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Chapitre VIII. Pratiques d’accumulation et processus de désinvestissement

p. 413-483


Texte intégral

1L’observation des pratiques de succession, des modalités de partage et des mécanismes de conservation conduit, par la force des choses, à considérer le patrimoine comme un agrégat stable de biens destinés, au terme de l’existence, à passer d’une génération à l’autre et à occulter les modifications qu’il a pu subir entre le moment où il a été reçu et celui où il est transmis. La reconstitution de la généalogie des biens dotaux a cependant montré tout l’intérêt d’une démarche soucieuse de restituer la profondeur temporelle des choix qui guident les acteurs. La source fiscale offre la possibilité d’aller plus loin encore en suivant, pas à pas, l’évolution du patrimoine modelé par des héritages directs ou collatéraux, dont la chronologie est imprévisible, et des achats, des ventes, des donations personnelles qui relèvent des choix plus ou moins volontaires des propriétaires. Le rythme et l’intensité de ces transformations peuvent être mesurés à partir d’une double méthode d’analyse.

2La première repose sur la reconstitution de véritables biographies patrimoniales afin d’interpréter les transformations du patrimoine et leur chronologie en fonction des phases successives du cycle de vie du propriétaire. Cette micro-analyse des comportements économiques a pour ambition de répondre, dans la mesure du possible, à un certain nombre de questions : y-a-t-il au cours de ce cycle une période privilégiée pour acheter et une autre pour vendre ? L’horizon d’une vie est-il le cadre temporel pertinent pour comprendre les comportements patrimoniaux ? Investit-on pour soi ou pour transmettre ? On aura compris à ces demandes qu’il ne s’agit pas d’écarter la transmission du champ de l’analyse, mais bien de comprendre son articulation avec les pratiques d’accumulation qui la précèdent et qui parfois la suivent.

3La seconde méthode d’analyse que nous voudrions mettre en œuvre consiste à comparer l’état d’un même patrimoine à trente ans de distance pour établir la fréquence et l’ampleur des reclassements qui s’opèrent au sein de la pyramide patrimoniale. En toile de fonds, elle est guidée par le souci de comprendre quel lien existe entre la mobilité différentielle des patrimoines et le niveau de fortune et du même coup quelle est, selon les milieux, la part respective de l’héritage et des pratiques d’accumulation dans la formation du patrimoine.

A–CYCLE DE VIE ET COMPOSITION DU PATRIMOINE

1) La fin de vie comme horizon : de petits patrimoines de précaution

4Pourquoi accumuler des biens ? Depuis les propositions de I. Fisher, le courant néo-classique s’accorde à penser que l’accumulation vise à satisfaire les besoins futurs du propriétaire ou de ses enfants1. Dans cette perspective, le patrimoine est défini comme un transfert de pouvoir d’achat dans le temps pour ajuster les ressources aux besoins : c’est une réserve de consommation différée. Toute la question est alors de savoir sur quel horizon s’élaborent les stratégies d’accumulation : est-ce en fonction des seuls besoins du propriétaire comme le suggère l’hypothèse du cycle de vie, formulée par Modigliani2, ou est-ce également en fonction de l’intérêt des enfants comme l’avancent les modèles plus altruistes3 ? Une chose est sûre : dans tous les cas de figure, les théories d’inspiration néoclassique interprètent les comportements patrimoniaux en termes fonctionnalistes : l’homo oeconomicus adopte un comportement rationnel et prospectif qui vise à maximiser son bien-être, en arbitrant entre ses besoins présents et futurs. C’est un être calculateur, capable d’évaluer l’évolution à venir de ses ressources et d’anticiper sur le montant de sa consommation future, afin de dimensionner l’épargne à ses besoins. S’il immobilise trop de revenus, il se prive d’un bien-être présent ; s’il n’accumule pas assez, il court le risque de ne pas pouvoir assurer, à l’avenir, le même niveau de consommation. Un tel prédicat ne manque pas de soulever des interrogations. S’il n’y a pas lieu de contester l’idée que les agents économiques sont des êtres rationnels, ils n’évoluent pas forcément tous dans la même sphère de rationalité. Ils peuvent donc arrêter leur comportement en fonction d’objectifs cohérents, dans un contexte particulier, qui ne visent pas obligatoirement au maintien des équilibres de consommation d’un moment à l’autre de l’existence ou d’une génération à la suivante. Par ailleurs, les économistes néo-classiques conviennent eux-mêmes que le comportement, s’il est fondé sur l’anticipation, doit composer avec une marge d’incertitude, ne serait-ce que celle qui est liée au caractère imprévisible de la durée de vie.

5Ceci dit, l’hypothèse du cycle de vie, présentée ici de manière sommaire, doit retenir l’attention lorsqu’on étudie des sociétés anciennes où l’absence de systèmes de retraite, l’instabilité des revenus et l’incertitude du lendemain rendent indispensable l’épargne pour s’assurer un revenu après la cessation de l’activité. Accumuler constitue tout à la fois une garantie et un gage d’autonomie pour affronter la solitude, la vieillesse, la maladie ou les revers de fortune. Le cycle de vie se divise en deux séquences temporelles : la première correspond à la période d’activité au cours de laquellle on réalise des acquisitions en mobilisant l’épargne personnelle dans le but de se constituer un fonds de réserve ; la seconde phase, au moment de la retraite, est marquée par la jouissance ou la dispersion du patrimoine accumulé pour maintenir un certain niveau de bien-être.

6En limitant les motifs d’accumulation au seul maintien de la consommation en fin de vie, ce modèle a pour effet d’exclure du calcul des acteurs la volonté de transmission4. Puisque le patrimoine est destiné à se consumer, tous les biens doivent disparaître avec leur propriétaire. Si celui-ci laisse derrière lui un héritage, ce n’est pas pour des motifs familiaux, mais parce qu’il est dans l’incertitude sur la durée de son existence. Le risque d’être sans ressources le conduit à conserver des biens qu’il aurait consommés s’il avait vécu plus longtemps. Le montant du legs accidentel est déterminé par la date de la mort : si celle-ci est précoce, l’héritage est important ; si elle est tardive, il peut être nul. Mais en aucun cas, le désir de transmettre n’est un motif d’épargne.

7Il va de soi que l’hypothèse du cycle de vie ne saurait qualifier toutes les pratiques d’accumulation et de transmission. Même pour ses défenseurs elle sert plus à définir le comportement parfait de l’homo oeconomicus moderne dont la vocation serait de consommer tout ce qu’il a accumulé, qu’à délivrer une interprétation universelle des motifs d’épargne et de transmission. Elle désigne, au sein de toute une gamme de modèles d’héritage, les pratiques égoïstes développées hors de toute référence familiale. D’autres modèles permettent de qualifier les situations dans lesquelles le comportement patrimonial est dicté par le souci de transmettre à la génération suivante. Il va de soi que des pratiques plus complexes combinent la nécessité d’accumuler pour se prémunir contre l’incertitude des vieux jours et le désir de léguer à ses enfants, en comprimant par exemple le niveau de consommation dans le but d’augmenter le montant du legs5.

8Par ailleurs, l’hypothèse du cycle de vie repose sur deux prédicats (un horizon limité à sa propre vie et l’assimilation du patrimoine à une consommation différée) qui la rendent difficilement applicable à mesure qu’on s’élève dans l’échelle de la fortune. Il importe donc d’en mesurer la diffusion, d’identifier ses formes altérées qui se démarquent du modèle théorique et de circonscrire les segments sociaux où elle est opératoire6.

9Par manque d’informations biographiques sur tous les propriétaires et faute de pouvoir reconstituer le comportement patrimonial tout au long de leur existence à cause des bornes chronologiques imposées par les sources (1661-1712), nous avons retenu, dans le corpus de propriétaires, une cohorte de 57 personnes dont il est possible de suivre l’activité sur au moins 30 ans7. Indépendamment du niveau de fortune et du statut social, cet échantillon permet de reconstituer la trajectoire d’individus depuis 1661, date du début du suivi longititudinal, jusqu’à leur mort ou celle de leurs héritiers, une fois ceux-ci entrés en possession de l’héritage. Dans la plupart des cas, une observation aussi longue, même s’il lui arrive de ne pas couvrir tout le cycle de vie, permet d’embrasser les phases de maturité et de vieillesse.

10En employant un certain nombre de critères croisés, comme l’existence ou non de phases cycliques, l’origine des biens (acquis ou/et hérités), la nature du désinvestissement (volontaire ou forcé), il est possible de dégager différents profils patrimoniaux et de les regrouper de manière schématique en quatre grandes familles.

111) Les propriétaires qui ont hérité de leurs biens présentent une activité patrimoniale faible, voire inexistante. Quand ils vendent ou achètent, il n’est pas possible d’établir si le recours au marché est lié à une étape ou un moment particulier de leur cycle de vie car leurs interventions sont trop peu nombreuses. 2) Le patrimoine reçu en héritage est dispersé sans que cela soit lié à une période précise de l’existence. 3) Les propriétaires consolident leur patrimoine de manière à peu près continue au cours de leur existence. 4) Les propriétaires multiplient dans un premier temps les investissements avant de les interrompre et de céder leurs avoirs.

12Les résultats reportés dans le tableau permettent de mesurer la répartition de chacune de ces catégories.

Tableau 52
COMPOSITION DU PATRIMOINE AU COURS DU CYCLE DE VIE

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13Parmi ces différents profils patrimoniaux, un seul se rapproche du modèle proposé par l’hypothèse du cycle de vie, celui dans lequel une phase d’investissements précède l’arrêt des achats ou la cession des actifs. D’autres patrimoines évoluent de manière significative entre le moment où ils sont reçus et celui où ils sont transmis, mais il n’est pas possible de lier cette variation à l’âge du propriétaire ou à une phase particulière de son existence. Quant aux patrimoines qui ne changent pas ou peu, ils témoignent également, à leur manière, de la déconnection entre le comportement patrimonial et le déroulement de l’existence. Ces deux catégories représentent les deux tiers des patrimoines examinés.

14Si le tiers restant présente un profil proche du modèle du cycle de vie, il ne saurait s’y conformer complètement dans tous les cas. Il ne suffit pas de constater une phase d’accumulation, puis de désinvestissement, pour conclure à une totale ressemblance avec le modèle théorique, il faut aussi que l’évolution du patrimoine soit le produit d’un calcul et anticipe des besoins. Or ce point est loin d’être acquis, dans la mesure où la cession d’actifs est parfois dictée par des décisions judiciaires, indépendamment des besoins ou de la situation financière du propriétaire.

15Au total, les exemples où la variation du volume du patrimoine est liée aux moments du cycle de vie sont nettement minoritaires (11 sur 57). Le fait est, au demeurant, fort compréhensible car le modèle s’applique surtout à des personnes dont les ressources proviennent d’une activité professionnelle : des commerçants, des artisans, voire des médecins d’origine cittadina. Si le revenu de leur travail leur permet d’épargner et d’investir, il va de soi que le patrimoine qu’ils parviennent à rassembler est de modeste dimension, comportant rarement plus d’un ou deux biens de rapports.

16Le profil patrimonial de Sebastiano Millioni q. Olivio en offre une parfaite illustration (tableau 58 dans les annexes V). On ignore sa profession et la durée exacte de sa vie faute de disposer de la date de naissance. On sait, cependant, qu’en 1661 il gère ses biens en indivis avec son frère, lequel meurt en 1670 et qu’il disparaît lui-même en 17048. C’est donc sur 43 ans qu’il est possible de suivre ses choix en matière patrimoniale, de l’âge mûr à sa mort. Il possède une maison à Cividale di Belluno dont il est manifestement originaire, quelques terres et 1,5 campi de bois dans la montagne de Serva. À Venise, il ne possède qu’une habitation située à San Marcilian (près de la Madonna dell’Orto), mise en location 48 ducats, alors qu’il réside à San Tomà dans une maison appartenant à la Scuola della Carità.

17Jusqu’en 1670, il mène une active politique d’achat de terres autour de Cividale di Belluno et surtout dans la villa di Muserte près de Trévise. Malgré la revente, en 1663, d’une partie des terres acquises, en 1662, et la restitution de la dot de sa belle sœur, Angela Vinenti, composée de 25 campi situés dans la villa di Muserte, les revenus du patrimoine foncier ont crû de 31 ducats (+ 81 %). Il faudrait ajouter à cette somme les intérêts d’un prêt de 1 000 ducats à 5 % dont on perd la trace par la suite. Après la mort de son frère, Francesco, survenue en 1670, Sebastiano cesse d’investir en biens fonciers. Il faut attendre 1680 pour qu’il modifie, en profondeur, la composition de son patrimoine en se défaisant, au cours d’une seule vente, de la totalité des biens qu’il possédait à Cividale di Belluno : les terrains, les bois et la maison qu’il gardait pour son usage personnel. Puis il reste totalement inactif jusqu’à sa mort en 1704. S’il se défait de l’habitation de San Marcilian l’année même de sa mort, c’est sous la contrainte d’une décision judiciaire qui a invalidé l’achat antérieur du bien soumis à fidéicommis. Son fils, Gian Francesco, hérite de 19 et 2,5 campi dans la villa di Muserte qui procurent un revenu foncier inférieur à celui de 1661 (– 11 %). Dans le cas présent, il semble que plusieurs critères s’entrecroisent pour expliquer l’évolution du patrimoine. Le critère professionnel, pris isolément, n’explique pas tout car Sebastiano Millioni se défait de ses biens à un moment où, selon, toute vraisemblance, il est encore en activité. En revanche, la présence, puis la disparition de son frère semblent jouer un rôle décisif : les acquisitions sont faites en commun et s’interrompent après la mort de Francesco. Il est probable que celui-ci a occupé une place importante dans la bonne marche des affaires.

18Le plus souvent, la nécessité d’accumuler pour assurer son propre avenir donne lieu à des comportements patrimoniaux sensiblement différents du modèle théorique. Dans le meilleur des cas, la cessation de l’activité ouvre moins une phase de vente des actifs visant à faire face aux besoins, qu’une période de jouissance du patrimoine accumulé. Le tarissement des ressources en provenance du travail empêche de poursuivre la politique d’acquisitions, mais il n’oblige pas pour autant le propriétaire à se défaire de ses biens qui sont devenus sa source principale et régulière de revenu. Cette solution a l’avantage de ménager à la fois le revenu du propriétaire, qui épargne pour soi à titre préventif, et les intérêts de sa descendance qui accède à l’héritage, fût-il de taille modeste.

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Fig. 19 – Évolution des revenus patrimoniaux de Sebastiano Millioni q. Olivio de 1661 à 1704 (en ducats).

19Les achats que réalise Carlo Amigoni q. Giacomo, fromager (casariol), répondent à ces deux objectifs9. En 1661, ce commerçant possède dans la Casaria de Rialto la boutique où il excerce son métier ; en revanche, il est locataire de sa résidence dans la paroisse toute proche de San Boldo. Il acquiert, en 1661, les droits de jouissance d’une maison située dans la paroisse voisine de Sant’Agostin10. Dans la décennie 1670 – on ignore la date exacte –, il cesse son activité et loue sa boutique 60 ducats par an tandis qu’il s’installe dans la maison qu’il a achetée une décennie plus tôt. À sa mort, en 1691, sa veuve, Caterina Donadei, entre en possession de tous ses biens au titre du remboursement de la dot. En plus des deux biens urbains figure une terre de 30 campi dans la villa di Moggian qui lui procure une rente foncière de près de 15 ducats11. Elle dispose, pour affronter ses vieux jours, d’un logement et d’une rente de 75 ducats.

20Le comportement patrimonial du médecin Girolamo Molino présente le même profil. En 1661, celui-ci a pour tout bien la maison où il habite à San Silvestro12. De 1663 à 1675, il acquiert de petites terres autour de Mestre qui lui procurent 195 ducats de rentes annuelles. Il est, par ailleurs, entré en possession, en 1666, d’un magasin situé sous sa résidence à San Silvestro13. Jusqu’à sa mort, à la fin du siècle, on ne lui connaît aucune autre transaction. Il se contente de gérer les biens qu’il a réunis durant sa période d’activité.

21Dans le pire des cas, la phase d’accumulation est suivie par une série de désinvestissements qui peut conduire à la disparition complète du patrimoine. En vérité, les raisons qui expliquent la cession d’actifs tiennent moins au désir de maintenir un certain niveau de consommation qu’à la nécessité de rembourser des dettes. À la source, les motivations sont certes les mêmes : il s’agit de se procurer de l’argent pour faire face à des besoins pressants. Emprunter est généralement la solution qu’on adopte, dans un premier temps, avec l’espoir de rembourser ou, du moins, de repousser, par des manœuvres dilatoires, les échéances douloureuses. Vendre vient, en revanche, sanctionner un état d’insolvabilité que seule la cession d’actifs peut résorber. Elle ne sert donc pas à anticiper les besoins présents et futurs, mais à se libérer des dettes qui ont permis de satisfaire la consommation passée. Bartolomeo Giovannini se trouve dans ce cas de figure. En 1673, il entre en possession des biens paternels : une maison, d’une valeur locative de 56 ducats, à Santa Margherita le long de la fondamenta, et un prêt de 500 ducats, garanti sur une boutique à San Basso, qui lui rapporte 27 ducats et demi par an14. Il conserve ce petit patrimoine au moins jusqu’en 1715. Il achète, en 1677, à Laura Soranzo trois habitations à Santa Margherita, voisines de la sienne et en très mauvais état, d’une valeur locative totale de 30 ducats15. Il en entreprend la restauration partielle et déclare, en 1679, posséder trois logements, un au rez-dechaussée et deux autres à l’étage, qui lui rapportent au total 72 ducats16. Trente ans passent sans que Bartolomeo modifie son patrimoine. Accablé de dettes contractées à partir de 1704 et dans l’obligation de restituer le fonds dotal de sa femme après la disparition de celle-ci en 1713, il est acculé à la vente, en 171517. Ce sont les habitations qu’il avait acquises et restaurées quand il disposait encore de moyens financiers, qui servent à amortir ses revers de fortune.

22Le rôle souvent décisif de l’endettement conduit à dissocier phase de désinvestissement et période d’inactivité professionnelle. Elles peuvent se confrondre, mais la première peut aussi correspondre à un moment de baisse des revenus dans un système économique où la régularité des ressources est loin d’être assurée. L’inves tissement destiné à se prémunir contre les mauvais jours a lieu à un moment où les resssources permettent de dégager une épargne. En revanche, la dispersion des actifs peut découler de difficultés financières rencontrées dans l’exercice du métier.

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Fig. 20 – Évolution des revenus patrimoniaux de Bartolomeo Giovannini de 1673 à 1715 (en ducats).

23La famille Durli de San Silvestro dont on peut suivre l’évolution du patrimoine sur une cinquantaine d’années en offre l’exemple. En 1675, Giambattista Durli, marié depuis 1668, hérite des biens possédés en indivis par son père Giuseppe et son oncle Giambattista, marchands de cuir (da cordovani)18. Au cours des vingt années précédentes, ceux-ci ont réuni un confortable patrimoine immobilier composé de leur résidence de San Silvestro et de sept biens locatifs qui leur procurent une rente de 333 ducats. Au rythme d’une acquisition tous les un ou deux ans, ils ont également diversifié leurs avoirs en investissant en Terre Ferme autour de Padoue, de la Motta et dans le Frioul19. Au total le revenu en provenance de l’arrière-pays, d’un montant de 351 ducats environ, fait jeu égal avec la rente immobilière. De plus, ils disposaient de l’usufruit de la dot apportée, en 1668, par leur belle-fille, soit un revenu supplémentaire de 315 ducats20.

24En 1675, Giambattista poursuit l’entreprise d’acquisitions foncières amorcée par la génération précédente, tant dans le Frioul, dans la villa di Oltrafossa que près de la Motta21. Il se préoccupe également d’étendre son domaine immobilier, en se portant acquéreur, en 1676, d’une maison dans la paroisse de Sant’Aponal où il possède déjà trois maisons héritées de son père22. Sa situation patrimoniale se dégrade au cours de la décennie 1680 sous l’effet de deux facteurs. Il est, d’abord, victime d’une série de décisions judiciaires qui le contraignent à restituer des biens qui avaient été acquis par la génération précédente, mais sur lesquels les descendants d’anciens propriétaires font valoir des droits premiers23. Il cesse, ensuite, toute acquisition, à l’exception de la concession de deux petits prêts en 168424, et se défait même de l’essentiel du patrimoine immobilier accumulé par la génération précédente. Dans ce cas, il ne s’agit plus seulement de restitutions, mais bien de ventes effectives imposées par le remboursement des dettes contractées par son oncle et son grand-père. Un premier indice de ces difficultés est donné par la location des magasins situés sous le domicile, en 1683, puis du domicile lui-même en 168725. En 1687, pour éteindre une dette qui grevait la succession paternelle, il est contraint de vendre la moitié de deux maisons contiguës à San Silvestro, la moitié de deux autres maisons, situées corte de Sansoni, la moitié d’une boutique à San Matteo et enfin une boutique à Rial-to, soit une perte de 132 ducats de revenu26. Enfin, il cède, en 1698 à Stefano Guerra à qui il doit une créance de 3 197 ducats et 23 gros, contractée par son oncle en 1674 et 1675, une partie du revenu des trois habitations qu’il possède encore à San Silvestro27. Trois restitutions judiciaires, ajoutées à ces ventes, contribuent à la dilapidation à peu près complète du patrimoine urbain28.

25Giambattista Durli est un héritier, dans le sens plein du terme. Il a reçu un patrimoine confortable qui lui permettait de vivre de ses rentes ; il a perpétué la politique d’investissement engagée par son père sans marquer de rupture ; il lui est, enfin, revenu la tâche de solder les comptes de la génération précédente, dont la prospérité apparente reposait sur un recours massif à l’emprunt. Faute de ressources propres pour inverser la situation, il finit par gérer le repli, lequel est aggravé par une série d’annulations de contrats qui réduisent le patrimoine à un niveau fort moyen.

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Fig. 21 – Évolution des revenus patrimoniaux de Giambattista Durli q. Giuseppe entre 1675-1712 (en ducats).

2) L’accumulation comme fin en soi

26Le modèle du cycle de vie, qui repose sur une variation du volume du patrimoine en fonction des phases d’activité, ne permet pas de rendre compte de profils caractérisés par un certain immobilisme ou bien par des investissements continus. Il cesse, en vérité, d’être opératoire à partir d’un certain niveau de fortune. Il fonctionne dans des milieux où les ressources et l’épargne mobilisable dépendent essentiellement des revenus du travail, lesquels varient au cours de l’existence, nécessitant la constitution d’un patrimoine de précaution pour surmonter des difficultés passagères et affronter les vieux jours. À l’opposé, l’accumulation continue de biens est le fait de riches propriétaires qui ont pour caractéristique de tenir leur fortune de l’héritage et d’être affranchis de la nécessité de se prémunir contre les incertitudes du lendemain car leurs ressources ne sont pas liées à l’exercice passager d’un métier.

27Parmi les propriétaires retenus dans l’échantillon, ceux dont les revenus du patrimoine progressent au cours de leur vie, en dépit parfois de phases de stagnation ou de tassement, sont au nombre de 14. Neuf d’entre eux disposent, au moment du recensement fiscal de 1661 ou à la date à laquelle ils accèdent à l’héritage, de revenus patrimoniaux supérieurs à 1 000 ducats par an. Ils sont tous patriciens. Les cinq autres propriétaires présentent, à une exception près, une rente inférieure à 200 ducats29. Mais on compte parmi eux un marchand et un gros commerçant qui disposent d’une autre source de revenu pour investir en biens immeubles. La correspondance entre un haut niveau de fortune et une politique d’accumulation, que l’intuition permettait d’imaginer, trouve confirmation lorsqu’on observe, cette fois-ci, tous ceux qui déclarent plus de 1 000 ducats de revenus fonciers et d’intérêts de prêts livellaires. Au total, 15 propriétaires sont dans ce cas de figure. Neuf d’entre eux, on l’a dit, font prospérer leur patrimoine. Les autres présentent des profils différents : deux ont beaucoup acheté avant de vendre au point d’amputer le patrimoine dont il avait hérité30 ; l’un s’est défait d’une partie de ses actifs31 ; trois autres se contentent de gérer, au mieux, l’héritage32.

