Chapitre 1
Reconstruire
p. 31-89
Texte intégral
1À la fin de la guerre, SFIO et PSIUP partagent des ambitions communes : recréés pendant le conflit, les deux partis doivent à la fois convaincre qu’ils sont capables d’offrir une solution aux problèmes de l’heure et reconstruire leur force politique, à l’échelle locale, nationale et internationale. La Libération donne lieu à un formidable afflux de militants et d’autres enjeux se font alors jour : quelle place convient-il de donner à ces nouveaux socialistes, dont une petite part a été politisée dans la Résistance ? Ce qui se joue dès lors, c’est une tension entre la tradition, si structurante pour le parti, et la volonté d’une partie des membres de puiser à d’autres sources l’énergie du renouvellement. Dans la vie politique nouvelle qui s’annonce, la question de la participation et des alliances occupe les débats et laisse voir des conceptions différentes de la société et du parti, ainsi que des objectifs que celui-ci doit poursuivre.
2Il s’agit ici de comparer l’évolution des deux partis à la Libération et d’étudier la réalité de leurs liens, qui ne sont pas encore distendus sous l’effet combiné de choix stratégiques différents et de la guerre froide. Si l’année 1947 apparaît effectivement comme celle de toutes les ruptures, il semble important d’isoler cette période de deux ans comprise entre les étés 1944 et 1946, trop souvent perçue comme dénuée de physionomie propre, comme suspendue entre la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide et menant nécessairement de l’une à l’autre1. Au contraire, en mettant à distance les lectures rétrospectives, il convient de revisiter ces deux années à partir du point de vue des contemporains, deux années lors desquelles, dans un monde en plein bouleversement, les choix des acteurs sont porteurs de potentialités multiples.
I. Refonder le parti
I.1. « Le pieux passé » et « le bel aujourd’hui »
3La chronologie et les dynamiques de la reconstruction des deux partis, depuis les réunions clandestines propédeutiques jusqu’à la renaissance officielle de la SFIO et du PSIUP, sont désormais bien connues2. Il s’agit plutôt ici de montrer ce que les débats de la Libération disent des sensibilités qui cohabitent au sein des partis socialistes. L’approche en termes de culture est ici féconde, car les contemporains eux-mêmes perçoivent de cette façon les tensions qui traversent leurs formations, en mettant en évidence que ce n’est pas l’idéologie qui les divise, mais des approches du politique, des aspirations et des sensibilités différentes. Reconstruire un parti, ce n’est pas uniquement réfléchir à une organisation, un programme, une ligne de conduite, c’est aussi composer avec les aspirations des nouveaux venus tout autant qu’avec les fidélités au passé et à la tradition. L’afflux massif de militants – en 1946, la SFIO revendique 350 000 adhérents et le PSIUP le double – est donc un enjeu central de la période. Sans opposer artificiellement les anciens adhérents aux nouveaux venus, parfois perçus comme plus jeunes et plus impulsifs – parce qu’on les imagine politisés dans la Résistance, ce qui n’est le cas que d’une minorité –, il est évident que les partis se reformant après une période de clandestinité durable, affrontent nécessairement la question problématique de l’équilibre entre « le cher, le doux, le pieux passé » et « le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui »3.
4L’historiographie considère généralement la Libération comme une occasion manquée. C’est le cas des ouvrages de Giovanni Sabbatucci – au titre évocateur : Le réformisme impossible – ou de Gérard Grunberg et Alain Bergounioux qui, quant à eux, déplorent ce qu’ils nomment l’« intégrisme doctrinal » dont ferait preuve la SFIO de la Libération. Certains titres de chapitres comme « L’impossible social-démocratie » ou bien « Le refus de la révision »4, témoignent de cette lecture de la période : la vieille SFIO aurait perdu l’occasion de se renouveler tandis que le PSIUP, obnubilé par la division de la classe ouvrière qu’il juge responsable de la montée du fascisme, s’arrime au Parti communiste sans autre forme de procès. Cette analyse véhicule pourtant une conception téléologique de l’histoire, vue comme celle de mouvements socialistes appelés nécessairement à faire leur mue, abandonnant un marxisme issu du xixe siècle et donc teinté d’archaïsme. Le topos historiographique de l’occasion manquée conduit à célébrer comme des précurseurs les personnalités non marxistes ou moins réceptives à ces théories, comme Léon Blum5, André Philip ou Giuseppe Saragat. L’« occasion manquée », traduit ainsi la hantise d’un Bad Godesberg français qui ne vient pas et constitue une réflexion davantage politique qu’historique. L’analyse de la période tient ainsi parfois du jugement de valeur et d’un parti pris idéologique, opposant le bon Léon Blum au mauvais Guy Mollet, l’homme du Front populaire à celui de la Guerre d’Algérie, ce qui ne peut constituer une méthode satisfaisante pour étudier l’année 1946, à égale distance des deux épisodes6.
5Il semble au demeurant plus utile de comprendre pourquoi cette tentative d’ouverture est perçue comme une trahison par une majorité de militants, ce qui se traduit par la défaite de Daniel Mayer lors du congrès de 1946. Le rejet du rapport moral, épisode fracassant dont Léon Blum saisit immédiatement toute la portée en soulignant qu’il n’a pas d’équivalent dans l’histoire du parti, montre bien ce qui se joue. Il est facile de caricaturer les congressistes en militants passéistes, incapables de saisir les évolutions d’un monde nouveau et d’ironiser sur l’élection de Guy Mollet, orateur moyen, résistant contesté7 et surtout futur président du conseil marqué par l’opprobre de sa politique algérienne. Mais, ce qui se joue en 1946, c’est la redéfinition du sentiment d’appartenance qui anime une partie des militants et le refus d’une majorité d’entre eux de ce qui leur apparaît comme la fin d’une tradition. Ce qui nous intéresse ici, c’est donc l’équilibre instable entre la continuité du mouvement ouvrier, l’idée de renouer le fil interrompu par le fascisme et Vichy et, d’autre part, la nécessaire refondation des partis, le souhait d’un nouveau départ au moment de la Libération, symbolisé par la numérotation de quasiment toute la presse socialiste qui recommence à zéro, entamant une « nouvelle série ».
6Cette volonté d’ouverture du parti, bien réelle, possède deux motivations principales. Elle tient d’abord à l’impression que le parti a échoué, incapable d’empêcher l’arrivée au pouvoir du fascisme et la constitution de l’État français. En France, cette idée est forte et le parti a beau proclamer que tous ceux qui avaient failli ont été exclus8, la SFIO sait qu’elle doit composer avec une image parfois ambivalente dans l’opinion. En Italie, la culpabilité est autre, car l’origine socialiste de Mussolini n’est guère évoquée et les cas de collaboration d’anciens socialistes avec le fascisme sont rarement éclatants. Ce sont au contraire les conditions d’accès au pouvoir de Mussolini qui cristallisent regrets et remords. Le contraste entre le Biennio rosso où les organisations ouvrières semblent en mesure d’imposer, sinon la Révolution immédiate, du moins des avancées sociales significatives, et la Marche sur Rome quelques mois plus tard est saisissant. L’analyse est vite faite : entre les deux épisodes, le congrès de Livourne en 1921 a divisé la classe ouvrière en deux partis antagonistes. Dès lors, l’unité de la classe ouvrière s’impose et il faut aussi comprendre le « fusionnisme » d’une partie des socialistes de cette façon9.
7L’autre raison tient, elle, aux contingences de la lutte et aux liens qui ont pu se créer, au gré des rencontres dans les réseaux de résistance, avec des hommes et des femmes appartenant à d’autres familles politiques. En France, la tentation de s’allier avec des forces issues de la Résistance, au premier rang desquelles figurent les MUR – Mouvements unis de la Résistance –, est perçue par une partie des militants comme une tentative de créer un grand parti travailliste français10. Cette possibilité est récusée, car elle est vue comme un abandon du marxisme et donc comme une forme de trahison de l’histoire socialiste.
8La question se pose aussi avec force en Italie, où certaines formations – le Parti d’Action ou le Mouvement d’unité prolétaire – proposent au Parti socialiste des possibilités de dépassement. Le petit mouvement milanais du MUP, créé à Milan autour de Lelio Basso, ambitionne justement de dépasser la scission de Livourne et d’unifier, au sein d’un seul parti, l’ensemble du prolétariat11. En août 1943, prenant toutefois acte du fait que les deux anciens partis ne se dissoudraient pas dans le mouvement, le MUP décide de confluer dans le PSIUP, pour ne pas ajouter de division au mouvement ouvrier. Le mouvement avait cependant le projet, comme de nombreux acteurs de la Résistance en France et en Italie, de dépasser la tradition des anciens partis, une nouvelle fois au cœur de la réflexion, considérant que la guerre avait gommé les schémas préexistants et appelait de nouvelles formes à émerger. Dans l’une des éditions clandestines de l’Avanti !12, Lelio Basso écrivait ainsi :
Même si nous revendiquons tout ce qui fut bon – et il y en eut beaucoup – dans la tradition socialiste et communiste italienne, le nouveau parti doit se sentir libre du poids et des contraintes que ces traditions représentent souvent, et doit donc être l’expression de la nouvelle conscience prolétarienne, agile, émancipée, propre aux réalités changeantes13.
9La tension entre volonté de renouvellement et fidélité à une histoire se résout cependant en faveur de la seconde, une grande partie des militants socialistes n’étant pas prêts à dépasser une fidélité historique pour laquelle ils avaient enduré prison et exil14. Par ailleurs, le MUP, très lié à la région milanaise et à la lutte de libération, manque de cadres et a une audience assez limitée. L’épisode montre que toute tentative de s’affranchir de la tradition socialiste échoue, qu’elle soit perçue comme une tentative de dépassement par la droite ou, comme ici, par la gauche. C’est ce que résume l’Avanti ! di Puglia qui établit une distinction stimulante entre le socialisme, profondément lié à son passé, et le fascisme qui balaye toute référence historique :
Aux côtés des vieux camarades, on retrouve la prometteuse jeunesse en fleurs, accourue pour reprendre entre ses mains la flamme du socialisme, pour la porter toujours plus haut, sans oublier les enseignements du passé et l’expérience des vieux camarades. Elle vient remplacer la fatuité du mépris fasciste pour tout ce qui rappelait le passé [et] la mémoire15.
10Le problème central est donc celui de la tradition. Le socialisme a une conscience aigüe de la continuité historique et les commémorations innombrables – dans la presse, mais aussi par des manifestations – d’événements historiques proches et lointains témoignent de cette vision d’une histoire socialiste de l’humanité, prenant racine dans les luttes des Gracques ou dans la Guerre des paysans, rebondissant avec la Révolution française, les révolutions du xixe siècle et la Commune. Proposer de s’affranchir de cette tradition, c’est s’exclure du socialisme, c’est briser une continuité qui n’a de sens que par sa fin dernière : la Révolution conduisant au triomphe du socialisme. Les discours de la Libération de Léon Blum montrent bien qu’il a conscience de cette contrainte et qu’il connaît la sensibilité de la question, comme lors de sa première prise de parole publique après son retour de captivité, en mai 1945 :
Il faut à la fois que nous donnions l’impression de la continuité et l’impression du renouvellement. Il faut que nous montrions tout à la fois que nous sommes toujours le Parti socialiste, le même Parti socialiste, et que nous sommes en même temps un parti socialiste renouvelé, rajeuni, transformé. Oh ! Non pas dans la doctrine. Nous pourrons avoir, quand nous entreprendrons ce travail, des modifications à introduire dans la présentation, dans l’expression de sa doctrine, mais, sur le fond, nous n’aurons rien à changer16.
11Dans ce discours intitulé « continuité et renouvellement », le dirigeant socialiste montre qu’il a conscience des nécessités de l’heure, le socialisme ne pouvant apparaître, face aux forces politiques nouvelles issues de la Résistance et au Parti communiste renforcé dans son prestige, comme une simple réédition du parti de la Troisième République, au risque d’être perçu, comme le Parti radical, comme une force politique du passé. Mais ce renouvellement selon Léon Blum n’est qu’un rajeunissement, un changement essentiellement formel, car la doctrine – supposée n’avoir pas failli pendant la guerre – doit demeurer inchangée. Cela signifie que l’innovation politique n’est possible que dans les limites d’une tradition qui trace un sillon dont il ne s’agit pas de dévier. Non parce que le socialisme ancien est supposé infaillible et sans tache, mais parce que la vision de l’histoire est absolument continuiste : le cheminement de la classe ouvrière est un processus suivi, tendu vers une fin victorieuse. Se placer en dehors de l’histoire particulière du mouvement ouvrier, c’est s’exclure de la marche générale de l’histoire.
12Dès lors, si cette doctrine fait l’objet de divers remaniements à la Libération, car les dirigeants du parti estiment nécessaire de se montrer sous un visage neuf, c’est toujours au nom d’une supposée tradition17. Léon Blum gomme un certain nombre de références au marxisme, comme « la dictature du prolétariat » et « la lutte des classes » dans un nouveau projet de Déclaration de principes qu’il présente au cours de l’été 1945. Le terme même de prolétariat est remplacé par une mention plus neutre des « travailleurs ». C’est ce nouveau projet qui fait l’objet de vifs débats au congrès de 1945, Léon Blum devant défendre ses positions à la tribune où il s’exclame :
J’ai bien senti, en écoutant les orateurs qui se sont succédé à la tribune hier soir et ce matin, que, dans les statuts nouveaux, et surtout dans le nouveau projet de déclaration du Parti, dont je m’excuse d’être l’auteur, quelque chose avait heurté, froissé, choqué la sensibilité de beaucoup de nos camarades et, en particulier, des militants les plus anciens de notre parti. Ce sont des sentiments que je comprends, des sentiments que je respecte18.
13Ici aussi, ce qui est en cause, c’est un rapport d’ordre émotionnel, sensible et affectif à la politique. La modification des statuts touche aux affects : certains militants ont alors l’impression d’être dépossédés de leur histoire, la SFIO risquant de ne plus s’identifier ni à la lutte des classes ni à la révolution. Léon Blum ne réussit à faire adopter son point de vue qu’en en appelant à la tradition qui prend une nouvelle fois les traits de Jean Jaurès, à l’égard de qui les militants nourrissent souvent une piété filiale :
Jaurès nous a appris une fois de plus ce que c’est qu’une tradition […]. Une tradition, ce n’est pas l’attachement à la lettre ; c’est l’attachement à une idée qui vit. La tradition, cela ne consiste pas à marcher dans la trace exacte de nos aînés ; cela consiste à marcher dans leur direction, et en avançant, si nous le pouvons, plus loin qu’ils s’étaient avancés eux-mêmes. […] Vous vous rappelez l’image admirable de Jaurès : il ne s’agit pas de conserver une cendre, il s’agit d’entretenir une flamme et c’est cela la véritable fidélité à une tradition.
14Blum montre ici une vraie clairvoyance quant au fonctionnement du parti, où les affects et les sentiments jouent un rôle considérable. S’il réussit, en 1945, à sauver les apparences, il n’a pas le même succès un an plus tard, ses adversaires jouant justement de cette idée d’une tradition trahie.
15À l’inverse, alors que les socialistes d’avant-guerre sont désormais moins nombreux que les nouveaux venus, mais qu’ils occupent la plupart des postes à responsabilité au sein du parti et les fonctions électives19, se pose la question de l’intégration de nouveaux militants à une tradition politique que l’on a vue assez rigide. Lelio Basso n’a ainsi de cesse de mettre en garde Pietro Nenni quant aux difficultés d’amalgamer nouveaux venus et cadres anciens. Dans une lettre datée du 24 mai 1945, il pose le problème lui aussi en termes de « mentalités », dénonçant une refondation du parti qui fait la part belle aux « vieux camarades d’il y a vingt ans, liés à une vieille mentalité ». Or, l’enjeu est d’« être capable d’attirer les jeunes et pour les attirer, il ne faut pas exhumer les D’Aragona et les Azzimonti20, comme on le fait en ce moment ». Face à une demande de renouvellement émanant de militants politisés dans la Résistance ou à la Libération, le Parti socialiste ne peut se contenter de proposer des cadres liés au réformisme, car il risque d’abandonner le terrain révolutionnaire au PCI qui recrute auprès du même public. De plus, Basso estime qu’au sein du PSIUP, les nouveaux adhérents se trouvent souvent mal à l’aise, à cause de « l’hétérogénéité de la composition du parti, dans lequel les deux âmes, celle préfasciste et celle des jeunes formés à notre école [du MUP], n’ont pas encore réussi à trouver un équilibre […] entre les valeurs traditionnelles et les nouvelles valeurs révolutionnaires »21.
16En France, on retrouve des choses semblables avec, parfois, la volonté de remplacer certaines figures d’avant-guerre par des militants plus jeunes, même si ces cas demeurent exceptionnels. En effet, comme l’ont montré les travaux de Noëlline Castagnez, le personnel politique de la SFIO est peu renouvelé à la Libération, n’étant ni franchement rajeuni, ni réellement féminisé22. Dans les départements étudiés, certains des notables d’avant-guerre comme Jacques Bozzi23, le maire de Charleville ou Salomon Grumbach, député du Tarn et spécialiste des questions internationales à l’Assemblée, sont toutefois mis en minorité par des militants plus jeunes, appartenant certes au parti depuis l’avant-guerre, mais n’ayant pas exercé de fonctions électives de premier plan24.
I.2. Une nécessaire refondation morale
17Dès son retour en France, Léon Blum évoque, dans la quasi-totalité de ses interventions publiques, le thème de la moralité, jugeant le pays « plongé dans une espèce de convalescence fatiguée et nonchalante », propre au développement de « toutes les infections » et nécessitant un « assainissement moral »25. La thématique de la nécessaire régénérescence morale de la société tout entière, avilie par le fascisme, Vichy et par la guerre même qui fait de l’homme une bête, est développée dès les années de conflit avant d’être reprise à la Libération et de constituer un thème central de nombreux discours et articles, au moins jusqu’en 1946. On considère souvent que c’est une thématique exclusivement blumienne, développée dans À l’échelle humaine, et qui aurait ensuite infusé toute la culture socialiste, à partir du moment où l’ouvrage est largement diffusé, lors de sa publication par Gallimard en 1945. Il est indéniable que le vieux dirigeant socialiste a joué un rôle central dans la façon de considérer le problème politique de la Libération de cette façon, mais on ne saurait en faire la seule source d’un sentiment qui s’exprime largement dès 1944 aussi bien en France qu’en Italie.
18Il n’est par ailleurs pas surprenant que dans une société durement éprouvée par le double fléau de la guerre et du fascisme, la question de la reconstruction d’une moralité publique et politique apparaisse comme un impératif. Le thème est ainsi caractéristique des premiers discours de la transition à la Libération, ceux-ci traitant dans un même mouvement de « la reconstruction matérielle et morale du pays »26. Le livre de Léon Blum participe de cette logique. Écrit en 1941 et publié à la Libération, l’ouvrage bénéficie aussi de l’aura immense acquise par son auteur grâce au procès de Riom, où, en compagnie de Daladier, il personnifia la République et la probité face au tribunal vichyste. Dressant le constat d’une société française avilie, Léon Blum accuse la bourgeoisie, marquée par « l’altération, le vieillissement, le dépérissement », d’avoir failli et d’avoir ainsi conduit le pays à la ruine27. Malgré cela, l’ancien président du Conseil n’épargne pas les socialistes et la classe ouvrière en général, dressant le constat d’un prolétariat qui ne sut pas s’élever à la hauteur de sa fonction historique, se rendant incapable de supplanter la bourgeoisie par son abnégation et son exemplarité :
Il s’agit exactement de savoir pourquoi, au moment où l’effondrement de la bourgeoisie créait une vacance du pouvoir, le peuple des travailleurs, par l’intermédiaire de ses représentants légitimes ne s’est pas saisi de la succession ouverte […]. Le fait que le peuple des travailleurs ne fût pas coupable des fautes qu’on faisait peser sur lui ne suffisait pas pour le rendre digne de la mission de souveraineté qui s’offrait à lui. La bourgeoisie s’effondrait parce qu’elle s’était révélée indigne de son rôle ; il fallait que la classe ouvrière apparût digne du sien. La souveraineté implique une supériorité. La moralité de la classe ouvrière pouvait bien être demeurée intacte, mais il aurait fallu par surcroît que sa supériorité morale fût éclatante, et voilà ce qui a manqué. Il a manqué, pour entraîner la nation, une générosité, une magnanimité, une prestance idéale, une évidence de désintéressement et de sacrifice à l’intérêt collectif, tout ce que Nietzsche appelle quelque part « le grand style dans la morale », tout ce par quoi la morale touche à la religion et la propagande à l’apostolat28.
19Le cœur de l’argumentation de Léon Blum réside dans cette formule, « la souveraineté implique une supériorité », qui donne la direction à suivre à la Libération : le socialisme ne pourra s’imposer que s’il prouve de façon éclatante sa supériorité morale, s’il fait triompher une éthique du désintéressement à mille lieues de la défense égoïste de privilèges qui tenait lieu de boussole à la bourgeoisie. Mais le prolétariat ne s’est pas montré suffisamment grand, refusant, dans l’urgence, de travailler davantage ou faisant chuter les cadences de production. Ce qui était compréhensible devant l’apathie d’une bourgeoisie ayant oublié tout principe patriotique et préférant Hitler à la classe ouvrière, ne l’était pas au regard de la tâche historique qui était celle du prolétariat, qui aurait dû, par son désintéressement et son sacrifice, entraîner la nation tout entière.
