Chapitre III. Le marché de la pierre au xviie siècle
p. 127-176
Texte intégral
1Dans une ville où les deux tiers du bâti sont entre les mains de patriciens, où la conservation de la propriété est un idéal qui inspire non seulement les comportements patrimoniaux, mais aussi d’importants dispositifs juridiques et où les règles légales d’encadrement du marché portent atteintes à la libre concurrence, les transactions immobilières sont soumises, par principe, à de fortes entraves sociales et juridiques. Toute la question est de savoir si l’activité des échanges se ressent effectivement d’un contexte, a priori, si peu favorable. La réponse passe nécessairement par la reconstitution du profil du marché immobilier et requiert un certain nombre de conditions : il faut, d’abord, disposer d’une documentation longue, massive et sérielle pour évaluer, dans la durée, l’intensité des échanges immobiliers. La mesure chiffrée exige, en effet, des données sélectionnées en fonction de leur homogénéité et de leur caractère comparable, qui doivent être disponibles sur une longue période et s’enchaîner dans une même succession logique pour permettre de mesurer le changement. La source fiscale est l’une des mieux adaptées à cette démarche : elle présente des séries numériques, elle a été constituée précisément pour enregistrer les changements de propriété et elle offre peu de prise aux incertitudes parce qu’elle répond à des questions liées au domaine de compétence de l’administration1.
2Il convient, dans un second temps, de sélectionner des critères adéquats destinés à rendre compte de l’activité du marché. Deux indicateurs ont, d’abord, été retenus : le nombre des ventes afin de mesurer l’intensité des échanges et ses variations dans le temps et la composition interne des transactions qui permet de préciser les caractéristiques du marché. Parmi les autres critères descriptifs dignes d’être mobilisés, la rentabilité figure, bien sûr, en bonne place puis-qu’elle offre raisonnablement la possibilité de replacer l’immobilier dans la conjoncture générale et de le comparer à d’autres placements. Elle fera l’objet d’amples développements dans le chapitre suivant. Quant à la géographie des mutations, elle a été provisoirement laissée de côté, parce qu’elle engage des questions, relatives à l’échelle d’observation, qui débordent du cadre d’une analyse économique du marché2.
A–LE MOUVEMENT LONG DU MARCHÉ
1) Potentialités et limites de la source
3On dispose à Venise d’une source massive et longue, la série Giornale di traslati du fonds des Dieci Savi alle decime adaptée à un traitement quantitatif. Les passages de propriété y sont enregistrés en ordre chronologique avec l’indication du nom des contractants, de la situation du bien échangé, du titre juridique, de l’acte privé ou public qui a validé le transfert. Si un examen critique de la source a permis de lever les hypothèques les plus graves qui pesaient sur son exploitation, un certain nombre de limites n’en sont pas moins apparues.
4La rigueur des renvois d’un fonds à l’autre laisse entrevoir l’efficacité d’une magistrature qui contrôle au jour le jour les mouvements de propriété avec une extrême rigueur. Son travail peut se trouver facilité par l’intérêt bien compris de l’ancien propriétaire, qui a toutes les raisons de déclarer le transfert pour être déchargé de l’imposition. C’est, entre autres, pour ce motif que le fonds des decime semble plus complet que la série Vendizioni des juges de l’Esaminador, qui repose sur la déclaration de bonne foi de l’acquéreur3. Dans la perspective qui est la nôtre, se pose le problème de l’enregistrement exhaustif des transferts qui affectent les maisons vénitiennes. Le fonds ne suit pas, en effet, à la différence d’une matrice cadastrale, les habitations de la cité, mais les biens des propriétaires qui y sont recensés. On y trouve donc, pêle-mêle, la mention d’échanges concernant des propriétés de Terre Ferme et des biens urbains. Le risque de voir échapper au recensement les biens appartenant à des propriétaires dont le domicile fiscal est situé hors du duché de Venise est mince, en tout cas sans incidence sur la fiabilité du fonds, car l’écrasante majorité du sol est entre les mains de patriciens, de cittadini, d’institutions religieuses ou de popolani recensés à Venise4. Le nombre de maisons qui ne se trouveraient pas dans l’un de ces cas est trop faible pour être significatif.
5La série Giornali di traslati autorise, par ailleurs, la constitution de séries de données homogènes et comparables. À partir du recensement de 1582, les critères utilisés pour enregistrer les passages de propriété ne changent pas jusqu’à la disparition de la magistrature quelques années après la chute de la République. Il s’avère, donc, possible à date régulière de sélectionner des données comparables en vue de mesurer les changements qui affectent le marché.
6Toutefois, si les potentialités de la source répondent aux exigences d’une formalisation quantitative, elles rencontrent des limites qu’il convient de prendre en considération. La plus grande vient de la difficulté à identifier toutes les mutations à titre onéreux faute parfois d’une dénomination explicite. Dans la plupart des cas, la mention d’un achat est spécifiée par des termes qui ne prêtent pas à confusion : acquisto, comprada, et dans une moindre mesure vendita. Par contre, l’emploi, sans plus d’indication, d’istrumento ou de scrittura privata pour mentionner l’acte interdit d’identifier avec certitude une vente, même si c’est le cas le plus probable puisque les autres types de transferts (héritages, divisions, dots) apparaissent explicitement. Les Dieci Savi se contentent parfois d’indiquer l’acte juridique qui a validé le transfert à l’issue d’une procédure engagée auprès d’une juridiction civile5. Faute de se reporter à l’acte original intéressant les cas incertains, au demeurant peu nombreux, nous avons pris le parti de ne retenir que les mentions explicites de vente et les cas où celle-ci est, de loin, la plus probable. Au mieux, ces cas douteux ne représentent qu’1,5 % du total, au pire 25 % comme en 1710-12 ; pour cette dernière coupe, l’examen des actes originaux a révélé qu’il s’agissait effectivement de ventes.
7L’un des autres inconvénients de la source vient du délai entre la date de la vente, attestée dans l’acte notarié, et la date d’enregistrement. Le zèle mis par la magistrature à conserver la maîtrise sur les mouvements de propriété réduit cet écart sans jamais le résorber complètement. Au cours du xviie siècle, les délais diminuent au point qu’il est exceptionnel de rencontrer des ventes qui aient été conclues avant les trois années précédentes. En revanche, dans le premier tiers du siècle, les retards sont nombreux et plus longs. Cet effet ne porte guère à conséquence quand il s’agit de dessiner le trend du marché sur une très longue période car la date exacte de conclusion de la vente sert de base au calcul ; en revanche, elle introduit un biais quand on réalise une coupe annuelle. Dans ce cas, nous avons conservé les ventes des années antérieures avec l’idée qu’elles viennent compenser celles de l’année en cours qui ont été enregistrées ultérieurement. Il faut donc avoir à l’esprit que les résultats ne livrent pas un instantané, mais reflètent la tendance des années précédentes.
8Une autre limite inhérente à la source vient de l’absence d’indication sur la valeur vénale des biens vendus. Elle n’y est jamais mentionnée pour la simple raison que la decima ne porte que sur les revenus du patrimoine. Peut-on dans ces conditions mener l’étude du marché immobilier sans les prix de vente ? Assurément, non. Mais il est possible ponctuellement de se reporter aux actes notariés qui ont effectivement enregistré la vente pour construire des indices.
9Un troisième handicap du fonds vient du fait que la notice d’enregistrement ne comprend que des informations succinctes et stéréotypées, renvoyant à l’acte officiel de mutation pour plus de détail. Si celle-là donne le nom des contractants, il est silencieux sur leur lieu de résidence, leur métier, ou leur rapport de parenté ; s’il indique la paroisse où le bien est situé, il précise rarement la rue ; s’il mentionne le type de biens échangés (casa, casetta, bottega...), il ne les décrit jamais dans le détail. Toute une série d’investigations portant sur l’origine sociale des vendeurs et des acheteurs ou sur la géographie des mutations à une échelle plus petite que la paroisse butte sur la nature de la source, dont la concision et la répétitivité se prêtent mieux à une étude sérielle qu’à une analyse qualitative.
10La quarantaine de registres du Giornale di traslati qui couvrent une période allant de 1582 à 1711, bornée par deux recensements cadastraux, a fait l’objet d’un double traitement6. L’un, intensif, a consisté à réaliser sept sondages, espacés d’une vingtaine d’années et comprenant toutes les ventes enregistrées durant trois années successives (1585-1587, 1610-1612, 1630-1632, 1650-1652, 1670-1672, 1690-1692, 1710-1712). La prise en compte de ce laps de temps permet, tout à la fois, de gonfler l’échantillon et de ne pas être tributaire des écarts d’enregistrement en volume d’une année sur l’autre qui relèvent moins d’une fluctuation du marché que du rythme propre de l’administration. Cette base, forte de 2 162 mutations, comporte toutes les informations contenues dans la notice originale en vue d’une exploitation intensive.
11L’autre mode de traitement est plus extensif dans la mesure où l’évaluation du rythme du marché sur une longue période, le xviie siècle, requiert la constitution de séries homogènes et régulières. La méthode statistique a consisté à retenir, pour chaque année, le cinquième des pages du Giornale di traslati et d’en extraire les mutations urbaines, partant de l’hypothèse, étayée par quelques sondages, que la proportion de pages retenues contient, peu ou prou, la même proportion de ventes enregistrées chaque année. Les transactions ont été distribuées en fonction de la date de signature de l’acte et non en fonction de la date d’enregistrement par la magistrature des Dieci Savi alle decime. Afin de minorer les différences d’une année à l’autre, qui peuvent venir du rythme de l’enregistrement et du mode de sélection des données, on a pris le parti de lisser les données en employant une moyenne mobile triennale, centrée sur l’année du milieu, qui a également l’avantage de restituer les fluctuations réelles du marché. En voici le résultat.
2) L’activité du marché
12Le mouvement des ventes suggère deux remarques. Premièrement, le rythme du marché se caractérise par de fortes variations au cours du xviie siècle que l’on peut décomposer en trois période successives. La première, couvrant les trois premières décennies du siècle, présente une activité faible et relativement stable qui oscille entre 75 et 100 transactions annuelles. La deuxième période, qui correspond au deuxième tiers du siècle, présente des phases de forte croissance et de chute des ventes qui dessinent une courbe en dents de scie. Dans la décennie 1630, les transactions sont multipliées par deux passant de 75 à 175 par an. Elles décroissent entre 1640 et 1645, repartent de nouveau à la hausse à partir de 1645 jusqu’en 1650 où elles atteignent le chiffre de 250 unités. On rencontre à cette date la plus forte mobilité du siècle avant d’enregistrer une chute du nombre des ventes proportionnelle à leur augmentation en flèche. L’activité, revenue autour de 125 actes, reprend plus lentement pour croître jusqu’en 1669 où elle dépasse 200 transactions annuelles. La troisième période est marquée par une baisse de l’activité du marché, faite de chutes, de stabilisations, de reprises éphémères sans que jamais la tendance de longue durée ne soit contrariée. À l’aube du xviiie siècle, le marché semble stabilisé à un niveau d’activité (50 et 75 transactions) inférieur à celui rencontré un siècle plus tôt, dans une période de relative atonie.
13Deuxièmement, malgré le mouvement qui l’anime, le marché immobilier occupe toujours une place marginale, oserait-on dire dérisoire, dans la circulation des biens. Pour donner la mesure de l’étroitesse du champ qui lui est réservé, il suffit de comparer le nombre de ventes au chiffre de la population (tableau 3)7. En prenant en considération les ventes enregistrées trois années de suite, on note 4 transactions pour 1 000 habitants au plus fort de l’activité du marché autour de 1650. Dans les périodes d’atonie, au début et à la fin du siècle, on dénombre une vente et demie pour mille habitants.
14La comparaison entre le nombre de biens mis en vente et le stock immobilier est encore plus éloquente. L’estimation du parc immobilier s’appuie sur les comptages réalisés à partir des condizioni de la redecima de 1582 et des catastici de 1661 et 1740. Sur la base d’une hypothèse fictive, nous avons considéré que la progression du nombre de maisons entre ces dates était régulière pour évaluer approximativement le stock au moment où les coupes ont été réalisées. En 1582, le parc immobilier comporte environ 22 400 unités locatives qui se répartissent bien entendu dans un nombre bien inférieur de bâtiments. Il s’élève à environ 27 000 unités au milieu du xviie siècle et à un peu plus de 30 000 unités autour de 17108. La progression est due à une densification du bâti qui s’accompagne de surélévations, d’agrandissements et de restructurations internes plus que de constructions nouvelles9. Sur cette masse énorme de maisons, une infime partie circule sur le marché. Au meilleur de l’activité, autour de 1650, ce sont 660 biens comptabilisés sur trois ans qui font l’objet d’une transaction, soit 2,4 % du stock. Mais dans une période de stabilité, le chiffre tombe en dessous de 1,5 %. Compte tenu de l’accroissement du bâti, la proportion des biens vendus n’a jamais été aussi faible qu’au début du xviiie siècle. À un siècle d’intervalle, la stabilité, à un très bas niveau, du nombre de maisons mises en vente, cache en réalité la fermeture d’un marché qui se caractérise durant tout le siècle par son étroitesse. De surcroît, les biens vendus correspondent aussi bien à des unités locatives pleines qu’à des unités fractionnées alors que le stock se réfère à des habitations entières. Si l’on ne compare que des maisons complètes, la part des biens vendus s’amenuise un peu plus : en 1610-12, les 251 habitations entières cédées représentent 1 % du stock ; en 1630-32, elles sont au nombre de 328, soit 1,3 % du parc immobilier.
15La part des ventes dans la circulation des maisons renvoie l’image d’un marché atone. Parmi les biens urbains qui chaque année changent de main, une partie marginale a transité par le marché. L’immense majorité a été soustraite à la concurrence, soit parce que ceux-ci sont demeurés au sein des familles au gré des successions et des partages, soit parce qu’ils ont été légués ou échangés sans contre partie monétaire ou qu’ils sont allés constituer la dot des filles. Un sondage réalisé pour l’an 1700 sur la base de l’ensemble des transferts de propriétés urbaines – soit environ 320 mutations – montre que les ventes concernent 30 % des cas, faisant jeu égal avec les succesions et les partages (28 %) tandis que les contrats dotaux (dot, restitution, assurance) portent sur 16 % des transferts10. On ne peut manquer de suggérer l’existence de liens entre le marché immobilier et les dots incluant des maisons. Il est même permis d’avancer l’idée que la dot répond à une certaine demande de biens urbains qui n’a pas besoin de recourir au marché et qu’elle réduit, dans le même temps, l’offre proposée en réservant une part des biens aux échanges matrimoniaux. Le phénomène est aussi renforcé par l’assurance de dot, pratique qui consiste à garantir à l’épouse la restitution de la somme apportée, soit par l’hypothèque d’un bien du mari, soit par l’achat d’une propriété immeuble jugée indépréciable.
