Chapitre 6 – La rente foncière et ses bénéfices
p. 223-254
Texte intégral
Questo è dunque un paese di galantuomini ! Non potevo ancora precisare le mie impressioni, né penetrare ancora tutti i segreti della politica e delle passioni paesane ; ma mi avevano colpito il sussiego, le maniere dei signori sulla piazza e più ancora il tono generale di astio, disprezzo e diffidenza reciproca nella conversazione1.
1Dans les premières décennies du XXe siècle, les notables que découvrait Carlo Levi dans son village de confinement étaient aisément identifiables et répondaient parfaitement à la définition proposée par le sociologue H. Mendras : il s’agissait de propriétaires échappant au travail de la terre, vivant de la rente et exerçant un travail d’encadrement de la société paysanne. C’étaient ces derniers qu’il appelait ironiquement les galantuomini du pays. Quelles étaient les modalités du contrôle exercé sur la terre et les hommes de la fin du XIe siècle aux années 1250 ? Tout en souscrivant à l’affirmation selon laquelle « les protagonistes des actes notariés sont bien rarement ceux qui cultivent la terre2 », on ne peut que relever l’extrême attention de ces acteurs aux potentialités du sol : tel propriétaire se réservant l’usage d’un bois ; tel autre insistant pour conserver les droits sur un olivier3. Il ne faudrait en outre pas se montrer dupe du style aristocratique des actes notariés. Existait-il, aux XIIe et XIIIe siècles, un milieu constitué de rentiers, vivant indirectement de la production agricole ? « Les cultivateurs n’étaient point seuls, et […] une partie du produit de leur travail était consommée par des gens qui, sans ces cultivateurs, eussent été incapables de se nourrir du fruit de leur activité propre4 ». Ces bénéficiaires de la rente constituent le cœur de l’enquête. L’étude des parentèles et des institutions n’a pas toujours fait ressortir des critères distinguant nettement les domini – qui contrôlent les instruments et les symboles les plus évidents du pouvoir politique local – d’une population plus large de notables participant à la vie politique locale. Les universitates qui organisaient le territoire florentin du XIIIe siècle étaient du reste tenues par une population de notables excluant largement les seigneurs du XIIe siècle. Pour décrire le continuum permettant de passer des domini aux boni homines qu’ils associaient à leurs actions solennelles, il serait tentant de parler d’une société de petits propriétaires ruraux que définissait d’abord le partage de la rente foncière. Les individus et les parentèles qui dominaient la vie locale devaient a priori disposer de plus de temps que certains de leurs voisins pour pouvoir développer des activités les distinguant de ceux-ci. Pour tenter de saisir la réalité de la rente foncière, il convient toutefois de préciser ce que l’on sait des modalités du contrôle foncier. Du XIe siècle au XIIIe siècle, le territoire florentin semble subir une transformation le faisant passer d’un agrégat de sociétés dominées par de petits possessores à un ensemble divisé entre propriétaires et tenanciers5. Ce modèle reste fortement lié aux travaux d’E. Conti et de J. Plesner mais pourrait résulter d’une simple illusion documentaire6 : l’affaiblissement des dominations seigneuriales et la compétition de différents pouvoirs révélant tardivement les structures du dominium seigneurial et ecclésiastique s’exerçant aussi bien sur la terre que sur les hommes7. L’étude de J. Plesner a transformé l’histoire du castello de Passignano en un cas exemplaire de la transformation d’une société d’alleutiers en une société de dépendants ; sa thèse a le mérite de rendre compte de l’impression première qu’on retire de la documentation florentine. Les historiens qui s’intéressent à la Toscane des XIe et XIIe siècles soulignent la vitalité qu’y manifestent les « sociétés paysannes8 ». Cette vitalité des sociétés paysannes rend difficile l’application à l’étude du territoire toscan des hypothèses de travail développées par Alain Guerreau ; si l’on partage avec ce dernier l’exigence d’un raisonnement conçu « en termes de pouvoir et non de droit9 », il est toutefois nécessaire de tenir compte du travail effectué par les notaires pour préciser les degrés de la possession foncière. Les actes font connaître un marché foncier portant tantôt sur des exploitations entières, avec les droits sur les hommes et la terre, tantôt sur des parcelles de terre – des petie terre – et sur les droits qui leur sont associés. Plus qu’une parcelle nue ouverte à l’acquéreur, ce qu’on cédait avec une terre, c’était le droit de la travailler et faire fructifier, et plus encore celui de la faire travailler. La définition moderne de la rente – ce que l’on paie au propriétaire du sol pour la jouissance de ses facultés productives – suppose une société ayant pour base un régime bien défini de la propriété et un État capable d’imposer le respect de cette propriété10. Rien de tout cela aux XIe et XIIe siècles. La proprietas est bien attestée, mais les droits sur le sol sont très fragmentés. En dépit de cette fragmentation, les terres circulent, ainsi que les revenus, sans toujours entraîner une modification immédiate de l’organisation des parcelles. E. Huertas a ainsi montré la capacité des notaires à faire circuler les loyers11. Ceci supposait une capacité des acteurs à concevoir très précisément les différentes formes de participation aux bénéfices du travail agricole ou artisanal. S’il faut parler de rente foncière, dans ce territoire, c’est moins en renvoyant précisément au loyer versé au propriétaire qu’en désignant l’ensemble des prélèvements sur le travail paysan par les seigneurs, les propriétaires et d’autres possessores au statut mal défini. C’est sur cette base qu’il faut concevoir le cercle des rentiers.
6.1. Les structures d’une vie agraire
2Les campagnes de Florence offrent aujourd’hui au regard, un paysage moins marqué par l’incastellamento et la présence des petits villages d’altitude, que par l’habitat dispersé des case coloniche, héritage de plusieurs siècles de métayage. Sans doute les collines de la Toscane n’avaient-elles jamais vu disparaître l’habitat dispersé ; les castelli ne servant jamais à rassembler d’importantes populations et fonctionnant essentiellement comme lieux du prélèvement seigneurial12. La question du statut et des fonctions des petites agglomérations fortifiées reste un problème central. Quelle était la proportion, dans ces petits habitats, des cultivateurs vivant quotidiennement aux côtés de leurs seigneurs ? L’archéologie des cimetières pourrait fournir d’intéressantes informations sur le mode de vie des habitants des castelli et des villae environnantes13. Dans le cimetière de Monte di Croce, castello dépendant directement des comtes Guidi, non loin de Florence, les habitants étaient ainsi habitués à la pratique équestre : une donnée qui confirmerait, par exemple, la vocation militaire de la fortification14. La documentation n’offre que des réponses indirectes aux questions simples qu’on peut se poser sur le mode de vie des habitants. Que mangeaient-ils ? Quelles étaient leurs conditions de vie ? Quelle était la part de la population qui exécutait les travaux de peine ? Il est en revanche possible d’étudier les patrimoines fonciers. En s’intéressant de près aux patrimoines les plus modestes et à ceux qui en étaient les maîtres, on peut se faire une idée des rapports qu’entretenaient certains foyers avec les travaux agricoles et les activités artisanales. Ce n’est qu’au prix de ce détour qu’on peut éviter le défaut qui consiste à qualifier de paysans les individus et les groupes qu’on n’a pas réussi à qualifier autrement. Avant le XIIIe siècle, il est difficile de se représenter ce qu’est une exploitation rurale, la connaissance de parts des patrimoines fonciers, propriétés ou tenures, n’offrant qu’un reflet déformé des unités de production agraire. C’est pourtant de là qu’il faut partir pour identifier les éléments structurants la vie agraire.
6.1.1. Les produits de la terre
3C’est par le biais des prélèvements réalisés sur les terres et par l’entremise d’une documentation de l’appropriation que l’on connaît les campagnes florentines : ce qui relève de la subsistance et du quotidien le plus banal et nécessaire échappe en revanche à l’investigation. Et tout d’abord que produisait-on ? Ce qui préoccupait les propriétaires et qui apparaissait le plus dans la documentation, c’étaient les céréales. Les mentions explicites de versements en nature restent rares avant le XIIIe siècle et ne sont pas même si nombreuses au Duecento15. Le plus souvent, le notaire se contentait d’une mention plus vague, granum, en ne désignant explicitement aucune céréale16. Que le terme choisi fût granum ou bladum, il s’agissait sans doute d’un ensemble de céréales bien différentes du froment17. Au XIIIe siècle, il devint plus courant de mentionner explicitement les versements de froment, le plus souvent à l’occasion de prêts dont les intérêts étaient versés en blé ou encore dans les baux fonciers d’un type nouveau qui venaient parfois s’échouer dans la documentation ecclésiastique18. On se contentait plus régulièrement du terme de grain pour désigner l’ensemble des céréales, orge, avoine, épeautre, blés de diverses sortes ou froment19. Dans certains espaces périphériques, sur les bords de l’Arno, on cultivait le millet dès la fin du XIIIe siècle20. Les références à la vigne peuplaient les actes des XIe-XIIIe siècle. À Coltibuono, on compte des dizaines de références explicites à la vigne21. Les mêmes proportions se vérifient en montagne, dans les environs de Vallombrosa22. Cette forte présence des vignobles dans le patrimoine des églises n’a rien qui puisse surprendre. La place majeure occupée par les châtaignes et les châtaigniers est un fait plus spécifiquement toscan23. La documentation indique d’ailleurs que cet aliment, loin d’être cantonné à la subsistance des pauvres, figurait en bonne place sur la table des élites24. E. Faini a trouvé les indices d’une spécialisation agricole précoce dans des territoires bien caractérisés : les montagnes du Pratomagno, aisément accessibles et ouvertes sur la vallée de l’Arno ; les environs immédiats de la cité25. Sans doute les terres vierges étaient-elles très rares. Les pièces de châtaigniers et les bois que la documentation fait connaître sont, aux XIe et XIIe siècles, des espaces entretenus26. Les incultes étaient ouverts aux essarts ou dédiés au pacage du bétail et étaient des espaces convoités27. On retrouvait, dans la Toscane de cette époque, l’image d’un monde plein, d’une campagne peuplée et largement soumise à l’exploitation humaine. Les terres les plus difficiles, peu favorables à la vigne et éloignées des vallées – aujourd’hui gagnées par les forêts – demeuraient des espaces habités et disputés28.
4Le bétail, lui, est essentiellement connu par le biais des prélèvements. Ainsi apprend-on incidemment, on s’en serait douté, que les habitants des campagnes élevaient des porcs29, de la volaille30, et possédaient quelques animaux de bât ou de trait31. Les prés de la Vallombreuse étaient ouverts au pacage des vaches, on élevait des chèvres et on y confectionnait des fromages dont on ignore la forme, la composition et le goût32. Les moines vallombrosains et d’autres seigneurs avaient l’habitude de demander ces fromages comme redevances. On produisait ailleurs ces fromages et c’était sûrement parce que ces derniers représentaient, avec les œufs, le poids du prélèvement seigneurial que les Firidolfi avaient laissé leurs chiens dévorer le fromage et les œufs des moines de Coltibuono33. Les données glanées sur la production des campagnes florentines restent dérisoires quand on les compare à celles dont on dispose pour les derniers siècles du Moyen Âge34. Elles n’en confirment pas moins la complexité de la vie agraire. Dès les premières années du XIIIe siècle, les Florentins s’accordaient avec des pouvoirs extérieurs pour l’élevage de grands troupeaux : sans un document conservé par l’abbaye de Coltibuono, on ignorerait ainsi l’existence, dès les années 1230, de contrats de soccida entre cette institution du territoire florentin et l’évêque de Chiusi pour l’élevage de centaines de têtes d’ovins35. Le bourg voisin de Montaio avait probablement développé, dès le XIIIe siècle, la spécialisation dans le commerce des viandes qui devait le caractériser au siècle suivant36.
