Chapitre 2
Révolution et République
p. 91-136
Texte intégral
1Le socialisme est porteur d’un paradoxe : parti de la République, plus que tout autre gardien de l’héritage de la Révolution française et défenseur de la démocratie, c’est aussi un parti qui se proclame et se pense comme authentiquement révolutionnaire. Après une période d’antifascisme et de Résistance qui conduisent à réévaluer la valeur de la démocratie, que signifie, pour un socialiste de la Libération, se réclamer de la Révolution, au moment même où se fonde la République italienne et se refonde la République française ? Ce débat traverse toute la période, les socialistes oscillant entre leurs héritages républicains et marxistes, mais aussi, souvent, les conciliant. Les deux partis sont ainsi parcourus par ces interrogations, symbolisées par l’opposition de Léon Blum et de Guy Mollet – le « citoyen et le camarade », pour reprendre les mots de Marc Sadoun1 – au congrès de l’été 1946.
2Si la situation est bien différente dans les deux pays – il s’agit en France de rénover un régime qui a plus de soixante-dix ans d’existence alors que l’incertitude demeure jusqu’au référendum de juin 1946 en Italie – dans les deux cas toutefois, la République n’est pas seulement vue comme un simple régime politique ; elle contient aussi un fort message social, dans la lignée des conceptions du xixe siècle2.
3Le PSI et de la SFIO sont perçus, dans les deux pays, comme les partis de la République3. C’est, pour les socialistes, un motif de fierté tout autant qu’un sujet d’inquiétude : engagé dans un âpre combat contre les partis communistes sur le terrain de l’hégémonie ouvrière, n’est-ce pas là une preuve que le Parti socialiste s’est institutionnalisé, perdant son élan révolutionnaire ? Cela s’explique par des conceptions profondément ancrées dans la culture politique socialiste, qui font de la déviation de type petit-bourgeois l’amorce d’un glissement vers les terres du Parti radical de la iiie République, et donc un écart inexcusable. La Révolution, c’est l’assurance d’être du bon côté de la barricade, ce qui n’est pas seulement la satisfaction momentanée d’avoir raison, mais la certitude de long cours de se trouver du bon côté de l’histoire. Il s’agit ainsi de réfléchir à l’articulation, dans les représentations collectives des militants socialistes, entre ces deux « pôles » des cultures socialistes4 et d’interroger la multiplicité des conceptions qui cohabitent au sein d’un parti, le terme de Révolution masquant, derrière une notion supposément unitaire, des divergences profondes.
I. Un monde qui vacille : la Libération comme période révolutionnaire
4Si l’espoir de transformer la Résistance en révolution s’est brisé sur la nécessité stratégique de constituer de larges alliances antifascistes, les socialistes des deux pays n’ont pas renoncé à l’idée de faire de la Libération une période révolutionnaire. Alors que l’Europe est détruite, que les difficultés d’approvisionnement, les prémisses de la reconstruction et les tensions que promettent les négociations prochaines des traités de paix occupent les gouvernements provisoires, certains aspirent à des changements radicaux et rapides de leurs conditions de vie. Je voudrais ainsi montrer que la période est ressentie, par une frange de la population, comme celle de nouveaux possibles, celle d’une table presque rase, où les institutions politiques, l’organisation économique et la répartition des richesses devraient faire l’objet de nouveaux compromis sinon de nouveaux rapports de force.
5Cela repose sur une lecture du conflit, largement partagée à gauche, qui en fait un passage de témoin entre la bourgeoisie et le prolétariat, dans l’un de ces sauts dont l’histoire, relue dans une perspective finaliste, a le secret. Cette aspiration profonde à un changement rapide semble en effet permise par la période, caractérisée par un discrédit profond – et, souhaite-t-on, durable – des droites et de la monarchie en Italie. Le socialisme semble « maître de l’heure », culturellement dominant, ce qui devrait permettre des réalisations nouvelles, dont le Programme du CNR a laissé entrevoir les grandes lignes. Mais gare toutefois à trop tarder, car la bourgeoisie ne consent à céder du terrain que lorsqu’elle est ébranlée, ce qui ne dure jamais ; l’instant révolutionnaire est fugitif, il importe de le saisir au vol.
I.1. La Résistance, un épisode révolutionnaire
6Dans les mois qui suivent la fin du conflit, les socialistes italiens et français déterminent deux causes principales au conflit qui s’achève. Ils convoquent d’abord l’image assez classique des marchands de canons favorables à un conflit dont ils seront les seuls vainqueurs ; mais la guerre est aussi un moyen, pour une bourgeoisie déclinante, d’enrayer momentanément le processus menant à son inévitable crépuscule5. Ces conceptions se retrouvent fréquemment dans les dessins de presse et notamment dans l’un des premiers journaux du corpus à en publier régulièrement après-guerre, Jeunesse, destiné aux jeunes socialistes, qui y développe les thèmes de la paix sacrifiée au profit capitaliste et de la guerre menée pour étouffer les revendications sociales.
Fig. 1 – Jean-Marc, « Bon appétit Messieurs », Jeunesse, 11 octobre 1945 (© droits réservés).

7Un premier dessin (fig. 1), paru en 1945, joue du contraste entre la fragilité de la paix et l’avidité menaçante des capitalistes, tout en s’inscrivant dans la tradition associant capitalisme et gloutonnerie. Un second, plus élaboré, aborde la thématique de la guerre comme facteur d’enrichissement et surtout de maîtrise des revendications sociales (fig. 2).
Fig. 2 – Roby, « Dépêchons-nous de leur en préparer une autre », Jeunesse, 18 octobre 1945 (© droits réservés).

8Plus qu’un phénomène autonome, le fascisme apparaît souvent comme le bras armé du capitalisme et le dernier rempart d’une bourgeoisie aux abois. Ainsi, à Boulogne-Billancourt, le 15 octobre 1944, l’orateur, Fourrier, énonce ce qui devient rapidement un topos du discours socialiste sur la guerre : « Ce sont les trusts qui ont trahi la France, parce qu'ils avaient peur de la classe ouvrière. Hitler n'est que le représentant de ces trusts internationaux »6. Cela s’inscrit aussi dans la vision de l’histoire téléologique souvent développée par la presse socialiste : le mouvement ouvrier, destiné à triompher provoque une panique irrationnelle dans la bourgeoisie qui n’a de cesse, depuis plus d’un siècle de s’en remettre à ceux qui sauront préserver ses intérêts tels Cavaignac en juin 1848, Thiers en 18717 jusqu’au récent fascisme. Les commémorations du centenaire de juin 1848 en donnent un exemple éclairant. Dans les Trois flèches, le nouveau journal des JS, l’auteur propose une comparaison, relisant la marche de l’histoire comme l’opposition toujours recommencée entre une bourgeoisie qui lutte pour le pouvoir et un prolétariat chaque fois plus proche de le lui arracher :
Cette attitude d'une bourgeoisie inconsciente qui essaye d'arrêter l'émancipation des hommes, de faire remonter le fleuve vers sa source, n'est-elle pas analogue aux désirs de la classe oppressive de notre génération se jetant dans les bras d'Hitler en 19408 ?
9Cela conduit à relire la défaite, l’occupation et la collaboration à travers un prisme de classe, ce que fait Vincent Auriol dans le mémorandum sur l’unité qu’il rédige en 1945, vantant les résistants – socialistes, communistes, radicaux, chrétiens – qui ont fait leur « devoir de défense démocratique contre l'usurpateur et la bourgeoisie complice »9. Le futur président de la République condamne ainsi une « bourgeoisie complice », toujours suspecte de n’être pas authentiquement démocrate, car craignant pour ses privilèges. Cette triple dimension, patriotique, démocratique et sociale place ainsi la Résistance dans la grande tradition de la Révolution française qui demeure une référence fondamentale pour les socialistes français.
10En Italie, l’analyse portée sur la guerre la plus originale est sans doute celle développée par Lelio Basso qui mène une réflexion en profondeur sur le fascisme qu’il considère comme le stade ultime du capitalisme10. La Résistance, en même temps qu’une lutte contre l’invasion nazie et les derniers soubresauts du fascisme, est donc aussi une phase révolutionnaire. Le manifeste du MUP, le 10 janvier 1943, insiste sur le fait que la lutte contre le fascisme doit conduire à la constitution d’une « république socialiste des travailleurs » dès la fin du conflit11. Parce que la situation est en elle-même révolutionnaire, les travailleurs doivent se préparer à la « conquête intégrale du pouvoir politique, seul moyen de briser définitivement l’appareil de l’État bourgeois »12. Cela conduit d’ailleurs le MUP – comme la Fédération communiste libertaire et les bordighistes du Parti communiste internationaliste – à défendre la constitution, dans l’Italie du nord occupée, de conseils d’usine [consigli di fabbrica], vieille revendication du mouvement ouvrier et rappel direct des tentatives du Biennio rosso. Cette expérience turinoise, encouragée alors par la revue Ordine nuovo et Antonio Gramsci, visait à instaurer une véritable démocratie ouvrière dans les usines à partir de ces conseils ouvriers, qui auraient constitué, la Révolution venue, les fondations de la nouvelle société13. Cette revendication est cependant balayée par les partis du CLN qui font observer que ces conseils seraient nécessairement amenés à organiser le fonctionnement de l’économie de guerre allemande14. Si ce projet n’aboutit pas, il montre bien la volonté de Lelio Basso et du MUP de profiter de la Résistance pour changer les structures mêmes de l’économie italienne. C’est d’ailleurs ce qui conduit le MUP à refuser l’alliance antifasciste telle qu’elle se met en place en Italie pendant la Résistance, privilégiant une approche classiste, de collaboration avec les seuls partis ouvriers15.
11Cette dimension classiste de la guerre de libération nationale italienne est désormais bien connue, depuis l’ouvrage fondateur de Claudio Pavone, Una guerra civile, paru en 1991. L’auteur montre que dans la Résistance italienne se jouent trois conflits mêlés : une guerre patriotique contre l’occupant nazi, une guerre civile mettant aux prises fascistes et antifascistes et, donc, une guerre de classe qui échappe parfois au contrôle des organisations du mouvement ouvrier, lesquelles font le choix à partir de 1944 d’une large alliance antifasciste. Cette guerre de classe, qui réactive des élans mazziniens, unissant intérêt de la patrie et intérêt du peuple, s’appuie aussi sur une forte mobilisation des usines du nord de l’Italie, au point qu’on a parfois pu opposer partigiani di città et partigiani di montagna, dans un premier moment de la lutte clandestine16. Claudio Pavone estime ainsi qu’au moins jusqu’aux grandes grèves milanaises de mars 1944, les partis de gauche hésitent entre la lutte armée dans les montagnes et la grève parfois insurrectionnelle dans les usines des grands centres urbains. À partir de cette date, la priorité est cependant donnée à la première et aux formations partigiane. L’historien propose enfin une étude des représentations de cette base ouvrière pour qui la Résistance est aussi un combat social :
On peut observer des motivations classistes dans le comportement de nombreux résistants, surtout d’extraction ouvrière et paysanne. Ces motivations cohabitent avec les motivations patriotiques et antifascistes, entendues au sens strictement politique. Pour les ouvriers plus ou moins politisés, l’ennemi idéal, le personnage incarnant l’ennemi le plus clairement, serait un patron, fasciste et ouvertement au service des Allemands, et, en tant que tel, plus vraiment italien17.
12Cette figure de l’ennemi, vendu à l’étranger, aussi capitaliste que fasciste, dialogue très bien avec les deux dessins de presse de Jeunesse évoqués plus haut, qui jouent sur le même registre de représentation, largement diffusé dans le mouvement socialiste européen. En France aussi, du reste, certains militants dénoncent l’union nationale, considérée comme un frein au progrès social. Cet aspect, très présent chez les Jeunesses socialistes, s’observe clairement dans la conférence donnée par un de leurs dirigeants, l’ancien résistant Marcel Rousseau, en août 1945 à la Sorbonne, qui condamne le tripartisme avant d’exalter la dimension révolutionnaire de l’épisode résistant :
Camarades, depuis un an bientôt, nous ne faisons que piétiner. […] La révolution, voyez-vous, elle ne se fera pas en se promenant gentiment d’anniversaires en reconstitutions historiques ou en proclamations tapageuses, mais vite il faut sortir enfin du marais, s'affirmer décidément et marcher hardiment [applaudissements] […].
Aujourd’hui, il ne faudrait pas considérer cette Résistance comme un moment exceptionnel de notre histoire et se contenter pour l'honorer de se tourner vers elle à un moment donné pour un anniversaire, une quelconque minute de silence. Pour nous, la Résistance est un moment de l'action révolutionnaire et nous devons la poursuivre jusqu'au bout18.
13La dimension révolutionnaire de la Résistance apparaît ainsi à une grande partie des socialistes de la Libération qui entendent dès lors mettre à profit la période pour faire advenir le passage de témoin entre la bourgeoisie, emportée avec le fascisme, et les forces du travail autour desquelles se reconstruira la société future, ce que résume bien une affiche du PSIUP de novembre 1944, placardée à Macerata, libérée depuis quelques semaines :
Travailleurs des ateliers et des champs, travailleurs manuels et intellectuels, vous êtes la nouvelle classe dirigeante et c’est de vous que dépend l’avenir du pays. Les vieilles classes bourgeoises sortent de cette guerre, qu’elles ont stupidement provoquée, épuisées, détruites, vidées de toute fonction historique. Le pays ne peut renaître que grâce à une ressource : le travail19.
I.2. Le « socialisme maître de l’heure » ou la culture socialiste hégémonique
14Parfois cités un peu hâtivement, les mots de Léon Blum au congrès d’août 1945, faisant du socialisme « le maître de l’heure », ne doivent pas être interprétés comme un triomphalisme hâtif du dirigeant socialiste, convaincu, avant les élections de l’automne, de l’emporter largement. Sa grande idée, mûrie en captivité, est celle d’une ouverture progressive de la vieille SFIO vers d’autres cultures politiques, issues de la Résistance ; non par opportunisme, mais parce qu’il est convaincu que les idées socialistes, lentement infusées dans la société depuis le Front populaire et grandies par les combats menés pendant le conflit ont dépassé le seul cadre du parti pour s’étendre à de larges pans de la population20.
15Le dernier article qu’il donne à la presse avant les élections d’octobre 1945 le montre bien : loin de croire la partie gagnée, il écrit ainsi : « Le Parti socialiste est tout de même le mieux qualifié, j'imagine, pour représenter le Socialisme et c'est vers le Socialisme que confluent aujourd'hui tous les grands courants de l'opinion universelle »21. Le socialisme maître de l’heure est à entendre comme victoire culturelle : les thèses socialistes les plus emblématiques – centralité de la démocratie, régulation de l’économie capitaliste, construction d’un État social – rencontrent un écho très large, comme en témoigne le Programme du CNR, dont les socialistes se targuent d’être les inspirateurs22.
16Le 20 mai 1945, à peine six jours après son retour en France, Léon Blum s’exprime à Paris à la Conférence des secrétaires des fédérations socialistes :
Qui est-ce qui ne se dit pas socialiste ? Qui est-ce qui ne se réclame pas du socialisme ? Le mot socialisme est entré dans le vocabulaire de tous les partis. Il y a eu des moments où on pouvait s’imaginer que tout le monde, en France, était devenu socialiste, sauf nous peut-être. Mais il n’en reste pas moins vrai que la conciliation des sentiments et des passions, en apparence contraires, qui animent aujourd’hui la France, l’Europe entière et le monde, c’est celle que le socialisme, depuis je ne sais combien d’années, s’efforce précisément de réaliser23.
