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Chapitre 7

Des partis encore frères ? Les divisions du socialisme européen aux débuts de la guerre froide

p. 385-442


Texte intégral

1L’année 1947 est depuis longtemps identifiée comme une période-clé, marquant l’entrée dans la guerre froide de la France et de l’Italie1. Avec une synchronie parfaite, en mai, les gouvernements d’union nationale nés de la Libération se brisent dans les deux pays. L’événement revêt d’abord l’aspect d’une simple crise gouvernementale et rien n’indique alors la portée d’un événement qui éloigne les socialistes italiens du gouvernement jusqu’au milieu des années 1960 et davantage encore les communistes des deux pays. Les élections qui se profilent – au printemps 1948 en Italie et à l’automne pour les élections municipales en France – semblent pouvoir rebattre les cartes.

2Les mois suivants confirment cependant les orientations en germe dès la première moitié de l’année 1947 : en Italie, la campagne électorale de 1948 est très rude et l’opposition entre la DC et ses alliés d’une part, et les communistes et socialistes qui font liste commune d’autre part, tend à se raidir dans un antagonisme bipartite qui renforce la conflictualité. En France, l’irruption d’un sujet politique nouveau, le Rassemblement pour la France (RPF) du général de Gaulle, large vainqueur des élections municipales de l’automne 1947, alimente la rhétorique socialiste de la République assiégée, sous la double menace communiste et gaulliste. Cette analyse, qui n’est pas sans soulever des protestations au sein même du parti, entérine la stratégie de Troisième force qui guide l’action de la SFIO pendant plusieurs années.

3L’année 1947 est donc le moment où la divergence de parcours entre la SFIO et le PSI apparaît avec évidence. La première, qui fait le choix d’une alliance centriste avec le MRP et les radicaux, opte pour une position largement partagée par les socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes d’Europe de l’Ouest qui refusent – et condamnent – l’unité d’action avec les communistes. À l’inverse, le socialisme italien se distingue par une position originale d’alliance avec ces derniers, à peine remise en cause pendant quelques mois à la fin de l’année 19482, et qui le caractérise jusqu’au milieu des années 1950.

4Le processus est cependant plus graduel qu’il n’y paraît, depuis les tensions qui agitent les deux partis dès l’été 1946 jusqu’à la rupture définitive du PSI avec les institutions socialistes internationales en 1948-1949. Il s’agit ici, à partir des tensions qui secouent la SFIO et le PSI pendant la période et en reconstruisant le délitement progressif de leurs relations, de montrer les antagonismes qui traversent l’ensemble des partis socialistes européens au moment où les débuts de la guerre froide les contraignent à faire des choix plus tranchés qu’ils ne l’auraient sans doute voulu.

I. L’année 1947

I.1. Palazzo Barberini et la scission du socialisme italien

5Depuis le congrès de Florence, en avril 1946, la question de la fusion avec le PCI, qui avait occupé une bonne partie des débats, semble réglée : la gauche, organisée autour de Giusto Tolloy et Oreste Lizzadri avait accepté de renoncer – temporairement du moins – à ce projet, en échange de quoi la droite ne s’opposait pas au renouvellement de l’unité d’action avec les communistes. En somme, l’autonomie et l’unité d’action avaient été réaffirmées ensemble, dans un congrès qui avait vu la gauche – alliance de la motion de Tolloy et Lizzadri avec celle de Nenni, Morandi et Basso – obtenir 46 % des suffrages, le centre autonomiste de Pertini, Silone et du groupe d’Iniziativa socialista, 41 % et la droite de Critica sociale, 12 %3.

6Ces alliances de circonstance semblent avoir éloigné la perspective de la fusion ce dont témoigne le bon score de la motion centriste qui a fait campagne autour du thème de l’autonomie socialiste. Les trois motions cachent cependant une multitude de positions intermédiaires qui peuvent rapidement se reconfigurer. Jusqu’en juin, le parti est concentré sur la campagne pour le référendum et sur le combat pour la République, lesquels unissent toutes les tendances. De même, le bon score aux élections législatives du 2 juin 1946 et la deuxième place, devant le PCI, permettent de dépasser temporairement les divisions. Celles-ci ressurgissent en revanche après l’été, alimentées par le mauvais score des socialistes aux élections municipales de l’automne 19464. Les cartes sont en partie rebattues : la division tripartite qui avait prévalu à Florence est remise en cause, et se fait jour une grande alliance de gauche, allant de Lizzadri à Pertini, englobant les groupes proches de Lelio Basso et de Rodolfo Morandi. Cette large entente, structurée autour de Pietro Nenni, a pour objectif affiché de poursuivre l’alliance étroite avec les communistes. Face à eux, on trouve les réformistes de Critica sociale, héritiers du socialisme turatien et du Parti socialiste unitaire (1922-1930)5. Enfin, le groupe d’Iniziativa socialista, autour de Leo Solari et Matteo Matteotti, est plus difficile à placer sur un axe droite-gauche : ses membres rejettent la participation gouvernementale, mais sont hostiles à la fusion, bien qu’ils considèrent l’anticommunisme comme contre-productif. Ils se rapprochent de Saragat, craignant d’être marginalisés au sein du PSIUP.

7La scission est décidée juste avant le congrès de janvier 19476, auquel certains délégués n’assistent même pas7. Au palais Barberini – nom souvent employé pour désigner la scission – ils sont rejoints par les congressistes scissionnistes et Matteo Matteotti qui avait officiellement demandé la suspension des discussions et l’invalidation du congrès du PSIUP. Ils donnent alors naissance au Parti socialiste des travailleurs italiens (Partito socialista dei lavoratori italiani, PSLI). Pendant ce temps, les délégués restés fidèles au Parti socialiste décident de reprendre l’ancien nom de PSI pour éviter que les scissionnistes ne se l’approprient.

852 des 115 parlementaires rejoignent le PSLI ainsi qu’environ la moitié des 150 000 militants8 qui avaient voté pour les motions de Critica sociale et d’Iniziativa. Avec cette dernière, une grande partie de la FGS, l’organisation de jeunesse, rejoint également le nouveau parti. Le PSI perd donc de nombreux parlementaires et cadres, bien plus que des militants. En effet, les réticences demeurent importantes chez certains d’entre eux devant une scission qui semble affaiblir le socialisme : ainsi à Turin et Milan où se signalent des cas de refus de rejoindre le PSLI chez des partisans des motions scissionnistes9. C’est aussi le cas de certains dirigeants : Ignazio Silone, autonomiste convaincu, quitte le PSI, mais refuse d’adhérer au PSLI et le ministre Giuseppe Romita choisit de demeurer dans le parti, ne le quittant qu’en 1949.

9La scission n’a par ailleurs pas aplani tous les différends au sein d’un PSI où demeurent donc certains autonomistes et où la gauche, unie pour l’occasion, est aussi traversée de nombreuses dissensions. La fusion est repoussée pour d’évidentes raisons tactiques – il ne s’agit pas de laisser l’appellation socialiste au seul PSLI – et le débat se noue autour de la figure de Lelio Basso, devenu secrétaire du parti, qui entend, sous couvert d’efficacité politique, limiter les droits des courants minoritaires et augmenter la centralisation10. La direction doit aussi faire face à la diminution du poids du PSI dans les instances unitaires : il ne pèse plus qu’entre 25 et 30 % au sein du syndicat de la CGIL, loin derrière le PCI, et en juin 1947, la Ligue nationale des coopératives (Lega nazionale delle cooperative e mutue), institution prestigieuse et historiquement liée au socialisme, passe sous direction communiste11.

 

10Les motivations de la rupture sont autant dues à la crainte d’un verrouillage du parti dont Lelio Basso ne cache pas le projet, qu’à de profondes différences stratégiques et idéologiques. Le nouveau parti construit son unité autour de l’autonomie socialiste, seul véritable point commun entre Critica sociale et Iniziativa socialista, par ailleurs opposées sur la participation gouvernementale, à laquelle cette dernière est rétive, et le positionnement international où le neutralisme d’Iniziativa tranche avec l’atlantisme des saragatiens.

11Majoritaire, Critica sociale dicte les grandes orientations du nouveau parti qui cherche à gagner une légitimité politique en s’inscrivant dans le courant du socialisme démocratique. Le PSLI s’appuie sur une rhétorique comparable, en bien des points, à celle de la SFIO qui constitue un modèle pour Saragat. Ce n’est pas un hasard si ce dernier choisit de citer Jean Jaurès et de se réclamer de la Révolution française dans son discours au congrès fondateur de sa formation12. La thématique humaniste est largement mise en avant et le premier numéro de Critica sociale après la scission évoque une « lutte des classes sans haine »13 qui n’est pas sans rappeler certains développements des partisans de Léon Blum.

12La critique du PSLI envers le PSI se fait aussi autour de la conception du parti, qui a cristallisé les tensions dans les semaines qui ont précédé le congrès. Le numéro de Critica sociale publié au moment où s’ouvre celui-ci fait la liste des dissensions avec la direction du PSI et évoque notamment « l’exaltation des chefs » – critique souvent adressée aux communistes – et le manque de démocratie interne14. Saragat insiste aussi sur ce point, évoquant comme motif de la scission, « le droit de chaque homme de juger en sa conscience ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui est juste et ce qui est injuste. Jamais nous ne déléguerons cet inaliénable droit au Parti, qui nous est pourtant cher »15.

13Cela se perçoit aussi dans les insultes qu’échangent les membres des deux formations et qui laissent transparaître des visions différentes du combat politique. La presse socialiste prend l’habitude d’appeler les membres du PSLI, les pisellini – autre témoignage du lien entre virilité et révolution16 –, ce qui provoque une réaction irritée des sociaux-démocrates d’Arezzo, qui ripostent contre le PSI local :

Bravo, bien trouvé ! Et puisque nous savons nous aussi être spirituels, savez-vous comment les communistes qui possèdent un chat appellent à eux leurs animaux chéris ? PSI…psi…psi… font les maîtres communistes et le docile animal court leur lécher les mains et manger les miettes17.

14Ces échanges d’amabilités sont moins anecdotiques qu’il n’y paraît : si l’insulte de pisellino naît de l’acronyme du parti auquel il suffit de rajouter des voyelles, il renvoie au réformisme des sociaux-démocrates et à leur supposée mollesse. Le pisellino, c’est un militant inoffensif, qui a perdu son âme et sa force révolutionnaires et qui est donc prêt à toutes les compromissions avec la bourgeoisie. À l’inverse, le militant du PSI, caricaturé en animal docile, apparaît comme un supplétif du PCI. Ces représentations donnent ainsi à voir la façon dont les militants des deux partis se perçoivent, en opposition avec l’autre : révolutionnaire pour le PSI, libre et démocrate, pour le PSLI.

15Les dirigeants du PSI lisent, quant à eux, la scission – du moins dans leurs discours publics – en termes de déviation : les membres du PSLI seraient ainsi passés de l’autre côté de la barrière de classe, devenant une formation de type petit-bourgeois dévouée aux classes moyennes. Cette vision perdure dans les mois qui suivent et le PSI cherche à se présenter comme le seul représentant du socialisme, le seul à être demeuré dans « la tranchée de la lutte des classes », selon une formule de Pietro Nenni18. La scission est également condamnée par la multiplication des références aux scissions antérieures du socialisme italien, mais aussi français, toujours associées à l’idée de déviation. Lelio Basso, dès le congrès de 1947, affirme que « derrière les scissionnistes, [il voit] l’ombre des nouveaux Bonomi, Facta et Mussolini »19. En choisissant le nom des deux derniers présidents du conseil avant l’arrivée au pouvoir de Benito Mussolini, Lelio Basso prouve le caractère toujours mobilisateur du parallèle avec historique avec les années 1920 et joue de la crainte de la division du socialisme, potentiellement fatale. Pour un unitaire comme Basso pour qui la cohésion du prolétariat est l’objectif fondamental, la scission est en elle-même condamnable, car profitable à la bourgeoisie qui voit ainsi son opposition se diviser. De même, Pietro Nenni souligne, en 1948, que les attaques de Giuseppe Saragat « lui furent déjà adressées, il y a environ dix-neuf ans, par Marcel Déat et par les autres traîtres issus du néo-socialisme français »20. Les scissions socialistes sont ainsi toujours présentées comme faisant, directement ou indirectement, le jeu du fascisme. En revanche, la scission de 1922, celle qui donna naissance au PSU, n’est pas évoquée. Ses figures de proue, Filippo Turati, Claudio Treves et Giacomo Matteotti, ont en effet toutes été célébrées à la Libération comme fondatrices du socialisme et victimes du fascisme. La concurrence pour leur héritage symbolique bat d’ailleurs son plein entre PSI et PSLI, comme on le verra plus loin.

 

16Par ailleurs, si l’historiographie a largement commenté le congrès de 1947, la rupture du gouvernement unitaire en mai et les conséquences sur les élections de 1948, elle a en revanche moins insisté sur les conséquences locales de la scission. Or, près de 75 000 militants ainsi que de nombreux cadres des fédérations rejoignent la nouvelle formation, ce qui n’est pas sans poser de problèmes, parfois résolus de manière consensuelle, mais également source de conflits autour des locaux, des biens matériels, des fédérations et des journaux.

17À Bari, où la scission est importante, ces questions sont centrales. La fédération fait état d’un départ au PSLI de plus de 4 000 des 11 600 militants de l’année précédente, réduisant les effectifs pour l’année 1947 à 7 40021. Certains groupes semblent avoir massivement adhéré au PSLI, comme la fédération de jeunesse de Bari, qui passe dans son ensemble au nouveau parti22, ce qui est fréquent étant donnée l’implantation d’Iniziativa dans la FGS, que Matteo Matteotti a présidée. De même, la section de Bari-centre a voté majoritairement pour le PSLI, ce qui conduit à des débats interminables : les scissionnistes peuvent-ils conserver les locaux, puisqu’ils sont majoritaires, ou doivent-ils les abandonner puisqu’ils quittent le parti ? Les discussions sont vives et attisées par les questions financières : Eugenio Laricchiuta, passé au PSLI, possède en effet l’accès aux comptes de la fédération et aux 1 600 000 lires accumulées23.

18Le même type de problèmes se pose ailleurs, comme à Milan, où l’implantation de Critica sociale et le passage du maire Antonio Greppi au PSLI ont acquis à la cause scissionniste de nombreux militants24. Oreste Manunza, dans son récit de la vie quotidienne de la section Zara, est l’un des rares à donner des éléments précis sur l’accueil de la scission dans les sections. Celle-ci est connue à Milan par la radio puis par la presse et, aussitôt, les deux factions se rejoignent au local du parti – le vote y a été favorable à la motion de gauche avec 305 voix, contre 79 à Critica sociale et 125 à Iniziativa. Le large extrait présenté ci-dessous donne une idée du climat d’effervescence qui suit la scission – moment difficile d’un point de vue émotionnel pour de nombreux militants – marquée par une course effrénée pour s’emparer des biens du parti que l’on craint de devoir abandonner aux scissionnistes :

Menghi [le chef de file des partisans de Nenni], prit sans hésiter possession de tous les documents et de la liste des inscrits. « Je suis plus tranquille maintenant », dit-il, frappant de la main sur le lourd paquet de documents, « pour récupérer tout ça, ils devront me passer sur le corps » […].
- Le cercle récréatif appartient aux Matteotiens [dit le chef de file des scissionnistes, ancien dirigeant de la résistance].
- Pas du tout : il est au Parti et le Parti demeure à sa place […]. Pour le moment, nous diviserons le local de la section en deux par un mur, puis nous verrons. Nous avons déjà perdu assez de temps à cause de vous […].
Les ouvriers arrivèrent et commencèrent la construction du mur. C’est alors qu’arriva Gildo, qui n’était pas au courant du compromis :
- Traîtres !, hurla-t-il, se précipitant contre le mur, vous avez assassiné mon parti et vous voulez maintenant murer ma section !
Les camarades le retinrent et lui expliquèrent la situation. Gildo secouait la tête et pleurait […].
Un coup de téléphone soudain alarma les camarades.
- Ici la Fédération, disait une voix agitée, j’ai téléphoné à quasiment toutes les sections et personne ne m’a répondu. Combien êtes-vous ?
- Environ une dizaine, répondit Menghi […].
- Venez tout de suite à la fédération, il faut la protéger.
Il y eut un peu d’indécision puis quatre partirent avec Menghi. Rue Valpetrosa [au siège de la fédération], en un clin d’œil, on empila les meubles contre la porte d’entrée et, par mesure de précaution, on improvisa des barricades dans les couloirs. Tout à coup, un brouhaha monta de la rue.
- Nous y sommes, dit Menghi.
Ils se mirent à la fenêtre et distinguèrent dans l’obscurité un groupe nombreux et agité.
- Dehors ! Dehors ! Dehors !
Les factieux continuèrent leur tapage, mais ne s’approchèrent pas. Ils finirent par s’en aller, proférant injures et menaces. L’aube se leva, la première de la Fédération milanaise du PSI. Les regards des hommes étaient fatigués, conscients seulement alors du désordre qui régnait25.

19Le récit rend bien ce qu’a pu être, localement, la scission : un déchirement autant qu’une succession de problèmes pratiques, les deux nouveaux partis se faisant face dans une attitude parfois de coopération – l’épisode de la section rend tout de même compte d’un certain pragmatisme et de la capacité des deux groupes à se côtoyer – parfois de rivalité et d’agressivité. Ces incidents semblent assez répandus, comme en témoignent les nombreuses occurrences dans les archives : à Arezzo, la section du PSI se divise autour de la question de savoir si le cercle récréatif du parti doit demeurer accessible aux membres du PSLI. Il n’y a théoriquement pas de contre-indication, car il est ouvert aux non-inscrits, mais la section se réserve le droit, si l’attitude du PSLI est trop hostile, de fermer le cercle aux adhérents de ce dernier26. De même, à Trente, la police signale des heurts entre les deux partis pour la possession des locaux et du matériel, dont des machines à écrire qui font l’objet d’un conflit ouvert27. À Monza, les comptes de l’ancien PSIUP se retrouvent bloqués, car ils sont disputés par les deux partis. Sur les trois militants qui ont accès aux comptes, deux sont inscrits au PSLI. Or, la banque refuse tout mouvement tant qu’ils ne seront pas d’accord, ce qui crée un conflit, car le dirigeant du PSI refuse de céder28.

20À l’inverse, malgré les tensions locales, les alliances municipales perdurent, ce qui témoigne de la capacité des deux formations à échanger, malgré la violence de la séparation. C’est par exemple le cas à Bologne, où le PSLI continue d’appuyer le maire communiste Giuseppe Dozza et à Milan, cas le plus éclatant, où le maire Antonio Greppi, pourtant passé au PSLI, continue de jouir, un temps, de l’appui des socialistes et des communistes29. De même, il apparaît que localement, les deux partis socialistes continuent parfois de coopérer, comme à Ferrare où le PCI déplore que le PSI s’entende plus souvent, au sein du mouvement coopératif, avec le PSLI qu’avec lui30.

 

21Pour la SFIO, la scission demeure relativement complexe à lire à cause de l’alliance au sein du PSLI de deux courants a priori éloignés et des dynamiques locales particulières. C’est sans doute ce qui explique à la fois la prudence et l’imprécision de la presse française. L’événement passe par ailleurs au second plan, car il est contemporain de la tentative du gouvernement Léon Blum d’imposer la baisse des prix de 5 % et de l’élection de Vincent Auriol à la présidence de la République. Dans les comptes rendus qui en sont donnés, la stupeur face à une décision jugée avec sévérité – on déplore la rupture de l’unité du socialisme – et, malgré tout, une certaine sympathie pour Giuseppe Saragat, dominent généralement.

22Le Populaire relate pour la première fois la scission du Parti socialiste italien le 16 janvier. Dans cet article, il expose les arguments des deux groupes, mais laisse une large place au discours fondateur de Saragat au Palais Barberini31. Les 19 et 21 janvier, deux articles de fond sont rédigés par Jean Rous, délégué au congrès et fin connaisseur du socialisme italien, qui adopte une position médiane. Dans le premier, il déplore la division du socialisme, mais ne l’impute pas à Saragat et renvoie les deux dirigeants dos à dos. Il tente d’exposer « le plus objectivement possible les points de vue adverses », présentant – effectivement de manière nuancée – les arguments des deux camps. Il conclut en espérant que la scission soit éphémère et ne constitue pas un « mal irréparable » 32. L’article du 21 janvier garde cette approche conciliante : Jean Rous estime que le socialisme italien aurait besoin de faire coexister « le marxisme démocratique de Critica sociale, l’ardeur révolutionnaire d’Iniziativa socialista et le sens de l’efficacité ouvrière de Quarto Stato et Compito Nuovo ». L’article s’achève par un appel à la réunification et surtout sur la volonté de continuer à travailler avec les deux formations : « c’est pourquoi des rapports cordiaux doivent être entretenus avec les deux partis italiens, avec la volonté de faciliter la reconstitution de l’unité socialiste »33.