6.1.2. L’exploitation rurale, une réalité difficile à saisir
5Les données sur la structure agraire sont plus nombreuses et ne font du reste que confirmer le constat solidement établi par E. Conti. On observe, du XIe au XIIe siècle, une diminution rapide des références aux exploitations complètes, mansi ou plus souvent sortes, et la disparition progressive des allusions aux structures du grand domaine, la bipartition entre le mansus indominicatus et la part de l’exploitation en faire-valoir indirect37. On peut du reste souscrire au propos d’E. Huertas lorsqu’il explique cette évolution par la progressive disparition « d’un système d’écriture conçu pour les riches et les puissants propriétaires fonciers38 ». Dans le dernier tiers du XIe siècle et jusqu’au XIIIe siècle, les échanges portaient, le plus souvent, sur des parcelles de terre soigneusement délimitées : ce nouveau système d’écriture était certainement mieux adapté aux besoins de l’époque, mais il complique singulièrement la connaissance des structures de base de la production agricole39. Il arrivait, en plein XIIe siècle, qu’on échangeât encore des parts importantes d’une même exploitation. On retrouvait alors le lexique du mansus généralement tombé en désuétude. En 1149, Briccolo di Ugo et son épouse Mingarda di Gherardo donnèrent à l’abbé de Coltibuono plusieurs parcelles issues d’un même mansus40. Le cœur de ce manse, appelé Camarina du nom d’un exploitant ou d’un ancien propriétaire, était situé au lieu-dit Tana. Une parcelle se trouvait sur la route menant à un moulin, une deuxième, entourée par les terres de Coltibuono, était au lieu-dit Orto, une troisième, au lieu-dit Salcita, la troisième, enfin, était au lieu-dit Culto de Casa. L’acte avait été ratifié à Argenina, un hameau de la vallée de l’Arbia, non loin de Lucignano dans le Chianti. C’est, dans ce document, le seul lieu qu’on puisse identifier avec certitude. L’une des parcelles se trouvait certainement entre le hameau et l’endroit où se trouve aujourd’hui encore un moulin41. Dans tous les cas, le manse ne se présentait pas lui-même comme une exploitation d’un seul tenant, mais comme une exploitation organisée autour d’un patrimoine dispersé. La dispersion des terres servait de garantie à une population agricole tournée vers la subsistance : la diversité des terroirs offrant aux exploitants et à leurs maîtres une protection, certes relative, contre les hasards climatiques et biologiques. On retrouve au milieu du XIIe siècle, des éléments déjà mis en évidence par E. Conti pour le XIe siècle42. Ailleurs, dans le territoire de Pistoia, les manses organisés et d’un seul tenant constituaient aussi l’exception43.
6On peut supposer que la mise en culture des terres agricoles ait par la suite continué d’être organisée autour de finages dispersés. Au XIIIe siècle, les propriétés qui se présentent comme de petits ensembles cohérents étaient composées d’un ensemble de parcelles dispersées. C’est du moins l’impression qu’on retire de la lecture de certains actes. En 1245, par un instrument de division, les membres d’une fratrie de Montaio se partagèrent ainsi un patrimoine assez représentatif de ce qu’on trouvait habituellement44. Il se composait d’une maison dans le castello de Montaio, de deux parcelles situées à Linari, à presque huit kilomètres de distance, d’une pièce de terre située à Piscinesecche (lieu-dit non identifié) et de la part d’un bois situé A La Nebbiaia (non identifié)45. Bien entendu, on peut toujours douter d’avoir affaire à des exploitants directs. Les trois frères en question se partagèrent le même jour les pensions que leur devaient deux tenanciers. Ce qu’on sait du patrimoine de petits tenanciers à la même époque et l’impression massive que renvoie la documentation permettent toutefois d’envisager une assez grande correspondance entre la structure générale de la propriété et celle des exploitations rurales. À la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle, les poderi d’un gros propriétaire rural pouvaient encore se présenter comme des unités dont les différentes parcelles restaient dispersées dans tout le finage46. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, l’effort constant des propriétaires consistait toutefois à regrouper davantage les propriétés pour former des unités plus compactes : aux nécessités et à la sécurité que représentait la dispersion, du point de vue des producteurs et de ceux qui en dépendaient le plus directement, on substituait ce faisant une logique plus risquée mais plus rentable pour les propriétaires désireux de simplifier les modalités du prélèvement. À quel titre les protagonistes du marché de la terre pouvaient-ils vendre, céder ou donner les parcelles qu’on voyait sans cesse circuler dans les sources des XIe et XIIe siècles ? Propriétaires, tenanciers ? Au terme encombrant de propriétaires, on a substitué celui de possesseur. La différence entre propriétaires et tenanciers n’est pas du reste essentielle si l’on s’intéresse essentiellement aux éléments qui garantissent l’indépendance économique. P. Bonnassie a ainsi souligné qu’avec les alleutiers et les tenanciers, « on accède à une couche sociale qui possède les moyens matériels indispensables à un commencement d’exercice de cette liberté47 ».
6.2. Cultivateurs ou rentiers ?
7On sait tout l’attrait qu’a pu représenter, dans l’historiographie médiévale, la figure de l’alleutier paysan – paysan maître de lui-même et de sa terre – et l’on sait a contrario toute la méfiance qui entoure aujourd’hui l’évocation de ces petits alleutiers48. Comme on a eu l’occasion de le dire en un autre lieu, le terme d’allodium est assez rare dans la documentation toscane : en s’en tenant aux mots, il serait facile de conclure à l’absence d’alleutiers dans la Toscane médiévale. En réalité, il suffit de substituer au mot d’alleu celui de propriété – beaucoup plus courant en Toscane – pour retrouver toutes les données du problème. Avant d’en venir aux concepts, on désire toutefois parler des hommes. Les sources des XIe et XIIe siècles permettent de faire ressortir quelques-unes de ces figures de petits propriétaires ou possessores. Dans quelle mesure ces derniers pouvaient-ils être qualifiés de propriétaires ? La structure de leur possession révélait-elle un statut de cultivateur ou de rentier vivant du travail d’autrui ? Ce sont ces questions que l’on posera en envisageant d’abord le cas d’une parentèle de massarii du Chianti de la fin du XIe siècle et de la première moitié du XIIe siècle, avant d’évoquer le cas d’une parentèle de petits propriétaires de la Val d’Ema évoluant dans un environnement davantage marqué par la seigneurie rurale.
6.2.1. Survivances d’un « mode de production paysan »
8Les groupes qui dominent, aux XIe et XIIe siècles, le petit territoire correspondant aux localités alors appelées Omne ou La Gerda offrent une bonne illustration de la grande difficulté qu’on ressent lorsqu’il s’agit de situer socialement les individus rencontrés dans les sources d’un long XIe siècle. Ces parentèles développèrent très tôt des caractéristiques les rapprochant de certains domini castelli, sans jamais attacher leur pouvoir à une construction seigneuriale. Le Chianti est de ce point de vue exemplaire. Ce n’est qu’au prix d’hypothèses hasardeuses qu’on a pu reconstituer les contours de la parenté des Lambardi della Gerda ou des nepotes Bonizi de Campocorto ou d’Albereto49. Dans la première moitié du XIe siècle, les nepotes Bonizi vivaient non loin de l’abbaye de Coltibuono et certains membres de la parentèle étaient qualifiés de massarii50. On a donc affaire à une parentèle qu’on serait tenté, en se référant à ce terme de massarius, de situer dans la dépendance vis-à-vis de l’aristocratie locale. On ne saurait toutefois tirer de ce document un argument suffisant pour faire de ces nepotes Bonizi un groupe particulièrement subordonné dans la société qui gravitait au XIe siècle, autour des détenteurs locaux du pouvoir ; l’abbaye de Coltibuono, les nepotes Rainerii et les Firidolfi. Les membres de ce groupe, aisément identifiables par la fréquence des noms de Bonizo et de Teuzo qu’on donnait aux enfants mâles, étaient déjà présents dans ce territoire dans les premières décennies du XIe siècle et étaient liés à un autre groupe, les filii Sizi, dont ils sont en réalité très difficiles à distinguer51. Exploitants, fabri, notaires ? Il est probable que des représentants de cette parentèle aient consacré, au moins une partie de leur temps, à ces diverses activités. On ignore l’identité du notaire Teuzo, mais il n’est pas indifférent d’observer l’ancrage de ce notaire dans le territoire entourant immédiatement l’abbaye et sa participation aux affaires de cette famille52. Plusieurs membres des nepotes Bonizi furent en outre qualifiés de fabri. C’était même cette activité, liée à la métallurgie, qui servait à les distinguer en 1082, lorsque le notaire Petro évoquait la « terre des forgerons de Campocorto53 ». Exploitants enfin ? On sait que plusieurs membres de la famille étaient qualifiés de massarii. Le territoire des nepotes Bonizi, s’il ne fit l’objet d’aucune création politique, n’en était pas moins une réalité tangible, limité à quelques localités situées immédiatement au Nord-Est de l’abbaye de Coltibuono. Dans un acte de la fin du XIe siècle, un des membres les plus importants de cette parentèle, Remberto di Petro d’Albareto, avait racheté à un diacre un ensemble de biens et de terres situés à Albereto, à Sublicito et autour d’autres toponymes des environs54. Cet achat s’était fait dans les environs immédiats de ce territoire et renforçait la prise exercée par la famille sur les terres agricoles des environs. Remberto officiait ici comme intermédiaire du groupe et revendait à ses cousins germains l’ensemble de ces biens dont il avait été investi « en propriété ». Les actes légués par cette petite parentèle du Chianti informent généralement sur des opérations de rachat de terres tenues d’autres possessores locaux.