17Ce discours est intéressant à plus d’un titre, le constat d’un socialisme qui déborde désormais le cadre étroit de la SFIO, ouvrant d’ores et déjà la voie à un élargissement des bases du parti en direction de certaines forces issues de la résistance, voire du catholicisme social24. La représentation du socialisme en conciliateur des intérêts contraire – qui ne manque pas de susciter de nombreux débats25 – prolonge ensuite la réflexion menée pendant la guerre dans À l’échelle humaine. Notons aussi, l’emploi du terme de « vocabulaire », moins anodin qu’il n’y paraît. C’est, d’abord, une façon de dénoncer le vernis socialisant que certains partis, dans un contexte de discrédit général de la droite et des forces de la Troisième République, se croient contraints d’appliquer à leur programme. Ce vocabulaire socialiste, largement partagé, est aussi le signe d’une victoire d’ordre culturel : les analyses socialistes, transcrites en des termes qui leur furent longtemps propres, sont désormais partagées au-delà des limites du parti, et pas seulement par les communistes, qui possèdent la même grille d’analyse marxiste. Cette observation de Léon Blum trouve un pendant plus ironique au sein du parti, les éditorialistes s’amusant souvent à relever, dans le discours de leurs adversaires, des éléments socialisants, les raillant pour ces emprunts guidés par l’opportunisme. Jean Piat écrit ainsi dans le Réveil Ardennais :
Je me suis amusé à contrôler le vocabulaire du MRP. Le dictionnaire socialiste de Compère Morel est passé tout entier dans les thèmes de propagande de Maurice Schumann : classe ouvrière, prolétariat, émancipation, révolution… tout y passe26.
18Au-delà du simple remploi à visée électoraliste, cette remarque montre bien l’influence de l’époque sur le vocabulaire politique, les termes socialisants étant particulièrement en vogue jusque dans les partis centristes. Il a par ailleurs été souvent souligné qu’il existait un décalage assez net entre la direction du MRP, chrétienne-sociale et parfois assez progressiste socialement, et sa base électorale, plus clairement marquée à droite, ce qui peut contribuer à expliquer cette tendance.
19Cela conduit donc les socialistes à considérer que la guerre et surtout la Libération ont conforté leurs analyses et c’est aussi ainsi qu’il faut entendre la phrase régulièrement répétée au sortir de la guerre : « Seule la doctrine n’a pas failli »27. C’est aussi ce qui rend, plus tard, particulièrement amères les défaites électorales – ou les demi-succès du début de la période – les dirigeants et les militants ne comprenant pas le recul comptable au moment où leurs thèses semblaient prévaloir. En 1945 toutefois, le socialisme semble dominant, conforté par la récente victoire travailliste en Grande-Bretagne, mais nombreux sont ceux qui estiment qu’il faut se hâter d’entreprendre des réformes d’envergure en profitant de cette situation favorable, car la bourgeoisie ne reste jamais bien longtemps sur la défensive.
I.3. L’urgence d’agir
20Si la majorité du groupe parlementaire, considérant les difficultés de l’heure liées au ravitaillement, à la question constitutionnelle et aux compromis inhérents au gouvernement d’union nationale, estime que les réformes ne peuvent advenir que progressivement, ce n’est pas toujours le cas d’une partie de la base militante, qui croit au caractère unique de l’occasion qui se présente et prône une action décidée. Ainsi, au Congrès national de la SFIO de 1946, il est question de la position du parti à propos des manifestations nantaises au cours desquelles ont été brisées les vitrines de trafiquants – ou supposés tels – du marché noir. Staub, délégué de Loire-Inférieure, propose une analyse qui me semble emblématique d’un certain état d’esprit qui traverse le parti :
Il s'agissait d'une manifestation de justice spontanée. L'émeute, on n'est pas toujours sûr de la diriger, mais ou bien nous allons commencer la révolution ou bien le capitalisme sortira renforcé de cette crise. Ou le PS donnera un Babeuf ou un Robespierre ou d'autres donneront un Bonaparte ou un Boulanger28.
21À partir d’une comparaison historique dont sont toujours friands les socialistes, il s’agit de réclamer une action rapide afin d’exploiter toutes les potentialités révolutionnaires de l’époque. La période qu’ils vivent est alors perçue comme en suspens : les militants ont conscience de vivre un moment historique particulier, où les possibles sont nombreux, mais qui ne durera pas29. Celui-ci appelle une décision : ou il se dénouera dans la dictature personnelle et militaire du général de Gaulle ou, au contraire, il conduira au triomphe révolutionnaire du socialisme30.
22Une remarque s’impose à propos de la conception du temps historique : si les militants répètent à l’envi leur certitude de l’avènement futur du socialisme et surtout de son inéluctabilité, ces propos montrent aussi que la représentation de cette victoire finale n’est pas linéaire et que l’amélioration ne sera pas forcément graduelle. On aurait donc tort de croire que les militants, convaincus par une téléologie marxiste mal assimilée, considèrent le progrès du prolétariat comme continu – ce que, du reste, le fascisme et la guerre ont permis de montrer. Les militants des partis marxistes ne sont pas des croyants presque passifs attendant la parousie prolétarienne comme on a parfois pu les décrire. Nécessité de long terme donc, mais contingence de l’instant : il s’agit de saisir l’occasion d’une bourgeoisie affaiblie et discréditée.
23Cette aspiration à un changement rapide s’explique logiquement par les espoirs de la Libération, les sacrifices consentis par les acteurs – dans la Résistance pour une minorité, dans la vie quotidienne pour beaucoup – mais aussi par la crainte de voir échapper une occasion sans doute unique de transformer en profondeur la société. La même idée se dégage, dès avril 1945, dans une réunion publique tenue à Sedan. Le rapport de police rapporte ainsi les paroles de l’orateur : « Les réformes extraordinaires qu'aurait permises la Libération n'ont pas été faites. "Lorsque les évolutions sont trop lentes, les révolutions sont nécessaires" a-t-il dit. Les auditeurs ont accueilli ces paroles avec une évidente satisfaction » 31. Là encore, l’expression dessine un rapport au temps particulier : les évolutions – entendre les réformes, dans une opposition avec la révolution qui n’a jamais totalement abandonné l’esprit des socialistes, quoi qu’en dise Léon Blum32 –, si elles sont trop lentes, appellent la rupture révolutionnaire. En plus de montrer l’enthousiasme de nombreux militants pour l’évocation révolutionnaire, cet extrait rend donc bien compte de l’état d’esprit d’une part au moins de la base militante. La Révolution demeure un arrière-plan permanent de la pensée d’une partie des militants et même si elle n’a pas de consistance réelle – comment entreprendre une révolution socialiste dans la France de 1946 ? – elle constitue une perspective rassurante, la possibilité gardée, s’il en était besoin, de renverser violemment le cours des choses. C’est une potentialité, un espoir, plus qu’un réel programme, mais cela témoigne de la situation de la Libération : suspendus entre la perspective concrète de construire la République, sans garantie sur son contenu social, et l’abstraction révolutionnaire, les socialistes semblent parfois hésiter. C’est l’objet de ce chapitre que de montrer cette tension permanente, dans un contexte perçu par les acteurs comme favorable, entre la République – nécessaire, car « sans la République, la victoire du socialisme est impossible » 33 – et la Révolution, souvent préférée, mais abstraite, sans que les deux pôles soient pour autant nécessairement antagonistes.
24En Italie, les socialistes, forts de l’alliance serrée avec les communistes, considèrent eux aussi que la période est propice, portée par le fameux Vent du Nord. Cet air de liberté, soufflant depuis les régions septentrionales, marquées par la lutte de libération, dans toute la péninsule doit permettre de lier Résistance et revendications sociales34. Malgré cela, il demeure une oscillation entre la perspective révolutionnaire – sans doute revendiquée avec plus de force encore en Italie – et la nécessité de construire une République qui permette de renvoyer définitivement le fascisme et même le vieil État libéral au passé, tension que la Svolta de Salerne met aussi en évidence. Un article de l’Avanti ! de mai 1945, alors même que la péninsule n’est pas encore totalement libérée, montre bien la relation complexe qu’entretiennent la Résistance, la République et la Révolution. L’article, titré « Le Vent du Nord souffle avec force », possède un sous-titre évocateur : « Ce n’est pas le moment de s’arrêter, ni pour soigner ses blessures ni pour se reposer. La révolution populaire et démocratique continue ». Il évoque un conflit :
latent dans toute l’Europe entre l’antifascisme conservateur, qui tend à revenir à la période préfasciste, et l’antifascisme révolutionnaire, créateur d’un ordre nouveau […]. Nous avons demandé, en plein accord avec les Comités de l’Alta Italia, un gouvernement nouveau, qui ait les caractéristiques d’un véritable Comité de salut public, qui conduise de manière inflexible la lutte contre les survivances politiques et sociales du fascisme et qui inscrive dans son programme la convocation de la Constituante, prélude à la République35.
25L’article est, sans conteste, d’inspiration largement révolutionnaire, tant dans le choix des mots que dans les références historiques. On voit toutefois que le fait même de renverser la Monarchie honnie, d’abattre le vieux régime de l’Italie libérale qu’il ne suffit pas d’avoir débarrassé du fascisme pour le rendre présentable, constitue un acte révolutionnaire. C’est donc la République qui apparaît ici comme l’objectif même de la poussée révolutionnaire de la Résistance. L’article s’achève par un rappel sur l’urgence d’agir, semblable à ce que l’on a observé en France : « Mais attention. Si nous nous arrêtions au milieu du chemin, la guerre civile surgirait alors de notre impuissance avec son cortège de venins et de cendres »36.
26Bien que dans des contextes divers – des jours qui précèdent la Libération jusqu’à près de deux ans après celle-ci – ces différents textes montrent bien la complexité du rapport des socialistes à la République : celle-ci est un but en soi, car elle offre un moyen aux masses muselées pendant la guerre ou le fascisme de se faire entendre. Toutefois, la période semble porteuse de possibilités de subversion radicale de l’ordre social qu’il serait dangereux de laisser échapper. C’est donc sincèrement que la plupart des militants et dirigeants sont républicains et révolutionnaires, les deux ne s’articulant pas dans la même temporalité – République aujourd’hui, Révolution demain.
II. Les partis de la République
27Dans les deux pays, le parti socialiste est indissolublement associé à l’idée de République, bien que les situations soient très différentes. En Italie, la question institutionnelle est loin d’être tranchée par le CLN et la perspective d’un retour à la monarchie constitutionnelle préfasciste, héritée du processus unitaire, n’est pas exclue, la DC adoptant une position ambiguë, reflet des positions antagonistes s’exprimant au sein de son électorat. Les partis pouvant apparaître comme les plus authentiquement républicains, le Parti républicain et le Parti d’Action37, ne sont pas des partis de masse et leurs dirigeants, à l’exception peut-être de Ferruccio Parri, ne jouissent pas d’une popularité égale à celle des grands dirigeants socialistes ou communistes. Le PSIUP apparaît donc comme le garant d’une tradition républicaine à laquelle une partie du moins de ses leaders historiques ont été associés38 qui s’incarne désormais dans la figure de Nenni, lui-même ancien militant du PRI. Si le PSI de la fin du xixe siècle n’a pas toujours mis en avant son programme républicain39, la compromission de la Monarchie avec le fascisme achève de convaincre le parti de la nécessité de construire une république, seul moyen de garantir la démocratie pour laquelle le PSI avait lutté dès ses débuts, réclamant notamment l’instauration d’un suffrage universel pour les deux sexes40.
28Les formations des deux pays se réclament donc de la république, ne cessant d’insister sur la compatibilité du socialisme avec celle-ci. C’est une idée exprimée à peu de temps d’intervalle par Ignazio Silone et Léon Blum, dans un parallélisme de formes frappant. L’écrivain italien, dans un éloge de Pietro Nenni, affirme que « C’est le seul homme politique italien qui est en même temps le représentant authentique et direct de la classe ouvrière et de la démocratie »41. Léon Blum, quelques mois plus tard, fait le même raisonnement : « Nous représentons, nous, le socialisme démocratique, et nous avons à nous montrer au pays comme étant par excellence le Parti qui incarne à la fois le Socialisme et la Démocratie » 42. Ce discours découle d’un long processus, mûri dans le mouvement socialiste international de l’entre-deux-guerres, qui fait du mouvement ouvrier le principal défenseur de la démocratie43. Il s’agit dès lors ici de voir comment un parti qui se proclame révolutionnaire peut, dans le même temps, et sans que cela soit contradictoire, se faire l’un des plus actifs hérauts de la cause républicaine.
II.1. La République : préalable au socialisme et rempart contre le fascisme
29À la Libération, la SFIO se présente comme l’indéfectible défenseur de la République, exploitant son combat contre les ligues des années 1930 et plus encore le procès de Riom, où Léon Blum, assisté par les socialistes André Le Troquer et Félix Gouin44, incarne la défense du régime républicain face aux accusations de Vichy. Ne se trompant pas sur les enjeux réels du procès, l’ancien président du Conseil affirme dès le début de celui-ci : « Si la République reste l’accusée, nous resterons à notre poste de combat comme ses témoins et ses défenseurs »45, bien décidé à faire en sorte que les débats, suivis par la presse internationale, deviennent une tribune. En outre, une partie du personnel politique de la SFIO, issue de l’administration et aux affaires pendant le Front populaire, contribue de manière décisive à l’enracinement républicain du parti, capable de jouer un rôle dans le Gouvernement provisoire, la reconstruction de l’appareil d’État à la Libération et, rapidement, les différentes assemblées électives46.
30Pendant les campagnes électorales de l’après-guerre, le parti exploite ce filon, questionnant, en creux, la fidélité au régime de certains de ses adversaires, le PCF en tête. Une affiche électorale en vue des élections de juin 1946 prend à témoin les électeurs : « Vous voulez la Démocratie. Le grand Parti qui n'a jamais failli, ni varié, qui n'a jamais douté de la République, qui ne s'est jamais allié à ses ennemis, c'est le Parti socialiste »47. Derrière l’attaque évidente contre le PCF, on perçoit la claire volonté de la SFIO de faire campagne sur la question républicaine, à laquelle elle s’identifie et par laquelle elle espère peut-être, de façon plus pragmatique, conquérir une partie de l’électorat traditionnel du Parti radical, dont le référendum et les élections législatives d’octobre 1945 ont montré la perte d’audience dans la société.
31L’héritage républicain du parti s’inscrit également dans une temporalité plus longue, où la Révolution française joue un grand rôle. À la différence des débats nombreux de la fin du xixe siècle qui montrent la réticence des socialistes à endosser la totalité de l’héritage révolutionnaire – comme l’a montré Madeleine Rebérioux, les socialistes « opère[nt] des tris dans l’héritage »48 – les socialistes de la Libération célèbrent la Révolution comme un bloc, établissant des parallèles avec l’époque contemporaine. La Révolution est ainsi souvent mobilisée pour défendre les projets constitutionnels du parti et la filiation entre le projet de Quatrième République et la Révolution est mise en avant de manière explicite, lors de la campagne pour le référendum d’octobre 1946, quand une affiche socialiste proclame : « Votez Oui, pour marquer votre fidélité aux principes de 89 et à l’esprit de la Révolution française »49. L’imaginaire de la Révolution française est également utilisé en lien avec la Résistance, comme mobilisation patriote et sociale. Une affiche est ainsi produite en 1945 reprenant la figure féminine du Départ des volontaires de 1792 de François Rude, situé sur l’une des façades de l’Arc de Triomphe (fig. 44). Cet ensemble sculptural, déjà évoqué par Léon Blum au procès de Riom pour illustrer sa vision de la Marseillaise, permet de lier guerre patriotique et conflit social, les soldats de 1792 défendant eux aussi, dans un même mouvement, acquis révolutionnaires et frontières nationales50.
32La référence à 1789 n’est pas aussi forte en Italie – et parfois complexe, car la Révolution française est un modèle, mais a aussi été une puissance dominatrice en Italie – mais elle n’est pas pour autant absente, ce qui s’explique par l’intérêt que le mouvement socialiste italien porte à la France et à son histoire, mais aussi par la formation personnelle de Pietro Nenni, d’abord membre du Parti républicain et très influencé par la Révolution française et Giuseppe Mazzini51. Giovanni Sabbatucci insiste d’ailleurs sur ce point :
Avec Nenni entre au PSI [au moment de son adhésion, en 1921] un courant de culture républicaine, rebelle, romantique et un peu barricadière, nourrie de mythes et de lectures du xixe siècle (Hugo, Michelet) et du souvenir de la Révolution française. Mais il serait sans doute plus correct de dire qu’elle y rentre, puisque la majeure partie des leaders historiques du socialisme venaient de cette matrice culturelle et de ces expériences politiques ayant quasiment tous été, dans leur jeunesse, mazziniens et garibaldiens52.
