnum babylonien = 581 av. J.-C. | Destruction de Babylone prise par Cyrus | |||
Année 700 des regna macédonien et Carthaginois = 117 av. J.-C. | Fin du regnum macédonien | Fin du regnum carthaginois | ||
Année 700 du regnum romain = 53 av. J.-C. | Incendie de Rome | |||
Année 752 du regnum romain = naissance du Christ | Fermeture du temple de Janus = paix universelle | |||
Année 1164 du regnum romain = 410 ap. J.-C. | Sac de Rome par Alaric | |||
Année 1400 du regnum romain = 647 ap. J.-C. | Fin du regnum romain (et fin du monde) |
17Les dates sont parfois contradictoires, car Orose a dû prendre des libertés avec la chronologie pour arriver à construire son système. Il est impossible de le rendre cohérent.
18Dans une chronique universelle alexandrine29 écrite en grec, rédigée vers 412, puis complétée vers 535 à Constantinople et offerte en cadeau diplomatique vers 536-539 (traduite deux siècles plus tard en latin, sans doute à Corbie, elle est connue depuis la Renaissance sous les noms de Excerpta latina Barbari ou de Barbarus Scaligeri) par Justinien à Théodebert, roi des Francs, on trouve une version du testament d’Alexandre (Livre I, chapitre 8). Le testament d’Alexandre est un faux qui fut rédigé quelques années après la mort du conquérant, vers 317 av. J.-C., et qui visait à l’origine à appuyer les revendications territoriales de Polyperchon, l’un des généraux d’Alexandre, alors régent de Macédoine30. Il fut ensuite intégré à la tradition de la Vie d’Alexandre du Pseudo-Callisthène (rédigée au IIIe siècle à Alexandrie), puis au Roman d’Alexandre connu dans l’Antiquité tardive en grec, en latin, en syriaque et en arménien31. Ces textes firent perdurer la figure d’Alexandre comme conquérant universel dans l’imaginaire de l’Antiquité tardive.
19Toutefois, le texte de la chronique universelle alexandrine présente une variante inconnue ailleurs et qui fut sans doute créée pour intégrer les Francs catholiques, alors alliés objectifs de Justinien contre les Ostrogoths homéens installés en Italie, dans l’histoire universelle. En effet, on n’y suppose ni l’existence de l’empire historique d’Alexandre (décrit par la tradition du testament d’Alexandre) ni celle d’une domination universelle particulière au Macédonien (supposée potentielle par Trogue Pompée par le biais des ambassades et affirmée comme réelle par la tradition du roman d’Alexandre qui suppose la conquête de la Sicile, une intervention en Italie – où les Romains acceptent de devenir ses alliés et de fournir hommes et argent – et en Afrique – où Carthage doit accepter de payer tribut –, avant d’aller attaquer les Perses), mais celle d’un empire universel dominant tant l’Orient que l’Occident depuis les Assyriens et Chaldéens jusqu’au conquérant macédonien, via les Perses et Mèdes32. L’existence de cet empire universel d’origine orientale (qui renvoie en fait au temps de Darius lorsque la Macédoine était tributaire de la Perse achéménide) est à la fois affirmé explicitement dans la chronique universelle alexandrine comme s’étendant depuis les Portes Caspiennes jusqu’aux colonnes d’Hercule de Gades-Cadix33, et décrit de manière régionale dans le testament d’Alexandre de la chronique universelle alexandrine avec la mention de l’Espagne34 (et dans la traduction latine ultérieure, de la Carmanie comprise comme la Germanie). Le fait qu’Alexandre apparaisse dans ce texte comme le dernier souverain universel (et non comme le premier et le seul comme chez Trogue Pompée ou le Pseudo-Callisthène) suppose que les empires suivants, dont celui des Romains, n’ont pas dominé le monde entier. On peut y voir la fin du rêve virgilien et augustéen de l’imperium sine fine et la prise de conscience définitive de la puissance sassanide qu’il n’était plus question sous Justinien de faire semblant de traiter en vassale. La chronique universelle alexandrine racontait en revanche comment Alexandre avait libéré les peuples occidentaux (Romains, Grecs, Égyptiens et Libyens35, ce qui correspond à l’empire de Justinien vers 535 après la reconquête de l’Afrique vandale et en anticipant la fin de la reconquête de l’Italie ostrogothique) du joug oriental. Ceci permettait de présenter la Romania de Justinien comme une terre de liberté et de droit face au despotisme oriental sassanide, selon une argumentation classique remontant aux Grecs du Ve siècle avant notre ère face à l’empire perse achéménide.
Les comparaisons chrétiennes entre l’empire de Babylone et l’empire de Rome chez Orose et Augustin (417-425)
20L’autre comparaison, celle entre les empires de Babylone et de Rome, se trouve chez Augustin et Orose. Mais alors qu’Augustin avait formulé une relation typologique entre Babylone et Jérusalem36 en 399-400, Orose développa un parallèle historique entre Babylone et Rome en 417. Ceci amena Augustin à réfléchir sur le destin des trois villes vers 425.
