Chapitre 9 – Une biographie en évolution : l’émergence d’un Cicéron politique
p. 195-218
Texte intégral
1Il est anachronique d’évoquer la biographie en tant que genre littéraire pour la période médiévale. En effet, si l’on considère ce type d’écrit comme le récit d’une vie ou comme le portrait moral et physique d’un personnage historique, la période antérieure au XIVe siècle ne connaît quasiment pas d’œuvre biographique. Le genre de l’éloge est courant dans l’Antiquité et implique de rappeler les événements qui ont fait sortir un personnage du commun. La tradition se perpétue dans la littérature médiévale mais voit ses modes d’exposition renouvelés par une recherche d’exemplarité. Les récits de vie deviennent des recensements d’exploits ou de marques de dévotion. D’une part, les textes biographiques se muent en hagiographies, se concentrant sur les figures chrétiennes et témoignant de leurs vertus dans un but d’édification1. D’autre part, la geste, centrée sur de puissantes familles, met en scène les honneurs du combattant sous une forme narrative2. Les figures romaines païennes sont exclues de ces descriptions ; il faut attendre les premiers témoignages humanistes pour les retrouver au centre d’initiatives biographiques.
2Les narrations de parcours célèbres constituent un genre particulièrement populaire à partir du milieu du XIVe siècle. Jacob Burckhardt a mis en lien cette évolution littéraire – et plus largement artistique, à travers l’engouement nouveau pour le portrait – avec une mutation sociale des mentalités, postulant une valorisation inédite de l’individualité3. Cette dernière serait, par ailleurs, soutenue par l’évolution du contexte politique italien, qui remplace au champ de l’exemplarité les vertus collectives d’abnégation par la recherche de gloire. Au sein du récit biographique, le souci d’édification est ainsi progressivement remplacé par celui de laudatio4. Décrire le parcours des auteurs classiques permet aux humanistes, en miroir, de questionner leur propre postérité.
3Les descriptions de Cicéron témoignent d’interprétations successives faisant écho au rôle attribué à l’érudit, au citoyen ou à l’homme politique au sein de la société médiévale. Ces lectures sont tributaires des sources à disposition. Or le corpus des textes classiques décrivant les événements qui ont rythmé la carrière du personnage est en pleine évolution entre les XIIIe et XIVe siècles.
9.1. Au XIVe siècle, une multiplication des sources
4Si ses traités et ses œuvres philosophiques laissent apparaître les opinions morales de Cicéron, sa biographie factuelle est à chercher dans ses discours. Parmi eux, les oraisons In Catilinam, les Philippicae ainsi que les plaidoiries devant César sont les plus connues au cours du bas Moyen Âge. À l’inverse, sa correspondance, à laquelle les biographes actuels accordent une place de choix, reste majoritairement inconnue jusqu’aux années 13405. Or si l’intérêt humaniste élargit le corpus cicéronien, il produit des effets similaires sur l’ensemble des sources latines qui, en retour, viennent enrichir la biographie du personnage. De ce fait, le milieu du XIVe siècle représente une césure importante dans la reconstitution de la vie de Cicéron.
5Au XIIIe siècle, outre par ses propres œuvres, il n’y a guère que dans le De Catilinae coniuratione de Salluste que le lecteur peut rencontrer un Cicéron historique, ainsi qu’à travers une invective attribuée à ce dernier. La description du complot commence à être régulièrement transcrite dès le Xe siècle et rencontre un grand succès durant les siècles suivants ; si bien qu’au XIIIe siècle, Catilina est un personnage particulièrement courant dans la littérature communale, figurant populairement le traître6. Cicéron, au second plan, est certes consul, mais restreint au rôle d’orateur par son intervention devant le Sénat restée célèbre. La stature politique du personnage est de plus en plus souvent mise en avant à partir des années 1320. À cette période, le De viris illustribus, ouvrage anonyme rédigé dans l’Antiquité tardive, rencontre un succès inédit après avoir été attribué à tort à Pline le Jeune et à Aurelius Victor7. Cicéron y est décrit comme le descendant du chef sabin Titus Tatius. La notice qui lui est dédiée rappelle ses mérites oratoires mais insiste, surtout, sur les différentes charges du cursus honorum qu’il a tenues, avant d’exposer son assassinat dans le cadre des guerres civiles8.
6Cette lecture politique de la vie de Cicéron est appuyée par la redécouverte des textes grecs à la fin du XIVe siècle. Le portrait le plus détaillé du personnage est certainement celui dressé par Plutarque dans les Vies parallèles9. L’œuvre, de même que les autres travaux de l’auteur, est mal connue en Occident jusqu’aux années 1380, faute de traduction10. C’est la commande du maître des Hospitaliers à Rhodes, Juan Fernández de Heredia, qui initie le mouvement de diffusion des Vies, lesquelles peuvent désormais être lues en aragonais. À partir de cette traduction, plusieurs versions vernaculaires sont produites et l’on sait qu’un volgarizzamento toscan existe déjà en 1395. À cette date, les lecteurs connaissent à la fois la carrière d’avocat de Cicéron, ses fonctions politiques et les raisons de ses engagements. Ses retournements successifs lors des guerres civiles sont pointés par certains, dont Pétrarque. Toutefois, la période antérieure au XVe siècle échappe aux sources grecques faisant un portrait noir de l’homme politique.
7Appien et Dion Cassius, chacun dans leur Histoire romaine, décrivent Cicéron comme un lâche, fustigent sa duplicité, voire remettent en doute ses talents oratoires11. L’un et l’autre ne sont pas traduits en latin avant le XVe siècle, ce qui limite leur diffusion en Occident12. Les sources à disposition des auteurs aux XIIIe et XIVe siècles sont donc plutôt favorables à Cicéron, tendant à enrichir ses capacités d’avocat par un investissement – parfois pragmatique – dans la sphère publique.
9.2. L’évolution de l’idéal biographique : de l’œuvre au personnage
8Les portraits médiévaux de Cicéron varient par leur contenu comme par leur forme. Un premier type d’indication biographique apparaît, à partir du XIIe siècle, dans les accessus13. Ces exposés, associés à des supports d’enseignement, doivent permettre à l’étudiant de repérer plus facilement les enjeux de l’œuvre qu’il s’apprête à lire. Dans le cas de Cicéron, ont été conservés principalement des accessus aux textes rhétoriques et quelques introductions composées pour le De amicitia et le De senectute14.
9.2.1. L’accessus, héritage du XIIe siècle : l’auteur résumé à son intentio
9La composition de l’accessus répond à un ensemble de codes. L’exposé se concentre sur l’œuvre, l’enjeu étant de mettre en avant son contenu et son utilité. Les informations concernant l’auteur ne valent qu’en tant qu’elles expliquent la composition du texte. Ainsi, la seule information relative à Cicéron est résumée sous la notion d’intentio, questionnant ses motivations. La notice biographique est conçue comme un exposé des circonstances de rédaction du texte15. Plusieurs recueils d’accessus semblent avoir eu pour fonction d’offrir aux étudiants une succession de résumés des travaux d’auteurs classiques compilés en un seul manuel16. Composés principalement dans le sud de l’Empire et dans le nord de la péninsule italienne, ces recueils rassemblent les extraits de plusieurs introductions. Dans l’un d’eux, rédigé durant la seconde moitié du XIIe siècle et ayant été copié plusieurs fois au cours du siècle suivant, on trouve sous l’entrée accessus Tullii les informations suivantes :
Caton, accompli en langue latine, alla en Grèce où, afin d’étudier, il se rendit auprès de l’école des Stoïciens. Par la suite, revenant à Rome, il exprima un grand nombre d’opinions au Sénat et en approuva d’autres, mais ne les défendit pas par écrit. De là, ses adversaires, qui de son vivant reconnaissaient avec zèle la pertinence de ses opinions, s’efforcèrent de les réfuter après sa mort. Brutus, parent de Caton, demanda à son ami Cicéron, qui avait été reconnu très compétent dans l’art logique, jusqu'à quel point il confirmait les jugements de Caton et sapait totalement l’effort de ses rivaux. Voulant satisfaire la demande de ce dernier, Cicéron proposa dans ce livre les jugements de Caton, mais avec des intentions différentes. Car l’intention principale [de Cicéron] est de confirmer les affirmations de Caton et de réfuter ses adversaires. L’utilité [de l’œuvre] est la confirmation de ces affirmations.17
10Bien que l’auteur de la compilation tienne un propos général sur Cicéron, les personnages cités et l’évocation du stoïcisme laissent penser que cet accessus a été conçu pour introduire les Paradoxa stoicorum. Les accessus n’offrent une vision de l’individu qu’à travers son œuvre, celle-ci dictant sa spécialité et son entourage social (Atticus, Caton ou encore Brutus, c’est-à-dire les personnages mis en scène).