33Cette tradition républicaine d’origine mazzinienne reprend vie après la guerre, voyant dans la République un moyen de dépasser le discrédit de la maison de Savoie et de permettre au popolo – le terme mazzinien est plus volontiers remplacé par le plus socialiste prolétariat – de réaliser son grand dessein. La Résistance est ainsi souvent qualifiée de « nouveau Risorgimento »53, capable donc, d’achever un processus abandonné soixante-quinze ans plus tôt. De même, l’anniversaire de la mort de Giuseppe Mazzini, le 10 mars 1945, donne l’occasion d’une grande manifestation romaine, où les forces de gauche, autour du PDA qui organise l’événement, se rassemblent pour exiger la constitution d’une république54.
34La République apparaît donc, pour les deux formations, à la fois comme l’aboutissement d’un processus historique de long cours, débuté par la Révolution française, et comme le couronnement de l’antifascisme et de la Résistance, auxquels les deux partis ont sacrifié leurs meilleurs militants. Les mots de Léon Blum au premier congrès après la Libération expriment ce double lien entre République et Résistance d’abord, et entre République et Socialisme à l’avenir :
Nous savons tous qu’il y a une connexion indissoluble entre socialisme et démocratie que, sans le socialisme, la démocratie est imparfaite, mais que sans la démocratie, le socialisme est impuissant. La démonstration de cette vérité élémentaire a été apportée en lettres de sang, et personne au monde ne peut plus l’oublier55.
35Parce qu’elle est porteuse d’immenses potentialités, la République est donc un élément à part entière du projet socialiste ce que résument les socialistes italiens qui, lors des élections législatives qui accompagnent le référendum du 2 juin 1946, insistent sur les trois points centraux de leur programme : la constitution de la République, la réforme agraire dans le sud de la péninsule et la socialisation des grandes industries du nord56.
36Si la lassitude a parfois pu gagner les militants français – le retour à un régime républicain n’a jamais été mis en doute et les soubresauts du processus constitutionnel sont parfois dénoncés comme accaparant un temps précieux – comme en témoignent les taux de participation décroissants aux référendums constitutionnels57, l’avènement de la République est au contraire une grande victoire pour l’ensemble des militants italiens. Le projet républicain suscite donc un véritable enthousiasme militant et apparaît, une fois réalisé, comme une conquête constituant l’aboutissement du processus antifasciste. L’hostilité à l’égard de la monarchie est en effet très claire dans les sources, les incidents visant symboliquement la Maison de Savoie ou la figure du Roi étant monnaie courante, comme à Lavello, dans la province de Potenza, en Basilicate, le 8 mai 1945, où la fin d’un meeting commun au PSIUP et au PCI donne lieu à des actions symboliques contre le Roi :
Un groupe enlevait l’écusson de la Maison de Savoie exposé sur le bureau des PTT pendant qu’un autre faisait irruption dans le bureau du consorzio agrario [l’un des piliers de la politique agraire fasciste] pour y briser le portrait du roi58.
37Par ailleurs, pendant la campagne électorale se multiplient les inscriptions murales offensantes ou les insultes contre la famille royale, ce que les forces de police relèvent scrupuleusement59.
38Une fois la victoire du référendum 2 juin 1946 acquise, après une campagne incertaine, parfois violente, l’enthousiasme est grand. Les résultats ne sont connus que le 5, journée que Pietro Nenni relate dans son journal :
Une grande journée qui efface de nombreuses amertumes et qui peut suffire à la vie d’un militant. La bataille pour la République est gagnée. On a commencé à me téléphoner à partir de trois heures du matin. Au ministère et au parti, ça n’a été qu’une succession de félicitations et de fêtes60.
39Ses archives gardent les traces de cet enthousiasme : innombrables sont les télégrammes de remerciements et de félicitations reçus au lendemain du 2 juin ainsi que les messages de félicitations d’amis certes, mais surtout d’inconnus, de militants anonymes, célébrant ce qui apparaît comme une conquête de premier plan pour le mouvement socialiste. Ainsi de ce militant de Catane, montrant son enthousiasme pour une réalisation vécue à la fois comme l’aboutissement d’un long processus historique et comme une aube nouvelle :
Ce qui fut idée avec Cicéron, rêve avec Mazzini, passion avec Cattaneo, sang avec Garibaldi – comme l’a écrit l’Avanti ! – aujourd’hui est une réalité ! Réalité vive, réalité palpitante, réalité éloquente ! Et à qui, sinon à toi et aux efforts de nous tous, revient ce mérite61 ?
II.2. Construire une République sociale
40Malgré cet enthousiasme largement partagé pour la République, le mot demeure polysémique et les représentations et espoirs qu’y projettent les militants sont multiples. En Italie, tout un courant, né pendant la guerre, considère que seule une République authentiquement sociale et donc porteuse, dans sa Constitution même, de promesses de changements sociaux radicaux, est acceptable. Les démocraties européennes de l’entre-deux-guerres, bourgeoises, ne peuvent ainsi constituer un exemple ; c’est ce qu’exprime en 1943 Lelio Basso, pour qui la République ne doit pas se contenter de changer les institutions, mais doit aussi transformer tous les cadres de la vie collective :
Une simple réforme électorale, du type suffrage universel, ne suffirait pas. Tant que l’école où nous éduquons nos enfants est bourgeoise, tant qu’est bourgeoise la caserne où ils doivent servir, bourgeoise la grande majorité de la presse que nous lisons, bourgeois l’environnement dans lequel nous devons vivre, bourgeoises la mentalité et la culture de tous ceux qui occupent des postes de direction, bourgeois jusque l’air que nous respirons, tant que cela existe, l’État sera bourgeois comme sera bourgeoise la domination de classe et l’on ne peut donc pas parler de socialisme62.
41La thématique perdure à la Libération, montrant que la forme même du nouveau régime est encore en débat à l’intérieur du parti. Ainsi, au congrès provincial florentin de juin 1945, un orateur s’écrie :
Qu’est-ce que la démocratie ? Comment l’entend-on ? Entend-on par démocratie celle de la Révolution française ? La démocratie de la bourgeoisie la plus grasse, qui détient pour elle-même tous les privilèges, qui défend ses intérêts et qui oppresse les pauvres, les déshérités, les justes ? Ce n’est pas cela la démocratie. La démocratie socialiste est une démocratie claire et nette qui tend à l’abolition des classes63.
42La critique franche de la Révolution française tranche avec le discours de Pietro Nenni, qui s’en réclame régulièrement et s’inquiète de donner à la Constituante, « le souffle de la Convention »64. Cela montre bien les différentes conceptions qui coexistent au sein du parti derrière l’idée de République : c’est pour les uns une fidélité historique aux grandes révolutions du xixe siècle en même temps que la réalisation, pour la première fois dans l’histoire de l’Italie unie, d’un régime authentiquement démocratique permettant l’expression du peuple. Pour d’autres, la question institutionnelle est secondaire, l’urgence demeurant sociale, et la République n’a d’intérêt que si elle est la première des étapes d’une socialisation de grande ampleur.
43Ces discours très hostiles à la démocratie parlementaire, nombreux pendant la guerre et à la Libération, voient toutefois leur fréquence décroître progressivement, jusqu’à quasiment disparaître en 1946. À ce moment-là, la campagne pour le référendum du 2 juin impose sans doute une plus grande prudence : il s’agit de ne pas effrayer les indécis en liant république et subversion sociale. Les conditions politiques ont également évolué et les changements que semblait encourager le Vent du Nord se heurtent aux équilibres parlementaires de la Libération, ce qui conduit les socialistes à se montrer plus pragmatiques dans la définition de leurs objectifs de court terme pour l’élaboration de la Constitution.
44En France comme en Italie, les socialistes ont un double objectif : faire obstacle, d’une part, à toute tentative personnelle – contre toute résurgence fasciste et pour contenir, en France, la figure encombrante du général de Gaulle – et, d’autre part, affirmer la centralité du Parlement, comme émanation de la Nation. Si les socialistes français font initialement de la suppression du Sénat une requête centrale, ce n’est pas le cas des Italiens pour qui le bicamérisme n’est pas un obstacle fondamental65. La gestation particulièrement longue de la Constitution italienne – quand celle-ci entre en vigueur, le 1er janvier 1948, la rédaction n’est pas totalement achevée – conduit également à l’évolution des conceptions constitutionnelles des différents partis, au point que certains points font l’objet de revirements spectaculaires de la plupart des formations. C’est le cas des régions ou de la cour constitutionnelle : initialement, socialistes et communistes sont plutôt hostiles aux deux institutions – défendues en revanche par le DC – craignant une limitation du pouvoir du gouvernement et de la souveraineté populaire s’exprimant au Parlement. Or, à mesure que se renforce le pouvoir démocrate-chrétien, les forces de gauche voient l’intérêt des deux institutions pour limiter la toute-puissance de De Gasperi. Les régions permettraient, dans les espaces où la gauche est forte – nord et centre-nord – d’avoir des bastions, et la Cour constitutionnelle serait un allié de poids pour défendre un texte constitutionnel qui devient de plus en plus symbolique pour la gauche, qui le considère comme le seul héritage de la Résistance. En retour, les démocrates-chrétiens, initialement favorables aux régions, ne se hâtent pas de les mettre en place, au point qu’elles ne sont officiellement instituées qu’en 1970, alors même qu’elles étaient explicitement prévues dans la Constitution de 194866 !
45Par ailleurs, une partie de l’historiographie a parfois eu tendance à réduire les débats parlementaires autour de la rédaction de la Constitution à un simple face-à-face entre communistes et démocrates-chrétiens ce qui est réducteur, car la totalité des forces parlementaires ont contribué au débat et des personnalités comme Meuccio Ruini (DL) ou Piero Calamandrei (PDA) jouent un rôle capital dans l’élaboration du texte67. Enfin, l’irruption de la guerre froide dans la vie politique italienne et la rupture brutale de l’unité antifasciste en 1947 ne doivent pas faire oublier que la collaboration entre les partis du CLN a en partie fonctionné, du moins pendant les premiers mois de la Constituante68.
46Le débat se noue parfois sur un plan symbolique, notamment autour de la question de l’Article premier, définissant la nouvelle République italienne. Les forces de gauche défendent une formulation sans équivoque qui témoigne de la centralité nouvelle des travailleurs. Le terme de « République démocratique des travailleurs »69 est toutefois refusé par les autres forces parlementaires et l’accord est finalement trouvé autour du plus neutre : « L’Italie est une République démocratique fondée sur le travail »70. Si la reconnaissance de la centralité du travail dans le premier article de la Constitution est une victoire pour les socialistes, la formulation ne leur donne pas totale satisfaction. Ainsi Pietro Nenni, analysant la Constitution finalement votée, se félicite qu’elle dépasse les constitutions du xixe siècle, considérées comme « atomistes et individualistes », mais la juge inférieure aux constitutions yougoslave et surtout soviétique dans laquelle « l’idée que le travail prend la direction de la société est devenue un fait positif et concret »71.
47Un second point de crispation touche à la laïcité : craignant de réactiver une guerre religieuse, Pietro Nenni renonce à demander l’abrogation des Accords de Latran de 1929, mais refuse qu’ils soient constitutionnalisés. Le PSI est finalement pris de court puisqu’un accord de circonstance entre le PCI et la DC permet l’adoption de l’Article 7 de la Constitution72, le PCI escomptant en retour obtenir des concessions démocrates-chrétiennes sur d’autres sujets73. Sur le moment, les socialistes accusent essentiellement les démocrates-chrétiens, soupçonnés de vouloir instaurer une dictature calotine ; mais les sociaux-démocrates, hostiles au Parti communiste, manquent rarement l’occasion de lui rappeler cet épisode74.
48En France, le débat constitutionnel dépend en partie du regard porté sur la Troisième République. Seuls les radicaux plaident pour un aménagement marginal des lois constitutionnelles de 187575, hypothèse rapidement balayée par le double référendum d’octobre 1945. La position de la SFIO est présentée par Léon Blum dans une série d’éditoriaux parus dans Le Populaire à l’automne 194576. Il y affirme son hostilité au pouvoir présidentiel – prenant ses distances avec ce qu’il avait écrit dans À l’échelle humaine, qui comportait une critique parfois acerbe du régime parlementaire – mais souhaite en revanche doter le président du Conseil d’un droit de dissolution, lui permettant de surmonter l’instabilité chronique des gouvernements de la Troisième République.
49La partition des socialistes est complexe : ils doivent d’une part mener un débat à distance avec le Général de Gaulle, ce dont se charge généralement Léon Blum77 et veiller à ne pas s’aliéner une partie de l’électorat modéré qui voit d’un mauvais œil la convergence des conceptions constitutionnelles de la SFIO et du PCF, ce dont témoigne l’échec du premier référendum constitutionnel, le 5 mai 1946. Sans entrer dans le détail d’un sujet désormais bien connu78, la principale revendication de socialistes gardant en mémoire l’échec du Front populaire est la réduction des pouvoirs du Sénat, ou sa suppression pure et simple. Vincent Auriol, dans Hier et demain79, propose de conserver l’institution, mais d’en changer le mode d’élection et surtout de limiter ses pouvoirs jusqu’à rendre son vote presque consultatif. Léon Blum, hostile au retour de ce qu’il nomme le « sénat-veto » de la Troisième République souhaite sa suppression80. Après l’échec de mai 1946, les socialistes participent à l’élaboration du deuxième projet de constitution, adopté à l’automne 1946, où la seconde chambre est certes réintroduite, mais avec une influence diminuée. En mettant fin au bicamérisme strict, qui imposait que la loi soit votée dans les mêmes termes au Sénat et à la Chambre, la Constitution de la Quatrième République ôte au nouveau Conseil de la République un pouvoir de blocage dont le Sénat n’avait pas hésité à faire usage81.
50Les conceptions constitutionnelles des socialistes français et italiens reposent sur des principes voisins, même si les Français ont une pratique plus grande du jeu républicain ce qui les conduit à certaines exigences précises découlant d’expériences passées malheureuses. Les deux partis portent une conception légicentrée de la République, où la centralité du Parlement est fondamentale, comme émanation de la Nation. La SFIO amplifie encore cet aspect en défendant l’idée d’une Assemblée unique inspirée de la Convention. Héritage de Rousseau et de la Révolution, la centralité de la loi conduit les socialistes des deux pays à refuser l’instauration d’un contrôle de constitutionnalité, vu comme un moyen d’enserrer la souveraineté populaire dans un carcan constitutionnel étroit82. Dans les deux pays, le contrôle de constitutionnalité fut toutefois mis en place, mais non sans débats ni limitations83.
51Les socialistes des deux pays s’accordent donc à considérer leur Constitution comme le fruit d’un compromis, ce qui est acceptable pour un texte de ce genre84. Si les Italiens sont sans doute un peu plus critiques du texte final – à cause de l’article 7 et du caractère moins social qu’escompté du texte –, cette défiance ne dure pas, car dans le contexte des mois suivants, entre tensions internationales et opposition frontale aux démocrates-chrétiens, les forces de gauche se font progressivement les promotrices du texte constitutionnel, vu comme l’héritage de la Résistance qu’il s’agit de défendre contre la volonté supposée de la DC d’en limiter la portée85.
52Cependant, si la République apparaît indéniablement aux socialistes comme une conquête, elle n’est considérée que comme une étape intermédiaire, appelée à être complétée par des réformes futures qui seules lui donneraient du sens – il faut aussi entendre le refus du contrôle constitutionnel en ce sens. Ce n’est qu’une étape dans le cheminement du prolétariat vers la construction du socialisme et beaucoup ne se sentent pas liés par la forme démocratique du régime à un éternel respect de la légalité. C’est l’idée défendue par Édouard Depreux dans les colonnes de Jeunesse, le journal des JS, au moment de la campagne du premier référendum constitutionnel de 1946. « Une constitution est bonne dans la mesure où elle ne limite aucune possibilité révolutionnaire »86, écrit-il, dans une formule ambigüe : le terme de révolution est sans doute à entendre ici comme équivalent de transformation du régime de propriété, ce à quoi la Constitution ne s’opposerait pas. Mais le mot est évidemment bien plus évocateur et l’imaginaire de la barricade, de la subversion violente de l’ordre social, est aussi un moyen, pour le maire de Sceaux, de gagner à la cause de la Constitution les éléments les plus décidés du parti.