23Ainsi, si les articles du Populaire laissent paraître une légère préférence pour le PSLI – dont on expose un peu plus largement les arguments et sur lequel on ne fait pas peser le poids de la scission –, le journal de la SFIO se garde d’attaquer frontalement le PSI, qui n’est pas encore dépeint, comme ce sera le cas dans les mois suivants, comme un parti dévoyé et inféodé aux communistes.

24En revanche, la presse locale et les différentes revues de courants laissent davantage transparaître leur préférence pour les scissionnistes. Ainsi, dans le Réveil Ardennais, après les clichés habituels sur l’Italie – l’auteur n’est pas loin de considérer que la scission est l’œuvre d’un peuple politiquement immature : « Nous ne serions pas en Italie, si l’élément personnel et passionnel n’avait constitué le fond du tableau » – Nenni se voit reprocher des « méthodes dictatoriales et totalitaires dont, bien que minoritaire à Florence, il avait profité pour travailler par des moyens inadmissibles à renverser l’ancienne majorité », ce qui est une reprise très fidèle des arguments des scissionnistes. L’article s’achève par une énumération, écorchant les noms des dirigeants du PSLI, ce qui témoigne d’une connaissance approximative de la vie politique italienne : « [Le PSLI] compte dans ses rangs la meilleure part de l’élite intellectuelle du socialisme italien, avec Silone34, le fils Matteotti, Mendolfo, Traves, etc. »35.

25Du côté des courants de la gauche de la SFIO, si Giuseppe Saragat n’inspire pas confiance, la sympathie pour Iniziativa socialista conduit également à considérer le PSLI avec bienveillance. Le Drapeau rouge, organe des JS dirigés par Dunoyer, est, sans surprise, partisan d’Inizativa dont il loue l’action dans un article de janvier 1947. Le refus de la participation comme de l’alliance communiste et l’implantation dans la FGS, rapprochent en effet Iniziativa des JS. L’article s’achève cependant sur une interrogation, les JS alors engagés dans une lutte contre la direction de leur parti ne comprenant pas « les raisons qui ont poussé nos camarades révolutionnaires d’Italie à s’allier au réformiste Saragat qu’ils combattaient violemment tout récemment encore »36. De même, Jean Rous dévoile davantage ses sympathies dans la revue de son courant, Pensée socialiste. Il y exprime sa considération pour Iniziativa, comme le laisse entendre sa conclusion qui met toutefois, elle aussi, en garde le PSLI contre une dérive centriste37 :

Il est heureux que ce parti puisse associer une vieille expérience réformiste et l’utile contrepoids de la jeunesse d’Iniziativa socialista. Il ne lui sera certes pas interdit d’ailleurs d’attirer les couches neuves du peuple italien (femmes, jeunes), de mobiliser les paysans du midi, aux côtés des ouvriers du nord, mais il ne pourra le faire qu’à la condition de rester fidèle aux conceptions fondamentales du marxisme doctrinal, stratégique et tactique38.

26Ces éléments montrent donc que le PSI ne dispose pas de relais en France chez les socialistes et ne peut compter que sur l’appui du PCF. L’Humanité du 17 janvier attaque d’ailleurs violemment les scissionnistes – en même temps, on le devine, que la SFIO :

C’est contre cette unité ouvrière, reconnue indispensable par tous ceux que la passion ou l’ambition n’aveugle pas, que les chefs de la droite socialiste se sont insurgés […]. Nenni a rappelé que c’était une tactique classique de la bourgeoisie italienne d’usurper le nom du socialisme et de se servir de certains socialistes incapables de comprendre la réalité de la situation, afin d’isoler, puis de battre, le mouvement d’avant-garde de la classe ouvrière39.

27Le 18 janvier 1947, la scission italienne a les honneurs de la première page, avec un article de Marchel Cachin, « Unité ! », qui s’appuie sur l’exemple italien pour promouvoir les « Amicales du POF […] qui préparent avec obstination l’unité ouvrière française ».

28Ainsi, les socialistes français les plus hostiles à la participation sont séduits par le discours d’Iniziativa et le reste du parti conserve ses sympathies au réformisme de Critica sociale et à Giuseppe Saragat. C’est donc un problème pour le PSI, qui ne dispose pas d’alliés transalpins, ce dont les dirigeants italiens semblent se rendre compte assez rapidement. Une lettre, adressée à Nenni par un membre du parti qui connaît bien la France – la signature est malheureusement illisible – résume assez bien la situation et le danger que court le PSI :

Pour nous, la situation est assez sérieuse : en effet, beaucoup de dirigeants de la SFIO sont davantage favorables au PSLI qu’à notre parti : ceux d’extrême gauche, avec la fédération de la Seine et Marceau Pivert en tête, à cause de leurs sympathies pour Iniziativa ; ceux de droite, pour leurs sympathies réformistes40.

29La position originale d’Iniziativa joue un rôle central dans ce processus : farouchement hostiles à la participation et autonomistes, les membres de ce courant attirent les déçus du socialisme français, bien plus que ne le fait le PSI, qui apparaît comme favorable à la participation et sous le joug communiste. Or, l’alliance d’Iniziativa et de Critica sociale au sein du PSLI conduit la quasi-totalité des socialistes français à préférer ce dernier. Ce n’est pas encore l’hostilité à l’égard du PSI qui domine, mais les dynamiques entrecroisées du parti français – anticommunisme, remise en cause par une part croissante des militants de la participation – et du congrès italien, ont conduit le PSI à être en partie isolé, ce à quoi il tente de remédier, avec difficultés, dans les mois suivants.

I.2. « La nuit des combats sans gloire »41 : la SFIO et la participation

30À partir de l’été 1946 et plus encore de mai 1947, la SFIO est parcourue d’incessants débats sur la participation ministérielle. Dupe des communistes ou du MRP pour les uns, force centrale de défense républicaine pour les autres, le socialisme apparaît déchiré entre les aspirations révolutionnaires d’une partie de sa base, la tradition participationniste du groupe parlementaire et des résultats électoraux qui ne lui permettent pas de dicter sa propre loi. Progressivement, l’équilibre trouvé entre la question de la République et les aspirations révolutionnaires, déjà précaire mais bien réel en 1945-1946, tend à se rompre, le choix de la Troisième force conduisant la rhétorique du parti à privilégier la thématique de la défense républicaine.

31La question de la participation, qui a toujours fait débat au sein du socialisme, n’épargne pas le Tripartisme. Certains craignent que la SFIO, en apparaissant comme le pivot de l’alliance MRP-SFIO-PCF, ne s’attire le mécontentement d’une population soumise aux rigueurs de la Libération et du rationnement. Déjà, à l’été 1945, Guy Mollet s’élevait contre la participation et récoltait un certain succès, signe du malaise qui gagnait une partie des délégués du congrès. Le problème ressurgit en mai 1947, au moment où la rupture entre les ministres communistes et le président du Conseil Paul Ramadier précipite la fin du Tripartisme. Se pose alors la question de la continuité du gouvernement : faut-il aller de l’avant en s’alliant avec des forces centristes ou au contraire refuser de prendre ce risque et ouvrir une crise gouvernementale ?

32Le poids du groupe parlementaire dans le ministérialisme du parti a depuis longtemps été souligné, notamment par Roger Quilliot42. Si ce constat a pu être nuancé, il reste globalement valable, comme en témoignent les recherches de Noëlline Castagnez, qui a montré qu’à l’exception de quelques parlementaires, la plupart d’entre eux, pour qui « l’enracinement local se conjuguait à un anticommunisme même pondéré, n’avaient aucune difficulté à adhérer [à la Troisième force] »43. En mai 1947, le groupe parlementaire vote en faveur de la sauvegarde du gouvernement et le Comité directeur, qui semblait initialement favorable à la perspective d’une crise ministérielle, vote dans le même sens, bien qu’à une courte majorité44.

33La situation est comparable en Italie, où la moitié du groupe parlementaire a rejoint le PSLI. Ce n’est du reste pas nouveau et tant en France qu’en Italie, les courants favorables à la participation ont toujours compté des relais nombreux dans le groupe parlementaire où se recrute une partie des fondateurs du PSU en 192245 ou des partisans du ministérialisme en France dans les années 1930. Le parallèle n’échappe d’ailleurs pas aux membres du PSLI qui, dans l’article qu’ils publient sur la crise française, dressent une équivalence entre leur parti et la SFIO, comme défenseurs du « socialisme démocratique »46. En revanche, la presse du PSI, lequel est aux prises avec l’expulsion des ministres socialistes du gouvernement De Gasperi, donne peu de relief à l’information47.

34En août 1947, le congrès de Lyon vote une motion visant à mieux faire encadrer le groupe parlementaire par le Comité directeur, dont l’objectif principal est d’éviter que ne se renouvelle le processus de mai 1947, lors duquel la décision a semblé davantage appartenir au groupe qu’au parti48. La SFIO s’engage néanmoins dans la participation à ce qui devient, à l’automne, la Troisième force et se présente alors volontiers comme un parti résolu à faire son devoir, acceptant sans renâcler de demeurer « dans la nuit des combats sans gloire » pour assurer la pérennité du régime républicain, quitte à subir l’impopularité réservée à ceux qui exercent le pouvoir en des temps troublés.

35Le discours dominant devient dès lors celui de la défense de la République, menacée du double péril communiste et gaulliste, aux dépens de la mise en avant du socialisme comme doctrine. Ainsi, dans les Ardennes, le tract d’entre-deux-tours socialiste d’une élection cantonale se félicite du résultat du premier tour et commente :

Une première victoire des forces républicaines a ainsi été remportée. Vous la consacrerez dimanche prochain. Vous opposerez la raison à la passion, le travail au désordre, la liberté au totalitarisme. Ni dictature de droite, ni dictature de gauche49.

36Cette rhétorique s’enracine, au point qu’aux élections législatives de 1951, 88,5 % des candidats socialistes font référence à la défense de la République devant le « double danger » communiste et gaulliste50. L’équilibre qui prévalait à la Libération entre République et Révolution est ainsi rompu au profit de la première dans les discours dirigeants qui présentent la SFIO comme une force républicaine, garante de la démocratie bien plus que de progrès social. Cela se perçoit bien dans les dessins de presse, comme dans deux vignettes publiées en octobre 1947 dans le Réveil Ardennais. La première (fig. 21), le 12 octobre, représente un Ramadier en paladin de la République, se gardant, comme Jean le Bon à Poitiers – funeste présage ! – des attaques venues de la gauche et de la droite. Une semaine plus tard, c’est une Marianne prise dans la tenaille communiste et gaulliste, chétive et apeurée (fig. 22), qu’un fier prolétaire de la SFIO vient délivrer.

Fig. 21 – « Père, gardez-vous à droite, gardez-vous à gauche », Le Réveil Ardennais, 12 octobre 1947 (© droits réservés).

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Fig. 22 – Défense de la Troisième force, Le Réveil Ardennais, 19 octobre 1947 (© droits réservés).

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37Par cet usage de l’allégorie, où Marianne supplante les symboles ouvriers, la question sociale passe au second plan et la défense de la République devient l’élément central du discours de la SFIO en même temps qu’un élément constitutif de son identité politique. On peut également noter que le premier dessin enterre de manière significative l’argumentaire socialiste qui voulait que la SFIO ne fût pas plus à droite que le PCF.

38Cette évolution ne se fait cependant pas sans heurts, au sein du groupe parlementaire d’abord, où certains députés, bien que minoritaires, contestent ce choix. C’est le cas de Maurice Deixonne, qui réprouve, avant le congrès de 1947, la façon dont Guy Mollet a géré la crise gouvernementale de mai :

Il fallait calmer les impatiences du groupe, lutter contre sa manie ministérialiste, c’est ce que n’a pas fait Guy Mollet […]. Le groupe parlementaire, qui est ravagé de ministérialisme et qui se laisse guider par d’anciens néos, est bien incapable de montrer au parti la voie du redressement nécessaire51.

39Le débat rappelle ceux qui animaient le parti au début des années 1930 : le terme même de « ministérialisme » et, plus encore, celui de « néo », renvoient aux déchirements du socialisme de l’époque et aux interrogations sur la portée et le but de toute participation ministérielle. La figure de Ramadier, qui fut membre de l’Union socialiste républicaine, n’est pas étrangère à cette façon de présenter les choses, Maurice Deixonne le ramenant à une tradition politique dont de nombreux héritiers ont été exclus du parti à la Libération.

40Comme l’a souligné l’historiographie, la Troisième force est également impopulaire à la base du parti : Alain Bergounioux et Gérard Grunberg montrent que la correspondance des fédérations semble lui être hostile52 et Noëlline Castagnez relève que la coalition a plus de mal à s’implanter localement53. Les fédérations sont ainsi traversées par ces questions, lesquelles s’accompagnent de deux faits inquiétants pour la SFIO qui continue de se considérer comme un parti ouvrier : l’hémorragie militante d’une part – le parti passe d’environ 350 000 inscrits fin 1946 à 295 000 à la fin de 1947 et surtout 222 000 en 194854 – et le recul du parti dans les départements ouvriers au profit du PCF55. En effet, la création de la Troisième force n’a pas fait disparaître les préventions d’une portion non négligeable de la base militante contre le MRP et les radicaux. Si la rupture de l’alliance communiste peut sans doute être acceptée, en raison de l’avancée de la guerre froide, le fait de faire front commun localement avec les forces centristes demeure difficile, comme en témoignent les nombreux débats dans les fédérations, où l’on déplore souvent « l’alliance du socialisme ouvrier avec les curés du MRP et la bourgeoisie de la radicaillerie, alliance contre nature », pour citer l’un des courriers reçus par Jean Rous, l’un des dirigeants les plus hostiles à la Troisième force56.

41Ainsi, l’ensemble des fédérations étudiées s’emparent du débat sur la participation, y compris celle du Nord, qui y est pourtant historiquement favorable57, et qui possède une grande tradition de ministres socialistes – Roger Salengro, Léo Lagrange ou Jean Lebas avant la guerre, puis Augustin Laurent et Eugène Thomas – et de socialisme municipal. Le congrès fédéral d’octobre 1948 y est houleux, autour de la question des ministres socialistes qu’Augustin Laurent est obligé de défendre par un raisonnement circulaire qui tient du sophisme :

 Il s’insurge alors contre ceux qui qualifient le gouvernement Queuille de gouvernement réactionnaire. Un gouvernement réactionnaire ne défendrait pas la République contre de Gaulle et contre le Parti communiste, il ne défendrait pas et ne maintiendrait pas les nationalisations et les réalisations importantes que sont pour la classe ouvrière les lois sur la sécurité sociale et les avantages qui en découlent. Des socialistes ne participeraient pas à un gouvernement réactionnaire58.

42Le discours est celui des partisans de la Troisième force et s’articule donc autour de la thématique de la défense républicaine ainsi que du maintien – et non de l’approfondissement – des réformes sociales. Le terme de « réactionnaire », qui paraît offenser la conscience socialiste de l’ancien ministre, semble avoir changé de sens : il ne désigne plus ceux qui sont au-delà de la barrière de classe et qui sont favorables à l’immobilisme social, mais il est cette fois adressé aux adversaires de la République.

43Le débat n’épargne pas non plus les Ardennes où des sympathies socialistes pour les communistes avaient déjà donné lieu à des polémiques en 1947. Des militants, dont le syndicaliste Camille Genon, sont exclus pour avoir participé, contre les directives du parti, aux activités de l’amicale du POF59. À la fin de l’année 1949, la fédération est coupée en deux groupes : d’un côté, le député Guy Desson et le secrétaire fédéral Louis Le Leuch sont favorables à la participation, quand Andrée Viénot et Camille Titeux, maire de Revin, y sont hostiles60. Cette division était déjà apparue lors du congrès fédéral de juillet, où les délégués s’étaient prononcés en faveur du retrait des ministres socialistes, accusant l’action du gouvernement d’une double erreur : « aucune solution n’est intervenue dans la question des salaires et la scandaleuse guerre colonialiste d’Indochine continue sans que l’on puisse en prévoir le terme »61. Les rapports de police présentent cette division comme une « scission officieuse qui existe entre militants de base et dirigeants », les premiers reprochant aux ministres socialistes leur action, comme les socialistes de Givet – canton où Andrée Viénot est élue conseillère générale – qui comptent parmi eux de nombreux cheminots déplorant l’œuvre du ministre socialiste Christian Pineau, accusé de « sabotage de la SNCF »62, montrant une nouvelle fois les vives tensions qui existent entre une partie de la base socialiste et les ministres du parti.

44Le refus de la participation se cristallise donc autour de la question sociale et de la question coloniale qui sont des thématiques centrales de l’aile gauche de la SFIO. Celle-ci porte une motion au congrès de juillet 1948 qui associe ces deux éléments : autour de Léon Boutbien, Lamine Gueye et Léopold Sédar Senghor, le texte, intitulé « Sauver le parti », déplore l’alliance avec le MRP conduisant à un « travaillisme sans travailleurs » et dénonce le colonialisme du gouvernement63.

45L’offensive anticolonialiste la plus décidée vient cependant des JS qui, sous l’action de Dunoyer, mènent une campagne d’agitation, laquelle se heurte à la direction du parti qui voit d’un mauvais œil l’autonomie du mouvement de jeunesse et ses prises de position de plus en plus hostiles au gouvernement. La position des JS a progressivement évolué : en 1945-1946, le journal Jeunesse passe d’une position sans ambiguïté en faveur du maintien de l’Indochine dans le giron français à une attitude plus nuancée64. Le flambeau anticolonialiste est ensuite repris par la nouvelle direction qui l’amplifie et mène campagne autour de la thématique dans le Drapeau rouge. Celle-ci culmine avec le congrès des JS de Montrouge en 1947, où les jeunes socialistes multiplient les provocations. La salle s’embrase quand un délégué propose de rendre hommage à l’armée française qui lutte en Indochine et la motion est violemment rejetée65. Au contraire, les JS impriment et placardent largement des papillons proclamant : « Pas un sou, pas un homme pour l’Indochine. On croit mourir pour la Patrie, on meurt pour les planteurs de caoutchouc »66. Les attaques se concentrent contre les colons « qui n’ont pas encore compris qu’est fini le règne des négriers »67.

46En juin, le mouvement est finalement dissous par la SFIO68, qui lui reproche son indiscipline et ses provocations nombreuses69. Un certain nombre de militants, proches d’Yves Dechezelles, se rapprochent par la suite du RDR – le Rassemblement démocratique révolutionnaire, créé en février 1948 – dont ils partagent l’engagement anticolonialiste, le refus de la participation ministérielle et la volonté de construire une voie médiane entre SFIO et PCF70.

47L’argumentaire mobilisé par le bureau dissous des JS renvoie une nouvelle fois la SFIO à son supposé dévoiement. On lui reproche d’être devenue « un parti de gouvernement, "gérant honnête et loyal du capitalisme"71 qui prendra la succession du parti radical »72, dans un parallèle particulièrement prisé73. La composition sociale est aussi pointée du doigt : « Il n’est un secret pour personne qu’il perd progressivement son influence sur la classe ouvrière. Qu’il recrute de moins en moins d’ouvriers et de plus en plus d’éléments bourgeois, de commerçants aisés, de hauts fonctionnaires, voire d’officiers de carrière »74. De la même façon qu’Iniziativa fustigeait la « pseudo-gauche » du PSI75, le Drapeau rouge attaque Marceau Pivert et Guy Mollet, qualifiés de « gauche » officielle76 – les guillemets sont d’origine, marquant la distance ironique de l’auteur. Le portrait que ce journal donne de la SFIO n’est pas non plus sans rappeler celui que le PSI fait, à la même époque du PSLI – parti des classes moyennes s’éloignant de la classe ouvrière – car ce tableau est l’image par excellence de la déviation socialiste.

48Il semble que l’on puisse aussi faire une lecture générationnelle de cet épisode : ce n’est pas la première fois que la SFIO dissout son organisation de jeunesse77 et les jeunes socialistes italiens connaissent une évolution semblable à la même période. Au congrès de Montrouge, un délégué de la FGS est accueilli et le congrès vote une motion qui considère « les JS italiennes comme faisant partie de la jeunesse prolétarienne mondiale, malgré la scission qui s’est produite dans le PS italien »78, confirmant les convergences entre les deux mouvements, unis par leur refus de la participation, leur méfiance à l’égard de l’État, leur autonomisme et leurs préventions à l’égard des partis communistes.