21Orose développa une comparaison historique systématique entre Babylone et Rome. On a évoqué plus haut sa conception particulière des quatre empires de Daniel, qui affirmait que ceux des Assyriens et des Romains devaient durer 14 siècles, deux fois plus longtemps que les deux autres, macédonien et carthaginois. À cela, il faut ajouter qu’Orose ne compara pas seulement les deux empires, mais également les deux villes de Babylone et de Rome. En effet, pour parvenir à une durée de 14 siècles pour l’empire oriental, Orose fut obligé d’ajouter l’empire des Assyriens, des Mèdes et des Néo-Babyloniens ; pour justifier cela, il affirma que Babylone fut la capitale d’un empire assyro-chaldéen qui était une invention d’Eusèbe de Césarée. Et pour parvenir aux 14 siècles de Rome, Orose partait de la fondation de la Ville et non de l’établissement de son empire ; or, ce raisonnement ab Urbe condita était typiquement latin, et nullement grec. Il perturbait, et en fait détruisait, le schéma classique de succession des empires, puisqu’en réalité on passait directement de l’empire de Babylone à celui de Rome.
22Comme il existait deux empires supérieurs et deux empires de transition, Orose compara les destins parallèles des deux empires exceptionnels voulus par Dieu (Tableau 2). Orose reprit le parallèle eusébien entre la naissance d’Abraham dans la 43e année de Ninus, et celle du Christ, dans la 43e année d’Auguste, et constata que la fondation de Babylone eut lieu 64 ans après le début du règne de Ninus, et celle de Rome 64 ans après le début du règne de Procas. Il trouva d’autres correspondances entre les destins des quatre empires de Daniel37. Il posa également que l’an 1164 de Babylone fut celui d’une catastrophe, celle de la mort du dernier roi assyrien, déposé par un usurpateur mède, ce qui entraîna la déchéance de la ville, et que l’an 1164 de Rome fut celui d’une autre catastrophe, celle du sac de la Ville par Alaric.
Tab. 2 – les événements parallèles entre les destins des empires de Babylone et de Rome selon Orose, Histoires contre les païens (417).
Regnum babylonien (fondé par Sémiramis) | Regnum romain (fondé par Romulus) | Empire romain (fondé par Octave-Auguste) |
An 1 du règne de Ninus = 1300 (ou 1307) ans avant la fondation de Rome | ||
An 43 du règne de Ninus = naissance d’Abraham | An 43 du règne d’Auguste = naissance de Jésus-Christ | |
An 54 le début du règne de Ninus = règne de Sémiramis | ||
An 64 depuis le début du règne de Ninus = fondation de Babylone et du regnum babylonien | An 64 depuis le début du règne de Procas = fondation de Rome et du regnum romain | |
An 1164 du regnum babylonien = déchéance de Babylone (fin de la monarchie assyrienne et regnum babylonien partagé entre Mèdes et Chaldéens) | An 1164 du regnum babylonien = An 1 du règne de Procas = fondation des regna macédonien et carthaginois | An 1164 du regnum romain = sac de Rome par Alaric (410 ap. J.-C.) |
An 1400 du regnum babylonien = prise de Babylone par Cyrus | An 1400 du regnum babylonien = 157 a. U. c. = fin du règne des Tarquins | An 1400 du regnum romain = fin du monde et Parousie (647 ap. J.-C.) |
23Toutefois, la comparaison s’arrête là, car la supériorité de Rome est évidente chez Orose, pour plusieurs raisons. D’abord, si Rome est née en Occident, elle contrôle bien les territoires des deux empires intermédiaires et donc 3 points cardinaux sur 4. L’empire perse sassanide, comme jadis celui de Babylone, ne domine qu’un quart du monde et n’a donc qu’un tiers de la puissance de celui de Rome. Ensuite, grâce à la concordance chronologique de l’empire de Rome et du Christ sous Auguste, l’existence des christiana tempora fait que les peuples soumis à Rome vivent une époque de paix et de bonheur incomparable : Ninus fut le premier roi de la guerre mais Auguste fut celui de la paix christique38.