16Si l’on tient compte désormais de la valeur locative de chacun des types de transferts, les écarts sont autrement plus prononcés. L’opération a été conduite pour l’année 1700 à partir de 288 transferts, exception faite de certains héritages dont on ne connaît pas le contenu, au risque de minimiser des écarts plus forts encore. La part des ventes ne dépasse pas 14 % en valeur alors que celle des héritages et des divisions cumulés atteint au moins 70 %. Les échanges liés aux dots s’élèvent pour leur part à 9 % de la valeur totale. Le classement ne fait qu’apporter une évaluation chiffrée et certainement en deçà de la réalité à un constat assez prévisible : le passage par le marché est extrêmement minoritaire dans le mouvement de circulation des biens. Ce constat n’est pas sans limiter la portée d’une enquête sur les prix des habitations. Le risque est grand de considérer la valeur vénale des maisons mises sur le marché comme représentative de celle de maisons équivalentes alors qu’elle ne fait référence qu’au prix de la petite quantité d’habitations qui sont effectivement mises en vente. La part des maisons vendues, rapportée au stock général, est si faible qu’elle disqualifie toute tentative de généralisation des prix11.
17Venise n’est donc pas une ville à vendre au xviie siècle. Elle ne l’a sans doute jamais été12, elle ne sera pas plus au xviiie siècle. Pourquoi ? La question ne prête pas à une réponse univoque. Nombreux sont les facteurs qui se combinent pour freiner les échanges : la structure de la propriété, tout d’abord, qui fait la part belle au patriciat ; le système juridique qui s’appuie sur une législation patrilinéaire, sur des procédures de préemptions familiales pour limiter les ventes et des dispositions plus contraignantes, notamment les clauses fidéicommissaires, qui eurent pour effet d’accroître le gel des patrimoines ; des stratégies de conservation et d’alliance qui visent à transmettre un patrimoine, condition de l’influence politique et de la survie des familles ; et l’intérêt économique pour une rente sûre et à l’abri du risque. Pour toutes ces raisons, dont on ne peut réellement apprécier les modalités et les effets qu’au niveau individuel, le marché immobilier ne sort pas de l’atonie. Il faut attendre que se fissurent les carcans patrimoniaux et que se dénouent les liens juridiques à la fin du xviiie siècle après la disparition des institutions républicaines qui étaient garantes du système pour que les maisons commencent à changer de main à une grande échelle13.
18Atonie du marché sur la longue durée. Mais aussi régularité des ventes sur le temps court. En effet, si l’on adopte une échelle chronologique, centrée sur l’année et susceptible de faire apparaître les cycles saisonniers, on constate que les ventes se répartissent de manière assez uniforme dans le temps (tableau 13). On cherche en vain des périodes d’intense activité qui alterneraient avec une morte saison, comme le suggère la chronologie des ventes dans d’autres villes ou d’autres types de transactions14. Il semble toutefois que les ventes connaissent un léger fléchissement aux mois de septembre et d’octobre, et dans une moindre mesure au début de l’été. Les écarts d’un mois à l’autre sont cependant trop faibles pour en tirer une quelconque conclusion. La relative uniformisation des ventes (quel que soit leur type) tout au long de l’année laisse entendre que le marché ne répond pas à des stimulations saisonnières.
B–UNE JUXTAPOSITION DE MARCHÉS
19Malgré le bas niveau qui le caractérise, le nombre de ventes enregistre des variations qui tirent le marché de la léthargie au milieu du xviie siècle15. Comment interpréter une évolution en dents de scie qui culmine cependant autour de 1650 à un niveau quatre fois supérieur à celui enregistré au début et à la fin du siècle ? Si l’on considère le marché comme un bloc, on risque d’être impuissant à découvrir les ressorts d’un rythme aussi chaotique. En précisant l’autorité publique qui a enregistré la vente, les Dieci Savi laissent entrevoir, dans les notices du Giornale di traslati, divers types de transactions (figure 2). Ils permettent d’observer des marchés spécifiques qui obéissent à des règles propres et qui agissent les uns sur les autres selon des modalités complexes. Trois grands types se dégagent : le premier regroupe les ventes ordinaires et libres, réalisées de gré à gré devant notaire ou sous seing privé ; le deuxième désigne les ventes forcées ordonnées en vue du remboursement de dettes contractées auprès d’un créditeur privé ; le troisième réunit les ventes contraintes réalisées par la puissance publique aux dépens des débiteurs du fisc.
20Les unes et les autres sont régies par des règles spécifiques qui n’accordent pas le même statut au vendeur et à l’acheteur. Dans le cas du marché libre, l’acheteur engage une négociation personnelle avec un vendeur qui dispose théoriquement d’une vraie marge de manœuvre, puisqu’il a la possibilité de refuser la transaction. Dans le cas des ventes à l’encan, l’acheteur a affaire à un vendeur absent, relayé par la puissance publique qui a moins de moyens de peser sur le prix et qui cherche à réaliser la vente au plus vite pour honorer les créances en sa faveur. Les motivations qui poussent à la vente sont aussi radicalement différentes : le marché ordinaire n’est que la somme de transactions individuelles qui sont irréductibles les unes aux autres alors que le marché des biens mis à l’encan résulte du jugement de la cour civile du Mobile ou répond à une exigence fiscale de l’État. Ils ne sauraient cependant fonctionner de manière complètement autonome. Jusqu’à quel point sont-ils l’objet d’interactions mutuelles ? Avant d’esquisser une réponse, il importe de les suivre de façon séparée en reconstituant leur mouvement et en identifiant à quel type de conjoncture les uns et les autres sont les plus sensibles.
1. Les ventes forcées au bénéfice du fisc moyenne mobile triennale
21Le sens du devoir, la défense de leur réputation et la menace de séquestres incitent, d’ordinaire, les contribuables à payer l’impôt de bon gré16. Si la menace de saisies a un effet dissuasif, c’est que la pratique est monnaie courante. Elle intervient à l’issue d’une procédure administrative initiée par les rappels adressés par les Dieci Savi alle decime aux contribuables qui n’ont pas payé la decima et la tansa17. Si au terme du délai de deux mois qui leur est accordé, ces derniers ne se sont pas acquittés de leur devoir, le collège renvoie l’affaire devant les magistratures chargées d’exécuter le séquestre18. À cause de la superposition des compétences au sein de l’administration vénitienne, cette tâche est dévolue à plusieurs magistratures : les Ufficiali alle Cazude, qui saisissent sur les biens immobiliers et fonciers les sommes dues pour la decima, la tansa e les gravezze sur indication des Governatori dell’Intrate ; les Ufficiali alle Rason vecchie e Rason Nuove, qui ont droit de poursuite contre tous les débiteurs de l’État depuis 1385 ; les Deputati all’esazione del denaro pubblico e presidenti sopra le vendite, qui ont autorité, à partir de leur création au début du xviie siècle, sur les magistratures chargées de prélever les recettes19. Mais pour l’essentiel, les ventes à l’encan sont une prérogative des Governatori dell’intrate qui traitent plus de 90 % des séquestres des biens situés à Venise. À l’issue de la réorganisation des magistratures vénitiennes au xvie siècle, les compétences de ces derniers portent sur la poursuite des débiteurs du fisc et la vente des biens qui leur sont confisqués20. Malgré la réduction progressive de leur champ d’activité, ils conservent pour mission, jusqu’à la fin du xviiie siècle, de récupérer les sommes dues, les restanze.
22En cas d’insolvabilité des débiteurs, ils ont le pouvoir de saisir les biens immeubles sur la base d’un choix qui apparemment est du ressort du propriétaire. Un ultime délai de quelques jours est concédé21 avant que la vente à l’encan soit rendue publique par l’affichage à Rialto d’une polizza d’incanto. Afin de garantir un maximum de publicité, la mise aux enchères est répétée au moins trois fois à, au moins, un jour d’intervalle. Une fois la vente conclue, le nouvel acheteur a trois jours pour en acquitter le montant auprès des magistrats ; une fois le versement effectué, il reçoit la pleine propriété du bien acheté22.
23Les confiscations ont été si massives au xviie siècle que le marché immobilier s’en est trouvé affecté. Elles ne peuvent cependant pas être comparées aux ventes des biens nationaux sous la Révolution car elles ne visent, ni ne produisent un changement radical des structures de la propriété en frappant un catégorie précise de propriétaires23. Elles ne sont pas non plus circonscrites dans le temps, ni massives dans leur volume, mais continues au cours du siècle en dépit des modulations qu’elles connaissent. Les adjudications n’annoncent pas une profonde redistribution de la propriété même si elles contribuent à accroître la circulation des biens. Faibles dans le premier tiers du siècle, les ventes à l’encan grimpent brusquement dans les années 1630, puis retombent avant de partir vers les cimes au milieu du siècle. Elles s’affaissent de nouveau, puis repartent à la hausse jusqu’en 1670, après quoi elles diminuent régulièrement pour atteindre un très bas niveau au début du xviiie siècle. Ce sont donc leurs oscillations qui provoquent le mouvement en dents de scie du marché général.
24Pour comprendre des sauts aussi spectaculaires, il faut rappeler que le renforcement du contrôle fiscal et l’engagement de poursuites contre les mauvais contribuables se produisent dans des moments où l’État a besoin d’augmenter ces recettes. Or qu’est-ce qui exige un impérieux, un urgent, un immense besoin d’argent, si ce n’est la guerre ? C’est bien elle qui, indirectement, scande le rythme des confiscations et des ventes. Si le lien entre le marché ordinaire et les vicissitudes militaires ne va pas de soi, parce que l’immobilier repose sur des structures urbaines remarquablement stables et parce que la République, retenue sur des théâtres lointains, protège la capitale, la lagune et l’arrière-pays de l’effet destructeur des combats, les confiscations s’en font, en revanche, l’écho24.
25La coïncidence entre le rythme des ventes aux enchères et la chronologie des événements militaires qui scandent le xviie siècle est particulièrement nette. En période de paix (au début des xviie et xviiie siècles), les ventes à l’encan, au nombre d’une dizaine chaque année, traduisent l’activité ordinaire de magistratures chargées de lutter contre les mauvais payeurs. Que la guerre surgisse et s’installe, et leur contrôle se fait plus sévère ; les saisies tendent à augmenter : c’est le cas après le déclenchement, en 1615, de la Guerre de Gradisca, de courte durée, mais qui est prolongée par une décennie de tensions avec les Habsbourg25. C’est vrai au moment de la Guerre de succession de Mantoue, en 1629, et plus encore lors du débarquement, en 1645, des Turcs à Candie qui se traduit par une poussée concomitante des ventes à l’encan. Même si la guerre contre l’Empire ottoman a repris en 1640, l’offensive contre la Crète exige de la part de Venise une riposte d’une toute autre ampleur. En 1665, le contrôle de l’île est irrémédiablement perdu ; en 1669, la citadelle de Candie, affamée par un long siège, se rend à l’ennemi non sans avoir résisté avec acharnement pendant 25 ans. La même année, le nombre des ventes forcées chute brutalement. À son tour la reconquête de la Morée conduite par Francesco Morosini s’accompagne d’un redressement des ventes qui prend fin après 1697, une fois assurée la défaite des Turcs à Zenta26.
26L’intensité et la durée des saisies ne sauraient, en revanche, constituer à elles seules des indices pour évaluer la détresse financière des pouvoirs publics. La poussée la plus spectaculaire et la plus longue coïncide avec la Guerre de Candie qui entraîne des dépenses dépassant, par leur ampleur et leur durée, celles occasionnées par les conflits antérieurs27. Pour supporter le coût de la défense qui pouvait s’élever à 60 % des ressources, voire les trois quarts comme durant la Guerre de Gradisca ou de Mantoue28, la Sérénissime eut recours à tous les instruments fiscaux à sa disposition : la hausse des impositions indirectes qui assuraient à l’État la majeure partie de ses revenus (les dazi qui pesaient sur la production et le commerce des biens) ; le renforcement des prélèvements directs par la levée régulière, et quelquefois plusieurs fois par an, de la decima et de la tansa, par la création d’un nouvel impôt sur tous les biens fonciers en 1617, le campatico, et par l’imposition, en 1627, des prêts hypothécaires, les livelli29 ; enfin la vente de titres publics à des taux fort rémunérateurs (de 5 à 10 %) afin d’attirer les dépôts privés dans les caisses de la Zecca. Durant la Guerre de Candie, les besoins sont tels que la République se résout à recourir à des expédients en se dessaisissant d’une partie de son patrimoine par le biais de la vente de biens communaux et en autorisant l’accès au patriciat vénitien à de riches familles moyennant le paiement de 100 000 ducats30. L’urgence des besoins contraint aussi les pouvoirs publics à renforcer le contrôle fiscal et à engager des poursuites contre les mauvais contribuables. La menace qui pèse sur la République étouffe les critiques qui pourraient naître d’un accroissement de la pression fiscale et légitime la fermeté de l’État envers ceux qui ne versent pas leur contribution. L’évasion fiscale dont le Sénat a conscience en période ordinaire est l’objet de sévères sanctions quand la défense de l’État s’impose comme un devoir sacré. L’accroissement du nombre de poursuites, en période de guerre, peut être aussi le reflet de l’insolvabilité d’une partie des contribuables incapables de faire face à une majoration des impôts, compte tenu du ralentissement de l’activité économique.
27Il apparaît cependant difficile d’expliquer la forte poussée des séquestres de la décennie 1630 par la seule Guerre de succession de Mantoue, limitée dans le temps aux années 1629-1630, sans prendre en compte l’extraordinaire croissance de la dette publique qui passe, entre 1616 et 1641, d’environ un million de ducats à 8 435 000 ducats31. Il est possible, par ailleurs, que la peste de 1630 et les déséquilibres qu’elle a engendrés aient provoqué un durcissement de la pression fiscale. Loin de diminuer le nombre de séquestres, l’aggravation des tensions sociales peut venir au contraire les renforcer.
28La baisse des saisies au beau milieu de la Guerre de Candie, dans la décennie 1655-65, attend également une explication. Replacer les confiscations dans le contexte plus général des choix fiscaux de la République aide à la formuler. Sans être exactement superposable, la chronologie des séquestres épouse assez bien celle des decime exigées des contribuables vénitiens (tableau 14) : de 1645 à 1650, la pression fiscale s’accentue considérablement ; les confiscations s’envolent et 6,5 decime sont levées entre 1646 et 1650 contre 3 seulement les quatre années précédentes. De 1651 à 1655, le nombre de decime se maintient à un haut niveau, en revanche les saisies se font moins pesantes de même que le campatico, impôt direct exigé de tous les sujets de la République qui n’est levé qu’une seule fois. Entre 1656 et 1660, la pression de la decima n’a jamais été aussi forte (9), les saisies reprennent sans atteindre l’intensité des années précédentes et le campatico n’est exigé qu’à deux reprises. Dans une conjoncture difficile, les décalages ou les concomitances qui apparaissent entre les différents prélèvements dépendent des arbitrages opérés par les pouvoirs publics, partagés entre la nécessité d’accroître les recettes et de ménager les contribuables. D’autres raisons, qui n’invalident pas la précédente, peuvent expliquer le tassement des confiscations observé après 1650 : il se peut que le vivier de contribuables susceptibles d’être poursuivis se tarisse une fois traités les contentieux accumulés. Il est possible aussi que, face aux tensions et à la contestation qu’engendrent les poursuites, les pouvoirs publics soient contraints de relâcher leur pression à un moment où la guerre requiert un soutien unanime.