49Le PSI ne s’y trompe d’ailleurs pas. Alors que l’hostilité à la politique de Ramadier proclamée par les JS françaises et la dénonciation d’un parti socialiste déviant vers les classes moyennes et menant une politique colonialiste correspond à ce qu’une part croissante du PSI pense de la SFIO, le parti, dans le numéro d’Orientamenti qui revient sur l’épisode, se garde bien de se montrer favorable aux JS. Sans doute voit-il trop bien le parallèle avec la récente rupture de la FGS : l’article dénonce ainsi les inconvénients d’une « organisation de jeunesse autonome » et condamne un mouvement jugé « anarchoïde »79, ce qui n’est pas sans rappeler les attaques de la direction du PSI contre Iniziativa.

50Ce double conflit entre des directions pourtant de plus en plus éloignées politiquement et leurs mouvements de jeunesse montre que le problème n’est pas uniquement politique, mais aussi générationnel. Il existe ainsi une incompatibilité de fond entre la mission que les jeunes socialistes des deux pays s’assignent – celle d’« une avant-garde politique80 » – et le rôle de simple école de cadres auquel les directions des deux partis voudraient les cantonner. Bien loin de cette relation de subordination, le mouvement de jeunesse revendique un rôle d’aiguillon du socialisme, en raison même de la jeunesse de ses membres, « douée d’une sorte de surpuissance créatrice »81. En Italie, la FGS se qualifie de « pointe du parti, patrouille avancée de la classe ouvrière » et dit se battre pour « une fédération de jeunesse autonome » 82. Or, tant le numéro d’Orientamenti cité que l’épisode de dissolution des JS montrent que le parti n’est pas prêt à leur accorder cette place. Au moment de Montrouge, les réactions des dirigeants socialistes sont éclairantes : Oreste Capocci voit les JS comme des « groupes d’exécution », Victor Provo leur rappelle qu’ils doivent « calquer leur politique sur celle du Parti » et Salomon Grumbach qu’ils « n’ont à faire aucune politique ni à constituer un parti à part »83, témoignant du poids de l’ancienneté au sein des deux partis et de l’absence d’autonomie du mouvement de jeunesse à qui toute expression propre est refusée.

II. L’isolement progressif du PSI

51L’entrée de l’Europe dans la guerre froide marginalise progressivement le PSI, seul parti socialiste occidental à prôner une alliance étroite avec les communistes. La rupture avec les institutions socialistes internationales et avec la SFIO en particulier n’est pourtant que progressive, passant d’une phase d’observation teintée d’animosité, en 1947, à une franche hostilité l’année suivante.

II.1. La SFIO et le PSI : incompréhensions et rupture

52Les premiers doutes à l’égard de la SFIO, nourris par le PSI, comme on l’a vu, dès l’été 1946, ne deviennent publics que dans les semaines qui suivent. La scission de 1947 accentue encore la défiance des socialistes italiens : parce que le parti de Saragat s’inspire assez directement de la SFIO, cette dernière pâtit de la franche hostilité qui règne entre les formations italiennes. C’est particulièrement net dans un article de Socialismo paru juste après la scission, qui traite de Léon Blum et du « socialisme humaniste en France » et dont le ton est bien éloigné de l’article parfois critique, mais somme toute positif que la même revue consacrait au dirigeant socialiste un an et demi auparavant84. Cette fois, l’article qualifie les tenants de l’humanisme d’« idéologues contre-révolutionnaires » ce qui constitue l’une des premières attaques directes de la presse italienne à l’égard de Léon Blum85. Si celui-ci était auparavant accusé d’entraîner son parti vers des positions réformistes et de compromis avec la bourgeoisie, cette formulation le rejette définitivement de l’autre côté de la barrière de classe – et Saragat avec lui. Par ailleurs, l’article n’épargne pas Guy Mollet, signe que la relative sympathie dont il avait bénéficié en Italie est en train de s’étioler. Ces attaques demeurent cependant circonscrites et, comme on l’a vu, tant la scission de Palazzo Barberini que la crise du gouvernement Ramadier, donnent lieu à des commentaires certes peu amènes, mais ne relevant pas, comme dans les mois suivants, de l’attaque ouverte.

53Sans surprise, la rupture est très liée à l’évolution de la guerre froide : entre l’automne 1947 – grandes grèves, création du Kominform – et le printemps 1948, on perçoit un net raidissement des relations entre les deux partis, qui culmine en février 1948, avec le coup de Prague. En janvier 1948, se tient à Rome le congrès du PSI, qui doit entériner la formation du Fronte democratico popolare. La SFIO y envoie une délégation – Henri Malacrida, secrétaire de la fédération des Bouches-du-Rhone, Léon Boutbien et Guy Mollet – ce qui témoigne de relations qui bien que rafraichies sont encore réelles. Le discours de Guy Mollet est écouté avec grande attention, relève le rapport de police86 : il y expose la position de la SFIO, marquée par la Troisième force, et dénonce les « erreurs de tactique fondamentales » du PCF. Il invite les socialistes italiens à rester neutres dans la guerre froide naissante, choisissant de construire, avec le socialisme démocratique, une troisième voie. C’est une manière de dire clairement que la SFIO désapprouve le choix que les délégués s’apprêtent à faire. Le rapport de police ne relève pas de manifestations d’hostilité à l’égard de Guy Mollet, alors qu’on y est généralement très attentif, preuve sans doute de respect pour le dirigeant d’un parti étranger, mais signe aussi que les partis continuent à débattre, même s’ils sont en désaccord. Les comptes rendus dans la presse française indiquent également que les camps sont de plus en plus délimités : le Populaire, qui rapporte le discours de Guy Mollet, donne nettement sa préférence à Ivan Matteo Lombardo87, chef de file des autonomistes demeurés au PSI et favorables à « une troisième force internationale »88. À l’inverse, l’Humanité se réjouit de l’issue du congrès, de la constitution du Fronte et de la défaite des « charlatans de la Troisième force »89.

54Les mois suivants montrent que la rupture est consommée : en juin 1948, au congrès de Gênes, celui qui doit tirer les conséquences de l’échec du Fronte, il n’y a pas de délégué français pour la première fois depuis la fin de la guerre, ce qui témoigne de la rupture entre les deux formations que le coup de Prague – Nenni apporte son soutien à Fierlinger90 – et la campagne très dure du 18 avril ont achevé de diviser.

55La campagne électorale constitue en effet le sommet de la crise : alors que le coup de Prague a renforcé la méfiance de la SFIO à l’égard de l’URSS, les socialistes français décident d’apporter un clair soutien aux socialistes autonomistes. Face au Fronte democratico popolare, se présente la coalition de l’Unité socialiste (Unità socialista), qui réunit le PSLI et le tout nouveau parti d’Ivan Matteo Lombardo – l’Union des socialistes (Unione dei socialisti italiani, USI) – qui a refusé la tactique de Front populaire. Le 9 avril, moins de dix jours avant les élections, Léon Blum se rend en Italie où il prononce un important discours à Stresa, visant à encourager les candidats d’Unità socialista et développant une réflexion plus générale sur la guerre froide naissante et sur les pays du bloc de l’est. Il y présente une nouvelle fois sa conception du socialisme humaniste et démocratique91 et y réaffirme sa condamnation de la dictature soviétique. Il revient sur la définition de « dictature du prolétariat », se réclamant de Rosa Luxemburg pour critiquer les conceptions communistes, dans un passage qui apparaît comme le manifeste de la synthèse socialiste entre démocratie et marxisme révolutionnaire :

Rosa Luxemburg n’était pas, j’imagine, une socialiste de droite et quiconque se réclame du socialisme acceptera la valeur de son témoignage. Étudiant le problème de la dictature du prolétariat, elle admettait comme une nécessité de fait, après la prise du pouvoir par les travailleurs organisés, la suspension de toute légalité formelle, et même la suspension du suffrage universel qui est pourtant l’institution essentielle et symbolique de la démocratie. Elle l’admettait, bien entendu, à titre purement provisoire et transitoire et non pas comme un système de gouvernement définitif, ce qui était alors un point de conflit particulièrement aigu entre le communisme et le socialisme. Même pendant cette vacance de tout pouvoir légal, disait Rosa Luxemburg, et précisément à cause de cette vacance, la substance de la démocratie doit être préservée, c’est-à-dire que les droits personnels, les libertés personnelles doivent être jalousement sauvegardés. Pas de pouvoir légalement élu, c’est entendu, mais la presse libre, les réunions libres, les associations libres, la vie syndicale libre, toutes les formes d’échange et confrontation de la pensée libre, tous les modes d’information libres. Faute de quoi la dictature du prolétariat ne serait plus que la dictature tout court, que la tyrannie collective ou personnelle, à laquelle le socialisme répugne92.

56L’ensemble du discours est, comme dans cet extrait, dirigé contre l’URSS beaucoup plus que contre les communistes occidentaux et encore moins contre le PSI ; personne n’est pourtant dupe, tant le moment choisi, à moins de dix jours des élections, tend à accréditer l’idée d’une échéance décisive pour l’avenir démocratique de l’Italie et de l’Europe.

57L’Umanità, le journal du PSLI, se félicite de ce discours dont il fait sa une : « À Stresa, Léon Blum parle à l’Europe. Renier la démocratie signifie mépriser l’homme »93. De même, Le Populaire suit pas à pas le voyage italien de Léon Blum et appuie sans réserve les listes de l’Unità socialista, celle des « vrais socialistes italiens »94 ou des « socialistes libres »95. À propos du soutien de Léon Blum, on peut lire :

A-t-il, par cette conférence, aidé le parti socialiste des travailleurs italiens ? Si, montrant que socialisme et démocratie sont les seules voies ouvertes à la justice et à la paix, s’il a aidé un parti, c’est donc que ce parti est le véritable représentant du socialisme et de la démocratie dans la péninsule italienne96.

58À l’inverse, le PSI se défend en reprochant, selon un procédé classique, à la SFIO et aux listes d’Unité socialiste de s’être coupées des masses. Le PSLI et Léon Blum sont accusés de promouvoir un socialisme de salon, éloigné des préoccupations des travailleurs et du marxisme. LAvanti ! promeut un contre-feu virulent, en multipliant les articles. Le 10 avril, un premier texte, intitulé « Ému, Blum l’embrassa », dans une allusion au retour du fils prodigue – dont le terme est une citation exacte –, dresse ces accusations de déviation97. Le lendemain, c’est un texte du directeur Guido Mazzali, en une, qui revient sur l’événement : il reconnaît à Léon Blum une immense culture, mais lui reproche d’incarner un socialisme des élites, vaguement humanitaire, mais inadapté au combat des masses. Mazzali le renvoie à sa condition d’intellectuel, supposément incompatible avec la lutte sociale :

Sa prose est nette, ample et sonore, sa vision du monde est claire et son credo certain. Mais chez lui, maître d’équilibre et de pondération, à la sagesse ancienne, il n’y a jamais le souffle de la passion populaire, le signe de notre tourment, l’expression de notre époque. En l’écoutant ou en le lisant, on pense davantage à Anatole France qu’à Jean Jaurès98.

59Ce portrait d’un Blum intellectuel et coupé du peuple se double d’attaques qui cherchent à le ramener à sa condition de bourgeois lettré et dandy qui rappellent celles que les communistes lui opposaient dans l’entre-deux-guerres. Blum, Saragat et le PSLI sont ainsi dépeints comme des socialistes à la dernière mode, dont l’électorat est avant tout bourgeois. Le texte du 10 avril insiste particulièrement sur cet aspect, écrivant à propos de Léon Blum : « Une femme près de nous releva la coupe parfaite de son costume gris foncé et l’accord parfait avec sa cravate gris perle. "Personne ne peut rivaliser avec les Parisiens en matière de mode" ». Ce dandysme, incompatible avec le socialisme, est étendu à Saragat – « en impeccable costume croisé bleu » – et aux membres du PSLI : « des étudiants […], des dames pleines de ferveur et des possesseurs de voitures hors-série – "tous adhérents" »99.

60Le filon est encore exploité le lendemain dans l’édition de Milan de l’Avanti !, dont le dessin de une représente deux Milanaises d’un quartier bourgeois lié à la mode – Montenapoleone – devant une affiche de Saragat qui indique : « Votez pour le socialisme à la Christian Dior » et qui représente le dirigeant du PSLI, dans une posture ridicule humant une rose (fig. 23). L’une des deux femmes s’exclame, dans un italien qui parodie un accent snob : « Je voterai pour Saragat, car son socialisme est si chic ».

Fig. 23 – « Votez pour le socialisme à la Christian Dior », L’Avanti !, édition milanaise, 11 avril 1948 (© droits réservés).

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61À partir de cet épisode, les relations sont rompues entre les deux partis qui s’invectivent par presse interposée. Robert Verdier qualifie le PSI de « parti bolchevisé »100 tandis que la presse française accuse Nenni d’être « le fossoyeur du socialisme »101 et le PSI de choisir « l’asservissement à Moscou »102. Un article du Cri des Travailleurs résume l’histoire du PSI depuis 1947 de la sorte : « Nenni et ses amis font de l’extrémisme. Saragat ne veut pas s’incliner devant la dictature communiste et quitte le parti. Nenni et son ami Basso (surnommé le petit Lénine) deviennent les chefs du parti »103.

62En Italie, les attaques sont plus nombreuses encore, le PSI associant parfois critiques du PSLI et de la SFIO. Celles-ci s’accentuent davantage encore après l’automne 1948 et la figure de Jules Moch est particulièrement visée par le PSI, qui établit des parallèles avec le ministre italien Mario Scelba. Quand les deux hommes se rencontrent à Rome, l’Avanti ! les qualifie de « ministres policiers »104 – le terme est d’un emploi fréquent pour désigner Scelba dans la presse socialiste – et Sandro Pertini y voit la construction d’un « plan d’action commun pour défendre avec plus d’acharnement encore la classe patronale »105. L’Avanti ! mène une campagne agressive contre le parti français et contre la Troisième force, accusée d’être, au mieux, une force politique inopérante et le plus souvent, un gouvernement réactionnaire déguisé. Le 14 juillet 1949, l’Avanti ! donne un rapide compte rendu du congrès français, renvoyant tous les courants dos à dos en notant que même Léon Boutbien, censé représenter la gauche, est favorable à l’OTAN par anticommunisme. Le commentaire à l’égard du Populaire n’est pas plus tendre : « le moribond Populaire délire chaque matin sur le péril communiste »106.

63Cette rupture des relations est aussi personnelle : un examen de la correspondance de Nenni montre qu’il cesse tout rapport avec les dirigeants français à partir de 1947 – sa correspondance avec Daniel Mayer ne reprend qu’en 1957, celle avec Guy Mollet en 1955 et celle avec Jules Moch en 1954. De même, la dernière lettre connue de Léon Blum à Pietro Nenni, écrite lors d’un voyage romain en 1948107, laisse entrevoir les derniers feux d’une amitié qui sembla pourtant sincère et témoigne de la difficulté à faire perdurer des liens amicaux dans ce climat d’animosité réciproque :

Cher Pietro Nenni, Pourquoi vous dissimuler qu’il y a un an votre adhésion implicite et presque explicite à la condamnation du Kominform avait représenté pour moi une peine véritable ? Mais il subsiste entre nous tant de souvenirs précieux que votre geste d’accueil au moment de mon arrivée à Rome m’a été vivement sensible. Je viens d’y passer quelques jours heureux, escorté par les ombres de ma jeunesse. J’en partirai demain pour Milan, où m’appelle ma pieuse fidélité à d’autres souvenirs. Une très cordiale poignée de main de votre Léon Blum108.

II.2. Le Parti socialiste des travailleurs italiens et le modèle de la SFIO

64Cette animosité se nourrit également du ressentiment du PSI à l’égard des convergences qui se dessinent entre le PSLI et la SFIO, que les dirigeants sociaux-démocrates connaissent très bien. Certains membres du groupe de Critica sociale – traditionnellement bien intégrée aux réseaux socialistes européens – comme Giuseppe Saragat ou Giuseppe Faravelli ont en effet passé une partie de l’entre-deux-guerres en France, où les dirigeants historiques du courant Claudio Treves et Filippo Turati ont trouvé refuge. De plus, Giuseppe Saragat a été ambassadeur italien à Paris de décembre 1944 à février 1946, ce que Michele Donno, spécialiste du PSLI, considère comme un élément fondamental dans la décision de la scission : il y aurait hérité de Léon Blum la conviction que la fusion nuirait aux socialistes, car les communistes n’accepteraient jamais une condition d’égalité avec ces derniers109.

65À son retour en Italie, Saragat prend en exemple la SFIO lors du congrès de Florence de 1946, vantant « son sens de l’autonomie » et son « universalité »110. Au moment de la scission, le parallèle est plus évident encore : si le nouveau parti, qui n’est pas affilié à l’Internationale socialiste, ne peut envisager d’en imiter le nom – il a un temps été question de l’appeler SIIO –, il se dote de deux éléments symboliques de claire inspiration française. Le journal, créé à l’occasion, prend le nom d’Umanità, double référence à Jean Jaurès et au socialisme humaniste de Léon Blum auquel les adversaires de Giuseppe Saragat l’ont souvent associé. De même, le PSLI choisit un symbole qui unit la tradition du socialisme italien – la faucille, le marteau, le livre – et les trois flèches qui, si elles ne sont pas uniquement liées à la SFIO, en demeurent le symbole (fig. 24).

Fig. 24 – Symbole du PSLI (© droits réservés).

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66Ces emprunts symboliques soulignent la proximité des deux projets politiques. Le PSLI propose explicitement d’ouvrir une troisième voie entre les deux blocs naissants, s’inspirant ici aussi de l’expérience française, ce qu’expose Ugo Guido Mondolfo dans un article de Critica sociale, intitulé « La Troisième voie : la voie du socialisme », en assumant la référence à Léon Blum : « Nous répétons avec Léon Blum que l’importance d’une révolution ne consiste pas dans la sonorité des mots avec lesquels on proclame sa volonté de l’accomplir, mais dans l’ampleur des transformations que l’on produit avec elle »111. La presse du PSLI se fait aussi le relais du discours de la SFIO, comme le montre le compte rendu du congrès français de l’été 1948 : l’article évoque la « difficile situation du parti, qui reflète les difficultés de la démocratie en France, pressée d’un côté par le gaullisme et de l’autre par le communisme » et se clôt sur un bon point accordé à la gauche du parti, qui « a le mérite d’être nettement antistalinienne »112.

67Le PSLI cherche ainsi à tirer profit de sa proximité avec la SFIO pour se légitimer sur la scène nationale et internationale, comme le montre le voyage de Léon Blum à Stresa. Les membres les plus éminents du parti sont réunis pour l’écouter et l’Umanità donne un large écho à l’épisode. Après les élections, Giuseppe Saragat est l’invité d’un grand meeting socialiste à Paris, où il partage la scène avec d’autres dirigeants européens – Hugh Dalton pour les travaillistes britanniques, Van der Goes pour le parti hollandais, et Knudsen pour le Parti travailliste norvégien113 – et où il défend la tradition socialiste démocratique italienne, accusant le PSI de « ne pas croire à la démocratie »114.

68Un autre épisode, éminemment symbolique, montre bien la concurrence que se livrent PSI et PSLI et l’usage que ce dernier peut faire de sa proximité avec la SFIO. En octobre 1948, les cendres de Filippo Turati et de Claudio Treves, conservées jusqu’alors au Cimetière du Père-Lachaise à Paris, sont solennellement renvoyées en Italie pour rejoindre le cimetière monumental milanais. Après la mort de Turati, le 29 mars 1932 à Paris, la fédération de la Seine de la SFIO avait organisé une crémation et des funérailles au Père-Lachaise devant 15 000 personnes115. L’année suivante, une cérémonie identique avait été dédiée à Claudio Treves, décédé le 11 juin 1933, lors de laquelle Léon Blum avait exprimé son espoir d’un retour futur des cendres dans une Italie libérée du fascisme116.

69Le retour des cendres donne toutefois lieu à une polémique acerbe entre les deux partis socialistes italiens. Comme le note un rapport de police de la fin du mois de septembre 1948, les deux formations revendiquent l’honneur d’organiser la cérémonie, le cortège et les discours qui doivent avoir lieu. Le rapport relève que le retour des cendres a été essentiellement organisé par Giuseppe Faravelli, compagnon d’exil des défunts et membre du PSLI, ainsi que par les deux fils de Claudio Treves eux aussi proches du parti de Saragat117. En outre, le PSLI jouit de relais institutionnels supérieurs à ceux du PSI : la cérémonie du cimetière monumental est partiellement organisée par le gouvernement dont le PSLI fait partie depuis décembre 1947 ; de même, le maire de Milan, ville où les cendres seront déposées, Antonio Greppi, est lui aussi membre du PSLI. Marginalisé, le PSI proteste et demande à être davantage associé à la cérémonie, soutenu en cela par le PCI qui réclame que le discours commémoratif soit prononcé par Nenni et non par Saragat118.