24Cette dimension divine de l’empire de Rome, liée au Christ et non aux empereurs chrétiens, était un héritage de Méliton de Sardes, d’Origène et d’Eusèbe de Césarée. Elle explique en particulier que les deux empires n’ont pas la même fin. D’abord, en l’an 1164 ab Urba condita, le sac de Rome par Alaric en 410 fut un événement mineur selon Orose, sans comparaison avec la prise de la Ville par les Celtes ou l’incendie qui la dévasta, selon lui, en l’an 700 de sa fondation ; en revanche, l’an 1164 de Babylone avait signé le déclin irrémédiable de la ville orientale. Ensuite, l’empereur romain Honorius, qui était à Ravenne, ne mourut pas, et l’usurpateur Attale, au service d’Alaric, échoua à s’imposer, alors que le Mède Arbate l’avait emporté contre Sardanapale contraint au suicide. Enfin, et surtout, l’empire de Rome se perpétuait : en 417, les usurpateurs Constantin et Jovin avaient péri, les Goths avaient quitté l’Italie et s’étaient mis au service de l’empereur pour combattre les autres peuples barbares en Hispanie. Orose pouvait penser que l’empire romain chrétien avait surmonté la crise, que les barbares envahisseurs se convertiraient et lui obéiraient, et que Rome perdurerait jusqu’à la fin de ses 14 siècles, éloignée d’encore 230 ans. Cela n’était pas que simple rhétorique ; Orose croyait à ses idées, puisqu’en 418, il s’embarqua pour retourner en Espagne, qu’il avait quitté en 409 au moment de l’invasion des Alains, des Suèves et des Vandales. La dimension christique de l’empire de Rome fondait bien son exceptionnalité.
25Augustin aborda l’histoire de la cité terrestre dans le livre XVIII de la Cité de Dieu, vers 425, et donc après la publication des Histoires d’Orose. Ce fut pour lui l’occasion de prendre ses distances avec certaines positions de ce dernier. En particulier, Augustin refusa les comparaisons chronologiques entre Babylone et Rome, rejeta le schéma orosien des quatre empires et évita de lier les destins de Rome et du christianisme39.
26Pour Augustin, il n’était nullement question de rapprocher Babylone et Rome à des fins de comparaison apocalyptique comme dans l’Apocalypse de Jean. Simplement, les deux villes s’opposaient toutes deux à Jérusalem, comprise comme la figure de la cité céleste. Cette opposition était double. Les figures historiques de Babylone combattant les Hébreux et de la Rome païenne persécutant les chrétiens pouvaient être combinées de manière à opposer la cité du Diable à la cité de Dieu. Mais les deux villes étaient également les exemples successifs de la cité terrestre par opposition à la pérégrination de la cité de Dieu dans le saeculum permixtum. Ainsi, Rome était une autre Babylone en Occident40, une seconde Babylone41, et les autres royaumes n’en étaient que des appendices42. Mais ceci n’avait qu’une fonction chronologique et n’était pas relié aux empires de Daniel. À leur propos, Augustin renvoyait au commentaire de Jérôme, qui suivait Eusèbe et sa série Assyriens, Médo-Perses, Macédoniens et Romains, ce qui était une manière détournée de critiquer Orose. Et il n’essaya pas de combiner la théorie des quatre empires avec celle de la dualité entre l’empire d’Orient de Babylone et celui, Occidental, de Rome. De même, il ne rapproche jamais cette opposition entre Orient et Occident à l’existence des deux empires sassanide et romain.
27Le fait qu’Augustin supposait qu’il avait existé deux empires exceptionnels successifs, Babylone et Rome, avait trois conséquences. D’abord, la question de l’universalité spatiale ne se posait plus, car aucun des deux empires n’avait été réellement universel. Aucun n’avait surpassé l’autre par ses dimensions puisque chacun n’avait dominé qu’une partie du monde, d’abord l’Orient, puis ensuite l’Occident43. Ensuite, Augustin ne développa pas le cas d’Alexandre44, qu’il mentionne à peine. Enfin, pour lui, seul l’empire du Christ serait un jour pleinement universel sur terre, mais ce n’était pas encore le cas au temps d’Augustin, qui savait que de nombreux peuples n’avaient pas encore été touchés par la prédication chrétienne45.
28Cependant, chacun des deux empires avait une supériorité de fait : si celui de Babylone l’emportait encore par sa durée46 (1300 ans contre 1173 ans pour Rome vers 420), celui de Rome l’emportait par sa grandeur, pour deux raisons. La première était que dans un monde beaucoup plus peuplé et entraîné à la guerre, les conquêtes de Rome avaient été plus difficiles47, thème repris à Orose (Histoires I, 4, 6) et déjà présent chez Appien. La seconde est que les anciens Romains, par leurs uirtutes, avaient mérité le plus excellent des empires, que Dieu leur devait en toute justice, ce qu’Augustin avait admis dès 41348. Le rhéteur latin Augustin admettait donc comme exacte la glorieuse idée que les Romains de son temps, païens ou chrétiens, se faisaient encore de la République.
29Chez Augustin, à la différence d’Orose, les comparaisons chronologiques entre Babylone et Rome, lorsqu’elles existent, sont toujours au service de la seule véritable histoire parallèle, celle de la cité terrestre et de la cité de Dieu pérégrinant dans la temporalité du monde49. Ainsi, si les débuts de l’empire assyrien virent les promesses faites à Abraham d’une postérité parmi tous les peuples50, ceux de Rome furent contemporains des prophéties sur l’avènement à venir du Christ51. De plus, c’est seulement après la fondation de Rome, future maîtresse des nations, que se développèrent chez les Hébreux les prophéties visant le salut des nations52.