Tableau 14. NOMBRE D’IMPOSITIONS DIRECTES DÉCRÉTÉES SUR LES CONTRIBUABLES VÉNITIENS AU COURS DU xviie SIÈCLE*
Sources : ASV, Senato, Roma expulsis, f. 93 ; SD, R. 2, fol. 235r ; Senato Terra, fol. 279, 425, 612, 627, 650, 710, 724, 743, 763, 780, 795, 813, 1018, 1043 ; Archivio Tiepolo, I. cons., B. 164, 227 ; Ospedale e luoghi pii, B. 164, 227 ; Procuratori di San Marco, Misti, B. 225.
29Il importe aussi de faire état d’un autre type de ventes forcées organisées au profit de la puissance publique, qui répond à des raisons différentes et n’a pas l’ampleur des saisies en faveur du fisc. Il s’agit des séquestres et des ventes réalisés par les Provveditori di Comun, qui ont compétence pour mettre aux enchères les édifices en ruine et affecter le montant de la vente à l’embellissement de la cité32. Les cas, fort peu nombreux, occupent une place marginale sur le marché.
2) L’illusion d’un marché : les ventes des biens confisqués pour endettement
30C’est à l’office du Sopragastaldo que revient la charge de mettre aux enchères les biens des débiteurs insolvables envers des personnes privées33. La procédure débute au terme d’une relation contractuelle qui, le plus souvent, a pris la forme de la concession d’un prêt livellaire : dans ce type de contrat, celui qui a reçu l’argent a vendu, en garantie du prêt, un bien au prêteur, lequel l’a rétrocédé à son ancien propriétaire contre le paiement d’un cens qui équivaut à l’intérêt34. Si le capital n’était pas remboursé dans les délais fixés par le contrat, le créancier pouvait citer devant le tribunal compétent, la cour du Mobile, le débiteur35. Après l’enregistrement de la citation par l’officier judiciaire, le comandador, le créancier présentait aux juges une requête dans laquelle il leur demandait de prononcer une sentence (sentenza a legge) qui autorisait le recouvrement des fonds. La partie adversaire disposait de trois jours pour se pourvoir auprès des juges di Petizion qui pouvaient annuler la sentence en prononçant un interdetto. Sans quoi, le Sopragastaldo était chargé de la mettre à exécution, en opérant la saisie du bien. Dans le cas de prêts non garantis sur un bien, il confisquait d’abord les meubles, puis les propriétés situées hors de Venise et en dernier ressort les biens sis dans la capitale, selon les normes d’une législation rigide, attentive à la conservation des structures de la propriété urbaine. Dans ce cas de figure, la confiscation porte sur une maison d’une valeur approximativement équivalente à la dette, ou, à défaut, sur une portion de maison pour que l’adéquation soit plus juste. Pour les prêts livellaires, c’est le bien qui servait de garantie qui est saisi et mis à l’encan.
31La logique de la vente aux enchères aurait voulu, comme c’est le cas dans de rares occasions, que le prêteur reçût le montant de la vente en guise d’indemnisation. Mais de même que la vente qui accompagne la concession du prêt livellaire est fictive puisque le prêteur doit engager une procédure judiciaire pour recouvrer le bien acquis, la vente à l’encan est tout aussi artificielle car elle se réalise hors des règles de la concurrence. Selon le droit civil vénitien, le créancier dispose d’un droit de préemption sur les biens du débiteur qui est concédé, non pas d’après l’ancienneté du contrat, mais d’après l’ancienneté de la date de déclaration de celui-ci auprès de la cour de l’Esaminador36. Ainsi l’avantage revient à celui qui a notifié le premier le crédit, même s’il existe des contrats antérieurs, mais qui auraient fait l’objet d’une déclaration plus tardive. Normalement le même bien ne peut pas servir d’hypothèque dans plusieurs contrats : si jamais le fait se produisait (et il se produit), l’enregistrement du contrat, qui vise de toute façon à l’empêcher, désignerait un ordre de préférence. Le créancier qui a donc notifié le crédit auprès de l’Esaminador, peut se prévaloir d’un droit de préemption sur le bien mis à l’encan qui fait de lui l’unique protagoniste de la vente.
32Dans la pesée globale, ce type de ventes occupe une place marginale et stable au cours du xviie siècle. Il y a tout lieu de croire que la majeure partie des prêts livellaires gagés sur une maison ne débouchait pas sur cette procédure. Entre 1585 et 1587, le Giornale di traslati enregistre dix ventes réalisées par le Sopragastaldo ; pour 1591, G. Corazzol, sur la base du dépouillement de tous les protocoles notariés, compte 64 contrats livellaires garantis sur un bien immobilier (soit 14 % du nombre total de contrats)37. Un tel écart signifie que le remboursement du prêt a été réglé sans aller en justice, soit à l’amiable, soit en prenant la forme de la restitution au prêteur du bien qui avait été rétrocédé au débiteur, selon des conditions précisées dans le contrat38.
33Ce type de vente n’en demeure pas moins d’un grand intérêt car il montre qu’une partie des aliénations à titre onéreux échappent au marché. Si la procédure de mises aux enchères est en effet formellement respectée, l’acheteur est connu avant même que la vente ait lieu, car la concurrence, l’une des conditions fondamentales pour que le marché fonctionne, est écartée pour des raisons juridiques. L’aliénation définitive a été acceptée dans son principe, de manière contractuelle dès la concession du prêt, par le débiteur dans le cas où il ne pourrait pas rembourser celui-ci. Il s’agit, en quelque sorte, d’une vente de gré à gré, mais dont le terme effectif est différé dans le temps.
34Citons, enfin, une dernière forme de vente aux enchères malgré sa faible fréquence. Les Dieci Savi alle Decime avaient aussi pour compétence d’exécuter les lois sur la limitation des mainmortes, en particulier celles de 1536 et 1605, imposant la vente, après une période déterminée, des biens laissés en héritage ou légués à des institutions ecclésiastiques39. Pour freiner l’accroissement de la propriété ecclésiastique, le Sénat avait adopté une série de lois coercitives à partir du milieu du xve siècle. En 1472, il stipulait que les biens légués à l’Église conserveraient leur régime fiscal antérieur afin qu’ils ne fussent pas soustraits au paiement de la decima. En 1536, il durcit la législation en interdisant les legs ad pias causas au-delà d’une période de deux ans, après quoi ils sont obligatoirement vendus aux enchères sous l’égide des Dieci Savi40. À l’issue d’âpres discussions, seules échappent à la mesure les Scuole, qui auraient été privées de leur principale source d’enrichissement41. En 1605, à la suite de l’Interdit, le Sénat retire au clergé la possibilité d’investir en propriétés immobilières à Venise, dans le duché et en Terme Ferme, arguant, sous la plume de Sarpi, de ce que le droit de l’État sur la propriété de ses sujets est supérieur au droit de chacun, fût-il celui de l’Église42. Les rappels à l’ordre des Dieci Savi aux notaires, peu disposés à déclarer les legs et les ventes en faveur de l’Église, laissent clairement entendre que les dispositions juridiques sont loin d’avoir été correctement appliquées. Il suffit d’observer l’accroissement de la propriété des établissements ecclésiastiques vénitiens, surtout en Terre Ferme, entre le milieu du xvie et le milieu du xviie siècle pour s’en convaincre43. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les ventes aux enchères ne concernent au cours du siècle que quelques dizaines d’habitations qui pèsent de peu de poids par rapport au marché ordinaire.
3) Le marché ordinaire
35Le profil du marché ordinaire peut être l’objet d’une double lecture. Il se caractérise par de fortes oscillations à court terme, voire d’une année à l’autre, qui sont visibles malgré le recours à une moyenne mobile triennale. Mais ces variations suivent sur la longue durée l’évolution du marché dont l’activité culmine dans le troisième quart du xviie siècle. Trois périodes peuvent être individualisées : la première moitié du siècle, durant laquelle les ventes sont irrégulières, mais cantonnées dans des bornes assez étroites (entre 40 et 60 par an), sauf au début de la décennie 1630 où une poussée, circonscrite dans le temps (entre 1630 et 1635) porte les ventes à 60 par an. À partir de 1650, on enregistre, au contraire, une accélération de l’activité, quelques fois contrariée et ralentie, mais qui porte le nombre de ventes au dessus d’une centaine dans la décennie 1660 et autour de 1680. Puis l’activité retrouve le niveau qui était le sien au début du siècle. Comment rendre compte d’un tel profil ?
36La première tentative de résolution du problème peut consister à se demander à quel type de stimulations extérieures le marché est soumis. La conjoncture démographique retient, d’abord, l’attention à cause de l’incidence d’un événement imprévisible et dévastateur : l’épidémie de peste de 1630. Par son ampleur, elle dépasse celle de 1577 qui avait emporté dans son sillage 20 000 victimes : cette fois, un tiers de la population disparaît, soit 40 000 personnes, provoquant un écroulement démographique dont les conséquences se prolongent loin dans le siècle et menacent de rompre les structures économiques et fiscales de la cité44. Les structures du marché ordinaire ont-elles été modifiées par cet événement ? La circulation des biens qu’il engendre débouche-t-elle sur des ventes massives ? Il est, en vérité, difficile d’établir une corrélation entre l’accélération de l’activité du marché entre 1630 et 1635 et la peste. La corrélation est d’autant plus sujette à discussion que les ventes, malgré leur doublement, restent peu nombreuses (au mieux 75 en 1635) et qu’une poussée de la même amplitude a été enregistrée vers 1615 sans qu’il y ait de correspondance avec un événement particulier. Un autre motif d’interrogation vient du fait que le marché immobilier ne répond pas, a priori, de manière mécanique à une moindre pression démographique qui affecte en premier lieu le marché locatif. Or, selon les éléments dont on dispose, il semble que le mouvement des loyers, extrêmement stable au cours du siècle, n’ait même pas été touché par l’accident démographique. Quant à la propriété immobilière, elle est fondamentalement un placement à long terme qui vise avant tout à préserver le capital et à garantir une rente. Le risque d’une baisse des rentrées dues à de mauvais payeurs ou aux soubresauts démographiques ne saurait transformer l’immobilier en un placement aléatoire45. Si la peste a une incidence, elle est bien plutôt à chercher dans l’attitude qu’adoptent les héritiers des propriétaires emportés par l’épidémie. Le surgissement de la mort provoque un transfert massif de propriétés qui empruntent, pour la plupart, le canal de la transmission familiale même si le hasard et la brutalité des disparitions viennent perturber les stratégies successorales. Il lui arrive aussi de brusquer des recompositions patrimoniales et de jeter sur le marché des biens tombés en déshérence ou vendus par les héritiers qui ne veulent pas ou ne peuvent pas les conserver. La poussée des ventes enregistrée entre 1630 et 1635 en serait la conséquence, mais elle tendrait dans le même temps, à prouver que le phénomène de dislocation patrimoniale a été fort limité. En tout état de cause, la forte circulation des biens engendrée par la peste et son cortège de morts s’est opérée dans le cadre familial et n’a pas donné lieu à des ventes massives, attestant de la solidité des mécanismes de conservation patrimoniale.
37L’incidence éventuelle de la conjoncture économique n’est pas non plus facile à appréhender parce qu’elle s’exerce dans des secteurs infiniment variés, qui n’ont pas tous la même importance, ni le même rythme, ni le même effet sur le marché immobilier. Nul besoin de rappeler que ce dernier n’est pas un marché ordinaire, lié à la production de marchandises ou de services, mais un secteur qui s’appuie sur des structures urbaines et un bâti ancien qui le préservent ou atténuent les aléas de la conjoncture. Cela signifie qu’il possède, à court terme, une capacité de résistance dont ne dispose aucun autre champ de l’économie. Cela veut dire aussi qu’il est insensible, du moins immédiatement, au recul des échanges maritimes, à la concurrence des marchands d’Europe du Nord au Levant, au repli de la production industrielle. Si la situation économique générale a une incidence sur l’immobilier, comme sur l’ensemble du secteur de la rente auquel il appartient, c’est lorsqu’elle provoque une variation, dans un sens ou dans l’autre, du volume d’argent disponible pour des investissements de ce type. La place de l’immobilier dans l’économie de la rente engage des questions liées à la rentabilité, à la nature de la demande qui seront développées dans le chapitre suivant.
4) L’incidence des ventes aux enchères sur le marché ordinaire
38Il convient, d’abord, d’écarter l’idée de toute forme d’interaction entre le marché ordinaire et les ventes en faveur du fisc car ces dernières sont commandées par des nécessités qui sont étrangères à la sphère du marché. Si influence il y a, elle s’exerce dans un seul sens : des enchères sur le marché ordinaire qui est le seul à pouvoir réagir à des événements extérieurs ou à la conjoncture.
39Le premier constat qui s’impose est celui d’une absence de corrélation franche entre le nombre des enchères et les fluctuations du marché. Au vu de la superposition des deux courbes, il est impossible d’affirmer que les deux types de ventes entretiennent une relation d’étroite dépendance parce qu’ils suivent à plusieurs reprises le même mouvement, comme il est erroné de prétendre qu’ils sont complètement indépendants parce que, au cours de longs segments temporels (de 1600 à 1620, entre 1635 et 1645, après 1675), ils sont inversement symétriques. Quand les ventes à l’encan sont stables et faibles, comme au début et à la fin du xviie siècle, les transactions à l’amiable sont constantes et élevées. Que le nombre des ventes à l’encan vienne à augmenter de manière significative, et celui des ventes ordinaires suit un mouvement inversement proportionnel46. Que le premier soit entraîné à la baisse et le second engage une phase ascensionnelle.