53Le même jeu sur les termes, entre acceptation de la légalité républicaine et maintien d’une rhétorique révolutionnaire, est proposé en Italie par Ignazio Silone, pourtant proche de l’aile droite du parti, ce qui montre bien que la thématique révolutionnaire n’est pas l’apanage des fusionnistes :
Je suis pour la méthode démocratique et pacifique, mais cela n’exclut pas la nécessité de changements radicaux. Le réformisme est le propre des pays dans lesquels la démocratie est déjà installée, dans lesquels il ne faut donc modifier que quelques détails87.
54La formulation est, ici aussi, équivoque, le constat de l’impossibilité de construire un réformisme italien sonnant presque comme une tentative de légitimation d’une éventuelle éruption violente qui viserait à modifier plus rapidement des éléments structurants de la société italienne. Ces deux extraits montrent ainsi que malgré l’engagement des socialistes dans la promotion de la République et la rédaction de la Constitution, l’horizon révolutionnaire reste le plus à même de mobiliser les enthousiasmes.
III. Centralité de la Révolution
55L’historiographie du socialisme, en France comme en Italie, a souvent insisté sur le maintien au sein des partis socialistes, d’une culture révolutionnaire, barricadière et romantique, dont on fait parfois la cause de la difficulté de ces derniers à s’intégrer pleinement à la vie politique de leur pays, l’indiscipline et les aspirations marxisantes de la base contrariant l’action des dirigeants. Cette vision, quoique parfois teintée de téléologie, opposant l’enfance brouillonne du mouvement socialiste à la sagesse de la maturité, contribue à éclairer les déceptions liées à la pratique du pouvoir des socialistes ainsi que les écarts idéologiques entre base militante et groupe parlementaire, évidents pendant tout le xxe siècle.
56Elle demeure en revanche trop réductrice quant à ce que représente la Révolution pour les cultures socialistes, en la limitant à une nostalgie romantique pour les barricades, l’odeur de la poudre et les drapeaux rouges, à une fidélité passéiste et figée aux journées de juin 1848 et à la Commune. C’est faire trop peu de cas de la centralité de l’idée révolutionnaire dans les deux partis à la Libération, qui constitue la traduction politique et idéologique d’un espoir de justice, d’une volonté presque eschatologique de rédemption de la classe ouvrière.
57Tous les socialistes de la Libération, même les plus parlementaristes, se réclament de la révolution, même si cela ne signifie pas que tous sont des émeutiers convaincus, car le terme renferme une hétérogénéité de conceptions qu’il s’agit justement de mettre au jour. Le terme de Révolution est certes un passage obligé de toute rhétorique socialiste – les contorsions de certains montrent bien qu’ils ne sont pas à l’aise avec la notion – mais cela prouve la centralité du terme, structurant pour l’ensemble de la culture socialiste.
III.1. « Un sublime tribunal » : la révolution dans la culture socialiste
58La lecture des sources policières permet de mesurer l’ampleur de l’enracinement de la fascination révolutionnaire chez les militants socialistes des deux partis. L’enthousiasme de l’auditoire devant un orateur qui évoque la possibilité révolutionnaire, comme lors du meeting sedanais évoqué plus haut, est loin d’être un fait rare88. Particulièrement visible dans les archives du fait de la sensibilité des Renseignements généraux ou de la police à la question de la subversion politique, ces éléments permettent de dessiner le portrait d’une base impatiente qui ne manque pas les occasions de rappeler la vocation révolutionnaire du socialisme, en réaffirmant par exemple une solidarité historique envers les révolutionnaires du passé qui s’exprime lors des commémorations toujours très courues de la Semaine sanglante ou de juin 1848.
59Cette fascination repose sur une double dynamique : c’est d’abord la fierté d’appartenir à la classe ouvrière, appelée à jouer le premier rôle et à déterminer l’avenir de l’Humanité. D’autre part, la Révolution est liée à la justice, devenant l’événement futur qui viendra solder les comptes et rendre aux travailleurs le fruit de leur labeur. En effet, la perspective révolutionnaire apparaît comme une forme de jugement dernier dont la dimension religieuse n’est pas absente89. C’est une idée exprimée dès l’entre-deux-guerres – dans une perspective polémique – par Henri de Man qui est l’un des premiers à s’être intéressé aux croyances et représentations des militants socialistes :
L’idée de révolution a de prime abord, pour ceux qui en ont fait une pierre angulaire de leur mentalité politique, la signification d'un désir de compenser un sentiment d'oppression. Les masses ne songeraient pas à la révolution comme à une revanche, si elle n'était pas apparue depuis toujours à ses prophètes comme un « sublime tribunal »90.
60La Révolution apparaît donc comme le moment où les crimes de la bourgeoisie et des décennies de domination seront expiés. Le lien entre révolution et exercice de la justice est également visible dans la conclusion d’un article de La Compagna, journal destiné aux femmes socialistes. Dans un café, on a proposé à l’auteure de petites brioches hors de prix qu’elle est contrainte de refuser :
Je ne sais pas si elles étaient sucrées, mais le prix était salé ! J’ai trempé mon pain rationné dans l’amer ersatz de café, triste et écœurée. Triste parce que j’aurais aimé manger des petites brioches comme tant de clients faisaient autour de moi ; écœurée parce qu’il me semblait injuste qu’alors que le peuple souffre, quand les perspectives alimentaires sont tout sauf joyeuses, on puisse accepter que du pain soit enlevé à qui en a besoin pour emplir le ventre de quelques privilégiés qui jettent probablement le pain du rationnement. À partir de souvenirs français se forma dans mon esprit l’image de la guillotine91.
61La Révolution incarne donc l’espoir de long terme, le point de bascule introduisant une discontinuité profonde dans le cours des choses, en même temps que l’idéal de justice qui guide la classe ouvrière. Dès lors, elle se doit d’être au cœur du discours socialiste et contribue à son attractivité, d’où la concurrence toujours féroce avec les communistes pour se prévaloir du titre de parti révolutionnaire.
62Cela passe d’abord par l’exemple, comme le relève la fédération régionale lombarde du PSIUP : « il n’y a pas de positions acquises et l’on ne peut vivre de rentes en politique ». Comme « les masses suivent les plus actifs »92, la Résistance est un excellent moyen de prouver le caractère authentiquement révolutionnaire du Parti socialiste. Ensuite, les orateurs socialistes martèlent l’idée selon laquelle leur parti n’est pas moins à gauche – et donc moins révolutionnaire – que les communistes. Ce discours est caractéristique des campagnes électorales et des congrès. Ainsi à Albi, « terminant son exposé, [Fernand Verdeille] place son parti à l’extrême gauche des listes en présence, mettant au défi les communistes de présenter un programme plus hardi que le sien »93. Les rivalités ne sont pas moins grandes en Italie, malgré l’alliance qui unit les deux formations, et le parti adresse à ses fédérations, dès août 1944, un document qui leur enjoint de :
Lutter contre l’opinion désormais largement répandue, souvent diffusée à dessein, que le PS est à la droite du PC et qu’il a pour fonction d’attirer les cadres petits-bourgeois et intellectuels, laissant au PC le soin de représenter les intérêts du prolétariat révolutionnaire. Le PS n’est ni à droite ni à gauche du PC, il a une ligne bien claire de parti classiste qui voit dans les masses ouvrières et paysannes le cœur de sa force et sa raison d’être94.
63Les opposants internes se nourrissent d’ailleurs de cette rhétorique, expliquant les déconvenues électorales par une déviation de la trajectoire révolutionnaire et un amollissement coupable de la doctrine. Pour reprendre les mots d’un rapport de police de 1946 à propos de la réintégration de Marceau Pivert, « beaucoup de militants estiment qu'il est le meilleur interprète de leurs sentiments révolutionnaires et que, s'il avait été écouté par le Parti avant 1939, celui-ci aurait conservé tout son prestige aux yeux de la classe ouvrière »95. De même, Paul Rivet, à la tribune du congrès national de 1946, accuse les tenants du tripartisme d’avoir trahi la doctrine socialiste et refuse tout lien avec les Mencheviks :
Notre doctrine est la plus hardie et nous place à l'extrême gauche, à l'avant-garde de tous les partis, sans exception. C'est pourquoi nous ne pouvons servir d'intermédiaire entre deux grands partis. À ce jeu, nous avons perdu une partie de notre dynamisme propre et nous avons pu apparaître comme un parti à la Kerenski ou à la Mac Donald dans lequel le ministérialisme jouait un rôle capital96.
64Cette centralité de la thématique révolutionnaire explique que même les tenants de l’aile droite des deux partis, généralement taxés de réformistes par leurs adversaires, considèrent l’allusion à la Révolution comme nécessaire, comme une sorte de passage obligé. Ainsi, Giuseppe Saragat, lié à la Critica sociale qui perpétue l’héritage de Filippo Turati, publie à la fin de la guerre une brochure intitulée, Pour la Russie des soviets, première République socialiste au monde, ce que l’on peut comprendre comme une tentative d’affirmer sa pureté révolutionnaire, pour se recentrer dans un parti où la déviation de type petit-bourgeois est crainte plus que tout97. Cette évocation rituelle de la Révolution, comme fidélité à une tradition plus que comme actualité doctrinale, n’est pas nouvelle et avait déjà été dénoncée par Otto Bauer, dans l’entre-deux-guerres, accusant nombre de socialistes européens de ne se réclamer de l’héritage révolutionnaire « que par conservatisme envers l’idéologie, par opportunisme, pour ne pas entrer en conflit avec l’ancienne génération de dirigeants…et aussi par peur d’assumer devant les masses les responsabilités de la nouvelle tactique réformiste »98.
65La Révolution constitue donc un capital politique qu’il serait risqué d’abandonner à ses adversaires politiques, dans et hors du parti. Le cas de la Révolution d’octobre me semble emblématique : première révolution socialiste victorieuse de l’histoire, elle constitue une référence indépassable pour le mouvement ouvrier, rehaussée encore par le prestige nouveau de l’URSS après Stalingrad, ce que les cas de Rivet et de Saragat à peine évoqués montrent bien. La fascination pour octobre 1917 et la révolution bolchevique dépasse ainsi largement les rangs communistes, même au début de la guerre froide, ce dont témoigne un incident évocateur qui émaille le congrès lillois de l’automne 1948. En plein conflit avec les communistes, au moment des grandes grèves qui prolongent celles de l’année précédente, particulièrement dures dans le Nord, Augustin Laurent, maire de Lille, secrétaire de la fédération et peu suspect d’impopularité, est hué par les congressistes après s’être réclamé de la Révolution de février, du pluralisme politique et des Mencheviks pour attaquer le PCF. Il avait dit :
Pour être éclectique, pour être tout simplement véridique, pour être en accord avec l'humaine vérité, il y avait un tout petit mouvement qui avait un nom : La révolution de Mars 1917. C'est là que le tsarisme a été renversé, et de mars à octobre, ce sont eux qui ont mené la lutte. […] Il est faux de dire que Kerenski représentait au sein du Parti socialiste démocrate, les paysans riches de Russie99.
66Il est alors interrompu par l’auditoire ce qui montre bien que même dans ce département où la confrontation avec les communistes est dure et parfois violente, on préfère octobre à février et la position largement majoritaire au sein du parti est celle qui consiste à dénoncer le « gouvernement bourgeois de Kerenski » et à faire de la victoire de Lénine, « la victoire du peuple »100.
67La question est toutefois délicate : comment en effet, pour un socialiste, célébrer octobre sans reconnaître la validité des scissions de 1920 et 1921 ? Comme Giuseppe Saragat, un certain nombre de dirigeants français mettent sur pied une stratégie visant à se réclamer de la Révolution d’octobre, tout en cherchant à ne pas faire le jeu du Parti communiste101. S’appuyant sur l’exemple de la Révolution française, on distingue plusieurs phases dans la Révolution russe, ce qui permet de se réclamer de la première période, mais de condamner les évolutions ultérieures et donc l’URSS. Ainsi, dans une brochure éditée par la SFIO à propos du Parti communiste, la phase de prise de pouvoir de Staline est comparée à Thermidor, considéré comme le moment de basculement de la Révolution française, où les grands révolutionnaires historiques sont éliminés102. De la même façon, Jules Moch – en 1949 ! – dresse un parallèle entre les deux révolutions, initialement réussies, mais dégénérant ensuite en dictature personnelle : « Staline n'est pas plus le continuateur de Lénine que Napoléon n'était celui de Robespierre »103.
68À cela s’ajoute une réflexion sur le contexte spécifique de la Russie du début du siècle, qui conduit à considérer que si la Révolution d’octobre était adaptée à ces conditions particulières, elle n’est absolument pas exportable. 1917 est alors relu comme une révolution spécifiquement russe, adaptée à un pays peu industrialisé et de culture fort éloignée de celle d’Europe occidentale. Cette théorie de la spécificité russe et donc, en retour, de l’impossible exportation de 1917, avait déjà été développée en Europe dans l’entre-deux-guerres104 ; elle est ensuite largement reprise dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale en jouant sur des stéréotypes hérités des xviiie et xixe siècles liés à la Russie, supposément plus habituée à la violence et à la cruauté105. Dès lors, il serait absurde d’envisager exporter la Révolution sous la même forme ailleurs en Europe, ce qui invalide la prétention de l’URSS à diriger la révolution mondiale et donc, les scissions de Tours et Livourne. Cette lecture permet donc à la fois de sauvegarder l’héritage de 1917 – et donc la pureté révolutionnaire du socialisme français – tout en faisant porter la responsabilité de la division du mouvement ouvrier sur les communistes pour n’avoir pas su ou voulu comprendre que 1917 n’était qu’une révolution russe, grandiose certes, mais limitée à son espace géographique d’origine106.
III.2. La Révolution, définitions
69Relevons d’emblée un paradoxe : alors que la Révolution est au cœur des discours socialistes, elle ne fait l’objet que de peu de conceptualisations qui restent, le plus souvent, cantonnées aux revues théoriques. C’est ce que relève Ignazio Silone dans les colonnes de la Revue socialiste, juste après la scission de 1947, dénonçant la perte de sens des mots et des catégories d’analyse du marxisme, employées moins comme des outils de compréhension de la société que comme des formules creuses, légitimant la direction du parti et permettant d’excommunier les hérétiques :
Le parti socialiste s’est trouvé, au cours de ces deux dernières années dans une situation fausse qui peut être définie par le mot de mauvaise foi […]. Ainsi le Parti socialiste italien a fait et fait encore constamment profession de marxisme, mais vous ne trouverez dans aucun de ses documents une trace quelconque d’une analyse marxiste des rapports sociaux dans notre pays, tels qu’ils se trouvent modifiés par la guerre et par le fascisme, à l’exception de quelques allusions rituelles équivoques et fort vagues à la fameuse prolétarisation des classes moyennes, allusions qu’on continue d’employer quoi qu’il ait été désormais démontré que cela ne correspond aucunement aux conditions actuelles de certaines catégories de l’agriculture, du commerce et de l’industrie. C’est ainsi qu’au sein du Parti socialiste italien d’unité prolétarienne, le marxisme a été ravalé de méthode d’analyse réaliste qu’il était au rang d’une formule magique d’exorcisme […]. C’est à une fonction analogue qu’on a réduit l’orientation soi-disant gauchiste du parti, cette dernière ne servant pas de guide pour l’action, mais n’étant employée qu’à usage interne, pour la sauvegarde de la « pureté » révolutionnaire du parti, quitte à rejeter la faute de toute carence d’action sur « le sabotage de la droite » selon une coutume déjà ancienne107.