28Le fait que l’accumulation de biens exige des ressources et se rencontre, par conséquent, parmi les plus fortunés, ne saurait surprendre. Il est, en revanche, important de souligner que la croissance du patrimoine n’est pas liée à un moment particulier de l’existence, qu’il s’agisse de la période qui suit la remise de l’héritage ou de la phase de pleine maturité professionnelle ou politique. L’accumulation tend à être une pratique continue indépendamment de toute référence à l’âge du propriétaire. Sur la quinzaine d’exemples que nous avons étudiés, un seul présente une nette opposition entre une première période – entre 25 et 35 ans – marquée par de fréquentes acquisitions, puis une longue phase au cours de laquelle les investissements s’espacent et diminuent33. Les autres propriétaires se caractérisent par une activité patrimoniale mieux étalée dans le temps, où peuvent alterner des phases d’investissement, des pauses, voire des reculs à cause de la fréquence des restitutions forcées, mais dans laquelle il n’existe pas de périodes fortement contrastées.

29Il va de soi, cependant, que la vieillesse est propice, notamment chez ceux dont la vie se prolonge au-delà de 70 ans, à un ralentissement, voire un arrêt des investissements. La jouissance du patrimoine accumulé prime alors sur son extension qui avait fait l’objet de tous leurs soins dans les années antérieures. La baisse de l’activité est visible dans le comportement d’Alvise et Giacomo Corner dont les acquisitions sont particulièrement fréquentes entre 35 et 55 ans et s’espacent par la suite. Giuseppe Cassetti présente un profil analogue34 : très actif entre 30 et 40 ans, il porte les revenus du patrimoine foncier (urbain et rural) de 479 à 870,5 ducats et les intérêts des prêts d’argent de 986,5 à 1 784 ducats. Sans renoncer complètement aux investissements, il en ralentit la fréquence par la suite au point de cesser presque toute activité après 65 ans. Citons, enfin, l’exemple d’Antonio Maria Zanetti, riche mercier, installé sur le campo Santa Maria Mater Domini (tableau 65, Annexes VI)35. Entre 1665 et 1696, il ne s’est jamais écoulé trois ou quatre ans sans qu’il achète des biens à Venise ou en Terre Ferme. La dernière opération qu’il réalise a lieu, en 1696, alors qu’il est âgé de plus 65 ans. Sa mort survient sept ans plus tard sans qu’il ait apporté de modifications à la composition de son patrimoine.

30Pour ces rentiers et ces grands marchands, patriciens, cittadini ou riches popolani, le patrimoine et, à sa suite, l’héritage ne peuvent être considérés comme une réserve de consommation différée qui bénéficierait à leurs descendants car le volume transmis excède, de loin, les besoins « élémentaires ». Certes, la définition de tels besoins ne va pas de soi et est sujette à des variations selon les milieux où on l’applique. À mesure qu’on s’élève dans l’échelle sociale, les dépenses alimentaires – celles qu’on juge indispensables – diminuent alors que celles liées au vêtement, au personnel, à l’entretien et à la décoration de la maison ont tendance à augmenter. Or ces postes de dépenses ne sont pas perçus comme accessoires car ils participent du statut social du maître de maison. Il ne peut s’en priver sans déchoir. Il n’en est pas moins vrai que parmi les plus riches, ces consommations courantes, aussi importantes soient-elles, ne concernent qu’une partie minoritaire des dépenses36. Si l’on se fie aux indices dont on dispose pour Venise, Vérone ou Florence, les dépenses alimentaires n’excèdent jamais la moitié du budget dans une famille aisée37.

31L’accumulation obéit, dans la partie la plus riche de la population, à une logique d’un autre ordre. C’est un objectif en soi. Il n’y a pas, en principe, de terme à l’accroissement du patrimoine car ce-lui-ci est au service de buts eux-mêmes illimités : le prestige social, l’influence politique ou le pouvoir économique. À partir d’un certain seuil, les achats de biens, qui s’ajoutent à la masse de ceux hérités, ne visent pas à assurer le niveau de consommation de la génération suivante, ni même à satisfaire les besoins dispendieux imposés par le rang, ils ont vocation à combler une volonté de puissance, sans jamais parvenir à l’assouvir car cet objectif est inaccessible.

32De telles pratiques d’accumulation appelent une question jus-qu’ici laissée en suspens : ont-elles la transmission pour horizon38 ? Il y a dans le principe d’accumulation une forte dimension lignagère puisque les objectifs qui lui sont assignés servent, à travers celui qui l’a mis en œuvre, les intérêts et le prestige social de la famille passée, présente et à venir. Dans l’idéal, la transmission est une étape – et rien de plus – dans un projet d’expansion patrimoniale pour lequel l’horizon de vie des individus ne compte pas. J’en veux pour preuve la parfaite continuité de comportement entre Giovanni Corner et son père Federico. D’un point de vue patrimonial, la mort de Federico en 1677 n’est pas perceptible, car son fils, alors âgé de 30 ans, poursuit la politique d’acquisitions systématiques en Terre Ferme que lui autorise l’immense fortune paternelle39.

33Pour de riches propriétaires assurés d’une descendance, la transmission va de soi dans la mesure où toute leur stratégie d’accumulation s’inscrit dans une logique dynastique qui englobe plusieurs générations. La transmission est alors perçue comme un relai, plutôt que comme une échéance. Mais l’existence d’héritiers en ligne directe ne permet pas de mesurer combien dans certains cas les investissements sont réalisés hors de toute référence familiale. Comment rendre compte, en effet, du comportement de ceux qui conduisent une active politique d’achats alors qu’ils sont dépourvus de descendants ?

34Citons deux exemples particulièrement éclairants. Le premier concerne Zorzi et Pietro Pisani qui reçoivent, en 1686, au titre de l’héritage de leur père, Matteo, la casa da statio de San Tomà, cinq habitations à San Fantin dont une casa grande, une voûte à Rialto, une maison à Padoue pour leur usage personnel et des terres dans la villa di Noventa (d’un rapport de 243 ducats)40. Les deux frères adoptent un comportement patrimonial très différent. Pietro qui bénéficie, en 1688, de la restitution d’une partie de la dot gérée par son beau-frère, Girolamo Molin q. Alvise, et, en 1691, de l’essentiel de l’héritage maternel, se dessaisit de plusieurs biens au profit de son frère Zorzi qui les reçoit en donation ou les rachète41.

35Zorzi se montre, en revanche, beaucoup plus entreprenant42. Le plus gros achat porte sur une casa da statio située à San Barnaba, qui appartenait à son oncle Tommaso Contarini q. Leonardo et qu’il acquiert aux enchères en deux temps : une partie, en septembre 1681, auprès des Governatori dell’Intrate et le reste, en août 1682, au-près de l’office du Sopragastaldo43. En 1686, il emporte, de nouveau aux enchères, une habitation et une boutique situées à Santa Maria Zobenigo, qui avaient appartenu à à son père44. En 1688, il achète une maison à San Felice (44 ducats) et, en 1704, une partie des loyers d’une boutique située à San Zuanne Novo (18 ducats), deux maisons situées à San Moisè (30 ducats) et à Castello (24 ducats)45. Enfin, en 1708, il fait l’acquisition de deux boutiques et de deux habitations à Santa Maria Nova46. Entre-temps, il a resserré le patrimoine familial entre ses mains à la faveur de la disparition de son frère en 169147. Lui-même meurt, en 1711, et ses biens ainsi que ceux de sa défunte épouse, Lorenza Contarini, sont dispersés entre plusieurs ayants droit. Ce qui ne manque pas de surprendre dans son comportement, ce n’est pas seulement qu’il ait beaucoup acheté malgré l’absence de descendance, mais qu’il ait cherché à réunir des biens dispersés par des proches, comme s’il voulait reconstituer l’unité du patrimoine, un temps écornée. Or cette entreprise ne peut lui survivre.

36L’autre exemple que je voudrais évoquer porte sur la trajectoire patrimoniale de Giacomo Polani q. Andrea (carte 17 et tableau 59 en annexes V)48. En 1661, alors qu’il est âgé de 44 ans49, on ne lui connaît que deux propriétés : sa résidence de San Lio et la perception des loyers d’une maison située à Santa Maria Formosa pendant une durée de 5 ans. Jusqu’à sa mort qui survient en 1693, il s’attache à constituer, sans relâche, un important patrimoine immobilier de rapport grâce à 27 transactions successives50. Bien qu’il soit contraint de se défaire d’une partie de ses acquisitions à cause de l’annulation judiciaire d’une dizaine de ventes51, il parvient à multiplier par quatre, en l’espace de 30 ans, la rente qu’il tire de son patrimoine urbain52. On ignore tout des motifs qui l’ont conduit à se tourner de manière exclusive vers l’immobilier et de l’origine des fonds qu’il a mobilisés53. Plus surprenant encore, on comprend mal les raisons pour lesquelles il a mené une politique d’acquisitions aussi méthodique jusqu’au terme de sa vie, alors qu’il est sans enfants. Selon ses vœux, le patrimoine est recueilli, après sa mort, par Paolo Pizzamano q. Niccolò et ses frères qui appartiennent à sa belle-famille. À moins de se résoudre à ne pas expliquer son comportement, il faut admettre que Giacomo Polani, en achetant sans relâche, a pu être guidé par des désirs illimités et inaccessibles : la passion accumulatrice, voire l’illusion de permanence que confèrent les biens durables.

37Dans ce cas de figure, l’accumulation, affranchie des exigences de la transmission, a pour terme naturel la fin de l’existence du propriétaire, sans avoir été déterminée en fonction d’elle. Quand il y a des fils, elle est non seulement indépendante du cycle de vie, mais elle est destinée, dans un idéal d’expansion, à se poursuivre, transformant la transmission à la génération suivante en simple péripétie. Dans tous les cas, les acteurs se comportent comme s’ils n’avaient pas la mort pour horizon de leur projet patrimonial.

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Cartes 17 – Évolution du patrimoine de Giacomo Polani q. Andrea de 1662 à 1693.

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Fig. 22 – Évolution des revenus patrimoniaux de Giacomo Polani q. Andrea de 1661 à 1693 (en ducats).

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Fig. 23 – Valeur locative des achats et des ventes réalisés par Giacomo Polani de 1661 à 1693 (en ducats).

38Aux deux extrémités de l’échelle des propriétaires, les pratiques d’accumulation sont guidées par des logiques radicalement différentes. Les petits propriétaires, dont les ressources reposent sur le travail, achètent afin de maintenir un certain niveau de consommation après la cessation de l’activité ou de garantir un revenu ou un logement à l’épouse en cas de veuvage. Ils achètent pour eux ou leur conjoint, par mesure de précaution, avant de songer à transmettre à leurs enfants. Pour ne pas léser les intérêts de ces derniers, l’idéal consiste à acquérir quelques biens de rapport, qui procurent un revenu compensatoire, sans être contraint de s’en défaire.

39Dans la frange la plus riche, en revanche, le patrimoine est l’expression même de la puissance, du rayonnement et du rang de la famille au point de se confondre avec elle. Il est guidé par une une logique d’expansion continue qui est indépendante de l’horizon de vie de l’individu. L’accumulation est une fin en soi.

3) Investissements, désinvestissements et événements familiaux.

40Économistes et historiens du monde rural ont cherché à expliquer les variations de la dimension de l’exploitation, non seulement en fonction de l’âge et des phases d’activité du chef de famille, mais aussi en relation avec l’évolution des structures familiales. À partir de l’exemple des campagnes russes des années 1900, Alexander V. Chayanov est l’un des premiers à avoir établi que la dimension de l’exploitation était soumise à des variations cycliques commandées par la taille et les besoins de la famille. Ce processus se rencontre ailleurs en Europe, même s’il présente des variantes compte tenu de la diversité des contextes locaux. Il invite, du coup, à poser le problème de l’articulation entre le marché (locatif et foncier) et le cycle de développement de la famille, deux domaines qu’on tend d’ordinaire à séparer. Leur étude conjointe permet ainsi d’expliquer pourquoi, en pays de pratiques successorales égalitaires, le partage de la propriété ne nuit pas à la viabilité de l’exploitation dans la mesure où celle-ci est reconstituée à partir d’autres lots et varie en fonction des besoins de la famille, introduisant une forte mobilité des biens sur le marché locatif et foncier54. C’est également une approche de ce type qui permet de comprendre les variations dans la composition du patrimoine. Au sein de la société paysanne piémontaise au xviiie siècle, Giovanni Levi a ainsi mis en évidence une étroite relation entre la composition du patrimoine, la préparation de la dot et le recours au marché55.

41Toutes ces formes d’articulation entre le cycle de vie familial, d’un côté, et le marché foncier, de l’autre, observées dans des sociétés paysannes, sont-elles transposables pour expliquer la trajectoire patrimoniale de propriétaires urbains ? Une différence fondamentale sépare les deux mondes. Dans tous les cas précédemment évoqués, les modulations du patrimoine visent à adapter au mieux l’exploitation aux besoins de la famille qui y puise, tout ou partie, de ses ressources. À l’opposé, en économie urbaine, le patrimoine de rapport, constitué à partir de l’épargne disponible, a vocation à procurer une rente en argent. La différence joue lorsqu’il s’agit de réunir la dot puisque le type de biens importe moins que le montant global, l’assurance de préserver le capital et de disposer, grâce à elle, d’un revenu stable. L’exception à cette règle se rencontre cependant quand la résidence des futurs époux est apportée en dot, la nature du bien entrant alors en ligne de compte dans le choix. Mais dans la plupart des cas, il n’est pas nécessaire d’acquérir des biens en vue de la dot : ponctionner le patrimoine paternel ou réunir des fonds suffit56. La constitution d’un fonds dotal pour garantir l’apport en argent de l’épouse peut donner lieu à des acquisitions quand le mari ne dispose pas de biens susceptibles de servir de caution. À cette exception près, on voit mal quelle étape du cycle de vie familial oblige à investir en biens immeubles. Mais on est immédiatement tenté d’ajouter que la possession de biens est une garantie en échanges de crédits qui est à tout moment de la plus grande utilité.

42Il est plus aisé d’individualiser les moments propices à la cession d’actifs. L’un est lié au nombre et à l’âge des enfants. De nouvelles naissances peuvent entraîner au mieux un ralentissement ou un arrêt de l’investissement dans la mesure où l’épargne disponible est absorbée par l’entretien des enfants, au pire, la vente de biens pour faire face aux dépenses. Le désinvestissement peut aussi découler d’un calcul quand la famille est désireuse de consacrer davantage de ressources à l’instruction d’un enfant. Mais des comportements de ce type ne sont possibles que lorsque les familles sont contraintes d’opérer des arbitrages faute d’une marge de manœuvre financière suffisante. Le patrimoine a alors vocation à être mobilisé en cas de besoin.

43L’héritage est le second moment susceptible de donner lieu à une recomposition du patrimoine. Mais le recours au marché ne s’explique pas seulement par cette étape particulière du cycle de vie familiale dont la chronologie est, par nature, imprévisible. Il a lieu quand l’héritage se produit dans un contexte patrimonial et financier qui y prédispose. Pour en cerner les contours, nous avons isolé 52 successions, en observant le comportement du propriétaire défunt et de ses héritiers durant les dix ans qui précèdent et suivent l’héritage. Dans dix cas, l’héritage est suivi d’une série de ventes alors que le profil antérieur ne laissait rien présager ; dans deux cas, la succession s’accompagne d’acquisitions. Pour le reste, la continuité l’emporte : les achats ou les ventes continuent au même rythme qu’auparavant.

44Les achats qui suivent immédiatement l’héritage visent à opérer des réajustements dans la composition du patrimoine reçu, à combler des manques ou à corriger des situations engendrées par le partage. Ils portent donc sur des biens qui s’agencent avec ceux qui ont été hérités et qui sont indispensables à la reconstitution de l’unité de la propriété. Bartolomeo Pozzetti hérite, en 1703, de biens morcelés légués par son oncle Pietro Pozzetti : une demi-maison et deux portions d’habitations (8 carats), situées dans la calle del Sturion à San Silvestro57. Pour tenter d’accroître la cohérence de cet ensemble hétéroclite, il acquiert, dans la foulée de la succession, les parts que la veuve de son oncle, Marina dall’Oro, possédait dans les deux logements58. S’il n’est pas parvenu à reconstituer totalement l’unité de la propriété, si tant est que cela fût son but, il a réussi à réunir entre ses mains toutes les parts qui étaient détenues par la famille. Une telle pratique reste cependant peu courante, prouvant que les propriétaires sont assez indifférents à l’idée de posséder des biens fractionnés.

45L’association de l’héritage et de l’aliénation de biens est, en revanche, une pratique plus répandue. Elle se produit dans des circonstances où les équilibres antérieurs sont à la merci d’un événement imprévu. Les difficultés financières en sont le plus souvent la cause : celles du propriétaire défunt qui était parvenu à préserser l’intégrité de ses biens, repoussant, par des procédés dilatoires, le solde des comptes à la génération suivante, ou celles des héritiers pour qui l’héritage arrive providentiellement pour assainir une mauvaise situation financière. Face à de tels cas, on est tenté de croire que seule la contrainte peut conduire l’héritier à se défaire d’un bien qui vient d’entrer en sa possession et qui, à ce titre, est impropre à circuler sur le marché. L’aliénation ouvre la voie à une dilapidation de l’héritage, alors que la vocation de celui-ci est d’être transmis. Une telle conception du patrimoine est loin d’être entièrement partagée : en servant à amortir les difficultés pécuniaires, le patrimoine est fidèle à la fonction que lui assignent les plus petits propriétaires, enclins à accumuler pour faire face, le moment venu, aux nécessités. L’enchaînement héritage-vente se rencontre surtout parmi eux.

46En 1661, Pietro Centon q. Francesco déclare posséder trois habitations d’une valeur locative de 40 ducats dans la paroisse de San Geremia et deux propriétés foncières situées dans la villa Noventa près de Vicenza (14 campi) et dans la villa d’Altichiero près de Padoue (5 campi)59. Entre 1664 et 1666, ses deux fils entrent en possession des biens au titre du remboursement de la dot de leur défunte mère. Les biens fonciers leur parviennent en juillet 1664, suite à une sentence de la Cour du Proprio ; le mois suivant, les terres de la villa d’Altichiero sont vendues60. En novembre 1668, le reste du patrimoine rural est liquidé. On ne leur connaît plus d’autres transactions par la suite.

47Il arrive que la cession de biens, peu après l’héritage, soit liée à une conjonction de facteurs : l’endettement, mais aussi l’arrêt de l’activité professionnelle. J’en veux pour exemple le devenir du patrimoine de Giambattista Cagnis, gros fromager à Rialto, qui possède, en 1661, au titre de l’héritage laissé par son frère, Simeone Cagnis, en mars 1660, 7 carats d’une boutique de casariol à Rialto dont il loue le reste pour son commerce ; trois logements à Sant’Aponal, d’un rapport de 33 ducats ; trois magasins situés au même endroit, qui servent à l’usage professionnel de la fratrie (per uso del negotio di detta comissaria) ; deux autres magasins loués 10 ducats, auxquels s’ajoutent les intérêts d’un prêt de 400 ducats assis sur deux maisons de Burano61 et, à titre personnel, une maison, rio Marin, louée 65 ducats à l’année62. Sa mort survient en 1663. Sa veuve, Franceschina Bresolin, dispose des cinq magasins et des trois logements situés à Sant’Aponal tandis que Marco Cagnis, son frère, reçoit les 7 carats de la boutique et de la voûte situées dans la Casaria de Rialto63. Quant à l’autre frère, Simeone, il hérite de la maison du rio Marin64. Le patrimoine se recompose alors très rapidement : Marco Cagnis vend la boutique de Rialto, en 1665, à son frère Simeone qui se sépare, en 1670, de tous ses biens, tant de la maison du rio Marin que de la portion de boutique de Rialto65. Il est fort probable que Franceschina Bresolin ait vendu, en 1666, sa part à Niccolò Venier. La mort de Giambattista Cagnis ne se traduit pas par la dilapidation immédiate du patrimoine, mais elle favorise la cessation d’activité de ses frères qui se défont des biens (boutiques, magasins) dont ils se servaient comme instrument de travail.

48Il faut convenir, cependant, qu’il est difficile dans certains contextes d’évaluer le rôle de l’héritage dans le démantèlement du patrimoine qui le suit chronologiquement. La famille Cittadini en apporte l’illustration (tableau 60 en annexes V). Vicenzo q. Giuseppe gérait avec son frère, Bartolomeo, le patrimoine laissé dans l’indivision66. De 1661 à 1669, ils ne lui font subir aucune modification. En 1670, à la mort de Bartolomeo, Vicenzo partage les biens avec ses cinq enfants. L’essentiel lui revient : la casa da statio de San Silvestro, un magasin à San Lio, une maison à San Paternian, deux boutiques à San Giminian et une maisonnette à Burano, qui procurent au total une rente urbaine de 212,5 ducats auxquels viennent se joindre 174 ducats en provenance des biens de Terre Ferme. Le patrimoine commence à se déliter dès 1670 quand Vicenzo se défait de deux boutiques situées sous les Procuratie Vecchie, place Saint-Marc. La location, en 1669, de la grande maison qu’il occupait à San Silvestro, était un signe avant-coureur des difficultés financières que rencontrait la fratrie. La suite permet de mesurer à quel point elles étaient durables. En 1671, les fils de Vicenzo vendent leur part dans la maison de San Silvestro à Giambattista Marini, qui en est le locataire67. Dans l’incapacité de payer l’impôt, Vicenzo laisse disperser aux enchères, tour à tour, le magasin de San Lio en 1679, la maisonnette de Burano en 1683, une partie de la maison de San Silvestro en 1688, des terres près d’Oderzo en 1693 et la maison de San Paternian en 1696. Les ventes marquent alors une pause jusqu’à sa mort en 1706. L’incidence de la mort de Bartolomeo sur la redistribution du patrimoine est difficile à juger à la fois parce que les difficultés financières précèdent manifestement la disparition de celui-ci et parce que les ventes s’étalent dans le temps. À mesure qu’augmente l’intervalle de temps entre l’héritage et la vente, le lien entre les deux événements devient de plus en plus improbable. Il semble, ici, que la succession ait permis l’amorce d’un processus de démantèlement qui était déjà en germe, mais qui était peut-être contenu par la présence de Bartolomeo. Mais ce n’est là qu’une hypothèse.

49La restitution de la dot ouvre une phase assez semblable à celle qui suit l’héritage. La veuve dispose, pour la première fois, de la pleine jouissance de ses biens dotaux. C’est alors le moment où elle est en mesure de libérer des capitaux et où elle peut, le cas échéant, honorer ses créanciers. La nécessité d’ajuster le patrimoine après plusieurs années de stabilité est patente dans le cas de Lucrezia Morosini, l’une des filles du procurateur Angelo Morosini68. De 1668 à 1689, son mari, Zaccaria Morosini, a conservé l’intégralité des biens qu’elle avait apportés en dot, notamment le complexe de 26 habitations dans la paroisse de l’Anzolo Raffael, excepté une portion de maison à San Polo vendue en 1670. Après le recouvrement de la dot, qui suit la mort de son époux en 1689, Lucrezia se défait de nombreux actifs immobiliers : trois habitations dans la paroisse de l’Anzolo Raffael, en 1691 ; cinq autres en 1703 ; la moitié d’un logement et d’une boutique en 1706 et 20, 25 carats d’un droit d’auberge (osteria) à San Bortolomio, malgré le partage de la commissaria paternelle deux ans plus tôt69.