9Que l’on considère maintenant le cas des voisins et des alliés des filii Bonizi, les Lambardi della Gerda. C. Wickham relève le paradoxe apparent que représente cette parentèle55. Aux historiens accoutumés à associer les familles majeures à une construction symbolique forte, un castrum ou une fondation pieuse, cette famille oppose une situation apparemment insolite. Rien ne distingue à première vue les Lambardi della Gerda ou les nepotes Bonizi des familles de l’aristocratie locale. C’est plutôt l’absence d’un castello qui frappe, sans pour autant empêcher ces groupes de s’imposer, pendant plusieurs décennies, comme les acteurs majeurs de la vie locale. Au milieu du XIIe siècle, alors que la propriété de l’abbaye avait désormais pris le dessus, les derniers représentants connus des nepotes Bonizi ou des Lambardi della Gerda figuraient parmi les témoins des transactions concernant le territoire de Campocorto et d’Albereto56. Ils intervenaient comme intermédiaires des échanges effectués dans ces territoires par d’autres familles57, sans cesser d’apparaître comme les responsables directs ou les exploitants des terres que ces mêmes parentèles cédaient à l’abbaye de Coltibuono58. Tenanciers donc, dans la mesure où ils tenaient et géraient leurs terres, ces groupes n’en étaient pas moins actifs sur le marché de la terre et exerçaient localement une influence que leur inclusion dans les listes de témoins et la familiarité qui entoure les dénominations usuelles de ces groupes laissaient bien deviner. Des actes nombreux qui citent les « forgerons de Campocorto », les « descendants de Bonizo », les « Lombards de la Gerda », on retire en effet le sentiment que ces parentèles disposent sur place d’une relative notoriété. Rien n’exclut pourtant que l’activité principale de ces figures locales n’ait tourné autour de l’agriculture ou de l’artisanat. Cette sociabilité de petits possessores n’est pas particulière au Chianti et se retrouve en d’autres lieux. À quelques kilomètres de Florence, à Varlungo, les actes de Montescalari font ainsi connaître le dynamisme local de familles aisément identifiables dans une vue d’ensemble, mais difficiles à situer socialement et à reconstituer dans le détail59. On observe le même phénomène autour de la localité d’Altare, près de Montescalari60. Il s’agit, plus généralement, d’une situation semblable à celle qui s’observe dans l’ensemble de la Toscane du haut Moyen Âge et que C. Wickham et d’autres ont mis en évidence61. Au XIe siècle, il n’était toutefois plus question d’une sociabilité paysanne, peu différenciée et marquée par la constante recomposition des hiérarchies sociales typique du « mode de production paysan62 ». Les liens clientélaires s’étaient affirmés dès l’époque lombarde et avaient été renforcés sous les Carolingiens, conduisant à une hiérarchisation plus nette des sociétés locales autour de pôles géographiques, matériels et symboliques mieux caractérisés (églises, cimetières, fortifications, etc.). C’était à ce modèle qu’empruntaient encore bien des territoires de la Toscane63 : des sociétés villageoises non exclusives et peu encadrées par les seigneurs ; des liens de clientèle déjà bien marqués au niveau du comté mais peu structurés localement ; à l’échelle des sociétés d’interconnaissance enfin, des hiérarchies peu affirmées entre les différents usagers du sol.
6.2.2. Petits possessores ou grands exploitants : le cas des filii Nerbotti (fin XIIe siècle)
10La situation qu’on découvre dans la Val d’Ema, à quelques décennies d’intervalle, présente des différences significatives : l’ambiance est plus nettement seigneuriale, et la possession des propriétaires locaux les plus remarquables apparaît plus étroitement enchâssée dans celle des seigneurs. Les similitudes qui s’observent permettent toutefois d’envisager des solutions de continuité entre les groupes de possessores peu hiérarchisés du XIe siècle et les petites clientèles vassaliques – ou qu’on juge telles – de la seconde moitié du XIIe siècle. Une petite série d’actes transmis par l’abbaye de Montescalari illustre la difficulté de l’entreprise. Dans le dernier tiers du XIIe siècle, Guido di Nerbotto, son épouse et ses fils, vendirent à l’abbaye de Montescalari un ensemble de terres situées autour de Cintoia qui pourrait faire songer à une petite exploitation. En 1153, Bernardo di Guido avec son épouse Giulietta, Mattafellone et Guido di Nerbotto avaient déjà donné à l’abbaye de Montescalari une terre située près du monastère, au lieu-dit Fonte Gualberto64. Quelques années plus tard, Guido di Nerbotto et son épouse vendaient, pour 100 sous en monnaie de Lucques et de Pise, leurs propriétés aux lieux-dits Capeme et Frassina65. En 1179, c’était l’un des fils de Guido di Nerbotto, appelé lui-même Nerbotto, qui vendait à l’abbaye l’ensemble des terres et des services qu’il avait aux lieux-dits Nella Capella di Lucolena, Frassina, Dudda, Altare, Capeme et Mezzano, pour le prix de dix livres66. La vente était confirmée, en 1187, par l’ensemble de ses autres frères et leurs épouses qui renonçaient à tous leurs droits sur les terres, les vignes, les forêts, les maisons, les châtaigniers et autres biens situés dans le plebatus de San Pietro a Cintoia, dans la villa de Mezzano67. Deux conclusions s’imposent en considérant la répartition géographique des biens cités dans ces sources. Les terres cédées en quelques années par les filii Nerbotti se présentaient comme un ensemble relativement cohérent et concentré dans la Val d’Ema, de part et d’autre du castello de Cintoia et de la colline de Montescalari. Nerbotto et ses fils étaient liés aux da Cintoia et l’on retrouvait parmi les témoins de la vente de 1177, plusieurs représentants de l’influente parentèle68. Sans doute les Nerbotti appartenaient-ils, eux aussi, au milieu des petits seigneurs des environs. En 1153, c’était une terre avec ses dépendants que Guido di Bernardo et les fils de Nerbotto avaient vendus à l’abbaye de Montescalari69.
11Parmi les témoins de leurs transactions, certains personnages appartenaient plus certainement au milieu de leurs dépendants. Un dénommé Petro, communément appelé Pisciainvia (Pisse-en-voie !), et Guido di Domenico da Ala, avaient ainsi assisté à la vente de 1153. Plusieurs années plus tard, on retrouvait le fils de ce Pisciainvia parmi les témoins de l’acte par lequel Nerbotto di Guido vendait cette fois l’ensemble des terres, des services, des usages et des autres biens qu’il avait dans la Val d’Ema70. Cette vente était d’ailleurs remarquable par le nombre de témoins mobilisés. On comptait en effet onze témoins : Grimaldo di Arlotto, Orlando, un dénommé Robadoro, le magister Ciaverino, le magister Giovanni da Cintoia, un certain Carboncino, Gianberto, Guido di Pisciainvia, Rustico di Perino dal Castagnetto. L’homme qui portait le titre de magister devait sans doute être reconnu comme un artisan qualifié. Parmi les témoins, Grimaldo di Arlotto appartenait probablement à la parentèle des da Cintoia71. La plupart des individus ne présentaient d’autre signe de distinction qu’un surnom : Robadoro, Carboncino, Guido di Pisciainvia. La signification sociale de l’anthroponymie, qu’on suppose tantôt narquoise, tantôt flatteuse est certes difficile à saisir, mais ne paraît guère ici s’associer à des éléments de distinction72. Elle révèle en revanche le contexte dans lequel étaient rédigés ces documents : celui d’une petite société où tout le monde se connaissait et dans laquelle le surnom – les personnes qui étaient dénommées ainsi avaient généralement un nom de baptême qu’ils rappelaient à certaines occasions – suffisait largement à identifier les intervenants. On retrouvait, dans la relative simplicité de ces surnoms, une onomastique semblable à celle des dépendants de Vallombrosa. Les Nerbotti se présentaient comme un groupe secondaire dont le patrimoine était enchâssé dans celui des da Cintoia et de l’abbaye de Montescalari. La terre des filii Nerbotti s’organisait autour de deux pôles qu’on retrouvait chez les da Cintoia : le hameau de Mezzano et celui de Lucolena. Il était courant d’associer aux exploitations de ces deux petites communautés d’habitants, les droits particulièrement essentiels sur le moulin d’Altare et sur le bois de Capeme que contrôlaient les aristocrates locaux, l’église et l’abbaye voisines. Les Nerbotti avaient leurs propres exploitants et leur patrimoine se présentait comme un ensemble permettant d’envisager une certaine autonomie : aux terres de labour et aux vignes était associée une part sur des terres ouvertes aux usages communs73. Cet ensemble de parcelles dispersées dans un petit territoire ne s’organisait pas seulement autour du castello local, mais dépendait aussi des villae situées à proximité du petit village castral.
12Le patrimoine de ces propriétaires ne s’organisait pas autrement que celui des tenanciers de Vallombrosa, quelques décennies plus tard. Le fait majeur, et qui ressortait bien de la documentation des années 1150-1200, c’était l’inscription de ces petits patrimoines dans une hiérarchie seigneuriale. Les filii Nerbotti ne sont certes jamais qualifiés de vassaux ; il paraît toutefois impossible d’évoquer leur situation sans dire quelques mots des seigneurs locaux et leur inscription dans la clientèle des da Cintoia apparaît très probable. À quel point ce changement d’ambiance dans la documentation et cette exacerbation momentanée des dynamiques seigneuriales révèlent-ils une évolution de la société ? Il faut ici reconsidérer l’ensemble des données dont on dispose pour envisager l’étude du territoire florentin. On a déjà souligné les évolutions notables de la vie politique et de la documentation des années 1170-1200. Les changements observés paraissent trop nombreux pour être réduits au seul fait documentaire. Sans doute assistait-on, en plusieurs lieux du territoire florentin, et bien au-delà, à une affirmation d’un ordre hiérarchique localement plus affirmé. Ces hiérarchies n’étaient pas neuves, mais n’avaient probablement pas eu la même importance dans les décennies précédentes. Par contraste, le XIe siècle offre moins le sentiment d’une adéquation entre les hiérarchies de la possession et les hiérarchies politiques qui paraissent relever d’autres dynamiques. S’il est difficile de se prononcer sur le statut exact des possessores du XIe siècle, il devient de plus en plus aisé, à mesure qu’on avance dans le temps, de bien distinguer les régimes fonciers. Propriétaire ou tenancier, la différence n’est pas nécessairement fondamentale, lorsqu’on la considère du simple point de vue de l’indépendance économique et de l’aisance matérielle. Elle est toutefois incontournable lorsqu’on s’intéresse aux hiérarchies locales.
6.3. La propriété et ses degrés : les évolutions d’un régime foncier
13On ne rencontre guère d’allusions à une différence statutaire entre tenanciers et propriétaires. Aux définitions savantes de la propriété, on serait même tenté d’opposer une appréhension plus simple de la possession : une conception partagée, sur la longue durée, par l’essentiel des acteurs du marché foncier. Dans les confronts, le notaire ne précisait qu’exceptionnellement si le nom qu’il associait à une terre était celui du propriétaire, du tenancier ou du bénéficiaire d’une concession emphytéotique. La terre était dite d’un tel sans qu’on précisât, le plus souvent, s’il s’agissait de la terre qu’un tel tenait d’un tel ou d’une institution quelconque. Depuis l’époque lombarde, c’était parmi les medium owners que se recrutaient les membres du groupe dominant74. La langue anglaise englobe propriétaires et possesseurs dans une catégorie d’owners. On a plusieurs fois employé le terme latin de possessores pour désigner l’ensemble des individus dont le patrimoine se composait généralement de terres tenues jure proprio, en propriété, et d’autres terres tenues d’un laïc ou d’une institution ecclésiastique. C’est à ces possessores qu’il convient maintenant de s’intéresser.