70Cette remarque, au-delà de sa visée polémique, me semble assez juste : à l’exception de quelques théoriciens, la référence révolutionnaire est plutôt de l’ordre de l’invocation rituelle, utilisée non pour son contenu politique et philosophique, mais pour la puissance d’évocation qu’elle dégage. Parce que le terme est associé au socialisme et à sa vocation ouvriériste, il légitime ceux qui s’en réclament et condamne au contraire ceux qui semblent s’en éloigner. Cela justifie donc de s’intéresser à la Révolution autant comme à un concept que comme à une image, en s’interrogeant sur les différentes interprétations qui cohabitent au sein des partis socialistes.
Révolution-événement et Révolution-processus
71À la révolution politique, dont le modèle incontesté est la Révolution française, qui abat les privilèges d’Ancien Régime et conduit, par un cheminement plus ou moins tortueux, à l’égalité juridique et à la démocratie libérale, doit succéder, selon la plupart des socialistes, une révolution sociale. Léon Blum formule de manière synthétique la différence entre les deux types de révolution : « Dans les deux cas, la condition commune est la conquête et la détention du pouvoir ; mais dans le premier, l’objet est le changement des institutions gouvernementales, dans le second la transformation du régime juridique de la production et de la propriété »108.
72C’est autour de la forme de cette révolution sociale que les débats sont les plus vifs. Sans que cela soit forcément théorisé de façon aussi nette, s’opposent deux visions de la Révolution, à la fois mélange de représentations et de conceptions théoriques. D’un côté, une part des militants affirme sa fidélité à la Révolution-événement, discontinuité brutale – dans sa soudaineté sinon dans son déroulé – qui conduit à un renversement complet de l’ordre politique et social dont la Commune, l’octobre russe et la révolution spartakiste sont de bons exemples109. La Révolution, concentrée en un événement, est ainsi vue comme soudaine et semble-t-il violente, étant fréquemment évoquée sous forme de menace. C’est ce que fait un dirigeant de la fédération de jeunesse milanaise, rappelé à l’ordre par sa fédération pour avoir dit à Casalmaggiore (Crémone), lors d’une réunion publique : « Si le 5 mai, nous n’avons pas de Constituante, nous ferons la Révolution »110. De même, un dirigeant de la fédération de Bari « a explicitement déclaré que si la volonté du peuple s’exprimait en faveur de la Monarchie, les socialistes redeviendraient des résistants, se cachant dans les montagnes »111.
73À cela s’oppose un autre modèle qui considère que la révolution est avant tout un processus. Cette vision, plus compatible avec l’engagement républicain des socialistes est développée par Léon Blum et ses amis et, en Italie, par le courant lié à la Critica sociale. Cette conception distingue le geste insurrectionnel et ses conséquences. Dès À l’échelle humaine, Léon Blum établit cette différence : « Une insurrection violente, la conquête du pouvoir à main armée, la terreur même, ne seraient au contraire qu'une tentative de Révolution manquée si elles n'aboutissaient pas à une transformation politique ou sociale de caractère définitif »112. Au congrès de 1946, attaqué justement sur cette conception de la Révolution, il précise encore la définition, insistant sur la notion de durée et sur la compatibilité de cette révolution évolutive avec la pratique parlementaire :
C’est cette transformation essentielle de la structure sociale, cette mutation (pour emprunter cette expression commode au vocabulaire de la biologie transformiste) qui constitue pour nous la Révolution. C’est en ce sens que j’ai tant de fois répété… Elle est révolution même si elle est acquise par des moyens légaux. Et un soulèvement populaire victorieux qui n’aboutirait pas à la transformation sociale ne serait pas à nos yeux la Révolution.
74Ce prolongement de la synthèse jaurésienne entre analyse marxiste et république, dont le congrès de 1908 a constitué l’exemple le plus éclatant113, se retrouve également dans les statuts du parti, rédigés à la fin de l’année 1945 et adoptés au début de l’année suivante, qui ne disent pas autre chose, faisant de la Révolution le résultat d’un processus, qui n’est pas nécessairement identifiable à une insurrection :
Le Parti socialiste est un parti essentiellement révolutionnaire : il a pour but de réaliser la substitution au régime de la propriété capitaliste d'un régime où les richesses naturelles comme les moyens de production et d'échange deviendront propriété collective et où par conséquent les classes seront abolies. […]. Quels que soient les moyens par lesquels elle sera accomplie, elle constitue par elle-même la révolution sociale114.
75Dernier exemple, et non des moindres, puisqu’il est tiré du mémorandum pour l’unité, rédigé par Vincent Auriol en 1945 :
Dans ses commentaires sur la Commune de Paris, dans L’Histoire socialiste de la Révolution, Louis Dubreuilh a écrit ces lignes toujours vraies : « Une révolution sociale ne s’improvise pas, ne se commande pas. Il y faut une longue préparation appropriée. Une minorité audacieuse peut, c’est évident, se substituer dans le gouvernement à une autre minorité et quelquefois durer, en s'adaptant au milieu ambiant, mais une classe ne se substitue pas à une autre, n’impose, avec son idéal, un statut social nouveau, que si elle a les capacités requises pour assurer au mieux les fonctions vitales de la collectivité, pourvoir aux besoins essentiels de cette collectivité plus exactement et plus complètement que la classe qu'elle chasse, élimine ou résorbe ». […] Si donc la prise du pouvoir est une condition nécessaire de la Révolution sociale, elle n'est pas une condition suffisante. Elle peut assurer le passage d'une société à une autre : elle ne crée et n'organise pas cette société.
76Il apparaît ainsi clairement que cette opposition n’est qu’une reformulation, plus ou moins à l’identique, des grands débats du début du siècle et de l’entre-deux-guerres autour des vertus des réformes et de la Révolution. Si les termes sont posés différemment, la controverse tourne autour de la participation gouvernementale et de la capacité d’un gouvernement républicain à imposer le socialisme. Ce déplacement sémantique s’explique en partie par le contexte : l’effervescence de la Libération ne semble pas admettre de demi-mesures et, dans les deux pays, le réformisme semble avoir échoué face à la montée des fascismes. Le terme de « réformiste » devient ainsi une insulte courante115 et Fabrice d’Almeida a bien montré combien la figure d’Eduard Bernstein, associée au refus de la Révolution, est décriée dans les deux partis au sortir de la guerre, et comment le terme de « révisionniste » prend peu à peu un tour dépréciatif116. Cela conduit donc à une reformulation d’une partie des débats, qui n’opposent donc plus révolutionnaires et réformistes, mais deux types distincts de révolutionnaires. Le terme de Révolution est alors utilisé pour sa puissance d’évocation. Cela ne revient pas pour autant à nier, chez les tenants de la Révolution-processus, toute volonté de rupture. Ce terme, central dans le parti, jusqu’à François Mitterrand et son discours d’Épinay117, permet d’insister sur la nécessaire discontinuité qui accompagne le passage au socialisme, qui ne peut être considéré comme une évolution tranquille et sans heurts. C’est l’idée développée par Édouard Depreux en 1946, qui parle d’un « hiatus » : « Le socialisme n'est pas l'addition d'une série de réformes. Un hiatus est nécessaire. C'est ce que nous appelons la révolution »118.
77Un dernier exemple permet de mesurer la diversité des positions quant à la Révolution au sein des deux partis et l’héritage parfois encombrant que peut constituer le marxisme en la matière. Le thème de la dictature du prolétariat, central s’il en est dans la culture marxiste, donne en effet lieu à des contorsions sémantiques qui révèlent l’ambiguïté de nombreux socialistes tiraillés entre leur fidélité au marxisme et leur détestation de la dictature qu’ils viennent d’abattre. Le terme est souvent discuté dans la presse, notamment par les partisans de Léon Blum et de Giuseppe Saragat, qui tiennent à leur réputation de démocrates. Robert Verdier, dans Jeunesse, explique que « le socialisme, dont nous avons dit qu'il devait être l'épanouissement de la démocratie, n'accepte la dictature du prolétariat que comme "un expédient fatal" »119. Il pose trois conditions à cette dictature qu’il compare aux gouvernements provisoires de 1830 et 1848 : elle doit être la plus brève possible, collégiale et surtout, conduire à une constitution garantissant les droits traditionnels d’une démocratie. Le terme d’« expédient fatal » n’est pas choisi au hasard puisqu’il est tiré du discours de Léon Blum au congrès de Tours, qui s’oppose à Lénine qu’il accuse d’avoir pérennisé, « créé une fois pour toute », une dictature du prolétariat qui ne devait être que provisoire120. Robert Verdier rappelle alors cet épisode et joue du terme de « dictature », dont l’image est ici plus clairement liée à la République romaine qu’au léninisme.
78De la même façon, un article anonyme de la Critica sociale s’appuie sur Kautsky pour définir la dictature du prolétariat :
Marx utilisait le terme de dictature dans le sens où l’on parle aujourd’hui de dictature de la bourgeoisie. La dictature du prolétariat devait être un régime de gouvernement dans lequel la prédominance politico-économique serait aux mains du prolétariat et non de la bourgeoisie. Mais tout cela se faisait dans le respect de la démocratie, et à chaque citoyen étaient reconnus des droits civiques, quelle que soit la classe sociale à laquelle il appartenait121.
79Le concept marxiste est donc profondément modifié de façon à le rendre compatible avec une défense inflexible de la démocratie. Cela est supposé donner des gages à ceux qui craignent que les socialistes ne deviennent une menace pour la République, tout autant qu’aux révolutionnaires les plus inflexibles du parti, qui, s’ils peuvent s’indigner de l’évocation de Kautsky ou du contenu même de la définition, se satisferont au moins du maintien formel du vocabulaire marxiste.
Une question centrale des congrès de la Libération (1945-1946)
80La question révolutionnaire est au cœur des congrès de la SFIO, fédéraux et nationaux de 1945 et 1946 jusqu’à celui, décisif, de l’été 1946, ce qui montre la dimension identitaire qu’elle représente pour les militants socialistes. Il est fondamental d’être, dans une vision manichéenne et téléologique de l’histoire, du bon côté de la barricade ; il est donc logique que la Révolution devienne le mètre à l’aune duquel juger l’action des dirigeants, ce qui en conduit certains à une surenchère dans le vocabulaire. Par ailleurs, cette question du rapport à la Révolution des socialistes ne saurait se comprendre sans prendre en compte le poids électoral et symbolique du PCF et du PCI, ainsi que les efforts des appareils communistes pour faire apparaître les socialistes comme des partis à tendances centristes, portés comme naturellement vers les classes moyennes122.
81Ces éléments s’observent clairement au moment du congrès d’août 1946 et dans les quelques mois qui le précèdent. Partisan de Guy Mollet au congrès de l’été et tout juste élu député, Maurice Deixonne fait partie des rares parlementaires à mener la fronde contre la participation ministérielle. Dans un document daté du 20 juin 1946, juste après l’investiture de Georges Bidault à laquelle il s’oppose, il met en garde le parti contre un enlisement parlementaire contraire à sa doctrine et surtout dangereux dans la rivalité que celui-ci entretient avec le PCF. Il prend la défense des parlementaires qui s’opposent à la participation :
Cette crise est, chez les camarades qui en sont l’objet, le point d’aboutissement de longs débats intérieurs entre leur volonté révolutionnaire et l’enlisement progressif du parti en général et du groupe parlementaire en particulier, dans une politique de consolidation du monde bourgeois. […] Nous avons des politiques admirables, rompus à toutes les astuces du jeu parlementaire, qui savent jouer un mauvais tour à Bidault en lui faisant le « cadeau empoisonné du pouvoir », mais dont l’horizon est si bien limité aux frontières du palais Bourbon qu’ils ne songent pas à se demander quel usage fera dans les masses un parti vraiment révolutionnaire de ce cadeau bénévole de la SFIO au MRP. Techniciens et politiques sont en opposition profonde avec les masses socialistes, qui ne peuvent manquer de devenir plus révolutionnaires à mesure que s’accélère, du fait de la guerre, le processus marxiste de l’écrasement des classes moyennes123.
82On retrouve ici tous les thèmes qui font, quelques semaines plus tard, le succès de Guy Mollet : une faille s’est ouverte entre les militants et leurs représentants, ces derniers, obnubilés par le pouvoir, oubliant leur vocation révolutionnaire. Ce qui frappe surtout, c’est la position défensive qu’adopte la SFIO face au Parti communiste, lequel est ici qualifié par Deixonne de « vraiment révolutionnaire ». S’il s’agit sans doute de piquer au vif la direction, ce qualificatif est éloquent.
83Le congrès de 1946, deux ans après la Libération, est donc celui d’un premier bilan et si Guy Mollet l’emporte, à la tête d’une coalition hétéroclite, c’est d’abord parce que les résultats du tripartisme ne sont pas à la hauteur des espérances de la Libération. C’est le reproche fait à Daniel Mayer – et derrière lui, à Léon Blum – de n’avoir pas su transformer les énergies révolutionnaires de la Libération en résultats concrets.
84Dans les différentes fédérations, l’année 1946, marquée par de nombreux votes en section124, est également l’occasion de renouveler une partie du personnel politique. Dans les fédérations étudiées, c’est, par exemple, le moment où Maurice Deixonne, partisan de Guy Mollet, supplante Salomon Grumbach ; dans les Ardennes, c’est la fin de la carrière de député du maire de Charleville, Jacques Bozzi. Celui-ci, écarté des places éligibles de la liste des candidats aux législatives du 2 juin 1946, refuse de figurer sur celle-ci et s’en explique dans une lettre aux militants mêlant amertume et ironie, montrant bien la centralité de la question révolutionnaire dans les débats de l'année 1946 :
Cette abstention délibérée ne signifie pas que je renonce à lutter pour l'idéal de toute ma vie, et à lutter au sein même de la Fédération, aussi longtemps du moins que voudra m'y tolérer la majorité si authentiquement marxiste et si réellement révolutionnaire qui m'a précipité du haut de sa barricade verbale et platonique125.
III.3. La question de la violence
85Étroitement liée à la Révolution, la question de la légitimité de l’usage politique de la violence fait tout autant débat dans les rangs socialistes. L’instauration de la République, considérée comme une conquête du mouvement socialiste, joue évidemment un rôle central : il ne saurait être fait usage de la force dans ce contexte, puisque les socialistes ont les moyens de triompher légalement. Cette position est celle qui prévaut dans les deux partis et aucun dirigeant n’appelle publiquement à l’usage de la violence. Celle-ci n’apparaît nécessaire qu’en cas de menace grave pour la démocratie, comme l’épisode récent de la Résistance l’a rappelé126.
86La presse socialiste française de la Libération insiste beaucoup sur cette nécessité d’ériger le socialisme par les manières légales, ce que la République semble permettre. La fréquence d’articles traitant de la question de la violence et de la légitimité, pour le mouvement ouvrier, d’en faire l’emploi en régime démocratique, laissent cependant entrevoir un tableau moins unanimement pacifique que ce qu’ils peuvent à première vue suggérer. Quel besoin, en effet, d’une telle redondance d’articles s’il s’agit de prêcher à des convaincus ? Il me semble au contraire que ceux-ci permettent, en creux, de saisir l’impatience d’une partie de la base militante qui n’a pas renoncé à la discontinuité brutale et totale de l’action révolutionnaire, comme moyen de résoudre les problèmes de l’heure.
87Ainsi, la SFIO, tout à son idéal de révolution de long cours dans un cadre républicain, célèbre les discontinuités dans la loi plutôt que les tentatives violentes sans lendemain. Le journal de la fédération du Nord oppose différents épisodes de 1789, invitant ses lecteurs à réévaluer leurs poids respectifs :
L’exemple de 1789 permet d'illustrer cette thèse. Qu’est-ce qui a plus fait pour la Révolution : la prise de la Bastille, le 14 juillet ou la décision imposée au roi, après une lutte qui dura du 6 mai au 27 juin, de voter par tête et par ordre ? La Bastille à bas pouvait être remplacée par un autre bâtiment : sa disparition n'avait que la valeur fictive d'une protestation. Le véritable acte révolutionnaire reste à l'actif de ces modestes députés du Tiers qui brisèrent les cadres traditionnels qui divisaient la société en trois classes, dont chacune était un champ clos, et ouvre la porte à toutes les possibilités, à la Révolution127.