70Le PSI se plaint aussi officiellement auprès du COMISCO, dont il a été pourtant suspendu à cette date. Dans une lettre écrite en français et datée du 24 septembre, le parti souligne que le journal du PSLI, l’Umanità, annonce que la cérémonie se tiendra « sous les auspices de l’Internationale socialiste et par l’initiative de notre parti ». Il reproche au COMISCO d’avoir aidé le PSLI qui n’a pourtant pas été affilié à l’organisation et produit un argumentaire historique qui passe sous silence la création du PSU en 1922 :

En passant, nous vous rappelons que nos deux grands disparus ont été les fondateurs du PSI en 1892 et ils restèrent dans l’exil jusqu’au dernier jour de leur vie, fidèles à ce parti qui existe et a toujours existé de 1892 à aujourd’hui. Logiquement les dépouilles de Turati et Treves ne peuvent pas être confisquées par une ou par l’autre fraction socialiste née au cours du mouvement ouvrier italien. Les cendres et la mémoire appartiennent donc et de plein droit à toute la grande famille des travailleurs italiens pour la cause desquels ils moururent119.

71Le COMISCO répond par une brève lettre dès le 28 septembre, assurant le PSI qu’il n’a participé en aucune manière à l’organisation120.

72Malgré cela, la présence du PSI est réduite, comme le montrent le rapport de police et surtout le film des actualités cinématographiques [Settimana Incom] du 15 octobre 1948121. Ce dernier, qui retrace le parcours des deux urnes funéraires depuis leur arrivée à Domodossola jusqu’à la cérémonie du cimetière monumental de Milan, montre que la journée est en grande partie dirigée par les sociaux-démocrates, et que la présence des socialistes est marginale. Au départ de Paris, la cérémonie avait été organisée par la SFIO qui y avait associé des représentants des deux formations italiennes122. En Italie, le commentaire du film assure que le cortège qui traverse la ville est parsemé des drapeaux des deux partis et parmi les dirigeants qui portent les urnes funéraires, on trouve Sandro Pertini, compagnon d’exil de Filippo Turati. Cependant, sur les quatre porteurs, les trois autres sont adhérents du PSLI : Antonio Greppi, Ugo Guido Mondolfo et Ezio Vigorelli. Les discours du cimetière monumental montrent également que le PSI est cantonné à un rôle de spectateur : se succèdent à la tribune Antonio Greppi, Alcide De Gasperi, qui cite une phrase de Turati qui semble destinée aux socialistes et à leurs alliés communistes – « nous ne croyons pas que la violence, que l’intensification de la lutte jusqu’à l’exaspération, puissent réellement apporter un progrès »123 –, puis Giuseppe Saragat et enfin Léon Blum124. Il apparaît que l’organisation de la cérémonie échappe largement au PSI et que le PSLI en profite pour se réclamer de l’héritage des deux défunts et se légitimer sur la scène nationale et internationale. En ce sens, la manifestation, qui a réuni plus de 10 000 personnes125, est un succès et illustre la force de l’axe SFIO-PSLI, au grand dam des socialistes italiens.

73Toutefois, malgré ces liens anciens et cordiaux, la position du PSLI demeure fragile. Les multiples scissions au sein du PSI, conduisant à la naissance de nouvelles formations autonomistes, fragilisent son monopole sur le socialisme démocratique. Par ailleurs, sa stratégie participationniste est remise en cause par son aile gauche, autour de l’ancien courant d’Iniziativa socialista. Après Ignazio Silone, qui a quitté le PSI et créé le groupe d’Europa socialista au début de l’année 1947, ce sont les deux représentants successifs de l’autonomisme qui abandonnent le Parti socialiste – Ivan Matteo Lombardo, d’abord, avec l’USI, et Giuseppe Romita, à la fin de l’année 1949. Les trois formations, ainsi que l’aile gauche du PSLI, ouvrent des discussions en vue d’une fusion, qui donne lieu en décembre 1949 à la naissance du Parti socialiste unitaire (PSU). Le PSLI et le nouveau PSU entrent alors en concurrence afin d’être reconnus par le COMISCO, ce qui leur assurerait un prestige national et international certain. Or, le choix de Giuseppe Saragat de participer à un gouvernement avec la DC et son refus de rejoindre le PSU sont parfois critiqués par les socialistes européens. La SFIO demeure un relais du PSLI, mais pousse cependant Giuseppe Saragat à s’entendre avec le PSU, la présence de deux partis autonomistes ne se justifiant pas. En novembre 1949, le Populaire cherche même à jouer les intermédiaires entre les deux formations, interviewant tour à tour Ignazio Silone le 6 novembre et Carlo Andreoni, le directeur de l’Umanità, deux jours plus tard.

74Saragat réagit vivement, par une lettre ouverte à Blum, publiée par l’Umanità126, dans laquelle il attaque la position de Romita qui s’est abstenu, au Sénat, lors du vote sur l’OTAN127. La réponse de Blum – par lettre privée – quoiqu’amicale, est sévère. Il écrit au dirigeant social-démocrate que si celui-ci l’avait consulté, il l’aurait dissuadé d’une telle publication, qui l’éloigne de la perspective d’unifier le PSLI et le PSU, à laquelle il l’enjoint pourtant de travailler :

J’ai vécu très près de Jaurès en 1904-1905, quand l’unité s’est faite en France, dans des conditions qui ne sont pas très différentes de la conjoncture italienne actuelle [il souligne]. On a réussi en faisant table rase du passé, de tous les griefs, de toutes les rancœurs, en détournant les yeux vers l’avenir, en n’envisageant que la mission qui était notre raison d’être commune. En évoquant ces souvenirs, cher Saragat, avec toute l’émotion qu’ils raniment, je pense à ceux qui sont restés alors en dehors de l’unité – pour des raisons de politique et de tactique qu’ils avaient le droit eux aussi de considérer comme fortes – que sont-ils devenus ? Si Jaurès vivait, il vous dirait « ne suivez pas leur exemple. Faites comme j’ai fait moi-même. Consentez à la cause de l’unité tout ce qui n’est pas contraire à l’essence du socialisme et de la Démocratie ». Je suis votre ami, cher Saragat. Personne ne connaît et n’apprécie plus que moi votre valeur humaine. Je vous demande de conserver cette valeur intacte pour le bien du Socialisme. Jaurès vous le dirait, s’il était vivant – et je crois bien aussi Turati ou Treves. Je vous embrasse de tout cœur128.

75Cet épisode montre bien que malgré des liens anciens, la SFIO n’entend pas appuyer sans réserve le PSLI auquel elle reproche son manque d’élans unitaires. Toutefois, la délégation italienne dépêchée en France à l’annonce de la mort de Léon Blum, quelques mois plus tard, montre bien que le lien entre la SFIO et le PSLI a perduré. Aux funérailles, les seuls dirigeants italiens appartiennent aux partis scissionnistes : il s’agit de Giuseppe Romita pour le PSU, d’Ermès Moretti, secrétaire de la fédération française du PSLI, et de Ludovico d’Aragona, membre du PSLI qui représente Giuseppe Saragat129. De même, dans la presse partisane, le PCI, le PSI et le PSLI adoptent trois attitudes distinctes témoignant des rapports passés et présents avec le dirigeant français. L’Unità publie un article qui supplante par sa violence celui de l’Humanité130, reprochant au défunt l’« abandon de la République espagnole » et d’avoir appuyé « une politique philonazie et antisoviétique » au moment des accords de Munich. Il l’accuse aussi d’avoir été « arrêté et amené en Allemagne par les nazis, mais traité avec beaucoup d’égards quand des milliers de Français mouraient dans la Résistance ». La conclusion est du même ton :

Léon Blum a réduit la social-démocratie française à un groupe de politiciens vendus et corrompus sans presque aucune influence sur la classe ouvrière. La mort de Léon Blum symbolise la crise mortelle de la social-démocratie dans les pays d’Europe occidentale, abandonnée par les travailleurs, et délaissée comme un instrument inutile par la bourgeoisie qui se tourne vers les partis catholiques131.

76Le texte de l’Avanti ! est, quant à lui, très simple et factuel, ne faisant qu’une légère allusion aux divergences récentes. Il évoque sans demi-mesure le succès du Front populaire, dont les exilés italiens avaient été témoins : « le 4 juin 1936, des milliers de Français, après l’extraordinaire victoire du Front populaire défilèrent dans Paris le poing serré et levé bien haut aux cris de "Vive Blum" ! ». Il s’agit certes de vanter les succès d’une alliance socialo-communiste que le PSI se targue de prolonger, mais l’article, qui rappelle les liens personnels entre Blum et Nenni choisit d’éviter les sujets de tensions132.

77Le PSLI, par la voix de Giuseppe Saragat dans le journal turinois La Stampa, salue pour sa part « un défenseur de la liberté ». L’auteur rappelle le procès de Riom, À l’échelle humaine, et brosse un portrait flatteur de l’ancien président du Conseil, en faisant, avec Turati, l’une des sources d’inspiration du parti133.

II.3. La gauche de la SFIO et le PSI : une recherche réciproque d’appuis internationaux

78Si le rôle de Gilles Martinet a déjà été mis en évidence – quoique souvent pour une période ultérieure134 – dans les liens qu’il entretient avec la gauche du PSI à la fin des années 1940 et dans les années 1950, celui joué par Jean Rous est demeuré plus obscur135. C’est pourtant le socialiste français qui connaît le mieux l’Italie de la période et qui noue le plus de liens avec différents groupes liés au PSI. Antistalinien, anticolonialiste et hostile à la Troisième force, Jean Rous cherche des appuis et des modèles internationaux, d’abord en Italie puis, à partir de la rupture Staline-Tito, en Yougoslavie et enfin dans les nouveaux pays issus de la décolonisation136.

79Au moment du congrès de 1946, il appuie Guy Mollet et, écrivant régulièrement dans La Pensée socialiste, il se fait le pourfendeur d’une politique de participation jugée réformiste et s’éloignant des classes laborieuses. C’est donc assez logiquement qu’il regarde avec intérêt l’expérience d’Iniziativa socialista, qui se proclame révolutionnaire, autonomiste et hostile à la participation. La Pensée socialiste et Iniziativa socialista entretiennent de bonnes relations, au point de se jumeler, vraisemblablement à l’initiative de Jean Rous. Le premier numéro d’Iniziativa137 se félicite ainsi de la victoire de « la gauche du parti socialiste » au congrès de l’été 1946, et fait une large place, dans son comité de rédaction, aux dirigeants français : aux côtés des italiens Virgilio Dagnino, Matteo Matteotti, Giuliano Vassalli, Mario Zagari et Enrico Russo, on trouve les membres influents de la Pensée socialiste Yves Dechezelles, Guy Mollet, Pierre Rimbert, Jean Rous et Marceau Pivert. À cette date, ces derniers sont encore liés par leur récente victoire au congrès, mais cette union se dégrade rapidement jusqu’à provoquer le départ de Dechezelles à la fin de l’année 1947 et celui de Jean Rous l’année suivante, les deux dirigeants se retrouvant par la suite au RDR.

80La collaboration entre le groupe molletiste et Iniziativa est en tout cas largement mise en scène par cette dernière – davantage que par la revue française qui se contente de publier en octobre la déclaration de principes du courant italien. Dans son premier numéro, un article intitulé « Iniziativa socialista et la gauche française », la revue insiste sur les convergences programmatiques avec la motion de Guy Mollet et défend ce dernier des attaques que lui avait adressées Oreste Lizzadri dans Compito nuovo138. L’article affirme aussi que Lelio Basso s’est rendu en France pour tenter de nouer des liens avec la Pensée socialiste, mais que celle-ci a décliné, « par la voix de Jean Rous »139, s’enorgueillissant qu’Iniziativa lui ait été préférée.

81À mesure que les dissensions entre les anciens partisans de Guy Mollet se font jour, Iniziativa prend progressivement parti pour les plus critiques à l’égard du secrétaire de la SFIO, sous l’influence de Jean Rous. Guy Mollet n’est plus présenté comme le tenant d’une motion de gauche, mais comme un centriste. À la vision bipartite de l’article précédent, le numéro de décembre oppose une tripartition entre la droite (Mayer, Blum), le centre de Mollet et la gauche autonomiste à laquelle vont les faveurs de l’article. Celui-ci déplore que l’alliance de l’été entre la gauche et le centre n’ait pas survécu à la poussée ministérialiste du groupe parlementaire, qui a conduit Guy Mollet à s’entendre tacitement avec la droite du parti140. L’article, qui cite nommément Jean Rous, en adopte le point de vue, qui correspond du reste au positionnement politique d’Iniziativa. C’est à ce moment-là que leurs vues coïncident le mieux.

82Jean Rous fait ensuite partie de la délégation française au congrès de Palazzo Barberini, preuve de sa centralité dans la gestion des questions italiennes à la SFIO141. Comme on l’a vu, sa position sur la scission est nuancée bien que teintée de sympathie pour Iniziativa. Elle évolue cependant rapidement, à mesure que la mainmise des saragatiens sur la nouvelle formation se précise. Dans un article de mars 1947, il déplore qu’Iniziativa n’ait pas exploré toutes les possibilités avant d’en arriver à la scission et craint que le PSLI ne collabore avec les partis bourgeois. Le texte n’épargne pas pour autant le PSI, accusant Nenni d’avoir réagi trop tard, même si Rous s’y dit sensible aux références de Nenni à Rosa Luxemburg et à la tentative de réaliser « la synthèse de la discipline et de la liberté, des forces de l’Orient révolutionnaire et de l’Occident démocratique »142. Ces deux pôles – qui constituent les références centrales du RDR, révolutionnaire et démocratique, qui naît un an plus tard – sont au cœur de la pensée de Jean Rous. Ce texte marque d’ailleurs la fin de la collaboration entre Iniziativa et Rous : si la revue italienne continue d’affirmer qu’elle est liée à la Pensée socialiste, les échanges de textes cessent à partir de cette date.

83Jean Rous précise encore sa pensée dans un article qu’il publie dans Esprit le mois suivant et qui montre l’évolution de ses affinités :

C’est pourquoi, quelque sympathie qu’on ait pour telles tendances, quoi que l’on pense des causes et responsabilités immédiates, on ne peut apprécier la scission elle-même que comme une erreur. La position juste paraissait être de sauver l’autonomie du socialisme démocratique, mais en sauvegardant son unité. Cette position a été celle d’un centre (Pertini, Silone, Lombardi) qui fut impuissant143.

84Il semble qu’à partir de cette date Jean Rous cherche à établir des liens avec ces derniers, représentants d’un socialisme favorable à l’unité d’action, mais hostile à la participation et à la fusion avec le PCI. À la même période, le PSI, cherchant des alliés internationaux pour rompre son isolement, saisit l’occasion, ce qui s’observe dans le rapprochement ponctuel de l’Avanti ! et de Franc-Tireur, journal lié au RDR. Lors de la crise de mai 1947, l’article de l’Avanti ! qui évoque l’expulsion des ministres communistes cite un « éditorialiste de Franc-Tireur » critique de la Troisième force naissante qui pourrait être Jean Rous144. De même, en février 1948, les deux journaux s’associent pour envoyer un reporter clandestin dans l’Espagne franquiste et publient tous deux ses articles. Enfin, en janvier de la même année, un article critique de la Troisième force signé Jean Rous paraît dans l’Avanti ! di Francia145, montrant que ce dernier continue d’entretenir des liens épisodiques avec les socialistes italiens.

85Après le congrès de Gênes, en juin 1948, les liens entre Jean Rous et l’Italie s’intensifient encore, quand la direction sortante est mise en minorité. La direction centriste, sous le secrétariat d’Alberto Jacometti146, veut affirmer l’autonomie du PSI, sans pour autant rompre totalement avec le PCI. Le Fronte democratico popolare est dissous en août, mais l’unité d’action demeure. Le parti se trouve dans une position difficile : isolé sur la scène internationale et suspendu par le COMISCO147, il cherche des appuis à l’étranger. Une nouvelle fois, c’est avec Jean Rous que sont noués des contacts. Le RDR et la direction centriste du PSI partagent en effet des combats communs, soucieux de maintenir une égale distance entre les blocs dans la guerre froide naissante tout en réaffirmant la puissance révolutionnaire du socialisme.

86En janvier 1949, le Bureau international du PSI adresse une longue lettre à Jean Rous148. Écrite dans un français approximatif, elle fait suite à la rencontre, à Paris, entre Jean Rous et Andrea Fabbricotti, un socialiste toscan membre du Bureau international. Ce dernier, qui écrit au nom de la direction du parti, informe Jean Rous de la décision du PSI de ne pas répondre aux injonctions du COMISCO, ce qui signifie que le parti, après avoir été suspendu, s’attend à être exclu. Il conteste l’attitude anticommuniste du COMISCO sans épargner les principaux partis socialistes européens, dont la SFIO :

Si on doit se tenir, pour imiter le COMISCO, à simplement juger des alliances, il est clair que les liens qui unissent les partis socialistes du continent avec les forces catholiques sont, à partir d’un point de vue socialiste, bien plus graves et dangereux que les liens que nous conservons avec une partie de la classe ouvrière, avec laquelle nous ne sommes pas d’accord sur tous les sujets de politique nationale ni internationale, mais avec laquelle nous avons une chose en commun qui s’appelle la solidarité des classes.

87Il ajoute :

Vous me disiez tout votre pessimisme sur la possibilité pour nous d’arranger les choses avec le COMISCO ; je vous disais qu’en ce cas nous aurions l’intention plus ferme de ne pas abandonner à soi-même, ou pis encore au COMISCO, l’instance de l’Internationale socialiste, mais, qu’en ce cas, le PSI aurait pensé à lancer sur une échelle internationale le projet d’une entente plus fidèle aux principes du Socialisme et dégagée de tous liens avec les politiques étrangères gouvernementales et dressées contre les déviations impérialistes et colonialistes.

88Ce passage mérite qu’on s’y arrête : conscient de son isolement international et ne souhaitant pas dépendre exclusivement de l’alliance communiste, le PSI autonomiste cherche à promouvoir une Internationale alternative, qui réaffirmerait la nécessité d’une autonomie du socialisme, entre les deux blocs de la guerre froide. Le projet n’aboutit cependant pas, tant sont peu nombreuses les formations susceptibles d’y adhérer. On notera toutefois le choix du vocabulaire – « contre les déviations impérialistes et colonialistes » – : si le Parti socialiste italien a depuis longtemps dénoncé les premières, la croisade anticolonialiste ne fait pas vraiment partie de ses thèmes de prédilection. Le parti avait même, au sortir de la guerre, tenté de défendre les possessions italiennes autour d’un argumentaire classique unissant à la fois l’idée du débouché pour le prolétariat italien et la mise en valeur des terres colonisées149. Ce retour en grâce de la thématique anticoloniale s’explique en partie par les déboires internationaux du parti, qui refuse au COMISCO le droit de juger sa politique intérieure et qui renvoie les autres forces socialistes – au premier chef la SFIO engluée dans la Guerre d’Indochine, mais aussi les travaillistes britanniques et néerlandais – à leurs propres contradictions. Sur ce plan, l’entente avec le RDR, dont l’anticolonialisme est un des ciments, est parfaite.

89Fabbricotti évoque aussi la question du PSLI, conscient sans doute des liens anciens de Rous avec les tenants d’Iniziativa : il déplore que ces derniers n’aient pas réussi à remporter le dernier congrès du parti – en janvier 1949, à Milan – alors qu’ils prônaient une sortie du gouvernement, ce qui aurait, dit-il, rendu possible une réunification. Il termine en demandant l’aide de Franc-Tireur pour mettre en valeur le combat du PSI contre le COMISCO et propose d’organiser une rencontre à Paris dans les semaines qui suivent. Celle-ci a bien eu lieu, comme en témoigne une autre lettre du PSI à Jean Rous, cette fois signée de Giovanni Pieraccini, toujours en français150. Il fait rapidement référence à cette rencontre, puis s’étend sur le congrès à venir :

La lutte pour le congrès de Florence paraît très dure. La « gauche » est en grande activité et a beaucoup d’argent. Ses dissentiments intérieurs (entre Tolloy, Nenni, Basso), maintenant se taisent dans l’effort de nous vaincre. Basso viendra – aussi lui, à Paris dans la semaine de Pâques et je crois qu’il cherchera à se rencontrer avec vous. Je crois qu’il désire connaître vos intentions ou qu’il cherche à apprêter une chance d’approche. Il faudrait certainement user avec lui de beaucoup de prudence.