50Toutefois, ces cas ne doivent pas cacher l’essentiel : les patrimoines disposent d’une forte autonomie par rapport au cycle de vie de leur propriétaire et à l’évolution des structures familiales. Des comportements patrimoniaux, conformes à l’hypothèse théorique du cycle de vie, ne se rencontrent que dans les milieux où les ressources et l’épargne disponible proviennent principalement du travail, et, qui plus est, selon des modalités différentes du modèle théorique, puisque la jouissance, en fin de vie, du patrimoine accumulé est préférée à sa dispersion. S’il n’existe aucun lien apparent entre les variations du patrimoine, le recours au marché et l’évolution de la structure familiale, il est, en revanche, possible d’établir, sous certaines conditions, une relation entre l’héritage ou la restitution de dot, d’un côté, et la mise en vente de biens, de l’autre. Le nouvel apport, en modifiant la situation patrimoniale des bénéficiaires, est sollicité pour solder des comptes laissés en suspens. Il n’en reste pas moins vrai que les variations du patrimoine sont largement indépendantes de facteurs aussi mécaniques et prédéterminés que l’âge, la composition de la famille ou la transmission. Les variations les plus significatives sont déterminées par le niveau de l’épargne, ou son contraire, le besoin d’argent, deux données qui sont loin de correspondre aux étapes du cycle de vie, et par des recours juridiques destinés à restituer le bien et dont la chronologie est arbitraire.

B–LES EFFETS CONTRADICTOIRES DU DROIT SUR LES STRATÉGIES D’ACCUMULATION

1) Le droit comme menace : des choix contrariés

51Le suivi longitudinal des patrimoines permet de mettre en évidence des avancées et des reculs qui, au moins pour ces derniers, échappent à la volonté du propriétaire puisqu’ils sont imposés par des décisions judiciaires. Il ne s’agit pas de saisies, réalisées à la suite de dettes ou d’impôts impayés, qui sont attendues compte tenu de la précarité de la situation financière du propriétaire, mais de l’annulation judiciaire de transactions passées au nom du droit supérieur dont dispose une autre personne sur le bien échangé. Ce fait est d’une grande portée quand il s’agit de rendre compte des variations du patrimoine. Il relativise l’usage de modèles interprétatifs empruntés à la théorie économique contemporaine, pour qui les individus, en fonction de leurs ressources, sont supposés avoir la totale maîtrise de leurs choix. Or c’est précisément le contraire qui a lieu lorsqu’on observe l’économie des échanges immobiliers. Il arrive que pèse sur un même bien une hiérarchie de droits d’inégale valeur qui remet en cause, de manière imprévisible, la propriété sur le bien.

52L’incertitude de l’échange contraste avec la rigidité juridique du transfert de propriété qui se lit dans la formulation même du contrat de vente. Celui-ci est empli de précautions formelles parce qu’il lie deux parties à l’affût de garanties : elles portent, pour l’acheteur, sur la cession définitive de l’intégralité des droits et, pour le vendeur, sur le paiement de la transaction. Pour garantir ces deux exigences, le contrat suit un déroulement précis et codifié et a recours à une formulation stéréotypée qui lui confère sa validité.

53Cet impératif passe, d’abord, par l’énumération de tous les mots qui servent à qualifier deux composantes concomitantes de la transaction : la cession des droits, d’un côté, et leur achat, de l’autre. La vente par l’ancien propriétaire est signifiée deux fois, au passé et au présent, par une série de verbes qui ne doivent laisser aucun doute sur la nature du transfert : « eux-mêmes, leurs héritiers et successeurs ont donné, cédé, vendu et aliéné, comme en vertu du présent acte public, ils donnent, vendent et aliènent [...] »70. L’achat par le nouveau propriétaire lui fait immédiatement écho : « au noble sire Pietro Giustinian fils du feu sire Francesco qui pour lui, ses héritiers et successeurs, acquiert et achète [...] ».

54Le même procédé d’accumulation du vocabulaire est employé par la suite pour délimiter l’étendue des prérogatives dont jouit le propriétaire, comme si les contours de la propriété avaient perpétuellement besoin d’être précisés pour prendre corps. L’énumération vise, d’abord, à préciser les limites matérielles de l’immeuble et ses usages : « et (ces maisons) avec toutes et chacune de leurs raisons, actions, extensions et appendices, usages, commodités, rives, communs, passages, entrées, sorties, issues, largeurs, longueurs, hauteurs et profondeurs [...] »71. Puis elle a pour but de fixer les prérogatives que confèrent la pleine propriété, notamment la liberté de disposer entièrement du bien : « [...] et qu’ils puissent de quelle que manière que ce soit, en n’importe quelle circonstance, les tenir, en jouir, les posséder et en disposer selon leur libre plaisir [...] »72. L’ancien propriétaire renonce, enfin, à prolonger son autorité sur le bien et à revendiquer, à l’avenir, les droits dont il vient de se déposséder73.

55À partir d’une codification très stricte et un souci pointilleux de définition des droits, l’acte, qui a valeur de preuve juridique, cherche à écarter une contestation future, en certifiant l’absence de vice74. Le détail des descriptions, l’insistance à accumuler le vocabulaire semble aussi indiquer que les contours juridiques de la propriété ont besoin d’être affirmés avec force à un moment aussi lourd d’incertitude que l’échange.

56Ces précautions suffisent généralement à garantir les droits de l’acheteur et du vendeur. En revanche, dès lors qu’il existe des droits jusque là occultés, mais plus anciens et plus forts juridiquement, elles ne sont pas en mesure de contrecarrer une procédure d’annulation de la transaction et de restitution des biens. La pratique est loin d’être isolée. Sur 342 mutations à titre onéreux, recensées parmi les transferts de propriété effectués par les propriétaires du corpus, 80 sont déclenchées par décisions judiciaires qui invalident la transaction antérieure, soit près du quart. Si l’on porte attention aux mutations enregistrées par les Governatori dell’Intrate, on constate que la moitié (31 sur 62) est relative à des annulations de ventes aux enchères antérieures et la proportion est minorée car elle ne tient pas compte des sentences d’annulation prononcées en appel. Le risque de devoir rendre un bien est suffisamment fréquent pour créer un climat d’incertitude.

57Différents motifs justifient la restitution. Les droits de l’épouse sur sa dot sont l’un d’eux. Dans le cas de figure où le mari aurait dispersé les biens dotaux sans prendre la précaution de constituer un fonds de garantie ou aurait vendu un bien qui servait à assurer la dot en argent, la veuve ou ses héritiers sont en droit d’exiger l’annulation de la vente pour recouvrer leur bien. L’acheteur est tenu de s’en défaire. C’est le sort qui frappe Francesco Ronzoni q. Varisco, propriétaire de deux boutiques situées au pied du pont delle Beccarie et à Rialto. En 1664, il est contraint, suite à une sentence de la Cour du Procurator, de rendre la première boutique, au nom de l’assurance de dot due à Laura Soranzo, l’épouse de Bernardo Soranzo q. Sebastiano75. Citons encore le cas de Bartolomeo Castoreo q. Bartolomeo, épicier à San Matteo di Rialto, qui gère, jus-qu’en 1662, l’important patrimoine immobilier que sa femme, Elisabetta Neli, lui a apporté en dot76. À cette date, il acquiert à l’encan auprès des Governatori dell’Intrate, un logement à Sant’Aponal et, en 1664, auprès de la Giustizia Vecchia, la portion d’une habitation, située dans la même paroisse77. Le recouvrement de la créance que lui devait Paolo Bragadin lui permet, en outre, d’entrer en possession de l’autre moitié de la boutique qu’il occupait à des fins professionnelles78. Ces achats sont remis en cause par une série de décisions judiciaires. En 1669, il doit rendre une habitation, située à San Barnaba, apportée en dot par sa femme, puis, en 1686, la portion de maison achetée à Sant’Aponal en 1664 au titre de la restitution d’une dot79.

58Le fidéicommis ou des clauses testamentaires proscrivant l’aliénation constituent les principaux motifs d’annulation. Ils permettent aux héritiers successifs de faire valoir la volonté de celui qui les a instaurés pour reprendre possession d’un bien qui a été aliéné malgré l’interdiction qui le touchait. Comme la volonté du testateur est en principe perpétuelle et prime sur celle de ses descendants, les biens illégalement vendus peuvent faire l’objet d’une procédure de recouvrement sans délai de prescription. C’est ainsi que l’annulation peut avoir lieu plusieurs décennies après la vente et frapper un propriétaire différent de celui qui a acheté et qui a pu, entre-temps, revendre ou transmettre. Le fait de s’assurer, dans la rédaction de l’acte, que le bien est affranchi d’entraves juridiques vise à conjurer cette menace. Il n’y suffit pas toujours, malgré l’honnêteté du vendeur, quand la mémoire de l’origine du bien s’est perdue.

59Pietro Pozzetti dai Cordoani en fait la malheureuse expérience. Il possède, en 1661, à San Silvestro deux biens : la moitié d’une maison qu’il a acquise, en 1654, auprès des Governatori dell’Intrate et un magasin situé calle del Sturion, acheté auprès de la même magistrature, qu’il garde pour son usage personnel80. En 1670, les Governatori dell’intrate annulent la vente et lui intiment l’ordre de restituer, contre le remboursement de la somme versée, le magasin qu’il avait précédemment acheté car celui-ci est soumis à un fidéicommis instauré en 162481. Pour les mêmes motifs, Andrea Morosini est contraint de restituer, en 1716, une maison et trois boutiques, situées sur la place de Piove di Sacco, qu’il avait achetées deux ans auparavant. Giovanni Grassi et ses frères, habitants du lieu, ont fait valoir que les biens étaient soumis à un fidéicommis instauré, en 1592, par Domenico Penastina82.

60Le dernier exemple que je voudrais citer donne la mesure de l’incertitude qui règne au sujet de la validité des transactions. En 1655, Giambattista et Giuseppe Durli achètent aux enchères une maison attenante à la leur dans la paroisse San Silvestro, composée de deux logements d’une valeur locative de 50 et 20 ducats. Pour s’acquitter de dettes, la moitié de cet ensemble est vendue, en 1678, à Lorenzo Gariboldi, qui la cède à son tour, en 1694, pour une durée de 29 ans à Paolo Tamagnin83. L’autre moitié est acquise, en 1698, par Stefano Guerra. En 1706, grâce à un arrêt prononcé par les Governatori dell’Intrate et confirmé par la Quarantia Civil Vecchia, la vente réalisée, en 1655, par les frères Durli est annulée au nom du fidéicommis instauré par Andriana Michiel dans son testament, en date du 5 décembre 1638. Les bénéficiaires, Vicenzo Vendramin q. Niccolò et ses frères, récupèrent donc l’appartement de l’étage supérieur auprès de trois propriétaires différents : Paolo Tamagnin q. Simeone qui dispose de la moitié, Francesco Guerra qui détient un huitième et ses frères, Giovanni, Alessandro et Andrea, qui sont en possession des trois huitièmes restants. Le logement de l’étage inférieur leur est restitué, pour moitié, par Giambattista Durli et Paolo Tamagnin84. Le caractère imprescriptible du fidéicommis apparaît dans toute sa rigueur. Des années se sont écoulées, plusieurs propriétaires se sont succédés, la propriété s’est morcelée, et les pouvoirs publics reconnaissent au fidéicommis une primauté juridique qui invalide toutes les aliénations ultérieures. Il semble pourtant qu’ils aient passé outre l’interdit quand il s’agissait de recouvrer le montant des impôts impayés, faisant prévaloir un droit supérieur. En revanche, une fois la vente réalisée, ils se portent garants de la restitution du bien, au nom du principe de l’inaliénabilité, dès lors que les ayants droit sont en mesure de le rembourser85.

61Le risque de restitution dépend, enfin, des conditions dans lesquelles le bien est parvenu à son actuel propriétaire. S’il a été acquis aux enchères, il est particulièrement exposé. Sur 80 restitutions examinées, au moins les trois quarts se trouvent dans ce cas de figure86.

62Les bas prix généralement pratiqués sont la contrepartie de transactions entachées d’incertitude. Il existe un risque que des créanciers fassent valoir des droits plus anciens sur le patrimoine du débiteur. Ce risque est accru par le fait que les Governatori dell’intrate se préoccupent de recouvrer au plus vite leur dû, en étant peu regardant sur l’orgine du bien. Surtout, l’ancien propriétaire ou ses héritiers ont la possibilité de saisir la magistrature pour récupérer le bien confisqué et vendu à l’encan, dans des conditions qu’il est toutefois très difficile d’éclaircir. Le fonds des Governatori dell’Intrate est trop lacunaire et la série des terminazioni, en particulier, trop succincte pour qu’il soit possible de reconstituer la jurisprudence et de préciser les justifications juridiques apportées par les plaignants87. Par la force des choses, nous sommes donc conduits à nous intéresser moins au processus de restitution qu’à ses effets.

63Ces derniers ne sont pas dommageables d’un point de vue financier car le propriétaire reçoit en contrepartie de la restitution du bien une somme équivalente à celle qu’il avait acquittée lors de l’achat. La règle est explicitement mentionnée par Bartolomeo Castoreo, épicier à Rialto, dans sa déclaration fiscale. Au titre de la dot de sa femme, il dit posséder : « une maison dans la paroisse de Santa Croce, vers Santa Chiara, tenue en location par Pasqualin Fiorini et par Francesco Fiori contre 30 ducats par an, laquelle maison fut achetée auprès du très excellent Office des Seigneurs des Entrées, le 8 mai 1636, et il a été procédé récemment à l’annulation de la vente par la dite très excellente magistrature. Pour ne pas avoir reçu l’argent de la vente, la maison est encore sous mon compte. Quand l’argent me sera restitué, je la transférerai au nom de celui à qui elle revient »88.

64Reste que ceux qui décident d’acheter aux enchères pour bénéficier de prix attractifs s’exposent à des déconvenues, qui peuvent ruiner leur ambition de se constituer un patrimoine. Les exemples ne manquent pas de familles qui, dans un premier temps, ont beaucoup acheté, puis ont été contraintes de rendre, par bribes, ce qu’elles avaient patiemment réuni, avant de renoncer à investir en biens immeubles. Voici l’histoire des Galicioli. En 1669, Pietro laisse à son fils, Andrea, un petit patrimoine immobilier composé de deux biens : un logement et deux boutiques – d’un rendement de 70 ducats – situés dans la paroisse de San Felice et la portion d’une habitation et d’une boutique sises sur le campo Sant’Aponal procurant un loyer de 60 ducats89. Son fils se montre particulièrement actif en matière d’acquisitions immobilières. De 1669 à 1679, il achète à sept reprises, la plupart du temps aux enchères, des biens dont une partie est située autour de sa résidence à Sant’Aponal ; il réussit à multiplier par deux ses revenus immobiliers90.

65Mais ces investissements vont être mis à mal par une série de décisions judiciaires qui l’obligent à restituer une partie des biens à des ayants droit91. Il doit, d’abord, se séparer de l’héritage qu’il a reçu de son père : en 1680, de la maison et de la boutique situées à San Silvestro et en 1690, de la portion d’habitation et des deux boutiques sises à San Felice. Enfin, en 1702, il doit rendre au monastère des Servi, qui en est le bénéficiaire testamentaire, les deux habitations de San Marcilian qu’il avait lui-même acquises à l’encan. En 1704, il transmet à ses fils Antonio, Domenico et Pietro un patrimoine immobilier qui procure une rente à peine supérieure à celle que lui avait laissée son père (158 ducats contre 152 ducats). Mais sa composition a radicalement changé à cause des achats et des annulations de vente. Andrea Galicioli ne s’est pas pour autant appauvri car il a recouvré le montant de ses investissements. Il est frappant de constater que ses acquisitions cessent dès l’instant où les décisions judiciaires viennent démanteler le patrimoine qu’il avait patiemment construit durant une décennie.

Tableau 53
ÉVOLUTION DU PATRIMOINE D’ANDREA GALICIOLI Q. PIETRO DE 1669 À 1704

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66Le risque que la stratégie d’accumulation de biens soit contrariée par des invalidations judiciaires augmente lorsque tous les biens ont été acquis aux enchères. Giacomo Polani q. Andrea, que nous avons déjà croisé, en fait l’amère expérience92. Malgré l’absence de descendance, il déploie durant trente ans une fébrile politique d’achats, exclusivement tournée vers les biens immobiliers. Son principal souci semble d’acheter au meilleur coût, puisque toutes les transactions sont réalisées à l’encan, notamment auprès des Governatori dell’Intrate. Du même coup, le patrimoine qu’il se constitue, est très marqué par le caractère particulier de ce marché : les transactions comportent rarement plus d’un seul bien (1 cas sur 27 ventes) ; elles portent plus sur le droit de jouissance des loyers que sur la propriété entière (14 cas sur 27) ; elles concernent le plus souvent des fractions du revenu divisé en carats (14 cas sur 27) ; et elles exposent à des annulations ultérieures, qui ne manquent pas de se produire. La cour du Proprio ordonne la restitution des droits sur deux loyers afin de garantir la restitution d’une dot. La cour du Procurator annule une vente au titre de l’assurance de dot. La cour du Mobile et les Governatori dell’Intrate exigent la restitution de quatre autres biens.

67Les risques d’annulations judiciaires auxquels s’exposent les acheteurs se lisent, avec évidence, en observant les transferts patrimoniaux de la Scuola di San Giovanni Evangelista93. Pour l’essentiel, l’institution se contente de gérer ses biens propres et ceux qu’elle détient au nom de commissarie. L’accroissement de ses ressources immobilières provient surtout de la hausse des loyers à la suite de restaurations, de donations et de quelques achats94. En 1665, elle entre en possession d’une maison à l’Anzolo Raffael au titre du remboursement d’un prêt. Elle acquiert, en 1667, une habitation à San Pietro di Castello d’une valeur locative de 18 ducats et, en 1678, aux enchères, une partie d’une habitation située à Santa Marina (18 ducats). Elle bénéficie en outre, en 1686, de l’importante donation de Pier Francesco Brazza.

68De plein gré, la Scuola se défait, en 1665, d’un terrain à Castello et, en 1668, de la maison située à l’Anzolo Raffael95. En revanche, elle doit restituer, à la suite de l’annulation du contrat de vente, la part de la maison de Santa Marina qu’elle avait achetée en 1686. En 1715, elle est contrainte de remettre à Zaccaria Bernardo, au titre de la restitution d’une dot, une maison, située à San Giacomo dall’Orio, qui lui était parvenue par le legs de Pier Francesco Brazza. Enfin, en 1716, elle restitue, à quatre ayants droit, les parts qu’elle possède sur une maison de San Barnaba orginaire du même legs. Les bénéficiaires, Francesca, Sista et Lucrezia Gaia Segnolo et Francesco Bergamo, font valoir leur droit en s’appuyant sur le fidéicommis, instauré le 14 décembre 1555, par Antonio Maria Segnolo.

69En faisant planer une incertitude sur le caractère définitif du transfert, le risque d’annulation a pour effet de renforcer le caractère volatil des biens récemment acquis. Leur ancrage dans le patrimoine est faible non seulement parce que ce sont les premiers mobilisés en cas de besoin, mais aussi parce que ce sont ceux qui ont la plus forte probabilité de faire l’objet d’une procédure de récupération. Celui qui achète n’a donc pas la totale maîtrise de ses choix à long terme car il est à la merci de recours juridiciaires qui échappent à sa connaissance et à sa volonté. Les comportements doivent intégrer cette incertitude à défaut de pouvoir la réduire. Certes, le risque est limité quand la transaction a lieu de gré à gré car l’acheteur précautionneux peut s’informer des liens qui entravent la libre circulation du bien. C’est, en revanche, une composante irréductible de la vente lorsqu’on achète aux enchères. L’acheteur ne peut ignorer qu’il s’expose à une possible annulation ; or cela ne semble pas être un motif suffisant pour lui faire renoncer à l’opération. C’est, en vérité, le prix à payer en échange de l’acquisition de biens bon marché, qui offrent l’assurance d’un rendement élevé. Reste que la menace n’a pas la même portée selon l’ambition affichée par l’acheteur. Si celui-ci cherche à se constituer au meilleur prix un patrimoine, le risque d’annulation contrarie ces projets et explique pourquoi certains renoncent à poursuivre en cette voie. S’il voit dans les ventes aux enchères le moyen de faire du profit, le risque est un élément du jeu spéculatif, délié de toute ambition patrimoniale.

2) Le droit comme ressource : des stratégies confortées

70Pour qui est en mesure de faire valoir des droits sur un bien, la possibilité d’obtenir l’invalidation d’une transaction antérieure représente une ressource juridique considérable pour ramener dans le patrimoine ce qui lui avait échappé. Il serait faux, pour autant, d’opposer face à face deux catégories de propriétaires : d’un côté, les infortunés acheteurs contraints à la restitution ; de l’autre, les détenteurs de droits supérieurs, dans la mesure où la même personne peut revêtir, tout à tour, l’un et l’autre rôle.

Tableau 54
STATUT SOCIAL DES VICTIMES ET DES BÉNÉFICIAIRES DES RESTITUTIONS DE BIENS

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a : propriétaires recensés dans le corpus.
b : propriétaires auxquels renvoie le transfert.

Tableau 55
STATUT SOCIAL DES VICTIMES ET DES BÉNÉFICIAIRES DES RESTITUTIONS DE BIENS (UNE SEULE APPARITION COMPTABILISÉE)

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a : propriétaires recensés dans le corpus.
b : propriétaires auxquels renvoie le transfert.

Tableau 56
STATUT SOCIAL DES DEUX PARTIES DANS UNE MÊME PROCÉDURE DE RESTITUTION

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71De telles ressources juridiques n’en demeurent pas moins inégalement partagées. La répartition, en fonction du statut social, des parties en présence fait apparaître un net décalage entre les patriciens et le reste des propriétaires. Sur 80 cas observés, les patriciens sont, à la fois, les principaux bénéficiaires des arrêts de restitution et les moins exposés à leurs effets. Dans deux cas sur trois, ils sont à l’origine de la procédure et dans un cas sur trois, ils la subissent. La proportion ne varie pas selon qu’on observe tous les transferts ou selon qu’on comptabilise seulement une fois les individus afin d’éviter que les résultats ne soient biaisés par plusieurs restitutions réalisées au profit de la même personne. Le bénéfice d’une telle ressource est donc très inégalement réparti. Si les non-patriciens sont les plus touchés par les restitutions, c’est parce qu’ils se comportent de manière beaucoup plus active sur le marché – des enchères notamment – que les patriciens ; l’étude de l’origine sociale des acteurs du marché immobilier confirme ce phénomène. S’ils sont en retrait quand il s’agit de récupérer les biens jadis perdus, c’est qu’ils n’ont pas suffisamment de droits à faire valoir, à cause de l’usage d’autres pratiques testamentaires, de la moindre mémoire juridique de la famille et de plus faibles contraintes lignagères96. Les patriciens se trouvent dans la situation inverse. Ils sont peu frappés par le risque de restitution, pour la bonne raison qu’il recourent moins au marché que d’autres milieux sociaux, se contentant de gérer l’acquis. À l’opposé, ils sont les principaux bénéficiaires des annulations de vente car ils disposent de toute une palette d’instruments juridiques, allant de clauses testamentaires stipulant l’inaliénabilité des biens à l’ancienneté des titres, qui leur permettent d’utiliser à leur avantage une législation publique conservatrice, fondée sur le respect de la volonté des pères, volonté contraignante pour les fils qui ne peuvent disposer librement de tous leurs biens, mais volonté protectrice quand il s’agit de faire revenir dans le giron familial les biens égarés. Certes, cette ressource est inégalement partagée au sein de la classe dirigeante et, surtout, tous n’ont pas les moyens de la mobiliser. Elle joue néanmoins collectivement en sa faveur.