88Cette remise en cause de l’imaginaire révolutionnaire et de la violence qui en découle transparaît également d’un article de Jacques Bozzi, publié dans le Réveil ardennais en 1945 :
Je me heurte peut-être à la mauvaise humeur de camarades qui se proclament volontiers « révolutionnaires » ou qui aiment l’épithète : « quoi ! Disent-ils, vous voulez interdire au prolétariat, luttant pour son émancipation, le recours à la force ? ». Je réponds sans hésiter ! Oui ! Parfaitement ! Si le prolétariat pour son émancipation, n’avait pas l’usage des libertés publiques, s’il n'avait pas le suffrage universel, libre, secret, éclairé par les libres controverses, oui, certes, je revendiquerais moi-même son droit de recours à la force. Mais en démocratie où il a le suffrage universel libre, secret et délibéré, je lui conteste ce droit, et, dans toute la mesure où cela dépend de moi, je le détourne de l'émeute et du coup de force. Je l'en détourne par fidélité au principe démocratique. Je l'en détourne aussi par sentiment parce que je suis économe de sang128.
89Cette application à déconstruire le mythe de la violence révolutionnaire, à en montrer les limites, à le renvoyer au domaine de l’émotion et du romantisme qui s’opposent à la rationalité du marxisme et du projet socialiste, laisse aussi transparaître une forme de dédain pour les masses militantes, supposément moins rationnelles et se laissant aller à des tendances violentes irréfléchies, preuve d’une immaturité politique. Dans le premier numéro du renouveau de Critica sociale, l’éditorial, glorifiant la figure de Filippo Turati, en donne un exemple frappant. Visant en creux les communistes et les socialistes qui seraient tentés de les rallier, le texte célèbre Turati pour son dédain des « poses de gladiateur et des violences verbales pleines de vacuité », mais surtout pour son refus absolu de « flatter les tendances impulsives des masses »129, établissant une différence entre une base indisciplinée ayant une propension quasiment naturelle à la violence, et des dirigeants plus sages et donc taillés pour le commandement. Le renoncement à la violence est qualifié, par un autre texte de Critica sociale de preuve de « maturité politique », l’usage de la force étant caractéristique du passé, de ces révolutions où le sang des prolétaires a coulé en vain, souvent au bénéfice exclusif de la bourgeoisie130. Cette même idée de la violence comme preuve d’immaturité est développée par Ignazio Silone, dans un texte appelant les socialistes à profiter des potentialités démocratiques : « Est-il nécessaire de démontrer que toute agitation n’est pas révolutionnaire en elle-même ? Entre une agitation pour elle-même et la révolution créatrice, il existe la même différence qu’entre masturbation et amour »131.
90La question demeure toutefois plus sensible – et plus discutée – en Italie qu’en France, ce dont témoigne un article de Virgilio Dagnino, intitulé « Les communistes et nous ». Malgré un agacement non dissimulé à l’endroit des communistes, l’auteur reproche aux tenants de Giuseppe Saragat – lesquels excluent, à la différence du PCI, « le facteur force » – de s’arc-bouter autour d’une pureté démocratique qui risque de les conduire à « répéter l’erreur de 1919-1922132, quand les forces du travail se trouvaient en état d’impréparation mentale et matérielle ». Or, pour se trouver prêt, en cas de nécessité, il faut sacrifier à des « systèmes d’encadrement et de discipline » auxquels peut répugner un socialiste, mais qui demeurent, selon lui, la seule solution possible :
Nous avons des nostalgies tolstoïennes [entendre, une réserve éthique à l’endroit de la violence], mais face à l’incroyable vitalité des forces du privilège, nous devons essayer de nous convaincre qu’il est plus moral de donner justement des coups que d’en prendre injustement, et que le monde ira mieux quand les amants du vrai et du bon auront autant de courage, autant de décision, autant d’énergie qu’en ont et en ont toujours eu les égoïstes et les voyous133.
91Virgilio Dagnino raisonne ici en termes de culture politique : la violence et l’encadrement rigide du parti, mettent mal à l’aise des socialistes milanais héritiers de Turati, défenseurs de la démocratie et qui répugnent justement à ces méthodes qu’ils considèrent comme l’apanage des communistes. Dagnino le reconnaît, mais leur enjoint de forcer leur nature, de dépasser des réserves éthiques qui se justifient d’un point de vue théorique, mais qui ont montré leurs limites lors de l’ascension du fascisme, lequel a su les exploiter. À travers cet extrait, on voit aussi les divergences qui existent entre Iniziativa socialista et Critica sociale, deux courants qui s’unissent pourtant, quelques mois plus tard, pour donner naissance au PSLI. Si les seconds sont les héritiers de Turati et d’un socialisme parlementaire et légaliste, assez proche des blumistes de la SFIO, les premiers dont se réclame Dagnino, plus jeunes, parfois taxés de trotskysme, ne réfutent pas toute action violente.
92L’ascension du fascisme demeure en effet la référence centrale des socialistes italiens, à laquelle on peut légitimement attribuer cette volonté moins nette de condamner, a priori, la violence politique. Le cas de la Révolution française, souvent commenté, est emblématique. Alors que l’article évoqué plus haut de l’Avenir du Nord, en France, la prend pour exemple pour montrer la supériorité d’un processus législatif bien mené sur une émeute stérile, Pietro Nenni fait le raisonnement inverse, comparant la Révolution française et la Révolution russe134, mais évoquant, en creux, le début des années 1920 et la faillite de l’État libéral :
Les orateurs les plus raffinés de la Révolution de février, comme les Girondins français, parlaient de liberté, de justice, de progrès et cela plaisait aux avocats, aux professeurs et aux journalistes. Mais ils ne savaient pas frapper les forces réactionnaires et leurs chefs terrés dans leurs repaires, et les travailleurs virent se reformer contre eux, contre la liberté, le front de la réaction135.
93Cette mise en danger du patrimoine révolutionnaire par l’inaction des hommes de février justifie alors l’action énergique d’octobre, même si celle-ci rompt parfois avec les grands principes de liberté politique. Le parallèle avec la situation italienne s’impose : la violence est nécessaire si elle permet de sauver la démocratie – y compris d’elle-même. Le traumatisme de l’arrivée du fascisme au pouvoir, causé en partie par la faiblesse et la concurrence des organisations ouvrières, laisse ainsi des traces profondes dans la culture socialiste italienne, moins encline sans doute à condamner a priori la violence.
94Le lien entre fascisme et violence ne se limite toutefois pas à la vigilance revendiquée par les socialistes italiens. Dans une perspective plus large, qui rejoint des questionnements historiographiques contemporains136, se pose la question de l’héritage fasciste et notamment du legs de l’exaltation constante de la violence, promue au rang de valeur. À cet égard, une lettre envoyée à Pietro Nenni en août 1944 par un militant romain est édifiante. Dressant un tableau du parti à Rome, alors que la guerre de Libération n’est pas encore achevée, celui-ci s’émeut de la part que la violence a prise et juge que la place des résistants armés est disproportionnée au sein du PSIUP. Il regrette, en tant qu’ancien militant antifasciste, d’être marginalisé par les résistants, qui « ont créé artificiellement une distinction entre jeunes et vieux, purs et impurs, héros et couards » et déplore que « certains, pour avoir tiré quelques coups de pistolet se considèrent comme de purs socialistes ». Il commente :
Ce n’est là que le résidu d’une mentalité fasciste et pour se distinguer, ils se nomment socialistes révolutionnaires […]. Il se forme un esprit de corps de squadrismo rouge chez ces militants que l’ivresse d’une facile victoire a exaltés et qui pensent que quelques mois de militantisme clandestin sont la meilleure école, sinon l’unique, pour devenir des socialistes avertis137.
95Cette inquiétude quant à l’influence que le fascisme a pu avoir sur les comportements des socialistes eux-mêmes, ainsi que cette déploration du tournant militariste du parti font écho aux discussions qui traversent le mouvement socialiste international de l’entre-deux-guerres et auquel Henri de Man avait pris part, dénonçant ceux qui entendaient, comme l’austro-marxiste Max Adler, permettre le « passage à la non-violence par la violence »138. Le raisonnement d’Antoniolitti qui craint que la passion fasciste pour la violence n’ait gâté l’image – fantasmée – qu’il conserve d’un socialisme éthique et pur, est emblématique d’une partie de la culture politique socialiste qui plonge ses racines dans le pacifisme issu de la Première Guerre mondiale et dans les synthèses entre socialisme et république, qui se trouve mal à l’aise face à la célébration militariste, parfois viriliste, de la propagande liée à la Résistance.
96L’idée de Révolution occupe ainsi une place centrale dans l’idéologie, mais plus encore dans l’imaginaire socialiste des deux pays. Elle est la justification même de l’existence de la SFIO et du PSIUP, l’horizon de tout militant, et même si les conceptions et représentations sont multiples, hétérogènes et parfois contradictoires, c’est le concept autour duquel s’organise l’unité du parti. Si certains voient dans la Révolution un processus graduel, se construisant dans le cadre de la démocratie parlementaire et excluant tout emploi de la violence, sinon purement défensive, d’autres aspirent encore à l’éclat du coup de force faisant triompher le drapeau rouge par les barricades. Ce dernier espoir, après avoir été caressé par certains résistants, rêvant d’unir lutte contre le fascisme et éclat révolutionnaire, rappelant le précédent après-guerre où l’Europe largement détruite s’était pourtant embrasée en Russie, en Allemagne ou en Italie, devient rapidement de l’ordre de la chimère, renvoyé à un lointain futur, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il est abandonné. La Révolution se pare alors des atours du Jugement dernier, forme ultime de pesée des âmes qui rétablira le prolétariat toujours humilié à sa juste place.
97Les cultures socialistes de la Libération évoluent donc entre les deux pôles de République et de Révolution, dont la compatibilité n’est ni totalement établie ni vraiment remise en cause. Depuis Jaurès, mais plus encore depuis les réalisations du socialisme municipal de la fin du xixe siècle, l’horizon des militants socialistes est fait de la combinaison de l’un et de l’autre, leur dosage variant avec les individus. On pourrait penser que ces deux pôles sont l’expression de deux types de réactions de la base socialiste – certains penchant pour la République quand d’autres rêvent à la Révolution – pourtant, je crois qu’il s’agit souvent d’un seul et même mouvement : profondément républicains, marqués par la fidélité à la Révolution française et à l’antifascisme, de nombreux militants sont aussi sincèrement fidèles à la Révolution qui constitue l’espoir fondamental de tout militant ouvrier. C’est d’autant plus vrai que la République n’est pas seulement un concept politique et que le terme est lui aussi porteur d’un contenu social marqué. Ce serait une erreur de mettre sur le même plan et donc d’opposer République et Révolution, comme si l’une se faisait contre l’autre. C’est que les deux notions n’appartiennent pas au même domaine, et surtout n’entretiennent pas le même rapport au temps, s’inscrivant dans des temporalités différentes, ce qui les rend compatibles, comme le montre la volonté, largement partagée, d’obtenir une constitution, aujourd’hui, qui n’exclue pas la possibilité d’une Révolution, demain.
98La République est fondamentalement liée au présent ; elle est un moyen d’assurer la victoire du peuple, une façon de marquer sa fidélité aux luttes du passé dont le présent est l’aboutissement, de dépasser les tentatives d’une bourgeoisie agonisante de s’unir au fascisme et à l’autoritarisme ; c’est jouer avec les règles de la bourgeoisie, et chercher à inverser le rapport de force pour constituer dans le temps présent, à l’échelle temporelle d’une vie, un ensemble de réformes qui contribueront à améliorer le sort du prolétariat.
99La Révolution n’a pas le même caractère concret, même si c’est sans doute à l’insu des acteurs. Personne ne la prépare réellement et pour ses partisans comme ses contempteurs, c’est souvent un ailleurs : pour les socialistes du sud de l’Italie, il est certain que ce sont les militants du nord qui apporteront la Révolution ; au nord, on compte parfois sur une aide extérieure, venue d’URSS139. Mais la Révolution, c’est surtout un futur lointain qui n’est pas sans rapport avec une eschatologie, avec le « sublime tribunal » d’Henri de Man. Sa définition n’est pas unifiée, car elle est faite avant tout des projections personnelles des militants, élaborées à partir de leurs propres expériences. La Révolution de certains parlementaires est faite de réformes progressives changeant les règles de la propriété, celle d’autres militants ressemble à une réforme agraire ou à une collectivisation, quand d’autres, plus sensibles à l’évocation de l’émeute et de la barricade, la voient comme une insurrection de matrice communarde. C’est la puissance d’évocation de la Révolution qui fait son pouvoir unifiant et qui permet de maintenir la cohérence globale du parti à un moment où les forces centrifuges sont puissantes.
Notes de bas de page
1 Sadoun 1987.
2 Pombeni 1995, p. 82.
3 Sur ce point, voir par exemple Strinati 1980, p. 25 ; Degl’Innocenti 2007, p. 107. On confie par ailleurs le ministère de la Constituante à Pietro Nenni, ce qui a une forte charge symbolique.
4 Strinati 1980, p. 25-26 ; Winock 1999, p. 180.
5 Ce discours n’est pas nouveau et s’inscrit dans la tradition socialiste de la Seconde internationale. Voir : Becker 2004b et, pour les cas français, allemands et italiens : Marcobelli 2020.
6 PP, BA2317, SFIO – Fédé. Paris et banlieue, Réunion publique 15 octobre 1944, Boulogne Billancourt.
7 Par exemple, L’Avenir du Nord, dans son numéro commémoratif du 29 février 1948 condamne l’action de Cavaignac, accusé d’avoir rétabli les intérêts de la bourgeoisie. De même, le 15 mai 1949, Le Réveil Ardennais se réjouit du fait que la rue Thiers de Sedan soit rebaptisée rue Rimbaud. L’article se félicite de la revanche prise sur le « chef des Versaillais ». Le même journal, le 12 juin 1949, qualifie également Thiers de « hideux bourreau de la Commune ». Sur la célébration de la Commune par les socialistes, voir le chapitre 6.
8 Trois flèches, 11 mars 1948, « 1848-1948 : Quelques leçons à l’usage des hommes du temps présent ».
9 Bulletin intérieur, n°5, juin 1945.
10 Degl’Innocenti 1993, p. 7. Sur Lelio Basso, voir Colozza 2011.
11 Degl’Innocenti 1993, p. 6-7 : Repubblica socialista dei lavoratori.
12 Avanti ! [édité par le MUP], 1er août 1943, « Unità proletaria », cité par Sabbatucci 1981b, p. 10 : Conquista integrale del potere politico, solo mezzo per spezzare definitivamente l’apparato dello stato borghese.
13 Sur ces questions voir Frétigné 2017, p. 95-99 et p. 101-102.
14 Pavone 2006, p. 332-333.
15 À ce propos, voir Colozza 2011, p. 15.
16 Pavone 2006, p. 384.
17 Pavone 2006, p. 314 : Si possono cogliere motivazioni di classe nei comportamenti di molti resistenti soprattutto di estrazione operaia o anche contadina ; e queste motivazioni spesso convivono con quelle patriottiche e con quelle antifasciste in senso strettamente politico. Per gli operai più o meno politicizzati il nemico ideale, la figura più chiara e riassuntiva di nemico, sarebbe stata quella di un padrone che fosse anche fascista e sfacciatamente servo dei tedeschi, e come tale non più vero italiano.
18 ACHSP, F. Daniel Mayer, 3MA5, 13 août 1945, « La cité de demain », conférence au grand amphithéâtre de la Sorbonne.
19 ACS, MI, PS, s.1947-1948, b.48. Affiche du PSIUP, Macerata, novembre 1944 : Lavoratori delle officine e dei campi, del braccio e del pensiero. Voi siete la nuova classe dirigente e da voi dipende l’avvenire del paese. Le vecchie classi borghesi escono da questa guerra, che hanno stupidamente provocato, esautorate, distrutte, storicamente svuotate di ogni funzione. Il paese non ha per risorgere che una riserva : il lavoro.