6.3.1. Avoir et tenir : la terminologie usuelle de la possession foncière
14Pour J. Plesner, dont les travaux se concentraient sur la documentation des XIIe et XIIIe siècles, « il était considéré comme chose allant de soi, non que chacun fût propriétaire de toute la terre qu’il cultivait ou faisait cultiver, mais que des parties en fussent son allodio ou propriété libre75 ». En faisant le compte rendu de l’ouvrage de J. Plesner sur l’émigration des campagnes florentines au XIIIe siècle, M. Bloch confessait la gêne que suscitait la relative désinvolture de l’historien danois vis-à-vis du droit :
Animé d’un sens très vif des réalités humaines. M. Plesner est peut-être moins rompu aux précisions de la pensée juridique. Toutes les fois qu’il touche au classement des conditions personnelles ou des droits fonciers son vocabulaire trahit un manque de rigueur parfois gênant. Je n’en veux pour preuve que l’abus qu’il fait de ce mot de propriétaire, aux yeux du médiéviste toujours si dangereusement équivoque. Même appliqué exclusivement aux alleutiers, le terme n’est pas sans inconvénient ; et je crains fort que sous la plume de M. Plesner il ne désigne souvent de simples tenanciers76.
15Sans doute l’historien danois avait-il trouvé assez de références au jus proprium pour considérer les habitants de Passignano comme une petite communauté de propriétaires. Si l’on reprend la documentation relative à certains de ces « propriétaires », on découvre toutefois, en donnant rétrospectivement raison aux soupçons de M. Bloch, des cas plus problématiques. L’une des familles reconstituée par l’historien danois avait ainsi pour ancêtre Giovanni di Brittone, faber et fidelis de l’abbaye entre 1129 et 115677. Ce cas est assez révélateur des incertitudes qui peuvent peser sur le rapport que ces individus entretenaient avec leurs terres. Giovanni di Brittone était un tenancier livellaire de l’abbaye de Passignano et possédait une maison située sur la carbonaria du village castral78 ; il arrivait à ce tenancier d’acquérir des terres par des opérations de crédit79. Lorsqu’il tenait une terre en gage, à quel titre la tenait-il dans le laps de temps du remboursement ? Comme tenancier ou en tant que propriétaire ? Dans le cas d’un acte de septembre 1138, le notaire avait recouru à l’une des formules les plus courantes, et sans doute les plus vagues, en précisant que la terre avait été cédée « pour être possédée » (ad possidendum). S’il importait peu, somme toute, de savoir si l’on devait qualifier de propriétaire un individu qui tenait certaines terres à un titre, et d’autres à un autre titre, M. Bloch avait sans doute raison de souligner l’inconvénient qu’il y avait à désigner l’ensemble des habitants de Passignano ou d’autres castelli comme des communautés de petits et moyens propriétaires. Il y aurait toutefois eu autant d’inconvénients à les désigner en masse comme des tenanciers. La solution consisterait peut-être à ne pas aller au-delà de ce possidere et lorsqu’on parle de possessores aux XIe et XIIe siècles, il faut avoir en tête cette incertitude et refuser de voir dans ce terme un élément fixe du statut. Il faut en outre considérer les distinctions établies par les notaires entre différentes formes de la possession80.
16La documentation laisse supposer l’existence, à l’époque envisagée, d’une conception large et pour ainsi dire pratique de la possession qui ne s’embarrasse pas tant d’arguties juridiques. Une audition de témoins des années 1240, conservée dans le fonds de l’abbaye de Coltibuono, offre des éléments de réflexions sur le lexique de l’appropriation foncière81. Le conflit opposait la communauté des frères convers de l’hôpital de Santa Maria di Memugnano, une dépendance de Coltibuono située près de Rignano sull’Arno, à quelques laïcs des environs. Par sa récente conversion, un dénommé Corzitto avait fait passer une parcelle sous le contrôle du petit hospice rural : on se contestait une terre. Des juges, vraisemblablement florentins, avaient donc entendu les témoins des deux parties. La question n’était pas de savoir qui travaillait la terre, c’était de part et d’autre une chose entendue ; ce que se disputaient les deux parties, c’était une part, non précisée, des fruits de cette terre. C’était dans cette optique que les juges avaient vraisemblablement demandé aux témoins qui avait et qui tenait la terre litigieuse82. Ce qui est remarquable dans ce document, c’est le décalage qu’il offre par rapport aux formules plus élaborées utilisées à la même époque par les notaires pour décrire les rapports de possession et de propriété. Les enquêteurs n’avaient pas demandé aux témoins si Corzitto était propriétaire ou tenait cette terre au nom d’un autre. Ils avaient eu recours – la nature des réponses le laisse supposer – à des notions susceptibles d’embrasser une ample variété de situations. Pour les convers de Memugnano, il s’agissait de prouver qu’un dénommé Corzitto « avait et tenait la terre, depuis trente et plus, sans contestation »83. Pour Guido da Perlupaia, celui qui s’occupait de mettre ces terres en culture, Corzitto était celui qui « avait, tenait cette terre » et « avait le droit de la mettre à profit84 ». Pour l’un des témoins, répondant aux suggestions des enquêteurs et dont on ne connaît la parole que par la double médiation de l’enquête et de la traduction latine, c’était le fait de pouvoir faire travailler une parcelle par un autre qui semblait déterminant85. Il y avait d’autres signes qui permettaient d’attester de cette forme simple de la possession. L’un des témoins, Guinello del Gita da Lantica affirmait avoir vu Corzitto participer, à certaines occasions, au travail de ce champ86. La seule femme interrogée, lors de la seconde audition, était moins favorable aux droits de Corzitto et des frères convers : elle proposait le plus riche des témoignages.
Donna Maria, fille de Donatello, sous serment, a dit que la terre d’où est né le litige est située à Casalina [elle en donne les limites] ; on lui a demandé comment elle savait que les deux parcelles étaient à Monaco, Maffeo, Gilio et Giuliano, fils de Bonacorso, elle a répondu qu’elle avait vu ceux-ci tenir et travailler cette terre et qu’ils la travaillaient en leur nom, c’est du moins ce qu’elle croyait ; on lui a demandé quelle était la surface de cette terre, elle a répondu qu’elle l’ignorait ; on lui a demandé si Curzo [Corsitto], qui est maintenant convers, a tenu cette terre, elle a répondu qu’elle ne le savait pas ; on lui a demandé si elle a vu Guido di Ubertino tenir et posséder la terre d’où est né le litige, elle a répondu qu’elle a vu les hommes de ce dernier tenir cette terre et Bonacorso (fils) d’Ubaldinello (fils) de Guglielmo la lui acheter pour 100 livres avec tout le podere qu’elle incluait87.
17Tenir la terre et la posséder, contrôler le travail auquel elle était soumise, récupérer les récoltes étaient les éléments cardinaux qui permettaient de savoir à qui était une terre. À cette question, un témoin peu favorable aux frères convers répondit qu’il avait entendu dire que Curso di Tassimanno (Corzitto) avait, cette année-là, ensemencé les parcelles et précisait que c’était ce qui avait fait naître le conflit88. Les témoins étaient bien conscients de la valeur que pouvait prendre leur parole et n’ignoraient pas le poids des témoignages écrits. On savait ainsi que la conversion de Corzitto avait donné lieu à l’établissement d’un instrumentum conversionis. Le caractère assez lâche du lexique de la possession ne saurait être expliqué par l’ignorance des témoins concernant certaines subtilités juridiques. Les principaux intéressés ne savaient sans doute pas à qui était exactement les deux parcelles. Probablement n’en avaient-ils pas moins une idée précise des différents degrés de contrôle qui pouvaient s’exercer sur le foncier. Les Florentins des années 1230 fréquentaient suffisamment les hommes de loi et de plume pour connaître la valeur juridique de certains mots et actions et c’étaient d’ailleurs des représentants de ces derniers qui menaient l’enquête. Dans ce cas, comme dans de nombreux autres, lorsqu’on se contentait de recourir à une expression aussi vague que habere et tenere ou au verbe possidere, c’était sans doute qu’il était inutile ou peu prudent d’être précis. Contrairement à la possessio, le substantif proprietas, n’est-il est vrai associé à aucun verbe et l’on pourrait aussi voir dans ce possidere un équivalent à la détention d’une propriété. Replacée dans un contexte européen, la documentation florentine des XIe-XIIIe siècle offre du territoire l’image d’un pays qu’on peut caractériser par l’omniprésence de la petite et la moyenne propriété et par la forte diffusion de formes multiples d’appropriation de la terre et de ses produits. Pour E. Conti, que l’on peut suivre ici, le territoire florentin du XIe siècle présente comme l’agrégat de sociétés composées de « petits, moyens et grands propriétaires »89. Cette assertion peut aisément se vérifier en prenant pour cadre l’un de ces espaces exigus mais bien documentés par les acquisitions des abbayes vallombrosaines. Dans les environs du Molino dell’Altare, près de Montescalari, on relève, pour le XIIe siècle, le nom de quatre-vingts individus exerçant, à des titres divers, le contrôle sur l’une des terres situées autour du moulin, essentiellement en amont, de part et d’autre du petit torrent nommé Mezzana90. Les grandes familles locales dominaient le paysage avec quelques représentants de l’aristocratie citadine, on trouvait ainsi les Caponsacchi aux côtés des da Cintoia, des Montebuoni ou encore des filii Griffi et d’autres individus plus difficiles à rattacher à ces grandes consorterie91. On a vu précédemment ce qu’étaient ces consorterie et le grand nombre de foyers qu’elles pouvaient réunir. Pour un territoire dépassant difficilement les deux cents hectares, dans un relief de collines assez accidenté et où les terres utiles manquaient très probablement, le nombre de possessores était ainsi assez important. On retrouvait ailleurs cette structure éclatée de la propriété foncière92. Cette structure n’est du reste pas une particularité du territoire florentin, elle se retrouve dans toute la Toscane et une bonne partie de l’Europe méditerranéenne. Peu importe, dans le fond, que ces protagonistes fussent ou non propriétaires : pour assurer le contrôle de ce territoire exigu, les dominants devaient tenir compte de chacun d’eux.