72Du point de vue des structures de la propriété, une telle ressource est bien entendu d’une grande portée puisqu’elle a un effet conservatoire. En accordant une primauté aux dispositions les plus anciennes, elle pénalise ceux qui sont les plus entreprenants sur le marché au profit de ceux qui se contentent de gérer le patrimoine hérité et d’en freiner la dispersion. Plus encore, en permettant de rétablir une position qui avait été perdue, elle cherche à préserver des intérêts : ceux de l’épouse, quand les biens dotaux ou le fonds de garantie de la dot en argent ont été dilapidés ; ceux du lignage agnatique quand un bien, défini comme inaliénable, est sorti du patrimoine. Dans ce dernier cas, le caractère imprescriptible des droits offre le privilège aux familles de faire du temps un atout, en laissant la possibilité de rétablir demain une possession que la mauvaise situation financière passée avait laissé échapper. Il suffit de penser au profit que peut en faire une famille fortunée qui hérite d’un rameau collatéral qui n’avait pas les moyens de recouvrer ses droits pour prendre la mesure du pouvoir que confère une telle ressource. Cette dernière a cependant un coût, puisqu’il faut rembourser l’actuel propriétaire pour ne pas le spolier d’un bien qu’il a légalement acheté.

73Dès lors qu’il faut payer, quel intérêt les ayants droit ont-ils à racheter ce bien en particulier ? Le fait que la procédure d’annulation se rencontre surtout lorsque les biens furent vendus aux enchères permet d’esquisser une réponse. Le bas prix auquel la vente est généralement adjugée permet d’entrer, de nouveau, en possession d’un bien notoirement sous-évalué par rapport au marché ordinaire et qui, par conséquent, offre des perspectives de haut rendement. En outre, le bien, revenu à la place qu’il n’aurait jamais dû quitter, se trouve solidement ancré d’un point de vue juridique dans le patrimoine, à la différence d’un bien acheté sur le marché sur lequel pèse la menace d’une éventuelle récupération. Enfin, on ne peut pas exclure la volonté de reconstituer le patrimoine familial tel qu’il était, conformément à un inaccessible idéal de permanence.

74Tels sont les efforts de Zorzi et Marco Querini q. Vicenzo, derniers représentants masculins de la lignée, pour recomposer la physionomie du patrimoine familial, qui avait été dispersé à l’occasion de ventes successives, en faisant valoir les clauses testamentaires de leur arrière-grand-père, Vicenzo q. Zorzi (1517-1574)97.

75Les investissements ruraux des deux frères se limitent à l’acquisition, en 1668, de 50 campi dans la villa di Pontelongo, sous Piove di Sacco, en usant de leur droit de préemption puisque la propriété d’un rendement de 101 ducats appartenait à leur oncle (tableau 61 en annexes V). En revanche, ils parviennent à considérablement accroître leur patrimoine immobilier à l’issue de recours judiciaires qui annulent des ventes réalisées aux dépens de la famille dans les décennies passées. La sentence, rendue en mai 1659 par la Cour du Procurator et confirmée en appel par la Quarantia Civil Vecchia, sur la base du testament de Vicenzo q. Zorzi, leur permet de récupérer quinze habitations, en renforçant leur implantation à San Moisè et à San Pantalon. Grâce à la même procédure, ils réussissent, en 1671, à entrer en possession de la moitié d’un entre-sol (mezado), situé dans le palais mitoyen de leur résidence à San Polo. Enfin, ils obtiennent auprès des Governatori dell’Intrate l’annulation de la vente d’une maison à San Tomà réalisée par leur tante, Laura Zane, et de deux transactions en Terre Ferme d’une valeur locative de 37,5 ducats. Au total, le revenu immobilier, augmenté de 454 ducats, a plus que doublé depuis 1661.

76Marco meurt en 1685. Son frère aîné concentre tout le patrimoine entre ses mains, sans lui imposer de modification par la suite. S’il se défait d’une boutique et d’une maison à San Barnaba, en 1696, pour honorer une dette envers Vicenzo Pasqualigo, c’est à titre provisoire puisque la durée de la cession des loyers est fixée à 5 ans et demi.

77Faute de descendance directe, le patrimoine de cette branche revient, après la mort de Zorzi survenue en 1716, à ses neveux issus du mariage d’Elena et de Marco Morosini. Tout laisse entendre que les Querini n’ont pas cherché à étendre leur patrimoine, sans doute parce qu’ils n’en avaient pas les moyens, mais ils sont parvenus à reconstituer un ensemble patrimonial, un temps écorné, en usant des dispositions juridiques, qui veillent scrupuleusement au respect des volontés du testateur proscrivant l’aliénation des biens.

78Si ces ressources juridiques offrent la possibilité de rétablir l’ordre antérieur, de réparer un dommage et d’effacer les conséquences des déboires financiers passés, elles ne suffisent pas, en elles-mêmes, à assurer la pérennité du patrimoine. Ce qui a été défait par les aléas pécuniaires peut l’être de nouveau, le fisc se réservant, par exemple, le droit de saisir le bien qui a fait l’objet d’une récupération. Le propriétaire, qui est en principe libre de choisir le bien qui lui est confisqué, peut être tenté de désigner celui qu’il a récupéré, se ménageant ainsi la possibilité de faire valoir, à l’avenir, ses droits si tant est que la procédure se conclue dans les mêmes termes. Ce mouvement, fait d’efforts et de relâchements, au gré des ressources financières, trouve un écho dans les vicissitudes patrimoniales de Pietro Benzon. Quand son père, Zorzi, meurt en 1687, l’héritage qui revient à ses quatre enfants ne comporte plus aucun bien immobilier, puisque les derniers encore en la possession de celui-ci sont affectés au remboursement de la dot de sa femme. Parmi les enfants, l’aîné, Pietro, est favorisé puisqu’il reçoit les biens qui avaient été eux-mêmes transmis à son père par l’abbé Pietro Michiel98. En s’appuyant sur le testament de ce dernier, il parvient à reconstituer une partie du patrimoine immobilier qui avait été dispersé par son père, en prenant, en 1687, possession d’une maison située à San Polo et d’une habitation et d’une boutique à San Cassiano99. La reconquête est de courte durée puisqu’en 1691 la maison de San Polo fait l’objet d’une nouvelle confiscation de la part des Governatori dell’Intrate qui la portent aux enchères100. En 1706, Pietro Benzon se dessaisit, cette fois sans contrainte judiciaire, d’une des habitations de San Cassiano101. Si ses manœuvres en vue de regagner le terrain perdu ont, dans un premier temps, atteint leur but, il n’est manifestement pas en mesure d’en assurer la conservation.

79Acheter n’est pas un acte jurdiquement sûr, à plus forte raison quand la transaction a lieu aux enchères. Le risque que celle-ci soit invalidée est assez fréquent pour entretenir l’incertitude sur la pérennité de l’acquisition. Cela veut dire qu’un acheteur qui a recours aux adjudications publiques n’est pas assuré de maîtriser, comme il l’entend, l’évolution de son patrimoine. Certes, les revers de fortune et les confiscations, qui s’en suivent, peuvent le contraindre à se défaire de biens contre son gré, mais elles n’ont pas l’aspect aléatoire et imprévisible des restitutions, qui interfèrent dans un projet patrimonial. Pour ceux qui peuvent faire valoir ces droits, la restitution, même si elle a une contre-partie financière, est assurément une arme juridique pour rétablir le patrimoine dans son état antérieur. Pour les pouvoirs publics, qui en sont les garants par le truchement des institutions judiciaires, c’est le moyen de freiner l’évolution des structures de la propriété aux mains de la classe dirigeante.

C–LA RECOMPOSITION DE LA HIÉRARCHIE DES PATRIMOINES

80Il va de soi que le niveau de fortune, le volume de l’héritage et les ressources que le propriétaire peut ensuite mobiliser pèsent sur le devenir du patrimoine, sa composition et sa taille. L’important est de déterminer jusqu’à quel point la situation économique et sociale commande un type d’évolution du patrimoine, en imposant une sé rie de garde-fous ou de contraintes qui limitent le champ des possibilités. Pour atteindre ce but, on se propose de mesurer le volume des transformations sur un arc de temps relativement bref, de 30 à 40 ans, et le degré de rigidité des patrimoines, en étant attentif aux différences qui se font jour selon les milieux et les niveaux de fortune. On aura compris que ces propositions, soucieuses de délimiter la variation possible du patrimoine au cours d’une vie, ont aussi pour ambition de mesurer la part respective qui revient, selon le degré de fortune, au patrimoine hérité et au patrimoine acquis.

1) Niveau de fortune et oscillation du volume du patrimoine

81D’emblée, il faut avouer que la méthode mise en œuvre pour mesurer les transformations qui affectent le patrimoine en l’espace d’une génération ne satisfait qu’à moitié. Elle consiste à renoncer à la reconstitution longitudinale des patrimoines, au profit d’une autre approche qui a fait ses preuves : opérer une coupe à deux dates différentes et comparer leur contenu. Toute la difficulté est alors de choisir au mieux le moment. Comparer l’état du patrimoine quand le propriétaire reçoit l’héritage ou commence à accumuler, puis lorsqu’il a dilapidé tous ses biens ou les transmet à son tour a l’avantage d’embrasser la totalité du cycle d’activité patrimoniale, mais risque de faire varier le temps d’observation d’un patrimoine à l’autre à cause des écarts relatifs à l’âge d’accès à l’héritage, à la durée de vie et au rythme de la dispersion. Mesurer l’évolution de tous les patrimoines à date régulière afin d’uniformiser le temps d’observation permet de compenser ces défauts, mais ne permet plus de tenir compte de l’ensemble des transformations qui ont lieu au cours d’une existence.

82Par la force des choses, c’est-à-dire à cause des bornes chronologiques imposées par les sources, il nous a fallu adopter une méthode hybride qui cumule, pour partie, les défauts des deux précédentes sans en présenter les avantages. L’enquête commence pour tous les propriétaires à la date de 1661 ; ce choix permet selon les cas de suivre leur activité patrimoniale sur la fin de leur vie ou durant une beaucoup plus longue période de leur existence. Elle s’étend également à leurs héritiers dont la trajectoire est reconstituée jusqu’à leur mort à condition qu’elle survienne avant 1712, date à laquelle un nouveau recensement fiscal opère une césure dans le suivi. On ne peut donc ni mesurer, dans tous les cas, la totalité des transformations réalisées au cours d’une vie, ni bénéficier d’un temps d’observation uniforme. La solution la moins dommageable consiste alors à ne retenir que les patrimoines que l’on peut suivre sur une durée assez longue (entre 30 et 50 ans) pour couvrir au mieux le cycle de vie. Mais elle reste une solution approximative car la durée d’observation n’est pas tout à fait la même et rien ne dit que celle-ci permette d’embrasser toute la période d’activité patrimoniale. Sur un total de 107 propriétaires, deux groupes de patrimoines ont été individualisés en fonction de la durée du suivi pour atténuer les effets dus aux différences de temps d’observation : le premier réunit 33 patrimoines suivis sur moins de 20 ans ; le second rassemble 57 patrimoines étudiés sur une période allant de 30 à 50 ans.

83Le montant de la rente patrimoniale est connu soit grâce aux déclarations fiscales de 1661, soit en fonction de l’état du patrimoine hérité. Au terme de la période d’observation, le revenu a été calculé en comptabilisant les gains (dots reçues, achats) et les pertes (ventes, dots versées ou rendues, donations) depuis le début du suivi longitudinal, en excluant cependant du calcul les héritages reçus ensuite qui ont parfois pour effet de masquer un appauvrissement. La variation entre la rente de départ et celle d’arrivée a été exprimée en pourcentage négatif ou positif.

84Les préventions que l’on peut avoir à l’encontre d’une méthode aussi imparfaite s’estompent à l’issue d’une expérience de validation assez simple. Sans tenir compte de la durée du suivi, on a mesuré l’évolution du volume global de chaque patrimoine. La distribution visible dans la figure 25 met en évidence plusieurs phénomènes.

85Premièrement, sans que la durée d’observation ne fausse l’interprétation, l’ampleur des transformations est liée à la taille du patrimoine. Plus celle-ci est petite et plus les variations enregistrées sont fortes ; à l’opposé, plus elle est importante et plus les transformations sont de faible amplitude par rapport au patrimoine de départ. Si l’on observe les patrimoines qui procurent une rente supérieure à 1 000 ducats, on constate qu’un tiers d’entre eux (7 sur 21) présentent une variation comprise entre plus et moins 10 % par rapport à la rente initiale, alors qu’un cinquième seulement de l’ensemble des patrimoines observés se trouve dans ce cas de figure. Aucun n’enregistre une baisse supérieure à 30 %. À l’inverse, parmi les patrimoines qui rapportent moins de 50 ducats (16), un seul connaît une faible variation comprise entre moins et plus 10 %. En revanche, les trois quarts d’entre eux se consument entièrement du vivant de leur propriétaire, quand seulement 14 % de l’ensemble des patrimoines finissent de la sorte. Ce mode d’observation a le défaut d’occulter le rythme des démantèlements et des progressions, mais il permet de mettre en évidence l’existence d’un effet de structure que l’on pouvait sans peine imaginer : le degré de transformation est tributaire de la taille initiale du patrimoine. Le phénomène doit cependant être expliqué dans ses modalités concrètes. Si on exprime la variation non plus en fonction du niveau du patrimoine antérieur, mais cette fois en valeur absolue, les grands patrimoines contribuent à la circulation de la propriété dans des proportions bien supérieures aux petits. Pour affiner le constat, il faut être en mesure de différencier les biens qui sont échangés par l’intermédiaire de la dot de ceux qui circulent vraiment sur le marché.

86Deuxièmement, à aucun niveau de l’échelle des patrimoines ne se dessine une évolution uniforme. Si l’amplitude des oscillations s’estompe à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie des fortunes, les patrimoines suivent des orientations contradictoires. Cela montre combien la classification des patrimoines à partir de la rente qu’ils procurent à un moment donné, réunit des individus dont les trajectoires sont divergentes. Ce qu’on est enclin à considérer trop facilement comme une catégorie stable et cohérente, fédérée par des caractéristiques communes – en l’occurence le niveau de la rente – est, en vérité, une configuration éphémère produite par le prisme déformant d’une observation statique. En figeant une réalité mouvante, elle est un simple indicateur qui permet de situer les patrimoines dans une hiérarchie. L’important est de saisir leur mouvement, notamment les hausses et les baisses de forte amplitude que l’on rencontre à tous les niveaux de fortune. Il faut en expliquer les ressorts, mais aussi évaluer en quoi elles peuvent modifier la hiérarchie des patrimoines et identifier les segments sociaux dans lesquels le renouvellement est le plus intense.

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Fig. 24 – Variation en % de la rente des patrimoines (indépendamment de la durée d’observation).

Tableau 57. VITESSE MOYENNE DE DÉSINVESTISSEMENT ET D’ACCROISSEMENT ANNUELS DE LA RENTE

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87Parmi les phénomènes que ces figures mettent à nu, deux retiennent l’attention. Il s’agit, tout d’abord, de la propension des petits patrimoines à se consumer complètement du vivant de leur propriétaire et ce dans de brefs délais. Il suffit d’observer les patrimoines suivis sur plus de 30 ans pour constater que ceux-ci sont très peu nombreux alors qu’ils sont particulièrement visibles quand l’observation n’excède pas 20 ans : ils ont donc disparu entre-temps. Pourquoi ?

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Fig. 25 – Variation en % de la rente des patrimoines (suivis sur moins de 20 ans).

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Fig. 26 – Variation en % de la rente des patrimoines suivis sur plus de 30 ans.

88Le deuxième point sur lequel je voudrais m’attarder concerne les hausses et les baisses de forte amplitude que l’on rencontre à tous les niveaux de fortune. Il importe d’en expliquer les mécanismes, d’évaluer en quoi elles peuvent modifier la hiérarchie des patrimoines et d’identifier les segments de fortune dans lesquels le renouvellement est le plus intense.

2) La faible capacité des petits patrimoines à durer

89Le poids du patriciat dans les structures de la propriété, l’existence de grands complexes patrimoniaux et la propension des plus riches à occuper le devant de la scène tendent à faire oublier l’essentiel : le monde des propriétaires – si tant est que l’expression ait un sens tant le groupe est disparate – est dominé par des personnes de condition modeste qui ne possèdent que deux ou trois biens, rarement plus.

90Sur 429 propriétaires recensés dans le sestiere de San Polo, 140, soit le tiers environ, déclarent, en 1661, un revenu patrimonial inférieur à 50 ducats. Ils appartiennent, dans leur écrasante majorité, aux milieux popolani : on compte parmi eux beaucoup de commerçants de la zone de Rialto, d’artisans et de veuves. On dénombre, en revanche, seulement huit patriciens. La physionomie du patrimoine se déduit aisément du faible rendement qu’il procure : la diversification est rare – neuf seulement associent biens immobiliers et biens ruraux – et la présence d’un seul bien est généralement la règle102. En fondant la classification sur le revenu du patrimoine, on fait figurer dans cette catégorie ceux qui possèdent, pour seul bien, leur logement ou un local professionnel qu’ils réservent pour leur usage personnel et qui, par conséquent, ne leur rapporte rien. Il s’avère, à l’examen, que ce sont des personnes de condition modeste qui ont tout lieu de figurer dans cette catégorie. La détention d’un bien de jouissance, à côté du patrimoine de rapport, introduit, en revanche, une disparité entre propriétaires puisqu’elle dispense ceux qui en ont le bénéfice de recourir au marché locatif. Ces facteurs de différenciation ne doivent pas masquer l’essentiel : à ce niveau, le patrimoine, de manière directe ou indirecte, en procurant un logement ou une petite rente, occupe une place secondaire dans les ressources qui proviennent majoritairement du travail du ménage103.

91Ce fait est important car il signifie que rien ne distingue ces petits propriétaires de ceux qui exercent le même métier et qui n’ont pas acheté de biens. Sauf peut-être le niveau des ressources, mais rien ne dit que ceux qui n’investissent pas en biens durables en soient privés : ils peuvent privilégier d’autres formes d’épargne. Dans des milieux sociaux et professionnels où la possession de biens est le fait de quelques uns, la propriété peut contribuer à la distinction sociale, mais elle ne saurait rendre différent son détenteur, à la fois parce qu’elle est modeste et parce qu’elle est peu durable.

92Ce qui frappe, en effet, c’est la faible capacité des petits patrimoines à s’inscrire dans la durée. L’examen de 26 patrimoines procurant, en 1661, une rente de moins de 50 ducats en témoigne amplement104. Onze d’entre eux disparaissent complètement du vivant de leur propriétaire, quatre sont amputés, sept s’enrichissent d’acquisitions, trois demeurent inchangés jusqu’à la mort du propriétaire. Pour l’un, il n’est pas possible de déterminer le profil d’évolution. La forte proportion de patrimoines qui connaissent une phase de croissance pourrait laisser penser qu’il existe une grande diversité des profils possibles. En vérité, il n’en est rien. Il suffit d’observer de près les patrimoines qui grandissent par la suite et l’identité de leur propriétaire pour se rendre compte que le revenu foncier perçu, en 1661, n’est pas révélateur du niveau de fortune. On trouve parmi eux un noble (Giacomo Polani), un médecin cittadino (Girolamo Molino), de gros commerçants ou artisans (orfèvre, tisserand, fromager) qui n’ont pas commencé ou amorcent à peine, en 1661, une phase d’investivements en biens immeubles. C’est donc un état donné de leur patrimoine qui les fait figurer parmi les plus modestes et non leurs ressources réelles.

93Dans les autres cas, la modestie du patrimoine est conforme au niveau social du propriétaire qui ne dispose pas de moyens suffisants pour l’agrandir ou qui préfère faire un autre usage de son épargne. Le devenir du patrimoine est le même : sa petite taille est préjudiciable à sa survie. Il est à la merci d’annulations de transaction qui ne manquent pas de se produire puisque les biens ont été acquis de préference aux enchères par souci d’économie, de ventes quand les besoins d’argent sont pressants ou de confiscations ordonnées à la suite des poursuites judiciaires.

94Il suffit qu’une seule de ces menaces se concrétise pour que l’issue soit fatale au patrimoine. L’obligation de restituer le bien jadis acquis est la plus insaisissable car elle échappe entièrement à la volonté du propriétaire qui n’a pas d’autre choix que de s’y soumettre. Compte tenu de sa faible marge de manœuvre, elle a pour effet de ruiner le projet auquel était lié l’achat du bien immeuble : se procurer une petite rente ou disposer d’un logement à soi. Ainsi Angela Pulcioni, veuve de Giovanni Astori, possède-t-elle pour seul bien une boutique et une maison qui lui sert d’habitation dans la paroisse de Sant’Aponal, près du pont dell’Oglio105. En 1666, à cause d’une annulation de vente prononcée par l’Office des Cazude, elle cède à Andrea Vendramin q. Giovanni une partie des revenus de la maison, soit 18 ducats106. La stratégie, qui consistait pour une veuve à posséder sa résidence, a partiellement échoué ; pis, Angela se retrouve locatrice d’une partie de sa propre maison. Sa fille, Laura, hérite, en 1672, du bien grevé du versement de 18 ducats à Andrea Vendramin.

95Citons encore l’exemple de Pietro de Panis, charcutier de métier (salumier), qui habite dans la paroisse de San Matteo di Rialto, dans la calle della Stua, un logement acheté aux enchères auprès des Governatori dell’Intrate107. C’est son seul bien. Après sa mort survenue en 1685, sa femme, en qualité de tutrice de ses enfants, hérite de la maison. En 1701, elle est contrainte de la restituer à Marcantonio Franceschi et à ses frères, suite à une sentence rendue par les Juges du Procurator108. Elle perd ainsi la propriété de son logement et ne semble pas réinvestir l’argent qui lui est restitué dans une nouvelle acquisition.

96Les propriétaires de petits patrimoines ne sont pas les seuls à être l’objet de poursuites judiciaires pour dettes impayées et à devoir se défaire de leurs biens, mais, plus que les autres, ils courent le risque de tout perdre. Pietro Godina, résidant à San Matteo, possède ainsi, en 1661, un petit patrimoine constitué de quatre habitations : deux, situées à San Nicolò, rapportant 16 et 8 ducats par an ; et deux, sises à San Domenico à Castello, en si mauvais état qu’il ne peut pas les louer109. Il est entièrement dépossédé par une série de ventes forcées. En 1670, la magistrature delle Cazude met aux enchères le droit d’usufruit d’une des maisons de San Nicolò (16 ducats) qui est acquise par Domenico Locadello et les deux maisonnettes de Castello qui sont achetées par Baldassare q. Domenico, fabriquant de rames à l’Arsenal110. En octobre 1671, pour recouvrer une créance, le même Domenico Locadello se porte acquéreur de 22 carats et demi de la maisonnette de San Nicolò, mise aux enchères par le Sopragastaldo111. Citons encore le cas de Marcantonio Castagno, épicier de métier, qui est propriétaire de son outil de travail : deux petites boutiques situées à San Matteo di Rialto. Les affaires tournent mal et les biens sont saisis et vendus, en deux temps en 1662 et 1665, par la magistrature des Consoli di Mercanti112. On perd alors sa trace.