20La même idée se développe en Italie, comme dans ces lignes de Rivoluzione socialista, journal des jeunes socialistes, qui associent également morale et légitimité à exercer le pouvoir :
L’idée socialiste est essentiellement, avant toute autre chose, une idée morale, et, en un sens, presque religieuse. Je me sens à l’aise avec un homme honnête qui ne sait rien ou ne s’intéresse pas au socialisme, mais je ne prendrais pas par le bras un homme malhonnête possédant la carte du Parti. L’ouvrier qui vole systématiquement quelque chose à l’usine dans laquelle il travaille a une conception curieuse de l’affaiblissement de la société capitaliste. Demain, il volerait sa coopérative. […] Nous gagnerons notre bataille si nous sommes capables de donner aux Italiens la certitude que nous avons non seulement un programme, mais les forces morales pour le réaliser29.
21Dans ces conceptions, le pouvoir semble promis à ceux qui seront capables de s’élever moralement, ce qui s’inscrit dans une double tradition. C’est d’abord une conception inextricablement liée au pouvoir lui-même et surtout aux tentatives de légitimation de celui-ci, qui insistent sur le mérite de celui qui l’exerce. Depuis la uirtus de la Rome antique, caractérisant l’aristocratie sénatoriale jusqu’aux constructions contemporaines autour de la figure de la droiture morale – l’Incorruptible – le pouvoir se légitime aussi par une supériorité morale autoproclamée30. S’ajoute à cela une tradition de matrice chrétienne, ce que nombre de commentateurs ont souligné à propos de À l’échelle humaine, qui invite les fidèles à tendre vers la perfection éthique désintéressée, permettant, à long terme d’en recueillir les fruits. Ici les deux éléments sont enchâssés dans un schéma qui garde de la téléologie marxiste le caractère inéluctable de la prise de pouvoir par le prolétariat, même si, comme prend soin de le souligner Léon Blum, ce qui est « nécessaire » n’est pas forcément « juste », ce qui doit pousser la classe ouvrière à se rendre digne des enjeux qui l’attendent. L’influence de Charles Péguy, et de la réflexion sur le lien – et les différences – entre mystique et politique se fait peut-être alors sentir31.
22Le thème de la morale est ensuite étroitement lié à la question de l’épuration du parti, les deux formations jugeant nécessaire de reconstruire sur des bases saines. En Italie, le processus vise surtout à éviter l’infiltration d’anciens fascistes convaincus au sein du parti : il s’agit souvent de comprendre si la possession d’une carte du Parti national fasciste était rendue nécessaire par la position professionnelle du militant, ce qui constitue souvent une excuse permettant d’être accepté ou réintégré dans le parti. La très large diffusion des cartes du PNF empêche effectivement de la considérer comme seul critère de tri. En revanche, si le militant est considéré comme un fasciste zélé ou plus encore s’il a prêté son concours à la République sociale après 1943, l’inscription lui est généralement refusée. À Milan, la section Zara refuse ainsi d’inscrire un candidat, car il « a été épuré de l’administration postale, car inscrit au PFR [Parti fasciste républicain, à l’époque de la RSI], il a appartenu à la Milice postale et à la police des PTT. Il a fait partie de la Bridage noire Resega »32. La date de la demande d’inscription – 5 mai, alors que Milan n’a été libérée qu’à la fin avril – témoigne par ailleurs de la volonté de certains hommes compromis avec le fascisme, de rejoindre les partis du CLN pour restaurer leur réputation et se protéger des représailles. Dans une section voisine, l’adhésion d’un candidat est également refusée, car il « pavoisait avec l’uniforme de la Milice, était un danger pour ses voisins, menaçant quiconque parlait mal du fascisme et de ses chefs »33. À Arezzo, ceux qui ont brièvement adhéré au fascisme, pour peu que ce ne soit pas pendant la RSI, sont généralement acceptés, mais on diligente en revanche une enquête sur ceux qui ont rejoint le mouvement très tôt, comme un candidat à l’adhésion qui fut membre du PNF de 1927 à 194334.
23En France, où la période de clandestinité a été bien moins longue, il s’agit surtout de châtier tous ceux qui ont conservé leur poste sans autorisation du parti, notamment dans les institutions municipales, à l’été 1940 – quoique là aussi des exceptions pour services rendus à la résistance aient été octroyées. Pour les parlementaires, c’est le vote du 10 juillet 1940 qui fait loi : le congrès extraordinaire de novembre 1944 confie à une commission des parlementaires le soin d’examiner le cas des députés n’ayant pas voté « non ». Ceux-ci avaient déjà été condamnés, dès septembre 1940 en zone nord par l’intermédiaire d’Amédée Dunois, et exclus officiellement en zone sud en mai 194135. En 1944, quatre-vingt-trois exclusions sont prononcées, contre douze réintégrations, après une période de suspension de tout mandat pour une législature36. Le seul à avoir voté « oui » maintenu de plein droit est Raymond Gernez, en raison de grands services rendus à la Résistance. Certaines fédérations se trouvent alors décapitées, comme la Haute-Vienne qui voit six de ses sept parlementaires d’avant-guerre exclus, le dernier, Léon Roche, qui avait refusé de voter les pleins pouvoirs, étant décédé pendant le conflit37. Certaines fédérations tentent bien de faire valoir le poids électoral de l’un de leurs dirigeants pour demander une sévérité moindre, mais c’est peine perdue. Ainsi, dans le Nord, malgré les efforts de Victor Provo, Charles de Saint-Venant, ancien maire de Lille (1937-1940) est réintégré, mais suspendu, ce qui l’empêche de concourir lors des élections de la Libération38.
24Au congrès de 1944, la SFIO annonce ainsi sa volonté de faire place nette. Cette opération, menée en personne par le secrétaire du Parti, Daniel Mayer, est contestée par les militants de certaines fédérations – au point qu’on a pu en faire l’une des causes de sa chute, au congrès de l’été 1946 – mais est aussi plébiscitée par d’autres, comme Jacques Bozzi, qui s’en félicite dans le Réveil Ardennais en insistant sur la question morale : « Une caractéristique particulièrement saillante de ce congrès, c’est une rigide volonté, une volonté presque féroce de propreté. J’entends de propreté politique, de propreté civique »39. La question de l’épuration du parti occupe, en tout cas, une place centrale dans la première année qui suit la fin de la guerre, au point de figurer en bonne place dans le rapport moral de Daniel Mayer au congrès de l’été 1945, celui-ci se félicitant de ce qu’il considère comme la première grande réalisation du socialisme de la Libération, lui permettant de se projeter dans l’avenir :
La première grande victoire que nous ayons remportée l’a été sur nous-mêmes. Le Parti est sorti purifié, retrempé, rajeuni, rénové, transformé, de la lutte clandestine, après avoir chassé délibérément et – j’en ai la ferme conviction – définitivement, tous ceux qui, de près ou de loin, le 10 juillet 1940 et depuis lors, avaient trahi à la fois la République et la patrie40.
25La SFIO décide ainsi de mettre l’accent sur l’épuration, insistant sur sa volonté de laver l’honneur du parti et garantissant que non seulement les traîtres ont été exclus, mais avec eux les hésitants et les timorés, dessinant l’image flatteuse d’un parti de seuls résistants. Cependant, comme le relèvent Gilles Morin et Noëlline Castagnez, cela conduit au paradoxe d’une SFIO qui, en valorisant les rigueurs de l’épuration, met « en lumière ceux qu’elle souhaitait voir oubliés »41. De même, la SFIO rechigne à mettre en avant ses morts, pourtant nombreux42, considérant qu’il est immoral, comme le font certains de « battre le tambour sur le cercueil de ses martyrs »43. Cette attitude ne dure toutefois qu’un temps et, rapidement, le parti célèbre lui aussi ses grands hommes tombés pendant le conflit. La première attitude n’est cependant pas sans conséquence à long terme, les socialistes étant régulièrement absents des forces de la Résistance énumérées lors de commémorations officielles et jusque dans l’historiographie contemporaine44. Cela conduit à une minoration de l’image de la SFIO comme parti résistant, dont les socialistes pâtissent d’autant plus qu’ayant refusé de mettre sur pied une organisation de résistance spécifiquement socialiste, ils sont peu visibles dans une Résistance à laquelle ils participent pourtant massivement. La comparaison avec l’Italie est ici éclairante : les socialistes peuvent certes se prévaloir d’un antifascisme ancien, mais le rôle des formations combattantes Matteotti est immense, comme le démontre la grande popularité de leurs dirigeants au premier rang desquels Sandro Pertini45.
26La SFIO espère ainsi se distinguer par son intransigeance et son éthique et donc attirer de nouveaux militants, eux-mêmes irréprochables. Le parti insiste sur cet aspect, ce qui lui permet aussi d’expliquer l’importance moindre de ses effectifs par rapport au PCF par un souci plus grand de sélection. Les Jeunesses socialistes mènent ainsi une campagne contre l’Union de la jeunesse républicaine de France, accusant les communistes d’avoir créé une organisation se développant artificiellement, débordant sa base ouvrière et populaire, en étant peu regardants sur le passé politique de leurs nouveaux militants :
Malgré la dépolitisation qui frappe la classe ouvrière, nous nous sommes renforcés numériquement, et ceci sans avoir besoin de faire appel « à toute la jeunesse ». Nous n’avons que faire des zazous bourgeois ou des gangsters de bon ton du marché noir46.
27Pierre Mauroy, dans ses mémoires, évoque son adhésion et l’impute justement à cette intransigeance : « La SFIO avait de quoi séduire. L’élite sortait de l’ombre, la plus dure école, celle du sacrifice. Elle était intransigeante. Tous ceux qui s’étaient compromis, si peu que ce soit, avec le régime de Vichy ont été impitoyablement éliminés »47. Si le texte, rédigé plus de trente ans après les faits et à un moment où la rivalité avec le PCF n’est pas éteinte, doit être reçu avec précaution, il est en tout cas certain que la politique du parti fut rigoureuse et que le doute ne profita généralement pas à l’accusé, les exclusions se multipliant, même en présence de preuves parfois ténues. Le cas de Pierre Sorton, expulsé par la fédération des Ardennes paraît emblématique. Instituteur, résistant, vice-président du CDL, il joue un rôle important dans la reconstitution de la SFIO dans le département. Il est cependant accusé d’avoir une moralité douteuse et d’avoir peut-être profité de l’épuration pour s’enrichir. Alors que c’est un des militants les plus en vue, comme en témoignent ses interventions publiques et ses articles dans le Réveil Ardennais, certains militants demandent son exclusion, appuyés par Andrée Viénot qui joue un rôle politique croissant à la Libération. Veuve de Pierre Viénot, député des Ardennes, membre du gouvernement du Front populaire et mort à Londres pendant la guerre, elle jouit d’une grande autorité morale. Elle adresse ainsi une lettre à la fédération :
Or plus que jamais, notre parti doit être le parti de la propreté morale, le Parti « pur et dur » que réclame André Philip […]. En bref, ce qui vous est demandé, c’est ceci : Sorton est-il moralement qualifié pour jouer un rôle de leader dans le Parti socialiste ? Est-il qualifié pour s’occuper de l’éducation des Jeunesses et leur servir d’exemple ? Est-il dans l’intérêt du Parti d’être représenté au CDL et dans les conférences de propagande par un homme de la moralité et de la réputation de Pierre Sorton ? Vous répondrez suivant votre conscience. J’ai libéré la mienne, en vous faisant une proposition qui m’est, je vous l’assure, très pénible, afin de maintenir la propreté morale du Parti de Charles Boutet48 et Pierre Viénot49.
28La section de Monthermé appuie la même demande, insistant davantage encore sur la nécessaire exemplarité de la vie privée des militants : « Si j’en crois Jules Moch, il est bien convenu que désormais, à l’intérieur du parti, nous devons tenir le plus grand compte de la vie privée des militants pour apprécier l’évolution possible de leur vie publique »50.
29Les deux lettres, qui conduisent à l’exclusion de Sorton lors du congrès fédéral du 5 août 194551, montrent la même attention à la moralité, au sens large : c’est chez Viénot, une nécessité d’exemplarité, les dirigeants devant servir de modèle aux Jeunes socialistes, mais aussi de vitrine du parti au sein du CDL, toujours dans une optique de recrutement et de valorisation externe du parti. La moralité se jauge aussi en cette période de Libération, à l’aune des martyrs de la Résistance : ici, les figures de Boutet, l’ancien maire de Charleville mort pendant la guerre, et de Pierre Viénot servent de contre-modèle à l’attitude de Sorton. Le parti refondé doit s’appuyer sur l’exemple des anciens, morts pour leurs idées et, dans le récit hagiographique que propose le parti, sans tache aucune. L’allusion à la vie privée de Pierre Sorton est trop ténue pour en tirer des conclusions, mais ce dernier fut marié deux fois, ce qui, dans un parti conservateur du point de vue des mœurs52, peut être vu comme une tare sinon condamnable à titre individuel du moins problématique chez un dirigeant amené à représenter publiquement le parti.
30Cette attitude n’est pas sans risques pour le parti, comme cela a souvent été souligné. Il se prive ainsi, dans certains départements, de cadres et de leurs réseaux, ce que ne manquent pas de relever certains militants, plus attentifs à l’efficacité électorale qu’à la morale politique. Ainsi, Barthélémy Montagnon, ancien collaborateur de Léon Blum, lui suggère d’être moins inflexible et de mesurer le tort que ces exclusions font au parti, comparant une fois encore la SFIO avec les autres formations, supposément moins regardantes et mieux enracinées dans la société. Il ajoute : « Partout où les vieilles traditions et les hommes qui les représentent ont subsisté, le Parti a conservé ses positions »53. La lettre témoigne donc de l’existence, au sein du parti, d’une frange de dirigeants réticents devant une épuration qui risque de le priver de réseaux précieux. Cela traduit aussi à l’ambition toujours affichée de la SFIO d’asseoir son implantation locale par un dense réseau associatif, ce qu’elle ne possède que dans certains départements où son enracinement est ancien, comme le Nord, certains espaces franciliens ou les Bouches-du-Rhône.
31Les travaux de Noëlline Castagnez ont bien montré que cette question revient cycliquement, jusqu’en 1956, et que la position du parti tend à s’assouplir. Les résultats électoraux sont effectivement moins satisfaisants qu’avant-guerre dans les départements où le parti s’est montré sévère – confirmant l’observation de Montagnon – ce qui conduit parfois à rectifier les décisions de 194754.
32La question de l’exemplarité demeure cependant au cœur des préoccupations liées au recrutement dans les deux formations. Après avoir demandé des éléments d’état civil au candidat à l’inscription, le formulaire d’adhésion au PSIUP pose deux questions qui résument les préoccupations du parti en lien avec le recrutement : « La conduite individuelle du candidat a-t-elle déjà donné lieu à des remarques à caractère moral ? » et « Quelle a été, jusqu’ici, sa conduite politique – particulièrement pendant le régime fasciste ? »55. Ces deux questions, après réponse du candidat, font l’objet d’une enquête interne de deux militants, qui tâchent de vérifier ses dires. Si le résultat est concluant, il est admis ; dans le cas contraire, son admission peut être reportée ou refusée, ce qui n’est pas rare. Le questionnaire a par ailleurs un caractère systématique, car le PSIUP exige de ses anciens membres qu’ils demandent leur réintégration56. L’étude des liasses de demandes d’admission ou de réadmission – malheureusement incomplètes – montre que les deux questions sont vraiment traitées à égale importance. À Bari, par exemple, l’adhésion d’un militant que les deux rapporteurs certifient avoir été antifasciste, est refusée, car les deux enquêtes ont révélé une conduite morale « inadaptée »57. La section de Bari décide également de mettre en place un système dont je n’ai pas trouvé trace ailleurs : le nom des candidats à l’adhésion est affiché sur un tableau et les militants ont quinze jours pour s’opposer à leur entrée dans le parti, s’ils connaissent des éléments biographiques qui le justifient58.
33Les rapports écrits sont hélas très succincts et se contentent de signifier que le candidat n’a pas la stature morale suffisante. Lorsque c’est le cas, les rares détails donnés permettent cependant d’établir un éventail de raisons assez large. Le candidat est parfois éconduit ou mis à l’épreuve pour une attitude jugée inadaptée dans le domaine professionnel qu’il s’agisse d’un ouvrier soupçonné de paresse ou d’un travailleur indépendant aux pratiques douteuses. Mais ce sont surtout les questions familiales qui concentrent les refus, notamment quand la situation personnelle du candidat est jugée incompatible avec les valeurs du parti, comme à Bari, où un candidat voit sa candidature rejetée, car « Il vit avec une femme qui a des enfants et dont le mari est prisonnier de guerre. Ils vivent de la pension versée à la famille des prisonniers. Peu scrupuleux »59. Enfin, on peut supposer que certaines mentions de « moralité douteuse » masquent en réalité des accusations d’homosexualité. Si le parti n’admet pas officiellement évincer les homosexuels, certains cas semblent laisser penser qu’ils étaient en réalité perçus comme une menace pour l’image du parti. Il semblerait ainsi que plusieurs membres du parti aient été exclus à Arezzo pour ce motif60. Sandro Bellassai a par ailleurs bien montré combien les représentations de la virilité prolétarienne véhiculées par le Parti communiste – à la culture ouvriériste souvent proche de celle du PSIUP – comportaient de manière plus ou moins explicite une condamnation de l’homosexualité61.
34On observe aussi des disparités en fonction des fédérations, signe que les critères ne sont sans doute pas harmonisés à l’échelle nationale. Ainsi, à Arezzo et à Bari, la sélection semble assez rigoureuse, alors qu’à Fiesole, il n’y a quasiment aucun refus d’inscription62. Dans le cas de la section d’Arezzo-centre, qui a été choisie car la série statistique est la plus complète, on remarque un nombre de refus élevé en 1945, première année d’exercice de la commission des admissions, instituée le 24 juin63. Des 252 cas traités, 43 reçoivent une réponse défavorable, soit 17 %. En revanche, dès l’année suivante, le taux se stabilise à 2,7 % et reste environ égal à 3 % lors des années 1947, 1948 et 1949. Cela s’explique par une sévérité moindre à mesure que l’on s’éloigne de la période fasciste puisque le parti, tout à son objectif d’augmentation des effectifs, a tendance à fermer les yeux sur les cas les moins éclatants, comme l’a montré Paolo Mattera qui relève que les circulaires de la direction à ce propos appellent à de plus en plus de clémence64.
35L’exigence d’exemplarité ne se limite pas au processus d’adhésion : on trouve trace dans les archives de procédure d’exclusion contre des militants qui ont, par leur conduite, causé du tort au parti. On retrouve alors le même éventail de causes que celles invalidant une inscription : deux membres de la Federazione giovanile de la province de Milan sont ainsi exclus en novembre 1945, convaincus de vol. De même, la section milanaise de Romana Vigentina contraint un militant à la démission en raison de « considérations morales »65. Toutefois, ici aussi, ces occurrences sont essentiellement concentrées sur l’année 1945, ce qui traduit de la même façon que pour les adhésions, une diminution de la sévérité à mesure que les mois passent.
I.3. Rôle et formes des partis politiques
36Le débat sur les partis prend forme bien avant la fin de la guerre : accusés en France de tous les maux, rendus coupables de la défaite, ils sont en grande partie discrédités, malgré l’engagement individuel dans la Résistance de nombre de leurs anciens membres. Que ce soit à Vichy ou dans la rhétorique gaulliste, les partis ont ainsi mauvaise presse, accusés d’être des entités oligarchiques vouées à conquérir et se partager le pouvoir plus qu’à œuvrer pour le devenir collectif. Or, dès 1942, Léon Blum tente d’infléchir la position du général de Gaulle et de lui exposer le lien, pour lui indissoluble, entre démocratie et partis, faisant observer qu’aucune véritable démocratie n’a jamais fonctionné sans ces derniers. Dans une lettre de la fin de l’année 1942, il défend ainsi leur cause :
Il est facile de dire : nous ne voulons plus rien savoir des anciennes formations parlementaires et politiques. Tout cela est mort, ce qui en subsiste sera refondu au creuset de la France nouvelle, etc. […]. Mais songez-y bien : la France redeviendra une démocratie, n’est-ce pas ? Or, il n’y a pas d’État démocratique sans partis, on doit les moraliser, les revivifier, non les éliminer. […]. Concevez-vous aussi que le Socialisme, en tant que doctrine, est plus vivant que jamais ? Tant qu’il vivra comme doctrine, il aura son expression politique comme parti. […]. Dans la France délivrée, redevenue consciente d’elle-même, il reprendra sa place entière. Vous pensez bien que je ne vous parle pas ainsi par esprit de chapelle. Je pense à la France d’aujourd’hui, à la France et au monde de demain, voilà tout66.
37De la même façon, les relations entre les deux hommes, à la Libération, sont marquées par l’incompréhension, de Gaulle ne comprenant pas le refus de Blum, « repris par les penchants habituels de la famille socialiste »67, d’entrer au gouvernement, pour se consacrer à son parti. Leurs échanges montrent bien leurs conceptions que tout oppose : là où Charles de Gaulle voit dans les partis la division et la défense d’intérêts particuliers, Léon Blum les considère comme les seuls remparts d’une démocratie qui, sans eux, conduirait au pouvoir personnel. Le dialogue se poursuit d’ailleurs à distance après la démission de Charles de Gaulle, Léon Blum ne manquant jamais de répondre dans la presse socialiste aux discours constitutionnels du général, argumentant contre un présidentialisme qu’il juge dangereux68.