30En revanche, Augustin ne reprend pas la concordance eusébienne et orosienne de la naissance d’Abraham et de celle du Christ lors de la 43e année des règnes de Ninus et d’Auguste. De même, il attribue la paix romaine à Auguste et non au Christ53, refusant ainsi d’associer l’Empire et l’Église. Ce sont donc les uirtutes des anciens Romains qui justifient la supériorité de leur empire. On retrouve là les dimensions morales et politiques classiques.
31En conclusion, le modèle de la succession des empires et la réflexion sur l’exceptionnalité de Rome furent les deux modèles antiques de compréhension de l’empire romain, souvent compatibles, car la situation de Rome comme ultime empire ne pouvait se justifier que par sa supériorité évidente ou, chez les Juifs et les chrétiens, par son statut de dernier empire de Daniel. L’exceptionnalité de l’empire de Rome chez les auteurs chrétiens a été abordée ici selon deux approches différentes : les perspectives théologiques et les perspectives historiennes. Ces dernières étaient bien entendu également religieuses, mais s’appuyaient également sur une démonstration fondée sur une approche historienne, avec une argumentation incluant des faits datés du passé. Celles-ci sont proprement chrétiennes, alors que certaines perspectives religieuses pouvaient être communes avec les Juifs.
32La comparaison entre l’empire de Rome et celui d’Alexandre fut un objet de débat parmi les Grecs et les Romains durant environ 300 ans, du début du IIe siècle avant notre ère au début du IIe siècle de notre ère. Si ensuite, la réflexion sur Alexandre a disparu du débat des lettrés, le thème de l’exceptionnalité de l’empire d’Alexandre a survécu dans les traditions romancées sur le Macédonien, qui se multiplient durant l’Antiquité tardive54 et qui purent être insérées dans des œuvres historiennes comme la Chronique universelle alexandrine dans sa version de 536-539. En revanche, sauf chez Aphraate et secondairement Orose, elle n’a guère concerné les clercs chrétiens.
33La comparaison entre l’empire de Babylone et celui de Rome fut habituelle dans la tradition judéenne, puis ensuite dans la tradition chrétienne. Mais si on écarte les parallèles typologiques liés à l’exégèse, la comparaison historique n’eut lieu qu’en latin, au début du Ve siècle après le sac de Rome de 410, dans le cadre précis des débats entre païens et chrétiens entre Italie et Afrique, à l’initiative d’Augustin d’Hippone, relayé par Orose. Ceci s’explique pour des raisons culturelles et religieuses, la valorisation païenne de l’Urbs justifiant à la fois la comparaison historique chrétienne entre Rome et Babylone chez Orose, et, chez Augustin, le parallèle symbolique et chronologique entre l’histoire de ces deux villes, figures de la cité terrestre, et Jérusalem, figure de la cité céleste.
34On terminera par deux remarques. D’abord, personne n’a douté de l’exceptionnalité de l’empire de Rome après 100 de notre ère, même si les raisons de cette supériorité furent très variables chez les païens grecs ou romains, chez les juifs et les chrétiens ; seuls les manichéens furent plus distants, à cause de leur désintérêt pour l’histoire. Ensuite, on notera que, dès la fin du IIe siècle chez les chrétiens grecs, puis après 300 chez les chrétiens latins, l’impact de l’évidence de l’exceptionnalité de l’empire romain fut tel qu’ils développèrent l’argument de l’impact du christianisme sur l’empire romain afin de pouvoir l’accepter.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Glassner 2003.
2 Inglebert 2001a, p. 343-345.
3 Dans son Histoire : Préface, 1-2 sur la supériorité de l’hégémonie romaine sur les empires antérieurs ; VI, 45-52 sur la supériorité historique des institutions romaines. Pédech 1964 reste indispensable. Voir aussi l’article de Federico Russo dans ce volume.
4 Dans ses deux traités La fortune des Romains et La fortune ou la vertu d’Alexandre.
5 Au début du Ier siècle de notre ère, à partir d’arguments grecs qui répondaient à Polybe, Trogue Pompée, dans ses Histoires philippiques, pouvait encore penser que l’empire universel d’Alexandre avait été partagé entre les Romains et les Parthes, malgré la propagande augustéenne qui avait affirmé que la restitution des aigles romaines par les Parthes, en 20 av. J.-C. (Res gestae 29), avait effacé les défaites romaines antérieures, en particulier celle de Crassus à Carrhes en 53 av. J.-C. et que la puissance supérieure des Romains avait été reconnue par les Parthes (Res gestae 32-33).