40Mais l’existence de périodes, plus ou moins brèves, durant lesquelles les deux courbes présentent les mêmes inflexions jette le soupçon sur les conclusions que l’on pourrait tirer des séquences où elles semblent être corrélées entre elles. Même lors des moments de dépendance manifeste du marché à l’égard du niveau des séquestres, il est exagéré de dire que l’offre ordinaire est subordonnée au niveau des ventes à l’encan, comme si la mise sur le marché, de manière arbitraire, de maisons répondait à une partie de la demande qui n’aurait plus besoin de se tourner vers le marché libre pour être satisfaite. Dans ce cas, les deux types de ventes s’engageraient dans un rapport de force inégal car le marché contraint serait maître du jeu. C’est lui qui donnerait le ton en offrant à l’appétit des acheteurs des dizaines de maisons ; c’est lui qui imposerait son propre rythme au marché général ; c’est lui encore qui freinerait ou accélérerait, selon ses oscillations, le marché ordinaire qui viendrait occuper l’espace laissé libre ou qui se rétracterait devant la poussée de celui-ci. Or ce schéma fonctionne, à partir du présupposé selon lequel la demande est constante et fixe, sans quoi les propriétaires ne seraient pas enclin à différer les ventes. Rien n’est moins sûr, surtout à des moments, le début et la fin du siècle, durant lesquels l’offre d’un faible niveau n’a pas peine à trouver preneur. S’il existe des effets de corrélations, ils ne sont pas mécaniques car ils interfèrent avec une myriade d’autres facteurs parmi lesquels figure en bonne place le niveau de la demande.
41En revanche, il ne fait aucun doute que le marché ordinaire suive une évolution autonome dans le troisième quart du siècle. Suivant la même ligne de pente que les ventes aux enchères, il est entraîné à la baisse en 1650, puis vers le haut après 1655. Il connaît ensuite une hausse régulière qui s’amorce alors que le nombre des ventes à l’encan est encore très élevé et se poursuit quand celles-ci ont amorcé leur décrue. Certes, l’effondrement du nombre de confiscations après la chute de Candie a dû favoriser l’activité du marché normal, mais il n’a fait qu’entraîner un mouvement déjà bien amorcé, qui culmine entre 1670 et 1680, avant de retrouver une activité « ordinaire ». Il y a tout lieu de croire que la compréhension de ce regain d’activité est fondamentale pour dévoiler les mécanismes du marché.
42L’offre est le moteur de l’activité : en premier lieu, l’offre imposée et artificielle qui jette sur le marché les biens confisqués aux débiteurs du fisc quand la République a besoin de renflouer ses caisses, en recourant à tous les expédients possibles. Au moment des guerres, elle est massive et détermine pour une bonne part l’activité générale du marché. Affranchie du souci de la rentabilité, du moins jusqu’à un certain point, elle trouve nécessairement preneur à un niveau de prix plus ou moins avantageux comme nous le verrons. En second lieu, l’offre soustraite au marché puisque l’acheteur n’est autre que le créancier pour qui la vente a été ordonnée. Reste l’offre, déliée de toute contrainte judiciaire, qui alimente le marché ordinaire et pour laquelle les ambiguïtés ne sont pas levées. Relèvent-elles, en effet, d’une décision volontaire ou d’un choix imposé ? C’est là une question primordiale pour comprendre les ressorts du marché. Avant de l’aborder, il importe de préciser le profil du marché, en examinant la structure des différents types de ventes.
C–LA COMPOSITION DES VENTES
1) La prédominance des petites transactions
Valeur locative des ventes
43L’examen de la structure interne des ventes livre un triple enseignement. Il conforte, d’abord, l’image d’un marché atone que le faible nombre de transactions a mis en évidence, à partir d’autres indicateurs : la valeur locative, le nombre de biens par contrat, leur degré de fractionnement. Il démontre, par ailleurs, une grande stabilité de la composition interne des ventes, indépendamment des fluctuations qui affectent le marché au cours du xviie siècle. Il fait apparaître, enfin, des différences entre les ventes ordinaires et les ventes aux enchères qui permettent de préciser les formes d’interrelation qu’elles peuvent entretenir entre elles.
44L’extrême rareté des grosses transactions et la prédominance des petits contrats dessinent un marché foncier déséquilibré et atrophié qui se nourrit des menus échanges (tableau 15). L’observation, d’un sondage à l’autre, de la valeur locative des biens en donne toute la mesure47. Sur le marché ordinaire, les ventes dont la valeur locative est estimée à moins de 20 ducats oscillent autour de 40 % du total des transactions sans rencontrer de changements notables au cours du siècle (figure 7). À l’opposé, les ventes d’une valeur locative supérieure à 80 ducats avoisinent 10 %, à l’exception des années 1670-1690, marquées par une forte activité, durant lesquelles elles atteignent 15 à 20 %.
45L’examen des ventes forcées en faveur du fisc laisse apparaître une structure dominée plus largement encore par les transactions de faible valeur (figure 8). Quelle que soit la période, les ventes d’une valeur locative inférieure à 20 ducats concernent plus de la moitié des cas ; celles qui dépassent 80 ducats n’excèdent jamais 5 %, à l’exception du milieu du siècle, au plus fort de l’activité répressive des Governatori dell’Intrate. Le marché plus étroit des ventes en faveur de créanciers privés présente les mêmes orientations malgré de plus fortes variations d’un sondage à l’autre dues au faible nombre de cas recensés. Il semble cependant constitué pour l’essentiel de ventes intermédiaires entre 20 et 60 ducats (au moins la moitié des cas) aux dépens des transactions situées aux deux extrémités de l’échelle.
46D’un marché à l’autre, un certain nombre de règles communes apparaissent. Le gonflement du nombre de ventes que l’on enregistre au milieu du siècle pour les ventes à l’encan et dans les années 1660-70 pour le marché ordinaire s’accompagne de transactions onéreuses proportionnellement plus nombreuses. En phase d’intense activité, le marché s’ouvre vers le haut, laissant place à des ventes plus consistantes qui atténuent le poids prédominant des transactions modestes48. Lorsqu’il traverse à l’inverse une période d’atonie, il se recentre alors sur les petites transactions qui font son quotidien.
47L’incidence des ventes à l’encan en faveur du fisc sur le marché ordinaire se fait sentir au plus fort des confiscations, en ayant pour effet de comprimer le nombre des transactions de faible et forte valeur locative. Au milieu du siècle, le nombre de petites transactions réalisées aux enchères est près de deux fois plus élevé que celui observable parmi les ventes normales, alors que le total des ventes aux enchères est à peine supérieur à l’ensemble des ventes ordinaires (figure 9). L’offre forcée est si massive qu’elle a pour effet de réduire la place qui est d’ordinaire réservée aux petites ventes. La proportion est ramenée à 40,5 % en 1630-32 et 39,7 % en 1650-52, alors qu’elle avoisine 44 % quand les ventes à l’encan restent à un bas niveau. La petitesse de l’écart permet de prendre la mesure du fort degré d’autonomie du marché normal, tout en prouvant qu’au-dessus d’un certain seuil les ventes aux enchères ont un effet perturbateur. Dans une moindre mesure, la remarque vaut pour les transactions les plus grosses (figure 10). En 1650-52 et en 1670-72, le même nombre de ventes d’une valeur locative supérieure à 80 ducats est réalisé : 46. Mais si, en 1650-52, elles se répartissent équitablement entre les enchères (22) et le marché ordinaire (24), le rapport est déséquilibré en 1670-72 à cause de l’effondrement du nombre de séquestres et de la vigueur du marché : 5 ont lieu aux enchères, 41 de gré à gré. Il s’avère qu’en 1650-52 la concurrence des ventes aux enchères a contribué à réduire la part des grosses transactions sur le marché ordinaire (10,9 % de l’ensemble des ventes). Il faut attendre 1670 pour que celle-ci s’élève à 15 % à la faveur de l’effondrement de la concurrence et du mouvement d’ouverture vers le haut que provoque le regain d’activité. Ces deux exemples tendent à montrer que les ventes aux enchères, lorsqu’elles sont massives, ont pour effet de comprimer la part de ventes équivalentes sur le marché ordinaire.
Des ventes à l’unité
48Lorsque le 6 octobre 1651, Domenico Biava achète à Giambattista Combi 19 biens parmi lesquels on trouve deux maisons avec magasin situées à San Marcuola, une habitation à San Lio, 2 case grandi à Santa Sofia et 13 logements aux Santi Apostoli pour une valeur locative totale de 482, 5 ducats49, il réalise une opération en tout point exceptionnelle par son montant et par le nombre de biens qu’elle comporte. De toutes autres pratiques prévalent sur le marché vénitien qui voit circuler, dans l’immense majorité des cas, des transactions portant sur un seul bien urbain (tableau 16). Ce cas de figure prévaut dans les trois quarts des ventes, la proportion s’élevant même à 80 % au milieu du xviie siècle. Suivant une logique décroissante, les ventes sont d’autant moins nombreuses qu’elles comportent beaucoup de biens. Celles qui portent sur deux unités locatives concernent encore 10 % du marché ; au-delà, les ventes plus consistantes sont marginales ; celles qui mettent en jeu plus de 10 biens sont tout à fait exceptionnelles.
49Sans remettre en cause la tendance générale, un examen attentif de la structure de chacun des marchés met en lumière des différences significatives. Le marché ordinaire présente une palette de ventes plus variée : la domination des transactions portant sur un seul bien, qui oscillent autour de 70 à 75 % (soit à un niveau légèrement inférieur à la répartition générale), laisse place à un éventail de ventes multiples qui ne se rencontrent que sur ce marché.
50La structure des ventes en faveur du fisc ne présente pas la même variété. La proportion d’actes ne comportant qu’un seul bien est plus prononcée encore, tandis que les ventes de 2 à 5 biens sont réduites à la portion congrue et que celles regroupant plus de 8 maisons sont totalement absentes. La forte prédominance de ventes simples, qui dépassent les quatre cinquièmes des actes et la timide présence de ventes multiples, attestées seulement au plus fort de l’activité, dessinent les contours d’un marché monolithique et étriqué. Au milieu du siècle, alors que le nombre de ventes aux enchères n’a jamais été aussi élevé, le poids de la transaction à bien unique s’accroît un peu plus ; le surgissement de ventes plus diversifiées dû à l’effet de nombre est impuissant à infléchir cette tendance de fond. Les ventes en faveur des particuliers s’inscrivent dans la même orientation générale : les trois quarts des actes ne portent que sur un seul bien. Cependant la faiblesse statistique de l’échantillon introduit des oscillations importantes d’un sondage à l’autre. Une chose est sûre cependant : les grosses transactions sont rarissimes, voire inexistantes au-delà de quatre biens.
Le fractionnement de la propriété
51La faible valeur locative des transactions s’explique également par le morcellement des biens vendus (tableau 17). Afin de dissiper toute équivoque, celui-ci doit être distingué du partage d’un immeuble en plusieurs unités locatives appartenant à différents propriétaires et de la gestion en indivis par les membres d’une même famille, qui constituent du point de vue juridique une seule personne morale. Il fait référence au fractionnement d’une même unité locative entre plusieurs propriétaires qui en partagent les revenus et les frais à hauteur de leur quote-part respective.
52D’un point de vue juridique, le statut du bien immobilier est semblable à celui d’une participation commerciale ou d’une entreprise industrielle : le droit de propriété, bien qu’il s’applique à un bien matériel, est divisible, sécable et transmissible. La subdivision employée pour diviser les biens immobiliers s’inspire directement des règles utilisées au Moyen Âge dans les compagnies de galères marchandes qui louaient le navire aux pouvoirs publics et pourvoyaient à son équipement. Les compagnies étaient divisées en 24 participations (carati) que se partageaient plusieurs sociétés familiales50. Le même type de découpage et de vocable sert à diviser, le cas échéant, la propriété immobilière. La diffusion de ces principes hors de la sphère du commerce maritime donne la mesure de l’imprégnation de la culture marchande et de la force de ses modèles de référence. L’emploi de la subdivision en carats n’est cependant pas systématique : elle sert à exprimer les divisions les plus complexes tandis que les fractions les plus simples et les plus répandues, la moitié, le quart, le tiers, dispensent d’avoir recours à ce mode de comptage (tableau 18).
53La vente de portions de biens est d’autant plus intéressante que la pratique est de plus en plus fréquente au cours du xviie siècle alors qu’il y a tout lieu de croire que le morcellement des biens est stable au cours de la période51. Quelques chiffres aident à en prendre la mesure : en 1585-87, 20 % des ventes comportent au moins une fraction de bien ; autour de 1650, la part s’élève à 40 % et, dans les années 1690-92, à près de la moitié. L’avancée est tout aussi significative si l’on tient compte du nombre de biens vendus : 10 % sont touchés à la fin du xvie siècle, 40 % à partir du milieu du xviie siècle.
54Cette fois encore, des différences se font jour entre les ventes ordinaires et les ventes forcées, même si celles-ci suivent au cours du siècle la même ligne d’évolution. Dans le cas du marché ordinaire, les transactions comportant des biens fractionnés représentent, à partir du deuxième quart du xviie siècle, un tiers du total des ventes. Dans le cas des ventes ordonnées par le fisc, leur part est prépondérante dans la seconde moitié du xviie siècle, et une majorité des biens vendus est même concernée par le fractionnement. Il est difficile d’apporter une explication univoque à l’accroissement régulier du phénomène et à l’écart qui apparaît entre les deux marchés. La réponse est en grande partie conditionnée par le lien qui unit, dans le temps, le fractionnement de la propriété et la vente. Si celui-ci est antérieur à la mise sur le marché, on peut imaginer que le propriétaire veuille s’en dessaisir dans la mesure où un bien partagé avec autrui comporte des risques. Pour s’en convaincre, il suffit de songer que le propriétaire s’expose non seulement aux difficultés de recouvrement des loyers inhérentes à toute propriété de rapport, mais à des litiges avec les autres ayants droit au sujet du partage du revenu et des charges de l’habitation52. La crainte de conflits qui naîtraient du partage des droits ne doit pas cependant être surestimée car elle ne pousse pas systématiquement, a contrario, le ou les autres propriétaires à reconstituer l’unité de l’habitation en cas de vente d’une partie, en usant du droit de préemption que leur confère la loi. Si la division du bien est causée par la vente, la pratique change de nature car elle témoigne de la volonté de ne pas se dessaisir de la totalité d’un bien. Dans un contexte où une bonne partie des ventes ordinaires sont imposées, non par une décision judiciaire, mais par le besoin de liquidités dans le but d’acquitter des dettes, la vente d’une fraction d’une maison est une solution de compromis qui permet tout à la fois de rembourser les sommes dues et de continuer à percevoir le revenu de la partie conservée. Dans ce cas de figure, loin de tout attachement affectif aux biens, il s’agit d’une forme d’instrumentalisation de la propriété qui est réduite à son statut de capital, que l’on peut diviser et vendre à sa guise. Les mêmes raisons valent pour les ventes forcées en faveur du fisc dans la mesure où le débiteur est libre, dans la mesure du possible, de désigner le bien qui lui sera confisqué. Une plus forte fréquence de la propriété morcelée vient du fait que le procédé permet de faire correspondre au mieux le montant de l’arriéré fiscal avec la valeur théorique de la part de l’immeuble mise en vente, évitant ainsi une transaction d’une valeur disproportionnée avec la somme due.
55En provoquant la fragmentation de biens entièrement détenus par le débiteur, les ventes forcées concourent assurément au morcellement de la propriété. Le caractère massif des confiscations durant près d’un quart de siècle n’a pas pu ne pas laisser de traces. Mais les effets sur l’émiettement de la propriété sont difficiles à évaluer car ils se confondent avec les divisions causées par les partages successoraux et sont atténués par le processus inverse de reconstitution de l’unité de la propriété.