38En Italie, le problème ne se pose pas, le pluralisme apparaissant, après le règne sans partage du PNF, comme une condition nécessaire de la démocratie. Le nouveau régime fait donc une place centrale aux partis, explicitement mentionnés dans la Constitution69. On peut toutefois s’interroger sur l’importance du modèle qu’a constitué le PNF, dont les partis de masse italiens semblent un héritage direct, ce qui contribuerait à expliquer que les formations transalpines comptent systématiquement plus d’inscrits que leurs équivalents français.
Tab. 1 – Effectifs revendiqués des trois grands partis politiques des deux pays, 194670.
PCI | PSI | DC | PCF | SFIO | MRP |
2 000 000 | 700 000 | 600 000 | 900 000 | 350 000 | 125 000 |
39En France, les partis reprennent quasiment tous une tradition antérieure, ce qui n’a pas d’équivalent en Italie où, à l’exception du PSI fondé en 1892, peu de partis structurés ont existé avant le fascisme. Malgré des intentions affichées de faire de la Résistance la source de leur légitimité et du fascisme un contre-modèle, le Parti national fasciste demeure ainsi le principal modèle partidaire de l’histoire italienne contemporaine71. Certains ont ainsi pu établir un parallèle entre le projet totalisant du parti fasciste et la prise en charge communiste des militants – mais le constat vaut aussi pour les socialistes –, « du berceau au tombeau »72. Les trois grands partis italiens de la Libération deviennent rapidement des partis de masse, s’inspirant indirectement du modèle du PNF : une organisation capillaire capable d’influencer les militants et les inscrits des nombreuses organisations périphériques, tout en offrant une possibilité de promotion sociale à certains de ses membres73. Cela ne se fait d’ailleurs pas sans heurts et certains dirigeants de l’aile droite du PSIUP, proches dans les années 1920 du PSU de Matteotti et Turati entendent construire un parti moins centralisé, reposant sur le groupe parlementaire et sur un réseau dense d’associations locales, comme avant le fascisme. Cette option est cependant minoritaire et n’est pas réellement prise en considération74.
40Certains contemporains perçoivent d’ailleurs cette continuité, considérant que le fascisme a contribué à habituer les Italiens à la forme parti. Lorsque se pose la question de la sélection des nouveaux militants, Sandro Pertini, auréolé de la gloire de son activité résistante et donc peu suspect de sympathies fascistes, est hostile à une sélection trop rigide. Selon lui, « le régime fasciste a développé l’idolâtrie de la carte et sans la carte d’un parti, beaucoup ne se sentent que des demi-citoyens »75. En conséquence, leur interdire l’accès au parti serait nuisible à celui-ci, car ils iraient s’inscrire ailleurs.
41Ces considérations sur « l’idolâtrie » de la carte permettent aussi de nuancer les effectifs impressionnants des trois grands partis de l’après-guerre. En effet, l’examen des archives montre que dans les premières années de la République, malgré une augmentation permanente du nombre des inscrits, seule une minorité des militants participe réellement aux activités partisanes. Nombreuses sont ainsi les circulaires leur rappelant que la possession de la carte, sans engagement réel et continu, ne saurait suffire76. On peut sans doute rapprocher cela du constat fait par Pertini : dans un pays où la possession de la carte du PNF était nécessaire pour exercer de nombreuses professions, un certain nombre d’Italiens ont alors continué à agir de la sorte à la Libération, prenant une carte, mais ne participant guère aux activités politiques, quand ce n’était pas tout bonnement un moyen de faire justement oublier une précédente adhésion moins reluisante.
42Une étude de l’implantation géographique de la SFIO et du PSIUP77 montre que, sans surprise, les deux partis se réorganisent autour de leurs régions d’implantation historique. Les tableaux de données et les cartes qui figurent en annexes permettent à la fois d’étudier le nombre d’adhérents par département ou province et le pourcentage de la population qui adhère au parti, dessinant plus précisément l’importance de l’implantation locale.
43En Italie, il ressort que l’implantation socialiste est très importante dans les départements du nord et du centre-nord, alors qu’elle est faible dans tout le sud de la péninsule et dans les îles. Toutefois, comme les provinces du sud sont en moyennes plus grandes et plus peuplées, les fédérations méridionales ne sont pas pour autant négligeables numériquement – et possèdent donc de nombreux mandats lors des congrès. Le constat habituel d’un socialisme essentiellement lié au nord de l’Italie vaut donc, mais seulement jusqu’à un certain point : c’est effectivement dans ces espaces que le parti est le mieux enraciné et qu’il recueille, électoralement, ses meilleurs scores, alors qu’il est distancé dans le sud. Cependant, en termes d’effectifs, les fédérations du sud ne sont pas sans poids. Dans le nord, l’implantation suit logiquement les zones où le socialisme s’est développé à la fin du xixe siècle, qui sont souvent des terres industrielles ou de cultures métayères. C’est le cas de la Lombardie, particulièrement bien représentée, de la Ligurie et du Piémont, qui forment les trois grandes régions industrielles du nord. De même, la Toscane et l’Émilie-Romagne sont des terres socialistes anciennes où certains précurseurs comme Giuseppe Massarenti à Bologne, Camillo Prampolini à Reggio-Emilia ou Andrea Costa en Romagne, ont contribué à enraciner un socialisme paysan78. Ces régions sont par ailleurs des zones de force du Parti communiste et sont celles où la République l’emporte largement lors du référendum de 1946. En revanche, à l’exception de certaines provinces à l’histoire socialiste, comme celle de Rovigo où fut élu Giacomo Matteotti, le quart nord-est est un espace où le socialisme peine à s’implanter et où la Démocratie chrétienne règne en maître incontesté sur ces terres catholiques.
44En France, les deux cartes montrent l’implantation socialiste dans le nord de la France, en région parisienne et dans le sud. C’est notamment le sud-ouest, le pourtour méditerranéen et une partie du Massif central qui apparaissent comme des espaces de forte implantation socialiste, reprenant la géographie d’avant-guerre, mais aussi celle du républicanisme et de l’anticléricalisme du xixe siècle. En revanche, la pénétration socialiste est difficile dans les départements catholiques de l’ouest et dans l’est de la France.
I.4. L’aura du chef
45Dans les deux formations, tant Léon Blum que Pietro Nenni incarnent le socialisme, à l’intérieur comme à l’extérieur du parti. Bien que n’exerçant pas toujours les fonctions les plus élevées au sein du PSIUP et de la SFIO, ils jouent un rôle politique certain et occupent une place centrale dans les imaginaires. On leur reconnaît d’abord d’avoir su tenir le cap dans la tourmente et de n’avoir cédé ni devant l’emprisonnement, ni devant l’exil. Cette condition, partagée par tant d’autres militants du parti, fonde ainsi l’autorité du chef en raison de l’expérience partagée. C’est très net dans les lettres adressées à Pietro Nenni à la Libération, certains militants l’ayant croisé en prison ou en France lui témoignant leur reconnaissance d’avoir partagé leur condition de prisonnier ou d’exilé. Au sein du parti, le statut d’ancien prisonnier ou d’ancien résistant constitue en effet un capital politique immense pour les dirigeants qui peuvent s’en prévaloir. Ainsi Luigi Cacciatore79, s’offusque-t-il que des partisans de Saragat aient osé manquer de respect à Sandro Pertini, lors du congrès de 1947 : « Ces étudiants tentèrent d’insulter Pertini, notre Sandro, qui a payé par vingt ans de prison et d’exil sa fidélité à la classe ouvrière, qui abandonna Rome libérée en octobre 1944 pour guider, au nord, la lutte contre le nazi-fascisme »80.
46On observe cependant une différence de nature dans l’enthousiasme qu’inspirent Léon Blum et Pietro Nenni à leurs partisans. Le prestige du premier se nourrit de l’admiration pour la stature morale du dirigeant, les militants lui reconnaissant une forme de supériorité, d’ordre intellectuel et éthique. L’annonce de sa libération, en mai 1945, suscite des titres enthousiastes dans toute la presse socialiste qui salue, à l’image du Réveil Ardennais, celui dont « la lumineuse intelligence et le grand cœur nous guident vers le Socialisme »81. Cette stature morale est d’ailleurs largement reconnue hors des cercles militants. Quand, en décembre 1946, Blum accepte de former un gouvernement de transition, en attendant l’élection du premier Président de la Quatrième République, il reçoit de nombreuses lettres louant ce qui apparaît comme un sacrifice, tant on sait le vieux dirigeant éprouvé par la déportation. C’est d’abord Roger Martin du Gard, le 17 décembre, qui écrit : « C’est bien à vous qu’il appartenait de donner raison à ceux qui n’ont jamais complètement désespéré de la suprématie des forces spirituelles, et de réhabiliter enfin, de façon spectaculaire, le rayonnement du prestige moral, dans ce monde avili ». Le jour de Noël, Alexis Léger lui écrit de Washington :
Je mesure aisément tout ce que signifie, en pareille heure, le sacrifice de vos forces physiques. La difficulté même et l’ingratitude de votre tâche en font la grandeur. Elles portent encore plus haut cette exigence humaine dont s’éclaire toujours votre élégance morale. Si j’appartenais à la vie politique, la seule où l’on puisse engager, avec ses convictions, quelque responsabilité personnelle, c’est à vos côtés, que je réclamerais ma place82.
47Ces témoignages d’estime ne sont toutefois pas sans risques politiques : la caricature de Blum en dandy mondain, familier des salons et éloigné des préoccupations de la classe ouvrière, reparaît régulièrement chez ses adversaires, tant en France qu’en Italie83, se combinant parfois avec des attaques dont l’antisémitisme n’est jamais loin y compris chez les socialistes et les communistes84. Cela conduit en retour le parti à construire l’image d’un dirigeant capable de concilier rigueur intellectuelle autant qu’éthique et engagement ouvrier. Cette construction s’inspire sans doute du modèle idéal de Bracke, dont la presse socialiste relève la facilité avec laquelle, il réussit, lui l’helléniste député des mineurs du Nord, à se fondre dans les sociabilités militantes de ses camarades de parti. Les journaux ne manquent jamais de célébrer l’entente parfaite entre l’intellectuel et les ouvriers qui organisent chaque année un dîner d’anniversaire pour leur député octogénaire85. La légende blumienne se nourrit d’éléments semblables et célèbre l’ancien dandy, contributeur de la Revue blanche, réussissant à susciter l’enthousiasme dans les meetings ouvriers ou dans les congrès où sa voix fluette, plus encore depuis son retour de déportation, oblige les délégués à tendre l’oreille. Cette thématique, en partie construite par le parti – les comptes rendus de congrès montrent au contraire qu’on n’hésite pas à l’interrompre – est ainsi rapportée par Pierre Mauroy dans ses mémoires : « son élégance était désuète : il portait un feutre souple à larges bords, des foulards romantiques, des guêtres... Il semblait plus fait pour les bureaux calfeutrés du Conseil d’État que pour les tribunes des meetings ouvriers »86 et pourtant, le charme opère.
48À l’inverse, la sympathie à l’égard de Pietro Nenni est marquée par l’identification. Il est certes reconnu comme dirigeant du parti, qualifié pour cette tâche, car il a su se distinguer, mais les militants ne perçoivent pas, comme dans le cas de Léon Blum, de différence fondamentale de nature entre le dirigeant et la base militante. Cette identification est liée au parcours politique de Nenni : issu d’un milieu modeste, élevé en orphelinat, il a grandi dans la Romagne anarchiste et socialiste de la fin du xixe siècle et commencé à travailler à seize ans dans les usines de céramiques de Faenza87. Il a aussi partagé les affres des militants socialistes sous le fascisme, connaissant la prison et l’exil où certains militants ont pu le côtoyer. Cette dimension est très présente dans les lettres qu’il reçoit, comme celle de ce militant de Trieste qui lui écrit en novembre 1945 : « Je suis certain que tu ne trahiras pas. Nous sommes pareils. Qui a démontré son courage en Espagne ? C’est toi et non Saragat ! »88. À l’inverse, certaines critiques adressées à Saragat se nourrissent, avant comme après la scission de 1947, des mêmes stéréotypes dirigés contre Léon Blum, qui font de lui un bourgeois égaré en socialisme89. Nenni, au contraire, apparaît comme un authentique ouvrier, en qui l’on peut avoir confiance. Ce thème est ainsi développé dans une longue lettre dans laquelle un militant sicilien, Giovanni Biddo, écrit à propos du congrès à venir :
Après les âpres batailles du prolétariat, nous consacrerons les honneurs d’une journée à un homme et cet homme, c’est toi, fils du peuple. […] Camarade Nenni, je voudrais te confier que je donnerais ma vie pour mon parti… et pour toi. Je me suis toujours opposé, en bon socialiste, à quiconque a outragé ton nom, ou lorsqu’un voyou ou un chacal a critiqué ton œuvre, parce que t’offenser, c’est offenser le prolétariat90.
49Le terme de « fils du peuple », largement employé dans le mouvement ouvrier et dont Nenni ne fut évidemment pas le seul à jouer à la Libération, marque bien cette idée d’un dirigeant issu du rang, appelé à diriger par ses seuls mérites, comme par anticipation d’une société future méritocratique. Cette figure du dirigeant tribun et fils du peuple se rapproche d’ailleurs plus des figures communistes de Palmiro Togliatti et de Maurice Thorez que de celle de Léon Blum. Ce texte donne aussi à voir une véritable fascination pour l’homme et une identification de ce dernier et de la cause, au point qu’on peut se poser la question, là aussi, des conséquences de long terme du culte personnel mené sous le fascisme. Cela s’accompagne d’une proximité qui crée un sentiment de familiarité ; ainsi plusieurs militants lui écrivent pour se confier, parfois pour demander de l’aide, mais aussi un conseil, ce que résume un militant bergamasque dans une formule éclairante : « Vous voudrez bien me pardonner cette indiscrétion, mais je sens que je dois m’adresser à vous, et parler librement […] comme si vous étiez mon père »91.
50Bien que dans des registres différents, les deux dirigeants incarnent leurs partis ; rien d’étonnant, donc, à ce que ceux-ci se reconstruisent aussi à la Libération en exploitant ce qu’ont signifié, pendant les années de conflit, les noms de Blum et de Nenni. Des témoignages concordants permettant de montrer que le nom même du dirigeant, pendant la guerre, était signe de résistance. En Italie, un militant raconte à Nenni comment il a risqué sa vie « le jour où le fils de ce roi fuyard a eu l’insigne honneur de visiter Messine. Je me suis incliné à son passage et je lui ai dit "Vive Nenni, Vive la République". Juste après, je fus pris par deux policiers et bastonné »92. De même, en France, Bracke publie un article, au moment de la libération de Léon Blum, retraçant l’histoire et la signification du cri « Vive Blum ! » pendant la guerre :
Nous voici tous, camarades, rassemblés pour l’attendre. La porte s’ouvre : le voilà ! et de toutes nos bouches part le cri qui résonna si souvent. Tantôt acclamation fervente à l’homme qui n’interprétait pas seulement, qui annonçait rendre comme vivante en application la pensée du monde travailleur en chemin vers l’affranchissement. Tantôt clameur de défi lancée aux gens qui sentaient ou croyaient que le mouvement dont il était l’incarnation pour eux menaçait leur intérêt réel ou prétendu. Tantôt – souvenez-vous ! – émis parfois sourdement entre quatre murs, au temps de l’oppression complice de l’ennemi, pour éclater, libre soudain, tel qu’en août dernier il accueillait, en saccades rythmées à nos oreilles, son nom prononcé aux premiers meetings publics de Paris libéré93.
51Personnifiant le socialisme, incarnant le parti, mais aussi l’espoir de démocratie dans les années de clandestinité, les deux dirigeants, quoique dans des registres différents sont des éléments centraux des partis reconstitués : ils en sont l’image, alors que de nombreux militants ou dirigeants sont inconnus de l’opinion publique, sur qui est projeté tout un ensemble d’espoirs liés à la République, mais aussi au bouleversement du monde social94.
II. Participer ?
II.1. La transition de la Libération : le rôle des socialistes
52En Italie, la question de la participation gouvernementale se pose avant même le terme de la guerre. Depuis la fin de l’année 1943 et la reconstruction du parti, celui-ci entretient des liens avec le premier gouvernement Badoglio dans le sud de l’Italie, mais il est alors hors de question de participer à un gouvernement dirigé par un dignitaire fasciste sous une monarchie indigne du pouvoir. En accord avec le CLN, les socialistes jugent d’abord urgent de trancher la question institutionnelle avant d’envisager toute participation ministérielle. Ils sont pourtant pris de court par la Svolta de Salerne : le PCI, par l’intermédiaire de son secrétaire Palmiro Togliatti, tout juste rentré en Italie, affirme accepter de collaborer avec les autres forces politiques au sein du gouvernement, renvoyant la question institutionnelle à la fin de la guerre95. Le PDA et le PSIUP, initialement opposés à une telle volte-face, entrent finalement dans le second gouvernement Badoglio, le premier à être composé par les partis du CLN. Le PSIUP est alors morcelé en trois entités : une au nord de la péninsule qui s’occupe essentiellement de la lutte armée, une à Rome et une dernière dans le sud, qui est la plus favorable à la Svolta, les deux premières y étant plutôt hostiles96. Ce morcellement du PSIUP, qui dure jusqu’à la Libération rend difficile une lecture unifiée des positions du Parti : à grands traits, on peut dire que le nord, marqué par la lutte armée, est favorable à un gouvernement à forte empreinte classiste. Les socialistes septentrionaux craignent essentiellement, rejoints en cela par une partie de la direction romaine, que la formation d’un « gouvernement de guerre », selon la formule adoptée par la composante méridionale du PSIUP à Naples le 16 avril, ne conduise à séparer la lutte sociale et la guerre de Libération qu’ils s’efforcent au contraire de lier.
53Une fois Rome libérée, les 4 et 5 juin 1944, la donne change et les socialistes font pression pour remplacer Badoglio, conduisant à la formation du gouvernement Bonomi, dirigé par le président du CLN, qui avait déjà occupé la fonction de président du Conseil en 1921-1922. Ancien socialiste, favorable à la participation gouvernementale, Ivanoe Bonomi fut exclu du PSI avec Leonida Bissolati lors du congrès de Reggio-Emilia de 1912. Si ce nouveau gouvernement est plus largement accepté par les différentes composantes du parti, certains en contestent toujours le principe comme Basso, Zagari97 ou Vassalli98. En revanche, lors de la formation du second gouvernement Bonomi de l’après-guerre, les socialistes refusent de participer, jugeant que le pouvoir n’est pas assez délégué au CLN et que l’axe du gouvernement se déplace progressivement à droite. C’est le seul des six partis du CLN à prendre cette décision, les communistes décidant de rester au nom de l’unité nationale. Ce n’est qu’après l’insurrection du nord de l’Italie et la Libération, lorsque se pose la question du remplacement de Bonomi que les socialistes reviennent au gouvernement. Le poids du CLNAI et le fameux Vent du Nord99 semblent rendre possible la candidature de Pietro Nenni, mais devant l’intransigeance d’Alcide De Gasperi et de la DC, un compromis est trouvé : c’est Ferruccio Parri, figure résistante et membre du PDA qui forme un gouvernement dans lequel le PSIUP est bien représenté. Nenni devient ministre de la Constituante, ce qui apparaît comme une victoire tant les socialistes avaient lié leur destin au renouvellement des institutions. Cependant, dès la fin de l’année 1945, l’essoufflement du Vent du Nord conduit la Démocratie chrétienne à jouer un rôle plus central dans les institutions et lorsque s’ouvre une crise gouvernementale en décembre, Alcide De Gasperi revendique et obtient la présidence du Conseil que ses partenaires socialistes et communistes sont alors loin d’imaginer devoir lui abandonner jusqu’en 1953.
54Ainsi, malgré des préventions initiales contre la participation, les socialistes lient finalement leur destin à celui de la République et de la Constituante et, en ce sens, les élections du 2 juin 1946 sont une victoire réelle : l’Italie devient une République et les socialistes devancent les communistes, avec 20,7 % contre 19 %. Cependant, la DC est loin devant avec plus de 35 % des suffrages et s’installe durablement au centre de la vie politique italienne.
55En France, la centralité de la SFIO est plus grande encore dans les gouvernements de la Libération. La présence socialiste était importante dans le Comité français de libération nationale, avec André Philip ou Adrien Tixier qui devient, quelques mois plus tard, ministre de l’Intérieur du GPRF. Avant même les premières élections, l’importance du parti était reconnue comme en témoignent les élections successives de Félix Gouin à la tête de l’Assemblée consultative provisoire puis de l’Assemblée constituante après les élections de l’automne 1945. D’une manière générale, les socialistes sont de tous les gouvernements du GPRF et de la Quatrième République jusqu’en 1950, gouvernements qu’ils dirigent plusieurs fois avec Félix Gouin (janvier-juin 1946), Léon Blum (décembre 1946-janvier 1947) et Paul Ramadier (janvier-novembre 1947). Dernier témoignage de la centralité du parti dans l’équilibre du tripartisme, l’élection de Vincent Auriol, au début de l’année 1947, à la Présidence de la République montre bien l’influence de la SFIO qui, malgré sa troisième place aux élections législatives derrière le MRP et le PCF, occupe une place centrale sur l’échiquier politique.