6 Sur ce sujet, voir le dossier sous la direction de Berthelot 2016.
7 On les trouve commodément rassemblées dans Hadas-Lebel 1990.
8 Voir l’article de Nadav Sharon dans ce volume.
9 Voir l’article de Yael Wilfand dans ce volume.
10 Inglebert 1996, p. 486-488 et 519-525.
11 Inglebert 2006.
12 Levillayer 2012.
13 Saint Jérôme, Lettres 106,1 ; 107,2 ; Chromace d’Aquilée, Sermon 30,3.
14 Thélamon 1981.
15 Inglebert 2001a, p. 345-364.
16 Sirinelli 1961 ; Morlet 2009.
17 Sur ce thème, voir Dagron 1996.
18 La traduction utilisée est celle de Pierre 1989.
19 Inglebert 2015.
20 Aphraate, Exposé 5, Des guerres 10 : « Car quand Daniel vit la vision des quatre bêtes, il vit d’abord celle des fils de Cham, descendants de Nemrod, c’est-à-dire les Babyloniens. En second lieu, celle des Perses et des Mèdes, qui sont des fils de Japhet. En troisième lieu, celle des Grecs, frères des Mèdes, et en quatrième lieu, celle des fils de Sem [les Romains], qui sont fils d’Ésaü ». Sur les Romains comme fils d’Ésaü, voir Inglebert 2016.
21 Ibid., 10 : « Mais quand sera venu le temps de la fin du gouvernement des fils de Sem [les Romains], le chef sorti des fils de Juda [le Christ] recevra la royauté quand il viendra pour son second avènement ».
22 Ibid., 19 : « Car après qu’Alexandre le Macédonien fut devenu roi, il y eut le royaume des Grecs, Alexandre faisant aussi partie des Grecs. La vision de la troisième bête s’accomplit en lui puisque la troisième [les Grecs] et la quatrième [les Romains] bête sont une seule. En effet, Alexandre régna 12 ans. Après Alexandre, il y eut les rois des Grecs : 17 rois dont les années furent de 279 ans depuis Séleucos Nicanor jusqu’à Ptolémée. Puis il y eut les Césars : 27 rois dont les années furent de 293 ans, et 18 ans celles de Sévère ». Sur ce comput voir Barnes 1985 et Inglebert 2001b.
23 Arnaud-Lindet 1990-1991, Introduction, p. XLIV-LXVI.
24 Histoires contre les païens III, 20, 8.
25 Ibid. III, 20, 10, avec le jeu de mots totus orbis obtentus/totus orbis euersus.
26 Ibid. VI, 21, 19-20 : Interea Caesarem apud Tarraconem citerioris Hispaniae urbem legati Indorum et Scytharum, toto Orbe transmisso, tandem ibi inuenerunt, ultra quod iam quaerere non possent, refuderunt que in Caesarem Alexandri Magni gloriam: 20 quem sicut Hispanorum Gallorum que legatio in medio Oriente apud Babylonam contemplatione pacis adiit, ita hunc apud Hispaniam in Occidentis ultimo supplex cum gentilicio munere eous Indus et Scytha boreus orauit : « Pendant ce temps, après avoir traversé le monde entier, les ambassadeurs des Indiens et des Scythes trouvèrent enfin César [Auguste] à Tarragone, ville d’Espagne citérieure, au delà de laquelle ils ne pouvaient désormais continuer leur quête, et ils reportèrent sur César la gloire d’Alexandre le Grand. De la même façon qu’une ambassade d’Hispaniques et de Gaulois vint, à des fins de paix, trouver celui-ci à Babylone, au centre de l’Orient, ainsi l’Indien de l’Aurore et le Scythe du Borée prièrent celui-là à genoux, en Espagne, à l’extrémité de l’Occident ».
27 Ibid. VI, 22, 5 : Eodem que tempore hic ad quem rerum omnium summa concesserat dominum se hominum appellari non passus est, immo non ausus, quo uerus dominus totius generis humani inter homines natus est : « À l’époque même où le vrai maître de tout le genre humain [le Christ] était né parmi les humains, celui à qui le pouvoir universel avait été accordé ne toléra pas d’être appelé le maître des humains ».
28 Ibid. VI, 21, 29-22, 1.
29 Garstad 2012.
30 Heckel 1988.
31 Jouanno 2002.
32 Chronique I, 6 : Post haec tradidit dominus deus regnum terrae Romanorum in manus Assyriorum, Chaldeorum et Persarum et Medorum. Et tributaria facta est terra illa Assyriis, et mansit Roma sine regnum, usque dum suscitauit deus Alexandrum Macedonem et conditorem. Iste quidem pugnauit contra regem Persarum et superauit eum : « Après cela, le Seigneur transmis le royaume de la terre des Romains dans les mains des Assyriens, des Chaldéens, des Perses et des Mèdes. Et cette terre fut tributaire des Assyriens et Rome resta sans royaume jusqu’à ce que Dieu suscite Alexandre de Macédoine, le fondateur [d’Alexandrie]. Il se battit contre le roi des Perses et le vainquit ».