97Quand ce n’est pas une décision judiciaire, c’est l’endettement ou le besoin d’argent qui contraint à sacrifier l’unique bien possédé113. Giovanni Garagnin possède dans la paroisse de San Giacomo dall’Orio une casetta a pepian qu’il loue 10 ducats à l’année114. En 1676, sa veuve, Paolina Mondini, cède la maisonnette en échange d’un prêt livellaire de 200 ducats concédé par Francesco Campioni q. Girolamo, marchand de laine115. À l’issue des trois années fixées par le contrat, Paolina est dans l’incapacité de rembourser et perd définitivement la propriété du bien.

98Afin d’honorer leurs engagements matrimoniaux, de petits propriétaires n’ont pas d’autres choix que de lever la dot sur leur patrimoine. Pour peu que celui-ci soit composé d’un ou deux biens de faible valeur et il est entièrement affecté à cet effet. Gian Maria Colombina q. Marco et ses frères possèdent, en 1661, un seul bien immeuble : les deux tiers d’une boutique dans la Casaria, sous les Fabbriche Nuove à Rialto, qui est vide depuis trois ans. Ils finissent par la louer, en 1664, 20 ducats116. La boutique, qui leur était parvenue au titre de la restitution de la dot de leur mère, est réemployée, en 1687, pour constituer la dot d’Agnese Chitosi – dont on ignore le lien de parenté avec les Colombina –.

99Si la menace de disparition touche particulièrement les petits patrimoines à la merci d’une seule vente, elle n’épargne pas non plus ceux qui présentent une taille légèrement supérieure (4 ou 5 biens) dans la mesure où les facteurs de dislocation peuvent se superposer les uns aux autres. Citons trois exemples.

100D’abord, celui du ménage Milles, qui tient l’osteria del Sturion à San Silvestro117. Chaque époux déclare séparément les revenus de son patrimoine : Francesco possède un logement à l’entre-sol (mezado) et une boutique à Santa Ternita d’une valeur locative de 32 ducats et Caterina la moitié d’une habitation à la Giudecca, quatre biens à San Simeon Grande, la moitié de 100 mucili près de Torcello et 14 campi de terres arables, 4 campi de prés, une casa dominicale dans la podesteria de Caorle ; l’ensemble lui procure une rente de 149,5 ducats. En 1669, le couple est contraint de se défaire d’une partie importante de ses biens suite à une procédure de récupération instruite par l’office du Sopragastaldo. Il leur faut restituer aux frères Gardani les biens de Santa Ternita et de San Simeon Grande. Enfin, en 1688, Caterina vend sa propriété en Terre Ferme sans qu’on en connaisse le motif. Aucun mouvement de propriété n’est enregistré jusqu’en 1712. Le démantèlement du patrimoine s’est traduit par une baisse de la rente des quatre cinquièmes.

101Lorenzo Giella q. Fabrizio appartient à un milieu social plus élevé, celui des cittadini. En 1661, il habite en location à San Tomà, mais possède une habitation, située dans la paroisse de San Cassiano, qu’il loue à son frère, Carlo, 80 ducats par an118. En 1666, il se porte acquéreur d’une autre habitation dans la paroisse des Santi Apostoli d’une valeur locative de 50 ducats. Trois ans plus tard, il doit cependant s’en défaire au titre de la restitution de la dot de Zanetta Negrini. Le patrimoine retrouve alors sa physionomie de 1661. Trente ans passent sans qu’il soit modifié. En 1700 cependant, il est contraint de remettre à Girolamo Michiel q. Giovanni la maison de San Cassiano suite à un arrêt des Governatori dell’Intrate, confirmé en appel par la Quarantia Civil Vecchia, qui annulait la transaction par laquelle Lorenzo ou un de ses ascendants avaient acquis la maison. Il est, au total, dépossédé de tous ses biens sans que le démembrement soit dicté par l’état de ses finances.

102Dernier exemple, celui des époux, Elena Geremia et Giambattista Quadri q. Pietro, qui déclarent, en 1661, séparément leur patrimoine119. Elena possède dans la paroisse de San Boldo une grande maison dont les deux étages sont loués 110 et 75 ducats et 6 campi dans la villa de San Bruson dans le territoire de Padoue qui lui procurent une rente de 12,5 ducats. Quant à son mari, il est en possession d’une habitation à San Bortolomio, louée 110 ducats et d’une exploitation dans la villa di Fosso de 32 campi, d’un rapport de 75,8 ducats. Ils dépensent 120 ducats pour la location de leur résidence située dans la corte del Tagliapietra à San Polo. Jusqu’à la mort de Giambattista, en 1675, on n’observe aucun mouvement de propriété : Pietro hérite de son père et Elena continue de gérer en propre son patrimoine120. Le démantèlement commence, en 1680, à l’occasion de la saisie par le Sopragastaldo d’une portion de l’étage inférieur de la maison de San Boldo (21 carats 1/3 et 3/4 d’un tiers de carat) qui est suivie, en 1684, par la confiscation de la partie restante de la part des Governatori dell’Intrate121. Entre-temps, en 1682, Pietro Quadri s’est défait au profit de sa sœur Marieta des 32 campi de la villa di Fosso122. Il vend, en 1686, à Giambattista Zochi la maison qu’il possédait à San Bortolomio. Il ne reste alors plus rien du patrimoine paternel. En 1688, Marietta cède ses terres à Giambattista Zochi et en 1689, c’est au tour de sa mère de mettre en vente une partie de ses biens : les 6 campi de la villa di Bruson, puis l’étage inférieur de la maison de San Boldo123. Au total, le patrimoine familial a été amputé des quatre cinquièmes de sa valeur en l’espace d’une décennie pour cause d’endettement.

103Au bas de l’échelle sociale, de petits patrimoines, composés d’un ou deux biens à peine, risquent, au mieux, d’être amputés de moitié, au pire, de disparaître purement et simplement. Cette incapacité à durer est le fait de leur petite taille qui amplifie les effets d’une confiscation ou d’une restitution, mais elle vient aussi de la fonction que leur assigne leur propriétaire. Puisque le patrimoine est, dans la plupart des cas, destiné à disparaître ou à être considérablement amoindri, il faut en déduire que telle est sa vocation, le propriétaire s’en servant comme d’un capital de réserve pour faire face aux coups du sort ou résorber des difficultés financières. Gros artisans et commerçants investissent le surplus que dégage leur travail dans une ou deux biens avec l’idée de les utiliser pour leur usage personnel ou de jouir d’une petite rente, mais aussi dans la crainte des jours mauvais. La fragilité, qui est inscrite dans la nature même du patrimoine, est accrue par la fréquence et l’imprévisibilité des procédures de restitution de bien, qui frappent particulièrement les petits propriétaires qui ont acheté jadis, par souci d’économie, aux enchères. Cette menace vient affaiblir et disperser le patrimoine avant même qu’il ait pu remplir sa mission.

104Il convient de dire un mot de la différence qui sépare tout de même les patrimoines formés d’un seul bien et ceux qui présentent une composition un peu plus étoffée. Dans le premier cas, le propriétaire, dès l’instant où il a acheté ou hérité, se sait en sursis parce qu’il n’ignore rien des menaces de restitution et surtout parce qu’il perçoit son bien comme une ressource polyvalente : aujourd’hui, il lui procure un complément de revenu ; demain, il lui servira à faire face à l’imprévu. Cela signifie que le propriétaire n’est pas guidé par un projet patrimonial tendu vers la transmission. La possession est, au contraire, perçue comme occasionnelle, éphémère, instable par nature, même si elle peut se prolonger plusieurs années. La volatilité de ces micro-patrimoines n’est pas sans effet sur les structures du marché car elle est un puissant facteur de mobilité des biens et de renouvellement des propriétaires. Ceux qui perdent ce statut – cet attribut, devrait-on dire tant il ne les rend pas différents de ceux qui en sont dépourvus – sont remplacés par d’autres, qui sont animés des mêmes projets à moyen terme et exposés à la même précarité.

105Dès que le patrimoine est plus consistant, on cerne, en revanche, une frange de propriétaires qui voient dans la possession de quelques biens le moyen de se prémunir contre l’incertitude de l’avenir, mais qui nourrissent aussi l’espoir de les transmettre au moins pour partie. L’arrivée impromptue d’une demande de restitution a pour eux un effet dommageable puisqu’elle ruine l’ambition qu’ils pouvaient caresser. Elle vient leur rappeler qu’il ne leur est pas donné d’inscrire leur patrimoine dans la durée.

3) Mobilité et reclassement des patrimoines

106La volonté de perpétuer à l’identique le patrimoine et de le soustraire aux modifications que ne manque pas d’entraîner le passage d’une génération à l’autre renvoie l’image d’un monde immobile, voué à se reproduire sur lui-même ou à subir de modestes transformations sur ses marges. L’évolution réelle des patrimoines est en vérité beaucoup moins uniforme que ne le laisse entendre cette image forgée à partir des plus riches et des plus stables. On en oublie que le changement est inscrit dans leur nature même. En dépit de tous les efforts pour le maintenir en l’état, ils ont vocation à se recomposer, ne serait-ce parce qu’ils sont une composante essentielle des alliances matrimoniales que nouent les familles. Le versement de la dot, sa réception, puis sa restitution entraînent des transformations que les familles tentent de canaliser en délimitant une catégorie de biens voués à circuler. L’utilisation des biens comme une ressource dans les stratégies d’alliance explique pourquoi la plu-part des patrimoines que nous avons observés connaissent des variations importantes sur un cycle court. L’observation du patrimoine chez des personnes qui ont généralement hérité et sont donc d’un âge mûr tend davantage à mettre en évidence les pertes dues à la constitution de la dot des filles plutôt que le gain apporté par le versement de la dot des épouses. C’est ainsi que de grands propriétaires subissent une baisse de leur revenu ou n’enregistrent pas une progression aussi forte que la vigueur de leurs investissements le laisserait attendre124. De même le bénéfice d’un héritage provenant d’un parent ascendant ou collatéral peut, selon les cas, accentuer la hausse des revenus ou atténuer une baisse provoquée par des cessions répétées. L’orientation que prend le patrimoine, quand on l’observe sur une génération, résulte de la combinaison de tous ces paramètres : l’apport de la dot, des héritages collatéraux et des achats, d’un côté, les pertes dues aux ventes et à la constitution des dots, de l’autre. C’est l’ensemble de ces facteurs, dont l’agencement varie d’un cas à l’autre, qui commande la position changeante du patrimoine au sein d’un classement hiérarchique.

107En retour, cela permet de lire l’échelle des patrimoines comme une configuration mouvante alors que le classement des patrimoines en fonction de la rente renvoie, à date régulière, l’image d’une structure stable. Si la proportion de chaque catégorie reste à peu près la même d’un recensement à l’autre, elle peut masquer des processus de reclassement et renouvellement dont la fréquence et l’intensité varient selon le niveau auquel se situe le patrimoine. Cela s’explique par le fait que les deux éléments qui concourent à la formation du patrimoine, l’accumulation ou le désinvestissement réalisés au cours de la vie et la transmission de génération en génération, s’articulent différemment selon la place occupée dans la hiérarchie de la fortune125.

108Ce qui se produit au bas de l’échelle nous est connu. La fréquence et la rapidité avec lesquelles les plus modestes patrimoines disparaissent dessinent les contours d’une catégorie en perpétuel renouvellement sous l’effet d’un double phénomène. À ce niveau, les patrimoines restent rarement en l’état : soit, ils se consument rapidement parce que leur petite taille ne permet pas de résister aux assauts conjugués de l’endettement et des restitutions judiciaires ; soit, ils se développent de manière d’autant plus spectaculaire que le niveau de départ est bas. La progression, limitée dans son volume, porte le patrimoine à environ 500 ducats de rente, rarement plus126. Elle s’explique par un transfert de capitaux, immobilisés jusqu’alors dans des placements mobiliers, et plus fréquemment, par l’investissement des profits réalisés dans des activités commerciales ou marchandes. Malgré la disparition, à brève échéance, de la plupart des patrimoines les plus modestes et la croissance d’une minorité– qui apparaissent dans cette catégorie parce qu’on les saisit au début d’une phase d’accumulation –, le nombre des petits propriétaires tend à croître entre le milieu du xviie siècle et le milieu du xviiie siècle127. Ce processus s’explique par l’effondrement de patrimoines qui, au fil du temps, ont perdu consistance à cause de ventes successives au point de se retrouver au niveau des plus modestes. Mais le franchissement du seuil de 50 ducats de revenu est le fait de patrimoines qui procuraient une génération auparavant, une rente inférieure à 200 ducats. Molina Semitecolo, veuve d’Alvise Pisani q. Ottaviano, en offre l’exemple. En 1661, elle est à la tête d’un petit patrimoine urbain et rural, d’un rapport de 129 ducats, qui se délite rapidement sous la contrainte de difficultés financières128. Elle est dépossédée de trois de ses habitations urbaines à l’issue de ventes et de confiscations qui ont lieu en 1661, 1663 et 1664 et se voit contrainte de restituer, en 1664, quelques maisons situées en Terre Ferme, près la villa d’Este, à la suite d’une sentence de la cour du Proprio. En 1705, Marcantonio Semitecolo q. Angelo hérite d’un patrimoine en fort mauvais état dont la rente a diminué de 62 % par rapport à 1661.

109La présence de quelques propriétaires déchus au bas de l’échelle ne doit cependant pas occulter la raison pour laquelle les petits patrimoines sont toujours aussi nombreux. Le renouvellement est permanent : ceux qui accèdent pour la première fois à la propriété en acquérant un ou deux biens pour les même motifs prennent la place de ceux qui ont disparu et sont tout aussi exposés qu’eux aux risques de disparition. Un flux de nouveaux venus assure une relève abondante et éphémère qui est suggérée par l’importance du nombre des popolani présents sur le marché.

110L’instabilité et le fort renouvellement des petits propriétaires contrastent avec la situation qui prévaut à l’autre extrémité de l’échelle sociale. À trente ou quarante ans d’intervalle, la hiérarchie des très grands patrimoines (>1 600 ducats de rente) est demeurée, peu ou prou, inchangée : certains se sont maintenus insensiblement au même niveau de rente, d’aucuns ont progressé de 20 % environ, d’autres enfin se sont rétractés dans les mêmes proportions. En dépit de ces transformations qui sont loin d’être négligeables en valeur puisqu’elles peuvent correspondre à une variation de la rente de 800 ducats pour les plus grands patrimoines, la hiérarchie est restée la même. Tout se passe comme si les modifications étaient impuissantes, à l’échelle d’une génération, à transformer l’ordre des choses et à remettre en cause les positions acquises de longue date. Leur incidence sur la physionomie du patrimoine est faible, voire dérisoire, car elles pèsent de peu de poids par rapport à la masse des biens hérités129.

111Je citerai deux exemples. En premier lieu celui d’Alvise Barbarigo, procurateur de Saint-Marc, qui compte au nombre des patriciens les plus riches du xviie siècle130. Ses possessions urbaines et rurales frappent par leur cohérence et leur importance. Le nombre de biens urbains (90), la rente qu’ils procurent (2 036 ducats), la forte valeur locative de certains édifices, l’existence d’un grand complexe homogène à San Nicolò confèrent au patrimoine immobilier des traits d’exception131. Le patrimoine foncier qui procure, en 1661, les deux tiers de la rente, soit 5 010 ducats, est également à cette image132.

112Les investissements qu’Alvise Barbarigo réalise entre 1661 – il est alors âgé de 44 ans – et sa mort, en 1678, ne marquent aucun répit. Au total, Alvise contracte seulement deux contrats de vente ou de cession de biens contre 25 contracts d’acquisition auxquels il convient d’ajouter l’octroi de 46 prêts livellaires qui visent essentiellement à renforcer ses positions en Terre Ferme dans la villa di Merlana et d’Urbana. Au total, au cours de ces 17 années de pleine activité, le revenu du patrimoine a cru de 449,3 ducats, soit une hausse de 6,2 % par rapport aux ressources patrimoniales dont il disposait en 1661.

113L’autre exemple est relatif aux Corner de San Polo avec qui peu d’anciennes familles patriciennes peuvent rivaliser en puissance et en richesse dans le courant du xviie siècle. Leur influence politique, qui se lit dans l’élection de trois des leurs à la magistrature ducale133, s’appuie sur une fortune considérable, fruit de l’accumulation patrimoniale des siècles antérieurs. En 1677, Giovanni q. Federico hérite du patrimoine paternel qui lui procure au bas mot 15 335 ducats de rente – sans compter les intérêts des emprunts publics – en provenance aux deux tiers de Terre Ferme134. Entre 1677 et 1712, ses agents réalisent, en son nom, deux achats à Venise, 36 acquisitions en Terre Ferme et concèdent 11 prêts livellaires135. Mais cette intense politique d’achats est contrebalancée, en partie, par sept ventes de terres situées dans l’arrière-pays. Au total, la progression des revenus du patrimoine est limitée à 3,6 % entre 1677 et 1712. Giovanni Corner est loin d’être resté inactif, mais les modifications qu’il a apportées à son patrimoine sont minces par rapport à la masse des biens hérités.

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Carte 18 – Évolution du patrimoine immobilier d’Alvise Barbarigo q. Marcantonio de 1662 à 1678.

114La très faible oscillation des grands patrimoines explique pourquoi le haut de la hiérarchie est aussi rigide. Ces sommets sont inaccessibles en une génération. Ceux qui y sont parvenus, tel Giuseppe Cassetti ou d’autres représentants de nouvelles familles agrégées au patriciat, n’ont fait qu’investir les capitaux qu’ils avaient à leur disposition ou ont tout simplement déclaré à Venise (a fuochi veneti) le patrimoine qui était imposé en Terre Ferme. Ceux qui sont installés aux premières places tendent à y rester. S’ils investissent, leur position est confortée ; s’ils se défont de certains de leurs avoirs, la dispersion n’est jamais assez importante, sur une génération, pour opérer un reclassement significatif. En qualité d’unique héritier, Marino Zane q. Leonardo reconstitue l’unité du patrimoine lignager en bénéficiant de la succession de son père en 1662, de sa grand-mère paternelle en 1664, de son oncle, Domenico, en 1672, puis de sa mère, Maria Civran en 1681 et enfin de Caterina Zane en 1697136. Ces héritages successifs lui procurent une rente de 6 860 ducats environ, auxquels s’ajoutent 490 ducats en provenance de la dot de sa femme et de celle de Paolina Loredan et 243 ducats apportés par des achats et des tranferts imprécis. En dépit de l’importance de ses revenus patrimoniaux, des indices donnent à penser que Marino est à cours d’argent. Son père faisait déjà état dans sa déclaration fiscale, en 1661, de dettes dont le paiement des intérêts lui coûtait chaque année 905 ducats et 18 gros. Tout laisse croire que le fils en a hérité. Quoi qu’il en soit, celui-ci met en vente, entre 1663 et 1682, une vingtaine de biens qui amputent les revenus du patrimoine de 527 ducats. La concentration du patrimoine familial entre ses mains ne parvient pas à dissimuler les effets du processus d’appauvrissement qui se traduit par une perte de revenu de l’ordre de 7 % ; cette proportion somme toute raisonnable ne suffit pas à remettre en cause la position de patrimoine au sommet de la hiérarchie.

115L’observation, sur près de 40 ans, du patrimoine de Matteo Sanudo q. Giambattista conduit aux mêmes conclusions (tableau 67, annexes VI). En 1666, celui-ci reçoit, à l’âge de 48 ans, l’héritage paternel qui lui procure une grosse rente de 4 894 ducats, issue pour un tiers de biens sis à Venise même137. Entre 1666 et 1704, année de sa mort, Matteo Sanudo réalise 28 transactions (10 ventes, 18 acquisitions) qui infléchissent le volume de son patrimoine. L’essentiel des achats a lieu entre 1666 et 1681, après quoi Matteo cesse tout investissement, à l’exception de l’acquisition, en 1693, de 3 quarti de terre. Les difficultés financières qui l’assaillent débouchent sur la confiscation, entre 1688 et 1691, par les Governatori dell’Intrate, du palais qu’il possédait à Santa Maria Formosa138 et obligent, après sa mort, ses enfants, Francesco et Benedetto, à renoncer à la location onéreuse de leur résidence sur le campo San Polo au profit de l’édifice plus modeste qu’ils possèdent, dans la même paroisse, calle del la Sicurtà139. Les ventes excédant en valeur les achats qu’il avait réalisés, Matteo laisse à sa mort un patrimoine dont le revenu est amputé de 343 ducats par rapport au moment où il en avait lui-même hérité. Compte tenu du niveau de départ, la baisse, limitée à 7 %, écorne le patrimoine, mais n’ébranle pas ses assises.

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Fig. 27 – Évolution des revenus patrimoniaux de Marino Zane q. Leonardo de 1662 à 1715.

116Il serait cependant erroné de croire que ces replis sont sans importance car ils peuvent préfigurer des reclassements plus durables et se traduire, pour les intéressés, par des variations de revenus qui ont des répercussions sur le volume de leurs dépenses et la pérennité de leur position sociale. Mais à ce niveau de fortune, le patrimoine dispose par sa taille même d’une telle capacité de résistance que le processus de déclassement exige une, deux, voire trois générations pour aboutir140.

117Le sommet de la hiérarchie des patrimoines tend à se reproduire sur lui-même car l’héritage en est le seul mode d’accès. C’est particulièrement vrai dans les sociétés anciennes où la rigidité du système économique et des structures sociales renforce la part de l’héritage dans la richesse, en particulier patrimoniale. Ceux qui parviennent à se hisser au sommet ne font que transformer leurs capitaux en biens durables. Ceux qui s’y trouvent ont hérité leur place de leurs pères qui eux-mêmes la tenaient des leurs. Le poids du patrimoine hérité permet de mieux éclairer la relation que l’individu entretient avec le patrimoine, faite d’obligations, mais aussi de dépendance. Si l’individu est inséré dans une famille qui lie plusieurs générations, s’il s’inscrit dans une filiation, s’il a des obligations envers le patrimoine, c’est aussi parce qu’il est soumis à cette masse énorme de biens reçus des pères. Ses acquisitions, même réalisées à un rythme soutenu, pèseront de peu de poids par rapport à ce qui a été reçu. Ses ventes, fussent-elles dictées par des difficultés financières, ne suffiront pas à le vider de sa consistance. En ce sens, le propriétaire est dépositaire d’un patrimoine qui le dépasse et lui échappe. Il ne s’agit pas de nier l’autonomie de l’individu, les conséquences de ses choix et la marge de maœuvre dont il dispose, mais de constater qu’un très grand patrimoine, du fait de sa taille, est lent à se transformer en profondeur. Le temps d’un vie n’est pas l’échelle appropriée, du moins à la fin du xviie siècle, pour observer les reclassements qui s’opèrent parmi les plus riches141.

118Toute la difficulté est de mesurer à partir de quel seuil de fortune les positions deviennent beaucoup plus instables. Rien ne dit, d’ailleurs, que parler de seuil soit approprié dans ce cas de figure car la mobilité des patrimoines diminue graduellement à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale, sans qu’on puisse observer d’inflections significatives. Il est plus aisé et aussi plus conforme à la réalité de faire remarquer les intenses reclassements qui se produisent dans les catégories intermédiaires de patrimoines, celles qui correspondent à une rente comprise entre 100 et 400 ducats sans que ces bornes soient rigides. L’observation du devenir des patrimoines qui se situent dans cette fourchette en 1661 et de la position qu’occupaient à cette date ceux qui y figurent trente ans plus tard met en lumière le profond renouvellement qui se produit à ce niveau de fortune. À trente ans de distance, certains n’ont presque pas bougé, mais la plupart ont changé de position, souvent dans de fortes proportions, tant vers le haut que vers le bas. Dans le même temps, des patrimoines jadis de toute petite taille se sont hissés jusqu’à ce niveau, mais pas au-delà, tandis que des patrimoines qui présentaient une taille supérieure y sont descendus sans franchir le seuil des 100 ducats.