56La participation ne se fait cependant pas sans débats tant la question a marqué, dans les deux pays, l’histoire du socialisme. En France, la participation d’Alexandre Millerand, socialiste indépendant, au gouvernement Waldeck-Rousseau, donne lieu à un débat contradictoire entre Jules Guesde et Jean Jaurès à Lille dont l’écho est national100. En Italie, les réformistes sont plusieurs fois exclus – comme Leonida Bissolati ou Ivanoe Bonomi en 1912101 – et jouent ensuite des rôles importants dans les gouvernements de la Première Guerre mondiale. Le débat ne cesse pas pendant l’entre-deux-guerres et en 1933, plusieurs dirigeants, dont Ramadier, quittent la SFIO pour protester contre la position de Blum qui refuse toute participation ministérielle. Si les conditions ont changé après la guerre, il subsiste au sein du parti une méfiance à l’égard de la participation, supposée corrompre et surtout, dans le cadre d’alliances larges, entraver les mouvements d’un socialisme révolutionnaire.
57La crainte selon laquelle l’exercice de fonctions ministérielles est toujours, tant que n’aura pas été réalisée la société sans classe, l’administration d’une partie au moins des intérêts de la bourgeoisie, demeure vivace. Un militant romain adresse par exemple cet avertissement à Pietro Nenni lors du premier gouvernement Bonomi d’après-guerre, ce qui montre que ce sentiment apparaît très tôt :
Il se diffuse [dans le parti] un certain malaise à cause de notre présence au gouvernement que l’on considère comme une perte de temps et une erreur de tactique révolutionnaire. Parce que si nous ne sommes pas capables de résoudre le problème de la vie quotidienne de la grande majorité de la Nation, nous sommes condamnés à aller vers (espérons que non) la réhabilitation du si déprécié Noske allemand102.
58Cela traduit à la fois l’impatience devant la lenteur des réformes, et, dans un parti caractérisé par son imaginaire révolutionnaire, l’idée qu’une participation ministérielle qui ne serait pas immédiatement productive conduirait le parti vers des positions de type social-démocrate dont la déclinaison allemande est vue comme un contre-modèle absolu, caractérisé par la division violente de la classe ouvrière, l’échec devant le chômage et l’impuissance face au nazisme.
59Les gouvernements d’unité nationale sont parfois vus comme incapables de répondre aux enjeux de l’époque en masquant les antagonismes de classe qui traversent la société, et sont souvent dénoncés, notamment par les organisations de jeunesse des deux pays. Inizativa socialista, courant très représenté au sein du mouvement de jeunesse italien103 s’affirme, dans le premier numéro de la revue éponyme, « contre le tripartisme ministérialiste qui annule toute antithèse interne et toute capacité de propulsion et de réalisation et se destine à détruire dans la durée le Parti socialiste »104. De la même façon, un dirigeant des JS françaises, Marcel Rousseau, qualifie en 1945 la participation gouvernementale de « fausse unanimité »105. C’est aussi par la présentation d’une motion demandant le retrait des ministres socialistes du gouvernement que Guy Mollet se fait connaître sur la scène nationale, au congrès de l’été 1945. Sa proposition surprend les congressistes, mais emporte tout de même 27 % des mandats ce qui est loin d’être négligeable : il y gagne la réputation d’un militant n’hésitant pas à se faire le porte-parole de mouvements d’opinion profonds au sein du parti106.
60Ces considérations sont aussi d’ordre tactique : certains militants ou dirigeants ont l’impression que la participation nuit à la SFIO, car celle-ci apparaît comme le pivot de gouvernements impopulaires. Les problèmes liés à l’inflation et au ravitaillement mineraient ainsi le potentiel électoral du parti, qui serait, dans l’idée des militants, le seul à se sacrifier, comme lorsque Ramadier accepte de devenir ministre du Ravitaillement, poste impopulaire s’il en est, de novembre 1944 à mai 1945107. Les résultats électoraux sont effectivement décevants, comme lors des législatives du 2 juin 1946, ce qui conduit Félix Gouin à céder la Présidence du Conseil à Georges Bidault. À cette occasion, six députés, dont le tarnais Maurice Deixonne, refusent de voter la confiance au gouvernement du dirigeant du MRP, arguant que le tripartisme, qui repose sur un compromis entre des forces très différentes, ne doit pas se prolonger indéfiniment. Cette remise en cause de la participation ministérielle repose à la fois sur une analyse tactique et politique, les socialistes ne réussissant à imposer leurs vues qu’à la marge108.
61Les quelques sondages dont nous disposons – et dont avaient connaissance les dirigeants du parti – établissent le même constat. En février-mars 1946, un de ceux-ci prévoit la régression du vote SFIO par rapport aux législatives de l’automne. Il relève que parmi ses électeurs d’octobre, 70 % feraient de même lors de nouvelles législatives, 15 % voteraient pour le Parti communiste, 11 % s’abstiendraient. Les électeurs qui se reporteraient sur les radicaux ou le MRP sont en revanche peu nombreux (2 % et 3 %). Au contraire, 88 % des électeurs communistes confirmeraient leur vote et seulement 6 % des anciens électeurs du PCF se tourneraient vers la SFIO. Alors que les deux partis sont pourtant représentés dans le gouvernement de Félix Gouin, le sondage précise « le gouvernement actuel est considéré comme un gouvernement socialiste »109, ce qui confirme qu’une partie de l’opinion tient les socialistes pour comptables de l’action du gouvernement.
62Ce que traduit le sondage, c’est ainsi le mécontentement d’une partie de l’électorat de gauche qui juge sévèrement les socialistes et qui a tendance à se déporter vers les communistes. En concurrence avec le PCF, la SFIO craint ainsi que sa présence au gouvernement ne nuise à son image de parti révolutionnaire au profit de celui-ci, ce qui explique en partie que la question du positionnement à l’égard du PCF soit l’un des sujets les plus débattus de la Libération.
II.2. Le Parti communiste, un allié encombrant
Unité d’action ou fusion ?
63Bien que les relations aient été souvent exécrables dans l’entre-deux-guerres, la question de l’unité d’action entre socialiste et communiste se pose à la Libération. En décembre 1944, la SFIO et le PCF décident de la création d’un comité d’entente, visant à discuter la possibilité d’une éventuelle fusion. Cela fait suite à l’entrevue Staline-Thorez du 19 novembre 1944, où le dirigeant soviétique enjoint au PCF de rechercher un accord avec la SFIO. Une partie de l’historiographie socialiste considère que ce n’était qu’un coup stratégique, visant à rejeter l’échec de l’unité, que l’on sait difficile, sur la SFIO. Pour Philippe Buton, au contraire, la volonté d’unité est réelle, mais constitue « non pas le souhait d’une collaboration, mais tout simplement la volonté de noyer les 340 000 militants socialistes dans les 785 000 militants communistes »110.
64Le comité d’entente prévoit trois commissions : la première doit travailler à l’unité d’action, la seconde préparer l’unité organique en examinant les conditions d’une fusion et la dernière régler les litiges qui surviendraient entre les deux partis111. Le 12 juin 1945, Jacques Duclos propose dans la presse communiste, sans avoir consulté les socialistes, de hâter la fusion et demande la création d’un Parti ouvrier français qui refermerait les divisions du congrès de Tours112. La SFIO, tout en se disant surprise, refuse de commenter et renvoie la question au congrès d’août. Celui-ci affirme de nouveau sa volonté d’aboutir à l’unité organique, mais seulement quand les conditions seront réunies. Derrière cette formulation, on décèle le refus de la fusion – une motion de Jules Moch sur la question est d’ailleurs adoptée à une très large majorité –, le parti préférant s’en tenir à l’unité d’action. Au printemps précédent, les Jeunes socialistes avaient déjà refusé de constituer une organisation unique de la jeunesse avec les communistes, estimant que « le Parti unique est la caractéristique propre des régimes de dictature »113. À la fin de l’année, la SFIO met officiellement fin à l’expérience, signifiant au Comité central du PCF l’impossibilité de poursuivre un processus qui n’avait, de toute façon, jamais vraiment débuté114.
65La question ressurgit pourtant épisodiquement, car, comme l’a mis en évidence Philippe Buton, si la quasi-totalité de la direction socialiste y est effectivement hostile, il n’en va pas de même pour une partie de la base. Des fédérations défendent l’unité organique, comme celle de la Seine ou de l’Ariège et surtout, les quelques sondages effectués à l’époque montrent que 57 % des ouvriers y sont favorables quand 24 % y sont hostiles, ce qui est bien plus important que dans le reste de la population où 42 % approuvent la perspective quand 30 % la rejettent115.
66En Italie, la question se pose avec plus de force encore, car existe au sein du parti socialiste un courant l’appelant explicitement de ses vœux. Autour d’Oreste Lizzadri116 ou Luigi Cacciatore, les fusionnistes estiment qu’il est temps de refermer la plaie du congrès de Livourne et que la division du prolétariat, qui profite à la bourgeoisie, n’a que trop duré. Lelio Basso, qui avait défendu la même idée pendant la guerre avec le MUP, y reste favorable à long terme, bien que se montrant dubitatif sur la réussite effective de la fusion arbitraire de deux traditions politiques bien distinctes117. L’unité organique trouve aussi de nombreux soutiens parmi les exilés antifascistes, ces derniers ayant partagé la condition des militants communistes et parfois contribué à la signature du pacte d’unité d’action en 1934. Comme le remarque Francesca Taddei, le rapprochement avec les communistes constitue ainsi un point d’union entre la partie résistante et la partie antifasciste exilée du PSIUP, alors que les militants qui sont restés en Italie pendant le fascisme – qu’ils aient été relégués par le régime ou qu’ils se soient montrés discrets sur leur appartenance politique – sont généralement moins favorables à ce rapprochement118.
67Comme en France, c’est aussi à l’été 1945 que la sympathie pour les communistes est la plus importante, dans la continuité de l’insurrection d’avril et du Vent du Nord. Giuseppe Tamburrano parle, pour l’été 1945, d’une « flambée fusionniste », certains évoquant ouvertement la perspective d’une fusion rapide. Pietro Nenni lui-même, qui jusque-là, évoquait l’unité organique comme le point d’arrivée d’un processus au long cours, semble gagné par la fièvre fusionniste119. Certaines voix discordantes se font cependant entendre au premier rang desquelles Sandro Pertini, favorable à l’unité d’action, et Giuseppe Saragat plus critique encore à l’égard du PCI. La controverse reprend à l’occasion du congrès de Florence au printemps 1946, où la question communiste occupe une grande partie des débats. Le congrès se solde par la défaite de Saragat (11,4 % pour la motion de Critica sociale) ce qui montre que la position hostile au PCI est très minoritaire. En revanche, le bon score de la motion centriste de Silone et Pertini (40,6 %) peut être interprété comme une méfiance à l’égard de la fusion à laquelle on préfère la simple unité d’action. Avec 46,1 %, la gauche l’emporte, mais renonce à toute unité organique immédiate, reconnaissant que les conditions ne sont pas réunies120.
68Dans les deux pays, les réticences quant à une alliance serrée avec les communistes tiennent autant à des analyses tactiques – on craint l’organisation du PC, supposément plus efficace, qui lui permettrait de tirer pleinement avantage d’un potentiel rapprochement et d’enfin « plumer la volaille socialiste » – qu’à des considérations politiques. Celles-ci sont résumées par Léon Blum, lors de son entrevue avec Pietro Nenni à Naples en mai 1945, pour qui tout l’enjeu est de « conduire les communistes aux méthodes démocratiques » 121, condition sine qua non de toute entente. À l’inverse, la volonté de rapprochement s’explique à la fois par l’analyse italienne qui fait de la division ouvrière la cause première du fascisme et par une poussée unitaire d’une partie de la base qui ne comprend pas que le prolétariat soit représenté par deux formations distinctes. Ce qui motive les socialistes, c’est aussi la crainte de se couper des masses ouvrières, que les communistes incarnent davantage, du moins dans l’imaginaire collectif. C’est ce qu’exprime Ignazio Silone, pourtant peu suspect de sympathies communistes, dès juin 1945 lors d’une réunion bilatérale avec les démocrates-chrétiens :
Cela rappelle la République de Weimar. Alors, le Parti socialiste allemand, apparaissait, aux yeux du peuple, comme un parti réactionnaire. Sans notre alliance, la même logique aurait déjà conduit en Italie à une lutte entre socialistes et communistes, dont n’auraient bénéficié que les réactionnaires122.
69Ce glissement au centre, qui conduirait le Parti socialiste à n’être plus un parti authentiquement ouvrier est la terreur d’une partie des militants pendant toute la période et explique en partie l’issue de certains congrès comme celui qui voit triompher Guy Mollet en 1946. Pietro Nenni résume ce sentiment, en évoquant un phénomène :
qui devrait inquiéter sérieusement tous les socialistes et qui est en train de se réaliser en France. Il s’agit d’un glissement social très dangereux pour nous socialistes parce qu’on assiste à un phénomène qui, s’il devait se développer et conduire aux conclusions qui semblent s’annoncer, ôterait au Parti socialiste tout caractère de parti de classe123.
70À l’inverse, les socialistes les plus hostiles à l’unité d’action développent l’idée que le PS serait touché, à l’égard du Parti communiste, par un « complexe d’infériorité ». Le terme apparaît dès la publication du premier numéro du Bulletin intérieur de la SFIO à peine reconstituée, le 1er octobre 1943, qui exhorte les militants à n’avoir pas honte de leur formation qui, malgré tout, n’a pas démérité pendant la guerre, cherchant déjà à désamorcer la rhétorique communiste se présentant comme le grand parti de la Résistance124.
71Établir la réalité d’un tel sentiment est difficile, mais il est certain que le Parti communiste polarise la vie politique de la période et que les partis socialistes se positionnent en grande partie par rapport à lui. Chez ses partisans comme ses contempteurs, il exerce une forme de fascination : on loue régulièrement son organisation, sa cohérence et sa discipline que l’on oppose aux divisions qui traversent les partis socialistes125. Ce complexe d’infériorité traduirait ainsi l’intériorisation par les socialistes des critiques formulées par les communistes à leur égard : leur parti, se détachant de son origine ouvrière et gangréné par des classes moyennes lui faisant perdre son âme prolétarienne, aurait abandonné son élan révolutionnaire, se contentant d’administrer le capitalisme. Il est vrai qu’au sein des sections, le Parti communiste est souvent considéré comme un modèle à l’aune duquel mesurer les défaillances des socialistes : supposément plus ouvrier, plus discipliné, mieux organisé, il est souvent pris pour exemple. Lors des discussions des congrès des étés 1945 et 1946, la peur de la déviation et de la perte de la pureté révolutionnaire du socialisme revient souvent dans la condamnation des évolutions que Mayer et Blum sont accusés de vouloir imprimer au parti. Après sa défaite à l’été 1946, ce dernier relève le poids invisible que le PCF fait, selon lui, peser sur les débats internes de la SFIO :
Je crois que, dans son ensemble, le Parti a peur. Il a peur des communistes. Il a peur du qu’en-dira-t-on communiste. C’est avec anxiété que vous vous demandez à tout instant : « Mais que feront les communistes ? Et si les communistes ne votaient pas comme nous ? » La polémique communiste, le dénigrement communiste, agissent sur vous, vous gagnent à votre insu et vous désagrègent126.
72De même, au plus fort des polémiques qui précèdent la scission italienne de 1947, les tenants de Critica sociale dénoncent l’admiration béate de certains socialistes italiens pour l’organisation du Parti communiste qu’ils souhaitent copier dans leur propre parti :
Il me semble qu’à l’égard du communisme, on pourrait diagnostiquer sur une partie importante des inscrits du Parti socialiste, les symptômes de ce que Freud appellerait un « complexe d’infériorité ». Quand on dit, pour donner un seul exemple, que le Parti socialiste doit épauler le Parti communiste – plutôt que dire, et espérer, que notre Parti doit recevoir l’appui du Parti communiste – tout cela dénote un « complexe d’infériorité » inconscient127.
73Plusieurs années plus tard, Vittorio Foa, passé du PDA au PSI, analyse la situation de la même façon :
Alors que le stalinisme des communistes pouvait s’expliquer par leur fidélité – comment dire ? – constitutive envers l’URSS, le stalinisme socialiste ne peut s’expliquer que par une totale perte de confiance des socialistes dans leurs propres forces, dans leur capacité même de penser128.
74Staline et l’internationalisme communiste n’ont en effet pas d’équivalent chez les socialistes, alors que l’IOS est paralysée et divisée. De plus, une analyse sommaire de la sociologie des deux partis laisse penser que le Parti communiste devance les socialistes chez les ouvriers, la SFIO et le PSIUP risquant de voir leur base sociale se réduire aux classes moyennes. En Italie, cela conduit les socialistes à suivre des initiatives communistes, comme dans le cas de la Svolta de Salerne, au nom de l’unité de la classe ouvrière. En France, le PCF apparaît à certains militants comme plus fort, doté d’une meilleure dynamique au sortir de la guerre, et la SFIO qui vit mal le fait d’avoir été reléguée au second rang électoral à gauche129 a tendance à exagérer ses mérites et sa cohérence interne.
Des situations locales contrastées
75À l’échelle locale, les situations sont plus contrastées qu’on ne l’a souvent dit. En Italie, on a parfois pu considérer que l’unité d’action, dans la continuité de la Résistance, avait permis de dépasser les rivalités locales et que l’entente entre les deux appareils, favorisée par une composition sociale voisine – et donc des liens professionnels et syndicaux – était forte, à l’exception peut-être de certaines régions où le socialisme, enraciné de longue date, voyait d’un mauvais œil la volonté du PCI de lui disputer ses positions. C’est le cas de la ville de Milan, où l’implantation ancienne et solide du PSIUP, associée à la forte présence de membres de Critica sociale, plutôt hostiles au PCI, a occasionné des frictions.
76L’étude des archives locales montre en effet une situation nuancée, les deux appareils, communiste comme socialiste, relevant des tensions voire des affrontements violents entre sections et cellules. Les rapports de police font aussi état de violence dans le sud de la péninsule alors à peine libérée, en 1944, comme à Gallipoli, dans les Pouilles. En août, un dirigeant socialiste, Emanuele Barba, est assailli par des communistes, alors qu’il avait vertement critiqué le PCI local la veille. Les tensions culminent en novembre, avec le jet d’une grenade par des socialistes contre la maison d’un communiste accusé d’avoir pris à partie un orateur socialiste130. De la même façon, dans la province d’Avellino, les communistes saccagent le local socialiste en représailles du passage à tabac de deux militants surpris par les socialistes pendant leur réunion de section à écouter aux portes131. Ces éléments témoignent à la fois de la difficulté à réinstaller une vie démocratique apaisée après vingt ans de fascisme et des tensions qui subsistent entre deux partis alliés, mais toujours rivaux.
77Le PCI est très attentif aux situations locales et demande à ses fédérations d’établir des rapports sur l’état de leurs relations avec les socialistes. Cela est synthétisé dans des documents internes qui évaluent, pour chaque province, le degré d’unité entre les deux partis132. Ceux-ci, datant essentiellement des années 1947-1949, font état de relations encore tendues dans nombre d’entre elles, ce qui montre que malgré les années d’unité d’action et le départ des militants – théoriquement moins favorables au PCI – qui rejoignent le PSLI, les relations demeurent parfois compliquées. Dès 1945, Basso avertit Nenni qu’en Vénétie, subsiste « une mentalité antédiluvienne, à cause de certains camarades de Padoue, Vicence et, en partie, Venise. Le mot d’ordre [est] l’anticommunisme avec toutes ses conséquences »133. C’est aussi le cas dans la province voisine de Rovigo, celle où fut élu Giacomo Matteotti, où Lina Merlin, l’une des seules femmes députées du parti, rend régulièrement compte d’incidents qu’elle impute à la présence d’un socialisme ancien, transmis de père en fils, et hostile aux tentatives hégémoniques du PC134. Elle évoque aussi les tensions entre socialistes et communistes pour le contrôle des coopératives135. Ces dernières, qui apparaissent comme le patrimoine par excellence du mouvement ouvrier – démantelées par les fascistes, elles sont recréées à la Libération – font l’objet d’une concurrence accrue, car elles marquent symboliquement la prédominance de l’un des deux partis sur un territoire donné. On retrouve un phénomène semblable à Ferrare, l’une des fédérations les plus importantes du PSI, où le PCI déplore que, même après la scission de 1947, les socialistes préfèrent s’entendre avec les partisans de Saragat plutôt qu’avec eux pour conserver la main sur les coopératives136.
78De même, en juin 1946, un dirigeant local de Sardaigne, Giuseppe Tocco, se plaint du climat délétère qui règne sur l’île, où certains discours des orateurs socialistes ont irrité les communistes, au point que lors d’un meeting organisé à Guspini, « les communistes avaient terrorisé les socialistes qui avaient peur de sortir de leur section avec notre drapeau ! »137. Ces éléments sont loin d’être isolés et Paolo Mattera, qui a étudié d’autres cas locaux, donne plusieurs exemples de tensions entre les deux formations comme à Florence, Vérone ou Naples138.