33 Ibid. I, 8 : In diebus uero quibus regnauit Alexander Macedo et conditor, postquam superauit Darium regem persarum, et Porum regem Indorum et omnes gentes subiugauit a Caspiacas portas quae sunt in ortu solis usque in exteriors terminus Eraclii qui iacent in exteriors occidentis partibus contre Gadirum : « À l’époque où Alexandre de Macédoine, le fondateur, régnait, après qu’il avait battu Darius le roi des Perses, il subjugua Porus le roi des Indiens et tous les peuples qui vivaient depuis les Portes Caspiennes qui sont au levant du soleil jusqu’aux colonnes extérieures d’Hercule qui sont aux extrémités des régions occidentales en face de Gades ». Cadix se situe en effet du côté atlantique, au-delà des colonnes d’Hercule.
34 Ibid. I, 8 : […] Germaniam autem totam Tripolemo donauit […] Spaniam autem usque Alyo fluuio et Eracleoticum terminum Antipalum ordinanat regnare : « Il donna la totalité de la Germanie [Carmanie] à Tripolemos […] Il ordonna qu’Antipalus [Antipater] règne sur l’Espagne jusqu’au fleuve Halys et jusqu’aux limites d’Hercule ». La géographie est très fantaisiste ; le traducteur latin a confondu, compris ou actualisé la Carmanie (en Asie centrale) et la Germanie. L’Halys coule en Asie mineure ; les limites d’Hercule peuvent être situées en Occident (ce qui est cohérent avec l’Espagne) ou au nord sur le détroit Caspien censé déboucher sur l’Océan. Antipater fut en réalité chargé de contrôler la Macédoine et de surveiller la Grèce durant l’expédition d’Alexandre et conserva ses fonctions après la mort de ce dernier.
35 Ibid. I, 6 : Et tradidit dominus in manum eius regnum Assyriorum, et introiuit in potestate regnum eorum, et concussit Persarum et Medorum, et liberauit omnem terram Romanorum et Grecorum et Egyptiorum de seruitude Chaldeorum, et leges posuit mundo : « Et le Seigneur remit entre ses mains le royaume des Assyriens et il eut leur royaume dans sa puissance et il domina les terres des Perses et des Mèdes ; et il libéra toutes les terres des Romains, des Grecs et des Égyptiens de la servitude des Chaldéens et il donna des lois au monde ».
I,8 : Tunc Alexander Macedo et conditor, postquam legem poneret in Ellada et omnem Romanorum terram Syria quoque et Egyptum et partes Lybiae, tunc uenit in partes orientales et expugnans omnes ciuitates et oppida gentium obsedit regem Persarum Darius. Et tradidit dominus deus in manus eius Darium : « Alors, Alexandre de Macédoine, le fondateur, après avoir donné des lois en Grèce et sur toute la terre des Romains et de Syrie, ainsi que d’Égypte et de Libye, s’en alla dans les régions orientales et prenant toutes les villes et les bourgades de ces nations, assiégea Darius le roi des Perses. Et le Seigneur Dieu lui livra Darius entre ses mains ».
36 De catechizandis rudibus 37.
37 An 1164 du regnum babylonien = déchéance de Babylone = fondation des regna macédonien et carthaginois. An 1400 du regnum babylonien = prise de Babylone par Cyrus = fin du règne des Tarquins.
38 Histoires contre les païens II, 5, 8 : 5. At uero, si indubitatissime constat sub Augusto primum Caesare post Parthicam pacem uniuersum terrarum orbem positis armis abolitisque discordiis generali pace et noua quiete conpositum Romanis paruisse legibus, Romana iura quam propria arma maluisse spretis que ducibus suis iudices elegisse Romanos, 6. postremo omnibus gentibus, cunctis prouinciis, innumeris ciuitatibus, infinitis populis, totis terris unam fuisse uoluntatem libero honestoque studio inseruire paci atque in commune consulere […] 7. quodsi etiam, cum imperante Caesare ista prouenerint, in ipso imperio Caesaris inluxisse ortum in hoc mundo Domini nostri Iesu Christi liquidissima probatione manifestum est 8. inuiti licet illi quos in blasphemiam urguebat inuidia, cognoscere fateri que cogentur pacem istam totius mundi et tranquillissimam serenitatem non magnitudine Caesaris, sed potestate filii Dei qui in diebus Caesaris apparuit, exstitisse nec unius urbis imperatori sed creatori orbis uniuersi orbem ipsum generali cognitione paruisse, qui, sicut sol oriens diem luce perfundit, ita adueniens misericorditer extenta mundum pace uestierit : « 5. Mais, à la vérité, s’il est sans aucun doute évident que pour la première fois sous Auguste César, après la paix faite avec les Parthes, le monde tout entier, après avoir déposé les armes et renoncé aux discordes, établi dans une paix générale et une tranquillité nouvelle, obéit aux lois romaines, préféra les institutions romaines aux armes de l’indépendance et choisit des gouverneurs romains après avoir rejeté ses chefs, 6. enfin qu’il y eut pour toutes les nations, pour toutes les provinces sans exception, pour d’innombrables cités, pour une infinité de peuples, pour l’ensemble des terres, une volonté unique de se vouer à la paix et de songer à l’intérêt commun avec un zèle libre et honnête […] 7. Que si encore ces choses arrivèrent alors que régnait César, il est évident, grâce à une démonstration très claire, que la naissance de notre Seigneur Jésus-Christ dans ce monde a apporté la lumière à ce pouvoir de César. 8. Quoique malgré eux, ceux que la haine induisit au blasphème seront contraints d’apprendre et d’avouer que cette paix du monde entier et cette sérénité tranquille n’ont pas existé par la grandeur de César, mais par la puissance du fils de Dieu qui s’est manifesté dans les jours de César, et que le monde lui-même a obéi, dans une reconnaissance générale, non pas à l’empereur d’une seule ville, mais au créateur du monde entier qui, de même que le soleil levant baigne le jour de sa lumière, de même a, par son avènement miséricordieux, revêtu le monde d’une paix étendue ».