11La présentation des différentes auctoritates est au cœur du Dialogus super auctores du bénédictin Conrad de Hirsau, qui enchaîne les portraits d’auteurs. Sa description de Cicéron diverge peu des modèles précédents18, mais Conrad fait une digression à son sujet au sein de la notice consacrée à Salluste : « Salluste mérite d’être associé à Tullius, car il indique dans son livre la prévoyance et la prudence dont a fait preuve ce dernier, à juste titre, contre son concitoyen Catilina »19. L’épisode de la conjuration est considéré ici comme une scène littéraire plus qu’historique et est donc placé sous le nom de Salluste. Son absence au sein des notices dédiées à Cicéron s’explique par une dissociation médiévale entre auteur et personnage. Y compris dans des accessus laissant entendre que la vie politique de Cicéron est connue, celle-ci est rapidement mise de côté pour se concentrer sur la figure auctoriale. On le remarque, notamment, dans une des rares introductions composées pour le De officiis, au cours de la seconde moitié du XIIe siècle :
Cicéron, voyant la République romaine viciée par quelques Romains, laissa de côté le soin porté à la chose publique et se tourna vers l’étude de la philosophie. Sachant donc que la cité, à laquelle on accorde les plus grands soins, ne pouvait pas être guidée par celui qui n’avait pas la force de résister aux vices, il préféra aborder ce problème sous l’angle philosophique, afin d’éloigner les Romains des vices, plutôt que par un autre moyen. C’est cela que vise principalement le traité De officiis.20
12Le genre du commentaire littéraire et sa pratique scolaire au XIIe siècle montre l’auteur à travers son infaillibilité, ce qui conduit à gommer les traits individuels et anecdotiques du personnage. Avant le XIIIe siècle, période de réévaluation du statut d’auteur, c’est donc hors des textes scolaires que l’on trouve des récits s’attachant à retracer la vie de Cicéron. Ceux-ci sont stéréotypés et s’inspirent tous d’une même source : une suite de carmina transmise par l’Anthologia latina21. Le texte semble remonter au IXe siècle et porte, à l’origine, le titre d’Hexasticha de titulo Ciceronis. Les manuscrits des XIIIe et XIVe siècles, qui le rapportent encore fréquemment, préfèrent le présenter comme l’« épitaphe » de Cicéron. Le texte, empli de lamentations, rappelle le glorieux combat du consul contre Catilina et conspue Antoine, « tyran » ayant commandé la mort de Cicéron :
Ci-gît l’Arpinate, enterré des mains de ses amis, qui fut un très grand et remarquable orateur et qu’un citoyen et ennemi assassina cruellement. Ne fais rien, Antoine : les écrits, prolixes, restent. Tu blesses Cicéron un jour, n’est-ce pas ? Et bien Tullius te fait souffrir par des blessures éternelles. […] Quoi que tu aimes dans les livres de Cicéron, sache qu’il gît ici, lui, le plus grand des orateurs et des citoyens ; il était célèbre tant pour ses actes que pour son éloquence. […] Tullius l’Arpinate naquit dans l’ordre équestre, mais il fut consul de la Ville par sa vertu. Le mauvais Catilina et les nuisibles conjurés comprirent qu’il veillait sur ses citoyens.22
13Ce n’est pas l’auteur qui est à l’honneur ici mais le sénateur, glorifié tant pour son éloquence que pour ses décisions. L’étude des manuscrits joignant ce poème à une œuvre de Cicéron montre qu’il est généralement rapporté par érudition, sans entrer en écho avec le texte antique.
14Les faits marquants de cette vie apparaissent plus régulièrement dans les manuscrits à partir du XIIIe siècle. L’évolution tient notamment à une mutation de la composition de l’accessus, laquelle fait suite à la redécouverte de la Physique d’Aristote. Le formulaire des introductions s’adapte progressivement aux quatre causes définies par ce dernier23. Si l’intentio est toujours présente, devenant la cause finale de l’œuvre, l’auteur est désormais introduit en tant que cause efficiente, ce qui donne une nouvelle légitimité à ses facultés humaines. Les introductions aux œuvres classiques laissent dès lors une place grandissante aux événements ayant ponctué la vie de leur inventeur.
9.2.2. Les notices encyclopédiques du XIIIe siècle : du binôme « Tullius rhéteur » et « Cicéron sénateur » à un dialogue entre vie et œuvre
15Parce qu’elles présentent souvent Cicéron au sein d’un panorama historique, les encyclopédies du XIIIe siècle en dressent un portrait bien différent des accessus. Par souci d’exhaustivité, leurs compositeurs donnent des indications sur l’œuvre de Cicéron et compilent l’ensemble des informations à disposition quant à son action au sein de la République romaine. Celles-ci sont parfois maigres, faute de source proprement historiographique. On le remarque, notamment, en consultant le très diffusé Speculum historiale de Vincent de Beauvais, composé vers 1250. Au sein du septième livre de l’œuvre, le compilateur témoigne d’un intérêt marqué pour Cicéron, auquel il consacre 26 chapitres sur les 129 qui retracent la période allant de 48 av. n. è. à l’an 15. Au sein de cet important descriptif, seul un court chapitre rapporte les éléments principaux de la vie de Cicéron, l’ensemble des autres passages traitant exclusivement du contenu de son œuvre :
Nous avons dit plus haut que Cicéron, qui est réputé avoir dit et écrit des choses très célèbres, combattait en Gaule sous le commandement de César, selon Julius Celsus et Orose.
Augustin, dans le De civitate Dei, au livre XII : voulant définir Dieu le plus brièvement possible, Cicéron dit que c’est un esprit libre et indépendant, dégagé de toute composition mortelle, qui connaît et meut toutes choses, et qui a lui-même un mouvement éternel.
Jérôme, dans son attaque Contra Iovinianum, au livre I : Cicéron qui, engagé par Hircius à épouser la sœur de celui-ci après la répudiation de Terentia, s’y refusa formellement, ne pouvant donner ses soins, assurait-il, à la fois à une femme et à la philosophie. Cette éminente épouse, qui s’était tant abreuvée à la source de Cicéron, se maria à Salluste, l’ennemi de ce dernier.24
16L’auteur confond Marcus avec son frère Quintus et lui attribue, de ce fait, une carrière militaire en Gaule sous les ordres de César. La vie politique de Cicéron est absente de ce passage, qui laisse plus de place aux déboires conjugaux du personnage et à sa rivalité avec Salluste. Cette reconstitution partielle est imputable aux sources utilisées par Vincent. Mettant à l’honneur les Pères de l’Église, il laisse de côté les écrits historiographiques qui auraient pu rendre un éclairage civique de la vie du sénateur. Les fonctions de ce dernier ne sont pourtant pas inconnues du compilateur, qui y fait référence dans d’autres passages du Speculum historiale. On y apprend notamment, par l’intermédiaire d’Eusèbe de Césarée et sans plus de détail, que Cicéron fut consul et exilé, de même qu’il s’illustra dans son combat contre Catilina25.