119Comment expliquer une telle mobilité ? Il faut une nouvelle fois faire référence à la taille du patrimoine. Elle est suffisamment importante pour mettre à l’abri d’une disparition pure et simple en l’espace de 20 ans, mais elle n’est pas assez développée pour amortir l’effet des pertes ou atténuer la portée des achats. Sur une génération à peine, elle rend possible des reclassements importants car les sources essentielles de la formation du patrimoine – l’accumulation ou le désinvestissement tout au long de la vie et la transmission par héritage – peuvent s’équilibrer : la richesse héritée peut être très sérieusement remise en cause par une série de ventes comme elle peut être augmentée dans de fortes proportions par des achats. C’est la raison pour laquelle on observe, dans ce segment, la constitution et le développement de patrimoines de la part de ceux qui décident d’investir en biens durables leurs capitaux et, à l’opposé, l’effondrement de patrimoines respectables que leurs propriétaires ne sont plus en mesure de conserver.

120Le démantèlement du patrimoine de l’honorable famille cittadina Bonomo dei Pellizzoni est un cas d’espèce. En 1661, Gian Paolo, dont les propriétés servent manifestement à garantir la dot de son épouse Laura Serenella, dispose de quelques biens de rapport à Venise et en Terre Ferme qui lui procurent une rente de 201 ducats142.

121Le mauvais état de ses finances transparaît, dans sa déclaration fiscale, à l’énoncé d’un livello de 1 200 ducats – 900 ducats restent à rembourser – qui grèvent la propriété qu’il possède en indivis avec ses frères à Torcello. On saisit, en fait en 1661, un état du patrimoine qui n’a cessé de se dégrader dans les années antérieures. Les Bonomo ont dû renoncer, en 1648, à la possession de l’intégralité de leur imposante résidence de Sant’Aponal en cédant l’étage inférieur à Maffio Albrizzi qui continue à leur verser une rente annuelle de 48 ducats143. Si on excepte les échanges intrafamiliaux qui font suite au règlement de la division du patrimoine entre Gian Paolo et son oncle Giovanni144, le démantèlement du patrimoine s’accélère, en 1688, à l’occasion du remboursement de la dot de sa belle-fille, Angela Faustini145, puis de la vente, entre 1690 et 1692, de plusieurs terrains dans la villa del Tempio près d’Oderzo146 et de l’abandon définitif, en 1692, du palais de Sant’Aponal à la famille Albrizzi qui acquiert le deuxième étage ainsi que la rente assise sur le premier étage pour en posséder la pleine propriété147. Deux autres ventes conclues en 1701 et 1706 finissent par réduire le patrimoine rural à peu de choses148. Au total, il laisse à sa mort un patrimoine dont la rente a diminué de 53 % par rapport à 1661, tombant aux alentours de 107 ducats et qui est désormais privé de son joyau, le palais familial de Sant’Aponal. Le patrimoine de son frère Agostino, plus modeste, suit la même trajectoire149.

122L’effondrement est encore plus spectaculaire lorsqu’on suit le devenir du patrimoine de Pietro Valier et de ses frères (tableau 62, annexes V)150. En entrant en possession, en 1677, des biens paternels et de ceux de leur mère, Cecilia Badoer, ils héritent d’une situation financière fragile qu’ils ne sont pas en mesure de rétablir. Entre 1663 et 1673, leur père avait réalisé quatre ventes. Ils le suivent dans cette voie, en vendant à six reprises, entre 1679 et 1712, des biens situés tant à Venise qu’en Terre Ferme. Le revenu du patrimoine diminue de 298 ducats, soit une baisse de 43 % par rapport au niveau qui était le sien en 1677. Si on ajoute la dot de leur sœur, Marina, les pertes s’élèvent à 60 %.

123À la différence de ce qu’on observe au sommet et à la base de la pyramide, il semble que le temps qui s’écoule en une génération soit suffisant pour que s’opère un reclassement et un renouvellement des patrimoines intermédiaires. Leur taille rend, en effet, leur position dans la hiérarchie particulièrement sensible aux variations de volume engendrées par les achats et les ventes. Pour les très grands patrimoines, c’est un temps trop court pour que les variations débouchent sur un reclassement ; pour les tout petits, c’est un temps trop long car beaucoup ont déjà disparu. C’est le temps nécessaire, en revanche, pour que des investissements multiplient par deux ou trois des patrimoines qui se situaient autour de 100 ducats et que l’appauvrissement ait l’effet inverse sur des patrimoines jadis forts de plus 400 ducats de rente. Reste à savoir si on peut dégager une signification sociale de ce processus de renouvellement. De prime abord, le suivi individuel des propriétaires dessine des trajectoires tellement singulières au sein d’un même groupe social qu’on est tenté de renoncer à des conclusions d’ordre général, à la fois parce que les hausses et les baisses ont lieu dans tous les milieux et à tous les niveaux de fortune et parce qu’on ne connaît pas toujours les raisons de ces variations. On ne fait que les constater. Ceci dit, ceux qui parviennent à se hisser dans la hiérarchie, alors qu’ils disposaient d’un petit patrimoine, sont majoritairement des popolani qui immobilisent dans des biens durables (urbains ou ruraux) des capitaux acquis dans le commerce, alors que ceux qui dilapident un patrimoine qui avait jadis fière allure appartiennent plutôt à des milieux de longue date en possession de biens. Il n’est donc pas étonnant que l’on trouve parmi eux des nobles, des cittadini, sans que leur présence soit exclusive. Il n’est pas sûr, en revanche, que l’addition de ces deux mouvements suffise à renforcer la position des non-patriciens dans cette fourchette de propriétaires car c’est aussi un niveau qui est propice, pour ceux qui s’y trouvent, à un reclassement tant vers le haut que vers le bas.

***

124Le but initial de cette étude consistait à mesurer le rythme et l’intensité des transformations qui affectent les patrimoines sur une génération. Pour y parvenir, une double méthode d’analyse a été mise en œuvre. La première, fondée sur le suivi longitudinal des patrimoines, visait à mesurer les variations qui se produisent au cours de la vie du propriétaire. La seconde reposait, en revanche, sur la comparaison de deux états statiques du patrimoine à 30 ans de distance pour évaluer la fréquence et l’ampleur des renouvellements et des reclassements au sein de la pyramide des patrimoines. Toutes deux avaient pour souci d’être attentives aux différences qui pouvaient se faire jour selon les milieux sociaux.

125Au cours de la reconstitution de biographies patrimoniales, il s’est très vite avéré difficile de lire l’évolution du patrimoine comme le reflet des seuls choix du propriétaire ou des contraintes imposées par sa condition économique car de nombreux transferts de propriété sont dictés, suivant une chronologie imprévisible, par des restitutions judiciaires au nom de droits antérieurs sur le bien. L’existence d’une telle pratique introduit une incertitude dans la gestion du patrimoine et réduit la capacité des propriétaires à le modeler comme ils l’entendent et, du même coup, celle de l’historien à appliquer des modèles économiques qui postulent que les acteurs sont maîtres de leur patrimoine. Ce qui pour certains est une menace et pour d’autres, issus principalement de la classe dirigeante, une ressource, doit être pris en compte au même titre que les choix personnels ou les contraintes d’ordre économique pour interpréter le profil patrimonial.

126De l’examen de quelques trajectoires, se dégagent deux modèles très différenciés aux deux extrémités de l’échelle. Les plus petits propriétaires présentent un profil assez conforme à la théorie du cycle de vie : une phase d’achat d’un ou deux biens, rarement plus, précède une période de jouissance ou de vente des biens jadis acquis. Un tel profil se rencontre parmi de gros artisans, des commerçants, qui cherchent, durant leur phase d’activité, à se constituer une rente, se procurer un logement ou un local où travailler. Au-delà de la fonction précise qu’ils lui assignent, leur petit patrimoine est aussi une réserve de précaution qu’ils peuvent mobiliser en cas d’imprévu ou de besoins d’argent après avoir épuisé les solutions alternatives. Ce sont par vocation des patrimoines fragiles, instables et éphémères, à la fois du fait de leur taille, puisqu’il suffit d’une vente pour les emporter, et parce qu’ils sont particulièrement exposés aux procédures de restitution qui les privent de la possibilité de jouer ultérieurement leur rôle d’amortissement.

127À l’opposé, parmi les propriétaires qui vivent de leurs rentes et peuvent dégager des capitaux pour accroître leur patrimoine, l’accumulation est un processus continu, qui peut bien sûr marquer des pauses, des ralentissements et des accélérations, mais qui n’est pas lié à des événements familiaux ou à une phase particulière de l’existence. L’échelle de référence n’est plus l’individu, dont les biens seraient destinés à se consumer avec lui, mais la dynastie familiale dont le patrimoine est l’épine dorsale. Entre ces deux extrêmes se déploie toute une gamme de comportements qu’il est difficile de classer car, selon les cas, les propriétaires gèrent le repli imposé par l’état de leurs finances ou sont peu actifs comme si tous leurs efforts consistaient à maintenir le patrimoine en l’état et à réussir à le transmettre.

128La diversité des comportements se retrouve à l’identique quand on tente de comprendre, à partir de deux coupes diachroniques, comment se forme et se renouvelle la hiérarchie des patrimoines. La mobilité différentielle qu’on entrevoit selon les niveaux est dictée par des effets de structure assez prévisibles, puisque la part respective de l’accumulation ou du désinvestissement, d’un côté, et de la richesse transmise, de l’autre, varie en fonction de la position dans la hiérarchie de la fortune sans que la relation soit strictement mécanique. De ce fait, les plus petits patrimoines sont l’objet d’un intense et continu renouvellement. Ils tendent à s’amenuiser ou à disparaître à brève échéance et à être remplacés par d’autres qui présentent les mêmes caractères et ne manqueront pas de s’évanouir à leur tour. Cette instabilité chronique contribue à la circulation des petites maisons sur le marché et au renouvellement continuel de la masse des propriétaires. Pour la plupart d’entre eux, c’est un statut provisoire, et pour tout dire, accidentel. Au sommet de la pyramide, l’effet de structure produit un résultat inverse : la hiérarchie est statique malgré les variations que peuvent connaître les patrimoines. Leur très grande taille et les écarts importants qui les séparent à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie empêchent qu’une réelle re-composition se produise sur une génération. Le patrimoine hérité tend à se perpétuer en lieu et place où le père l’avait laissé. Quoi qu’il en soit, la fluidité de la base et la viscosité du sommet ne sont pas une surprise : il est, en revanche, particulièrement intéressant d’observer le large éventail des patrimoines de taille moyenne (100 – 400 ducats de rente) qui sont aussi les plus nombreux. À ce niveau, un reclassement significatif s’opère sur une génération : c’est le lieu des chassés-croisés. Il est possible d’y entrer et d’en sortir. Si tant est qu’on puisse esquisser une interprétation sociale de ces mouvements, on constate que ceux qui parviennent à hisser jusqu’à ce niveau leur patrimoine en multipliant par deux ou trois sa taille sont surtout des popolani qui ont investis en biens durables les capitaux qu’ils ont acquis dans les affaires. Ceux qui occupaient une position supérieure et qui n’ont pas pu empêcher la perdition de leur patrimoine appartiennent à des milieux où la propriété est, de longue date, une affaire de famille : il n’est donc pas étonnant de rencontrer davantage de nobles et de cittadini sur la voie de la déchéance matérielle. Ce qui domine cependant, quand on observe les trajectoires personnelles, c’est l’extrême diversité des cas de figure dans tous les milieux et à tous les niveaux de fortune à tel point que leur compréhension ne peut être qu’individuelle. Est-ce le même constat que l’on est amené à formuler lorsque on se penche sur l’évolution du contenu des patrimoines ?

Notes de bas de page

1 I. Fisher, Theory of Interest, New York, 1930.

2 L’hypothèse du cycle de vie a été formulée par F. Modigliani et R. Brumberg, « Utility Analysis and The Consumption Function : an Interpretation of Cross-section Data », dans K. Kurihara (dir.), Post-Keynesian Economics, New Brunswick (N. J.), 1954, p. 388-436. La thèse a été reprise et actualisée par F. Modigliani, « Life Cycle, Individual Thrift and the Wealth on Nations », American economic review, 76, 3, 1986, p. 297-313. Voir également pour une présentation de la version de base, A. Masson, « La théorie du cycle de vie illustrée », Risques, 7, 1991, p. 75-100 et D. Kessler et A. Masson, « Le cycle de vie de l’hypothèse du cycle de vie », Annales d’économie et de statistiques, 9, 1988, p. 1-14. Une présentation des différentes versions du cycle de vie est proposée par L. Arrondel, Cycle de vie et composition du patrimoine. Un regard théorique, Paris, 1993 et L. Di Matteo, « Wealth Accumulation and the Life-Cycle in Economic History : Implications of Alternative Approaches to Data », Explorations in Economic History, 35, 1998, p. 296-324.

3 Les legs altruistes et les formes de transferts intergénérationnels ont fait l’objet d’importants développements de la part de G. S. Becker, A Treatise on the Family, Cambridge (MA), 1991 (1re éd. 1981) et de J. Bourdieu, G. Postel-Vinay, P. A. Rosental, H. Suwa-Eisenmann, « Migrations et transmissions intergénérationnelles dans la France du xixe siècle et du début du xxe siècle », Annales H.S.S., 4, 2000, p. 749-789.

4 Les différentes pratiques d’accumulation et de transmission sont répertoriées par L. Arrondel, « L’approche économique de l’héritage : modèles et tests », Communications, 59, 1994, p. 177-197.

5 Il faut accorder une place également aux formes de transfert intergénérationnel dans lesquelles les parents cèdent, de manière anticipée, une partie de leur patrimoine en échange d’une rente. Il n’a pas été rencontré de transferts de ce type : cela ne signifie pas qu’ils sont inexistants à Venise, mais que la pratique veut que l’héritage soit transmis après la mort du père.

6 Les travaux historiques qui ont analysé le lien entre le cycle de vie et les pratiques d’accumulation et de désinvestissement sont peu nombreux. Citons G. Béaur, « Investissement foncier, épargne et cycle de vie dans le pays chartrain au xviiie siècle », Histoire et mesure, 3-4, 1991, p. 275-288. L’auteur met en évidence, dans le comportement patrimonial des vignerons beaucerons, deux phases (accumulation, désinvestissement) qui épousent le cycle professionnel. D. Sabean, Property, Production and Family in Neckarhausen, 1700-1870, Cambridge, 1990, p. 363, met, pour sa part, en avant une différence d’âge entre acheteurs et vendeurs, qui renforce le rôle du marché dans les transferts intergénérationnels. Citons, enfin, les travaux de L. Lorenzetti, « Cycle de vie et marché immobilier. L’exemple de la région de Bellinzona (Tessin) au xixe siècle », dans D. Barjot et O. Faron (dir.), Migrations, cycle de vie familial et marché du travail, Société de démographie historique/Association française des historiens économistes, Paris, 2002 (Cahiers des Annales de démographie historique, 3), p. 373-392.

7 On dispose de données qui ne permettent de reconstruire qu’imparfaitement le cycle de vie. Il faudrait dans l’idéal être en possession des dates extrêmes de l’individu, de son âge au moment du mariage, de la date de naissance et du nombre de ses enfants et être en mesure de reconstituer la trajectoire patrimo niale tout au long de son existence. On peut imaginer réunir toutes ces informations en ayant recours à des fonds (actes de baptême, de mariage, nécrologie) qui compensent les carences biographiques de la source fiscale. L’entreprise est très lourde à mettre en œuvre sans que l’on ait, par ailleurs, l’assurance de disposer de tous les renseignements, parce que des individus ne sont pas forcément nés ou morts à Venise même. Des indications approximatives permettent cependant d’identifier les phases de jeunesse, de maturité et de vieillesse.
La reconstitution de la totalité du cycle de vie pose plus de problèmes encore à cause des bornes chronologiques de la source fiscale. Le suivi longitudinal commence en 1661, quel que soit l’âge des individus, et s’achève lors du recensement suivant en 1712. Selon les cas, cela permet de saisir l’intégralité, une partie ou la fin de l’existence du propriétaire. S’il est théoriquement possible de reconstituer le parcours antérieur à 1661 à partir des séries d’enregistrements de mutations qui débutent lors du recensement précédent, l’entreprise est démesurée car elle oblige, dans le cas où le propriétaire est un héritier, à remonter de manière rétrospective à la déclaration fiscale de ses aïeux présentée, en 1582, pour connaître la composition du patrimoine transmis. Compte tenu de ces difficultés, le suivi d’un groupe de propriétaires sur au moins une trentaine d’années apparaît comme la solution à la fois la plus commode à mettre en œuvre et la plus efficace.

8 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 275 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 576 et Ibid., R. 1504, fol. 1009. Nous avons choisi de réunir les données relatives au patrimoine déclaré par Sebastiano Millioni et son frère, Francesco, en 1661 et celles relatives aux biens que Sebastiano gère seul après la mort de celui-ci en 1670.

9 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 185 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 377.

10 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1284, fol. 122v, 14 décembre 1666.

11 Ibid., R. 1290, fol. 53r, 30 décembre 1682 ; Ibid., R. 1292, fol. 171r, 29 décembre 1691.

12 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 228 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 571.

13 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1284, fol. 41v, 30 avril 1666.

14 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 25.

15 ASV, Notarile Atti, Zuan Battista Zorzi, B. 14141, fol. 17r, 18 juin 1677 : « [...] tre case di detta nobildonna Soranzo una sopra l’altra, cioè una a pepian con tre luochi, cortesella, portion di pozzo, et altro. La seconda solaro di sotto e luochi a pepian, sua cortesella e portione di pozzo, e la terza solaro a quella di sopra in stato cattivo e rovinoso con quatro stanze, sua soffitta e scalle cadenti poste in questa città in contrà di Santa Malgarita in corte detta del Basegno, che riguardano quelle in solaro da una parte sopra la calle detta del Malcanton et dal-l’altra sopra la detta Corte del Basegno [...] e la terza solaro di sopra vuota et inhabitabile ». Bortolo Giovannini s’est marié, en 1672, à Barbara di Pieri.

16 ASV, SD, Condizioni aggiunte, B. 259, cond. 7988, 15 janvier 1679.

17 ASV, Notarile Atti, Carlo Gabrieli, B. 7102, fol. 217v-219r, 25 avril 1715. Bortolo Giovannini vend l’édifice de Santa Margherita, comportant quatre habitations, à Elisabetta Soranzo q. Pietro pour la somme de 1 500 ducats alors qu’il l’avait acheté 1 000 ducats en 1677. L’acheteuse s’engage à déposer 600 ducats auprès de la Cour du Proprio en vue du paiement du crédit dotal de Barbara di Pieri, décédée en décembre 1713 ; 660 ducats à Gian Maria Moro, curé de Santa Margherita, pour rembourser trois prêts contractés en 1704 ; et les 240 ducats restant servent au paiement des arriérés fiscaux. Malgré cette vente, Bartolomeo doit encore rembourser 300 ducats qu’il a empruntés, en 1712, au monastère degli Angeli de Murano.

18 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 49 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 361, compte de Giambattista et Giuseppe Durli q. Domenico. Ils acquièrent, entre janvier 1661 et février 1662, une portion d’un terrain et d’une boutique de bois d’une valeur locative de 30 ducats, située dans la paroisse de Santa Giustina. En septembre 1663, ils saisissent l’occasion de la vente d’une maison mitoyenne à la leur pour exercer leur droit de préemption auprès des juges de l’Esaminador. Enfin, ils se portent acquéreurs, en août 1664, d’une boutique d’orfèvrerie à Rialto, dont le rendement s’élève à 50 ducats par an. Cf. SD, Giornale di traslati, R. 1283, fol. 6r, 4 septembre 1663 ; Ibid., R. 1287, fol. 9r, 9 décembre 1672 ; Ibid., R. 1283, fol. 55r, 22 octobre 1663 ; Ibid., R. 1283, fol. 155r, 30 mai 1665.

19 Dans la villa di Martin, sur le territoire de Padoue, ils acquièrent aux enchères, en 1663, deux campi, trois en 1665, quatre et demi en 1666, qui viennent s’ajouter aux 42 campi que leur avait cédés le même propriétaire, Alvise di Anzoli, en 1659. Par la suite leurs achats s’orientent vers la villa di Oltrafossa dans le Frioul, comme l’atteste la grosse transaction, conclue en septembre 1670, avec Giovanni Battista Acquisti, qui leur permet d’entrer en possession de 45 campi et un cason di paglia avec un campo, ou encore l’achat d’un campo réalisé en octobre 1670. Les Durli achètent ensuite, en 1671, deux terres de 10 campi, en 1673, 19 campi 3/4 dans la villa Lorenzaga sous la Motta ; en 1674, 3 campi dans la villa del Malgher sous la Meduna dans le Frioul immédiatement cédés aux frères Colombo qui leur vendent, la même année, un ensemble de six propriétés s’étendant sur 48 campi 3/4. Cf. Ibid., R. 1283, fol. 60v, 16 avril 1664 ; Ibid., fol. 153v, 30 mai 1665 ; Ibid., R. 1284, fol. 40r, 31 mai 1666 ; Ibid., R. 1286, fol. 27r, 27 septembre 1670 ; SD, Condizioni aggiunte, B. 252, cond. 4997 ; Ibid., B. 254, cond. 5959 ; B. 255, cond. 6059 ; SD, Giornale di traslati, R. 1287, fol. 101r, 20 novembre 1673 ; Ibid., fol. 9r, 9 décembre 1672 ; Ibid., fol. 162v-163r, 4 novembre 1674.

20 Ibid., R. 1285, fol. 54r, 18 août 1668.

21 Entre juillet 1672 et février 1674, il acquiert dans la villa di Oltrafossa, cinq petites propriétés d’un rendement total de 16 ducats, puis en 1677, deux bouts de terrains s’étendant sur un peu plus de deux campi (SD, Condizioni aggiunte, B. 255, cond. 6278 et cond. 6322). En 1676, il achète 3 campi 1/4 et un campo dans la villa de Malgher (SD, Giornale di traslati, R. 1288, fol. 107v, 29 octobre 1676).

22 Ibid., R. 1288, fol. 92r, 30 juin 1676.

23 Il doit ainsi rendre, en 1678, 14 campi et demi situés sur la villa di Mestrin près de Padoue ; en 1680, 19 campi 3/4, dans la villa di Lotenzaga sous la Motta ; en 1686, 18 campi 3/4, dans la villa di Mestrin ; enfin, en 1698, 18 campi 3/4 au même endroit. Cf. Ibid., R. 1291, fol. 140r, 6 mars 1688 ; Ibid., R. 1289, fol. 88r, 30 mars 1680 ; Ibid., R. 1291, fol. 52r, 30 octobre 1686 ; Ibid., R. 1294, fol. 117v, 1er octobre 1698.

24 Il concède deux livelli pour un montant total de 500 ducats en 1684 et achète, seulement en 1704, une maisonnette d’une valeur de 10 ducats dans le Borgo del Lion à Bassano. Cf. ASV, SD, Condizioni aggiunte, B. 262, cond. 9175 ; Ibid., B. 263, cond. 9460.

25 Ibid., B. 265, cond. 10 259, cond. 10 326.

26 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1293, fol. 107r, 17 juillet 1694. Pour plus de détail, voir : Notarile Atti, Bernardo Ballarin, B. 1578, fol. 60rv, 17 mars 1694 : « Il signore Lorenzo Gariboldi q. Signore Zuanne [...] nec non dà et in godimento concede gl’infrascritti beni stabili posti parimenti in questa città et assignati al sudetto signore Lorenzo locatore dalli signori capi de creditori della ragione di Domenico de Battista Durli in pagamento del credito che teneva la comissaria del q. signore Zuanne suo padre dalla ragione sopradetta come da instrumento 26 maggio 1678 nelli atti del signore Christofolo Brombilla nodaro veneto [...] ».