79Enfin, même dans le cas de collaboration entre les deux fédérations, l’alliance ne signifie pas une communauté d’intérêts et les archives regorgent d’épisodes de rivalité entre socialistes et communistes pour la mairie, dont chacun souhaite voir le maire choisi parmi ses militants. Par exemple, en 1946, les socialistes d’Isola del Liri (Frosinone) se plaignent des agissements du Parti communiste qui a contraint le maire socialiste à la démission pour permettre son remplacement par un communiste, alors même qu’il avait été élu sur une liste d’union PCI-PSIUP139. Ainsi, l’unité d’action promue par les deux formations peine parfois à s’imposer et se limite alors aux seuls organes dirigeants des fédérations, comme à Bologne, où les communistes relèvent que les échanges demeurent cantonnés aux directions des fédérations qui ne réussissent pas à les étendre à leurs sections140.
80En France, la situation est elle aussi plus contrastée que ce que les positions de la direction nationale laissent entendre. En effet, malgré l’interdiction explicite de rapprochement avec le PCF, deux fédérations, la Savoie et la Corse, choisissent de concourir aux élections législatives de novembre 1946 en faisant liste commune avec les communistes, ce qui entraîne leur dissolution141. Si les fédérations sont reconstituées au début de l’année 1947, le parti contraint les anciens militants à redemander leur réintégration individuelle et à signer « un "engagement de loyalisme socialiste" par lequel chaque adhérent s’engage sur l’honneur à "observer rigoureusement en toutes circonstances la discipline du parti et à soutenir toujours à l’extérieur de ses organismes ses résolutions et ses mots d’ordre" »142. Par ailleurs, sans aller jusqu’à braver les décisions du Parti, des militants locaux n’hésitent pas à s’élever contre des décisions qu’ils jugent parfois excessives. Le cas du vote de confiance à Maurice Thorez en décembre 1946 est ainsi emblématique : si celui-ci était essentiellement symbolique, le secrétaire communiste n’ayant pas les moyens de réunir une majorité, il permet néanmoins aux communistes de mettre en évidence le double discours de certains socialistes qui refusent de voter favorablement alors même qu’ils prônent officiellement l’unité d’action143. L’abstention de vingt parlementaires socialistes est parfois mal perçue par certains militants, comme en Vendée où celle du député Georges Gorse « a provoqué au sein du parti une vive effervescence qui s’est traduite immédiatement par la démission de plusieurs militants particulièrement en vue »144. Le député propose ensuite sa démission à la fédération qui la refuse145, mais cet épisode montre bien qu’à la fin de l’année 1946, la question de l’unité ouvrière est largement sensible à la base, même si ce mécontentement peut aussi s’expliquer par l’attachement à la discipline de parti.
81De même, l’étude des fédérations locales a montré que malgré la fin rapide des discussions entre SFIO et PCF, une dynamique unitaire pouvait parfois subsister à la base du parti. Le cas du Tarn est ici éclairant. La ligne éditoriale du journal de la fédération, Le Cri des travailleurs, est d’abord marquée par un ton hostile au PCF pendant l’année 1945, dans un contexte de concurrence électorale accrue. On peut y reconnaître en partie l’œuvre du député Salomon Grumbach, élu du département depuis 1936, qui l’a emporté au congrès d’août 1945, sur une ligne ambivalente : il dit souhaiter l’unité, mais celle-ci nécessite selon lui « un long travail de préparation (Jaurès y a mis sept ans) ». Il affirme n’avoir « pas d’hostilité contre l’unité, mais [avoir la] crainte d’être dupe »146. Or, en janvier 1946, le congrès fédéral témoigne d’un glissement à gauche de la fédération, ce qui propulse Maurice Deixonne sur le devant de la scène. À partir de ce moment, le ton à l’égard du PCF est bien moins polémique et Le Cri des travailleurs prône même un rapprochement des deux partis. À la une de son édition du 26 janvier 1946, un article intitulé « Vers l’unité » rend compte de l’envoi par les fédérations communiste et socialiste d’un télégramme à leurs deux directions en faveur d’un « gouvernement bipartite socialiste-communiste à direction communiste, concrétisant l’unité d’action »147. Les initiatives prises par Deixonne – échange régulier d’articles avec le quotidien communiste local Renaître, création d’un comité d’entente à l’échelle départementale – lui valent des poursuites auprès de la Commission des conflits. Celle-ci prononce le 20 février 1946 la suspension de tout mandat ou délégation pour Maurice Deixonne, mais aussi pour Émile Albet, le secrétaire adjoint de la Fédération, et André Raust, un des dirigeants des JS du Tarn. Les socialistes du département soutiennent néanmoins leurs dirigeants, comme en témoignent de nombreuses lettres de sections qui leur sont envoyées et la protestation de membres importants de la fédération – dont son secrétaire et par ailleurs président du Conseil général, Fernand Verdeille – qui plaident la cause de Deixonne auprès de Daniel Mayer148. La sanction est finalement levée en mars 1946, mais l’épisode témoigne des crispations autour des rapprochements locaux avec les communistes, autant que de la persistance de dynamiques unitaires à la base du parti. Celles-ci sont néanmoins peu durables, car après la rupture de mai 1947, les relations entre communistes et socialistes tarnais se tendent de nouveau et Le Cri des travailleurs retrouve ses accents anticommunistes de l’année 1945.
82La fédération ardennaise offre elle aussi un point d’observation intéressant sur les liens qu’entretient la SFIO au Parti communiste. Les archives de la fédération conservent en effet le cahier de la section de Monthermé qui est une source rare : celui-ci, loin de se limiter à rapporter les ordres du jour et le nombre de présents comme le font souvent les documents de ce type, rend compte, de décembre 1944 à mars 1946149, des débats qui se déroulent dans une section moyenne comptant une quarantaine d’inscrits. À l’été 1945, la question de l’unité ouvrière agite toutes les sections. Celle de Haybes vote ainsi à l’unanimité une motion pour demander « qu’on hâte la solution du projet de constitution de Parti unique ouvrier français »150. Lorsque la discussion s’engage à Monthermé, le 16 juillet, les avis sont plutôt favorables au Parti communiste :
Un échange de vues assez long se produit au sujet de l’entente nécessaire et de l’union souhaitable. Cordier insiste pour que la bonne entente avec les communistes soit resserrée et même avec d’autres éléments pourvu qu’ils soient de bons républicains. Rieux et Buffet estiment que l’union est de plus en plus souhaitée par les uns et par les autres et Legoy fait remarquer qu’aucun succès électoral n’est possible si l’alliance socialo-communiste est rompue à Monthermé.
83Intervient alors le secrétaire de section, Pierre Brousmiche qui est plus réservé : il rappelle « la scission de Tours, l’antimilitarisme des communistes qui refusent de voter les crédits militaires, leur attitude lors de la guerre du Rif en 1925, leur volonté de demander l’autonomie alsacienne et surtout leur stricte obéissance aux ordres de Moscou »151. Le 30 juillet la section vote finalement à l’unanimité la motion suivante :
La section de Monthermé du parti socialiste (SFIO), réunie en assemblée plénière exprime le vœu de voir se constituer l’unité organique avec le parti communiste aussitôt que celui-ci aura donné les preuves indéniables de sa démocratisation et de son indépendance totale à l’égard de l’URSS152.
84Cet épisode me semble significatif : il montre qu’existe à la base du parti un fort sentiment unitaire qui est vraisemblablement à son apogée à l’été 1945. Les communistes sont vus comme les alliés naturels des socialistes avec qui ils partagent leur origine ouvrière et leur refus des compromissions de la démocratie bourgeoise. Si plane toujours sur le PCF l’ombre de la dictature, dont la motion se fait l’écho, il apparaît comme le seul allié naturel d’une SFIO qui se pense largement comme un parti ouvrier. Sans tirer de conclusions générales et nécessairement imprécises, il semble donc que l’unité soit avant tout revendiquée par une base venue récemment au socialisme, moins liée aux polémiques d’avant-guerre et peut-être plus ouvrière – à Monthermé, la majorité des militants sont des ouvriers, à la différence du secrétaire Brousmiche qui est instituteur. Comme le relève Paolo Mattera pour le cas italien, « les liens associatifs et personnels précédaient souvent les liens politiques : les socialistes et communistes se rencontraient sur leur lieu de travail, mais plus encore à l’extérieur, dans les osterie, discutant de questions personnelles et politiques »153. Cet élément est aussi relevé par les communistes italiens qui notent, à l’inverse, qu’ils ont plus de mal à se faire accepter de certaines sections de centre-ville, dans lesquelles les ouvriers sont moins nombreux154.
85Deux ans plus tard, cette même section de Monthermé discute de l’opportunité de s’allier à l’échelle municipale avec le MRP, partenaire de la SFIO au gouvernement. La section y est alors opposée, considérant le MRP comme un parti « anti-laïc » et « hostile à la classe ouvrière »155. C’est-à-dire qu’il apparaît à de nombreux militants que leur propre culture politique est beaucoup plus proche de celle des communistes que des démocrates-chrétiens. Il existe ainsi un hiatus entre une partie au moins de la direction et la base du parti : les premiers, hostiles au PCF pour une série de raisons à la fois historiques, tactiques et internationales, doivent composer avec une base qui – dans certains espaces tout du moins – s’identifie souvent davantage aux communistes qu’à toute autre force politique. Après l’élection de l’Assemblée nationale constituante d’octobre 1945, André Philip adresse une lettre au Général de Gaulle dans laquelle il dit écarter « l’idée d’un gouvernement socialiste-communiste qui serait une catastrophe tant au point intérieur qu’au point de vue international », tout autant qu’une alliance SFIO-MRP, mais cette fois pour des raisons tactiques :
Un tel gouvernement serait mortel pour le Parti socialiste. Il aboutirait à détacher de nous, d’une part toutes les fédérations de l’ouest où subsiste encore le vieil esprit de l’anticléricalisme, d’autre part la classe ouvrière des villes qui passerait au parti communiste156.
86C’est bien résumer l’identité des socialistes : une partie importante de la base se pense en effet comme faisant partie d’un parti ouvrier qui n’a aucune raison, sauf dans des circonstances exceptionnelles, de gouverner avec un parti bourgeois et clérical comme leur apparaît le MRP157.
III. L’Europe socialiste
III.1. Reconstituer l’Internationale ?
87Paralysée depuis le milieu des années 1930 car profondément divisée sur la réponse à apporter au fascisme et sur les potentielles alliances avec les communistes, l’Internationale ouvrière socialiste a cessé de fonctionner en 1940, bien qu’elle ne soit officiellement dissoute qu’en 1946, à la conférence de Bournemouth158. Le processus qui mène à sa reconstitution en 1951 est long et heurté, marqué par les dissensions sur la forme qu’elle doit prendre et, de nouveau, sur la question communiste, qui devient centrale dans la guerre froide naissante.
88On classe généralement les partis socialistes ou apparentés de la période en trois groupes, en fonction de la tradition de chaque parti et de son rapport aux communistes. Le premier est souvent qualifié de social-démocrate, autour du Labour britannique et des sociaux-démocrates du nord de l’Europe. Non contraints à la clandestinité, renforcés par leur expérience du pouvoir et leur lien avec les syndicats, ils sont hostiles aux communistes – par ailleurs généralement en faible nombre dans ces pays – mais se sont divisés pendant le conflit autour du neutralisme scandinave. Face à eux, le pôle dit des socialistes de gauche, favorable à une alliance avec les partis communistes, est représenté par certains partis socialistes de l’est et par le PSIUP. Entre les deux, on considère généralement que les socialistes belges et français constituent un groupe à part : favorables à une alliance de circonstance avec les communistes, pétris de références marxistes, ils sont culturellement proches des socialistes de gauche, mais ont aussi développé une culture gouvernementale et une tradition réformiste autonome qui peut les rapprocher des sociaux-démocrates159.
89Dès 1945 a lieu une conférence à Londres, du 3 au 5 mars, afin d’envisager la question de la reconstitution de l’Internationale. Ne sont alors représentés que des partis européens et les partis allemand, hongrois et autrichien ne sont pas invités, signe que le conflit à peine achevé a laissé des traces. C’est un moment important d’un point de vue symbolique comme en témoignent les délégations de la SFIO et du PSIUP qui font la part belle aux dirigeants de premier plan : on y compte par exemple André Philip, Daniel Mayer et Vincent Auriol pour les Français et Giuseppe Romita et Pietro Nenni pour le PSIUP. Le Labour, fidèle à sa tradition d’avant-guerre, s’y oppose à la définition d’un programme commun contraignant et se montre hostile à la reconstitution d’une Internationale qui soit davantage qu’un groupe de discussion. À l’inverse, les partis français et belge, traditionnellement favorables à l’internationalisme, prônent une reconstruction rapide.
90Une seconde conférence est organisée en mai à Clacton-on-sea – toujours en Angleterre, ce qui montre le rôle moteur des travaillistes, auréolés de la victoire militaire. Le Labour décide seul qui inviter et ne réintègre que les sociaux-démocrates autrichiens. Certains, dont le PSIUP et plusieurs partis d’Europe de l’est, soutenus par Louis de Brouckère, plaident – sans succès – pour la constitution d’une Internationale ouvrière unique avec les communistes, profitant de la disparition du Komintern160. La reconstitution de l’Internationale est une nouvelle fois ajournée malgré l’avis favorable des partis français, belge, suisse et autrichien. En revanche, les mouvements de jeunesse s’entendent pour constituer leur Internationale, qui tient son premier congrès à Perpignan en avril 1946, présidé par Matteo Matteotti, le fils de Giacomo. Jeunesse en donne un compte rendu enthousiaste, évoquant les militants et les structures de chacune des associations membres161. Cette initiative demeura cependant isolée, en raison sans doute des difficultés que plusieurs mouvements de jeunesse européens traversèrent peu de temps après162.
91Les débats qui parcourent le socialisme européen montrent un clair glissement : alors que la question du fascisme et du règlement de la guerre occupe les premières rencontres, c’est bien vite l’attitude à tenir devant le communisme qui fait l’objet du débat. Le Labour est initialement hostile à l’Espagne de Franco, qui apparaît comme le dernier vestige européen du fascisme et veut châtier le SPD, dont l’attitude face au nazisme est jugée sévèrement. Dès 1946, pourtant, inquiet d’une pénétration communiste en Méditerranée, il cesse de faire de l’Espagne un sujet prioritaire et il propose d’entamer des discussions avec le SPD, préoccupé par la croissance de l’influence soviétique en Allemagne. En novembre 1947, immédiatement après la conférence de Szklarska Poreba et la création du Kominform, le SPD est réintégré.
92Ce n’est donc que dans un second temps – à partir du milieu de l’année 1946 – que la position italienne peut être jugée hétérodoxe au sein du mouvement socialiste international. Jusqu’alors, le parti italien n’est pas particulièrement minoritaire dans les débats des différentes conférences. Alors que certaines reconstitutions donnent parfois l’impression que le ver était dans le fruit dès l’année 1945 et que la rupture éclatante du PSI avec le COMISCO des années suivantes était déjà en germe à l’époque, il paraît important d’insister sur la parfaite intégration des socialistes italiens au socialisme international. Cela repose à la fois sur la participation à des gouvernements d’unité nationale qui ont des équivalents dans d’autres pays d’Europe – au premier rang desquels la France – mais aussi à l’activité politique et diplomatique de certains dirigeants comme Pietro Nenni, qui profitent de leurs charges ministérielles pour sillonner l’Europe. Ainsi, à l’opposé des tensions qu’on a parfois pu décrire dès 1945 entre le Labour et le PSIUP, l’ambassadeur italien à Londres rapporte les liens étroits noués par Nenni lors de son séjour anglais163. Non plus vu comme une force politique exilée d’un pays ennemi et presque vaincu et pas encore comme un parti échappant, par son alliance entêtée avec les communistes, aux logiques du socialisme international, le PSIUP est alors perçu comme un partenaire légitime et non singulier par les autres partis socialistes européens164.
III.2. À la libération, des liens étroits entre SFIO et PSIUP
93Les nombreux antifascistes italiens exilés en France venus s’ajouter à ceux qui, pour des raisons économiques, avaient quitté la péninsule dans les décennies précédentes pour venir travailler en France permirent un lien constant entre les deux partis165. Malgré le retour de certains en Italie à l’été 1943 pour participer à la guerre de Libération, nombreux sont ceux qui restèrent en France, comme en témoigne l’existence d’une fédération française du PSIUP166, seule fédération à n’avoir pas d’implantation géographique en Italie.
94De ces années d’exil et de résistance, les deux formations gardent des liens étroits, de camaraderie et d’amitié, forgés dans la lutte. Les dirigeants des deux formations se connaissent, se sont fréquentés dans les congrès de l’IOS de l’entre-deux-guerres puis dans l’exil et ont, pour beaucoup, partagé une condition commune de détenu ou de déporté. Dès les premières semaines d’après-guerre, ces liens, souvent distendus ou brisés par le conflit, se reforment, dans cette période particulière où se mêlent la joie de la fin du conflit, le deuil, et bien souvent l’incertitude quant au sort de militants que l’on sait déportés et que l’on espère vivants.
95Lorsque Léon Blum est libéré, le 30 avril 1945 dans le nord de l’Autriche, il est d’abord envoyé par les Alliés à Vérone puis à Naples d’où il regagne la France. Ce sont donc les militants italiens en même temps que l’ambassadeur français Maurice Couve de Murville qui, les premiers, accueillent l’ancien président du Conseil dans la cité parthénopéenne. L’écrivain Ignazio Silone lui apporte les félicitations du Parti socialiste italien et Léon Blum « formule le désir de rencontrer Pietro Nenni, qui fut son collaborateur »167 lequel vient de Rome pour le saluer. De même, les vieux réformistes italiens, liés de longue date à la SFIO, écrivent à Léon Blum, comme Giuseppe Modigliani, lui aussi ancien exilé parisien168.
96La relation entre Pietro Nenni et Léon Blum est plus qu’un simple lien partisan : elle est ancienne et amicale comme en témoignent les échanges nombreux et personnels à la Libération169. Durant l’exil français du secrétaire du PSI, ils se sont régulièrement côtoyés. Au Populaire, d’abord, où le socialiste italien écrit, mais aussi dans le cadre des fonctions de Nenni, envoyé comme commissaire politique de l’IOS en Espagne pendant la guerre civile. C’est en cette qualité qu’il plaide, vainement, pour une intervention française. Les deux dirigeants ont également tenu meetings communs, comme à Livry-Gargan en 1933, lorsqu’ils sont interrompus par des militants communistes qui protestent contre la condamnation par Nenni du traité de non-agression signé par l’URSS et l’Italie fasciste170.
97La correspondance de Pietro Nenni regorge également, pour les années 1944-1946, de lettres envoyées depuis la France, de simples militants ou de dirigeants qui l’ont côtoyé ou qui, sans le connaître, lui envoient des vœux de succès pour la reconstruction socialiste de l’Italie171. Le basculement successif dans la guerre froide et les tensions croissantes entre socialistes européens et italiens ont parfois tendance à occulter cet aspect : à la Libération, aucun autre parti socialiste européen n’est plus proche du PSIUP que la SFIO et si les liens de cette dernière sont plus diversifiés – travaillistes britanniques, Parti socialiste belge, exilés espagnols – le parti italien est pour elle aussi un partenaire de premier plan. Les liens politiques et personnels issus de l’exil sont nombreux, ce qui ne rend que plus spectaculaire la rupture des années suivantes où se brisent des amitiés de vingt ans.
98Au-delà de ces amitiés personnelles, la presse française rend fidèlement compte des combats pour la libération du nord de l’Italie, au début de l’année 1945. Les deux figures qui reviennent les plus fréquemment dans des articles qui citent généralement peu de noms, sont sans surprise, celles de Giacomo Matteotti, l’un des premiers martyrs socialistes européens et Pietro Nenni, connu des lecteurs français. Ainsi, le 27 avril 1945, annonçant l’insurrection de Milan, le journal titre « Matteotti est vengé ! Les travailleurs italiens reconquièrent leur liberté ! ». De même, le journal français donne un compte rendu précis des mésaventures de Nenni dans le nord de l’Italie qu’il sillonne avec l’autorisation des Alliés, à condition de ne pas tenir de meeting. Mais le 25 mai 1945, à Vercelli, il enfreint la règle et est alors brièvement emprisonné, ce qui indigne les socialistes italiens, mais aussi français. Le Populaire écrit alors :
Que Nenni circulant dans une ville italienne soit reconnu par ceux qui connaissent le rôle qu’il a joué dans la libération de son pays, qu’il soit acclamé avec cette bouillante impétuosité qui surprendra toujours des tempéraments flegmatiques, que le chef socialiste ait alors adressé quelques mots d’affectueux remerciements à la foule amassée, rien de plus normal et surtout rien qui puisse justifier la maladroite brimade dont notre ami fut la victime172.
99Le texte très favorable à Nenni, laisse dans le même temps apparaître une vision de l’Italie empreinte des éternelles représentations d’un peuple latin sympathique, emporté et passionné. Cette image, loin d’être isolée dans la presse socialiste française est appelée à évoluer : quand les relations se tendent entre les deux partis, les mêmes représentations prennent alors un sens différent. Les Italiens redeviennent un peuple enfant, incapable de sérieux et d’action rationnelle, emportés par leurs passions qui les portent à faire des choix impulsifs et irréfléchis.