6.3.2. Les degrés de la possession
18Les notaires, quant à eux, devaient tenir compte des formules héritées de leurs pairs ou connues par leurs propres lectures, mais devaient tant bien que mal adapter leurs formulaires aux réalités et aux expressions de leurs clients. Ces affirmations ont beau relever de l’évidence, elles permettent de remettre le travail des notaires dans un contexte d’adaptation, de traduction, mais aussi de négociation93. Il faut ici avoir bien à l’esprit la place occupée par les notaires dans ces sociétés. Ces derniers, jusqu’aux premières années du XIIIe siècle, ne se désignaient pas autrement que par un seul nom, un surnom ou un nom de baptême, et ne considéraient pas nécessairement leur qualification de notaire comme un titre à revendiquer en d’autres lieux que lors de la souscription des actes94. Il arrivait que le nom d’un notaire apparût dans les confronts ou que le notaire lui-même fût protagoniste d’une transaction. Dans les années 1130, dans le Chianti, le notaire Petro établit ainsi une transaction dont il n’était pas le protagoniste direct mais concernant des terres qui l’intéressaient certainement de près95. Une dizaine d’années plus tard, dans les environs de Vallombrosa, le notaire Sinibaldo di Rolando tenait une dîme que lui avait concédée l’abbaye voisine96. Orlandino di Giratto (1184-1226), qui fut, des années durant, l’un des principaux scribes travaillant pour les moines de Santa Maria di Vallombrosa, appartenait à une influente famille locale97, très liée à l’abbaye et tenant de cette dernière une bonne partie de ses terres98. La position sociale de ces scribes et de ces spécialistes de l’écrit qu’étaient les notaires n’est pas toujours aisée à déterminer. Elle ne pouvait qu’influencer leur propre interprétation du droit. Les notaires étaient d’autant plus attentifs aux questions relatives à la possession qu’ils étaient eux-mêmes propriétaires, mais aussi très fréquemment tenanciers de grandes institutions ecclésiastiques. Qu’on considère ainsi le cas du juge et notaire Ugo, surnommé Piccone dont les archives de Coltibuono conservent vingt-quatre chartes datées d’entre 1145 et 115799. Actif dans le Chianti, ce notaire avait des biens près de Montegrossi et comptait, dans sa clientèle, plusieurs medium owners des environs100. C’est sur ce petit corpus que l’on se base pour décliner les nombreuses mentions de la propriété ou du jus proprio. La mention la plus systématique était celle qu’on trouvait dans les clauses de garantie des chartes de donation et de vente. En cas de non-respect de la transaction, le destinataire avait droit d’exiger une réparation du double sur les biens de l’auteur pro proprietario jure. Dans une cartula donationis de 1152, on trouvait la clause suivante :
Et s’il arrivait que nous ne prenions pas la défense de cette église à propos de ce bien, nous nous obligeons, nous et nos héritiers, auprès de cette même église, en ce lieu ou en des lieux similaires à fournir une composition du double de ces terres, telles qu’elles auront été améliorées à ce moment, ou en nous référant à la valeur à laquelle elles auront été estimées, sur nos biens propres, en droit de propriété101.
19Cette clause, ou ses équivalents, était courante dans les actes des XIIe et XIIIe siècles : elle suggère une présence diffuse de la propriété. Il n’est pourtant pas certain que les notaires aient toujours eu le souci de s’assurer de la solvabilité des contractants sur des terres qu’ils auraient effectivement tenues en propriété ; l’essentiel était sans doute de garantir au destinataire la possibilité d’être dédommagé du double en cas de manquement.
20Les mentions les plus significatives doivent être recherchées dans le dispositif même des actes. Le notaire Ugo avait à sa disposition une gamme étendue de termes servant à l’expression du contrôle exercé sur un bien foncier. Il en faisait un usage précis et connaissait la distinction entre tenure et propriété. Dans un bref de 1148, il avait eu recours à un formulaire qu’on trouvait peu dans les actes contemporains de Florence et procédait à une investiture in tenimento102. Dans les investitures de ce type, les concessionnaires, ici un couple de laïcs et l’abbé de Coltibuono, n’étaient pas pleinement propriétaires de la terre, mais eux-mêmes concessionnaires103. Il s’agissait en réalité d’une transaction assez complexe qui portait sur des terres situées dans le Chianti et qui « avaient été » à Baroncio da Montelipoli104. La concession était destinée à un certain Caminata, agissant au nom de l’abbaye de Coltibuono, et elle se faisait en propriété et a tenimento105. Les deux auteurs, Migliorello et son épouse Teberga, appartenaient aux Lambardi della Gerda dont il a été question plus haut106. Ils agissaient ici avec l’abbé de Coltibuono Oprando pour procéder à cette investiture. Les précautions déployées par le notaire servaient probablement à réaffirmer les droits des laïcs sur une terre dont l’abbé n’était que le concessionnaire107. Tout tournait en réalité autour du statut de Caminata, le filiastro de Migliorino. Sans doute s’agissait-il de lui réserver la part d’une terre qui avait été concédée à l’abbaye de Coltibuono. Le notaire, qui en d’autres circonstances se montrait moins disert et n’utilisait pas la notion de tenimentum, organisait ainsi trois niveaux de possession : les propriétaires, qui tenaient le bien en division ; un possessor, l’abbé de Coltibuono et enfin Caminata. Ce dernier, dans ce document, comme un autre de 1152, agissait en outre comme représentant de l’abbé. La place qu’il exerçait alors faisait songer à celles de certains frères convers108. Cet exemple complexe sert à illustrer l’usage qu’un notaire comme Ugo faisait des distinctions juridiques de son temps : à l’occasion il avait recours à ces formules pour mettre de l’ordre et hiérarchiser la place des différents ayants droit. Le bref réaffirmait ou rétablissait l’amitié liant les Lambardi della Gerda à l’abbaye de Coltibuono. C’était cette dernière et son représentant local, Caminata, qui exerçaient toutefois le contrôle le plus direct de ces terres. Les concessions a livellario jure ou a tenimento restent rares dans la documentation des XIIe et XIIIe siècles. Sans doute les institutions ecclésiastiques se trouvaient-elles moins intéressées par ces transactions, destinées à organiser la circulation des revenus fonciers entre les grands tenanciers, que par les actes témoignant plus explicitement de leur propriété. Tout étroit que puisse paraître le corpus d’actes légué par le notaire Ugo – vingt-cinq actes entre 1145 et 1172 –, il donne un bon aperçu de la documentation conservée. Dans bien des cas, le notaire Ugo précisait le régime des terres concédées. Dans une donation, par ailleurs assez solennelle, deux époux du castello de Castagnoli offraient ainsi à l’abbaye un bois qui relevait « de leur droit109 ». Au besoin, le notaire distinguait nettement le tenancier, l’exploitant direct des terres, du propriétaire lui-même. En 1145, un groupe actif dans le Chianti offrit ainsi à l’abbé de Coltibuono les terres que tenaient et qu’avaient déjà mises en culture deux tenanciers110. Ces cas ne soulèvent guère de problèmes. Les auteurs étaient bien caractérisés comme propriétaires de leurs terres et étaient en mesure d’en céder l’intégralité à l’abbaye, avec tous les droits qui s’y attachaient. Dans d’autres documents toutefois, le statut des terres était moins évident. En 1150, quelques tenanciers avaient ainsi fait la démarche d’acheter la terre qu’ils exploitaient à leurs propriétaires. S’agissait-il pour eux d’en devenir propriétaires ou d’acheter un droit d’entrée ? La terre était vendue, avec tous les droits et « pour être possédée », tout semblait définitif et complet dans l’acte sans qu’il fût nulle part question de propriété111. La même ambiguïté pouvait entourer d’autres ventes faites112. Dans le cas d’un livello par lequel l’abbaye retournait à ses généreux donateurs une terre offerte, l’organisation même du document suffisait à hiérarchiser les différents ayants droit sans qu’il fût davantage besoin de distinguer propriétaire et usager113. De telles distinctions étaient de fait plus aisées à établir lorsqu’on vendait ou l’on offrait une parcelle ou quelques parcelles en nombre limité. Les grands patrimoines aristocratiques étaient souvent tenus en indivision : une structure qui permettait toutes sortes d’alliances ou d’échanges. En offrant à l’abbaye sa part du castrum et de la curtis de Cascia, Bentivenga di Ugo n’évoquait aucun droit de propriété. Alors même que l’échange portait sur des droits seigneuriaux, l’expression utilisée renvoyait paradoxalement à une forme affaiblie de la possession et l’auteur donnait à l’abbaye la part qu’il était « réputé avoir ou tenir » ou que d’autres tenaient pour lui du castello et de la cour de Cascia, avec les maisons, les terres, les vignes, les biens meubles et immeubles114. On ne conserve guère de brefs de la main du notaire Ugo. Le seul qu’on ait conservé ne se montrait guère explicite sur ces questions115. Les brefs pouvaient certes servir à l’enregistrement des investitures et accompagnaient souvent une vente ou une donation plus classique, mais ils étaient aussi la forme idéale des pacifications et des renégociations du partage des terres et des pouvoirs116. Ce n’était pas, au demeurant, parce que les auteurs revendiquaient explicitement le jus proprium sur une terre, qu’ils en étaient les seuls maîtres. En 1156, contre un prêt de quinze sous de Lucques, les moines de Coltibuono avaient ainsi obtenu la mise en gage d’une terre située au lieu-dit Querciola : terre cédée en propriété, mais qui constituait une possession bien fragile et complètement enserrée par les terres du monastère117.
21Dans les quelques actes qu’il a laissés, le notaire Ugo aura finalement utilisé une assez grande variété d’expressions. Sans doute le scribe s’adaptait-il aux rapports de force, aux exigences des protagonistes et agissait en fonction de ce qu’il estimait être le droit. Un droit qu’influençaient les intérêts de groupes dont le notaire était membre et représentant. Le notaire Ugo était cité dans les confronts, avec son surnom, et en sa qualité de juge et faisait partie des propriétaires de la petite localité appelée Omne, près de Coltibuono. L’une de ses terres confinait avec celle des Firidolfi. Il était aussi l’un des propriétaires d’un territoire que dominaient les Lambardi della Gerda, protagonistes de plusieurs chartes portant le seing du juge Piccone118. Propriétaire local, il exerçait, entre autres, la fonction de scribe, mais ne s’en trouvait pas moins engagé dans les amitiés et les haines qui structuraient ces petites sociétés. Clarifier, ordonner et hiérarchiser les positions de chacun n’était pas toujours la meilleure solution. Dans un pays de propriété dispersée, il était nécessaire, pour construire un édifice en apparence aussi simple qu’un moulin à eau, d’obtenir l’accord d’une foule d’ayants droit : seigneurs, propriétaires partiels d’une terre, tenanciers tirant l’essentiel des revenus de ces terres119. Pour permettre la construction d’un moulin dans les environs de Tornano, les moines de Coltibuono avaient dû obtenir l’accord de trois possessores locaux120. On ignore à quel titre ils intervenaient et à quel point cette terre pouvait être définie comme un bien propre121. Le notaire ne s’arrêtait pas sur ce point. L’essentiel, pour l’abbaye, était d’obtenir ce qu'il lui fallait de terre pour l’entretien d’un moulin122. Les auteurs obtenaient en contrepartie la concession de cette terre en livello123. La plupart des transferts de terre ne nécessitaient pas le recours aux versions les plus élaborées et les mieux hiérarchisées du contrôle foncier. Il suffisait au notaire d’indiquer que la terre était tenue, possédée, et que l’auteur de la vente exerçait un contrôle direct sur les produits de cette terre et sur ceux qui la travaillaient.