2) La modestie des biens échangés
56Le caractère étriqué du marché se lit également dans le niveau des biens qui sont amenés à circuler. Ce sont les plus modestes, les moins onéreux, voire les moins bien entretenus qui forment l’essentiel des ventes selon des proportions infiniment supérieures à leur place dans le stock immobilier. C’est indéniablement l’un des facteurs qui vient expliquer, en plus de l’usage de la vente d’un seul bien et du morcellement de la propriété, la faible valeur locative des transactions. L’importance des petits biens va bien au-delà de leur place dans l’ensemble du bâti. En 1661, 41,4 % des biens, tout type confondu, présentent un loyer inférieur à 20 ducats ; en 1711, le chiffre est de 44,1 %. Or, en 1650, la moitié des biens (entiers) vendus est louée moins de 18 ducats ; en 1690, moins de 20 ducats ; et en 1710, moins de 22 ducats. Ajoutons qu’un quart des biens présente une valeur locative en deçà de 9 ou 10 ducats. La sur-représentation des biens modestes, des logements populaires ou des locaux commerciaux les plus petits, offre l’image d’un marché déséquilibré au profit d’une catégorie de biens. Le fait est d’importance car il signifie que les biens accèdent au marché selon un rythme différentiel qui dépend, pour partie de leur valeur locative. Moins ils sont onéreux, et plus est élevée la probabilité qu’ils soient mis en vente.
57Une fois encore, des différences opposent nettement le marché ordinaire et les ventes aux enchères. La sur-représentation des biens les plus modestes qui transparaît dans le comptage global vient de la place prépondérante qu’ils occupent dans les ventes à l’encan en faveur du fisc. La composition des ventes ordinaires est, par contre, conforme à la structure du bâti. Ainsi, en 1650, au plus fort de l’activité, 42,9 % des biens vendus sur le marché « libre » présentent un loyer inférieur à 20 ducats et la moitié n’excède pas un loyer de 23,5 ducats53 suivant la répartition de l’ensemble des unités locatives. Toutefois, si l’on examine l’autre extrémité de l’échelle des loyers, l’on note que les biens onéreux sont présents sur le marché ordinaire dans des proportions supérieures à celle qui est la leur dans le stock immobilier : 25 % des biens vendus excèdent une valeur locative de 50 ducats alors que, en 1661, 18 % des biens présentent ce cas de figure. Cette sur-représentation doit cependant être nuancée car elle joue en faveur des biens intermédiaires. La fréquence des ventes de grands édifices ou de l’étage d’un palais dont la valeur excède 200 ducats n’est pas comparable à leur place dans le bâti. Au moins jusqu’à la fin du premier tiers du xviie siècle, les ventes de ce type sont très peu courantes : aucune n’est enregistrée entre 1610 et 1612 et une seule entre 1630 et 163254. La fréquence est à peine supérieure à la fin du siècle et au début du xviiie siècle55. C’est, par contre, au plus fort de l’activité entre 1650 et 1680, que de gros édifices apparaissent dans les ventes, comme si l’augmentation du nombre des transactions s’accompagnait conjointement d’un élargissement du marché vers le haut. Le phénomène est particulièrement visible dans les données recueillies dans les livres d’enregistrement des années 1670-1672 qui se caractérisent par une forte activité du marché ordinaire. On recense alors quatre ventes de palais d’une valeur locative supérieure à 200 ducats. L’intérêt ne tient pas dans leur nombre, mais dans l’identité des acheteurs. Dans trois des cas, ceux-ci appartiennent à des familles nouvellement admises au sein du patriciat vénitien. Il s’agit de la commissaria d’Angelo Martinelli qui acquiert aux frères Marino et Giuseppe Ventura un palais situé à San Marcilian d’une valeur locative totale de 630 ducats56 ; de Gian Domenico Bonlini q. Francesco, qui a acheté aux Santi Apostoli un édifice d’une valeur locative de 315 ducats aux frères Girolamo et Francesco Contarini q. Bertucci57 ; et d’Agostino Fonsecca qui est entré en possession d’un palais, situé à San Simeon Profetta, loué 400 ducats, qui appartenait à Gian Maria Viscardi58. Ces exemples, pris sur trois années, mais qui viennent s’ajouter à d’autres, doivent être replacés dans le cadre des stratégies d’intégration au sein du patriciat des familles récemment admises, notamment celles issues du monde marchand qui cherchent à inscrire dans la pierre, en achetant ou en faisant bâtir une résidence digne de leur rang, le titre nouvellement acquis59. Il y a tout lieu de penser que la volonté de certains de s’afficher avec ostentation a eu des répercussions sur le marché étroit des palais, ne serait-ce qu’en renforçant la pression de la demande. En temps ordinaire, la demande est constituée de l’addition des exigences individuelles qui ont toutes des motivations et des temporalités propres. Les uns font usage du droit de préemption que leur confère la loi pour acheter le palais voisin du leur, comme les frères Antonio et Alvise Grimani de Santa Maria Formosa en offrent l’exemple en 167160. Les autres sont guidés par le souci de réaliser un investissement, à l’exemple de Giulia Correr, la veuve d’Angelo Morosini, qui se porte acquéreur d’un palais à San Giacomo dall’Orio en 165061. Des princes étrangers, enfin, sont, selon une longue tradition, à la recherche d’une résidence vénitienne digne de leur rang62. Ces achats isolés ne sont aucunement comparables avec le mouvement collectif d’affirmation sur la scène urbaine qui anime une bonne moitié des nouvelles familles admises au sein du patriciat. Si leurs acquisitions s’insèrent dans des logiques individuelles et s’étalent dans le temps sur plus d’un demi-siècle, elles ont eu pour effet d’accroître la pression de la demande sur un marché où les opportunités sont nécessairement limitées. C’est sans doute le seul exemple où le primat de l’offre dans le fonctionnement du marché est pondéré par une demande avide d’être satisfaite.
58La poussée des ventes des édifices de prestige sous la pression de certaines nouvelles familles patriciennes ne saurait cependant remettre en cause sur le long terme la sous-représentation de ce type de maisons sur le marché. Quant au reste, le marché ordinaire voit transiter des biens dont la répartition se conforme à la structure générale de l’échelle des loyers.
59Les ventes en faveur du fisc offrent une image fort différente. 55,2 % des biens présentent une valeur locative inférieure à 20 ducats et la moitié ne dépassent pas 15,5 ducats. La spécificité de la vente est pour beaucoup dans cet état de fait. D’abord, parce que les confiscations portent sur des biens destinés à rembourser des arriérés fiscaux qui sont d’ordinaire de faible valeur. Ensuite, parce que le propriétaire quand il en a le choix, se dessaisit de ce qui présente le moins d’intérêt : les maisons effondrées qui ne sont plus habitées depuis des lustres, celles qui menacent ruine et pour lesquelles il ne dispose pas de ressources suffisantes pour entreprendre des travaux, celles qui sont en mauvais état et qui de ce fait procurent un médiocre revenu, sans parler de celles qui sont « mal habitées » et qui exposent le propriétaire à bien des mésaventures. Il suffit de se reporter aux descriptions réalisées par les experts de l’office des Governatori dell’Intrate pour prendre la mesure de la dégradation et de la médiocrité des biens confisqués et bradés aux enchères. En 1632, l’un d’entre eux commence son rapport en évoquant « deux maisonnettes au rez-de-chaussée en mauvais état et inhabitables, situées dans la paroisse de San Zuanne in Bragora »63. En 1652, un autre se déplace sur le campo dei Tedeschi, à San Giacomo dall’Orio, pour examiner « deux petites maisons, l’une tombée à terre, l’autre en mauvais état et avec un jardin contigu »64. Deux ans plus tôt, lors d’une inspection dans l’une des paroisses les plus misérables de la ville, San Nicolò, le mauvais état de l’édifice constitué de deux habitations est autant l’objet de l’attention que les pauvres femmes qui y habitent et qui déclarent ne pas payer de loyer65.
60Quand ils ne sont pas dégradés, les biens saisis correspondent à la frange la plus modeste et la plus populaire du bâti, cette Venezia minore, formée, au pire, d’habitations d’une seule pièce située au rez-de-chaussée ou à l’étage66, et au mieux de logements de petit taille pourvus d’une pièce principale (portego), d’une chambre et d’une cuisine, auxquels on accède par un escalier de bois67. Parfois, l’habitation dispose d’une citerne et de la jouissance d’un bout de terrain quand elle se situe sur les marges de la ville ou sur l’île de la Giudecca68. Il arrive que l’édifice soit plus spacieux, mais la destination des pièces, désignées sous le terme de lochi, est suffisamment imprécise pour laisser imaginer la vétusté des lieux69.
61Il serait cependant abusif de croire que tous les biens vendus aux enchères par les Governatori dell’Intrate comptent parmi les plus modestes et les plus misérables de la ville. Un quart d’entre eux présente un loyer supérieur à 26 ducats. Les confiscations s’élargissent, surtout au plus fort de la répression fiscale, au milieu du siècle, à une gamme d’habitations de meilleure qualité, tant par leur taille, le nombre de pièces que par les équipements dont elles sont pourvues. Il est fréquent de rencontrer des maisons indépendantes, composées de magasins au rez-de-chaussée et d’un portego, d’une cuisine et de deux ou trois chambres à l’étage. Il arrive, parfois, qu’elles s’enrichissent d’un puits et d’une petite cour qui constituent de précieux équipements dans un contexte urbain où l’approvisionnement en eau douce fait problème et où les espaces vides attenants à la maison sont choses rares70. Les ventes aux enchères de grands édifices et plus encore de palais sont tout à fait exceptionnelles. Elles se font plus nombreuses quand les Governatori dell’Intrate intensifient le rythme des confiscations au milieu du siècle. C’est alors que l’on voit apparaître dans les livres d’enregistrement des ventes quelques palais de belle facture, mais seulement au rythme de un ou deux tous les trois ans71. La pratique disparaît quand les confiscations se réduisent massivement dans les deux dernières décennies du xviie siècle. S’il est possible d’établir une sommaire typologie formelle des biens les plus modestes car les différences sont faibles d’une maison à l’autre, l’exercice butte sur la diversité du bâti, des équipements, de la surface, de la richesse décorative face à des édifices d’une valeur locative supérieure à 50 ducats.
62Les types de biens qui accèdent au marché au xviie siècle sont largement déterminés par les ventes aux enchères en faveur du fisc qui revêtent un aspect massif au milieu du siècle. Si le marché ordinaire était le seul à assurer la circulation des maisons, il n’existerait pas de grandes différences entre la hiérarchie de la valeur locative du bâti et celle des biens mis en vente, à l’exception près des grands édifices qui sont sous-représentés sur le marché. La pratique massive des confiscations et des ventes à l’encan perturbe ce bel équilibre en précipitant sur le marché des biens médiocres ou modestes en quantité bien supérieure à leur place dans le parc immobilier. Selon leur valeur, les biens ne sont pas destinés à circuler avec la même fréquence à cause de l’existence de ventes aux enchères qui se nourrissent de ce que la ville contient de plus petit.
3) La structure fonctionnelle des biens vendus
63L’originalité des biens mis en vente par rapport à l’ensemble du bâti apparaît lorsque l’on utilise comme critère d’observation l’usage des biens, en s’intéressant à la fois à leur mode d’occupation (location ou propriété) et à leur contenu fonctionnel.
64Comme toutes les villes anciennes, Venise est une ville de locataires où les habitants propriétaires de leur résidence sont une minorité : en 1582, ils occupaient 1 369 unités locatives, soit 6 % du stock. La proportion est la même en 1661 et fléchit légèrement au début du xviiie siècle (4,5 %). Les écarts sont encore plus accentués si l’on observe les biens qui circulent sur le marché. Dans les sondages réalisés en 1610-12, 1630-32 et 1650-52, on ne recense la vente d’aucun bien réservé à l’usage du propriétaire. Il faut attendre 1670 pour qu’ils apparaissent : 6 ventes sont recensées à cette date, 4 en 1690 et en 171072. Non seulement elles sont loin d’être proportionnelles au nombre d’habitations occupées par leur propriétaire, mais elles concernent les plus modestes. Sur 14 ventes, deux sont relatives à de grands édifices : il s’agit d’une maison située à Santa Marina, estimée 100 ducats, qui possède deux magasins et d’un palais à Santa Maria Formosa appartenant, en 1711, à Lucrezia Morosini q. Girolamo, qui menace ruine et qui échappe de peu à la vente aux enchères par les Provveditori di Comun73. Une telle absence du marché ne saurait surprendre dans la mesure où la résidence constitue le cœur du patrimoine, le noyau dont le propriétaire ne se dessaisit qu’en ultime recours. La remarque vaut autant pour la résidence patricienne où se cristallise l’identité familiale que pour des habitations plus modestes ou des lieux à usage économique qui sont indispensables à l’activité de leur propriétaire. C’est la raison pour laquelle l’apparition sur le marché d’unités locatives tenues jusque là per uso proprio, sans doute à mettre en relation avec le fléchissement de ce mode d’occupation entre 1661 et 1712, doit être interprétée comme un signe des difficultés financières qui assaillent certains propriétaires dans la seconde moitié du xviie siècle. Le faible nombre de ventes d’habitations occupées par leur propriétaire ne veut pas dire, pour autant, que l’on acquiert une maison pour ne pas l’occuper. Il va de soi que les grands édifices qui sont achetés par de nouvelles familles patriciennes sont destinés à leur usage personnel. Mais la règle est de moins en moins vraie à mesure que l’on descend dans la hiérarchie des maisons. De manière générale, il y a tout lieu de croire que le mouvement d’acquisition de la résidence ne compense pas, au moins dans la seconde moitié du siècle, le processus inverse de dessaisissement.
65Le marché vénitien est un marché de biens locatifs, acquis non pour l’usage personnel qu’ils pourraient procurer, mais pour leur revenu. Cette orientation est confirmée par le fait que l’écrasante majorité des ventes concerne des habitations occupées à la date de la transaction74. Certes, le phénomène est sans doute exagéré par la source puisque les Dieci Savi alle decime considèrent que le logement est occupé d’un point de vue fiscal, même s’il reste vacant quelques mois dans l’année. Il faut que le logement ait été vide au moment du recensement cadastral ou qu’il fasse l’objet d’une déclaration de la part du propriétaire pour qu’il apparaisse comme tel dans la documentation. Dès lors que l’immobilier est perçu comme un placement, et tel est le cas dans la mesure où l’on achète essentiellement pour louer, le fait que le bien soit occupé n’est pas un obstacle à la transaction : bien au contraire, il offre la garantie (théorique) d’un revenu immédiat.