100En 1945, cependant, l’heure est encore à l’enthousiasme et à la célébration du peuple italien qui apparaît bien souvent dans la presse française comme un peuple frère. À la différence des Allemands, considérés comme largement coupables des crimes du Troisième Reich – les débats quant à l’admission du SPD dans l’organisation provisoire qui succède à l’IOS témoignent de cette méfiance – les Italiens sont souvent présentés comme des victimes du fascisme, à l’égal des Français qui ont dû subir Vichy. Ainsi de Jeunesse rendant compte des combats dans le nord de l’Italie en associant l’action des partis du CLN à ceux de la Résistance en France :
Le peuple italien, la partie démocratique du peuple italien ne s’est jamais soumis. […] Et c’est justement ce qui oppose le peuple italien au peuple allemand. Leurs attitudes si opposées les classent. L’un de ces pays [est] fanatique jusqu’au bout, endoctriné et incapable d’aucun redressement173.
101De même, au congrès italien de Florence de 1946, un délégué français, Lucien Hussel, maire de Vienne, s’exclame : « Félix Gouin n’oubliera jamais que les travailleurs ont tous une même patrie. Nous ne confondons pas le peuple italien avec le régime de Mussolini. Nous ne les avons jamais confondus, même au moment du coup de poignard dans le dos, moment si pénible pour les socialistes français »174, ce qui lui vaut une ovation de la part des congressistes.
102Cette position, qui établit une différence fondamentale entre Allemands et Italiens est loin d’être isolée et est largement partagée par la presse socialiste de la Libération. L’importance de la Résistance italienne a sans doute joué un rôle dans cette perception, tout comme la présence nombreuse d’exilés italiens a permis de véhiculer l’idée d’une opposition large au fascisme et d’un peuple luttant pour sa liberté. La précocité de l’installation du régime fasciste et le meurtre de Matteotti ont ainsi contribué à construire l’image de l’Italie comme première victime d’un mal s’apprêtant à ravager l’Europe.
103On trouve une seule exception à cette façon de présenter les choses, liée aux négociations du traité de paix, qui fait resurgir, au sein des partis socialistes européens, certains réflexes nationalistes. En effet, dans Le Cri des travailleurs, Salomon Grumbach publie un article assez virulent à propos de la position italienne sur le traité de paix175, lequel prévoit de rétrocéder le Dodécanèse à la Grèce, d’internationaliser Trieste et de donner La Brigue et Tende à la France. Il écrit :
C’est en Italie que le fascisme a remporté – bien avant l’avènement d’Hitler en Allemagne – sa première grande victoire ! Et le peuple italien a supporté le régime mussolinien durant vingt-et-un ans ! Ce n’est pas par un soulèvement de masses, par un effort révolutionnaire intérieur que le fascisme a été chassé ! C’est – comme en Allemagne ! – par la victoire des Alliés. Le Grand conseil du Parti Fasciste, sous la direction des Grandi et des Ciano, n’a donné congé au Duce que lorsque la victoire anglo-saxonne et soviétique était déjà absolument certaine176.
104Il nuance cependant ensuite son propos, rappelant que « personne n’oubliera ou n’aura le droit d’oublier les souffrances des socialistes et d’autres antifascistes italiens, dont tous les chefs ont connu durant presque un quart de siècle la dure vie de l’exil » et en affirmant que les socialistes italiens sont d’ailleurs les plus raisonnables lors des négociations. Ceux-ci ne contestent effectivement pas l’attribution du Dodécanèse à la Grèce – « L’Italie sait que le Dodécanèse est grec et ne peut pas même s’offrir le geste théâtral de faire don à la Grèce de ce qui lui appartient déjà ! » déclare Nenni dès 1944177 – mais les cas de Trieste, La Brigue et Tende sont effectivement plus délicats et constituent le principal point de débat avec les Français. Grumbach, comme une partie de l’opinion, d’ailleurs, demande La Brigue et Tende comme réparations symboliques de la lâche entrée en guerre de Mussolini. Nenni, au contraire, avait plaidé dans les colonnes du Populaire en écrivant :
Je sais le poids du souvenir du 10 juin. Mais je sais aussi que, plutôt que complice du fascisme, le peuple italien en a été la première victime. Une Italie nouvelle est en train de surgir ; elle a rompu définitivement avec le délire carnavalesque de nos nationalistes ; […] elle n’a jamais eu aucune revendication territoriale à formuler contre la France et se tourne aujourd’hui vers la France avec confiance et sans aucune arrière-pensée178.
105Léon Blum, dans un éditorial du Populaire en juillet 1946 tente d’apaiser les esprits, considérant que la diplomatie française aurait pu s’abstenir d’exiger ces « deux villages des Alpes et leurs quelques arpents de neige », provoquant une réaction nationaliste dont la « République italienne », qui lutte contre « les retours offensifs de l’esprit chauvin n’avait pas besoin »179. Cette initiative, remarquée en Italie, lui vaut une lettre émue de Matteo Matteotti, qui le remercie et se félicite de l’entente du socialisme international180. En 1946, les relations entre les deux partis sont encore largement bienveillantes et les dirigeants s’empressent d’éteindre des polémiques qui ne refleuriront violemment que l’année suivante.
106La proximité entre les deux partis se mesure aussi à la présence de délégués dans les congrès d’après-guerre, dont celle de Nenni au congrès de la SFIO d’août 1945 est le meilleur exemple. Daniel Mayer présente l’orateur en le qualifiant de « français de cœur, vice-président du Conseil italien, président de demain »181 et les comptes rendus dans les journaux français insistent sur le fait que Nenni n’est pas tant un dirigeant étranger qu’un ancien militant de la SFIO. Jeunesse écrit ainsi :
Les camarades français saluaient en lui non seulement le représentant officiel de l’Italie, le secrétaire général du Parti socialiste, mais ils acclamaient Nenni parce qu’il est un des leurs. Il fut militant de la SFIO pendant quinze ans, pendant l’époque où il vivait en France comme réfugié. Et pendant les quinze ans où il a pris une part active à la vie du parti français, il a oublié, comme il le disait à la tribune, qu’il était un proscrit182.
107Pietro Nenni prononce en effet un discours en français dans lequel il aborde tous les points qui fondent la relation d’amitié entre le PSIUP et la SFIO à la Libération183. Il s’agit d’abord d’insister sur l’union, sur le fait que le socialisme est une doctrine qui transcende les frontières et que l’espoir d’instituer une république en Italie doit être perçu en France comme espoir de paix et de fraternité. Dans une hypotypose qui mobilise des éléments classiques de l’imaginaire ouvrier, il évoque ainsi l’idée, développée lors du procès de Riom par Léon Blum, que la démocratie conduit à la paix :
Si les conditions d’ordre intérieur et international sont réalisées d’ici le mois de novembre et permettent la réunion de notre Constituante, nous saluerons, avec la renaissance de la République française, la naissance de la République italienne [Applaudissements prolongés. Acclamations]. Alors, camarades, les Alpes ne nous sépareront plus, mais nous uniront, et les drapeaux rouges du Socialisme français viendront à la rencontre des drapeaux rouges du Socialisme italien ; les uns et les autres, nous aurons posé la pierre angulaire de la renaissance de l’Humanité, dans l’union de nos deux peuples, scellée dans le sacrifice des meilleurs d’entre nous.
108Il poursuit avec l’évocation de l’entrée en guerre de l’Italie mussolinienne contre la France le 10 juin 1940, en faisant une guerre non pas de l’Italie contre la France, mais du fascisme contre la démocratie dont l’assassinat de Giacomo Matteotti, seize ans auparavant, avait été le premier épisode :
La France a le droit de se souvenir du 10 juin 1940. Mais elle a aussi le devoir de se rappeler que, pour que le 10 juin 1940 soit possible, il a fallu que les fascistes assassinent dans la personne de Matteotti et des meilleurs parmi nous toutes les forces de liberté de notre pays [applaudissements]. La France a le devoir de se rappeler que le 10 juin 1940 a été une journée de deuil et d’angoisse, aussi bien pour nous tous que pour les Français. Et moi qui étais alors sur les routes de l’exode avec les ouvriers parisiens, j’ai senti qu’il n’y avait aucun doute dans votre conscience et dans la conscience de la classe ouvrière, et qu’elle faisait une distinction très nette entre ceux que nous avons châtiés et le peuple italien qui avait été la première victime de ces assassins [applaudissements].
109Il termine en évoquant le sacrifice de nombreux militants des deux pays qui doit sceller, dans le sang, l’alliance des deux peuples. « Les meilleurs sont restés chez vous. Nos morts, nos chefs qui reposent dans vos cimetières constituent un lien indestructible entre nos deux partis »184, dit-il, évoquant les grands dirigeants du socialisme d’avant-guerre, morts en exil et enterrés en France, comme Filippo Turati ou Claudio Treves185. Il achève son discours en évoquant la mémoire de son gendre, fusillé au Mont Valérien et de sa fille « livrée par Laval à la Gestapo et morte à Auschwitz186, qui sont les liens qui m’unissent à votre pays, liens d’une amitié indestructible et féconde en résultats heureux pour la paix et le sort des travailleurs en Europe »187. Les congressistes, debout, l’applaudissent longuement. Ce discours, le plus important de l’après-guerre à propos de l’union entre les socialistes des deux pays joue un rôle central : il entérine la victoire, par le retour à Paris de Pietro Nenni, non plus en exilé, mais en vice-président du Conseil chargé du ministère de la Constituante – et donc, potentiellement, de la transformation de l’Italie en République –, permettant une paix durable avec la France. Ce n’est pas seulement une mise en scène à destination de l’Europe où les socialistes entendent bien jouer un rôle important, c’est aussi une mise en acte de la façon dont le socialisme se pense : une fraternité de classe par-delà les frontières et les nationalités.
110La lecture des comptes rendus des congrès de la SFIO dans la presse italienne – souvent plus attentive que ne l’est la presse française à l’égard du PSI – permet également de percevoir les sympathies de certains courants pour leurs équivalents français. Ainsi, le compte rendu du congrès de 1945 le plus enthousiaste est dû à la Critica sociale188 qui exalte la figure de Blum, son humanisme, sa haute conception morale et surtout sa réaffirmation du lien entre socialisme et démocratie, témoignant des liens de long terme qui existent entre les réformistes milanais et la SFIO blumienne. Ces relations, réactivées par la présence de Giuseppe Saragat comme ambassadeur en France189, s’expriment tout au long de la période et Critica sociale est le plus fervent défenseur de Blum en Italie, y compris quand l’aile gauche et le PCI l’attaquent violemment dans les mois qui suivent. À l’inverse, l’article de Socialismo, la revue du parti, est plus neutre, se contente de se féliciter de l’alliance entre socialistes français et italiens et de l’accueil fait à Nenni, mais se garde bien d’entrer dans des considérations théoriques, reportant fidèlement la pensée de Léon Blum, mais n’émettant pas de jugement190.
111C’est surtout le congrès de 1946 qui voit les divisions italiennes et françaises se faire écho. À la suite du congrès de Florence, le compromis entre la droite autonomiste et la gauche fusionniste n’est que partiel et menace de voler en éclats. Le congrès de la SFIO donne l’occasion aux deux courants d’une passe d’armes à distance. Déjà, dans son numéro d’août, Quarto Stato, la revue de Basso, publiait la motion de Guy Mollet, précisant que ce dernier avait peu de chances de succès, mais qu’il était heureux de voir autour du dirigeant arrageois tant de noms de valeur. Sans équivoque, l’éditorial ajoutait : « nos vœux de succès accompagnent leurs efforts »191. Le numéro suivant, en septembre, se félicite de la victoire de Guy Mollet et, dans un éditorial non signé, mais vraisemblablement rédigé par Basso lui-même qui était délégué du PSIUP au congrès français, la revue se réjouit de la défaite de Léon Blum, considéré comme trop proche des classes moyennes et porteur d’une conception « réformiste, contraire à tout enseignement de Marx »192.
112À cette date, la critique demeure toutefois relativement isolée au sein du PSIUP et l’Avanti !, plus soucieux sans doute des équilibres internes du parti, minore l’événement, jugeant que dès le lendemain du rejet du rapport moral la SFIO avait montré un visage uni, éloignant tout risque de scission. Le journal se félicite néanmoins du résultat du congrès, jugeant que les socialistes ne doivent pas avoir d’adversaires à gauche, considérant ainsi la victoire de Guy Mollet comme une validation du congrès de Florence193. L’année 1946 voit donc un début de raidissement de certaines positions, en lien avec les divisions qui traversent les deux partis et qui ne sont pas sans échos : la Critica sociale et ses amis retrouvent dans l’exigence de démocratie et la main tendue aux classes moyennes du parti de Daniel Mayer un certain nombre d’éléments constitutifs de leur engagement. Au contraire, la gauche du PSIUP voit dans Guy Mollet un allié potentiel, à même de rapprocher les positions des deux partis. Malgré ces prises de position, les partis se considèrent encore largement comme alliés, comme en témoigne l’analyse que porte l’Avanti ! sur le recul socialiste aux élections législatives de novembre 1946, qui reprend exactement la rhétorique du parti français : « Les socialistes ont expié des péchés qui n’étaient pas les leurs »194. Loin des critiques acerbes des mois suivants, où chaque revers électoral est vu comme la preuve que l’autre parti est dans l’erreur, les socialistes italiens reprennent ici l’argumentaire de la SFIO qui estime avoir payé dans les urnes un mécontentement à l’égard du gouvernement, le MRP et les communistes n’ayant pas joué une partition collective. Les relations à la fin de l’année 1946, quoique teintées d’incompréhension à l’égard de l’attitude des deux partis envers les communistes, demeurent ainsi cordiales. Ce n’est que la scission de 1947 en Italie, s’accompagnant progressivement d’un soutien de plus en plus évident de la SFIO au PSLI, qui précipite la rupture.
113La reconstruction des deux partis après le conflit est ainsi un indéniable succès : après avoir couru le risque de la disparition, ils retrouvent, après la guerre, une position centrale dans les vies politiques des deux pays, même si les premières élections font état d’un Parti communiste plus puissant qu’avant-guerre qui devance les socialistes français et talonne les Italiens. Tant la SFIO que le PSIUP sont désormais des forces centrales de l’échiquier politique, pesant d’un poids bien plus grand que nombre d’autres partis résistants, et se partageant le pouvoir avec communistes et démocrates-chrétiens.
114Deux questions concentrent les débats et l’inquiétude des socialistes. La première touche au renouvellement, à la tradition, à l’image que le parti a de lui-même et de sa place dans le monde. Les deux formations doivent construire un parti moderne, marqué par un afflux important de militants, tout en se positionnant par rapport à leur propre histoire partisane, mais aussi à l’égard des formes nouvelles de parti unique qui ont émergé dans l’entre-deux-guerres. Face à cela, les deux partis ont des réponses semblables : s’il s’agit de s’adapter aux conditions nouvelles et notamment à l’afflux massif de militants, le socialisme ne saurait dévier du sillon historique qu’il trace depuis plus d’un demi-siècle, car cette tradition n’est pas seulement fidélité au passé, elle est confiance dans un avenir victorieux. En second lieu, les débats anciens sur la participation ressurgissent avec force après la guerre, quand les socialistes doivent composer avec d’autres forces puissantes issues de la Résistance. Malgré des succès évidents, au premier rang desquels la construction d’une République nouvelle dans les deux pays, la contribution gouvernementale est ambivalente : considérés comme les dupes de gouvernements impopulaires en France ou bien rapidement relégués à des positions marginales par la DC en Italie, l’expérience gouvernementale est parfois décriée par les militants.
115Sur ces deux questions plane indéniablement l’ombre du Parti communiste, dont l’influence politique et, peut-être plus encore, l’image publique sont au plus haut. Le rapport qu’entretiennent les partis socialistes avec les communistes est une des clés d’explication de la période, mais il faut cependant se garder de faire débuter trop tôt la guerre froide et éviter les téléologies simplificatrices : en Italie, l’alliance avec le PCI n’est pas définitivement scellée en 1945-1946 et, de même, la victoire de Guy Mollet en France semble porteuse de relations nouvelles et peut-être meilleures avec les communistes, que l’hostilité de Léon Blum à leur égard semblait empêcher. Quant aux relations entre la SFIO et le PSI, elles sont encore empreintes de cordialité et des souvenirs communs de l’exil italien : les échanges entre les deux partis sont nombreux et féconds, comme en témoigne la présence de nombreux délégués de l’autre parti dans les congrès nationaux.
Notes de bas de page
1 Voir Reinisch 2008 et l’analyse que donnent de cet article, dans leur introduction, Acciai – Panvini – Poesio – Rovatti 2017. Par ailleurs, l’usage de plus en plus fréquent dans l’historiographie du terme de « sortie de guerre » permet de mettre en évidence les diverses temporalités de la démobilisation et les continuités trop souvent occultées. Sur ce thème voir par exemple : Stone 2012.
2 Pour une étude précise des étapes de la reconstruction du Parti socialiste italien, voir surtout Sabbatucci 1981b ; Taddei 1984 ; Neri Serneri 1995 ; Mattera 2004. Sur la SFIO dans la clandestinité, voir l’important ouvrage de Marc Sadoun (Sadoun 1982), la première partie de Castagnez 2004 et Berstein – Cépède – Morin – Prost 2000 ; Castagnez – Morin – Cépède – Ollivier 2016.
3 J’emprunte la première expression à Giorgio Bassani, Il giardino dei Finzi-Contini, Milan, Mondadori, 1991 [1962], p. 236, (Il caro, il dolce, il pio passato) qui cite également la seconde, un vers de Mallarmé.
4 Galli 1958, p. 194 ; Sabbatucci 1991, p. 74-75 ; Bergounioux – Grunberg 1992, p. 133.
5 Sur l’éloignement du marxisme de Léon Blum, voir par exemple, Lindenberg 2000, p. 19 ou bien la récente biographie que lui a consacrée Frédéric Monier (Monier 2016, p. 210).
6 Lafon 2006, p. 256 remarque que l’historiographie a tendance à opposer, au sein du mouvement socialiste, depuis Jaurès-Guesde, ceux qui s’ouvrent vers le régime républicain et ceux qui, fidèles à une pratique dogmatique de la doctrine, le refusent. Souvent, les premiers sont valorisés et les seconds condamnés. Il y aurait ainsi un bloc Jaurès-Blum-Mitterrand qui s’opposerait à Guesde-Mollet, interprétation qu’il rejette.
7 Plusieurs polémiques éclatent quant à son engagement résistant, notamment en 1949 et 1950. À ce propos voir, Lafon 2006, p. 171-180. Celles-ci ont parfois été reprises dans l’historiographie.
8 C’est un thème fréquent des interventions publiques de Daniel Mayer, comme aux congrès de 1944 ou 1945.
9 Ce thème traverse les discours du Parti socialiste italien pendant toute la période étudiée et lui sert de principale justification quand il cherche à récuser les attaques des partis sociaux-démocrates, travaillistes et socialistes européens à partir de 1947 (cf. chapitre 7). Cette analyse est formulée très tôt, notamment par les partis antifascistes en exil dans les années 1920 et n’est pas étrangère au rapprochement du PSI et du PCI qui nouent, en 1934, un pacte d’unité d’action, aidés en cela par la nouvelle stratégie internationale de l’URSS favorable aux Fronts populaires. C’est aussi l’une des causes de l’ascension fasciste mises en avant par Pietro Nenni dans Storia di quattro anni (1919-1922), Rome, Einaudi, 1946.
10 Sur ces questions, voir notamment Castagnez 2004, p. 107 et p. 109 et Bergounioux – Grunberg 1992, p. 169. Ilan Greilsammer défend la thèse selon laquelle Léon Blum aurait conçu le projet d’un grand parti travailliste pendant sa captivité en Allemagne : Greilsammer 1996, p. 494.
11 Sur la question du MUP, voir : Neri Serneri 1995 ; Monina 2005 ; Colozza 2011. Le parti est essentiellement implanté dans le nord de l’Italie et surtout à Milan où il dispose de l’essentiel de ses réseaux militants.
12 Tout au long de la période, l’Avanti ! possède plusieurs éditions. C’est particulièrement net pendant la lutte de libération nationale mais à la fin de la guerre plusieurs rédactions subsistent, dont les plus importantes sont à Milan et Rome. On compte toutefois d’autres éditions – dont la publication n’est néanmoins pas toujours continue – comme à Turin ou, par intermittence, à Bari. Dans les notes qui suivent, j’ai systématiquement indiqué l’édition considérée. Quand aucune mention d’édition locale ne figure, c’est qu’il s’agit d’un article publié dans l’ensemble des éditions. Sur L’Avanti ! depuis sa création jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, voir : Arfè 2002.
13 FLLB, F. Basso, s.15, UA3. Avanti ! [clandestin], juillet 1943: Pur rivendicando tutto quello che di buono – ed è moltissimo – vi è nella tradizione socialista e comunista italiana, il nuovo partito deve sentirsi libero dal peso e dalle costrizioni che queste tradizioni sovente rappresentano, e dev’essere pertanto l’espressione della nuova coscienza proletaria, agile, spregiudicata, aderente alle concrete mutevoli realtà.