17Brunetto Latini, qui est à l’origine de la plus imposante encyclopédie rédigée par un auteur du monde communal, le Tresor, s’est appuyé sur le classement thématique de Vincent de Beauvais pour sa composition26. Toutefois, il ne consacre pas de notice à Cicéron dans la partie historique de l’œuvre. Si le rhéteur est omniprésent au sein du Tresor, le sénateur est quasiment absent. On ne trouve sa trace que dans les passages dédiés à la conjuration, pour lesquels Latini s’est inspiré d’une source inconnue, reprenant Salluste et les Fet des Romains. Brunetto désigne invariablement l’auctoritas par le nom « Tullius » alors qu’il appelle le personnage historique « Cicéron ». Cette dichotomie entre nomen et cognomen est courante aux XIIIe et XIVe siècles. Jusqu’au Duecento, le nom « Cicero » n’apparaît presque jamais dans les sources, concentrées sur l’autorité de « Tullius », auteur désincarné. Tant et si bien qu’il arrive que ces deux parties des tria nomina soient comprises comme la désignation d’individus distincts27. Brunetto Latini dresse en pointillés le portrait d’un sénateur courageux, gardien de la République appuyé par Caton et combattant ses ennemis tant par la parole que par la force armée28. Même si Brunetto voue une admiration toute particulière à Tullius, il subordonne les mentions de Cicéron à l’évocation d’autres personnages, au premier rang desquels César. Le sénateur n’est qu’un personnage secondaire, quand le rhéteur est une référence omniprésente.
18Les premiers exposés biographiques dédiés à Cicéron apparaissent dans des recueils compilant les vies et les préceptes des plus illustres philosophes. Quelques auteurs tentent de percevoir une cohérence entre carrière publique et œuvre littéraire. Pour ce faire, ils exploitent les données historiques présentes dans les textes de Cicéron. Ainsi, le franciscain Jean de Galles, lorsqu’il compose son Compendiloquium de vita et dictis illustrium philosophorum vers 1270, puise encore les indications relatives au sénateur chez Augustin mais les complète par les apports de Sénèque et par des mentions directes de Cicéron :
Au sujet de Marcus ou Tullius, qui fut un érudit. […] Bien qu’appliqué à l’étude, il fut aussi sollicité pour le gouvernement de la République. Il le raconte lui-même dans le quatrième chapitre du De amicitia. […] Marcus Cicéron, selon [Sénèque], était déstabilisé par des ennemis déclarés et par des amis douteux, alors qu’il était irrésolu quant à la République, ainsi qu’il le dit lui-même dans une lettre à Atticus.29
19Composé hors du monde communal, ce texte s’y diffuse rapidement30. Derrière des initiatives biographiques éparses, se profile une attention grandissante portée aux ambitions des auteurs. Cette mutation va de pair avec une conception plus humaine et faillible de l’auctoritas, ainsi qu’avec un intérêt grandissant pour l’histoire de l’Antiquité romaine, perceptible notamment par le succès des Fet des Romains31. En ce qui concerne Cicéron, la première notice biographique particulièrement documentée introduit un recueil de ses œuvres, copié vers 1330 à Vérone32. Selon Jean-Yves Tilliette, la biographie n’a pas été composée pour cette copie, à laquelle elle préexiste : la notice aurait été écrite à Padoue, vers 1300. Son auteur a voulu rassembler les données connues sur le personnage, prenant soin de préciser ses sources. Outre les Pères de l’Église, il a mobilisé les textes de Salluste, de Sénèque et de Valère Maxime, l’épitaphe fictive de l’Anthologia latina ainsi que les informations données par Cicéron lui-même au sein de ses œuvres. Certains stéréotypes se maintiennent, dont la carrière militaire de Tullius en Gaule et une rivalité avec Salluste faisant écho aux déboires domestiques de Terentia. Le biographe expose longuement l’implication de Cicéron dans la lutte contre Catilina et puise dans le De officiis les informations relatives au fils du sénateur. Outre ces thèmes devenus courants, la notice développe des pans de l’histoire cicéronienne jusqu’alors laissés de côté. Est ainsi esquissé un portrait physique de Tullius, « roux et pâle »33. Ses origines censément modestes sont particulièrement commentées :
Cicéron, originaire d’Arpinum, est issu de l’ordre équestre. Sa mère s’appelait Elvia et il a été élevé dans la région des Volsques, comme le dit Eusèbe dans sa chronique. On a imaginé que son père appartenait à l’ordre équestre et qu’il était forgeron dans cette région. De ce fait, Salluste dit qu’il était un homo novus, ce qui est l’extraction la plus basse, mais, bien qu’étant le plus pauvre, sa sagesse à l’étude le faisait s’élever au-dessus du dénuement de son père, si bien qu’il possédait des talents qu’aucun plébéien n’avait démontrés et qu’il apprit les arts libéraux parmi les fils des nobles.34
20L’emphase avec laquelle l’auteur dépeint la pauvreté originelle de Cicéron sert, d’une part, à insister sur les mérites personnels de ce dernier et, d’autre part, à anticiper un portrait noir de Catilina, mauvais noble. Pour exposer la lutte contre les conjurés, le biographe se repose sur Salluste, qui lui offre un récit complet des événements. Il ne dispose vraisemblablement pas d’une telle source au sujet des guerres civiles puisqu’il n’évoque le positionnement de Cicéron dans l’affrontement entre César et Pompée qu’à travers une succession de calembours. L’activité politique du sénateur et ses tractations avec les deux camps apparaissent peu dans le développement. Le biographe n’efface pas pour autant les fonctions gouvernementales de Cicéron, auquel il attribue deux instituta : il aurait, d’une part, imposé aux femmes de porter des toges suffisamment longues pour cacher leurs jambes et, d’autre part, fondé la prison du Tullianum35. En outre, sa mort, commandée par Antoine, est remise en perspective du contexte politique propre au triumvirat avec l’appui de Valère Maxime. La biographie est entrecoupée par la longue liste de ses œuvres : l’élément central de cette vie reste, ici encore, la production littéraire. Les événements romains ne sont décrits que pour mieux expliquer le rôle d’auteur de Cicéron et accroître son autorité.
21Malgré la forte connotation littéraire du texte, le modèle biographique évolue au début du XIVe siècle pour faire se répondre carrière publique et compositions. S’affirme une conception neuve des personnages antiques, propre aux débuts de l’humanisme : ceux-ci abandonnent leur statut d’exempla pour retourner à la stature, plus humble, d’individu36. Leur imperfection assumée invite les lecteurs à s’intéresser aux évènements plus quotidiens ou moins glorieux de leur existence.
9.2.3. Les cycles du XIVe siècle : Cicéron, illustre lettré et politicien longtemps absent
22Le XIVe siècle voit la célébration nouvelle de la gloire personnelle de l’artiste, couronnant tant ses vertus que son mérite et assurant sa postérité37. Désormais, les auteurs contemporains peuvent recevoir de leur vivant la consécration relevant jusqu’alors de la validation des siècles38. Ils accueillent avec un attrait renouvelé le modèle des personnages célèbres du passé, sources d’inspiration comme d’émulation. La compilation des dires et des actes des autorités devient courante. Giovanni Colonna justifie cette initiative, dans son Liber de viris illustribus, en 1336, par une lutte contre l’oubli : il faut conserver les choses dignes de mémoire39. L’œuvre compile 330 courtes biographies d’auteurs célèbres, tant païens que chrétiens, selon un ordre alphabétique. La notice dédiée à Cicéron associe les dires qui lui sont attribués et des remarques d’autres philosophes ou historiens. « Tullius » est décrit dans la première partie de la biographie, consacrée à ses talents intellectuels, à ses qualités et à ses opinions. Dans la phrase introductive, Colonna décrit l’obtention du consulat comme une récompense de la prudence et de l’éloquence, éloignant son héros de toute interaction ou tractation avec ses contemporains40. Il s’attache à définir les conceptions religieuses de Tullius, étranger au christianisme mais avec lequel il entend démontrer la compatibilité éthique. Tout comme dans la biographie anonyme padouane citée précédemment, ce n’est pas par des actes mais par une série de mots d’esprit repris à Macrobe que, dans un second temps, Colonna replace son héros – devenu « Cicéron » – parmi les conflits émaillant la fin de la République41. Il décrit un personnage distant à l’égard de la guerre civile et lui octroie un rôle fédérateur.