6.3.3. Une progressive hiérarchisation de la possession
22Sur l’expression même de la propriété foncière, les actes du XIIIe siècle n’ajoutent pas de profondes nouveautés. Sans doute la fin du XIIe siècle et le XIIIe siècle furent marqués, par d’immenses progrès de la glose et des conceptions savantes qu’on se faisait de la propriété et du dominium124. Les documents les plus courants obéissaient cependant aux distinctions établies à la fin du siècle précédent. Au début du XIIe siècle, le dominium renvoyait davantage au contrôle exercé sur les hommes qu’à une forme de propriété supérieure125. Au cours du XIIe siècle, on employait encore la notion pour évoquer le transfert du contrôle exercé sur des dépendants et partant, sur leur patrimoine foncier126. Au XIIIe siècle, les notaires accolaient volontiers le terme de dominium à celui de propriété, certains en faisaient un usage systématique127. Sans doute l’usage de cette notion supposait-il une définition plus exclusive et plus nette de la propriété. Les nouveautés tenaient davantage aux débats savants et aux nouveaux usages documentaires qu’à une transformation radicale des formulaires. On retrouvait, chez l’auteur d’un formulaire notarial rédigé dans la première moitié du XIIIe siècle, les mêmes distinctions que celles adoptées, quelques décennies plus tôt par son prédécesseur Ugo : les formulaires prévus changeant d’ailleurs davantage en fonction de la nature des biens cédés qu’en fonction du régime foncier128. On trouvait, dans ces transferts, des références aux « droits utiles et directs » qu’on ne trouvait pas, en revanche, dans les ventes faites jure libellario ou nomine ficti vel tenimenti129 : des formulaires encadrant la vente, entre locataires, de biens tenus d’un propriétaire et organisant, en quelque sorte, la circulation des tenures. Il existait bien, de ce point de vue, une distinction entre propriété, dominium, et possession130. C’était ce que manifestait le formulaire prévoyant le rachat de sa tenure par le détenteur d’un livello : un formulaire prévu « pour la vente du dominium, de la propriété et la fin d’une pension131 ». Les distinctions qui avaient cours au XIIIe siècle n’étaient pas nécessairement inédites, mais elles avaient été marquées à la fin du XIIe siècle par un effort de hiérarchisation et de distinction des pouvoirs. Le processus conduisant les possessores du Valdarno et du Chianti à devenir les tenanciers des abbayes vallombrosaines pourrait s’expliquer par la politique d’acquisition foncière de ces abbayes. En achetant des terres, en récupérant les droits et en constituant peu à peu des ensembles fonciers continus, les abbés affirmaient leur pouvoir sur des communautés d’habitants. Aussi est-il difficile de faire la part des évolutions juridiques et documentaires. On ne trouve guère de cas où l’on puisse établir avec certitude une filiation agnatique entre des familles de propriétaires de la première moitié du XIIe siècle et des familles de dépendants du XIIIe siècle. Les cas qui pourraient plaider en faveur de ces filiations suscitent en réalité plus d’interrogations qu’ils n’établissent de certitudes. On peut ainsi s’arrêter sur le cas des filii Giratti, une parentèle à laquelle appartenait le notaire Orlandino (1184, 1226) et qui était très influente dans le castello de Magnale. Toute puissante qu’elle fût, aucun de ses membres n’apparaissait explicitement détenteur de biens propres au XIIe siècle. À l’occasion, ceci ne les empêchait pas d’engager une terre pour garantir un emprunt, ou d’entretenir des tenanciers132. En d’autres actes, ils apparaissaient nettement comme locataires d’autres terres133. L’acte le plus révélateur de la position ambiguë qu’entretenaient les filii Giratti est celui par lequel deux représentants de la famille cédaient à l’abbaye les droits qu’ils avaient sur quelques terres et deux tenanciers134. Faite en présence de boni homines, cette renonciation n’est pas un cas isolé dans la documentation des années 1130-1140 : une décennie particulièrement marquée par l’affirmation monastique sur les terres du Pratomagno. Les procès intentés par des seigneurs à leurs colons, l’effort de délimitation et de clarification des dominations plaident en faveur d’une réaction seigneuriale, plus qu’en faveur d’une simple évolution documentaire. Si l’on peut, pour évoquer la situation des XIe et XIIe siècles, parler d’un écheveau de relations entre seigneurs et dépendants, cette métaphore, en revanche, ne fonctionne plus au milieu du XIIIe siècle.
23Dans les actes de la pratique, il est difficile, jusqu’à la fin du XIIe siècle, d’établir une hiérarchie nette entre les différents usages des exploitations et des parcelles des territoires considérés. À Florence comme en d’autres parties de la Toscane, on peut considérer que la propriété « n’est pas le critère cardinal pour analyser le rapport aux choses135 ». Jusqu’aux années 1170 et au-delà, il n’était pas plus important d’être propriétaire que d’avoir une terre en livello et il n’existait sans doute pas de véritable hiérarchie entre ceux qui avaient une terre en livello, ceux qui avaient une terre a tenimento, en investiture ou en droit propre. Ce qui se devine, dans les écrits des notaires, c’est avant tout l’effort de distinguer et de classer les différents ayants droit d’une terre. On peut juger dérisoires les cens perçus par les abbayes vallombrosaines au XIIe siècle, quelques deniers seulement pour une parcelle. Pour ces grands possesseurs fonciers, la masse de ces cens représentait toutefois une rentrée intéressante d’argent et une manifestation, dans le cas où les paiements étaient effectués, de la place occupée localement par l’institution monastique. Ces cens du XIIIe siècle permettaient surtout à une foule d’autres possesseurs de retirer de ces mêmes terres une part de leurs revenus136. À partir du dernier tiers du XIIe siècle, l’effort consistant à définir la propriété dans des termes plus exclusifs allait de pair avec une insistance nouvelle sur les dépendances juridiques. On assiste, à partir de ces années, à un effort de distinction entre les différents ayants droit : propriétaires supérieurs ou éminents ; propriétaires utiles ou possesseurs ; locataires à plus court terme. Il faut insister sur l’importance qu’a pu jouer l’existence d’une sociabilité de petits et moyens possessores relativement indépendants et maintenant, dans le cadre de la seigneurie, les logiques de l’appropriation foncière137. La surprenante capacité du territoire florentin à fournir année après année, une foule renouvelée de notables ruraux adoptant, à chaque génération, les attitudes leur permettant de s’agréger à la société des dominants tient sans doute à l’existence de cette sociabilité de possessores.
Notes de bas de page
1 Levi 1946, p. 23.
2 Delumeau 1996, vol. 1, p. 77.
3 En 1100, à Marciano, Guido di Guido di Imiza excluait de sa donation à l’abbaye de Coltibuono les oliviers qu’il avait dans le territoire de l’ancien castello, voir Diplomatico, Coltibuono, 1100/06 (2851, RC 220).
4 Guerreau 1980, p. 179.
5 Les termes du débat sont résumés par Feller 1997, sur la question de l’alleu, aussi bien comme terme attesté dans les sources et comme thème historiographique, on renvoie aux travaux menés actuellement par D. Barthélemy et N. Carrier, proposant, par une série de rencontres, une nouvelle recension des attestations d’allodium et d’allodieri dans les sources occidentales et un travail de réflexion sur les réalités auxquelles renvoyaient ces notions.
6 Cherubini 2009.
7 Cortese 2007, p. 201-208.
8 Wickham 1987 ; Cortese 2007, p. 208 : « Va poi ricordato che nella nostra area molto difficilmente le famiglie aristocratiche potevano contare su nuclei di proprietà compatti, per via della vasta presenza di beni monastici ma soprattutto della piccola e media proprietà allodiale contadina, che rimase diffusa e vitale fino al basso Medioevo. »
9 Guerreau 1980, p. 179-180, on ne peut tenir pour acquis « l’assimilation totale du pouvoir sur la terre et du pouvoir sur les hommes » dans une Toscane inégalement marquée et transformée par le fait seigneurial.
10 Ricardo 1977, p. 58, selon l’économiste classique, la rente foncière est « ce que l’on paie pour la jouissance des facultés productives du sol ».
11 Huertas 2008, p. 294-295.
12 Cortese 2010.
13 Carocci 2010b.
14 Giusiani – Vitiello – Fornaciari 2007.
15 L’un des documents les plus anciens remonte à la fin du XIe siècle, voir Diplomatico, Coltibuono, 1078/09 (1670, RC 116), un couple offrait à l’abbaye de Coltibuono une exploitation, une sors, située dans le territoire dit Avanano et que géraient déjà un prêtre et son frère, par l’entremise de représentants, des custodes écrivait le notaire, en demandant le versement aux pauvres des blés et des rentes, blada et redditus.
16 Il est rare qu’on trouve la mention précise du blé (bladum) et quand on la trouve, c’est souvent en association avec d’autres « grains », comme l’orge ou d’autres céréales.
17 Diplomatico, Coltibuono, 1273/04/24 (18744), le camérier de la commune de Montaio faisait quittance à Ventura di Accorso da Montaio des seize setiers de « blé » – orge et avoine – qu’il devait pour la terre de Micco.
18 Diplomatico, Coltibuono, 1194/09/25 (7041, RC 527), 1199/04/08 (7368, RC 535), 1213 (8830), 1215/09/21 (9011), 1250/08/06 (14277), 1255/06/08 (15168), 1259/04/01 (16165), 1298/02/02 (25808, en 1299), CRSGF, 224.237, n° 600, p. 215-218, le 19 octobre 1226.
19 Les mentions de « grains » sont, pour leur part, beaucoup plus fréquentes.
20 Le terme est panicale et il s’agit certainement du millet (panicum italicum), ou d’un petit mil résistant aux zones humides ; NA, fol. 15r-v, bail du 26 mars 1294 (en 1295), Corso Malaccho di Gianni loue, pour le compte de Tommaso di Spigliato dei Mozzi, une exploitation pour quatre ans contre huit muids et 18 setiers de granum par an, 24 sirquas d’œufs et la moitié du panicale récolté sur les terres de l’insula des Mozzi ; sur le mil et le millet, voir FAO 1995.
21 Dans les actes de Coltibuono, la vigne est mentionnée à 149 reprises pour la période des XIe-XIIIe siècles.
22 Salvestrini 1998, p. 201-203.
23 Diplomatico, Coltibuono, 1083/07 (1893, RC 141), 1097 (2712, RC 207), 1100/02/22 (2828, RC 219),
24 Montanari 2011, vol. 1, p.425‑434.
25 Faini 2010, p. 24 et suivantes.
26 Conti 1965a, p. 146-147, les toponymes renvoyant aux incultes – Cerrito, Felcito, Lama, Petricio, Quercito, Scopito, Silva de Callebona, Silva Pictula et Sodo – décrivent des terres dont on attend des rendements céréaliers, dès le XIe siècle.
27 Diplomatico, S. Vigilio di Siena, 1099/10/30 (2818, Le carte... 136).
28 Perrin 2011.
29 On sait qu’on élevait des porcs, à Marciano, près de Rignano, l’abbaye de Coltibuono faisait payer à un grand tenancier l’expensis porcorum, voir Diplomatico, Coltibuono, 1257/03/02 (15630, en 1258) ; dans le Chianti, à la fin du XIIIe siècle, on demandait au tenancier d’offrir un porc chaque année, ibid., 1289/09/07 (23054) ; dans les montagnes du Pratomagno, l’habitude s’était déjà prise de transformer le porc, on serait du moins tenté de considérer que le versement coutumier d’une « épaule de porc » consistait au don annuel d’un jambon, Diplomatico, Vallombrosa, 1217/05/16 (9202), 1299/12/04 (26590), 1299/05/10 (26363, le 10 mars).