14 De la même façon, lorsqu’il est interrogé, en 1947, par les délégués du COMISCO sur le choix de ne pas modifier le nom du Parti social-démocrate allemand (SPD) alors qu’il estime que le parti qui renaît après la guerre est à bien des égards un parti neuf, Kurt Schumacher utilise le même argument : « Vous devez comprendre qu’il était nécessaire de rassembler les forces qui étaient disponibles et pour ce faire la force d’attraction d’un vieux drapeau est plus forte que celui d’une nouvelle organisation » (IISG, Socialist International Archive (1946-), b.235, COMISCO. Compte rendu de la conférence de Zurich, juin 1947: You must see that it was necessary to reassemble what forces were available and for this purpose the power of attraction of an old banner is stronger than any new organisation).
15 L’Avanti ! di Puglia, Bari, 4 décembre 1943 : Accanto ai vecchi compagni torna la promettente fioritura dei giovani, accorsi a riprendere nelle loro mani la fiaccola del Socialismo, per portarla sempre più in alto, senza dimenticare gli insegnamenti del passato e l’esperienza dei vecchi compagni. Torna a sostituire il fatuo dispregio fascista per tutto quanto ricordasse il passato [e] la memoria.
16 Léon Blum, Les devoirs et les tâches du socialisme, Paris, Éditions de la liberté, 1945, discours prononcé à la conférence des secrétaires des fédérations socialistes à Paris, le 20 mai 1945, p. 5.
17 Selon un principe bien connu de la sociologie des organisations qui veut qu’on ne rénove jamais une organisation sans proclamer sa fidélité à son sens originel. Sur ces questions de traditions, d’héritage, de transmissions et les problèmes méthodologiques qu’ils posent : Bantigny 2011.
18 L’Œuvre de Léon Blum (1945-1947), p. 65.
19 Castagnez 2004, p. 110, relève que 86 % des parlementaires socialistes sont des nouveaux élus. Toutefois, la grande majorité d’entre eux faisait déjà partie de la SFIO avant la guerre.
20 Ludovico d’Aragona (1876-1961), figure du réformisme milanais. Carlo Azzimonti (1898-1958), journaliste socialiste, maire de Busto Arsizio (Varese) de 1914 à 1922. Tous deux sont dénoncés par Basso pour leur réformisme et leur ambiguïté initiale quant au corporatisme fasciste.
21 Lelio Basso, Pietro Nenni : carteggio. Trent’anni di storia del socialismo italiano, éd. Luciano Paolicchi, Rome, Editori Riuniti, 2011, p. 83-85 : Attorno ai vecchi compagni di 20 anni fa legati ancora alle vecchie formule e alla vecchia mentalità/ bisogna saper attrarre i giovani, per attrarli non bisogna riesumare i D’Aragona, gli Azzimonti, come si sta facendo ora/ eterogeneità della composizione del Partito, in cui le due anime, quella prefascista e quella dei giovani che si sono venuti formando alla nostra scuola, non sono purtroppo ancora riuscite a trovare un equilibrio […] [tra] una sintesi dei valori tradizionali e dei nuovi valori rivoluzionari.
22 Castagnez 2004, p. 110.
23 Jacques Bozzi (1883-1961) : professeur de philosophie, il préside la Ligue des droits de l’homme des Ardennes entre 1920 et 1940. Partisan de Renaudel, il ne le suit pas quand celui-ci quitte la SFIO. Résistant, il est arrêté et emprisonné. À la Libération, il devient secrétaire fédéral des Ardennes (1944-1946), maire de Charleville (1944-1959) et est élu député à la Constituante de 1945. Placé en position non éligible par les militants aux élections suivantes, il se retire et est finalement élu au Conseil de la République (1948-1955).
24 Salomon Grumbach est remplacé comme tête de liste par Maurice Deixonne pour les élections de juin 1946 dans le Tarn. Dans les Ardennes, Joseph Bozzi est contraint de laisser sa place à Andrée Viénot après avoir été classé en quatrième position par les militants. L’anticommunisme des deux élus n’est sans doute pas étranger à leur éviction, au moment où l’on observe des rapprochements à l’échelle locale (cf. infra).
25 PP, BA1978, Léon Blum, note du 26 mai 1945.
26 Les occurrences sont nombreuses. Par exemple : ACS, MI, PS, s.1944-1946, b.42, rapports des préfets sur le PSIUP. 22 avril 1945, à Campagna (Salerne), Raffaele Pettti, le secrétaire de la fédération provinciale, a parlé devant 200 personnes sur le thème « Ricostruire moralmente e materialmente l’Italia » ou bien : Voce socialista, 22 septembre 1945, où un article consacré à l’urgence de réformer l’école évoque la nécessaire « reconstruction morale » du pays.
27 Léon Blum, À l’échelle humaine, Paris, Gallimard, 1945, p. 68.
28 Ibid., p. 115-116.
29 Rivoluzione socialista, 1er juillet 1945, « Potrò sbagliarmi… » : L’idea socialista è idea essenzialmente, pregiudizialmente morale e in un certo senso anche religioso. Mi sento a mio agio con un uomo onesto che nulla sa o si cura di sapere di socialismo, ma non infilerei il mio braccio in quello di un disonesto con la tessera del Partito in tasca. So quel che dico: l’operaio che sistematicamente sottrae qualcosa allo stabilimento in cui lavora, ha una sua discutibile concezione dell’indebolimento che si deve recare ogni giorno alla società capitalistica… Domani quel tale sottrarrebbe pure alla sua cooperativa […]. Vinceremo la nostra battaglia se sapremo dare agli italiani la certezza che non solo abbiamo un programma ma pure le forze morali, oltre che le idee, per realizzarlo.
30 Sur cette conception du pouvoir depuis la Révolution française : Biard–Bourdin–Leuwers–Tourret 2015.
31 Le titre Mystique et politique est d’ailleurs celui choisi par l’éditeur Robert Laffont qui publie une sélection de textes de Péguy (Paris, 2015). La mystique, entres autres dimensions, s’incarne dans la défense de la vérité contre tous les intérêts politiques, quels qu’ils soient.
32 IMSC, F. Gianni Bosio, b.94, section Zara, 5 mai 1945 : epurato dall’amm. Postale perché iscritto al PFR appartenente alla milizia postale e alla polizia postelegrafonica. Ha fatto parte della Brigata nera Resega.
33 IMSC, F. Gianni Bosio, b.94, section Vittoria : si pavoneggiava colla divisa della Milizia, era il pericolo degli inquilini della porta dove abitava, minacciando chiunque parlasse male del fascio e dei suoi capi.
34 FSSFT, F. Mauro Ferri, b.46, section d’Arezzo-centre.
35 Sadoun 1982, p. 228.
36 Voir Castagnez 2004, p. 35. Parmi les douze, neuf avaient voté « oui » (Gaston Allemane, René Arbeltier, Sylvain Blanchet, Max Hymans, Paul Lambin, André Pringolliet, Camille Riffaterre, Charles Saint-Venant et Louis Sibué), deux s’étaient abstenus (Pétrus Faure et Charles Lussy) et le dernier, André Dupont, était sur le Massilia.
37 Ibid., p. 39.
38 Ibid., p. 44.
39 Le Réveil Ardennais, 18 novembre 1944, « Impressions de congrès », Jacques Bozzi.
40 OURS, Rapport du congrès 1945.
41 Castagnez – Morin 2000, p. 38.
42 10 % des parlementaires, 11 % de la Commission administrative permanente, 15 % des secrétaires fédéraux d’avant-guerre. Ibid., p. 38-39.
43 Cité par Castagnez 2004, p. 77.
44 Le constat est dressé par Wieviorka 2016, p. 18.
45 Sandro Pertini (1896-1990) : inscrit au PSU en 1924, il est emprisonné et relégué pendant une grande partie de la période fasciste. Il est l’un des principaux dirigeants de la Résistance et du Comité de libération nationale d’Italie du Nord (CLNAI). Il est ensuite tenant de l’unité d’action mais non fusionniste. Plusieurs fois directeur de l’Avanti ! (1946-1947 et 1949-1951), il jouit d’un grand prestige au sein du parti. Député de la Constituante, puis sénateur (1948-1953), il redevient député en 1953 et est constamment réélu jusqu’à devenir président de la Chambre (1968-1976) et surtout Président de la République (1978-1985).
46 L’Avenir du Nord, 2 février 1947, « Les JS font le point ».
47 Mauroy 1977, p. 39.
48 Maire de Charleville de 1925 à 1940, député des Ardennes de 1928 à 1936, mort en 1943.
49 OURS, Fédé. Ardennes, b.43. 1945, non datée.
50 OURS, Fédé. Ardennes, b.38. 1945, non datée.
51 Besse – Bigorgne 2010. Pierre Sorton est par la suite assassiné en juillet 1946, dans des circonstances restées obscures, mais que l’on suppose liées à l’épuration.
52 Voir sur ce point : Bouchet 2014. Le cas de Léon Blum, marié trois fois et auteur du sulfureux Du mariage est exceptionnel.
53 AN, F. Léon Blum, 570AP/22, Correspondance. 4 juin 1946, lettre signée B. Montagnon, Paris 18.
54 Castagnez 2004, p. 45.
55 La condotta individuale, familiare e professionale del suddetto nominativo ha dato mai luogo ad alcun rilievo di carattere morale? […] Qual’è stata sino ad oggi la sua condotta politica – particolarmente durante il regime fascista?
56 Dans les faits, les premiers noyaux des sections se reforment souvent autour d’anciens militants à la conduite plus ou moins établie pendant la guerre, qui examinent les nouvelles demandes d’adhésion. En France, c’est plus rare et l’exemple des Pyrénées-Orientales, où une telle règle existe, est peu suivi (Castagnez 2004, p. 41).
57 FGDV, Fédé. Bari, s.9, 1944, admissions refusées : Dante Casaburi. Antifasciste mais son adhésion est refusée pour « immoralité et mauvaise conduite morale ».
58 FGDV, section Bari-centro. La décision est prise le 23 août 1945, sans qu’on sache si elle a effectivement été appliquée.
59 FGDV, Fédé. Bari, s.9, 1944, admissions refusées. Angelo Bernascemi, Vive con un amante che ha figli. Il marito di costei è un richiamato alle armi ed internato. Percepiscono il sussidio per famiglie militari richiamati alle armi. Poco scrupoloso.
60 Une discussion avec les archivistes de la Fondation Turati de Florence laisse penser que la fédération d’Arezzo a exclu un ou plusieurs militants pour ce même motif. Le carton concernant les affaires disciplinaires de la fédération (FSSFT, F. Mauro Ferri, b.95. Federazione Arezzo, Probiviri – I° sezione, 1945-1963) n’est pas communicable en raison d’informations à caractère personnel révélant l’orientation sexuelle des militants exclus.
61 Bellassai 2000, p. 204.
62 Les archives conservées ne sont cependant pas assez nombreuses pour permettre une étude statistique de large ampleur (FGDV, section Bari-centro ; AC Fiesole, F. PSI, b.2.1).
63 FSSFT, F. Mauro Ferri, b.49, Section d’Arezzo, Verbali.
64 Mattera 2004, p. 56-57.
65 IMSC, F. Gianni Bosio, b.103, f.30, Federazione giovanile Milano. Le 9 novembre 1945, la fédération de Sesto San Giovanni communique l’exclusion de deux militants à la fédération. Le 2 août 1945, la section Romana Vigentina fait de même auprès de la fédération adulte (indole morale).
66 ACHSP, F. Daniel Mayer, 3MA5. Lettre de Léon Blum à Charles De Gaulle, novembre 1942. Suit une seconde lettre, datée du 15 mars 1943 dans laquelle Blum rappelle les mêmes principes : « Je tiens pour constant qu’un État démocratique – quelle que soit sa constitution, quelle que soit la part qui y est laissée à la représentation parlementaire – ne peut vivre et ne peut même pas être conçu raisonnablement sans l’existence de partis politiques. La négation pure et simple des partis politiques équivaut à la négation de la Démocratie, de même d’ailleurs que la condamnation absolue et indistincte de tout système parlementaire équivaut à la condamnation du système démocratique ».
67 Cité par Berstein 2006, p. 700.
68 Voir L’Œuvre de Léon Blum (1945-1947), p. 296-305.
69 Article 49 : « Tous les citoyens ont le droit de s’associer librement en partis, pour concourir, démocratiquement, à déterminer la politique nationale » (Tutti i cittadini hanno diritto di associarsi liberamente in partiti per concorrere con metodo democratico a determinare la politica nazionale).
70 À propos du PCF, Roger Martelli estime que le chiffre réel ne dépasse probablement pas 550 000 militants (Martelli 2010, p. 42). Sur le MRP, voir Letamendia 1995, p. 198. Pour des données plus précises sur les socialistes, cf. infra et, en annexes, les tableaux 3 à 8. Les chiffres italiens proviennent de Lupo 2004, p. 4.
71 Degl’Innocenti 2007, p. 108.
72 Par exemple, De Luna 1994, p. 758.
73 Ventrone 2008, p. 119-121.
74 Sur ces questions, voir Mattera 2004, p. 32, qui montre comment des dirigeants comme Giuseppe Faravelli, ancien membre du PSU, défendent sans succès l’option d’une reconstruction du PSIUP sur ce modèle.
75 Degl’Innocenti 2007, p. 109.
76 La fédération de Milan envoie ainsi un questionnaire aux sections en 1948 pour connaître le nombre des militants et leur composition sociale. Elle demande aussi si les militants « fréquentent régulièrement la section » ce qui montre que cela ne va pas de soi. La plupart des réponses sont perdues, mais les quelques documents collectés font le même constat : « en nombre limité » (IMSC, F. Bosio, b. 90, section Zara, Milan).
77 Les données sont asymétriques : alors que la SFIO publie chaque année, dans son rapport de congrès, le nombre de cartes annuelles prises dans chaque fédération et le nombre de timbres mensuels vendus, on ne dispose pas pour l’Italie de sources semblables. Les sources du PSI étant lacunaires, on doit s’en remettre aux données qui figurent dans les archives de Foscolo Lombardi pour le début de la période (ISRT, F. Foscolo Lombardi, b.3) et aux chiffres dont disposent les communistes, bien informés en raison de l’alliance entre les deux partis, pour l’année 1949 (FGR, F. de Moscou, b.260).
78 Sur le coopérativisme rural socialiste : Menzani 2015.
79 Luigi Cacciatore (1900-1951) : il adhère très jeune au socialisme et participe au mouvement de jeunesse à Salerne et Naples. Ingénieur, coopérateur, secrétaire de la Camera del lavoro de Salerne, il quitte le PSI avec Turati en 1922. Il mène ensuite des activités antifascistes et réorganise le parti dans le Sud après 1943. Il se montre alors favorable à l’unité d’action avec les communistes voire à une fusion. Dès lors représentant de la gauche du parti, il est élu député en 1946 et occupe les fonctions de Sous-secrétaire à l’assistance pour les dommages de guerre (assistenza post-bellica) dans le second gouvernement De Gasperi. Après la rupture de 1947-1948, il occupe des fonctions de premier plan au sein du comité du Fronte et de la CGIL.
80 AC Salerne, F. Luigi Cacciatore, b.1, intervention au congrès de Gênes en 1948. Il évoque un épisode de tensions avec les futurs membres du PSLI au congrès de janvier 1947 : E quegli studenti tentarono invece d’insultare Pertini, il nostro Sandro, che ha pagato con 20 anni di galera e di esilio la sua fedeltà alla classe operaia, che lasciò Roma liberata nell’ottobre 1944 per guidare nell’Italia del Nord la lotta contro il nazifascismo.
81 Le Réveil Ardennais, 12 mai 1945.
82 AN, F. Léon Blum, 570AP/23, Correspondance. Roger Martin du Gard, 17 décembre 1946 et Alexis Léger (Saint-John Perse), 25 décembre 1946.
83 À ce sujet, voir le chapitre 7 et les attaques dont Léon Blum fait l’objet dans la presse socialiste italienne quand il prend parti lors de la campagne des élections législatives d’avril 1948.
84 Sur l’antisémitisme au sein même de la SFIO, s’exprimant contre Léon Blum et Daniel Mayer, voir Pradoux 2002, p. 238 ; Dreyfus 2011, p. 198.
85 Ainsi, en 1949, la section parisienne qui organise son 88e anniversaire invite des camarades du Nord à faire le déplacement : « Connaissant les sentiments d’affection que les militants du Nord ont pour Bracke, je serais particulièrement heureux que votre Fédération fût présente à ce témoignage d’amitié » (Lettre de Minietz, secrétaire de la section du 14e arrondissement de Paris, 8 juillet 1949, AD Nord, Fédé. Nord, b.98). En 1946, l’Avanti ! di Francia signale la fête que la section du 14e arrondissement organise pour ses 85 ans (édition du 3 octobre 1946).
86 Mauroy 1977, p. 42.
87 Tamburrano 1986, p. 9-19.
88 FPN, F. Pietro Nenni, UA2028, juillet-décembre 1945. Selanich, Trieste, 4 novembre 1945 : Sono certo che tu non tradirai. Noi siamo eguali. Chi ha dimostrato il coraggio in Spagna, tu non Saragat !
89 À ce sujet, voir le chapitre 7 et notamment la vignette de l’Avanti ! qui représente Giuseppe Saragat (fig. 23).
90 FPN, F. Pietro Nenni, UA2033. Lettre de Giovanni Biddo, Messine, 6 janvier 1947 : Grandi onori saranno tributati […], dopo aspre battaglie delle masse del proletariato, ad un uomo, il quale uomo, figlio del popolo, sei tu […]. Compagno Nenni, vorrei da vicino esternarti il mio grande pensiero verso il quale la mia vita donerei per il mio partito…. e per te. Chiunque ha osato oltraggiare il tuo nome mi sono sempre ribellato, perché da socialista perfetto di cui sono, mi sono sempre opposto quando qualche disonesto, qualche sciacallo ha osato criticare il tuo operato, perché offendere te significherebbe offendere il proletariato.
91 FPN, F. Pietro Nenni, UA2035. Lettre de Giuseppe Scotti, 6 août 1948, Bergame : Mi vorrà perdonare questa mia indiscrezione ma purtroppo mi sento di dovermi rivolgere a lei […] e parlare liberamente come se fosse mio padre.
92 FPN, F. Pietro Nenni, UA2033. Lettre de Giovanni Biddo, Messine, 6 janvier 1947 : Ho rischiato la mia vita specie quel giorno in cui il figlio di quel maniaco Re fuggiasco ebbe l’alto onore di visitare questa Messina, mi sono inchinato al suo passaggio, in segno di saluto e gli ho detto: Viva Nenni, viva la Repubblica. Subito, dopo queste parole fui preso da due poliziotti e fui anche bastonato.
93 Le Populaire, 8 mai 1945, « Vive Blum ! Vive Blum ! », Bracke.
94 Comme le note Stephen Gundle, la figure de Staline fait, de la même façon, l’objet de projections très importantes de la part des militants communistes et est ainsi profondément associée au combat que ceux-ci mènent. Gundle 1995, p. 100.
95 Sur la svolta, abondamment commentée : Spriano 1957 ; Di Loreto 1991 ; Lazar 1992 ; Agosti 1999 ; Pons 1999 ; Aga Rossi – Zaslavski 2007.
96 Sur ces questions, voir notamment Degl’Innocenti 1993, p. 22-25.
97 Mario Zagari (1913-1996) : juriste milanais, il participe à la Résistance, est emprisonné et s’échappe. Il fait partie des fondateurs du MUP et, plus tard, du PSIUP. À la Libération, il est autonomiste et hostile à la participation gouvernementale. Élu député en juin 1946, animateur du courant d’Iniziativa socialista, il quitte le PSI pour le PSLI en janvier 1947. Il est réélu en 1948 et fait partie de l’aile gauche du parti. Il rejoint donc le PSU à sa création puis le PSDI quand ce dernier fusionne avec le PSLI (sur les différentes scissions socialistes, voir le chapitre 7). En 1959, il fait retour au Parti socialiste italien. Il est ensuite plusieurs fois ministre dans les années 1960 et 1970.
98 Giuliano Vassalli (1915-2009) : juriste de renom – il préside à la fin des années 1990 la Cour constitutionnelle – il participe à la Résistance et est membre du PSIUP et du CLN. Proche collaborateur de Pietro Nenni à la Libération, il poursuit sa carrière universitaire et est élu député dans les années 1960. Il devient ministre de la Justice à la fin des années 1980.
99 Les forces de gauche nomment à l’époque « Vent du Nord », le souffle issu de l’insurrection du nord de l’Italie, au début de l’année 1945, pour hâter la libération de l’Italie. La Résistance, marquée par la collaboration des partis marxistes est alors porteuse d’espoirs de profondes transformations sociales. Sur ce point, voir le chapitre 2.
100 Le débat contradictoire a lieu à Lille, en novembre 1900, devant 8000 auditeurs. Les journaux lui donnent une résonnance nationale. Voir : Muller 1989 ; Candar – Duclert 2014, p. 255.
101 Ciuffoletti 1992, p. 414-415.
102 FPN, F. Pietro Nenni, UA2024. Lettre d’Antoniolitti, Rome, 24 août 1944 : Affiora anche un certo malessere per la nostra permanenza al Governo che si ritiene in piena perdita ed un vero sbaglio di tattica rivoluzionaria perché non essendo capaci a risolvere il problema del vivere quotidiano della grande maggioranza della Nazione siamo condannati ad andare incontro (speriamo di no) alla riabilitazione del tanto deprecato Noske tedesco.