23Cette lecture est quelque peu biaisée par la source utilisée : en citant les discours césariens de Cicéron – lequel tente par ces plaidoiries d’obtenir la clémence de César, tout juste victorieux –, Colonna le présente comme neutre durant le conflit, fidèle en amitié et promoteur de la paix, lui refusant toute stratégie politique42. D’ailleurs, selon lui, immédiatement après l’obtention des pouvoirs par César, Cicéron se range à une vie de philosophe, hors du monde, dont il ne s’écartera plus. La mort vient injustement le faucher au terme d’une existence majoritairement contemplative. Giovanni Colonna laisse de côté l’épisode pourtant célèbre de la conjuration de Catilina : il ne cherche pas l’exhaustivité mais la cohérence biographique. Si le sénateur s’implique dans la communauté, ce n’est chez Colonna qu’avec une vision surplombante, en prodiguant des conseils.
24La mise en série des vies au sein d’un cycle d’hommes illustres dépasse l’évocation individuelle pour conférer du sens à l’existence humaine en général. La cumulation des personnages invite le lecteur à prendre connaissance de leur courage ou de leur rectitude comme autant d’indices formant, à l’échelle du Liber de viris illustribus, le portrait pointilliste d’une humanité vertueuse. Les biographies se répondent et se complètent pour expliquer en quoi la postérité n’est que la conséquence de choix responsables et de talents justement employés.
25Pétrarque rédige, à son tour, un De viris illustribus durant le second quart du XIVe siècle. Il y fait cohabiter des figures incarnant les vertus civiques, dont Scipion l’Africain est le plus éclatant représentant. Le but de cette mise en série est de créer le récit cohérent d’un État romain ayant gagné sa puissance par les mérites de ses représentants43. Une particularité, par rapport à ses contemporains, est donc d’exclure les philosophes et les poètes de ce tableau, comme il l’explique dans son invective Contra medicum44. Le but de Pétrarque est de présenter l’histoire comme une construction, dont les différents membres de la communauté sont des acteurs. À ce titre, si les philosophes sont des sujets d’inspiration et d’imitation littéraire, ils ne s’investissent pas pour le destin de leur patrie et ne méritent donc pas d’être retenus comme illustres45. Cicéron est exclu de ce canon46 : Pétrarque ne retient pas sa carrière sénatoriale comme le témoignage d’une gloire romaine.
26Boccace précise ce jugement, en faisant figurer Cicéron au sein du De casibus virorum illustrium dans les années 1350-1360. L’ambition de l’auteur est bien, ici encore, de dresser les portraits d’hommes restés célèbres mais en se concentrant, cette fois, sur les figures qui ont connu un destin tragique par leur imprudence comme par leur orgueil. La lecture morale de cette galerie s’oriente vers les contre-exemples. Par une présentation doloriste des héros, Boccace dénonce le caractère éphémère de la gloire47. Il insère Cicéron parmi ces portraits d’hommes déchus. Boccace distingue l’activité intellectuelle de Cicéron de sa carrière politique. Alors que la première lui a apporté la reconnaissance et la légitimité, la seconde a causé sa perte :
Ainsi Cicéron vainquit les chefs armés [de Catilina] par la toge. […] Notre Cicéron fut donc très célèbre par ce seul fait honorable et éminent protecteur de la ville de Rome par son mérite. Cela aurait pu suffire à sa gloire ; mais il y ajouta une autre splendeur [à savoir l’éloquence], destinée à durer d’autant plus longtemps qu’elle avait été acquise au prix d’une longue étude. […] Par la suite, dans le conflit entre César et Pompée, il choisit le parti de ce dernier et quitta la patrie pour la seconde fois. Et quand les forces pompéiennes furent vaincues, il fut contraint à l’exil, comme la plupart des sénateurs. Il en fut rappelé par César, sans l’intercession d’un tiers. Mais, enfin, frappé d’infamie pour avoir été un des conjurés ayant conduit l’assassinat de César, il prit la fuite et se retira dans ses terres à Formia. La situation ayant changé à Rome, il fut proscrit par le triumvir Marc Antoine, dont il avait dénoncé la licence par le passé. […] Ainsi, après avoir composé de nombreux discours, avoir publié de nombreux livres et avoir écrit de nombreuses lettres (dont la lecture nous invite au meilleur par les enseignements de la philosophie et nous enseigne l’éloquence), Cicéron, abandonné, du haut de sa splendeur, acheva malheureux les disgrâces de cette vie. […] La disgrâce de Cicéron apprend à ne se fier à aucun honneur mondain.48
27Boccace juge sévèrement l’engagement de Cicéron parce que ce dernier s’est éloigné de la légalité en condamnant les conjurés de Catilina sans procès49. Sa proximité avec Brutus et Cassius aggrave ces manquements. Boccace estime que Cicéron s’est montré ingrat en participant à l’assassinat de César, lequel avait été indulgent à son égard. La mise à mort de Cicéron n’est donc que la conséquence d’un choix indigne50. À l’inverse des autres cycles d’hommes illustres, le De casibus virorum illustrium multiplie les références à l’action politique et civique de Cicéron. La volonté dénonciatrice du texte est caractéristique de la seconde moitié du XIVe siècle, faisant suite à la découverte d’une partie de la correspondance de Cicéron.
28À partir des dernières années du XIVe siècle, les notices biographiques deviennent plus détaillées quant à l’investissement politique de Cicéron en prenant appui sur Plutarque. En 1401, Iacopo d’Angelo propose à Coluccio Salutati une traduction latine des Vies parallèles, qui se diffuse rapidement51. Le récit de la vie de Cicéron s’individualise et s’affranchit des recueils collectifs d’hommes illustres. Une véritable rupture interprétative intervient avec Leonardo Bruni, qui propose, en 1415, de corriger la biographie plutarquienne. Sa Vita Ciceronis a pour but d’équilibrer un récit qu’il juge orienté puisque conçu pour faire pendant au portrait de Démosthène52. Bruni enrichit le texte initial de données historiques puisées chez Cicéron et chez plusieurs auteurs grecs, s’ingéniant à dépeindre un homme engagé auprès de la collectivité. La biographie met au premier plan le personnage politique, dont l’auteur n’est que le prolongement culturel. Ce remaniement a été considéré par l’historiographie moderne comme la manifestation d’un humanisme civique florentin naissant, Bruni faisant écho, à travers divers épisodes antiques, à des événements contemporains53.
29La transcription picturale des cycles d’hommes illustres témoigne, elle aussi, d’une apparition tardive d’un Cicéron politique honorable54. Parmi les programmes iconographiques commandés au XIVe siècle et mettant en scène les hommes politiques romains, aucun ne figure Cicéron. Giotto, au Castelnuovo de Naples, dans les années 1330, choisit des Troyens pour représenter les vertus gouvernementales antiques aux côtés de Salomon, les accompagnant de César comme représentant romain55. Une trentaine d’années plus tard, Francesco da Carrara commande la décoration d’une sala virorum illustrium dans son palais padouan. Inspirée par les écrits de Pétrarque, celle-ci aurait mis en scène les grands généraux romains ainsi que les empereurs, excluant Cicéron56. Il faut attendre les premières décennies du XVe siècle pour que ce dernier apparaisse parmi les hommes politiques dont les artistes figent les traits.