20 Voir par exemple : Greilsammer 1996, p. 494 ; Berstein 2006, p. 708.
21 Le Réveil Ardennais, 18 octobre 1945, « Votez pour la France ! Votez pour la Paix ! ».
22 Sur la défense du programme du CNR par les socialistes à la Libération : Andrieu 1984, p. 101-102.
23 Discours prononcé le 20 mai 1945, à Paris. Blum, discours politiques, Alain Bergounioux (éd.), Paris, Imprimerie nationale, 1997, p. 238.
24 À ce propos, voir le discours prononcé au congrès de 1945 dans L’Œuvre de Léon Blum (1945-1947), p. 65-78.
25 Sur la conception dite humaniste du socialisme, voir le chapitre suivant.
26 Le Réveil Ardennais, 27 décembre 1945, « Peinture fraîche sur vieille toile ».
27 C’est un thème régulièrement abordé par Daniel Mayer à la Libération, comme au congrès extraordinaire de novembre 1944 où il se félicite que malgré les déboires de la guerre, le parti soit « confirmé dans sa doctrine ».
28 PP, BA2316, Congrès et meetings, congrès nationaux SFIO, 1946.
29 La rhétorique politique qui entoure en Italie le Vent du Nord – cf. infra – comporte la même idée d’urgence.
30 Il est par ailleurs intéressant de relever l’aspiration providentielle, y compris dans un parti considéré par beaucoup comme hostile au culte personnel. C’est d’ailleurs un point souvent mis en avant par les socialistes face aux communistes, jugés idolâtres. Cela montre aussi, au cours du congrès où Guy Mollet renverse la direction Mayer, soutenue par Blum, le lien qui est parfois fait entre le premier et Maximilien Robespierre, associés l’un à l’autre par leur commune origine arrageoise et leur supposée intransigeance. Certains journaux socialistes cultivent ainsi le parallèle ou, au contraire, ironisent sur la question. Par exemple, Le Populaire du Bas-Languedoc, en 1946, « Guy Mollet, Le Robespierre de la SFIO » : « Robespierre lui dicte ses discours. Robespierre guide ses gestes, la main au gilet, le menton pointé. Robespierre dirige aujourd’hui la SFIO. Heureusement, ce n’est plus qu’à coups de guillotine sèche. "Robespierre a dit", dit Guy Mollet... Et à Arras on répète : "Guy Mollet a dit que Robespierre a dit..." ». (OURS, F. Guy Mollet, AGM44, Revue de presse, 1946).
31 AD Ardennes, 1W14, Rapport de police, 16 avril 1945, réunion publique à Sedan, au palais des sports.
32 Par exemple, à la tribune du congrès, le 13 août 1945, considérant que l’opposition entre réforme et révolution, si longuement discutée au congrès d’Amsterdam par Eduard Bernstein n’a plus cours. L’Œuvre de Léon Blum (1945-1947), p. 68.
33 Léon Blum, Conférence du 31 juillet 1917 : « Sans le socialisme, la République est incomplète, sans la République, la victoire du socialisme est impossible ». Cité par Castagnez 2004, p. 305.
34 Les résultats des premières consultations électorales montrent d’ailleurs que cette perception était assez fidèle à la réalité : la République, minoritaire dans les régions méridionales, ne s’impose que grâce à l’adhésion franche qu’elle suscite au nord. De même, les forces de gauche emportent leurs principales victoires dans les régions libérées après l’hiver 1944-1945, comme l’Émilie, le Piémont, la Lombardie ou la Ligurie.
35 L’Avanti !, éd. Milan, 6 mai 1945, « Il Vento del Nord soffia potente » : Non è l’ora di sostare né per rimarginare le ferite, né per riposare. La rivoluzione popolare e democratica continua/ latente in tutta l’Europa liberata, fra l’antifascismo conservatore, che tende a ritornare al prefascismo e l’antifascismo rivoluzionario, creatore di un ordine nuovo […]. Noi abbiamo domandato, in pieno accordo con i Comitati dell’Alta Italia, un governo nuovo, che abbia le caratteristiche di un vero e proprio Comitato di Salute Pubblica, che conduca inflessibilmente la lotta contra le sopravvivenze politiche e sociali di fascismo e iscriva al suo programma la convocazione della Costituente, preludio alla Repubblica.
36 Ibid. : Ma guai se ci fermassimo a metà cammino. Allora dalla nostra impotenza a concludere sorgerebbe la guerra civile con i suoi frutti di cenere e di tosco.
37 Sur ces deux formations voir : Lescure 1994 ; De Luna 2006 ; Lescure 2018.
38 Sur l’influence du mazzinianisme sur le socialisme : Ciuffoletti 1992, p. 10 sqq.
39 Par exemple, malgré la sympathie des socialistes pour la forme républicaine, le « programme minimum », adopté au congrès de Rome de 1900 ne mentionne pas l’instauration de la République. C’est essentiellement dû à des questions tactiques, à un moment où une partie du PSI s’interroge sur le rôle qu’il peut jouer au Parlement et sur les avancées sociales qu’on peut en espérer. Toutefois, le modèle de la France républicaine tend à s’imposer progressivement chez les socialistes réformistes italiens, notamment après l’Affaire Dreyfus (Ciuffoletti 1992, p. 183-186).
40 Degl’Innocenti 1981, p. 71.
41 ACS, F. Nenni, s. Partito, b.87, f.2188. « Relazione sul convegno Socialista-democratico cristiano », Rome, 1er juin 1945 : È l’unico uomo politico italiano che contemporaneamente è il rappresentante genuino e diretto della classe operaia e della democrazia.
42 ACHSP, F. Daniel Mayer, 3MA5. Communication de Léon Blum au Comité directeur et au groupe parlementaire au sujet du programme du parti, le 5 février 1946.
43 C’est l’objet de la majeure partie des réunions de l’IOS dans les années 1930, comme à Vienne en 1931 où la question de la défense de la démocratie occupe les débats. Sur la réflexion des socialistes européens après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, voir : Vergnon 1997.
44 Le troisième avocat, Samuel Spanien, n’a pas exercé de responsabilités politiques.
45 L’Œuvre de Léon Blum (1940-1945), p. 227.
46 À ce propos, voir les contributions réunies dans la partie « Restaurer l’État », de Castagnez – Morin – Cépède – Ollivier 2016.
47 AD Ardennes, 21FI 601-615, Affiches électorales socialistes, 1946.
48 Rebérioux 2017b, p. 46-47. L’article original « Socialisme et révolution française » est paru dans Hamon – Lelièvre 1993.
49 AD Tarn, 581W23, Référendum de 1946.
50 Léon Blum évoque alors la mémoire de Jean-Pierre Timbaud, fusillé quelques mois auparavant : « Il a été fusillé et il est mort en chantant La Marseillaise, cette Marseillaise que, malgré tout, nous avions réappris aux ouvriers à chanter, peut-être pas La Marseillaise officielle, peut-être pas La Marseillaise des cortèges officiels et des quais de gare, mais La Marseillaise de Rouget de l’Isle et des volontaires de l’an ii, La Marseillaise du groupe de Rude, La Marseillaise de Hugo, "ailée et volant dans les balles" ». Blum, discours politiques, Alain Bergounioux (éd.), Paris, Imprimerie nationale, 1997, p. 227.
51 Sur la jeunesse de Nenni, voir les deux grandes biographies qui lui ont été consacrées à la fin des années 1980 : Tamburrano 1986 ; Santarelli 1988.
52 Sabbatucci 2014, p. 103 : Con Nenni entra nel Psi un filone di cultura repubblicana, ribellistica, romantica e un po’ barricadiera, nutrita di miti e letture ottocentesche (Hugo, Michelet) e di ricordi della rivoluzione francese. Ma forse sarebbe più corretto dire che vi rientra, se è vero che i primi leader del socialismo italiano venivano, con poche eccezioni, da quella matrice culturale e da quelle esperienze politiche, erano stati quasi tutti in gioventù mazziniani e garibaldini.
53 Par exemple, le journal de l’intellectuel méridionaliste Vittore Fiore, proche du PDA puis socialiste, s’appelle ainsi Il nuovo Risorgimento.
54 Les archives policières montrent que la question est prise au sérieux par les autorités qui veulent éviter que ne se forme une manifestation qui pourrait troubler l’ordre public (ACS, MI, PS, b.81, f. Mazzini).
55 L’Œuvre de Léon Blum (1945-1947), p. 68.
56 Par exemple, Socialismo, n°2, avril 1945, p. 20-21 qui rend compte de l’intervention de Pietro Nenni à la Conférence socialiste internationale de Londres.
57 Lors du référendum du 5 mai 1946, la participation est de 79,6 %. Elle tombe à 67,6 % le 13 octobre 1946.
58 ACS, MI, PS, s.1944-1946, b.8, f. Potenza. Lavello, 8 mai 1945 : Altro gruppo rimuoveva stemma sabaudo posto ufficio postelegrafico mentre un terzo irrompeva ufficio consorzio agrario frantumando quadro Re.
59 Par exemple, ACS, MI, PS, s.1944-1946, b.8, f. Rome. Le rapport relève des inscriptions murales en novembre 1944 : « À bas la monarchie sanguinaire, à bas ce cochon de Roi » (M la Monarchia sanguinaria. M quel porcino del re).
60 Pietro Nenni, Tempo di Guerra fredda. Diari 1943-1956, Milan, Sugarco, 1981, p. 490 : Una grande giornata che mi ripaga di molte amarezze e che può bastare per la vita di un militante. La battaglia per la Repubblica è vinta. Hanno cominciato a telefonarmi alle tre del mattino. Al ministero e al partito è stato un succedersi di congratulazioni e di feste.
61 FPN, F. Pietro Nenni, UA2032. Signature illisible, 7 juin 1946, Catane : Il problema che fu idea con Cicerone, sogno con Mazzini, passione con Cattaneo, sangue con Garibaldi – come scrive l’Avanti! – oggi è realtà! Realtà viva, realtà palpitante, realtà eloquente! E di chi, se non tuo, unitamente agli sforzi di tutti noi, è questo merito? D’une manière plus générale, Pietro Nenni est considéré, avec Giuseppe Romita, le ministre de l’Intérieur qui a organisé les élections, comme le principal artisan de la victoire par les socialistes. C’est essentiellement à eux que s’adressent les télégrammes de félicitations. De même, l’édition milanaise de l’Avanti ! qui annonce la victoire de la République au référendum, le 5 juin, s’ouvre par un grand article intitulé « Grazie Nenni », signé par Ignazio Silone, dont le titre barre la première page.
62 FLLB, F. Lelio Basso, s.15, UA3 : Non vuol dire una qualsiasi riforma elettorale democratica, tipo suffragio universale, perché fino a tanto che è borghese la scuola dove educhiamo i nostri figli, borghese la caserma dove son chiamati a prestar servizio, borghese la grande maggioranza della stampa che leggiamo, borghese l’ambiente in cui dobbiamo vivere, borghese la mentalità e la cultura di tutti coloro che occupano posti dirigenti, borghese sarei per dire l’aria che respiriamo, lo Stato è borghese, borghese il dominio di classe e non si può parlare di socialismo.
63 ISRT, F. Foscolo Lombardi, b.13, f.16. Congrès provincial 29 juin-1er juillet 1945. Crisci (délégué de Florence) : La democrazia cos’è? Com’è stata intesa finora? Si intende per democrazia quella indicata dalla rivoluzione francese? La democrazia della più grassa borghesia, che detiene per sé ogni privilegio, che difende tutti i suoi interessi e che li nega ai poveri, ai diseredati, ai retti? Non è questa la democrazia. La democrazia del socialismo è quella chiara e netta che tende all’abolizione delle classi.
64 Cité par Sabbatucci 1991, p. 73.
65 Les conceptions constitutionnelles du PSIUP sont inspirées par le juriste Massimo Severo Giannini. Si celui-ci se prononce effectivement pour une suppression du Sénat, le Parti socialiste n’en fait pas un point de blocage lors des négociations. Pour le détail des positions constitutionnelles socialistes : Breschi – Ciuffoletti 2018, p. 137 sqq.
66 Sur ces mutations des programmes constitutionnels des différents partis, voir : Fried 1967, p. 205.
67 La Commission des Soixante-Quinze, créée en juillet 1946 et qui cessa ses travaux en février 1947 comptait ainsi treize socialistes (dont six passèrent entre-temps au PSLI). Parmi eux, certains jouèrent un rôle central dans les débats, comme le vice-président de la Commission Gustavo Ghidini, Edgardo Lami Starnuti ou Lelio Basso. À ce propos, voir Taddei 1979, p. 17-68.
68 C’est ce qu’a bien montré Scoppola 1997, p. 161-163.
69 Repubblica democratica dei lavoratori.
70 L'Italia è una Repubblica democratica, fondata sul lavoro.
71 Cité par Degl’Innocenti 1993, p. 74 : L’idea del lavoro che assume la direzione della società era diventato un fatto positivo e concreto.
72 Article 7 de la Constitution : « L’État et l’Église catholique sont, chacun dans son ordre juridique, indépendants et souverains. Leurs rapports sont réglés par les Accords de Latran. La modification de ces accords, acceptée par les deux parties, ne nécessite pas de révision constitutionnelle » (Lo Stato e la Chiesa cattolica sono, ciascuno nel proprio ordine, indipendenti e sovrani. I loro rapporti sono regolati dai Patti Lateranensi. Le modificazioni dei Patti, accettate dalle due parti, non richiedono procedimento di revisione costituzionale).
73 Guerrieri 2007.
74 Sur ces questions et sur la façon dont la laïcité fait l’objet d’une concurrence à gauche, voir le chapitre 5.
75 Sur le radicalisme de la Libération : Duhamel – Le Béguec 1993.
76 Voir L’Œuvre de Léon Blum (1945-1947), p. 144-157.
77 Dans une série d’articles publiés à la fin septembre 1946 dans le Populaire, Léon Blum répond aux critiques adressées par Charles de Gaulle au second projet de Constitution. Le 2 octobre, dans un article intitulé « L’autorité dans la démocratie », il répond au discours d’Épinal, prononcé le 29 septembre. Après son élection à la présidence de la République, Vincent Auriol utilise également les discours présidentiels pour répondre à distance au Général de Gaulle (Roussellier 2015, p. 256-258).
78 Le détail des discussions constitutionnelles est donné par exemple par Elgey 1965. Voir aussi : Becker 2004a ; Rudelle 2004 ; Grunberg 2013 ; Clavel 2016.
79 Vincent Auriol, Hier et demain, Alger, 1944.
80 L’Œuvre de Léon Blum (1945-1947), p. 144.
81 En 1896 par exemple, pour contraindre le gouvernement Bourgeois à la démission, en refusant de voter les crédits militaires.
82 Léon Blum s’en explique par exemple dans le Populaire, « Le pouvoir judiciaire, l’organisation des partis », 11 novembre 1945 (L’Œuvre de Léon Blum (1945-1947), p. 147).
83 En Italie, la Corte costituzionale della Repubblica italiana, dont le principe est prévu dans le texte constitutionnel, n’est instaurée qu’au milieu des années 1950, après le vote d’une loi constitutionnelle en 1953. En France, le Comité constitutionnel a des pouvoirs limités, car l’article 92, qui le crée, précise que son contrôle ne s’exerce pas sur la conformité des lois au Préambule de la Constitution. Il n’a par ailleurs pas le pouvoir de censurer la loi, se contentant de signaler que le vote d’une loi implique une révision de la Constitution, ce qui semble remettre en cause la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique.