27 ASV, Notarile Atti, Angelo Picini, B. 7063, fol. 226r-228v, 24 juin 1697 : « Si trova creditore il Nobilhomo ser Stefano Guerra come superstite figliuolo et herede del q. Ser Antonio Guerra dal ser Zuan Battista Durli q. Domenico, rappresentante la corsa dita di Domenico de Battista Durli, la summa de ducati tremille cento novanta sette grossi 23 correnti, per resto di due partite scrite in banco e cambio per Bolzan da detto q. Ser Antonio a Ser Zuan Battista Armellini, sopra il Durli, una a 26 genaro 1674 de ducati 3000 de banco et l’altra a 9 maggio 1675 de ducati 1200 simili, che fanno tra tutti due ducati 5040 di valuta corrente. Al’incontro de quali havendo conseguito, già tempo da signori capi di creditori de detta dita Durli, come pure dal medesimo signore Gio. Battista e da debitori dello stesso ducati milleseicentonovantadue restarono ducati tremille trecento quaranta otto et ultimamente havende anco conseguito ducati cento cinquanta grosso uno levati di cecca del corpo d’un deposito fatto dal Ser Francesco Albergoni, in maggior summa, restano li sopradetti ducati tremille cento novanta sette grossi 23 conforme al conto, che sarà qui sotto registrato.
In essecuzione della sentenza a legge fatta, intromissioni et altri atti et in particolare di spazzo dell’Eccelentissimo Conseglio di 40 Civil Novo de 14 decembre 1691, detto Nobilhomo Guerra ha tutte le attioni parate per far le sue essecutioni contro la persona e beni de detto Ser Durli, et intendendo per hora di apprender gli affitti delle case insfracritte sopra la vita del medesimo Ser Gio. Battista, per esser soggette a fideicommissarie ordinantioni, ha fatto la stessa ins tanza a detto Nobilhomo Ser Stefano che per schivar le molte spese che vi anderebbero a suo danno et aggravii si contenti di ricever detti affitti da lui medesimo [...] ».
De l’habitation louée à Federico Zinelli, 160 ducats, Stefano Guerra ne reçoit que 76 ducats car 66 ducats sont dus à Maria Ester Durli, prieuse au Monastère dei Santi Marco e Andrea de Murano et 18 ducats sont versés au bénéfice de Pietro Durli, jésuite, jusqu’à la mort de chacun d’eux. Il touche, par ailleurs, la moitié des loyers payés par Urbano Urbani et Piccino Zucconi, soit 43 et 25 ducats. Sur la somme totale, 24 ducats servent au paiement de l’impôt. Guerra dispose donc de 120 ducats nets qui correspondent au versement d’un capital de 1 000 ducats à 12 % d’intérêt. La dette de Giambattista Durli est ainsi ramenée à 1 197 :23 ducats.

28 Il s’agit de la restitution d’une demi-boutique à Sant’Aponal en 1694, d’une maison qui avait été apportée en dot par sa femme, en 1687, et d’une demi-maison à San Silvestro en 1706. Cf. ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1293, fol. 154v, 28 mars 1695 ; Ibid., fol. 164v, 3 octobre 1695 ; Ibid., R. 1297, fol. 82v, 30 avril 1706.

29 Il s’agit de Gasparo Bernardo q. Andrea et son frère, cittadini (SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 110 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 110) ; Giacomo Polani q. Andrea (SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 126 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 371 et Ibid., R. 1505, fol. 1709) ; Antonio Maria Zanetti, mercier (SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 258 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 574) ; Gianantonio Baroni, tisseur (SD, Quaderni trasporti, R. 1504, fol. 1402) ; Zorzi et Marco Querini q. Vicenzo (SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 285-287 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 477).

30 Il s’agit de Francesco et Bernardo Zane q. Matteo (SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 29 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 362) et de Matteo Sanudo q. Giambattista (Ibid., R. 1504, fol. 1061 et fol. 1480).

31 Il s’agit de Marino Zane q. Leonardo (Ibid., R. 1502, fol. 794).

32 Il s’agit d’Alvise Contarini q. Pietro (Ibid., R. 1504, fol. 1383) ; d’Angelo Marcello q. Antonio (SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 238 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 572) ; et de la commissaria de Marino Bernardo (SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 122 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 371).

33 Il s’agit de Zorzi et Marco Querini q. Vicenzo, respectivement âgés de 23 et 21 ans en 1661. À l’exception de l’achat, en 1668, de 50 campi dans la villa di Pontelongo, en usant de leur droit de préemption puisque la propriété appartenait à leur oncle, ils parviennent à accroître leur patrimoine immobilier à l’issue de décisions judiciaires qui annulent les ventes réalisées aux dépens de la famille dans les décennies passées. Marco meurt en 1685. Son frère aîné concentre tout le patrimoine entre ses mains sans lui imposer de grandes modifications par la suite. Le fait qu’il n’ait pas de descendance directe et qu’il ait contracté quelques dettes n’est peut-être pas étranger à la cessation de ses investissements. Cf. ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 287, Zorzi et Marco Querini q. Vicenzo ; Ibid., cond. 285, Zorzi Querini q. Vicenzo ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 577 ; Ibid., R. 1496, fol. 1617.

34 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 370 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 634 et 778.

35 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 258 : SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 574 et Ibid., R. 1506, fol. 1838.

36 Selon l’étude de G. Gullino, Pietro Pisani, l’un des plus riches patriciens du début du xviiie siècle, dispose en 1712 de 21 454 ducats de rente. Ses dépenses annuelles s’élèvent, en 1705, à 8 901 ducats : 10 % sont affectés aux dépenses alimentaires ; 10,2 % au paiement du personnel ; 2,1 % au vêtement ; 2,6 % aux médecins, au théâtre et à l’entretien des barques tandis que 20,3 % sont consacrés au paiement des impôts. Quant aux Pisani dal Banco, ils disposent, en 1709, d’un revenu de 17 969 ducats. La dépense moyenne entre 1706 et 1738 est de 14 331 ducats par an : 30,1 % sont consacrés à l’alimentation : 15 % aux salaires du personnel ; 0,8 % au vêtement ; 0,8 % aux voyages et 0,6 % aux frais médicaux. Cf. G. Gullino, I Pisani dal Banco e Moretta. Storia di due famiglie veneziane in età moderna e delle loro vicende patrimoniali tra 1705 e 1836, Rome, 1984, p. 87, 146, 153, 205 et 304.
À un niveau inférieur de l’échelle sociale, la répartition d’un budget annuel de 1 350 ducats, destiné à pourvoir aux besoins de trois orphelins (deux garçons, une fille) est la suivante : 57 % des ressources sont affectées au logement et à la nourriture ; 21 % à l’habit ; 15 % à l’instruction et 7 % à des dépenses diverses. Cf. G. Levi, « Comportements, ressources, procès : avant la ‘révolution’ de la consommation », dans J. Revel (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, 1996, p. 204.

37 À Florence, la famille noble Riccardi consacre, à la fin du xviie siècle, 23 % de son budget à l’alimentation (P. Malanima, I Riccardi di Firenze. Una famiglia e un patrimonio nella Toscana dei Medici, Florence, 1977, p. 255). Entre 1653 et 1657, le notaire véronais Folognino y consacre 47,3 % de son budget (A. Tagliaferri, Consumi e tenore di vita di una famiglia borghese del ’600, Milan, 1968, p. 58).

38 L. Arrondel apporte, d’un point de vue théorique, quelques éléments de réponse, en considérant, à juste titre, que l’accumulation à partir d’un certain niveau ne peut être assimilée à une forme de consommation différée. Il ajoute que la transmission n’est pas non plus un motif d’épargne suffisant. Du moins, la transmission dans les deux acceptions qu’il a définies ; celle altruiste destinée à combler une différence entre générations et celle égoiste visant à s’assurer la bienveillance des enfants en cas de besoin. La transmission peut aussi être au service du patrimoine, doté d’une vie propre, en contribuant à la préservation de l’unité de celui-ci. Voir L. Arrondel, « L’approche économique de l’héritage : modèles et tests », Communications, 59, 1994, p. 188-189.

39 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 363 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 634 et R. 1505, fol. 1571, compte de Federico Corner q. Francesco ; Ibid., fol. 1604, compte de Giovanni Corner q. Federico. Ce dernier hérite, en 1677, de 15 401 ducats de revenus en provenance du patrimoine foncier et des prêts d’argent.

40 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1291, fol. 43v, 15 juillet 1686. Leur mère, Chiara Lippomano, reçoit, au titre du remboursement de sa dot, des biens issus du patrimoine de son mari qui représentent, en valeur, le double de ceux qui sont dévolus à ses enfants (Ibid., R. 1291, fol. 43r, 15 juillet 1686).

41 Sur l’activité patrimoniale de Pietro Pisani q. Matteo, voir ASV, SD, Quaderni trasporti, R. 1507, fol. 2140. Il disperse les biens immobiliers qui provenaient de la restitution de la dot de sa sœur Laura, en vendant, en mars 1691, deux maisons – dont l’une est mal en point – situées à l’Anzolo Raffael, à Antonia Consoli q. Giambattista qui bénéficiera de la part des Pisani d’une importante donation (ASV, Notarile Atti, Giovanni Antonio Mora, B. 8692, fol. 59v-61v). Puis, l’année suivante, il vend toutes les habitations de San Vio et de Castello provenant de l’héritage paternel au profit de son frère (SD, Giornale di traslati, R. 1292, fol. 180v, 8 juillet 1692 ; Ibid., R. 1293, fol. 14r, 26 janvier 1692).

42 L’évolution de ce patrimoine est suivie à partir de ASV, SD, Quaderni trasporti, R. 1506, fol. 1777 et Ibid., R. 1507, fol. 2457.

43 ASV, SD, Condizioni aggiunte, B. 264, cond. 9677, 10 janvier 1685 : « aquisto d’una casa da statio posta in contrà di San Barnaba per il Magistrato Ecce-lente di Governatori dell’Intrade parte sotto li 26 settembre 1681, in altra parte, dal Magistrato del Sopragastaldo sotto li 27 agosto 1682, dal nome di ser Tomaso Contarini q. Ser Lunardo, per ducati 50 d’intrada, che per tanto s’attrovava la stessa alle decime per terminazione di stima 1662 : 28 zugno et havendo io sudetto affitato la medesima sotto li 28 febraio 1684, alla Nobildonna Chiara Soranzo, avendo sempre per avanti stata tenuta per uso della nobildonna Betta da Pesaro relita del sudetto Tomaso Contarini, mia suora della qual al presente et dal sudetto 1684 et successive, ne cavavo de affitto della sudetta casa ducati 200 ».

44 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1291, fol. 51r, 9 octobre 1686.

45 Ibid., fol. 162r, 28 septembre 1688 et Ibid, R. 1297, fol. 41v, 1er avril 1704. Les maisons de San Moisè et de San Pietro di Castello sont acquises de Marco Manolesso fu Andrea qui les a héritées de sa grand-mère paternelle, Pisana Pisani. La vente sert à éteindre un livello que le dit Manolesso avait garanti sur les habitations. Voir ASV, Notarile Atti, Giovanni Antonio Mora, B. 8731, fol. 148r-151r, 10 mars 1704.

46 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1297, fol. 189v, 15 juin 1708.

47 Ibid., R. 1293, fol. 102, 16 février 1693.

48 ASV, SD, Condizione di decima, B. 223, cond. 126 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 371 et R. 1505, fol. 1709.

49 M. Barbaro, Alberi de’ patritii veneti, vol. VI, p. 171.

50 ASV, SD, Giornale di traslati, R.1285, fol. 25v, 31 mars 1668 ; SD, Condizioni aggiunte, B. 249, cond. 4000, 30 juillet 1668 (achat de la maison à San Samuele) ; SD, Giornale di traslati, R. 1285, fol. 133v, 31 juillet 1669 ; Ibid., fol. 187r, 12 novembre 1669 ; SD, Condizioni aggiunte, B. 251, cond. 4624, 12 novembre 1669 ; SD,Giornale di traslati, R. 1287, fol. 22r, 2 mars 1673 ; Ibid., fol. 195r, 1er septembre 1675 ; Ibid., R. 1288, fol. 39v, 19 décembre 1675 ; Ibid., fol. 120v, 28 février 1676 ; Ibid., fol. 117v, 30 janvier 1676 ; Ibid., fol. 95v, 4 juillet 1676 ; Ibid., R. 1289, fol. 111r, 10 septembre 1680 ; Ibid., fol. 148r, 30 juin 1681 ; Ibid., fol. 189r, 29 décembre 1681 ; Ibid., R. 1291, fol. 6v, 18 décembre 1685 ; Ibid., fol. 61r, 5 décembre 1686 ; Ibid., R. 1691, fol. 61r, 5 décembre 1686 ; Ibid., fol. 139v, 6 mars 1688 ; Ibid., fol. 146v, 30 mai 1688 ; Ibid., fol. 194r, 18 novembre 1688.

51 Ibid., R. 1286, fol. 44v, 26 septembre 1670 ; Ibid., R. 1288, fol. 120r, 28 février 1676 ; Ibid., R. 1289, fol. 89v, 30 octobre 1681 ; Ibid., R. 1290, fol. 21r, 30 avril 1682 ; Ibid., R. 1291, fol. 146v, 30 août 1688 ; Ibid., R. 1293, fol. 66r, 4 décembre 1693 ; Ibid., fol. 86rv, 10 février 1693 ; Ibid., fol. 92v, 14 février 1693 ; Ibid., fol. 107r, 15 juillet 1694.

52 Avant la phase d’acquisitions, le revenu immobilier de G. Polani s’élevait à 120 ducats car, en 1662, il a mis en location contre 100 ducats par an la maison qu’il occupait à San Lio. ASV, SD, Condizioni aggiunte, B. 214, cond. 34, 4 septembre 1662.

53 Le fils de son frère aîné, Filippo, est mort sans descendance en 1664. Est-ce grâce à l’argent de l’héritage qu’il se met à acheter ? Comme les testaments n’ont pas été retrouvés, il est impossible de répondre.

54 M. Segalen, « Cycle de vie familiale et transformation du patrimoine en Bretagne. Analyse de cas », Ethnologie française, 8, 4, 1978, p. 271-278 ; B. De-rouet, « Pratiques successorales et rapport à la terre : les sociétés paysannes d’Ancien Régime », Annales E.S.C., 1, 1989, p. 185-190.

55 G. Levi, « Terra e strutture familiari in una comunità piemontese del ’700 », Quaderni storici, 33, 1976, p. 1095-1122. Les terres arables circulaient de manière préférentielle par l’intermédiaire des dots, obligeant la famille de la mariée à en acquérir dans les années précédant le mariage. En revanche, les bois et les prés étaient acquis par la nouvelle famille, après le mariage, en vue d’agrandir et de compléter l’exploitation, la naissance d’enfants nécessitant, par la suite, l’achat de nouvelles terres labourables. La structure du patrimoine était déformée par la configuration familiale qui nécessitait, selon le moment, des investissements dans un type de biens particuliers.

56 Il est ainsi difficile d’interpréter les achats de Bernardino di Rossi. Sont-ils programmés en vue de constituer la dot de sa fille ? Ou servent-ils fortuitement à cet usage ? Celui-ci dispose, en 1661, d’une rente de 137,5 ducats versée en contrepartie d’un prêt consenti à la Scuola dei Laneri. En 1663, il achète quelques terres près de Miran : 36 et 4 campi dans la villa di Caselle et un campo dans la villa di Caltana. Il revend les terres de la villa di Caselle en 1667 et, en mars 1669, utilise 6 campi pris sur l’autre possession pour composer la dot de sa fille qui épouse Paolo di Steffani. Le reste revient, après sa mort en 1674, à sa femme Maddalena Fantoni au titre de la restitution de sa dot en argent. Cf. ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 383 ; Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 636 ; SD, Giornale di traslati, R. 1283, fol. 83v, 5 juillet 1664 ; Ibid., R. 1285, fol. 23r, 20 juin 1667 ; Ibid., R. 1286, fol. 70v, 2 octobre 1670 ; Ibid., R. 1288, fol. 86r, 30 avril 1676 ; Ibid., R. 1289, fol. 81r, 12 janvier 1679.

57 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1296, 117v, 23 juin 1704.

58 Ibid., R. 1287, 50r, 29 juillet 1673.

59 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 274 ; Ibid., Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 576 ; Ibid., Giornale di traslati, R. 1284, fol. 1v, 30 juillet 1665 ; Ibid., R. 1285, fol. 111v, 3 janvier 1668.

60 Ibid., R. 1284, fol. 8r, 1er août 1665 ; Ibid., R. 1285, fol. 110v, 3 janvier 1668.

61 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 58.

62 Ibid., cond. 59 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 365.

63 Au sujet de Franceschina Bresolin, voir : ASV, SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 809 ; SD, Giornale di traslati, R. 1283, fol. 47v, 4 septembre 1663. Quant à Marco Cagnis, les données sont réunies dans : SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 798 ; SD, Giornale di traslati, R. 1283, fol. 30r, 4 septembre 1663 ; Ibid., R. 1284, fol. 122r, 14 décembre 1666.

64 ASV, Ibid., R. 1284, fol. 122r, 14 décembre 1666.

65 ASV, SD, Quaderni trasporti, R. 1505, fol. 1059 ; SD, Giornale di traslati, R. 1284, fol. 122r, 14 décembre 1666 ; Ibid., R. 1286, fol. 44r, 26 septembre 1670. La vente, réalisée par Simeone Cagnis avec Giacomo et Pietro Fabrici, est enregistrée dans Notarile Atti, Marc’Antonio Steffani, B. 12197, 24 juillet 1670, fol. 109v-114r. Sur les 1 550 ducats du prix de vente, 200 sont versés, à la demande du vendeur, aux Pères des Frari pour célébrer une messe hebdomadaire, 100 ducats à sa nièce Antonia, la fille de Marco Cagnis suivant les volontés testamentaires de Simeone Cagnis son oncle, et 700 ducats à Maria, veuve de Simeone Cagnis. Les 550 ducats restant servent à rembourser en partie les 560 ducats dus par le juif Elia dal Medico aux acheteurs des maisons.

66 ASV, SD, Quaderni trasporti, R. 1504, fol. 129 et SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 256.

67 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1286, fol. 107v, 2 octobre 1671 ; Ibid., R. 1286, fol. 168v et fol. 169r, 20 août 1672.

68 ASV, SD, Quaderni trasporti, R. 1507, fol. 2060.

69 Elle est contrainte, en 1692, de se défaire, suite à une sentence de la Cour du Procurator, de sept habitations à l’Anzolo Raffael et, en 1704, de 16 autres biens situés au même endroit en faveur de Narcisso Morosini, son frère naturel, selon les termes de la convention signée en 1695.

70 ASV, Notarile Atti, Carlo Gabrielli, B. 7093, fol. 944v, 29 janvier 1710 : « [...] per essi, heredi e successori loro hanno dato, cesso, venduto et alienato, come in virtù del presente pubblico instrumento dano, vendono, cedono et alienano [...]. A nobiluomo ser Pietro Giustinian fu de ser Francesco che per esso, heredi e successori suoi compra et acquista [...] ».

71 ASV, Notarile Atti, Zuan Battista Zorzi, B. 14141, fol. 17r, 18 janvier 1677 : « et queste con tutte e cadaune sue ragioni, attioni, habentie et pertinentie, usi, comodi, rive, anditi, tramiti, ingressi, egressi, regressi, larghezze, longhezze, altezze, profondità [...] ». La formulation peut présenter des variations : « con tutte ogn’altre sue habentie et pertinentie, attioni, ragioni et giurisditioni a detta casa spettanti et pertinenti, et che per l’avvenir li potessero spettar et pertenir et con tutti li suoi ladi, additi, tramiti, ingressi et egressi suoi fin nelle vie publiche, tan-to per terra, quanto per aqua et dal cielo fino all’abisso et con tutte le sue carte nove et vecchie, et il loro vigor et robor, et fra li suoi confin da esser posti et dichiarati per il ministerial del palazzo iusta l’uso della terra » (Notarile Atti, Benedetto Lion, B. 8007, fol. 67v, 1er mars 1604).

72 ASV, Notarile Atti, Carlo Gabrielli, B. 7093, fol. 944v, 29 janvier 1710 : « [...] et che quondammodo spettar li potessero per qualsiasi causa tener, goder, posseder et disponer ad ogni suo libero beneplacito [...] ».

73 ASV, Notarile Atti, Zuan Battista Zorzi, B. 14141, fol. 18r, 18 janvier 1677 : « promettendo inoltre la nobildonna Laura venditrice di manutenzione e legitima diffensione di tutte le predette case e ragioni di quelle ut sopra venduti in ogni caso devittione, disturbo, molestia, o altro, che in qual si voglia tempo potesse esser inferito al medesimo Signore Comprator, heredi, o suoi successori nelle stesse case, o in cadauna di essa per qualunque mottivo, color, prestesto, o altra qualsiasi escogitata causa, e per ciò diffenderlo, e conservarlo a proprie di lei spese, danni, pericolo, et interessi in giuditio, e fuori di giuditio contro qualunque pubblica o privata molestante personna ».

74 Sur le rôle de l’acte notarié dans l’affirmation du droit de propriété et sur ses limites, voir, R. Ago, Economia barocca. Mercato e istituzioni nella Roma del Seicento, Rome, 1998, p. 99-102.

75 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, fol. 276 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 576.

76 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 75. La structure du patrimoine traduit une extrême dispersion dans l’espace des biens qui se répartissent dans dix paroisses différentes. Il ne conserve pour son usage propre que la demi-part de boutique située à San Matteo dont il partage la propriété avec Paolo Bragadin. Le reste, composé d’éléments très disparates, présente un rendement annuel de 358 ducats. A l’ensemble urbain s’ajoute un domaine foncier de 17 campi situé dans la villa de Lorenzaga Furlana, sous la Motta, et l’intérêt de deux livelli dont l’un est assis sur l’autre moitié de la boutique qu’il occupe à San Matteo.

77 ASV, SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 366 ; SD, Condizioni aggiunte, B. 241, cond. 169, 4 septembre 1663 ; SD, Giornale di decima, R. 1283, fol. 85r, 5 juillet 1664.

78 Les conditions du livello sont précisées dans ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 74 : « un livello de ducati mille francato con il monastero di San Bastian contra il Nobilhomo Ser Paulo Bragadin fu dall’Illustrissimo Signore Andrea a ragion de cinque e mezo per cento netto de decima patron de l’altra mittà di botega fatto soto 28 april 1625 ». La location de la moitié de la boutique qui lui appartenait est mentionnée dans la déclaration envoyée en 1666 : SD, Condizioni aggiunte, B. 249, cond. 3705, 14 novembre 1666.

79 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1285, fol. 176v, 30 avril 1669 ; Ibid., R. 1291, fol. 63v, 5 janvier 1686.

80 ASV, SD, Condizioni di decima, 1661, B. 223, cond. 2.

81 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1286, fol. 19v, 22 septembre 1670 ; Governa tori dell’Intrate, terminazioni ed ordini, B. 53, 27 mars 1670 : « la vendita seguita per questo eccelentissimo magistrato sotto dì 16 marzo 1654 d’un magazen in contrà di San Silvestro per debito di donna Cornelia Lippomano fu di ser Zuanne per ducati 116 grossi 16 aquistati per il Pietro Pozzetti dalli Cordovani è stata fatta, essendo il sudetto stabile soggetto a strettissimo fideicommesso ordinato dal testamento della sudetta q. nobildonna Cornelia rogato nelli atti di ser Francesco Paparizza nodaro veneto sotto di 8 decembre 1624 et come per altre valdissime raggioni che a suo loco e tempo saranno dette, dedatte et alleggate perciò io Polo Donà q. Bortolamio beneffitiato del sudetto fideicommesso [...] faccio riverente instanza che per vostri illustrissimi terminando sia terminato che la sudetta vendita resti tagliata [...] ».