30 Les paiements en œufs, à plusieurs moments de l’année, et en poulets sont les mieux attestés, voir Diplomatico, Vallombrosa, 1143/06 (4653), 1143/06/02 (4650), 1153/04 (5086), 1188/05/07 (6651), 1189/04/24 (6709), 1191/10/07 (6831), 1195/05/19 (7101), 1202/05/26 (7689), 1210/11/22 (8475), 1216/12/17 (9136), 1243/11/22 (13136).
31 On trouve quelques références aux ânes, voir Lefeuvre 2018c, p. 72.
32 Baethgen 1934, p. 1091-1092, n° 50-55 ; dans la vita de Jean Gualbert, on relève la présence des vaches sur les alpages, ainsi que de chèvres, voir Diplomatico, Vallombrosa, 1219/01/23 (9385, en 1220) ; on sait en outre qu’on produisait des fromages, notamment en montagne, Diplomatico, Vallombrosa, 1202/05/26 (7689), 1203/08/09 (7805), 1219/03/14 (74208), 1227/04/26 (10480).
33 Diplomatico, Vallombrosa, XIIIe siècle (27478), Lefeuvre 2018b, § 11.
34 La Roncière 1982, p. 69-222.
35 Diplomatico, Coltibuono, 1237/05/25 (12155), Pisano, évêque de Chiusi, établissait une soccida avec Buono, abbé de Coltibuono, du 29 septembre de 1237 et pour trois ans, lui confiant l’élevage de 280 têtes de bétail, pecudes cum arietibus.
36 La Roncière 2005b, p. 340-341.
37 Conti 1965a.
38 Huertas 2008, p. 204.
39 Dans la grande majorité des cas, on ignore la surface de ces exploitations, ceci n’empêche pas, comme le montre le travail d’E. Huertas, de se faire une idée du parcellaire, Huertas 2008, p. 168-173.
40 Diplomatico, Coltibuono, 1149/02/24 (4916, RC 408).
41 Il y a, sur l’Arbia, au niveau du Borgo Argenina, un lieu-dit Molino di Piermaggiore.
42 Conti 1965a, p. 128.
43 Huertas 2008, p. 168-172.
44 Diplomatico, Coltibuono, 1242/05/03 (12870).
45 Le hameau de Linari est situé dans la commune de Gaiole in Chianti.
46 La Roncière 1973, p. 23, 116-117.
47 Bonnassie 1990, p. 145.
48 Duhamel-Amado 1990.
49 Sur ces deux parentèles, voir, en annexe de ce livre, n° 11 « Les Lambardi della Gerda : illustres inconnus du Chianti » et n° 12 « Les nepotes Bonizi d’Albareto : possessores et fabri du Chianti (XIe-XIIe siècle) ».
50 Diplomatico, Coltibuono, 1043/05 (685, RC 35), en mai 1043, Alberico et Giovanni, les fils de Chiariza, vendaient à Petro et Bonizo, les fils de Bonizo, un manse situé à Valescana (non loin d’Albereto et de Compocorto), manse que tenaient les massarii Bonizo et Giovanni di Bonizo ; il est probable que l’acheteur, Bonizo di Bonizo, et le massarius Bonizo di Bonizo, aient été une seule et même personne.
51 Ibid., 1019/06 (299, RC 16), Teuzo di Bonizo vendait à Guido di Sizo le quart des terres, des vignes et des domnicatis qu’il avait dans le territoire de San Giovanni di Cavriglia au lieu-dit « Sublicito » ; à l’instar des filii Bonizi, les filii Sizi apparaissent à la fois comme bénéficiaires et concessionnaires des livelli ; ici Teuzo di Bonizo vendait à Guido les terres dont il était déjà tenancier ; on aurait pu tenter avec les filii Sizi le même travail qu’avec les filii Bonizi mais la construction aurait été tout aussi hypothétique, plusieurs mentions de ce groupe sont faites dans les confronts, ibid., 1078/08/23 (1662, RC 113, le 18 août).
52 Teuzo a écrit trois actes conservés dans le fonds de Coltibuono, ibid., 1019/06 (299, RC 16), 1024/09 (365, RC 20), 1033/04 (457, RC 22) ; dans le premier acte, il ratifiait un acte émanant de Teuzo di Bonizo, dans le second il écrivait un acte pour le compte d’Alberico di Sizo (auteur) ou du destinataire Gerardo di Alberga.
53 Ibid., 1082/09/02 (1857, RC 135), est terra deli fabri de canpo Curtuli.
54 Ibid., 1082/02 (1833, RC 137, en 1083).
55 Wickham 1989.
56 Diplomatico, Coltibuono, 1111/05 (3346, RC 269), 1140/12 (4536, RC 385).
57 Ibid., 1118/05/17 (3621, RC 296), Martino di Remberto agissait comme intermédiaire d’un prêt sur gage foncier réalisé par un membre des Firidolfi, Cortese 2007, p. 97, n. 101.
58 Ibid., 1112/11 (3404, RC 276), les auteurs de cette vente appartenaient certainement à la famille de petits seigneurs du castello de Lucignano, les filii Tebaldi ; sur ces derniers voir Cortese 2007, p. 352.
59 Varlungo est une localité située à l’est de Florence, sur l’Arno, c’est un gué où s’élève aujourd’hui un pont et qui se trouve désormais intégré au tissu urbain de la métropole ; on compte une trentaine d’actes relatifs à cette localité dans les archives de l’abbaye de Montescalari, essentiellement dans les actes du XIIe siècle ; au début du XIIe siècle, les affaires étaient dominées par les descendants de Giovanni da Basirica et une famille où dominait le nom de Fiorenzo, Ermingarda et Martino.
60 Faini 2008b.
61 De nombreuses références ont déjà été faites au travail de C. Wickham sur ce point, on se contentera ici de renvoyer à Wickham 2005b, p. 383-393 ; une évocation suggestive de ce milieu chez Andreolli 1983.
62 Da Graca 2015.
63 L’une des thèses de C. Wickham est celle d’une longue durée de l’ordre politique carolingien dans la Toscane ducale, une longue durée qui expliquerait le retard pris sur place par le développement des seigneuries, voir Wickham 1996b, approche reprise et renforcée par Cortese 2017b.
64 Diplomatico, S. Vigilio di Siena, 1152/03/16 (5033, en 1153).
65 Ibid., 1176/01/30 (5968, en 1177).
66 Ibid., 1179/12/05 (6173).
67 Ibid., 1187/03/16 (6572, en 1188), une vente précédée par celle d’un membre des da Cintoia, ibid., 1187/03/08 (6571, en 1188).
68 Ibid., 1176/01/30 (5968, en 1177), parmi les témoins, on compte notamment Gualfredo di Francolo, Alberto et Rolando di Enrico (Rigolo), de même que Federico di Gottolo et son nepos.
69 Ibid., 1152/03/16 (5033, en 1153), on ignore la nature exacte des liens entre Guido di Bernardo, son épouse Giolitta d’une part, et Mattafellone et Guido di Nerbotto d’autre part, mais le fait qu’ils offrent ensemble une terre à l’abbaye de Montescalari suggère l’existence de liens de parenté.
70 Diplomatico, S. Vigilio di Siena, 1179/12/05 (6173).
71 Ibid., 1187/03/08 (6571, en 1188).
72 Menant 2010.
73 On trouve d’autres exemples de cette dispersion du parcellaire réparti selon des logiques de complémentarité. Dans le Chianti, près de Lucignano, à la fin du XIe siècle, Tederico di Benno da Lucignano, avait offert à l’autel de San Lorenzo le quart d’un manse situé dans les environs du castello en même temps les droits qu’il avait sur une châtaigneraie située au Valgelata, Diplomatico, Coltibuono, 1097 (2712, RC 207).
74 Wickham 1988, p. 40-49, dans les traductions italiennes, le choix de proprietario a été fait pour traduire owner. C. Wickham a eu la bonté de préciser qu’il entendait bien renvoyer aux propriétaires lorsqu’il parlait d’owners.
75 Plesner 1934, p. 45-46.
76 Bloch 1936.
77 Plesner 1934, p. 219.
78 Diplomatico, Passignano, 1129/03/04 (4031).
79 Ibid., 1138/09/25 (4446).
80 C. Wickham privilégie la différence économique passant d’une part entre les travailleurs de la terre et d’autre part les possessores et propriétaires. Si ce choix se comprend dans une perspective ouvertement marxiste, l’absence de réflexion sur les différents degrés de la possession foncière est plus contestable lorsqu’on la retrouve chez Susan Reynolds qui réduit à une forme de possession des modalités très diverses du contrôle exercé sur les biens fonciers, voir Reynolds 1994, p. 183 : « Individual people of free status were apparently thoughts of as owners, whether they held their property jointly or not, and wether their property was called their proprietas, thier proprium, or simply their res. Whether their rights in it were characterized as dominium, possessio, or anything else, they were adjudicated in courts or assemblies. »
81 Diplomatico, Coltibuono, 123./11/05 (12577), voir aussi Lefeuvre 2018c, p. 62 et suivantes.
82 Lefeuvre 2018c, p. 65, il s’agit d’une reconstruction hypothétique des intentiones des juges, les verbes habere et tenere sont ceux qui reviennent avec le plus de régularité dans la définition du rapport entretenu avec le fonds agricole par les personnes impliquées.
83 Diplomatico, Coltibuono, 123./11/05 (12577), habuit et tenuit ipsas terras per triginta annos et plus quiete.
84 Ibid., habere et tenere dictam terram et usufructare.
85 Ibid., non fuit presens quando daret ad laborandum nec scit si sua est set bene audivit iam sunt novem anni quod dicta terra erat Corzitti.
86 Ibid., vidit dictum Curzittum pluries in dicta dicta terra laborare cum dictis laboratoribus.
87 Ibid., Domina Maria filia Donatello jurando dixit quod terra unde lis posita est in Cassaline, ab uno latere ospitale ad Memugnano, ab alio Ammonitus filius Rustikelli, ab alio via, ab alio fossatus et est dicta terra Monaci, Maffei et Gillii, Guliani et Jacopi, fratribus filiis Bonacorzi, et est posita in Cassaline, […] interrogata quosmodo sciret quod prima petia et secunda esset monaci Maffei et Gillii et Guliani et Jacopi filiis Bonaccorzi respondit quia vidit eis tenere et laborare et eorum nomine laborant sicut credit, interrrogata quanta sit dicta terra terra, respondit quod nescit, interrogata si Curzus qui nunc est conversus tenuit dictam terram, respondit quod nescit, interrogata si vidit tenere et possidere terram unde lis est Guidoni Ubertini respondit quod vidit tenere hominibus suis, et Bonacorzus filius Ubaldinelli Gullielmi emit dictam terram unde lis est centum libras sicut audivit dici cum podere toto quod tenebat et habebat ; interrogata quis nunc possidet, respondit quod predicti sicut […] ; interrogata si attinet predictis, respondit quod ispi fuerunt de una sorore et ipsa de alia nec hodio nec amore fecit et de omnibus diligenter inquisita nichil scit.
88 Ibid., interrogatus quis nunc possidet, respondit quod nescit, sed audivit dici quod Cursus filius Tassimanni [...] hoc anno seminavit, ideo est lis.