84 Les socialistes des deux pays soutiennent les projets de constitution, malgré quelques réserves : ils mettent ainsi en avant les valeurs du compromis, nécessaire dans toute entreprise constitutionnelle. Léon Blum écrit ainsi : « Ce projet est une transaction, comme ce fut le cas du précédent, comme ce fut le cas de toutes les constitutions du monde quand elles ont été délibérées, non dictées, et une transaction ne peut jamais procurer pleine satisfaction à toutes les parties transigeantes. Mais j’atteste que pour ma part je demeurerais intransigeant si je jugeais, en mon âme et conscience, que la transaction porte atteinte à l’un des principes que je tiens pour essentiels à toute constitution démocratique ». Le Populaire, « L’Autre Assemblée », 24 août 1946. L’Œuvre de Léon Blum (1945-1947), p. 298. De même, dans l’Avanti !, Lelio Basso considère la Constitution comme « le point d’équilibre des forces sociales du pays ». Cité par Degl’Innocenti 1993, p. 73 : il punto di equilibrio delle forze sociali che sono in atto nel Paese.
85 Sur la rhétorique de défense de la République, voir le chapitre 8.
86 Jeunesse, 2 mai 1946.
87 ISRT, F. Foscolo Lombardi, b.2, f.1. Interview de Silone dans Domenica, 13 janvier 1946 : Io sono per il metodo democratico e pacifico, ma questo non esclude la necessità di cambiamenti radicali. Il riformismo è proprio dei paesi nei quali la democrazia è già di casa, nei quali sono cioè da modificare solo pochi particolari di un sistema.
88 Les exemples abondent. Par exemple : ACS, MI, PS, s.1947-1948, b.48. Lors d’un meeting à Passignano (Pérouse) le 31 août 1947, le député Olindo Vernocchi s’exclame : « Nous en viendrons peut-être à prendre le pouvoir politique par la forme insurrectionnelle ». Le maresciallo des carabiniers commente : « il réussit ainsi à animer le public qui jusqu’alors avait écouté passivement ses paroles » (Addiverremo eventualmente alla presa del potere politico attraverso la forma insurrezionale/ riuscendo così ad animare maggiormente il pubblico che sino allora aveva ascoltato passivamente le sue parole).
89 À ce sujet, cf. chapitre 5.
90 Henri de Man, Au-delà du marxisme, Paris, Seuil, 1974 [1926], p. 428-429.
91 La Compagna, édition lombarde, 30 août 1945, « Pasticcini » : No so se fossero dolci, ma salati lo erano di certo! E cosi io inzuppai il mio pane della tessera nell’amaro surrogato, triste e disgustata. Triste perché mi sarebbe piaciuto mangiare i pasticcini come tanti altri avventori facevano attorno a me, disgustata perché mi sembrava troppo ingiusto che proprio ora che il popolo soffre, mentre le prospettive alimentari sono tutt’altro che liete, potesse essere ammesso che del pane venisse sottratto a chi ne ha bisogno per accontentare la gola di pochi privilegiati che probabilmente il pane della tessera buttano nell’immondezzaio. Sullo sfondo dei ricordi di Francia, si profilò nella mia mente l’immagine della ghigliottina.
92 IMSC, F. Bosio, b.100, PSIUP-PSI Sezione Vittoria. Ufficio Stampa e propaganda della federazione regionale lombarda, bulletin n.9, 18 mars 1945 : Non vi sono posizioni acquisite: in politica, oggi, non si vive di rendita. Le masse seguono i più attivi.
93 AD Tarn, 581W20, élections législatives 1946, réunions publiques, rapports de police, 7 novembre 1946.
94 FLLB, F. Lelio Basso, s.15, UA1, Foggia 1943-1945. Circulaire de la direction du Parti socialiste aux secrétaires des fédérations, 31 août 1944 : Occorre assolutamente sfatare l’ormai diffusa opinione, spesso messa in giro ad arte che il PS sia a destra del PC, che esso abbia la funzione di raccogliere i quadri piccolo-borghesi ed intellettuali, lasciando al PC la rappresentanza degli interessi immediati del genuino proletariato rivoluzionario. Il PS non è né a destra né a sinistra del PC, esso ha una sua linea politica ben definita di partito classista che vede nelle masse operaie e contadine il fulcro della sua forza e la sua ragion d’essere.
95 PP, 1W1780/83665, « Marceau Pivert », 9 décembre 1946.
96 PP, BA2316, Congrès et meetings, congrès nationaux SFIO, 1946.
97 Giuseppe Saragat, Per la Russia dei soviet. Prima repubblica socialista nel mondo, Rome, Partito socialista italiano, 1944.
98 Otto Bauer et la Révolution, Yvon Bourdet (éd.), Paris, Études de documentation internationale, 1968, p. 17.
99 AD Nord, Fédé. Nord, b.62, Compte rendu du congrès fédéral, 6 octobre 1948.
100 L’Avenir du Nord, 5 janvier 1945, « Lénine, toujours présent ! ».
101 J’ai consacré un article à la question délicate, pour les socialistes, de la célébration de la Révolution d’octobre : Cirefice 2017a.
102 ACHSP, F. Daniel Mayer, 1MA4, PCF. Document non daté mais probablement édité à la fin des années 1940. La conception d’un Thermidor stalinien n’est pas neuve et a déjà été développée dans l’entre-deux-guerres. À ce sujet, voir : Kondratieva 2017.
103 L’Avenir du Nord, 7 août 1949. Discours tenu à Phalempin.
104 À ce propos, voir Cœuré 2017, p. 121-122 : « Largement développée par Herriot, l’essentielle différence russe permet de relativiser les critiques sur la misère, la socialisation brutale des industries, l’absence de liberté de pensée comme de séparation des pouvoirs. L’interrogation sur ce thème traverse les récits de voyage. Jules Moch affirme : "Jamais le bolchevisme ne sera un article d’exportation. Jamais un ouvrier parisien n’acceptera qu’on lui impose son journal" ».
105 D’Attorre 1991a, p. 37. L’auteur note qu’au moment de la Révolution d’octobre, réaffleurent en Italie des stéréotypes du xixe siècle sur les Russes, supposés marqués par « la férocité, le paganisme, l’autoritarisme » (ferocia, paganesimo, autoritarismo).
106 La remarque de Nicole Racine pour les années 1920 est toujours valable pour la fin des années 1940 : « Si donc la critique globale de la révolution russe est difficile, sinon impossible, pour un socialiste de ces années, en raison de la solidarité proclamée avec la révolution attaquée, en revanche l’expérience sociale qui se déroule en Russie peut être jugée avec beaucoup plus de liberté » (Racine 1971, p. 302).
107 La Revue socialiste, mars 1947, « La crise du socialisme italien », Ignazio Silone. [je souligne].
108 La Revue socialiste, janvier 1947, « Révolution socialiste ou Révolution directoriale ? », Léon Blum.
109 Rosa Luxemburg est ainsi une référence centrale de la pensée de Lelio Basso (par exemple, « Il Partito socialista strumento della lotta di classe », Quarto Stato, 30 janvier 1946 où il explique que nombre de dirigeants historiques du socialisme ont basculé dans le réformisme à l’exception de quelques-uns, comme Lénine, Luxemburg et Gorter). Sur la popularité de la figure de Rosa Luxemburg en Italie, voir D’Almeida 1998, p. 123.
110 IMSC, F. Bosio, b.103, Federazione Giovanile Milano, f.390 : 30 janvier 1946 : Se al 5 maggio non avremo la Costituente faremo la rivoluzione.
111 AS Bari, Préf. Cab. iii versamento, riordinato, b.263. Rapport des carabiniers, 14 mai 1946, à propos d’un meeting tenu le 11 mai à Andria par l’orateur Michele Cicoletta : Quest'ultimo ha dichiarato esplicitamente che se la volontà del popolo si esprimerà a favore della Monarchia, i socialisti torneranno a fare i partigiani d'Italia, riparando sulle montagne.
112 Léon Blum, À l’échelle humaine, Paris, Gallimard, 1945, p. 167.
113 Sur ces questions voir par exemple : Bergounioux 1992 ; Ducoulombier 2009.
114 Bulletin intérieur, n°9, décembre 1945. Le projet a été adopté le 24 février 1946.
115 ADPSS, témoignage d’Antonio Specchio, p. 286. Le témoignage a été publié : Specchio 2008. « Beaucoup d’entre nous étions moqués, considérés comme réformistes. La zizanie était semée par les camarades communistes sectaires, même par ceux avec qui nous avions été emprisonnés » (Molti di noi eravamo derisi, considerati riformisti. La zizzania la si adoperava da parte dei compagni comunisti settari, anche da quelli con cui eravamo assieme nelle carceri). L’insulte a aussi cours en France, comme le rappelle Le Cri des Travailleurs du 26 juillet 1947 (« Jaurès, communiste ? », Julie Gervais) qui raille les communistes se réclamant de Jean Jaurès alors qu’ils le qualifiaient encore, peu de temps auparavant, de « pâle réformiste ».
116 D’Almeida 1998, p. 122.
117 « Celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, politique, […] avec la société capitaliste, celui-là je le dis, il ne peut pas être adhérent du Parti socialiste ».
118 Depreux 1972, p. 225.
119 Jeunesse, 31 mai 1945, « La dictature du prolétariat », Robert Verdier.
120 Blum l’emprunte lui-même à Victor Hugo qui l’employa, à propos des Ateliers nationaux, à l’Assemblée nationale, le 20 juin 1848.
121 Critica sociale, 15 août 1946, « Socialismo e dittatura » : Marx usava il termine "dittatura" nello stesso significato improprio nel quale si può parlare di dittatura della borghesia. Dittatura del proletariato doveva essere un regime di governo, nel quale il predominio politico-economico sarebbe stato in possesso del proletariato anziché della borghesia, rimanendo pero fermo il rispetto della democrazia, per cui veniva riconosciuto ogni e qualsiasi diritto civico a tutti i cittadini, indipendentemente dalle classi sociali cui appartengono.
122 Sur ce point, voir notamment Buton 2000.
123 OURS, F. Maurice Deixonne, 1APO45, 20 juin 1946.
124 Désignation des candidats aux législatives de juin et de novembre 1946 et votes des motions pour le congrès.
125 OURS, Fédé. Ardennes, b.10, lettre aux militants, avril 1946.
126 Par exemple, Critica sociale, 16 juin 1946, « Socialismo integrale », Nestore Tursi : « Nous reconnaissons tous dans le parti qu’avec ce nouveau rapport de force qui nous est favorable, nous devons réaliser la révolution dans la légalité […]. Mais si la classe dominante, pour échapper à l’inévitable transformation sociale, voulait sortir, une nouvelle fois, des limites de la légalité pour abolir la liberté et la démocratie, nous sommes tous prêts à l’insurrection » (Tutti nel partito riconoscono che col nuovo rapporto di forza a noi favorevole, dobbiamo compiere la rivoluzione nella legalità […]. Ma se la classe dominante, per sfuggire all’inevitabile trasformazione sociale, volesse ancora una volta uscire dalla legalità per abolire le libertà e la democrazia, tutti del partito siamo pronti all’insurrezione).
127 L’Avenir du Nord, 10 juillet 1949, « Un acte révolutionnaire ».
128 Le Réveil Ardennais, 2 août 1945, « Dépôts d’armes », Jacques Bozzi.
129 Critica sociale, n°1, 15 septembre 1945, « Al lavoro ! » : Atteggiamenti gladiatorii e [da] vacue violenze verbali/ carezzare le tendenze impulsive delle masse.
130 Critica sociale, 31 décembre 1945, « Legalità e violenza nella lotta della classe operaia », Rinaldo Rigola : Ma nelle condizioni presenti, non c’è da dubitare che i partiti di massa, e il partito socialista in particolare, memori delle loro più belle tradizioni, accederanno alle urne con ordine e disciplina, dando al mondo la prova della loro maturità politica.
131 Socialismo, juin 1945, « Pro-memoria », Ignazio Silone : È necessario dimostrare che ogni agitazione non è di per sè rivoluzionaria? Tra un’agitazione fine a se stessa e la rivoluzione creatrice passa la stessa differenza che tra la masturbazione e l’amore.
132 L’argument de la montée du fascisme pour justifier la violence s’impose au sein du PSI dans les années de guerre froide, quand ses membres considèrent les manifestations violentes contre le gouvernement comme légitimes car visant à faire obstacle à la supposée tentative autoritaire de la DC. Sur ce point, voir le chapitre 8.
133 Critica sociale, 31 décembre 1945, « Noi e i comunisti », Virgilio Dagnino : Noi abbiamo delle nostalgie tolstoiane ma, di fronte alla incredibile vitalità delle forze del privilegio, dobbiamo cercare di convincerci che è più morale giustamente darle, che ingiustamente prenderle, e che il mondo andrà meglio quando gli amanti del vero e del buono avranno tanto coraggio, tanta decisione e tanta energia quanto ne hanno, e ne hanno sempre avuto, gli egoisti e i farabutti.
134 Le parallèle entre les deux révolutions – souvent pour justifier la violence du processus révolutionnaire russe – est fréquente dès les années 1920. Cœuré 2017, p. 44.
135 Palmiro Togliatti et Pietro Nenni, Viva la Rivoluzione d’Ottobre, Discorsi pronunciati a Roma il 12 novembre 1944, Rome, Società Editrice Unità, 1945 : Gli oratori più eleganti della Rivoluzione di Febbraio come i girondini francesi, parlavano di libertà, di giustizia, di progresso e ciò suonava dolce alle orecchie degli avvocati, dei professori e dei giornalisti. Ma essi non sapevano colpire le forze reazionarie nei loro covi e nei loro capi, e ciò era molto triste per i lavoratori i quali vedevano riformarsi, contro di loro, contro la libertà, il fronte di lotta della reazione.
136 Sur la question de la continuité entre fascisme et République, voir par exemple Woller 2004 ; Cassese 2014 ; Dogliani – Matard-Bonucci 2017 ; Nicolo – Fimiani 2019.
137 FPN, F. Pietro Nenni, UA2024, lettre d’Antoniolitti, Rome, 24 août 1944 : Si è voluto creare artificiosamente un problema di giovani e vecchi, di puri ed impuri, di eroi e di codardi/ qualcuno che per aver sparato delle revolverate […] si ritengono dei puri socialisti/ I primi, te lo ripeto, sono un residuo di una mentalità fascista ed essi per distinguersi si definiscono socialisti rivoluzionari e […] si forma uno spirito di corpo di squadrismo rosso che l’ebbrezza di una facile vittoria ha esaltato e fa credere loro che pochi mesi di lavoro illegale sono la migliore scuola, o forse l’unica, per essere dei coscienti socialisti.
138 Il ajoute : « La violence forme des êtres violents et ceux-ci ne conviennent pas pour établir un ordre d'où la violence serait bannie. Les effets psychologiques de la guerre mondiale sont suffisamment probants à cet égard ». Henri de Man, Au-delà du marxisme, Paris, Seuil, 1974 [1926], p. 252.
139 Par exemple, une note de police de Bari relève le 4 juin 1947 : « Dans les partis de gauche, on a la conviction que si un mouvement insurrectionnel devait se déclarer, celui-ci trouverait l’appui des forces de police de l’Italie septentrionale » (AS Bari, Préf. Cab. iii versamento, riordinato, b.224. Mattinali della Questura 1947 : Nei partiti di sinistra va affermandosi la convinzione che qualora si dovesse iniziare un movimento insurrezionale esso incontrerebbe il consenso delle forze di polizia dell'Italia settentrionale). De même, le 15 novembre 1947, pendant les grèves de l’automne, un Pro-memoria destiné au préfet fait état de rumeurs : « Une vive crainte se diffuse dans la ville et, bien qu’une grande majorité des travailleurs semble contraire à la grève, on craint que puissent être provoqués des incidents par des individus qui ont intérêt à pêcher en eaux troubles, parce que, selon des informations non vérifiées, des agitateurs du nord seraient arrivés parmi nous » (Ibid. : Vivo allarme si va diffondendo in città e, sebbene una grande maggioranza dei lavoratori sembri contraria alla astensione dal lavoro, tuttavia si ritiene che possano essere provocati incidenti da parte di elementi interessati a pescare nel torbido, anche perché, secondo notizie confidenziali non controllate, sarebbero qui giunti elementi sobillatori dal nord). Sur l’ambiguïté du discours socialiste à l’égard de l’URSS et de l’Armée rouge, voir le chapitre 8.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
« L’espoir quotidien »
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3