30Les sources textuelles nous indiquent que Cicéron était représenté parmi les portraits décorant l’aula minor du Palazzo Vecchio de Florence à l’époque où Coluccio Salutati était chancelier de la cité57. Ce dernier avait composé les légendes devant orner les diverses figures, dont le texte a été conservé. Parmi les personnages représentés, se trouvent plusieurs hommes politiques romains, républicains ou impériaux, de même que Constantin, Alexandre et Charlemagne, auxquels s’ajoutent trois figures littéraires florentines : Dante, Pétrarque et Boccace. Salutati a ainsi choisi de faire cohabiter gloire civique et gloire intellectuelle. Cette double option anime la légende dédiée à Cicéron : « Tullius, célèbre auteur latin de l’éloquence. Il vainquit Catilina par son intelligence, faisant triompher Rome et son empire. Mais l’épée d’Antoine le tua, et avec lui la liberté »58. Cicéron est honoré comme rhéteur et sénateur – que la référence à la proscription présente d’ailleurs comme un martyr civique. On retrouve cette bivalence au Palazzo Pubblico de Sienne, qui contient, semble-t-il, le portrait le plus précoce d’un Cicéron politique parmi les hommes illustres aujourd’hui conservé.
31Dans l’antichambre de la salle servant alors aux réunions du gouvernement, Taddeo di Bartolo représente vers 1414 les vertus nécessaires à l’exercice du pouvoir59. Pour illustrer chacune d’elle, il peint des personnages ayant participé à la grandeur de l’État romain. Cicéron complète le portrait de la Justice, accompagné de Caton d’Utique et de Scipion (fig. 9)60. L’artiste fait ajouter en légende au sujet de Tullius : « Par mon esprit, moi, consul, j’ai sauvé la patrie et tous les citoyens ; le rebelle Catilina fut contraint à la mort par la douce liberté : pour cela, Caton et les autres m’appellent ‘père de la patrie’ »61. Pourtant, la représentation n’utilise pas des caractéristiques nouvelles. Si Caton porte l’épée – sans doute en référence à son suicide – et le casque en signe de sa résistance armée contre César, Cicéron gouverne, lui, par le livre62. Taddeo exprime l’intention de son œuvre par une inscription en vernaculaire : les gouvernants contemporains doivent s’inspirer des faits glorieux des Romains63. Sage à la tête de l’État, Cicéron devient l’illustration de la conception aristotélicienne du philosophe-roi, revendiquée par les humanistes du XVe siècle naissant. Avant cette date, Cicéron est proposé uniquement en tant que rhéteur dans les portraits collectifs de la latinité. C’est le cas, par exemple, dans l’ancienne salle capitulaire de Santa Maria Novella à Florence.
32Vers 1365, Andrea di Bonaiuto y exécute une série de fresques dont le programme a été élaboré quelques années plus tôt par Iacopo Passavanti. Outre les représentations bibliques, le thème général est celui du succès des dominicains et du triomphe de la doctrine chrétienne. Un des murs est consacré à Thomas d’Aquin, représenté en maître de la scolastique, entouré des vertus et vainqueur des hérétiques. La fresque, qui insiste sur les qualités intellectuelles du frère, est complétée par une série d’auteurs bibliques qui, avant lui, ont établi la Vérité. Parce qu’il est dépeint comme enseignant, Thomas voit son portrait associé à un cycle représentant les différentes sciences, chacune accompagnée de son autorité de référence. Parmi elles, figure la rhétorique, sous les traits de Cicéron (fig. 10). Tullius, vêtu d’une toge, apparaît en maître médiéval. Vieil homme barbu, il conserve la posture que la tradition manuscrite lui a attribuée : la présentation d’un livre, l’index pointé d’un geste docte. Seule l’éloquence semble pouvoir relier l’homme à sa vie citadine. La figure historique la plus populaire de Cicéron reste au Moyen Âge, de ce fait, celle de l’orateur valeureux.
9.3. Quelques lieux communs : les combats du sénateur, entre armes de la parole et participation à l’ost
33Parmi les événements détaillés dans la biographie de Cicéron aux XIIIe et XIVe siècles, seuls quelques épisodes sont régulièrement repris au sein de la littérature communale. Certains paraissent anodins, bien que leur récurrence invite à les penser signifiants. Parmi eux, figure en bonne place la rivalité entre Cicéron et Salluste, à la fois intellectuelle et matrimoniale. L’idée d’un conflit privé autour du personnage de Terentia, qui épouse successivement les deux auteurs, est absente des textes antiques, Jérôme étant le premier à en faire mention64. Au cours du Moyen Âge, cette querelle est particulièrement utilisée pour expliquer la haine que se voueraient Cicéron et Salluste et qui serait le moteur de la rédaction d’Invectivae respectives. Les arguments développés par les deux sénateurs, prenant pour toile de fond la situation politique romaine en 54 av. n. è., consistent en des attaques touchant leur vie privée65. Salluste est d’ailleurs parfois condamné pour cette attitude66.
34La réputation d’orateur de Cicéron incite les auteurs à reconstituer les événements romains auxquels il participe à travers des discours. Sa diatribe contre Catilina en constitue un temps fort, de même que ses plaidoiries devant César. Ces oraisons sont parfois complétées d’interventions n’appartenant pas à l’œuvre de Cicéron. On en trouve un exemple dans le manuscrit Città del Vaticano, BAV, Chig.L.VII.267, achevé en 1389, qui compile des modèles d’éloquence orale et écrite. Il associe les traductions toscanes des lettres échangées par la chancellerie de Frédéric II à une série de discours retraçant les événements de la Rome républicaine de la conjuration de Catilina à la victoire de César. Parmi ces discours, figure les propos qu’aurait tenus Cicéron à Pompée en Thessalie pour l’encourager à la bataille67. Il s’agit en réalité du volgarizzamento d’un extrait de la Pharsale de Lucain68. On peut imaginer que le compilateur a isolé ce passage pour compléter son panorama rhétorique, le considérant comme une démonstration d’éloquence cicéronienne au même titre que les discours devant César, qui le suivent de peu au sein du manuscrit. La dimension historique du personnage émerge invariablement à travers ses talents oratoires, comme l’explique le vulgarisateur en introduction :
Cicéron exprima la volonté du Sénat par ses paroles ; nous avons déjà parlé de lui : il fut un maître de rhétorique et était consul au temps où Catilina fit la conjuration à Rome. Par son esprit, il débusqua cette dernière. Et il améliora fortement la cité par de bonnes lois et de bons usages.69
35Au sein des textes communaux, l’action politique de Cicéron résulte généralement de son pouvoir de conviction. Il gouverne par ses capacités oratoires, à tel point que certains auteurs associent sa mise à mort non à la perte de sa tête et de ses mains – comme le rapporte Plutarque70 – mais à une langue coupée :
On l’appelle la jalousie, qui contient en elle l’entière contagion des vices. Je ne peux pas dire combien et à quel point elle blesse et a blessé mais elle a affecté et a affligé d’une mort blâmable par tellement de tourments que je pourrais les énumérer comme les grains de sable sur les plages et les étoiles fixes dans le ciel. Elle tua [par exemple] Cicéron en lui coupant la langue.71
36L’opposition de Cicéron à la conjuration est, de loin, l’épisode le mieux connu de la vie du personnage au XIIIe siècle72. Le texte donne une image positive de Cicéron, homo novus dénigré par la noblesse puis honoré par la plèbe face au danger menaçant la République. Il insiste sur le rôle conciliateur du sénateur, toujours mis en scène au sein d’assemblées ou occupé à des tractations à l’intérieur de Rome. Cicéron gouverne par ses mots : il présente, conseille, ordonne, dénonce ou calomnie. À l’inverse, Salluste l’exclut des fonctions militaires et des combats toscans, qu’il attribue à Antoine et à Marcus Petreius. Cette description influence la perception médiévale des événements. Le traitement que réserve Brunetto Latini à la conjuration en est l’exemple. Il lui accorde un chapitre entier dans le premier livre du Tresor :
Kateline fist a Rome la conjuroison encontre ceaus qui governoient Rome, por le muement de dignetez. Mes cele conjuroison fu descoverte au tens que li tres saiges Marcus Tullius Cicero, li miauz parlanz home dou monde et maistre de rethorique, fu consules de Rome, qui par son grant sens vainqui les conjurés, et en prist et fist destruire une grant partie par le consoil dou bon Caton qui les juga a mort. […] Quant la conjuroison fu descoverte et le povoir Kateline fu afoibli, il s’enfoï en Toscane, en une cité qui avoit a nom Fiesle, et la fist reveler contre Rome ; mes les romains i envoierent grandisme ost, et troverent Catheline en pié des montaignes ou tout son ost et sa gent cele part ou est ores la citez Pistoie. La fu Cathelline vaincus en bataille et mort lui et les siens.73
37Brunetto distingue le rôle protecteur de Cicéron en tant qu’orateur (qui alerte les sénateurs) et l’intervention armée qui met fin à la sédition de Catilina. Pourtant, dans le troisième livre du Tresor, en voulant aborder une notion rhétorique à travers un discours attribué à César, il présente Cicéron à la tête de chevaliers74. La contradiction est imputable à l’association des sources que Brunetto a compilées. Il a utilisé un récit reprenant Salluste dans son premier livre, alors qu’il a emprunté le second extrait aux Fet des Romains. Or cette œuvre appartient à la catégorie des romans inspirés par la « matière de Rome » qui, avec les chroniques reprenant l’histoire de Fiesole, constituent un groupe à part au sein de notre corpus.