66L’ultime critère d’observation, que je me propose d’employer, repose sur le caractère fonctionnel des biens vendus. Sous l’appellation générale d’unité locative, on regroupait jusque là de manière indifférenciée les habitations, du palais à la maison de rapport, les locaux à usage commercial et artisanal, de la boutique au chantier naval, les espaces non bâtis, du jardin d’agrément au potager et au terrain vague. Il s’agit, désormais, de réintroduire cette diversité des fonctions, afin d’évaluer la conformité des biens mis en vente avec la structure du parc immobilier.
67Pour y parvenir, il importe de regrouper les différentes composantes du bâti à partir de critères de classification homogènes. Cinq catégories ont été retenues : les habitations seules, les habitations avec boutique, les habitations avec des annexes (magasins, jardins...), les boutiques avec ou sans annexes, et les autres types (magasins, locaux industriels, terrains). La comparaison terme à terme est réalisable dans la mesure où le vocable utilisé dans les notices de vente est le même que dans les cadastres qui servent de base à la connaissance du bâti75. La seule difficulté peut venir du regroupement, dans une même vente, de plusieurs unités locatives contiguës et d’usage différent qui apparaissaient dissociées dans les cadastres et qui, de ce fait, ont pu changer de catégorie classificatoire.
68Il se dégage des résultats une forte conformité avec la composition du parc immobilier (tableau 19). Leur répartition ne connaît pas de notables évolutions au cours du siècle, ce qui confirme l’idée selon laquelle la structure interne des ventes manifeste une remarquable stabilité indépendamment de l’activité. La conformité à l’ensemble du bâti appelle cependant quelques nuances : les habitations seules qui représentent les trois quarts des biens en circulation sont légèrement sous-représentées ; à l’inverse, les boutiques et les habitations équipées de boutiques sont proportionnellement plus nombreuses (avant une inversion de tendance à la fin du siècle) et c’est plus vrai encore des habitations vendues avec annexes. Il est possible, dans ce dernier cas de figure, que la sur-représentation soit consécutive à la comptabilisation dans cette catégorie d’un agrégat de biens qui étaient séparés au moment du recensement cadastral, comme nous l’avons suggéré plus haut.
69Si l’on prend soin de distinguer les deux principaux types de ventes, la répartition offre une image sensiblement différente. Dans le marché ordinaire, la part des habitations seules, ainsi que celle des biens regroupés, faute de mieux, dans la catégorie « annexes » (jardins, locaux industriels) est conforme à la structure du stock immobilier (figure 11). Les habitations avec annexes sont constamment sur-représentées. La proportion de boutiques est soumise à une lente évolution dans la mesure où celles-ci sont sous-représentées à la fin du siècle alors que la situation inverse prévalait dans la première moitié du xviie siècle. Une observation synchronique de la part occupée par chaque catégorie de biens fait apparaître des ajustements qui sont liés à l’intensité de l’activité du marché. On note ainsi, au plus fort de l’activité du marché, autour de 1670, un tassement des habitations simples au profit des boutiques et des habitations équipées de boutiques.
70Le même phénomène s’observe parmi les ventes aux enchères en faveur du fisc malgré des ordres de grandeur entre les catégories de biens vendus différents : les habitations seules sont, ici, sous-représentées par rapport à la composition du stock immobilier. Les habitations avec annexes et surtout avec boutiques sont, par contre, sur-représentées (figure 12). Les boutiques ont pour caractéristique d’être proportionnellement plus nombreuses que sur le marché ordinaire et d’être sur-représentées par rapport au stock total jusqu’au milieu du siècle ; plus tard leur part diminue. On constate, également, qu’au plus fort de l’activité, autour de 1650, la part des habitations simples se tasse au profit des boutiques qui représentent 14 % des ventes.
71Cette série de données soulève deux questions que je voudrais aborder successivement : le type de biens mis en vente sur le marché ordinaire est-il, à un moment donné, conditionné par ceux qui sont dispersés aux enchères ? Comment peut-on interpréter la hausse du nombre de boutiques vendues sur les deux marchés au plus fort de leur activité ?
72Pour tenter d’apporter une réponse à la première demande, la démarche a consisté à calculer, d’une part, le pourcentage de l’ensemble des biens vendus en faveur du fisc par rapport à ceux vendus sur le marché ordinaire, et d’autre part, le pourcentage de différentes catégories de biens vendus au bénéfice du fisc par rapport aux mêmes catégories vendues sur le marché ordinaire. Le procédé permet de confronter à une valeur référentielle (le pourcentage de l’ensemble des biens vendus), le pourcentage relatif à un type de bien particulier, non pour étudier la structure interne de chaque catégorie de ventes, mais pour observer les modalités de leur rencontre sur le marché. Je retiendrai deux exemples : celui des habitations et des boutiques. Dans le premier cas, on constate que les habitations occupent, indépendamment des variations numériques, une position en retrait parmi les biens vendus aux enchères (figure 13). Leur part se rapproche de celles des autres biens vendus en 1670-72, lorsque le nombre d’habitations simples mises en vente sur le marché ordinaire est plus faible proportionnellement que les autres catégories. Les résultats se conforment donc à ceux obtenus à partir de l’observation interne des ventes à l’encan et ne permettent pas de mettre en évidence une quelconque incidence des ventes aux enchères sur la part des habitations cédées sur le marché ordinaire, sans doute parce que les ventes forcées n’ont jamais une position dominante pour ce type de biens.
73Les données relatives aux boutiques laissent, en revanche, entrevoir une correspondance (figures 14 et 15). Jusqu’au milieu du xviie siècle, d’une coupe à l’autre, on constate l’augmentation de la part des biens confisqués par rapport aux biens vendus de manière ordinaire et la hausse proportionnelle de celle des boutiques qui sont sur-représentées par rapport aux autres biens. Quand en 1630-32 l’ensemble des biens vendus à l’encan équivaut à 60 % des biens échangés sur le marché normal, les boutiques représentent 120 %. Et, en 1650-52, ces dernières s’élèvent à 200 % alors que l’ensemble des biens vendus à l’encan représente 90 % de ceux en circulation sur le marché ordinaire. Autrement dit, à cette date, les boutiques sont deux fois plus nombreuses à circuler par le canal des ventes aux enchères que par celui du marché ordinaire. Ces ventes massives ont pour effet de comprimer la place relative des boutiques sur le marché ordinaire, sans entraver leur progression absolue. Si l’on observe, au sein de celui-ci, le pourcentage de boutiques vendues par rapport aux autres biens, on s’aperçoit qu’il n’a jamais été aussi bas qu’en 1630-32 (7,1 %) et 1650-52 (6,6 %). L’effet des ventes forcées est cependant de courte durée puisqu’il est limité à leur phase de plus forte activité et perceptible avec évidence pour un type de bien uniquement : les boutiques ou les habitations auxquelles est joint un local commercial. L’effet disparaît complètement en 1670-72 quand domine le marché ordinaire. Pour la première fois alors, la part des boutiques vendues en faveur du fisc par rapport à celles vendues sur le marché ordinaire est inférieure à celle de l’ensemble des biens réunis. Il n’y rien d’étonnant à cela dans la mesure où la suractivité du marché ordinaire durant ces années bénéficie essentiellement aux boutiques qui représentent 10,5 % du marché contre 6,6 % vingt plus tôt. C’est précisément le second point sur lequel je voudrais attirer l’attention. Pourquoi l’accroissement des échanges, dans les deux types de ventes et à des dates différentes, profite-t-il surtout aux boutiques ou aux regroupements de biens qui comportent une boutique au détriment des simples habitations ? Si les réponses sont incertaines, la question vaut la peine d’être posée car un phénomène qui se rencontre dans deux types de vente au fonctionnement très différent ne peut être complètement dû au hasard. C’est sans aucun doute dans la motivation du propriétaire que tient l’explication, mais il n’est pas sûr de pouvoir la saisir sans se référer à des cas individuels. À ce stade, deux hypothèses peuvent être formulées. La première fait porter l’attention sur le rôle de la demande dans le choix du propriétaire. On sait que l’augmentation du nombre de boutiques entre 1661 et 1740, parallèlement à la dilatation des lieux voués au commerce, s’est accompagnée d’une hausse des loyers, notamment de ceux des petits locaux76. Il y a donc lieu de croire que ce mouvement d’expansion a accru la pression de la demande dans ce secteur de marché. Mais l’on comprend mal, pour les mêmes raisons, pourquoi le débiteur du fisc livrerait un bien au séquestre alors qu’il n’aurait pas de difficulté à l’écouler sur le marché. Le fractionnement de la propriété ne permet pas non plus d’expliquer la sur-représentation des boutiques car celles-ci ne sont pas plus touchées par ce phénomène que les habitations. Il est possible, en revanche, que la fragilité des petits patrimoines de commerçants et d’artisans est favorisée la circulation de locaux à usage commerciaux, dans un marché qui reste dans ses grandes lignes fidèle à la structure du parc immobilier.
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74La structure interne des ventes est à l’image de l’activité du marché : étriquée, uniforme et sans relief. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le poids écrasant des transactions de faible valeur, la prédominance des ventes constituées d’un seul bien, voire de deux, rarement plus, la modestie de leur morphologie pour ne pas dire leur médiocrité. Ces traits sont plus accentués encore dans le cas des ventes en faveur du fisc qui livrent, par bribes, à l’appétit des acheteurs ce que la ville compte de plus petit et de plus misérable. Il ne faut donc pas chercher dans les biens mis en vente le fidèle reflet du stock immobilier. C’est sa composante la plus modeste, la Venezia minore, qui est amenée à circuler sur le marché, comme ce sont les boutiques qui, au plus fort de l’activité, changent de mains dans des proportions supérieures à leur place dans le bâti, dessinant les contours d’un marché spécifique de locaux commerciaux. L’observation de la structure interne des ventes permet, enfin, de mettre en évidence, au milieu du siècle, au-delà de la dissymétrie de l’activité des échanges, une forme de corrélation ténue entre les ventes aux enchères et le marché ordinaire. La mise en vente, de manière autoritaire, de biens de modeste valeur et de boutiques a pour effet de comprimer la part que ces catégories occupent, en l’absence de saisies, dans les transactions ordinaires. Le phénomène tendrait donc à prouver que l’offre tient compte, fût-ce modestement, de ce qui est proposé à l’encan, s’y adapte, s’y soumet, mais ce, seulement quand les ventes aux enchères sont massives, c’est-à-dire quand elles font jeu égal avec le marché ordinaire.
75Le primat donné jusqu’alors à l’approche quantitative a permis de décrire le marché plus qu’il n’a offert d’outils pour l’expliquer. Ce choix, assumé, avait pour ambition de dévoiler l’intensité des échanges et de mettre au jour le contenu des ventes. Il est apparu que le marché, loin d’être uniforme, était en vérité une agrégation de marchés de nature et au mode de fonctionnement très différents. Dans un contexte général où les ventes ne sont jamais très nombreuses, le mouvement que celui-ci esquisse au milieu du siècle est provoqué par le brusque accès des ventes aux enchères en faveur du fisc qui sont stimulées par les besoins pécuniaires liés à la Guerre de Candie. Là, réside l’originalité d’un marché dominé, au plus fort de l’activité, par une offre forcée et artificielle. La dépendance du marché ordinaire à l’égard des ventes à l’encan n’en demeure pas moins difficile à cerner. S’il y a lieu de douter de l’existence d’une corrélation entre leur activité respective, il est permis de penser que la vente massive aux enchères de biens modestes ou de boutiques se répercute sur les ventes ordinaires. Il reste à déterminer si l’effet se fait ressentir sur les prix, au plus fort de l’activité.
76La faiblesse structurelle du marché, malgré les oscillations, trouve confirmation dans la physionomie des ventes composées le plus souvent d’un seul bien, fractionné et de faible valeur ; caractères qui sont accentués à l’excès parmi les ventes aux enchères. Les biens mis en vente ne sont donc que l’imparfait reflet de la structure du parc immobilier. Tant du point de vue de la valeur locative que de l’usage fonctionnel, les biens destinés à circuler davantage dessinent une catégorie stable au cours du siècle. On note cependant, au plus fort des séquestres, des variations sensibles, au sein du marché ordinaire par rapport à la normale, qui sont provoquées par la concurrence massive de biens vendus aux enchères. L’adaptation de l’offre laisserait entendre que la demande est assez rigide et stable dans le temps.
77Au terme de ce parcours descriptif, un problème demeure en suspens. Comment expliquer le regain d’activité du marché ordinaire entre 1660 et 1680 ? Comment justifier que les propriétaires vendent alors plus qu’à l’habitude ? L’évaluation de la rentabilité de l’immobilier s’avère indispensable pour formuler une réponse ferme.
Notes de bas de page
1 F. Furet, « Le quantitatif en histoire », dans J. Le Goff et P. Nora (dir.), Faire de l’histoire, vol. 1, Nouveaux problèmes, Paris, 1974, p. 81 : « Les sources structurellement numériques, réunies comme telles, et utilisées par l’historien pour répondre à des questions directement liées à leur champ originel d’investigation ».
2 Voir à ce sujet le chapitre VI.
3 Le fonds de l’Esaminador est cependant le seul exploitable pour la fin du Moyen Âge. C’est sur lui qu’É. Crouzet-Pavan s’est appuyée pour étudier le marché immobilier au milieu du xve siècle : Id., Espaces, pouvoir et société à Venise à la fin du Moyen Âge, vol. 1, Rome, 1992 (Collection de l’École française de Rome, 156), p. 471-478. La déclaration de la vente auprès de l’Esaminador n’a pas, en vérité, un caractère obligatoire : la transaction reste valable sauf dans le cas d’une procédure de préemption. Cf. M. Ferro, « Notificazione », dans Dizionario di diritto comune e veneto, Venise, 1847 (2e éd.), p. 333 et G. Corazzol, Livelli stipulati a Venezia nel 1591. Studio storico, Pise, 1986, p. 145.
4 E. Concina, Venezia nell’età moderna. Struttura e funzioni, Venise, 1989, p. 13-34.
5 Les Sentenze a legge désignent sans plus de précision les actes judiciaires autorisant l’exécution de conventions privées, de testaments ou de contrats de dot. Dans le cas présent, elles concernent surtout les actes rendus par la Corte del Procurator, dont la compétence s’étend aux successions intestat et aux divisions. Cf. M. Ferro, « Sentenza », dans Dizionario... cit., p. 679 : « Le sentenze a legge dei testamenti si fanno al detto magistrato del Mobile, quando vi sono commissarii, ed a quello del Procurator, quando non ve ne sono, perché i procuratori di San Marco sono i commissarii perpetui e fornitori dei testamenti. Senza tali sentenze a legge, non si può andare al possesso, né apprendere i beni lasciati dal testa-tore ».
Le spazzo est infiniment plus problématique puisque le terme désigne, sans précision du motif, la sentence des juges des conseils de la Quarantia qui déclaraient un spazzo di taglio quand ils annulaient un jugement de première instance ou spazzo di laudo lorsqu’ils le confirmaient : cf. M. Ferro, « Spazzo », Ibid., p. 735-736. Ce cas de figure peu fréquent a été systématiquement écarté.