103 Sur Iniziativa socialista et son rôle dans la scission italienne de janvier 1947, voir le chapitre 7.
104 Iniziativa socialista, n°1, 15 novembre 1946, « Iniziativa socialista, per l’unità europea. Per una nuova politica » : Contro il tripartitismo ministerialista, morsa che, mentre annulla nell’antiteticità interna ogni capacità propulsiva e realizzatrice, si rivela destinata a distruggere nel tempo il Partito socialista.
105 ACHSP, F. Daniel Mayer, 3MA5. « La cité de demain », conférence au grand amphithéâtre de la Sorbonne,13 août 1945.
106 Lafon 2006, p. 236-237.
107 Pendant cette période, le ministre, très impopulaire, est souvent surnommé « Ramadan » ou « Ramadiète », y compris par les socialistes. (Pottrain 1993, p. 87). Sur Paul Ramadier, voir également : Berstein 1992b ; Fonvieille-Vojtovic 1993.
108 La question de la participation ne cesse de prendre de l’ampleur au sein des deux partis. Elle est partiellement résolue en Italie par l’éloignement des socialistes du gouvernement en mai 1947, mais continue d’occuper une place centrale dans les débats français pendant toute la période.
109 ACHSP, F. Daniel Mayer, 1MA8, Vie politique française 1944-1958. Sondages, février-mars 1946 (Service de sondages et statistiques).
110 Buton 2000, p. 175.
111 Sur le détail de ces commissions et leur composition, se reporter à Vigreux 2000, p. 185.
112 Ibid., p. 189.
113 Jeunesse, 6 avril 1945, « Pas d’organisation unique de la jeunesse ! ».
114 OURS, F. Guy Mollet, AGM20, lettre du 29 décembre 1945 au comité central du Parti communiste.
115 Buton 2000, p. 175.
116 Oreste Lizzadri (1896-1976) : secrétaire de la Camera del Lavoro de Gragnano, à côté de Naples, puis syndicaliste à Rome, il choisit de soutenir Serratti en 1921 mais demeure au PSI en 1924. Il fait partie des réorganisateurs du parti à Rome pendant la guerre et organise l’activité clandestine. C’est chez lui qu’est créé en 1943 le PSIUP. Membre du CLN central, il y représente les socialistes. Après la guerre, il est animateur du courant Compiti Nuovi autour de la revue éponyme, il incarne l’aile gauche du PSIUP, dite fusionniste. Il est élu député de 1946 à 1968.
117 Par exemple, au congrès de Florence, en 1946. Il affirme alors que le débat sur la fusion n’est plus d’actualité et que les débats devraient se concentrer sur d’autres aspects, puisque les deux partis ont été recréés, « avec leurs positions mentales et leurs caractères propres » (FLLB, F. Basso, s.16, UA1, Congrès socialistes, 1946 : con le loro posizioni mentali e le loro unilateralità).
118 Taddei 1984, p. 37.
119 Tamburrano 1986, p. 197-199 : fiammata fusionista.
120 Sur le congrès de Florence, voir l’analyse très complète de Taddei 1984.
121 ACS, F. Pietro Nenni, s. partito, b.87, f.2188, Relazione sul convegno Socialista-democratico cristiano, Rome, 1er juin 1945 : Per noi e per voi il problema della democrazia consiste nella capacità di condurre i comunisti sul piano del metodo democratico. Sur les circonstances de la rencontre, voir infra.
122 Ibid. : Ricorda la repubblica di Weimar. Allora il Partito socialista tedesco appariva agli occhi del popolo come un partito della reazione. Senza il patto, la logica delle cose avrebbe già determinato in Italia una lotta tra socialista e comunista, della quale avrebbero potuto gioire solamente i reazionari.
123 ACS, F. Pietro Nenni, s. partito, b.87, f.2189, Réunion du comité central, 18 octobre 1945 : Che dovrebbe preoccupare seriamente tutti i socialisti; e questo fatto è avvenuto soprattutto in Francia. Si tratta di uno slittamento sociale molto pericoloso per noi socialisti, perché assistiamo a un fenomeno che se dovesse svilupparsi e arrivare alle conclusioni che sembrano delinearsi, toglierebbero al Partito socialista ogni carattere di partito di classe.
124 ACHSP, F. Daniel Mayer, 1MA7.8, Bulletin intérieur de documentation et d’étude, n°1, octobre 1943.
125 Sur la représentation des différents partis politiques et les comparaisons constantes avec l’image que les socialistes ont d’eux-mêmes, voir le chapitre 4.
126 L’Œuvre de Léon Blum (1945-1947), p. 285.
127 Critica sociale, 15 décembre 1946, « Esame di coscienza », Alessandro Levi : Mi pare che vari atteggiamenti di una notevole corrente degli attuali iscritti al Partito Socialista permettano di diagnosticare, nei confronti del comunismo, i sintomi di quello che il Freud chiamerebbe "un complesso d’inferiorità". Quando si dice, per fare un solo esempio, che il Partito socialista deve affiancarsi a quello comunista – anziché dire, ed auspicare, che il nostro deve essere affiancato dal partito comunista – […] denuncia almeno uno subcosciente "complesso d’inferiorità".
128 Foa 1991, p. 202 : Mentre lo stalinismo dei comunisti era spiegabile con la loro fedeltà (come dire?) costitutiva verso l’Urss, lo stalinismo socialista può essere spiegato solo con una totale sfiducia dei socialisti nelle loro forze, nella stessa loro capacità di pensare.
129 Dès les élections législatives d’octobre 1945, la SFIO fait un score inférieur au PCF (24,1 %, comme le MRP, contre 26,8 % au PCF). L’écart se creuse ensuite et le Parti socialiste devient la troisième force politique (21,1% en juin 1946 contre 26,2 % au PCF et 28,1 % au MRP et 18 % seulement en novembre 1946, contre 26,5 % au MRP et 28,5 % au PCF).
130 ACS, MI, PS, s.1944-1949, b.8, f. Lecce. Rapports de police, Gallipoli, du 15 août 1944 et du 10 novembre 1944.
131 ACS, MI, PS, s.1944-1949, b.8, f. Avellino. Rapport du 3 décembre 1944, S. Martino (Avellino).
132 FGR, F. PCI, 1949, Partiti politici, PSI, doc.1090. Le document a été réalisé en 1949 mais recense les éléments qui ont été communiqués au parti dans les mois précédents. La plupart des informations datent de 1948 mais certaines de 1947. Plusieurs types de désaccords sont relevés par les communistes. Parfois, ils estiment que les relations sont dégradées à cause de l’anticommunisme d’un dirigeant influent (c’est le cas par exemple à Cuneo, Massa, Macerata). La collaboration est parfois inexistante du fait des problèmes internes de certaines fédérations qui sont soit paralysées par leurs divisions (Macerata) soit, le plus souvent, très faibles numériquement. C’est le cas à Livourne, Frosinone ou Piacenza, où les communistes se plaignent de l’inefficacité des socialistes et du peu d’entrain que ceux-ci manifestent pour l’unité d’action. Enfin, le PCI déplore également des tensions avec les socialistes pour l’hégémonie sur les organisations communes – syndicat, camera del lavoro, coopérative – : sans surprise, ce cas de figure se présente surtout dans les régions où l’enracinement socialiste est ancien (le document cite Savone, Ferrare, Alessandria).
133 Lelio Basso, Pietro Nenni : carteggio. Trent’anni di storia del socialismo italiano, éd. Luciano Paolicchi, Rome, Editori Riuniti, 2011, p. 80. Lettre du 23 février 1945 : Per il Veneto, abbiamo dovuto lottare contro una mentalità antidiluviana, che faceva capo ad alcuni compagni di Padova, Vicenza e, in parte, Venezia. La parola d’ordine era l’anticomunismo.
134 FPN, F. Pietro Nenni, UA1598, Angelina Merlin. Elle écrit, dans une lettre du 16 décembre 1949 : « Les socialistes de Rovigo ont derrière eux la foule des journaliers au chômage, affamés et croyant dans le socialisme de leurs pères et de leurs grands-pères. Ils se sont sacrifiés à ce dernier pendant les longues années pendant lesquelles ils durent subir le fascisme des propriétaires terriens, ils sont fidèles au parti et ils l’ont démontré pendant les élections [de 1948], même si beaucoup d’entre eux n’étaient pas favorables au Fronte » (I socialisti di Rovigo che hanno dietro a loro le folle dei braccianti disoccupati, affamati e credenti nel socialismo dei padri e dei nonni, ed a questo si sono sacrificati nei lunghi anni in cui subirono il fascismo degli agrari, sono fedeli al partito e lo hanno dimostrato nelle elezioni, malgrado molti non fossero favorevoli al Fronte).
135 FPN, F. Pietro Nenni, UA1598, Angelina Merlin. Lettre du 11 novembre 1949.
136 FGR, F. PCI, 1949, Partiti politici, PSI, doc.1090.
137 ISRT, F. Foscolo Lombardi, b.2, f.2, lettre du 21 juin 1946, Giuseppe Tocco : I comunisti avevano terrorizzato i socialisti, i quali per un mio comizio avevano paura di uscire dalla Sezione con la nostra bandiera !
138 Mattera 2004, p. 94.
139 FGR, F. Moscou, b.259. Correspondance avec les socialistes. Isola del Liri, 28 octobre 1946.
140 FGR, F. Moscou, b.259. Rapport de la fédération de Bologne, 1947. « Les rapports entre nos sections et les sections socialistes sont moins solides […]. Avec les dirigeants de la fédération du PSI, nous nous efforçons de triompher de cet état de fait en insistant pour que fonctionnent partout les comités d’entente et que nos dirigeants locaux et les éléments de la gauche du PSI entretiennent des relations personnelles » (I rapporti tra le nostre sezioni e quelle socialiste sono meno solidi. […] Assieme ai dirigenti provinciali del PSI, ci sforziamo di vincere questo stato di cose insistendo che ovunque funzionino le Giunte d’Intesa, si intrattengono rapporti personali tra elementi della sinistra del PSI e i nostri dirigenti locali).
141 La Savoie élit trois députés et les socialistes n’en avaient aucun en octobre 1945 et juin 1946 en raison de l’alliance du radical Pierre Cot avec le PCF. À l’automne 1946, la SFIO les rejoint mais, malgré les 46 % obtenus par la liste, François Marcet, le maire de Chambéry n’est pas élu. Il échoue la même année au Conseil de la République et la fédération qu’il dirige est dissoute, le contraignant à démissionner de toutes ses fonctions dans le parti. Sur l’épisode, voir : Goergen – Morin 2008 ; Sorrel 2011.
142 AN, MI, F/1a/4734. Rapports des Renseignements généraux, Chambéry 17 décembre 1946 et 17 janvier 1947.
143 Le PCF, arrivé en tête des législatives de novembre 1946 réclame la présidence du Conseil. La majorité constitutionnelle étant fixée à 310 voix et l’addition des députés socialistes et communistes ne totalisant que 284 voix, Maurice Thorez n’a que peu de chance d’obtenir la confiance. Le vote a lieu le 4 décembre. Le comité directeur et le groupe parlementaire décident de voter en sa faveur. Mais sur les quatre-vingt-dix-neuf députés socialistes, vingt ne suivent pas la consigne. Sur ce point, voir Castagnez 2004, p. 261-263.
144 AN, MI, F/1a/4732. Rapport des Renseignements généraux, La Roche-sur-Yon, décembre 1946.
145 C’est aussi le cas d’André Philip dans le Rhône et d’Édouard Depreux dans la Seine. Comme dans le cas de Gorse, les fédérations refusent ces démissions, mais Philip reçoit un blâme de celle du Rhône. Castagnez 2004, p. 262.
146 OURS, F. Maurice Deixonne, 1APO11, notes manuscrites, congrès fédéral, août 1945.
147 Le Cri des travailleurs, 26 janvier 1946, « Vers l’Unité ».
148 OURS, F. Maurice Deixonne, 1APO12. Le 28 février, plusieurs correspondants écrivent à Daniel Mayer pour plaider la cause de Deixonne. Il s’agit de Verdeille, Reynes, Gayssot, Melle Dupuy (représentante des femmes socialistes) et Esteban (représentant des JS).
149 Comme souvent, la tenue du cahier dépend du secrétaire de section. En mars, Pierre Brousmiche, qui tenait le cahier démissionne et la source devient bien plus succincte et lacunaire.
150 OURS, Fédé. Ardennes, b.18. Correspondance de la fédération, section de Haybes, 25 juillet 1945.
151 OURS, Fédé. Ardennes, b.44. Cahier de section de Monthermé, 16 juillet 1945.
152 Ibid., 30 juillet 1945.
153 Mattera 2004, p. 93 : i legami associativi e personali precedevano quelli politici: i compagni socialisti e comunisti si incontravano sul lavoro e ancora più fuori, nelle osterie, conversando di vicende personali e politiche. Sur les lieux de sociabilité socialistes, voir le chapitre 6.
154 FGR, F. Moscou, b.259. Rapport de la fédération de Ferrare, 29 mars 1946, qui rapporte que l’entente est meilleure dans les sections périphériques, la section du centre leur étant moins favorable.
155 OURS, Fédé. Ardennes, b.44. Cahier de section de Monthermé, 27 septembre 1947.
156 AN, F. André Philip, 625AP5, Correspondance. Lettre au général de Gaulle, 29 octobre 1945.
157 Sur l’autoreprésentation comme parti ouvrier, voir le chapitre 4.
158 Sur les débats qui traversent l’IOS, voir : Vergnon 1997.
159 Donneur 1983 ; Devin 1992. Paolo Mattera reprend la même typologie (Mattera 2017). Sur les débats qui agitent les socialistes à propos de la reconstitution de l’Internationale : Vergnon 2016.
160 Devin 1992, p. 50.
161 Jeunesse, 2 mai 1946. Les JS françaises revendiquent alors la reconstitution de 96 fédérations et les Italiens annoncent 80 fédérations et 3 000 sections. Selon Christine Bouneau, à cette date, les JS françaises comptent environ 30 000 militants (Bouneau 2009, p. 401).
162 En France, les JS sont dissoutes en juin 1947 et en Italie elles quittent le PSI lors de la scission du PSLI, donnant lieu à un laborieux travail de reconstruction longtemps resté très incomplet.
163 ACS, F. Pietro Nenni, s. partito, b.87, f.2192. Lettre de l’ambassade à Londres du 28 janvier 1946. La lettre a été transmise à Nenni par le Ministère des Affaires étrangères.
164 De Graaf 2019, p. 9, fait le même constat.
165 Avant-guerre, on compte environ un million d’Italiens installés en France. La CGT revendique 200 000 inscrits italiens en 1937, chiffres qu’il faut sans doute relativiser, mais qui montrent tout de même le lien entre l’émigration et le mouvement ouvrier (Vial 2006, p. 272). Malgré tout, les effectifs des partis politiques demeurent extrêmement limités, ne s’élevant sans doute qu’à quelques milliers d’adhérents. Michel Dreyfus avance le chiffre de 3 500 militants en 1938 (Dreyfus 1986). Sur la présence italienne en France, voir aussi Guillen 1982 ; Milza 1986 ; Tombaccini 1988 ; Bechelloni – Dreyfus – Milza 1995 ; Blanc-Chaléard 2000 ; Blanc-Chaléard 2003.
166 Voir infra, chapitre 7.
167 Agence France Presse, 11 mai 1945. Publié dans Le Populaire du 12 mai. Pietro Nenni travailla effectivement comme journaliste au Populaire pendant son exil français, où il eut l’occasion de collaborer avec Léon Blum.
168 AN, F. Léon Blum, 570AP/22. Lettre de Giuseppe Modigliani, 13 mai 1945.
169 AN, F. Léon Blum, 570AP/22. Billet de Pietro Nenni, 7 octobre 1945 : « Mon cher Blum, je confie à ma fille, qui rentre en France, mes salutations pour vous et mes souhaits pour le parti. Je considère les élections cantonales comme un heureux prélude aux élections politiques [législatives]. Chez nous la situation s’aggrave. Nous ne serons pas prêts pour faire les élections pour la Constituante avant l’hiver et il y a un grand risque à les renvoyer au printemps. D’autant plus que nous aurons un hiver très dur, sans pain, sans toit, sans feu. […] ».
170 Tamburrano 1986, p. 113.
171 Par exemple, Jacques Toesca, un militant de Nyons, lui rappelle une réunion commune tenue jadis à Toulouse et le félicite pour son action en Italie (FPN, F. Pietro Nenni, UA2028. 24 juin 1945).
172 Le Populaire, 27 mai 1945, « Pietro Nenni arrêté et relâché ! ».
173 Jeunesse, 23 mars 1945, « Deux peuples, deux destins », P. Bolomey.
174 Le Populaire, 12 avril 1946.
175 Cf. infra, chapitre 8.
176 Le Cri des travailleurs, 13 juillet 1946, « L’Italie proteste », Salomon Grumbach.
177 ACS, F. Pietro Nenni, s. partito, b.87, f.2186. Consiglio nazionale di Napoli, 4-5 settembre 1944: L’Italia sa che il Dodecaneso appartiene alla Grecia e non può neanche consentirsi il gesto teatrale di far dono alla Grecia di ciò che le si appartiene !
178 Le Populaire, 14 mars 1945, « Face à l’avenir », Pietro Nenni.
179 Le Populaire, 2 juillet 1946, « L’Italie, ennemie d’hier ou amie de demain », Léon Blum.
180 ACHSP, F. Daniel Mayer, 3MA5. Lettre du 8 juillet 1946, reçue par Léon Blum, de Matteo Matteotti. « Cher camarade Blum, Je viens de lire votre article "Ennemie d’hier ou amie de demain ?". Votre article qui a provoqué un tel remous dans l’opinion publique française et une si grande émotion parmi les socialistes italiens et français me donne l’occasion de vous écrire pour vous dire mes sentiments de reconnaissance et d’admiration devant votre acte de courage et de confiance en la démocratie italienne. Permettez au jeune qui s’adresse à vous de vous assurer que cette confiance que vous – au nom du socialisme français – montrez à l’Italie démocratique, est un grand réconfort et une aide que nous ne devons pas taire, au socialisme italien, autant qu’au socialisme international. La vraie démocratie française a parlé à travers vos paroles. Autre, aurait été, certes, la Paix entre la France et l’Italie, si les socialistes détenaient le pouvoir dans les deux pays. Ce qui n’est aujourd’hui que souhait, sera la réalité de demain, par nos efforts parallèles et conjugués à la fois. Cette certitude me fait affirmer encore une fois avec vous qu’il faut empêcher à tout prix que cette "niaiserie" – que notre camarade Charles Dumas a si bien caractérisée – soit un empêchement, même temporaire, aux bonnes relations entre nos deux pays. Recevez, cher Camarade, avec mon admiration, l’expression de mes sentiments de solidarité socialiste. Matteo Matteotti. Ps : Je me permets de vous envoyer ce témoignage tel que, plein de fautes et de ratures, comme il est sorti du fond de mon cœur ».
181 PP, 4BA2316, Congrès nationaux SFIO. Rapport du 13 août 1945.
182 Jeunesse, 16 août 1945, « Le 37e congrès de la SFIO ».
183 ACS, F. Pietro Nenni, s. partito, b.87, f.2191. Le texte est reproduit en annexes.
184 Le Populaire, 14 août 1945, Compte rendu du congrès.
185 Filippo Turati (1857-1932) et Claudio Treves (1869-1933). Le transfert de leurs cendres en Italie en 1948 donna lieu à une concurrence entre le PSLI et le PSI, cf. infra, le chapitre 7.
186 Vittoria Nenni (1915-1943) : elle vit en France où son père a trouvé refuge et épouse, en 1936, Henri Daubeuf (1911-1942), militant communiste. Tous deux participent à la Résistance. Daubeuf est arrêté en 1942 et fait partie des quatre-vingt-huit otages assassinés au Mont-Valérien, le 11 août. Vittoria Nenni est déportée le 21 janvier 1943 de Compiègne et meurt à Auschwitz, le 16 juillet, du typhus. Selon la fondation Nenni, Vittoria Nenni refusa de faire valoir sa nationalité italienne qui aurait pu lui éviter la déportation, pour demeurer auprès de ses camarades françaises. Charlotte Delbo, qui fut amie de Vittoria Nenni à Auschwitz, l’évoque dans Le convoi du 24 janvier, Paris, Minuit, 1965.
187 Le Populaire, 14 août 1945, Compte rendu du congrès.
188 Critica sociale, 15 septembre 1945, « Il XXXVII Congresso Socialista Francese ».
189 Voir Donno 2011.
190 Socialismo, août-septembre 1945, « Léon Blum prima e dopo », Aldo Valcarenghi.
191 Quarto Stato, août 1946, « I nostri voti accompagnano i loro sforzi ».
192 Quarto Stato, septembre 1946, « In margine al Congresso socialista francese » : Concezione squisitamente riformistica, contraria ad ogni insegnamento di Marx.
193 L’Avanti !, 31 août 1946, « Il socialismo francese a congresso. Vittoria della sinistra ».
194 L’Avanti !, éd. Milan, 12 novembre 1946, « Primo Parlamento della Quarta Repubblica francese » : I socialisti hanno scontato peccati non loro.
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« L’espoir quotidien »
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