38Ces deux catégories de textes proposent un traitement tout à fait spécifique du personnage, centré sur ses qualités d’hommes de guerre. Cette variation est imputable aux codes qui régissent ces genres littéraires75. La matière de Rome, qui s’est développée au sein des romans courtois dès le XIIe siècle, notamment dans l’espace français, répond aux attentes littéraires d’une noblesse qui aime retrouver dans les figures antiques les valeurs de courage, de combat et d’honneur qui animent idéalement son propre groupe. Pour ce faire, la récupération des événements romains impose quelques aménagements. Dans un volgarizzamento des Fet des Romains, par exemple, Cicéron s’illustre sur le champ de bataille aux côtés des autres héros républicains76. Respectant les codes sociaux propres à la littérature courtoise, il est associé de façon anachronique au clergé lorsqu’il retrouve ses fonctions d’érudit77 : « Cicéron, le bon clerc, sage et bon orateur, qui par son grand esprit avait libéré Rome de la conjuration et l’avait sauvée de nombreuses choses, parla ainsi »78. La bataille qui a mis un terme à la conjuration ayant eu lieu à proximité de Fiesole, l’événement est venu enrichir les chroniques de la ville et des cités alentour. Celles-ci, par souci de prestige ou par influence des romans courtois, font intervenir l’ensemble des personnages célèbres dans l’affrontement armé79 :
Alors la Commune de Rome envoya l’ost sur place, avec les troupes de cavalerie, qui s’installèrent autour de Fiesole. De là, Cicéron, qui fut le principal capitaine de l’ost, fit face à la ville depuis un point haut, duquel il pouvait estimer le terrain et qui, dès lors, fut appelé Monte Ceceri.80
39Le thème devient particulièrement populaire en Toscane au XIIIe siècle. Les chroniques urbaines étoffent la célébration de l’identité citadine par le rappel des origines antiques de la communauté. Or dans le contexte toscan, s’est développée une véritable « légende de Catilina »81. D’après le De Catilinae coniuratione, Florence a été fondée par César suite à la destruction de Fiesole par les armées affrontant les conjurés. Ezio Bolaffi a relevé l’opportunisme des chroniqueurs des années centrales du XIIIe siècle face à un tel récit, lequel valorise civiquement la communauté médiévale en rappelant que, non seulement, elle a des racines romaines mais que, de surcroît, elle est l’incarnation de la légitimité gouvernementale face à la confiscation des pouvoirs. Les Florentins ont tout particulièrement réinvesti cet épisode qui justifie symboliquement l’expansionnisme de leur commune et sa domination sur les cités environnantes82. Il est de ce fait important de faire figurer Cicéron, dénonciateur de la conjuration, parmi ceux qui se sont battus pour venir à bout de Fiesole83.
40La conjuration constitue le point central de la biographie cicéronienne aux XIIIe et XIVe siècles. Elle est l’élément par lequel se rejoignent les différents types de sources traitant du sénateur, bien que chaque genre littéraire en donne une interprétation propre à ses caractéristiques narratives. L’épisode autorise les auteurs médiévaux à appliquer les idéaux d’honneur et d’honnêteté propres à leur temps à un personnage que l’opposition à la traîtrise de Catilina valorise. Les traits positifs prêtés à Cicéron permettent de connaître, en miroir, le positionnement civique des auteurs. Au-delà de l’illustration historique, l’anecdote se mue en argument dans des textes promouvant un type de gouvernement ou un groupe social.
Notes de bas de page
1 Bartuschat 2007, p. 13‑29.
2 Gaucher-Rémond 1994, p. 63‑76.
3 Burckhardt 1860, p. 327‑330.
4 Enenkel 1998, p. 38.
5 Parmi les historiographes, les notaires Riccobaldo da Ferrara, dans son Compendium romanae historiae (1318), et Benzo d’Alessandria, dans la Cronica a mundi principio usque ad tempora Henrici (1320), ne citent par exemple que très rarement les œuvres de Cicéron et le font majoritairement à travers des reprises médiévales. Même Benvenuto da Imola, enseignant les auctoritates à Bologne, qui compose son Romuleon une quarantaine d’années plus tard, flatte Cicéron mais se limite à quelques citations du De officiis – sa source majeure semblant être le Compendium de Riccobaldo, qu’il ne cite pourtant jamais. Cf. Riccobaldo da Ferrara, Compendium Romanae historiae, p. 384-386 ; Benzo d’Alessandria, Chronicon, p. 34, 53 ; Duval 2001, p. 31, 40.
6 Gabotto 1891, p. 14‑18 ; Cesareo 1924 ; Bolaffi 1949, p. 251‑257 ; Rouziès 2006.
7 Braccesi 1973, p. 97‑116.
8 Vir. ill., 81, p. 71-72.
9 Plu., Cic., p. 66-129.
10 Jean de Salisbury pense reprendre les mots de Plutarque dans son Policraticus, au XIIe siècle, lorsqu’il cite l’Institutio Trajani, un traité de gouvernement attribué à tort à l’historien grec. À sa suite, plusieurs auteurs invoquent Plutarque dans leurs textes de façon erronée. Cf. Brucker 2006, p. 8 ; Pade 2007, p. 62‑63.
11 App., BC, III.8, p. 103-108 ; Dion Cassius, p. 97-120.
12 La première traduction latine du texte d’Appien est réalisée par Pier Candido Decembrio dans les années 1450. L’Histoire romaine de Dion Cassius est abondamment copiée à Constantinople au cours du Moyen Âge mais reste inconnue en Occident avant le XVe siècle. Cf. Torrens 1993, p. 8.
13 Quain 1945 ; Minnis 1984, p. 15‑39 ; Booker 2013 ; Bourgain 2014.
14 Pellegrin 1976.
15 Dans le cas du De senectute, l’intentio – et, avec elle, les éléments biographiques concernant l’auteur – se résume à l’exposé du lien entre Cicéron et Atticus, à qui le texte est dédié. On le voit, par exemple, dans le manuscrit Montpellier, Faculté de médecine 133, f. 66v : Atticus fuit quidam nobilissimus romanus et ualde familiaris Ciceroni qui, cum esset sapiens in philosophicis libris, dubitabat an senectus esset naturale bonum nec ne. Cf. Ibid., p. 278.
16 Huygens 1970.
17 Cato perfectus in lingua latina transtulit se in Greciam, ubi cum studere proposuisset contulit se in sectam Stoicorum et perfectus factus est in illa. Postea Romam veniens in senatu multas sententias edidit editasque comprobavit, sed probatas in scriptum non contulit. Unde emuli eius post mortem ipsius quod viventem noverant confirmasse summopere nisi sunt dissolvere. Hoc autem cognito Brutus, predicti Catonis cognatus, Tullium amicum suum, quem etiam in arte loyca noverat peritissimum, rogavit quatenus sententias Catonis confirmaret et emulorum molimen funditus exstirparet. Cuius itaque rogatui satisfacere volens materiam in hoc opusculo Catonis sententias proposuit, sed diversas habet intentiones. Nam eius principalis intentio est sententias Catonis confirmare emulorumque confutare. Cuius utilitas est earundem confirmatio. : Ibid., p. 44-45.