La mention de costituto pose aussi problème puisqu’il s’agit d’un acte qui sert à écarter les incertitudes qui pouvaient naître à l’issue d’un premier jugement : cf. M. Ferro, « Costituto », Ibid., p. 522-523. À l’exception des sentenze, qui font référence à la transmission d’un héritage ou à une division, les autres procédures, sans se reporter à l’acte original, ne permettent pas de conclure sur le caractère onéreux ou non du transfert.
6 37 registres ont été examinés : ASV, SD, Giornale di traslati, du R. 1254 au R. 1279 et du R. 1283 au R. 1299.
7 G. Béaur, L’immobilier et la Révolution. Marché de la pierre et mutations urbaines, Paris, 1994, p. 39 : « Plus une ville est peuplée, plus son taux d’activité immobilière est bas ». La tendance constatée par G. Béaur dans quelques villes françaises est confortée par le cas vénitien, mais les raisons qui peuvent l’expliquer sont spécifiques.
8 Le chiffre de 1582 est fourni par E. Concina, op. cit., p. 150 ; les chiffres de 1661 et 1712 ont été reccueillis auprès de l’Unesco à Venise où sont conservés les résultats de l’enquête conduite sous la direction du Pr. Concina ; les chiffres inter médiaires sont des évaluations obtenues suivant le principe arbitraire d’une progression régulière et constante du nombre d’unités locatives.
9 Cf. Beltrami, Storia della popolazione di Venezia dalla fine del secolo XVI alla caduta della Repubblica, Padoue, 1954, p. 35 ; F. Thiriet, « Espace urbain et groupes sociaux à Venise au XVIIe siècle », dans P. Francastel, L’urbanisme de Paris et l’Europe 1600-1680, Paris, 1969, p. 201-202.
10 288 passages de propriétés urbaines, tout type confondu, ont été recensés. S’ajoute la mention de 71 héritages dont la composition n’est pas donnée. La moitié de ces héritages a été prise en compte dans la mesure où un propriétaire sur deux possède au moins un bien urbain si l’on se fie aux déclarations fiscales du sestiere de San Polo de 1582, 1661 et 1711. ASV, SD, Condizioni di decima, estimo 1585, B. 165-166, estimo 1661, B. 223 et estimo 1711, B. 289.
11 La mise en garde a été formulée, la première fois, par M. Halbwachs, Les expropriations et le prix des terrains à Paris (1860-1900), Paris, 1909, p. 280.
12 É. Crouzet-Pavan (op. cit., p. 472) a recensé à partir de la série Preces de la cour de l’Esaminador 162 transactions de domus da sergentibus (maisons des dépendants) et 106 de domus a statio (demeures du lignage) entre 1470 et 1478, soit un total de 268 ventes étalées sur 8 ans. Même s’il est très certainement en deçà de la réalité, le chiffre est l’indice d’une faible activité immobilière dans une ville qui compte au moins une dizaine de milliers d’unités locatives.
13 R. Derosas, « Aspetti del mercato fondario nel Veneto del primo Ottocento », Quaderni Storici, 65, p. 549-578.
14 À Rome, il est vrai aux xiie et xiiie siècles, É. Hubert note une faible activité durant les mois d’été alors que le travail agricole est le plus intense. Id., Espace urbain et habitat à Rome du xe siècle à la fin du xiiie siècle, Rome, 1990 (Collection de l’École Française de Rome, 135), p. 345-346. Le constat vaut évidemment pour la vente des terres qui connaît une période d’étiage durant l’été : G. Béaur, Le marché foncier à la veille de la Révolution. Les mouvements de propriété beaucerons dans les régions de Maintenon et Janville de 1761 à 1790, Paris, 1984, p. 58. Le nombre de prêts d’argent contractés à Venise en 1591 marque également un tassement durant la période estivale qui se prolongue durant l’automne : G. Corazzol, op. cit., p. 135-140.
15 Les irrégularités, les sauts et les chutes de la courbe introduisent, de prime abord, un doute sur la fiabilité de la source qu’il importe de discuter. En 1660, le Sénat a ordonné une redecima, effective l’année suivante, qui coïncide, peu ou prou, avec la chute des ventes immobilières enregistrées dans les années précédentes. Mais est-ce pure coïncidence ? On est tenté de le croire si l’on se fie à la raison invoquée pour justifier l’ordre d’un nouveau recensement fiscal. Confronté aux très graves problèmes financiers occasionnés par la guerre de Candie, l’Etat vénitien a cherché, par le biais d’un recensement général des revenus immobiliers et fonciers, à identifier ceux qui échappaient à son contrôle, malgré l’effort qu’il déployait pour suivre, depuis la redecima précédente, les transferts et les acquisitions de propriétés. Or le passage d’une decima à l’autre n’est pas sans poser des difficultés du point de vue de l’enregistrement. Le dernier registre du Giornale di traslati de la decima de 1582 ne s’arrête pas en 1661, mais suit des transferts de propriété bien au-delà de cette date alors que le Giornale de la decima suivante devait déjà enregistrer tous les transferts postérieurs à cette date. Mais si cette contrariété administrative avait eu une incidence sur l’enregistrement des actes, elle apparaîtrait autour de l’année 1661. Or la chute que nous avons constatée s’amorce au début de la décennie 1650. Le décalage ne peut venir non plus de l’écart entre la date d’enregistrement et la conclusion de la transaction car les efforts des Dieci Savi l’ont considérablement réduit au milieu du siècle. Si la nouvelle redecima ne peut expliquer à elle seule une telle chute, peut-être a-t-elle pu l’accentuer. En revanche, la redecima commandée en 1711 a certainement une incidence sur le niveau de l’activité reconstituée pour les années précédant 1710. Quelques transactions, enregistrées plus tard, n’y figurent pas. Mais ce biais ne saurait remettre en cause la tendance générale qui témoigne d’une stabilisation de l’activité à un très bas niveau. Si la source n’est pas coupable de ces oscillations statistiques, il faut donc les considérer comme ce qu’elles sont, c’est-à-dire le reflet d’une évolution d’ordre historique. C’est dans ce registre que les arguments explicatifs doivent être trouvés.
16 Giulia di Franceschi, veuve de messer Matteo, demande dans son testament à ses héritiers de payer les impôts « acciò li beni non ghe siano venduti » (ASV, Notarile Testamenti, B. 195, 13 septembre 1576). Cité par L. Pezzolo, « La finanza pubblica », dans Storia di Venezia, vol. VI, Dal Rinascimento al barocco, Rome, 1994, p. 748.
17 La tansa était un impôt direct sur les revenus non fonciers. Le contribuable acquittait une somme forfaitaire sur la base d’une enquête fiscale. Ibid., p. 720.
18 Le rappel des Dieci Savi alle decime prenait la forme suivante : « Da manda-to dell’Illustrissimi et Eccelentissimi Signori Dieci Savi sopra le Decime in Rialto in essecution delle parti dell’Eccellentissimo Senato 1593 et 1644. Le intima à voi D. Marchio Fontana che nel termine de mesi doi dobbiate nel loro Eccelentissimo Collegio liquidar il debito, o debiti di accrescimenti mandati in nome de Antonio Fontana fu Pietro aliter passati essi mesi doi essi debiti faranno mandati come stanno alli Magistrati d’essecutione per esser essequiti come liquidi contro li vos-tri beni giusto le parti sudette. Dato lì 23 genaro 1698 » (ASV, SD, Condizioni aggiunte, B. 273, c. 13325).
19 « Ufficiali alle Cazude », dans Guida Generale degli Archivi di Stato Italiani, Archivio di Stato di Venezia, Rome, 1994, p. 944 et dans A. Da Mosto, Archivio di Stato di Venezia, Indice generale, vol. I, Rome, 1937, p. 104 ; « Ufficiali alle Rason vecchie e Rason Nuove », dans Guida Generale... cit., p. 933-35 et dans A. Da Mosto, op. cit., p. 139 ; « Deputati e aggiunti all’esazion del denaro pubblico e Presidenti alle vendite », dans Guida Generale... cit., p. 950-951 et dans A. Da Mosto, op. cit., p. 134.
20 La magistrature a été créée, en 1433, pour faire face à la baisse des recettes publiques. Ses compétences héritées des Officiali alle Rason Vecchie s’étendaient au contrôle des magistratures fiscales et se sont élargies à l’action contre les débiteurs publics. Ils deviennent durant la seconde moitié du xve siècle l’organe général de contrôle des recettes, jouant aussi un rôle direct dans leur prélèvement. Leur champ de compétence touche les impôts directs et indirects, les poursuites contre les débiteurs du fisc, dévolues jusque là au Magistrato alle Cazude et la vente des biens confisqués. A partir du xve siècle, la surveillance de tous les prélèvements fiscaux leur est retirée, notamment au profit des Dieci Savi alle decime qui assument entièrement la levée de la decima. Leur ingérence dans d’autres magistratures cessent progressivement et leur attribution se limite à la récupération des sommes dues au fisc. Ce partage des rôles est encore plus vrai quand, dans la seconde moitié du xviiie siècle, les Revisori e Regolatori delle pubbliche entrate in Zecca, réorganisent tout le système des recettes directes et douanières. Pour une présentation générale des finances publiques et de leur réforme au xviiie siècle, voir A. Zannini, Il sistema di revisione contabile della Serenissima. Istituzioni, personale, procedure (secc. xvixviii), Venise, 1994 et Id., « La finanza pubblica : bilanci, fisco, moneta e debito pubblico », dans Storia di Venezia, vol. viii, L’ultima fase della Serenissima, Rome, 1998, p. 431-477.
Sur la présentation de la magistrature des Governatori dell’Intrate, nous renvoyons à : A. Da Mosto, op. cit., p. 132 ; « Governatori dell’intrate », dans Guida Generale... cit., p. 939 ; L. Fortuna Vitale, E. Vitalo, M. Berengo, Presentazione, Governatori dell’Intrate, indice 159 bis, p. I-VII (consultable à l’ASV).
21 Un feuillet de rappel conservé parmi les condizioni aggiunte, daté du 8 juillet 1701, indique ainsi que le séquestre a été effectué le 18 juin et accorde un ultime délai de trois jours : ASV, SD, Condizioni aggiunte, B. 273, cond. 13327.
22 Les conditions de paiement sont précisées dans l’annonce de la vente : « Dovendo il Comprator esser mantenuto nel suo pacifico possesso, e difeso dal presente Officio contro cadauna persona. Essendo obligato il Comprator di portar nell’Officio li denari contadi dell’Amontar, et spese nel termine di giorni tre, sotto pena de soldi doi per Lira, et da esser reincantadi di à suo danno, et inter-esse giusta esse parti. Dovendo il Comprator far il trasalto al suo proprio nome giusta la Parte 19 Aprile 1641 sotto le pene in essa contenute » (ASV, Governatori delle pubbliche Intrate, Polizze d’incanto di vendita, 1650, B. 236, no 2201).
23 Sur la vente des biens nationaux en France, voir les travaux classiques de G. Lefebvre, « La vente des biens nationaux », Revue d’histoire moderne, 1928, p. 188-219, repris dans Études sur la Révolution française, Paris, 1963, p. 307-337.
24 Sur les événements politico-militaires, voir la synthèse de G. Cozzi, M. Knapton, G. Scarabello, La Repubblica di Venezia nell’età moderna. Dal 1517 alla fine della Repubblica, Turin, 1992, p. 92-145.
25 Ibid., p. 99-112.
26 Ibid., p. 138-144
27 L. Pezzolo, « Elogio della rendita. Sul debito pubblico degli Stati italiani nel Cinque e Seicento », Rivista di storia economica, vol. xii, 1995, p. 302-305. On manque cependant d’estimations sur le coût de la guerre.
28 Id., « La finanza pubblica », dans Storia di Venezia, vol. vi, Dal Rinascimento al Barocco, Rome, 1996, p. 716-717. L’effort se lit dans le gonflement des ressources publiques qui sont portées, entre le milieu du xvie siècle et 1630, de 1 600 000 à 3 400 000 ducats. En temps de paix, l’État affectait 30 à 40 % du budget aux dépenses militaires destinées, d’une part, à payer des troupes stationnées aux confins de la Terre Ferme et outre-mer et, d’autre part, à entretenir la flotte de guerre.
29 Ibid., p. 742-743.
30 Sur la vente des biens communaux, voir D. Beltrami, La penetrazione economica dei veneziani. Forze di lavoro e proprietà fondiaria nelle campagne venete dei secoli xvii e xviii, Venise-Rome, 1956, p. 67-78 et M. Pitteri, « I beni comunali nella Terraferma veneta », Annali veneti, I, 1984, p. 133-138 et Id., « La politica veneziana dei beni comunali (1496-1797) », Studi veneziani, 10, 1985, p. 57-80.
Sur l’agrégation de nouvelles familles au patriciat, J. C. Davis, The Decline of the Venetian Nobility as a Ruling Class, Baltimore, 1962, p. 57-76 ; R. Sabbadini, L’acquisto della tradizione. Tradizione aristocratica e nuova nobiltà a Venezia, Udine, 1995, p. 14-24 ; V. Hunecke, Il patriziato veneziano alla fine della Repubblica, Rome, 1997, p. 46.
31 L. Pezzolo, « L’economia », dans Storia di Venezia, vol. vii, La Venezia barocca, Rome, 1997, p. 421.
32 M. Ferro, « Provveditori di Comun » dans Dizionario... cit., vol. ii, p. 557-558 : « Con decreto del Maggior Consiglio dell’anno 1392 si diede facoltà a questo magistrato di vendere a decorazione della città gli stabili rovinosi asseggettati a fedecommesso, sì in Venezia, che nel Dogado ».
33 « Sopragastaldo », dans Guida Generale... cit., p. 944 et dans A. Da Mosto, op. cit., p 102.
34 G. Corazzol, « Varietà notarile : scorci di vita economica e sociale », dans Storia di Venezia, vol. vi, Dal Rinascimento al Barocco, p. 775-794.
35 Sur la procédure de remboursement, voir Id., Livelli stipulati... cit., p. 39-41.
36 La préférence donnée à qui a notifié le premier le contract est développée par M. Ferro, « Ipoteca », dans Dizionario... cit., vol. 2, p. 149 : « L’ipoteca anteriore di tempo viene preferita a tutte le posteriori. In Venezia per altro ciò ha luogo soltanto rispetto ai mobili, imperciocché la prelazione nell’ipoteca, e perciò nel pagamento, si dà a quelli che furono anziani nella notificazione dell’ipoteca al Magistrato dell’Esaminador ». Et Id., « Anzianità », dans Ibid., vol. i, p. 115 : « [...] si concede la prelazione o anzianità sopra i beni stabili, non già secondo l’anzianità dei contratti o delle ipoteche, ma secondo l’anzianità delle notificazioni fatte al Magistrato dell’Esaminador ; perciò chi primo notifica il credito, benché il contratto sia posteriore, è preferito a quello che posterioramente ha notificato, qualunque anteriore pel contratto ». Sur la notification, Ibid., vol. ii, p. 333 : « La notificazione è quell’atto, col quale viene firmato e regisrato un istrumento di compera o vendita al magistrato dell’Esaminador, il che significa lo stesso che far pubblicamente noto un qualche contratto, con cui si trasferisce il dominio di un bene stabile ».