90L’extrait est éclairant à plus d’un titre : d’abord, la direction centriste a bien perçu le danger du rapprochement de l’ensemble de la gauche, qui l’emporte effectivement quelques semaines plus tard, en mai 1949, au congrès de Florence. La lettre insiste aussi sur la richesse du courant, entretenant une polémique récurrente autour de l’« or de Moscou » et de l’aide bien réelle que le PCI apporte aux courants du PSI qui lui sont favorables151. Enfin, le dernier passage, relatif à la venue de Lelio Basso souligne combien le RDR, malgré son caractère confidentiel dans les urnes et ses effectifs militants réduits, demeure un enjeu important pour tous les socialistes italiens qui cherchent à s’attirer ses bonnes grâces. Les discussions entre le RDR et le PSI semblent pourtant s’interrompre avec le congrès de Florence qui réaffirme la victoire de la gauche et qui ancre le frontismo dans la durée. Après cette date, les échanges entre Jean Rous et l’Italie semblent cesser et l’ancien dirigeant de la SFIO se tourne vers d’autres modèles comme la Yougoslavie.

91Dès lors, les échanges entre les socialistes italiens et la France reposent essentiellement sur les liens anciens qui existent entre le courant de Bataille socialiste et les membres de la gauche du PSI. Bataille socialiste et son dirigeant Élie Bloncourt152, représentant de la tendance unitaire au sein de la SFIO après le départ de Jean Zyromski au PCF, partagent en effet certaines préoccupations du PSI et notamment celle de l’alliance de Front populaire avec les communistes. Si le parti italien est une référence régulière de la revue Bataille socialiste en 1947, c’est surtout après l’exclusion de ses dirigeants Daniel Haas et Élie Bloncourt, en janvier 1948, que le courant regarde avec intérêt l’expérience du PSI. Celui-ci est particulièrement célébré au moment de son congrès de 1948 qui décide des listes unitaires du Fronte, ce qui lui vaut la première page de La Bataille socialiste, qui titre : « Un exemple à méditer. Le Parti socialiste italien unanime pour l’unité d’action ». L’article, signé Pierre Stibbe, reprend la rhétorique socialiste italienne : le pays, sous l’influence du Vatican et en proie à la prédation capitaliste, a besoin d’un bloc du peuple solide, unissant les deux partis ouvriers. Il n’est pas tendre avec le PSLI, établissant un parallèle transparent entre « les tentatives "humanistes" »153 du parti saragatien et la SFIO.

92Dans les mois qui suivent, la revue appuie systématiquement le PSI, à la fois dans ses déboires avec les institutions internationales socialistes154 et dans sa politique d’alliance avec les communistes155. Si la Bataille socialiste regarde davantage du côté des communistes – les articles sont nombreux sur les réalisations du bloc de l’est – le PSI demeure un appui de poids pour le nouveau mouvement créé par Élie Bloncourt, le Mouvement socialiste unitaire et démocratique, qui devient ensuite le Parti socialiste unitaire. Bloncourt adresse ainsi une lettre à Nenni à la fin de l’année 1949, pour le prier de dépêcher un orateur au deuxième congrès du PSU156. Celui-ci s’y rend en personne, signe que le PSI cherche des appuis internationaux, et y prononce un discours qui lui vaut d’être « ovationné » selon l’article que Bataille socialiste publie sur le congrès157.

93Du côté italien, c’est Gilles Martinet, membre du PSU, qui entretient les liens entre les deux formations, à partir de la fin de l’année 1948. Il suit alors les questions françaises pour le nouvel hebdomadaire Mondo Operaio de Gianni Bosio, sur lequel Pietro Nenni garde un œil attentif. Il y développe un style offensif, attaquant violemment la SFIO et la politique de Troisième force158 et dénonçant « la décomposition de la droite socialiste française »159. Personne ne trouve grâce à ses yeux : ni le « révisionnisme » de Léon Blum et Daniel Mayer, ni Guy Mollet, accusé d’avoir trompé les militants au congrès de 1946, ni la gauche du parti, dont il dénonce l’anticommunisme et le soutien à la Troisième force.

94Malgré ces attaques régulières contre la SFIO, le PSI ne réussit jamais à contrebalancer réellement l’influence internationale du PSLI, qui jouit de relais supérieurs au sein du socialisme européen. Isolé politiquement, le Parti socialiste s’appuie donc sur des réseaux périphériques, qui ne lui permettent pas de contester la condamnation dont il fait l’objet au sein du COMISCO.

II.4. Le COMISCO et la question italienne

95Ces éléments contribuent à éclairer les relations entre le COMISCO et le PSI qui se dégradent en 1947, se tendent définitivement l’année suivante et se rompent avec éclat en 1949. L’Internationale ouvrière socialiste, au point mort depuis 1940, avait été officiellement dissoute en 1946. Depuis 1945, néanmoins, le Labour avait pris en charge l’organisation d’une conférence des partis socialistes des pays vainqueurs, sans toutefois doter ceux-ci d’une véritable structure, à l’exception d’un comité de liaison (SILO) créé la même année. Auréolé de sa récente victoire aux élections britanniques, le Labour constitue alors le pivot essentiel de ces réunions, et son opposition à toute reconstitution d’une Internationale au pouvoir contraignant – malgré les tentatives des Partis socialistes belges et français – suffit à rendre cette perspective improbable160.

96Rapidement, la question du communisme prédomine : alors qu’en 1945, les socialistes européens encourageaient encore les Espagnols à mettre un terme à la dictature franquiste, l’année suivante ils adoptent une position bien plus prudente, craignant que la chute du Caudillo ne facilite l’expansion communiste dans les pays d’Europe méditerranéenne161. Il en va de même avec le SPD : initialement vilipendé pour une résistance au nazisme jugée insuffisante, il devient progressivement un allié potentiel face au bloc de l’Est qui se constitue, ce qui conduit le Labour à proposer sa réintégration dès la conférence de Bournemouth, en novembre 1946. Cette résolution se heurte cependant à l’opposition des délégués polonais et tchécoslovaques et le SPD n’est qu’invité à la conférence de Zurich l’année suivante.

97Celle-ci, qui se déroule du 6 au 8 juin 1947, doit résoudre deux problèmes qui ne sont distincts qu’en apparence, l’adhésion du SPD et la scission italienne, et qui montrent la pleine entrée du COMISCO dans la guerre froide. Kurt Schumacher plaide une nouvelle fois pour l’adhésion du SPD, dans un discours aux accents anticommunistes et défendant l’idée qu’« il n’y a pas de socialisme sans humanisme, sans liberté de conscience, de pensée, d’expression, et sans droits individuels »162. Le COMISCO demeure divisé, selon la ligne de fracture apparue à Bournemouth et la question est de nouveau ajournée.

98Au moment de la scission de janvier 1947, le bulletin du SILO avait laissé poindre, malgré une neutralité formelle, une légère préférence pour Saragat. Le texte soulignait son internationalisme qu’il opposait à l’équivalence que Nenni semblait établir entre Est et Ouest :

En termes de politique étrangère, Nenni ne veut pas distinguer entre les démocraties occidentales et les pays sous la protection des Soviétiques. Le cœur de Saragat est avec les premières et il est favorable, sans réserve, au socialisme international. On doit noter que Nenni n’est pas favorable à la reconstitution de l’Internationale163.

99Le texte demeure cependant exempt de jugements tranchés et se contente, comme c’est du reste le but du Bulletin, d’informer les différents partis des événements. Un rapport sur la situation italienne est par ailleurs commandé à Walter Bringolf, délégué suisse qui a rencontré des membres du PSLI, du PSI, mais aussi du PDA, à la tête d’une commission constituée pour l’occasion. Bringolf rend compte de la situation devant la conférence de Zurich. Il note d’abord que la responsabilité de la scission est imputable au PSLI « parce qu’ils ont quitté le Parti », ce qui constitue une victoire pour le PSI. En second lieu, il déplore la scission, qui affaiblit le socialisme, encourage la réunification et propose de créer un comité de liaison pour en accompagner le processus. Cette proposition est acceptée par la Conférence alors qu’une motion proposée par les délégués polonais, enjoignant aux saragatiens de revenir au sein du PSI, est rejetée. La position de la conférence est donc nuancée : si le PSLI porte la responsabilité de la division, on comprend ses raisons puisqu’on refuse de le contraindre à la réunification ; la discussion entre les deux partis les place de fait sur le même plan, ce qui constitue une reconnaissance implicite du PSLI. La SFIO, dont on a vu les liens avec ce dernier, va plus loin : Léon Boutbien propose que le Parti social-démocrate soit accepté comme observateur, ce qui provoque la réaction immédiate de Lelio Basso qui menace de quitter la conférence164.

100Malgré tout, la conclusion de la conférence n’est pas défavorable au PSI, qui n’est pas publiquement désavoué. Nenni se montre d’ailleurs confiant dans les notes qu’il prend sur le moment, écrivant : « La conférence ne se fait aucune illusion, elle sait que la responsabilité revient aux saragatiens »165. De même, le compte rendu de Critica sociale semble empreint d’une forme de déception : il reconnaît que le PSLI espérait obtenir un rôle officiel – au moins d’observateur – mais juge que le PSI y a également perdu, malgré l’habileté de ses dirigeants, dont il livre un portrait très critique, qui renvoie Nenni et Basso à leur alliance au PCI, leur attribuant les caractères habituels de la duplicité communiste :

[Nenni est apparu] satisfait d’avoir su, avec ses manières caressantes et sournoises dont il sait jouer au moment opportun, tirer profit de ses relations nouées pendant son exil pour rattraper les désastreuses conséquences pour le PSI, provoquées par l’attitude de dictateur intolérant de Lelio Basso166.

101La conférence d’Anvers, qui se réunit du 28 novembre au 1er décembre 1947 laisse la question italienne de côté, car on espère du congrès de janvier 1948 une solution au problème, mais surtout parce que la naissance du Kominform, créé en septembre 1947, concentre l’attention. Si certains, comme les délégués de la SFIO, entendent en profiter pour reconstruire une Internationale, d’autres arguent du fait que ce pourrait être perçu comme un acte d’hostilité à l’égard des communistes167. Les délégués optent donc pour une voie médiane en créant le COMISCO, qui institutionnalise davantage les conférences sans les doter, comme l’aurait été une Internationale, de pouvoirs contraignants. Par ailleurs, le SPD est officiellement réadmis malgré l’opposition des délégués des partis socialistes liés aux communistes – polonais, tchécoslovaque, hongrois – et l’abstention italienne, ce qui met en évidence de manière claire les antagonismes à l’œuvre au sein du socialisme européen, lequel se divise selon les mêmes fractures que pour la question italienne. De la même façon, la SFIO avait tenté par l’intermédiaire de Guy Mollet, avant le début de la conférence, de faire de nouveau inscrire à l’ordre du jour la question de l’adhésion du PSLI comme observateur, dans une tentative de modification des équilibres internes du COMISCO, en favorisant les partis hostiles aux communistes168.

102Selon la même chronologie que celle de la rupture entre PSI et SFIO, c’est au début de l’année 1948 que les relations entre le COMISCO et les socialistes italiens se dégradent définitivement. La stratégie frontiste au congrès de Rome de janvier 1948 et le choc du coup de Prague accélèrent le processus de division au sein du socialisme européen. En mars, la conférence socialiste dénonce pour la première fois le Kominform, condamne les socialistes bulgares, hongrois et roumains, et exclut les Tchécoslovaques, coupables d’avoir soutenu la prise de pouvoir de Gottwald169. Pietro Nenni, qui a manifesté son soutien aux socialistes tchécoslovaques de Fierlinger ayant participé au coup de Prague170, est de plus en plus marginalisé.

103La conférence de Vienne, en juin 1948, fait de la question italienne son sujet principal. Après avoir hésité, semble-t-il, à y envoyer une délégation171, le PSI vient défendre sa position. La résolution finale qualifie les démocraties populaires de dictatures qui « trahissent la démocratie aussi bien que le socialisme »172. Au cours de la conférence, le PSI est suspendu en raison de son alliance avec les communistes, jugée incompatible avec la vie démocratique. Le vote est quasi unanime : le parti italien est le seul à s’y opposer, alors que tous les autres sont favorables – les partis des pays de l’Est condamnés en mars ne sont pas venus – à l’exception de quatre abstentions173. Le tournant anticommuniste est net, comme le montre aussi le choix, à propos de l’Espagne, de privilégier le groupe de Rodolfo Llopis, hostile à l’alliance communiste, aux dépens de celui de Juan Negrín qui y est favorable174.

104La victoire des centristes au congrès du PSI ne change pas fondamentalement les rapports entre ce dernier et le COMISCO. Le nouveau secrétaire, Alberto Jacometti, adresse bien une lettre à l’organisation, mais réaffirme la liberté du parti italien de choisir ses alliances et ne se montre pas conciliant, revenant sur le rôle joué par le COMISCO dans la campagne électorale d’avril 1948 et l’accusant, malgré son discours sur la Troisième voie, d’avoir choisi le camp occidental et la défense des intérêts britanniques :

Le Socialisme italien est, en vertu de sa tradition et des nécessités vitales de son peuple, sur la route d’une politique de paix contraire à toute rigidité de blocs opposés. Il ne peut donc ni suivre la politique du Kominform ni la directive donnée dans les derniers temps par le COMISCO, qui substitue à une solidarité internationale socialiste objective des travailleurs, les exigences contingentes d’une politique étrangère britannique. Au cours de la dernière campagne électorale, nous avons assisté avec peine à des manifestations de solidarité – données par les Partis socialistes appartenant au COMISCO – à des partis et des forces liés avec la classe capitaliste et avec l’oppression du Vatican. Ces inadmissibles manifestations ne peuvent être expliquées autrement que par des entorses – que nous souhaitons passagères – aux principes de la lutte pour l’émancipation socialiste des travailleurs175.

105Dès lors, les relations entre le PSI et le COMISCO ne se font plus que sur le mode polémique, entérinant de fait une rupture qui n’est officiellement sanctionnée qu’à la conférence de Baarn en mai 1949. La dernière crise a lieu à la fin de l’année 1948 et au début de l’année suivante : à la réunion du COMISCO de Clacton-on-Sea en décembre 1948, les socialistes enjoignent au PSI de rompre tous ses liens avec le PCI sous peine d’être exclu.

106Jugeant – à raison – que l’affaire est entendue, le PSI choisit de mener une dernière offensive contre le COMISCO et les principaux partis qui le composent. Il adresse le 18 janvier 1949, par l’intermédiaire de son secrétaire Jacometti, une longue lettre à l’organisation pour répondre aux griefs qui lui sont faits176. Le parti dénonce une ingérence dans ses affaires internes, ne prenant en compte que les intérêts et le positionnement international des partis du COMISCO, sans considérer la spécificité du cas italien et les menaces que ferait courir à la démocratie la division du prolétariat :

Il est évident que [l’ultimatum de la conférence de Clacton-on-sea] démontre l’incapacité fondamentale de comprendre – et c’est là notre vraie différence avec le COMISCO – combien la lutte politique en Italie n’est pas polarisée par le communisme et l’anticommunisme comme vous voulez le faire croire, mais entre conservatisme clérical et opposition ouvrière. Au-delà des inconvénients et des dangers qu’il comporte, le pacte d’unité d’action a ainsi dans notre pays cette valeur précise : maintenir la solidarité entre les travailleurs, solidarité sans laquelle une défense efficace de la démocratie est impossible […]. Or pour le COMISCO, il n’existe qu’une opposition violente entre le bien et le mal, entre la liberté et le totalitarisme177.

107La lettre continue dans la dénonciation d’une politique de Troisième force qui conduit les socialistes à être sous le joug des forces cléricales – l’attaque est ici destinée à la SFIO et au PSLI – et l’instrument de la politique étrangère des États-Unis. Mais c’est surtout, comme on l’a vu, autour de la question coloniale que le PSI attaque les membres du COMISCO. Dans un long développement, il leur reproche de n’avoir la démocratie et la liberté à l’esprit que lorsqu’il s’agit de condamner le communisme, et de les oublier en organisant la répression des peuples colonisés :

Attachés à une situation européenne de privilèges, les socialistes européens, par la politique coloniale dont ils sont les promoteurs ou les coresponsables, rompent souvent avec les exigences de l’Internationalisme socialiste […]. La politique du Labour Party, dont le PSI reconnaît le mérite de vouloir transformer l’économie anglaise en économie collective, est conditionnée par une politique coloniale oppressive et impérialiste et se compromet dans la politique extérieure et impériale : l’appui à la Transjordanie, la pression sur les États-Unis contre l’État d’Israël, la politique de contrôle sur le Soudan, de contrôle indirect sur l’Égypte, la politique anticommuniste et antisyndicale en Afrique et en Asie, la répression en Rhodésie et en Côte-de-l’Or, au Kenya, en Malaisie et à Singapour… […] Et le socialisme français (SFIO) tombe dans la répression anti-ouvrière du ministre Jules Moch, appuie un gouvernement responsable du massacre de 80 000 indigènes à Madagascar et qui condamne à mort des députés malgaches, conduit une politique de répression violente au Vietnam et ne trouve pas une ligne dans ses journaux pour condamner l’agression hollandaise en Indonésie178.

108Dans les articles à destination du public italien, et notamment dans l’Avanti !, les attaques contre la SFIO et le PSLI, comme on l’a vu, se font essentiellement sur le mode de la révolution trahie. À l’inverse, à l’échelle européenne, le discours est tout autre. Ce n’est pas au nom de la Révolution que le PSI dénonce l’ultimatum du COMISCO, mais bien au nom de la démocratie et de la liberté, qui sont les principaux arguments opposés par les socialistes européens à l’alliance PSI-PCI. En concentrant son argumentaire sur la dénonciation des crimes coloniaux, le PSI tente aussi de rallier une opinion publique européenne qui n’y est pas toujours insensible, comme le démontrent, en France, les scissions et expulsions liées aux Jeunes socialistes, à l’Action socialiste révolutionnaire de Dechezelles ou au RDR.

109Le PSI tente de donner à cette lettre un écho important179, sans guère de résultats, ses soutiens étant bien moins puissant que la coalition de l’ensemble des partis travaillistes, socialistes et sociaux-démocrates occidentaux. Le COMISCO, quant à lui, envoie une réponse lapidaire, informant le parti italien qu’il a bien pris note de ses arguments, mais qu’il considère ses attaques contre les socialistes européens « fausses et hors de propos »180. Six jours après, le PSI prend acte et informe le COMISCO qu’il ne changera pas de position181, prélude à la rupture prononcée sans surprise à la conférence de Baarn en mai.

110L’expulsion du PSI ne clôt cependant pas le dossier italien au COMISCO, car les différents groupes issus des scissions socialistes demandent leur adhésion. Le Labour Party, méfiant à l’égard du PSLI qu’il juge peu indépendant et coupé des masses, soutient Ivan Matteo Lombardo et l’USI182. À partir de 1949, la SFIO, qui défendait traditionnellement le PSLI, se prononce pour une unification des trois groupes du socialisme autonomiste183 – le PSLI, l’USI et le groupe de Romita, alors encore au PSI et qui le quitte en décembre 1949 – et propose au COMISCO de superviser les discussions184. Le COMISCO semble adopter cette solution qu’il présente aux partis adhérents dans sa circulaire du 31 mars185 et intensifie dans le même temps sa politique d’ostracisme à l’égard du PSI exclu en mai. À la fin du mois, il adresse une lettre à Louis de Brouckère, proche des socialistes italiens, pour lui intimer l’ordre de ne pas entretenir de relations – du moins officielles – avec ces derniers186.

111Dans le même temps, Giuseppe Romita, encore membre du PSI, défend le courant autonomiste en vue du congrès de Florence de mai et reproche à la direction centriste d’avoir rompu avec le COMISCO, faisant figurer le retour du parti en son sein dans son programme187. À partir du moment où l’ancien ministre est suspendu du PSI, après le congrès, le processus d’unification s’enclenche. Romita tient d’abord un meeting commun avec Antonio Greppi à Milan où il attaque les communistes : « on va au COMISCO pour discuter alors qu’on va au Kominform pour obéir »188. A ensuite lieu à Rome une rencontre entre les partisans de Romita, le PSLI et l’USI en vue de l’unification, où ils conviennent de la tenue d’un congrès unificateur en décembre, ce dont le COMISCO se félicite dans son bulletin189. Cependant l’aile droite du PSLI, autour de Saragat, n’entend pas quitter le gouvernement – préalable posé à l’unité par les deux autres forces – et refuse donc la fusion. Seule l’aile gauche – dont une partie conséquente est issue de l’ancien courant d’Iniziativa socialista – rejoint le tout nouveau Parti socialiste unitaire.