39 Inglebert 1996, p. 485-494.
40 De la cité de Dieu contre les païens XVIII, 22 : ne multis morer, condita est ciuitas Roma uelut altera Babylon et uelut prioris filia Babylonis : « Pour ne pas m’attarder à de nombreux détails, Rome fut fondée comme une autre Babylone, comme une fille de la première Babylone ».
41 Ibid. XVIII, 2, 2 : Babylonia, quasi prima Roma […] et ipsa Roma quasi secunda Babylonia est : « Babylone, cette quasi première Rome […] Rome elle-même qui est une quasi seconde Babylone ».
42 Ibid. XVIII, 2, 1 : sed inter plurima regna terrarum, in quae terrenae utilitatis uel cupiditatis est diuisa societas (quam ciuitatem mundi huius uniuersali uocabulo nuncupamus), duo regna cernimus longe ceteris prouenisse clariora, Assyriorum primum, deinde Romanorum, ut temporibus, ita locis inter se ordinata atque distincta. Nam quo modo illud prius, hoc posterius: eo modo illud in Oriente, hoc in Occidente surrexit; denique in illius fine huius initium confestim fuit. Regna cetera ceteros que reges uelut adpendices istorum dixerim : « Mais parmi les multiples empires du monde entre lesquels les intérêts et les passions ont divisé la société (que nous appelons d’un nom général “cité de ce monde”), nous en remarquons deux dont la gloire a éclipsé les autres : celui des Assyriens d’abord, puis celui des Romains, différents mais non sans rapport entre eux, aussi bien dans les temps que dans les lieux. De même que le premier a paru d’abord et le second ensuite, ainsi, l’un s’est levé en Orient et l’autre en Occident ; enfin, celui-ci commença dès que finit celui-là. Quant aux autres rois et royaumes, ils n’en sont, dirais-je, que des annexes ».
43 Ibid. XVIII, 27 : ac per hoc per ea tempora isti uelut fontes prophetiae pariter eruperunt, quando regnum defecit Assyrium coepitque Romanum […] ita occidentalis Babylonis exordio qua fuerat Christus imperante uenturus… : « C’est donc quand finit l’empire d’Assyrie et que débuta celui de Rome que jaillirent à la fois, pour ainsi dire, ces sources de la prophétie […] De même, dès les débuts de la Babylone d’Occident dont l’empire devait voir l’avènement du Christ… »
44 Il est signalé en De la cité de Dieu contre les païens XVIII, 45, 2 sans mention de son empire.
45 Lettre 199,46 à Hésychius de Salone, de 418, avec l’exemple des peuples au delà du limes en Afrique.
46 De la cité de Dieu contre les païens XVIII, 21 : cuius tempore quia iam quodam modo Roma parturiebatur, illud omnium regnorum maximum Assyrium finem tantae diuturnitatis accepit. Ad Medos quippe translatum est post annos ferme mille trecentos quinque, ut etiam Beli, qui Ninum genuit et illic paruo contentus imperio primus rex fuit, tempora computentur : « De son temps, alors que déjà se faisait pour ainsi dire l’enfantement de Rome, l’Assyrie, cet empire de tous le plus grand, toucha au terme de sa longue existence. Il passa aux Mèdes, en effet, après une durée d’environ 1300 ans, en y comprenant les années de Bélus, père de Ninus qui, satisfait d’un modeste pouvoir, en fut le premier roi ».