18 Conrad présente Cicéron comme un philosophe traitant des vertus et du bonheur éternel et ayant écrit le De amicitia : Ibid., p. 100.
19 Non inmerito Salustius sociandus est in hoc ordine Tullio, quia ipsius Tullii prouidentiam et prudentiam contra socios Catiline satis indicat Salustius in libro suo : Ibid., p. 103.
20 Tullius videns romanam rem publicam viciis quorundam romanorum postposuit curam rei publicae et adhesit studio philosophie. Sciens igitur a viciosis quibus resistere non valebat non posse regi civitatem super quam maximam curam habebatur. Maluit tractare de huius modi genere philosophie per quod posset eos revocare a viciis quam de alio. Ad quod maxime valebat tractatus de officiis : Milan, Biblioteca ambrosiana, F 42 sup, f. 36r-36v.
21 Anthologia latina, p. 72-76.
22 Hic iacet Arpinas manibus tumulatus amicis, / Qui fuit orator summus et eximius, / Quem nece crudeli mactavit civis et hostis. / Nil agis, Antoni : scripta diserta manent. / Vulnere nempe uno Ciceronem conficis, / at te Tullius aeternis vulneribus lacerat. […] Quicumque in libris nomen Ciceronis adoras, / Aspice, quo iaceat conditus ille loco. / Ille vel orator, vel civis, maximus ; idem / Clarus erat factis, clarior eloquio ; […] Tullius Arpinas ex ordine natus equestri, / Sed virtute sua consul in urbe fuit. / Quem Catalina malus coniuratique nocentes / Senserunt vigilem civibus esse suis : Anthologia latina, p. 72-74.
23 Minnis 1984, p. 27‑29.
24 Porro Ciceronem in Gallia sub Cesare militasse iuxta Iulium Celsum et Orosium superius diximus qui multa preclara dixisse atque scripsisse legitur. Augustinus de civitate dei libro XII° : Deum certe volens Cicero sicut poterat breviter diffinire, mens est, inquit, quedam soluta et libera, secreta ab omni concretione mortali, omnia sentiens et movens ipsaque predita nutu sempiterno. Ieronimus contra Iovinianum libro I° : Cicero rogatus ab Yrcio ut post repudium Terentie sororem eius duceret, non acquievit, dicens se non posse et uxori et philosophie pariter operam dare. Illa autem coniunx egregia que de fontibus tullianis hauserat, nupsit Salustio inimico eius : Vincent de Beauvais, Speculum historiale, VII.6. Julius Celsus Constantinus est parfois mentionné dans les sources, comme c’est le cas ici, en tant qu’auteur du De bello Gallico. Il s’agit en réalité d’un auteur ayant révisé le texte vers les Ve ou VIe siècles. Cette attribution persiste jusqu’à la Renaissance. Cf. Paulmier-Foucart 1978, p. 73.
25 Vincent de Beauvais, Speculum historiale, VI.116, VII.1. Les autres mentions d’un Cicéron historique font référence aux activités militaires de Quintus.
26 Beltrami 1993, p. 149.
27 Crespo 1973. On trouve parfois chez les commentateurs d’Abélard une citation tronquée de ce dernier, dans laquelle il utilise l’exemple des tria nomina cicéroniens pour expliquer l’unité de la Trinité. Cf. Abélard, Dialectica, p. 470.
28 Brunetto Latini, Tresor, I.36.5, III.35.6.
29 De Marco vero Tullio, quam studiosus fuit […]. Et licet esset sic studiosus, fuit tamen sollicitus pro regimine reipublicae. Unde narrat de seipso in lib. De amicitia cap. 4. […] Marcus, inquit, Cicero iactatus inter manifestos inimicos, et partim dubios amicos, dum fluctuaretur cum republica, in quadam ad Atticum epistola ait : Jean de Galles, Compendiloquium, p. 283-284. Jean de Galles n’a vraisemblablement pas directement eu accès aux lettres à Atticus. Sur les probables emprunts directs et indirects de l’auteur, voir : Swanson 1989, p. 20, 22, 34.
30 Ibid., p. 205 ; Gramigni 2013.
31 Guenée 1976. L’intérêt pour les récits antiques se porte en premier lieu sur la légende troyenne. L’histoire romaine ne bénéficie, en contrepoint, que d’une importance mesurée jusqu’à la fin du XIIe siècle. Cf. Croizy-Naquet 1999, p. 10‑11. Composés entre 1211 et 1214 en France, les Fet des Romains connaissent rapidement des traductions vernaculaires dans l’Italie communale. Cf. I fatti dei Romani, éd. Marroni, 2004 ; Li fatti de’ Romani, éd. Bénéteau, 2012.
32 Ms. Troyes, Bibliothèque municipale 552. Cf. Tilliette 2003.
33 Ibid., p. 1060, 1065.
34 Marcus Tullius Cicero Arpinas equestris ordinis et matre Elvia ex regione Volscorum ortus est ut tradit Eusebius in cronicis. In commentis habetur quod pater ex equestri ordine ac regione prefata faber ferrarius fuit. Unde Salustius dicit eum fuisse hominem novum hoc est infimi generis et quamquam in scolis pauperimus sua tamen sapientia patris inopiam superavit adeoque bone indolis extitit ut quod nulli plebeio erat licitum ipse sibi acquiseverit proprium, scilicet quod inter filios nobilium liberales didicit artes : Ibid., p. 1064.
35 Ibid., p. 1077. Aucune des deux décisions n’est avérée. La première pourrait dériver d’un passage des Philippicae, dans lequel Cicéron compare Antoine à une ancienne prostituée ayant adopté la robe longue d’une matrone pour se racheter une réputation. Cf. Cic., Phil., II.44.
36 Bedos-Rezak – Iogna-Prat 2005, p. 14‑17.
37 Cerquiglini-Toulet 2001 ; Eichel-Lojkine 2001, p. 13‑14, 49 ; Petoletti 2006.
38 C’est en ce sens que Pétrarque reçoit en 1341 la couronne de lauriers des mains du sénateur romain Orso dell’Anguillara. Cf. Kantorowicz 1984.
39 Gianola 1980, p. 510‑511. Seuls quelques extraits de l’œuvre ont été édités, dont la Vita de Cicéron : Ross 1970, p. 559‑563.
40 Ibid., p. 559.
41 Colonna utilise des extraits du deuxième livre des Saturnalia, dont le troisième chapitre est consacré aux plaisanteries célèbres de Cicéron.
42 Ross 1970, p. 562.
43 Aurigemma 1983, p. 365.
44 Scribo de viris illustribus […] nihil ibi de medicis nec de poetis quidem aut philosophis agitur, sed de his tantum, qui bellicis virtutibus aut magno reipublice studio floruerunt, et preclaram rerum gestarum gloriam consecuti sunt : Pétrarque, Contra medicum, p. 98-101.
45 Bartuschat 2007, p. 27.
46 Pétrarque décrit le rôle des hommes illustres et des exemples littéraires dans une lettre adressée à Giovanni Colonna en 1342. Il présente Cicéron dans la seconde catégorie, aux côtés de Virgile : Pétrarque, Familiares, VI.4.12.