112Le COMISCO décide cependant de ne pas choisir, signe que Saragat conserve des appuis. Le PSU est admis comme membre de plein droit à la conférence de Hastings en 1950 et le PSLI de Saragat à la suivante, à Copenhague, la même année190, clôturant une crise italienne qui dure depuis trois ans. Les deux formations entament par ailleurs peu après de nouvelles discussions d’unification qui aboutissent en 1951, donnant naissance au PSDI (Parti social-démocrate italien).

III. Un cas particulier : la fédération française du PSI

113La petite fédération française du PSI, la seule située hors d’Italie, offre un point d’observation intéressant sur les dynamiques à l’œuvre pendant la période191. Si les sources directes sont rares, une étude des archives policières, de quelques petits fonds privés et de la presse192 permet de se rendre compte du tiraillement de militants écartelés entre leurs fidélités locales, syndicales et parfois politiques françaises et leur appartenance militante italienne, tout en s’interrogeant sur les conditions de militantisme dans un pays étranger, loin du centre du parti auquel les acteurs appartiennent.

114S’appuyant sur l’importante communauté italienne193, la fédération s’inscrit dans la continuité de l’émigration antifasciste en France, dont ses dirigeants sont quasiment tous issus194. Ces militants, qui ont choisi de demeurer en France après la guerre, sont généralement bien insérés dans les réseaux de gauche : les archives montrent qu’ils participent à la fois à des activités liées à l’émigration antifasciste – comme la Ligue des droits de l’homme italienne (LIDU) ou l’association Italia Libera195 – mais aussi parfois à des activités dans les syndicats français. Les liens avec la SFIO sont également loin d’être négligeables et on trouve des exemples de double adhésion196. La presse socialiste de l’époque postule que le gros des troupes de la fédération se recrute dans les milieux antifascistes exilés, comme en témoignent parfois des critiques des migrants économiques italiens197, jugés sans conscience politique198.

115La fédération compte entre 1000 et 1800 adhérents, selon les moments et les sources199. Il semble toutefois que les scissions du PSLI et celle de Romita en 1949 aient largement contribué à l’affaiblir, au point que les sources policières estiment qu’elle a quasiment cessé toute activité en 1950200. Les différents organismes liés au PSI sont hébergés pendant toute la période par la SFIO, rue Victor Massé, où sont situés les locaux de la fédération, ceux de l’Avanti ! di Francia et, à partir de 1947, de la fédération de jeunesse du PSI en France201.

116La géographie de la fédération est difficile à établir précisément. L’Avanti ! di Francia ne fait que rarement la distinction, dans ses articles, entre la présence d’une section et celle, moins organisée, de quelques sympathisants. On peut en revanche affirmer avec certitude que les groupes les plus actifs se trouvent à Paris, autour de Toulouse202, en Lorraine et dans le sud-est, autour de Nice. Cette géographie est sensiblement la même que celle décrite par Simonetta Tombaccini à propos de l’entre-deux-guerres203, ce qui n’est pas surprenant tant la fédération du PSI s’appuie sur les réseaux de l’antifascisme. La fédération est ainsi essentiellement implantée dans les centres urbains et les milieux ouvriers204.

117L’activité militante est conditionnée par l’éloignement de l’Italie, ce qui transparaît dans plusieurs lettres adressées à Pietro Nenni. Les militants disent peiner à s’informer sur ce qui se passe en Italie et plus encore à l’intérieur du parti, rendant compte de la difficulté de faire des choix précis en l’absence d’une connaissance fine des dynamiques internes du parti205. On voit aussi ce décalage dans la presse française : les numéros qui rendent compte des événements le font souvent avec environ une semaine de retard, ce qui démontre que les informations circulent lentement206.

118Tous ces éléments contribuent à faire de la fédération un espace politique à part, suspendu dans une dimension qui n’est pas celle de l’Italie – où les militants ne vivent plus depuis de longues années pour la majorité – ni complètement celle de la France, puisque s’ils y vivent et y travaillent, ils n’y votent pas et leur activité partisane est italienne. L’étude de la fédération, malgré son caractère lacunaire, dessine ainsi une réalité hybride à mi-chemin entre le PSI et la SFIO qui se déchirent progressivement, laissant apparaître les difficultés de militants qui vivent suspendus entre deux réalités politiques.

119La vie politique de la fédération est en effet marquée par le contexte français et la présence de la SFIO. En décembre 1946 se tient le congrès fédéral à Marseille, où la gauche l’emporte avec 72 % des voix, contre 20 % à Critica sociale et 8 % à Iniziativa socialista207. Oreste Mombello208, qui avait fait partie, avant la guerre, du Parti socialiste maximaliste en France, est nommé secrétaire de la fédération, et Carlo a Prato209 directeur du journal. Le numéro du 16 janvier rapporte les événements de Palazzo Barberini : la direction rappelle qu’à Marseille tous les courants s’étaient exprimés contre la perspective d’une scission, mais se montre pessimiste quant à la possibilité de maintenir l’unité du parti en France. En effet, une fédération du PSLI est créée : la Préfecture de police estime que ses effectifs ne dépassent pas 350 militants210, ce qui correspond à un peu moins du pourcentage exprimé en faveur des courants scissionnistes à Marseille. La fédération du PSLI, constituée en février 1947, est, elle aussi, abritée dans des locaux de la SFIO, au 41 boulevard Magenta211. Cela témoigne du soutien qu’apporte la SFIO au parti scissionniste, même si le parti français continue d’héberger le PSI rue Victor Massé. Une note de police relève d’ailleurs que les relations entre les deux fédérations sont, de manière surprenante, assez bonnes, comme si la volonté initiale de ne pas scinder le parti en deux et l’éloignement géographique des tensions italiennes avait facilité une cohabitation qui n’existe pas en Italie212.

120De la même manière, la ligne politique de l’Avanti ! di Francia de 1947 varie assez peu et s’inscrit dans la continuité de l’équilibre de l’année précédente. Ainsi, le numéro du 17 avril rapporte les événements organisés par la SFIO pour l’anniversaire de Léon Blum sans témoigner au dirigeant socialiste la moindre animosité213 – pourtant déjà visible dans la presse socialiste italienne à la même époque – et l’article qui rend compte de la conférence du COMISCO de juin 1947, s’il se félicite du rejet de la demande d’adhésion du PSLI, se montre assez critique envers les communistes, « sûrs d’eux-mêmes, certains de détenir la vérité et toute la vérité », et les juge « déconcertants » dans leur politique étrangère214. Cela laisse penser que les socialistes italiens présents en France ont développé une position originale faite à la fois de fidélité à la ligne de la direction du PSI et d’une certaine porosité à des thèmes développés par la SFIO, au premier rang desquels la méfiance à l’égard des communistes.

121Cette double influence est, davantage encore, visible dans les mois qui suivent. D’octobre à décembre, L’Avanti ! di Francia mène une campagne virulente contre Saragat, directement inspirée de ce qui se fait en Italie à la même époque, le qualifiant fréquemment de nouveau Déat215. Ce parallèle, parfois présent en Italie comme on l’a vu, est ici repris très largement, car particulièrement signifiant pour s’adresser à des militants vivant souvent en France depuis longtemps et ayant assisté aux débats autour du néo-socialisme dans les années 1930. Cependant, à la même période, au moment où les relations entre SFIO et PSI se tendent considérablement, le parti ouvre largement ses colonnes à des communiqués de la SFIO et donne de l’écho à certaines manifestations que celle-ci organise – commémorations de la Commune, 14 juillet – ce qui montre que les liens continuent à perdurer alors même que la SFIO a pris le parti du PSLI à l’échelle internationale. De même, en janvier 1948, le journal publie à la fois un article élogieux sur le congrès de Force ouvrière216 – aux activités de laquelle certains militants socialistes italiens participent sans doute – et un texte de Marcel Fourrier, membre de Bataille socialiste, exclu de la SFIO, qui réaffirme les liens de son courant avec le PSI217.

122Le congrès de 1948 a lieu à Paris en janvier. Deux motions s’affrontent : l’une est favorable au Fronte et à la direction du parti quand l’autre lui est hostile et semble s’inspirer des principes d’Ivan Matteo Lombardo. Giuseppe Andrich218, qui la représente, défend l’idée d’un socialisme autonome, très proche de la Troisième force théorisée en France219. Le journal ne donne pas le détail des votes, mais la motion de gauche l’emporte, ce qui montre que malgré l’influence de la SFIO, la majorité des militants suit encore, à cette période, la même évolution qu’en Italie. On possède moins d’informations encore sur le congrès de l’été 1948 qui fait suite aux élections d’avril – l’Avanti ! di Francia a cessé de paraître en avril – mais Siro Burgassi devient secrétaire de la fédération220. Or ce dernier est ensuite le représentant du courant autonomiste de Romita221, laissant penser que la tendance hostile à l’alliance communiste l’a emporté, ce qui ne doit pas surprendre étant donnée l’offensive de la SFIO et du COMISCO contre le PSI dans les premiers mois de 1948.

123Les sources sont plus disertes sur la crise qui secoue le parti au moment de la scission de Giuseppe Romita, qui affaiblit considérablement la fédération. Celle-ci a en effet voté, lors du congrès de l’été 1949, à 80 % pour la motion autonomiste de l’ancien ministre de l’Intérieur222 ! La nouvelle direction fédérale adopte une position qui laisse voir une porosité grandissante avec les thématiques de la SFIO :

La Fédération de France du PSI assure ne vouloir créer aucun embarras à la direction du parti, mais entend régler son action en France de telle façon qu’elle ne soit pas en contradiction avec celle des camarades français et ainsi avec les propres intérêts des ressortissants italiens. En conséquence, elle refuserait, si l’ordre lui en était donné, d’appliquer en France le pacte d’unité d’action avec les communistes223.

124Le problème se pose donc sous l’angle du rapport à la fois au communisme et à la SFIO : la voie médiane qui avait prévalu en 1947-1948 ne tient plus et la fédération française du PSI se trouve sommée de choisir entre PSI et SFIO. Elle semble faire le choix de la seconde, au contact de qui elle vit, espérant toutefois pouvoir maintenir des liens avec le premier. C’est un espoir vain, et la correspondance de Nenni montre que la fédération se déchire rapidement, entraînant le départ de très nombreux militants au mois de novembre, ce qui semble condamner la fédération dont les activités cessent quasiment totalement, on l’a dit, en 1950224.

125La difficulté matérielle d’entretenir des liens étroits avec l’Italie et le PSI, tout autant que sa localisation française et la fréquentation des réseaux de la SFIO, ont ainsi conduit la fédération française du PSI à rejoindre les positions de cette dernière. La fin de la publication de l’Avanti ! di Francia qui publiait des articles écrits en Italie a aussi pu jouer un rôle important, car les militants s’informent alors sans doute essentiellement grâce à la presse française. L’influence est peut-être aussi réciproque, car, comme on l’a vu, la SFIO, moins exclusivement partisane du PSLI à partir de la fin de l’année 1949, prête une grande attention au nouveau PSU. Or, des trois groupes présents en France – PSI, PSLI, PSU – il semble bien que ce dernier soit le plus nombreux et il n’est pas impensable qu’il ait pu jouer un rôle dans ce rapprochement.

126L’évolution de la fédération française du PSI montre la complexité d’un engagement extraterritorial, pour des militants italiens qui vivent, travaillent et militent en France. Tant que les tensions de guerre froide demeurent limitées, la fédération peut maintenir une position originale à mi-distance entre le parti dont elle est issue et le milieu politico-syndical dans lequel elle évolue. Après 1948 et l’exacerbation des tensions entre communistes et socialistes en France, cet équilibre devient impossible à tenir. Dès lors, la fédération rompt l’équilibre qui prévalait jusque-là et opte pour l’autonomie, ce qui se traduit par la très large scission favorable à Romita de 1949. Les liens politiques immédiats semblent alors avoir raison des fidélités historiques, alors même que la fédération française avait eu, jusqu’alors, un positionnement politique comparable à ce qui s’observait au sein du PSI d’Italie.

 

127La période 1947-1948 est donc celle où se rompent les équilibres des premiers mois de la sortie de guerre. Le PSLI, d’abord, inaugure en janvier 1947 la période des scissions du socialisme italien qui se succèdent jusqu’en décembre 1949. Plusieurs formations tentent d’incarner le socialisme autonomiste, prenant des positions plus ou moins tranchées dans la guerre froide naissante – clairement atlantiste chez Saragat, neutraliste chez d’autres, comme Giuseppe Romita. En France aussi, le choix de la Troisième force conduit à des moments de crise, comme en mai 1947 ou durant les grandes grèves de l’automne. Dans les deux cas, l’équilibre entre discours républicain et discours révolutionnaire, largement conciliables en 1945-1946, semble se rompre en faveur de l’un ou de l’autre des deux pôles de la culture socialiste. La SFIO et le PSLI, tout à leur construction d’une troisième voie capable, en ces débuts de guerre froide, de faire entendre une voix socialiste indépendante des deux blocs, de défendre la démocratie et de réformer le capitalisme, insistent sur la logique de défense républicaine. Cela conduit à une relégation du discours social au second plan, d’autant plus nette dès lors que le PSLI entre au gouvernement à la fin de l’année 1947. À l’inverse, le PSI, pris dans l’exacerbation des tensions pendant la campagne électorale de 1948, raidit encore son vocabulaire révolutionnaire.

128La période est donc le moment d’une double rupture à la fois nationale et internationale. Les relations entre le PSI et la SFIO se dégradent progressivement, depuis les premiers doutes de l’été 1946, jusqu’à la rupture de 1948. À l’été 1946, la majorité du parti italien prend parti pour Guy Mollet dont le discours ouvriériste semble plus proche de celui du PSI et surtout moins suspect de déviation. En effet, les positions de Léon Blum et la composition sociale du parti, qui apparaît aux socialistes italiens comme davantage lié aux classes moyennes, font craindre une évolution du parti français vers des positions centristes, ce que la victoire de Mollet semble un temps écarter. La scission de janvier 1947 fait apparaître les premières divergences, une grande partie de la SFIO regardant l’expérience du PSLI avec sympathie. Le PSI se retrouve victime de l’anticommunisme de la SFIO : les plus favorables à la participation ministérielle et les tenants du socialisme humaniste se trouvent en accord avec le groupe de Critica sociale et avec Saragat, quand les plus hostiles à la participation se retrouvent dans le discours radical d’Iniziativa socialista. Le malentendu sur lequel est construit le PSLI – et qui provoque sa division moins de deux ans plus tard – se retrouve en France, où des adversaires résolus au sein de la SFIO soutiennent la même formation en Italie.

129Les relations avec le PSI ne s’enveniment cependant que progressivement, au gré des épisodes de la guerre froide. La renaissance du Kominform d’abord et surtout le coup de Prague marquent la division profonde du socialisme en deux camps antagonistes, ce qui apparaît avec éclat quand Pietro Nenni prend position pour les socialistes tchécoslovaques favorables à Klement Gottwald. La campagne électorale de 1948 scelle cette divergence, le COMISCO et la SFIO prenant plus ou moins directement parti pour les listes d’Unité socialiste associant les deux formations issues des scissions du PSI, le PSLI et l’USI. Les socialistes italiens, de plus en plus isolés, sont suspendus en juin 1948 du COMISCO et sommés de rompre avec leur allié communiste, ce à quoi la direction pourtant centriste, refuse de consentir, ce qui conduit à leur exclusion définitive en mai 1949. La rupture est alors consommée et les deux groupes campent sur leurs positions hostiles jusqu’au milieu des années 1950, quand la fin progressive du stalinisme pousse le PSI à s’éloigner des communistes.

Notes de bas de page

1 Par exemple : Berstein – Milza 2000.

2 À la suite de la défaite du Fronte Popolare Democratico aux élections d’avril 1948, le congrès socialiste qui se tient à Gênes en juin 1948 porte à la tête du parti une direction centriste qui, tout en conservant l’alliance communiste, plaide pour davantage d’autonomie. Cette parenthèse est refermée au congrès suivant, à Florence, en mai 1949, avec la victoire de la gauche favorable au PCI. Sur ces questions voir notamment : Degl’Innocenti 1993, p. 111-120 ; Mattera 2004, p. 151 sqq.

3 Sur ces questions, voir Degl’Innocenti 1993, p. 66 sqq.

4 Dans les grandes villes, le nombre de voix du PSIUP chute de manière importante : à Gênes, il passe de 117 000 à 79 000 ; à Florence de 57 000 à 41 000 ; à Turin, de 116 000 à 85 000.

5 Sur ce point voir Sabbatucci 1991, p. 83.

6 Selon Maurizio Degl’Innocenti, Saragat et Matteotti sont les plus décidés et s’accordent sur le principe de la scission le 31 décembre 1946 alors qu’une partie d’Iniziativa hésite encore, tout comme Mondolfo, Greppi et d’Aragona pour Critica sociale (Degl’Innocenti 1993, p. 68).

7 Sur le déroulé du congrès, outre les ouvrages déjà cités, voir : Punzo 1973, précis mais très hostile au PSLI ; Caridi 1990 ; Donno 2009.

8 M. Degl’Innocenti rappelle que le chiffre officiel fut de 237 000, très loin des 75 000 qui abandonnèrent effectivement le parti (Degl’Innocenti 1993, p. 68). Il ne donne en revanche aucune information sur la façon dont il obtient ce total.

9 Muzzi – Di Nolfo 1981, p. 207.

10 Ibid. p. 205 ; Tamburrano 1986, p. 205.

11 Lors du congrès de Reggio-Emilia, en juin 1947, la direction passe du réformiste Canevari, inscrit au PSLI, au communiste Giulio Cerreti. La victoire du PCI est nette avec 58 % des mandats alors que le PSI en obtient 25 % et le PSLI seulement 6 % (Zangheri – Galasso – Castronovo 1987, p. 556 sqq).

12 Critica sociale, février 1947, reproduction du discours de Giuseppe Saragat au congrès du PSLI.

13 Critica sociale, janvier 1947, « La lotta di classe e l’unità umana », Antonio Borio : La lotta di classe senz’odio.

14 Critica sociale, janvier 1947, « Campanello d’allarme », Antonio Valeri : Esaltazione dei capi.

15 Critica sociale, février 1947, reproduction du discours de Giuseppe Saragat au congrès du PSLI : il diritto di ogni uomo di giudicare nella propria coscienza in suprema istanza su ciò che è bene e su ciò che è male, su ciò che è giusto e su ciò che è ingiusto. Mai noi potremo delegare questo nostro inalienabile diritto al Partito, che pur ci è tanto caro.

16 Littéralement, les petits pois. Mais le pisello, ici affublé d’un diminutif, désigne aussi le sexe masculin dans le langage enfantin. Sur le caractère viriliste de l’exaltation révolutionnaire, cf. supra chapitre 4.

17 FSSFT, F. Mauro Ferri, b.56. Lettre du PSLI d’Arezzo, 21 avril 1947 : Bravo, veramente indovinata e poiché anche noi sappiamo essere spiritosi, vi diciamo come i comunisti padroni di un gatto chiamano i propri affezionati animali. Psi…psi…psi… fanno i padroni comunisti e i docili animaletti corrono a leccare le loro mani ed a mangiare le bricioline.

18 Mondo Operaio, 21 mai 1949.

19 ACS, MI, PS, s.1947-1948, b.47. Rapport du 28 janvier 1947 de la Questura di Roma à propos du Congrès socialiste : dietro i secessionisti vedeva l’ombra dei nuovi Bonomi, Facta e Mussolini.

20 ACS, MI, Cab. s. partiti politici, 1944-1966, b.69. Note du 27 janvier 1948 à propos du congrès socialiste : gli fu già lanciato 19 anni or sono da Marcel Déat e dagli altri traditori usciti dal socialismo francese.

21 ISRT, F. Foscolo Lombardi, b.5, f.47.

22 AS Bari, Préf. Cab. III versamento, riordinato, b.224. Mattinali della Questura 1947. Rapport du 22 janvier.

23 ISRT, F. Foscolo Lombardi, b.5, f.47.

24 Il est difficile de les dénombrer précisément. Les seules sources disponibles, celles de la préfecture de Milan, semblent en partie fantaisistes : le rapport du 2 avril estime à 30 000 les membres du PSLI dans la province, mais il donne le chiffre de 110 000 pour le PSI. Or, à la fin de l’année 1946, la province ne comptait officiellement que 54 000 militants. (AS Milan, Préf. Cab. s.II, b.498).