89 Conti 1965a, p. 45 : « Grandi, medi e piccoli proprietari si incrociavano quasi dovunque, sia attorno ai castelli che nei villaggi aperti. »
90 Lefeuvre 2016a.
91 Sur les Caponsacchi, voir Faini 2010, p. 254-261 ; pour les da Cintoia et les Montebuoni Cortese 2007, p. 294-305, 334-340 ; sur les filii Griffi voir enfin Cortese 2008.
92 Conti 1965a, p. 152, dans le territoire d’une paroisse moderne de la Val di Pesa, on pouvait ainsi dénombrer 235 propriétaires.
93 Huertas 2008.
94 Lefeuvre 2019.
95 Diplomatico, Coltibuono, 1131/03 (4132, RC 348), deux prêtres des environs, Guglielmo et Guido, donnaient en gage à un dénommé Casale di Ardimanno deux parcelles situées au milieu des terres du notaire Petro et recevaient en échange un prêt de quinze sous ; ce notaire doit être distingué d’un autre Petro, actif à la même époque dans le Valdarno Supérieur et le Pratomagno, lui aussi possesseur de terres dans les environs de Marciano, ibid., 1146 (4812, RC 400).
96 Diplomatico, Vallombrosa, 1141/09/30 (4573).
97 Sur cette parentèle voir, en annexe de ce livre, n° 6 « Les filii Giratti, de petits seigneurs du Pratomagno ».
98 Diplomatico, Vallombrosa, 1191/12/02 (6840).
99 On rencontre le seing de ce notaire dans la série Coltibuono du Diplomatico, il ne doit pas être confondu avec un autre Ugo, notaire du castello de Stielle et rédacteur de plusieurs cartulae des années 1130-1140 et qui se distingue notamment par l’usage du comput pisan.
100 Le juge Ugo était surnommé Piccone, un nom que l’on retrouve dans les confronts d’un acte, au lieu-dit Omne, voir CRSGF, 224.236, n° 700, le 13 avril 1148 (RC 405) et Diplomatico, Coltibuono, 1149/02/24 (4916, RC 408, daté de 1148), 1150/05/22 (4959, RC 410), 1151/05/23 (5003, RC 413, le 16 mai), 1164/04/29 (5510, RC 465).
101 Ibid., 1145/04/20 (4717), aut si ad deffensionem ejus rei ad partem ejusdem ecclesie nos| subtraxerimus, tunc obligamus nos et nostros heredes ad partem ejusdem ecclesie ibi vel in consimilibus| locis in duplum componituros predictas terras sicut pro tempore fuerint meliorate, aut sub estimatione valuerint| de nostris propriis rebus, proprietario jure.
102 Ibid., 1148/11/10 (4908, RC 407).
103 Huertas 2008, p. 131-132.
104 Diplomatico, Coltibuono, 1148/11/10 (4908, RC 407), nominative integr[a] eorum parte de omnibus| terris et vineis que fuerunt Baronci de Montelipoli.
105 Ibid., et ad partem tradiderunt ad propr[ietatem]| et parte a tenimento ad divisionem ad predictum Cami[natam]| vice abatis.
106 Dans un acte du même notaire Ugo, on trouve parmi les témoins un certain Melliorelli de Gerda, ibid., 1154/04/17 (5132, RC 430) ; sur La Gerda et Omne, voir Conti 1965a ; Wickham 1989.
107 Diplomatico, Coltibuono, 1148/11/10 (4908, RC 407), et pro ipsa parte quam Caminata vice abatis recepit ipse qui supra abbas per membranum quod| suis detinebat manibus investivit in partem divisionis| dedit ad jamdictum Melliorinum et vice uxori integram suam par[tem]| de omnibus terris et vineis que fuerunt Baronci de Montelipol[i]| sicut dividit jam dicto fossato de Albarito jus pro jure teni|mentum pro tenimentum quantum qui supra Melliorino ei qui supra abati| defensaverit et qualem partem a filiastro non defensaverit| in eadem parte qui supra abbas in alia revertatur.
108 Ibid., 1151/05 (5004, RC 415, en 1152), Caminata agit de nouveau comme représentant de l’abbé.
109 Ibid., 1145/04/20 (4717, RC 394), de integra una petia terre et bossco| que est juris nostri ; mêmes expressions utilisées par le notaire Ugo dans des donations ou, plus rarement, des ventes, ibid., 1145/10/24 (4742, RC 395), 1149/02/24 (4916, RC 408), 1150/06/15 (4963, RC 411), dans ce cas l’auteur vendait une surface de tribus starioriis terris que sunt mei juris, 1152/11/06 (5056, RC 416), 1152/11/07 (5058, RC 417), 1152/11/07 (5057, RC 418), 1153/01/18 (5068, RC 429, en 1154), 1157/08/06 (5274, RC 443), cum omni jure et actione.
110 Ibid., 1145/10 (4743, RC 396), integris terris et vineis| et rebus quas a nobis proprietario jure Tezio filius bene memorie Alberti da Doccio et Garardus filius bene memorie Aczi seminati| tenent ; on retrouve, ici encore, la valeur juridique que revêtait le fait d’avoir ensemencé une terre, dans une logique bien compréhensible.
111 Ibid., 1150/05/22 (4959, RC 410), ideoque predictas| terras cum omnibus supra se et infra se habentibus, in integrum vobis| qui supra vendimus et tradimus ad possidendum, la seule mention du droit de propriété intervenait dans les clauses de garantie, les vendeurs s’engageant sur leurs biens en cas de manquement.
112 Ibid., 1151/05/23 (5003, RC 413, le 16 mai), 1153/01/17 (5067, RC 428, en 1154), dans ce dernier cas, on peut se demander si le parchemin n’a pas été coupé d’une clause située après la completio du notaire et révélant une vente motivée, à la base, par un prêt sur gage foncier (le signum du notaire devrait se prolonger plus bas).
113 Ibid., 1153/05/28 (5091, RC 421), le livello émanait de l’abbé Oprando et était destiné à Tedericolo di Gerardo qui retrouvait les terres qu’il avait offertes à l’abbaye en échange d’un loyer annuel de 8 deniers de Lucques.
114 Ibid., 1153/11/18 (5111, RC 423), de mea| parte de castro et curte de Casiaia (Cascia) et casis et terris et vineis| et rebus mobilibus et inmobilibus quas visus sum habere et tenere| et alii per me ; une vente assez similaire, quoique d’allure moins seigneuriale, ibid., 1153/01/17 (5066, RC 426).
115 Ibid., 1153/12/15 (5113, RC 424), Rigolo di Artisino cédait au camérier de Coltibuono, les biens du castello de Stielle qu’avaient déjà donnés avant lui Bonifazio di Saraceno et son épouse, il s’agissait donc d’une confirmation dont Rigolo di Artisino était l’un des derniers maillons.
116 Faini 2010, p. 303.
117 Diplomatico, Coltibuono, 1155/01/26 (5172, RC 436, en 1156), unam petiam terre posita| Bracaccioli ubi dicitur Querciole que est nostre proprietatis cui ab| omnibus partibus est terra Sancti Laurentii cum omnibus supra se et infra se| habentibus.
118 Ibid., 1164/04/29 (5510, RC 465).
119 Sur les moulins, voir Papaccio 2004 ; Lapi 2009.
120 Diplomatico, Coltibuono, 1155/02/15 (5176, RC 438, en 1156), ces possessores étaient Guido di Ugo, son épouse Massarina, Brunaccio di Orso encore jeune et agissant sous l’autorité d’un tuteur.
121 Ibid., 1164/04/29 (5510, RC 465), de una petia terre quam| habemus.
122 Ibid., ut ab hac ora, in antea,| habeas tu, qui supra abbas, quam tui successores, tantam habeatis de qua supra| terra […] quanta est| necesse vel erit a Sipe et ad Omnem, utilitatem molini de Tornano.
123 Ibid., launeclid terram ad libellum| recipientes nos obligare placuit.
124 Comment envisager la notion de dominium ? Une option consisterait à proposer une traduction par le terme de seigneurie, voir ainsi Willoweit 1974 , une autre consisterait à faire du dominium un concept heuristique servant à désigner d’un même mouvement le pouvoir sur la terre et les hommes, sans utiliser la traduction impropre de propriété, voir Guerreau 1980, p. 179-184 ; cette approche est difficile à mettre en œuvre dans le cas d’une documentation notariale qui fait un usage courant et polysémique du terme de dominium, voir Huertas 2008, p. 259-260.
125 Diplomatico, Coltibuono, 1121 (3753, RC 313).
126 Ibid., Vallombrosa, 1138/02 (4418), Coltibuono, 119(*) (7400, RC 541).
127 Ibid., 1246/09/02 (13722), S. Vigilio di Siena, 1213/06/25 (8771).
128 Scalfati 1997, le formulaire de venditione rei stabilis, p. 114, servait ainsi à encadrer les transferts de plusieurs parcelles situées dans une curtis, tandis que le formulaire de vendita vel empta jure proprio, p. 120, était destiné à la vente d’une simple parcelle ou d’une portion de cette dernière ; un formulaire spécial servait à la vente d’un castrum, de venditione castri, p. 133.
129 Scalfati 1997, p. 135-136.
130 Voir Huertas 2008, p. 262-264. La distinction entre dominium utile (le droit d’usage) et dominium directum (droit de propriété, conçu comme supérieur, mais ne donnant pas forcément une grande prise sur le bien) remonte à la fin du XIIe siècle, mais c’est bien plus tard que la distinction devait devenir l’une des pierres angulaires des réflexions sur le droit d’Ancien Régime ; Emanuele Conte a récemment mis en valeur le contexte dans lequel le juriste Pillio avait été conduit à établir cette distinction à la fin du XIIe siècle, en insistant davantage sur les intérêts et les rapports de force contribuant à la formation du droit que sur les hypothétiques origines germaniques d’une telle distinction, voir Conte 2015.
131 Scalfati 1997, p. 142, De venditione dominii et proprietatis et fine pensionis.
132 Diplomatico, Vallombrosa, 1120/05 (3710).
133 Ibid., 1132/07 (4196).
134 Ibid., 1132/08 (4201).
135 Huertas 2008, p. 259.
136 Conti 1985.
137 Wickham 1988, p. 144-148.
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2005
L’« Incastellamento » en Italie centrale
Pouvoirs, territoire et peuplement dans la vallée du Turano au Moyen Âge
Étienne Hubert
2002
La Circulation des biens à Venise
Stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750)
Jean-François Chauvard
2005
La Curie romaine de Pie IX à Pie X
Le gouvernement central de l’Église et la fin des États pontificaux
François Jankowiak
2007
Rhétorique du pouvoir médiéval
Les Lettres de Pierre de la Vigne et la formation du langage politique européen (XIIIe-XVe siècles)
Benoît Grévin
2008
Les régimes de santé au Moyen Âge
Naissance et diffusion d’une écriture médicale en Italie et en France (XIIIe- XVe siècle)
Marilyn Nicoud
2007
Rome, ville technique (1870-1925)
Une modernisation conflictuelle de l’espace urbain
Denis Bocquet
2007