47 Brown-Grant 1995, p. 471‑472.
48 Sic armatos duces togatus excessit Cicero. […] Erat igitur noster Tullius hoc uno decore clarissimus et suo merito urbis Rome patronus insignis ; et potuerat hoc tantum suffecisse ad eius gloriam, sed annexus fulgor est alius, tanto longius duraturus quanto perpensius acquisitus est. […] Demum in dissensione Cesaris et Pompei pompeianas partes secutus, secundo patriam linquens, fractis Pompeianorum viribus, in communi fere totius senatus exilio factus est exul. A quo implorante nemine, ab ipso Cesare victore iterum revocatus est. Verum ultimo turpi notatus infamia, quod ex coniuratis in parricidium Cesaris unus extiterit, arrepta fuga in Formianum abiit et agentibus se varie romanis rebus a Marco Antonio triumviro, in cuius ineptias licentiosius olim invexerat, proscriptus est. […] Et sic multis a se confectis orationibus, multis editis libris multisque scriptis epistolis phylosophie monitis in melius legentes trahimur et eloquii clarissimi doctiores efficimur, relictis, ex amplissimo fulgoris culmine vite huius erumnas Tullius terminavit infelix. […] Dum eius infortunio nullis mundanis eminentiis confidere docemur : Boccace, De casibus virorum illustrium, VI.XII.
49 Branca 1990, p. 203.
50 « Ultimamente fu di quegli li quali congiurarono contro a Cesare e quivi si ritrovò dove Cesare fu ucciso; per la qual cosa, come gli altri congiurati fuggitosi di Roma, essendo il nome suo posto nella tavola de’ proscritti da Antonio triumviro, il quale fieramente l'odiava, se n’andò a Gaeta » : Boccace, Esposizioni sopra la Comedia, IV, p. 252.
51 Weiss 1953, p. 339‑342 ; Weiss 1955.
52 Fryde 1980.
53 Baron 1938, p. 90‑91.
54 Sur le passage de la compilation littéraire de portraits illustres à sa matérialisation artistique, voir : Donato 1985.
55 Di Simone 2012.
56 Mommsen 1952 ; Donato 1985, p. 103‑124.
57 Les fresques ont vraisemblablement été détruites à la fin du XIVe siècle. Cf. Hankey 1959.
58 Inclitus eloquii latialis Tullius autor. / Ingenium cuius habuit per Roma triumphis / Imperioque suo, Catilinam fregit. At ipsum / Antonii gladius, libertatemque peremit : Ibid., p. 365.
59 Rubinstein 1958.
60 Sous la justice, figure l’inscription : Iustitia omnium virtutum preclarissima regna conservat. Il s’agit d’une citation du De regimine principum de Gilles de Rome. Cf. Ibid., p. 192.
61 Ingeniis patriam propriis ego consul et omnes / Servavi cives, tandem Catilina rebellis / Ad mortem dulci pro libertate coactus : / Hinc Cato me patriae patrem reliquique vocarunt : Funari 2002, p. 25.
62 Caciorgna – Guerrini 2003, p. 103‑109.
63 « Spechiatevi in costoro voi che reggete / Se volete regnare mille et mille anni / Seguite il ben comune et non v’inganni / Se alcuna passione in voi avete. / Dritti consegli come quei rendete / Che qui di sotto sono co’ longhi panni / Giusti co’ l’arme ne’ comuni affanni / Come questi altri che qua giù vedete » : Funari 2002, p. 55.
64 Hier., Adv. Iovin., I.48, p. 291. Le conflit domestique entre Cicéron et Terentia est un thème très commun, y compris hors d’Italie. On le retrouve, par exemple, dans les années 1380, dans le Miroir de mariage composé par Eustache Deschamps, au service des Valois, qui consacre un chapitre à l’« exemple de ce que dit est par un philosophe appelé Cicero qui répudia Thérence, sa femme, pour son pechié, pour ce que c’est fort d’entendre à femme et à science ». Cf. Eustache Deschamps, Le Miroir de mariage, p. xxvi.
65 Novokhatko 2009a, p. 17.
66 « Al tempo di Tullio era Sallustio, un grande filosofo maldicente, e voleva grande male a Tullio, e feciono tencioni insieme che si chiamavano invettive, e biasimò l’uno l’altro » : Fiori e vita di filosafi e d’altri savi, p. 168.
67 Città del Vaticano, BAV, Chig.L.VII.267, f. 91r-91v.
68 Lucan., VII.61-85. Il semble que le passage ne soit pas extrait du volgarizzamento de Prato traditionnellement attribué à Arrigo Simintendi. Il est probable qu’il s’agisse d’une version remaniée des Fatti dei Romani.
69 « Tulio fu dicitore delle parole per volonta del sanato e di lui avemo parlato innanzi ; et elli fue maestro di rectoricha et era consolo altenpo che Catellina fece la congiuratione a Roma ; e per lo suo senno la trovo et invenne ella difuse ; ello suo senno meglioro molto la cicta di buone leggi e di belli costrumi » : Città del Vaticano, BAV, Chig.L.VII.267, f. 91r.
70 Plu., Cic., 48.5.
71 Ista vocatur invidia, que in se continet omnia contagia vitiorum. Quot enim et quantos non dico ledat et leserit, sed vituperabili morte affecerit et afflixerit diversis generibus tormentorum, ita numerare valerem sicut arenas litorum et stellas fixas in ambitu firmamenti. […] Tullium Ciceronem mutilatum lingua peremit : Boncompagno da Signa, Boncompagnus, prologue.
72 Des manuscrits à visée scolaire en proposent déjà des gloses en langue vernaculaire. Cf. Smalley 1971, p. 170‑171 ; Black 2001, p. 190, 196.
73 Brunetto Latini, Tresor, I.36-37.
74 « Paor n’a ci point de leuc, car Ciceron, nostre consules, est si decrés et si garnis d’armes et de chevaliers que nos ne devons riens douter » : Ibid., III.35.6, p. 692
75 Ribémont 2010.
76 I fatti di Cesare, p. 221.
77 La littérature courtoise a entretenu le topos d’une association bénéfique de la force, incarnée par le chevalier, et de la sagesse, que lui apporte le conseil des clercs. Cicéron prend ainsi l’habit d’un prêtre, de façon anachronique, dans plusieurs romans. Cf. Aurell 2011, p. 24‑38.
78 « Tullio Cicerone, lo buono cherico, savio e buono parlatore, che per suo grande senno aveva deliberata Roma de la coniurazione, et avevala salvata di molte cose per suo gran senno, parlò cotali parole » : I fatti di Cesare, p. 197.
79 À partir des années 1230-1260, il devient plus courant de faire référence à l’Antiquité au sein des chroniques urbaines. Cette évocation vise tant l’érudition et le prestige de la communauté que l’établissement de modèles de comportement. Cf. Billanovich 1992 ; Bortolami 1995, p. 65‑67.
80 « Allora generalmente vi mandoe el comune di Roma loste cole militie di kavalieri e puosono intorno a Fiesole. Onde Tullo Cecerone, che fue principale capitano delloste, si puose presso a la città in sun uno alto poggio, el quale sopra giudicava la terra, e per da idinanzi fu chiamato monte Ceciaro » : Chronica de origine civitatis Florentiae, p. 53.
81 Bolaffi 1949, p. 252‑253.
82 Rubinstein 1942, p. 200‑201 ; Becker 1971.
83 Voir, par exemple : Giovanni Villani, Nuova cronica, I.35, p. 74 ; Giovanni Fiorentino, Il Pecorone, p. 256, 259.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
De la « Cité de Dieu » au « Palais du Pape »
Les résidences pontificales dans la seconde moitié du XIIIe siècle (1254-1304)
Pierre-Yves Le Pogam
2005
L’« Incastellamento » en Italie centrale
Pouvoirs, territoire et peuplement dans la vallée du Turano au Moyen Âge
Étienne Hubert
2002
La Circulation des biens à Venise
Stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750)
Jean-François Chauvard
2005
La Curie romaine de Pie IX à Pie X
Le gouvernement central de l’Église et la fin des États pontificaux
François Jankowiak
2007
Rhétorique du pouvoir médiéval
Les Lettres de Pierre de la Vigne et la formation du langage politique européen (XIIIe-XVe siècles)
Benoît Grévin
2008
Les régimes de santé au Moyen Âge
Naissance et diffusion d’une écriture médicale en Italie et en France (XIIIe- XVe siècle)
Marilyn Nicoud
2007
Rome, ville technique (1870-1925)
Une modernisation conflictuelle de l’espace urbain
Denis Bocquet
2007