25 Manunza 1961, p. 32-33 : Menghi, senza esitare, si impossessò di tutti i documenti e dell’elenco degli iscritti. "Ora sono più tranquillo" disse. "Prima di riprendere questi" dichiarò battendo una mano sul pesante pacco "debbono passare sul mio corpo" […]. – il circolo è dei matteottini. – Niente affatto: è del Partito e il Partito rimane al suo posto […]. Per il momento divideremo con un muro il salone a metà, poi vedremo. Abbiamo già perso troppo tempo per causa vostra […]. Vennero gli operai e iniziarono la costruzione del muro. A metà opera piombò Gildo in Sezione, ignaro del compromesso. "Traditori!" urlò, avventandosi contro il muro, "avete assassinato il mio Partito ed ora vorreste murare anche la mia Sezione!". I compagni lo trattennero e gli spiegarono. Gildo scosse la testa e pianse […]. Un’improvvisa telefonata dalla Federazione mise in allarme i compagni. "Qui parla la Federazione" diceva una concitata voce "ho telefonato a quasi tutte le sezioni, ma nessuno mi ha risposto. In quanti siete?". "Circa una decina" rispose Menghi. […] "Venite subito in Federazione: è necessario vigilarla". Vi fu qualche indecisione. Poi partirono in quattro con Menghi. In via Valpetrosa, in un batter d’occhio, vennero accatastati i mobili alla porta d’ingresso e per maggiore precauzione furono improvvisate barricate nei corridoi. Improvvisamente, dalla via, salì un vocio. "Ci siamo!" disse Menghi. Si affacciarono ad una delle finestre e scorsero nell’oscurità un folto gruppo gesticolante. "Fuori! Fuori! Fuori!". I facinorosi continuarono la loro gazzarra, evitando di avvicinarsi. Finalmente se ne andarono profferendo ingiurie e minacce. Sorse l’alba, la prima della Federazione milanese del PSI. Gli sguardi degli uomini erano stanchi, solo allora consapevoli del disordine.

26 FSSFT, F. Mauro Ferri, b.49. Section d’Arezzo-centre, discussion du 2 février 1947.

27 ACS, MI, PS, s.1947-1948, b.49. Trente, document non daté.

28 ISEC, F. Enrico Farè, b.5. Échanges de lettres, 1947, à propos du livret de 65 000 lires déposé à la Banca Commerciale Italiana de Monza.

29 Cette unité se maintient même après les élections de 1948, mais se rompt en 1949, date à laquelle les socialistes et les communistes quittent la majorité, qui se rééquilibre autour d’une alliance semblable à celle qui soutient le gouvernement, autour de l’axe DC-PSLI.

30 IGR, F. PCI, 1949, Partiti politici, PSI, doc.1090. Province dove i nostri rapporti con il PSI sono incerti o cattivi, document de 1949, portant sur l’année 1948.

31 Le Populaire, 16 janvier 1947, « Scission du Parti socialiste italien », non signé.

32 Le Populaire, 19 janvier 1947, « La scission des socialistes italiens », Jean Rous.

33 Le Populaire, 21 janvier 1947, « L’unité italienne avant tout », Jean Rous.

34 C’est une erreur, car si l’écrivain quitte bien le PSI à cette date, il ne s’inscrit pas au PSLI et fonde, en février, Europa socialista. Sur ces questions voir : Soave 2012.

35 Le Réveil Ardennais, 26 janvier 1947, « En Italie, scission socialiste », Charles Dumas.

36 Le Drapeau rouge, 16 janvier 1947.

37 Sur l’évolution de la position de Rous à l’égard du PSLI, cf. infra.

38 La Pensée socialiste, janvier 1947, « La scission dans le parti socialiste italien », Jean Rous.

39 L’Humanité, 17 janvier 1947, « L’unité entre socialistes et communistes est indispensable a déclaré Pietro Nenni ».

40 FPN, F. Pietro Nenni, UA2033. Signature illisible, 12 mars 1947 : La situazione è molto seria nei nostri confronti: infatti molti esponenti dell’SFIO sono più favorevoli al PSLI che al nostro partito: quelli di estrema sinistra, con la federazione della Senna e Marceau Pivert in testa, per le loro simpatie per Iniziativa; quelli di destra per loro simpatie per i riformisti.

41 L’expression est utilisée dans un article de l’Avenir du Nord qui défend la participation ministérielle (L’Avenir du Nord, 10 mars 1946, « Nous faisons la Révolution », Jean Lechantre).

42 Quilliot 1972, p. 238.

43 Castagnez 2004, p. 318. Les réticences des parlementaires qui y sont hostiles sont liées à la représentation de la SFIO comme parti de classe et souvent à un anticolonialisme marqué.

44 2 529 mandats contre 2 125. Sur ces questions voir Bergounioux – Grunberg 1992, p. 229-231.

45 Il ne faut pas confondre les trois PSU que nous croiserons : celui-ci, donc, puis le parti créé en 1949 par la fusion de l’aile gauche du PSLI, les partisans d’Ivan Matteo Lombardo et ceux de Giusppe Romita. Enfin, les scissionnistes de Bataille socialiste, en France, donnent aussi naissance à un PSU, en 1948.

46 Critica sociale, 16 mai 1947, « La crisi francese », Piero Gallardo : socialismo democratico.

47 L’Avanti ! donne essentiellement des éléments factuels, sans en proposer d’analyse politique. En revanche, le 19 août 1947, l’édition milanaise se félicite de l’issue du congrès de Lyon qu’elle associe à la victoire de la gauche et à la « fin des expédients », imaginant, à tort, que cela va conduire la SFIO à sortir du gouvernement.

48 Sur la concurrence entre le groupe parlementaire socialiste et les instances du parti, voir Castagnez 2004, p. 310. Le Comité directeur se considère comme supérieur au groupe parlementaire et se méfie, d’une manière générale de ce dernier, ce qui constitue un vieil héritage guesdiste. À l’inverse, le groupe parlementaire argue, par la voix de Charles Lussy, son président, de la légitimité que le suffrage universel confère aux députés.

49 AD Ardennes, 1695W317. Tract, élections cantonales, 27 mars 1949, Sedan-Sud, Jean Jacquemart.

50 Castagnez 2004, p. 315.

51 OURS, F. Maurice Deixonne, 1APO11, lettre de Maurice Deixonne aux membres du comité directeur, aux secrétaires fédéraux, aux membres du groupe parlementaire socialiste en vue du congrès de Lyon d’août 1947.

52 Bergounioux – Grunberg 1992, p. 230.

53 Castagnez 2004, p. 308.

54 Selon les chiffres donnés par le parti dans ses rapports de congrès.

55 A. Bergounioux et G. Grunberg relèvent que dans les années qui suivent immédiatement la guerre, le PCF devance la SFIO dans 15 des 27 départements les plus ouvriers (Bergounioux – Grunberg 1992, p. 182).

56 AD Pyrénées Orientales, F. Jean Rous, 96J39. Lettre signée Arend, 27 février 1948, Chateaudun.

57 Olivier 1992, p. 540.

58 AD Nord, Fédé. Nord, b.99. Rapport du congrès fédéral du 6 octobre 1948.

59 AN, MI, F/1a/4736. Note, RG Ardennes, 17 février 1947.

60 AN, MI, F/1cIII/1245. Rapport du préfet des Ardennes, 4 novembre 1949.

61 AD Ardennes, 2W123. Note des RG, 10 juillet 1949.

62 Ibid. Note des RG, 12 décembre 1949.

63 OURS, F. Guy Mollet, AGM10.

64 Le 9 février 1945, Jeunesse publie un article intitulé « Malgré Vichy, notre Indochine est bien française ». En août 1946, la position a évolué. Le journal interviewe Hô-Chi-Minh et se montre très critique contre Thierry d’Argenlieu, et conclut : « C’est à vous maintenant, jeunes amis lecteurs, de commencer inlassablement votre action, de faire connaître la vérité. Entre les intérêts de certains, entre le caoutchouc de Cochinchine, entre la liberté de millions d’êtres humains, vous avez choisi ».

65 Motion proposée par De Bernardi (Oise) (Le Drapeau Rouge, 10 avril 1947).

66 Mauroy 1977, p. 57.

67 Motion votée par la section JS de Tavaux-Damparis, Le Drapeau Rouge, 16 janvier 1947.

68 Sur la crise des Jeunesses socialistes et leur dissolution en juin 1947, voir : Bouneau 2009 et, plus militant, mais précis, Ayme 2009.

69 Par exemple, le discours de Dunoyer, lors de la manifestation qui suit le congrès de Montrouge, où il a fustigé « le torchon tricolore » est très mal perçu.

70 Sur ces questions, voir Amiel 2015. Plusieurs groupes composent le RDR : un premier est issu du réseau de résistance Franc-tireur et du journal éponyme ; un autre provient de Jeune république et revendique une tradition d’inspiration chrétienne. D’autres sont plus proches du Parti communiste internationaliste et sont d’inspiration trotskyste, entretenant des liens avec les membres des JS exclus en 1947. Enfin le dernier groupe, autour d’Yves Dechezelles provient de l’Action socialiste révolutionnaire de la SFIO.

71 L’expression est attribuée à Léon Blum.

72 La Revue socialiste, juin 2000. Ensemble documentaire sur la crise des JS : « La dissolution du bureau des Jeunesses socialistes en juin 1947 », p. 100-108.

73 Dans Le Drapeau rouge : « Parti radical nouveau type […] étroitement lié aux partis bourgeois » (12 juin 1947) ; « un parti qui évolue vers le type radical où se rassemblent un grand nombre d’éléments qui voient en lui la meilleure arme anticommuniste (je dis bien anticommuniste et non antistalinien) » (26 juin 1947).

74 Le Drapeau rouge, 26 juin 1947, « En rompant avec Ramadier, nous restons avec la classe ouvrière ».

75 Iniziativa socialista, 15 novembre 1946, « Iniziativa socialista, per l’unità europea. Per una nuova politica » : pseudo-sinistra.

76 Le Drapeau rouge, 12 juin 1947, « Des vessies pour des lanternes », André Dunoyer.

77 C’est par exemple le cas des Jeunes socialistes de la Seine en 1935 dont les principaux dirigeants sont exclus. Ceux-ci avaient fondé, autour de Fred Zeller, la Jeunesse socialiste révolutionnaire (JSR) accusée d’être trop proches tour à tour des Jeunes communistes puis des trotskystes (Bouneau 2009, p. 256 sqq).

78 PP, 4BA2316, rapport sur le congrès des jeunes socialistes de Montrouge, avril 1947.

79 Orientamenti, juillet 1947, « La Gioventù socialista francese scioglie la Direzione Nazionale ».

80 Jeunesse, 3 novembre 1944, « Les pieds dans le plat », Georges Cahn.

81 Ibid.

82 Iniziativa socialista, 16 décembre 1946, « Il congresso della gioventù socialista » : la punta avanzata del partito, la pattuglia di punta della classe operaia/ una federazione giovanile autonoma.

83 Cité par Bouneau 2009, p. 408.

84 Socialismo, août-septembre 1945, « Léon Blum prima e dopo », Aldo Valcarenghi.

85 Socialismo, février 1947, « Il socialismo "umanista" in Francia », Raniero Panzieri : ideologi contro-rivoluzionari.

86 ACS, MI, Cab. s. Partiti politici, 1944-1966, b.69. Note du 27 janvier 1948 à propos du congrès socialiste.

87 Ivan Matteo Lombardo (1902-1980) : entrepreneur milanais, il collabore à l’Avanti ! au début des années 1920. En septembre 1942, il est parmi les refondateurs du PSI. À la Libération, il est sous-secrétaire d’État du ministère de l’Industrie et du commerce dans le gouvernement Parri (juillet 1945-juin 1946). Il est élu secrétaire du PSIUP au congrès de Florence de 1946 – Nenni est alors président – et devient député de l’Assemblée constituante. Il ne quitte pas le PSI au moment de la scission de Palazzo Barberini mais l’année suivante, refusant la logique du Fronte.

88 Le Populaire, 22 janvier 1948, « Lombardo réclame une "troisième force" internationale ».

89 ACS, MI, Cab. s. Partiti politici, 1944-1966, b.69. Note du 24 mars 1948.

90 Pietro Nenni envoie un télégramme de félicitations à Zdeněk Fierlinger (Mattera 2017, p. 27). Ce soutien est vivement désapprouvé par le COMISCO (cf. infra) et joue un rôle important dans les tensions croissantes entre les socialistes occidentaux et le PSI. Le COMISCO condamne officiellement les socialistes tchécoslovaques et décide leur exclusion en mars 1948. Sur l’importance du coup de Prague dans la division du socialisme européen : De Graaf 2019, p. 276-278.

91 Sur ce point, voir le chapitre 3, où le discours de Stresa a déjà été évoqué.

92 Blum, discours politiques, Alain Bergounioux (éd.), Paris, Imprimerie Nationale, 1997, p. 265-266.

93 L’Umanità, 10 avril 1948, « Da Stresa, Leon Blum parla all’Europa. Rinnegare la democrazia significa disprezzare l’uomo ».

94 Le Populaire, 7 avril 1948.

95 Le Populaire, 10 avril 1948.

96 Ibid.

97 L’Avanti !, éd. Milan, 10 avril 1948, « E Blum commosso lo baciò », Dario Paccino.

98 L’Avanti !, éd. Milan, 11 avril 1948, « Consiglio a Blum », Guido Mazzali. Le même article est publié dans L’Avanti ! di Francia, le 15 avril : La sua prosa è pulita ancorché ampia e sonora e chiare appare la sua visione del mondo e sicuro è il suo credo, ma in lui, signore dell’equilibrio e saggio, dalla saggezza antica, non è mai il soffio della passione popolare, il segno del nostro tormento, la espressione del nostro tempo. Ascoltandolo o leggendolo, si pensa più ad Anatole France che a Jean Jaurès.

99 L’Avanti !, éd. Milan, 10 avril 1948, « E Blum commosso lo baciò », Dario Paccino : Una signora vicino a noi, rilevò il taglio perfetto dell’abito grigio scuro, in armonia con la cravatta grigio perla. "Nessuno ce la fa con i parigini in fatto di moda"/ in un impeccabile doppio petto blu/ studenti […], dame infervorate, proprietari di macchine fuori serie, "tutti esponenti".

100 PP, BA2320. Réunion du Comité directeur de la SFIO, 23 avril 1948, à propos des élections italiennes.

101 Le Cri des Travailleurs, 31 juillet 1948, « Pietro Nenni, fossoyeur du socialisme italien », signé Brutus.

102 Le Populaire, 17 mai 1949.

103 Le Cri des Travailleurs, 31 juillet 1948, « Pietro Nenni, fossoyeur du socialisme italien », signé Brutus.

104 L’Avanti !, éd. Rome, 4 octobre 1949, « Moch e Scelba d’accordo sulla lotta contro l’opposizione » : Ministri di polizia.

105 ACS, MI, Cab. s. Partiti politici, 1944-1966, b.67. Réunion publique du 4 octobre 1949, discours de Sandro Pertini, quartier Garbatella, Rome : piano di azione comune per difendere con maggiore accanimento gli interessi della classe padronale.

106 L’Avanti !, éd. Rome, 14 juillet 1949.

107 Ni le Populaire, ni les biographies de Blum ne le mentionnent. Il s’agit certainement du voyage que Léon Blum entreprend en Italie en octobre 1948, pour se rendre à Milan pour assister à la translation des cendres de Filippo Turati et Claudio Treves (cf. infra).

108 FPN, F. Pietro Nenni, UA1127, Léon Blum.

109 Donno 2005, p. 164. Brogi 2014, p. 68-69 remarque également que le gouvernement américain établit alors un parallèle entre Blum et Saragat, espérant que le second puisse jouer en Italie un rôle comparable à celui de Blum en France.

110 Cité par Donno 2009, p. 106 : l’autonomia del partito/ universalità.

111 Critica sociale, 16 juillet 1947, « La Terza via : la via del socialismo », Ugo Guido Mondolfo : Ripetiamo con Léon Blum che la importanza di una rivoluzione non consiste nella sonorità delle parole con cui si proclama la volontà di compierla, ma nella vastità e nel beneficio delle trasformazioni che con essa si compiono.

112 Critica sociale, 16 juillet 1948, « Nota al XL Congresso della SFIO », Piero Gallardo : La difficile posizione in cui oggi è posta la SFIO, posizione che rispecchia fedelmente la difficoltà in cui si trova in Francia la democrazia, premuta da un lato dal degollismo e dall’altro dal comunismo/ ha il merito di essere nettamente antistalinista.

113 Le Populaire annonce la tenue du meeting le soir même à la Salle Pleyel dans son édition du 23 avril 1948.

114 PP, BA2320. Rapport du 24 avril 1948.

115 Tartakowsky 1999, p. 156.

116 Ibid. p. 157.

117 AS Milan, Préf. b.569. Rapport du 30 septembre 1948.

118 Ibid.

119 IISG, Socialist International Archive (1946-), b.676, Italy. Lettre du 24 septembre 1948.

120 Ibid. lettre du 28 septembre 1948 : Neither this office [liaison office] nor Comisco has been in any way officially associated with any arrangements or public meetings, nor have heard directly from the PSLI on this topic.

121 « Tornano in Italia le ceneri di Turati e Treves », Settimana Incom, 15 octobre 1948, 1min35.

122 PP,77W3622/361387, Fédé. française du PSI. Note à propos de la cérémonie du 8 octobre 1948. Sont présents, outre les représentants des fédérations françaises du PSLI et du PSI, Guy Mollet, Daniel Mayer, Édouard Depreux et Salomon Grumbach. Les relations entre les fédérations françaises du PSI et du PSLI sont bien moins teintées d’animosité qu’en Italie, comme on le verra plus bas.

123 C’est d’ailleurs la seule phrase citée par le commentaire du film : Non crediamo che la violenza, che l’intensificazione della lotta fino all’esasperazione possano veramente portare ad un progresso.

124 Son discours semble malheureusement perdu, ne figurant ni dans ses archives ni dans les Œuvres complètes.

125 AS Milan, Préf. b.569. Rapport du 10 octobre 1948.

126 L’Umanità, 22 novembre 1949.

127 ACHSP, F. Daniel Mayer, 1MA22.1, Italie. Lettre adressée à Léon Blum le 21 novembre 1949, avec copie à Daniel Mayer.

128 AN, F. Oreste Rosenfeld, 26AR/17. Le dossier contient des documents récupérés par Rosenfeld après la mort de Blum. Lettre de Léon Blum à Giuseppe Saragat, 2 décembre 1949.

129 PP, BA1978, Léon Blum. Document du 1er avril 1950 sur la participation de délégations étrangères aux obsèques de Léon Blum.

130 Sur ce point voir Lacouture 1977, p. 557.

131 L’Unità, 31 mars 1950, « È morto Léon Blum » : politica filo-nazista ed antisovietica/ Durante la seconda guerra mondiale Léon Blum fu arrestato e portato in Germania dai nazisti, ma fu trattato con molti riguardi, mentre a migliaia i francesi cadevano nelle lotte della Resistenza/ Léon Blum ha condotto la socialdemocrazia francese a ridursi ad un gruppo di politicanti venduti e corrotti senza più quasi alcuna influenza sulla classe operaia. La morte di Léon Blum si può dire simboleggia la crisi mortale anche nei paesi dell’Europa occidentale, della socialdemocrazia tradizionale abbandonata dalle masse lavoratrici e gettata via, come strumento inutile dalle borghesie che le preferiscono i partiti cattolici.

132 L’Avanti !, 31 mars 1950, « È morto Léon Blum », non signé : Il 4 giugno 1936, migliaia di francesi dopo la strepitosa vittoria del Fronte Popolare sfilarono per Parigi con il pugno chiuso proteso verso l’alto al grido di W Blum/ Il compagno Nenni, che nel lungo periodo di esilio aveva avuto consuetudini di amicizia e di lotta col leader socialdemocratico francese e con lui si era trovato poi in aperto contrasto, ha telegrafato alla vedova l’espressione delle sue condoglianze.

133 La Stampa, 31 mars 1950, « Un difensore della libertà », Giuseppe Saragat.

134  Colozza 2012 ; Colozza 2016.

135 À l’exception d’une mention, sommaire, dans Muzzi – Di Nolfo 1981, p. 206.

136 Cette évolution est nette à l’examen de ses archives (AD Pyrénées-Orientales, F. Jean Rous) qui montrent le déclin de l’intérêt pour l’Italie à partir de 1949.

137 Iniziativa socialista fait paraître deux publications du même nom : la première est un hebdomadaire et la seconde une revue bimensuelle. C’est de cette dernière qu’il s’agit ici.

138 Oreste Lizzadri y dénonce une équivalence entre « la social-démocratie de Blum et Mayer » et le courant de Guy Mollet accusé de vouloir abandonner le marxisme et taxé de révisionnisme.