37 G. Corazzol, op. cit., p. 13 et 20.
38 Dans un certain nombre de cas, l’extinction de la dette passe, en effet, par le rachat des biens qui servaient de garantie, sans qu’il y ait d’échanges monétaires. On peut citer, pour exemple, l’acquisition par Zorzi Pisani q. Matteo, en 1704, de deux maisons situées à San Moisè et à San Pietro di Castello qui appartenaient à Marco Manolesso fu Andrea pour une valeur de 984 ducats : « A conto del quale prezzo detto nobiluomo ser Marco venditor compensa boniffica et rillassia al detto nobiluomo ser Zorzi Pisani comprator, per affrancazione et essintione di altra tanta simil summa, che fu ritenuta dallo stesso nobiluomo ser Marco dal medesimo Nobiluomo Ser Zorzi a livello francabile l’anno 1703, 3 maggio con instrumento rogato in atti miei in ragione di cinque e mezo per cento et quelli fondati sopra le case due sopradette [...] Item boniffica e rillassia ut supra al detto nobiluomo ser Zorzi comprator ducati sessantatre correnti da lire 6 : 4 per ducato, per resto e saldo delli pro’ corsi et non pagati sopra detto capitale fi-no tutto il mese di decembre passatto [...] ». ASV, Notarile Atti, Giovanni Antonio Mora, B. 8731, fol. 149v, 10 mars 1704.
39 « Dieci Savi alle Decime in Rialto », dans Guida Generale... cit., p. 941. B. Canal, Il Collegio, « L’Ufficio e l’archivio dei Dieci savi alle decime in Rialto », Nuovo archivio veneto, 16, 1908, p. 279-298.
40 B. Pullan, La politica sociale della Repubblica di Venezia, 1500-1620. vol. I. Le Scuole grandi, l’assistenza e le leggi sui poveri, Rome, 1982, p. 171, note 14 : les revenus de la vente étaient déposés auprès des Procurateurs de Saint-Marc, une fois défalqués 2 % du montant destiné à payer la decima. Les procurateurs étaient responsables de la distribution des revenus en accord avec le testateur quand la situation le permettait. Cf : Dieci Savi sopra le Decime, Capitulare I, fol. 43rv et Capitulare II, fol. 65rv.
41 Ibid., p. 154-155.
42 Ibid., p. 152-153.
43 La fiscalité appliquée aux institutions ecclésiastiques est abordée par G. Del Torre, « La politica ecclesiastica della Repubblica di Venezia nell’età moderna : la fiscalità », dans A. De Maddalena et H. Kellenbenz (dir.), Fisco, Religione, Stato nell’età moderna confessionale, Bologne, 1989, p. 387-426.
44 D. Beltrami, op. cit., p. 112-120.
45 Par hypothèse, une phase de baisse démographique peut avoir selon les cas des conséquences opposées : elle peut ralentir les échanges d’immeubles, du moins dans un premier temps, parce que les acheteurs potentiels sont freinés dans leur élan par le risque de rentrées médiocres, comme elle peut susciter à terme une plus forte mobilité des maisons car certains propriétaires sont poussés à la vente.
46 G. Béaur, L’Immobilier et la Révolution... cit., p. 121, constate au contraire que la vente des biens nationaux provoque en France un emballement du marché ordinaire.
47 À défaut de connaître le prix des transactions, le loyer est un bon indicateur pour mesurer le contenu de la vente. Il permet, surtout, une comparaison des ventes d’un sondage à l’autre, sur la base des mêmes critères, car les prix du marché locatif se caractérisent par une grande stabilité au cours du XVIIe siècle.
48 Le phénomène s’explique par le fait que les prix ont tendance, en périodes d’intense activité, à fléchir et à rendre meilleur marché des biens qui, à valeur locative égale, étaient vendus plus cher en période ordinaire.
49 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1276, fol. 23r, avril 1652.
50 Sur la formation des compagnies de galère et leur subdivision en carats, voir F. C. Lane, « Società familiari e imprese », dans Id., I mercanti di Venezia, Turin, 1982, p. 247 (1ère éd. 1944) ; G. Boerio, « Carato », dans Dizionario del dialetto veneziano, Venise, 1856, p. 137 : « Quella porzione che i Mercanti mettono per corpo della compagnia e vale Contingente. Carato, si chiama una Sorta di peso, ed è il vintiquattresimo dell’oncia in riguardo all’oro [...] ».
51 L’examen des habitations de la paroisse de San Polo, présenté au chapitre V, met en évidence une stabilité des biens possédés en copropriété entre 1661 et 1740. En 1661, 15 habitations sont partagées entre deux ou trois propriétaires et en 1740, 20 sont dans ce cas de figure. L’augmentation est à mettre sur le compte de la division des biens appartenant à une seule personne, Paolo Antonio Moro. ASV, SD, Catastico 1661, San Polo, B. 423 et Ibid., Catastico 1740, San Polo, B. 437.
52 Une maison située à San Lio, dans la cour del Piombo alla Ca’ Grande, offre en 1661 un cas limite puisque le locataire, Antonio de Danieli q. Filippo acquitte le loyer d’un montant de 130 ducats à 12 ayants droit dont les quotes-parts sont différentes (ASV, SD, Catastico 1661, San Lio, B. 420, fol. 682v).
53 Pour les ventes ordinaires, le calcul a été réalisé à partir de la valeur locative de 114 biens entiers, tout type confondu, qui étaient l’unique objet de la transaction. Quant aux ventes aux enchères en faveur du fisc, le calcul a procédé à partir des mêmes critères sur 105 biens.
54 Entre 1610 et 1612, le Giornale di traslati mentionne seulement deux ventes de biens d’une valeur locative supérieure à 150 ducats : une boutique à Rialto et une maison accompagnée d’un magasin à San Silvestro (ASV, SD, Giornale di trasalti, R. 1257, fol. 83r, 13 mars 1612 ; Ibid., fol. 101r, 27 août 1612). Entre 1630 et 1632, seul un palais d’une valeur de 200 ducats, situé à San Stae, est acheté par Bortolamio Beloni qui sera admis en 1647 au sein du patriciat (Ibid., R. 1269, fol. 77v, 19 juin 1632).
55 Entre 1690 et 1692, un palais, d’une valeur locative de 210 ducats, situé sur le Grand Canal à San Samuele, est acheté par Girolamo da Lin (Ibid., R. 1292, fol. 121v, 21 juillet 1691). Et entre 1710 et 1712, un seul palais composé de deux étages (loués chacun 120 et 105 ducats) situé à San Luca passe en possession de Michele Priuli q. Renier (Ibid., R. 1298, fol. 95v, 30 juin 1711).
56 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1286, fol. 34r, 22 septembre 1670.
57 Ibid., fol. 125v, 12 novembre 1671.
58 Ibid., fol. 165v, 30 août 1672.
59 Sur l’insertion en ville des nouvelles familles admises au sein du patriciat, voir L. Megna, « Comportamenti abitativi del patriziato veneziano (1582-1740) », Studi veneziani, 22, 1991, p. 276 et p. 308-323 ; R. Sabbadini, op. cit., p. 141-156.
60 ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1286, fol. 125v, 12 novembre 1671.
61 Ibid., R. 1276, fol. 34r, 12 août 1652.
62 Ibid., R. 1295, fol. 161v, 10 avril 1702. Ferdinand-Charles de Gonzague, duc de Mantoue, a acquis en 1699 une « casa in due soleri con mezadi in contrà di Santa Sofia e Santi Apostoli », d’une valeur locative de 390 ducats, à Gian Antonio Zen q. Francesco.
63 ASV, Governatori dell’Intrate, Istrumenti d’incanto di vendita, B. 186, R. 38, fol. 56v-57v : « casette doi a pepian ruinose e inhabitabile poste in contrà di San Zuanne in Bragora ».
64 Ibid., B. 191, R. 48, fol. 170v-171v : « doi casette, una caduta a terra et l’altra ruinosa con un orto contiguo ».
65 Ibid., fol. 131v : « Ho veduto doi casette a pepian, l’una habitata, et l’altra vuoda senza porta sua, né scuri da balcon, né suolo per terra, et un’altra in solaro sopra le dette habitate da povere donne disse non pagar fitto ad alcuno, nella quale vi sono due lochi sopra la casetta habita, in doi solari l’uno sopra l’altro et suo coperto sopra et sopra quella voda un altro locho con sua sofita sopra case sono in cativo stato [...] ».
66 En janvier 1651, l’expert des Governatori dell’Intrate décrit ainsi un logement situé derrière la Scuola di San Fantin : « dentro la porta d’essa, ci è un locho solo con quatro balconi con suoi scuri et veri che da luce ad essa, et varda la nominata calle corrente qual locho [...] ». Ibid., B. 191, R. 46, fol. 79r. Citons encore l’exemple d’une seule pièce à San Samuele, située à l’étage et pourvue d’une cheminée où se prépare la cuisine : « dentro della porta di essa casetta ci è una scaletta di legno che ferma in terra et assende a una camereta con quattro balconi che da luce ad essa uno con suoi ferri a bastoncini et varda sopra la nominata Pesina di San Samuel et doi sopra la nominata calle del traghetto et uno sopra il rio qual a il suo camin in detta ci è una cusineta con balcon sopra il nominato rio con sua scafa e comodità [...] ». Ibid., fol. 37v.
67 Sur une casetta située à San Marcuola et d’une valeur locative de 9 ducats, on peut lire : « [...] dentro della porta d’essa vi è doi balconi con suoi ferri a bastoncini che da luce ad essa et varda sopra la nominata calle qual ha il suo pozzo che serve ad essa casa et consorte in detta intrada vi è la sua scala di legno che ferma in terra, et ascende al detto primo soler et anco al secondo ove vi è il suo portego pur del detto primo soler con doi balconi che da luce ad esso, et varda sopra la nominata calle qual ferma sopra la travadura pur di questa proprietà in detta vi è una camera con doi balconi et il suo camin qual balconi varda sopra la nominata calle [...], in detto vi è la sua cusina con doi balconi et varda sopra una cortesella de Antonio Calegari comprator con il suo camin scafa e comodità [...] ». Ibid., B. 191, R. 48, fol. 146v-147r.
68 Ibid., fol. 148v.
69 C’est ainsi que sont désignées les 5 pièces d’une maison d’un étage située le long de la fondamenta di San Cosmo à la Giudecca. Ibid., fol. 78v.
70 Une maison, située à Santa Margherita et louée 30 ducats en 1651, en offre l’exemple : « [...] dentro della porta d’essa ci è la sua entrada con un balcon sopra la porta con feri a bastoncini che dà luce ad essa sopra la nominata corte Grifal- coni in detta intrada vi è una porta che va nella cortesella qual è tutta seratta di muro con il suo pozzo in mezo che serve alla detta casa qual cortesella da un ladi con Ca’ Mosto dal altro ladi con Ca’ Pichi dall’altra Grifalconi et dall’altra il sudetto Carolli comprator onde nella detta vi è una porta che va in un magazen con doi balconi con ferri a bastoncini et varda sopra la nominata cortesella in detta vi è una scala di legno in tre rami che ferma in terra, et ascende al portegho qual ha undese balconi che da luce ad esso tre varda sopra corte delle cinque sopra una corte de raggion de domino Bernardo Caroli compratori et tre sopra la nominata cortesella pur di questa proprietà Carolli onde vi è la cusina con suoi balconi sopra la nominata corte da Ca’ Grifalconi con il camerin scafa è comodità et sopra la detta cusina vi è la sofita quanto chiapa la detta similmente con suoi lumi in detto portegho vi è un’ altra porta che va in un’altra camera con quatro balconi, et varda sopra la nominata corte da Ca’ Grifalconi con il camin in cao di detto portegho vi è un’altra camera con doi balconi et doi pergoletti di piera viva che da luce ad essa, et varda sopra la fondamenta qual camino ». Ibid., fol. 103v-105r.
71 Entre 1650 et 1652, on recense la vente à l’encan par l’office des Ragion Nuove d’un seul palais d’une valeur locative supérieure à 200 ducats. Il se situe à San Boldo et appartenait à Giovanni Tornaquinci (ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1275, fol. 179v, 20 février 1651). Entre 1670 et 1672, un seul palais également, sis aux Santi Apostoli, le long du Grand Canal, est confisqué à Michele Cavara q. Angelo (Ibid., R. 1286, fol. 44r, 26 septembre 1670).
72 6 ventes ont été recensées entre 1670-72 : ASV, SD, Giornale di traslati, R. 1286, fol. 92, fol. 15r, fol. 117v, fol. 129v, fol. 175r, fol. 192r. 4 ventes entre 1690-92 : Ibid., R. 1292, fol. 75v, fol. 87v, fol. 107v, R. 1293, fol. 7v. 4 vente entre 1710-12 : Ibid., R. 1298, fol. 97r, fol. 104v, fol. 131v, fol. 189r.
73 Ibid., fol. 1292, fol. 87v, 5 janvier 1690 ; R. 1298, fol. 104v, 6 juillet 1711.
74 L’inoccupation des biens n’est pas explicite dans les sources. Elle est seulement suggérée par l’absence de mention du loyer. Aucun bien n’est dans ce cas de figure en 1610-12. Il sont sept en 1630-32 (Ibid., R. 1269, fol. 21r, fol. 47v, fol. 74v, fol. 77v, fol. 115r) ; 8 en 1650-52 (Ibid., R. 1275, fol. 98v, fol. 151r, fol. 186v ; R. 1276, fol. 1rv, fol. 43r, fol. 50r) ; 12 en 1670-72 (Ibid., R. 1286, fol. 44v, fol. 58r, fol. 69v, fol. 82v, fol. 90r, fol. 94v, fol. 105v, fol. 125r, fol. 178r, fol. 179v) ; 3 en 16992 (Ibid., fol. 55r, fol. 60r, fol. 38r) et 2 en 1710-12 (Ibid., R. 1298, fol. 129v, fol. 137r).
75 Il faut cependant avoir à l’esprit que les cadastres emploient une taxinomie élémentaire qui a pour effet d’appauvrir la diversité du bâti et d’opérer une nette distinction entre les habitations et les lieux à usage économique.
76 D. Beltrami, op. cit., p. 214 ; E. Concina, op. cit., p. 197-98.
Notes de fin
1 Les données relatives aux decime et aux campatici m’ont été procurées par L. Pezzolo.
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