47 Ibid. XVIII, 22 : Nam quando regnum Assyriorum totam paene Asiam subiugauit, licet bellando sit factum, non tamen multum asperis et difficilibus bellis fieri potuit, quia rudes adhuc ad resistendum gentes erant nec tam multae uel magnae. Roma uero tot gentes et Orientis et Occidentis, quas imperio Romano subditas cernimus, non ea celeritate ac facilitate perdomuit, quoniam paulatim increscendo robustas eas et bellicosas, quaqua uersum dilatabatur, inuenit : « Mais Rome ne put dompter avec autant de rapidité ni d’aisance les nombreuses nations d’Orient et d’Occident que nous voyons soumises à son pouvoir, car en se développant peu à peu, elle rencontra partout où elle cherchait à s’étendre des nations vigoureuses et guerrières. Car lorsque le royaume des Assyriens subjuga l’Asie presque tout entière, il le fit bien par les armes, mais en vint à bout sans trop de rudes et pénibles combats, car les peuples étaient encore peu préparés à résister, moins nombreux au total et pris un à un de moindre importance ».
48 Ibid. V, 15 (c. 413) : si neque hanc eis terrenam gloriam excellentissimi imperii concederet: non redderetur merces bonis artibus eorum, id est uirtutibus, quibus ad tantam gloriam peruenire nitebantur : « S’il [Dieu] ne leur avait pas accordé cette gloire terrestre d’avoir le plus excellent des empires, ils n’auraient pas reçu de récompense pour leurs nobles qualités, c’est-à-dire pour leurs vertus par lesquelles ils s’efforçaient de parvenir à tant de gloire ».
49 Ibid. XVIII, 2, 2 : ob hoc debemus, ubi opus est, Assyrios nominare reges, ut appareat quem ad modum Babylonia, quasi prima Roma, cum peregrina in hoc mundo dei ciuitate procurrat; res autem, quas propter comparationem ciuitatis utriusque, terrenae scilicet et caelestis, huic operi oportet inserere, magis ex Graecis et Latinis, ubi et ipsa Roma quasi secunda Babylonia est, debemus adsumere : « Il nous faut donc, autant qu’il est nécessaire, signaler les rois d’Assyrie, afin qu’on voie comment Babylone, cette première Rome, s’est développée en même temps que la cité de Dieu voyageuse étrangère en ce monde. Quant aux faits qu’il convient d’insérer dans cet ouvrage pour comparer les deux cités, celle de la terre et celle du ciel, nous devons les emprunter de préférence aux Grecs et aux Latins parmi lesquels Rome elle-même est comme une seconde Babylone ».
50 Ibid. XVIII, 27 : ut scilicet, quem ad modum regni Assyriorum primo tempore extitit Abraham, cui promissiones apertissimae fierent in eius semine benedictionis omnium gentium : « Ainsi, dans les premières années de l’empire des Assyriens parut Abraham dépositaire des promesses très claires qu’en sa postérité seraient bénis tous les peuples ».
51 Ibid. XVIII, 27 : ita occidentalis Babylonis exordio, qua fuerat Christus imperante uenturus, in quo implerentur illa promissa, ora prophetarum non solum loquentium, uerum etiam scribentium in tantae rei futurae testimonium soluerentur : « De même, dès les débuts de la Babylone d’Occident dont l’empire devait voir l’avènement du Christ réalisateur de ces promesses, furent déliées les langues des prophètes pour témoigner en parlant et même en écrivant, de ce grave événement futur ».
52 Ibid. XVIII, 27 : Cum enim prophetae numquam fere defuissent populo israel, ex quo ibi reges esse coeperunt, in usum tantummodo eorum fuere, non gentium; quando autem scriptura manifestius prophetica condebatur, quae gentibus quandoque prodesset, tunc oportebat inciperet, quando condebatur haec ciuitas, quae gentibus imperaret : « Presque jamais, certes, les prophètes n’ont manqué au peuple d’Israël depuis le jour où il y eut des rois ; cependant ils servaient uniquement à son profit, non au profit des nations. Mais quand fut inaugurée l’écriture plus nettement prophétique, qui un jour serait utile aux nations, il convenait qu’elle commençât au temps où fut fondée cette cité, qui devait gouverner les nations ».
53 Ibid. XVIII, 46 : Regnante ergo Herode in Iudaea, apud Romanos autem iam mutato rei publicae statu imperante Caesare Augusto et per eum orbe pacato natus est Christus secundum praecedentem prophetiam in Bethleem Iudae : « Hérode étant roi en Judée, César Auguste, ayant déjà transformé le régime de l’État, étant dirigeant chez les Romains, et grâce à lui le monde entier jouissant de la paix, le Christ naquit à Bethléem de Juda selon la prophétie antécédente ».
54 En plus de la tradition grecque étudiée par Jouanno 2002, il existe une tradition latine analysée par Callu 1999.
Auteur
Université de Paris Nanterre, UMR 7041 ArScAn-THEMAM, herve.inglebert@parisnanterre.fr
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