139 Iniziativa socialista, n°1, 15 novembre 1946, « Iniziativa socialista e la sinistra francese ».

140 Iniziativa socialista, n°3, 15 décembre 1946, « Cose di Francia ».

141 De même, en mars 1947, quand Lina Merlin vient faire une conférence à Paris, au siège de la SFIO, c’est lui qui présente l’oratrice (Rapporté par l’Avanti ! di Francia, 27 mars 1947, « Socialismo in atto », Carlo a Prato).

142 Iniziativa socialista, 1er mars 1947, « Due giudizi sulla scissione », Jean Rous : la sintesi della disciplina e della libertà, delle forze dell’oriente rivoluzionario e dell’occidente democratico.

143 Esprit, avril 1947, « Que signifie la scission chez les socialistes italiens ? », Jean Rous.

144 L’Avanti !, éd. Milan, 9 mai 1947, « Campanello d’allarme dalle Renault », D. A. Lemmi.

145 L’Avanti ! di Francia, 22 janvier 1948, « La Terza forza », Jean Rous. L’auteur y développe les thèmes habituels des dirigeants critiques de la politique de la SFIO : celle-ci est accusée de s’être coupée des masses ouvrières et de mener en conséquence une politique sans soutien populaire, risquant de devenir, selon la formule souvent reprise, « un travaillisme sans travailleurs ».

146 Alberto Jacometti (1902-1985) : né dans une famille paysanne de la province de Novare, il s’inscrit en 1924 au Parti socialiste unitaire. Agressé à deux reprises par les fascistes il est contraint à l’exil à Paris où il est journaliste et membre du PSI. Pendant la guerre, il est arrêté par la Gestapo en Belgique et extradé en Italie où il est emprisonné. Libéré en 1943, il participe à la Résistance à Novare, où il prend la tête de la fédération socialiste à la Libération. Élu à l’Assemblée constituante en 1946, il est favorable à l’unité d’action en 1948 mais souhaite conserver des listes séparées. Il devient secrétaire du Parti en 1948, comme candidat de compromis entre les différents courants, mais son secrétariat est faible et régulièrement attaqué par la gauche qui l’emporte l’année suivante au congrès de Florence.

147 Voir infra.

148 AD Pyrénées-Orientales, F. Jean Rous, 96J39. Lettre du 31 janvier 1949. La lettre est reproduite en annexes.

149 Par exemple, à Canzo, le 13 novembre 1946, Pietro Nenni prononce un discours sur la colonisation. Il oppose un colonialisme fasciste à un colonialisme républicain qui peut, selon lui, être humain : « les Arabes n’ont rien à gagner [de l’expulsion de l’Italie des colonies], eux qui connaissent les deux visages de l’Italie, celui de Graziani qu’ils abhorrent et qui est définitivement disparu, et celui de nos travailleurs, supérieurs à tous par leur intelligence, leur initiative, leur courage et leur ouvrage » (Non hanno niente da guadagnare gli arabi, i quali conoscono i due volti dell’Italia, quello di Graziani che essi aborrono e che è definitivamente tramontato, e quello dei nostri lavoratori, superiore ad ogni altro per ingegno, iniziativa, coraggio ed operosità).

150 AD Pyrénées-Orientales, F. Jean Rous, 96J39. Lettre du 2 avril 1949. La lettre est reproduite en annexes. Le fonds Pieraccini de la Fondation Turati ne possède malheureusement aucun document relatif à cet échange. Giovanni Pieraccini (1918-2017) : Né à Viareggio il fait ses études à Pise où se développe une riche vie intellectuelle antifasciste. Il participe brièvement à la Résistance à Florence aux côtés de Foscolo Lombardi et entre au Parti socialiste. En 1948, il entre dans la direction centriste née du congrès de Gênes. Plus tard, il fait partie en 1963 des ministres socialistes du premier gouvernement d’Aldo Moro, avant de participer à plusieurs gouvernements des années 1960 et 1970.

151 Sur ce point : Zaslavsky 2004, p. 176 sqq. À Arezzo, S. Barnes évoque la campagne interne au Parti socialiste lors du congrès de 1949. Mauro Ferri, qui représente la motion de gauche et affronte le partisan du centrisme Aldo Ducci, dispose du soutien actif du PCI qui met à sa disposition une voiture ainsi que l’imprimerie du parti (Barnes 1967, p. 62).

152 Sur Élie Bloncourt et le PSU (1948-1951), voir : Nadaud 2009. Élie Bloncourt et Daniel Haas ont été exclus de la SFIO en janvier 1948. Ils créent alors le Mouvement socialiste unitaire et démocratique qui devient en septembre le Parti socialiste unitaire.

153 La Bataille socialiste, 30 janvier 1948, « Un exemple à méditer. Le Parti socialiste Italien unanime pour l’unité d’action », Pierre Stibbe.

154 Par exemple, La Bataille socialiste, 12 décembre 1948, « Nouvelles internationales à la Conférence d’Anvers », Vassili Soukhomline. L’auteur prend la défense du PSI et du socialisme de gauche face au COMISCO.

155 Le Mouvement socialiste unitaire et démocratique adresse ainsi le télégramme suivant au PSI au moment des élections du 18 avril 1948 : « Profondément indignés appui officiel apporté par ministres et dirigeants SFIO à parti scissionniste Saragat. Pleinement solidaire votre action faveur paix démocratique vous adressons vœux chaleureux succès front démocratique » (La Bataille socialiste, 16 avril 1948). De même, le journal continue de promouvoir le PSI, comme le 11 juin 1948, où un article de Claude Estier proclame « Le Parti socialiste italien unitaire est toujours bien vivant ».

156 FPN, F. Pietro Nenni, UA2038, 8 décembre 1949.

157 La Bataille socialiste, 30 décembre 1949.

158 Par exemple : Mondo Operaio, 4 décembre 1948.

159 Mondo Operaio, 27 janvier 1949, « Decomposizione della destra socialista francese », Gilles Martinet.

160 Sur ce point, voir le chapitre 1 ainsi que Donneur 1983 ; Portelli 1983 ; Devin 1992 ; Imlay 2017.

161 Devin 1992, p. 24-25.

162 IISG, Socialist International Archive (1946-), b.235, COMISCO. Compte rendu de la conférence de Zurich, juin 1947 : There is no socialism without humanism, without freedom of conscience, thought, and speech, and without personal rights.

163 IISG, SILO Bulletin, février 1947 : Regarding foreign policy Nenni does not want to discriminate between the Western democracy and the countries under the Soviet wing. Saragat’s heart is with the first group, and he stands unreservedly for international socialism. It should be noted here that Nenni is not in favour of a resurrection of the International.

164 IISG, Socialist International Archive (1946-), b.235, COMISCO. Compte rendu de la conférence de Zurich, juin 1947.

165 ACS, F. Pietro Nenni, b.88, f.2195. Notes prises à la conférence de Zurich, 6-8 juin 1947 : la conferenza non si fa nessuna illusione. Sa che la responsabilità è dei saragattiani.

166 Critica sociale, 16 juin 1947, « La conferenza di Zurigo », signé Observer : soddisfatto di aver saputo, con quelle sue maniere carezzevolmente sornione di cui sa valersi al momento opportuno, trarre vantaggio da certe personali amicizie contratte nel periodo del suo esilio per riparare alle disastrose conseguenze che al PSI aveva procurato Lelio Basso con i suoi atteggiamenti di dittatore intollerante.

167 Buffotot 1983, p. 92.

168 IISG, Socialist International Archive (1946-), b.236, COMISCO. Lettre de Guy Mollet du 13 novembre 1947. Cette lettre montre bien le lien entre PSLI et SFIO, dès cette époque, et en creux, l’influence prédominante que possède le Labour sur le COMISCO : les travaillistes anglais s’opposent à l’entrée du PSLI, y compris comme observateur, ce qui n’advient pas tant qu’ils ne changent pas d’avis. Sur ce point, on peut nuancer les conclusions de Mattera 2017, p. 26, qui estime qu’à cette époque la SFIO et le Labour sont d’accord pour ne pas faire adhérer le PSLI.

169 Donneur 1983, p. 52.

170 Cf. note n°90.

171 IISG, Socialist International Archive (1946-), b.237, COMISCO. Lettre du COMISCO, le 12 mai 1948 à Tullio Vecchietti pour lui demander, de nouveau, si le PSI compte envoyer une délégation.

172 Donneur 1983, p. 53.

173 IISG, Socialist International Archive (1946-), b.237, COMISCO. Compte rendu de la conférence de Vienne, juin 1948. Les abstentionnistes sont : Bund, Pays-Bas, Espagne, socialistes de Trieste.

174 Devin 1992, p. 34.

175 IISG, Socialist International Archive (1946-), b.676, Italy. Lettre en français d’Alberto Jacometti, au nom de la direction du PSI, au COMISCO, 13 juillet 1948. La même idée d’un COMISCO soumis aux intérêts britanniques est exposée dans un article de Tullio Vecchietti, publié dans Mondo Operaio, 12 décembre 1948, « Tramonta il federalismo al COMISCO ».

176 IISG, Socialist International Archive (1946-), b.676, Italy. Lettre de la direction du PSI, signée du secrétaire Alberto Jacometti, 18 janvier 1949. La lettre est reproduite en annexes.

177 È evidente che questa lettera dimostra la fondamentale incapacità di comprendere, ed è qui il vero dissenso col COMISCO, come la lotta politica in Italia non sia polarizzata fra comunismo e anticomunismo così come si vuole far credere ma fra conservatorismo clericale e opposizione operaia. Al di sopra degli inconvenienti e dei pericoli, il patto d’unità d’azione ha nel nostro paese questo valore: mantenere viva la solidarietà dei lavoratori, solidarietà senza la quale non è possibile un efficiente difesa della democrazia […]. Per il COMISCO c’è la contrapposizione violenta del bene e del male, della libertà e del totalitarismo.

178 Aggrappati ad una situazione europea di privilegio, i socialisti europei colla politica coloniale di cui sono promotori o corresponsabili rompono spesso i ponti colla profonda esigenza dell’internazionalismo socialista […]. La stessa politica del Labour Party, a cui il PSI riconosce il merito di un tenace e notevole sforzo interno per trasformare l’economia inglese in economia collettivista, condizionata come essa è da una politica coloniale oppressiva, naufraga nella politica estera e imperiale [:] l’appoggio alla Transgiordania, la pressione sull’America contro lo Stato di Israele, la politica di controllo sul Sudan, anche come controllo indiretto sull’Egitto, l’azione anticomunista ed antisindacale in Africa ed in Asia, le repressioni in Rhodesia, nella Costa d’Oro, nel Kenya, la politica in Malesia ed a Singapore […]. E il socialismo francese (SFIO) precipita nelle repressioni antioperaie di Moch; resta nel governo che è responsabile della strage di 80 mila indigeni nel Madagascar e che condanna a morte i deputati malgasci, conduce la politica di repressione in Viet Nam e non trova nel suo giornale un rigo per condannare l’aggressione olandese all’Indonesia.

179 Voir, plus haut, la demande de Fabbricotti à Jean Rous. Par ailleurs, Mondo Operaio, publie une lettre de soutien du député travailliste anglais Konni Zilliacus, tenant de l’aile gauche du parti (22 janvier 1949).

180  IISG, Socialist International Archive (1946-), b.676, Italy. Lettre du 3 mars 1949 : Untrue and irrelevant.

181 Ibid. Lettre de la direction du PSI, 9 mars 1949.

182 Varsori 1989, p. 166 ; Mattera 2017, p. 22-24.

183 OURS, F. Guy Mollet, AGM53. Compte rendu du comité directeur du 23 février 1949. La SFIO défend l’unité du PSLI, de l’USI et du courant de Romita, encore au PSI à cette date.

184 IISG, Socialist International Archive (1946-), b.676, Italy. Lettre du 14 mars 1949, signée Guy Mollet et Robert Pontillon, secrétaire aux affaires internationales.

185 IISG, Socialist International Archive (1946-), b.48, circulaires 1949. Circulaire n°14, 31 mars 1949.

186 IISG, Socialist International Archive (1946-), b.676, Italy. Lettre du 30 mai 1949, non signée.

187 C’est aussi un point qu’il met en avant lors de réunions publiques autour de son programme, comme à Naples, le 20 mars 1949 (ACS, MI, PS, s.1949, b.19).

188 AS Milan, Préf. Cab. s.II, b.679. Rapport du 5 juin 1949, réunion publique le même jour au Teatro Lirico : al COMISCO si va per discutere mentre al Cominform si va per ubbidire.

189 International Socialist Conference Newsletter, septembre-octobre 1949.

190 Devin 1992, p. 37.

191 Sur la question, je me permets de renvoyer à Cirefice 2020, plus complet.

192 Outre les sources policières, on peut s’appuyer sur les sources diplomatiques italiennes, le fonds Raffuzzi de la Contemporaine, la riche correspondance de Pietro Nenni et la lecture de l’Avanti ! di Francia, dont la publication cesse toutefois en avril 1948.

193 Il y a environ 1 million d’Italiens en France juste avant la guerre (Vial 2006, p. 272). Sur la présence italienne en France et sur les partis de l’antifascisme voir aussi Vial 1986 ; Milza 1986 ; Milza – Peschanski 1994 ; Bechelloni – Dreyfus – Milza 1995 ; Bechelloni 1997 ; Blanc-Chaléard 2003 ; Vial 2007 ; Vial 2018.

194 Une note de la préfecture de police établit que tous ses dirigeants sont entrés en France pour des raisons politiques dans les années 1920 à l’exception d’un seul, Roberto Di Mario, né en 1923, arrivé grâce au concours de la CGT en 1947 (PP, 77w3622/361387, Fédé. de France du PSI. Fiche de Roberto Di Mario).

195 Celle-ci, qui n’a pas de liens avec le journal homonyme lié au PDA, est fondée à la Libération en lien avec le CLN. Dans un document de 1947 ou 1948 présenté à la direction du PSLI, Lazzaro Raffuzzi dénonce l’association comme proche des communistes. Elle est dissoute en février 1948, en vertu de l’interdiction faite aux étrangers de mener des activités politiques, mais surtout à cause de sa proximité avec le Parti communiste (La Contemporaine, F. Lazzaro Raffuzzi, Memoriale presentato da Raffuzzi Lazzaro alla direzione del Partito socialista dei Lavoratori Italiani, 1947 ou 1948. Voir aussi Bechelloni 1997, p. 112 ; Guedj 2018, p. 91-92).

196 Par exemple, Lazzaro Raffuzzi adhère à la SFIO en 1937. C’est aussi le cas d’Andrea Caprini : né en 1900 à Umbertide, il rejoint l’Italie en 1923. Engagé volontaire en 1939 dans l’armée française, puis membre du réseau Combat, il est arrêté par l’OVRA en février 1943 et incarcéré en Italie. Membre de la SFIO et du PSI en France, il a été secrétaire du parti italien de la section de Nice de 1934 à 1939. Il demande et obtient sa naturalisation française en 1949 (AN, MI, Fiche d’André Caprini 19790718/178).

197 L’historiographie a cependant montré depuis longtemps le caractère peu opératoire de telles distinctions (Temime 1991).

198 L’Avanti ! di Francia, 16 mai 1946 : « Les italiens émigrés économiques ne s’engagent dans aucune cause, n’ont aucun idéal et croient, dans leur égoïsme forcené, que s’ils travaillent et mangent, tous les problèmes sont résolus » : Ma gli italiani emigrati economici non sentono nessuna causa, non hanno ideali e credono nel loro feroce egoismo che quando lavorano e possono mangiare, è risolto ogni problema.

199 Au congrès de janvier 1945 qui refonde la fédération, celle-ci compte 1056 membres répartis en 46 sections (FPN, F. Pietro Nenni, UA2027. Lettre de Francesco Buffoni, 1945). Fin 1946, le chiffre officiel donné par le PSI est de 1747 (ISRT, F. Foscolo Lombardi, b.3, f.15). Les sources policières estiment que le nombre de ses adhérents oscille entre 1500 et 1800 à la fin de l’année 1947 (PP, 77W3622/361387, Fédé. de France du PSI. Note du 24 octobre 1947).

200 PP, 77W2955/467639, Fiche des Renseignements généraux de Lelio Basso. Un document de 1963 indique : « M. Basso a demandé à MM. Bruno Bernieri et Raffaelo Coraluppi d’envisager la reconstitution de la Fédération de France du Parti socialiste italien, qui a pratiquement cessé toute activité en 1950 ».

201 L’annonce de sa création est donnée par L’Avanti ! di Francia le 18 décembre 1947.

202 En revanche, l’étude du Tarn n’a pas permis de mettre en évidence une activité socialiste italienne.

203 Tombaccini 1988, p. 2-6. La répartition géographique recoupe très largement la présence italienne en France. Le sud-ouest et la Lorraine témoignent aussi d’un afflux d’Italiens plus récent que dans le nord, le sud-est ou la région parisienne. Entre 1911 et 1926, le nombre d’Italiens présents dans les départements de la Moselle, la Meurthe-et-Moselle et la Meuse passe de 27 000 à 88 500. De même, dans le Gers, le Lot-et-Garonne et la Haute-Garonne : les Italiens ne sont que 300 en 1911 mais 20 750 en 1926.

204 En 1931, 60 % des Italiens présents en France travaillent dans le secteur du bâtiment, 1 % seulement dans le secteur agricole et moins encore dans le secteur tertiaire (Tombaccini 1988, p. 5).

205 Par exemple : FPN, F. Pietro Nenni, UA2027. Lettre de Francesco Buffoni, 1945 : « Nous aimerions avoir une connaissance plus ample et plus assurée de votre action. Seul le dépouillement attentif de certains journaux suisses et anglais, que nous ne réussissons pas toujours à nous procurer […] nous permet de suivre un peu ce que vous faites » (Noi ameremo avere una più ampia, più sicura conoscenza della vostra azione. Solo l’attento spoglio di alcuni giornali svizzeri e inglesi, che però non sempre ci riesce di rintracciare […] ci consentono di seguirla un po’) et FPN, F. Pietro Nenni, UA2038. Signature illisible, Paris, 18 novembre 1949 : « Ici, l’Avanti ! n’arrive quasiment plus et il est difficile de savoir ce qui se passe dans notre parti » (L’Avanti ! qui non arriva quasi più ed è difficile conoscere ciò che succede nel nostro movimento).

206 Par exemple, la scission de Palazzo Barberini, du 11 janvier 1947 est annoncée, tant par le Populaire que par l’Humanité, le 16.

207 L’Avanti ! di Francia, 4 janvier 1947.

208 Sur le Parti socialiste maximaliste voir : Dreyfus 1986 ; Tombaccini 1988. Oreste Mombello (1879-1958) : né à Biella, Oreste Mombello est inscrit au PSI depuis 1896. Secrétaire de la Camera del Lavoro de Biella en 1912, il en conserve la charge jusqu’au fascisme. Il est contraint à l’exil en France où il est l’un des dirigeants du Parti socialiste maximaliste qui refuse la réunification du PSULI (ex PSU) et du PSI en 1930 sous l’égide de Nenni. Il rejoint le PSIUP au moment de la création de ce dernier, le Parti socialiste maximaliste ayant cessé ses activités en 1940.

209 Carlo a Prato (1895-1961) : Élève de Salvemini, il se destine d’abord à l’histoire avant de devenir journaliste. Il adhère au socialisme en 1924 et s’installe en France l’année suivante où il mène une intense activité journalistique antifasciste. Après la guerre, il contribue à la renaissance de L’Avanti ! di Francia qu’il dirige.

210 PP, 77W4062/403139, Fédé. de France du PSLI. Note du 24 octobre 1947.

211 Ibid. Note du 22 avril 1947.

212 PP, 77W3622/361387, Fédé. de France du PSI. Note du 24 octobre 1947.

213 L’Avanti ! di Francia, 17 avril 1947.

214 L’Avanti ! di Francia, 12 juin 1947, éditorial, Antonio Chiodini : Sicuri di se stessi, certi di avere in mano la verità, tutta la verità.

215 Par exemple, dans les numéros des 2 et 30 octobre ou du 18 décembre 1947.

216 L’Avanti ! di Francia, 1er janvier 1948.

217 L’Avanti ! di Francia, 22 janvier 1948.

218 Giuseppe Andrich : né à Bellano en 1894, on dispose de peu d’informations à son sujet. Son dossier dans les archives du ministère de l’Intérieur est quasiment vide (AN, MI, Giuseppe Andrich, 19790587/101).

219 L’Avanti ! di Francia, 8 janvier 1948.

220 PP, 77W3622/361387, Fédé. de France du PSI. Note du 8 octobre 1948.

221 PP, 77W3622/361387, Fédé. de France du PSI. Note du 18 juillet 1949.

222 Ibid.

223 Ibid.

224 FPN, F. Pietro Nenni, UA2038 et 2040.

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