82 ASV, SD, Condizioni aggiunte, B. 278, cond. 15605 ; SD, Giornale di traslati, R. 1299, fol. 152v, 5 septembre 1716.

83 ASV, Notarile Atti, Bernardo Ballarin, B. 1578, 17 mars 1694, fol. 60r-64v.

84 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1297, fol. 82v, 30 avril 1706.

85 Ceci demeure, cependant, une hypothèse car rien ne dit que les Governatori dell’Intrate savaient que le bien était soumis à condition. Un siècle plus tard, la saisie et la vente ne sont pas réalisées. Les Inquisitori sopra l’esazione dei pubblici crediti dispensent, en effet, les nobles pauvres de payer leurs arriérés fiscaux dès lors que leurs propriétés sont liées par un fidéicommis. Cf. R. Garino, « Insidie familiari. Il retroscena della successione testamentaria a Venezia alla fine del xviii secolo », dans G. Cozzi (dir.), Stato, società e giustizia nella Repubblica veneta (sec. xv-xviii), II, 1985, p. 350-359.

86 Le comptage du nombre de restitutions qui font suite à l’annulation de vente aux enchères est difficile à établir avec exactitude car on ne peut pas tou jours le déterminer à partir de la magistrature qui a ordonné le transfert. Quand l’annulation est prononcée par les Governatori dell’Intrate, les Cazude ou le Sopragastaldo, le doute n’est pas permis. En revanche, quand elle vient de la Cour du Procurator, de la Quarantia Civil Vecchia, l’ambiguïté demeure car ces institutions ont d’autres compétences. Des indications complémentaires permettent parfois de la dissiper, mais ce n’est pas toujours le cas. On peut affirmer avec certitude qu’au moins 60 % des restitutions concernent des biens achetés aux enchères. La marge de probabilité porte le chiffre entre 75 et 80 %.

87 On peut trouver une maigre consolation dans le fait que les critères objectifs sur lesquels se fondent les arrêts sont aléatoires dans la mesure où la cause, selon le principe de la justice distributive, est traitée différemment selon la qualité des personnes.

88 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 75 : « casa in contrà della Croce verso Santa Chiara tenuta ad affitto da Pasqualin Fiorini e da Francesco Fiori paga d’affitto a l’ano ducati trenta laqual casa fu aquistada dal Officio Eccelentissimo Signori delle Intrade sin lanno 1636 adi 8 magio et ora per detto Eccelentissimo magistrato ne seguito il tallio della vendita che è per non aver auto an cora il dinaro de la compreda fatta e ancora al a mia ditta che è quando mi sarà restituito il denaro la giraro al nom de chi si aspetarà ». En 1663, la restitution de la maison est effectivement enregistrée (ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1283, fol. 45v, 4 septembre 1663).

89 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 160 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 375 ; SD, Giornale di traslati, R. 1285, fol. 38r, 30 juin 1668 : Pietro Galicioli a rendu, en 1668, la seule propriété foncière qu’il possédait : 9 campi à côté de Mestre. Il a acheté, en 1663, à Giambattista Nicolai un bien d’une valeur locative de 22,7 ducats dont on ignore la nature faute d’avoir retrouvé le transfert de propriété.

90 ASV, SD, Quaderni trasporti, R. 1504, fol. 1171 ; SD, Giornale di traslati, R. 1285, fol. 135r, 30 juillet 1669. En 1669, il achète à Giovanni Falier la boutique dont il est locataire à San Silvestro. En 1671, il se porte acquéreur, en deux temps, des loyers d’un petit logement et d’une habitation contiguë, situés dans la corte dell’Orso à Sant’Aponal. Hors de cette zone près de leur domicile, il acquiert deux habitations à San Marcilian et une à San Marcuola. Ibid., fol. 139r, 31 juillet 1669 ; SD, Condizioni aggiunte, B. 252, cond. 5048, 2 octobre 1671 ; SD,Giornale di traslati, R. 1286, fol. 105v, 2 octobre 1671 ; Ibid., R. 1287, fol. 148v, 3 novembre 1674 ; Ibid., 1289, fol. 62r, 15 décembre 1679.

91 ASV, SD, Giornale di traslati, R 1289, fol. 141r, 10 février 1680 ; Ibid., R. 1295, fol. 159v, 7 avril 1702 ; Ibid., R. 1297, fol. 45r, 3 avril 1704 ; Ibid., fol. 64r, 13 avril 1704.

92 ASV, SD, Condizione di decima, B. 223, cond. 126 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 371 et Ibid., R. 1505, fol. 1709.

93 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 366 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 634.

94 ASV, SD, Condizioni aggiunte, B. 244, cond. 1280 ; SD, Giornale di traslati, R. 1285, fol. 10r, 5 janvier 1667 ; Ibid., R. 1291, fol. 30r, 16 avril 1686 ; Ibid., 37v, 27 juin 1686

95 Ibid., R. 1291, fol. 93r, 2 mai 1687 ; Ibid., R. 1298, fol. 116v, 26 juillet 1711 ; Ibid., R. 1299, fol. 104v, 31 juillet 1715 ; Ibid., fol. 153v, 6 septembre 1716.

96 Il serait, cependant, abusif de croire que la capacité à exhumer des dispositions testamentaires anciennes est le seul fait du patriciat. J’en veux pour exemple la procédure intentée par les enfants de Maria Gratia, en 1704, après la mort de leur mère. Ils font valoir auprès de la Cour du Procurator le testament d’Antonio Gratia stipulé en 1454 : en plus des trois maisons situées à Santa Fosca et à San Marcilian que leur a transmises leur mère, ils obtiennent que Caterina Gratia, épouse de Bonaventura Varotti, leur restitue une maison à San Marcilian (50 ducats) ; Andrea Capello fu Giovanni une maison à Santa Fosca (32 ducats) et Alvise Locadello 30 campi situés sur la villa di Povenzago, près de Miran. Cf. ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 230 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 571 ; SD, Giornale di traslati, R. 1296, fol. 194v, 31 août 1704.

97 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 287, Zorzi et Marco Querini q. Vicenzo ; Ibid., cond. 285, Zorzi Querini q. Vicenzo ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 577 ; Ibid., R. 1505, fol. 1617. En 1661, Zorzi est âgé de 23 ans et Marco de 21 ans. Ils gèrent en commun le patrimoine immobilier composé d’un palais situé sur le Grand Canal à San Polo qui leur sert de résidence, et de 23 habitations dispersées entre les paroisses de San Barnaba, Santa Maria Formosa, San Tomà, et surtout San Moisè et San Pantalon où ils possèdent un groupe compact de sept et douze logements. Au titre de la primogéniture, Zorzi possède en son nom propre le patrimoine foncier situé près de Campagnola et Piove di Sacco, qui procure une rente annuelle de 148 ducats.

98 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1292, fol. 101v et 102r, 2 octobre 1687.

99 Pour la restitution de la maison de San Polo : ASV, Ibid., R. 1291, fol. 171v, 25 octobre 1688. Quant aux deux maisons de San Cassiano, voir : Ibid., R. 1292, fol. 167r, 29 décembre 1691 ; Ibid., R. 1293, fol. 35r, 26 janvier 1692.

100 Ibid., R. 1292, fol. 119r, 30 mai 1691 ; ASV, Governatori dell’Intrate, Polizze d’Incanti, B. 266, no 4285.

101 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1297, fol. 145r, 5 juin 1707.

102 Parmi les 64 patrimoines inférieurs à 50 ducats qui ont une composante urbaine, 40 ne présentent qu’un seul bien, 12 disposent de deux biens, 5 de 3 biens, 4 de 4 biens et un seul de 5 biens.

103 Une rente de 50 ducats est à peine égale aux salaires les plus bas. À titre de comparaison, un ouvrier du bâtiment gagne environ, dans la décennie 1660, 100 ducats par an ; un maître verrier 250 ducats et un tisserand 1 400 ducats. Le salaire annuel est calculé à partir du salaire journalier en sous sur la base de 261 jours de travail par an. Cf. R. T. Rapp, Industria e decadenza economica a Venezia nel xvii secolo, Rome, 1986, p. 168 et F. Trivellato, « Salaires et justice dans les corporations vénitiennes au xviie siècle. Le cas des manufactures de verre », Annales H.S.S., 1, 1999, p. 256 et 271. Pour une récapitulation des données disponibles sur les salaires, voir L. Pezzolo, « L’economia », dans Storia di Venezia. Vol. vii. La Venezia barocca, Rome, 1997, p. 407.

104 Au bas de l’échelle des revenus, nous avons retenu, dans le corpus, les propriétaires classés dans le premier décile (0-10,5 ducats) et le troisième décile (21,5-37 ducats), soit 30 personnes. Il s’est avéré que douze d’entre eux ne faisaient l’objet d’aucun enregistrement de transfert de propriété, pas même leur succession. Il y a lieu de penser que les Dix Sages ont renoncé à suivre des patrimoines aussi peu rémunérateurs du point de vue fiscal. Un propriétaire a été, par ailleurs, négligemment oublié. Il reste donc 26 personnes.

105 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 152 ; SD, Quaderni trasporti, R. 101, fol. 374.

106 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1284, fol. 127r, 22 décembre 1666.

107 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 39 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 363.

108 ASV, Ibid., R. 1506, fol. 1901 ; SD, Giornale di traslati, R. 1291, fol. 187r, 15 novembre 1685 ; Ibid., R. 1295, fol. 172v, 13 avril 1702. Les frères Franceschi, d’origine cittadina, s’appuient sur le testament d’Antonio Manenti q. Giovanni, rédigé le 12 juillet 1609, dans lequel l’ordre de dévolution à venir des biens est précisé. Les biens situés à Venise, dont « il statio, che è in Pescaria de Rialto con condizione », revenaient à sa nièce, Lucietta, épouse de Giambattista Mutti, puis à sa descendance. Si celle-ci venait à manquer, ils devaient revenir à son neveu du testateur, Pietro Franceschi, ou à sa descendance. La sentence des juges du Procurator ne fait pas mention d’une clause empêchant l’aliénation. Seul l’ordre de dévolution suffit aux dits Franceschi pour récupérer l’édifice partagé entre plusieurs propriétaires. Cf. ASV, Giudici del Procurator, Sentenze a legge, B. 167, fol. 39rv, 10 décembre 1701.

109 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 423, cond. 115 ; SD, Quaderni trasporti, fol. 370.

110 ASV, SD, Giornale di traslati, R 1286, fol. 28v, 23 septembre 1670.

111 Ibid., fol. 110r, 2 octobre 1671. Il est possible que Giovanni Galina ait ache té, en septembre 1662, les 3 carats et demi, mais l’acte n’a pas été retrouvé.

112 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 398 ; SD,Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 637 ; SD, Giornale di traslati, R. 1284, fol. 125v, 24 décembre 1666.

113 À côté des cas de restitutions ou de confiscations, sont également fréquentes les ventes dont on ne connaît pas explicitement le motif et qui conduisent à la disparition pure et simple du patrimoine. Le cas de Caterina, veuve d’Andrea Bresolin q. Giuseppe qui exerçait le métier de fromager (casariol), résume assez ce cas de figure. Elle possède une seule maison, calle dei Botteri, que Francesco q. Rocco, fromager lui aussi, loue 70 ducats. En 1685, elle la cède à Simeone Badini, charcutier de son état (ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 57 ; Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 364 ; SD, Giornale di traslati, R. 1290, fol. 187r, 30 mai 1685).

114 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 51 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 364 ; SD, Giornali di traslati, R. 1288, fol. 99r, 31 août 1676.

115 ASV, Notarile Atti, Antonio Ferabò, B. 6167, fol. 69r-70v, 11 juillet 1676 : « [...] d’esser pagato a detta Signora Locatrice et questo oltre alli ducati duecento de lire 6 : 4 per ducato che detto signore Campioni ha esborsato a detta signora Mondini et dati a galder sopra la sudetta casa e cioè ducati cento cinquanta, ch’hebbe la detta a livello francabile investiti sopra la casa medesima come appar dall’instrumento rogato per atti miei li 9 decembre prossimo passato. Item altri ducati trenta che hora alla presenza di me nodaro e testimonii infrascritti ha esborsato il sudetto signore Campioni alla stessa Signora Paulina. Item ducati cinque de prò decorsi per causa del livello predetto et li restanti et li restanti du-cati quindeci sono per pagar al magistrato delli Governatori dell’intrade le de-cime decorse sopra la medesima casa, la limitatione all’officio delle Acque e spese del presente instrumento che il tutto unito fanno la summa delli predetti ducati 200 [...] ».

116 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 195 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 378 ; SD, Condizioni aggiunte, B. 242, cond. 397, 12 novembre 1664 ; SD, Giornale di traslati, R. 1292, fol. 24r, 25 juillet 1689.

117 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 302 et 303 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 628 ; SD, Giornale di traslati, R. 1285, fol. 180r, 10 novembre 1669 ; Ibid., R. 1290, fol. 166r, 4 mai 1685.

118 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 357 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 633 ; SD, Giornale di traslati, R. 1284, fol. 140v, 16 juillet 1667 ; Ibid., R. 1287, fol. 158v, 4 novembre 1674 ; Ibid., R. 1295, fol. 19v, 1 mars 1700.

119 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 243 et 244 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 573.

120 Ibid., R. 1505, fol. 1506.

121 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1289, fol. 99r, 12 juillet 1680 ; Ibid., R. 1290, fol. 118r, 12 janvier 1684.

122 Ibid., R. 1292, fol. 2r, 28 mars 1689.

123 Ibid., fol. 8v, 28 mai 1689 ; Ibid., fol. 29r, 5 septembre 1689.

124 Le procurateur Angelo Morosini dispose, en 1661, d’un patrimoine foncier et livellaire qui procure une rente de 6 564 ducats. À sa mort en 1691, le revenu a progressé de 6,4 % grâce à des acquisitions. Mais entre-temps, il lui a fallu constituer la dot de ses deux filles. À cause de cette double amputation, le revenu du patrimoine en 1691 est inférieur de 5,4 % à celui de 1661.

125 Les débats des économistes autour de la part respective de l’épargne et de l’héritage dans la formation de la richesse offrent un cadre de réflexion, mais ne tiennent pas suffisamment compte du rôle joué par le niveau de fortune. La théorie de F. Modigliani, qui privilégie la part de l’accumulation au cours de la vie dans la constitution de la richesse est tout à fait recevable, nous l’avons dit, pour les petits patimoines ; en revanche, la thèse opposée de L. J. Kotlikoff et de L. H. Summer, en insistant sur le poids de la richesse transmise, qualifie la situation qui prévaut chez les plus riches. Cf. F. Modigliani, « Life Cycle, Individual Thrift and the Wealth of Nations », American economic review, 76, 1986, p. 297313 et L. J. Kotlikoff et L. H. Summer, « The Role of Intergenerational Transfers in Agregate Capital Accumulation », Journal of political economy, 89, 1981, p. 706 732. La faiblesse du prélèvement fiscal, associée à de puissants mécanismes de conservation, a assurément joué un rôle dans le maintien de la hiérarchie des patrimoines à l’inverse de l’évolution contemporaine révélée par T. Piketty, Les hauts revenus en France au XXe siècle. Inégalités et redistributions, 1901-1998, Paris, 2001.

126 Antonio Maria Zanetti, riche mercier que nous avons déjà évoqué, multiplie par cinq son patrimoine de rapport entre 1661 et 1713, portant la rente à 684 ducats (ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 258 ; Ibid., Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 574). Le patricien Giacomo Polani, qui ne dispose d’aucun bien de rapport en 1661, réunit un patrimoine lui procurant, en 1693, un revenu de 447 ducats et 17 gros. À cette somme, s’ajoutent 100 ducats pour la location de la maison qu’il occupait en 1661 pour son propre compte. Cf tableau 61.

127 On compte, pour tout Venise, 2 307 propriétaires qui reçoivent une rente comprise entre 0 et 100 ducats en 1661 ; 3 613 en 1712 et 4 571 en 1740. Cf. D. Beltrami, Storia della popolazione di Venezia dalla fine del secolo xvi alla caduta della Repubblica, Padoue, p. 229.

128 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 34 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 362 ; SD, Giornale di traslati, R. 1283, fol. 46v, 4 septembre 1663 ; Ibid., fol. 95r, 5 juillet 1664 ; Ibid., fol. 109r, 29 décembre 1664 ; Ibid., R. 1287, fol. 61v, 26 octobre 1673 ; Ibid., R. 1298, fol. 124r, 18 septembre 1711.

129 Sur le rôle de l’héritage dans la reproduction sociale : A. Masson, « L’héritage au sein des transferts entre générations : théorie, constat, perspective », dans C. Attias-Donfut (dir.), Les solidarités entre générations. Vieillesse, familles, État, Paris, 1995, p. 301-303. Et plus généralement sur le débat entre richesse acquise et richesse héritée : D. Kessler et A. Masson, Modelling the Accumulation and Distribution of Wealth, Oxford, 1988.

130 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 427 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 640.

131 À Venise, dans la paroisse de San Polo, à l’angle du rio éponyme et du Grand Canal, il dispose d’une sompteuse résidence, le palais Barbarigo alla Terrezza, dont il a mis en location le deuxième étage. Mais l’essentiel du patrimoine de rapport est ailleurs : à Rialto où il est propriétaire de 6 boutiques, à la Maddalena où il possède un palais sur le Grand Canal inoccupé en 1661, à San Trovaso où il dispose de 8 habitations et surtout à San Nicolò où il étend son emprise sur un ensemble compact de 63 habitations, faisant de lui l’un des plus gros propriétaires privés de Venise.

132 En plus de deux résidences urbaines en Terre Ferme, à Padoue et à Este, de quelques terres autour de la même localité et de Legnago, de maisons à Montagnana, l’essentiel de ses possessions foncières se concentre dans la villa di Merlana entre Montagnana et Castelbalbo. Outre la casa dominicale, il est à la tête de 1948,75 campi répartis en 96 parcelles, parmi lesquelles 41 disposent d’une habitation, et d’une quinzaine de maisons dans la villa.

133 Giovanni Corner q. Marcantonio est doge de 1625 à 1629 ; son fils, Francesco, très brièvement du 17 mai au 5 juin 1656 et son arrière-petit-fils, Giovanni q. Federico, de 1709 à 1722.

134 ASV, SD, Quaderni trasporti, R. 1505, fol. 1604.

135 Évolutions des revenus de Giovanni Corner q. Federico entre 1678 et 1712 :
Image 16.jpg
*100 ducats provenant de la location de la villa de Murano ont été ajoutés aux revenus immobiliers de Federico.
**estimation. Le chiffre est approximatif car on ignore le revenu exact des 197 campi achetés en 1701.

136 ASV, SD, Quaderni trasporti, B. 1502, fol. 794.

137 Ibid., R. 1504, fol. 1061, compte de Matteo Sanudo q. Giambattista. Sur son père Giambattista Sanudo q. Benedetto, voir SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 239 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1502, fol. 572 ; SD, Giornale di traslati, R. 1284, fol. 129r, 22 octobre 1666. Les biens urbains qui procurent une rente de 1 555 ducats ont pour caractéristique de présenter quelques grands regroupements homogènes : cinq habitations à Santa Maria Formosa, un ensemble de 11 logements à San Polo et un édifice de rapport comportant 22 habitations à San Simeon Piccolo. Au total, Matteo Sanudo est à la tête de 58 unités locatives dispersées dans 12 paroisses. Comme son père avant lui, il loue aux héritiers de Giacomo Correr un palais situé sur le côté sud du campo San Polo (SD, Catastico, B. 423, San Polo, no 7).

138 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1291, fol. 191r, 30 décembre 1688 ; Ibid., R. 1292, fol. 127v, 1er octobre 1691.

139 ASV, SD, Catastico 1661, San Polo, B. 430, no 20 et SD, Terminazione di sopraluogo e stima, San Polo, R. 866, no 13.

140 R. Derosas, « La crisi del patriziato come crisi del sistema familiare : i Foscarini ai Carmini nel secondo Settecento », dans Studi veneti offerti a Gaetano Cozzi, Venise, Il Cardo, 1992, p. 309-331.

141 G. Delille, Famille et propriété dans le royaume de Naples (xve-xixe siècles), Rome-Paris, 1985, p. 67-78.

142 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 113 ; SD, Quaderni trasporti, R. 1501, fol. 270. En 1661, le patrimoine est composé de quelques biens immobiliers : deux maisonnettes situées à San Barnaba, louées chacune 10 ducats, un demi-carat de l’inviamento di pistoria de Santa Margherita d’une valeur de 9 ducats, une petite maison de deux étages à San Nicolò (50 ducats), l’étage supérieur d’une maison sise à Sant’Aponal qu’il habite et la jouissance d’une portion du loyer de l’étage inférieur qui appartient à Maffio Albrizzi. Le domaine rural est composé de huit possessions : à l’exception de la propriété de la villa di Staffolo située à Torcello (3/4 de 45 campi), l’ensemble est localisé dans la villa di San Giovanni del Tempio, près de Oderzo. Deux possessions, de respectivement 50 et 40 campi, représentent la quasi-totalité des possessions foncières qui s’étendent sur environ 99 campi. Giovanni Paolo réalise un seul achat d’un quarto de terre situé dans la villa di Sorona dans la Marche de Trévise (ASV, SD, Condizioni aggiunte, B. 245, cond. 2091, 30 mai 1665).

143 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 127. Sur la Ca’ Bonomo, devenue Ca’ Albrizzi, voir G. Tassini, Curiosità veneziane, ovvero origini delle denominazioni stradali, Venise (8e édition), 1970, p. 278.

144 En 1687, les suites de la division du patrimoine avec son oncle Giovanni q. Gian Paolo l’obligent à céder la moitié de l’appartement qu’il occupe à Sant’Aponal, l’inviamento di pistoria de Santa Margherita et la possession située à Torcello, soit une perte de revenu de 69 ducats et 9 gros (ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1291, fol. 95r, 10 mai 1687).

145 L’année suivante, la restitution de la dot de sa belle-fille, Angela Faustini, lui cause la perte d’un domaine de 40 campi, sis dans la villa del Tempio à Oderzo, et de la rente assise sur le premier étage du palais Sant’Aponal (Ibid., fol. 167r, 17 octobre 1688).

146 En 1690 et 1692, Giovanni Paolo morcelle son domaine foncier en vendant à Giambattista d’Arcanzo, curé de la villa del Tempio, sous Oderzo, plusieurs terrains d’une valeur locative de 7 ducats qu’il possède dans l’endroit (Ibid., R. 1293, fol. 58rv, 22 mai 1692 ; Ibid., fol. 75v, 28 septembre 1692). En 1690, sa belle-fille, Angela Faustini, achète à l’encan 14 campi situés dans la villa del Tempio, auxquels viennent s’ajouter l’année suivante trois bouts de terres acquis devant notaire (Ibid., R. 1292, fol. 136r, 25 octobre 1691).

147 Ibid., fol. 185v, 28 septembre 1692.

148 Pour recouvrer sa créance, Angelo Dolfin q. Vittorio acquiert, en 1701 auprès du Sopragastaldo, 11 campi dans la villa del Tempio. Giovanni Roi se porte acquéreur, en 1706, de 4 campi et demi que Gian Paolo possédait dans la villa di Ormele sous Roncadelle (Ibid., R. 1297, fol. 88v, 24 mai 1706).

149 ASV, SD, Condizioni di decima, B. 223, cond. 96 ; SD, Quaderni trasporti, B. 1501, fol. 368.

150 ASV, SD, Quaderni trasporti, R. 1505, fol. 1581.

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